Du Bénin à la région parisienne, une histoire de vie
Philo a vécu enfant au Bénin jusqu’à l’âge de onze ans. Elle vivait avec ses parents, avec ses frères et sœurs. « Nous étions une famille très chrétienne, une famille très unie. Un papa maçon. Une maman très commerçante. Nous habitions à Porto Nove au Bénin. Je suis allée à l’école là bas. J’étais une élève très assidue. J’aimais l’école. J’aimais être avec mes ami(e)s à l’école. Après l’école, je jouais avec mes frères et sœurs. J’ai appris tôt à cuisiner et on lavait le linge à la main (Il n’y avait pas de machine à laver !). Pour les devoirs de l’école, je les faisais ensemble avec mes frères et sœurs. Je lisais aussi des livres, par exemple « Finagnon ».
Emmenée en France comme domestique
Je vivais ainsi avec mes parents lorsqu’une famille française est venue au Bénin pendant les vacances. Ils étaient venus rendre visite à des gens à côté de chez nous. Quand ils m’ont vu, ils ont proposé à mes parents de m’emmener avec eux en France pour un avenir meilleur à l’école. Sans hésiter, mes parents ont accepté. On se disait que j’aurais une vie meilleure en France et que je pourrais plus tard les aider. J’ai donc quitté le Bénin à 11 ans. J’étais contente de prendre l’avion sans imaginer ce qui allait m’arriver ensuite.
Une fois arrivée en France, la promesse que ces gens avaient fait à mes parents de m’envoyer à l’école n’a pas été tenue. Je me suis retrouvée ensuite dans une maison où il y avait deux enfants entre 5 et 8 ans. Je les déposais à l’école le matin. J’allais les rechercher à midi pour manger à la maison et j’allais les chercher à 4h ½ . Entre temps, je faisais le ménage, le repassage et la cuisine pour les enfants. J’ai vécu ainsi pendant des années. Au début, je ne comprenais pas du tout pourquoi, je vivais ainsi. Ce n’est pas ce qui avait été dit à mes parents. Je n’avais pas de nouvelles d’eux. J’ai vécu ainsi pendant 9 ans de 11 à 20 ans.
On me disait de manger ce qu’il restait après que tout le monde ait mangé. Et je n’avais pas le droit de toucher aux affaires des enfants. En cachette, je me débrouillais pour trouver des choses à manger avant leur retour. Et, en l’absence de la famille, je regardais les livres des enfants. Lorsqu’ils sortaient, je restais à la maison. Je n’avais pas le droit de sortir. Je regardais les passants par la fenêtre.
J’avais 16 ans lorsqu’ils sont partis au Bénin sans moi. Les parents n’avaient pas de nouvelles de moi. Ils s’inquiétaient. Quand ils ont vu ces gens, ils ont demandé de mes nouvelles. On leur a répondu que j’allais très bien et on leur a proposé de me téléphoner. Ils ont appelé et ils m’ont passé mes parents. C’est là que j’ai parlé à mes parents pour la première fois. J’étais contente de les entendre. Je n’ai pas eu l’à propos, ni le temps de leur décrire la situation dans laquelle j’étais. Je leur ai dit : « Tout va bien, mais priez pour moi ». Sans doute, ma mère a du se rendre compte que cela n’allait pas, mais elle n’a rien pu faire. C’est à partir de ce moment là que j’ai commencé à réagir. J’ai cherché à prendre contact avec l’extérieur.
Ces gens qui m’exploitaient m’avaient dit de me méfier des personnes que je rencontrais à l’extérieur quand je menais les enfants à l’école. Je me tenais souvent à la fenêtre pour voir les gens. Une voisine m’a remarquée et m’a demandé un jour pourquoi je regardais toujours par la fenêtre. J’ai parlé un peu avec elle. Je lui ai dit que je n’avais pas le droit de parler avec quelqu’un. Du coup, elle a compris. Un autre jour, je l’ai rencontré par hasard au bas de l’immeuble. J’avais déjà 16 ans. Nous avons parlé. Elle m’a écouté. Ensuite, elle m’a dit de ne pas parler de notre conversation à la famille en attendant qu’on trouve une solution. Un autre jour, on s’est croisé et elle m’a donné des informations écrites sur un papier : des adresses d’associations et de services sociaux. Ensuite, elle m’a dit : « Essaie de voir comment tu peux faire pour appeler tel numéro. Si ce n’est pas possible, je le ferais avec toi. Tu monteras chez moi et nous téléphonerons ». Je suis monté chez elle. On a téléphoné à une assistante sociale. Elle m’a donné rendez-vous. J’y suis allé. Elle m’a demandé de lui raconter comment j’étais arrivé en France. Je lui ai expliqué sans trop entrer dans les détails. Ensuite, elle m’a dit : « Moi, je suis là pour vous aider. Allez porter plainte ». La dame qui m’aidait m’a accompagné, mais, une fois arrivé là bas, ils nous ont dit que le délai était passé et qu’on ne pouvait plus porter plainte contre X. Après, on est rentré. La dame m’a réconforté. Elle a proposé de m’accompagner dans d’autres démarches pour avoir un titre de séjour.
Je suis resté dans la famille qui m’enfermait sans rien dire de ma rencontre avec cette dame et de mes contacts extérieurs. Quand la famille rentrait, je ne pouvais plus faire aucune démarche. La dame, de son côté, avait promis de faire des recherches auprès des associations qui aident les sans papiers. Elle a trouvé une association qui lui a demandé quel lien elle avait avec moi. « C’est une jeune fille que j’ai rencontré et que je veux aider ». On lui a demandé la présence de l’intéressée. La dame m’a accompagné à l’association. L’association m’accueilli et je leur ai expliqué ce qui m’était arrivé. Ils m’ont demandé où j’étais allé à l’école depuis que j’étais arrivé. J’ai dit que je n’y étais pas allé. On m’a dit que ce n’était pas normal puisque la solidarité est obligatoire jusqu’à 16 ans. Ils m’ont établi un dossier pour la préfecture à partir des documents de la dame qui m’aidait comme si elle m’hébergeait. A partir de là, l’association a pu monter un dossier pour demander un titre de séjour. Après six mois, il y a eu la réponse de la préfecture. On m’a interrogé et j’ai expliqué le cas. C’est grâce à la dame de l’association que j’ai fait cette démarche. J’en aurais été absolument incapable seule. Ils m’ont donné un récépissé du titre de séjour qui m’autorisait à travailler et à faire une formation. J’ai été orienté vers une mission locale. La mission locale m’a pris en charge. Après un an et demi d’attente, j’ai fini par obtenir un studio pour jeunes travailleurs, ce qui me permettait de suivre un enseignement de remise à jour.
A ce moment là, la voisine qui m’aidait m’a dit : « Il est temps de dire à la famille que j’allais partir de chez eux. J’avais les papiers pour cela ». A l’instant où j’ai commencé à parler de mon départ de chez eux, ils n’ont pas voulu m’écouter et ils m’ont dit d’une manière très agressive. « Voilà, on t’a sorti de la pauvreté et c’est comme cela que tu nous remercie ». Je me suis mise à pleurer en pensant à tout ce que j’avais enduré. Au moment où je pleurais, ils ont commencé de sortir mes affaires et ils m’ont dit de partir. C’est comme cela que j’ai été libérée. J’avais vingt ans.
J’ai été orientée vers la mission locale qui s’occupe des jeunes en difficulté. On m’a proposé de suivre une formation d’auxiliaire de vie étant donné que je n’avais pas de diplômes préalables. Cette formation a duré un an et elle m’a permis d’obtenir ensuite un emploi d’aide à domicile. J’y ai appris à accompagner des personnes âgées et les compétences et les capacités correspondantes comme l’écoute, la patience… Tout en cherchant cet emploi d’aide à domicile, j’ai exercé de petits boulots comme caissière à Intermarché. Finalement, j’ai trouvé un emploi d’aide à domicile dans un organisme spécialisé. Cet emploi d’aide à domicile m’a aidé à trouver mon autonomie dans la vie active, dans le monde du travail. J’ai pu développer ainsi une vie personnelle qui est aussi aujourd’hui une vie familiale. J’ai pu sortir d’un esclavage domestique et aujourd’hui je suis heureuse d’avoir accompli quelque chose de positif.
Une vision politique. Des chemins qui convergent. Une œuvre de l’Esprit.
Dans ce monde où les menaces abondent, y a-t-il des hommes en responsabilité inspirés par l’Esprit pour chercher et promouvoir les voies de la paix et de la justice ? La réponse est positive, et, dans certains cas, elle apparaît au grand jour, quelque soit la subjectivité de notre regard.
Les troubles qui affectent notre humanité sont liés, pour une part, au manque de sens. Mais légitimement, on attend authenticité et empathie de ceux qui peuvent répondre à cette question du sens.
Et voici que dans une institution où on perçoit, pour le moins, des aspects archaïques, un homme apparaît qui échappe au formalisme et s’affirme comme un homme en relation, simple, attentif et bon. Alors ses paroles portent, d’autant qu’elles sont engagées pour la paix et la justice. C’est le pape François.
Dans un passé récent, on a vu les dégâts entraînés par une politique dominatrice lorsqu’elle émanait d’une grande puissance. C’est dire la responsabilité des peuples lorsqu’ils choisissent leurs dirigeants. Nous savons ce qu’il y a de meilleur dans la tradition politique américaine, mais nous voyons également les menaces du pire qui existent dans ce pays, comme dans tout autre et qui sont d’autant plus à considérer qu’il exerce une influence majeure dans le monde. C’est pourquoi, nous avons salué l’accès de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis (1). Et quelque soient ses limitations, nous voyons en lui, non seulement un homme intelligent, mais un homme de bonne volonté qui porte des valeurs morales et spirituelles (2).
Le pape François vient d’être accueilli par le président Obama à Washington. Nous ne nous étendrons pas sur cette visite abondamment couverte par les médias. Nous voulons simplement présenter ici quelques unes des paroles de Barack Obama à l’intention du pape François lors de la rencontre publique qui a marqué l’accueil de celui-ci à la Maison Blanche. En effet, ces mots nous parlent à la fois de celui qui les prononce et de celui qui les reçoit. Et ils nous parlent à nous aussi, et comme nous le ressentons, à notre cœur profond et à notre intelligence.
Voici donc quelques extraits du message d’accueil du président Obama (3)
« Je crois, Saint Père, que l’excitation suscitée par votre visite, doit être attribuée non seulement au rôle que vous jouez comme pape, mais à vos qualités uniques en tant que personne. Dans votre humilité, votre simplicité, dans la gentillesse de vos paroles et la générosité de votre esprit, nous voyons en vous un exemple vivant des enseignements de Jésus, un leader dont l’autorité morale ne vient pas juste à travers des paroles, mais aussi à travers des actions.
Vous nous appelez tous, catholiques et non catholiques, à mettre « le moindre de ces petits » au centre de nos préoccupations. Vous nous rappelez qu’aux yeux de Dieu, notre valeur comme individu, et notre valeur comme société, ne sont pas déterminées par la richesse, le pouvoir, la position ou la célébrité, mais par la manière dont nous répondons à l’appel de l’Ecriture d’élever les pauvres et les marginaux, de lutter pour la justice et contre les inégalités, et d’assurer à chaque être humain la possibilité de vivre dans la dignité, parce que nous sommes tous faits à l’image de Dieu.
Vous nous rappelez que le plus grand message du Seigneur est la miséricorde. Cela veut dire accueillir l’étranger avec empathie et un cœur vraiment ouvert, depuis les réfugiés qui fuient un pays déchiré par la guerre jusqu’aux immigrants qui quittent leur foyer en quête d’une vie meilleure. Cela veut dire montrer de la compassion et de l’amour pour les marginalisés et les rejetés, pour ceux qui ont souffert et pour ceux qui ont causé de la souffrance et cherchent une rédemption. Vous nous rappelez le coût des guerres, particulièrement pour les gens faibles et sans défense et vous nous pressez à rechercher la paix……..
Vous nous rappelez que les gens ne sont vraiment libres que quand ils peuvent pratiquer leur foi. Ici, aux Etats-Unis, nous chérissons la liberté religieuse. C’est le fondement de tant de choses qui nous rassemblent. Mais, dans le monde, en ce moment même, des enfants de Dieu, y compris des chrétiens, sont ciblés et même tués en raison de leur foi… Les fidèles sont emprisonnés et les églises détruites. Nous nous dressons avec vous pour défendre la liberté religieuse et promouvoir le dialogue interreligieux en affirmant que les gens doivent pouvoir vivre librement leur foi sans peur et sans intimidation.
Vous nous rappelez le devoir sacré de protéger notre planète, ce merveilleux don de Dieu. Nous soutenons votre appel à tous les dirigeants du monde de venir en aide aux communautés les plus vulnérables au changement climatique et de nous rassembler pour protéger ce monde si précieux à l’intention des générations futures.
Par vos paroles et par vos actes, vous apportez en profondeur un exemple moral. Et dans vos rappels empreints de gentillesse, mais fermes de nos devoirs envers Dieu et envers nous-mêmes, vous bousculez notre autosatisfaction. Chacun de nous, par moment, peut ressentir un malaise quand nous voyons la distance entre la manière dont nous menons nos vies quotidiennes et ce que nous savons être vrai et être juste. Mais je crois qu’un tel malaise est une bénédiction, car cela nous amène à aller vers ce qui est meilleur. Vous nous secouez pour sortir notre conscience du sommeil. Vous nous appelez à nous réjouir des bonnes nouvelles et vous nous donnez confiance pour que nous puissions avancer ensemble dans l’humilité et le service et œuvrer pour un monde plus aimant, plus juste et plus libre. Qu’ici chez nous et dans le monde, puisse notre génération entendre votre appel et à ne jamais rester sur la touche de cette marche animée par une espérance vivante.
Pour ce grand don de l’espérance, Saint Père, nous vous remercions et nous vous accueillons aux Etats-Unis d’Amérique avec joie et gratitude ».
Le président Obama et le pape François : des parcours bien différents et pourtant une communion qui tient à une empathie et à une proximité fondées sur des valeurs communes.
Dans l’environnement américain, Barack Obama a pu exprimer en profondeur sa foi chrétienne telle qu’elle se manifeste dans l’exercice de sa fonction. Son allocution nous paraît énoncer en termes forts la manière dont une inspiration chrétienne peut éclairer un homme politique dans le monde d’aujourd’hui tant dans la définition des priorités que dans la conduite de son action. Ce texte témoigne d’une conscience en éveil et d’une grande qualité humaine. Et, dans cette rencontre, une correspondance s’établit ainsi avec le pape François, qui lui-même par les qualités qui lui sont, à juste titre, attribuées, éveille et encourage une telle expression de foi.
Bien sûr, pour l’un comme pour l’autre, cette orientation spirituelle n’exclut pas des limitations ou des erreurs, mais elle appelle le désir de les reconnaître. Certes, dans ce monde, cet idéal se heurte à des oppositions, et pire à la manifestation de la haine et de la violence. Jésus lui-même a été victime de ces forces obscures, mais, à travers sa mort et sa résurrection, il a ouvert une dynamique d’espérance. A ceux qui s’enferment dans le cynisme, on peut objecter qu’il y a aussi chez les hommes une aspiration au bien et une capacité de le reconnaître : « Que votre lumière luise ainsi devant les hommes afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux » ( Matthieu 5.15), nous dit Jésus. Dans un monde fragile, cette rencontre de deux personnalités influentes, chacune dans son ordre, nous paraît témoigner de l’œuvre de l’Esprit qui rassemble les hommes de bonne volonté pour faire face aux menaces et promouvoir une humanité plus solidaire et plus libre.
On pourrait également commenter cette intervention dans une réflexion sur le rapport entre le politique et le religieux. Ce rapport dépend du contexte historique et prend donc une forme spécifique aux Etats-Unis. En France, la séparation entre l’Eglise et l’Etat, advenue en 1905 en réaction contre l’emprise de l’Eglise catholique s’est exprimée dans les termes de la laïcité. Aujourd’hui, en regard des reliquats d’une tonalité antireligieuse présente dans certains cercles, une conception ouverte de la laïcité répondant à l’évolution du socioreligieux et d’une société en recherche de sens est en train de se manifester. A cet égard, le discours de Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur, le 4 octobre 2015, aux Etats généraux du christianisme organisés par « La Vie » à Strasbourg, nous paraît tout à fait remarquable et de grande importance. C’est l’affirmation d’une laïcité ouverte, inclusive, fondée sur le respect. C’est une prise en compte par l’Etat de l’apport du spirituel. C’est la reconnaissance de la parenté entre les valeurs républicaines et les valeurs de l’Evangile. C’est une affirmation déterminée de la reconnaissance du fait religieux. Ce discours n’est pas seulement une réflexion sur le passé et le présent, c’est une orientation pour l’avenir et, par là, il nous paraît avoir une portée historique.
Une culture de l’amour, de l’accueil de l’autre, d’acceptation de la différence.
Jean Vanier (1), le fondateur de « l’Arche » (2), un ensemble de communautés qui accueillent des personnes handicapées mentales dans des lieux de vie partagée, a reçu le prix de la fondationTempleton (3), une organisation qui œuvre pour le développement spirituel dans la reconnaissance conjuguée de l’apport des sciences et des religions. A cette occasion, dans une interview en vidéo (4) ; « Jean Vanier parle sur les grandesquestions » et il nous communique sa vision d’une société plus humaine où chacun est reconnu, respecté, aimé, et où l’on peut trouver dans une petite voix intérieure l’inspiration pour œuvrer en ce sens. « La vision de Dieu, c’est que nous nous aimions les uns les autres, que nous nous respections les uns et les autre, qu’on voit chez l’autre, différent, le trésor de son être ». Cette interview ouvre notre cœur et notre regard. Ces quelques notations recueillies lors de son audition pourront contribuer à baliser notre réflexion et notre méditation.
Devenir pleinement humain
Etre pleinement humain, c’est reconnaître notre condition humaine dans ses limitations : « Nous sommes des êtres qui n’existaient pas, il y a quelques années et nous n’existerons pas, de la même façon, dans quelques années. Devenir pleinement humain, c’est accepter la réalité : je suis né un tout petit enfant. Je vais mourir, pauvre. Nous sommes tous des êtresvulnérables »
Mais l’être humain est aussi porteur d’un grand potentiel, car il est doté à la fois d’une tête et d’un cœur. « La tête, qui a besoin de savoir, de connaître, de rechercher, de chercher. C’est une intelligence extraordinaire pour faire des choses et prendre notre place. Et aussi lecœur, une capacité d’apprécier l’autre, différent ». Face à un monde marqué par les rivalités, « la question est de découvrir ce qui est le plus intime dans l’être humain, c’est à dire le cœur, la capacité d’aimer, la capacité de voir dans l’autre, différent, ce qui est bon : « Tu es beau. Tu as des choses à donner ».
« Il y a besoin d’une unité entre la tête et le cœur « pour que j’utilise mon intelligence non pas pour avoir plus de pouvoir, mais pour faire de belles choses, pour aller vers un monde où il y a plus de paix, plus d’accueil des gens, plus d’amour »
Dans le cœur de l’homme, il y a le désir constant de l’infini ». On cherche à avoir plus d’argent, plus de pouvoir, mais aussi « à découvrir que dans l’approche de l’infini, il y a une recherche de Dieu ».
Quel est le rêve de Dieu pour l’humanité ?
« Le rêve de Dieu pour l’humanité, c’est l’unité »
Mais d’où venons-nous ? Il fut un temps où il y a eu l’esclavage, l’horreur de l’esclavage »…il fut un temps où on parlait des gens d’Afrique où des premières nations du Canada comme des sauvages. Heureusement aujourd’hui, on les reconnaît comme des êtres humains et on considère leurs traditions comme des traditions importantes, profondément humaines…De la même façon, les personnes avec un handicap étaient longtemps considérées comme une honte pour les familles et même comme une punition de Dieu pour des péchés ou des méfaits des ancêtres… On est en train de découvrir que chaque personne (quelque soit son statut) est vraiment une personne »
Nous avons vécu une prise de conscience : « Avec la fin de la guerre 39-45, on a découvert Auschwitz. On a découvert aussi l’horreur de la bombe atomique. On peut connaître le suicide. Il faut qu’il y ait un changement »
Jean Vanier nous parle de la vision de Dieu : « La vision de Dieu, c’est une évolution progressive de l’humanité. C’est que nous nous aimions les uns les autres, que nous nous respections les uns les autres, qu’on voit chez l’autre différent le trésor de son être. Chaque personne est importante… Alors, c’est là la vision de Dieu. C’est que, petit à petit, dans la terrible lutte entre l’injustice et la justice, que progressivement de plus en plus de personnes prennent conscience que notre Dieu est le Dieu de la paix, le Dieu de la communion et le Dieu de l’unité. La vision de Dieu est que je change, que nous changions, pour que nous devenions plus juste et plus humain ».
Une expérience personnelle et collective : la rencontre avec les personnes ayant un handicap mental
Jean Vanier nous parle de l’expérience personnelle qu’il a vécu et qui a été le point de départ du développement des communautés de l’Arche.
« Je vais vous parler un petit peu de mon expérience. J’étais officier dans la marine. J’ai quitté la marine pour suivre Jésus. J’ai fait des études. Et, en 1964, j’ai découvert les personnes ayant une déficience intellectuelle. Je peux dire que je ne pouvais pas imaginer ce que j’ai vu, combien ces hommes et ces femmes sont humiliés, mis dans de grandes institutions, enfermés, mis de côté. Les parents ont honte d’avoir un enfant comme cela. Ils sont perçus comme débiles, idiots et, à l’école, on se moque d’eux ».
Un jour, Jean Vanier a été confronté personnellement à cette situation. « J’ai découvert des hommes dans une institution très violente et très fermée. Je sentais que je ne pouvais pas faire quelque chose dans cette institution, mais comme je voulais être disciple de Jésus, j’avais envie de faire quelque chose. Et la seule chose que j’ai fait, c’est de commencer à vivre ensemble avec Raphaël qui avait eu une méningite, qui était fragile, avec Philippe qui avait eu une encéphalite, qui parlait beaucoup. Ils n’avaient pas de famille. Et je ne pouvais pas imaginer qu’ils restent en institution toute leur vie. C’était donc pour moi évident : on allait vivre ensemble.
Et c’était extraordinaire parce qu’on s’amusait. Les personnes qui ont un handicap mental ne sont pas des gens qui vont parler d’économie, de philosophie, de politique. Ce qu’ils ont envie, c’est de rigoler, d’avoir de la joie, de vivre. Donc, il y a un langage : le langage de l’affectivité, le langage de la joie, le langage de la célébration. Et, parce qu’évidemment, ces hommes ont changé, ils ont découvert qui ils étaient.
A partir de là, un processus a commencé et s’est poursuivi dans la communauté de l’Arche. L’Arche a grandi et aujourd’hui on compte 147 communautés à travers le monde dans des pays aussi différents que le Bangladesh, le Japon, Haïti. Il y a là un même esprit. « L’amour, ce n’est pas faire des choses pour des gens, c’est révéler à chacun : « Tu as une valeur, tu as les dons que tu as, tu as les difficultés que tu as, et derrière tout cela, il y a toi ».
Jean Vanier nous rapporte comment une transformation des mentalités s’est opérée à l’Arche, non seulement chez les aidés, mais chez les aidants. « Au commencement de l’Arche, dans les années 60, les jeunes voulaient un changement dans les universités. Il y avait de la turbulence. Les jeunes ne voulaient pas être coincés par l’autorité, ils voulaient vivre. Alors beaucoup de jeunes sont venus. Mais ils venaient avec la culture (dominante), une culture du succès, du pouvoir. Ils venaient pour faire le bien aux personnes avec un handicap. Mais, ce qui est étonnant, ce sont les personnes avec un handicap qui ont touché le cœur de ces jeunes assistants et assistantes, elles dont le cœur du cœur est leur capacité, leur beauté dans la relation et dans l’amour… Au lieu de vouloir être dans une culture du succès, une culture du pouvoir, ils ont découvert qu’il y avait une autre culture qui est la culture de l’amour, de l’accueil de l’autre, différent. Accepter la différence, accepter que l’autre, avec ses fragilités, avec ses capacités aussi, est une personne. Ce sont les personnes avec un handicap qui changeaient ces jeunes assistants et les rendaient plus humains. Donc, il y a quelque chose de très beau que nous avons découvert : ces jeunes gens, merveilleux en générosité, pouvaient devenir des hommes et des femmes exceptionnels capables d’aimer et de mettre leur intelligence au service de l’autre ».
La petite voix intérieure
« Si la grande question humaine est celle de la liberté, cela nous amène à parler de la petite voix intérieure. Il y a un document de l’Eglise catholique, au Concile Vatican II, qui définit la conscience personnelle. La conscience personnelle, c’est ce qui est le plus important. C’est ce qui donne sa dignité à l’être humain. La conscience personnelle est le sanctuaire sacré où chaque être humain entend la voix de Dieu qui l’oriente vers ce qui est juste, vrai et bon et qui le détourne de la haine et de l’injustice.
Le Mahatma Gandhi a beaucoup parlé de cette petite voix intérieure. Comme beaucoup d’autres hommes, il s’est opposé à la tyrannie de la normalité parce qu’ils voulaient faire ce qui est juste, ce qui est vrai, ce qui est aimant. La petite voix intérieure est comme une attraction vers la justice, comme une fleur qui est attirée vers la lumière, vers le soleil. La petite voix intérieure, qui est le cœur du cœur de l’être humain, c’est la capacité de lutter pour la justice, pour la vérité, pas seulement de lutter, mais de constamment chercher ce qui est vrai, ce qui est juste, pour que nous soyons des hommes et des femmes de paix. Gandhi, Martin Luther King et Mandela, et de grands hommes comme ceux-là, sont tous des hommes qui ont cru qu’ils étaient des êtres uniques et qu’ils étaient libres, libres de ne pas faire comme tout le monde, de ne pas chercher à être acclamés, mais libres comme un être humain ».
« Cette petite voix intérieure, qui est le plus profond de l’être humain, doit être cultivée ». Cette petite voix me permet « d’être libre pour suivre ma conscience, pour œuvrer pour la justice, l’amour et la vérité dans un monde où il y a tellement d’injustice et tellementde peur ».
(3) Par ses prix annuels, la fondation Templeton a mis en valeur des personnalités oeuvrant pour le développement spirituel : http://www.templetonprize.org
Un mouvement de libération qui se poursuit et s’universalise.
Il y a cinquante ans, à Selma, une petite ville de l’Alabama, animés par la vision de Martin Luther King, des afro-américains s’engageaient dans des luttes pour les droits civiques. Le 7 mars 1965, quelques six cent manifestants qui défilaient pacifiquement, étaient pris à partie par les forces de l’ordre dans une brutale répression policière. Pourtant ces marches non violentes se sont poursuivies. Deux semaines plus tard, plusieurs milliers de personnes emmenées par le pasteur Martin Luther King quittaient Selma pour rejoindre la capitale de l’Alabama, Montgomery, à prés de 90 kilomètres. L’opinion publique était touchée par ce mouvement pacifique. Et la victoire était remportée au plus haut niveau politique. Désormais les afro-américains pourraient voter sans entraves. La ségrégation allait également disparaître. Aujourd’hui, si les inégalités sociales et économiques demeurent très prégnantes et si le racisme n’a pas disparu, une nouvelle donne est intervenue. Les afro-américains ont une place dans la société, et, pour la première fois dans l’histoire, le président des Etats-Unis, Barack Obama, participe à cette culture. Aujourd’hui, cinquante ans après les évènements de Selma, c’est le temps de la commémoration et, pourrait-on dire plutôt, un moment de célébration. Une cinéaste vient de réaliser un film à ce sujet. Et, le 7 mars 2015, le président des Etats-Unis, Barack Obama, accompagnée de son épouse, Michèle, et de ses deux enfants, s’est rendu à Selma et y a prononcé un discours dont l’inspiration a été reconnue bien au delà de son milieu politique.
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En entendant cette parole, en lisant le texte de ce discours (1), nous ressentons une émotion, nous percevons un grand souffle, nous recevons une vision. Barack Obama évoque le courage et la foi de tous ceux qui ont participé à cette première marche et ont été confrontés, de plein fouet, à la violence policière. Un cantique les accompagnait : « Quelques soit l’épreuve, Dieu prendra soin de vous » (What may be test, God will take care of you »). Et puis, à partir de là, il met en évidence la signification de ce combat en inscrivant cette lutte pour l’égalité et la justice dans l’histoire américaine, et, au delà, dans le monde d’aujourd’hui. « Combien ces hommes et ces femmes ont fait preuve d’une grande foi. Foi en Dieu, mais aussi foi en l’Amérique… Ils ont prouvé qu’un changement non violent est possible, que l’amour et l’espérance peuvent vaincre la haine… ». Ils ont lutté pour affirmer la vraie signification de l’Amérique : « L’idée d’une Amérique juste,d’une Amérique équitable, d’une Amérique inclusive, d’une Amérique généreuse a finalement triomphé… ». C’est la victoire de la solidarité. « Le mot le plus puissant dans notre démocratie, c’est le mot « nous » (« we »). « We shall overcome.. .Yes, we can … ». ( « Nous l’emporterons.. Oui, nous pouvons…). Il y a là un élan qui traverse les frontières. Dans sa vision d’une Amérique inclusive et généreuse, Barack Obama salue les diverses immigrations de tous ceux qui sont venus aux Etats-Unis parce qu’ils cherchaient la liberté politique ou la possibilité de sortir de la misère pour gagner une vie décente. Il égrène les mouvements qui ont permis aux minorités de conquérir le respect et de voir leurs droits reconnus. Et, au delà encore, Barack Obama proclame combien cet esprit inspire les luttes pour la démocratie qui se déroulent dans le monde entier. C’est un discours qui manifeste dynamisme et espérance. Ainsi reprend-il une parole du prophète Esaïe : « Ceux qui espèrent dans le Seigneur renouvellent leur force… Ils marchent et ne fatiguent point » ( Esaïe 40.31).
La figure de Martin Luther King inspire ce grand mouvement pour la justice et les droits civique. une jeune réalisatrice américaine, Ava DuVernay vient de réaliser un film sur cette grande personnalité en situant son action et sa présence dans le contexte des évènements de Selma. Tel que nous le décrit Jean-Luc Gadreau sur son blog (2), ce film rend bien compte de la dimension épique et charismatique de cette présence et de cet événement et de la puissante émotion qui s’y manifeste.
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Dans son discours, Barack Obama inscrit ce mouvement dans le courant démocratique jalonné par de grandes personnalités comme Abraham Lincoln et F D Roosevelt. Cette pensée généreuse, à laquelle nous avons personnellement goûté et qui été pour nous un point de repère, associe une spiritualité d’inspiration biblique à l’action politique. Hélas, il y a aussi dans l’histoire américaine d’autres moments ou conservatisme et impérialisme vont de pair avec l’influence exercée par de groupes religieux fondamentalistes. Dans son discours, Barack Obama exprime une dynamique de justice dans un processus de libération qui prend toute sa dimension dans une perspective universaliste. Dans un monde tourmenté, il y a là comme un rayon de lumière d’autant plus appréciable qu’il se manifeste dans une des plus grandes nations du monde. Ce discours peut s’appuyer sur la victoire remportée Martin Luther King dans sa lutte pour les droits civiques (3). Et, si son action peut être contestée sur certains points, nous percevons en Barack Obama (4) un homme de bonne volonté, un dirigeant intelligent et responsable qui contribue à rendre ce monde un peu moins dangereux. La vision positive qui s’exprime dans ce discours, vient à l’appui d’une théologie de l’espérance (5).
Dans un monde où les replis identitaires se manifestent, où des extrémismes religieux menacent la paix et débouchent sur la violence et le terrorisme, il est bon d’entendre qu’une spiritualité chrétienne peut inspirer une action politique qui se manifeste dans un processus de libération et la promotion de la justice et de la liberté. « Sans vision, le peuple meurt ». Cette parole biblique (Proverbes 29.18) rejoint notre expérience humaine. Nous avons besoin d’entrevoir un chemin. Nous avons besoin de motivation et de confiance. Puissent des chrétiens témoigner d’un Evangile libérateur ! Puissent-ils, en regard du désarroi et de ce qu’il engendre, témoigner d’une espérance, source de confiance et réponse à la recherche de sens !
(5) Dans les années 60, le théologien Jürgen Moltmann publie son premier livre : la théologie de l’espérance. Dans sa version anglophone : Theology of hope, ce livre exerce une grande influence jusque à être présenté en première page du New York Times. Une présentation de la vie et de la pensée de Moltmann sur le blog : « l’Esprit qui donne la vie » : « une théologie pour notre temps » : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=695
Jürgen Moltmann en conversation avec un panel de théologiens au Garrett Evangelical Theological Seminary (Evanston USA).
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Nous savons combien nos représentations influencent nos états d’âme et nos comportements. Ces représentations dépendent de notre vision du monde. Comme réflexion sur Dieu, la théologie inspire cette vision. C’est dire l’importance des orientations théologiques. Comme le dit Jésus, on reconnaît l’arbre à ses fruits. Nous trouvons, personnellement, une inspiration positive dans la pensée théologique de Jürgen Moltmann, souvent évoquée sur ce blog. Reconnu comme un des plus grands théologiens de notre temps (1), Jürgen Moltmann est souvent invité à s’exprimer dans des facultés de théologie à travers le monde. Ainsi est-il intervenu en 2009 dans une faculté de théologie américaine sur le thème : « Une théologie pour la vie. Une vie pour la théologie » (2). Cette intervention a été effectuée au Garrett Evangelical Theological Seminary (Evanston USA), une faculté en lien avec l’Eglise méthodiste. Après cette première conférence, Jürgen Moltmann a été invité à participer à une conversation où il a répondu aux questions d’un panel de trois théologien(ne)s : Nancy Bedford, Stephen Ray, Anne Joe. Ceux-ci ont été ensuite interrogés personnellement sur cet apport. L’ensemble est communiqué sur le site de la faculté à travers des vidéos (3). Comme dans une précédente note sur ce blog (4), nous présentons ainsi à nouveau une contribution de Jürgen Moltmann en vidéo. Ce n’est pas seulement une rencontre avec sa pensée, c’est aussi une rencontre avec sa personne où on peut apprécier une chaleur communicative empreinte d’une forme de modestie et de respect en terme d’humour. Nous présentons ici la vidéo où Jürgen Moltmann répond aux questions de ses interlocuteurs (5). Et comme cet entretien est en anglais, nous voulons en faciliter l’accès à travers une transposition en français dans des notes prises au cours de cette audition.
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Comment lire la Bible avec discernement ?
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Comme théologien, comment lisez-vous l’Ecriture. Quels sont vos critères herméneutiques ?, lui demande au départ son ancienne étudiante, Nancy Bedford. Question sensible ! Jürgen Moltmann fait écho à la question posée par Philippe au ministre éthiopien qui lisait le prophète Esaïe (Actes 6.30) : « Comprends-tu ce que tu lis ? ». Comprenons-nous ce que nous lisons ? En lisant la Bible, je m’attends à la Parole de Dieu dans des mots et des idées, des témoignages humains, mais ces mots humains sont parfois en contradiction les uns avec les autres. J. M. donne des exemples, tous deux empruntés aux épîtres de Paul, l’un concernant l’attitude vis-à-vis des femmes et l’autre, l’attitude vis-à-vis des juifs. Ainsi rappelle-t-il la grande affirmation universaliste de Paul à la suite du prophète Joël, en Galates 3.26 : « Il n’y a plus ni hommes, ni femmes. Nous sommes tous un en Jésus-Christ ». Mais on trouve aussi dans ces épîtres mention d’une attitude que Jürgen Moltmann exprime en termes humoristiques : « Les femmes devraient la fermer dans les cultes »…Qu’est ce qui est vrai ? Qu’est-ce qui est le plus proche de la vérité du Christ ? Et, reprend-t-il avec humour : Si les femmes avaient été silencieuses tout le temps, elles n’auraient pas annoncé la résurrection de Jésus et nous n’en saurions rien ! Pour interpréter, je ne me réfère pas à un humanisme moderne, qui va de ci, de là, mais je développe une critique interne en recherche de l’essentiel à l’intérieur même de l’Ecriture (« material criticism inside the reading of Scripture – criticizing inside the truth of the Bible »). D’abord, je lis, puis je cherche à comprendre. Qu’est-ce que cette expression cherche à me dire avec plus ou moins de bonheur ? Je cherche ce qui est vrai, ce qui me paraît le plus proche de la vérité du Christ (« What is closer to the truth of Christ »).
Jürgen Moltmann évoque des approches comme celles du « Jésus historique » (historical Jesus ») ou de l’exégèse matérialiste (« Materialistic exegesis »), qui se perd dans l’accessoire, auxquelles il n’adhère pas. Et notamment, peut-on en théologie s’intéresser seulement au « Jésus historique », c’est à dire ne pas prendre en considération l’éclairage de la résurrection ? Le Jésus historique est le Jésus mort (« The historical Jesus is the dead Jesus »).
Puisque J. Moltmann se réfère à Christ comme critère, son interlocutrice lui pose une seconde question : « Vous prenez Christ comme critère, mais qu’est ce qui arrive quand ce critère est mal utilisé ? Certains comportements et images peuvent contrecarrer une juste représentation du Christ. Jürgen Moltmann répond en prenant l’exemple de la croix. Au début du christianisme, il y a la croix de Golgotha, mais il y a eu très vite une croix imaginée par l’Empire comme signe de puissance et de victoire à commencer par celle de l’empereur Constantin : « Tu vaincras par ce signe ! », une tradition dominatrice qui s’est perpétuée dans la chrétienté.
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Le dialogue œcuménique
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Quelle est la part des théologiens dans le dialogue œcuménique ? Jürgen Moltmann répond à cette question en évoquant une affirmation centrale : la parole de Jésus concernant ses disciples : « Qu’ils soient un comme nous sommes un » (Jean 17.22). Cette prière a été entendue par le Père. Alors, en Christ, nous sommes déjà un. Mais, si c’est le cas, nous sommes appelés à rendre cette réalité visible. Nous rendons cette réalité visible, non pas d’abord par le dialogue théologique, mais par la fraternité eucharistique. Les églises ne sont pas propriétaires de la pratique eucharistique. Prendre ensemble le repas eucharistique, c’est répondre à l’invitation du Christ. Alors, en premier le repas du Seigneur : manger et boire, et ensuite le dialogue théologique. Ce dialogue en sera facilité, car alors, nous reconnaissons que nous sommes déjà dans la famille de Jésus. Avec humour, Moltmann évoque sa différence sur ce point avec son ancien collègue à l’université de Tübingen, Joseph Ratzinger devenu ensuite le pape Benoit XVI.
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Les gens dans la misère. Quelle espérance ?
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Une théologienne pose à Moltmann cette question : Comment accorde-t-il dans sa réflexion sa théologie de l’espérance et sa vision de « Dieu crucifié » ? Si la passion du Christ s’inscrit dans sa nature d’un Dieu incarné, sa résurrection manifeste la puissance d’un Dieu transcendant. Des théologiens catholiques latino-américains ont évoqué les victimes des régimes despotiques en termes d’hommes et de femmes crucifiés porteurs de rédemption. Dans cette approche, l’Eglise prolonge le Christ (« Christus prolongatus »), et, en extension, la souffrance des persécutés des personnes crucifiées est censée contribuer à la rédemption. Jürgen Moltmann n’est pas à l’aise avec cette extrapolation. Si vous vivez dans la misère et l’isolement, vous n’avez pas envie qu’on interprète votre souffrance en terme de participation à la rédemption. Vous avez envie de vous en sortir, vous avez envie d’être libéré. Autrement, vous continueriez à souffrir. Et, de même, en ce qui concerne « l’option préférentielle pour les pauvres », il y a danger d’idéaliser la pauvreté. N’interprétons pas la situation des pauvres à leur place…
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Le salut. Nous échapper dans un au delà ou nous tourner vers l’avenir.
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Moltmann est interrogé à propos de son approche eschatologique dans son livre : La venue de Dieu (« Coming of God »). Il y a un débat en cours sur la conception du salut. Notre espérance réside-t-elle dans une séparation de ce monde pour un autre, une éternité intemporelle ou bien sommes-nous invités à regarder vers l’avenir à l’intérieur même du processus de la nouvelle création. Dans la fixation sur l’éternité, il y a une aspiration gnostique. Dans l’espérance chrétienne et juive, on attend un ciel nouveau et une terre nouvelle. C’est bien là la demande exprimée dans la prière du « Notre Père », non pas que nous échappions à la terre, mais que « le règne de Dieu vienne sur la terre comme au ciel ». Ainsi, nous espérons le salut de la terre dans une nouvelle création. Je crois que Dieu le créateur ne laissera pas sa création dégringoler, mais récapitulera toute chose – et sa création- dans sa venue finale (« will recollect his creation in his final coming »). La résurrection des morts s’inscrit bien dans ce processus. Il nous faut développer à nouveau frais une théologie centrée sur la terre (« earth-centered »)
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Une théologie de la terre
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Si l’être humain a été crée par Dieu, la terre dans laquelle les hommes vivent, résulte elle aussi de la création de Dieu. Elle mérite d’être considérée et respectée. En réponse à une question, Moltmann esquisse une théologie de la terre à partir de quelques textes bibliques.
En Genèse 1, la terre est présentée comme étant elle-même créatrice et productrice. En Genèse 9, Dieu instaure une alliance avec l’humanité, les êtres vivants et la terre. Celle-ci est spécifiquement mentionnée au verset 13. Dans les règles ultérieures concernant l’agriculture, la terre est respectée et participe au repos sabbatique. Le Prophète Esaïe associe même la terre à la réalisation du salut. C’est dire combien la terre n’est pas subordonnée à l’homme. Moltmann note que la théologie orthodoxe reconnaît ce rapport entre Dieu et la terre, particulièrement dans son art de l’icône. Aujourd’hui, c’est à côté de la déclaration des droits de l’homme que les Nations Unies ont établi une charte de la nature. Comment combiner les deux ? Une théologie de la terre rejette l’instrumentalisation de celle-ci par les hommes. Nous ne devons pas vivre sur la terre en la dominant. Nous devons vivre en symbiose avec elle et bannir le terme d’environnement dans la mesure où il est conçu uniquement en fonction de l’homme («We live in the earth, not on the earth »). En espérance, nous regardons vers une nouvelle création où la justice habitera.
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L’être humain, une créature vulnérable
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Sensible à l’ouverture de Jürgen Moltmann à la dimension de la compassion, telle qu’elle apparaît dans son livre : « Le Dieu crucifié », une théologienne participant au panel évoque la recherche d’invulnérabilité répandue dans le monde occidental. Quelle place donner à l’affliction et au deuil ? Jürgen Moltmann répond positivement à cette question. Les gens faibles cherchent à être invulnérables. Seuls les gens forts acceptent d’être vulnérables. A travers le deuil, les gens expriment leur amour. La place accordée au deuil dans le monde occidental a été trop réduite. On devrait accorder davantage de temps au processus de deuil.
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La communauté des vivants et des morts
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Jürgen Moltmann raconte qu’en 1961, en visitant un ancien camp de concentration en Pologne, il a eu une forme de vision, percevant soudain les gens assassinés venant à lui et lui demandant : « Pourquoi ? ». Ces gens là n’étaient pas « morts ». Ils étaient présents, très présents. Moltmann évoque ensuite la relation avec les ancêtres en Asie, telle qu’elle se manifeste notamment dans le culte des ancêtres. Il y a une part de vérité dans tout cela. Les morts n’ont pas disparu. Ils sont très présents. Vous pouvez le sentir. Ils veillent sur nous (« They watch over us ») et, si nous sommes assez sensibles, nous veillons avec eux. Dans l’histoire de la Réforme, face à la thèse du sommeil des morts attendant la résurrection, c’est la conviction qui a été exprimée par Jean Calvin. Non, les morts ne dorment pas, ils veillent sur nous (« They are watching over us »). Les uns et les autres, nous vivons dans la perspective de la résurrection commune. Cette résurrection est un avenir pour le passé. Nous sommes dans le même mouvement. Nous sommes dans la même présence et nous regardons en avant dans l’attente du même futur. « We are in the same presence and we are looking forward for the same future »
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Dieu trinitaire. Un chemin de communion
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On demande à Jürgen Moltmann comment il en est venu à accorder une grande importance à une vision trinitaire de Dieu.
De fait, la parution de son livre : « The Trinity and the Kingdom of God » a été précédée par une attention croissante portée à l’Esprit Saint. Qui est l’Esprit Saint ? L’Esprit Saint, c’est la présence créatrice et unifiante de l’Esprit dans le monde. C’est le consolateur, mais aussi la source de vie. Dans la communion avec Christ, Il nous communique une énergie vitale.
En nous racontant son histoire de vie lors de sa conférence initiale, Jürgen Moltmann nous a raconté l’épreuve qu’il a vécu dans sa jeunesse. Dans un camp de prisonniers en Angleterre, il a trouvé dans la Bible une consolation. Jésus est devenu l’ami avec qui il pouvait partager son sort. C’est là aussi une présence guérissante : « A travers ses meurtrissures, nous sommes guéris » (Esaïe 53.5). Jésus nous introduit dans la proximité de Dieu, son Père aimé, « Abba ».
Dès lors, nous dit Jürgen Moltmann, nous pouvons entrer tout simplement dans la communion trinitaire. En union avec Jésus, nous sommes en relation priante avec son Père aimé, Abba. Dieu est présent. Et nous faisons l’expérience de la présence vivifiante de l’Esprit. Ainsi la Trinité, n’est pas un mystère, c’est une réalité toute simple. Nous ne croyons pas en Dieu, nous vivons en un Dieu trinitaire (« You do not believe in God. You live in the trinitarian God »). Nous vivons en relation avec Jésus, Abba, cher Père et l’Esprit qui donne la vie. « You live between Jesus, Abba, dear Father and the live giving energies of the Spirit ». Depuis le commencement, la foi chrétienne a une forme trinitaire : Jésus, Abba, Esprit. « The christian faith has from the beginning on, a triadic form : Jesus, Abba, Spirit ».
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Une pensée pour la vie
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Cette vidéo et celles qui l’accompagnent nous permettent de mieux comprendre ce que peut être le cheminement d’une réflexion théologique. Et, si nous pouvons douter de la pertinence et de la justesse de certaines constructions théologiques, ici, nous entrons dans une approche qui répond à des questionnements souvent existentiels. En fonction de son histoire de vie, la théologie de Jürgen Moltmann ne se développe pas dans l’abstraction. Elle est « branchée » sur des questions que nous nous posons dans la vie, non seulement sur le plan personnel, mais aussi en rapport avec nos interrogations concernant le monde d’aujourd’hui (6). Que cette théologie pour la vie nous aide à vivre en harmonie et en mouvement !
(4) Présentation d’une interview de Jürgen Moltmann en vidéo : « L’avenir inachevé de Dieu. Pourquoi c’est important pour nous ». Sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=1884
(6) Un essai d’introduction à l’œuvre de Jürgen Moltmann : le blog : L’Esprit qui donne la vie : http://www.lespritquidonnelavie.com/ Plusieurs des thèmes abordés dans cet article sont abordés sur ce blog. On pourra y lire notamment une présentation d’un livre de Moltmann paru en 2010 et récapitulant les grandes orientations de sa pensée : « Sun of rightneousness, arise. God’s future for humanity and the earth » : « Lève-toi, Soleil de justice ! L’avenir de Dieu pour l’humanité et la terre » : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=798
Jürgen Moltmann a publié de nombreux livres qui sont des livres de fond, pour une part, traduits en français au Cerf. Un livre récemment traduit en France nous introduit dans les grandes orientations de sa pensée : Jürgen Moltmann. De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance. Empreinte temps présent, 2012 Présentation sur ce blog : « Une dynamique de vie et d’espérance » : https://vivreetesperer.com/?p=572
Sur ce blog, des articles correspondant à certains thèmes de cette conversation, notamment : « Vivre en harmonie avec la nature » : https://vivreetesperer.com/?p=757