Vivant dans un monde vivant

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Changer intérieurement pour vivre en collaboration.

Aparté avec Thomas d’Ansembourg recueilli par Michel de Kemmeter.

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         Dans la vie sociale et économique, nous ressentons la requête d’une plus grande collaboration entre les acteurs, entre les personnes. Mais cette requête elle-même appelle un changement dans nos attitudes et nos comportements, une transformation personnelle. Thomas d’Ansembourg est bien placé pour nous répondre. En effet, à partir d’une carrière d’avocat et, parallèlement, d’un engagement éducatif auprès de jeunes dans la rue. Il a choisi une nouvelle orientation en se formant à différentes approches psychothérapeutiques et particulièrement à la méthode de communication non violente. Il est devenu psychothérapeute, conférencier, animateur de sessions de formation. Au cours des dernières années, il a écrit trois livres qui ont été appréciés par une vaste audience (1).  Dans une récente vidéo (2), Thomas d’Ansembourg répond aux questions de Michel de Kemmeter, ingénieur et consultant engagé lui aussi dans une œuvre de recherche et de formation pour « un développement durable de l’humain (3).

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Une vie en transformation.

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« J’ai besoin de me sentir vivant dans un monde vivant ».

         Comment Thomas d’Ansembourg envisage-t-il son travail ?  Il « accompagne les personnes à travers les méandres de l’existence pour trouver plus de sens et de paix intérieure parce que c’est dans cet esprit qu’on est généreux et qu’on est créatif ». Et il rencontre une grande aspiration. « De plus en plus de personnes réalisent qu’ils ont besoin  de se sentir vivant dans un monde vivant, que c’est là l’essence de l’existence . J’ai besoin de me sentir vivant dans un monde vivant. La notion d’appartenance est fondamentale. Nous ne sommes pas tout seul. Nous aimons nous sentir reliés à la vie en nous, à la vie en l’autre, à quelque chose qui va très largement au delà de nous, que les religions appellent Dieu, mais que l’on peut appeler la vie, la présence, l’amour ».

 

         Une conscience nouvelle apparaît . La vision s’élargit. On ne se satisfait plus de vivre dans son petit monde à soi ». « Ce n’est pas comme cela qu’on est heureux. Nous serons heureux dans des rapports de collaboration, de synergie, de cocréation, dans le partage,dans la solidarité ».  Ce qui nous était enseigné autrefois comme une morale en terme d’obligations venant de l’extérieur apparaît de plus en plus comme une aspiration à une nouvelle manière d’être et de vivre. On recherche « les ingrédients, les clefs d’un bien-être ensemble ». « C’est à vivre de l’intérieur. C’est à instaurer ».

         Ainsi des vies se transforment. Thomas d’Ansembourg a vécu cette transformation. Déjà, parallèlement à une première carrière, celle d’avocat, il s’était engagé dans un engagement éducatif bénévole

auprès de jeunes de la rue. « je me suis vite rendu compte que, derrière la violence sur les autres, sur les choses, sur les gens, la violence retournée contre soi, il y a un magnifique élan de vie, l’élan d’appartenir, d’avoir sa place, l’élan de trouver un soutien, d’être utile, de faire quelque chose de sa vie. Quand cet élan est bridé, est empêché, alors la violence s’instaure. Aider les gens à trouver leur élan de vie, à déployer le meilleur d’eux-mêmes, cela a fait sens pour moi ». Cette aspiration au partage se manifeste dans des milieux différents et, par exemple, chez certains chefs d’entreprises qui souffrent de leur isolement. Ils ont besoin de vision partagée,de direction collégiale.

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Vivre pleinement. Accepter d’être heureux.

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« Nous avons à démanteler l’interdit d’être heureux »

         Il y a donc actuellement une évolution profonde dans les aspirations. C’est un enjeu d’ordre psycho-spirituel ». Cependant,face à ce mouvement, il y a aussi des résistances. Thomas d’Ansembourg diagnostique un empêchement dans une crainte intérieure, celle d’être heureux. « Être heureux est ressenti comme une menace ». Il y a comme « un sabotage de la capacité d’accès au bonheur ». « C’est le travail sur moi, notamment psychothérapeutique, qui m’a permis  de comprendre mon propre mécanisme d’auto-sabotage ».

         Thomas d’Ansembourg évoque l’expression : « On est pas là pour rigoler ». Il faut nous défaire de cette pensée. « Cette petite phrase, nous l’avons connu avec le lait maternel et, en tout cas, la culture ambiante.. il faut se battre dans la vie..La vie est une lutte. On a ce qu’on mérite..  Tous ces petits conditionnements génèrent inévitablement l’idée que la vie est un combat… » . Et ce qu’on voit à la télévision nous conforte dans ce sens. « Nous avons à démanteler l’interdit d’être heureux ». On est là pour rigoler ou plus largement, « On est là pour s’enchanter, pour s’émerveiller, pour goûter la jubilation du vivant ». C’est cela qui fait sens. On peut évoquer des joies collectives : une table d’amis, une fête.. « Nous sommes là pour goûter le plaisir d’être en vie. Et, à ce moment là, je n’ai plus le désir d’accaparer des richesses ».

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Un changement collectif. Une mutation en cours.

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« L’utopie n’est pas un égarement. C’est tendre vers un autre lieu ».

         Dans son dialogue avec Thomas d’Ansembourg, Michel de Kemmeter inscrit ces questions dans le va et vient entre le personnel et le collectif . Comment notre société évolue-t-elle ? Vers où va-t-on ? Ainsi passe-t-on actuellement de l’économie de nos parents centré sur l’accumulation et la croissance à une économie que nous imaginons plus collaborative et porteuse davantage de progrès humain. Si le changement commence par soi, comment est-ce que cela débouche sur le plan collectif ?

         La réponse de Thomas d’Ansembourg s’ouvre dans deux directions . Et tout d’abord, il envisage « un effet de masse critique, une bascule de la conscience, un effet d’entraînement ». Et, à l’appui de cette perspective, il évoque de nombreux exemples. Les gens d’aujourd’hui, et particulièrement les jeunes,  se familiarisent  plus rapidement qu’autrefois avec de nouvelles pratiques. La « Learning curve », le temps passé pour apprendre une chose nouvelle se raccourcit d’année en année. « Nous pouvons espérer cela pour le phénomène d’ouverture de cœur ».

         Et ensuite, pour favoriser le changement, il faut faire connaître la vision nouvelle qui est en train de se développer. Nous ne sommes pas sur terre pour être limités et dépressifs, mais pour « un joyeux déploiement de notre être dans une cohabitation heureuse avec les autres » . Et il est urgent de faire savoir qu’il existe des processus, des mécanismes, des apprentissages pour entrer dans cette nouvelle manière de voir et de sentir. Ainsi, face aux conditionnements individuels et collectifs, on peut envisager « une nouvelle façon d’être au monde ». « L’utopie n’est pas un égarement, c’est tendre vers un autre lieu ».

         En dialogue avec Michel de Kemetter, Thomas d’Ansembourg nous invite à oser en réalisant que nous ne sommes pas seul. Ainsi, à la suite de ses conférences, beaucoup de gens viennent le voir en lui disant : « Vous mettez des mots sur ce que je ressens ». Thomas d’Ansembourg a beaucoup travaillé sur la gestion non violente des conflits. Il cherche à promouvoir une communication non violente. Pour lui, pas de doute ! Elle va entrer progressivement dans les apprentissages fondamentaux. « C’est la réalité de demain ». Pouvait-on imaginer, il y a vingt cinq ans, la généralisation du téléphone portable ? « Toute la réalité d’aujourd’hui correspond au rêve d’hier ».

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Inspiration spirituelle et « intériorité citoyenne ».

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« Ouvrons un espace d’intériorité dans lequel « le souffle » puisse souffler »

         Face aux conditionnements actuels, le changement est contrarié par notre peur : « Peur de sortir des sentiers battus, peur d’entreprendre, peur de lâcher quelque chose ». Toute notre société est conditionnée par la peur. Comment faire bouger cela ? Quels sont les leviers ? demande Michel de Kemmeter.

          La réponse de Thomas d’Ansembourg entre ici sur le registre spirituel. « Pour moi, c’est le travail d’intériorité et d’ouverture spirituelle ». « Toute la peur vient dans la croyance que nous avons et sur l’illusion que nous sommes seul et que nous devons lutter pour défendre notre petite posture. Nous ne sommes pas tout seul. Ne serait-ce que génétiquement ! Nous ne sommes pas dans la nature. Nous sommes de la nature… ».

         Prenons « conscience de ce quelque chose qui va au delà de nous en ouvrant un espace d’intériorité, un espace de ressourcement dans lequel le souffle puisse souffler ».  Chacun mettra le mot qu’il veut sur le mot « souffle » : discernement de la conscience au sens laïc, de la grâce ou de l’esprit comme le proposent certaines religions, de la présence.. Puisons dans cet être ce qui semble effectivement nous inspirer, nous parler quelque soient les mots qu’on emploie. Nous avons là une ressource extraordinaire pour nous transformer dès que nos déployons cet espace intérieur ».

         Et dans cette perspective, il nous faut élargir notre culture. « Quittons la tentative évidemment désespérée de tout comprendre mentalement et de tout gérer mentalement La petite intelligence logico-mathématique qui nous a si bien servi, n’est pas le seul canal d’appréhension et de transformation du monde. Il est urgent de découvrir d’autres canaux ». Et il y a plus que les huit formes d’intelligence qui ont été récemment reconnues. « Je vois des transformations extraordinaires chez ceux qui entrent dans cet espace intérieur, qui acceptent de laisser à sa place, à sa juste place, la compréhension intellectuelle, mentale, logique, et entrent dans des compréhensions plus subtiles dans lesquelles le souffle peut s’instaurer ».

         « J’encourage profondément à un travail d’ouverture spirituelle qui peut se vivre de façon religieuse pour ceux qui trouvent un soutien dans la religion, mais qui peut, bien, sûr, se vivre dans bien d’autres formes. On parle de plus en plus de spiritualité laïque. Et je pense que cette notion peut encourager les gens qui n’ont pas trouvé de sens dans une pratique religieuse à retrouver un cheminement spirituel en sorte de pouvoir sentir ce soutien, cette inspiration… Je pense que c’est cela qui peut nous aider à transformer notre vie et à quitter la peur : sentir que nous sommes inspirés, que nous sommes portés, que nous sommes soutenus… ». Si je veux être en phase avec cet élan de vie, alors ma vie se transforme.

         Thomas d’Ansembourg a fait cette expérience. Et pour lui, ce message a une portée qui est à la fois individuelle et collective. Et c’est pour cela qu’il a créé le terme d’ « intériorité citoyenne ». Car « un citoyen pacifié est un citoyen pacifiant » . La vie intérieure n’est pas déconnectée de l’action comme les exemples de Gandhi et de Mandela nous le montrent. En réponse à Michel de Kemetter,Thomas d’Ansembourg nous dit comment il intervient aujourd’hui pour permettre à cette expérience de se propager dans la vie des entreprises et dans les écoles qui forment les jeunes cadres. Peu à peu, cette vision commence à se répandre .

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Un nouvel horizon.

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         La vision et l’œuvre de Thomas d’Ansembourg s’inscrivent dan une société et une culture en mutation. C’est dans ce contexte qu’il peut exprimer une dynamique qui envisage le potentiel humain dans une perspective positive, voire optimiste. Ainsi affirme-t-il une nouvelle manière d’être et de vivre qui exprime le bonheur dans un mouvement de générosité. « Nous sommes là pour goûter le plaisir de la vie ».

         En entendant ces paroles dans une perspective historique, on a conscience qu’elles tranchent avec le pessimisme hérités de millénaires au cours desquels l’humanité a lutté pour survivre face aux famines, aux épidémies , aux massacres, aux guerres meurtrières.  Cette mémoire douloureuse s’est inscrite dans un état d’esprit. Elle a influé sur la tradition religieuse. Les empêchements qui font obstacles aujourd’hui à une nouvelle manière de vivre ne sont donc pas seulement psychologiques. Ils remontent à un passé collectif. Et, aujourd’hui encore, selon notre situation sociale ou géographique, nous sommes plus ou moins confrontés à des maux collectifs qui viennent assombrir notre horizon.

         C’est dire que l’option, non seulement déclarée, mais aussi expérimentée par Thomas d’Ansembourg, tire sa légitimité non seulement d’une expérience positive, mais aussi d’un climat nouveau qui résulte d’un changement en profondeur de notre société, de notre économie et de notre culture et ouvre de nouveaux possibles . Ce changement a commencé dans un tournant qui est apparu au XVIIIè siècle. On a pu dire que c’est le moment  où le bonheur est apparu comme « une idée neuve en Europe ». Et la Constitution américaine  a donné droit à « la poursuite du bonheur ». Cette évolution s’est poursuivie et elle s’est accélérée au cours des dernières décennies. Nous sommes entrés aujourd’hui dans une mutation sociale et culturelle qui n’est pas sans risques, mais qui est aussi très prometteuse.

         Conscient des dangers et des menaces , c’est en regardant le positif qu’on peut aller de l’avant. Dans son livre : « Une autre vie est possible » (4), Jean-Claude Guillebaud réfute le pessimisme systématique et nous invite au mouvement dans l’espérance. On peut percevoir aujourd’hui dans les mentalités une évolution qui rompt avec les séquelles du passé et se traduit dans des comportements nouveaux. Ainsi, le livre de Jacques Lecomte sur « la bonté humaine »  (5) fonde « une psychologie positive ».  Jérémie Rifkin, dans une belle fresque historique, met en évidence une montée de l’empathie (6). Au titre de la spiritualité, dans son livre sur « la guérison du monde » (7). Frédéric Lenoir apporte une contribution très informée dans la même orientation.  En particulier, il met en évidence un phénomène récent : une conjonction croissante entre la spiritualité personnelle et l’engagement dans le monde. La notion d’ « intériorité citoyenne » mise en avant par Thomas d’Ansembourg s’inscrit dans cette conjonction. 

         Thomas d’Ansembourg invite les acteurs dans la société et l’économie à entrer dans une ouverture spirituelle. A cet égard, il rejette les exclusivismes et les querelles de chapelle. Il y a aujourd’hui  une aspiration profonde en ce domaine. Ainsi, sur ce blog, Jean-Claude Schwab met en évidence un besoin d’ancrage et propose une approche chrétienne de méditation (8).

         Si le christianisme a été marqué par un héritage du passé aujourd’hui contre productif, il a aussi souffert de la confusion avec le pouvoir impérial romain intervenu sous Constantin.  Auparavant,le message de l’Evangile avait porté, pendant des décennies, paix, libération, guérison. Les chrétiens étaient « le peuple de la Voie » (« The people of the way » (9).

         Cependant, malgré les détournements intervenus au cours des siècles, nous croyons, avec le théologien Jürgen Moltmann (10) que le christianisme se caractérise par une dynamique d’espérance : « Que le Dieu de l’espérance vous remplisse de toute joie et de toute paix dans la foi,pour que vous abondiez en espérance, par la puissance du Saint Esprit » (Romains 15, 13). « Nulle part ailleurs dans le monde des religions, Dieu n’est lié à l’espérance humaine de l’avenir… Un Dieu de l’espérance qui marche « devant nous », en nous précédant dans le déroulement de l’histoire, voilà qui est nouveau. On ne trouve cette  notion que dans le message de la Bible. C’est le Dieu de l’exode d’Israël… Cest le Dieu de la résurrection de Jésus-Christ.. De son avenir, Dieu vient à la rencontre des hommes et leur ouvre de nouveaux horizons qui débouchent sur l’inconnu et les invite à un commencement nouveau » (11).

         Dans son livre : « L’Esprit qui donne la vie » (12), Jürgen Moltmann nous rappelle, à la suite de l’expression hébraïque : « Ruah Yahweh » que l’Esprit de Dieu est présent à la fois dans la création et dans la rédemption. Lorsqu’il écrit : « L’expérience de la puissance de la résurrection et la relation à la puissance divine ne conduisent pas à une spiritualité qui exclut les sens,  qui est tournée vers l’intérieur, hostile au corps et séparée du monde, mais à une vitalité nouvelle de l’amour et de la vie « (12 a), il nous invite à une spiritualité engagée qui n’est pas en dissonance avec la perspective exprimée par Thomas d’Ansembourg.

         A une époque où on prend conscience de plus en plus des interconnections et des interrelations dans un monde où tout se tient, Moltmann nous apporte une vision théologique en phase avec cette prise de conscience. « Si l’Esprit Saint est répandu sur toute la création, il fait de la communauté de toutes les créatures avec Dieu et entre elles, cette communauté de la création dans laquelle toutes les créatures communiquent, chacune à sa manière et avec Dieu… Tout existe, vit et se meut dans l’autre, l’un dans l’autre, l’un pour l’autre, dans les structures cosmiques de l’Esprit Saint.. L’essence de la création dans l’Esprit est, par conséquent, la « collaboration » et les structures manifestent la présence de l’Esprit, dans la mesure où elles font reconnaître l’ « accord général »  « Au commencement était la relation » (M Buber » (13) . Cette vision nous paraît propice à la compréhension de la grande mutation dans laquelle le monde est engagé et elle nous rappelle la pensée de Thomas d’Ansembourg lorsque celui-ci s’écrie : « J’ai besoin de me sentir vivanr dans un monde vivant… Nous ne sommes pas tout seuls. Nous aimons nous sentir reliés à la vie, en nous, en l’autre, à quelque chose qui va largement au delà de nous.. Nous ne sommes pas dans la nature.. Nous sommes de la nature ».

         Nous assistons aujourd’hui à une évolution profonde des mentalités. Malgré les obstacles hérités du passé (14), de nouvelles formes de convivialité émergent (15). Dans les différents registres de la vie sociale et économique, portés par internet, de nouveaux modes de collaboration apparaissent et se développent au point qu’on puisse déjà parler de « société collaborative » (16). L’aparté, recueilli par Michel de Kemmeter auprès de Thomas d’Ansembourg, s’inscrit dans la recherche qui se propose d’éclairer les changements en cours dans la société et dans l’économie pour baliser des voies nouvelles. Dans cette vidéo, Thomas d’Ausembourg s’inscrit dans  le mouvement actuel où les gens ressentent le besoin d’une manière nouvelle d’être et de vivre, et, à partir de sa culture, de sa recherche et de son expérience, il nous invite à entrer dans une démarche spirituelle. Ce dialogue animé et chaleureux entre Thomas d’Ausembourg et Michel de Kemetter   apportent des éclairages qui nous ouvrent à des compréhensions nouvelles. C’est une vidéo  suggestive et éclairante qui nous invite à une réflexion en profondeur tant en rapport avec notre existence personnelle qu’avec notre vie en société.

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J.H.

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(1)            On trouvera la biographie de Thomas Ausembourg sur son site : http://www.thomasdansembourg.com/fr/index.html  Il nous y propose aussi des ressources. Au cours de la dezrnière décennie, Thomas d’Ausembourg a écrit trois livres qui ont été lus par une vaste audience : « Cessez d’être gentil. Soyez vrai » (2001) ; « Etre heureux. Ce n’est pas nécessairement confortable » ( 2004) : « Qui fuis-je ? Où cours-tu ? A quoi servons-nous ? Vers l’intériorité citoyenne » (2008).

(2)            Aparté avec Thomas d’Ansembourg sur le développement humain et sociétal, recueilli par Michel de Kemmeter (Master in systemic economy. The systemic economy and you. UHDR Universe City) http://www.youtube.com/watch?v=X2Z_wzM9N2Q

(3)            Itinéraire de Michel de Kemmeter sur Wikipedia : http://en.wikipedia.org/wiki/Michel_de_Kemmeter  Ingénieur, consultant, Michel de Kemmeter est devenu chercheur, formateur, conférencier pour la prise en compte de la réalité humaine dans l’économie. Il a publié un livre sur « la valeur du temps (Ed Racine, 2006) . Il a créé un réseau de réflexion et de recherche sur le développement humain et sociétal (Universal human development and research (UHDR) Dans ce cadre, il a réalisé un ensemble d’interviews sur vidéo qui peuvent être consultées sur le web. C’est une ressource précieuse.

(4)            Présentation du livre de Jean-Claude Guillebaud : « Une autre vie est possible ».  Sur ce blog : « Quel avenir pour le monde et pour la France »  https://vivreetesperer.com/?p=937

(5)            Présentation du livre de Jacques Lecomte : « La bonté humaine. Altruisme, empathie, générosité ». Sur ce blog : « La bonté humaine. Est-ce possible ? » https://vivreetesperer.com/?p=674

(6)            Présentation du livre de Jérémie Rifkin : « Une conscience nouvelle pour un monde en crise. Vers une civilisation de l’empathie ». Sur le site de Témoins : « Vers une civilisation de l’empathie » http://www.temoins.com/etudes/vers-une-civilisation-de-l-empathie.-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkin.apports-questionnements-et-enjeux.html

(7)            Présentation du livre de Frédéric Lenoir : « La guérison du monde ». Sur ce blog : « Un chemin de guérison pour l’humanité » https://vivreetesperer.com/?p=1048

(8)            Propos de Jean-Claude Schwab : « Accéder au fondement de son existence ». Sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=1295

(9)            Présentation du livre de Harvey Cox : « The future of faith ». Sur le site de Témoins : « Quel horizon pour la foi chrétienne ? » http://www.temoins.com/publications/quel-horizon-pour-la-foi-chretienne-the-future-of-faith-par-harvey-cox.html

(10)      Présentation de la pensée théologique de Jürgen Moltmann   sur le blog à l’intention d’un large public : « L’Esprit qui donne la vie » : http://www.lespritquidonnelavie.com/

(11)      Moltmann (Jürgen). De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance. Empreinte, 2012. Citation p. 109. Présentation du livre sur ce blog : « une dynamique de vie et d’espérance » https://vivreetesperer.com/?p=572

(12)      Moltmann (Jürgen). L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999. 12a : p. 27

(13)      Moltmann (Jürgen). Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1988. Citation p. 24-25

(14)      D’après les travaux de Yann Algan, la défiance est plus répandue en France que dans d’autres pays. Pourquoi ? Comment y remédier ?: « Promouvoir la confiance dans une société de défiance », sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=1306

(15)      « Émergence d’espaces conviviaux et aspirations contemporaines. Troisième lieu (« Third place » et nouveaux modes de vie », sur le site de Témoins : http://www.temoins.com/index.php?option=com_content&view=article&id=1012&catid=4  Comment envisager la montée de la convivialité et de la collaborativité dans une vision d’avenir ? la théologie de Jürgen Moltmann  nous aide à répondre à cette question : « Une vision de la liberté. Comment vivre ensemble entre êtres humains », sur le blog : Vivre et espérer : https://vivreetesperer.com/?p=1343

(16)      Deux livres récents viennent mettre en évidence le développement et la vitalité de cette nouvelle « société collaborative » : Novel (Anne-Sophie), Riot (Stéphane).Vive la corévolution ! Pour une société collaborative. Alternatives, 2012 ; Manier (Bénédicte). Un million de révolutions tranquilles. Les liens qui libèrent, 2012 . Sur RFI , « C’est pas du vent » animée par Anne-Cécile Bras, dimanche 23 juin 2013, une émission sur ce thème : « la vie Share. Le partage, c’est maintenant » : « Échanger nos biens, nos savoirs entre citoyens d’un même pays ou d’une même planète, le tout grâce à internet . La révolution collaborative, née il y a dix ans aux Etats-Unis, est en plein essor en Europe ».

Une vision de la liberté

Comment vivre ensemble entre êtres humains ?

Au sortir de la société hiérarchisée qui a prévalu pendant des siècles, l’aspiration à la liberté a grandi et s’est manifestée à travers des bouleversements sociaux comme les révolutions qui, à la suite de la Révolution Française, ont parsemé le XIXè siècle. Mais l’aspiration à la liberté ne se manifeste pas seulement au plan de la politique intérieure, mais aussi sur le registre des combats pour l’indépendance nationale par opposition à une domination étrangère et, dans le domaine social, en terme de luttes pour une libération face à l’exploitation d’un groupe dominant. Aujourd’hui encore, l’aspiration à la liberté figure dans l’actualité comme on l’a vu dans les « printemps arabes » et ce ferment est toujours actif.

Cependant, le mouvement pour la liberté n’est pas sans rencontrer des écueils. Il y a des avancées, mais aussi des reculs et des régressions. Le processus dépend pour une part de nos représentations de l’être humain et de la manière de concevoir la vie en société dans une perspective plus vaste. Quelle est notre vision de la nature humaine et de l’avenir de l’humanité ?

Pour répondre à ces interrogations, nous nous inspirons de la pensée de Jürgen Moltmann telle qu’elle s’exprime en quelques pages éclairantes dans son livre : « L’Esprit qui donne la vie » (1).

La liberté comme maîtrise.

Dans une rétrospective historique, on constate que la liberté s’est affirmée fréquemment en terme de lutte pour le pouvoir. Il y a des vainqueurs et des vaincus. Dans cette perspective conflictuelle, la liberté apparaît comme un privilège de ceux qui dominent. Cela a été le cas dans la société antique. La liberté apparaît alors comme une « maîtrise ». « Celui qui comprend la liberté comme maîtrise ne peut être libre qu’au détriment des autres hommes… Au fond, il ne connaît que lui-même et ce qu’il possède. Il ne voit pas les autres comme des personnes » (p 165). Si nous considérons principalement la liberté  comme la possibilité de faire ce qui nous plaît, nous avons l’impression d’être « notre propre maître ». Mais alors, c’est l’individualisme qui prévaut. Certes, on fixe pour règle de respecter la liberté des autres. Mais n’est-ce pas sous-entendre que « tout homme n’est qu’une limite à ma liberté ». « Chacun est libre pour ce qui le concerne lui-même, mais personne ne se soucie de l’autre…Dans le cas idéal, il s’agit d’une société d’individus libres et égaux, mais solitaires » (p 160). Mais est-ce bien là une situation qui puisse répondre aux aspirations profondes de l’être humain ?

La liberté comme participation.

On peut avoir un autre regard sur la vie sociale selon lequel la liberté s’exerce dans une relation caractérisée par un respect réciproque. « C’est le concept de la « liberté communicative »… C’est dans l’amour mutuel que la liberté humaine trouve sa réalité. Je suis libre et me sens libre lorsque je suis respecté et reconnu par les autres (2) et, lorsque, de mon côté, je respecte et reconnaît les autres » (p 166). Si je partage ma vie avec d’autres, « l’autre n’est plus la limite, mais le complément à ma liberté ». « La vie est communion dans la communication… Nous nous communiquons mutuellement de la vie… Dans la participation à la vie les uns avec les autres, chacun devient libre au-delà des limites de son individualité » (p 166). Ainsi la liberté s’exerce dans la relation sociale. Elle se manifeste dans l’amour ou la solidarité.

En comparant « la liberté comme maîtrise » et « la liberté comme communauté », Jürgen Moltmann éclaire notre interprétation de l’histoire. « Aussi longtemps que la liberté signifie maîtrise, il faut tout séparer, isoler, fractionner et distinguer pour pouvoir dominer. Mais si la liberté signifie communauté, alors on fait l’expérience de l’union de tout ce qui est séparé ». Ainsi deux conceptions s’opposent : d’un côté, une logique individualiste, et d’un autre côté, une vision holistique. Dans cette vision, « l’aliénation de l’homme par rapport à l’homme, la séparation de la société humaine et de la nature, la scission entre l’âme et le corps, enfin la crainte religieuse sont abolies ». « La liberté comme communauté est un mouvement qui va en sens contraire des luttes pour le pouvoir et des luttes des classes dans lesquelles la liberté ne pouvait être comprise que comme domination… La vérité de la liberté humaine consiste dans l’amour qui veut la vie. Elle conduit à des communautés sans entraves, solidaires et ouvertes… » (p 167)

La liberté comme avenir.

Mais, si on  conçoit la vie sociale sans pouvoir fonder sa dynamique dans une perspective d’avenir, sans horizon, alors un enfermement apparaît, un repli se manifeste. « La détermination de la liberté par la foi chrétienne conduit encore au delà de la liberté comme communauté. Nous avons caractérisé la foi chrétienne comme étant essentiellement espérance de la résurrection. A la lumière de cette espérance, la liberté est la passion créatrice pour le possible ». Pour s’exercer, la liberté ne peut se contenter de l’existant. « Elle est référée à l’avenir, à l’avenir du Dieu qui vient » (p 167). Ainsi nous regardons en avant, nous pensons en terme de projet, nous manifestons notre créativité. « Cette dimension de la liberté qui se réfère à l’avenir a été longtemps négligée parce qu’on ne comprenait pas la liberté de la foi chrétienne comme participation à l’agir créateur de Dieu. » (p 168). Dans cette perspective, « nous découvrons la liberté dans la relation de sujet à sujet en relation au projet commun.. ». Jürgen Moltmann nous appelle à entrer dans une vision. « Il est vrai que dans l’histoire dont nous faisons l’expérience, il nous est plus facile de désigner le négatif dont nous voulons nous libérer que d’exprimer le positif en  vue duquel nous espérons devenir libre. Mais c’est l’espérance d’un avenir plus grand qui, dans l’histoire, nous mène vers des expériences toujours nouvelles » (p 168).

Liberté, égalité, fraternité.

Dans cet éclairage, nous pouvons examiner la grande devise de la République française : liberté, égalité, fraternité. Lorsqu’on souffre de l’absence de liberté, on en perçoit le prix. Et l’égalité fait barrage aux privilèges qui entraînent et accompagnent la domination. Mais si l’on s’en tient à ces deux termes, on s’expose à retomber dans une situation où la recherche de maîtrise est sous-jacente et s’exprime dans un individualisme qui défait le lien social… C’est pourquoi, l’adjonction de la fraternité est essentielle. Et, si l’on se reporte à l’histoire, on sait que le terme s’est imposé au cours du processus qui a abouti à la Révolution de 1848 et que, par rapport à l’individualisme bourgeois, des chrétiens socialistes ont joué un rôle dans cette adjonction (3). Une inspiration chrétienne s’est manifestée dans l’émergence de la fraternité. La fraternité va de pair avec la solidarité et elle en est le ferment.

Dans un livre récent : « Le mystère français » (4), deux démographes, Hervé Le Bras et Olivier Todd, nous apportent un éclairage précieux sur la pluralité des cultures dans la société française. Cette réalité est mise en évidence à travers un ensemble de cartes particulièrement significatives. L’interprétation des auteurs peut naturellement être débattue. A notre sens, la notion de fraternité mériterait d’être davantage prise en compte. La crise de l’héritage révolutionnaire dans le grand bassin parisien, peut être perçue comme la résultante d’un déficit de fraternité. Le dynamisme qui se manifeste dans des régions autrefois marquées par un catholicisme hiérarchisé, peut être imputée à la fraternité qui se manifeste dans une inspiration évangélique autrefois contrôlée.

Aujourd’hui, dans la crise économique et sociale et le désarroi qui en résulte, la fraternité nourrit et soutient la vie en société. Elle s’exprime plus difficilement dans une vie politique marquée par la recherche du pouvoir. Mais, d’expérience, certains en savent l’importance. Ainsi, dans le récent livre de Ségolène Royal : « Cette belle idée du courage » (5), la fraternité est présente dans beaucoup de portraits. Et, à un moment, l’organisation  d’une fête annuelle de la fraternité a manifesté la prise en compte d’aspirations populaires au risque de susciter une réaction hostile chez les tenants de l’idéologie traditionnelle.

Pour une société conviviale

Et pourtant, aujourd’hui, dans la mutation en cours, la politique ne peut ignorer un mouvement profond qui s’exprime dans la reconnaissance de l’empathie (6) et dans l’aspiration à une autre manière de vivre où la dimension fraternelle va de pair avec un mouvement qui va de l’avant. Ainsi Jean-Claude Guillebaud a-t-il intitulé son dernier livre : « Une autre vie est possible » (7).

Dans la même inspiration, on parle aujourd’hui de convivialité. Ainsi, dans un recueil intitulé « De la convivialité. Dialogue sur la société conviviale à venir » (8), Patrick Viveret met en cause la « démesure », ce que les grecs appelaient « l’hubris » comme une des causes de la crise actuelle. Et il conclut en posant la question du vivre ensemble entre les êtres humains. « Nous n’avons plus la facilité de contourner la question humaine en la reportant du côté des choses –passer du gouvernement des hommes à l’administration des choses – et il nous faut affronter la question du gouvernement des hommes à l’échelle planétaire. C’est fondamentalement, et la question de la démocratie, et au sens le plus radical du terme, la question de la qualité relationnelle interhumaine, j’ose le mot : de la qualité d’amour de l’humanité qui est en jeu dans la suite de sa propre aventure » (p 40) . L’appel à la convivialité s’étend puisque, tout récemment, un « Manifeste convivialiste » (9) vient de paraître.

Comment vivre ensemble entre êtres humains ? Et selon quelle éthique de la liberté ? La pensée théologique de Jürgen Moltmann nous aide à clarifier les termes du débat… Et, dans cette vision, s’il nous

J.H.

(1)            Moltmann (Jürgen). L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999.  La pensée théologique de Jürgen Moltman est présenté au public francophone sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : http://www.lespritquidonnelavie.com/.  Vie et pensée de Jürgen Moltmann à travers son autobiographie : « Une théologie pour notre temps » : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=695

(2)            La recherche en sciences sociales, notamment à travers les écrits  de Axel Honneth, met de plus en plus l’accent sur l’importance pour les gens de se sentir reconnu par autrui. Nous renvoyons à recueil de contributions sur ce sujet récemment publié : La reconnaissance. Des revendications collectives à l’estime de soi. Editions Sciences humaines, 2013. « C’est dans le regard des autres que l’individu trouve la confirmation de son existence, qu’il se sent à la fois semblable et différent. Et qu’il peut trouver les sources de l’amour et de l’estime de soi….Le besoin de reconnaissance touche aussi bien les individus que les groupes ».

(3)            Histoire des origines de la devise : liberté, égalité, fraternité sur Wikipedia francophone et anglophone. http://fr.wikipedia.org/wiki/Liberté,_Égalité,_Fraternité  et http://en.wikipedia.org/wiki/Liberté,_égalité,_fraternité

(4)            Le Bras (Hervé), Todd (Emmanuel). Le mystère français. Seuil, 2013 (La République des idées). Riche présentation et mise en perspective de ce livre sur le blog : « Des petits riens… Petits riens, mais parfois grands bonheurs » (Le Monde.fr) http://jmph.blog.lemonde.fr/2013/05/05/le-mystere-francais-herve-le-bras-emmanuel-todd-le-seuil/

(5)            Royal (Ségolène). Cette belle idée du courage. Grasset, 2013 Sur ce blog, mise en perspective : « Force et joie de vivre dans un engagement politique au service des autres » : https://vivreetesperer.com/?p=1335

(6)            Rifkin (Jérémie). Une nouvelle conscience pour un monde en crise. Vers une civilisation de l’empathie. Les liens qui libèrent, 2011. Mise en perspective sur le site de Témoins : « Vers une civilisation de l’empathie. Apports, questionnements, enjeux » : http://www.temoins.com/etudes/vers-une-civilisation-de-l-empathie.-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkin.apports-questionnements-et-enjeux.html et, sur ce blog: « La force de l’empathie » : https://vivreetesperer.com/?p=137

(7)            Guillebaud (Jean-Claude). Une autre vie est possible. Comment retrouver l’espérance ? L’Iconoclaste, 2012.  Mise en perspective sur ce site : « Quel avenir pour le monde et pour la France » : https://vivreetesperer.com/?p=937

(8)            Caillé (Alain), Humbert (Marc), Latouche (Serge), Viveret (Patrick). De la convivialité. Dialogues sur la société conviviale à venir ». La Découverte, 2011.

(9)            Manifeste convivialiste. Déclaration d’interdépendance. Éditions Le Bord de l’eau, juin 2013 Présentation de ce manifeste «http://www.reporterre.net/spip.php?article4356

Force et joie de vivre dans un engagement politique au service des autres

Le livre de Ségolène Royal : « Cette belle idée du courage ».

Si elle attire enthousiasme ou contradiction, Ségolène Royal a effectué en France un parcours politique qui ne peut être ignoré (1). Dans cette entrée en matière, nous n’avons donc pas à le rappeler. A la suite d’autres livres qui ont ponctué son itinéraire politique, elle vient d’écrire un nouvel ouvrage : « Cette belle idée du courage » (2).

Pourquoi ce livre ?

Et elle nous dit pourquoi : « L’idée de ce livre est née de la question qu’on m’ont tant de fois posée des proches comme des inconnus, des militants et des citoyens, en France et hors de France. « Comment faites-vous pour continuer malgré tout ? » (p 13). Ce  « malgré tout » nous rappelle les épreuves que Ségolène Royal a vécu au cours de ces dernières années : un déchirement dans sa vie privée et des déboires politiques qui se sont succédés, mais qui ne l’ont pas empêché de poursuivre son parcours comme présidente de la Région Poitou-Charentes (3), vice-présidente de l’Internationale Socialiste et aujourd’hui vice-présidente de la Banque publique d’investissement. Le titre même de son chapitre introductif est explicite : « Panser ses plaies et repartir ».

Oui, « pourquoi continuer ? » « La défaite est une violence dont on ne se relève pas par un déni… Accuser le coup n’oblige pas à en rester là. L’effet décapant d’une défaite peut éroder jusqu’aux raisons de se battre, ou, au contraire, les fortifier et aider à faire le tri entre l’essentiel et l’accessoire, permettre d’inscrire le moment douloureux dans une perspective plus large, en cherchant à faire primer le destin collectif sur la mésaventure personnelle et en regardant la part qui nous incombe (p 17).

Et, dans ce chemin, Ségolène Royal nous dit combien elle a été aidée par de grands témoins de pays divers et d’époques différentes. Elle s’est ainsi nourrie « de rencontres, de révoltes partagées et de combats menés » auxquels elle déclare « devoir une bonne part de l’endurance et de la persévérance dont on la crédite ». « Ce livre », nous dit-elle, « exprime une reconnaissance à l’égard des « passeurs de courage ». Leurs leçons sont universelles. Elles peuvent servir à d’autres qui pourront, je l’espère, y puiser, elles et eux aussi, des raisons de tenir bon face à l’adversité, car c’est ainsi qu’on se relève et qu’on avance » (p 18).

Les formes de courage sont multiples et elle en énumère quelques unes :

° « Le courage de dire non, cet acte inaugural dont tous les autre procèdent.

° Le courage de penser à rebours des conformismes ambiants.

° Le courage de vouloir la vérité et celui de briser, à ses risques et périls, les omertas tenaces.

° Le courage du quotidien aussi, le courage de tenir bon et de se tenir droit quand la vie est rude et nous malmène…

° Le courage de vaincre la peur.

° Le courage de se risquer sur des piste inédites et d’oser des réponses neuves » (p 18-19).

Quelles intentions ?

          Dans une interview à « Femme actuelle » (4), Ségolène Royal nous éclaire sur ses intentions.

         Oui, elle a choisi des « personnes capables d’agir et de se mettre en harmonie entre leur comportement et la recherche d’un idéal.

Et, quand on lui demande pourquoi elle apparaît « si sereine, presque hilare, les yeux fermés » sur la photo qui illustre la couverture, elle répond : « J’ai voulu un livre profond, mais aussi plein d’espoir et de gaîté. En effet, on ne peut qu’être frappé par un point commun, à ces différents portraits que je propose, cette capacité à être joyeux malgré des épreuves très fortes, Que ce soit Nelson Mandela, Louise Michel ou Stéphane Hessel etc, ils ont conservé malgré de terribles épreuves, cette aptitude au bonheur, cette capacité à capter la sensibilité des gens,  à se régaler d’un paysage, d’une musique, d’un moment de paix. Ils y puisent aussi leurs forces.

Quels sont ses espoirs ? « Mon espoir, c’est que justement les gens retrouvent de l’espoir et ne cèdent pas au découragement. Le livre n’est pas une projection personnelle. C’est la transmission de leçons de vie enthousiasmantes ».

Ainsi, dans le climat de morosité qui est si répandu aujourd’hui, Ségolène Royal nous offre un livre qui transmet une expérience de vie positive et qui témoigne de valeurs.

Une vision politique.

Ségolène Royal nous présente ainsi une galerie de portraits. Ces personnalités sont certes exemplaires par leur courage, mais le choix qui en est fait, témoigne également d’une vision politique.

Dans cette période où l’unification du mode s’accélère, dans quelle mesure la France est-elle capable d’entrer pleinement dans ce mouvement ? Manifestement, ici, la vision est résolument internationale. La plupart des chapitres témoignent de cet horizon ; Des personnalités d’autres pays, d’autres continents : Nelson Mandela, Dilma Rousseff, Franklin Roosevelt y rayonnent, mais aussi les personnalités françaises citées sont, pour la plupart, très impliquées, à un titre ou un autre, dans la vie internationale. Jaurès n’est pas seulement un grand républicain engagé dans les luttes sociales, il est aussi l’homme de la paix, assassiné parce qu’il a lutté de toutes ses forces contre la guerre de 1914-1918 qui va plonger l’Europe dans le malheur et le chaos. François Mitterrand peut être rangé dans les constructeurs de l’Europe. Aimé Césaire, Stéphane Hessel, Sœur Emmanuel sont des acteurs à l’échelle internationale.

Le choix des personnalités témoigne également de leur engagement dans un mouvement qui, dans différents domaines, œuvre pour une libération, pour la reconnaissance de la dignité humaine et de la justice.

Un premier aspect est la lutte contre ce qui a été l’esclavage et la domination vis-à-vis des peuples d’autres couleurs : Nelson Mandela, André Césaire, Olympe de Gouges, Lincoln. 

Un deuxième aspect est la lutte pour la justice sociale couplée éventuellement avec une politique économique orientée dans le même sens : Lula, Dilma Rousseff, Franklin D Roosevelt, François Mitterrand, Jaurès. Et puis, il y a les actions menées par les ouvriers d’Heuliez et les ouvrières de la confection,  avec le soutien de la présidente de la Région Poitou-Charentes.

Enfin, la présence des femmes en politique et la lutte pour la reconnaissance de la place et de la dignité de la femme dans notre société est fortement représentées comme il se doit quand on pense à l’itinéraire de Ségolène Royal , très consciente des oppositions qu’elle a, elle-même, rencontrées : Leyla Zana, Dilma Rousseff, Sœur Emmanuel, Louise Michel, Olympe de Gouges, Jeanne d’Arc,  Ariane Mnouchkine.

Cette action politique est fondée sur des valeurs explicitées et assumées qui proclament la dignité et le respect de l’être humain dans toutes ses dimensions, à la fois personnelle et sociale. L’homme n’est pas un moyen, mais une fin. Il a droit à la considération,à la justice. Au Brésil, Lula émet un slogan : « Lula, paix et amour » (p 63). En Afrique du Sud, Nelson Mandela remportant la victoire après trente ans de pénible détention, ne cède pas à l’esprit de vengeance. « Il ose l’espoir d’un pays fraternel. Il y engage tout son prestige moral et tout son poids politique, tout son pouvoir de conviction » (p 27). « Etre libre », écrit-il, « ce n’est pas seulement se débarrasser de ses chaînes.  C’est vivre d’une façon qui respecte et renforce la liberté des autres » (p 21). Dans une dynamique de vie, il y a le geste de pardon. Affreusement torturée pendant la période de la dictature militaire, des années plus tard, lorsqu’elle accède à la présidence du Brésil, Dilma Rousseff écrit : « J’ai enduré les souffrances les plus extrêmes. Je ne garde aucun regret, aucune rancune ». Voilà un état d’esprit qui fait contraste avec l’engrenage de la vengeance et de la mort qui caractérise d’autres épisodes de l’histoire. Ce respect porté à l’être humain est une exigence qui s’inscrit dans la vie quotidienne. Comme Ministre de l’enseignement scolaire, Ségolène Royal a eu le courage d’engager la lutte contre le bizutage, une pratique dégradante implantée dans de nombreux établissements ou les bas instincts trouvaient à se manifester avec la complicité active ou passive des autorités. Face aux préjugés, aux habitudes, aux traditions, on imagine les résistances auxquelles Ségolène Royal s’est heurtée. Ainsi consacre-t-elle un chapitre à l’audience de la Cour de justice de la République, le 15 mai 2000, qui l’a lavée d’une accusation calomnieuse (p 281-304). Oui, déterminée, elle l’a été face à « des rituels répugnants d’avilissement et de domination infligés à des jeunes sous les prétextes fallacieux de la tradition et de l’intégration au groupe » (p 285).

Finalement, cette lutte partout engagée pour la libération des êtres humains par rapport au mal qui leur est infligé par des structures et des forces sociales dominatrices, trouve son fondement dans un sens de la justice  qui, lui-même, s’enracine dans une capacité d’empathie, dans une capacité d’amour. La conclusion du chapitre sur Jaurès nous le dit excellemment : « Jaurès était un ami du peuple, sincère, sans postures ni facilités. Les gens, les pauvres gens l’aimaient, car ils le sentaient du côté de ceux qui souffrent. Personne ne l’a mieux dit que Jacques Brel :

« Ils étaient usés à quinze ans

Ils finissaient en débutant

Les douze mois s’appelaient décembre

Quelle vie ont eue nos grands-parents…

Ils étaient vieux avant que d’être

Quinze heures par jour, le corps en laisse

Laissent au visage un teint de cendre.

Oui, notre monsieur, notre bon maître

Pourquoi ont-ils tué Jaurès ? » (p 192).

La France en chemin

Ce livre ne traite pas de la conjoncture politique actuelle en France. Il témoigne d’un état d’esprit qui a pris de la hauteur en se situant dans la durée et dans le vaste espace du monde. La seule référence à des actions présentes concerne les luttes pour l’emploi entreprises par les ouvriers et les ouvrières d’Heuliez et d’Aubade en Poitou, soutenues par Ségolène Royal, présidente de la région. Mais celle-ci n’a pas oublié tous ceux qui l’ont accompagnée dans son itinéraire politique et particulièrement dans la campagne présidentielle de 2007. « Merci à toutes et à tous, correspondants amicaux, épistoliers fraternels. Ensemble, osons le courage. Voici l’urgence du temps présent… » (p 305-310).

Dans le cadre de ce blog, nous n’entrons pas dans les péripéties politiques. Comme dans ce livre, notre regard se porte sur les fondements et cherche à s’inscrire dans la durée. Mais il y a une relation profonde entre ressenti et compréhension. Et c’est pourquoi nous ne pouvons pas passer sous silence la manière dont nous avons vécu la campagne présidentielle de 2007. Des expressions comme « ordre juste, démocratie participative, intelligence collective, politique par la preuve… » continuent aujourd’hui à nous inspirer. L’appellation donnée à l’association qui a soutenu Ségolène Royal : « Désirs d’avenir » (5) a été pour nous extrêmement évocatrice. En effet, elle exprime bien ce qui monte dans les consciences, une aspiration à un avenir meilleur. Ce n’est pas une idéologie qui descend d’en haut, c’est une parole qui naît en chacun.  Et, de surcroît, cette approche a su s’appuyer sur les sciences humaines pour prendre en compte la réalité (6). Ainsi, nous avons perçu dans cette campagne un enthousiasme qui répondait à la capacité d’empathie de la candidate. Ce n’est pas un hasard si les quartiers populaires, où les cultures du Sud sont bien représentées, ont voté pour elle en masse. La fraternité, la convivialité,  des réalités humaines dont la France a bien besoin, s’éveillaient et devenaient tangibles. Des amis chers ont pu s’inquiéter de cette veine émotionnelle et s’en détourner, mais il y avait là une dynamique qui ne peut être oubliée. On pourrait formuler l’appel qui a été formulé à cette époque dans les termes suivants : Français, entrons ensemble dans le monde d’aujourd’hui dans un esprit de solidarité et de justice. Ségolène Royal regarde vers l’avenir, hors des réflexes sécuritaires.  Les avant-gardes ne sont pas toujours bien reçues, mais, dans la durée, la culture nouvelle parvient à se frayer un chemin.

Des sociologues, des économistes nous appellent aujourd’hui à prendre conscience d’un héritage du passé qui handicape notre pays. Michel Crozier a écrit autrefois un livre sur « La société bloquée » (7). Aujourd’hui, un économiste Yann Algan nous avertit en publiant un livre : « La fabrique de la défiance » (8). Il y a dans notre histoire et la manière dont elle pèse encore sur nos institutions, en particulier le système scolaire, une empreinte de hiérarchisation et d’uniformité. Les enquêtes internationales montrent combien la France est en retard en terme de confiance. Bien sûr, ce n’est pas une fatalité. Et c’est là que le message de ce livre peut exercer une influence. Car une vision originale contribue à modifier et à réorienter les représentations. Et il est possible d’agir à différents niveaux. En une décennie, grâce à des dirigeants hors pair, le Brésil est sorti du sous-développement pour entrer dans le concert des pays économiquement dynamiques. Et dans un plus lointain passé, Franklin D. Roosevelt, malgré un grave handicap physique, a permis aux Etats-Unis de faire face à une grande crise. Ces exemples témoignent de l’impact du politique. Ce livre porte une dynamique.

Un idéal de vie

Si ce livre s’applique surtout à l’expression du courage dans la vie publique, il n’oublie pas les épreuves de la vie privée : « Je comprends le courage qu’il faut pour surmonter les accidents de la vie, cette impression douloureuse d’amputation dans les ruptures affectives, la cassure due à la perte d’emploi ou encore ce sentiment de diminution sans retour causé par la maladie ou le décès d’un être cher, un toboggan sans fin. Tout cela appelle une résilience, une force à aller chercher pour repartir ». « Se sentir « haï par la vie sans haïr à son tour », continuer à « lutter et se défendre » sans devenir « sceptique ou destructeur » pour reprendre Rudyard Kipling (dont le texte : « Tu seras un homme, mon fils » est présenté en introduction) et, sans dire un seul mot, se mettre à rebâtir », si un peu de tout cela est transmis au lecteur qui souffre, alors cet ouvrage n’aura pas été inutile » (p 14-15).

Pour Ségolène Royal, le courage trouve son inspiration dans la participation à un mouvement qui nous dépasse. Elle l’exprime en ces termes : « Réussir sa vie d’homme ou de femme n’est pas le but ultime, il y a des idéaux qui nous transcendent, des luttes qu’on se doit de mener en mémoire de ceux qui crurent. Il faut avoir confiance dans l’homme, et ne pas le croire seulement rationnel, calculateur, court-termiste, car nous avons un labeur qui n’attend pas : le progrès, solidaire et fraternel de tous » (p 192).

Chez Ségolène Royal, cette conscience est si affirmée que les sacrifices consentis dans cette marche ne s’accompagnent pas d’une expression de tristesse, de mélancolie. Et, dans les personnalités qu’elle décrit, elle met l’accent sur leur goût de vivre et leur bonheur d’être. Quelque part, il y a tout au long de ce livre une forme de joie. Rappelons son interview à « Femme actuelle » : « On ne peut qu’être frappé par un point commun à ces différents portraits que je propose, cette capacité à être joyeux malgré des épreuves très fortes ».

Et, dans bien des cas, cette ouverture s’accompagne de bonté envers les autres. Ainsi, Nelson Mandela, depuis sa prison, écrit en 1981 : « C’est une vertu précieuse que de rendre les hommes heureux et de leur faire oublier leurs soucis ». Et ce conseil à retenir : « Prenez sur vous, ou que vous viviez, de donner de la joie et de l’espoir autour de vous » (p 29).

En chemin

Il y a dans ce livre, un souffle, un mouvement. C’est un ouvrage qui dissipe le pessimisme, un livre tonique. A cet égard, on peut le comparer au livre de Jean-Claude Guillebaud : « Une autre vie est possible » (9). Les genres sont différents.  Mais, dans les deux cas, le lecteur est appelé à aller de l’avant. Dans son livre, Jean-Claude Guillebaud analyse les origines du pessimisme actuel. Et, à juste titre, il évoque les grands massacres qui ont accompagné les deux grandes guerres du XXè siècle. L’histoire nous rappelle ainsi de temps à autre la fragilité de la société humaine.

En s’adressant à un vaste public, Ségolène Royal s’exprime sur un registre de parole qu’elle souhaite pouvoir être reçu par tous les lecteurs. Elle prend même des précautions puisque, lorsqu’elle parle de Jeanne d’Arc, elle écrit sur le ton de l’humour : « Moi, je n’ai pas le droit de vous parler de Jeanne d’Arc, car, si je le fais, je sais bien qu’aussitôt on parlera de « religiosité », de « foi », d’évangélisme »…    Ségolène Royal nous invite au courage. Quand on sait les épreuves qu’elle a affrontées, on reçoit ses paroles avec humilité. Oui, ce sont là des paroles authentiques. Elle peut nous parler sur le registre de l’expérience, et ce qu’elle dit, porte. Chacun donc reçoit son message selon son itinéraire et en fonction de son cheminement. Pour nous, si nous recevons pleinement cette expérience communicative, nos questionnements nous appellent à aller plus loin dans la recherche de sens.

Sur ce blog, dans une contribution : « les malheurs de l’histoire. Mort et résurrection » (10), un poème exprime ces interrogations.

« O, temps de l’avenir, brillante cité terrestre

A quoi te servirait-il que nous te connaissions

Si nos yeux devaient à jamais mourir

Et dans les cimetières, nos corps pourrir…

A quoi serviraient-ils les lendemains qui chantent

Si tous nos cimetières recouvraient la terre… »

Ainsi, pour nous, le courage, pour s’exercer sereinement a besoin de s’ancrer dans un espoir, dans une espérance. Il a besoin de s’inscrire dans la conviction que la mort n’a pas le dernier mot, c’est à dire l’anéantissement des êtres et des collectivités humaines, et qu’il y a,  par delà, une réussite ultime de la vie.

Dans de grands tourments, c’est plus que de courage que nous avons besoin, mais de confiance, comme l’écrit Odile Hassenforder dans son histoire de vie (11). Jürgen Moltmann, un théologien auquel nous avons souvent recours sur ce blog inscrit sa réflexion sur la dynamique de la libération dans une théologie de l’espérance, la vision d’une nouvelle création qui se prépare dans l’œuvre du Christ ressuscité et le souffle de l’Esprit (12). Ce n’est plus une religion statique qui s’adresse aux seuls individus et légitime un statu-quo social et politique. C’est une dynamique de vie et d’espérance qui concerne tout l’homme et tous les hommes et qui nous inspire en nous permettant d’aller « De commencements en recommencements » (13).

En confiant ainsi au lecteur ce cheminement de pensée, nous apportons notre contribution personnelle à la réflexion sur la vie et sur l’humanité, ou plutôt pour la vie et pour l’humanité à laquelle Ségolène Royal nous convie dans son beau livre sur le courage. Oui, il y a dans cet ouvrage, un souffle, une dynamique de vie pour la vie. Elle nous appelle à persévérer, à poursuivre notre action « dans des idéaux qui nous transcendent », et plus simplement dans cette empathie, cet amour en acte qui transparaît dans son message et qu’elle évoque si bien lorsqu’elle nous fait entrer dans la vie de personnalités comme Nelson Mandela, Louise Michel ou Jaurès. Avec Ségolène Royal, écoutons ces « passeurs de courage » qui sont aussi des « passeurs d’énergie ».

JH

(1)            On pourra s’informer sur le parcours politique de Ségolène Royal dans un article sur Wikipedia . Ce texte bien documenté nous montre l’ampleur et la fécondité de son parcours, tout en mentionnant les critiques et les reproches qui ont pu être exprimés vis-à-vis de cette personnalité. Une information récente montre que la rédaction de cet article cristallise les tensions  entre partisans et adversaires. http://fr.wikipedia.org/wiki/Ségolène_Royal

(2)            Royal (Ségolène). Cette belle idée du courage. Grasset, 2013.

(3)            Présidente de la Région Poitou-Charentes, Ségolène Royal y a entrepris une action innovante dans de nombreux domaines, notamment la politique écologique et la transition énergétique. http://www.presidente.poitou-charentes.fr/

(4)            « Pourquoi ce livre ? » : Interview sur « Femme actuelle » http://www.femmeactuelle.fr/actu/dossiers-d-actualite/interview-segolene-royal-livre-cette-belle-idee-du-courage-02568

(5)            Site de Désirs d’avenir : http://www.desirsdavenir.org/

(6)            Ainsi a-t-elle dialogué avec de grands chercheurs comme Edgar Morin et Alain Touraine. Elle a même écrit un livre avec ce dernier : Royal (Ségolène), Touraine (Alain). Si la gauche veut des idées. Grasset, 2008

(7)            Michel Crozier est l’auteur d’une œuvre sociologique particulièrement éclairante pour comprendre la société française : http://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Crozier            On pourra lire notamment: Crozier (Michel) ; la société bloquée. Le Seuil, 1971

(8)            Algan (Yann), Cahuc (Pierre), Zylbergerg (André). La fabrique de la défiance, Grasset, 2012. Voir sur ce blog une mise en perspective : « Promouvoir la confiance dans une société de défiance » https://vivreetesperer.com/?p=1306

(9)            Guillebaud (Jean-Claude). Une autre vie est possible.Comment retrouver l’espérance ? L’iconoclaste, 2012. Voir sur ce blog une mise en perspective : « Quel avenir pour la France et pour le monde ? » https://vivreetesperer.com/?p=937

(10)      « Les malheurs de l’histoire. Mort et résurrection »  https://vivreetesperer.com/?p=744

(11)      Hassenforder (Odile). Sa présence dans ma vie. Parcours spirituel. Empreinte, 2011. Présentation sur le site de Témoins : http://www.temoins.com/evenements-et-actualites/sa-presence-dans-ma-vie.html.  Le thème de la confiance est très présent dans ce livre : https://vivreetesperer.com/?p=1246

(12)      Un blog : « L’Esprit qui donne la vie » est destiné à faire connaître la pensée de Jürgen Moltmann aux lecteurs francophone. http://www.lespritquidonnelavie.com/  On y trouvera notamment une mise en perspective de son livre de synthèse : Moltmann (Jürgen.) Sun of rightneousness. Arise ! God’s future for humanity and earth. Fortress Press, 2010 : « L’avenir de Dieu pour l’humanité et la terre » http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=798 . Une réflexion sur notre rôle dans l’histoire : « En marche. Dans le chemin de l’histoire, un processus de résurrection » http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=848

(13)      Moltmann (Jürgen). De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance. Empreinte Temps présent, 2012. Voir : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=844  et https://vivreetesperer.com/?p=572

Promouvoir la confiance dans une société de défiance !

Transformer les mentalités et les institutions. Réformer le système scolaire.

Les pistes ouvertes par Yann Algan.

Comment dissiper la méfiance qui s’est installée dans une partie de la société française en perturbant les relations ?

Quel constat ? Quelle analyse ? Quels remèdes ?

Cette question nous concerne personnellement et collectivement. Comment vivons-nous la relation avec ceux qui nous entourent et dans quelles dispositions entrons-nous en contact avec eux ? Comment percevons-nous notre rapport avec les collectivités et les institutions ?

Professeur d’économie à Sciences-po, Yann Algan a écrit en 2007 un  premier livre sur « la société de défiance » (1). En 2008, il a reçu le prix du meilleur jeune économiste français décerné par « Le Monde » et le Cercle des économistes pour ses travaux sur les relations entre confiance et économie. En 2012, il cosigne « la fabrique de la défiance et comment s’en sortir », un livre où l’école tient une large place (Prix lycéen du meilleur livre d’économie) (2). Ses propos rapportés ici dans une interview sur « impact » en vidéo nous aident à y voir plus clair.

Une société de défiance : le diagnostic de Yann Algan.

 Un premier temps : le diagnostic ! Une société de défiance, c’est une société dans laquelle les citoyens se méfient les uns des autres. Et, dans le même mouvement, ils entretiennent beaucoup de défiance vis-à-vis de la direction des entreprises dans lesquelles ils travaillent, et parallèlement, vis à vis des institutions de l’état. La méfiance est ainsi un dénominateur commun.

« Lorsqu’on demande aux Français : « D’une manière générale peut-on faire confiance à la plupart des gens ou bien n’est-on jamais assez prudent quand on a affaire aux autres ? », ils apparaissent particulièrement méfiants… Au sein de l’OCDE, nous avons, avec le Portugal et la Turquie, la plus faible confiance. En revanche, dans les pays scandinaves, celle-ci est trois fois supérieure à la nôtre. Elle est également très inférieure à celle des Etats-Unis, de l’Angleterre, de l’Allemagne, et même de l’Espagne et de l’Italie » (« La Fabrique de la défiance », p16). La France se classe parallèlement parmi les pays où l’on ressent le plus de pessimisme et où on éprouve le plus de mal être.

Il y a un lien entre les différents champs d’activité où on peut observer des formes de défiance.

Le système scolaire français, très hiérarchisé, impose aux élèves des comportements qui ne leur permettent pas de grandir dans la confiance. La transmission des savoirs de haut en bas reste dominante. Et l’enseignement français se caractérise par une méthode de classement qui stigmatise certains élèves durant toute leur vie.

Ces comportements intériorisés se retrouvent ensuite dans la majorité des entreprises françaises (3) dirigées de haut en bas par une élite formée dans les grandes écoles, des managers qui ont peu appris à collaborer avec leur personnel. Les enquêtes internationales font apparaître que les entreprises françaises sont, avec leurs homologues japonaises, les entreprises qui sont dirigées le plus verticalement, avec un moindre degré de coopération et davantage de conflictualité.

La méfiance s’exerce également vis-à-vis des institutions de l’État. L’État apparaît en effet comme hiérarchisé, dirigé par une petite élite, peu transparent. Cette situation s’accompagne d’un ressenti des inégalités de statut. Les enquêtes internationales mettent en évidence une défiance des citoyens français vis-à-vis des institutions publiques plus grande que celle qui apparaît dans d’autres pays, même par rapport à des pays d’Europe continentale et jusqu’aux pays méditerranéens.

Si le degré de confiance est plus bas en France que dans la majorité des pays comparables, en fonction de la crise, il a encore baissé au cours des trois dernières années. Et, plus encore, il a baissé davantage que dans d’autres pays confrontés avec la même crise.

Cette situation a des effets extrêmement négatifs, non seulement dans la manière dont elle conditionne les relations personnelles, mais aussi par son impact à une échelle globale. Yann Algan estime que cette négativité engendre une perte de 1,5 à 2% du Produit Intérieur Brut. Dans les sociétés post-industrielles, l’innovation a une importance considérable. Or, pour se développer, l’innovation requiert un climat qui favorise la coopération et l’initiative.

Le bonheur des français selon Claudia Senik.

Signalons ici une autre recherche qui vient d’être diffusée et dont les résultats convergent avec les investigations de Yann Algan. Une économiste française, professeur à l’Ecole d’économie de Paris, Claudia Senik, a publié en 2011 une étude rédigée en anglais : « The French unhapiness puzzle : The cultural dimension of happiness » (le mystère du malheur français : la dimension culturelle du bonheur). Les résultats de cette recherche apparaissent aujourd’hui au grand jour (4).

Dans une interview sur Rue 89 (5), Claudia Senik nous indique le sens de sa recherche : « J’ai mené plusieurs travaux sur la relation entre revenu et bien être, et en faisant ces travaux, en utilisant des enquêtes internationales, je me suis rendu compte que la France était tout le temps, en dessous des autres pays en terme de bien être moyen. Les français transforment systématiquement un niveau de vie donné en un niveau de bonheur moindre que dans les autres pays en moyenne. Et cet écart est assez stable depuis qu’on a des données (les années 70). Quand on est en France, toutes choses égales par ailleurs, on a 20% de chances en moins d’être heureux, en tout cas de se dire très heureux ».

La poursuite de cette recherche a fait apparaître un lien entre ce ressenti et une orientation culturelle. Ainsi, l’auteur s’interroge beaucoup sur le rôle de la première instance de socialisation : l’école. Une observation accompagne cette réflexion : « Les immigrés qui sont passés par l’école en France depuis un très jeune âge sont moins heureux que ceux qui ne sont pas passés par l’école française. On peut penser que les institutions de socialisation primaire formatent assez lourdement ».

Dès lors, comme le rapporte un article paru dans « Le Monde » (6), sur le registre des hypothèses, Claudia Senik formule des recommandations pour l’enseignement français. « Comment être heureux dans un monde mondialisé, si l’on ne maîtrise pas l’outil de la mondialisation qu’est la connaissance des langues étrangères ? Le système français est trop unidimensionnel. Il classe les gens en les notant essentiellement sur les maths et le français et présente un niveau d’exigence trop élevé dans une seule dimension. Autrement dit, les enfants qui ne sont bons  ni en math, ni en français, mais qui peuvent avoir du talent pour d’autres disciplines s’habituent à se penser eux-mêmes en niveau d’échec, surtout dans un pays où l’on proclame l’égalité des chances ».

L’interpellation du système scolaire par Claudia Senik rejoint celle qui est formulée par Yann Algan sur le même sujet.

Promouvoir la confiance

Lorsqu’on revient au thème central : la défiance répandue en  France, comment, en regard, promouvoir le développement de la confiance ? On peut s’interroger sur les origines historiques de cette attitude. Elle remonterait à l’entre-deux guerres et se serait surtout développée à partir de la fin de la seconde guerre mondiale. Aujourd’hui, Yann Algan voit les causes de cette défiance principalement dans le dysfonctionnement des institutions. En réformant les institutions, il y a donc une possibilité d’y remédier. Yann Algan met en évidence un mauvais fonctionnement des institutions étatiques. Nous voudrions ici rapporter ses critiques sur le système scolaire et, en regard, les propositions de réforme.

Le système scolaire en France. Analyses et remèdes.

Ces analyses  se retrouvent dans différentes publications de Yann Algan. Il y revient dans un récent article paru récemment dans « Le Monde » (7) où il recommande à l’école, la mise en oeuvre d’un vivre ensemble plutôt que la mobilisation autour de l’enseignement d’une morale. « Quels grands principes « moraux » l’école doit-elle transmettre si ce n’est l’art de vivre ensemble ? »

Tout se tient. Le manque de confiance engendré par le système scolaire est lié aux modes de relation qui l’emportent aujourd’hui dans ce système. Toutes les mesures internationales montrent que l’écolier français se sent beaucoup moins bien à l’école que les enfants des autres pays développés. « A la question posée dans quarante pays différents : « Vous sentez-vous chez vous à l’école ? », plus d’un de nos enfants sur deux répond par la négative. C’est de loin la pire  situation de tous les pays. En moyenne, dans les pays de l’OCDE, plus de quatre élèves sur cinq déclarent se sentir chez eux à l’école, qu’ils habitent en Europe continentale, méditerranéenne ou dans les pays anglo-saxons ». (« La fabrique de la défiance », p 107). Notre école a beau rappeler les grands principes de vie ensemble, elle développe moins le goût de la coopération que celui de la compétition.

Et, d’autre part, la hiérarchie présente dans le système scolaire se manifeste très concrètement dans la prédominance de méthodes pédagogiques trop verticales. « Notre école insiste trop exclusivement sur les capacités cognitives sans se soucier des capacités sociales de coopération avec les autres. Selon des enquêtes internationales (Piris et Timss) sur les pratiques scolaires, 56% des élèves français de 14 ans déclarent consacrer l’intégralité de leurs cours à prendre des notes au tableau, en silence. C’est le taux le plus élevé de l’OCDE après le Japon et la Turquie. Où est l’échange, le partage, la relation ? D’autant qu’à contrario, 72% de nos jeunes déclarent ne jamais avoir appris à travailler en groupe avec des camarades ! ». Et, par ailleurs, il est nécessaire d’agir dès le plus jeune âge. « Les compétences sociales et plus généralement les capacités non cognitives comme la coopération avec les autres, l’estime de soi et la confiance dans autrui, se développent très tôt, dès 3-4 ans ».

Yann Algan met ainsi en évidence un dysfonctionnement profond de notre système scolaire qui s’enracine dans une longue histoire. Au long des années, des groupes militants ont cherché à corriger cette trajectoire en développant des formes nouvelles d’éducation. Nous avons nous-mêmes participé à cette entreprise en oeuvrant pour le développement des bibliothèques, des centres documentaires et pour l’innovation dans l’enseignement. La recherche de Yann Algan et de ses collègues montre combien le système scolaire français est resté traditionnel et l’ampleur du chemin qui reste à parcourir. Mais aujourd’hui, la mutation culturelle exige une transformation profonde de notre système scolaire et éducatif. Quoiqu’il en soit, les jeunes participent par ailleurs aux formes nouvelles qui induisent des changements de mentalité.

Les origines culturelles.

Yann Algan met en évidence les dysfonctionnements institutionnels qui engendrent une défiance et recommande des réformes en profondeur pour y remédier. Mais n’y a-t-il pas également des racines de la défiance dans la culture telle qu’elle influe sur les représentations. En traitant de la question des freins au bonheur dans les esprits, Claudia Senik évoque cette hypothèse. Mais, plus avant, si le système scolaire engendre des comportements de défiance, il est le produit d’une histoire qui remonte dans le passé et qui témoigne d’une culture marquée par une tradition hiérarchique. Si, comme on l’a vu, les élèves français ne se sentent pas chez eux à l’école, ne serait-ce pas parce que celle-ci est encore imposée de l’extérieur à la société et s’inscrit dans des formes bureaucratiques et corporatistes ? Dans son livre : « La Société de confiance » (8) qui fait suite au « Mal Français », Alain Peyrefitte met en évidence l’influence de l’inspiration protestante dans toute une gamme de pays où on peut observer aujourd’hui encore des comportements davantage empreints de confiance. A contrario, l’histoire de France est marquée par un conflit entre l’Ancien Régime et la Révolution, entre une Eglise catholique hiérarchisée et des forces contraires qui ont également imposé d’en haut leur idéologie (9). Ainsi, dans son livre : « La France imaginée » (10), Pierre Birnbaum montre comment, au XIXè siècle, la tradition centraliste et unitaire a prévalu, des passions rivales en faveur de l’uniformisation s’affrontant l’une contre l’autre. Et, de même, des milieux opposés étaient structurés par des mécanismes hiérarchiques. Cette tradition se dissipe peu à peu. Mais, dans les années d’après-guerre, un sociologue, Michel Crozier, pouvait encore parler de la France comme « une terre de commandement ». On voit bien en quoi la transformation des mentalités est appelée à se poursuivre.

La confiance comme réalité spirituelle.

Dans les aléas de l’histoire, il demeure que la confiance est une réalité spirituelle. Et si cette réalité se manifeste au plan personnel, elle prend aussi une forme sociale. Ce blog essaie de témoigner de cette réalité (11). On observe dans l’histoire des formes de coopération qui peuvent être considérées comme une avant garde. Dans la plupart des pays, la vie associative est de plus en plus répandue. Et aujourd’hui, à l’échelle internationale, on perçoit un mouvement croissant de convivialité. A travers certains milieux, la France y participe. Et par delà les obstacles locaux et les replis conjoncturels, une vision spirituelle de la confiance se dessine : « Être vivant signifie exister en relation avec les autres. Vivre, c’est la communication dans la communion… L’ « essence » de la création dans l’Esprit est par conséquent la « collaboration », et les structures manifestent la présence de l’Esprit, dans la mesure où elles font connaître l’accord général » (12).

Dans la mutation actuelle de la culture et de la société, la confiance devient de plus en plus une requête sociale. Si faire confiance aux autres est l’expression d’un choix existentiel, c’est aussi une contribution à une dynamique sociale cherchant à réaliser un environnement plus positif.

J. H.

(1)            Algan (Yann), Cahuc (Pierre). La société de défiance. Ed Rue d’Ulm, 2007.

(2)            Algan (Yann) Cahuc (Pierre), Zylbergerg (André). La fabrique de la défiance. Grasset, 2012. Les auteurs, trois économistes réputés, montrent comment « la défiance est au cœur du pessimisme français… Elle n’est pourtant pas un héritage culturel immuable ». De fait, elle résulte d’un cercle vicieux où le fonctionnement hiérarchique et élitiste de l’école nourrit celui des entreprises et de l’état ». Ce livre propose une dynamique de réforme. « Il n’y a pas de fatalité au mal français. La confiance aussi se fabrique… ». Itinéraire de Yann Algan sur Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Yann_Algan Nous présentons une interview de Yann Algan recueillie par Impact et présentée sur You Tube : http://www.youtube.com/watch?v=aXCRkEAtE9U

(3)            Voir aussi : Philippon (Thomas. Le capitalisme d’héritier. La crise française du travail. Seuil, 2007. Présenté dans un article : « Défiance ou confiance » sur le site de Témoins : http://www.temoins.com/societe/defiance-ou-confiance.html

(4)            On peut entendre Claudia Senik exposer son approche sur Dailymotion http://www.dailymotion.com/video/xzfq07_l-entretien-claudia-senik-auteur-de-l-etude-le-mystere-du-malheur-francais_news#.UY9XCK7j4Ss

(5)            Claudia Senik. « Le malheur français, c’est quelque chose qu’on emporte avec soi ». Rue 89. Le grand entretien 03/04/2013 http://www.rue89.com/2013/04/03/malheur-francais-cest-quelque-chose-quon-emporte-soi-241113

(6)            Claudia Senik. La France ne fait pas le bonheur (suite). Le Monde. 01.04.2013 http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/04/01/la-france-ne-fait-pas-le-bonheur-suite_3151441_3232.html

(7)            Yann Algan. La morale laïque, culture commune nécessaire au ciment d’une société. Le Monde.fr. 21.04.2013. http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/04/01/la-france-ne-fait-pas-le-bonheur-suite_3151441_3232.html

(8)            Peyrefitte (Alain). La société de confiance. Essai sur les origines et la nature du développement. Odile Jacob, 1995. Ce livre est une thèse de doctorat qui marque l’aboutissement d’une longue recherche de l’auteur sur le thème de la confiance et met en évidence le rapport entre confiance et développement.

(9)            Sur le site de Témoins : Deux articles sur les antécédents historiques qui influent sur le rapport confiance-défiance en France : « Défiance ou confiance. Quel style de relation ? Quelle société ? » (mai 2007) http://www.temoins.com/societe/defiance-ou-confiance.html  « Les rapports entre le politique et le religieux »  (octobre 2004) http://www.temoins.com/etudes/les-rapports-entre-le-politique-et-le-religieux.html

(10)      Birnbaum (Pierre). La France imaginée. Déclin des rêves unitaires. Gallimard. 1998.

(11)      Ce blog accorde une importance majeure au thème de la confiance dans ses différents registres : personnel et collectif. Nous rappelons ici quelques uns de ces articles : « Vivre en harmonie » : https://vivreetesperer.com/?p=43  « Amitié ouverte » : https://vivreetesperer.com/?p=14 « Confiance ! Le message est passé. » : https://vivreetesperer.com/?p=1246 « La force de l’empathie » : https://vivreetesperer.com/?p=137 « Un chemin de bonheur. Les écrits de Marcelle Auclair » : https://vivreetesperer.com/?p=748 « Un chantier peut-il être convivial ? » : https://vivreetesperer.com/?p=133 « Se rencontrer à travers un jogging » : https://vivreetesperer.com/?p=246 « Apprendre à vivre ensemble » : https://vivreetesperer.com/?p=806 « La bonté humaine » : https://vivreetesperer.com/?p=674 « Laissez-les lire ! » : https://vivreetesperer.com/?p=523 « Travailler dans les nouvelles technologies : un itinéraire professionnel fondé sur la justice » : https://vivreetesperer.com/?p=1056 « Construire une société où chacun se sentira reconnu et aura sa place » : https://vivreetesperer.com/?p=1240 « Une nouvelle manière d’enseigner. Participer ensemble à une recherche de sens » : https://vivreetesperer.com/?p=1169

(12)       Nous nous référons ici à la pensée de Jürgen Moltmann, qui nous propose une théologie de l’espérance, qui est la source d’une dynamique de confiance. Introduction à la pensée de Jürgen Moltmann sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : http://www.lespritquidonnelavie.com/ Vie et pensée de Jürgen Moltmann : « Une théologie pour notre temps » : http://www.temoins.com/etudes/une-theologie-pour-notre-temps.-l-autobiographie-de-jurgen-moltmann/toutes-les-pages.html Les citations mentionnées ici sont extraites de son livre : Moltmann (Jürgen). Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Le Cerf, 1988 (citations p.12 et p. 25).

Chagall, Dieu et l’amour

Autour d’une exposition : « Chagall entre guerre et paix ».
Blaise Cendrars à propos de Chagall :

« Il dort, il est éveillé, il prend une église et il peint avec une église, il prend une vache et il peint avec une vache, avec une sardine… ».xx

Résidant dans une ville en Normandie, David Gonzalez a fait le déplacement pour visiter l’exposition : « Chagall entre guerre et paix », au Musée du Luxembourg. Au fil d’une conversation, il nous dit pourquoi il était motivé, ce qu’il a ressenti et ce qu’il en rapporte.

« Qu’est ce qui m’a motivé ? L’appel du désir. Parce que ma première rencontre avec les peintures de Chagall s’est réalisée fortuitement à l’occasion d’un mariage. Des amis préparaient leur mariage. Ils ont fait le choix de s’entourer d’amis plutôt que de vivre cette attente en famille ou dans une église. Et, au cours de l’après-midi précédant leur mariage, le groupe d’amis qui entourait les mariés, sous la direction d’un autre ami artiste, ont vécu un moment créatif sur le thème de Chagall. Sur des nappes en papier tendues sur des tasseaux en bois, ils ont peint tous ensemble des tableaux à la manière de Chagall. J’ai vu ces peintures et elles me sont allées droit au cœur. Elles m’ont fait une forte impression : les rouges, les bleus, des mariés voltigeant dans le ciel, des animaux lumineux dans la nuit de villages inconnus.

Ces impressions là, affectives et esthétiques, m’ont donné envie d’accrocher ces tableaux dans un petit temple anglais d’une station thermale normande qui ne sert quasiment qu’aux baptêmes et aux mariages. Je me suis dit que ces tableaux mettraient un peu de chaleur et de goût au milieu des boiseries et des béatitudes gravées sur les murs. Parmi ces tableaux produits au cours d’un pique-nique à la veille du mariage, quelques uns seulement étaient vraiment exposables. J’ai donc complété ce début d’expo en me procurant un catalogue de l’oeuvre peinte de Chagall, puis en photocopiant et en mettant sous verre quelques uns des tableaux les plus connus de ses diverses périodes.

Cette première expérience pour moi, a été principalement visuelle et pratique dans un premier temps. Mais elle a aussi déposé en moi deux notions très fortes : que Chagall peignait l’amour entre un homme et une femme et qu’il cherchait aussi à illustrer le divin. L’origine de ces peintures en provenance d’amis amoureux et l’accrochage dans le temple étaient certainement à l’origine de cette réception thématique : Chagall , Dieu et l’amour.

Quelques années plus tard, une amie m’a proposé d’aller voir l’exposition : « Chagall entre guerre et paix » au Musée du Luxembourg. Cet approfondissement de ma relation avec la peinture de Chagall se trouvait à nouveau habité par l’amitié et le désir. J’ai repensé à Dieu dans Chagall dans les habits de l’amour. Deux remarques : j’ai compris cette fois-ci que l’attention et l’état d’esprit conditionnent entièrement la réception d’une œuvre. Le désir et l’amitié m’ont semblé être la meilleure voie pour redécouvrir Chagall.

Premier pas dans le très fonctionnel Musée du Luxembourg. Les réservations sont complètes. Nous sommes nombreux devant les tableaux. Il est vingt heures trente. C’est une expérience crépusculaire.

Première séquence de tableaux : c’est le Chagall des années 1910. Deux toiles vertes transforment immédiatement mon souvenir en découverte. Ce n’est plus le Chagall des ciels bleu nuit et des rouges omniprésents. Il y a devant moi une peinture représentant une femme et son enfant devant une fenêtre, et c’est la lumière végétale et le vert des tissus qui illuminent ce tableau . Plus de flou. Un tableau réaliste. Le dessin est extrêmement précis. La femme, c’est Bella, et le nourrisson, c’est la petite fille de Marc Chagall.

La vie s’est comme arrêtée. Le cours de la vie est suspendu au présent. Et ce présent a la beauté froide d’une foret ukrainienne. Marc Chagall me fait penser à Sören Kierkegaard : sa vie entière était une attente de l’amour heureux. C’est ce que la vie lui offre. Il s’en saisit. En 1914, la guerre éclate. Chagall ne peut plus revenir à Paris comme il le désirait. C’est un exil. Il doit rester à Vitebesk. C’est une épreuve et le vide d’une réclusion.

C’est la période russe de Chagall. Dans le prolongement du premier espace du Musée du Luxemboug, sont exposés : dessins, croquis, fusains, encres de Chine, acrylique et gouache de Chagall en exil. C’est un peuple juif qui défile sous nos yeux. Des rabbins ont la figure de Monsieur tout le monde. Des visages parfois tourmentés à l’extrême où se lit toute l’angoisse du monde et de l’humain. Parfois, ce sont des regards et des bouilles totalement cocasses. On voit même un rabbin transportant la Bible sur son dos en forme d’armoire. Des inscriptions hébraïques au sens énigmatique figurent sur presque chaque portrait et scène de vie. Plusieurs encres de Chine et papier mine ont pour support du papier d’emballage. Peindre Chagall sur des nappes en papier correspondait bien à l’esprit de l’artiste. L’art comme la vie est précaire et sans prix. En regardant cette production sans aucune couleur, Chagall campe un drame historique où se marque à la fois, au quotidien, l’angoisse et l’humour.

Séquence suivante. Nous retrouvons les mariés de Chagall virevoltant dans un ciel nocturne comme peuplé d’animaux et de personnages bizarres. L’un des personnages bizarres est un juif volant. C’est la figure du juif errant. C’est l’image de l’humain cherchant le sens de sa vie au cours de son parcours terrestre. De même, dans la tradition hassidique, les animaux révèlent quelque chose du monde de Dieu.

 

Nouvelle séquence. Au centre de l’exposition, se dévoile une série d’illustrations portant sur la Bible. Elle est pour Chagall : « la plus grande source de poésie de tous les temps ». C’est un ensemble d’eaux-fortes insérées au sein de la Bible de Genève. C’est le grand tableau relevé à la gouache du roi David jouant de la lyre. C’est le don des tables de la loi à Moïse. Ce sont les prophètes, les patriarches, les guerriers et les rois.

Image associée

Des crucifixions, notamment un très grand triptyque font le lien entre la persécution de Jésus et celle des juifs en Europe dans les années 40. Chagall en a fait don à l’état français. Comme bien souvent, l’image de Jésus déroute et sa normalité questionne. C’est à ce moment là du parcours que l’amie qui m’accompagnait me demande si Jésus était amoureux d’une femme ou d’un homme comme le raconte plusieurs romans historiques contemporains. L’échange dure dix minutes. Et c’est un échange pour tous puisqu’un petit groupe s’est arrêté à côté de nous pour écouter discrètement l’échange d’arguments. Nous en venons, en conclusion, à la question la plus pertinente : Qui est Jésus pour toi ? Et nous poursuivons notre visite.

Dernière séquence. L’exposition est assez courte et nous nous retrouvons au milieu des tableaux de la dernière période de la vie de Chagall. Fini les noirs, les rouges et les inversions chromatiques. Plus de barbes violettes, bleues ou vertes. C’est maintenant l’équilibre à petites touches d’un coucher de soleil dans la baie d’Antibes, des palmiers et lilas… Le paradis terrestre est presque là. Retour à une réalité ensoleillée. Quelque chose s’est passé. Peut-être Chagall a-t-il fini par aimer le monde tel qu’il est. Son esprit bohème semble s’être posé, mais sa peinture n’a pas fini de nous faire rêver .

« Mon cirque se joue dans le ciel,

Il se joue dans les nuages, parmi les chaises.

Il se joue dans la fenêtre où se reflète la lumière »

Marc Chagall

Le divin n’a donc pas que le visage des vieilles églises désertes. Il se reflète aussi dans la richesse des couleurs du monde, du désir et de l’amitié, mais, pour l’apprécier, il faut aimer et se savoir aimé. Dès lors, la vie, l’église, la foi en Jésus-Christ sont comme des vitraux qui nous disent un désir, à la fois souterrain et divin, que nous soyons heureux de vivre et d’espérer ».

Contribution de David Gonzalez.

 

Exposition : Chagall entre guerre et paix. 21 février- 21 juillet 2013 au Musée du Luxembourg

http://www.museeduluxembourg.fr/fr/expositions/p_exposition-18/

On pourra lire également :

« Une expérience. Un regard transformé. Visiter des expositions d’art ». https://vivreetesperer.com/?p=802