Des figures, des évènements issus du passé, éclairent encore notre présent. Des noms comme ceux de Gandhi ou de Martin LutherKing sont associés à de grands mouvements de libération pacifique et s’inscrivent dans la mémoire des hommes épris de justice.
Ainsi, la proclamation : « I have a dream », « Je fais un rêve », point d’orgue du discours de Martin Luther King dans la grande manifestation qui rassembla à Washington en 1963 des centaines de milliers d’américains en lutte pour les droits civiques des noirs (1) , est aujourd’hui encore un appel qui résonne dans les consciences.
Cet événement vient d’être commémoré le 28 août 2013, cinquante ans après. On peut se remémorer aujourd’hui cet événement fondateur. Une foule immense, des noirs, mais aussi des blancs, est rassemblée dans cette lutte pour l’égalité raciale. Au pied du monument commémorant le grand président américain, Abraham Lincoln, qui, cent ans plus tôt, avait libéré les noirs de l’esclavage, Martin Luther King commence son discours au moment où s’achève le chant qui magnifie la lutte non violente et persévérante de tout un peuple : « We shall overcome ». Ainsi, tous ceux pour qui les « negro sprirituals » expriment la communion d’un peuple, la foi en l’action divine et une espérance irrépressible, se reconnaissent dans cette manifestation et dans ce discours qui se termine par les paroles d’un chant bien connu : « Free at last » : « Enfin libres ! Enfin libres ! Dieu tout puissant, merci, nous sommes enfin libres ! ».
Le plaidoyer de Martin Luther King s’enracine dans une histoire. C’est bien sûr la mémoire de la lutte du peuple afro-américain, mais c’est aussi le grande tradition de liberté des Etats-Unis. Car cette nation s’est construite dans un mouvement d’affirmation des droits fondamentaux face aux oppressions religieuses ou monarchiques du vieux continent. Et, auXVIIIè siècle, elle a formalisé cette affirmation dans une Déclaration d’Indépendance et une Constitution. C’est à cette aspiration, à ce rêve américain que Martin Luther King fait appel lorsqu’il déclare : « Quand les architectes de notre république écrivirent les textes magnifiques de la Constitution et de la Déclaration d’Indépendance, ils signèrent un billet à l’ordre de chaque américain. C’était la promesse que chacun, oui les noirs autant que les blancs, serait assuré de son droit inaliénable à la vie, à la liberté, à la recherche du bonheur ».
Ici, cette proclamation, qui précède celle qui va émerger lors de la Révolution Française sous la forme des droits de l’homme et du citoyen, rejointl’ inspiration prophétique, celle qui, dans la Bible, appelle et entraîne le peuple juif à sortir de l’oppression, des grands empires tyranniques et du mal qui le ronge de l’intérieur. « Let my people go ! » comme le proclame un negro spiritual ! Cette marche est éclairée par une espérance mobilisatrice, par la vision d’un monde nouveau fondé sur la justice.Ainsi Martin Luther King reprend la dynamique du prophète Esaïe (Esaïe 40/4-5) lorsque celui-ci proclame : « Je fais le rêve qu’un jour chaque vallée soit glorifiée, que chaque colline et chaque montagne soit aplanie, que les endroits rudes soient transformés en plaines, que les endroits tortueux soient redressés, que la gloire du Seigneur soit révélée et que tous les vivants le voient tous ensemble ».
Ici donc, on ne se résigne pas à « la vallée de larmes ». On ne se berce pas dans une échappée des âmes. On regarde en avant à l’appel d’un Dieu qui suscite et inscrit dans l’histoire des images mobilisatrices à réaliser dans un processus de libération et de construction. Tout est mouvement. Et le mouvement se prouve en marchant. De moment en moment, jusqu’à la victoire finale où apparaîtra « un nouveau ciel et une nouvelle terre » (Apocalypse 21/1), Dieu appelle les êtres humains à entrer dans sa justice, à se laisser conduire en consciencedans l’édification d’une société plus humaine à l’aune d’un homme créé à l’image de Dieu et exprimé, à la perfection, par Jésus dans sa communion avec le Père Céleste, une préfiguration de ce qu’Il réalisera à la fin des temps.
Lorsque Martin Luther King achève son discours par sa grande invocation, « Je fais un rêve », cette invocation nous rejoint, nous émeut aujourd’hui encore. Le combat de Martin Luther King n’a pas été vain. Au cours des dernières décennies, les afro-américains ont conquis leur droit de cité aux Etats-Unis. A cet égard, l’élection de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis a manifesté un grand changement (2). Avec d’autres personnalités engagées, Barack Obama est intervenu dans la commémoration du 28 août 2013 (3). Il a rappelé la portée incomparable de l’intervention de Martin Luther King qui « a offert le salut aux opprimés comme aux oppresseurs ». Parce ce qu’un grand nombre de gens ont participé à ce mouvement, il y a eu de grands progrès : « Parce qu’ils ont marché, des conseils municipaux ont changé, des parlements des états ont changé, le Congrès a changé, et, enfin de compte, la Maison Blanche a changé ». Mais il reste des pesanteurs. La transformation des mentalités s’opère lentement. Il y a encore des injustices à combattre. Barack Obama a donc appelé à la vigilance : « Que ce soit pour lutter contre ceux qui érigent de nouvelles barrières au vote ou faire en sorte que la justice fonctionne de manière équitable pour tout le monde et ne soit pas simplement un tunnel entre écoles sous-financées et prisons surpeuplées, il faut de la vigilance ». Aujourd’hui, d’autres causes se font entendre et peuvent s’appuyer sur une inspiration analogue à celle qui a mis en mouvement Martin Luther King, un homme qui, s’inscrit aujourd’hui dans le « patrimoine de l’humanité » et, pour les chrétiens, fait partie de la « nuée de témoins » dont nous parle le Nouveau Testament (Hébreux 12/1). Sa voix s’adresse aujourd’hui encore à chacun de nous.
Les fresques d’Ambogio Lorenzetti sur le bon et le mauvais gouvernement
La Toscane est une province italienne dont on sait la beauté des paysageset des œuvres d’art. Elle est jalonnée par des villes réputées : Florence, Sienne.Des amis ayant récemment visité cette région, à leur retour, je leur ai demandé s’ils pouvaient nous communiquer des échos de cette beauté. Au cours d’une conversationavec Etienne Augris, professeur d’histoire et géographie dans un lycée lorrain (1), j’ai découvert qu’il avait tout particulièrement apprécié une œuvre d’art qui se situe dans le « Palazzo Pubblico » de Sienne. Ce sont des fresques réalisées entre 1337 et 1340 par Ambrogio Lorenzetti pour représenter en allégories le bon et le mauvais gouvernement et, sur un registre réaliste, les effetsqui s’en suivent (2).
#Si ces fresques sont considérées aujourd’hui comme un chef d’œuvre et commentées comme tel (3), leur sujet même nous paraît particulièrement original. Certes, il correspond aux questions qui se posaient dans des cités indépendantesoù le pouvoir émanait des notables, une situation qui ouvrait le champ des interrogations sur l’exercice de celui-ci. Dans un univers où les rivalités et les conflits abondaient, la paix et la guerre étaient étroitement liées aux décisions des dirigeants. Ainsi ces fresques mettent en évidence les effets du bon et du mauvais gouvernement . On peut se demander quel message ces figures artistiques peuvent nous apporter encore aujourd’hui. On se rappellera alors que le thème de la bonne gouvernance est toujours d’actualité. Des recherches récentes (4) ont montré que le développement économique des pays pauvres dépend largement de l’exercice du pouvoir politique.
L’attention se portera ici sur les caractéristiques de la bonne gouvernance telle qu’elle nous est représentée par ces fresques. Qu’est-ce que les gens de cette époque ont à nous dire sur les valeurs, les attitudes et les comportements qui fondent une bonne gouvernance ? Comme historien, mais aussi comme citoyen, Etienne Augrisnous donne quelques pistes pour comprendre le message de ces fresques.
Rencontre avec les fresques d’Ambrogio Lorenzetti
Ressenti et réflexion d’un historien
Interview d’Etienne Augris
Etienne, qu’as tu apprécié durant ton voyage en Toscane ?
J’ai apprécié une certaine douceur de vivre, une sérénité qu’on ressent notamment à la vue des paysages.Et par ailleurs, je suis très sensible à la richesse historique et patrimoniale de cette région, en particulier dans les villes. Dans certaines villes, on a même l’impression que le temps s’est arrêté. Pour moi qui suis historien, j’apprécie le sentiment d’une présence du passé, aujourd’hui.
Pourquoi et en quoi, les fresques de Lorenzetti à Sienne t’ont-elles particulièrement impressionné ?
Ce qui frappe en premier, c’est la beauté de ces fresques dans le contexte même de leur création, un lieu très important puisqu’il était le siège d’un des principaux pouvoirs de la ville. Avant toute chose, ce qui a accroché mon regard, c’est la couleur, et, en particulier, la couleur bleue. Ce qui m’a plu aussi, c’est la dimension historique. C’est un véritable document.
Quelles sont les principales caractéristiques de ces fresques ?
Les fresques sont particulièrement répandues en Italie et le mot : fresque est lui-même issu de l’italien : « fresco ». Ces fresques sont une commande publique passée par les autorités de la ville à un artiste réputé : Ambrogio Lorenzetti. Et cet artiste est lui-même un citoyen engagé au service de la république. Ne disposant pas du contrat, on ne sait pas dans quelle mesure Lorenzetti était entièrement libre dans sa représentation. Ces fresques couvrent trois des quatre côtés d’une grande salle. Cette salle accueillait la réunion du conseil des 9, des notables désignés temporairement pour diriger la ville dans la première moitié du XIVème siècle.
Peux-tu nous décrire ces fresques telles que tu les vois ?
#Ces fresques s’étendent sur trois murs.
#Lorsqu’on rentre dans la salle, on voit d’abord l’allégorie et leseffets du mauvais gouvernement. Sur ce mur, le personnage principal est une sorte de diable qui incarne la tyrannie. Il est entouré par la représentation de nombreux vices. Ces vices évoquent des travers sociaux et politiques plutôt que des péchés individuels : l’orgueil, l’avarice, la vanité. Au pied de la tyrannie, se trouve la justice ligotée. On retrouve ce thème omniprésent de la justice dans les autres fresques. Elle figure dans les inscriptions qui accompagnent les personnages, soit pour regretter son absence, soit pour louer sa présence, son règne. On voit également sur ce mur les effets du mauvais gouvernement dans une ville et une campagne entièrement dévastées sur lesquelles règne la peur.
Lorsqu’on poursuit dans le sens de la lecture, on trouve ensuite l’allégorie du bon gouvernement.
Et on commence par la représentation de la justice sur un trône. Elle est inspirée par un petit personnage au dessus de sa tête qui symbolise la sagesse. Chacune de ses mains tient les plateaux d’une balance. La justice punit. La justice rétribue.
En dessous de la justice, se trouve la concorde. Elle rassemble les fils qui viennent de la justice pour former une seule corde qui est transmise à la procession des notables qui représentent les habitants de Sienne, unis par ce lien de la concorde.
Cette corde remonte ensuite vers un personnage majestueux, aux couleurs de la ville et qui représente le bien commun. Ce fil est attaché à son poignet. Ce personnage est entouré de nombreuses allégories qui représentent des vertus. Il y a de nouveau la justice.Et puis, il y a la paix : une femme semi allongée qui a l’air très sereine. Elle est au centre du mur, une de celles qui attirent le plus le regard par sa clarté et son rayonnement.Au dessus de la tête du bien commun, il y a les trois vertus théologales : foi, charité, espérance. C’est une des seules références religieuses directes dans cette fresque. Parmi les vertus, il y a des vertus actives et des vertus passives. Et elles sont placées en alternance, par exemple : justice et tempérance.. C’est sur ce mur que figure la signature de Lorenzetti.
#Le troisième mur qui fait face à celui évoquant le mauvais gouvernement représente les effets du bon gouvernement comme en miroir. On y représente la ville de Sienne identifiée par la présence de la cathédrale et de symboles de la ville. La campagne environnante est également représentée. Sur cet espace, la ville et la campagne, règne l’allégorie de la sécurité qui permet une vie quotidienne paisible, animée et ponctuée de réjouissances : mariage, danses. C’est une ville dont la construction se poursuit. La campagne est pleine de richesses. Le paysage qui est décrit ressemble beaucoup au paysage actuel de la Toscane caractérisée par des collines où on cultive des céréales, la vigne et les oliviers.
Dans cette salle, Lorenzetti fait appel aux représentations de son époque. Mais il est un des seuls à en rassembler autant dans un tel agencement. Sur ces murs, on a à la fois des allégories et des représentations réalistes.
#Cette œuvre nous parle de gouvernance. Quel message cette œuvre envoie aux gens de cette époque ?
C’est un message destiné à ceux là même qui siègent dans la salle et plus généralement à la ville de Sienne et à sa population. La ville et la campagne qui subissent la tyrannie ne sont pas des espaces étrangers, mais pourraient eux-mêmes être la ville de Sienne et ses environs.C’est donc un rappel permanent des risques qui guettent la cité. Le régime qui est mis en avant, est clairement républicain par opposition à la tyrannie. Mais cette république était comprise au sens de l’époque et non comme une démocratie au sens moderne du mot.Rappelons que tous les habitants de la ville ne participent pas à la désignation des dirigeants réservée à une élite fortunée.
Cette république met en avant des principes et non des intérêtsindividuels. Dans cette république, on craint la personnalisation du pouvoir. Les membres du Conseil des 9 eux-mêmes ne sont désignés que pour deux mois. Le fil conducteur de cette fresque, c’est la justice qui est représentée, à plusieurs reprises, et qui apparaît comme l’élément indispensable d’une bonne gouvernance. La concorde elle-même puise sa source dans la justice et permet aux citoyens de cette république de travailler ensemble pour le bien commun. Parce qu’il y a la justice et aussi la concorde, les intérêts individuels sont compatibles avec le bien commun.
Cette fresque est également complexe. Pour moi, elle témoigne de la complexité du gouvernement de cette république et de la fragilité de ses équilibres. Dans la réalité historique, on sait que les périodes de paix ont souvent été éphémères.Quelques années après la réalisation de ces fresques, une nouvelle période de troubles politiques, de guerres, d’épidémies, s’est ouverte. Le gouvernement des 9 lui-même a disparu et a laissé place à une nouvelle forme de gouvernement. Si la situation est aussi fragile, c’est parce que les pouvoirs sont multiples. Ainsi, et à côté du pouvoir qui était exercé par le Conseil des 9, il y avait aussi le pouvoir de l’évêque et celui du représentant de l’empereur. L’équilibre était fragile, et, à cette époque, les rapports de force changeaient régulièrement.
#
Qu’est ce que ce message peut nous apprendre aujourd’hui encore ?
La question de la gouvernance tourne aujourd’hui autour de l’idée de la démocratie et de son exercice. Ces fresques nous apprennent que le bon gouvernement est une réalité fragile qui peut être menacée de l’extérieur, mais aussi de l’intérieur. Le problème ne vient pas en premier des ennemis extérieurs, mais des faiblesses internes.
La démocratie n’est pas nécessairement établie pour toujours, mais c’est un processus permanent et jamais achevé. La question de la justice est centrale. Elle conditionne l’adhésion des citoyens à cette démocratie. Un citoyen qui constate l’injustice dans un régime dit démocratique n’aura sans doute pas la volonté de s’engager en faveur de la démocratie.
Dans la fresque, on commence par voir la situation qu’on ne veut pas pour arriver à celle qu’on souhaite. Et on propose effectivement un ensemble de principes positifs et aussi un état d’esprit.
Les questions, que se posaient les habitants de Sienne autrefois, se posent aussi à nous aujourd’hui. Comment passer d’une indignation face à l’injustice et à la tyrannie à la mise en avant de principes et d’un état d’esprit permettant une bonne gouvernance ?
#
Contribution d’Etienne Augris.
#
##
#
Notes
(1) Professeur d’histoire et géographie, Etienne Augris a créé unblog concernant l’enseignement de ces disciplines : histoire-géographie terminales….. http://histoire-geo-remiremont.blogspot.fr/
(3) Ces fresques sur le bon et le mauvais gouvernement sont remarquablement commentées en anglais dans une vidéo présentée sur YouTube parmi une série de productions réalisée par« Smart history » en vue de développer l’éducation artistique. Les lecteurs pourront apprécier cette vidéo à laquelle nous donnons accès sur ce site. http://www.youtube.com/watch?v=jk3wNadYA7k
(4) Sur ce blog, voir : « Pour réformer la finance ». Dans cet article, James Featherby mentionne plusieurs livres qui mettent l’accent sur l’importance du rôle de l’état pour la promotion du bien commun . « Dans un livre intitulé : « Why nations fail » (Pourquoi des nations échouent), Daron Acemoglu et James Robinson nous disent que l’existence d’institutions destinées à servir l’intérêt public plutôt que l’exploitation privée, explique pourquoi certains pays réussissent et d’autres s’effondrent » https://vivreetesperer.com/?p=882
Bénir, c’est participer à l’œuvre de Dieu en répandant la paix : au sens de « shalom », une paix entendue, dans un sens très large : plénitude, harmonie, santé.
En nous parlant ainsi de la bénédiction, Jean-Claude Schwab nous ouvre un horizon de vie.
Récemment, on pouvait lire sur la lettre d’une entreprise de télécommunication (1), un message éclairant : « Allô provient de l’ancien mot anglais : hallow (sois béni), le salut des marins quand leurs bateaux se croisaient. Au fil du temps, le mot se transforme en hello. Ce sont les standardistes qui démocratisèrent l’usage du hello au téléphone qui devint phonétiquement notre allô français ». Aujourd’hui, à une époque où l’interconnexion est désormais une caractéristique majeure de notre existence, il est bon de se rappeler que le bon exercice de la communication dépend de la reconnaissance d’une dimension qui fonde une confiance réciproque. Tel était le cas de ces marins d’autrefois lorsqu’ils se saluaient en terme de bénédiction.
Et, de même aujourd’hui, nous savons combien notre existence dépend de la qualité des relations qui donnent forme à notre environnement. Nous comprenons l’importance de notre manière de penser. Actuellement, de nombreuses recherches montrent les effets bénéfiques d’une pensée positive tant à l’égard des autres qu’àl’égard de nous-même (2). Nous voyons là une disposition de la création qui trouve signification et vigueur dans la bénédiction.. Et d’ailleurs, dès le milieu du XXè siècles, des thérapeutes chrétiens comme Agnes Sanford et Norman Peale (3) ont témoigné d’une expérience des effets d’une pensée de bénédiction àl’intention de tel ou tel.
Lorsque nous croyons que Dieu est présent et agissant au cœur même de notre monde, nous voyons en lui la source de vie, la puissance d’inspiration qui porte tout ce qui va dans le sens de la vie.Il nous appelle à participer à son œuvre (4). Nous sommes tous appelés à entrer dans la bénédiction.
Dans le passé, Jean-Claude Schwab, pasteur de l’Eglise Réformée en Suisse romande, a animé des sessions à Témoins dans le cadre de l’AFRAI, une association chrétienne se donnant pour but de manifester l’action de Dieu pour le développement et la restauration de la personne dans toutes ses dimensions (5) . Il anime également des sessions durant les vacances d’été (6). L’une d’entre elles a été consacrée au thème de la bénédiction. Dans un numéro du magazine Témoins, nous avions recueilli à ce sujet les propos de Jean-Claude Schwab qui nous fait entrer dans le mouvement de la bénédiction : affirmer la bénédiction ; reconnaître la bénédiction ; répandre la bénédiction,comme une manière bienfaisante de penser et de vivre.
Récemment, les numéros du magazine Témoins ont été numérisés et mis en ligne (7) sur le site de Témoins, le site de « la culture chrétienne interconfessionnelle ». On pourra donc y consulter cet article dans le cadre même du numéro dans lequel il a été publié (novembre-décembre 2000) (8).
#
J.H.
#
#
Entrer dans la bénédiction
Bénir, c’est proclamer la paix, agir en faveur de la paix, établir un espace de paix.Ici, on doit entendre le mot « paix » d’une façon très large, en retournant au terme hébraîque originel : Shalom.Shalom signifie la plénitude, l’harmonie, la santé, tout ce qui concourt à l’accomplissement de l’homme. Mais ce terme exprime aussi la restauration de l’être, le salut. En proclamant la paix, la bénédiction exprime l’action de Dieu dans la création et dans la rédemption.
#
Affirmer la bénédiction
#
Lorsque Jésus chasse les vendeurs du Temple, sa colère ouvre un espace pour la bénédiction (Mat 21. 12-16). Ce lieu n’était plus un espace de liberté et d’adoration, mais l’objet d’un envahissement. Cette situation évoque tout ce qui surgit en nous et fait opposition au moment où l’on veut faire place au silence, à l’intimité, à la rencontre. Les préoccupations, les sollicitations font barrage. A l’instar de la colère de Jésus, sans doute sommes-nous appelés parfois à poser des actes clairs, à laisser notre énergie s’exprimer pour rétablir les choses. Dans l’épisode rapporté de l’évangile, il ne faut pas moins que la colère de Jésus pour rétablir l’ordre originel, un espace sabbatique. Alors la rencontre peut avoir lieu. Les enfants expriment leur louange d’une façon toute simple et naturelle.Les malades peuvent s’approcher pour être guéri. Le projet de Dieu se réalise.
Mais, en même temps, les textes synoptiques nous disent qu’à la suite de cet incident, les ennemis de Jésus s’entendent pour le faire mourir. Ainsi, Jésus signe de sa mort cette œuvre de libération. C’est dire combien, à ses yeux, cet espace pour la bénédiction,au cœur denos vies, est vital. Il a fallu l’action virulente de Jésus pour que les gens puissent s’approcher de Lui au temple. Jusque là, ils ne le pouvaient pas. Bien sûr, ils ont reçu de lui de grands bienfaits,mais ceux-ci sont un effet de sa présence. Cette simple présence, sa proximité, est bénédiction. C’est à travers la présence de Dieu que s’établit le Shalom, plénitude et harmonie, puissance de restauration personnelle et relationnelle.
#
Reconnaître la bénédiction
#
La présence et l’action bénissantes de Dieu sont à l’origine de l’univers, mais elles sont aussi à l’origine de ma vie. « C’est Toi qui m’a tissé dans le sein de ma mère. Je te loue de ce que je suis une créature si merveilleuse » (Psaume 139. 13-14) « Tu m’as fait sortir du sein maternel. Tu m’as mis en sûreté sur les mamelles de ma mère » (Psaume 22.10).
Ainsi, mon Dieu, Tu as pris soin de moi dès l’origine.Tu m’as donné des signes d’amour qui m’ont permis de vivre.Sans ces signes, je n’existerais pas. J’ai reçu ainsi la confiance originelle qui est le fondement du développement humain. Il y a eu des dérapages ensuite dans ma vie. Mais j’ai reçu ce fondement, cette grâce d’exister. Si je n’en suis pas conscient, je suis appelé à réaliser que la bénédiction est à l’œuvre pour moi, depuis mon origine. Cette prise de conscience est une bénédiction en soi, une nouvelle bénédiction.
« Mon âme, bénis l’Eternel, n’oublie aucun de ses bienfaits ». Cette exhortation à soi-même (Psaume 103) m’appelle à bénir Dieu pour ma vie et, pour cela, à fairemémoire de ma vie. C’est une démarche importante à faire périodiquement. Il y a là un travail en quête de sens, en quête des traces de Dieu. Quel est le filconducteur pour ma vie ? Je rends grâce pour le bien et, dans les côtés négatifs, je cherche à reconnaître la main de Dieu qui utilise tout. Quand il y a du sens, il y a quelqu’un qui est derrière. Je découvre ce quelqu’un qui est avec moi.Il y a là une attitude à acquérir : savoir reconnaître la présence de Dieu à l’œuvre dans ma vie.
#
Répandre la bénédiction
#
« Que l‘Eternel te bénisse et te garde. Que l’Eternel fasse luire sa face et qu’il t’accorde sa grâce.Que l’Eternel tourne sa face vers toi et qu’il te donne la paix » (Nombres 6, 24-26) . La bénédiction d’Aaron, traditionnelle dans le judaïsme, nous introduit dans une attitude de bénédiction .
« Bénissez, ne maudissez pas » nous rappelle Paul (Romains 12.14), en écho à la parole de Jésus (Matthieu 5.44). Ce précepte nous invite à une attitude intérieure. Bénir les gens autour de nous, c’est avoir un regard positif sur eux, leur souhaiter le meilleur, les mettre intérieurement en relation avec Dieu, invoquer sur eux sa protection.
Pour exprimer à l’autre la bénédiction de Dieu, il faut apprendre à se rendre présent à lui, entrer dans le concret d’unerelation.Je me réfère à l’attitude de Jésus lorsqu’il guérit un sourd-muet dans l’évangile de Marc (ch 7. 23-25). En quelque sorte, Jésus apprivoise cet homme. Il le prend à part, il entre en proximité avec lui en le touchant.Jésus soupire intérieurement, lève les yeux au Ciel et dit à l’homme : « Ouvre-toi ». Présent à lui-même dans son soupir, Jésus est présent au Père et exerce une présence de libération vis-à-vis de cet homme.
Pour moi, la parole et la présence sont deux réalités qui doivent aller de pair. Ainsi, bénir l’autre explicitement, c’est se rendre présent à lui et dans l’humilité, se faire simplement le serviteur d’une Parole. Entrons ensemble dans la bénédiction de Dieu.
(3)Agnes Sanford inscrit la prière de guérison dans une compréhension des interrelations entre la pensée et le corps :Sanford (Agnes). La lumière qui guérit . Delachaux et Niestlé, 1955. Norman Vincent Peale a découvert l’apport de la psychologie dans le développement spiritueL Il donne à un de ses livres intitulé au départ : « Puissance de la foi », le titre : « Puissance de la pensée positive » pour que celui-ci puisse s’adresser à tous et pas seulement aux croyants pratiquants. Peale (Norman Vincent).La puissance de la pensée positive. Marabout, 1990
(4)Sur ce blog, la contribution d’Odile Hassenforder : « Dieu, puissance de vie. Les projets de Dieu pour moi, pour l’humanité, pour l’univers sont des projets de bonheur et non de malheur ». https://vivreetesperer.com/?p=1405
Changer intérieurement pour vivre en collaboration.
Aparté avec Thomas d’Ansembourg recueilli par Michel de Kemmeter.
#
Dans la vie sociale et économique, nous ressentons la requête d’une plus grande collaboration entre les acteurs, entre les personnes. Mais cette requête elle-même appelle un changement dans nos attitudes et nos comportements, une transformation personnelle. Thomas d’Ansembourg est bien placé pour nous répondre. En effet, à partir d’une carrière d’avocat et, parallèlement, d’un engagement éducatif auprès de jeunes dans la rue. Il a choisi une nouvelle orientation en se formant à différentes approches psychothérapeutiques et particulièrement à la méthode de communication non violente. Il est devenu psychothérapeute, conférencier, animateur de sessions de formation. Au cours des dernières années, il a écrit trois livres qui ont été appréciés par une vaste audience (1).Dans une récente vidéo (2), Thomas d’Ansembourg répond aux questions de Michel de Kemmeter, ingénieur et consultant engagé lui aussi dans une œuvre de recherche et de formation pour « un développement durable de l’humain (3).
#
#
Une vie en transformation.
#
« J’ai besoin de me sentir vivant dans un monde vivant ».
Comment Thomas d’Ansembourg envisage-t-il son travail ?Il « accompagne les personnes à travers les méandres de l’existence pour trouver plus de sens et de paix intérieure parce que c’est dans cet esprit qu’on est généreux et qu’on est créatif ». Et il rencontre une grande aspiration. « De plus en plus de personnes réalisent qu’ils ont besoinde se sentir vivant dans un monde vivant, que c’est là l’essence de l’existence . J’ai besoin de me sentir vivant dans un monde vivant. La notion d’appartenance est fondamentale. Nous ne sommes pas tout seul. Nous aimons nous sentir reliés à la vie en nous, à la vie en l’autre, à quelque chose qui va très largement au delà de nous, que les religions appellent Dieu, mais que l’on peut appeler la vie, la présence, l’amour ».
Une conscience nouvelle apparaît . La vision s’élargit. On ne se satisfait plus de vivre dans son petit monde à soi ». « Ce n’est pas comme cela qu’on est heureux. Nous serons heureux dans des rapports de collaboration, de synergie, de cocréation, dans le partage,dans la solidarité ».Ce qui nous était enseigné autrefois comme une morale en terme d’obligations venant de l’extérieur apparaît de plus en plus comme une aspiration à une nouvelle manière d’être et de vivre. On recherche « les ingrédients, les clefs d’un bien-être ensemble ». « C’est à vivre de l’intérieur. C’est à instaurer ».
Ainsi des vies se transforment. Thomas d’Ansembourg a vécu cette transformation. Déjà, parallèlement à une première carrière, celle d’avocat, il s’était engagé dans un engagement éducatif bénévole
auprès de jeunes de la rue. « je me suis vite rendu compte que, derrière la violence sur les autres, sur les choses, sur les gens, la violence retournée contre soi, il y a un magnifique élan de vie, l’élan d’appartenir, d’avoir sa place, l’élan de trouver un soutien, d’être utile, de faire quelque chose de sa vie. Quand cet élan est bridé, est empêché, alors la violence s’instaure. Aider les gens à trouver leur élan de vie, à déployer le meilleur d’eux-mêmes, cela a fait sens pour moi ». Cette aspiration au partage se manifeste dans des milieux différents et, par exemple, chez certains chefs d’entreprises qui souffrent de leur isolement. Ils ont besoin de vision partagée,de direction collégiale.
#
#
Vivre pleinement. Accepter d’être heureux.
#
« Nous avons à démanteler l’interdit d’être heureux »
Il y a donc actuellement une évolution profonde dans les aspirations. C’est un enjeu d’ordre psycho-spirituel ». Cependant,face à ce mouvement, il y a aussi des résistances. Thomas d’Ansembourg diagnostique un empêchement dans une crainte intérieure, celle d’être heureux. « Être heureux est ressenti comme une menace ». Il y a comme « un sabotage de la capacité d’accès au bonheur ». « C’est le travail sur moi, notamment psychothérapeutique, qui m’a permisde comprendre mon propre mécanisme d’auto-sabotage ».
Thomas d’Ansembourg évoque l’expression : « On est pas làpour rigoler ». Il faut nous défaire de cette pensée. « Cette petite phrase, nous l’avons connu avec le lait maternel et, en tout cas, la culture ambiante.. il faut se battre dans la vie..La vie est une lutte. On a ce qu’on mérite..Tous ces petits conditionnements génèrent inévitablement l’idée que la vie est un combat… » . Et ce qu’on voit à la télévision nous conforte dans ce sens. « Nous avons à démantelerl’interdit d’être heureux ». On est là pour rigoler ou plus largement, « On est là pour s’enchanter, pour s’émerveiller, pour goûter la jubilation du vivant ». C’est cela qui fait sens. On peut évoquer des joies collectives : une table d’amis, une fête.. « Nous sommes là pour goûter le plaisir d’être en vie. Et, à ce moment là, je n’ai plus le désir d’accaparer des richesses ».
#
#
Un changement collectif. Une mutation en cours.
#
« L’utopie n’est pas un égarement. C’est tendre vers un autre lieu ».
Dans son dialogue avec Thomas d’Ansembourg, Michel de Kemmeter inscrit ces questions dans le va et vient entre le personnel et le collectif . Comment notre société évolue-t-elle ? Vers où va-t-on ? Ainsi passe-t-on actuellement de l’économie de nos parents centré sur l’accumulation et la croissance à une économie que nous imaginons plus collaborative et porteuse davantage de progrès humain. Si le changement commence par soi, comment est-ce que cela débouche sur le plan collectif ?
La réponse de Thomas d’Ansembourg s’ouvre dans deux directions . Et tout d’abord, il envisage « un effet de masse critique, une bascule de la conscience, un effet d’entraînement ». Et, à l’appui de cette perspective, il évoque de nombreux exemples. Les gens d’aujourd’hui, et particulièrement les jeunes,se familiarisentplus rapidement qu’autrefois avec de nouvelles pratiques. La « Learning curve », le temps passé pour apprendre une chose nouvelle se raccourcit d’année en année. « Nous pouvons espérer cela pour le phénomène d’ouverture de cœur ».
Et ensuite, pour favoriser le changement, il faut faire connaître la vision nouvelle qui est en train de se développer. Nous ne sommes pas sur terre pour être limités et dépressifs, mais pour « un joyeuxdéploiement de notre être dans une cohabitation heureuse avec les autres » . Et il est urgent de faire savoir qu’il existe des processus, des mécanismes, des apprentissages pour entrer dans cette nouvelle manière de voir et de sentir. Ainsi, face aux conditionnements individuels et collectifs, on peut envisager « une nouvelle façon d’être au monde ». « L’utopie n’est pas un égarement, c’est tendre vers un autre lieu ».
En dialogue avec Michel de Kemetter, Thomas d’Ansembourg nous invite à oser en réalisant que nous ne sommes pas seul. Ainsi, à la suite de ses conférences, beaucoup de gens viennent le voir en lui disant : « Vous mettez des mots sur ce que je ressens ». Thomas d’Ansembourg a beaucoup travaillé sur la gestion non violente desconflits. Il cherche à promouvoir une communication non violente. Pour lui, pas de doute ! Elle va entrer progressivement dans les apprentissages fondamentaux. « C’est la réalité de demain ». Pouvait-on imaginer, il y a vingt cinq ans, la généralisation du téléphone portable ? « Toute la réalité d’aujourd’hui correspond au rêve d’hier ».
#
#
Inspiration spirituelle et « intériorité citoyenne ».
#
« Ouvrons un espace d’intériorité dans lequel « le souffle » puisse souffler »
Face aux conditionnements actuels, le changement est contrarié par notre peur : « Peur de sortir des sentiers battus, peur d’entreprendre, peur de lâcher quelque chose ». Toute notre société est conditionnée par la peur. Comment faire bouger cela ? Quels sont les leviers ? demande Michel de Kemmeter.
La réponse de Thomas d’Ansembourg entre ici sur le registre spirituel. « Pour moi, c’est le travail d’intériorité et d’ouverture spirituelle ». « Toute la peur vient dans la croyance que nous avons et sur l’illusion que nous sommes seul et que nous devons lutter pour défendre notre petite posture. Nous ne sommes pas tout seul. Ne serait-ce que génétiquement ! Nous ne sommes pas dans la nature. Nous sommes de la nature… ».
Prenons « conscience de ce quelque chose qui va au delà de nous en ouvrant un espace d’intériorité, un espace de ressourcement dans lequel le souffle puisse souffler ».Chacun mettra le mot qu’il veut sur le mot « souffle » : discernement de la conscience au sens laïc, de la grâce ou de l’esprit comme le proposent certaines religions, de la présence.. Puisons dans cet être ce qui semble effectivement nous inspirer, nous parler quelque soient les mots qu’on emploie. Nous avons là une ressource extraordinaire pour nous transformer dès que nos déployons cet espace intérieur ».
Et dans cette perspective, il nous faut élargir notre culture. « Quittons la tentative évidemment désespérée de tout comprendre mentalement et de tout gérer mentalement … La petite intelligence logico-mathématique qui nous a si bien servi, n’est pas le seul canal d’appréhension et de transformation du monde. Il est urgent de découvrir d’autres canaux ». Et il y a plus que les huit formes d’intelligence qui ont été récemment reconnues. « Je vois des transformations extraordinaires chez ceux qui entrent dans cet espace intérieur, qui acceptent de laisser à sa place, à sa juste place, la compréhension intellectuelle, mentale, logique, et entrent dans des compréhensions plus subtiles dans lesquelles le souffle peut s’instaurer ».
« J’encourage profondément à un travail d’ouverture spirituelle qui peut se vivre de façon religieuse pour ceux qui trouvent un soutien dans la religion, mais qui peut, bien, sûr, se vivre dans bien d’autres formes. On parle de plus en plus de spiritualité laïque. Et je pense que cette notion peut encourager les gens qui n’ont pas trouvé de sens dans une pratique religieuse à retrouver un cheminement spirituel en sorte de pouvoir sentir ce soutien, cette inspiration… Je pense que c’est cela qui peut nous aider à transformer notre vie et à quitter la peur : sentir que nous sommes inspirés, que nous sommes portés, que nous sommes soutenus… ». Si je veux être en phase avec cet élan de vie, alors ma vie se transforme.
Thomas d’Ansembourg a fait cette expérience. Et pour lui, ce message a une portée qui est à la fois individuelle et collective. Et c’est pour cela qu’il a créé le terme d’ « intériorité citoyenne ». Car « un citoyen pacifié est un citoyen pacifiant » . La vie intérieure n’est pas déconnectée de l’action comme les exemples de Gandhi et de Mandela nous le montrent. En réponse à Michel de Kemetter,Thomas d’Ansembourg nous dit comment il intervient aujourd’hui pour permettre à cette expérience de se propager dans la vie des entreprises et dans les écoles qui forment les jeunes cadres. Peu à peu, cette vision commence à se répandre .
#
#
Un nouvel horizon.
#
La vision et l’œuvre de Thomas d’Ansembourg s’inscrivent dan une société et une culture en mutation. C’est dans ce contexte qu’il peut exprimer une dynamique qui envisage le potentiel humain dans une perspective positive, voire optimiste. Ainsi affirme-t-il une nouvelle manière d’être et de vivre qui exprime le bonheur dans un mouvement de générosité. « Nous sommes là pour goûter le plaisir de la vie ».
En entendant ces paroles dans une perspective historique, on a conscience qu’elles tranchent avec le pessimisme hérités de millénaires au cours desquels l’humanité a lutté pour survivre face aux famines, aux épidémies , aux massacres, aux guerres meurtrières.Cette mémoire douloureuse s’est inscrite dans un état d’esprit. Elle a influé sur la tradition religieuse. Les empêchements qui font obstacles aujourd’hui à une nouvelle manière de vivre ne sont donc pas seulement psychologiques. Ils remontent à un passé collectif. Et, aujourd’hui encore, selon notre situation sociale ou géographique, nous sommes plus ou moins confrontés à des maux collectifs qui viennent assombrir notre horizon.
C’est dire que l’option, non seulement déclarée, mais aussi expérimentée par Thomas d’Ansembourg, tire sa légitimité non seulement d’une expérience positive, mais aussi d’un climat nouveau qui résulte d’un changement en profondeur de notre société, de notre économie et de notre culture et ouvre de nouveaux possibles . Ce changement a commencé dans un tournant qui est apparu au XVIIIè siècle. On a pu dire que c’est le momentoù le bonheur est apparu comme « une idée neuve en Europe ». Et la Constitution américainea donné droit à « la poursuite du bonheur ». Cette évolution s’est poursuivie et elle s’est accélérée au cours des dernières décennies. Nous sommes entrés aujourd’hui dans une mutation sociale et culturelle qui n’est pas sans risques, mais qui est aussi très prometteuse.
Conscient des dangers et des menaces , c’est en regardant le positif qu’on peut aller de l’avant. Dans son livre : « Une autre vieest possible » (4), Jean-Claude Guillebaud réfute le pessimisme systématique et nous invite au mouvement dans l’espérance. On peut percevoir aujourd’hui dans les mentalités une évolution qui rompt avec les séquelles du passé et se traduit dans des comportements nouveaux. Ainsi, le livre de Jacques Lecomte sur « la bontéhumaine »(5) fonde « une psychologie positive ».Jérémie Rifkin, dans une belle fresque historique, met en évidence une montée de l’empathie (6). Au titre de la spiritualité, dans son livre sur « laguérison du monde » (7). Frédéric Lenoir apporte une contribution très informée dans la même orientation.En particulier, il met en évidence un phénomène récent : une conjonction croissante entre la spiritualité personnelle et l’engagement dans le monde. La notion d’ « intériorité citoyenne » mise en avant par Thomas d’Ansembourg s’inscrit dans cette conjonction.
Thomas d’Ansembourg invite les acteurs dans la société et l’économie à entrer dans une ouverture spirituelle. A cet égard, il rejette les exclusivismes et les querelles de chapelle. Il y a aujourd’hui une aspiration profonde en ce domaine. Ainsi, sur ce blog, Jean-Claude Schwab met en évidence un besoin d’ancrage et propose une approche chrétienne de méditation (8).
Si le christianisme a été marqué par un héritage du passé aujourd’hui contre productif, il a aussi souffert de la confusion avec le pouvoir impérial romain intervenu sous Constantin.Auparavant,le message de l’Evangile avait porté, pendant des décennies, paix, libération, guérison. Les chrétiens étaient « le peuple de la Voie » (« The people of the way » (9).
Cependant, malgré les détournements intervenus au cours des siècles, nous croyons, avec le théologien Jürgen Moltmann (10) que le christianisme se caractérise par une dynamique d’espérance : « Que le Dieu de l’espérance vous remplisse de toute joie et de toute paix dans la foi,pour que vous abondiez en espérance, par la puissance du Saint Esprit » (Romains 15, 13). « Nulle part ailleurs dans le monde des religions, Dieu n’est lié à l’espérance humaine de l’avenir… Un Dieu de l’espérance qui marche « devant nous », en nous précédant dans le déroulement de l’histoire, voilà qui est nouveau. On ne trouve cettenotion que dans le message de la Bible. C’est le Dieu de l’exode d’Israël… Cest le Dieu de la résurrection de Jésus-Christ.. De son avenir, Dieu vient à la rencontre des hommes et leur ouvre de nouveaux horizons qui débouchent sur l’inconnu et les invite à un commencement nouveau » (11).
Dans son livre : « L’Esprit qui donne la vie » (12), Jürgen Moltmann nous rappelle, à la suite de l’expression hébraïque : « Ruah Yahweh » que l’Esprit de Dieu est présent à la fois dans la création et dans la rédemption. Lorsqu’il écrit : « L’expérience de la puissance de la résurrection et la relation à la puissance divine ne conduisent pas à une spiritualité qui exclut les sens,qui est tournée vers l’intérieur, hostile au corps et séparée du monde, mais à une vitalité nouvelle de l’amour et de la vie « (12 a), il nous invite à une spiritualité engagée qui n’est pas en dissonance avec la perspective exprimée par Thomas d’Ansembourg.
A une époque où on prend conscience de plus en plus des interconnections et des interrelations dans un monde où tout se tient, Moltmann nous apporte une vision théologique en phase avec cette prise de conscience. « Si l’Esprit Saint est répandu sur toute la création, il fait de la communauté de toutes les créatures avec Dieu et entre elles, cette communauté de la création dans laquelle toutes les créatures communiquent, chacune à sa manière et avec Dieu… Tout existe, vit et se meut dans l’autre, l’un dans l’autre, l’un pour l’autre, dans les structures cosmiques de l’Esprit Saint.. L’essence de la création dans l’Esprit est, par conséquent, la « collaboration » et les structures manifestent la présence de l’Esprit, dans la mesure où elles font reconnaître l’ « accord général » « Au commencement était la relation » (M Buber » (13) . Cette vision nous paraît propice à la compréhension de la grande mutation dans laquelle le monde est engagé et elle nous rappelle la pensée de Thomas d’Ansembourg lorsque celui-ci s’écrie : « J’ai besoin de me sentir vivanr dans un monde vivant… Nous ne sommes pas tout seuls. Nous aimons nous sentir reliés à la vie, en nous, en l’autre, à quelque chose qui va largement au delà de nous.. Nous ne sommes pas dans la nature.. Nous sommes de la nature ».
Nous assistons aujourd’hui à une évolution profonde des mentalités. Malgré les obstacles hérités du passé (14), de nouvelles formes de convivialité émergent (15). Dans les différents registres de la vie sociale et économique, portés par internet, de nouveaux modes de collaboration apparaissent et se développent au point qu’on puisse déjà parler de « société collaborative » (16). L’aparté, recueilli par Michel de Kemmeter auprès de Thomas d’Ansembourg, s’inscrit dans la recherche qui se propose d’éclairer les changements en cours dans la société et dans l’économie pour baliser des voies nouvelles. Dans cette vidéo, Thomas d’Ausembourg s’inscrit dansle mouvement actuel où les gens ressentent le besoin d’une manière nouvelle d’être et de vivre, et, à partir de sa culture, de sa recherche et de son expérience, il nous invite à entrer dans une démarche spirituelle. Ce dialogue animé et chaleureux entre Thomas d’Ausembourg et Michel de Kemetterapportent des éclairages qui nous ouvrent à des compréhensions nouvelles. C’est une vidéosuggestive et éclairante qui nous invite à une réflexion en profondeur tant en rapport avec notre existence personnelle qu’avec notre vie en société.
#
J.H.
#
(1)On trouvera la biographie de Thomas Ausembourg sur son site : http://www.thomasdansembourg.com/fr/index.htmlIl nous y propose aussi des ressources. Au cours de la dezrnière décennie, Thomas d’Ausembourg a écrit trois livres qui ont été lus par une vaste audience : « Cessez d’être gentil. Soyez vrai » (2001) ; « Etre heureux. Ce n’est pas nécessairement confortable » ( 2004) : « Qui fuis-je ? Où cours-tu ? A quoi servons-nous ? Vers l’intériorité citoyenne » (2008).
(2)Aparté avec Thomas d’Ansembourg sur le développement humain et sociétal, recueilli par Michel de Kemmeter (Master in systemic economy. The systemic economy and you. UHDR Universe City) http://www.youtube.com/watch?v=X2Z_wzM9N2Q
(3)Itinéraire de Michel de Kemmeter sur Wikipedia : http://en.wikipedia.org/wiki/Michel_de_KemmeterIngénieur, consultant, Michel de Kemmeter est devenu chercheur, formateur, conférencier pour la prise en compte de la réalité humaine dans l’économie. Il a publié un livre sur « la valeur du temps (Ed Racine, 2006) . Il a créé un réseau de réflexion et de recherche sur le développement humain et sociétal (Universal human development and research (UHDR) Dans ce cadre, il a réalisé un ensemble d’interviews sur vidéo qui peuvent être consultées sur le web. C’est une ressource précieuse.
(4)Présentation du livre de Jean-Claude Guillebaud : « Une autre vie est possible ».Sur ce blog : « Quel avenir pour le monde et pour la France »https://vivreetesperer.com/?p=937
(5)Présentation du livre de Jacques Lecomte : « La bonté humaine. Altruisme, empathie, générosité ». Sur ce blog : « La bonté humaine. Est-ce possible ? » https://vivreetesperer.com/?p=674
(7)Présentation du livre de Frédéric Lenoir : « La guérison du monde ». Sur ce blog : « Un chemin de guérison pour l’humanité » https://vivreetesperer.com/?p=1048
(10)Présentation de la pensée théologique de Jürgen Moltmannsur le blog à l’intention d’un large public : « L’Esprit qui donne la vie » : http://www.lespritquidonnelavie.com/
(11)Moltmann (Jürgen). De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance. Empreinte, 2012. Citation p. 109. Présentation du livre sur ce blog : « une dynamique de vie et d’espérance » https://vivreetesperer.com/?p=572
(12)Moltmann (Jürgen). L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999. 12a : p. 27
(13)Moltmann (Jürgen). Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1988. Citation p. 24-25
(14)D’après les travaux de Yann Algan, la défiance est plus répandue en France que dans d’autres pays. Pourquoi ? Comment y remédier ?: « Promouvoir la confiance dans une société de défiance », sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=1306
(15)« Émergence d’espaces conviviaux et aspirations contemporaines. Troisième lieu (« Third place » et nouveaux modes de vie », sur le site de Témoins : http://www.temoins.com/index.php?option=com_content&view=article&id=1012&catid=4Comment envisager la montée de la convivialité et de la collaborativité dans une vision d’avenir ? la théologie de Jürgen Moltmann nous aide à répondre à cette question : « Une vision de la liberté. Comment vivre ensemble entre êtres humains », sur le blog : Vivre et espérer : https://vivreetesperer.com/?p=1343
(16)Deux livres récents viennent mettre en évidence le développement et la vitalité de cette nouvelle « société collaborative » : Novel (Anne-Sophie), Riot (Stéphane).Vive la corévolution ! Pour une société collaborative. Alternatives, 2012 ; Manier (Bénédicte). Un million de révolutions tranquilles. Les liens qui libèrent, 2012 . Sur RFI , « C’est pas du vent » animée par Anne-Cécile Bras, dimanche 23 juin 2013, une émission sur ce thème : « la vie Share. Le partage, c’est maintenant » : « Échanger nos biens, nos savoirs entre citoyens d’un même pays ou d’une même planète, le tout grâce à internet . La révolution collaborative, née il y a dix ans aux Etats-Unis, est en plein essor en Europe ».
Le livre de Ségolène Royal : « Cette belle idée du courage ».
Si elle attire enthousiasme ou contradiction, Ségolène Royal a effectué en France un parcours politique qui ne peut être ignoré (1). Dans cette entrée en matière, nous n’avons donc pas à le rappeler. A la suite d’autres livres qui ont ponctué son itinéraire politique, elle vient d’écrire un nouvel ouvrage : « Cette belle idée du courage » (2).
Pourquoi ce livre ?
Et elle nous dit pourquoi : « L’idée de ce livre est née de la question qu’on m’ont tant de fois posée des proches comme des inconnus, des militants et des citoyens, en France et hors de France. « Comment faites-vous pour continuer malgré tout ? » (p 13). Ce« malgré tout » nous rappelle les épreuves que Ségolène Royal a vécu au cours de ces dernières années : un déchirement dans sa vie privée et des déboires politiques qui se sont succédés, mais qui ne l’ont pas empêché de poursuivre son parcours comme présidente de la Région Poitou-Charentes (3), vice-présidente de l’Internationale Socialiste et aujourd’hui vice-présidente de la Banque publique d’investissement. Le titre même de son chapitre introductif est explicite : « Panser sesplaies et repartir ».
Oui, « pourquoi continuer ? » « La défaite est une violence dont on ne se relève pas par un déni… Accuser le coup n’oblige pas à en rester là. L’effet décapant d’une défaite peut éroder jusqu’aux raisons de se battre, ou, au contraire, les fortifier et aider à faire le tri entre l’essentiel et l’accessoire, permettre d’inscrire le moment douloureux dans une perspective plus large, en cherchant à faire primer le destin collectif sur la mésaventure personnelle et en regardant la part qui nous incombe (p 17).
Et, dans ce chemin, Ségolène Royal nous dit combien elle a été aidée par de grands témoins de pays divers et d’époques différentes. Elle s’est ainsi nourrie « de rencontres, de révoltes partagées et de combats menés » auxquels elle déclare « devoir une bonne part de l’endurance et de la persévérance dont on la crédite ». « Ce livre », nous dit-elle, « exprime une reconnaissance à l’égard des « passeurs de courage ». Leurs leçons sont universelles. Elles peuvent servir à d’autres qui pourront, je l’espère, y puiser, elles et eux aussi, des raisons de tenir bon face à l’adversité, car c’est ainsi qu’on se relève et qu’on avance » (p 18).
Les formes de courage sont multiples et elle en énumère quelques unes :
° « Le courage de dire non, cet acte inaugural dont tous les autre procèdent.
° Le courage de penser à rebours des conformismes ambiants.
° Le courage de vouloir la vérité et celui de briser, à ses risques et périls, les omertas tenaces.
° Le courage du quotidien aussi, le courage de tenir bon et de se tenir droit quand la vie est rude et nous malmène…
° Le courage de vaincre la peur.
° Le courage de se risquer sur des piste inédites et d’oser des réponses neuves » (p 18-19).
Quelles intentions ?
Dans une interview à « Femme actuelle » (4), Ségolène Royal nous éclaire sur ses intentions.
Oui, elle a choisi des « personnes capables d’agir et de se mettre en harmonie entre leur comportement et la recherche d’un idéal.
Et, quand on lui demande pourquoi elle apparaît « si sereine, presque hilare, les yeux fermés » sur la photo qui illustre la couverture, elle répond : « J’ai voulu un livre profond, mais aussi plein d’espoir et de gaîté. En effet, on ne peut qu’être frappé par un point commun, à ces différents portraits que je propose, cette capacité à être joyeux malgré des épreuves très fortes, Que ce soit Nelson Mandela, Louise Michel ou Stéphane Hessel etc, ils ont conservé malgré de terribles épreuves, cette aptitude au bonheur, cette capacité à capter la sensibilité des gens,à se régaler d’un paysage, d’une musique, d’un moment de paix. Ils y puisent aussi leurs forces.
Quels sont ses espoirs ? « Mon espoir, c’est que justement les gens retrouvent de l’espoir et ne cèdent pas au découragement. Le livre n’est pas une projection personnelle. C’est la transmission deleçons de vie enthousiasmantes ».
Ainsi, dans le climat de morosité qui est si répandu aujourd’hui, Ségolène Royal nous offre un livre qui transmet une expérience de vie positive et qui témoigne de valeurs.
Une vision politique.
Ségolène Royal nous présente ainsi une galerie de portraits. Ces personnalités sont certes exemplaires par leur courage, mais le choix qui en est fait, témoigne également d’une vision politique.
Dans cette période où l’unification du mode s’accélère, dans quelle mesure la France est-elle capable d’entrer pleinement dans ce mouvement ? Manifestement, ici, la vision est résolument internationale. La plupart des chapitres témoignent de cet horizon ; Des personnalités d’autres pays, d’autres continents : Nelson Mandela, Dilma Rousseff, Franklin Roosevelt y rayonnent, mais aussi les personnalités françaises citées sont, pour la plupart, très impliquées, à un titre ou un autre, dans la vie internationale. Jaurès n’est pas seulement un grand républicain engagé dans les luttes sociales, il est aussi l’homme de la paix, assassiné parce qu’il a lutté de toutes ses forces contre la guerre de 1914-1918 qui va plonger l’Europe dans le malheur et le chaos. François Mitterrand peut être rangé dans les constructeurs de l’Europe. Aimé Césaire, StéphaneHessel, Sœur Emmanuel sont des acteurs à l’échelle internationale.
Le choix des personnalités témoigne également de leur engagement dans un mouvement qui, dans différents domaines, œuvre pour une libération, pour la reconnaissance de la dignité humaine et de la justice.
Un premier aspect est la lutte contre ce qui a été l’esclavage et ladomination vis-à-vis des peuples d’autres couleurs : Nelson Mandela, André Césaire, Olympe de Gouges, Lincoln.
Un deuxième aspect est la lutte pour la justice sociale couplée éventuellement avec une politique économique orientée dans le même sens : Lula, Dilma Rousseff, Franklin D Roosevelt, François Mitterrand, Jaurès. Et puis, il y a les actions menées par les ouvriersd’Heuliez et les ouvrières de la confection,avec le soutien de la présidente de la Région Poitou-Charentes.
Enfin, la présence des femmes en politique et la lutte pour la reconnaissance de la place et de la dignité de la femme dans notre société est fortement représentées comme il se doit quand on pense à l’itinéraire de Ségolène Royal , très consciente des oppositions qu’elle a, elle-même, rencontrées : Leyla Zana, Dilma Rousseff, Sœur Emmanuel, Louise Michel, Olympe de Gouges, Jeanne d’Arc,Ariane Mnouchkine.
Cette action politique est fondée sur des valeurs explicitées et assumées qui proclament la dignité et le respect de l’être humain dans toutes ses dimensions, à la fois personnelle et sociale. L’homme n’est pas un moyen, mais une fin. Il a droit à la considération,à la justice. Au Brésil, Lula émet un slogan : « Lula, paix et amour » (p 63). En Afrique du Sud, Nelson Mandela remportant la victoire après trente ans de pénible détention, ne cède pas à l’esprit de vengeance. « Il ose l’espoir d’un pays fraternel. Il y engage tout son prestige moral et tout son poids politique, tout son pouvoir de conviction » (p 27). « Etre libre », écrit-il, « ce n’est pas seulement se débarrasser de ses chaînes.C’est vivre d’une façon qui respecte et renforce la liberté des autres » (p 21). Dans une dynamique de vie, il y a le geste de pardon. Affreusement torturée pendant la période de la dictature militaire, des années plus tard, lorsqu’elle accède à la présidence du Brésil, Dilma Rousseff écrit : « J’ai enduré les souffrances les plus extrêmes. Je ne garde aucun regret, aucune rancune ». Voilà un état d’esprit qui fait contraste avec l’engrenage de la vengeance et de la mort qui caractérise d’autres épisodes de l’histoire. Ce respect porté à l’être humain est une exigence qui s’inscrit dans la vie quotidienne. Comme Ministre de l’enseignement scolaire, Ségolène Royal a eu le courage d’engager la lutte contre le bizutage, une pratique dégradante implantée dans de nombreux établissements ou les bas instincts trouvaient à se manifester avec la complicité active ou passive des autorités. Face aux préjugés, aux habitudes, aux traditions, on imagine les résistances auxquelles Ségolène Royal s’est heurtée. Ainsi consacre-t-elle un chapitre à l’audience de la Cour de justice de la République, le 15 mai 2000, qui l’a lavée d’une accusation calomnieuse (p 281-304). Oui, déterminée, elle l’a été face à « des rituels répugnants d’avilissement et de domination infligés à des jeunes sous les prétextes fallacieux de la tradition et de l’intégration au groupe » (p 285).
Finalement, cette lutte partout engagée pour la libération des êtres humains par rapport au mal qui leur est infligé par des structures et des forces sociales dominatrices, trouve son fondement dans un sens de la justicequi, lui-même, s’enracine dans une capacitéd’empathie, dans une capacité d’amour. La conclusion du chapitre sur Jaurès nous le dit excellemment : « Jaurès était un ami du peuple, sincère, sans postures ni facilités. Les gens, les pauvres gens l’aimaient, car ils le sentaient du côté de ceux qui souffrent. Personne ne l’a mieux dit que Jacques Brel :
« Ils étaient usés à quinze ans
Ils finissaient en débutant
Les douze mois s’appelaient décembre
Quelle vie ont eue nos grands-parents…
Ils étaient vieux avant que d’être
Quinze heures par jour, le corps en laisse
Laissent au visage un teint de cendre.
Oui, notre monsieur, notre bon maître
Pourquoi ont-ils tué Jaurès ? » (p 192).
La France en chemin
Ce livre ne traite pas de la conjoncture politique actuelle en France. Il témoigne d’un état d’esprit qui a pris de la hauteur en se situant dans la durée et dans le vaste espace du monde. La seule référence à des actions présentes concerne les luttes pour l’emploi entreprises par les ouvriers et les ouvrières d’Heuliez et d’Aubade en Poitou, soutenues par Ségolène Royal, présidente de la région. Mais celle-ci n’a pas oublié tous ceux qui l’ont accompagnée dans son itinéraire politique et particulièrement dans la campagne présidentielle de 2007. « Merci à toutes et à tous, correspondants amicaux, épistoliers fraternels. Ensemble, osons le courage. Voici l’urgence du temps présent… » (p 305-310).
Dans le cadre de ce blog, nous n’entrons pas dans les péripéties politiques. Comme dans ce livre, notre regard se porte sur les fondements et cherche à s’inscrire dans la durée. Mais il y a une relation profonde entre ressenti et compréhension. Et c’est pourquoi nous ne pouvons pas passer sous silence la manière dont nous avons vécu la campagne présidentielle de 2007. Des expressions comme « ordre juste, démocratie participative, intelligence collective, politique par la preuve… » continuent aujourd’hui à nous inspirer. L’appellation donnée à l’association qui a soutenu Ségolène Royal : « Désirs d’avenir » (5) a été pour nous extrêmement évocatrice. En effet, elle exprime bien ce qui monte dans les consciences, une aspiration à un avenir meilleur. Ce n’est pas une idéologie qui descend d’en haut, c’est une parole qui naît en chacun.Et, de surcroît, cette approche a su s’appuyer sur les sciences humaines pour prendre en compte la réalité (6). Ainsi, nous avons perçu dans cette campagne un enthousiasme qui répondait à la capacité d’empathie de la candidate. Ce n’est pas un hasard si les quartiers populaires, où les cultures du Sud sont bien représentées, ont voté pour elle en masse. La fraternité, la convivialité,des réalités humaines dont la France a bien besoin, s’éveillaient et devenaient tangibles. Des amis chers ont pu s’inquiéter de cette veine émotionnelle et s’en détourner, mais il y avait là une dynamique qui ne peut être oubliée. On pourrait formuler l’appel qui a été formulé à cette époque dans les termes suivants : Français, entrons ensemble dans le monde d’aujourd’hui dans un esprit de solidarité et de justice. Ségolène Royal regarde vers l’avenir, hors des réflexes sécuritaires.Les avant-gardes ne sont pas toujours bien reçues, mais, dans la durée, la culture nouvelle parvient à se frayer un chemin.
Des sociologues, des économistes nous appellent aujourd’hui à prendre conscience d’un héritage du passé qui handicape notre pays. Michel Crozier a écrit autrefois un livre sur « La sociétébloquée » (7). Aujourd’hui, un économiste Yann Algan nous avertit en publiant un livre : « La fabrique de la défiance » (8). Il y a dans notre histoire et la manière dont elle pèse encore sur nos institutions, en particulier le système scolaire, une empreinte de hiérarchisation et d’uniformité. Les enquêtes internationales montrent combien la France est en retard en terme de confiance. Bien sûr, ce n’est pas une fatalité. Et c’est là que le message de ce livre peut exercer une influence. Car une vision originale contribue à modifier et à réorienter les représentations. Et il est possible d’agir à différents niveaux. En une décennie, grâce à des dirigeants hors pair, le Brésil est sorti du sous-développement pour entrer dans le concert des pays économiquement dynamiques. Et dans un plus lointain passé, Franklin D. Roosevelt, malgré un grave handicap physique, a permis aux Etats-Unis de faire face à une grande crise. Ces exemples témoignent de l’impact du politique. Ce livre porte une dynamique.
Un idéal de vie
Si ce livre s’applique surtout à l’expression du courage dans la vie publique, il n’oublie pas les épreuves de la vie privée : « Je comprends le courage qu’il faut pour surmonter les accidents de la vie, cette impression douloureuse d’amputation dans les ruptures affectives, la cassure due à la perte d’emploi ou encore ce sentiment de diminution sans retour causé par la maladie ou le décès d’un être cher, un toboggan sans fin. Tout cela appelle une résilience, une force à aller chercher pour repartir ». « Se sentir « haï par la vie sans haïr à son tour », continuer à « lutter et se défendre » sans devenir « sceptique ou destructeur » pour reprendre Rudyard Kipling (dont le texte : « Tu seras un homme, mon fils » est présenté en introduction) et, sans dire un seul mot, se mettre à rebâtir », si un peu de tout cela est transmis au lecteur qui souffre, alors cet ouvrage n’aura pas été inutile » (p 14-15).
Pour Ségolène Royal, le courage trouve son inspiration dans la participation à un mouvement qui nous dépasse. Elle l’exprime en ces termes : « Réussir sa vie d’homme ou de femme n’est pas le but ultime, il y a des idéaux qui nous transcendent, des luttes qu’on se doit de mener en mémoire de ceux qui crurent. Il faut avoir confiance dans l’homme, et ne pas le croire seulement rationnel, calculateur, court-termiste, car nous avons un labeur qui n’attend pas : le progrès, solidaire et fraternel de tous » (p 192).
Chez Ségolène Royal, cette conscience est si affirmée que les sacrifices consentis dans cette marche ne s’accompagnent pas d’une expression de tristesse, de mélancolie. Et, dans les personnalités qu’elle décrit, elle met l’accent sur leur goût de vivre et leur bonheur d’être. Quelque part, il y a tout au long de ce livre une forme de joie. Rappelons son interview à « Femme actuelle » : « On ne peut qu’être frappé par un point commun à ces différents portraits que je propose, cette capacité à être joyeux malgré des épreuves très fortes ».
Et, dans bien des cas, cette ouverture s’accompagne de bonté envers les autres. Ainsi, Nelson Mandela, depuis sa prison, écrit en 1981 : « C’est une vertu précieuse que de rendre les hommes heureux et de leur faire oublier leurs soucis ». Et ce conseil à retenir : « Prenez sur vous, ou que vous viviez, de donner de la joie et de l’espoir autourde vous » (p 29).
En chemin
Il y a dans ce livre, un souffle, un mouvement. C’est un ouvrage qui dissipe le pessimisme, un livre tonique. A cet égard, on peut le comparer au livre de Jean-Claude Guillebaud : « Une autre vie estpossible » (9). Les genres sont différents.Mais, dans les deux cas, le lecteur est appelé à aller de l’avant. Dans son livre, Jean-Claude Guillebaud analyse les origines du pessimisme actuel. Et, à juste titre, il évoque les grands massacres qui ont accompagné les deux grandes guerres du XXè siècle. L’histoire nous rappelle ainsi de temps à autre la fragilité de la société humaine.
En s’adressant à un vaste public, Ségolène Royal s’exprime sur un registre de parole qu’elle souhaite pouvoir être reçu par tous les lecteurs. Elle prend même des précautions puisque, lorsqu’elle parle de Jeanne d’Arc, elle écrit sur le ton de l’humour : « Moi, je n’ai pas le droit de vous parler de Jeanne d’Arc, car, si je le fais, je sais bien qu’aussitôt on parlera de « religiosité », de « foi », d’évangélisme »… Ségolène Royal nous invite au courage. Quand on sait les épreuves qu’elle a affrontées, on reçoit ses paroles avec humilité. Oui, ce sont là des paroles authentiques. Elle peut nous parler sur le registre de l’expérience, et ce qu’elle dit, porte. Chacun donc reçoit son message selon son itinéraire et en fonction de son cheminement. Pour nous, si nous recevons pleinement cette expérience communicative, nos questionnements nous appellent à aller plus loin dans la recherche de sens.
Sur ce blog, dans une contribution : « les malheurs de l’histoire. Mort et résurrection » (10), un poème exprime ces interrogations.
« O, temps de l’avenir, brillante cité terrestre
A quoi te servirait-il que nous te connaissions
Si nos yeux devaient à jamais mourir
Et dans les cimetières, nos corps pourrir…
A quoi serviraient-ils les lendemains qui chantent
Si tous nos cimetières recouvraient la terre… »
Ainsi, pour nous, le courage, pour s’exercer sereinement a besoin de s’ancrer dans un espoir, dans une espérance. Il a besoin de s’inscrire dans la conviction que la mort n’a pas le dernier mot, c’est à dire l’anéantissement des êtres et des collectivités humaines, et qu’il y a,par delà, une réussite ultime de la vie.
Dans de grands tourments, c’est plus que de courage que nous avons besoin, mais de confiance, comme l’écrit Odile Hassenforder dans son histoire de vie (11). Jürgen Moltmann, un théologien auquel nous avons souvent recours sur ce blog inscrit sa réflexion sur la dynamique de la libération dans une théologie de l’espérance, la vision d’une nouvelle création qui se prépare dans l’œuvre du Christ ressuscité et le souffle de l’Esprit (12). Ce n’est plus une religion statique qui s’adresse aux seuls individus et légitime un statu-quo social et politique. C’est une dynamique de vie et d’espérance qui concerne tout l’homme et tous les hommes et qui nous inspire en nous permettant d’aller « De commencements en recommencements » (13).
En confiant ainsi au lecteur ce cheminement de pensée, nous apportons notre contribution personnelle à la réflexion sur la vie et sur l’humanité, ou plutôt pour la vie et pour l’humanité à laquelle Ségolène Royal nous convie dans son beau livre sur le courage. Oui, il y a dans cet ouvrage, un souffle, une dynamique de vie pour la vie. Elle nous appelle à persévérer, à poursuivre notre action « dans des idéaux qui nous transcendent », et plus simplement dans cette empathie, cet amour en acte qui transparaît dans son message et qu’elle évoque si bien lorsqu’elle nous fait entrer dans la vie de personnalités comme Nelson Mandela, Louise Michel ou Jaurès. Avec Ségolène Royal, écoutons ces « passeurs de courage » qui sont aussi des « passeurs d’énergie ».
JH
(1)On pourra s’informer sur le parcours politique de Ségolène Royal dans un article sur Wikipedia . Ce texte bien documenté nous montre l’ampleur et la fécondité de son parcours, tout en mentionnant les critiques et les reproches qui ont pu être exprimés vis-à-vis de cette personnalité. Une information récente montre que la rédaction de cet article cristallise les tensionsentre partisans et adversaires. http://fr.wikipedia.org/wiki/Ségolène_Royal
(2)Royal (Ségolène). Cette belle idée du courage. Grasset, 2013.
(3)Présidente de la Région Poitou-Charentes, Ségolène Royal y a entrepris une action innovante dans de nombreux domaines, notamment la politique écologique et la transition énergétique. http://www.presidente.poitou-charentes.fr/
(6)Ainsi a-t-elle dialogué avec de grands chercheurs comme Edgar Morin et Alain Touraine. Elle a même écrit un livre avec ce dernier : Royal (Ségolène), Touraine (Alain). Si la gauche veut des idées. Grasset, 2008
(7)Michel Crozier est l’auteur d’une œuvre sociologique particulièrement éclairante pour comprendre la société française : http://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_CrozierOn pourra lire notamment: Crozier (Michel) ; la société bloquée. Le Seuil, 1971
(8)Algan (Yann), Cahuc (Pierre), Zylbergerg (André). La fabrique de la défiance, Grasset, 2012. Voir sur ce blog une mise en perspective : « Promouvoir la confiance dans unesociété de défiance » https://vivreetesperer.com/?p=1306
(9)Guillebaud (Jean-Claude). Une autre vie est possible.Comment retrouver l’espérance ? L’iconoclaste, 2012. Voir sur ce blog une mise en perspective : « Quel avenir pour la France et pour le monde ? » https://vivreetesperer.com/?p=937
(12)Un blog : « L’Esprit qui donne la vie » est destiné à faire connaître la pensée de Jürgen Moltmann aux lecteurs francophone. http://www.lespritquidonnelavie.com/On y trouvera notamment une mise en perspective de son livre de synthèse : Moltmann (Jürgen.) Sun of rightneousness. Arise ! God’s future for humanity and earth. Fortress Press, 2010 : « L’avenir de Dieu pour l’humanité et la terre » http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=798 . Une réflexion sur notre rôle dans l’histoire : « En marche. Dans le chemin de l’histoire, un processus de résurrection » http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=848