par jean | Juin 3, 2018 | ARTICLES, Société et culture en mouvement |
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La France en mouvement, selon Jean Viard
        Une sociĂ©tĂ© si vivante ! Cette parole nous interroge et nous interpelle. De quoi sâagit-il ? De quoi parle-t-on ? Sommes-nous exempts de tout immobilisme pour nous dire : « Et bien, oui, cette sociĂ©tĂ© est bien la nĂŽtre ». La vie nâest pas toujours facile, mais, câest sĂ»r, notre sociĂ©tĂ© est bien en mouvement. « Une sociĂ©tĂ© si vivante » (1), câest le titre dâun livre que vient de publier Jean Viard, ce sociologue dont nous avons tant appris dans ses livres prĂ©cĂ©dents et notamment : « Le moment est venu de penser Ă lâavenir » (2).
Car Jean Viard sait nous prĂ©senter la sociĂ©tĂ© française telle quâelle apparait aujourdâhui dans toute sa nouveautĂ©, les lignes de force qui la traversent et aussi les situations de crise, une nouvelle carte de France, des grandes mĂ©tropoles Ă la France des anciennes provinces, des villages et des petites villes.
Ce regard nouveau, cette intelligence que Jean Viard sait nous communiquer, câest le fruit de son immersion de longue date dans la sociĂ©tĂ© française : « Je cherche depuis plus de quarante ans Ă lier un travail dâobservation du quotidien, du local et une pensĂ©e du global et des rĂ©volutions qui nous bouleversent. Mon travail est de tenter de mettre notre monde en rĂ©cit et de le faire partager le plus largement possible ». Et, « comme le disait Alberto Giacometto : « Je ne sais ce que je vois quâen travaillant ». Je pourrais ajouter, en Ă©crivant et en me nourrissant du quotidien que jâai choisi » (p 237).
Ce livre-ci est diffĂ©rent des prĂ©cĂ©dents. Non pas tant dans le fond. Nous retrouvons les grands thĂšmes que nous avons dĂ©jĂ rapportĂ©s pour les lecteurs de ce blog, en suivant une Ă©criture construite (2) : « Une nouvelle gĂ©ographie ; une nouvelle analyse de la sociĂ©tĂ©Â ; tensions, oppositions, blocages ; ouvrir un nouvel espace ; permettre la mobilitĂ©Â ; recrĂ©er du rĂ©cit ». Il est diffĂ©rent dans la forme puisque lâauteur nous prĂ©sente ici « une cinquantaine de petits portraits » de notre monde et de notre sociĂ©tĂ©. « Il forme un tout. Car ce monde est dynamique, rĂ©actif, changeant tellement vite que souvent on nây comprend plus rien et quâon se croit perdu. Mais y-a-t-il un fil, de nouveaux liens, de nouveaux horizons, des utopies possibles ? Cherchons » (p 12-13).
Quelques portraits
A travers ce livre, lâauteur nous permet de prendre conscience de lâampleur du changement dans la sociĂ©tĂ© française et dâen comprendre les ressorts. Et il nous permet Ă la fois dâenvisager les aspects positifs, dâidentifier les ressorts et de chercher des remĂšdes. En voici quelques exemples.
La révolution du temps
Le temps a profondĂ©ment changĂ©. « En un siĂšcle, nous avons allongĂ© la vie de chacun de lâĂ©quivalent dâune gĂ©nĂ©ration. Vingt ans. Et, dans cette vie allongĂ©e, la part que nous consacrons au travail est passĂ©e de 40% Ă 10%. En outre, nous dormons deux Ă trois heures de moins par jour⊠Nous sommes donc entrĂ©s dans la civilisation « des vies complĂštes » dont parlait lâĂ©conomiste Jean Fourastié » (p 24). « Nous sommes contemporains plus longtemps dans des familles de plus en plus « quatre gĂ©nĂ©rations » (p 15). En consĂ©quence, notre maniĂšre dâenvisager la vie change. « Lâancienne stabilitĂ© – CDI, mariage, propriĂ©tĂ©- se transforme en aventure, Ă©tape, discontinuité ». « La grande question est alors : qui choisit et qui subit ? » (p 25). Quelle va ĂȘtre notre attitude ? Comment allons-nous vivre le temps ?
Une mobilité croissante
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Hier les Roms. Aujourdâhui les migrants. « Au delĂ du principe de lâaccueil, marque indĂ©niable dâune civilisation, la question est : Pourquoi cette angoisse de lâenvahissement ? Partout semble populaire une demande de sociĂ©tĂ©s de plus en plus fermĂ©es⊠Ces peurs et ces refus viennent dâun monde qui sâunifie. Le global fait exploser le localâŠÂ » (p 30). Et si avec Jean Viard, on regardait une perspective dâavenir ? « Câest le temps du monde qui est neuf. Pas la peur des hommes. Nous sommes entrĂ©s dans le temps de lâhumanitĂ© rĂ©unifiĂ©e aprĂšs des millĂ©naires de dispersionâŠÂ ». Il va nous falloir apprendre Ă lier « unitĂ© de lâhumanité » et « diversitĂ© des cultures ». Immense travail. Il nous faut des frontiĂšres, et des passages, des principes dâhumanisme et de droit et la conviction de lâapport positif des migrations. Seules les civilisations mortes ont peur des arrivants. Les autres les intĂšgrent et sâenrichissent de leurs apports » (p 31).
Le sécateur et le lien social
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Jean Viard nous rapporte des faits dâobservation qui tĂ©moignent de bouleversements dans notre vie quotidienne. Et puisquâil vit dans le midi, il sâagit ici des vendanges. « Hier, les vendanges Ă©taient la fĂȘte de la campagne. Tout le monde y allait : les femmes, que lâon voyait peu dans les champs, les chĂŽmeurs, les Ă©tudiants, des bataillons dâespagnols⊠A midi, on mangeait au bord des vignesâŠÂ ». Aujourdâhui, « la cave vinicole ouvre Ă trois heures du matin. Il faut essayer dâĂȘtre le premier pour ne pas attendre le dĂ©chargement. La vendange se fait avec une machine⊠Trois hommes. Bruit des moteurs, travail au phare⊠Le village est rĂ©veillĂ© par les bennes qui remontent Ă vide⊠Vers huit heures, on fait un copieux dĂ©jeuner. La sieste sera longue et solitaireâŠÂ » (p 42-43). Pour tous ceux qui ont connu la vie des campagnes autrefois, quelle perte dâhumanitĂ©Â ! Ainsi, cette Ă©volution de notre sociĂ©tĂ© a de bons et de mauvais cĂŽtĂ©s. Lâimportant, câest de comprendre. « Comment assurer la protection des hommes et rĂ©flĂ©chir Ă la nouvelle solitude du travail ? Comment inventer de nouveaux lieux pour se blaguer et vivre le plaisir dâĂȘtre ensemble ? ».
Bon Noël à chacun
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NoĂ«l, câest bien une fĂȘte de la famille propice au bonheur. Comment est-elle vĂ©cue dans la sociĂ©tĂ© française dâaujourdâhui ? A la fois un grand changement dans la composition de la famille et une continuitĂ© dans le partage affectif. « En 2017, 60% des bĂ©bĂ©s sont nĂ©s hors mariage, contre 30% en 1990, 6% en 1968 » (p 10). Câest un bouleversement. Mais, pour Jean Viard, il sâinscrit dans une Ă©volution plus large oĂč la famille se recompose autrement. « Une famille mobile, recomposĂ©e⊠une famille aussi de quatre gĂ©nĂ©rationsâŠÂ » (p 73). Et de noter par ailleurs la force de ces liens familiaux. « Le repas du dimanche est redevenu un must, 70% des gens partent en vacances en famille, 20% des emplois sont trouvĂ©s grĂące Ă ce rĂ©seau de solidaritĂ© quand PĂŽle emploi plafonne Ă 9% » (p 98). « Nous avons rebĂąti discrĂštement le plus solide maillon des sociĂ©tĂ©s, la famille⊠en engendrant par moyenne deux enfants par maman. Donc une sociĂ©tĂ© nataliste, dynamique. Mais avec des failles, des tristesses. Celle des solitaires, nombreux, des mamans seules. Des enfants qui ne verront pas leur papa Ă NoĂ«l. Des SDF, solitaires absolus qui ont perdu tous les liens : travail, logement, famille, amitié⊠Au bilan, nouveaux bonheurs privĂ©s, faiblesse des liens sociaux et des projets communs. « Fraternité », demandait-on en 1848. Pour 2048 aussi ! Bon NoĂ«l Ă chacun ! » (p 74).
Faire tĂȘte ensemble
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Nous sommes tous embarquĂ©s dans une mĂȘme mutation, une mutation mondiale, la rĂ©volution numĂ©rique.
« 3,81 milliards de cerveaux humains sont connectĂ©s par internet, soit 41% des cerveaux de lâhumanitĂ©. 75% des terriens possĂšdent un tĂ©lĂ©phone portable. Bien sĂ»r, les hommes se sont toujours reliĂ©s par des mots, des concepts qui, pour eux, font sens : Dieu, RĂ©volution, Nation, Amour. Cette capacitĂ© Ă vivre et Ă mourir pour des mots pourrait mĂȘme dĂ©finir lâespĂšce humaine. Mais lĂ , ce que nous avons inventĂ© est encore plus fantastique â et dĂ©rangeant⊠Le savoir est Ă portĂ©e de la main de qui sait le trouver. Le mensonge aussi, bien sĂ»r. La propagande. Mais retenons ici le positif et sa force Ă peine explorĂ©e. Nous sommes balbutiants comme aux prĂ©mices de lâĂ©criture. Mais dĂ©jĂ tout sâaccĂ©lĂšre⊠Blablacar dĂ©place chaque mois, en France, deux millions de passagers⊠Une immense rĂ©volution est en marche. Une rĂ©volution dans le proche comme dans le lointain » (p 116-117). Cette rĂ©volution va inclure Ă©galement un nouveau rapport avec la nature⊠« Notre idĂ©e de nature et notre agriculture, notre management de la planĂšte devrait entrer peu Ă peu dans la civilisation numĂ©rique et collaboratriceâŠÂ ». « Cette rĂ©volution numĂ©rique favorise aussi une classe crĂ©ative » qui tire en avant nos sociĂ©tĂ©s. Câest elle qui restructure nos sociĂ©tĂ©s et nos entreprises⊠61% de la richesse française sont ainsi produits dans les treize plus grandes citĂ©s. Mais il y a ceux qui sont loin, dans les quartiers, dans les villages, dans les Suds. Eux qui cherchent du sens et en sont privĂ©s. Eux aussi sont derriĂšre lâĂ©cran, mais souvent sans les moyens de consommer, sans avoir assez Ă©tudiĂ© pour apprendre. La sociĂ©tĂ© collaborative produit ainsi ses nĂ©osĂ©dentaires qui souvent ont la haine. Il va falloir apprendre Ă faire tĂȘte ensemble – comme le disent les CrĂ©oles â sur cette toile qui se tend… comme on a appris, il y a un siĂšcle, Ă bĂątir lâĂ©cole pour tous et lâĂ©ducation populaire. Il faut donner Ă chacun les clefs pour apprendre sur internet » (p 118-119).
Voici donc quelques unes des rĂ©flexions originales engagĂ©es par Jean Viard Ă partir de faits singuliers : donnĂ©es statistiques et observations personnelles. Nous apprenons ainsi Ă nous situer dans un monde nouveau. Car les anciennes grilles dâanalyse qui sont Ă lâorigine de lâopposition gauche-droite, classes et ordres sâĂ©puisent aujourdâhui. La montĂ©e de lâindividualisme, la part croissante de lâautonomie individuelle, nous appellent en regard Ă rechercher ce qui fait lien. « Il faut que nous retrouvions une direction, un chemin. Un sens Ă ce monde, un commun. Mais un commun du futur ». « La rĂ©volution est culturelle » (p 205). Dans les annĂ©es 60, « On est sorti dâune sociĂ©tĂ© de groupe, de classe, pour devenir une sociĂ©tĂ© dâindividus autonomes qui a favorisĂ© la place nouvelle des femmes, de la nature, le tourisme, et la mondialisation aussi. Comme la mobilitĂ© des gens augmentait, il a fallu inventer des techniques pour se lier. Câest bien la rupture culturelle des annĂ©es 60, qui a induit des besoins technologiques, lesquels ont Ă leur tour bousculĂ© la sociĂ©tĂ©. Câest elle qui bouscule actuellement le travail et lie lâhumanitĂ© en une grande communautĂ© sur une terre si petite, perdue dans lâuniversâŠÂ » (p 206-207).
Ce nouveau livre de Jean Viard, comme les prĂ©cĂ©dents, contribue Ă la vie citoyenne en clarifiant les enjeux (3). Il appelle le croyant Ă apporter sa part Ă la recherche de sens pour cette humanitĂ©Â en devenir (4). Il peut aider chacun Ă comprendre ses situations de vie, câest Ă dire Ă rĂ©duire les peurs et Ă dĂ©velopper une bienveillance constructive.
J H
(1)           Jean Viard. Une sociĂ©tĂ© si vivante. Editions de lâaube, 2018
(2)           Jean Viard. Le moment est venu de penser Ă lâavenir. Editions de lâaube, 2016. Mise en perspective sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=2524 Et aussi : Jean Viard. Nouveau portrait de la France. La sociĂ©tĂ© des modes de vie. Editions de lâaube, 2011. Mise en perspective sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=799
(3)           La rĂ©flexion citoyenne requiert une comprĂ©hension de lâĂ©volution de la sociĂ©tĂ©, une analyse des aspirations et des besoins. Ainsi, les livres de Jean Viard mâont apportĂ© un Ă©clairage lors de la derniĂšre campagne prĂ©sidentielle. De la mĂȘme maniĂšre, jâai apprĂ©ciĂ© lâapport dâun livre de Thomas Friedman, journaliste au New York Times sur les incidences du changement technologique accĂ©lĂ©rĂ© Ă lâĂ©chelle mondiale : Thomas Friedman. Merci dâĂȘtre en retard. Survivre dans le monde de demain. Saint Simon, 2017. Mise en perspective sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=2624 Et aussi, mise en perspective de la version originale : Thank you for being late : https://vivreetesperer.com/?p=2560
(4)           Notre engagement personnel dans la sociĂ©tĂ© sâinscrit dans une vision chrĂ©tienne dans lâesprit de « la nouvelle crĂ©ation » qui se prĂ©pare dans la mouvance de Christ ressuscitĂ©. Câest la thĂ©ologie de lâespĂ©rance de JĂŒrgen Moltmann trĂšs prĂ©sente sur ce blog. Dans cette perspective, « le christianisme est rĂ©solument tournĂ© vers lâavenir et invite au renouveau » (JĂŒrgen Moltmann. De commencements en recommencements. Empreinte, 2012 (p 100-101)
par jean | Juil 4, 2022 | Vision et sens |
Jean LavouĂ©Â : une Ćuvre spirituelle
En rĂ©ponse Ă notre quĂȘte spirituelle, un livre vient de paraitre : « Un poĂšme Ă venir. Pour une spiritualitĂ© des lisiĂšres » (1). Si, au premier abord, le titre peut paraĂźtre insolite, il convient au dĂ©part dâentendre la voix qui sây exprime, le parcours de lâauteur. Celui-ci, Jean LavouĂ©, est un Ă©crivain, Ă©diteur et poĂšte breton. On peut en lire ici et lĂ la biographie. Mais la meilleure entrĂ©e nous paraĂźt une interview de Magali Michel parue dans La Vie : « De lâabsence jaillit la prĂ©sence » (2).
TrĂšs tĂŽt portĂ© Ă lâĂ©criture, Jean LavouĂ© sâengage dans une expression poĂ©tique. Câest un atout pour faire face aux embuches de la vie et approfondir un chemin de libĂ©ration spirituelle oĂč il sera aidĂ© par un prĂȘtre atypique, Jean Sulivan. Son parcours professionnel sâexerce dans lâĂ©ducation surveillĂ©e et dans la sauvegarde de lâenfance.
Cependant, Ă partir des annĂ©es 2000, Jean LavouĂ©, constamment en activitĂ© poĂ©tique, commence Ă Ă©crire des livres portant sur des auteurs avec lesquels il se trouve en affinitĂ©. Cette Ćuvre littĂ©raire va aller en croissant. En 2007, Jean LavouĂ© crĂ©e un blog, baptisĂ© : « lâenfance des arbres » ( http://www.enfancedesarbres.com ).
En 2017, il ouvre une petite maison dâĂ©dition. Câest dire combien, Ă tous Ă©gards, lâĂ©criture tient une place centrale dans la vie de Jean LavouĂ©. « LâĂ©criture finalement se dĂ©ploie dans le temps, pourvu quâon persiste, mĂȘme sâil nây a pas beaucoup dâĂ©cho au dĂ©part ».
Dans cette interview, Jean LavouĂ© nous fait part aussi de sa vie spirituelle. « Jâaime lire la Bible avec dâautres. LâEcriture est dâune grande poĂ©sie. Dans la vie professionnelle, comme dans la vie intĂ©rieure, jâapprĂ©cie la fĂ©conditĂ© des petits groupes de parole. Avec Anne, ma femme, nous participons Ă plusieurs dâentre eux. Mon enracinement ecclĂ©sial sâinscrit dans cette modalitĂ© peu visible, mais bien plus rĂ©pandue que lâon ne le croit ».
Les deux livres les plus rĂ©cents de Jean LavouĂ© tĂ©moignent de son parcours spirituel : « les clairiĂšres en attente » oĂč il Ă©voque notamment lâapport des petits groupes de partage : https://www.youtube.com/watch?v=9Jm5hkO3TAM
et « Le PoĂšme Ă venir ? Pour une spiritualitĂ© des lisiĂšres » oĂč « il explore la dimension christique du PoĂšme en Ă©largissant la conception et la montrant Ă©galement Ă lâĆuvre dans lâensemble des autres spiritualitĂ©s humaines » : https://www.youtube.com/watch?v=5K01-5KffYk
Sur le chemin de lâexpression dâune vision
En introduction du livre : Le PoÚme à venir
Dans lâintroduction de son livre : « Le PoĂšme Ă venir », Jean LavouĂš nous fait part de son cheminement et de la maniĂšre dont celui-ci dĂ©bouche sur une nouvelle approche.
Ne ressentons nous pas plus ou moins des raideurs et des pertes dans lâannonce ecclĂ©siale de lâEvangile ? « Les mots ont trop servi. Ils semblent usĂ©s » (p 10). « Il faut dĂ©sempierrer la source pour tenter de la retrouver. Jâai choisi pour ma part le mot : PoĂšme pout tenter de dire ce quâavec dâautres, je cherche Ă tĂątonsâŠÂ ».
Mais pourquoi ce mot nouveau ? Quelle en est la signification ? Jean LavouĂ© nous en explique lâorigine. « PoiĂȘsis » pour les grecs, signifie crĂ©ation… Pour Platon, lâart poĂ©tique est rattachĂ© Ă lâ « enthousiasme ». Dans la Bible, le poĂšte est le prophĂšte. Pour les philosophes de lâOrient, la poĂ©sie rejoint la contemplation du sage ». Dans quelle acception, Jean LavouĂ© a-t-il adoptĂ© le mot ? « Il peut recouvrir ces diffĂ©rentes dĂ©finitions, mĂȘme si la source de mon questionnement concerne, de maniĂšre plus spĂ©cifique, ce qui touche Ă une rĂ©ception encore inĂ©dite de lâannonce christique des Ă©vangiles, ce dĂ©sir du Royaume, cet engendrement qui se sont entiĂšrement saisi de la personne que lâon nomme JĂ©sus. De ce Verbe, de cette Parole, de ce Logos qui, diront les Ă©crivains de la Bonne Nouvelle, se sont emparĂ©s de lui » (p 12).
Mais lâauteur envisage un mouvement dans un horizon plus vaste : « Le PoĂšme tel que je lâenvisage, ne se rĂ©duit pas Ă lui. Il recouvre une rĂ©alitĂ© encore plus vaste. Certes, cet homme JĂ©sus ne mit aucun obstacle Ă lâavĂšnement en lui de cette rĂ©alitĂ© qui le dĂ©passait. Toutefois, il ne cessa dâaffirmer selon les Ă©vangiles synoptiques, quâil nâĂ©tait pas lui-mĂȘme cette rĂ©alitĂ©. Mais, selon lâĂ©vangile de Jean, il va jusquâĂ dire que le PĂšre lui ne font quâun⊠Pour tous ces tĂ©moins, il est indĂ©niable quâil se laissa entiĂšrement envahir par le Souffle saint lui inspirant chacune de ses paroles et chacun de ses gestes » (p 12).
Jean LavouĂ© ouvre lâhorizon : « Câest en fait le dynamisme crĂ©ateur de cette Vie partout Ă lâĆuvre dans lâunivers que nous avons voulu traduire dans ce rĂ©cit mĂ©ditatif par le mot : PoĂšme. La Vie, nul ne lâa jamais vue, mais elle se fait connaĂźtre par cette puissance crĂ©atrice qui ne cesse de tirer lâunivers tout entier vers un accomplissement toujours plus complexe, toujours plus harmonieux. Et cela, malgrĂ© les pesanteurs et les ombres, voire les impasses qui semblent sâaccumuler aujourdâhui sur le devenir de lâhumanitĂ© (p 12).
Lâauteur rappelle la conception grecque du Logos. Mais, Ă lâĂ©poque, ils avaient « une vision stable du cosmos, cohĂ©rente, hiĂ©rarchique et aux contours bien dĂ©limitĂ©s ». Ce nâest plus cette vision qui est la notre aujourdâhui. « Les thĂ©ories de lâorigine de lâunivers, de lâĂ©volution, de la connaissance de la matiĂšre nous ont conduits Ă une nouvelle conception totalement interactive, systĂ©mique, de ce qui est, depuis les choses inanimĂ©es jusquâaux ĂȘtres vivants. Tout et reliĂ© Ă tout. Tout est mouvement permanent, croissance, devenir. Câest cette immensitĂ© transformatrice et crĂ©atrice Ă lâĆuvre partout dans le monde que nous appelons PoĂšme. Son origine, nous la nommons Source ou VieâŠÂ » (p 13).
Jean LavouĂ© envisage la vie et lâĆuvre de JĂ©sus dans ce grand mouvement. « Lâhomme JĂ©sus fut habitĂ© comme nul autre par le PoĂšme. On pourrait dire aussi par le Souffle crĂ©ateur qui agit en tout et en tous, mais qui sâempara de maniĂšre singuliĂšre de son ĂȘtre » (p 13). Dans lâimmĂ©diat, ce fut exprimĂ© dans la culture de lâĂ©poque : « Les mots qui Ă©taient Ă leur disposition Ă©taient ceux de Logos pour ceux qui Ă©taient de culture grecque, ou de Messie, câest Ă dire de Christ, pour ceux qui sâinspiraient de la grande tradition hĂ©braĂŻque et biblique. Tout lâeffort des thĂ©ologiens des premiers siĂšcles fut de tenter de dĂ©finir en quoi et Ă quel point, cette dimension christique de JĂ©sus, cette incarnation en lui du Logos, se confondait avec lâEtre crĂ©ateur, avec YahvĂ©, avec Dieu » (p 13).
Le PoĂšme, envisagĂ© par Jean LavouĂ© correspond Ă la dimension « Christ » de JĂ©sus telle que nous la reconnaissons dans la culture judĂ©o-chrĂ©tienne. Mais, le dynamisme crĂ©ateur de la Vie, dont ce mot est le signe, ne saurait se rĂ©duire Ă cette culture. Nous sommes Ă lâĂąge planĂ©taire oĂč nous prenons la mesure de la pluralitĂ© des formes dâexpression spirituelle. Nous dĂ©couvrons que notre destin est liĂ© Ă celui de tous les ĂȘtres vivants et Ă lâensemble de lâĂ©cosystĂšme dont nous sommes les hĂŽtes » (p 13).
Jean LavouĂ© plaide pour une rĂ©ception plus universelle de ce dynamisme crĂ©ateur. « Puisque chrĂ©tien et enracinĂ© dans la tradition biblique, nous Ă©clairerons cette comprĂ©hension pour nous du PoĂšme⊠essentiellement Ă partir des Ă©lĂ©ments tirĂ©s de ce lieu exceptionnel de rĂ©alisation que constitue le tĂ©moignage Ă©vangĂ©lique. Mais nous essaierons aussi de faire en sorte que ce que nous exprimerons du poĂšme, Ă partir de cet ancrage dont la vie de JĂ©sus fut la terre dâaccueil, puisse aussi Ă©clairer bien dâautres espaces culturels et spirituels traduisant Ă leurs maniĂšres plurielles et diffĂ©rentes leur coopĂ©ration avec le dynamisme du Souffle crĂ©ateur » (p 14)
« Si lâhomme JĂ©sus devint souffle lui-mĂȘme au yeux de ses disciples, nâest-ce pas le fait de cette confiance et de cette foi vitales quâil Ă©veillait en chaque ĂȘtre, en chaque chose, en chaque Ă©vĂ©nement. Câest dâabord de cela quâils furent tĂ©moins. Câest pour les avoir eux-mĂȘmes relevĂ©s, les avoir fait participer de maniĂšre trĂšs personnelle et intime, au dynamisme crĂ©ateur du PoĂšme de la Vie quâils le reconnurent. Câest ainsi quâils le dĂ©finirent avec les termes qui se trouvaient Ă leur disposition comme âChristâ : Oint en cette Source vitale par la grĂące du PoĂšme. Câest en cela quâil accepta dâĂȘtre, saisi quâil fut par le Souffle saint, lâhomme par excellence de la Parole : celui qui fait lever autour de lui les germes du RoyaumeâŠÂ » (p 14-15).
« Pour relier tous ceux quâil rencontrait, disciples ou inconnus, Ă cette mĂȘme origine de la Vie, il aimait donner Ă cette derniĂšre, le nom de PĂšre, Abba : et avec ces deux premiĂšres lettres de lâalphabet hĂ©braĂŻque : alpha, bĂȘta, il rĂ©vĂ©lait dĂ©jĂ tout ce qui reliait le visible Ă lâinvisible⊠Tous se trouvaient issus de la mĂȘme source, plongĂ©s dans les mĂȘmes eaux transformatrices du PoĂšme⊠Dans dâautres traditions et dans dâautres cultures, cette vision de la Source originaire fut traduit par dâautres mots : Allah pour les uns, Atman pour les autres, Terre-MĂšre ou Gaia encore pour dâautres. Ces visions diffĂ©rentes ne sont pas exclusives les unes des autres » (p 16).
Jean LavouĂ© nous explique le but de son livre et la motivation qui lâa portĂ©. « Câest cette puissance de nouveautĂ© universelle que je cherche Ă honorer par ce livre – poĂšme. Aujourdâhui encore, elle vient Ă toute femme, Ă tout homme, Ă lâhumain en gĂ©nĂ©ral, quelque soit le Dieu, la Source, la Vie, lâEnergie auxquels il se rĂ©fĂšre ou pas. Câest cela que nous voudrions avant tout suggĂ©rer » (p 16).
Lâauteur nous dit alors comment il a rĂ©alisĂ© son livre. « Il est le fruit dâintuitions, nourries par des lectures et vendangĂ©es dans les celliers du cĆur. Des auteurs mâauront mis en chemin » (p 16). Jean LavouĂ© mentionne alors des thĂ©ologiens et des auteurs spirituels dans une vaste gamme de Christoph Theobald, RaphaĂ«l Picon Ă Teilhard de Chardin et Richard Rohr. Lâauteur prĂ©cise Ă©galement son usage du mot PoĂšme. Ainsi, en faisant rĂ©fĂ©rence Ă lâhomme JĂ©sus, il nous dit « prĂ©fĂ©rer au terme de Christ, qualifiant la maniĂšre spĂ©cifique dont il sâabandonna Ă la puissance agissante de son PĂšre, celui de PoĂšme, le faisant participer Ă une place singuliĂšre et unique, au dynamisme transformateur et crĂ©ateur initiĂ© par le Souffle de la Vie dans la totalitĂ© de lâunivers » (p 18).
Ce livre porte en sous-titre : « Pour une spiritualitĂ© des lisiĂšres ». Mais quâentend-il par lisiĂšre ? La lisiĂšre câest le lieu oĂč « lâhumain sâouvre Ă lâinfini qui le dĂ©passe, un lieu mystĂ©rieux dâinteraction et de transformation rĂ©ciproque oĂč lâun et lâautre communiquent et sâapprivoisent. De cet Ă©change intime oĂč se nouent la rencontre entre souffles divin et humain, toute spiritualitĂ© est lâexpression singuliĂšre ; mĂȘme si chacune dâelle attribue au mystĂšre autour duquel elle gravite des noms diffĂ©rents voire si elle ne le nomme pas du tout comme câest le cas pour une grande part de la quĂȘte contemporaine » (p 18). « Câest de la lisiĂšre dont lâEvangile est le signe dont il sera principalement question ici. Mais cela de maniĂšre non exclusive de telle sorte que la « spiritualitĂ© des lisiĂšres » pourrait aussi correspondre Ă une volontĂ© de chercher Ă faire tomber tous les murs autant entre notre propre vĂ©ritĂ© et celle des autres quâentre le divin et nous-mĂȘmes » (p 18).
Paysages
Le PoĂšme Ă venir nous appelle Ă une promenade oĂč nous dĂ©couvrons sans cesse des paysages nouveaux. Tandis que les chapitres se dĂ©roulent, tant de paragraphes nous appellent Ă une lecture mĂ©ditative Voici donc quelques extraits de ce livre pour entrer dans cette lecture.
Un PĂšre qui venait de lâavenirâŠ
« Un homme, un poĂšte, voici ce quâil Ă©tait. Il Ă©tait venu, il y deux mille ans dans un bout de Palestine. Dans sa courte existence, il nâavait cherchĂ© quâĂ incarner dans chacune de ses paroles, chacun de ses gestes, le souffle du PoĂšme. Il affirmait que celui-ci venait de son PĂšre. Et quand il parlait ainsi, on sentait bien que ce nâĂ©tait pas pour lui un pĂšre biologique, un pĂšre du passĂ©. Non, plutĂŽt un PĂšre qui venait de lâavenir. Une force qui le tirait en avant, qui lâentrainait dans les voies les plus risquĂ©es, le plus improbables pour annoncer, disait-il, un Royaume qui viendrait. Et il Ă©tait dâailleurs dĂ©jĂ lĂ Â : son ĂȘtre tout entier rayonnait de cet amour qui refluait sur lui telle lâannonce dâun printemps » (p 22).
Le Souffle saint qui ne cherche quâune chose : Leur permettre Ă tous de choisir la Vie.
« Quand le « poĂšte » mourut, tous crurent que câen Ă©tait fini de son histoire. Or, celle-ci ne faisait au contraire que commencer. Ou plutĂŽt , elle ne pourrait dĂ©sormais que se prolonger. Car sâil incarna plus que tout le poĂšme, il avait la vive conscience de ne pas en ĂȘtre lâorigine. A cette Source, il donna le nom de PĂšre. Et, nâest-ce pas celle-ci, aujourdâhui encore, qui Ćuvre en toute femme et tout homme de bonne volontĂ© cherchant lâharmonie entre les peuples de la terre : quelque soient leurs croyances, leurs dieux, leurs fois, leurs cultures, leurs raisons. Sans tous ces particularismes, le PoĂšme ne serait pas. Mais il les transcende tous. Comme ceux-ci nâexisteraient pas sans lui.
Pourtant chacun croit pouvoir lui donner un nom, une forme, une assignation bien Ă eux, opposĂ©s Ă ceux revendiquĂ©s par les autres hommes. Mais, ce faisant, ils oublient le Souffle saint qui ne cherche quâune chose, Ă travers toutes leurs langues, leurs cultes, leurs dialectes : les arracher au chaos et Ă la destruction ; leur permettre Ă tous de choisir la Vie » (p 23).
Porter secours Ă la planĂšte, câest porter secours Ă lâhumain, Ă Dieu lui-mĂȘmeâŠ
« Porter secours Ă la planĂšte en feu, câest porter secours Ă lâhumain, Ă Dieu lui-mĂȘme. VoilĂ ce quâil leur faut entreprendre. Notre maison commune est aussi celle du PoĂšme en nous. Notre seule rĂ©sidence sur la terre. Notre seule chance de nous laisser habiter par lui. De lâinviter chez nous. De le laisser y faire sa demeure. Rien quâil nâait dĂ©sirĂ© dâun plus grand dĂ©sir : laisser sa parole crĂ©atrice se dĂ©ployer en tout ĂȘtre, en toute chose. Tandis que lâhomme au contraire sâest dressĂ© face Ă elle. Ce quâils avaient imaginĂ© de puissance menaçante et de dĂ©fi chez cet hĂŽte qui nâĂ©tait pourtant que bienveillance Ă leur Ă©gard, ils se lâappropriĂšrent pour eux-mĂȘmes. Ainsi devinrent-ils une menace le uns pour les autres ainsi que pour la planĂšte dont ils se croyaient ĂȘtre Ă jamais les maĂźtres ». (p 28).
Ce PoĂšme en avant de nous
« Câest lâun de ses amis qui Ă©crivit un jour le prologue de notre propre vie. Et depuis, nous nâavons cessĂ© de voir ce PoĂšme en avant de nous. Souvent, entendant une nouvelle fois ce rĂ©cit, nous croyions le connaĂźtre par cĆur. Alors quâil surgissait toujours neuf de lâhorizon. Ceux qui restaient tournĂ©s vers le passĂ© finissaient par lâoublier. Leur vie cessait soudain de chanter au rythme de son pas. Tandis que tout un peuple, par ailleurs, grandissait, se mettait en marche, sâĂ©lançait par les brĂšches ouvertes de sa promesse » (p 35).
FondĂ©s dans la confiance et lâespĂ©rance
« Et câest alors quâils sâĂ©prouveraient « jubilescents ». FondĂ©s dans la confiance et lâespĂ©rance que toute mort est vaincue. Quâils participent, de lâavĂšnement dâune Vie qui nâa jamais cessĂ© de venir vers eux pour ĂȘtre-avec-eux ressource dâespĂ©rance, soutien dans leurs avancĂ©es obscures. Pour ĂȘtre au plus fragile de leur humanitĂ© et dans toute lâĂ©paisseur de leur finitude et de leur prĂ©caritĂ©, le signe dâune tendresse qui ne leur ferait jamais dĂ©faut. Et cela par la grĂące dâun avenir ouvert qui ne leur a jamais manqué » (p 38).
Voici donc un livre qui nous propose une vision plus vaste de la dynamique Ă©vangĂ©lique, une vision plus fraiche Ă travers de nouveaux mots et de nouvelles images. Cette proposition peut Ă©veiller quelques questionnements thĂ©ologiques. Cependant, ce chant nouveau nous Ă©veille et nous porte. Câest le murmure de lâeau vive. Le mouvement de Dieu en JĂ©sus sâexprime dans un Souffle crĂ©ateur. Câest « une puissance de vie universelle » que Jean LavouĂ© « cherche Ă honorer Ă travers son livre PoĂšme » (p 16).
J H
- Jean Lavoué. Le PoÚme à venir. Pour une spiritualité des lisiÚres. Préface de François Cassingena- Tréverdy. Mediaspaul, 2022 . Une superbe présentation du livre : « PentecÎte : le souffle des lisiÚres » : https://www.golias-editions.fr/2022/06/02/pentecote-le-souffle-des-lisieres/
- Jean LavouĂ©. De lâabsence jaillit la prĂ©sence. Interview de Magali Michel dans La Vie : https://www.lavie.fr/christianisme/temoignage/jean-lavoue-de-labsence-jaillit-la-presence-3127.php
par jean | Mar 31, 2012 | ARTICLES, Emergence écologique, Expérience de vie et relation |
« La mĂ©decine personnalisĂ©e » dâaprĂšs Jean-Claude Lapraz
Il Ă©tait venu, Ă bout de souffle en Ă©tat de fatigue chronique, une vie au minimum, sans vitalitĂ©. Jean-Claude Lapraz lui demanda : quâest-ce vous attendez de moi ? Que je puisse me dĂ©placer davantage … vivre. Ce fut le dĂ©but dâun parcours au cours duquel il gagna progressivement en santĂ©. Elle vint le voir, trĂšs affectĂ©e par lâapparition dâun cancer du sein. Il lâaida Ă garder un horizon de vie dans la traversĂ©e des alĂ©as successifs. Elle trouva en Jean-Claude Lapraz un accompagnement thĂ©rapeutique et une prĂ©sence amie qui lui permit de rĂ©sister pendant des annĂ©es Ă cette maladie et aux traitements lourds auxquels elle fut soumise. Marie-Laure de Clermont âTonnerre, journaliste, coauteur avec le docteur Jean-Claude Lapraz, du livre sur « la mĂ©decine personnalisĂ©e » (1) , raconte comment elle aussi dĂ©couvrit dans la rencontre avec ce mĂ©decin, une rĂ©ponse aux maux qui lâassaillaient et qui lâempĂȘchaient de vivre normalement. Et, derriĂšre les nombreux cas prĂ©sentĂ©s dans ce livre, du relativement banal au tragique, de lâotite Ă rĂ©pĂ©tition au cancer du foie, Ă chaque fois, on voit Ă lâĆuvre une approche mĂ©dicale qui, en dialogue avec le patient, va en profondeur dans la connaissance du fonctionnement du corps dans toutes ses interactions et qui ouvre en consĂ©quence un chemin de libĂ©ration . Cette approche mĂ©dicale suscite la confiance et lâespoir lĂ oĂč souvent il nây avait plus que lâangoisse et la rĂ©signation. LâefficacitĂ© de cette mĂ©decine tient Ă son adaptation au terrain de chacun.  Câest « une mĂ©decine personnalisĂ©e », mais cette approche requiert en consĂ©quence une attention personnelle pour chaque patient. Et ainsi pourrait-on reprendre parallĂšlement le vocable : « mĂ©decine de la personne » (2), dĂ©jĂ utilisĂ©, il y a des annĂ©es, par le Docteur Paul Tournier, dans la dĂ©signation dâun livre qui plaidait pour une relation de confiance entre le mĂ©decin et celui qui sâadresse Ă lui.
Une vision nouvelle de la médecine : la médecine de terrain.
Selon notre constitution, nous rĂ©agissons chacun diffĂ©remment Ă telle ou telle agression. « Une seule explication possible : lâĂ©tat de notre terrain : « Lâensemble des facteurs gĂ©nĂ©tiques, physiologiques, tissulaires ou humoraux qui, chez un individu, favorisent la survenue dâune maladie ou en conditionne le pronostic » (Larousse). Câest dans cette perspective que cette nouvelle approche mĂ©dicale est mise en Ćuvre : « LâĂȘtre humain ne se limite pas Ă un simple assemblage de fonctions ou dâorganes sans lien entre eux. Il est un ĂȘtre vivant autonome et complet qui rĂ©agit Ă chaque instant comme un tout cohĂ©rent et doit sans cesse sâadapter⊠La mĂ©decine actuelle a fait Ă©clater le corps en ses multiples composants. En nĂ©gligeant de replacer chacun dâeux dans ses relations complexes avec les autres, elle a perdu la capacitĂ© dâĂ©tablir un diagnostic global de lâĂ©tat du patient. Il est donc temps aujourdâhui de proposer une approche mĂ©dicale qui mette en Ă©vidence les liens qui unissent le local au global et qui donnent une vĂ©ritable vision scientifique intĂ©grale du patient. Câest ce que nous dĂ©signons comme la conception endobiogĂ©nique du terrain » (p68).
« Le tout est plus que la somme des parties ». Le corps est perçu comme un ensemble de niveaux : « Chaque niveau, du gĂȘne au chromosome, du chromosome au noyau, du noyau Ă la cellule, de la cellule Ă lâorgane, de lâorgane Ă lâorganisme, possĂšde ses propres mĂ©canismes de fonctionnement, mais ils sont intĂ©grĂ©s et sous contrĂŽle du niveau supĂ©rieur, et, en fin de compte sous celui de lâensemble de lâorganisme. Si un niveau se dĂ©rĂšgle, il est important dâidentifier ce qui, en amont, a gĂ©nĂ©rĂ© le dĂ©rĂšglement et de comprendre comment celui-ci agira Ă son tour sur lâaval » (p 68-69).
Tout se tient. « Pour maintenir lâharmonie, il existe nĂ©cessairement une communication permanente entre chacun des Ă©lĂ©ments, chacune des parties qui nous constitue. Il faut donc quâen notre corps, ensemble vivant infiniment complexe, existe un coordonnateur qui gĂšre en permanence les liens qui unissent la cellule Ă lâorgane, lâorgane aux autres organes et les fonctions entre elles (p 70-71)⊠La vie ne peut se maintenir sâil nâexiste pas une cohĂ©rence et une finalitĂ© qui permette de faire fonctionner de façon harmonieuse les cellules et les organes de notre corps pour quâils se maintiennent en Ă©quilibre » (p70-71).
De fait, il existe bien une forme de « chef dâorchestre ». « Si lâorganisme est une maison , il a pour architecte, pour coordonnateur, pour rĂ©gulateur, le systĂšme hormonal ». Selon lâendobiogĂ©nie, « lâapproche endocrinienne du terrain est fondĂ©e sur la reconnaissance du role primordial et incontournable du systĂšme hormonal Ă tous les niveaux du corps humain. Câest lui qui gĂšre le mĂ©tabolisme, câest Ă dire la succession permanente et dynamique des phĂ©nomĂšnes de destruction (catabolisme), de reconstruction et de synthĂšse (anabolisme) qui se dĂ©roulent Ă chaque seconde en nousâŠÂ » (p 71).
Lâapproche endobiogĂ©nique sâappuie sur une interprĂ©tation nouvelle du fonctionnement du corps humain. Elle propose Ă©galement de nouveaux outils pour en comprendre concrĂštement le fonctionnement et pour pouvoir en consĂ©quence intervenir pour corriger et rĂ©guler.
« En partant dâune simple prise de sang comportant douze donnĂ©es biologiques (comme la numĂ©ration formule sanguine, le nombre des plaquettes sanguines, le dosage de deux enzymesâŠ), on peut construire un systĂšme Ă©tabli sur des algorithmes, tous basĂ©s sur des donnĂ©es incontestĂ©es de la physiologie qui font apparaĂźtre de nouveaux chiffres conduisant Ă une comprĂ©hension beaucoup plus large des phĂ©nomĂšnes Ă lâĆuvre dans le corps que ne le permet lâapproche purement analytique actuellement en vigueur. Câest la « biologie des fonctions »⊠Ce systĂšme complexe, conçu par le Docteur Christian Duraffourd, a permis dâĂ©tablir quelques 172 index dâactivitĂ© endocrine, mĂ©tabolique, tissulaire, etc (par exemple : nĂ©crose cellulaire, rĂ©sistance Ă lâinsuline, remodelage osseux, immunitĂ©, stress oxydatif, dĂ©veloppement anormal cellulaire) (p 81-83). « Dans une goutte de sang, on peut voir lâindividu et son terrain ». La production de cet ensemble est un bond en avant impressionnant pour la comprĂ©hension de lâĂ©tat du patient.
Mais, dans la consultation, telle quâelle est pratiquĂ©e par les mĂ©decins qui se rĂ©clament de cette approche, dâautres donnĂ©es recueillies Ă travers lâĂ©coute et lâexamen clinique, viennent encore sây ajouter. Ces donnĂ©es viennent sâinscrire en regard de lâinterprĂ©tation endobiogĂ©nique. A partir de lĂ , le mĂ©decin peut prescrire un traitement appropriĂ© en faisant appel principalement aux plantes mĂ©dicinales. Lâusage de celles-ci permet dâĂ©viter la nocivitĂ© des effets secondaires que peuvent entraĂźner certains mĂ©dicaments de synthĂšse. Par ailleurs, la combinaison dâun certain nombre de plantes Ă activitĂ© synergique ou complĂ©mentaire induit un effet global important : « La sommation des petits effets que chacun va gĂ©nĂ©rer dans lâorganisme permet dâapporter une amĂ©lioration, puis une vraie guĂ©rison ».
Une pratique nouvelle de la médecine.
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Dans un chapitre entiĂšrement consacrĂ© Ă la    description du dĂ©roulement dâune consultation (p 101-134), Marie-Laure de Clermont-Tonnerre nous permet dâentrer dans la pratique de cette mĂ©decine et de la comprendre de lâintĂ©rieur. Elle nous dĂ©crit ce quâelle a vĂ©cu. A partir de sa propre perception des symptĂŽmes quâelle ressentait, quels ont Ă©tĂ© ses questionnements et ses besoins ? Comment a-t-elle pu sâexprimer et ĂȘtre entendue ? Comment a-t-elle reçu un dĂ©but dâexplication lui permettant de dĂ©couvrir une cohĂ©rence cachĂ©e derriĂšre lâensemble de ses symptĂŽmes ? En quoi, lâanalyse des index de la biologie des fonctions permet « de mettre en Ă©vidence de façon chiffrĂ©e les liens subtils qui existent entre les diffĂ©rents organes et fonctions du corps humain, amenant le mĂ©decin Ă une vision plus fine de lâĂ©tat rĂ©el du patient, lâaidant ainsi Ă diriger son traitement prĂ©ventif et curatif »? En quoi, trĂšs concrĂštement, lâexamen clinique, câest-Ă -dire lâauscultation dĂ©taillĂ©e selon une mĂ©thode prĂ©cise, apporte des renseignements prĂ©cieux sur la façon particuliĂšre dont le corps sâorganise et rĂ©agit ? Et enfin, comment le traitement est prescrit et commentĂ© en fonction de toutes les donnĂ©es ainsi recueillies ?
Ce chapitre est particuliĂšrement Ă©clairant, car nous pouvons beaucoup apprendre de cette Ă©tude de cas tant sur la maniĂšre dont les donnĂ©es sont recueillies que sur leur signification, tant sur lâinterprĂ©tation des dysfonctionnements que sur la stratĂ©gie adoptĂ©e pour y porter remĂšde. Cette consultation nâest pas seulement une situation dâordre technique, câest aussi le lieu dâune relation dans laquelle il y a un dialogue permettant une comprĂ©hension accrue de part et dâautre et ainsi une participation du patient. Comme en tĂ©moigne Marie-Laure, la qualitĂ© humaine du mĂ©decin est essentielle. La psychologie confirmant la sagesse, on sait aujourdâhui combien comprĂ©hension , empathie et encouragement ont un effet majeur sur lâĂ©volution ultĂ©rieure.
Tous ceux qui ont eu la grande chance de bĂ©nĂ©ficier de cette mĂ©decine apprĂ©cieront cette description et pourront y glaner des informations passĂ©es jusque lĂ inaperçues. Mais ce livre sâadresse Ă tous. Cette description riche et fine dâune consultation en mĂ©decine endobiogĂ©nique fait apparaĂźtre un univers de sens qui nous permet dâaccĂ©der Ă un niveau supĂ©rieur dâinformation et de conscience. Câest lĂ une source dâespoir et de confiance pour beaucoup. Nous avons dit combien, dans certains cas, elle est une ouverture qui libĂšre, et osons le mot, une mĂ©decine qui sauve. Mais, en mettant en lumiĂšre les dysfonctionnements en formation, câest aussi une approche qui permet dây remĂ©dier Ă temps et donc dâexercer un rĂŽle de prĂ©vention .
Ainsi cette médecine a une double fonction : elle prévient et elle guérit. Comment ne pas militer en faveur de son développement !
Origine et devenir de la médecine endobiogénique.
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Lâapparition de la mĂ©decine endobiogĂ©nique nous apparaĂźt comme une transformation majeure dans la conception et la pratique de la mĂ©decine, ce quâen terme de sciences sociales, on peut appeler un nouveau « paradigme ». Mais si cette approche est actuellement mise en Ćuvre par un groupe de mĂ©decins encore trĂšs limitĂ© en nombre, comment est-elle apparue ? Le rĂ©cit de Jean-Claude Lapraz nous montre la genĂšse dâune prise de conscience : une insatisfaction de mĂ©decins gĂ©nĂ©ralistes vis Ă vis dâune pratique mĂ©dicale qui rĂ©pond ponctuellement, mais qui souvent ne parvient pas Ă soigner en profondeur ; en contact avec Jean Valnet, un chirurgien ayant dĂ©couvert en Indochine lâefficacitĂ© des plantes mĂ©dicinales, la reconnaissance de cet apport Ă travers une expĂ©rimentation concrĂšte ; au dĂ©but des annĂ©es 70, la conjonction de deux jeunes mĂ©decins, Christian Duraffourd et Jean-Claude Lapraz pour sâengager dans la voie nouvelle de la « phytothĂ©rapie clinique », câest Ă dire le recours Ă la plante mĂ©dicinale dans le cadre dâune approche globale et complĂšte de lâhomme et de sa physiologie.
Et puis ces idĂ©es ont essaimĂ©es, mais en France, en fonction des conservatismes ambiants, elles sont encore largement ignorĂ©es par les institutions officielles. Dans dâautres pays, par contre, lâapproche endobiogĂ©nique gagne en audience. Aujourdâhui, dans notre pays, si lâapproche endobiogĂ©nique est pratiquĂ©e par un nombre bien trop limitĂ©e de mĂ©decins, elle est soutenue par une association dâusagers : Phyto 2000 (3) et elle commence Ă se rĂ©pandre Ă travers des formations. Voici une mĂ©decine nouvelle dont on a vu lâefficacitĂ© et combien elle rĂ©pond aux attentes. Quâon ne laisse pas arrĂȘter par les frustrations que certains peuvent ressentir, en termes nĂ©gatifs, vis- Ă vis dâun potentiel qui leur paraĂźtrait actuellement hors de portĂ©e. Les auteurs situent Ă©galement cette mĂ©decine dans le contexte plus gĂ©nĂ©ral de la sociĂ©tĂ© en prenant position par rapport Ă toutes les menaces pour la santĂ©, depuis les dangers prĂ©sentĂ©s par certains produits de lâindustrie pharmaceutique jusquâĂ la pollution . A lâheure oĂč se pose Ă©galement le problĂšme du coĂ»t de la mĂ©decine, on peut Ă©galement mettre en avant les avantages dâune approche qui non seulement rĂ©vĂšle son efficacitĂ©, mais peut jouer un rĂŽle majeur en terme de prĂ©vention. Il y a donc un immense travail de promotion Ă rĂ©aliser . A cet Ă©gard, le livre publiĂ© par Jean-Claude Lapraz et Marie-Laure de Clermont-Tonnerre est un outil particuliĂšrement efficace, car dans un langage dynamique et efficace, il ouvre Ă tous un accĂšs Ă la comprĂ©hension de lâapproche endobiogĂ©nique.
Perspectives dâavenir.
Comment promouvoir lâendobiogĂ©nie ?
Dans la conclusion, les auteurs mettent en Ă©vidence un paradoxe : « Jamais le financement consacrĂ© Ă la recherche nâa Ă©tĂ© aussi gigantesque et jamais la technologie mĂ©dicale nâa fait autant de progrĂšs que pendant les deux derniĂšres dĂ©cennies⊠Pour autant, jamais la mĂ©decine nâa Ă©tĂ© confrontĂ©e Ă une crise dâune telle ampleur et jamais le systĂšme de santĂ© nâa Ă©tĂ© si proche de lâĂ©clatement..
Devant des recherches qui peinent Ă obtenir les rĂ©sultats espĂ©rĂ©s malgrĂ© les sommes considĂ©rables englouties, une rĂ©flexion sâimpose : il faut reconsidĂ©rer les concepts de lâapproche du vivant qui fondent la mĂ©decine moderne. Si la voie pastorienne a donnĂ© des fruits incontestĂ©s, elle bute maintenant sur ses limites. En Ă©clatant lâhomme en ses multiples composantes, en dissociant la partie du tout et en ne la replaçant pas dans la globalitĂ©, elle nâest pas Ă mĂȘme de faire la synthĂšse, ni de remettre lâhomme au centre du systĂšme. Il est donc temps dâintroduire au cĆur de la mĂ©decine actuelle de nouveaux outils conceptuels rendant possible une vraie synthĂšse Ă tous les niveaux : Ă©coute du patient, examen du malade, approche des rĂ©sultats biologiques, conception du traitement, orientation de la recherche, mise au point de nouveaux mĂ©dicaments et mise en place dâune vraie prĂ©vention. Une des solutions pour la mĂ©decine de demain passe par la voie intĂ©grative sans rien renier des avancĂ©es apportĂ©es par la science analytique. BasĂ©e sur les donnĂ©es de la science et avec le recul de plus de quarante annĂ©e dâune pratique clinique confirmĂ©e par de nombreux mĂ©decins français et Ă©trangers, la voie intĂ©grative quâest lâendobiologie, apporte des moyens simples Ă mettre en Ćuvre rapidement.. » (p 312)
Nous vivons aujourdâhui dans le mouvement dâune mutation culturelle qui se dĂ©ploie Ă lâĂ©chelle du monde. Le champ de la conscience sâĂ©largit. Des barriĂšres tombent. On assiste aujourdâhui au recul dâune pensĂ©e cartĂ©sienne qui sĂ©parait lâesprit et le corps de lâhomme, lâhomme et la nature. On perçoit de plus en plus les limites dâune pensĂ©e analytique qui induit une pratique « en miettes ». Certes la volontĂ© de puissance de lâhomme est toujours lĂ et elle peut se manifester dans la fascination de la technologie (4). Mais on prend de plus en plus conscience des mĂ©faits dâune telle attitude dans laquelle lâhomme se pose en « maĂźtre et seigneur de la nature ». Au contraire la pensĂ©e Ă©cologique recherche une harmonisation entre lâhomme et la nature. Comme lâĂ©crit le thĂ©ologien JĂŒrgen Moltmann (5), « Nous ne voulons plus connaĂźtre pour dominer, nous voulons connaĂźtre pour participer ». Et il ajoute : « Lâ « essence » de la crĂ©ation dans lâEsprit est la « collaboration » et les structures manifestent la prĂ©sence de lâEsprit dans la mesure oĂč elles font connaĂźtre lâ « accord gĂ©nĂ©ral ». « Au commencement Ă©tait la relation » (M.Buber) ». De plus en plus, les approches systĂ©miques, holistiques, intĂ©gratives sâimposent. De nouvelles synthĂšses sâĂ©laborent . A cet Ă©gard, le livre de Thierry Janssen : « La solution intĂ©rieure » (6) nous paraĂźt particuliĂšrement significatif. Thierry Janssen a quittĂ© sa profession de chirurgien pour entreprendre une grande enquĂȘte Ă travers le monde ayant pour objet dâĂ©tude : « la personne humaine comme agent de guĂ©rison » : Une mĂ©decine de lâesprit pour soigner le corps ; une mĂ©decine du corps pour soigner lâesprit oĂč il prĂ©sente lâapport de la mĂ©decine des Ă©nergies en provenance des pays dâAsie : Chine et Inde.
Le livre sur la mĂ©decine personnalisĂ©e devrait bĂ©nĂ©ficier de lâouverture des esprits aux perspectives nouvelles qui apparaissent aujourdâhui..  En mĂȘme temps, son ancrage dans les acquis de la science mĂ©dicale favorise sa rĂ©ception par les milieux professionnels. « BasĂ©e sur les donnĂ©es de la science et plus de quarante annĂ©es dâune pratique clinique confirmĂ©e par de nombreux mĂ©decins français et Ă©trangers, la voie intĂ©grative quâest lâendobiogĂ©nie apporte des moyens simples Ă mettre en oeuvre rapidementâŠÂ » .
Dans un systĂšme de santĂ© qui comporte de nombreuses rigiditĂ©s, comment promouvoir cette conception et cette pratique nouvelle ? A cet Ă©gard, un article rĂ©cemment paru dans Le Monde (14 mars 2012) vient nous encourager. Sous la signature de Luc Montagnier, prix Nobel de mĂ©decine en 2008 (7) et FrĂ©dĂ©ric Bizard, consultant et maĂźtre de confĂ©rences Ă Sciences Po, cet article ouvre la voie : « Anticipons le passage dâune mĂ©decine curative Ă une mĂ©decine prĂ©ventive ». On peut y lire : « Dâune approche verticale et segmentĂ©e nous devons passer Ă une vision transversale de la santĂ©. Dâune mĂ©decine Ă dominante curative au siĂšcle dernier, nous passons Ă la mĂ©decine 4p : prĂ©ventive, prĂ©dictive, personnalisĂ©e, participative, ce qui modifie fondamentalement le « logiciel » du systĂšmeâŠ. Lâapproche transversale de la santĂ© et de la mĂ©decine 4p doit sâaccompagner dâune rĂ©novation de notre systĂšme de santĂ© avec une approche holistique des soins fondĂ©e sur la personne et les relations interpersonnelles. Dâun systĂšme centrĂ© sur la maladie, il faut Ă©voluer vers un systĂšme centrĂ© sur la personne, sur la santé ».
Tout ce que nous avons appris de lâendobiogĂ©nie la situe potentiellement au cĆur de ce front pionnier. Mobilisons-nous en faveur de cette mĂ©decine dâespoir !
JH
(1)           Lapraz (Dr Jean-Claude), Clermont-Tonnerre (Marie-Laure de). La médecine personnalisée. Retrouver et garder la santé. Odile Jacob, 2012.
(2)           Tournier (Paul). La médecine de la personne. Delachaux Niestlé, 1940 http://www.paultournier.org/mdlp.html
(3)           Pour en savoir davantage sur la situation de la phytothĂ©rapie clinique et de lâendobiogĂ©nie en France, les conditions dâaccĂšs Ă cette mĂ©decine, une association active des usagers : Phyto 2000. Site : www.phyto2000.org
(4)           Sicard (Didier). La mĂ©decine sans le corps. Une nouvelle rĂ©flexion Ă©thique. Plon, 2002. PersonnalitĂ© reconnue dans le domaine de la mĂ©decine et de lâĂ©thique, Didier Sicard dĂ©nonce les usages abusifs et tentaculaires de la technologie au dĂ©triment dâune reconnaissance et dâune prise en compte globale du patient.
(5)           Moltmann (JĂŒrgen). Dieu dans la crĂ©ation. TraitĂ© Ă©cologique de la crĂ©ation. Cerf, 1988. Citations : p 51 et p 25. Un blog consacrĂ© Ă la pensĂ©e de JĂŒrgen Moltmann : http://www.lespritquidonnelavie.com
(6)           Janssen (Thierry). La solution intĂ©rieure. Vers une nouvelle mĂ©decine du corps et de lâesprit. Fayard, 2006. Mise en perspective sur le site de TĂ©moins : http://www.temoins.com/developpement-personnel/vers-une-nouvelle-medecine-du-corps-et-de-l-esprit.guerir-autrement.html
(7)           Luc Montagnier est lâauteur dâun livre : Montagnier (Luc). Les combats de la vie. Mieux que guĂ©rir : prĂ©venir. Lattes, 2008. Mise en perspective sur le site de TĂ©moins : http://www.temoins.com/developpement-personnel/aujourd-hui-prix-nobel-luc-montagnier-preconise-une-nouvelle-approche-de-la-medecine.html
par jean | Avr 16, 2024 | Société et culture en mouvement |
Selon David Graeber et David Wengrow
Il y a différents possibles
Lâhistoire contribue Ă former notre vision du monde. Câest dire lâimportance des conceptions qui lâinspirent. Ainsi, quelle est la trajectoire de lâhumanitĂ©Â ? Passons-nous de petites communautĂ©s plutĂŽt Ă©galitaires et conviviales Ă une sociĂ©tĂ© plus savante, plus riche, plus complexe, mais aussi plus inĂ©galitaire et hiĂ©rarchisĂ©e ? Une violence humaine jugĂ©e congĂ©nitale ne peut-elle ĂȘtre maitrisĂ©e que par un ordre social imposĂ© rigoureusement ? Ou bien, lâobservation du passĂ© humain, ne fait-il pas apparaitre une grande diversitĂ© de formes et dâorganisations sociales qui tĂ©moignent dâune grande crĂ©ativitĂ©Â ? Une nouvelle approche historique permet-elle dâĂ©carter toute fatalitĂ© et dâenvisager diffĂ©rents possibles ?
En voulant rĂ©pondre Ă ces questions, un livre publiĂ© en 2021 sous le titre : « The dawn of everything. A new history of humanity », puis traduit et paru en français en 2023, sous le titre : « Au commencement Ă©tait⊠Une nouvelle histoire de lâhumanité » (1) est devenu un best-seller international. Ce livre a Ă©tĂ© le fruit dâun travail de longue haleine de deux chercheurs : David Graeber, anthropologue amĂ©ricain, un temps figure de proue du mouvement : « Occupy Wall Street », malencontreusement dĂ©cĂ©dĂ© en 2020, et David Wengrow, archĂ©ologue britannique, professeur dâarchĂ©ologie comparĂ©e Ă Londres. Ce volume de plusieurs centaines de pages rassemble et rĂ©alise la synthĂšse des nombreuses recherches mises en Ćuvre durant les deux ou trois derniĂšres dĂ©cennies et tirant parti de nouveaux moyens techniques dâinvestigation.
A la mesure de son originalitĂ©, cet ouvrage a suscitĂ© un grand nombre de commentaires particuliĂšrement dans le monde anglophone, tant dans la grande presse comme le Guardian (2) ou le Washington Post (3) que dans des publications Ă vocation dâĂ©tude et de recherche, commentaires oĂč se manifestent diffĂ©rentes attitudes, de lâapprobation et lâenthousiasme Ă une critique variĂ©e tant acadĂ©mique quâidĂ©ologique. En France, internet nous donne accĂšs Ă un article de La Croix (4) qui met bien en valeur lâoriginalitĂ© de ce livre : « Il nây a pas une seule voie de civilisation qui condamnerait lâhumanitĂ© Ă vivre dans les inĂ©galitĂ©s et une institution politique hiĂ©rarchisĂ©e. Mais mille maniĂšres de crĂ©er des systĂšmes de vivre-ensemble qui peuvent passer par des organisations horizontales souples et cependant sophistiquĂ©es. Avant nos villes modernes, existaient ainsi, dans diffĂ©rents endroits du globe, de la MĂ©sopotamie Ă lâAmĂ©rique prĂ©colombienne, de vastes communautĂ©s aux relations complexes, qui ne se sont pas senties contraintes, pour subsister, de constituer un Ătat central avec des classes distinctes ». Notre propos ici nâest pas de prĂ©senter un rĂ©sumĂ© dâun livre aussi volumineux, aussi riche et aussi ambitieux, mais seulement dâattirer lâattention sur la vision nouvelle qui nous est ainsi offerte. On notera Ă cet Ă©gard une interview de David Wengrow sur France Culture (5), une piste qui nous permet dâentrer dans lâesprit de cette recherche.
Histoire de lâhumanitĂ©Â : faut-il revoir notre copie ?
« Histoire de lâhumanitĂ© : faut-il revoir notre copie » ? Câest le titre donnĂ© par France Culture Ă un entretien avec David Wengrow (5), un titre qui nous parait bien rendre compte du sens de la grande Ćuvre qui nous appelle Ă voir lâhistoire de lâhumanitĂ© sous un jour nouveau en montrant le manque de pertinence des mythes fondateurs proposĂ©s par Jean-Jacques Rousseau et Thomas Hobbes, tant en les replaçant dans leur contexte historique quâen montrant comment les recherches novelles de lâarchĂ©ologie et de lâanthropologie mettent en Ă©vidence un autre dĂ©roulĂ© Ă partir de faits diffĂ©rents.
A un moment oĂč lâhistoire de lâhumanitĂ© est lâobjet de nouveaux livres par des auteurs tels que Francis Fukuyama ou Yuval Noah Harari, considĂ©rez-vous votre livre comme une nouvelle pierre Ă lâĂ©difice ou comme une approche de dĂ©construction des interprĂ©tations dominantes ? demande son interlocutrice Ă David Wengrow. Câest bien la voie de la dĂ©construction, rĂ©pond lâauteur. Ces livres rĂ©cents sâinspirent encore de Thomas Hobbes ou de Jean-Jacques Rousseau qui sont pour nous hors de propos selon les preuves et les dĂ©couvertes dans nos disciplines : lâarchĂ©ologie et lâanthropologie. Nous cherchons ainsi Ă mieux comprendre les premiĂšres phases de lâhistoire humaine. David Wengros dĂ©crit et critique les rĂ©cits fondateurs de Jean Jacques Rousseau et de Thomas Hobbes. Et, « lorsque des gens extrapolent des thĂ©ories politiques Ă partir de ces rĂ©cits, les rĂ©sultats sont plutĂŽt dĂ©primants et mĂȘme paralysants ». Ces rĂ©cits comportent des visions pessimistes.
Ainsi, lâinvention de lâagriculture est perçue nĂ©gativement. On a pu la qualifier de « pire terreur de lâhistoire ». « Câest de lĂ quâest venue la propriĂ©tĂ© privĂ©e et la concurrence et finalement le gouvernement centralisĂ©. Lorsquâon regarde les preuves issues de la recherche, nous voyons une rĂ©alitĂ© totalement diffĂ©rente. Tout dâabord, nous voyons, moins quâune rĂ©volution, des processus qui ont pris des millĂ©naires. Lorsque les ĂȘtres humains, dans les diffĂ©rentes parties du monde, expĂ©rimentaient les possibilitĂ©s de lâagriculture », des approches diffĂ©rentes se manifestaient. « En dâautres termes, ce qui est perdu dans ce rĂ©cit traditionnel de lâhistoire humaine, câest prĂ©cisĂ©ment la capacitĂ© de nos ancĂȘtres lointains de prendre la mesure de leurs propres dĂ©cisions. Nous essayons dâenlever ce sentiment dâinĂ©vitabilité ». David Wengrow estime que les sociĂ©tĂ©s humaines ont eu la capacitĂ© dâeffectuer des choix, des choix raisonnĂ©s, « des choix formĂ©s par des principes moraux et Ă©thiques. Aussi loin que nous pouvons remonter dans les preuves concernant les sociĂ©tĂ©s humaines, nous voyons des gens faire ce genre de choix ».
Lâauteur peut sâappuyer sur de nombreux exemples. « Lorsque nous remontons Ă 20000 ou 30000 ans, lĂ oĂč, selon les rĂ©cits traditionnels, on sâattendrait Ă voir de sociĂ©tĂ©s simples, Ă©galitaires, en petits groupes, dans ces parties du monde oĂč nous avons des preuves archĂ©ologique, ces sociĂ©tĂ©s ressemblent davantage Ă un carnaval, Ă des expĂ©rimentations sociales. Dans diffĂ©rentes parties de lâEurope, nous avons des preuves de rituels oĂč des individus particuliers, des individus qui Ă©taient inhabituels physiquement, on le voit dâaprĂšs les restes humains, des individus souvent handicapĂ©s, sont enterrĂ©s avec une trĂšs grande richesse, comme des rois ou des reines. Le « comme si » est important parce que nous nâavons aucune preuve quâĂ lâĂ©poque, il puisse y avoir eu des royaumes. Et donc, au sein de cette zone de thĂ©Ăątre rituel, les gens expĂ©rimentaient et crĂ©aient des formes, des hiĂ©rarchies qui, dans la durĂ©e de ce rituel, Ă©taient rĂ©elles ». Lâauteur met en Ă©vidence des variations saisonniĂšres. Par exemple, dans les plaines de lâAmĂ©rique du nord, au cours de la saison de la chasse aux bisons, se formait une force de police. Mais elle se dissolvait Ă la fin du rituel de la chasse. Les membres de ces forces de police nâen faisaient partie quâĂ titre provisoire. « Câest un exemple parmi beaucoup dâautres de la crĂ©ativitĂ© politique que nous trouvons dans les sociĂ©tĂ©s qui ne pratiquent pas lâagriculture ». Par ailleurs, Ă propos de lâapparition de lâagriculture ou celle des villes, « cette idĂ©e que ces transformations, ces ruptures, quâen quelques instants, tout avait changĂ©, et quâaprĂšs, rien ne pouvait fonctionner de la mĂȘme maniĂšre, cette idĂ©e ne tient plus la route face Ă lâexamen scientifique ».
Lâinterlocutrice interroge ensuite David Wengrow sur la maniĂšre dont il questionne le rĂŽle de lâĂ©tat quâon aurait surĂ©valuĂ©, en donnant trop dâimportance aux structures verticales. Cette organisation-lĂ ne dĂ©coule-t-elle pas directement de la naissance des villes ? Lâauteur rĂ©pond que « les musĂ©es ont une grande responsabilitĂ© Ă ce sujet. « Lorsquâon va dans un des grands musĂ©es du monde, au Louvre, au British Museum, au Metropolitan, il semble quâau moins pendant les 5000 derniĂšres annĂ©es, la planĂšte entiĂšre Ă©tait sous le contrĂŽle des monarques surhumains⊠toutes ces sculptures⊠Je suis le grand roi de tout⊠Bon, on y croit⊠mais si on regarde lâĂ©ventail des grandes sociĂ©tĂ©s sur terre, il y a 4000 ans, il nây avait quâune toute petite zone sous le contrĂŽle de ces sociĂ©tĂ©s trĂšs hiĂ©rarchisĂ©es. Que faisaient tous les autres ? On nâen sait pas grand-chose. On commence Ă en savoir plus et, dâune maniĂšre ou dâune autre, il est clair que, pour la plupart du temps, les gens organisaient leur sociĂ©tĂ© dâune autre façon. Ce que nous essayons dans le livre, câest dâapprendre un peu mieux quelles Ă©taient les alternatives et pourquoi aussi elles semblent Ă©loignĂ©es de nous aujourdâhui ».
Lâauteur sâintĂ©resse Ă©galement au cas de la bureaucratie. Certaines approches, sur le registre de la psychologie ou du management, nous disent que la bureaucratie a Ă©tĂ© crĂ©Ă©e pour traiter les problĂšmes dâĂ©chelle, de communication au sein des sociĂ©tĂ©s humaines « Toutefois, si nous considĂ©rons les recherches archĂ©ologiques nous voyons des administrations spĂ©cialisĂ©es qui apparaissent, il y a des millĂ©naires, avant lâapparition des villes dans de petits Ă©tablissements de quelques centaines dâindividus. Tout le monde se connaissait. Les gens Ă©taient probablement liĂ©s par des liens familiaux. Câest une image tellement diffĂ©rente de celle qui nous est donnĂ©e habituellement. Il faut faire la diffĂ©rence entre lâadministration impersonnelle telle que nous la connaissons aujourdâhui, ce genre de bureaucratie qui nous transforme en numĂ©ros de tĂ©lĂ©phone par exemple, et dâautres types de bureaucratie qui ont existĂ© dans lâhistoire et qui nâavaient pas ce type dâeffets dĂ©shumanisants ». Ainsi, en regard dâun empire inca bureaucratique, « si vous remontez avant les incas ou si vous considĂ©rez des sociĂ©tĂ©s qui ont Ă©vitĂ© dâĂȘtre contrĂŽlĂ©es par eux, il y avait des administrations locales et elles utilisaient des outils administratifs afin dâexercer des activitĂ©s de soutien. Si quelquâun Ă©tait malade ou si il y avait une mauvaise rĂ©colte, le travail serait redistribuĂ© pour soutenir une famille dans la disette⊠Câest un exemple dâadministration qui contrairement Ă aujourdâhui ne dĂ©personnalise pas, mais sâadresse aux diffĂ©rences individuelles ».
Lâinterlocutrice Ă©largit la conversation. Elle fait appel Ă un autre chercheur qui rapporte les erreurs commises en voulant imposer une monoculture ordonnĂ©e Ă une agriculture africaine diversifiĂ©e pour respecter les Ă©quilibres naturels, et Ă partir de cet exemple dâĂ©troitesse de vue, elle pose la question Ă David Wengrow : « Comment dĂ©centrer notre regard ? OĂč faut-il regarder aujourdâhui pour comprendre ce qui se passe dans lâhumanitĂ©Â ? ». Lâauteur rĂ©pond en sâappuyant sur lâexemple des sommets sur le climat : « Qui a la vision la plus claire et la plus innovante pour protĂ©ger un environnement fragile ? Câest souvent prĂ©cisĂ©ment les populations autochtones ». Aujourdâhui, « nous, en Europe, nous sommes en train de rejouer une rencontre avec des populations non europĂ©ennes avec des systĂšmes de connaissance non europĂ©ens qui ont dĂ©butĂ©, il y a des siĂšcles, et, dans notre livre, nous faisons remonter ces premiĂšres rencontres coloniales Ă lâĂąge des LumiĂšres, et nous montrons comment, Ă travers ces rencontres, un mĂ©lange sâest fait jour de concepts europĂ©ens et autochtones qui, essentiellement, a Ă©tĂ© effacĂ© de nos visions modernes de lâhistoire. Lorsque lâon parle des LumiĂšres et de son hĂ©ritage, nous prĂ©sentons cet hĂ©ritage comme une vision interne de ce processus qui se concentre sur lâEurope et peut-ĂȘtre aussi sur lâhĂ©ritage de la GrĂšce antique. En fait, dans le livre, nous parlons de dettes cachĂ©es, des dettes camouflĂ©es que la culture europĂ©enne doit Ă dâautres cultures. Le fait de reconnaitre ces dettes peut en soi ouvrir nos yeux vers diffĂ©rentes façons de comprendre notre passĂ© et aussi vers notre capacitĂ©, en tant quâespĂšce, de dĂ©couvrir de nouvelles capacitĂ©sâŠ. Lorsque on pense Ă des alternatives vis-Ă -vis de notre systĂšme actuel, on ferait bien de regarder au-delĂ de lâhistoire trĂšs traumatisĂ©e des deux derniers siĂšcles, prendre en compte cette image beaucoup plus large des capacitĂ©s humaines, des possibilitĂ©s humaines. La science et lâhistoire le prouvent aujourdâhui ».
Revisiter lâhistoire
De grands rĂ©cits historiques ont Ă©tĂ© Ă©crits Ă partir dâune certaine reprĂ©sentation des origines de lâhumanitĂ© et des pĂ©riodes ultĂ©rieures. Tel que lâexprime le titre de leur ouvrage : « Au commencement Ă©tait âŠÂ », câest bien Ă partir dâune remise en cause des reprĂ©sentations dominantes de ces origines et dâune nouvelle vision de la prĂ©histoire que David Graeber et David Wengrow nous proposent une nouvelle histoire de lâhumanitĂ©.
Les auteurs commencent donc par entreprendre une critique rigoureuse des thĂšses de Jean-Jacques Rousseau et de Thomas Hobbes. Les auteurs nous rapportent les conditions dans lesquelles Jean-Jacques Rousseau a Ă©crit et publiĂ© en 1754 « le discours sur lâorigine et les fondements de lâinĂ©galitĂ© parmi les hommes ». « En voici la trame gĂ©nĂ©rale. Il fut un temps oĂč les hommes, aussi innocents quâau premier jour, vivaient de chasse et de cueillette au sein de tout petits groupes â des groupes qui pouvaient ĂȘtre Ă©galitaires justement parce quâils Ă©taient si petits. Cet Ăąge dâor prit fin avec lâapparition de lâagriculture, et surtout avec le dĂ©veloppement des premiĂšres villes. Celles-ci marquĂšrent lâavĂšnement de la « civilisation » et de « lâĂtat », donnant naissance Ă lâĂ©criture, Ă la science et Ă la philosophie, mais aussi Ă presque Ă tous les mauvais cĂŽtĂ©s de lâexistence humaine â le patriarcat, les armĂ©es de mĂ©tier, les exterminations de masse, sans oublier les casse-pieds de bureaucrates qui nous noient dans la paperasse tout au long de notre vie. Il va de soi que nous simplifions Ă outrance, mais on a bien lâimpression que ce scĂ©nario de base est lĂ pour refaire surface » (p 14).
Il existe une autre version de lâhistoire, mais « elle est encore pire ». Câest celle de Hobbes. « A bien des Ă©gards, le « LĂ©viathan » de Thomas Hobbes publiĂ© en 1651, fait figure de texte fondateur de la thĂ©orie politique moderne. Hobbes y soutient que les hommes Ă©tant ce quâils sont â des ĂȘtres Ă©goĂŻstes â lâĂ©tat de nature originel devrait ĂȘtre tout le contraire dâun Ă©tat dâinnocence. On y menait certainement une existence « solitaire, misĂ©rable, dangereuse, animale et brĂšve ». En dâautres termes, câĂ©tait la guerre â une guerre de tous contre tous, Pour les tenants de cette thĂ©orie, ce nâest quâaux dispositifs rĂ©pressifs dont Rousseau dĂ©plore justement lâexistence (gouvernements, tribunaux, administrations, forces de police) que nous en sommes sortis. La longĂ©vitĂ© de cette interprĂ©tation nâa rien Ă envier Ă celle de la vision rousseauiste⊠En vertu de cette conception, la sociĂ©tĂ© humaine repose sur la rĂ©pression collective de nos plus bas instincts, un impĂ©ratif qui se fait plus urgent Ă mesure que les populations se rassemblent en plus grand nombre au mĂȘme endroitâŠÂ » Et, au total, « les sociĂ©tĂ©s humaines, nâont jamais fonctionnĂ© selon dâautres principes que la hiĂ©rarchie, la domination et lâĂ©goĂŻsme cynique qui les accompagnent. Seulement, leurs membres auraient fini par comprendre quâil Ă©tait plus avantageux pour eux de faire passer leurs intĂ©rĂȘts Ă long terme avant leurs instincts immĂ©diats â ou mieux encore Ă Ă©laborer des lois les obligeant Ă cantonner leurs pires pulsions Ă des domaines qui revĂȘtent une certaine utilitĂ© socialeâŠÂ». (p15).
Les deux thĂšses, celle de Rousseau et celle de Hobbes nous paraissent dĂ©boucher sur des impasses en terme de rĂ©signation vis-Ă -vis des travers de lâinĂ©galitĂ© sociale et dâun hiĂ©rarchisation abusive. Dans le premier cas, la complexification de la sociĂ©tĂ© est censĂ©e entrainer des consĂ©quences nĂ©fastes. Dans le second cas, le mal est congĂ©nital. « Les deux versions ont de terribles consĂ©quences politiques » (p 16), Ă©crivent les auteurs. Mais leur opposition sâaffirme Ă©galement au niveau de la recherche anthropologique : « Elles donnent du passĂ© une image inutilement ennuyeuse. Elles sont tout simplement fausses » (p 16).
Les auteurs rappellent alors les immenses progrĂšs de la recherche en ce domaine et comment ils ont rassemblĂ© les Ă©lĂ©ments ethnographiques et historiques accessibles. « Notre ambition dans ce livre est de commencer Ă reconstituer le puzzle⊠Un changement conceptuel est Ă©galement nĂ©cessaire. Il nous faut questionner la conception moderne de lâĂ©volution des sociĂ©tĂ©s humaines, Ă commencer par lâidĂ©e selon laquelle elles devraient ĂȘtre classĂ©es en fonction des modes de dĂ©veloppement dĂ©finis par des technologies et des modes dâorganisation spĂ©cifiques : les chasseurs cueilleurs , les cultivateurs, les sociĂ©tĂ©s urbaines industrialisĂ©es, etc. En fait, cette idĂ©e plonge ses racines dans la violente rĂ©action conservatrice quâa provoquĂ©e, au dĂ©but du XVIIIe siĂšcle, la montĂ©e des critiques contre la civilisation europĂ©enne » (p 17).
Cet ouvrage met en Ă©vidence un nouveau paysage. « Il est dĂ©sormais acquis que les sociĂ©tĂ©s humaines prĂ©agricoles ne se rĂ©sument pas Ă de petits clans Ă©galitaires. Au contraire, le monde des chasseurs-cueilleurs avant lâapparition de lâagriculture Ă©tait un monde dâexpĂ©rimentations sociales audacieuses, beaucoup plus proche dâun carnaval des formes politiques que des mornes abstractions suggĂ©rĂ©es par la thĂ©orie Ă©volutionniste. Lâagriculture, elle, nâa pas entrainĂ© lâavĂšnement de la propriĂ©tĂ© privĂ©e, pas plus quâelle nâa marquĂ© une Ă©tape irrĂ©versible dans la marche vers lâinĂ©galitĂ©. En rĂ©alitĂ©, dans bien des communautĂ©s oĂč lâon commençait Ă cultiver la terre, les hiĂ©rarchies sociales Ă©taient pour ainsi dire inexistantes. Quant aux toutes premiĂšres villes, loin dâavoir gravĂ© dans le marbre les diffĂ©rences de classe, elles Ă©taient Ă©tonnamment nombreuses Ă fonctionner selon des principes rĂ©solument Ă©galitaires, sans faire appel Ă de quelconques despotes, politiciens-guerriers bourrĂ©s dâambition ou mĂȘme petits chefs autoritaires » (p 16).
Ainsi, Ă partir de lâexamen dâun grand nombre de situations, les auteurs peuvent affirmer que « lâhistoire de lâhumanitĂ© est moins dĂ©terminĂ©e par lâĂ©gal accĂšs aux ressources matĂ©rielles (terres, calories, moyens de productionâŠ) si cruciales soient-elles, que par lâĂ©gale capacitĂ© Ă prendre part aux dĂ©cisions touchant Ă la vie collective â la condition prĂ©alable Ă©tant Ă©videmment que lâorganisation de celle-ci soit ouverte aux discussions ». Dâailleurs, sâexclament-ils, « cette facultĂ©Â dâexpĂ©rimentation sociale et dâautocrĂ©ation â cette libertĂ© en somme â nâest-elle pas ce qui nous rend fondamentalement humain ? » Les auteurs se perçoivent dans une dynamique. « Nous sommes tous des projets, des chantiers dâautocrĂ©ation collective. Et si nous dĂ©cidions dâaborder le passĂ© de lâhumanitĂ© sous cet angle, câest Ă dire de considĂ©rer tous les humains, par principe, comme des ĂȘtres imaginatifs, intelligents, espiĂšgles et dignes dâĂȘtre apprĂ©hendĂ©s comme tels ? Et si, au lieu de raconter comment notre espĂšce aurait chutĂ© de haut dâun prĂ©tendu paradis Ă©galitaire, nous nous demandions plutĂŽt comment nous nous sommes retrouvĂ©s prisonniers dâun carcan conceptuel si Ă©troit que nous ne parvenons plus Ă concevoir la possibilitĂ© mĂȘme de nous rĂ©inventer ? » (p 21-22)
La « critique indigĂšne » comme ferment dâune rĂ©flexion nouvelle sur la sociĂ©tĂ© europĂ©enne et dâun nouveau rĂ©cit historique
Les auteurs consacrent un des premiers chapitres à « la critique indigĂšne et le mythe du progrĂšs ». DĂšs le dĂ©but du XVIIIe siĂšcle, parvient en France une information sur la vie et lâorganisation sociale des populations autochtones dâAmĂ©rique du Nord. En contraste apparaissent les maux de sociĂ©tĂ© française. Cette « critique indigĂšne » nourrit un bouillonnement dâidĂ©es. Une autojustification sâĂ©labore Ă travers lâattribution de ces maux comme contrepartie Ă la complexitĂ© de la « civilisation » et au « progrĂšs ».
Ce livre fait apparaitre le rĂŽle jouĂ© par la dĂ©couverte de civilisations Ă©trangĂšres et leur exemple dans lâĂ©laboration europĂ©enne de la pensĂ©e des LumiĂšres alors que celle-ci est
souvent prĂ©sentĂ©e comme une production interne. « Du jour au lendemain, quelques-uns des plus puissants royaume dâEurope se retrouvĂšrent maitre dâimmenses territoires. Les philosophes europĂ©ens, eux, furent subitement exposĂ©s aux civilisations chinoises et indiennes, ains quâĂ une multitude de conceptions sociales, scientifiques et politiques dont ils nâavaient jamais soupçonnĂ© lâexistence. De ce flux dâidĂ©es nouvelles naquit ce quâil est convenu dâappeler les « LumiĂšres » (p 47). Cependant lâattention des auteurs va se porter particuliĂšrement sur les relations avec les populations autochtones dâAmĂ©rique du nord, par lâentremise des colons et des missionnaires au QuĂ©bec. Câest dans ce contexte que « lâacadĂ©mie de Dijon a jugĂ© opportun de poser la question des origines de lâinĂ©galitĂ© qui a suscitĂ© le cĂ©lĂšbre Ă©crit de Jean-Jacques Rousseau. Cet Ă©pisode « nous plonge dans la longue histoire des dĂ©bats intra-europĂ©ens sur la nature des sociĂ©tĂ©s du bout du monde â en lâoccurrence celles des forĂȘts de lâest de lâAmĂ©rique du nord. Nombre de ces conversations renvoyaient dâailleurs Ă des Ă©changes entre europĂ©ens et amĂ©rindiens Ă propos de lâĂ©galitĂ©, de la libertĂ©, de la rationalitĂ© ou encore des religions rĂ©vĂ©lĂ©es. â des sujets dont beaucoup deviendraient centraux dans la philosophie politique des LumiĂšres » (p 49). Les Ă©crits des missionnaires jĂ©suites aux QuĂ©bec ont Ă©tĂ© largement diffusĂ©s en France et ils rapportent la pensĂ©e critique des amĂ©rindiens sur la sociĂ©tĂ© française, une critique dâabord centrĂ©e sur la façon dont les institutions malmenaient la libertĂ©, puis, aprĂšs quâils eussent acquis une meilleure connaissance de la civilisation europĂ©enne, sur lâidĂ©e dâĂ©galitĂ©. Si les rĂ©cits des missionnaires et la littĂ©rature de voyage Ă©taient si populaires en Europe, câest prĂ©cisĂ©ment quâils exposaient leurs lecteurs Ă ce type de critique, leur ouvrant de nouveaux horizons de transformation sociale » (p 57). Les auteurs exposaient en dĂ©tail les pratiques sociales des amĂ©rindiens qui amenaient ceux-ci Ă critiquer les comportements des colonisateurs. Ainsi, « dans ces Ă©changes, indiens dâAmĂ©rique et europĂ©ens Ă©taient dâaccord sur un constat : le premiers vivaient dans des sociĂ©tĂ©s fondamentalement libres, les seconds en Ă©taient trĂšs loin » (p 62).
Ce livre accorde une importance particuliĂšre Ă un français, Lahontan, qui Ă©tait entrĂ© en relation et en conversation avec un chef politique et philosophe indigĂšne, Kandiaronk. Or, Lahontan, de retour en Europe, publia trois ouvrages sur ses aventures canadiennes. « Le troisiĂšme, publiĂ© en 1703, et intitulĂ©Â : « Dialogue avec un sauvage » se composait de quatre conversations avec Kandiaronk. Le sage Wenda y portait un regard extrĂȘmement critique sur les mĆurs et les idĂ©es europĂ©ennes en matiĂšre de religion, de politique, de santĂ© et de sexualité » (p 71-72). Il sây exprime notamment les reproches suivants : « les incessantes chamailleries, le manque dâentraide, la soumission Ă lâautoritĂ©, mais avec un Ă©lĂ©ments nouveau : lâinstitution de la propriĂ©té » (p 75). Ces Ă©changes sont nombreux et portent sur diffĂ©rents thĂšmes. Ainsi Kandiaronk fait ressortir lâattrait que la sociĂ©tĂ© amĂ©rindienne peut exercer sur les europĂ©ens : « Si Lahontan dĂ©cidait dâembrasser le mode de vie amĂ©rindien il sâen trouverait bien plus content, passĂ© un petit temps dâadaptation. (Il nâavait pas tort sur ce point : presque tous les colons adoptĂ©s par des communautĂ©s indigĂšnes ont refusĂ© par la suite de retourner vivre dans leur sociĂ©tĂ© dâorigine) » (p 79). De fait, les livres de Lahontan ont connu un succĂšs considĂ©rable. Ils ont exercĂ© un grand impact. « Les rĂ©flexions de Kandiaronk nâont cessĂ© dâĂȘtre rĂ©imprimĂ©es et rĂ©Ă©ditĂ©es pendant plus dâune centaine dâannĂ©es et elles ont Ă©tĂ© traduites en allemand, en anglais, en nĂ©erlandais et en italien » (p 82).
Cependant, dâautres Ă©crivains vantaient les aspects positifs dâautres pays exotiques. Ainsi, « Madame de Graffigny, cĂ©lĂšbre femme de lettres, publie en 1747 un livre populaire : « Lettre dâune PĂ©ruvienne » oĂč lâon dĂ©couvre la sociĂ©tĂ© française Ă travers les yeux de Zila, princesse inca enlevĂ©e par des conquistadores espagnols⊠Zila critiquait tout autant le systĂšme patriarcal que la vanitĂ© et lâabsurditĂ© de la sociĂ©tĂ© europĂ©enne ». (p 83). Madame de Graffigny entra, Ă cette occasion, en correspondance avec plusieurs de ses amis, lâun de ses correspondants Ă©tait le jeune Turgot, économiste en herbe, mais futur homme dâĂ©tat Ă la fin du siĂšcle avant la RĂ©volution française. Les auteurs mettent lâaccent sur sa rĂ©ponse, trĂšs circonstanciĂ©e et trĂšs critique. Câest lĂ en effet quâils voient apparaitre un rĂ©cit « oĂč le concept du progrĂšs Ă©conomique matĂ©riel a commencĂ© Ă prendre la forme dâune thĂ©orie gĂ©nĂ©rale de lâhistoire » (p 83). Et les auteurs font ressortir leur pensĂ©e Ă ce sujet par un sous-titre trĂšs engagĂ©Â : « OĂč Turgot se fait dĂ©miurge et renverse la critique indigĂšne pour poser les jalons des principales thĂ©ories modernes de lâĂ©volution sociale (ou comment un dĂ©bat sur la libertĂ© se mue en un dĂ©bat sur lâĂ©galitĂ©Â ) ». Dans sa rĂ©ponse Ă Madame de Graffigny, Turgot Ă©crit : « Tout le monde chĂ©rit les idĂ©es de libertĂ© et dâĂ©galitĂ© (dans lâabsolu). Toutefois, il est indispensable dâadopter une vision plus globale. La libertĂ© et lâĂ©galitĂ© dont jouissent les sauvages ne sont pas les marques de leur supĂ©rioritĂ©, mais de leur infĂ©rioritĂ©., car elles ne peuvent rĂ©gner que dans des communautĂ©s oĂč toutes les familles sont fondamentalement autosuffisantes, câest-Ă -dire oĂč tout le monde vit dans un Ă©tat de pauvretĂ©. A mesure que les sociĂ©tĂ©s Ă©voluent, les technologies progressent. Les diffĂ©rences innĂ©es de talent et de capacitĂ©, qui existent partout et toujours, se renforcent pour former la base dâune division du travail de plus en plus Ă©laborĂ©e. On passe alors dâorganisations simples comme celle des Wendas Ă notre « civilisation commerciale complexe oĂč la prospĂ©ritĂ© de tous (la sociĂ©tĂ©) ne peut ĂȘtre obtenue que par lâappauvrissement et la dĂ©possession de certains. Si regrettable quâelle soit, cette inĂ©galitĂ© est inĂ©vitable⊠La seule alternative serait une intervention massive de lâĂtat Ă la maniĂšre inca â autrement dit lâinstauration dâune sorte dâĂ©galitĂ© forcĂ©e qui ne pourrait quâĂ©touffer lâesprit dâinitiative, et donc dĂ©boucherait sur une catastrophe Ă©conomique et sociale » (p 84). Quelques annĂ©es plus tard, Turgot allait prĂ©senter ces mĂȘmes idĂ©es au cours dâune sĂ©rie de confĂ©rences sur lâhistoire mondiale⊠Ces confĂ©rences lui offrirent lâoccasion dâapprofondir son argumentation en lui donnant la forme dâune thĂ©orie gĂ©nĂ©rale des phases de dĂ©veloppement Ă©conomique » (p 84-85). Ainsi, il distingue des stades successifs : les chasseurs, puis le pastoralisme, puis lâagriculture, enfin la civilisation commerciale urbaine moderne. « On voit bien que câest une rĂ©ponse directe Ă la force de la critique indigĂšne que furent Ă©noncĂ©es pour la premiĂšre fois en Europe les thĂ©ories de lâĂ©volution socialeâŠÂ » (p 85). Câest dans ce contexte que les thĂšses de Jean-Jacques Rousseau sont apparues et se sont dĂ©veloppĂ©es pour se maintenir ensuite lors de lâhistoire ultĂ©rieure.
Un grand apport
Notre vision du monde dĂ©pend, pour une part importante, de la maniĂšre dont nous reprĂ©sentons son histoire. On comprend pourquoi plusieurs livres ont Ă©tĂ© publiĂ©s rĂ©cemment dans ce domaine. Lâincidence de ces thĂšses sur les comportements nâest pas immĂ©diate, mais elle y contribue. Dans un monde oĂč le poids et lâimpact de structures dâoppression est grand, on peut avoir tendance Ă baisser les bras. Des institutions bien installĂ©es peuvent-elles ĂȘtre changĂ©es ? Sommes-nous enfermĂ©s dans des pratiques rĂ©pĂ©titives ? Face aux dangers actuels, la lenteur de nos rĂ©actions est-elle inĂ©vitable ?
Le livre de David Graeber et de David Wengrow est important parce que leur histoire de lâhumanitĂ© nous montre quâelle rĂ©vĂšle diffĂ©rents possibles.
« Ce que nous avons voulu faire, câest adopter une approche dans le prĂ©sent â par exemple en envisageant la civilisation minoenne ou la culture Hopewell non pas comme des accidents de parcours sur une route qui menait inexorablement aux Ătats et aux empires, mais comme des possibilitĂ©s alternatives, des bifurcations que nous nâavons pas suivies. AprĂšs tout, ces choses-lĂ ont rĂ©ellement existĂ© mĂȘme si nous avons lâindĂ©crottable habitude de les relĂ©guer Ă la marge plutĂŽt que de les placer au cĆur de la rĂ©flexionâŠÂ ». Ainsi, on peut nourrir dâamers regrets sur les Ă©vĂšnements tragiques qui ont abondĂ© dans notre passĂ©, mais il est bon de savoir quâil nây a pas de fatalitĂ©. « Les possibilitĂ©s qui sâouvrent Ă lâaction humaine aujourdâhui sont bien plus vastes que nous ne le pensons souvent ». Ne pouvons-nous pas rĂȘver positivement avec les auteurs ? : « Imaginons que notre espĂšce se maintienne Ă la surface de la Terre et que nos descendants dans ce futur, que nous ne pouvons pas connaĂźtre, jettent un regard en arriĂšre. Peut-ĂȘtre que des aspects que nous considĂ©rons aujourdâhui comme des anomalies (les administrations Ă taille humaine, le villes rĂ©gies par des conseils de quartier, les gouvernements oĂč la majoritĂ© des postes Ă responsabilitĂ© sont occupĂ©s par des femmes, les formes dâamĂ©nagement du territoire qui font la part belle Ă la prĂ©servation plutĂŽt quâĂ lâappropriation et Ă lâextraction) leur apparaitront comme des percĂ©es majeures qui ont changĂ© le cours de lâhistoire tandis que les pyramides ou les immenses statues de pierre feront figure de curiositĂ©s historiques. Qui sait ? » (p 659-660).
Certes, cette reprĂ©sentation de lâhistoire sera accueillie diffĂ©remment selon la vision du monde des lecteurs.
Dans la « Christian Scholarâs Review, Benjamin McFarland (6) reconnait lâoriginalitĂ© et lâimportance des dĂ©couvertes rapportĂ©es par David Graeber et David Wengrow. Son examen du livre sâopĂšre sur un registre scientifique, mais aussi un registre thĂ©ologique. A cet Ă©gard, il se rĂ©fĂšre Ă la thĂ©orie de RenĂ© Girard. « La violence mimĂ©tique est dissimulĂ©e et transfĂ©rable si bien quâil est difficile de la reconnaitre mĂȘme dans une histoire bien documentĂ©e ». Il y a lĂ une question thĂ©ologique. Dans quelle mesure sommes-nous libres ? « Graeber et Wengrow mettent lâaccent sur la libertĂ©, mais nĂ©gligent la contrainte ». Cependant, comme chrĂ©tien, Benjamin McFarland est reconnaissant de ce que ce livre « restaure nos ancĂȘtres dans leur pleine humanité ». il estime que « ces exemples historiques pourraient aider lâĂ©glise Ă imaginer une communautĂ© radicalement diffĂ©rente. Les chrĂ©tiens peuvent apprendre des communautĂ©s Ă travers lâhistoire y compris les arrangements et les attitudes concernant lâargent et la technologie. Mais je suspecte toutes les sociĂ©tĂ©s humaines de cacher de lâoppression et de la violence (juste comme lâĂ©glise lâa fait historiquement et prĂ©sentement). Pendant deux mille ans, le blĂ© et lâivraie ont grandi ensemble ». Ajoutons ici une note personnelle : la lecture de cet ouvrage nous apprend quâil est impossible dâassigner des frontiĂšres Ă lâĆuvre de Dieu non seulement dans lâespace, mais dans le temps.
Pour notre part, lâapproche de David Graeber et David Wengrow ouvre des fenĂȘtres en mettant en Ă©vidence les expĂ©riences positives Ă travers lâhistoire et en mettant ainsi en Ă©vidence une gamme de possibles. En nous inspirant de la thĂ©ologie de lâespĂ©rance de JĂŒrgen Moltmann (6), nous excluons la fatalitĂ©, nous reconnaissons lâEsprit Ă lâĆuvre et nous accueillons le futur de Dieu inspirant le prĂ©sent.
« LâespĂ©rance eschatologique ouvre chaque prĂ©sent Ă lâavenir de Dieu. On imagine que cela puisse trouver sa rĂ©sonance dans une sociĂ©tĂ© ouverte au futur. Les sociĂ©tĂ©s fermĂ©es rompent la communication avec les autres sociĂ©tĂ©s. Les sociĂ©tĂ©s fermĂ©es sâenrichissent aux dĂ©pens des sociĂ©tĂ©s Ă venir. Les sociĂ©tĂ©s ouvertes sont participatives et elles anticipentâŠÂ ». Il y a bien lĂ une ouverture aux possibles.
Par dĂ©finition, une histoire de lâhumanitĂ© a pour consĂ©quence dâĂ©largir notre horizon. Mais, en lâoccurrence, câest particuliĂšrement le cas. En effet, cet ouvrage fait apparaitre des civilisations jusque-lĂ inconnues et surgir des modes de vie et des pratiques ignorĂ©es. Il donne droit de citĂ© Ă des groupes humains mĂ©connus. Il modifie nos angles de vue. Ainsi, il Ă©largit considĂ©rablement notre champ de vision.
Il intervient dans un contexte oĂč le dĂ©centrement du regard sâimpose. Nous sommes appelĂ©s Ă nous dĂ©faire dâun point de vue surplombant lâhistoire de lâoccident pour lâinscrire Ă une juste place dans lâhistoire du monde. Le mouvement est en cours. Des historiens sont en train de faire apparaitre des histoires mĂ©connues comme celle de lâAfrique par exemple.
Les phĂ©nomĂšnes de domination sont de plus en plus reconnus. Cet ouvrage apporte Ă ce mouvement une contribution majeure. Il accroit notre comprĂ©hension des peuples autochtones en AmĂ©rique du Nord et de leurs rapports avec les europĂ©ens et il nous appelle Ă revisiter lâhistoire du XVIIIe siĂšcle et de la pensĂ©e des LumiĂšres.
Il nous met Ă©galement en garde vis-Ă -vis des effets simplificateurs de cette pensĂ©e. Ce fut lâidĂ©e que les peuples traditionnels, « non modernes », ne pouvaient « avoir leurs propres projets de sociĂ©tĂ© ou leurs propres inventions historiques. Ces peuples Ă©taient forcĂ©ment trop niais pour cela (nâayant pas atteint le stade de la « complexitĂ© sociale ») ou bien vivaient dans un monde mystique imaginaire. Les plus charitables affirmaient quâils ne faisaient que sâadapter Ă leur environnement avec le niveau technologique qui Ă©tait le leur » (p 628).
Au total, cette grande Ćuvre nous montre une histoire nouvelle de lâhumanitĂ© qui met en valeur la crĂ©ativitĂ© sociale comme la crĂ©ativitĂ© technique de civilisations anciennes jusque ici oubliĂ©es, inconnues et mĂ©connues. Le texte, en page de couverture, nous invite Ă une lecture approfondie de ce livre en exaltant son originalitĂ© et sa portĂ©e : « Les auteurs nous invitent Ă nous dĂ©barrasser de notre carcan conceptuel et Ă tenter de comprendre quelles sociĂ©tĂ©s nos ancĂȘtres cherchaient Ă crĂ©er. Leur ouvrage dĂ©voile un passĂ© humain infiniment plus intĂ©ressant que ne le suggĂšrent les lectures conventionnelles. Un livre monumental dâune extraordinaire portĂ©e intellectuelleâŠÂ » (page de couverture).
J H
- David Graeber. David Wengrow. Au commencement Ă©tait⊠Une nouvelle histoire de lâhumanitĂ©. Les liens qui libĂšrent, 2023, 745 p
- The Guardian. The dawn of everything. https://www.theguardian.com/books/2021/oct/18/the-dawn-of-everything-a-new-history-of-humanity-by-david-graeber-and-david-wengrow-review-have-we-got-our-ancestors-wrong
- Washington Post. The dawn of everything : https://www.washingtonpost.com/outlook/after-200000-years-were-still-trying-to-figure-out-what-humanity-is-all-about/2021/11/23/2b29ff86-4bc8-11ec-b0b0-766bbbe79347_story.html
- La Croix. Au commencement était : https://www.la-croix.com/France/Au-commencement-etait-nouvelle-histoire-lhumanite-2021-12-11-1201189722
- France Culture. Faut-il revoir notre copie ? Interview de David Wengrow : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-grande-table-idees/david-wengrow-7576492
- JĂŒrgen Moltmann. Le Dieu vivant et la plĂ©nitude de vie : https://vivreetesperer.com/le-dieu-vivant-et-la-plenitude-de-vie/
par jean | Avr 2, 2012 | ARTICLES, Expérience de vie et relation |
HélÚne est professeur. Elle me rapporte les difficultés vécues par une de ses collÚgues.
Jeune « prof », Isabelle vient dâarriver dans un Ă©tablissement expĂ©rimental qui se veut exigeant. Quelque part, elle ne se trouve pas soutenue. En tout cas, elle se trouve en situation difficile en raison dâun problĂšme de santĂ©. Il y a quelques mois : extinction de voix et laryngite : traitement classique avec antibiotiques, congĂ© de maladie. RĂ©tablissement, puis rechute. MĂȘme traitementâŠet puis encore rechuteâŠDans ce contexte, sa vie professionnelle est contrariĂ©e, sinon compromise.
HĂ©lĂšne est amicale et attentive. Elle encourage Isabelle. Elle cherche Ă lâaider. Elle sait que sa situation nâest pas facile et quâelle donne mĂȘme une occasion Ă tel ou tel collĂšgue de manifester, Ă son Ă©gard, une forme dâagressivitĂ©. Elle ne serait pas Ă la hauteur ! La prĂ©sence amicale dâHĂ©lĂšne soutient Isabelle.
Et pourtant, HĂ©lĂšne se rend compte des limites de son aide. En effet, les problĂšmes de santĂ© que rencontre Isabelle peuvent ĂȘtre envisagĂ©s dans diffĂ©rentes dimensions : physique, psychologique, spirituelle. Ils sont liĂ©s Ă un environnement.
DâaprĂšs de nombreux exemples rapportĂ©s aujourdâhui par la presse, on sait combien le stress peut aujourdâhui se manifester dans des situations de travail. Lâindividu est soumis Ă de fortes attentes auxquelles il nâest pas toujours capable de faire face. Câest dire la responsabilitĂ© de lâencadrement. Quâen est-il dans lâEducation Nationale ?
Il y a aussi une responsabilitĂ© de la mĂ©decine classique. Trop souvent, elle sâarrĂȘte au symptĂŽme et cherche uniquement Ă y remĂ©dier. Une pathologie : un mĂ©dicament. On oublie la dimension globale de lâorganisme. Dans un livre rĂ©cent sur « la mĂ©decine personnalisĂ©e » (1), les auteurs donnent un bon exemple : des otites Ă rĂ©pĂ©tition chez un jeune enfant. Le mĂ©decin soigne lâoreille, mais cela ne suffit pas, car la congestion est en lien avec lâĂ©tat gĂ©nĂ©ral. On a besoin dâune mĂ©decine « holistique », intĂ©grative. Et puis, il y aussi la dimension psychosomatique des troubles de santĂ©. Est-elle vraiment prise en compte ?
Il y a Ă©galement un lien entre affect psychologique et vie spirituelle. Comme chrĂ©tienne, HĂ©lĂšne sait combien la relation avec une prĂ©sence aimante de Dieu change notre attitude. A maintes reprises, elle a expĂ©rimentĂ© lâaide reçue en rĂ©ponse Ă la priĂšre. Aujourdâhui, beaucoup de gens ne sont pas « religieux », mais ils sont en chemin, en attente de dĂ©couvertes spirituelles. Directement ou indirectement, ils peuvent entendre le tĂ©moignage dâHĂ©lĂšne. Mais comment aller plus loin ? Dans quel environnement social, peuvent ils ĂȘtre accueillis dan une vraie convivialitĂ©, dans le respect et en toute libertĂ©Â ? HĂ©lĂšne se rend compte que, dans bien des communautĂ©s, les mentalitĂ©s restent encore trĂšs Ă©troites. Et, par exemple, si Isabelle vit en couple avec un compagnon, dans une dĂ©marche commune dâamour rĂ©ciproque, cette situation Ă©chappe Ă la comprĂ©hension de certains milieux pour lesquels seul le mariage classique est lĂ©gitime. Comment pourrait-elle ĂȘtre accueillie dans une communautĂ© de ce type !
Nous vivons dans un monde en pleine mutation culturelle. Dans beaucoup de domaines, les institutions peinent Ă suivre. Câest ce quâon peut entrevoir Ă travers la situation dâIsabelle.
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Alors sur tous les plans, entraidons-nous et entraidons-nous en réseau ! Cherchons ensemble les réponses à nos besoins ! Partageons les bonnes ressources, les bonnes adresses, le recours aux personnes dignes de confiance
Quâil en soit de mĂȘme sur le plan de la vie chrĂ©tienne. « Faisons Eglise » en rĂ©seau ! DĂ©veloppons et partageons des expressions nouvelles de la vie en Christ (2). Accueillons-nous les uns les autres en dehors de tout esprit de frontiĂšre ! Reconnaissons la dynamique de lâEsprit qui donne la vie ! (3)
JH
(1)           Lapraz (Dr Jean-Claude), Clermont-Tonnerre (Marie-Laure de). La mĂ©decine personnalisĂ©e. Retrouver et garder la santĂ©. Odile Jacob, 2012. Sur ce blog : MĂ©decine dâavenir. MĂ©decine dâespoir.
(2)           On trouvera Ă ce sujet des rĂ©flexions et des tĂ©moignages sur le site de TĂ©moins : http://www.temoins.com/index.php⊠Par exemple : « Au milieu du tumulte de la ville « http://www.temoins.com/innovations/interview-d-eve-soulain.html et « lâexpansion actuelle des « fresh expressions » http://www.temoins.com/innovations/l-expansion-actuelle-des-fresh-expressions-en-grande-bretagne-un-phenomene-impressionnant.html. Voir aussi sur ce blog : « Ensemble, en chemin (septembre 2011)
(3)Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â http://www.lespritquidonnelavie.com/