Une vision de l’amour divin et de l’union mystique

Une vision de l’amour divin et de l’union mystique

Une vision de l’amour divin et de l’union mystique
Julian de Norwich

Une mystique médiévale en Angleterre

Au cours de l’histoire chrĂ©tienne, quelques humains ont vĂ©cu dans une telle communion avec le Christ et avec Dieu trinitaire qu’ils en ont reçu une vision de la vie en Dieu pouvant encourager, fortifier, guĂ©rir. On les appelle des mystiques. Leur enseignement peut exercer une influence bienfaisante. C’est le cas de Julian de Norwich, une mystique anglaise Ă  la fin du Moyen Age Ă  propos de laquelle Richard Rohr a consacrĂ© une sĂ©quence (11-17 aoĂ»t 2024) (1) des « Daily meditations » publiĂ©es sur le site : Center for action and contemplation. Nous en prĂ©sentons ici un bref aperçu

 

Une vie qui a manifestĂ© l’amour

Julian de Norwich a vĂ©cu en Angleterre dans le Moyen Ăąge tardif de 1343 Ă  1416. Son histoire de vie nous est dĂ©crite en dĂ©tail sur le site de WikipĂ©dia anglophone (2). Julian, gravement malade et proche de la mort est assistĂ©e par un prĂȘtre qui lui prĂ©sente le crucifix. C’est cette nuit-lĂ , en mai 1373 qu’elle entend le Christ lui parler pendant plusieurs heures, ce dont elle tĂ©moignera en rapportant 16 visions dans un texte court qu’elle approfondira 20 ans plus tard dans un texte plus long : « Les RĂ©vĂ©lations de l’Amour Divin » qui est parvenu jusqu’à nous aprĂšs un long dĂ©tour. Julian guĂ©rit et s’installe dans un ermitage contigu Ă  une Ă©glise de Norwich oĂč elle vit dans la priĂšre et la contemplation, disposĂ©e Ă  conseiller celles ou ceux qui le lui demandent. Richard Rohr met en Ă©vidence l’originalitĂ© de la vision de Julian de Norwich par rapport Ă  son Ă©poque, une originalitĂ© qui demeure aujourd’hui : « Elle n’est pas fondĂ©e sur le pĂ©chĂ©, la honte, la culpabilitĂ©, la peur de Dieu ou celle de l’enfer. A la place, elle est pleine de joie, de libertĂ©, d’intimitĂ© et d’espĂ©rance cosmique ».

 

Dieu, mĂšre et pĂšre

Richard Rohr loue l’intuition mystique de Julian qui lui a permis d’appeler Dieu mĂšre. Ainsi a-t-elle Ă©crit : « Le beau mot de mĂšre est si doux et si aimable en lui-mĂȘme qu’il ne peut ĂȘtre attribuĂ© qu’à Dieu ». Ce qu’elle dit ainsi, reprend Richard Rohr, c’est que « le mot mĂȘme de mĂšre est si beau dans l’expĂ©rience de la plupart des gens (pas de tous, dois-je ajouter) qu’il Ă©voque en son meilleur ce que nous entendons par Dieu. Ce n’est pas ce que la plupart des grandes religions du monde ont enseignĂ© et cru jusqu’à maintenant – exceptĂ© chez les mystiques. Parmi eux, Julian de Norwich occupe une place pivot  « Le concept et l’expĂ©rience humaine de mĂšre sont si premiers, si grands, si profonds, si universels, si vastes que les appliquer seulement Ă  notre propre mĂšre est beaucoup trop Ă©troit ».

« A l’époque, beaucoup de gens n’avaient pas accĂšs aux Ecritures – en fait, beaucoup ne pouvaient pas lire du tout. Ils interprĂ©taient au niveau des archĂ©types et des symboles. Par la suite, cela a paru une Ă©norme aberration aux traditions de la « sola scriptura » (par l’écriture seule). Cependant, combien l’ñme avait besoin d’une MĂšre Sauveur et d’un Dieu Nutricier dans une pĂ©riode de l’histoire et du christianisme profondĂ©ment patriarcale, hiĂ©rarchique, jugeante, exclusiviste, impĂ©riale et guerriĂšre ». « C’était probablement salutaire » « Dieu est, par essence, comme une bonne mĂšre« , nous dit Richard Rohr. « Si compassionnĂ©e qu’il n’y a pas lieu de la mettre en concurrence avec un pĂšre Dieu, comme nous le voyons dans les enseignements toujours Ă©quilibrĂ©s de Julian ».

 

Confiance. « All will be well ». Tout ira bien

James Finley rappelle que Julian a vĂ©cu dans une Ă©poque trĂšs sombre. « Durant sa vie, Julian a Ă©tĂ© vivement consciente de la souffrance du monde » C’était la peste bubonique. Il y eu l’assassinat de l’archevĂȘque de Canterbury. Trois papes se disputaient le pouvoir pontifical. La guerre de cent ans battait son plein en France. Nous aussi, nous vivons Ă  une Ă©poque difficile oĂč les menaces abondent.

Alors, nous dit James Finley : « Comment la vision de Julian du mystĂšre de la croix comme communion aimante de Dieu avec nous peut-elle nous aider Ă  rester enracinĂ©s et prĂ©sents au milieu de la souffrance et ne pas si facilement ĂȘtre bouleversĂ©s et submergĂ©s par elle dans notre sensibilitĂ© et la rĂ©ponse que nous apportons
 Au fond du fond, il y a une place plus profonde dans la communion, l’unitĂ© avec la communion, l’unitĂ© soutenante de Dieu avec nous (oneness with God’s sustaining oneness with us) ».

La poĂ©tesse anglaise, Anne Lewin, met en valeur la tĂ©nacitĂ© de la confiance et de l’espĂ©rance de Julian. « Tout sera bien » est l’une des expressions les plus connues de Julian. » Comment est-ce possible quand on est confrontĂ© Ă  des rĂ©alitĂ©s aussi dures ? Mais, Ă©crit Julian, « Dieu ne dit pas : vous ne serez pas assaillis, vous ne serez pas ravagĂ©s, vous ne sera pas inquiĂ©tĂ©s, mais il dit : vous ne serez pas vaincus. Dieu nous demande d’ĂȘtre attentifs Ă  sa parole et d’ĂȘtre forts, dans dans notre certitude, aussi bien dans le bien ĂȘtre que dans le malheur, car il nous aime et prend plaisir en nous et il dĂ©sire que nous l’aimions et prenions plaisir en lui et ayons une grande confiance en lui, et tout sera bien ».

 

CentrĂ© sur l’amour et pas sur le pĂ©chĂ©

Les rĂ©vĂ©lations de Julian apportent une alternative d’amour Ă  la polarisation sur le pĂ©chĂ© qui caractĂ©risait la thĂ©ologie Ă  cette Ă©poque. Ainsi, MirabaĂŻ Starr Ă©crit : « Julian de Norwich est connue pour sa thĂ©ologie radicalement optimiste. Nulle part est-ce mieux Ă©clairĂ© que dans sa rĂ©flexion sur le pĂ©chĂ©. Quand Julian a demandĂ© Ă  Dieu de l’enseigner au sujet de cette troublante question, il lui ouvrit son Être Divin et tout ce qu’elle pouvait y voir Ă©tait de l’amour. Toutes les vĂ©ritĂ©s moindres se dissolvaient dans cet ocĂ©an sans limites ». Julian dĂ©clare : « La vĂ©ritĂ© est que je n’ai pas vu un quelconque pĂ©chĂ©. Je crois que le pĂ©chĂ© n’a pas de substance, ni une part d’ĂȘtre et il ne peut ĂȘtre dĂ©tectĂ© exceptĂ© Ă  travers la souffrance qu’il cause. C’est seulement la souffrance qui a une substance pendant un moment et elle sert Ă  nous purifier, Ă  nous faire connaitre nous-mĂȘme et Ă  demander misĂ©ricorde ». MirabaĂŻ Starr commente : « Julian nous informe que la souffrance que nous nous causons Ă  travers nos actes d’aviditĂ© ou d’inconscience est la seule punition que nous nous causons
 Ainsi Julian considĂšre que s’abandonner Ă  la culpabilitĂ©, c’est un gĂąchis complet de temps. La chose vĂ©ritablement humble Ă  faire quand nous avons trĂ©buchĂ©, c’est de nous hisser sur nos pieds aussi vite que nous le pouvons et nous prĂ©cipiter dans les bras de Dieu oĂč nous nous rappellerons qui nous sommes rĂ©ellement. Pour Jullian, le pĂ©chĂ© n’a pas de substance parce qu’il est l’absence de tout ce qui est bon et aimable, tout ce qui est de Dieu. Le pĂ©chĂ© n’est rien d’autre que la sĂ©paration de notre source divine. Et la sĂ©paration de Celui qui est Saint n’est qu’une illusion. Nous sommes toujours et pour toujours unis en amour avec notre Bien aimĂ©. En consĂ©quence, le pĂ©chĂ© n’est pas rĂ©el. Seul l’amour est rĂ©el.

MirabaĂŻ Starr explique : Julian n’a pas eu besoin d’un diplĂŽme de thĂ©ologie pour arriver Ă  cette conclusion. Elle a eu simplement besoin de voyager aux frontiĂšres de la mort oĂč elle a Ă©tĂ© enveloppĂ©e par l’étreinte aimante de Celui qui est Saint (The Holy One), qui lui a assurĂ© qu’il l’aimait depuis l’avant mĂȘme de sa crĂ©ation et qu’il l’aimerait jusqu’à la fin du temps. Et c’est avec ce grand amour, a-t-il rĂ©vĂ©lĂ©, qu’il aime tous les ĂȘtres. Notre seule tĂąche est de nous le rappeler et de nous en rĂ©jouir. A la fin, Ă©crit Julian, tout sera clair : alors aucun d’entre nous ne se sentira poussĂ© d’aucune façon Ă  dire : Seigneur, si seulement les choses avaient Ă©tĂ© diffĂ©rentes, tout aurait Ă©tĂ© bien. A la place, nous proclamerons tous d’une seule voix : Bien aimĂ©, puisses-tu ĂȘtre bĂ©ni, parce que c’est ainsi : tout est bien (Beloved one, may you be blessed, because it is so : all is well ).

Le fait que Julian « n’ait pas vu de colĂšre en Dieu » ne l’a pas tentĂ© de s’engager dans des conduites nuisibles, avec impunitĂ©. Au contraire, la libertĂ© qu’elle trouve dans l’amour inconditionnel de Dieu, la pousse davantage Ă  ĂȘtre digne de sa misĂ©ricorde et de sa grĂące. Elle suggĂšre que nous aussi nous nous engagions dans la sainte tĂąche d’aimer Dieu de tout notre cƓur, de tout notre esprit et de toute notre force.

 

Devenir un avec Dieu
Oneing with God

Julian Ă©crit : « La place que JĂ©sus occupe dans notre Ăąme ne disparaitra plus jamais, car, en nous, est sa maison et c’est une grande joie pour lui d’habiter là ; et l’ñme qui ainsi contemple cela est rendu semblable Ă  Celui qui est contemplé »

Richard Rohr Ă©voque lĂ  la parole de JĂ©sus : « Ce jour-lĂ , vous comprendrez que je suis dans mon PĂšre et que vous ĂȘtes en moi et que je suis en vous » ((Jean 14.20). Et Richard met l’accent sur l’enseignement de JĂ©sus concernant l’union avec Dieu et en montre la portĂ©e fondamentale. « Ce jour-lĂ  promis dans l’Évangile de Jean a Ă©tĂ© long Ă  venir. Et pourtant, c’est le message constant de chaque grande religion dans l’histoire. C’est la tradition PĂ©renne. Le divin et ainsi l’union universelle est le cƓur du message et la promesse – le but global et la signification majeure de toute religion. Nous ne pouvons nous Ă©lever Ă  l’union avec Dieu parce que nous l’avons dĂ©jĂ  reçue ».

Julian de Norwich utilise l’idĂ©e du devenir un ‘oneing’ pour dĂ©crire l’union divine. MirabaĂŻ Starr traduit ainsi un de ses textes : « L’ñme humaine est une des plus nobles choses que Dieu n’ait jamais crĂ©Ă©e. Il dĂ©sire aussi que nous soyons conscients qu’il a joint l’ñme bien aimĂ©e de l’humanitĂ© avec la sienne quand il nous a crĂ©Ă©. Le lien qui nous connecte Ă  Dieu est subtil, puissant et indĂ©finiment saint. Et il dĂ©sire aussi que nous rĂ©alisions que nos Ăąmes sont interconnectĂ©es, unies par son unitĂ© (oneness) et rendues saintes par sa saintetĂ©. Quand je regarde Ă  moi-mĂȘme comme individu, je vois que je ne suis rien. C’est seulement dans l’unitĂ© avec mes compagnons dans la recherche spirituelle (fellow spiritual seekers) que je suis quelque chose. C’est ce fondement de l’unitĂ©, ce devenir un ‘oneing’ qui sauvera l’humanité  L’amour de Dieu crĂ©e une telle unitĂ© en nous qu’aucun homme ou aucune femme comprenant cela, puisse possiblement se sĂ©parer lui-mĂȘme ou elle-mĂȘme de n’importe qui d’autre ».

Comment Richard Rohr explique-t-il cela ? « Ce n’est pas quelque bond logique du XXIe siĂšcle. Ce n’est pas du panthĂ©isme ou un simple optimisme Nouvel Ăąge. C’est le point fondamental. L’union radicale est l’expĂ©rience rĂ©currente des saints et des mystiques de toutes les traditions. Nous n’avons pas Ă  le dĂ©couvrir et Ă  le prouver ; nous avons seulement Ă  recouvrer ce qui a Ă©tĂ© redĂ©couvert – et a rĂ©joui, encore et encore ceux qui dĂ©sirent Dieu et l’amour. Quand nous l’avons redĂ©couvert, nous devenons comme Jacob, quand il s’est rĂ©veillĂ© de son sommeil et a crié « tu Ă©tais lĂ  tout le temps et je ne le savais pas » (GenĂšse 28.16).

Richard Rohr rappelle l’inspiration de Jean : « Comme Jean l’explique dans sa premiĂšre Lettre : « Je ne vous Ă©cris pas parce que vous ne savez pas la vĂ©ritĂ©. Je vous Ă©cris Ă  vous parce que vous la savez dĂ©jà ». (1 Jean 2.2). Comme Jean, je puis seulement vous convaincre de rĂ©alitĂ©s spirituelles parce que votre Ăąme sait dĂ©jĂ  ce qui est vrai, et c’est pourquoi je crois et j’ai confiance dans les visions de Julian. Pour les mystiques ; il y a un seul Connaisseur, et nous participons seulement Ă  cet Esprit unique ».

 

Une présence

Pourquoi Julian utilise-t-elle le terme de ‘oneing’, devenir un. MirabaĂŻ Starr rĂ©pond en ce sens : au lieu de parler de se fondre en Dieu ou d’union avec Dieu, Julian a forgĂ© le terme ‘oneing’. Oneing est une rĂ©flection de ce qui est dĂ©jĂ . Nous sommes dĂ©jĂ  un avec Dieu : nous avons toujours Ă©tĂ© un avec Dieu et nous le serons toujours. La vie n’est rien si elle n’est pas rĂ©veillĂ©e Ă  cette rĂ©alitĂ© de notre unitĂ©, nous unifiant avec Dieu. Ce devenant un est naturellement enracinĂ© dans l’amour. Ce n’est pas seulement devenir un ‘oneing’, devenant un pour le bien du devenant un. C’est devenant un pour l’amour.

James Finley rĂ©flĂ©chit aussi sur le devenant un : pour moi, un mot fait Ă©cho avec ‘oneing’, devenant un. Ce mot est prĂ©sence. Dans son infinie prĂ©sence, Dieu se prĂ©sente lui-mĂȘme, se prĂ©sente elle-mĂȘme et se donne entiĂšrement et complĂštement. L’unitĂ© (oneness) est toute la rĂ©alitĂ© de ce qui est. Il n’y a rien d’autre que Celui qui est ‘oneness’. Le pĂ©chĂ© originel ou la brisure tombent en dehors ou sont Ă©vacuĂ©s de l’infiniment un qui est seul rĂ©el.

Le thĂ©ologien contemplatif, Howard Thurman, dĂ©crit comment JĂ©sus et nous, pouvons faire l’expĂ©rience de la prĂ©sence de Dieu. Ce doit ĂȘtre un sens mur de la PrĂ©sence. Ce sens de la PrĂ©sence doit ĂȘtre une rĂ©alitĂ© au niveau personnel aussi bien qu’au niveau de la sociĂ©tĂ©, de la nature, du cosmos. Pour l’exprimer dans le langage le plus simple de la religion, les humains modernes doivent savoir qu’ils sont enfants de Dieu et que le Dieu de la vie et le Dieu du cƓur sont un et semblables. Une telle assurance vitalisera le sens du soi et Ă©clairera le sens de l’histoire avec la chaleur d’une grande confiance. Alors nous regarderons la vie avec des yeux tranquilles et accomplirons nos tĂąches avec la conviction et le dĂ©tachement de l’ÉternitĂ©

Quand JĂ©sus priait, il Ă©tait conscient que dans sa priĂšre, il rencontrait la PrĂ©sence, et cette conscience Ă©tait bien plus importante et significative que la rĂ©ponse Ă  sa priĂšre. C’est en premier pour cette raison que Dieu a Ă©tĂ© pour JĂ©sus la rĂ©ponse Ă  tous les enjeux et tous les problĂšmes. Lorsque, avec tout mon esprit et tout mon cƓur, je cherche vraiment Dieu et m’adonne Ă  la priĂšre, moi aussi, je rencontre la prĂ©sence de Dieu et je sais alors que JĂ©sus avait raison.

Les Ă©crits rapportant l’expĂ©rience de Julian de Norwich ne sont venus au grand jour que bien plus tard aprĂšs leur Ă©criture.  Ils exercent aujourd’hui une grande influence. Julian de Norwich est reconnue par l’Église anglicane et par l’Église catholique.

L’attention qui lui est portĂ©e sur le site : « Center for action and contemplation » ne surprend pas puisque c’est bien dans la contemplation que s’inscrivent les « rĂ©vĂ©lations » de Julian de Norwich. Dans son livre : « The divine dance » (3), Richard Rohr nous propose une vision qui fait Ă©cho Ă  celle de Julian : communion trinitaire, communion d’amour, la prĂ©sence de Dieu est dĂ©jĂ  lĂ  et s’offre Ă  notre reconnaissance : « La grĂące de Dieu est dĂ©jĂ  lĂ . Vous ne pouvez pas crĂ©er votre union Ă  Dieu. Elle vous est dĂ©jĂ  donnĂ©e. La diffĂ©rence n’est pas entre ceux qui sont unis Ă  Dieu et ceux qui ne le sont pas. Nous sommes tous unis Ă  Dieu, mais seulement certains d’entre nous le savent » (3).

Par ailleurs, nous pouvons nous reporter Ă  l’enseignement de JĂŒrgen Moltmann qui nous apprend Ă  reconnaitre la prĂ©sence de Dieu Ă  travers l’expĂ©rience (4).

Certes, l’expĂ©rience n’est pas, Ă  elle seule, source de vĂ©ritĂ©. Elle requiert une interprĂ©tation qui elle-mĂȘme puise dans d’autres ressources. En thĂ©ologie chrĂ©tienne, nous nous rĂ©fĂ©rons Ă  la Parole biblique. A cet Ă©gard, certaines affirmations de Julian, par exemple sur le pĂ©chĂ©, sont dĂ©concertantes. Mais de nouveaux angles de vue ne nous appellent-ils pas Ă  aller plus loin dans la rĂ©flexion. L’auteur d’un livre sur de grandes mystiques fĂ©minines (5), Shannon K Evans, nous invite, Ă  la fin de cette sĂ©quence, Ă  ne pas nous limiter aux prĂ©cĂ©dents et Ă  aller de l’avant : « Dieu est bien plus grand que ce que notre cerveau limitĂ© peut comprendre. Ce Dieu que nous connaissons et aimons
 est suffisamment grand pour tout contenir. La question est de savoir si nous pouvons mettre de cĂŽtĂ© nos peurs et nos prĂ©jugĂ©s et accepter cela ». Si nous en revenons Ă  l’expĂ©rience quotidienne, ne nous arrive-il pas d’ĂȘtre Ă©mu spirituellement par un tĂ©moignage, une prĂ©dication ou une lecture ? Le Saint Esprit est Ă  l’Ɠuvre. Tel message fait Ă©cho en nous. N’en est-il pas de mĂȘme en dĂ©couvrant l’enseignement de Julian de Norwich ?

J H

 

  1. Julian of Norwich. Weekly summary. Il existe une traduction française automatique sur le site. Dans ce compte rendu, quoique dĂ©pourvu de la compĂ©tence d’un traducteur professionnel, nous avons prĂ©fĂ©rĂ© traduire le texte pas-Ă -pas en affrontant les difficultĂ©s du rendu de certaines expressions https://cac.org/daily-meditations/julian-of-norwich-weekly-summary/
  2. Julian of Norwich Wikipedia: https://en.wikipedia.org/wiki/Julian_of_Norwich
  3. Reconnaitre et vivre la prĂ©sence d’un Dieu relationnel : The divine dance : https://vivreetesperer.com/reconnaitre-et-vivre-la-presence-dun-dieu-relationnel/
  4. Reconnaitre la prĂ©sence de Dieu Ă  travers l’expĂ©rience : https://vivreetesperer.com/reconnaitre-la-presence-de-dieu-a-travers-lexperience/
  5. Shannon K. Evans : The Mystics Would Like a Word: Six Women Who Met God and Found a Spirituality for Today. Penguin random house. 2024

Cette lumiĂšre qui est en nous

Selon Michelle Obama

Dans ce monde difficile et incertain, nous avons besoin de points de repĂšre. Ce sont des personnalitĂ©s dont nous sentons qu’elles peuvent nous inspirer Ă  travers leur honnĂȘtetĂ©, leur bienveillance, leur gĂ©nĂ©rositĂ©. Parfois de telles personnalitĂ©s sont particuliĂšrement visibles Ă  travers un rĂŽle Ă©minent dans la vie sociale et politique. Nous pensons Ă  Barack Obama dont nous avons rapportĂ© ici l’autobiographie (1). Mais sa femme, Michelle, qui l’a accompagnĂ© lors de sa prĂ©sidence des États-Unis, apparaĂźt Ă©galement comme une personnalitĂ© remarquable. Elle a dĂ©jĂ  relatĂ© son parcours dans un livre : « Devenir » (2), mais dans son nouvel ouvrage : « Cette lumiĂšre en nous. S’accomplir en des temps incertains » (3), elle nous invite Ă  une rĂ©flexion Ă  partir de son expĂ©rience pour nous aider Ă  affronter les obstacles, Ă  grandir et Ă  poursuivre un chemin de vie.

Et elle peut s’adresser Ă  nous Ă  partir de son parcours. (4). NĂ©e en 1964 Ă  Chicago, elle grandit avec ses parents et son grand frĂšre dans un quartier afro-amĂ©ricain de la ville. Elle est portĂ©e par un climat familial chaleureux et respectueux. « DĂšs son plus jeune Ăąge, ses parents lui apprennent Ă  faire entendre sa voix ». A 24 ans, elle est diplĂŽmĂ©e de la prestigieuse facultĂ© de droit d’Harvard. Elle entre dans un cabinet d’avocat oĂč elle reçoit, comme stagiaire, Barack Obama. Cette rencontre dĂ©bouche sur leur mariage en 1992. Ensemble, ils auront deux filles. Le 4 novembre 2008, Barack Obama est Ă©lu prĂ©sident des États-Unis et elle est la premiĂšre afro-amĂ©ricaine « premiĂšre dame » des États-Unis.

Comme jeune fille noire, elle a du faire face Ă  de nombreuses humiliations. De plus, elle Ă©voque sa grande taille qui ne la servait pas. A partir de cette expĂ©rience, elle est qualifiĂ©e pour nous apprendre Ă  faire face aux rebuffades et Ă  dĂ©velopper persĂ©vĂ©rance et confiance. « Au fil des ces pages », nous dit-elle, « il sera question de trouver son pouvoir personnel, un pouvoir collectif et le pouvoir de surmonter les sentiments de doute et d’impuissance. Je ne dis pas que tout ça est facile
 J’ai passĂ© des dĂ©cennies Ă  apprendre de mes erreurs, Ă  faire des ajustements et Ă  modifier mon cap en cours de route » (p 27). Elle nous apprend Ă  nous accepter et Ă  reconnaitre notre potentiel. « J’ai appris que l’estime de soi et la vulnĂ©rabilitĂ© n’étaient pas incompatibles, bien au contraire, et que les ĂȘtres humains avaient tous au moins une chose en commun : nous aspirons Ă  mieux, en toute circonstances et Ă  tout prix. On devient plus audacieux dans la lumiĂšre. ConnaĂźtre sa lumiĂšre, c’est se connaĂźtre soi-mĂȘme ; c’est porter un regard lucide sur sa propre histoire. La connaissance de soi engendre la confiance en soi, qui nous permet d’ĂȘtre plus sereins et de prendre du recul. C’est ainsi que nous pouvons nouer des relations authentiques avec les autres
 La lumiĂšre se transmet. Une famille forte donne de la force Ă  d’autres familles. Une communautĂ© engagĂ©e Ă©veille chez les autres le dĂ©sir de s’impliquer. Tel est le pouvoir de la lumiĂšre qui est en nous » (p 28).

Ainsi, le partage de cette expĂ©rience peut ĂȘtre bienfaisant et inspirant pour beaucoup, d’autant qu’aujourd’hui, en ces temps de crise, l’inquiĂ©tude s’est rĂ©pandue et le questionnement s’est gĂ©nĂ©ralisĂ©. « A l’origine, j’avais conçu ce livre pour proposer un accompagnement aux lecteurs qui traversaient de grands bouleversements, un ouvrage que j’espĂ©rais utile et rĂ©confortant pour quiconque entamait une nouvelle phase de sa vie, qu’il s’agisse de la fin des Ă©tudes, d’un divorce, d’un changement de carriĂšre ou d’un diagnostic mĂ©dical, de la naissance d’un enfant ou de la mort d’un proche  » (p 29). Cependant, aujourd’hui, nous sommes tous entrĂ©s dans une pĂ©riode de tempĂȘte en percevant les Ă©chos de l’épidĂ©mie, de la guerre, des troubles politiques. Alors, Michelle Obama nous invite Ă  nous poser « des questions plus pragmatiques sur la façon de rester debout au milieu des dĂ©fis et des changements : Comment s’adapter ? Comment se sentir plus Ă  l’aise, moins paralysĂ©s face Ă  l’incertitude ? Quels outils avons-nous pour nous aider ? OĂč trouver des soutiens ? Comment crĂ©er de la sĂ©curitĂ© et de la stabilité ? Et, si nous unissions nos forces, que pourrions-nous rĂ©ussir Ă  surmonter ensemble ? » (p 31).

Comment donc ce livre est-il conçu ? « Il n’existe pas de formule. Ce que je peux vous proposer, c’est de vous offrir ma propre boite Ă  outils
 Certains de mes outils sont des habitudes et des pratiques, d’autres sont vĂ©ritablement des objets physiques ; et le reste consiste en une panoplie d’attitudes et de convictions issues de mon parcours et de mes expĂ©riences personnelles, de mon propre « devenir » toujours en cours. Ce livre ne prĂ©tend pas ĂȘtre un mode d’emploi. Vous y trouverez plutĂŽt une sĂ©rie de rĂ©flexions honnĂȘtes sur ce que la vie m’a enseignĂ© jusqu’ici, sur les bĂ©quilles qui m’aident Ă  tenir. Je vous prĂ©senterai certaines des personnes qui me maintiennent debout et partagerai avec vous les leçons que j’ai apprises auprĂšs de femmes exceptionnelles pour faire face Ă  l’injustice et Ă  l’incertitude. Je vous parlerai des choses qui continuent Ă  me mettre par terre et de celles sur lesquelles je m’appuie pour me relever. Je vous confierai aussi certaines attitudes dont je me suis dĂ©barrassĂ©e avec le temps ayant fini par comprendre qu’il fallait faire le tri entre outils et dĂ©fenses, les premiers Ă©tant bien plus utiles que les secondes » (p 26).

« Ce livre se dĂ©roule en trois parties : la premiĂšre Ă©voque le processus qui permet de puiser de la force et de la lumiĂšre en soi ; la seconde Ă©voque notre relation aux autres et la notion de bien-ĂȘtre affectif ; la troisiĂšme a pour but d’ouvrir une discussion sur les maniĂšres de mieux nous approprier, protĂ©ger et renforcer notre lumiĂšre, notamment dans les pĂ©riodes difficiles » (p 27).

 

Manifester sa présence

Ce livre foisonne en de multiples propos et se prĂȘte peu Ă  une analyse mĂ©thodique. A titre d’exemple, nous choisissons donc ici un des chapitres : « Suis-je visible ? », pour tĂ©moigner de l’actualitĂ© et de la pertinence du sujet et de l’authenticitĂ© de l’expĂ©rience ainsi rapportĂ©e.

Si on est confrontĂ© Ă  des attitudes de domination et Ă  la pression du conformisme, on hĂ©site bien sĂ»r Ă  apparaĂźtre. On se tient prudemment en retrait. On comprend ainsi la question : « Suis-je visible ? ». De par son parcours, Michelle Obama est bien placĂ©e pour en parler. « Partout oĂč je vais, je rencontre des gens qui me confient avoir du mal Ă  ĂȘtre acceptĂ©s en tant qu’individus Ă  part entiĂšre, que ce soit Ă  l’école, au travail, ou au sein d’un groupe plus large. C’est un sentiment que j’ai connu et avec lequel j’ai du composer pendant la majeure partie de ma vie » (p 105).

Les motifs du ressenti de non acceptation peuvent ĂȘtre trĂšs divers. Ainsi, dans son enfance et dans son adolescence, ce fut pour Michelle, l’impression que sa grande taille physique la mettait Ă  part. « Dans mon quartier, ĂȘtre noir n’avait rien de remarquable. A l’école, je frĂ©quentais des enfants de tous milieux et cette diversitĂ© crĂ©ait un environnement oĂč nous pouvions ĂȘtre pleinement nous-mĂȘme. En revanche, j’étais grande. Et il a fallu que j’apprenne Ă  m’en accommoder. On ne voyait que ça. On m’a collĂ© cette Ă©tiquette trĂšs tĂŽt et je n’ai jamais pu m’en dĂ©barrasser  » (p 106). Elles ressent par exemple les appels Ă  l’école oĂč on classe les enfants : « les petits derriĂšre, les grands devant ». Cela lui donne « l’impression d’ĂȘtre publiquement relĂ©guĂ©e Ă  la marge ». « Cette apparente disgrĂące a crĂ©Ă© en moi une blessure infime, une petite graine de dĂ©testation de soi qui m’empĂȘchait de voir mes atouts » (p 106). « RĂ©trospectivement, j’ai compris que je m’adressais deux messages simultanĂ©s particuliĂšrement toxiques lorsqu’ils sont associĂ©s : « Je ne suis pas comme les autres » et « Je ne compte pas » (p 107). A l’époque, le sport fĂ©minin n’était pas aussi dĂ©veloppĂ© qu’aujourd’hui et ne lui offrait pas une voie d’affirmation.

Cependant, le ressenti de la diffĂ©rence comme source de rejet s’inscrit gĂ©nĂ©ralement dans une dimension sociale. Aux États-Unis, la discrimination vis-Ă -vis de la communautĂ© afro-amĂ©ricaine prend des formes diverses. Michelle Obama Ă©voque le cas « d’un certain nombre d’amies qui ont grandi dans des banlieues blanches aisĂ©es
 La plupart racontent que leurs parents ont fait le choix de les Ă©lever dans des quartiers oĂč les Ă©coles publiques Ă©taient bien dotĂ©es
 ». Mais, il y avait alors une contrepartie. Ces enfants pouvaient se ressentir comme une exception. L’auteure nous raconte ici le cas d’Andrea. Comme fillette noire, « Elle a commencĂ© Ă  ressentir des flottements autour d’elle, dĂšs son plus jeune Ăąge
 Cela n’a pas empĂȘchĂ© Andrea de se faire des amis qui l’aimaient pour elle-mĂȘme et d’avoir une enfance heureuse, simplement elle a Ă©tĂ© consciente de sa diffĂ©rence trĂšs tĂŽt. Et elle a vite appris Ă  dĂ©crypter les signaux lui rabĂąchant qu’elle n’était pas Ă  sa place, Ă  dĂ©celer les non-dits lui indiquant qu’elle Ă©tait une intruse dans sa propre ville » (p 117). Ce sont lĂ  des blessures qui ont laissĂ© des traces.

Michelle Obama a grandi dans un quartier oĂč elle se sentait chez elle. « De ce fait, jusqu’à mes 17 ans, je n’ai jamais Ă©tĂ© « l’exception ». C’est Ă  l’universitĂ© que j’ai dĂ©couvert cette forme d’invisibilitĂ© paradoxale ». Princeton est une prestigieuse universitĂ© amĂ©ricaine dans un site magnifique. Mais Michelle s’y retrouvait dans un « environnement peuplĂ© majoritairement de jeunes hommes blancs ». Elle a pu cependant trouver un lieu convivial dans un « centre multiculturel oĂč se rĂ©unissaient les Ă©tudiants non blancs ». Dans ce milieu, il Ă©tait possible d’exprimer des expĂ©riences de discrimination, de les comparer. « Nous n’étions pas fous. Ce n’était pas simplement dans notre tĂȘte. Le sentiment d’exclusion et d’isolement
 n’était pas une vue de l’esprit. Et ce n’était pas non plus la consĂ©quence d’une dĂ©ficience ou d’un manque d’effort de notre part. Nous n’imaginions pas les prĂ©jugĂ©s qui nous rejetaient aux marges. C’était rĂ©el » (p 123). Ce sentiment Ă©tant prĂ©sent et rĂ©pandu, une question apparaĂźt : « Qu’en faire ? ».

«  Notre pĂšre dont les tremblements et la claudication attiraient parfois l’attention des passants dans la rue, nous disait toujours avec un haussement d’épaules : « Aucune critique ne peut vous atteindre si vous ĂȘtes en accord avec vous-mĂȘme » (p 123). Michelle nous fait un portrait de son pĂšre. « Mon pĂšre ne se souciait pas du regard des autres. Il Ă©tait bien dans sa peau. Il connaissait sa propre valeur et il Ă©tait Ă©quilibrĂ© mentalement Ă  dĂ©faut de l’ĂȘtre physiquement » (p 123). Le pĂšre de Michelle avait Ă©tĂ© lui aussi confrontĂ© Ă  l’arbitraire. « Il n’avait jamais eu les moyens de faire des Ă©tudes supĂ©rieures. Il avait subi les politiques discriminatoires du logement et de l’éducation ». Mais il a refusĂ© de s’engager dans l’amertume. « Il avait appris que, dans certaines circonstances, savoir ignorer les vexations et laisser couler Ă©tait une force. Il Ă©tait conscient de l’injustice, mais ne voulait pas cĂ©der au dĂ©sespoir
 Il a prĂ©fĂ©rĂ© nous inciter, mon frĂšre et moi, Ă  nous intĂ©resser au fonctionnement du monde, et nous parler d’égalitĂ© et de justice » (p 124). Il savait mesurer sa valeur sur ce qu’il avait et non sur ce qu’il n’avait pas. « Le regard qu’on porte sur soi est dĂ©terminant. C’est la base, le point de dĂ©part pour changer le monde autour de soi. VoilĂ  ce qu’il m’a appris. L’équilibre de mon pĂšre m’a aidĂ©e Ă  trouvĂ© le mien » (p 125).

« Aucune critique ne peut vous vous atteindre si vous ĂȘtes en accord avec vous-mĂȘme ». Michelle nous raconte comment elle a Ă©voluĂ© dans sa maniĂšre de penser et de se comporter. « On pourrait dire que tout a commencĂ© par l’acceptation
 Peu Ă  peu, j’ai compris que si je voulais changer la dynamique des lieux que je frĂ©quentais, pour moi-mĂȘme et ceux qui me suivraient, si je voulais qu’ils accueillent plus largement la diffĂ©rence, que chacun s’y sente Ă  sa place, je devais d’abord trouver en moi la fiertĂ© et l’aplomb nĂ©cessaires. Au lieu de cacher qui j’étais, j’ai appris Ă  le revendiquer
 Je devais m’entrainer Ă  ĂȘtre Ă  l’aise avec ma peur. C’était ça ou renoncer. La vie de mon pĂšre m’avait enseignĂ© une chose : on fait avec ce qu’on a. On se forge des outils, on s’adapte et on avance. On persĂ©vĂšre, en dĂ©pit de  » (p 106).

L’auteure nous rapporte des incidents rĂ©vĂ©lateurs de mentalitĂ©s imprĂ©gnĂ©es par une pensĂ©e d’exclusion. Ainsi Stacey Abrams, aujourd’hui femme politique, rapporte que major de sa promotion de lycĂ©e en 1991, elle fut invitĂ©e Ă  une rĂ©ception du gouverneur de GĂ©orgie, et que s’y rendant avec ses parents, elle fut l’objet d’un rejet par un agent de sĂ©curitĂ©. Elle parvint Ă  passer parce que ses parents avaient parlementĂ©, mais ce fut lĂ  un souvenir cuisant. « De tels messages ont un pouvoir annihilateur, surtout s’ils s’adressent Ă  un sujet jeune dont l’identitĂ© se construit  » (p 132). L’auteure rapporte Ă©galement « la lĂ©gĂšretĂ© avec laquelle une conseillĂšre d’orientation, au lycĂ©e, a balayĂ© ses ambitions au bout de dix minutes d’entretien, insinuant qu’il Ă©tait inutile que je postule Ă  Princeton, car, Ă  ses yeux, je n’avais pas « le profil » adĂ©quat » (p 132). « On ne perçoit pas toujours la portĂ©e de ce genre de message, c’est pourquoi il faut ĂȘtre attentif Ă  la maniĂšre dont ils sont formulĂ©s et reçus. Les enfants et les adolescents dĂ©sirent qu’on reconnaisse la lumiĂšre qui est en eux. Ils en ont besoin. C’est ce qui les aide Ă  grandir. Et si on leur fait sentir qu’ils sont invisibles, alors ils trouveront d’autres moyens moins productifs de se faire remarquer » (p 133). Michelle Obama revient sur ceux qui ont fait barrage. Elle les perçoit comme « des figurants dans les rĂ©cits plus vastes et plus intĂ©ressants qui tĂ©moignent de notre place dans ce monde. Leur seul pouvoir, au bout du compte, est de nous rappeler pourquoi nous persĂ©vĂ©rons » (p 135).

 

Pourquoi ce livre ? Les intentions de MichÚle Obama

Quelles Ă©taient les intentions de Michelle Obama en Ă©crivant ce livre ? Elle nous rĂ©pond dans une interview exclusive sur Brut oĂč elle Ă©change avec l’autrice LeĂŻla Slimani (5).

Comme l’intervieweuse remarque que, dans son livre, elle n’hĂ©site pas Ă  exprimer combien elle a pu connaitre des angoisses et des doutes, et Ă  montrer « la femme derriĂšre l’icĂŽne », Michelle Obama rĂ©pond que c’est lĂ  une manifestation « d’authenticitĂ© et de vulnĂ©rabilité ». « Parfois, il est facile de se dire que quand on est perçu comme un modĂšle, on doit avoir toutes les rĂ©ponses, on ne doit montrer aucune faiblesse, mais je crois que c’est placer la barre trop haut Ă  un niveau impossible Ă  atteindre pour les personnes qui vous admirent et en fait ce n’est pas vrai. Nous souffrons tous de la peur. Nous traversons tous ces Ă©pisodes dĂ©pressifs. Nous nous demandons tous si nous sommes Ă  la hauteur. Dans mon cas, le fait de l’admettre, c’est le « code source » de ma puissance. Comment mes diffĂ©rences et ma singularitĂ© ont fait de moi celle que je suis, plutĂŽt que de chercher Ă  les cacher, plutĂŽt que de porter un masque de la perfection ».

Cependant que penser d’un rĂŽle modĂšle ? Comment envisager cette notion de modĂšle ? Michelle Obama rĂ©pond que les femmes qui sont prĂ©sentes sur la scĂšne publique ont une responsabilitĂ©. Comme femme noire, elle est singuliĂšre. Elle fait partie de femmes qui se sentent marginalisĂ©es comme si elles n’avaient pas de chemin bien dĂ©fini Ă  suivre parce qu’elles n’ont pas de modĂšles
 Elle veut donc contribuer Ă  « rĂ©Ă©crire l’histoire qui est laissĂ©e de cĂŽtĂ© pour imposer notre image ». C’est permettre Ă  des jeunes de se dire : moi aussi, je peux y arriver.

Des questions sur diffĂ©rents thĂšmes lui sont ensuite adressĂ©es. Et, comme elle a Ă©crit un chapitre sur l’amitiĂ©, et que l’amitiĂ© tient une grande place dans sa vie, Leila Slimani lui demande d’en parler. Michelle Obama rĂ©pond qu’elle a Ă©tĂ© surprise par le nombre de lecteurs qui ont rĂ©agi Ă  ce chapitre «parce que beaucoup d’entre eux disaient qu’ils n’avaient pas d’amis ». Ainsi, en parlant Ă  des femmes sur-occupĂ©es par leur activitĂ© professionnelle et leur responsabilitĂ© familiale, elle a constatĂ© qu’elles n’avaient pas pu donner une prioritĂ© Ă  l’amitiĂ©, et alors, « on se rĂ©veille un jour sans amis ». « Ma communautĂ© de soutien a toujours Ă©tĂ© essentielle pour moi. Je la dĂ©cris comme ma « table de cuisine ». J’ai choisi cette mĂ©taphore parce que, quand j’étais petite et que je vivais dans les quartiers sud de Chicago, la table de cuisine Ă©tait l’endroit oĂč tout le monde se rĂ©unissait dans notre petit appartement. C’est lĂ  qu’on rĂ©glait tous nos problĂšmes pendant que ma mĂšre prĂ©parait le diner. C’est lĂ  que mes amies venaient pendant la pause dĂ©jeuner pour parler des soucis de la journĂ©e. C’est un endroit oĂč on pouvait retirer son masque et ĂȘtre complĂštement soi-mĂȘme
 C’était un espace de confiance oĂč on pouvait partager ses expĂ©riences, baisser le masque et ĂȘtre relevĂ©e, guĂ©rir des blessures du monde
 C’est fondamental
 Je pense qu’on ne peut pas tenir pour acquise cette communautĂ©, qu’il faut la construire. On ne doit pas perdre cette habitude pas seulement de tisser des amitiĂ©s, mais de les entretenir dans la durĂ©e ».

L’intervieweuse pose une derniĂšre question sur la devise proclamĂ©e par Michelle Obama Ă  la convention dĂ©mocrate de Philadelphie en 2016 : « Quand ils s’abaissent, nous nous Ă©levons ». C’est un appel Ă  la dignitĂ© et au courage, mais certains s’impatientent et se radicalisent. « Comment continuer Ă  nous battre dans la dignitĂ© ? ». Michelle Obama rĂ©pond qu’elle s’en est expliquĂ©e dans un chapitre. « Une devise n’est rien sans action. S’élever ne veut pas dire ĂȘtre complaisant
 Pour moi, s’élever, c’est passer de la rage Ă  l’action
 Je cite John Lewis
 « La libertĂ©, ce n’est pas un Ă©tat, mais un acte. Ce n’est pas un jardin enchanté  Il faut travailler intelligemment et prĂ©voir stratĂ©giquement. C’est comme cela que le mouvement des droits civiques a fonctionnĂ©. On parle toujours de la marche de Washington, mais la marche de Washington n’était que la cerise sur le gĂąteau. Il y avait des projets pour changer les lois. Il y avait des boycotts qui ont durĂ© des annĂ©es  ». Michelle Obama parle d’« une action Ă  long terme oĂč on cherche Ă  savoir quel sera le rĂ©sultat final de nos actions. Vont-elles ouvrir l’esprit des gens, les amener Ă  mieux me comprendre ou vont-elles les amener Ă  me craindre davantage ? J’explore cela d’une façon trĂšs dĂ©taillĂ©e ». Les gĂ©nĂ©rations actuelles peuvent s’interroger sur la vitesse du changement. « Mais, au final, je crois que l’intĂ©gritĂ©, la dignitĂ©, la patience, la dĂ©termination, la prĂ©paration sont les clĂ©s et qu’elles ne passeront jamais de mode ».

Notre condition sociale comme les circonstances de la vie peuvent nous avoir courbĂ©, Ă©touffĂ©, humiliĂ©. Une prise de conscience se gĂ©nĂ©ralise aujourd’hui. Cette situation n’est pas inĂ©luctable. Il y en nous un potentiel qui peut se mobiliser. Michelle Obama nous appelle Ă  dĂ©couvrir cette force latente, en dĂ©couvrant « la lumiĂšre en nous ».

Parce qu’elle-mĂȘme a connu des situations dans lesquelles elle a Ă©tĂ© mĂ©connue, et, en particulier, celle d’une jeune fille noire confrontĂ©e aux prĂ©jugĂ©s ambiants, elle peut Ă©crire Ă  partir de son expĂ©rience. Son expression authentique, sincĂšre, contraste avec des approches plus convenues. Ainsi s’opĂšre une rencontre avec lectrices et lecteurs. Un courant passe qui engendre la confiance. Ce livre suscite une prise de conscience libĂ©ratrice. La parole de Michelle Obama porte d’autant plus qu’avec ses deux filles, elle a partagĂ© la vie de Barack Obama Ă  la prĂ©sidence des Etats-Unis.

Sur ce blog, nous avons suivi diffĂ©rents Ă©pisodes de cette prĂ©sidence (1). Dans une histoire longue, la prĂ©sidence de Barack Obama s’inscrit dans un mouvement d’émancipation et de solidaritĂ© qui a connu des Ă©tapes marquantes comme la lutte pour les droits civiques menĂ©es par Martin Luther King. On peut y voir une inspiration chrĂ©tienne telle qu’on peut la percevoir notamment dans le titre des mĂ©moires de Barack Obama : « Terre promise » (1). En s’adressant Ă  un grand public, la tonalitĂ© du livre de Michelle Obama nous paraĂźt plus psychologique dans une forme oĂč s’allie l’expĂ©rience et le bon sens et oĂč s’exprime une dynamique de vie.

J H

 

 

  1. Barack Obama. Une Terre promise. Fayard, 2020. Compte-rendu avec un rappel des liens à différents articles sur ce blog portant sur différents épisodes et différentes facettes de cette présidence.
  2. Michelle Obama. Devenir. Fayard, 2018
  3. Michelle Obama. Cette lumiùre en nous. S’accomplir en des temps incertains. Flammarion, 2022
  4. Michelle Obama. Une vie. Brut You Tube : https://www.google.fr/search?hl=fr&as_q=Michelle+Obama++Brut&as_epq=&as_oq=&as_eq=&as_nlo=&as_nhi=&lr=&cr=&as_qdr=all&as_sitesearch=&as_occt=any&safe=images&as_filetype=&tbs=#fpstate=ive&vld=cid:deef07ed,vid:3ttPTHXihrQ
  5. Interview exclusive de Michelle Obama sur Brut : https://www.youtube.com/watch?v=cv7tEPpJk9o

Unis dans la continuité du temps

La continuité de la vie

Selon Barbara Holmes

Du 30 octobre au 5 novembre 2022, sur le site du Center for action and contemplation, Richard Rohr a publiĂ© une sĂ©quence de mĂ©ditations intitulĂ©e : « Garder la foi dans nos ancĂȘtres » (« Keeping faith in our ancestors ») (1). Dans l’esprit du thĂšme annuel : « Nothing stands alone » : « Rien n’est isolé ; tout se tient », cette sĂ©quence envisage la « communion des saints » : « A travers l’histoire, les humains ont souvent manifestĂ© fortement leur apprĂ©ciation d’une connexion avec leurs ancĂȘtres », Ă©crit Richard Rohr en poursuivant : « Je pense que cette notion collective de l’unitĂ© est ce que les chrĂ©tiens ont essayĂ© de verbaliser lorsqu’ils ont ajoutĂ© tardivement Ă  l’ancienne dĂ©claration de foi des apĂŽtres : « Je crois Ă  la communion des saints ». Ils nous offrait l’idĂ©e que les morts en unitĂ© avec les vivants, qu’ils soient nos ancĂȘtres directs, les saints en gloire ou mĂȘme, ainsi appelĂ©es, les Ăąmes du purgatoire » (« Partie d’un corps », mardi 1er novembre 2025). Sur ce blog, nous avons Ă©voquĂ© Ă  de nombreuses reprises, la communion des vivants et des morts en Ă©voquant notamment la thĂ©ologie de JĂŒrgen Moltmann (2). Nous abordons ce thĂšme ici en rapportant la contribution de Barbara Holmes dans cette sĂ©quence : « The continuum of life » (La continuitĂ© de la vie » (3).

Barbara Holmes intervient Ă  deux reprises dans cette sĂ©quence, l’une d’elle rapportant une expĂ©rience spirituelle vĂ©cue personnellement sur le registre du thĂšme Ă©voquĂ©. Elle s’inscrit par ailleurs dans le rĂ©seau communautaire du « Center for action and contemplation ». C’est une personnalitĂ© qui a acquis une compĂ©tence dans de nombreux domaines : art, sociologie, sciences de l’éducation et, bien sur, thĂ©ologie. A partir de son expĂ©rience spirituelle, elle a Ă©crit plusieurs livres, et notamment : « « Une  joie inexprimable. Pratiques contemplatives dans une Eglise noire », « Cosmos et libĂ©ration ». Elle dĂ©clare : « Ma vie est engagĂ©e dans la lutte pour la justice, la guĂ©rison de l’esprit humain et l’art dans un mouvement de crĂ©ativitĂ© radicale en recherche de pertinence ». Elle est dĂ©crite comme « une enseignante en spiritualitĂ©, une activiste et une chercheuse centrĂ©e sur la spiritualitĂ© afro-amĂ©ricaine, la mystique, la cosmologie et la culture » (4). C’est une thĂ©ologienne et une Ă©crivaine.

Barbara Holmes s’exprime ainsi : « Un monde sans ancĂȘtres est solitaire. Je suis pleine de gratitude envers les anciens de ma famille qui m’ont introduit dans le continuum de la vie. Il est important de savoir comment nous comprenons notre sĂ©jour dans cette rĂ©alitĂ©. Si nous considĂ©rons nos vies comme des segments sĂ©parĂ©s par un trait qui englobe les dates de la naissance et de la mort, nous serons inconsolables quand un traumatisme tronquera nos rĂ©alitĂ©s et retardera nos destinations. Mais si nous nous considĂ©rons nous-mĂȘme comme une partie du continuum de la vie qui ne se termine pas Ă  la mort, mais transite jusqu’à la vie aprĂšs la vie, nos perspectives peuvent changer ».

Barbara Holmes porte ensuite son regard sur les relations entre le monde prĂ©sent et l’au delĂ . « La communautĂ© des ancĂȘtres qui habite dĂ©jĂ  la vie au delĂ  de la vie se tient en contact constant avec nous. Ils envoient des messages et interviennent lorsque nĂ©cessaire. Ils prient avec nous et murmurent des avertissements. Que nous les appelions ancĂȘtres ou anciens, seules ces femmes et ces hommes qui ont menĂ© de bonnes vies dans leur vie physique, sont considĂ©rĂ©s comme Ă©tant des guides avisĂ©s dans le royaume spirituel. Dans certaines cultures africaines, ils sont appelĂ©s les ainĂ©s, les anciens. Chaque ancien reprĂ©sente l’entiĂšre autoritĂ© mystique et lĂ©gale de la lignĂ©e. Pour moi, les ancĂȘtres, les ainĂ©s vivants et morts, m’ont imposĂ© le respect et ont toujours Ă©tĂ© prĂ©sents, me soutenant et me guidant ».

Richard Rohr apporte ensuite un tĂ©moignage personnel. AprĂšs le dĂ©cĂšs de sa mĂšre, il a fait l’expĂ©rience de la connexion ou d’un « pont » Ă  la vie aprĂšs la mort. « Je crois qu’un des Ă©vĂšnements essentiels est l’expĂ©rience de la passion et de la mort, en relation avec quelqu’un que nous aimons, avec quelqu’un auquel nous sommes liĂ©.

Quand ma mĂšre est dĂ©cĂ©dĂ©e, je n’ait pas doutĂ© qu’elle construisait un pont – je ne vois pas quel autre mot utiliser – qu’elle bĂątissait un pont et prenait quelque chose de moi avec elle et qu’elle me renvoyait quelque chose d’elle. Je comprends maintenant Ă  un niveau plus profond ce que JĂ©sus voulait dire : « A moins que je m’en aille, l’Esprit ne viendra pas ». (Jean 16.7). Je pense que le cours normal de l’histoire est pour chaque gĂ©nĂ©ration de passer et de bĂątir des ponts d’amour et de confiance pour la gĂ©nĂ©ration suivante
 Tout ce que JĂ©sus est venu nous enseigner et avait seulement besoin de nous enseigner, c’était comment avancer Ă  travers le grand mystĂšre, ne pas ĂȘtre confondu et d’avoir confiance que Dieu est de l’autre cĂŽté ».

Les formes de notre conscience des rapports entre les vivants et les morts sont certes en relation avec la culture dans laquelle nous vivons. Les accents peuvent varier, mais, avec JĂŒrgen Moltmann, nous croyons en la communion entre les vivants et les morts.

« L’ĂȘtre humain est un ĂȘtre en relation ». Cette rĂ©alitĂ© se manifeste Ă©galement dans la continuitĂ© des gĂ©nĂ©rations. « Les ĂȘtres humains participent Ă  une continuitĂ© des gĂ©nĂ©rations mĂȘme s’ils n’en ont pas toujours conscience ». Dans les sociĂ©tĂ©s modernes occidentales, l’individualisme fait obstacle Ă  cette conscience collective. Cela rĂ©duit la conscience de la communion entre les vivants et les morts. A cet Ă©gard, les sociĂ©tĂ©s traditionnelles, en particulier celles d’ExtrĂȘme Orient, ont quelque chose Ă  nous rappeler, car elles vivent actuellement cette communion entre les vivants et les morts. Dans le monde occidental, nous avons besoin d’une culture nouvelle du souvenir, « de maniĂšre Ă  ne pas vivre seulement comme individus pour nous-mĂȘmes, mais en vue de regarder au delĂ  de nous-mĂȘmes ». C’est seulement si nous percevons notre durĂ©e de vie dans le cadre plus vaste de la succession des gĂ©nĂ©rations que nous pouvons entrer « dans la mĂ©moire du passĂ© et dans l’avenir en espĂ©rance de ce qui est Ă  venir ». Pour rĂ©aliser cette communion entre les vivants et les morts, une transcendance de la vie et de la mort est requise
 La foi chrĂ©tienne envisage la communion des vivants et des morts dans le Christ qui est mort dans une mort humaine et a Ă©tĂ© ressuscitĂ© dans une vie divine. En consĂ©quence, la communautĂ© chrĂ©tienne est une communautĂ© non seulement des vivants, mais des morts. « Le Christ est ressuscitĂ© pour qu’il puisse ĂȘtre le Seigneur Ă  la fois des morts et des vivants » ( Romains 14.9) (5).

J H

 

  1. Keeping faith in our ancestors : https://cac.org/themes/keeping-faith-with-our-ancestors/
  2. Sur la Terre comme au Ciel : https://vivreetesperer.com/sur-la-terre-comme-au-ciel/ Le Dieu vivant et la plĂ©nitude de vie : https://vivreetesperer.com/le-dieu-vivant-et-la-plenitude-de-vie-2/ Une rĂ©volution spirituelle. Une approche nouvelle de l’Au-delà : https://vivreetesperer.com/une-revolution-spirituelle-une-approche-nouvelle-de-lau-dela/
  3. The continuum of life : https://cac.org/daily-meditations/the-continuum-of-life-2022-10-30/
  4. Barbara Holmes : https://www.drbarbaraholmes.com/bio
  5. Le Dieu vivant et la plénitude de vie : https://vivreetesperer.com/le-dieu-vivant-et-la-plenitude-de-vie-2/
The Good Life

The Good Life

Ce que nous apprend la plus longue étude scientifique sur le bonheur et la santé

Cette annĂ©e 2023, vient de paraĂźtre le bilan d’une recherche exceptionnelle par son Ă©tendue et sa durĂ©e pour la comprĂ©hension de la b vie humaine dans son projet de vie bonne : »The Good Life and how to live it. Lessons from the World’s longest study on happiness » (1). Ce livre a Ă©tĂ© trĂšs rapidement traduit et publiĂ© en français :  « The good life : ce que nous apprend la plus longue Ă©tude scientifique sur le bonheur et la santé » (2). « En cette pĂ©riode de grande incertitude, les docteurs Robert Waldinger et Marc Schultz, actuels directeurs de l’étude, font pour la premiĂšre fois la synthĂšse de dĂ©cennies de recherches associant rĂ©sultats mĂ©dicaux, trajectoires personnelles, sagesses ancestrales et outils concrets, ils nous prouvent scientifiquement qu’une vie vĂ©ritablement heureuse n’est pas synonyme de rĂ©ussites et de succĂšs financiers, et que nous avons en nous les clĂ©s de notre Ă©panouissement et de notre rĂ©silience ».

DĂ©jĂ , certaines dĂ©couvertes inattendues avaient Ă©tĂ© dĂ©voilĂ©es par Robert Waldinger dans une vidĂ©o Ted X (3). Comme si un aveuglement l’en avait longtemps empĂȘchĂ©, une constatation Ă©tait apparue : l’importance de la vie relationnelle pour l’épanouissement humain. « Le message le plus Ă©vident est celui-ci : « Les bonnes relations nous rendent plus heureux et en meilleure forme. C’est tout ».Et, les connections sociales sont vraiment trĂšs bonnes pour nous et la solitude tue. Les gens qui sont les plus connectĂ©s Ă  leur famille, Ă  leurs amis, Ă  leur communautĂ©, sont plus heureux physiquement et en meilleure santĂ© et ils vivent plus longtemps que les gens moins bien connectĂ©s » (3).

 

La grande enquĂȘte d’Harvard sur le dĂ©veloppement adulte

Dans les annĂ©es 1930, alors que les Etats-Unis luttaient pour sortir de la grande DĂ©pression, et comme le « New Deal » prenait son essor, « il y eut un intĂ©rĂȘt croissant pour comprendre quels facteurs permettaient aux ĂȘtres humains de prospĂ©rer en contraste avec ce qui les faisaient Ă©chouer . Cet intĂ©rĂȘt nouveau a conduit deux groupes de chercheurs Ă  Boston Ă  initier des projets de recherche se proposant de suivre deux groupes trĂšs diffĂ©rents de garçons.

Le premier Ă©tait un groupe d’étudiants de deuxiĂšme annĂ©e au CollĂšge d’Harvard parce qu’ils Ă©taient considĂ©rĂ©s comme devant probablement grandir en devenant des hommes en bonne santĂ© et bien ajustĂ©s . Dans l’esprit du temps, mais bien en avance sur ses contemporains dans la communautĂ© mĂ©dicale, Arlie Rock, le nouveau  professeur d’hygiĂšne, dĂ©sirait passer d’une attention Ă  ce qui rendait les gens malades Ă  ce qui  rendait les gens en bonne santé  » ( pagination livre anglophone p 11). La seconde Ă©tude fut initiĂ©e par un juriste et un travailleur social auprĂšs de jeunes garçons ĂągĂ©s de 14 ans  habitant dans des quartiers dĂ©favorisĂ©s et venant de familles en difficultĂ©s, pour 60% ayant au moins un parent issu de l’immigration mais ayant Ă©vité  de tomber dan la dĂ©linquance, un des buts de l’enquĂȘte Ă©tant justement de prĂ©venir la dĂ©linquance. Lorsque les deux enquĂȘtes se sont rejointes, une mĂ©thodologie commune a Ă©tĂ© adoptĂ©e. « les enquĂȘtĂ©s se sont vus soumis Ă  des examens mĂ©dicaux, et ont Ă©tĂ© interviewĂ©s Ă  domicile » . Cette enquĂȘte se caractĂ©rise par l’ampleur et le volume des donnĂ©es recueillies durant un parcours de vie intĂ©gral. « Dans notre Ă©tude longitudinale, chaque rĂ©cit de vie se fonde sur des donnĂ©es dĂ©taillĂ©es concernant la santĂ© et les conditions physiques. Nous avons Ă©galement enregistrĂ© d’autres donnĂ©es de base comme la nature de leur emploi, le nombre des amis proches, leurs loisirs. A un niveau plus profond, nous les avons sondĂ© sur leur expĂ©rience subjective . nous leur avons posĂ© des question sur leur satisfaction au travail, leur satisfaction maritale, leur maniĂšre de rĂ©soudre les conflits, l’impact psychologique des mariages et des divorces, les naissances et les dĂ©cĂšs . Nous les avons interrogĂ© sur leurs souvenirs familiaux
. Nous avons Ă©tudiĂ© leurs croyances spirituelles et leurs prĂ©fĂ©rences politiques, leurs pratiques d’église, leur participation Ă  des activitĂ©s communautaires, leur but dans la vie
  Tous les deux ans, nous leur avons envoyĂ© de longs questionnaires et tous les cinq ans, nous avons recueillis des donnĂ©es mĂ©dicales complĂštes. Tous les quinze ans, nous avons eu avec eux une rencontre face Ă  face » ( p 14-15). C’est dire la connaissance dĂ©taillĂ©e qui en est rĂ©sultĂ©e. Mais la vie sociale et les mƓurs Ă©voluent. Les chercheurs en ont tenu compte et ils ont Ă©galement pris en charge les rĂ©sultats d’autres recherches.  « Le but de ce livre est d’offrir ce que nous avons appris sur la condition humaine, de vous montrer ce que l’étude d’Harvard peut dire au sujet de l’expĂ©rience universelle d’ĂȘtre en vie » ( p 16).

 

Qu’est-ce qui rend une vie bonne ?

« Qu’est-ce qui rend une vie bonne ? C’est la question que se pose les chercheurs ? Mais il y donc une question prĂ©alable : qu’entend-on par : vie bonne ? Quand on demande aux gens ce qu’ils attendent de la vie, la rĂ©ponse la plus courante est : ĂȘtre heureux. Mais qu’est-ce que le bonheur signifie ? Pour rĂ©pondre Ă  cette question, les auteurs ont notamment recours Ă  la pensĂ©e grecque. «  Il y a plus de deux mille ans, Aristote utilisait un terme qui est encore beaucoup utilisĂ© en psychologie aujourd’hui : « eudaimonia ». Ce terme se rĂ©fĂšre Ă  un Ă©tat de  profond bien-ĂȘtre dans lequel une personne sent que sa vie a un sens et un but. Il est souvent mis en contraste  avec « hedonia » (origine du mot hĂ©donisme) qui renvoie Ă  un bonheur flottant de plaisirs variĂ©s » ( p 18). « On peut parler de  bonheur hĂ©donique quand on dit : avoir du bon temps, mais le bonheur eudaimonique correspond Ă  ce que nous voulons signifier lorsque nous disons : la vie est bonne
 C’est un genre ce bonheur qui peut passer Ă  la fois Ă  travers des hauts et des bas ».

Certains psychologues ont contestĂ© l’emploi du mot bonheur comme une appellation fourre-tout et prĂ©fĂšrent des termes comme bien-ĂȘtre. Un des auteurs Ă©voque des gens qui prospĂšrent (thriving) . Cependant, tout le monde comprendra ce qu’on entend par ĂȘtre heureux et le terme de bonheur est entendu ici  dans le sens prĂŽnĂ© par Aristote : « eudaimonia ».. ( p 19)

 

Chemins heureux ou malheureux

A partir de leur immense banque de donnĂ©es, les auteurs peuvent suivre les Ă©volutions des uns et des autres et dans quel sens elles tournent. C’est ainsi qu’il  nous est prĂ©sentĂ© deux rĂ©cits de vie, deux Ă©tudes de cas, un chemin plutĂŽt heureux et une autre, plutĂŽt malheureux ( p 31-35).

« En 1946, John Marsden et Leo DeMarco se trouvaient tous deux Ă  un carrefour majeur dans leur vie. Tous deux avaient la bonne fortune d’ĂȘtre rĂ©cemment diplĂŽmĂ© de Harvard. Toux deus venaient de servir militairement durant la seconde guerre mondiale. Ils bĂ©nĂ©ficiaient des avantages accordĂ©s aux vĂ©tĂ©rans. Tous deux Ă©taient bien dotĂ©s financiĂšrement. La famille de John Ă©tait riche et Leo appartenait Ă  la classe moyenne supĂ©rieure
.ils semblaient tous deux pouvoir bĂ©nĂ©ficier de la vie bonne ».
John aurait pu travailler dans l’entreprise familiale. Il prĂ©fĂ©ra entreprendre des Ă©tudes de droit, y consacra toutes ses forces et il obtint le diplĂŽme dans un bon rang

LĂ©o, ambitionnait d’ĂȘtre Ă©crivain. Mais, aprĂšs le dĂ©cĂšs de son pĂšre, sa mĂšre contracta la maladie de Parkinson. Il vint s’occuper d’elle et trouva un travail d’enseignant dans une Ă©cole secondaire. Peu aprĂšs, Leo rencontra Grace dont il tomba profondĂ©ment amoureux. Ils se mariĂšrent immĂ©diatement et l’annĂ©e suivante, ils eurent leur premier enfant. A partir de lĂ , son orientation s’affermit. Il continua Ă  enseigner pendant les quarante annĂ©es suivantes.

« Nous sommes invitĂ©s Ă  passer vingt neuf ans et Ă  nous retrouver en fĂ©vrier 1975. Les deux hommes ont 55 ans. John s’est mariĂ© Ă  34 ans et il est maintenant un juriste ayant rĂ©ussi et gagnant 52000 dollars par an. Leo est encore enseignant dans une Ă©cole secondaire et il gagne 18000 dollars par an. Un jour, ils ont reçu le mĂȘme questionnaire. Et lĂ , il y a des questions cruciales : « La vie comporte plus de peine que de plaisir » John rĂ©pond : vrai et Leo : faux. « Je me sens souvent affamĂ© d’affection ». John rĂ©pond : vrai et Leo rĂ©pond : faux.( p 32-33)
. »

John Marsden, un des membres de l’échantillon ayant rĂ©ussi professionnellement le plus brillamment Ă©tait aussi un des moins heureux. Comme Leo DeMarco, il souhaitait ĂȘtre proche des gens
 mais il rapportait constamment des sentiments de dĂ©connection et de tristesse dans sa vie. Il lutta dans son premier mariage et il s’aliĂ©na ses enfants. Quand John se remaria Ă  62 ans, il en vint assez vite Ă  considĂ©rer cette relation comme sans amour.

Leo De Marcos, quant Ă  lui, se pensait lui-mĂȘme premiĂšrement en relation avec les autres. – sa famille, son Ă©cole et ses amis apparaissent frĂ©quemment dans ses rapports et il est gĂ©nĂ©ralement considĂ©rĂ© comme un des plus heureux des enquĂȘtĂ©s. Il avait quatre filles et une femme qui l’aimait. Il Ă©tait apprĂ©ciĂ© par ses amis. Contrairement Ă  John, il trouvait du sens dans son travail parce qu’il prenait plaisir Ă  ce que ses destinataires y trouvaient. ( p 34-35).

Cette comparaison illustre bien comment la recherche de la rĂ©ussite  financiĂšre n’apporte pas le bonheur. Et « le moteur de la vie bonne n’est pas le moi (the self) comme John Marsden le croyait, mais plutĂŽt nos connexions avec les autres ainsi que la vie de Leo DeMarcos  le dĂ©montra » ( p 52).

 

Un nouvel Ă©clairage sur la vie

« AprĂšs avoir Ă©tudiĂ© des centaines de vie en entier, nous pouvons confirmer ce que nous savons dĂ©jĂ , une immense gamme de facteurs contribue au bonheur d’une personne. Le dĂ©licat Ă©quilibre des contributions de l’économique, du social, du psychologique, et de la santĂ© est complexe et toujours changeant
. Ceci dit, si vous regardez de maniĂšre rĂ©pĂ©tĂ©e Ă  travers le temps, le mĂȘme genre de donnĂ©es sur un grand nombre de gens et Ă  travers de nombreuses Ă©tudes, des configurations commencent Ă  Ă©merger et les facteurs prĂ©dicteurs du bonheur humain deviennent clairs.  Parmi ces facteurs   prĂ©dicteurs de la santĂ© et du bonheur, du bon rĂ©gime diĂ©tĂ©tique Ă  l’exercice, au niveau de vie, une vie de bonnes relations ressort en puissance et en consistance » ( p 19-20).

« L’étude de Harvard comme d’autres Ă©tudes parallĂšles  porte tĂ©moignage de l’importance des connexions humaines  Elle montre que les gens qui sont les plus connectĂ©s  Ă  la famille, aux amis, Ă  la communautĂ© sont plus  heureux et physiquement en meilleure santĂ© que les gens qui sont moins bien connectĂ©s. Les gens qui sont plus isolĂ©s qu’ils ne le souhaiteraient voient leur santĂ© dĂ©cliner plus vite que les gens qui se sentent connectĂ©s aux autres. Les gens isolĂ©s vivent Ă©galement des vies plus courtes. Malheureusement, ce sentiment de dĂ©connection est en train de grandir dans le monde. Environ un amĂ©ricain sur quatre rapporte se sentir seul – plus de soixante millions de gens. En Chine, la solitude parmi les personnes les plus ĂągĂ©es a nettement grandi, ces derniĂšres annĂ©es et la Grande-Bretagne a crĂ©Ă© un ministre de l’isolement (A minister of loneliness),  pour faire face Ă  ce qui est en train de devenir un enjeu majeur de santĂ© publique » ( p  21). Le flĂ©au de la solitude s’étend aujourd’hui.

Si les conditions sont difficiles, certains peuvent se demander si une ouverture aux relations est encore possible pour eux. « Est-ce que c’est trop tard pour moi ? ». AprĂšs investigation, les chercheurs rĂ©pondent, il n’est jamais trop tard. « Votre Ă©ducation dans l’enfance n’est pas votre destin, vos dispositions naturelles ne sont pas votre destin, votre voisinage n’est pas votre destin ». De fait, la solitude peut advenir dans diffĂ©rentes situations. Au total, « c’est la qualitĂ© de la relation qui compte. Dit simplement, « Vivre au sein d’une relation chaleureuse protĂšge Ă  la fois le mental et  le corporel. C’est un important concept, le concept de protection » (p 23). Les auteurs poursuivent en dĂ©clinant que ces conclusions en faveur de l’importance de la relation ne sont pas seulement le produit d’une recherche scientifique, mais Ă©galement le legs d’une sagesse de longue date. Les auteurs citent Aristote et Lao Tseu (p 24). Nous ajouterons que cette vision est au cƓur des Evangiles.

Le livre se poursuit en étudiant les conditions pour développer une aptitude relationnelle et formule des propositions en ce sens.

 

Un message largement diffusé

On pourra accompagner la lecture de ce livre par la consultation de vidĂ©os et d’articles. Ces documents nous aideront Ă  diriger notre attention sur tel ou tel point important pour nous. En premier lieu, nous signalons ici une interview  Ted de Robert Waldinger sous titrĂ©e en français : https://www.youtube.com/watch?v=IStsehNAOL8

On trouver Ă©galement un entretien avec Robert Waldinger dans « The Guardian ». C’est un article de fond : https://www.theguardian.com/lifeandstyle/2023/feb/06/how-to-have-a-happy-life-according-to-the-worlds-leading-expert                  Organe de diffusion du centre de recherche californien : « Greater Good Science Center », le « Greater Good Magazine  Science-based insights for a meaningful life », Ă©voque naturellement le livre : « The good life », en mettant particuliĂšrement l’accent sur les moyens pour cultiver de meilleures relations : https://greatergood.berkeley.edu/article/item/what_the_longest_happiness_study_reveals_about_finding_fulfillment

Enfin, on trouvera, traduites en français, les réponses de Robert Waldinger à de nombreuses questions sur le site de BBC News Afrique : https://www.bbc.com/afrique/articles/ck5yl5p43xko

Nous achÚverons cette présentation  en reprenant quelques unes de ces réponses.

 

Comment développer de bonnes relations ?

Robert Waldinger Ă©met quelques suggestions pour nourrir et dynamiser les relation. Et l’une d’entre elles « consiste Ă  reconnaĂźtre quelqu’un lorsqu’il fait quelque chose de bien ». Nous prĂȘtons souvent attention Ă  ce que nous n’aimons pas. Mais « il y a une forme pratique de la gratitude oĂč nous nous demandons : A quoi  ressemblerait ma vie si ces personnes ne faisait pas ces choses ou si cette personne n’était pas dans ma vie ? Une autre suggestion pour nourrir les relations est de maintenir « une curiositĂ© radicale ». « Des Ă©tudes ont Ă©tĂ© menĂ©es sur la façon dont nous sommes Ă  l’écoute des sentiments d’une autre personne. Elle montre que surtout lors de la premiĂšre rencontre, nous sommes trĂšs attentifs aux sentiments d’une autre personne. Mais, une fois que nous sommes ensemble depuis des annĂ©es, nous savons beaucoup moins ce qu’elle ressent
. Il d’agit de renverser la situation et d’ĂȘtre curieux ».  On pose la question Ă  Robert Waldinger si le nombre  des amis compte. « Oui, mais c’est quelque chose de trĂšs individuel. Certains d’entre nous sont trĂšs timides, et pour ces personnes, avoir beaucoup de monde autour d’elle est stressant. D’autres personnes en revanche trĂšs extraverties ont besoin de beaucoup de monde dans leur vie et cela leur donne de l’énergie 
 Chacun d’entre nous doit dĂ©terminer par lui-mĂȘme quelle quantitĂ© d’activitĂ© sociale est bonne pour lui et pour sa vie ». On est parfois déçu parce qu’on se dit : « C’est toujours moi qui passe les appels, qui Ă©coute ». « Conseilleriez-vous aux gens de parler ouvertement Ă  leurs amis de ce qu’elles ressentent ? ». « Oui, je pense que ce serait bien, car certaines personnes ne se rendent pas compte ». « Aujourd’hui, de nombreux Ă©changes sont virtuels grĂące aux rĂ©seaux sociaux. En terme de relations, quelle est la meilleure façon d’utiliser les rĂ©seaux sociaux ? La façon dont nous utilisons les rĂ©seaux sociaux pour entrer en contact avec d’autres personnes a vraiment de l’importance. Si nous les utilisons activement, cela augmente notre bien-ĂȘtre. Et l’exemple que j’aime utiliser est celui d’un de mes amis, qui, pendant son confinement durant la pandĂ©mie, a repris contact avec ses amis de l’école primaire. Maintenant, ils prennent un cafĂ© virtuel tous les dimanches matin sur zoom. Et ils passent des moments merveilleux Ă  parler de leur vie et de leur enfance. C’est un exemple de rĂ©seau social actif et tout le monde en est plus heureux ». Cependant, il y a aussi une « consommation passive des mĂ©dias sociaux. Ce genre de consommation nous fait sentir plus mal et les adolescents sont particuliĂšrement sensibles Ă  cela. TrĂšs vulnĂ©rables ».  Pourquoi, le mot regret revient-il souvent dans le livre ? Effectivement, on le voit apparaĂźtre chez des personnes ĂągĂ©es.  Robert Waldinger Ă©voque deux grands regrets Ă©voquĂ©s Ă  l’ñge de 80 ans : « Chez les hommes, avoir passĂ© trop de temps au travail et pas assez ave les personnes chĂšres ;  chez les femmes avoir passĂ© trop de temps Ă  me prĂ©occuper de ce que pensent les autres. Pour gĂ©rer les regrets, il ne sert Ă  rien d’ĂȘtre en colĂšre contre soi. Utilisez les regrets pour un meilleur parti de la vie qui nous attend ». Il y a un chapitre dans le livre : « Il n’est jamais trop tard ». « Ce que nous voyons dans les histoires du livre, qui sont tirĂ©es de la vie rĂ©elle, c’est que les gens trouvent des liens qu’ils n’attendaient pas Ă  diffĂ©rents moments de leur vie, que ce soient avec leurs parents ou avec leurs enfants, qu’il s’agisse de liens amoureux ou d’amitiĂ©s. Donc, Ă  ceux qui pensent que les choses ne leur  arriveront jamais, nous disons : « Vous n’avez aucun moyen de savoir ». Le message est que cela vaut la peine d’y travailler, car, Ă  tous moments de la vie, vous pouvez crĂ©er de nouvelles et bonnes connexions ».

Ce livre rend compte d’un travail de recherche incomparable par son ampleur et sa durĂ©e. Le thĂšme nous concerne tous : les conditions d’une vie bonne. La rĂ©ponse n’était pas Ă©vidente au dĂ©part . Elle s’est imposĂ©e en cours de route. Ce sont les gens les plus connectĂ©s Ă  leurs amis, Ă  la famille, Ă  la communautĂ© qui sont les plus heureux et physiquement en meilleure santĂ©. Cette conclusion nous paraĂźt en phase avec une vision du monde qui met la relation au cƓur du Vivant dans toutes ses manifestations. N’a-t-on pas dĂ©fini la vie spirituelle comme une « conscience relationnelle », une « relation Ă  la nature, aux autres personnes, Ă  nous-mĂȘmes et Ă  Dieu » (4).  Dans leur mise en perspective, les auteurs se rĂ©fĂšrent Ă  une sagesse de longue date ( p 24). La discrĂ©tion vis Ă  vis de l’inspiration Ă©vangĂ©lique nous paraĂźt surprenante. Car la parole : « Tu aimeras le prochain comme toi-mĂȘme » (Matthieu 22.39) est au cƓur de l’enseignement de JĂ©sus. C’est bien l’amour qui est premier comme en tĂ©moigne l’hymne de Paul Ă  l’amour au chapitre 13 de la premiĂšre Ă©pitre aux Corinthiens. Cet amour est gĂ©nĂ©reux. Nourri par la communion divine, il Ɠuvre  pour la justice et il est dĂ©sintĂ©ressĂ©, ce qui apparait peu dans ce livre sur la « good life »   Cependant, au total, l’amour apparaĂźt  comme une force supĂ©rieure, les amitiĂ©s en dĂ©rivent et le contextualisent dans la vie quotidienne Des thĂ©ologiens comme JĂŒrgen Moltmann et Richard Rohr dĂ©veloppent une vision relationnelle. Richard Rohr Ă©crit ainsi : « Nous pouvons dire que Dieu est essentiellement relation . J’appelerai « salut » la disposition, la capacitĂ© et le vouloir d’ĂȘtre en relation (p 46). La voie de JĂ©sus, c’est une invitation Ă  un mode trinitaire de vie, d’amour et de relation sur la terre comme c’est le cas dans la divinitĂ©. Comme la TrinitĂ©, nous vivons intrinsĂšquement dans la relation. Nous appelons cela l’amour. Nous sommes faits pour l’amour. En dehors de cela, nous mourrons trĂšs rapidement. Et notre lignage spirituel, nous dit que Dieu est personnel : « Dieu est amour » ( p 47) (5).

J H

 

  1. Robert Waldinger, Marc Schulz. The Good Life and how to live it. Lessons from the world longest study on happinesss. Penguin, Random house, 2023
  2. Marc Schultz, Robert Waldinger. The Good Life. Ce que nous apprend la plus longue étude scientifique sur le bonheur et la santé. Le Duc, 2023
  3. « Une vie se construit avec de belles relations » : https://vivreetesperer.com/une-belle-vie-se-construit-avec-de-belles-relations/
  4. La vie spirituelle comme une conscience relationnelle. Une recherche de David Hay sur la spiritualitĂ© d’aujourd’hui : https://www.temoins.com/la-vie-spirituelle-comme-une-l-conscience-relationnelle-r/
  5. La danse divine (The divine dance) par Richard Rohr : https://vivreetesperer.com/la-danse-divine-the-divine-dance-par-richard-rohr/

 

La participation des expériences spirituelles à la conscience écologique

Selon un article de Jack Forster : Religious experience and ecology

 Nous subissons aujourd’hui les consĂ©quences du manque de respect portĂ© Ă  la nature et de la maltraitance Ă  son Ă©gard qui en est rĂ©sultĂ©. La crise Ă©cologique actuelle rĂ©sulte de l’imposition d’une culture humaine dominatrice et manipulatrice Ă  l’égard du vivant. En regard, une prise de conscience Ă©cologique apparaĂźt aujourd’hui. Elle requiert un changement de genre de vie. Elle appelle une transformation des mentalitĂ©s. Au total, nous avons besoin d’une nouvelle vision du monde. Cette mutation exige un renouvellement des connaissances et la prise en compte de nouvelles approches. Ainsi la dimension spirituelle s’affirme dans une Ă©cospiritualité » (1). Celle-ci a des visages multiples.

En Grande- Bretagne, depuis plusieurs dizaines d’annĂ©es, il existe un centre de recherche qui aborde la question spirituelle Ă  travers la recension et l’étude d’expĂ©riences spirituelles et religieuses spontanĂ©es, un soudain et passager ressenti mystique d’unitĂ© et de reliance, d’amour et de lumiĂšre ; c’est le « Alister Hardy Religious Experience Research Center » fondĂ© en 1969 par Alister Hardy, un grand biologiste. Nous avons rapportĂ© le rĂŽle pionnier de ce centre en prĂ©sentant un livre de David Hay, membre de la mĂȘme Ă©quipe : « Something there » (2). Aujourd’hui, Jack Hunter, chercheur lui aussi au Centre de recherche sur l’expĂ©rience religieuse de l’UniversitĂ© du Pays de Galles, publie un livre oĂč il s’interroge sur ce qu’une nouvelle approche des phĂ©nomĂšnes paranormaux avec ses consĂ©quences sur l’apprĂ©hension du monde peut apporter Ă  la prise de conscience Ă©cologique : « Greening the paranormal. Exploring the ecology of extrordinary experience » (3). Le mĂȘme auteur, Jack Hunter, vient de publier l’éditorial d’un numĂ©ro spĂ©cial du « Journal for the Study of Religious ExpĂ©rience » (2021 N°2) intitulé : « Religious experience and ecology » (expĂ©rience religieuse et Ă©cologie » (4). Nous nous appuierons ici sur cet article.

 

Une personnalitĂ© emblĂ©matique : Alister Hardy, biologiste des environnements marins, puis chercheur sur l’expĂ©rience religieuse et spirituelle

Au dĂ©part, Jack Forster rend hommage au fondateur du Centre de recherche sur l’expĂ©rience religieuse, Sir Alister Hardy, en Ă©crivant combien le thĂšme du rapport entre Ă©cologie et expĂ©rience religieuse aurait Ă©tĂ© cher Ă  son cƓur. En effet, Alister Hardy a d’abord Ă©tĂ© un grand biologiste dans le domaine marin oĂč il est reconnu pour ses recherches sur le plancton et les nombreuses connections que celui-ci entretient avec les Ă©cosytĂšmes marins. Il a Ă©tĂ© Ă©galement l’inventeur du « continuous plankton recorder » (enregistreur continu du plancton) qui sert Ă  suivre les niveaux de plancton dans l’ocĂ©an, un dispositif qui est encore couramment utilisĂ© dans ce domaine. Pendant plusieurs dĂ©cennies, Sir Alister Hardy (1896-1985) a poursuivi une carriĂšre acadĂ©mique avec des titres divers : professeur de zoologie et d’ocĂ©anographie Ă  Hull, professeur d’histoire naturelle Ă  Aberdeen, et enfin, professeur de zoologie et d’anatomie comparĂ©e Ă  Oxford.

Lorsqu’il prend sa retraite, il s’engage dans une nouvelle orientation de recherche gardĂ©e jusque lĂ  en veilleuse. En 1969, il fonde la « Alister Hardy Religious Experience Research Unit », devenu « Alister Hardy Religious Experience Research Centre » (5). Il entreprend lĂ  un travail particuliĂšrement original : la collecte et l’analyse de rĂ©cits sur les expĂ©riences spirituelles et religieuses. La question configurant la demande de rĂ©cit Ă©tait la suivante : « Vous est-il arrivĂ© d’avoir conscience d’une prĂ©sence ou d’une puissance (ou d’ĂȘtre influencĂ©e par elle) que vous l’appeliez Dieu ou non et qui est diffĂ©rente de votre perception habituelle ? ». Plus de 6000 documents de premiĂšre main ont ainsi Ă©tĂ© recueillis et sont aujourd’hui accessibles.

Ainsi, dans la vie d’Alister Hardy, deux passions se sont conjuguĂ©es. « Dans ses notes autobiographiques, Hardy rapporte avoir eu dans son enfance des expĂ©riences dans la nature, des expĂ©riences puissantes et transformatrices. Celles-ci auront une influence significative sur le dĂ©roulement de sa vie et de son Ɠuvre ». Jack Forster poursuit : « Alister Hardy rapporte comment Ă©tudiant, il lui arrivait de rĂȘver en observant la conduite des papillons et d’avoir des moments d’extase en marchant le long des bords de la riviĂšre prĂšs de son Ă©cole Ă  Oundle dans le Nottinghamshire ». Il Ă©crit : « Il n’y a pas de doute que, comme jeune garçon, j’étais en train de devenir ce qui pourrait ĂȘtre dĂ©crit comme un mystique de la nature. Quelque part, je sentais la prĂ©sence de quelque chose qui Ă©tait au delĂ  et cependant faisait partie de toutes les choses qui me ravissaient : les fleurs sauvages et vraiment aussi les insectes. Je rapporterais quelque chose que je n’ai jamais dit Ă  quelqu’un auparavant, mais maintenant que je suis dans ma 88Ăšme annĂ©e, je pense que je puis l’admettre. Juste Ă  l’occasion, quand j’étais sĂ»r que personne ne pouvait me voir, je devins si impressionnĂ© par la gloire de la scĂšne naturelle, que pendant un moment ou deux, je tombais Ă  genoux dans la priĂšre, non pas une priĂšre pour demander quelque chose, mais une priĂšre pour remercier Dieu que je sentais trĂšs rĂ©el pour moi, pour les gloires de son Royaume et pour m’avoir permis de les ressentir ». La conjugaison d’une expĂ©rience mystique et d’une mentalitĂ© scientifique chez Alister Hardy nous rappelle le mĂȘme rapprochement rapportĂ© par Jane Goodhall (6). Il y lĂ  un tĂ©moignage pour aujourd’hui.

 

Les  expériences extraordinaires de transcendance et la nature

Le philosophe W.T. Stace (1886-1967) a considĂ©rĂ© que le mysticisme de la nature Ă©tait une des formes principales du mysticisme. Les expĂ©riences correspondantes sont extraverties, tournĂ©es vers l’extĂ©rieur. « Elles sont suscitĂ©es par le paysage extĂ©rieur et le transfigure, induisant frĂ©quemment un sens de l’unitĂ© sous-jacente du monde naturel ».

« Dans les archives du Centre Alister Hardy, il y a de nombreux rĂ©cits analogues d’expĂ©riences transcendantes et extraordinaires apparemment induites par une immersion dans des systĂšmes Ă©cologiques vibrants ». Dans son Ă©tude pionniĂšre des compte-rendus recueillis : « The spiritual nature of man » (1979) (la nature spirituelle de l’homme), Alister Hardy identifie « la beautĂ© naturelle » comme un des dĂ©clencheurs les plus ordinaires des expĂ©riences religieuses, plus frĂ©quents que l’adoration religieuse, en suggĂ©rant ainsi une corrĂ©lation importante entre les environnements naturels et les expĂ©riences extraordinaires ». Jack Forster cite Paul Marshall, auteur d’un livre rĂ©cent sur la relation entre le monde naturel et les expĂ©riences mystiques. « Ces expĂ©rience sont importantes, car elles constituent un des principaux genres d’expĂ©riences prises en compte par les chercheurs ». Et, souligne Jack Forster, ces expĂ©riences jouent en faveur de la relation entre l’homme et la nature et d’une attitude pro-environnementale.

 

Phénoménologie et écologie : unité et diversité 

Les expĂ©riences extraverties dans des environnements naturels sont souvent associĂ©es Ă  un sens d’unitĂ© (oneness) et de communion avec la nature, une caractĂ©ristique qui relie ces expĂ©riences avec les expĂ©riences mystiques du genre classique telles que celles qui sont vĂ©cues dans beaucoup de traditions mystiques du monde.

Jack Forster nous rapporte un exemple de récit (7) parmi ceux recueillis au centre Alister Hardy.

« Il y a une douzaine d’annĂ©es, j’avais quatre grands ormes sur la pelouse de mon jardin. J’étais fortement attirĂ©e vers ces arbres et j’avais l’habitude de caresser leur tronc et de leur parler. Je sentais toujours leur rĂ©ponse Ă  travers une forte vibration Ă  travers mes mains, puis Ă  travers mon corps entier. Cela me donnait la conviction que j’étais Un avec tous les Êtres. Le mĂȘme flux vital qui coule Ă  travers mon corps, coule Ă  travers toute vĂ©gĂ©tation, les animaux, les oiseaux, les poissons, les minĂ©raux, sous le sol et sous la mer, et mĂȘme les pierres sur lesquelles nous marchons. Chaque chose animĂ©e ou inanimĂ©e est maintenu ensemble avec les atomes qui appartiennent Ă  l’Être divin ».

Une conscience de l’unitĂ© de la nature apparaĂźt dans ce tĂ©moignage. Mais il y en a d’autres oĂč se manifestent tout autant la complexitĂ© et la diversitĂ©. L’auteur nous en propose un :

« Plus j’allais vers le village, plus les alentours paraissaient devenir vivants. C’était comme si quelque chose, qui avait Ă©tĂ© dormant quand j’étais dans le bois, venait Ă  la vie. J’ai du dĂ©river ver un Ă©tat d’exaltation.

La lune, quand je la regardais, semblait ĂȘtre devenue personnalisĂ©e et observatrice comme si elle Ă©tait consciente de ma prĂ©sence. Une douce senteur remplissait l’air
 La riviĂšre me faisait entendre qu’elle m’avait dĂ©jĂ  vu auparavant. Le sentiment que j’étais en train d’ĂȘtre absorbĂ© dans un environnement vivant, gagnait en intensitĂ© et Ă©tait en voie d’atteindre son apogĂ©e. Cela semblait sortir du ciel dans lequel des harmonies majestueuses rĂ©sonnaient. La pensĂ©e que c’était la musique des sphĂšres fut immĂ©diatement suivie par une irruption de corps lumineux : mĂ©tĂ©ores ou Ă©toiles circulant dans leurs courses prĂ©destinĂ©es en Ă©mettant Ă  la fois de la lumiĂšre et de la musique ».

« Des expĂ©riences comme celles-ci pourraient  ĂȘtre perçues comme des expressions d’une vision animiste, une rĂ©alisation de ce que Graham Harvey a Ă©loquemment Ă©crit : « Le monde est plein de personnes parmi lesquelles seules quelques unes sont humaines ….  ». Dans l’expĂ©rience ci dessus, un dialogue s’établit entre l’expĂ©rienceur et la riviĂšre, la lune et les arbres. Mais ces voix multiples sont juste un prĂ©lude Ă  l’apogĂ©e de l’expĂ©rience : l’harmonisation symphonique de voix diverses et nombreuses de la nature en un ensemble conçu comme « la musique des sphĂšres ».

Ainsi Jack Forster peut dĂ©clarer : « Alors, les expĂ©riences religieuses extraverties rĂ©vĂšlent une image du monde qui est Ă  la fois fondamentalement « unitaire et interconnectĂ©e » et « diverse, complexe et multiple ». Jack Forster nous renvoie en regard Ă  la maniĂšre dont des chercheurs se reprĂ©sentent les Ă©cosystĂšmes. Ainsi, le biologiste vĂ©gĂ©tal, FrĂ©dĂ©ric Clements (1874-1945), « envisageait les Ă©cosystĂšmes comme des organismes Ă  grande Ă©chelle, consistant en une multitude d’organismes plus petits inrerconnectĂ©s (plantes, animaux etc). Ces Ă©cosystĂšmes avaient tendance Ă  se dĂ©velopper vers une complexitĂ© accrue et de plus grands niveaux de diversitĂ© et d’interconnection ». Il voyait lĂ  comme une progression finalisĂ©e vers un Ă©cosystĂšme entrevue comme une apogĂ©e, « un organisme ou un superorganisme avec sa propre histoire de vie ayant suivi des voies tĂ©lĂ©ologiques prĂ©dĂ©terminĂ©es, allant constamment dans la direction d’une plus grande biodiversitĂ© et de la stabilitĂ© et de l’harmonie globale d’un superorganisme ». Cette conception des Ă©cosystĂšmes « rĂ©sonne avec les expĂ©riences mystiques de la nature dĂ©crites plus haut ». Ces expĂ©riences spirituelles extraverties tournĂ©es vers la nature « peuvent ĂȘtre comprises comme des instances oĂč l’expĂ©rienceur ne perçoit plus de sĂ©paration entre lui-mĂȘme et les Ă©cosytĂšmes qui l’entourent, en devenant simultanĂ©ment conscient de la diversitĂ© et de l’interconnectivitĂ© de la vie aussi bien que de son unitĂ© sous-jacente, lui-mĂȘme imbriquĂ© dans cet ensemble ». Jack Forster ouvre ainsi un horizon : « En ces moments oĂč l’expĂ©rience est en harmonie avec la rĂ©alitĂ© Ă©cologique, nous pourrions dire que l’expĂ©rienceur est entrĂ© dans un Ă©tat de « conscience Ă©cologique » ou qu’il a dĂ©veloppĂ© une conscience de son « soi Ă©cologique ».

 

L’expĂ©rience extraordinaire et le soi Ă©cologique

Le concept de « ecological self », le soi Ă©cologique provient des Ă©crits du philosophe norvĂ©gien, Arne Naess (1912-2009). Celui-ci suggĂ©rait qu’à travers le processus de rĂ©alisation de soi, les ĂȘtres humains passeraient ultimement de conceptions Ă©gotiques du soi (bornĂ©es, individualistes) Ă  un soi Ă©cologique. Le soi Ă©cologique Ă©merge quand des personnes en viennent Ă  s’identifier avec l’environnement dans la mesure oĂč elles rĂ©alisent que la conservation du monde naturel est en mĂȘme temps un acte d’auto-prĂ©servation. Au fond, « c’est la conscience qu’il n’y a pas de frontiĂšre solide et impermĂ©able entre le soi et l’écosystĂšme, que le soi est profondĂ©ment imbriquĂ© dans cet Ă©cosystĂšme, qu’il fait partie d’un systĂšme Ă©cologique plus vaste et est connectĂ© Ă  tous ses autres aspects ». La science de l’écologie met l’accent sur les interrelations. Le soi Ă©cologique se construit Ă  partir de cette conscience de l’interconnection.

Jack Hunter s’avance ensuite dans un champ plus vaste et plus conjecturel. En effet, il considĂšre, dans une commune attention, les expĂ©riences religieuse et spirituelles et la gamme des expĂ©riences paranormales. Il y perçoit un certain nombre de similaritĂ©s phĂ©nomĂ©nologiques comme « par exemple, le rĂŽle de la lumiĂšre dans beaucoup d’expĂ©riences extraordinaires aussi bien que des similaritĂ©s dans leurs effets postĂ©rieurs ». Les diffĂ©rents genres d’expĂ©riences extraordinaires sont « associĂ©s avec l’émergence d’une plus grande identification avec le monde naturel ». Jack Hunter envisage diffĂ©rentes expĂ©riences comme les expĂ©riences de sortie du corps ou les expĂ©riences proches de la mort. « Est-ce une coĂŻncidence que les expĂ©riences paranormales, religieuses et autres extraordinaires soient associĂ©es avec une conception Ă©tendue du soi et un sens accru de la connectivitĂ© naturelle ? ». A la recherche d’explications, Jack Hunter envisage que ces expĂ©riences, bouleversant les expĂ©rienceurs, les Ă©cartent de leurs modĂšles d’interprĂ©tation habituels, les ouvrant ainsi Ă  la conscience qu’ils font partie d’un monde vivant beaucoup plus large, d’un vaste « Ă©cosystĂšme invisible ».

 

Décoloniser la recherche sur les expériences religieuses

Dans cet article, Jack Hunter aborde Ă©galement un problĂšme mĂ©thodologique. Le cadre actuel de la recherche sur les expĂ©riences religieuse s’étend-t-il suffisamment au delĂ  de son point de dĂ©part occidental ? On imagine les gains qui pourraient advenir en sortant d’un cadre culturellement et mĂ©thodologiquement limitĂ©. C’est Ă©largir l’horizon.

 

Une affinité entre les expériences spirituelles et religieuses et la conscience écologique

Il y a bien une affinitĂ© entre les expĂ©riences spirituelles et religieuses et la conscience Ă©cologique. C’est la conclusion de Jack Hunter.

« Pour rĂ©sumer briĂšvement, il y a, de longue date, une reconnaissance de la relation entre l’expĂ©rience religieuse, mystique et spirituelle et le monde naturel. Vraiment, la fascination de Sir Alister Hardy pour ces deux champs dĂ©coule de ses propres expĂ©riences religieuses extraverties durant son enfance. Les expĂ©riences religieuses extraverties paraissent rĂ©vĂ©ler une relation dynamique entre l’unitĂ© et la diversitĂ© dans la nature. Certaines mettent l’accent sur l’unitĂ© sous- jacente de la nature tandis que d’autres mettent en valeur la complexitĂ© et la multiplicitĂ©. Cette relation dynamique se manifeste aussi dans les perspectives qui ont Ă©mergĂ© de la science Ă©cologique qui considĂšre les Ă©cosystĂšmes comme des entitĂ©s holistiques constituĂ©es par de nombreuses parties prenantes interactives.

Les expĂ©riences religieuses extraverties sont des moments oĂč les expĂ©rienceurs deviennent conscients et font eux-mĂȘmes l’expĂ©rience de faire partie de ces vastes systĂšmes complexes ».

Cet  article nous parait particuliĂšrement important. Le grand mouvement de la prise de conscience Ă©cologique n’appelle-t-il pas, en soutien, une mobilisation spirituelle et n’induit-il un nouveau regard sur le monde : le vivant, l’humain et le divin ? En correspondance, comment ce nouveau regard est-il accueilli et exprimĂ© dans la thĂ©ologie chrĂ©tienne ? Sur ce blog, on trouvera des rĂ©ponses dans les approches de JĂŒrgen Moltmann (8), de Richard Rohr et de Michel Maxime Egger.

JH

  1. EcospiritualitĂ©. Une approche spirituelle : https://vivreetesperer.com/ecospiritualite/ On notera l’abondance et la diversitĂ© de la littĂ©rature anglophone sur le thĂšme de la « spiritual ecology », du rapport entre Ă©cologie et spiritualitĂ©. Par exemple : Ecology and spirituality. Research Oxford encyclopedias. 2019 : https://oxfordre.com/religion/view/10.1093/acrefore/9780199340378.001.0001/acrefore-9780199340378-e-95
  2. La vie spirituelle comme une conscience relationnelle. Une recherche de David Hay sur la spiritualitĂ© d’aujourd’hui : https://www.temoins.com/la-vie-spirituelle-comme-une-l-conscience-relationnelle-r/
  3. Jack Hunter. Greening the paranormal. Exploring the ecology of extraordinary experience. 2019 https://www.amazon.fr/Greening-Paranormal-Exploring-Extraordinary-Experience/dp/1786771098
  4. Jack Hunter. Religious experience and ecology. Editorial : https://rerc-journal.tsd.ac.uk/index.php/religiousexp/issue/view/11
  5. Alister Hardy Religious Experience Research Center : https://www.uwtsd.ac.uk/library/alister-hardy-religious-experience-research-centre/
  6. Jane Goodhall : une recherche pionniĂšre sur les chimpanzĂ©s, une ouverture spirituelle, un engagement Ă©cologique : https://vivreetesperer.com/jane-goodall-une-recherche-pionniere-sur-les-chimpanzes-une-ouverture-spirituelle-un-engagement-ecologique/ Richard Rohr nous introduit dans une dĂ©marche expĂ©rientielle dans sa sĂ©quence : Contempler la crĂ©ation (voir l’expĂ©rience de Sherri Mitchell) : https://vivreetesperer.com/contempler-la-creation/
  7. Expériences de plénitude : https://vivreetesperer.com/experiences-de-plenitude/
  8. Et sur le site : l’Esprit qui donne la vie : Un avenir thĂ©ologique pour l’écologie selon JĂŒrgen Moltmann : https://lire-moltmann.com/un-avenir-ecologique-pour-la-theologie/ En voici quelques extraits significatifs : « Les humains sont des ĂȘtres crĂ©Ă©s au sein de la grande communautĂ© de la vie et ils font partie de la nature. Selon les traditions bibliques, Dieu n’a pas infusĂ© l’Esprit divin seulement dans l’ĂȘtre humain, mais dans toutes les crĂ©atures de Dieu
 Le CrĂ©ateur est liĂ© Ă  la crĂ©ation non seulement intĂ©rieurement, mais extĂ©rieurement. La crĂ©ation est en Dieu et Dieu est dans la crĂ©ation
 »