Autour d’une exposition : « Chagall entre guerre et paix ». Blaise Cendrars à propos de Chagall :
« Il dort, il est éveillé, il prend une église et il peint avec une église, il prend une vache et il peint avec une vache, avec une sardine… ».xx
Résidant dans une ville en Normandie, David Gonzalez a fait le déplacement pour visiter l’exposition : « Chagall entre guerre et paix », au Musée du Luxembourg. Au fil d’une conversation, il nous dit pourquoi il était motivé, ce qu’il a ressenti et ce qu’il en rapporte.
« Qu’est ce qui m’a motivé ? L’appel du désir. Parce que ma première rencontre avec les peintures de Chagall s’est réalisée fortuitement à l’occasion d’un mariage. Des amis préparaient leur mariage. Ils ont fait le choix de s’entourer d’amis plutôt que de vivre cette attente en famille ou dans une église. Et, au cours de l’après-midi précédant leur mariage, le groupe d’amis qui entourait les mariés, sous la direction d’un autre ami artiste, ont vécu un moment créatif sur le thème de Chagall. Sur des nappes en papier tendues sur des tasseaux en bois, ils ont peint tous ensemble des tableaux à la manière de Chagall. J’ai vu ces peintures et elles me sont allées droit au cœur. Elles m’ont fait une forte impression : les rouges, les bleus, des mariés voltigeant dans le ciel, des animaux lumineux dans la nuit de villages inconnus.
Ces impressions là, affectives et esthétiques, m’ont donné envie d’accrocher ces tableaux dans un petit temple anglais d’une station thermale normande qui ne sert quasiment qu’aux baptêmes et aux mariages. Je me suis dit que ces tableaux mettraient un peu de chaleur et de goût au milieu des boiseries et des béatitudes gravées sur les murs. Parmi ces tableaux produits au cours d’un pique-nique à la veille du mariage, quelques uns seulement étaient vraiment exposables. J’ai donc complété ce début d’expo en me procurant un catalogue de l’oeuvre peinte de Chagall, puis en photocopiant et en mettant sous verre quelques uns des tableaux les plus connus de ses diverses périodes.
Cette première expérience pour moi, a été principalement visuelle et pratique dans un premier temps. Mais elle a aussi déposé en moi deux notions très fortes : que Chagall peignait l’amour entre un homme et une femme et qu’il cherchait aussi à illustrer le divin. L’origine de ces peintures en provenance d’amis amoureux et l’accrochage dans le temple étaient certainement à l’origine de cette réception thématique : Chagall , Dieu et l’amour.
Quelques années plus tard, une amie m’a proposé d’aller voir l’exposition : « Chagall entre guerre et paix » au Musée du Luxembourg. Cet approfondissement de ma relation avec la peinture de Chagall se trouvait à nouveau habité par l’amitié et le désir. J’ai repensé à Dieu dans Chagall dans les habits de l’amour. Deux remarques : j’ai compris cette fois-ci que l’attention et l’état d’esprit conditionnent entièrement la réception d’une œuvre. Le désir et l’amitié m’ont semblé être la meilleure voie pour redécouvrir Chagall.
Premier pas dans le très fonctionnel Musée du Luxembourg. Les réservations sont complètes. Nous sommes nombreux devant les tableaux. Il est vingt heures trente. C’est une expérience crépusculaire.
Première séquence de tableaux : c’est le Chagall des années 1910. Deux toiles vertes transforment immédiatement mon souvenir en découverte. Ce n’est plus le Chagall des ciels bleu nuit et des rouges omniprésents. Il y a devant moi une peinture représentant une femme et son enfant devant une fenêtre, et c’est la lumière végétale et le vert des tissus qui illuminent ce tableau . Plus de flou. Un tableau réaliste. Le dessin est extrêmement précis. La femme, c’est Bella, et le nourrisson, c’est la petite fille de Marc Chagall.
La vie s’est comme arrêtée. Le cours de la vie est suspendu au présent. Et ce présent a la beauté froide d’une foret ukrainienne. Marc Chagall me fait penser à Sören Kierkegaard : sa vie entière était une attente de l’amour heureux. C’est ce que la vie lui offre. Il s’en saisit. En 1914, la guerre éclate. Chagall ne peut plus revenir à Paris comme il le désirait. C’est un exil. Il doit rester à Vitebesk. C’est une épreuve et le vide d’une réclusion.
C’est la période russe de Chagall. Dans le prolongement du premier espace du Musée du Luxemboug, sont exposés : dessins, croquis, fusains, encres de Chine, acrylique et gouache de Chagall en exil. C’est un peuple juif qui défile sous nos yeux. Des rabbins ont la figure de Monsieur tout le monde. Des visages parfois tourmentés à l’extrême où se lit toute l’angoisse du monde et de l’humain. Parfois, ce sont des regards et des bouilles totalement cocasses. On voit même un rabbin transportant la Bible sur son dos en forme d’armoire. Des inscriptions hébraïques au sens énigmatique figurent sur presque chaque portrait et scène de vie. Plusieurs encres de Chine et papier mine ont pour support du papier d’emballage. Peindre Chagall sur des nappes en papier correspondait bien à l’esprit de l’artiste. L’art comme la vie est précaire et sans prix. En regardant cette production sans aucune couleur, Chagall campe un drame historique où se marque à la fois, au quotidien, l’angoisse et l’humour.
Séquence suivante. Nous retrouvons les mariés de Chagall virevoltant dans un ciel nocturne comme peuplé d’animaux et de personnages bizarres. L’un des personnages bizarres est un juif volant. C’est la figure du juif errant. C’est l’image de l’humain cherchant le sens de sa vie au cours de son parcours terrestre. De même, dans la tradition hassidique, les animaux révèlent quelque chose du monde de Dieu.
Nouvelle séquence. Au centre de l’exposition, se dévoile une série d’illustrations portant sur la Bible. Elle est pour Chagall : « la plus grande source de poésie de tous les temps ». C’est un ensemble d’eaux-fortes insérées au sein de la Bible de Genève. C’est le grand tableau relevé à la gouache du roi David jouant de la lyre. C’est le don des tables de la loi à Moïse. Ce sont les prophètes, les patriarches, les guerriers et les rois.
Des crucifixions, notamment un très grand triptyque font le lien entre la persécution de Jésus et celle des juifs en Europe dans les années 40. Chagall en a fait don à l’état français. Comme bien souvent, l’image de Jésus déroute et sa normalité questionne. C’est à ce moment là du parcours que l’amie qui m’accompagnait me demande si Jésus était amoureux d’une femme ou d’un homme comme le raconte plusieurs romans historiques contemporains. L’échange dure dix minutes. Et c’est un échange pour tous puisqu’un petit groupe s’est arrêté à côté de nous pour écouter discrètement l’échange d’arguments. Nous en venons, en conclusion, à la question la plus pertinente : Qui est Jésus pour toi ? Et nous poursuivons notre visite.
Dernière séquence. L’exposition est assez courte et nous nous retrouvons au milieu des tableaux de la dernière période de la vie de Chagall. Fini les noirs, les rouges et les inversions chromatiques. Plus de barbes violettes, bleues ou vertes. C’est maintenant l’équilibre à petites touches d’un coucher de soleil dans la baie d’Antibes, des palmiers et lilas… Le paradis terrestre est presque là. Retour à une réalité ensoleillée. Quelque chose s’est passé. Peut-être Chagall a-t-il fini par aimer le monde tel qu’il est. Son esprit bohème semble s’être posé, mais sa peinture n’a pas fini de nous faire rêver .
« Mon cirque se joue dans le ciel,
Il se joue dans les nuages, parmi les chaises.
Il se joue dans la fenêtre où se reflète la lumière »
Marc Chagall
Le divin n’a donc pas que le visage des vieilles églises désertes. Il se reflète aussi dans la richesse des couleurs du monde, du désir et de l’amitié, mais, pour l’apprécier, il faut aimer et se savoir aimé. Dès lors, la vie, l’église, la foi en Jésus-Christ sont comme des vitraux qui nous disent un désir, à la fois souterrain et divin, que nous soyons heureux de vivre et d’espérer ».
Contribution de David Gonzalez.
Exposition : Chagall entre guerre et paix. 21 février- 21 juillet 2013 au Musée du Luxembourg
Émerveillement, contemplation, adoration : un chant de Taizé .
A travers le web, nous pouvons partager nos découvertes, mais aussi, nous entretenir à leur sujet. Une amie, m’ayant fait parvenir une vidéo rapportant un chant de Taizé, je l’ai fait connaître autour de moi . Une réponse : « c’est vraiment magnifique et le diaporama est très beau ».
Effectivement, les paroles de ce chant nous appelle à la méditation, à la contemplation, à l’adoration.
Ô toi, au delà de tout, Quel esprit peut te saisir ? Tous les êtres te célèbrent, Le désir de tous aspire à toi.
En quelques mots, ce chant exprime une inspiration puisée dans les psaumes . Cette strophe, répétée dans une mélodie harmonieuse, inspire et accompagne notre pensée.
Cependant, ce chant est, de plus, accompagné par un diaporama. Alors que d’autres chants sont accompagnés par des images directement connotées par une pratique religieuse, nous trouvons ici une évocation beaucoup plus large. Il y a une grande harmonie entre le chant et les images qui se succèdent.
Ces images renvoient d’abord à l’environnement naturel de Taizé : une eau vive, des fleurs, des papillons… Une trouvaille : le chant s’inscrit dans le cycle d’un jour, de l’aube à l’arrivée de la nuit. C’est pour nous un signe de paix et d’harmonie
Au cœur du diaporama, apparaît un bas-relief qui nous montre une procession en marche vers la nativité. Ainsi, dans cette évocation d’un Dieu qui nous dépasse, il y a le rappel bienvenu de la venue de Jésus à Noël . Et Jésus manifeste concrètement la présence de Dieu, et nous le révèle comme un bon père.
Enfin, pendant une longue séquence filmée, nous voyons apparaître les visages de ceux qui participent à cette célébration chorale : visages divers dans les expressions et les attitudes puisqu’on voit de temps à autre un jeu d’instrument de musique. A travers ces visages, nous entrons dans une communion d’esprit.
Ainsi, le chant et le diaporama s’allient pour nous faire entrer dans une harmonie : émerveillement, contemplation, adoration.
Dans son livre : « Sa présence dans ma vie ». Odile Hassenforder exprime la bonté et l’amour de Dieu.
En nous faisant part de son parcours spirituel tout au long de sa vie, d’une expérience fondatrice dans laquelle elle a reçu à la fois guérison et ressenti de l’amour de Dieu jusqu’aux dernières années où confrontée à une grave maladie, elle a trouvé en Dieu force et soutien, en passant par deux décennies où elle a vécu vie familiale et engagement chrétien en étant à l’écoute de tous ceux qui étaient en difficulté ou en recherche, Odile Hassenforder nous exprime, dans son livre (1) l’essentiel de sa foi . « Qui est Dieu ? » Un Dieu de Bonté et d’amour, nous répond-elle dans les différents textes qui composent ce chapitre, et, entre autres, celui-ci : « Geste d’amour ».
Geste d’amour.
Il est encore trop petit, mais il a très envie d’être grand. Alors, il emprunte le vélo du grand frère. Maman le lui a interdit pourtant. Ce qui devait arriver, arriva : il est tombé et s’est fait très mal. Quelle maman, ou quel papa, digne de ce nom, va-t-il le gronder ? A la vue du petit blessé, le geste d’amour spontané n’est-il pas de se précipiter pour consoler son enfant, le prendre dans ses bras et le soigner ? La leçon viendra plus tard. De cette expérience malheureuse, l’enfant retiendra d’abord et surtout cette tendresse qu’il a reçue. De même, cet adolescent, après un conflit avec son père, se réjouira de la réconciliation au cours de laquelle il s’est senti compris et aimé.
Nous sommes créés à l’image de Dieu, ce Dieu d’amour qui a pris nature humaine pour communiquer avec nous. Jésus est venu nous révéler la bonté infinie de son Père. Il nous en parle en racontant l’histoire de cet homme qui accueille sans reproche son fils, celui qui a dilapidé son héritage. Il le voit de loin, et, saisi d’une grande compassion, il court à sa rencontre et l’embrasse (Luc 15).
De même, j’ai été très émue le jour où j’ai lu le chapitre 11 du livre d’Osée . L’Eternel considère le peuple d’Israël comme son enfant. « Quand Israël était enfant, je l’ai aimé. J’ai appelé mon fils à sortir d’Egypte… C’est moi qui ai guidé les premiers pas d’Ephraïm (diminutif d’Israël) et qui l’ai porté dans mes bras. Mais il n’a pas voulu savoir que, moi, je prenais soin de Lui. Je le dirigeais avec ménagement, lié à lui par des liens d’amour. J’étais pour lui comme un père qui porte son petit enfant tout contre sa joue… ». Quelle sollicitude ! Quelle tendresse quasi maternelle !
Dieu nous a aimé le premier. Il fait des projets de bonheur pour chacun de nous, rappelle le prophète Jérémie (29/11 ). Il vient au devant de nous. Son pardon nous est acquis d’avance (I Jean 1/9).
Quand Jésus bénit les petits enfants et les donne en modèle à ses disciples, ne veut-il pas leur faire comprendre la nécessité d’accueillir avec confiance la bonté de son Père ?
« Le Seigneur est bienveillant et compatissant,
Patient et d’une immense bonté.
Le Seigneur est bon pour tous.
Son amour s’étend à tous ceux qu’Il a créés » (Psaume 145/8).
Comment, dans un climat d’écoute, la vie divine peut être reconnue, se manifester et s’exprimer dans l’amour et dans la paix.
Le message de Frère Roger à Taizé .
Nos itinéraires spirituels sont divers. Les étapes et les lieux varient selon chacun. Mais, dans l’inspiration de l’Esprit de Dieu, nous sommes en marche. Aujourd’hui, à la suite d’un échange sur internet, nous avons découvert quelques vidéos qui nous communiquent de brefs, mais lumineux messages de Frère Roger. Roger Schutz, né en Suisse en 1915, a été, dans les années 40, le fondateur de la communauté de Taizé. Et, ensuite, pendant des années, devenu Frère Roger, il en a été l’inspirateur et le responsable jusqu’à sa mort, assassiné le 12 mai 2005 (1).
En regardant les deux vidéos que nous présentons ici, nous avons été ému et touché par la bonté et l’amour émanant de cet homme, une foi simple, humble et bienfaisante.
Les vidéos retenues ici : « Ce que nous ne savions pas » et « La beauté de l’écoute » se rejoignent pour nous dire que l’écoute et la compréhension dans la confiance qu’elle engendre, ouvre la voie à l’expression et la libération d’un potentiel spirituel : «Que se libère en nous et en tout être humain dans cette écoute, cette compréhension qui est amour, que se découvre peu à peu ce que nous ne savions pas : c’est que nous prions ». L’Esprit de Dieu est déjà là. Un processus se met en route dans lequel un vécu nouveau apparaît : prière, libération de la culpabilité, foi. « La foi est une réalité très humble qui ne demande pas des efforts surhumains, non, pas du tout ! Mais beaucoup plus une attitude de simplicité pour comprendre ce que Dieu a déposé en nous ». Et, dans cette émergence, nous nous rendons compte alors « qu’il y a un don, un cadeau, comme une offrande de Dieu qui est la paix, la paix intérieure, la paix du cœur ». L’écoute permet à ce qui est le plus profond en nous de s’exprimer. Ainsi, à travers un climat d’écoute, la vie divine peut être reconnue, se manifester et s’exprimer dans l’amour et dans la paix.
Ce que nous ne savions pas
« Qu’est ce que nous souhaitons le plus pour ceux qui viennent ici à Taizé ?
Nous souhaitons qu’ils soient écoutés, qu’ils soient entendus. Non pas qu’ils viennent recevoir des conseils, des directives… Rien de tout cela ! Mais qu’ils soient entendus . Et puis quese libère en nous et en tout être humain dans cette écoute, dans cette compréhension qui est amour, que se découvre peu à peu ce que nous ne savions pas. C’est que nous prions. Même quand nos lèvres sont fermées, le Christ prie en nous.
Ce que nous ne savions pas, alors que nous avons tendance à être souvent sévères envers nous-mêmes, jamais Dieu ne vient comme peser sur l’être. C’est la Parole du Christ en Saint Jean : « Quand ton cœur te condamne, Dieu est plus grand que ton cœur » (2). Et il sait tout. Il connaît tout…Une grande découverte, cette réalité d’évangile…
Ce que nous souhaitons ! Dans cette première démarche dans une semaine à Taizé : peu à peu, se rendre compte qu’il y a un don, un cadeau, comme une offrande de Dieu à nous tous qui est la paix,la paix intérieure, la paix du cœur ».
« La beauté de cette vocation qui est d’écouter l’autre. Elle est peut-être rendue possible parce qu’on a eu soi-même le besoin d’être écouté. On a compris ce que cela signifiait de ne pas être écouté.
Il y a plus ou moins le don d’écoute chez une multitude. Beaucoup d’hommes et de femmes en vieillissant saisissent ce qui leur est confié : être proche de l’autre ; le libérer ; le décharger du poids qui repose sur ses épaules, lui enlever ces mille kilos qu’il ne peut pas soulever, qu’il ne pourra jamais soulever.
Et cela passe surtout par l’écoute qui ouvre le chemin de la confiance, de l’humble confiance : la foi. Le chemin de la foi, ce n’est pas une autre voie que celle qu’on a peu à peu saisie, que la foiest une réalité très humble qui ne demande pas des efforts surhumains. Non, pas du tout. Mais beaucoup plus une attitude intérieure de simplicité pour comprendre ce que Dieu a déposé ennous ».
Ensemble, dans le chemin de l’histoire, en marche dans un projetd’avenir
Stéphane Hessel, notre ami, puisqu’il suscitait notre sympathie à travers sa présence dans les médias, est décédé, le 17 février 2013, au terme d’une longue et belle vie sur cette terre. Chacun pourra trouver les mots pour décrire ce qui émane de lui dans les nombreuses vidéos qu’il nous lègue : enthousiasme, conviction, empathie, passion pour la justice et la défense des êtres humains face aux menaces de toutes sortes, et puis, une présence sensible, immédiatement ouverte à l’autre, dans une fragilité assumée, une noblesse d’âme, un beau sourire.
Tout ou presque a été dit, écrit sur sa vie (1) depuis une enfance européenne, la résistance où la vie a triomphé de la mort, sa participation à l’émergence de la Déclaration universelle des droits de l’homme, une carrière diplomatique, des engagements politiques en soutien de Pierre Mendes France et Michel Rocard, son implication dans des causes nombreuses et variées, non sans risque parfois, et puis, en fin de parcours, la rédaction du manifeste : « Indignezvous ! », qui n’est pas une œuvre sans défaut, mais qui a répondu à des aspirations profondes et suscité en retour un immense retentissement. Manifestement, au vu des commentaires qui se sont multipliés, que pourrions-nous ajouter de plus dans la description et l’appréciation d’une vie publique qui apparaît comme l’expression d’une conscience qui se communique ?
Mais, sur ce blog : « Vivre et espérer », comment ne pas exprimer ce que nous recevons de lui ! En effet, nous voyons dans Stéphane Hessel, une dynamique de vie qui n’aurait pu perdurer s’il n’y avait pas en lui une espérance intime. Et de même, son indignation ultime est à la mesure d’une passion pour la justice au sens le plus noble du mot, telle que nous la voyons personnellement s’exprimer dans la sève judéo-chrétienne. A cet égard, on peut présumer que sa culture familiale n’a pas été sans influence.
On trouvera des analyses nuancées au sujet de la spiritualité deStéphane Hessel, notamment dans l’orbite protestante et le journal « Réforme » (2) parce qu’il y a une certaine proximité, au moins culturelle, entre la foi protestante et cette personnalité qui refuse cependant de s’engager dans une religion . Dans une interview à LCI WAT en mars 2012, Stéphane Hessel s’exprime en croyant qui regarde au delà du visible immédiat, mais sans référence à une religion particulière. Il ne redoute pas la mort : « une expérience peut-être la plus intéressante de la vie ». Et il ajoute : « Je suis profondément acquis à la philosophie de Spinoza.. Je pense que l’Etreest partout ». Et il ajoute : « Je pense que nous allons à travers la vie vers quelque chose qui est encore plus grand et où nous pouvons apporter notre petite participation » (3)
Il y a chez Stéphane Hessel une capacité d’émerveillement qui s’exprime dans son amour de la poésie. Ségolène Royal, avec qui il a collaboré dans une amitié réciproque, vient d’écrire à ce sujet untrès beau texte : « Le testament poétique de Stéphane Hessel : « La poésie, ma nécessité » (4).
Elle nous rappelle qu’à l’âge de 86 ans, « Stéphane Hessel a présenté 86 poèmes d’auteurs français, anglais et allemands, les trois langues maîtrisées par cet européen accompli, qu’il avait la fierté de connaître par cœur et aimait réciter entre amis, en public ou simplement pour lui même, en marchant dans les rues, en prenant le métro ». Intitulé : « O ma mémoire, la poésie, ma nécessité », cet ouvrage, disponible en édition de poche est précédée par une introduction qui évoque le goût de la poésie qui n’a cessé de vivre en lui, de le rendre heureux et confiant, de nourrir ses combats et de l’aider à affronter les épreuves de l’histoire ». Et ainsi, il raconte « comment dans les moments les plus dramatiques qu’il dut affronter, la poésie lui fut d’un immense secours. « L’émotion poétique », nous dit-il aussi, « fut pour lui une source de liberté et de sérénité face à la mort » . Et de citer « une lettre de Rilke qui décrit un va et vient entre ceux d’avant et ceux d’après dans un monde ouvert à tous, les vivants et les morts, les butineurs du visible et les abeilles de l’invisible ».
« Ses poèmes », nous dit Ségolène Royal, « constituent une sorte d’autobiographie et de testament poétiques. C’est le geste d’un homme convaincu que le propre de l’humain est de poursuivre des fins qui dépassent la finitude individuelle et que la poésie, parce qu’elle subvertit et transgresse, parce qu’elle nous ouvre à des émotions bouleversantes et touche aux sentiments les plus profonds, représente une nourriture vitaleà laquelle chacundoit pouvoir accéder, source de bonheur et de courage ».
Nous accueillons cette vision dans l’inspiration qui est la nôtre, la foi dans un Dieu qui est communion d’amour et qui, en Christ ressuscité et par l’œuvre de l’Esprit, dans un processus de résurrection, nous conduit vers une nouvelle création où Dieu sera tout en tous. Sur ce blog, nous sommes accompagnés par la pensée théologique de Jürgen Moltmannqui sait nous introduire dans la présence d’un Dieu à la fois transcendant et immanent (5). Et combien cette pensée, dans la dynamique d’espérance et la passion de la justice dont elle témoigne (6) , nous paraît en dialogue avec le parcours que nous venons d’évoquer. Dans un de ses écrits, Moltmann nous parle de l’histoire à partir de la foi juive et chrétienne (7). « Le passé et l’avenir ne sont pas des univers séparés, mais au contraire des réalités en interaction…. S’il n’y a plus d’attente d’expériences à venir, alors disparaissent également les souvenirs d’expériences faites. S’il n’existe plus d’expériences dont on se souvient, alors disparaissent également les attentes. Souvenir et espérance sont les conditions qui permettent qu’il y ait desexpériences de l’histoire ». Les religions historiques issues de l’histoire d’Abraham sont orientées vers l’avenir. Dès lors, on peut envisager les évènements humains et naturels « dans un horizon d’attente ». On peut les considérer comme des moments d’un processus qui visent au delà d’eux-mêmes ». Et, par ailleurs, on ne se représente plus le passé comme définitivement clos, sans suite. « Nous ne nous posons plus la question de l’avenir pour les morts, mais celle de l’avenir de la vie vécue dans le passé ». Le fil ne serompt pas. « La rétrospective historique doit donner à reconnaître et à actualiser la perspective passée. Ainsi, il sera possible d’articuler ensemble les expériences de ceux du passé et les espérances de ceux du présent et de les inclure avec le projet d’avenir présent »
Oui, dans cette vision, si Stéphane Hessel a quitté cette vie terrestre, il n’a pas « disparu » à tout jamais. Ensemble, dans des formes différentes (8), nous avançons dans un projet. Ensemble, dans le chemin de l’histoire, nous marchons dans un projet d’avenir.