par jean | Juin 11, 2013 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Société et culture en mouvement, Vision et sens |
Comment vivre ensemble entre êtres humains ?
Au sortir de la société hiérarchisée qui a prévalu pendant des siècles, l’aspiration à la liberté a grandi et s’est manifestée à travers des bouleversements sociaux comme les révolutions qui, à la suite de la Révolution Française, ont parsemé le XIXè siècle. Mais l’aspiration à la liberté ne se manifeste pas seulement au plan de la politique intérieure, mais aussi sur le registre des combats pour l’indépendance nationale par opposition à une domination étrangère et, dans le domaine social, en terme de luttes pour une libération face à l’exploitation d’un groupe dominant. Aujourd’hui encore, l’aspiration à la liberté figure dans l’actualité comme on l’a vu dans les « printemps arabes » et ce ferment est toujours actif.
Cependant, le mouvement pour la liberté n’est pas sans rencontrer des écueils. Il y a des avancées, mais aussi des reculs et des régressions. Le processus dépend pour une part de nos représentations de l’être humain et de la manière de concevoir la vie en société dans une perspective plus vaste. Quelle est notre vision de la nature humaine et de l’avenir de l’humanité ?
Pour répondre à ces interrogations, nous nous inspirons de la pensée de Jürgen Moltmann telle qu’elle s’exprime en quelques pages éclairantes dans son livre : « L’Esprit qui donne la vie » (1).
La liberté comme maîtrise.
Dans une rétrospective historique, on constate que la liberté s’est affirmée fréquemment en terme de lutte pour le pouvoir. Il y a des vainqueurs et des vaincus. Dans cette perspective conflictuelle, la liberté apparaît comme un privilège de ceux qui dominent. Cela a été le cas dans la société antique. La liberté apparaît alors comme une « maîtrise ». « Celui qui comprend la liberté comme maîtrise ne peut être libre qu’au détriment des autres hommes… Au fond, il ne connaît que lui-même et ce qu’il possède. Il ne voit pas les autres comme des personnes » (p 165). Si nous considérons principalement la liberté comme la possibilité de faire ce qui nous plaît, nous avons l’impression d’être « notre propre maître ». Mais alors, c’est l’individualisme qui prévaut. Certes, on fixe pour règle de respecter la liberté des autres. Mais n’est-ce pas sous-entendre que « tout homme n’est qu’une limite à ma liberté ». « Chacun est libre pour ce qui le concerne lui-même, mais personne ne se soucie de l’autre…Dans le cas idéal, il s’agit d’une société d’individus libres et égaux, mais solitaires » (p 160). Mais est-ce bien là une situation qui puisse répondre aux aspirations profondes de l’être humain ?
La liberté comme participation.
On peut avoir un autre regard sur la vie sociale selon lequel la liberté s’exerce dans une relation caractérisée par un respect réciproque. « C’est le concept de la « liberté communicative »… C’est dans l’amour mutuel que la liberté humaine trouve sa réalité. Je suis libre et me sens libre lorsque je suis respecté et reconnu par les autres (2) et, lorsque, de mon côté, je respecte et reconnaît les autres » (p 166). Si je partage ma vie avec d’autres, « l’autre n’est plus la limite, mais le complément à ma liberté ». « La vie est communion dans la communication… Nous nous communiquons mutuellement de la vie… Dans la participation à la vie les uns avec les autres, chacun devient libre au-delà des limites de son individualité » (p 166). Ainsi la liberté s’exerce dans la relation sociale. Elle se manifeste dans l’amour ou la solidarité.
En comparant « la liberté comme maîtrise » et « la liberté comme communauté », Jürgen Moltmann éclaire notre interprétation de l’histoire. « Aussi longtemps que la liberté signifie maîtrise, il faut tout séparer, isoler, fractionner et distinguer pour pouvoir dominer. Mais si la liberté signifie communauté, alors on fait l’expérience de l’union de tout ce qui est séparé ». Ainsi deux conceptions s’opposent : d’un côté, une logique individualiste, et d’un autre côté, une vision holistique. Dans cette vision, « l’aliénation de l’homme par rapport à l’homme, la séparation de la société humaine et de la nature, la scission entre l’âme et le corps, enfin la crainte religieuse sont abolies ». « La liberté comme communauté est un mouvement qui va en sens contraire des luttes pour le pouvoir et des luttes des classes dans lesquelles la liberté ne pouvait être comprise que comme domination… La vérité de la liberté humaine consiste dans l’amour qui veut la vie. Elle conduit à des communautés sans entraves, solidaires et ouvertes… » (p 167)
La liberté comme avenir.
Mais, si on conçoit la vie sociale sans pouvoir fonder sa dynamique dans une perspective d’avenir, sans horizon, alors un enfermement apparaît, un repli se manifeste. « La détermination de la liberté par la foi chrétienne conduit encore au delà de la liberté comme communauté. Nous avons caractérisé la foi chrétienne comme étant essentiellement espérance de la résurrection. A la lumière de cette espérance, la liberté est la passion créatrice pour le possible ». Pour s’exercer, la liberté ne peut se contenter de l’existant. « Elle est référée à l’avenir, à l’avenir du Dieu qui vient » (p 167). Ainsi nous regardons en avant, nous pensons en terme de projet, nous manifestons notre créativité. « Cette dimension de la liberté qui se réfère à l’avenir a été longtemps négligée parce qu’on ne comprenait pas la liberté de la foi chrétienne comme participation à l’agir créateur de Dieu. » (p 168). Dans cette perspective, « nous découvrons la liberté dans la relation de sujet à sujet en relation au projet commun.. ». Jürgen Moltmann nous appelle à entrer dans une vision. « Il est vrai que dans l’histoire dont nous faisons l’expérience, il nous est plus facile de désigner le négatif dont nous voulons nous libérer que d’exprimer le positif en vue duquel nous espérons devenir libre. Mais c’est l’espérance d’un avenir plus grand qui, dans l’histoire, nous mène vers des expériences toujours nouvelles » (p 168).
Liberté, égalité, fraternité.
Dans cet éclairage, nous pouvons examiner la grande devise de la République française : liberté, égalité, fraternité. Lorsqu’on souffre de l’absence de liberté, on en perçoit le prix. Et l’égalité fait barrage aux privilèges qui entraînent et accompagnent la domination. Mais si l’on s’en tient à ces deux termes, on s’expose à retomber dans une situation où la recherche de maîtrise est sous-jacente et s’exprime dans un individualisme qui défait le lien social… C’est pourquoi, l’adjonction de la fraternité est essentielle. Et, si l’on se reporte à l’histoire, on sait que le terme s’est imposé au cours du processus qui a abouti à la Révolution de 1848 et que, par rapport à l’individualisme bourgeois, des chrétiens socialistes ont joué un rôle dans cette adjonction (3). Une inspiration chrétienne s’est manifestée dans l’émergence de la fraternité. La fraternité va de pair avec la solidarité et elle en est le ferment.
Dans un livre récent : « Le mystère français » (4), deux démographes, Hervé Le Bras et Olivier Todd, nous apportent un éclairage précieux sur la pluralité des cultures dans la société française. Cette réalité est mise en évidence à travers un ensemble de cartes particulièrement significatives. L’interprétation des auteurs peut naturellement être débattue. A notre sens, la notion de fraternité mériterait d’être davantage prise en compte. La crise de l’héritage révolutionnaire dans le grand bassin parisien, peut être perçue comme la résultante d’un déficit de fraternité. Le dynamisme qui se manifeste dans des régions autrefois marquées par un catholicisme hiérarchisé, peut être imputée à la fraternité qui se manifeste dans une inspiration évangélique autrefois contrôlée.
Aujourd’hui, dans la crise économique et sociale et le désarroi qui en résulte, la fraternité nourrit et soutient la vie en société. Elle s’exprime plus difficilement dans une vie politique marquée par la recherche du pouvoir. Mais, d’expérience, certains en savent l’importance. Ainsi, dans le récent livre de Ségolène Royal : « Cette belle idée du courage » (5), la fraternité est présente dans beaucoup de portraits. Et, à un moment, l’organisation d’une fête annuelle de la fraternité a manifesté la prise en compte d’aspirations populaires au risque de susciter une réaction hostile chez les tenants de l’idéologie traditionnelle.
Pour une société conviviale
Et pourtant, aujourd’hui, dans la mutation en cours, la politique ne peut ignorer un mouvement profond qui s’exprime dans la reconnaissance de l’empathie (6) et dans l’aspiration à une autre manière de vivre où la dimension fraternelle va de pair avec un mouvement qui va de l’avant. Ainsi Jean-Claude Guillebaud a-t-il intitulé son dernier livre : « Une autre vie est possible » (7).
Dans la même inspiration, on parle aujourd’hui de convivialité. Ainsi, dans un recueil intitulé « De la convivialité. Dialogue sur la société conviviale à venir » (8), Patrick Viveret met en cause la « démesure », ce que les grecs appelaient « l’hubris » comme une des causes de la crise actuelle. Et il conclut en posant la question du vivre ensemble entre les êtres humains. « Nous n’avons plus la facilité de contourner la question humaine en la reportant du côté des choses –passer du gouvernement des hommes à l’administration des choses – et il nous faut affronter la question du gouvernement des hommes à l’échelle planétaire. C’est fondamentalement, et la question de la démocratie, et au sens le plus radical du terme, la question de la qualité relationnelle interhumaine, j’ose le mot : de la qualité d’amour de l’humanité qui est en jeu dans la suite de sa propre aventure » (p 40) . L’appel à la convivialité s’étend puisque, tout récemment, un « Manifeste convivialiste » (9) vient de paraître.
Comment vivre ensemble entre êtres humains ? Et selon quelle éthique de la liberté ? La pensée théologique de Jürgen Moltmann nous aide à clarifier les termes du débat… Et, dans cette vision, s’il nous
J.H.
(1) Moltmann (Jürgen). L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999. La pensée théologique de Jürgen Moltman est présenté au public francophone sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : http://www.lespritquidonnelavie.com/. Vie et pensée de Jürgen Moltmann à travers son autobiographie : « Une théologie pour notre temps » : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=695
(2) La recherche en sciences sociales, notamment à travers les écrits de Axel Honneth, met de plus en plus l’accent sur l’importance pour les gens de se sentir reconnu par autrui. Nous renvoyons à recueil de contributions sur ce sujet récemment publié : La reconnaissance. Des revendications collectives à l’estime de soi. Editions Sciences humaines, 2013. « C’est dans le regard des autres que l’individu trouve la confirmation de son existence, qu’il se sent à la fois semblable et différent. Et qu’il peut trouver les sources de l’amour et de l’estime de soi….Le besoin de reconnaissance touche aussi bien les individus que les groupes ».
(3) Histoire des origines de la devise : liberté, égalité, fraternité sur Wikipedia francophone et anglophone. http://fr.wikipedia.org/wiki/Liberté,_Égalité,_Fraternité et http://en.wikipedia.org/wiki/Liberté,_égalité,_fraternité
(4) Le Bras (Hervé), Todd (Emmanuel). Le mystère français. Seuil, 2013 (La République des idées). Riche présentation et mise en perspective de ce livre sur le blog : « Des petits riens… Petits riens, mais parfois grands bonheurs » (Le Monde.fr) http://jmph.blog.lemonde.fr/2013/05/05/le-mystere-francais-herve-le-bras-emmanuel-todd-le-seuil/
(5) Royal (Ségolène). Cette belle idée du courage. Grasset, 2013 Sur ce blog, mise en perspective : « Force et joie de vivre dans un engagement politique au service des autres » : https://vivreetesperer.com/?p=1335
(6) Rifkin (Jérémie). Une nouvelle conscience pour un monde en crise. Vers une civilisation de l’empathie. Les liens qui libèrent, 2011. Mise en perspective sur le site de Témoins : « Vers une civilisation de l’empathie. Apports, questionnements, enjeux » : http://www.temoins.com/etudes/vers-une-civilisation-de-l-empathie.-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkin.apports-questionnements-et-enjeux.html et, sur ce blog: « La force de l’empathie » : https://vivreetesperer.com/?p=137
(7) Guillebaud (Jean-Claude). Une autre vie est possible. Comment retrouver l’espérance ? L’Iconoclaste, 2012. Mise en perspective sur ce site : « Quel avenir pour le monde et pour la France » : https://vivreetesperer.com/?p=937
(8) Caillé (Alain), Humbert (Marc), Latouche (Serge), Viveret (Patrick). De la convivialité. Dialogues sur la société conviviale à venir ». La Découverte, 2011.
(9) Manifeste convivialiste. Déclaration d’interdépendance. Éditions Le Bord de l’eau, juin 2013 Présentation de ce manifeste «http://www.reporterre.net/spip.php?article4356
par jean | Déc 30, 2012 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Vision et sens |
La guérison du monde, selon Frédéric Lenoir.
La crise économique sème le trouble et l’inquiétude. Elle perturbe et endommage la vie de beaucoup de gens. Mais nous nous rendons compte qu’elle s’inscrit dans un désordre plus général : le bouleversement des équilibres naturels. Et, d’autre part, nous percevons combien la société et la culture changent rapidement. Nous sommes engagés dans une grande mutation. Pour avancer, nous avons besoin d’y voir plus clair, de comprendre l’évolution en cours, d’en percevoir les enjeux, et, pour cela, de faire appel à des personnalités qui puissent nous apporter une analyse et parfois davantage : une vision.
Dans cette recherche, le récent livre de Frédéric Lenoir : « La guérison du monde » (1) nous apporte un éclairage particulièrement utile qui rejoint et confirme d’autres contributions que nous avons précédemment mises en évidence et qui apporte aussi des éléments nouveaux venant prendre place dans le puzzle de notre questionnement. Bien écrit, pédagogique dans son déroulement et son exposition, remarquablement informé, ce livre intervient en complément d’autres analyses économiques ou sociologiques pour apporter un éclairage sur les voies nouvelles qui s’ouvrent à la conscience humaine dans l’évolution de la culture, de la spiritualité, de la religion. Ce livre, très accessible mais aussi très dense, ne se prête pas facilement à une présentation synthétique. En envisageant de mettre par la suite en perspective tel ou tel aspect de cette réflexion, nous voulons ici présenter l’économie générale de cet ouvrage pour en souligner l’importance et la fécondité.
Tout d’abord, quelle est l’intention de Frédéric Lenoir ? A juste raison, il voit dans la crise actuelle, « un symptôme de déséquilibres beaucoup plus profonds » (p 11). Et, en particulier, il fait allusion à la crise écologique qui est une donnée fondamentale. Nous avons besoin d’une vue d’ensemble. « Il convient de considérer le monde pour ce qu’il est : un organisme complexe et qui, plus est, atteint de nombreux maux. La crise que nous traversons est systémique. Elle « fait système » et il est impossible d’isoler les problèmes les uns des autres ou d’en ignorer les causes profondes et intriquées. Pour guérir le monde, il faut donc tout à la fois connaître la véritable nature de son mal et pointer les ressources dont nous disposons pour le surmonter… » (p 12).
La fin d’un monde.
Le livre s’ordonne ainsi en deux grandes parties : « La fin d’un monde ; l’aube d’une renaissance ».
La première partie propose un diagnostic de la maladie qui affecte notre monde : secteur par secteur, mais aussi de manière transversale en essayant de comprendre ce qui relie toutes les crises sectorielles entre elles » (p 12).
L’auteur évoque ensuite les grandes transformations en cours et l’impact qu’elles ont sur les représentations et les comportements. Il inscrit la mutation actuelle dans une histoire de longue durée qui lui permet d’en souligner l’originalité. « L’accélération du temps vécu et le rétrécissement de l’espace qui en résulte constituent deux paramètres, parmi d’autres, d’une mutation anthropologique et sociale, aussi importante à mes yeux que le passage, il y a environ douze mille ans, du paléolithique au néolithique, quand l’être humain a quitté un mode de vie nomade pour se sédentariser… » (p 13). C’est à partir de ce tournant que se sont constitués les cités, les royaumes, les civilisations. Mais les modèles sociaux hérités de cette révolution du néolithique apparaissent aujourd’hui comme destructeurs : « coupure de l’homme et de la nature, domination de l’homme sur la femme, absolutisation des cultures et des religions ».
Les trois premiers chapitres dressent un bilan de la situation actuelle en résultante des changements récents ou plus lointains : « Des bouleversements inédits ; un nouveau tournant axial de l’histoire humaine ; les symptômes d’un monde malade ». Dans un quatrième chapitre, Frédéric Lenoir nous invite à changer de logique : « La fuite en avant est impossible. Le retour en arrière est illusoire ». L’auteur en appelle à une « révolution de la conscience humaine » dont il perçoit actuellement les prémices. « Sans un changement de soi, aucun changement du monde ne sera possible. Sans une révolution de la conscience de chacun, aucune révolution globale n’est à espérer. La modernité a mis l’individu au centre de tout. C’est donc aujourd’hui sur lui, plus que sur les institutions et les superstructures, que repose l’enjeu de la guérison du monde. Comme Gandhi l’a si bien exprimé : « Soyez le changement que vous voulez dans le monde » (p 15).
L’aube d’une renaissance.
Comment susciter des transformations sensibles dans le monde d’aujourd’hui ? Frédéric Lenoir met d’abord en évidence des « voies et expériences de guérison ».
Voies et expériences de guérison.
« Le processus de guérison du monde a un caractère holistique prononcé. Il inclut la guérison de notre planète meurtrie, celle de notre humanité malade d’injustices de toutes sortes. Elle englobe aussi la guérison de notre être, de notre personne. C’est dans l’articulation entre ces trois guérisons que nous pourrons mieux saisir les perspectives écologiques, sociales et intimes de ce que certains auteurs appellent le « réenchantement du monde », ou plutôt, selon Frédéric Lenoir, le « réenchantement de notre relation au monde » (p 119).
L’auteur nous présente des expériences significatives au service de la terre (La « démocratie de la terre » de Vandana Shiva ; la « ferme de Sekem » d’Ibrahim Abouleish ou l’agroécologie de Pierre Rabbi…) et d’autres au service de l’humanité (monnaies complémentaires et alternatives ; commerce équitable/alter eco ; finance solidaire/Muhammed Yunus et Maria Nowak ; taxe Tobin ; vitalité de la société civile mondiale ; Patrick Viveret et les dialogues en humanité ; voie non violente de Nelson Mandela et de Desmond Tutu ; diplomatie de la paix de la communauté de Sant’Egidio).
Frédéric Lenoir esquisse ensuite une présentation des pratiques et des courants de pensée qui se décrivent en terme de développement personnel en caractérisant celui-ci comme une « dynamique de sens (sur le plan des significations de la vie) et une dynamique de l’existence (sur le plan de la mise en cohérence) ». En quelques pages particulièrement bien venues, il aborde les problèmes thérapeutiques. « Aujourd’hui, la médecine occidentale prend en charge les symptômes et s’interdit de remonter aux causes premières. « L’homme se guérit comme l’automobile se répare, mais l’homme n’est pas une machine… » (p 160). En regard, Frédéric Lenoir nous présente deux itinéraires exemplaires de médecins qui sont allés au delà de leur compétence scientifique classique pour adopter une approche holistique de la maladie et de la guérison : David Servan-Schreiber et Thierry Janssen. Il met en valeur un recours croissant aux médecines complémentaires et aux médecines orientales. « Trois aspects me semblent importants dans cette optique : un regard holistique posé sur la personne ; une participation de la personne à son propre processus de guérison ; une ouverture résolue au pluralisme culturel » (p 165).
Une redécouverte des valeurs universelles.
« Aucune communauté humaine n’est viable sans un solide consensus sur un certain nombre de valeurs partagées. C’est aussi vrai d’un couple, que d’un clan, d’un parti, d’une nation ou d’une civilisation… Comme son nom l’indique, une valeur exprime « ce qui vaut ». Les valeurs manifestent donc ce qui est essentiel et non négociables chez un individu ou un groupe d’individus » (p 170). Dans son unification actuelle, l’humanité a besoin de pouvoir s’appuyer sur des valeurs communes. Et il nous faut d’autre part compenser les méfaits d’une « occidentalisation du monde dominée par une logique mécaniste et financière » (p 169). « Il s’agit donc de construire ensemble une civilisation globale fondée sur d’autres valeurs que la seule logique marchande. Une des tâches les plus importantes à mes yeux, pour donner un fondement solide à cette nouvelle civilisation planétaire, consiste donc à reformuler des valeurs universelles à travers un dialogue des cultures » ( p 169).
Dans un chapitre sur « la redécouverte des valeurs universelles », Frédéric Lenoir apporte une belle contribution à cette entreprise. Ainsi, se démarquant d’un relativisme assez répandu, l’auteur nous dit avoir pu « observer à travers les grandes civilisations humaines la permanence ou la rémanence de certaines valeurs fondamentales ». Il en relève six : « la vérité, la justice, le respect, la liberté, l’amour, et la beauté » et il nous décrit comment ces valeurs sont perçues et vécues dans les principales cultures du monde.
Ces passages, qui s’appuient sur la vaste culture de leur auteur, sont particulièrement riches de sens et apprennent beaucoup. Cependant, Frédéric Lenoir évite le piège de l’unanimisme. Il met également en évidence les différences entre les cultures. « Les valeurs ne sont pas formulées de la même façon selon les cultures et les différences sont tout aussi importantes à souligner que les convergences. La hiérarchie entre les valeurs n’est pas non plus la même dans les différentes aires de civilisation » (p 171). Ainsi « la problématique de la liberté est particulière, car elle est le principal vecteur de la modernité. Avec l’émergence en Europe, à partir du XVIIè siècle, du « sujet autonome », c’est toute une conception des libertés individuelles qui va submerger l’Occident et donner naissance aux droits de l’homme comme principes universels » ( p 191).
Après avoir évoqué la conception traditionnelle de la liberté au sein des différentes cultures, l’auteur revient à l’affirmation massive de la liberté dans l’aire occidentale. C’est sous l’angle de l’autonomie du Sujet, de l’émancipation de l’individu à l’égard du groupe, du refus le l’arbitraire que s’est développée la thématique de la liberté en Occident » (p 201). Cette dynamique rencontre des oppositions ou des réserves dans d’autres aires culturelles qui attachent davantage d’importance au groupe, à la communauté, à la tradition. En analysant la « Déclaration universelle des droits de l’homme » rédigée en 1948 sous l’égide de l’Unesco, Frédéric Lenoir note qu’elle dépasse le cadre le la liberté pour mettre en avant d’autres valeurs comme la justice, le respect, la fraternité. « Ce lien entre liberté, égalité et fraternité est capital, car la principale critique que l’on peut adresser à l’Occident moderne, c’est d’avoir oublié l’idéal de fraternité en se concentrant aussi exclusivement tantôt sur les questions d’égalité, tantôt sur les libertés individuelles ». (p 226). « Ce n’est pas l’individualisme contemporain qui peut être posé en modèle de civilisation » (p 233). Et, dans une perspective plus large, « ce qui pourrait contribuer à débloquer l’opposition radicale entre tradition et modernité, c’est une compréhension plus large de la liberté incluant sa dimension holistique et spirituelle et une « rejonction » entre liberté et fraternité » (p 229). L’auteur esquisse une réflexion en ce domaine en mettant en valeur l’humanisme de la Renaissance qui était profondément enraciné dans une vision spirituelle. « Dans la vision humaniste de la Renaissance, l’individu ne peut s’exprimer pleinement en tant qu’homme, réaliser son potentiel personnel que s’il demeure relié au cosmos et aux êtres humains » (p 232). De fait, cette approche s’inscrit dans une conception du monde qui a été ébranlée par la suite. Aujourd’hui, face aux effets destructeurs d’une certaine approche idéologique, la question de la représentation du monde est à nouveau posée.
Réenchanter le monde
Frédéric Lenoir aborde cette question dans un chapitre intitulé : « Réenchantement du monde ». Ici, depuis longtemps, notre réflexion rejoint la sienne et nous pensons y revenir d’une manière plus approfondie. Ce thème nous paraît central, car avec l’auteur, nous pensons que « l’une des clés qui peut nous aider à entrevoir l’explication de la crise socio-anthropologique et écologique planétaire est la différence qui existe dans notre rapport au monde entre la conception « mécaniste » et la conception « organique » que nous en avons » (p 239).
Qu’est ce que la conception mécaniste et quelles en sont les conséquences ? « La vision mécaniste ne se contente pas de considérer toutes les réalités comme objectivables… Elle affirme que cette entreprise d’objectivation, autrement dit de quantification, cette mise en équation, est la seule voie permettant d’accéder aux significations de la réalité ». Mais cette méthode, issue notamment de la pensée de René Descartes, « offre une vision philosophique bien réductrice du réel. L’univers devient un champ de forces et de mouvements relevant de la mécanique et l’être humain se réduit à l’individualisme utilitaire… » (p 240). La plupart des problèmes évoqués dans ce livre résultent d’une vision mécaniste du monde et de son application dans les différents champs de l’activité humaine. Ainsi, « la crise environnementale en est l’expression la plus frappante. On a oublié que la Terre est un organisme vivant, reposant sur des équilibres extrêmement subtils que l’on a violenté à des fins productivistes… Dans le domaine médical, l’attrait de plus en plus marqué pour les approches orientales et complémentaires n’illustre-t-il pas l’impasse d’un certain réductionnisme qui tend à réduire la personne malade à une machine corporelle déréglée avec ses pannes à réparer et ses pièces à changer… Et la crise religieuse planétaire que l’on observe n’est-elle pas elle-même le symptôme de l’essor du réductionnisme dans la compréhension du sacré, du rituel et du spirituel… » (p 240).
Face à la conception mécaniste, philosophie dominante en Occident depuis deux siècles, « il existe un grand courant philosophique transversal, des grecs aux romantiques en Occident, en passant par l’Inde, la Chine, le bouddhisme, le chamanisme, la mystique juive et musulmane qui offre un tout autre regard sur le réel » (p 241). Pour ce courant de pensée, auquel adhère Frédéric Lenoir, « la réalité n’est pas une machine, elle est essentiellement un organisme » (p 241). L’auteur décline les formes successives dans lesquelles le courant de pensée organique s’est manifesté.
Ainsi décrit-il la « sympathie universelle » selon laquelle « le monde qui nous entoure est pénétré en tous ses lieux par un principe de cohésion, de mouvement et de vie », conception répandue dans la sagesse de l’antiquité gréco-romaine, mais aussi dans d’autres sagesses : indiennes, chinoises, africaines, amérindiennes (p 240-243).
Puis, face à la logique mécanique qui s’est développée en Occident, à la fin du XVIIIè siècle, un vaste courant philosophique et artistique visant à renouer avec une conception organique de la nature : le Romantisme, est apparu. Dans cette mouvance, la « Naturphilosophie » est la science des romantiques allemands, une manifestation de l’alternative au scientisme. On y évoque « l’Ame du monde » (l’« anima mundi » des Anciens). C’est un concept qui permet de dépasser le dualisme cartésien entre objet et sujet, transcendance et immanence. « Il fait aussi écho, dans un nouveau contexte, à la présence divine (Shekina) dans le judaïsme et aux énergies divines dans le christianisme… » (p 246). Dans la même approche, le « transcendantalisme » américain (H D Thoreau, R W Emerson, W Whitman) articule le plus souvent quête spirituelle, vision cosmique et humanisme. La contre culture américaine des années 60 ira puiser dans ces ressources, ainsi que dans la culture de l’Orient.
Plus récemment, mais depuis plusieurs décennies, des transformations interviennent au cœur même de la science.
« La science et le regard philosophique qui l’accompagne ont été totalement bouleversé au cours du XXè siècle, rendant caduque la vision réductionniste et mécaniste du réel » (p 253). L’émergence, entre le dernier tiers du XIXè et le premier tiers du XXè siècle, des géométries non euclidiennes, des relativités restreintes et générales, de la mécanique quantique, de la thermodynamique du non-linéaire, des mathématiques non standard, etc, a conduit à un changement majeur touchant la plupart des grandes disciplines. Il a abouti à la déconstruction de l’appareil conceptuel de la science moderne hérité du paradigme mécaniste et réductionniste cartésien » (p 255). La révolution intervenue en physique à la suite de l’apparition et du développement de la mécanique quantique entraîne une révolution conceptuelle qui transforme notre conception du monde et se manifeste en termes philosophiques. Elle encourage la « trandisciplinarité ». Frédéric Lenoir expose comment les pensées ont cheminé et se sont rencontrées.
Se transformer soi-même pour changer le monde.
Cet ouvrage se conclut par un chapitre : « Se transformer soi–même pour changer le monde ». Cette affirmation est explicite et compréhensible. Frédéric Lenoir nous fait part de sa conviction en l’accompagnant d’une argumentation convaincante : « C’est quand la pensée, le cœur, les attitudes auront changés que le monde changera » (p 268). Et il dénonce « trois poisons » qui intoxiquent littéralement l’esprit humain. « Ces poisons ne sont pas nés de la modernité ; Ils ont toujours été à l’origine des problèmes auxquels ont du faire face les sociétés humaines. Cependant, le contexte de l’hyper-modernité et de la globalisation les rend encore plus virulents, plus destructeurs. Bientôt peut-être annihilateurs. Ces trois poisons sont la convoitise, le découragement qui débouche sur l’indifférence passive, et la peur » (p 269). En réponse, trois sous-chapitres : De la convoitise à la sobriété heureuse ; du découragement à l’engagement ; de la peur à l’amour.
Puisque l’affirmation de l’individu est au cœur de la société moderne, on peut s’interroger sur la manière dont elle s’exerce. Frédéric Lenoir nous montre une évolution dans la manifestation de l’autonomie en distinguant trois phases successives : l’individu émancipé, l’individu narcissique et l’individu global. « Dans cette dernière phase, nous assistons depuis une quinzaine d’années à la naissance d’une troisième révolution individualiste ». Différents mouvements convergents qui témoignent d’« un formidable besoin de sens : besoin de redonner du sens à la vie commune à travers un regain des grands idéaux collectifs, besoin de donner du sens à sa vie personnelle à travers un travail sur soi et un questionnement existentiel. Les deux quêtes apparaissent souvent intimement liées » (p 289). Frédéric Lenoir appelle à un nécessaire rééquilibrage : « De l’extériorité à l’intériorité. Du cerveau gauche au cerveau droit. Du masculin au féminin ».
Frédéric Lenoir envisage la guérison du monde comme « un processus dans lequel il faut résolument s’engager pour inverser la pente actuelle qui nous conduit au désastre ». « Un chemin long et exigeant, mais réaliste. Il suffit de le savoir, de le vouloir et de se mettre en route, chacun à son niveau. Tel est l’objectif de ce livre : montrer qu’un autre état du monde est envisageable, que les logiques mortifères qui dominent encore ne sont pas inéluctables, qu’un chemin de guérison est possible » (p 306).
Commentaire.
En ouvrant ce livre, je savais la qualité de son auteur, mais je ne m’attendais pas à y trouver une synthèse aussi accomplie sur les caractéristiques de la crise du monde actuel et un ensemble de voies pour y remédier. Dans les analyses comme dans les propositions, mes pensées se sont croisées avec celles de l’auteur en les rejoignant souvent. Et par ailleurs, il y a également une proximité entre les sources bibliographiques auxquelles il se réfère et celles que je fréquente et mentionne souvent, avec des différences parfois en fonction de la spécificité de chaque itinéraire. Et par exemple, dans le rapprochement entre science et spiritualité, j’apprécie l’œuvre pionnière de Jean Staune qui s’exprime notamment dans une remarquable synthèse : « Notre existence a-t-elle un sens ? » (2). Ou bien, j’aime évoquer l’œuvre qui s’est accomplie en faveur de la paix et de la réconciliation au Centre de Caux en Suisse et qui se poursuit aujourd’hui à l’échelle internationale dans l’association : « Initiatives et changement » dans un esprit associant changement personnel et action collective : « Changer soi-même pour que le monde change » (3).
Comme le récent livre de Jean-Claude Guillebaud : « Une autre vie est possible » (4) que j’ai particulièrement apprécié et dont le déroulé et le contenu me paraissent assez proche du livre de Frédéric Lenoir, celui-ci s’adresse à un vaste public très divers dans ses options philosophiques et religieuses. Dans ce commentaire, j’interviendrai donc sur un registre plus spécifique en rapport avec ma conviction chrétienne.
A mon sens, ce livre interpelle une partie du monde chrétien qui, d’une façon ou d’une autre s’est accommodé de la conception mécaniste, dont Frédéric Lenoir fait mention. Les sociologues américains évoquent parfois cette conception en terme de « moderne ». Ainsi, pendant longtemps, des églises ont été largement réfractaires à la pensée écologique. Et d’autre part, la conception « mécaniste » peut s’allier également à une méfiance vis à vis des cultures orientales pour aboutir à un rejet de la conception organique dans certaines de ses manifestations comme les médecines holistiques. La lecture du livre de Frédéric Lenoir contribue à la compréhension de certains blocages. Et, par exemple, dans les origines de ceux-ci, il n’y a pas seulement les craintes du présent, mais aussi l’héritage d’un passé fort ancien. Ainsi les propos de Frédéric Lenoir sur les séquelles de la culture du néolithique : forte hiérarchisation et domination de l’homme sur la femme, éclaire les pesanteurs de certaines organisations ecclésiales. C’est dire qu’une réflexion théologique est indispensable pour éclairer les représentations et permettre leur évolution.
Les maux qui affectent l’humanité sont anciens, mais aujourd’hui, on a conscience que le monde est menacé. Dans une perspective chrétienne inspirée par une théologie de l’espérance, la guérison du monde s’inscrit dans l’œuvre d’un Dieu créateur et sauveur qui, à partir de la victoire du Christ sur le mal, à partir de sa résurrection, a engagé un processus vers la réalisation d’une seconde création où Dieu sera tout en tous. Nous sommes appelés à reconnaître cette œuvre et à y participer.
La réponse théologique à nombre de problèmes évoqués par Frédéric Lenoir se trouve, pour moi, dans l’œuvre de Jürgen Moltmann (5), un grand théologien qui nous présente un Dieu relationnel à la fois transcendant et immanent, et qui, considérant l’œuvre de l’Esprit de Dieu, « l’Esprit qui donne la vie » (6) a pu écrire « un traité écologique de la création » (7). Et, de même, dans la foulée de la pensée prophétique juive et de la dynamique de la résurrection du Christ, auteur d’une théologie de l’espérance, Moltmann nous invite à regarder en avant, accueillant ainsi le processus de la guérison du monde.
J’ai mis l’accent, à plusieurs reprises, sur l’importance de la contribution de Frédéric Lenoir. Les convergences dans nos orientations de recherche s’expriment notamment dans un certain nombre d’articles publiés sur la toile (8). Ce livre : « La guérison du monde » nous apporte une pensée originale et dynamique, appuyée sur des sources bibliographiques fiables, présentée avec beaucoup de pédagogie et en des termes accessibles à un vaste public . C’est dire que ce livre me paraît un outil particulièrement utile pour la réflexion sur le monde d’aujourd’hui et le rôle que nous pouvons jouer dans « un chemin de guérison ».
J H
(1) Lenoir (Frédéric). La guérison du monde. Fayard, 2012. Frédéric Lenoir, docteur en sciences sociales, philosophe et écrivain, auteur de nombreux livres, est directeur du «Monde des religions ». On trouvera un aperçu de son parcours sur wikipedia. http://fr.wikipedia.org/wiki/Frédéric_Lenoir
(2) Staune (Jean). Notre existence a-t-elle un sens ? Une enquête scientifique et philosophique. Presses de la Renaissance, 2007. Voir : http://www.temoins.com/culture/notre-existence-a-t-elle-un-sens.html
(3) Initiatives et changement. Réconcilier les différences. Créer la confiance. Site : http://www.fr.iofc.org/
(4) Guillebaud (Jean-Claude). Une autre vie est possible. Comment retrouver l’espérance ? L’iconoclaste, 2012. Mise en perspective : https://vivreetesperer.com/?p=937
(5) Mise en perspective de la vie et de la pensée de Jürgen Moltmann s’après son autobiographie : Moltmann (Jürgen). A broad place. SCM Press, 2007 http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=695 La pensée théologique de Jürgen Moltmann est présentée sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » http://www.lespritquidonnelavie.com/
(6) Moltmann (Jürgen). L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999
(7) Moltmann (Jürgen). Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1988. Une présentation : « Dieu dans la création » http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=766
(8) Quelques mises en perspective en rapport avec le thème de ce livre : « La vie spirituelle comme une « conscience relationnelle ». Une recherche de David Hay sur la spiritualité d’aujourd’hui » http://www.temoins.com/etudes/la-vie-spirituelle-comme-une-conscience-relationnelle-.-une-recherche-de-david-hay-sur-la-spiritualite-aujourd-hui.html « La dynamique de la conscience et de l’esprit humain. Un nouvel horizon scientifique d’après le livre de Mario Beauregard : « Brain wars » http://www.temoins.com/etudes/la-dynamique-de-la-conscience-et-de-l-esprit-humain.-un-nouvel-horizon-scientifique.-d-apres-le-livre-de-mario-beauregard-brain-wars.html « Quel regard sur la société et sur le monde ? Le retour de la solidarité en sciences humaines » https://vivreetesperer.com/?p=191 « Vers une civilisation de l’empathie. A propos du livre de Jérémie Rifkin : apports, questionnements et enjeux » http://www.temoins.com/etudes/vers-une-civilisation-de-l-empathie.-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkin.apports-questionnements-et-enjeux.html « La bonté humaine. Est-ce possible ? La recherche et l’engagement de Jacques Lecomte » https://vivreetesperer.com/?p=674 « Les créatifs culturels. Un courant émergent dans la société française » http://www.temoins.com/enqu-tes/les-creatifs-culturels-.-un-courant-emergent-dans-la-societe-francaise.html « Une nouvelle manière d’être et de connaître. La révolution internet d’après Michel Serres : « Petite Poucette » https://vivreetesperer.com/?p=820 « Vers une nouvelle médecine du corps et de l’esprit. Guérir autrement. D’après Thierry Janssen : « La solution intérieure » http://www.temoins.com/developpement-personnel/vers-une-nouvelle-medecine-du-corps-et-de-l-esprit.guerir-autrement.html « Médecine d’avenir. Médecine d’espoir. « La médecine personnalisée » d’après Jean-Claude Lapraz » https://vivreetesperer.com/?p=475 « L’invention du monde. Approche géographique de la mondialisation par Jacques Lévy » http://www.temoins.com/etudes/linvention-du-monde/toutes-les-pages.html « Vers une modernité métisse. « Le commencement du monde » selon Jean-Claude Guillebaud » http://www.temoins.com/societe/vers-une-modernite-metisse-le-commencement-d-un-monde-selon-jean-claude-guillebaud.html « La crise religieuse des années 60. Quel processus pour quel horizon, d’après l’historien : Hugh McLeod » http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=766 « Quel horizon pour la foi chrétienne ? « The future of faith » par Harvey Cox » http://www.temoins.com/publications/quel-horizon-pour-la-foi-chretienne-the-future-of-faith-par-harvey-cox.html « La montée d’une nouvelle conscience spirituelle. D’après le livre de Diana Butler Bass : « Christianity after religion » http://www.temoins.com/etudes/la-montee-d-une-nouvelle-conscience-spirituelle.-d-apres-le-livre-de-diana-butler-bass-christianity-after-religion.html « Vivre en harmonie avec la nature. Ecologie, théologie, spiritualité, d’après Jürgen Moltmann » https://vivreetesperer.com/?p=757 « L’avenir de Dieu pour l’humanité et pour la terre d’après Jürgen Moltmann : « Sun of rigteousness, arise ! God’s future for humanity and the earth » http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=798
par jean | Oct 21, 2012 | ARTICLES, Société et culture en mouvement |
La montée du pessimisme et de la négativité.
Jean-Claude Guillebaud : Une autre vie est possible
Tout au long de ce livre et plus particulièrement dans certains chapitres, Jean-Claude Guillebaud nous aide à comprendre les évènements qui ont engendré le pessimisme actuel, à en analyser le contenu et en discerner les contours. Sa réflexion s’appuie sur des connaissances historiques ou sociologiques, mais elle fait appel aussi à son expérience et à son ressenti. Elle s’articule avec les engagements socio-politiques de l’auteur qu’on découvre ainsi au fur et à mesure. On peut diverger sur tel ou tel point, mais son réquisitoire vis-à-vis de la montée d’idées négatives nous paraît convaincant. Nous reprendrons ici quelques points en guise d’exemples.
Rétrospectivement, la grande guerre 1914-1918 apparaît comme un point d’inflexion majeur dans la conjoncture historique. « A ce moment-là, l’Europe a été « mise au tombeau », comme l’écrivait le philosophe Gershom Sholem, dans son journal intime en date du 1er août 1916. Le reste procède d’un enchaînement irrésistible des causes et des effets » (p 38). Cet immense massacre a engendré un scandale incommensurable. Il a brisé l’optimisme européen et assailli les valeurs qui l’accompagnaient. Et puis, la Grande Guerre a été « la matrice, la cellule souche d’un siècle ensanglanté… A partir de l’attentat de Sarajevo du 28 juin 1914, événement déclencheur de la boucherie mondiale où s’abîmèrent trois empires, une série d’emboîtements historiques se succédèrent comme autant de répliques du séisme initial… Pendant soixante-quinze années, il y eut un enchaînement de causes et d’effets dont 1914-1918 fut le déclencheur. Au terme symbolique du XXè siècle, toutes les « valeurs » dont se prévalait l’Europe se retrouvèrent corrompues, tordues, salies, déconsidérées » (p 43-44).
On sait quelle a été l’emprise totalitaire du communisme et comment elle s’est finalement effondrée en 1989. Jean-Claude Guillebaud attire notre attention sur un point. Le communisme a compromis certaines valeurs dont il s’était emparé et qu’il avait travesties : l’aspiration égalitaire, un investissement dans le déroulement de l’histoire. Dans le trouble des valeurs, un capitalisme sauvage s’est engouffré. « Tétanisé par sa victoire, sur de lui-même, devenu vulgate à son tour, le capitalisme n’a plus rien de commun avec le capitalisme relativement civilisé de l’après-guerre ». Au « capitalisme rhénan » a succédé « un capitalisme du désastre » selon le mot de l’essayiste Naomi Klein » (p 62). L’auteur justifie ses propos par une analyse de l’idéologie qui a investi le capitalisme. « La dévastation axiologique est facile à comprendre. Si les marchés sont plus « efficients » que la délibération démocratique, alors la volonté qu’expriment les citoyens s’en trouve réévaluée à la baisse. Elle éveille même une méfiance de principe… Selon la nouvelle vulgate néolibérale, l’avenir ne sera plus « construit » par les citoyens, mais « produit » par le marché… L’économie mondiale devient, dans les faits, un « processus sans sujet » pour reprendre une expression de Louis Althusser… » (p 63). La grande crise économique dans laquelle nous sommes entrés depuis 2008 a révélé au grand jour la faillite de cette idéologie. Nous voici dans « le manque et l’austérité ». Mais, de fait, le reflux de l’économie date maintenant de plusieurs décennies, des deux chocs pétroliers de 1974 et 1978. « Voilà plus d’une génération que nous sommes entrés dans une société de la précarité, du chômage de masse et de la dureté sociale ». « On peut comprendre que notre représentation du futur ait changé de signe. De positive, elle est devenue négative. Les économistes, avec leur propre langage, parlent d’une « dépréciation de l’avenir ». (p 68).
Tout au long de ce livre, l’auteur nous fait entrer dans un débat intérieur où lui-même se trouve parfois tenté par le découragement. Mais, en même temps, il participe à la dynamique d’un courant associatif dont il nous montre l’étendue et la force. Souvent appelé à intervenir dans des réunions et des débats, il y trouve un encouragement et un réconfort. « Jamais, je dis bien jamais ! je n’ai regretté une seule de ces rencontres. J’en revenais avec la certitude d’avoir reçu, en matière d’idées et d’espérance, bien plus que je n’ai jamais donné » (p 86). Quel contraste avec la prétention de certains cercles parisiens, la superficialité et le cynisme qui transpirent dans certains médias. Il y a, nous dit Jean Claude Guillebaud, un préjugé collectif porté par l’air du temps, ce qu’il appelle une « subpolitique » : réflexes langagiers, minuscules conformismes, clichés médiatiques (p 178). Cette sous-idéologie rampante correspond au fameux « lâcher-prise ». L’expression est plus à la mode que jamais. Elle suggère que nous renoncions une fois pour toute à transformer le monde »… » (p 179).
« La même perte menace la vie culturelle, une perte d’autant plus insidieuse qu’elle se présente comme un assagissement… L’appétence nouvelle pour la philosophie gréco-romaine n’est pas sans rapport avec le désarroi contemporain. Message implicite : on a échoué à « réparer » le monde, occupons-nous de nous-mêmes, donnons la priorité à nos propres désirs… Stoïcisme ou épicurisme sont deux manières de consentir au réel sans volonté de le transformer… Aujourd’hui, la fascination pour la sagesse (passive) et le consentement résigné au « destin » trahissent le creusement d’un vide. Ils signalent un grand désenchantement collectif. J’allais dire « une exténuation très européenne » (p 182-184). Et, en effet, grand voyageur, l’auteur constate que le monde bouge, que « l’Asie entière vit dans le (ou les) projets alors que l’Europe met en ordre ses souvenirs » (p 185).
Jean Hassenforder
Suite de :
Quel espoir pour le monde et pour la France ? / 1 : Choisir l’espérance, c’est choisir la vie.
A suivre :
Quel avenir pour le monde et pour la France ? / 3 : Des raisons d’espérer.