par jean | Déc 2, 2021 | ARTICLES, Beauté et émerveillement, Emergence écologique, Vision et sens |

Louez lâEternel du bas de la terre, Monstres marins et vous tous abimes :
Feu et grĂȘle, neiges et brouillards ;
Vents impétueux qui exécutez ses ordres ;
Montagnes et toutes les collines ;
Arbres fruitiers et tous les cÚdres ;
Animaux et tout le bétail ;
Reptiles et oiseaux ailés ;
Quâils louent le nom de lâEternel
Car son nom seul est élevé ;
Sa majesté est au dessus de la terre et des cieux
Psaume 148 7-10,13
Dans cette sĂ©quence (1), frĂšre Richard Rohr partage sur la maniĂšre de « voir » et de percevoir Dieu dans les formes de la nature sur la base dâune spiritualitĂ© incarnĂ©e.
10 octobre 2021
Contempler la création
 La spiritualitĂ© de la crĂ©ation a ses origines dans les Ăcrits hĂ©braĂŻques tels que les psaumes 104 et 148. Câest une spiritualitĂ© qui est enracinĂ©e, en premier, dans la nature, dans lâexpĂ©rience, et dans le monde tel quâil est. La riche spiritualitĂ© hĂ©braĂŻque a formĂ© lâesprit et le cĆur de JĂ©sus ».
Richard Rohr fait remarquer alors combien nous sommes habituĂ©s Ă penser la religion en terme dâidĂ©es, de concepts et de formules trouvĂ©s dans des livres. « Ce nâest pas lĂ oĂč la religion commence. Ce nâest pas la spiritualitĂ© biblique. Celle-ci commence en observant ce qui est ».
Paul Ă©crit : « DĂ©jĂ depuis la crĂ©ation du monde, lâessence invisible de Dieu et sa puissance Ă©ternelle ont Ă©tĂ© vues clairement par la comprĂ©hension de lâesprit des choses crĂ©Ă©es » (Rom 1.20). Nous connaissons Dieu Ă travers les choses que Dieu a faites. La premiĂšre fondation de toute vraie vision religieuse est tout Ă fait simplement dâapprendre Ă voir et Ă comprendre ce qui est ».
Or, selon Richard Rohr, « la contemplation, câest rencontrer la rĂ©alitĂ© dans sa forme la plus simple et la plus directe, sans jugement, sans explication et sans contrĂŽle ».
Richard Rohr nous appelle Ă voir dans le monde les « vestigia Dei », ce qui signifie les empreintes de Dieu. Apprendre Ă aimer pour voir. « Nous devons commencer avec une pierre. Puis nous passons de la pierre au monde vĂ©gĂ©tal et nous apprenons Ă apprĂ©cier les choses qui grandissent et Ă voir Dieu en elles. Peut-ĂȘtre, une fois que nous pourrons voir Dieu dans les plantes et les animaux, nous pourrons voir Dieu dans nos prochains. Et puis, nous pourrons apprendre Ă aimer le monde. Et puis quand tout cet amour aura pris place, quand ce regard sera advenu, quand de telles personnes viendront Ă moi et me diront quâelles aiment JĂ©sus, jây croirais. Elles sont capables dâaimer JĂ©sus. Leur esprit est prĂ©parĂ©. Leur esprit est libĂ©rĂ© et il a appris Ă voir et Ă recevoir, comment rentrer en soi et en sortir. De telles personnes pourraient bien comprendre comment aimer Dieu ».
La dance de la vie
Richard Rohr voit en François dâAssise comme un premier exemple de quelquâun qui a dĂ©couvert en lui-mĂȘme la connexion universelle de la crĂ©ation. Il nous fait part dâun apport de Sherri Mitchell sur la sagesse de sâaccorder dans lâharmonie de la rĂ©alitĂ©.
« Chaque chose vivante a son propre chant de la crĂ©ation, son propre langage et sa propre histoire. En vue de vivre harmonieusement avec le reste de la crĂ©ation, nous devons vouloir Ă©couter et respecter toutes les harmonies en mouvement autour de nous ». Câest faire appel Ă tous nos sens pour envisager le monde. « Quand nous vivons comme des ĂȘtres disposant de plusieurs sens, nous dĂ©couvrons que nous sommes capables de comprendre le langage de chaque chose vivante. Nous entendons la voix des arbres et nous comprenons le bourdonnement des abeilles. Alors nous commençons Ă rĂ©aliser que câest la substance inter-tissĂ©e de ces rythmes flottants qui nous tient dans un Ă©quilibre dĂ©licat avec toute vie. Alors notre vie et notre place dans la crĂ©ation commencent Ă faire sens dâune maniĂšre complĂštement nouvelle.
Sherri Mitchell nous raconte ensuite une expérience de cet ordre.
Dans une chaude journĂ©e dâĂ©tĂ©, dans un Ă©tat mĂ©ditatif, elle a remarquĂ© le minuscule rampement dâune fourmi prĂšs dâun brin dâherbe.
« Comme jâobservais la fourmi en train de bouger, son petit corps a commencĂ© Ă sâilluminer. Puis le brin dâherbe sur lequel il marchait sâest lui aussi Ă©clairĂ©. Comme jâĂ©tais lĂ et jâobservais, tout lâendroit qui mâentourait a commencĂ© Ă sâĂ©clairer. JâĂ©tais assise, mâĂ©merveillant tranquillement devant cette vue nouvelle, sans bouger de peur de la perdre. Pendant que jâĂ©tais assise lĂ , respirant avec le monde autour de moi, les fermes lignes de mon ĂȘtre ont commencĂ© Ă sâestomper. Je me suis sentie en expansion et en train de me fondre avec tout ce que jâobservais. Soudain, il nây avait plus de sĂ©paration entre moi, la fourmi, lâherbe, les arbres et les oiseaux. Nous respirions avec la mĂȘme respiration. JâĂ©tais envahie par ce sens de parentĂ© tellement beau et complet avec toute la crĂ©ationâŠÂ ».
Sentir la nature
Richard Rohr nous convie à expérimenter une vie en pleine nature.
A lâexemple de François dâAssise, il a lui-mĂȘme vĂ©cu quelques moments dâermitage dans la nature. Il raconte comment il a dĂ©couvert ce qui se passait chez les animaux et dans les arbres. Combien nous perdons lorsque nous sommes coupĂ©s de la natureâŠÂ « Mes temps dâermitage mâont resituĂ© dans lâunivers de Dieu, dans la providence et dans le plan de Dieu. Jâai eu le sentiment dâĂȘtre rĂ©alignĂ© avec ce qui est. Jâappartenais et donc jâĂ©tais sauvĂ©âŠÂ »
« Quand nous sommes en paix et que nous ne y opposons pas, quand nous ne sommes pas en train de fixer et de contrĂŽler le monde, quand nous ne sommes pas remplis de colĂšre, tout ce que nous pouvons faire est de commencer Ă aimer et pardonner. Rien dâautre ne fait sens lorsque nous sommes seuls avec Dieu. Il nây a rien qui vaille de retenir parce quâil nây a rien dâautre dont nous ayons besoin. Je pense que câest dans cet espace de libertĂ© que le rĂ©alignement advient. François vivait un tel alignementâŠÂ ».
Les cercles sacrés
Richard Rohr voit la TrinitĂ© comme un « cercle de danse » dâamour et de communion mutuelle. « Ceux dâentre nous qui ont grandi avec la notion trinitaire de Dieu communĂ©ment rĂ©pandue, voient la rĂ©alitĂ© consciemment ou inconsciemment, comme un univers en forme de pyramide, avec Dieu au sommet dâun triangle et tout le reste en dessous. Mais câest exactement ce que la TrinitĂ© nâest pas. Les premiers PĂšres de lâEglise disaient que la mĂ©taphore la plus proche pour envisager Dieu, câĂ©tait un cercle de danse de communion. Ce nâĂ©tait pas une situation hiĂ©rarchique, monarchique ou une pyramide.
Richard Rohr cite alors Randy Woodley, un thĂ©ologien dâorigine Cherokee (tribu indienne). « Notre modĂšle de la relation Ă toute chose est un simple symbole utilisĂ© par les autochtones amĂ©ricains : le cercle. Lâharmonie dans le genre de vie est souvent entendue en terme symbolique de cercle ou de cerceau ». Rassemblons-nous⊠faisons un cercle⊠Le cercle nâa ni dĂ©but, ni fin et on peut y entrer nâimporte oĂč et nâimporte quand. « Quand nous nous rassemblons dans un cercle, la priĂšre a dĂ©jĂ commencé⊠Nous nous rassemblons lâun avec lâautre et avec le Grand MystĂšre mĂȘme sans quâun mot ait Ă©tĂ© dit ».
Randy Woodley nous introduit dans le symbolisme pour les peuples autochtones et pour la terre elle-mĂȘme.
« Dans presque toutes les tribus autochtones dâAmĂ©rique du Nord, le cercle ou le cerceau est considĂ©rĂ© comme un symbole de la vie. Ce symbole est une puissante reprĂ©sentation de la terre, de la vie, des saisons, des cycles de maturitĂ© etcâŠÂ ».
Une priÚre centrée sur la création
« La nature spirituelle de la CrĂ©ation a toujours Ă©tĂ© lĂ depuis le Big Bang⊠LâEsprit et la matiĂšre ont Ă©tĂ© un depuis que Dieu a dĂ©cidĂ© de se manifester ».
« Le Christ est partout. La planĂšte entiĂšre est ointe et messianique. Tout porte le mystĂšre du Christ⊠Quand nous apprenons cela, nous sommes en communion. ». Nous sommes en communion lorsque nous allons Ă lâĂ©glise⊠Nous sommes en communion dans la pause de la salle de bain. Nous sommes en communion quand nous sommes dans la nature.
Richard Rohr convie une sĆur franciscaine, JosĂ© Hobday Ă sâexprimer. Elle Ă©crit comment elle a appris à « prier sans cesse » Ă partir de la spiritualitĂ© autochtone de sa mĂšre qui honorait le sens dâĂȘtre en communion, en harmonie constante, dâĂȘtre avec Dieu en toutes choses. « Ma mĂšre priait comme une amĂ©ricaine autochtone. Cela signifie quâelle se voyait priant en vivant et vivant en priant. Elle essayait de prier sa vie. Elle exprimait, par exemple sa priĂšre de gratitude dans la maniĂšre dont elle faisait les choses : Quand vous remuez les flacons dâavoine, faites le lentement de maniĂšre Ă ne pas oublier que les flacons dâavoine sont un don et quâil ne faut pas les prendre pour acquis. Elle faisait les choses en priant. Elle priait mĂȘme en marchant⊠Elle mâenseignait Ă marcher doucement sur la terre parce que la terre est notre mĂšre. Quand nous marchons, disait-elle, nous devrions ĂȘtre prĂȘts Ă entrer dans chaque mouvement de beautĂ© que nous rencontrons ».
Quâest-ce que Richard Rohr a appris de la spiritualitĂ© amĂ©ricaine autochtone ? « Dâabord Ă faire que ma priĂšre soit centrĂ©e sur la crĂ©ation. Les indiens prient comme Ă©tant en famille avec la crĂ©ation. Dans notre priĂšre, nous pourrions penser aux crĂ©atures⊠et Ă leur relation avec la crĂ©ation. Câest ce que les amĂ©ricains autochtones ont fait. Cela ne les a pas seulement gardĂ©s en contact avec la crĂ©ation, mais aussi bien avec le CrĂ©ateur.
Révérer la création et le Créateur
Pour Richard Rohr et la tradition franciscaine, lâincarnation est au cĆur dâune spiritualitĂ© affirmant la crĂ©ation. Nous rencontrons Dieu dans la crĂ©ation parce que nous rencontrons Dieu partout. Au lieu dâĂȘtre une barriĂšre Ă la vie spirituelle, la crĂ©ation est une porte. Les gens qui vivent en relation profonde et harmonieuse avec la nature ont toujours su cela. Richard Rohr a trouvĂ©, dans ses conversations avec des anciens autochtones, une perspective sur la nature de la rĂ©alitĂ© qui commence avec un Ă©clairage sur la nature du CrĂ©ateur. Et il cite Ă ce sujet, un verset de lâĂ©pitre aux romains (1. 19-20) : « Les perfections invisibles de Dieu, sa puissance Ă©ternelle et sa divinitĂ©, se voient comme Ă lâĆil, depuis la crĂ©ation du monde, Ă©tant considĂ©rĂ©es dans ses ouvragesâŠÂ ». « LâEcriture est cohĂ©rente avec la vision du monde indigĂšne que la nature du CrĂ©ateur est visible dans la crĂ©ation. Quâest- ce que la crĂ©ation nous dit de la nature de Dieu ? Les peuples indigĂšnes ont Ă©tĂ© accusĂ©s dâanimisme, câest Ă dire dâadorer la crĂ©ation plutĂŽt que le CrĂ©ateur. Mais, en rĂ©alitĂ©, le fondement de la spiritualitĂ© indigĂšne, câest la rĂ©vĂ©rence⊠La rĂ©vĂ©rence, câest un profond respect. Le CrĂ©ateur est Ă©vident dans la crĂ©ation qui nous entoure. Je puis voir cela et en faire lâexpĂ©rience avec mes sens⊠LâhumilitĂ©, câest reconnaĂźtre que je ne suis pas sĂ©parĂ© de la crĂ©ation. Je fais partie du tissu de la vie. Jâai appris que cette dĂ©pendance mutuelle est un don. La vie est un don ».
J H
- Center for action and contemplation. Contemplating creation : https://cac.org/contemplating-creation-2021-10-10/
Voir aussi sur ce blog:
Lâhomme, la nature et Dieu : https://vivreetesperer.com/lhomme-la-nature-et-dieu/
Enlever le voile: https://vivreetesperer.com/enlever-le-voile/
La grande connexion : https://vivreetesperer.com/la-grande-connexion/
Et la présentation du livre de Richard Rohr: The divine dance:
https://vivreetesperer.com/la-danse-divine-the-divine-dance-par-richard-rohr/
https://vivreetesperer.com/reconnaitre-et-vivre-la-presence-dun-dieu-relationnel/
par jean | Mai 5, 2018 | ARTICLES, Société et culture en mouvement |
Gagner la paix et obtenir justice Ă travers la non violence
A travers le monde, nous voyons les ravages engendrĂ©s par les guerres. La violence rĂ©pond Ă la violence. De grandes souffrances en rĂ©sultent. Est-il possible dâĂ©chapper Ă cet engrenage ?
Jamila Raqib peut nous apporter une rĂ©ponse Ă cette question. En effet, non seulement travaille-t-elle depuis treize ans Ă dĂ©velopper des stratĂ©gies et des pratiques dâaction non violente dans des organismes comme Albert Einstein Institution ou le Center for International Studies au Massachusetts Institute of Technology (1), mais elle a elle-mĂȘme vĂ©cu lâexpĂ©rience dâune situation de guerre et de violence. Ainsi, pouvons-nous entendre son tĂ©moignage et son enseignement dans une vidĂ©o de Ted Talks Live (2).
Afghane, Jamila Raqib est nĂ©e en Afghanistan, six mois aprĂšs lâinvasion soviĂ©tique et elle a vĂ©cu alors dans un climat de souffrance et de peur. « Ces expĂ©riences prĂ©coces ont grandement impactĂ© ma pensĂ©e sur la guerre et les conflits. Jâai appris que lorsquâune question fondamentale est en jeu, la majoritĂ© des gens ne considĂšrent pas lâabandon. Dans ce genre de conflits, quand les droits des gens sont enfreints, que les pays sont occupĂ©s, quâils sont opprimĂ©s et humiliĂ©s, ils ont besoin dâun moyen puissant pour rĂ©sister et riposter. Alors, peu importe Ă quel point la violence est destructrice et terrible, ils lâutiliseront ».
Alors, que faire ? Comment résister à cet engrenage maléfique ?
« Il nây a quâune seule solution : « Leur offrir un outil qui soit un moyen au moins aussi puissant et efficace que la violence ». Pendant ces treize derniĂšres annĂ©es, Jamila Raquib a travaillĂ© en ce sens. « Elle a enseignĂ© Ă des personnes se trouvant dans les situations les plus difficiles du monde Ă utiliser la lutte non-violente pour mener des conflits ».
De fait, lâaction non violente est plus rĂ©pandue que lâon ne pense. Nâest-ce pas ainsi que beaucoup de droits ont Ă©tĂ© gagnĂ©s au cours des derniĂšres dĂ©cennies ? Mais, ces modes dâaction nâont pas Ă©tĂ© suffisamment Ă©tudiĂ©s. On en dĂ©couvre aujourdâhui la grande variĂ©tĂ©.
On doit donc Ă©largir notre champ de vision concernant les formes dâaction non violente. Ces formes sont nombreuses. Et coordonnĂ©es dans une stratĂ©gie, elles sont particuliĂšrement efficaces
 « Jâai rĂ©cemment rencontrĂ© un groupe dâactivistes Ă©thiopiens et ils mâont dit une chose que jâentend souvent. Ils mâont dit avoir dĂ©jĂ essayĂ© la non-violence et que cela nâavait pas marchĂ©. Il y a des annĂ©es, ils ont manifestĂ©. Le gouvernement a arrĂȘtĂ© tout le monde, marquant la fin du mouvement ». Mais la lutte non-violente ne se rĂ©sume pas Ă la manifestation. Elle se manifeste Ă travers toute une sĂ©rie de mĂ©thodes. « Ma collĂšgue et mentor, Gene Sharp, a identifiĂ© 198 mĂ©thodes dâaction non violente. Et manifester nâen est quâune ».
Jamila Raquib mentionne et dĂ©crit un bel exemple de victoire remportĂ©e Ă travers une action non-violente ayant jouĂ© sur plusieurs registres. « Jusquâil y a quelques mois, le Guatemala Ă©tait dirigĂ© par dâanciens militaires corrompus ayant des liens avec le crime organisĂ©. La plupart des gens le savaient, mais se sentaient impuissants face Ă cela, jusquâĂ ce quâun groupe de citoyens, 12 personnes ordinaires, lance un appel Ă leurs amis sur facebook de se retrouver sur la place centrale avec des pancartes disant : « Reununcia Ya » (DĂ©missionnez). A leur grande surprise, 30000 personnes sont venues. Ils ont continuĂ© pendant des mois et les protestations se multipliaientâŠÂ ». Le prĂ©sident refusant de dĂ©missionner, « les activistes ont rĂ©alisĂ© quâils ne pouvaient pas juste protester et demander au prĂ©sident de dĂ©missionner. ⊠Ils ont organisĂ© une grĂšve gĂ©nĂ©rale. Les gens de tout le pays refusĂšrent de travailler⊠En cinq jours, le prĂ©sident et des douzaines dâautres membres du gouvernement avaient dĂ©missionné ».
Des actions isolĂ©es ne peuvent lâemporter. Une stratĂ©gie globale est nĂ©cessaire. « Il a fallu des milliers dâannĂ©es pour dĂ©velopper la technique de guerre avec dâĂ©normes ressources⊠Pendant ce temps, la lutte non-violente est rarement systĂ©matiquement Ă©tudiĂ©eâŠ. Apprenons plus des actions non-violentes ayant fonctionnĂ© et comment les rendre plus puissantesâŠ. Avec lâinnovation humaine, nous pouvons rendre la lutte nonâviolente plus puissante que les nouvelles technologies de la guerre. Le plus grand espoir de lâhumanitĂ© rĂ©side non pas dans la condamnation de la violence, mais dans lâobsolescence de la violence ».
Nous voici Ă un tournant (3). Voici une perspective plus vaste qui sâouvre Ă nous.
J H
(1)           Biographie de Jamila Raqib sur le site du Albert Einstein Institute : https://www.aeinstein.org/about/people/jamila-raqib/
(2)           « Le secret dâune communication non-violente efficace ». Une vidĂ©o de Jamila Raqib at TED talks live. Traduction en français par Morgane Quilfen : https://www.ted.com/talks/jamila_raqib_the_secret_to_effective_nonviolent_resistance/up-next?language=fr
(3)           « Une bonne nouvelle : La paix, çs sâapprend ». Entretien avec Thomas dâAnsembourg : https://vivreetesperer.com/?p=2596                                « Mandela et Gandhi, acteurs de libĂ©ration et de rĂ©conciliation » : https://vivreetesperer.com/?p=2739
par jean | Août 7, 2023 | Emergence écologique |
DĂ©couvrir les merveilles de la forĂȘt Ă travers un esprit de dĂ©couverte alliant un savoir ancestral aux dĂ©couvertes scientifiques les plus rĂ©centes
 La voix des arbres
Par Diana Beresford-Kroeger
Nous entrons aujourdâhui dans la dĂ©couverte de merveilles du monde vivant jusque lĂ inconnues. Ainsi, nous portons un regard nouveau sur les animaux, et plus rĂ©cemment encore sur les vĂ©gĂ©taux, en particulier le monde de la forĂȘt (1). Certaines personnes peuvent particuliĂšrement nous en entretenir, car, elles-mĂȘmes, sont engagĂ©es avec passion dans un chemin de dĂ©couverte. Câest le cas de Diana Beresford-Kroeger, auteure dâun livre : « To speak for the Tree », traduit et publiĂ© en français sous le titre : « La voix des arbres. Une vie au service des arbres, du savoir des druides aux plus rĂ©centes dĂ©couverts de la botanique » (2). Cette Ćuvre est le fruit dâun parcours original qui nous est rĂ©sumĂ© ainsi : « Une jeune orpheline en Irlande dans les annĂ©es 1950 que les femmes de la vallĂ©e de Lisheens ont prise sous leurs ailes pour lui transmettre un savoir ancestral. Un esprit brillant, une scientifique accomplie, Ă la double compĂ©tence en biochimie mĂ©dicale et en botanique. Une amoureuse passionnĂ©e de la forĂȘt. Diana Beresford-Kroger est tout cela Ă la fois, et son itinĂ©raire rĂ©solument atypique lâamĂšne Ă opĂ©rer la synthĂšse de son hĂ©ritage celte et des connaissances scientifiques actuelles pour rĂ©concilier lâhomme et la forĂȘt. Depuis des annĂ©es, elle consacre toute son Ă©nergie Ă prĂ©server la biodiversitĂ© forestiĂšre, aussi bien en apportant sa caution scientifique Ă diffĂ©rentes luttes que dans lâespace de son arboretum canadien ,oĂč elle sâacharne Ă regrouper et Ă hybrider des espĂšces particuliĂšrement adaptĂ©es au changement climatiqueâŠÂ » (page de couverture).
Harmonie celte. La vallée de Lisheens
 Diana a eu un pĂšre anglais et une mĂšre irlandaise. Son pĂšre et sa mĂšre se sĂ©parent. A lâĂąge de 12 ans, Dina perd sa mĂšre dans un accident. Elle se retrouve seule, orpheline. Elle Ă©chappe Ă la menace, enfermĂ©e dans un pensionnat de mauvaise rĂ©putation, car un oncle accepte de la prendre sous sa responsabilitĂ© jusquâĂ sa majoritĂ© Ă 21 ans. La relation avec celui-ci ira en sâamĂ©liorant dans le temps. Adolescente, elle bĂ©nĂ©ficie de la grande bibliothĂšque de son oncle et une conversation sâĂ©tablit avec lui. Par ailleurs, sa rĂ©putation scolaire va croissante. A la fin de ses Ă©tudes secondaires, elle entrera Ă lâuniversitĂ©. Cependant, Diana fait Ă©tat des souffrances, de la solitude et de la peur, qui ont marquĂ© ses jeunes annĂ©es. En contre point, les vacances dâĂ©tĂ© quâelle a passĂ©es dans la vallĂ©e de Lisheens ont Ă©tĂ© pour elle une planche de salut, car non seulement elle y a trouvĂ© une chaleur affective, mais elle y a accĂ©dĂ© Ă une sagesse, la sagesse celte encore prĂ©sente dans le refuge de cette vallĂ©e.
« Aujourdâhui encore, Liesheens tient un place unique dans le paysage de mon esprit. Une gĂ©nĂ©rositĂ© presque tangible y imprĂ©gnait lâatmosphĂšre. Jâai eu la chance dâen bĂ©nĂ©ficier pendant le temps que jâai passĂ© lĂ -bas avec Nellie (sa grand-tante) et Pat. En matiĂšre dâhospitalitĂ©, les lois (celtes) des brehons sâappliquaient toujours avec la mĂȘme vigueur, or, en vertu de ces lois, en tant quâorpheline, je devenais enfant de tous. MĂȘme le plus pauvre des pauvres se devait de me donner quelque chose⊠AprĂšs la mort de mes parents, mes liens avec les habitants de la vallĂ©e sont devenus plus profonds. Les gens me regardaient diffĂ©remment. Ils me saluaient avec une chaleur qui me faisait monter les larmes aux yeux » (p 36-37).
« Pendant mon enfance, cette vallĂ©e rurale Ă©tait peut-ĂȘtre le site le plus riche et le mieux conservĂ© de la culture celte dans tout le pays (p 38). Diana en dĂ©crit diffĂ©rents aspects : les artefacts en pierre, lâalphabet ogham, la langue gaĂ©lique. « Dâhabitude, le transfert de savoir dâune gĂ©nĂ©ration Ă lâautre nâavait lieu que dans le cadre de la famille ». Ici, on fit une exception pour Diana. Elle apprit par la voix douce de sa tante le projet de lui donner une Ă©ducation celte. « Elle mâa expliquĂ© que jâallais bĂ©nĂ©ficier de ce quâelle appelait « une tutelle brehonne », un arrangement grĂące auquel on mâenseignerait tout ce que je devais savoir pour ĂȘtre autonome en tant que jeune fille, bientĂŽt femme. Jâaurais de nombreux professeurs qui mâenverraient chercher le moment venu. Elle serait la premiĂšre et nos leçons devaient commencer sur le champ » (p 41).
Effectivement, Nellie emmena Diana dans des chemins et dans des lieux oĂč poussaient de multiples plantes et de multiples fleurs. Elle cueillit une feuille parmi bien dâautres et la prĂ©senta Ă Diana en lui demandant de la sentir, de la mĂ©moriser et en lâappelant par son nom. Elle poursuivit son instruction en lui prĂ©sentant une plante mĂ©dicinale « Il sâagit dâun remĂšde important pour de nombreux maux. On sâen sert pour guĂ©rir les rhumes en hiver et pour Ă©loigner les insectes ou traiter les piqĂ»res en Ă©tĂ©. Câest une herbe trĂšs ancienne quâon utilisait il y a bien longtemps dans les cĂ©rĂ©monies et dont les propriĂ©tĂ©s sont puissantes⊠Elle passa Ă une autre plante avant de se lancer dans lâexposĂ© de ses propriĂ©tĂ©s mĂ©dicinales. Câest ainsi que sâest dĂ©roulĂ©e une promenade pharmaceutique⊠» (p 42). DĂ©concertĂ©e au dĂ©part, Diana sâest mise Ă apprendre petit Ă petit. « Entre les leçons de Nellie, ou Ă lâoccasion celles de Pat, sâintercalaient dâautres leçons avec des professeurs rĂ©partis dans toute la vallĂ©e. Lâeffectif final dĂ©passait les vingt personnes et lâinfirmiĂšre, Madame Creedon, qui connaissait tout le monde Ă lâentour, Ă©tait la grande organisatrice de mon planning » (p 43). Les leçons portaient sur diffĂ©rents sujets : poĂ©sie, propriĂ©tĂ©s des âsimplesâ, compĂ©tences pratiques, psychologie de la vie quotidienne, mĂ©ditation celte par le silence⊠Et puis, il y avait lâĂ©cole de la vue : une relation heureuse avec les animaux de la ferme, et parfois un conseil thĂ©rapeutique comme celui qui lui permit de se dĂ©barrasser de verrues. Diana recevait des leçons trĂšs variĂ©es. « Ce nâest quâen grandissant que certaines leçons ont pris un sens renouvelĂ© pour des raisons diverses. Les unes mâont appris des vĂ©ritĂ©s profondes sur moi-mĂȘme, des compĂ©tences et des maniĂšres dâapprocher le monde qui mâont propulsĂ©e vers mes plus grandes rĂ©ussites. Dâautres mâont montrĂ© quâon pouvait avoir un vision plus globale de la nature⊠» (p 63). En apprenant lâalphabet oghamique, Diana a dĂ©couvert que la plupart des lettres portaient le nom dâun arbre. Dans la deuxiĂšme parie de son livre, elle entreprend une description des arbres et de leurs qualitĂ©s en se rĂ©fĂ©rant aux lettres de cet alphabet.
« A la fin de la troisiĂšme annĂ©e dâenseignement, Nellie mâa emmenĂ©e au cabinet de lâinfirmiĂšre⊠Quand nous sommes arrivĂ©s, il y avait lĂ tous les gens de la vallĂ©e qui avaient contribuĂ© Ă mon Ă©ducation au cours de ma tutelle. CâĂ©tait une cĂ©rĂ©monie de fin dâĂ©tudes. Au milieu de la salle et de toutes ces vieilles personnes chĂšres Ă mon cĆur, je me suis sentie enveloppĂ©e dâamour, baignĂ©e dans une chaleur inouĂŻe. JâĂ©tais capable de tout rĂ©ussir, une certitude dont jâaurais besoin plus tard. Mary Cronin Ă©tait lĂ pour mettre un point final Ă ma tutelle en se penchant sur mon avenir. Mary Ă©tait la prophĂ©tesse locale. Le don de clairvoyance se transmettait dans sa famille⊠A la fin, elle ouvrit les bras pour englober toute la salle et jâai compris quâelle mâindiquait ainsi que ces derniers mots venaient de tous les prĂ©sents, de toute la vallĂ©e et de la tradition celte. « Diana, tu as reçu une charge sacrĂ©e », a-t-elle dit dâune voix brisĂ©e par lâĂ©motion. « Nous sommes vieilles, nous ne vivrons pas Ă©ternellement. A notre mort, tu seras la derniĂšre voix de lâancienne Irlande. Il nây en aura plus aprĂšs toi » (p 84).
Une recherche intégrative
Une approche interdisciplinaire prenant en compte les savoirs ancestraux
Scolairement excellente, aprĂšs ses Ă©tudes secondaires, Diana est entrĂ©e Ă lâUniversitĂ© de Cork. Elle a optĂ© « pour un double cursus en biochimie mĂ©dicale et en botanique ». Et trĂšs vite, elle exprime un grand enthousiasme pour des dĂ©couvertes qui traduisent un lien entre les savoirs reçus dans son Ă©ducation celte et les connaissances botaniques. « Mon deuxiĂšme TD de Botanique portait sur Chondras crispus, une algue rouge connue sous le nom de « mousse dâIrlande ». La voir lĂ sur la table du labo, câĂ©tait comme tomber sur un vieil ami dans un nouveau dĂ©cor. Ma grand-tante Nellie mâavait parlĂ© de cette algue Ă Lisheens⊠Elle mâavait appris quâau temps de la grande Famine, au milieu du XIXe siĂšcle, les gens Ă©taient particuliĂšrement exposĂ©s Ă la tuberculose Ă cause de la malnutrition. Chondras crispus, disait-elle, recelait le remĂšde Ă ce mal. Il fallait arracher la plante du rocher et la faire bouillir entiĂšre, et elle libĂ©rait alors un mucilage visqueux aux puissantes vertus curatives efficaces dans le traitement de la tuberculose⊠En dissĂ©quant lâalgue, jâai constatĂ© quâelle contenait effectivement du mucilage. A la fin du TD, je me suis prĂ©cipitĂ© Ă la bibliothĂšque de mĂ©decine. Et jây ai appris que la substance gĂ©latineuse issue du Chondras crispus avait de puissantes propriĂ©tĂ©s antibiotiquesâŠÂ » (p 89-90).
Ce fut lĂ le premier croisement entre les savoirs reçus par Diana dans la vallĂ©e celte et son enseignement universitaire. Et cela a comptĂ© pour elle. « Il est difficile de dĂ©crire le sentiment que mâa procurĂ© la confirmation des enseignements de Nellie. Jâaimais beaucoup mes professeurs de Lisheens, mais je nâavais pas totalement exclu lâidĂ©e quâils mâavaient transmis de vieilles superstitions. Jâavais besoin de vĂ©rifier par moi-mĂȘme ce quâils mâavaient appris⊠Lire dans un volume de la facultĂ© de mĂ©decine que Chondras crispus contenait bel et bien des actifs que Nellie avait Ă©voquĂ©s, aprĂšs avoir moi-mĂȘme tirĂ© de cette algue la substance dont elle mâavait parlĂ©, voilĂ qui constituait la premiĂšre preuve irrĂ©futable que les leçons dispensĂ©es pendant ma tutelle Ă©taient fondĂ©es sur des faits. Jâen tirai du soulagement, un sentiment dâaccomplissement et la joie que lâon Ă©prouve face Ă la vĂ©ritĂ© de la nature ». Diana a compris lĂ quelle serait sa mission. « Le savoir que jâavais reçu Ă Lisheens se transmettait oralement. Il nâexistait sous aucune autre forme. Or, dans la bibliothĂšque de mĂ©decine, je retrouvais ces mĂȘmes connaissances, obtenues et prĂ©sentĂ©es de maniĂšre totalement diffĂ©rente, puisque consignĂ©es dans un livre. A cet instant, jâai compris que je pouvais servir de pont entre ces deux mondes, celui de mes ancĂȘtres et le monde scientifique. Cette prise de conscience extrĂȘmement motivante me donna envie de mettre Ă lâĂ©preuve tout ce quâon mâavait enseignĂ© Ă Lisheens (p 91).
Diana sâest donc engagĂ©e, au fur et Ă mesure, dans cette recherche. « Mon double cursus mâa Ă©quipĂ©e de lâassociation idĂ©ale pour Ă©prouver les connaissances de Lisheens. Jâai pu trĂšs tĂŽt dĂ©celer les liens entre le monde mĂ©dical et le monde botanique » (p 92). Diana sâest intĂ©ressĂ© aux propriĂ©tĂ©s biochimiques des plantes et elle a Ă©tabli un lien avec ses nouvelles connaissances en biochimie humaine. Elle a poursuivi ensuite son approche intĂ©grative expĂ©rimentĂ©e lors de son premier cycle universitaire. « Le modĂšle de recherche grossier que jâai crĂ©Ă© pour moi-mĂȘme au premier cycle est celui dont je me suis servi pendant toute ma carriĂšre universitaire. Les sources de connaissance sur lesquelles il est fondĂ© – les savoirs celtiques ancestraux, la botanique classique et la biochimie mĂ©dicale â ont façonnĂ© ma pensĂ©e. Quand jâĂ©tudie une plante, mon esprit a tendance Ă travailler dans deux directions Ă la fois. A partir de ma comprĂ©hension du vĂ©gĂ©tal, je vais vers le corps humain, et Ă partir de ma comprĂ©hension du corps humain, je vais vers le vĂ©gĂ©tal. Je nâai jamais Ă©chouĂ© Ă trouver un ou plusieurs points oĂč se rejoignent ces deux directions. Chaque plante est intimement liĂ©e aux ĂȘtres humains et Ă notre santĂ©. Les gens de Lisheens le savaient aussi bien que dâautres choses encore. De ces toutes premiĂšres recherches jusquâĂ aujourdâhui, jâai pu confirmer scientifiquement presque tout ce quâils mâont enseignĂ© lors de ma tutelle. La seule chose qui ait Ă©chappĂ© Ă mon entendement, câest la tĂ©lĂ©pathie, ces liens invisibles dont ils mâont dit quâils existaient entre les esprits humains. Je travaille encore dessus » (p 93).
 Diana rĂ©ussit brillamment son premier cycle universitaire et elle se pose alors la question de son orientation. Elle en a envisagĂ© deux : « poursuivre vers un diplĂŽme de mĂ©decine â la suite logique de ma formation de biochimie – ou passer en maitrise » (p 98). Finalement, « elle a optĂ© pour un master dans la continuitĂ© de ses Ă©tudes de biochimie et de botanique. CâĂ©tait la voie qui mâoffrait la vision et la comprĂ©hension les plus larges possibles du monde naturel. Mon sujet de recherche portait sur les hormones qui rĂ©gulent les plantes et sur la rĂ©sistance au gel de toutes les espĂšces⊠Je voulais comprendre les limites du monde vĂ©gĂ©tal et lâune des clĂ©s pour cela consistait Ă comprendre lâaction rĂ©gulatrice des hormones chez les plantes ». Diana dĂ©veloppait une vision globale : « La biochimie de lâhumanitĂ© liĂ©e Ă celle des arbres et des plantes, ce quâon pouvait voir dans les hormones ». Et, de mĂȘme, elle a pris connaissance du processus de la photosynthĂšse et de son rĂŽle crucial dans le maintien de lâĂ©quilibre climatique. « Que se passerait-il si les plantes â disons les forĂȘts â disparaissaient de la planĂšte ? La rĂ©ponse est Ă©vidente : la vie sâĂ©teindrait » (p 102-103). Dans les serres de lâuniversitĂ©, « Diana a mesurĂ© la taille, la croissance et les proportions dâun vaste Ă©ventail dâespĂšces placĂ©es dans diffĂ©rentes conditions environnementales. Elle examinait le plus largement possible la façon dont les plantes rĂ©agissent aux modifications de leur environnementâŠÂ » (p 101). Ces premiĂšres recherches terminĂ©es en 1965, « ont permis dâidentifier des caractĂ©ristiques permettant de dĂ©terminer les espĂšces les mieux Ă©quipĂ©es pour survivre dans un monde en transformation. Jâai moi-mĂȘme suivi ce guide pour sĂ©lectionner et sauvegarder des espĂšces patrimoniales de plantes et dâarbres rares sur la ferme que jâhabite aujourdâhui » (p 105).
Les excellents rĂ©sultats universitaires de Diana lui permettaient de postuler Ă de nombreux postes. Elle a acceptĂ© une bourse fĂ©dĂ©rale amĂ©ricaine pour Ă©tudier la chimie nuclĂ©aire sur le campus de Storrs, universitĂ© du Connecticut. Ella a choisi ensuite pour son doctorat lâUniversitĂ© Carleton Ă Ottawa au Canada. Le champ dâĂ©tude serait les hormones chez les plantes. « Me basant sur ma comprĂ©hension prĂ©existante de la biochimie mĂ©dicale, jâai Ă©largi mon champ dâinvestigation au delĂ de la botanique et comparĂ© la fonction des hormones chez les plantes et les ĂȘtres humains. Lâaction de ces substances avaient Ă©tĂ© Ă©tudiĂ©es chez les hommes, mais leur existence chez les arbres nâĂ©tait pas connue⊠Jâai prouvĂ© que ces voies mĂ©taboliques existaient chez les plantes, plus chez certaines que chez dâautres, et surtout chez les arbres » (p 211). Ainsi, selon Diana, « les arbres contiennent les mĂȘmes substances que notre cerveau ». AprĂšs avoir obtenu son doctorat, Diana a travaillĂ© dans une ferme expĂ©rimentale, puis Ă la facultĂ© de mĂ©decine dâOttawa.
 LâitinĂ©raire professionnel de Diana a donc Ă©tĂ© riche et fĂ©cond. Et nĂ©anmoins, elle a du « faire face aux frustrations familiĂšres Ă toute femme tentant de sâimposer au milieu professionnel dans les annĂ©es 1970 et 1980 » (p 115). Cependant elle va sâinstaller dĂ©finitivement au Canada. Elle se dit « redevable aux peuples autochtones dâAmĂ©rique du Nord qui, globalement, ont gardĂ© intact le continent » ; Ă son arrivĂ©e, le Canada lui est apparu comme « un pays dâune grande beautĂ© oĂč lâeau Ă©tait abondante⊠Ici le systĂšme botanique Ă©tait phĂ©nomĂ©nal. Jâavais envie de crier au monde que ce pays Ă©tait fabuleuxâŠÂ » (p 110). Câest lĂ , dans une soirĂ©e Ă Carleton quâelle rencontre celui qui va devenir son mari Christian Kroeger. « Nous sommes sortis ensemble, nous avons achetĂ© un terrain, nous nous sommes mariĂ©s et nous nous sommes mis au travail, marteau en main, pour construire cette ferme oĂč nous vivons maintenant depuis plus de quarante ans » (p 114).
La voix des arbres et des forĂȘts
Diana va sâinstaller dans ce lieu et, avec Christian, elle va y rĂ©aliser un nouvel Ă©cosystĂšme en partant Ă la recherche dâespĂšces en voie de disparition pour les accueillir dans cet ensemble. En se libĂ©rant de ses contraintes professionnelles, elle va consacrer Ă cette tĂąche toute son Ă©nergie. « ArrivĂ©e Ă un point oĂč je ne supportais plus la situation Ă mon travail, je suis rentrĂ©e et jâai dit Ă Christian que jâen avais assez des brimades, du harcĂšlement sexuel et de la mesquinerie typique des sciences Ă lâuniversitĂ©. Nous avions dĂ©jĂ construit une maison, et plantĂ© des jardins et un verger » (p 115).
Lors de son mariage avec Christian en 1974, Diana sâĂ©tait vu offrir par ses collĂšgues les fruitiers rustiques quâelle avait sollicitĂ©. Pour le dĂ©veloppent du jardin potager, elle avait recours à « un large Ă©ventail de semences patrimoniales. « Quand nous avions tous les deux un peu de temps libre, nous nous lancions dans des expĂ©ditions pour dĂ©nicher des plantes locales dans lâest de lâOntario⊠Je voulais des arbres aussi proches que possibles de la forĂȘt primaire. ». Ils recherchaient tout particuliĂšrement les lieux sauvages qui avaient ainsi Ă©chappĂ© Ă lâĂ©radication systĂ©matique des colons. « Câest lĂ quâon trouvait encore des arbres indigĂšnes de qualitĂ© ». « Quand Christian et moi cherchions des fruitiers Ă ajouter Ă notre verger, nous nous mettions en quĂȘte de vestiges de ferme dans des secteurs inhabitĂ©s identifiĂ©s comme des terres agricoles sur de vieilles cartes et toutes mes roses proviennent de boutures prĂ©levĂ©es dans des cimetiĂšres oubliĂ©s⊠jâai Ă©galement crĂ©Ă© mon allĂ©e de âsimplesâ perdus dâAmĂ©rique du Nord. La philosophie biochimique qui prĂ©side Ă ce secteur du jardin est basĂ©e sur les aĂ©rosols, ou composĂ©s organiques volatils, libĂ©rĂ©s par les plantes, fondement scientifique de bon nombre de vieux remĂšdes autochtones. Leurs propriĂ©tĂ©s curatives mâintĂ©ressent particuliĂšrement en tant que scientifique⊠» (p 123).
Diana et Christian ont parlĂ© avec de vieux fermiers. Ils sont partis Ă la recherche dâespĂšces dâarbres perdues de vue.
« Toutes les PremiĂšres nations connaissaient le Prela trifoliata et sâen servaient dans leur mĂ©decine traditionnelle. Cet arbre contient un actif synergique qui stimule les principaux organes et augmente leur mĂ©tabolismeâŠÂ » (p 126). Elle a entamĂ© une enquĂȘte pour le retrouver. Pas de rĂ©ponse. « Cet arbre avait autrefois une immense valeur et je pense quâil pouvait toujours en avoir une pour lâavenir, mais au lieu de cette puissance positive, capable de soigner, nous avons une soustraction, un trou en forme dâarbre â et du remĂšde qui allait avec » (p 127). Cinq ans plus tard, dans une invitation au Texas, Diana a rencontrĂ© une riche personne qui possĂ©dait des terres au Nouveau Mexique, et notamment des terres rocailleuses. Or Prelea pousse dans la rocaille. Diana lui demanda donc si on pouvait trouver un Prelea dans son domaine. Et finalement, Ă la grand joie de Diana, on en a effectivement trouvĂ© un au Nouveau Mexique.
Avec son mari, Diana est parvenu Ă dĂ©velopper un Ă©cosytĂ©me bien pensĂ© et bien gĂ©rĂ©. « Je peux dire aujourdâhui que lâintĂ©gralitĂ©Â de nos soixante-cinq hectares est pensĂ©e de façon Ă encourager la vie. Les haies que nous avons plantĂ©es en pĂ©riphĂ©rie attirent des oiseaux et des insectes qui trouvent amplement de quoi se nourrir et se loger quand ils arrivent, ainsi quâun rĂ©pit face Ă lâoffensive chimique quâils subissent presque partout ailleurs. Des dĂ©tails tels que lâemplacement des nichoirs sur notre promenade des Merles bleus ou la dĂ©cision de laisser les pics maculĂ©s tranquilles, sâinscrivent dans une dĂ©marche cohĂ©rente. En contemplant le tout, on pourrait facilement croire quâun plan unique a prĂ©sidĂ© Ă lâamĂ©nagement de notre ferme. Ce nâest pas faux. DĂšs le dĂ©but, le plan consistait Ă tendre vers le plan inhĂ©rent de la nature⊠Jâai commencĂ© Ă sauver des espĂšces parce que je les estimais trop importantes pour quâon les laisse disparaitre. Quand jâai choisi dâinsister sur les rĂ©sistances au gel et Ă la sĂ©cheresse, câest parce que le travail fait pendant mon master mâavait convaincu que la dĂ©forestation mĂšnerait tout droit au changement climatique » (p 137).
Un jour, Diana a pris conscience de lâoriginalitĂ© de ce processus. « Un matin, je me suis rĂ©veillĂ©e devant le spectacle dâun cardinal rouge qui me fixait depuis une branche de lâabricotier couvert de fleurs roses en Ă©toile. Jâai alors vĂ©cu un instant dâharmonie, ou jâai mesurĂ© pour la premiĂšre fois tout ce que jâavais construit en partenariat avec le monde naturel⊠Jâai inventĂ© le terme « bioplanification » pour dĂ©crire ma dĂ©marche⊠Le « bioplan » est un « schĂ©ma directeur de toute lâinterconnexion de la vie dans la nature ». Câest la toile visible et invisible qui relie le saule au pic maculĂ©, au papillon, Ă lâichneumon, et qui les relie tous Ă nous⊠La bioplanification, câest lâacte de faciliter et dâencourager le bioplan. Dans un jardin ou sur une ferme, cela implique de rĂ©aligner le jardin pour faciliter son utilisation comme habitat naturel » (p 138).
Comme nous avons pu nous en rendre compte jusquâici, Diana accorde une grande importance aux arbres. Elle en connaĂźt les vertus. Face au changement climatique, elle proclame lâimportance des forĂȘts (p 140-141). Diana consacre un chapitre Ă ce quâelle appelle lâarbre mĂšre. Elle Ă©voque lĂ de grands arbres qui entretiennent tout un Ă©cosystĂšme, des oiseaux qui viennent se poser dans leurs branches jusquâaux plantes qui poussent Ă lâombre de leur feuillage. « Ce sont des points focaux dâactivitĂ© et de vitalité⊠Les arbres mĂšres sont des individus dominants dans nâimporte quel systĂšme forestier. Ils produisent acides aminĂ©s, acides gras, protĂ©ines vĂ©gĂ©tales et sucres complexes qui nourrissent le monde naturel⊠Bon nombre dâarbres mĂšres protĂšgent le sol quâils occupent en produisant un arsenal de composĂ©s allĂ©lochimiques qui, dĂšs le printemps, se dĂ©versent automatiquement dans la terre. Cela permet Ă lâarbre de prĂ©parer son propre terrain Ă recevoir les minĂ©raux dont il a besoin. Lâarbre mĂšre adulte diffuse dans lâair qui lâentoure des aĂ©rosols incitatifs ou dissuasifs. Il peut nourrir et protĂ©ger dâautres individus sous sa canopĂ©e. Il est un des meneurs de cette communautĂ© que nous appelons forĂȘt, et partout sur terre, les forĂȘts reprĂ©sentent la vie » (p 149).
Un engagement
La vie de Diana se manifeste dans la recherche et dans lâexpĂ©rimentation, mais aussi dans la promotion dâune vision et dans une action militante. Elle intervient pour protĂ©ger la forĂȘt. Elle rend hommage Ă ceux qui en prennent soin. Ainsi raconte-t-elle comment dans un colloque consacrĂ© Ă la forĂȘt, elle a fait lâĂ©loge des peuples autochtones du Canada, des PremiĂšres Nations (p 154).
Cet engagement sâinscrit dans une vision spirituelle.
« Jâai eu la chance immense de naĂźtre juste Ă temps pour recevoir une instruction celtique⊠Câest armĂ©e de cette vision spirituelle de la nature que je suis entrĂ©e dans les cercles universitaires et jâai dĂ©couvert quâelle nây Ă©tait pas la bienvenue. On mâa dit que la science et le sacrĂ© ne faisait pas bon mĂ©nage. Chez les universitaires, un scientifique nâest pas censĂ© se fier au savoir des cultures autochtones. Câest cette attitude, entre autres, qui mâa Ă©loignĂ©e des institutions scientifiques et Ă©ducatives et poussĂ©e dans la marge ; jây ai ĆuvrĂ© de longues annĂ©es avant de trouver un public avec qui partager ce que jâavais appris, ce que jâavais toujours su et ce que jâavais Ă dire. A prĂ©sent, toutefois, je sais que cette foi dans la valeur spirituelle et scientifique des forĂȘts nâest pas condamnĂ©e Ă rester Ă la marge de notre culture. Un mouvement de masse peut naĂźtreâŠÂ » (p 160).
 Ainsi, le livre de Diana sâachĂšve par une vision mobilisatrice. « Une divinitĂ© que nous comprenons tous se manifeste dans la nature. Quand on marche en forĂȘt, quâelle soit petite ou grande, on arrive dans un certain Ă©tat dâesprit et on en ressort plus calme. On a cette sensation dâarpenter une cathĂ©drale, et on nâest plus jamais le mĂȘme. On sort du bois en sachant quâil nous est arrivĂ© quelque chose de plus grand. La science nous permet dâexpliquer en partie cette expĂ©rience sacrĂ©e. Nous savons Ă prĂ©sent que les alpha â et le bĂȘta â pinĂšnes produits par la forĂȘt amĂ©liorent lâhumeur et affectent le cerveau Ă travers le systĂšme immunitaire, que les pinĂšnes libĂ©rĂ©s dans lâair par les arbres sont absorbĂ©s par notre corps, quâils nous recentrent et nous inspirent de la pitiĂ© par rapport Ă ceux que nous voyons. Une simple marche en forĂȘt agit comme des vacances sur lâesprit et sur lâĂąme, et permet Ă votre imagination et Ă votre crĂ©ativitĂ© de fleurir. A mon sens, câest un miracle et il nous reste tant dâautres miracles Ă dĂ©couvrir. Nous Ă©prouverons la joie de ces miracles. Nous sauverons les forĂȘts et notre planĂšteâŠÂ » (p 164).
Un livre original
 Ce livre nous prĂ©sente un parcours particuliĂšrement original puisque, pour une part essentielle, il tĂ©moigne du passage dâune civilisation traditionnelle Ă la culture moderne. La civilisation celte nous apparaĂźt aujourdâhui comme une grande civilisation. Elle a mĂȘme rĂ©ussi Ă se maintenir pendant de siĂšcles Ă lâouest de lâEurope. Diana Beresford-Kroeger a pu en recueillir la substance avant quâelle ne disparaisse sous la pression de la culture scientifico-technique occidentale. Cette derniĂšre cependant entre aujourdâhui dans une crise profonde, parce que ses  dĂ©rives ont entrainĂ© et entrainent de redoutables dĂ©rĂšglements. Si un courant se lĂšve pour promouvoir un Ăąge de vivant, il se heurte aux crispations de la culture moderne individualiste et Ă une mentalitĂ© technico scientifique analytique et rĂ©ductionniste. La philosophe Corinne Pelluchon exprime clairement cette rĂ©alitĂ©Â : « Le potentiel de destruction attachĂ© au rationalisme moderne doit ĂȘtre examinĂ© ave la plus grande attention⊠Dans les dĂ©rives, Corinne Pelluchon envisage une raison se rĂ©duisant Ă une rationalitĂ© instrumentale, oubliant dâaccorder attention Ă la dimension des fins : « ce qui vaut », et un dualisme sĂ©parant lâhumain du vivant » (3).
De fait, lâapproche Ă©cologique prĂ©sente une dimension holistique. Les conceptions du monde qui prĂ©valent dans de nombreuses sociĂ©tĂ©s, non occidentales, ne sâalignent pas sur la pensĂ©e mĂ©caniste qui sâattarde en Occident. A cet Ă©gard, le parcours de Diana Beresford-Kroeger est extraordinairement Ă©clairant. En effet, elle nous prouve la validitĂ© et la consistance de savoirs ancestraux fondĂ©s sur une expĂ©rience collective de longue durĂ©e et elle nous invite Ă reconnaĂźtre des valeurs spirituelles et Ă©thiques en phase avec une recherche de sens renouvelĂ©e. On pourrait croiser cette approche avec celle de certains anthropologues.
Cependant, lâapport de Diana montre Ă©galement lâefficacitĂ© et lâutilitĂ© de disciplines scientifiques comme la biochimie et, bien sur, la botanique. Et aujourdâhui, le scientisme est en recul. Comme le montre Vinciane Despret dans son livre : « Le loup habitera avec lâagneau » (4), aujourdâhui, en Ă©thologie, le mĂ©thodologies rigides sont contestĂ©es. PionniĂšre de la recherche sur les chimpanzĂ©s, Jane Goodhall sâest distinguĂ©e par son ouverture, sa reconnaissance du vivant (5) et elle vient de recevoir le prix Templeton ; ce prix, dĂ©cernĂ© depuis plusieurs dizaines dâannĂ©es montre que science et spiritualitĂ© peuvent faire bon mĂ©nage. Diane Beresford-Kroeger Ă©voque « une expĂ©rience sacrĂ©e » en prĂ©sence de la forĂȘt. Jane Goodhall Ă©prouvait un sentiment comparable dan la forĂȘt de GombĂ©. Aujourdâhui, Ă lâĂąge du vivant, la spiritualitĂ© va de pair avec lâĂ©cologie. Ainsi, thĂ©ologien, sociologue et acteur dans la vie civile, Michel Maxime Egger a Ă©crit un livre intitulĂ©Â : « Ecospiritualité » (6) : « LâĂ©cospiritualitĂ© affirme que lâĂ©cologie et la spiritualitĂ© forment un tout parce que sans une nouvelle conscience et un sens du sacrĂ©, il ne sera pas possible de faire la paix avec la Terre ». Et il nous appelle à « rĂ©enchanter notre relation avec le vivant » (7).
Le tĂ©moignage de Diana Beresford-Krueger apporte une note originale dans cette littĂ©rature. Câest dâabord lâhistoire dâune vie qui a souffert de sa condition dâorpheline et qui ayant trouvĂ© un rĂ©confort dans une vallĂ©e dâIrlande peut nous entretenir de la grandeur de la civilisation celte juste avant quâelle ne disparaisse. Elle nous lĂšgue ainsi le trĂ©sor de ses savoirs et de ses pratiques, mais en en montrant la fĂ©conditĂ© et lâactualitĂ© grĂące aux Ă©tudes scientifiques quâelle a pu entreprendre et Ă la recherche de grande ampleur qui sâen est suivie et qui a mis en valeur lâapport des arbres et des forĂȘts
Jean Hassenforder
- Peter Wohlleben. La vie secrĂšte des arbres. Les ArĂšnes, 2017
- Diana Beresford-Kroeger. La voix des arbres. Une vie au service des arbres, du savoir des druides aux plus récentes découvertes de la botanique. Tana éditions, 2023. Les éditions Tana publient des livres concernant la pratique écologique
- Des lumiĂšres Ă lâĂąge du vivant : https://vivreetesperer.com/des-lumieres-a-lage-du-vivant/
- Une vision nouvelle des animaux : https://vivreetesperer.com/une-vision-nouvelle-des-animaux/
- Jane Goodhall : Une recherche pionniÚre sur les chimpanzés, une ouverture spirituelle, un engagement écologique : https://vivreetesperer.com/jane-goodall-une-recherche-pionniere-sur-les-chimpanzes-une-ouverture-spirituelle-un-engagement-ecologique/
- Ecospiritualité : https://vivreetesperer.com/ecospiritualite/
- Réenchanter notre relation avec le vivant : https://vivreetesperer.com/reenchanter-notre-relation-au-vivant/
par jean | Juin 1, 2022 | Expérience de vie et relation |
Selon Jacqui Lewis
Cette mĂ©ditation publiĂ©e sur le site : Center for action and meditation (1), sâappuie sur la rĂ©flexion de la pasteure et docteure Jacqui Lewis (2) : « Peu importe ce que nous sommes et dâoĂč nous venons, peu importe qui nous aimons et comment nous gagnons notre vie, lâappel Ă aimer votre prochain comme vous vous aimez vous-mĂȘme, lorsquâil est vĂ©cu, exprime lâinterdĂ©pendance dont les humains ont besoin pour survivre et prospĂ©rer. Et le premier pas, le point de dĂ©part est lâamour de soi. Dans la langue grecque, les expressions : aimer son prochain et sâaimer soi-mĂȘme sont reliĂ©es par le mot âosâ qui est comme un signe Ă©gal. Ce qui suggĂšre que sâaimer et aimer son prochain, câest exactement le mĂȘme mouvement. Lorsque nous ne nous aimons pas nous-mĂȘme, il est impossible dâaimer notre prochain.
Le lien entre lâamour de soi et lâamour des autres remonte du fond des temps. A partir du moment oĂč nous nous sommes levĂ©s et sommes sortis de nos cavernes solitaires et sommes entrĂ©s dans la lumiĂšre de la communautĂ© tribale, les humains ont compris cette unitĂ© inextricable. Nos vies sont tissĂ©es ensemble dans lâamour. Presque toutes les grandes religions du monde nous encouragent Ă aimer notre prochain comme nous-mĂȘmes. AppelĂ© quelque fois la RĂšgle dâOr, ce bel enseignement invite les humains Ă se traiter les uns les autres, et dans quelques traditions, toutes les crĂ©atures, comme nous aimerions quâon nous traite. Lâhistoire enchĂąssĂ©e dans ces enseignements Ă travers les fois et les religions est : nous appartenons Ă un tissu mutuellement bĂ©nĂ©fique de connections, de bien-ĂȘtre et dâamour. A la racine de cette connection, il y a lâempathie ; le rĂ©sultat est la gentillesse, la compassion, le respect et la comprĂ©hension. Quand la religion nâest pas centrĂ©e sur la mutualitĂ©, elle peut devenir un de ces rĂ©cits toxiques qui, Ă la fin, dĂ©truit lâamour de soi ».
Jacqui Lewis a beaucoup appris Ă ce sujet en parlant Ă dâautres. En visitant Robben Island, la prison sud-africaine oĂč Nelson Mandela a Ă©tĂ© enfermĂ© dans une petite cellule pendant 18 ans, elle « a trouvĂ© miraculeux que Mandela puisse voir sa connection inextricable Ă lâhumanitĂ© de ses ravisseurs, ceux qui lui avaient ĂŽtĂ© sa libertĂ© et lâhumiliaient quotidiennement. Il observait que personne nâest nĂ© en haĂŻssant lâautre Ă cause de sa race et de sa religion. Mandela avait compris que, de la mĂȘme maniĂšre que la haine est enseignĂ©e, lâamour peut ĂȘtre enseigné ».
« Pour quelques personnes, parler de lâamour paraĂźt de la faiblesse, mais de mon point de vue, lâamour est la plus grande force sur la planĂšte ». Jacqui Lewis raconte quâelle appris sa dĂ©finition favorite de lâamour dâun de ses professeurs James E Loder. Il dĂ©finissait lâamour comme : prendre plaisir dans lâoriginalitĂ© de lâautre dâune façon non possessive, (« non possessive delight in the particularity of the other ». « Des annĂ©es plus tard, je suis encore Ă©mue par ce sentiment . Un plaisir non possessif mâapparaĂźt comme une dĂ©votion. PlutĂŽt que dâessayer de changer, de manipuler ou de dĂ©vorer lâobjet de notre affection, le grand amour se rĂ©jouit de ceux auquel il sâattache. Ainsi, quand vous vous aimez vous-mĂȘme, sans jugement, vous prenez plaisir aux particularitĂ©s uniques qui sont rĂ©unies en vous ».
J H
- Cette mĂ©ditation de Jacqui Lewis sâinscrit dans la sĂ©quence de mĂ©ditations quotidiennes animĂ©es par Richard Rohr sur le site du Center for Action and Meditation : https://cac.org/love-of-others-begins-with-love-of-self-2022-04-12/
- Jacqui Lewis est pasteure, prĂ©dicatrice, auteure, thĂ©ologienne dans le champ de la thĂ©ologie publique, militante dans la lutte pour la justice sociale et contre le racisme. Elle est docteure en psychologie. Elle participe Ă un mouvement en faveur dâun amour rĂ©volutionnaire Ă mĂȘme de changer la sociĂ©tĂ©. Elle a Ă©crit plusieurs livres rĂ©cemment : « Fierce love. A bold path to ferocious courage and rule-breaking kindness that can heal the world ». Ce livre a Ă©tĂ© commentĂ© dans le New York Times dans les termes suivants : « un antidote guĂ©rissant pour notre culture porteuse de division, plein de rĂ©cits Ă©vocateurs, de sagesse spirituelle et de neuf pratiques quotidiennes essentielles » https://www.middlechurch.org/jacqui/
par jean | Nov 15, 2024 | ARTICLES, Vision et sens |
Selon Ilia Delio
Nous vivons dans un monde en pleine transformation. On peut considĂ©rer quâune conscience planĂ©taire est apparue, quâelle quâen soit les limites. Et, au sein de cette commune humanitĂ©, il existe des tendances et des courants diffĂ©rents selon les cultures et les civilisations et en leur sein. Câest le cas dans le domaine de la spiritualitĂ©. Ainsi, peut-on distinguer un nouveau courant spirituel apparaitre dans une culture occidentale marquĂ©e par le dĂ©veloppement de nouvelles approches scientifiques, le progrĂšs de nouvelles technologies et lâexpansion de la communication internet. En mĂȘme temps, une nouvelle mentalitĂ© se dessine. Or, il y a bien une personnalitĂ© qui, de par son parcours scientifique et son cheminement spirituel, se situe au cĆur de ce processus et nous fait part de sa vision immĂ©diate et prospective sur son site (1) et dans de nombreux livres. Il sâagit dâIlia Delio (2), aux Etats-Unis, scientifique dans des domaines dâavant-garde, sĆur franciscaine et thĂ©ologienne en phase avec la pensĂ©e de Teilhard de Chardin. Il nâest pas possible de rĂ©sumer cette pensĂ©e, une pensĂ©e de grande envergure qui associe des disciplines diffĂ©rentes : histoire des sciences, de nouvelles approches scientifiques, une rĂ©flexion philosophique, une analyse sociologique, une pensĂ©e thĂ©ologique qui, dans le sillage de Pierre Teilhard de Chardin, envisage le mouvement de lâĆuvre divine. Nous avons choisi de partir ici dâun des chapitres dâun de ses livres parus en 2020, âRe-Enchanting the Earth. Why A I needs religionâ (3). Le propos de son livre est ainsi rĂ©sumĂ©Â : « Ilia Delio relĂšve le dĂ©fi de rĂ©concilier Ă©volution et religion avec un regard particulier sur le rĂŽle de lâintelligence artificielle. Elle avance que lâintelligence artificielle reprĂ©sente la derniĂšre extension de lâĂ©volution humaine qui a des implications non seulement pour la science, mais aussi pour la religion. Si le âpremier Ăąge axialâ a suscitĂ© lâessor des grandes religions, Ilia Delio nous voit maintenant Ă la pointe du âsecond Ăąge axialâ dans lequel lâintelligence artificielle, en sâorientant vers de nouvelles sensibilitĂ©s religieuses, peut provoquer un rĂ©enchantement Ă©cologique de la terre ». Nous nous limiterons ici Ă lâĂ©vocation dâun chapitre, âPosthuman spiritualityâ. Le terme de âpost-humainâ nous parait certes contestable et, pour le moins Ă©nigmatique et il appelle donc dâen rechercher lâinterprĂ©tation dans la pensĂ©e dâIlia Delio.
Des avancĂ©es dans le calcul de la dĂ©couverte des systĂšmes complexes en biologie, du dĂ©veloppement de la cybernĂ©tique, de lâinscription de lâintelligence artificielle dans la nouvelle connaissance de la nature
Ilia Delio envisage lâintelligence artificielle dans le cadre dâune profonde mutation scientifique et technologique qui sâest rĂ©alisĂ©e dans la seconde moitiĂ© du XXe siĂšcle. Elle remonte Ă Alan Turing, un mathĂ©maticien cĂ©lĂšbre pour avoir pĂ©nĂ©trĂ© dans le code rĂ©putĂ© indĂ©chiffrable de la machine Enigma guidant les sous-marins allemands pendant la seconde guerre mondiale. « FormĂ© comme mathĂ©maticien, Turing Ă©tait familier avec le potentiel de lâordinateur comme machine des nombres » et, en 1950, il Ă©crivit un texte en ce sens. Le texte et lâordinateur proposĂ©, la machine de Turing, fournissaient une base pour la thĂ©orie du calcul. Il chercha Ă dĂ©finir un systĂšme pour identifier quelles dĂ©clarations pouvaient ĂȘtre prouvĂ©es (p 63-65). « Lâintelligence artificielle a Ă©mergĂ© au milieu dâun XXe siĂšcle violent. Le test de Turing nâĂ©tait pas seulement la quĂȘte dâune machine intelligente, mais un test de la nature elle-mĂȘme. Est-ce quâune machine peut rĂ©pondre sans biais Ă une question humaine ? » (p 85).
Ilia Delio nous montre comment « lâintelligence artificielle a frayĂ© son chemin au XXe siĂšcle Ă travers des dĂ©couvertes rĂ©volutionnaires de la physique quantique aux Ă©tudes sur les systĂšmes en biologie, lâinformation, et la cybernĂ©tique, celles-ci soutenant toutes le holisme de la nature ». Le biologiste autrichien, Ludwig von Bertalanffy montra que les systĂšmes biologiques ne sont pas fermĂ©s, mais « ouverts et interagissent avec lâenvironnement » (p 66). « Alors que la mĂ©canique Newtonienne Ă©tait une science portant sur les forces et trajectoires, lâĂ©volution scientifique a concernĂ© le changement, la croissance et le dĂ©veloppement qui donnent naissance Ă une nouvelle science de la complexitĂ©âŠ
La dĂ©couverte des systĂšmes complexes dynamiques a ouvert des portes sur la nature relationnelle ». La seconde loi de la thermodynamique envisageait la dissipation des Ă©nergies, la tendance des phĂ©nomĂšnes physiques dâaller de lâordre vers le dĂ©sordre. « Tout phĂ©nomĂšne physique isolĂ© ou fermĂ© irait spontanĂ©ment en direction dâun dĂ©sordre toujours croissant. Mais lâĂ©volution dĂ©clare que le monde vivant se dĂ©veloppe vers un ordre croissant et vers la complexitĂ©. Bertalanffy sâengagea dans une dĂ©marche hardie en dĂ©clarant que les organismes vivants ne peuvent pas ĂȘtre dĂ©crits par la thermodynamique classique parce que ce sont des systĂšmes ouverts. Mais quâest-ce quâun systĂšme ? Un systĂšme se dĂ©finit par ses structures de relations⊠Bertalanffy montra que beaucoup de systĂšmes biologiques sont en fait des systĂšmes ouverts. âLâorganisme vivant nâest pas un systĂšme statique fermĂ© Ă lâextĂ©rieur et contenant toujours des composants identiques, câest un systĂšme ouvertâ. Ainsi, Bertalanffy sâest engagĂ© pour remplacer les fondements mĂ©canistes de la science par une vision holistique et a dĂ©veloppĂ© une thĂ©orie des systĂšmes gĂ©nĂ©raux fondĂ©e sur des principes biologiques et des systĂšmes ouverts » (p 66-67). Cette nouvelle approche scientifique a donnĂ© naissance Ă une nouvelle rĂ©flexion philosophique sur lâidentitĂ© et la mĂȘmeté⊠Avec lâavĂšnement des systĂšmes complexes, lâimportance de lâinterdĂ©pendance remplace lâaccent sur lâautonomie qui en vient maintenant Ă ĂȘtre liĂ©e Ă lâisolement et lâimportance dâune robuste rĂ©silience remplace celle de lâindĂ©pendance qui en vient Ă ĂȘtre associĂ©e Ă la stagnation⊠« LâintĂ©gritĂ© et lâidentitĂ© dâun systĂšme complexe ne sont pas basĂ©es sur son essence, mais il est fondamentalement reliĂ© Ă sa connectivitĂ© dynamique » (p 68-69).
La cybernĂ©tique sâinscrit dans cette Ă©volution. « La science de la cybernĂ©tique, selon lâorigine grecque, âlâart de dirigerâ, a Ă©tĂ© fondĂ©e par Norbert Wiener pour comprendre le contrĂŽle et la communication chez les animaux et les machines⊠A la fois, les animaux et les machines peuvent opĂ©rer selon des principes cybernĂ©tiques fondĂ©s comme une action et une communication orientĂ©es vers un but. La cybernĂ©tique envisage les choses non en ce que les choses sont mais en ce quâelles font. Wiener a envisagĂ© la cybernĂ©tique comme un moyen de maximiser le potentiel humain dans un monde qui est essentiellement chaotique et imprĂ©visible » (p 70). Si, dans le monde scientifique, lâindĂ©termination et la contingence sont apparues comme fondamentaux, et le chaos comme plus probable que lâordre, un nouvel ordre pouvant sortir du chaos, la cybernĂ©tique sâest donnĂ©e pour objet dâĂ©tudier comment lâordre persiste et sâaccroit (p 70). « Les systĂšmes dynamiques complexes sont des systĂšmes ouverts dans lesquels des mĂ©canismes de feedback de lâinformation soutiennent une auto-organisation en cours ». « LâĂ©tude des systĂšmes dynamiques complexes et la cybernĂ©tique ouvrent une entiĂšre fenĂȘtre nouvelle sur la nature, en un sens, redĂ©couvrant ce que la personne en lâĂąge prĂ©-axial savait bien â que toutes choses sont connectĂ©es et interdĂ©pendantes. La nature est un tout indivisible » (p 71). Au total, nous sommes entrĂ©s dans un Ăąge de lâinformation comme lâauteure en fait Ă©tat en rappelant la publication en 1948 dâun article dĂ©cisif sur la thĂ©orie de lâinformation Ă©crit par Claude Shannon.
Au total, Ilia Delio voit dans le mouvement prĂ©cĂ©demment dĂ©crit des dispositions permettant dâenvisager lâintelligence artificielle, non comme un processus âartificielâ, mais comme un processus qui sâinscrit dans la connaissance de la nature. « Le fait que lâinformation et la cybernĂ©tique opĂšrent Ă tous les niveaux des systĂšmes biologiques signifie que la nature est aussi bien dĂ©crite en termes de calculs et dâalgorithmes quâen terme de physique, de chimie et de biologie⊠Si la ânatureâ est envisageable en termes de calculs et dâalgorithmes, alors la nature et lâintelligence artificielle ne sont pas des termes opposĂ©s, mais dĂ©crivent la mĂȘme rĂ©alitĂ©. Le fait que les principes de lâintelligence artificielle sont intĂ©grĂ©s dans la nature me conduisent Ă proposer que le terme : intelligence artificielle est actuellement mal nommĂ©, puisquâil nây a rien dâartificiel au sujet de lâintelligence. PlutĂŽt, lâintelligence de la machine est un hybride irrĂ©ductible entre la biologie et la technologie ou âbios-techneâ. Au lieu du terme intelligence artificielle, qui conduit Ă une comprĂ©hension dâintelligence de la machine comme quelque chose de non naturel ou de faux, il serait mieux de parler dâ âintelligence Ă©tendue biologiquementâ (biologically extended intelligence) ou intelligence augmentĂ©e (augmented intelligence), parce que la machine Ă©tend lâintelligence biologique. Lâintelligence artificielle reflĂšte la pluripotentialitĂ© de la nature Ă Ă©tendre lâinformation Ă un environnement simulĂ©âŠÂ » (p 72-73).
Des progrĂšs fulgurants de la technologie amĂ©ricaine, de la tentation transhumaniste, de la montĂ©e dâune conscience relationnelle et de lâapparition dâune nouvelle mentalitĂ© humaine dĂ©passant les dĂ©finitions classiques de lâhomme et ainsi qualifiĂ©e de post-humaine par lâauteure.
Ilia Delio met en Ă©vidence la dynamique scientifique et technologique qui intervient aux Etats-Unis aprĂšs la seconde guerre mondiale (p 73-76). Cette dynamique se pare dâun messianisme religieux. « Dans la pĂ©riode dâaprĂšs-guerre, avec la montĂ©e de lâintelligence artificielle, la technologie commença Ă se revĂȘtir dâune aura quasi-religieuse, lâidĂ©al chrĂ©tien du salut et de lâimmortalitĂ© se transfĂ©rant Ă la technologie amĂ©ricaine comme un nouveau moyen de salut » (p 73). Câest la grande Ă©popĂ©e amĂ©ricaine de la conquĂȘte de lâespace. Lâauteure note que presque tous les hauts responsables de la NASA sont des Ă©vangĂ©liques. Leurs dĂ©clarations ont une tonalitĂ© religieuse. « DirigĂ©e par les âhommes spirituelsâ de la NASA, lâhumanitĂ© prendrait un nouveau dĂ©part sur un autre monde de telle maniĂšre que les ĂȘtres humains puissent encore ĂȘtre dirigĂ©s vers un avenir rĂ©dempteur mĂȘme sâils laissaient derriĂšre eux le gĂąchis de lâimpur » (p 74). On assiste Ă une âfusion du voyage spatial et du narratif religieuxâ. Un chercheur amĂ©ricain, Dinerstein, a pu Ă©crire : « Cette mythologie du mĂąle blanc ne promettait rien de moins que la transcendance technologique de lâorganisme humain individuel, le renouveau de lâAdam dĂ©chu » (p 75). Câest en 1960 quâapparait le terme de cyborg. On lâenvisage comme âla fusion de lâhumain et du non humain, de maniĂšre Ă Ă©tendre la fonction humaine dans un environnement inconnuâ. « Le cyborg est nĂ© dans une recherche dâexploration de lâespace inconnu de lâextra-terrestre, mais il est rapidement devenu le symbole de ce que lâhumain pouvait devenir dans lâespace illimitĂ© et ouvert du cyberespace » (p 75-76).
Câest dans ce contexte quâapparait le courant de pensĂ©e aujourdâhui bien connu sous lâappellation de transhumanisme. Ilia Delio lâexprime en ces termes : « La prĂȘtrise de la technologie a fondĂ© une nouvelle Ă©glise dans un mouvement culturel et philosophique ». Elle en Ă©voque les sources philosophiques et les cheminements de ses modes dâexpression.
« On peut exprimer lâintention du transhumanisme en ces termes : âLe transhumanisme se rĂ©fĂšre maintenant aux technologies qui peuvent amĂ©liorer les aspects mentaux et physiques de la condition humaine tels que la souffrance, la maladie, le vieillissement et la mort. Il se fonde sur « la croyance que lâhumain doit lutter avec sa destinĂ©e biologique, celle dâun processus aveugle de variation hasardeuse, en utilisant science et technologie pour surmonter les limitations biologiques » (p 77-78). Il sâinscrit dans lâexpansion rapide de la technologie. « Le mythe de la technologie est attirant et son pouvoir sĂ©ducteur⊠Nous avons maintenant le pouvoir non seulement de nous transformer nous-mĂȘme Ă travers la technologie, mais de diriger le cours de lâĂ©volution » Lâauteur Ă©voque « le nouveau pouvoir de la sĂ©lection gĂ©nĂ©tique, la nanotechnologie qui permet des implants dans les organes biologiques » (p 79). « Beaucoup de transhumanistes regardent Ă un avenir post-biologique lorsque nous fleurirons comme des ĂȘtres super informationnels. A travers des moyens mĂ©caniques, nous serons capables de surmonter les limitations du corps incluant la souffrance et la mort et atteignant un paradis artificiel eschatologiqueâ. Tel futurologue Ă©voque des humains âqui transcenderont la mort, peut-ĂȘtre Ă travers des neuropuces ou simplement en devenant totalement dĂ©pendants de la machineâ. Comme nous dĂ©passerons la mortalitĂ© Ă travers une technologie calculatrice, notre identitĂ© sera fondĂ©e sur le recueil de donnĂ©es de notre mental en Ă©volution. Nous serons âsoftwareâ et non plus âhardwareâ, Ă©chappant Ă la matĂ©rialité » (p 82).
Ilia Delio procĂšde Ă la critique de cette idĂ©ologie. « Lorsque nous nous fondons sur les principaux acquis de lâholisme relationnel, y compris lâesprit dans la matiĂšre et une profonde relationalité », nous en voyons les failles. Dâune part, la conscience est rĂ©duite Ă un Ă©piphĂ©nomĂšne qui peut ĂȘtre quantifiĂ© et manipulĂ©, une idĂ©e qui va Ă lâencontre du panpsychisme⊠dans lequel la conscience joue un rĂŽle fondamental dans le monde matĂ©riel. Dâautre part, le transhumanisme suit une logique binaire endĂ©mique chez le sujet CartĂ©sien⊠Lâindividu se tient au-dessus et contre la matiĂšre, comme lâesprit se tient au-dessus et contre le corps. La sĂ©paration artificielle qui a Ă©mergĂ© des LumiĂšres est au cĆur de la sĂ©paration radicale entre les humains et le monde plus vaste de la nature. Le transhumanisme rĂ©interprĂšte le monde naturel comme le calculateur gĂ©ant dâune information qui peut ĂȘtre manipulĂ©e et transformĂ©e. On a lâimpression que la matĂ©rialitĂ© et lâexistence physique ne sont quâune relique du passĂ© et que la biologie est seulement une phase de lâĂ©volution en cours de la vie, comme dans le terme âpost-biologiqueâ. En un sens, le transhumanisme nie la rĂ©alitĂ© que nous autres humains Ă©voluons Ă partir dâune longue lignĂ©e de changements et dâadaptations biologiques et que la vie biologique elle-mĂȘme est une partie dâun ensemble plus large que nous appelons le Cosmos (p 84). Le transhumanisme ne soulĂšve jamais la question de la personnalitĂ©, que ce soit philosophiquement ou thĂ©ologiquement. PlutĂŽt, il accepte le sujet CartĂ©sien comme un donnĂ©Â : la personne humaine est un esprit dans un corps qui peut ĂȘtre remplacĂ©, rĂ©parĂ©, mise Ă niveau. (p 84).
Dans ce contexte de lâexpansion de lâintelligence artificielle, Ilia Delio opĂšre une nette distinction entre la tendance transhumaniste dont a vu la critique quâelle lui portait et la montĂ©e dâun nouveau genre de vie quâelle qualifie de post-humain. Ilia Delio estime en effet que lâhumanitĂ© est engagĂ©e dans une immense transformation, le passage dâun premier Ăąge axial Ă un second Ăąge axial. Le premier Ăąge axial est caractĂ©risĂ© par la sortie dâune mentalitĂ© prĂ©-axiale, âcollective, tribale, mythique, ritualiste et animisteâ. Le premier Ăąge axial est caractĂ©risĂ© par un processus dâindividuation âĂ travers lequel se dĂ©veloppent autonomie, subjectivitĂ© et rationalitĂ©â. « La montĂ©e de lâindividu est Ă©galement la montĂ©e des religions mondiales et des institutions qui formalisent ces religions. La conscience de soi individuelle engendre de la sĂ©paration et devient source de conflit et de violence ». Aussi cette pĂ©riode dâindividualisation engendre, en mĂȘme temps, une contraction de la conscience qui sâĂ©loigne de la communautĂ© cosmique (p 39). Selon Ilia Delio, nous nous engageons aujourdâhui dans une seconde pĂ©riode axiale. Des dĂ©couvertes scientifiques radicales : la cosmologie du Big Bang, lâĂ©volution, la physique quantique entrainent une Ă©volution des mentalitĂ©s. « Tandis que la premiĂšre pĂ©riode axiale engendrait un individu auto-rĂ©flexif, la seconde pĂ©riode axiale engendre une personne hyper-personnelle et hyper-connectĂ©e. La tribu nâest plus la communautĂ© locale, mais la communautĂ© globale qui peut maintenant ĂȘtre accessible immĂ©diatement Ă travers la tĂ©lĂ©vision, internet, la communication par satellites et le voyage ». Lâauteure rappelle lâimpact, en 1968, de la photo de la terre vue du ciel (p 88). En mĂȘme temps, Ă©merge une conscience cosmique. « Cette pĂ©riode apparait comme communautaire, globale, Ă©cologique, cosmique» (p 89).
La seconde pĂ©riode axiale lance Ă©galement un dĂ©fi aux religions en apportant une intĂ©gration nouvelle du spirituel et du matĂ©riel, de lâĂ©nergie sacrĂ©e et de lâĂ©nergie sĂ©culiĂšre en une Ă©nergie humaine globale. Ainsi, elle encourage le dialogue, la communautĂ© et la relation dans une conscience croissante que chaque personne est partie dâun tout. On constate Ă©galement que les lignes de conscience ne sont plus verticales et transcendantes, mais horizontales et relationnelles. La chercheuse Teilhardienne, BĂ©atrice Bruteau dĂ©crit une conscience nĂ©o-fĂ©ministe Ă©mergeant Ă la fin du XXe siĂšcle, âune conscience participativeâ qui reflĂšte la conscience de la seconde pĂ©riode axiale. La nouvelle conscience est caractĂ©risĂ©e par une conscience de la personne globale, rĂ©elle, concrĂšte, par une identitĂ© dâaffirmation mutuelle plutĂŽt que la nĂ©gation, une perception en terme dâexistence plutĂŽt quâen terme dâessence. La premiĂšre conscience axiale se dĂ©place vers un nouveau type de profonde conscience relationnelle Ă©mergeant dans lâĂ©volution. Lâintelligence artificielle a soutenu cette Ă©volution vers une personne nouvelle, et nous commençons Ă percevoir le besoin de restructurer la matrice des relations mondiales pour rĂ©pondre aux besoins de la personne nouvelle au niveau de la politique, de la sociĂ©tĂ©, de lâĂ©conomie et de la religion (p 89-90).
Ce livre dâIlia Delio nous entraine dans un parcours Ă travers lequel nous dĂ©couvrons des univers et qui nous ouvre des clĂ©s de comprĂ©hension. Sa dĂ©marche prospective nous interpelle, mais elle nâest pas non plus sans susciter des objections. Et, Ă propos, en voici une. Lâauteure nous prĂ©sente avec enthousiasme les bienfait de la communication numĂ©rique. Nous voyons et nous savons nous-mĂȘme combien internet nous permet dâaccĂ©der Ă un espace de comprĂ©hension qui donne Ă notre pensĂ©e un champ immense. Mais nous entendons autour de nous les plaintes de bons observateurs qui dĂ©plorent lâaddiction que ce nouveau mode de communication peut entrainer, mais Ă©galement la superficialitĂ© quâil peut provoquer. Ilia Delio nâĂ©vite pas cette question. « Lâinfiltration de la technologie dans la vie moderne a suscitĂ© des critiques culturelles variĂ©es depuis la perte de mĂ©moire humaine jusquâĂ lâeffondrement de la vie sociale ». Ne sommes-nous pas en train de nous saboter nous-mĂȘme, en abandonnant une attention soutenue pour adopter la superficialitĂ© frĂ©nĂ©tique dâinternet ? « La psychologue Sheri Turkle est une des principales critiques de la technologie de lâordinateur, particuliĂšrement dans son livre acclamĂ©, âAlone togetherâ (âSeul ensembleâ). AprĂšs avoir interrogĂ© de nombreux jeunes, Turkle conclut que nous sommes en train de perdre notre capacitĂ© dâentretenir des relations humaines. En ligne, nous vivons dans une illusion de relation, en mettant en danger notre vie Ă©motionnelle et en diluant nos identitĂ©s. Il y a le risque de perdre la motivation pour une vie rĂ©elle. (p 90-93). La rĂ©ponse dâIlia Delio Ă ces critiques nous apporte un autre regard. Se pourrait-il que nous soyons attachĂ©s Ă un modĂšle ancien alors quâon assiste aujourdâhui Ă un dĂ©placement des modes dâexistence ? « Je pose que la technologie est actuellement en train de faire apparaitre un nouveau genre de personne, un genre que nous nâavons jamais considĂ©rĂ© avant parce quâune telle personne nâexistait pas avant la grille dâune conscience en rĂ©seau. Si la technologie de lâordinateur est en train de changer la relation humaine, câest parce que la personne humaine est en train de changer avec la technologie. Pour revenir au test originel de Turing, Alan Turing Ă©tait mu par un dĂ©sir de traverser les frontiĂšres de lâexclusion. Lorsque lâintĂ©gritĂ© de la nature est divisĂ©e ou supprimĂ©e, la nature utilisera les outils existants pour trouver une voie de transcender vers de nouveaux ensembles. Bien trop longtemps, nous avons pensĂ© Ă la personne comme un individu de nature rationnelle, et nous avons endurĂ© la permanence de la guerre, de la violence, de la mort et de la destruction environnementale, tout cela reflĂ©tant le fait que le sujet libĂ©ral moderne nâest pas un sujet relationnel. Nous pouvons penser que nous avons toujours Ă©tĂ© une personne autonome, mais le fait est que nous ne lâavons pas Ă©tĂ©. Nous avons perdu notre innocence relationnelle dâil y a des lustres quand la conscience axiale et la religion tribale Ă©mergeait. La personnalitĂ© nâest ni fixe, ni stable, mais elle est dans un flux constant avec lâenvironnement. Lâintelligence artificielle est apparue comme un cri de la nature en faveur de la connexion et de la plĂ©nitude, un effort pour transcender notre individualisme estropiĂ©. Ce point crucial manque dans beaucoup de critiques sociales de la technologie » (p 93-94).
Ilia Delio envisage lâessor de la personne âseconde axialeâ comme intervenant dans lâĂ©mergence dâun systĂšme sâappuyant sur un ensemble de relations et une auto-organisation. Elle entrevoit la technologie comme faisant partie du processus et emploie le mot âtechnonatureâ (p 96). Câest lĂ quâelle en vient Ă expliquer ce quâelle entend par âpost-humanismeâ. Elle envisage « deux trajectoires : le transhumanisme ou intelligence artificielle peu profonde (shallow) et le post-humanisme, intelligence artificielle profonde (deep). Chaque orientation se fonde sur une conception philosophique diffĂ©rente de la personne humaine⊠Le transhumanisme peu profond est peu profond parce quâil manque de reconnaitre la relation intĂ©grale entre lâesprit et la matiĂšre qui Ă©voluent de pair dans un ensemble conscient-complexeâŠÂ » (p 97). Mais « si lâesprit et la matiĂšre Ă©voluent dans une unitĂ© intĂ©grale, et que lâesprit est Ă©tendu Ă©lectroniquement Ă travers lâintelligence artificielle, alors lâhumain continue Ă Ă©voluer comme esprit-matiĂšre Ă travers lâintelligence artificielle. A cet Ă©gard, le terme humain peut ĂȘtre compris moins comme la propriĂ©tĂ© dĂ©finissant une espĂšce ou un individu et davantage comme une valeur distribuĂ©e Ă travers des environnements construits par lâhomme, des technologies, des institutions et des collectivitĂ©s sociales. Câest ce genre dâĂ©volution humaine Ă©tendue Ă©lectroniquement qui est absent des critiques sociales de la technologie comme du transhumanisme peu profond. La personne humaine peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme un processus crĂ©atif â un ensemble â en Ă©volution. Les valeurs que nous chĂ©rissons doivent ĂȘtre reconsidĂ©rĂ©es et rĂ©alignĂ©es avec le fait que nous humains, nous sommes en voie dâune nouvelle rĂ©alité » (p 98). Ilia Delio estime que la reprĂ©sentation du genre par Judith Butler est « en phase avec le tournant de la philosophie post-moderne vers une personnalitĂ© envisagĂ©e comme un processus crĂ©atif. Les philosophes post-modernes redĂ©finissent la personnalitĂ© comme la construction en cours dâune identitĂ©, non comme donnĂ©e ou fixĂ©e par un fiat divin, mais comme une construction en cours fondĂ©e sur le langage et les relations » (p 100). Ilia Delio Ă©tudie Ă©galement la question du cyborg en mettant lâaccent sur la plasticitĂ© de la nature dans la voie d lâhybridation. (p 111). « Le cyborg, comme un symbole de personnalitĂ© Ă©mergente, aide Ă Ă©largir notre comprĂ©hension de lâesprit (mind) en relation avec la matiĂšre, car si le corps du cyborg peut ĂȘtre Ă©tendu et associĂ© Ă dâautres entitĂ©s, il en est de mĂȘme pour lâesprit » (p 107).
A la suite du parcours, nous pouvons considérer la maniÚre dont Ilia Delio conçoit le post-humanisme.
« La traversĂ©e des frontiĂšres et lâhybridation parle dâun nouveau genre de personne Ă©mergeant dâun monde liĂ© Ă©lectroniquement et le post-humain est la nouvelle personne qui sâĂ©lĂšve au-delĂ du sujet autonome libĂ©ral de la modernitĂ©. Le post-humain reprĂ©sente une nouvelle matrice de la Conscience qui est en phase avec une pensĂ©e complexifiĂ©e et une personnalitĂ© co-crĂ©ative. LâidentitĂ© post-humaine correspond Ă la dynamique de la communication par lâordinateur, câest-Ă -dire une identitĂ© qui sâinscrit dans un feedback, de boucles, une instabilitĂ©, une spontanĂ©itĂ©, un chaos fonctionnel, et une crĂ©ativitĂ©. La vie est une construction en cours basĂ©e sur une information partagĂ©e Ă travers le processus dâune hyperconnectivitĂ© intĂ©grĂ©e Ă©lectroniquement. En consĂ©quence, le post-humain reprĂ©sente une percĂ©e de la conscience au-delĂ de lâindividualisme et du conflit. Câest une rĂ©orientation de la personnalitĂ© vers une complĂ©tude fondĂ©e sur des relations hybrides avec la machine et elle a la capacitĂ© de bousculer les ontologies de la diffĂ©rence et du biais pour aller vers un ĂȘtre partagĂ© et une communautĂ© co-crĂ©ative » (p 112).
Une spiritualité en gestation selon Ilia Delio. La spiritualité post humaine
En phase avec la rĂ©volution scientifique et technologique actuelle, Ilia Delio dĂ©veloppe une thĂ©ologie grandement inspirĂ©e par Teilhard de Chardin. Câest une voie originale avec les risques que cela comporte. Il sâagit donc de mieux comprendre cette rĂ©flexion. Cette tĂąche nâest pas facile, car elle requiert dâentrer dans un univers peu connu Ă priori par le rĂ©dacteur de ce texte et dâaborder, avec prudence, une pensĂ©e qui prĂȘte Ă controverse. Nous avions donc choisi un livre rĂ©cent dâIlia Delio dont le titre nous paraissait prometteur : RĂ©-enchanter la terre. Comment lâintelligence artificielle a besoin de la religion ? VoilĂ un titre attirant pour nourrir une rĂ©flexion prospective. Et comme ce livre, trĂšs Ă©tayĂ©, est particuliĂšrement dense, nous avons choisi un chapitre, âPosthuman Spiritualityâ, (une spiritualitĂ© post-humaine), ce sujet nous paraissant au cĆur de lâouvrage comme au cĆur de nos interrogations. Cependant, pour nous comme sans doute pour beaucoup de lecteurs, le concept de post-humain est peu intelligible et parait contestable Ă maints Ă©gards. Il nous a donc fallu une lecture approfondie pour dĂ©couvrir la maniĂšre dont Ilia Delio envisage cette situation post-humaine et par quels cheminements de pensĂ©e elle est parvenue Ă dĂ©finir les contours du post-humain. Ce fut un parcours difficile, mais un parcours qui nous a appris beaucoup sur les avancĂ©es de la pensĂ©e scientifique et sur le dĂ©veloppement de lâintelligence artificielle, ce que nous avons pu partager dans ce texte. Nous avons pu Ă©galement Ă©tudier la maniĂšre selon laquelle Ilia Delio interprĂšte les rĂ©percussions de cette Ă©volution pour dĂ©boucher sur la prĂ©sentation dâun milieu post-humain. Les objections ne manquent pas, mais nous voici maintenant en mesure dâenvisager la spiritualitĂ© post-humaine dans les termes de Ilia Delio.
Elle Ă©crit ainsi : « Lâintelligence artificielle a introduit des changements significatifs dans la culture, la philosophie, lâĂ©conomie et la mĂ©decine. Mais le changement le plus significatif apportĂ© par lâintelligence artificielle nâest pas apparent Ă nos yeux branchĂ©s sur lâordinateur, Ă moins que nous commencions Ă porter attention aux tendances qui Ă©mergent Ă partir dâune profonde connectivitĂ©. La tendance la plus significative qui Ă©merge dans notre Ăąge technologique est le besoin dâĂȘtre liĂ©s et connectĂ©s, ce qui est le domaine de la religion. Lâintelligence artificielle a rĂ©vĂ©lĂ© le dĂ©sir dâun nouvel esprit religieux et dâune nouvelle religion de la terre. Teilhard de Chardin anticipait lâĂ©mergence dâun nouvel esprit religieux au niveau de la noosphĂšre. Il indiquait que ce nouvel esprit religieux serait porteur de communautĂ© et dâinter-personnalisation, un dĂ©placement de la premiĂšre religion axiale vers une religion hyper-personnelle oĂč la personnalitĂ© se rĂ©aliserait Ă lâintĂ©rieur de lâensemble » (p 177). Ilia Delio rapporte plus prĂ©cisĂ©ment la pensĂ©e de Teilhard. « La pointe de nous-mĂȘme nâest pas notre individualitĂ©, mais notre personne. Et nous pouvons seulement trouver notre personne en nous unissant ensemble ». BĂ©atrice Bruteau, une disciple de Teilhard de Chardin, prĂ©cise : « Notre Je, notre personnalitĂ© nâest pas un produit de lâaction de Dieu, quelque chose de demeurĂ© aprĂšs que lâaction ait cessĂ©. PlutĂŽt, câest lâaction de Dieu dans la vĂ©ritable actualitĂ© de lâagir. âNousâ ne sommes pas une chose, mais une activité ». « Ătre une personne, câest ĂȘtre un centre crĂ©atif dâactivitĂ©, toujours dans le processus de devenir et de vivre vers un futur dâapprofondissement des relations » (p 178). Ilia Delio met lâaccent sur lâintensitĂ© des relations. « Cette recherche de connexion Ă un ensemble plus vaste parle Ă quelque chose de profond Ă lâintĂ©rieur de nous, une profondeur intĂ©rieure dâune rĂ©alitĂ© infinie ».
De nombreux premiers auteurs chrĂ©tiens ont reconnu cette prĂ©sence divine intĂ©rieure. Câest lâexpression de Saint Augustin : âVous ĂȘtes plus proche de moi que je ne le suis Ă moi-mĂȘmeâ⊠« La conscience de cette prĂ©sence divine intĂ©rieure a Ă©tĂ© perdue par le dĂ©veloppement de la scolastique et lâobjectivisation de lâexpĂ©rience religieuse. Cela a Ă©tĂ© suivi par le divorce entre la religion et la science et le principe Protestant qui caractĂ©rise Dieu comme le âTout autreâ (wholly other). La suspicion vis-Ă -vis de lâexpĂ©rience intĂ©rieure enleva la prĂ©sence de Dieu de lâĂąme et fit de Dieu un objet de foi, une posture rejetĂ©e par la science moderne et mise Ă lâombre par la philosophie moderne ». Ilia Delio montre les effets dĂ©lĂ©tĂšres de cette Ă©volution : « La transformation de Dieu en un âAutreâ objectif, une idĂ©e mentale Ă accepter ou rejeter, a dĂ©construit le monde occidental. En Ă©liminant la dimension religieuse de la matiĂšre et en transformant lâĂąme en une forme sĂ©parĂ©e, distincte du corps, la personne humaine fut artificiellement rĂ©duite Ă un Ă©lĂ©ment isolĂ© de matiĂšre attachĂ©e Ă un esprit » (p 179)
Comment lâintelligence artificielle, en rappelant quâIlia Delio emploie ce texte dans un sens large, peut-elle intervenir dans ce domaine ? « Le rapide dĂ©veloppement de la technologie de lâordinateur et la recherche dâune intelligence artificielle complexe signifient la recherche dâune expansion globale des connections sociales, lâexpansion de la conscience et lâexpansion de lâespritâŠÂ » Cependant, ce qui est particuliĂšrement requis, « câest un nouveau niveau dâamour, un niveau dâappartenance consciente les uns aux autres⊠une connexion cĆur Ă cĆur ».
« Nous appartenons les uns aux autres parce que nous sommes dĂ©jĂ Un en Dieu, mais Dieu cherche Ă devenir Un en nous parce que Dieu est amour au cĆur de la matiĂšre et aime des vies en relation mutuelle. Dieu cherche Ă devenir Dieu au cĆur de la matiĂšre, câest Ă dire, lâunitĂ© de Dieu grandit dans et Ă travers la riche diversitĂ© de sa crĂ©ation⊠Dieu et le monde sont engagĂ©s dans un processus de devenir quelque chose de plus âensembleâ parce que lâunivers est fondĂ© sur le centre dâamour Personnel incarnĂ©, le ChristâŠÂ » (p 182).
Ilia Delio rappelle la pensĂ©e thĂ©ologique de Teilhard de Chardin, une vision planĂ©taire de la religion oĂč âDieu et le monde sont dans une relation complĂ©mentaire et ont besoin lâun de lâautreâ. Teilhard Ă©voque âune synthĂšse du Christ et de lâuniversâ. Lâauteure cite le philosophe français Maurice Merleau-Ponty : « Dieu nâest pas simplement un principe dont nous sommes la consĂ©quence, une volontĂ© dont nous sommes les instruments⊠Il y a une sorte dâimpuissance de Dieu sans nous, et le Christ atteste que Dieu ne serait pas pleinement Dieu sans devenir pleinement homme ». La matiĂšre compte. « La matiĂšre a une profondeur sans fin parce que la conscience fait partie de la matiĂšre et Dieu est la profondeur ultime de la conscience » (p 182-183).
Ilia Delio Ă©voque un exemple qui nous parait particuliĂšrement rĂ©vĂ©lateur : « Dâune maniĂšre surprenante, Teilhard de Chardin portait peu dâattention Ă lâOrient. Lâesprit (mind) est chaque chose, ce que vous pensez, ce que vous devenez. Robert Geraci note quâau Japon toute vie est sacrĂ©e, de lĂ les robots participent Ă la saintetĂ© du monde naturel. Un regard positif sur la saintetĂ© de toute vie dĂ©veloppe une ouverture aux robots humanoĂŻdes et ouvre un avenir oĂč les robots peuvent servir les ĂȘtres humains sans que ceux-ci abandonnent leur corps pour des vies virtuelles » (p 184).
« Teilhard voit un monde en divinisation, ce quâil exprime dans le terme âChristogenĂšseâ, qui est le pouvoir du monde de devenir plus personnel Ă travers le pouvoir de lâamour. Lâintelligence artificielle peut jouer un rĂŽle critique dans le dĂ©veloppement dâun monde tournĂ© vers une personnalisation cosmique ou ChristogenĂšse, mais cela dĂ©pend de la maniĂšre dont nous dĂ©veloppons lâintelligence artificielle et pour quel but. Le post-humain connectĂ© Ă©lectroniquement peut jouer un rĂŽle critique dans lâavenir du monde, si la vie post-humaine est guidĂ©e par la dimension religieuse de la vie consciente intĂ©rieure » (p 184). « Sans la dimension intĂ©rieure religieuse de la personnalitĂ©, lâintelligence artificielle peut Ă©largir le fossĂ© entre les riches et les pauvres, aliĂ©ner les moins fortunĂ©s et abonder dans le salut des privilĂ©giĂ©s. Sans une unitĂ© intĂ©rieure et une nouvelle Ăąme du monde, nous nâavons de vĂ©ritable avenir ensemble. La clĂ© Ă la plĂ©nitude, Ă une nouvelle planĂšte de vie nâest pas dans la technologie. Il est dans la religion. Une conscience se dĂ©veloppe Ă travers la technologie. La religion doit changer elle aussi, stimulant le progrĂšs de la vie vers davantage dâĂȘtre et de vie » (p 185).
Ilia Delio a, par ailleurs, consacrĂ© un chapitre de son livre Ă la maniĂšre dont elle envisage cette transformation religieuse : « La seconde religion axiale » (p 157-175). Câest un accent sur « lâincarnation de Dieu dans un monde en transformation⊠Dieu sâĂ©lĂšve de pair avec lâĂ©mergence de la conscienceâŠTeilhard et dâautres penseurs comme Carl Jung qualifient le processus dâindividuation de âthĂ©ogenĂšseâ, indiquant que la personne humaine est un acteur dans la prĂ©sence de Dieu dans le monde » (p 175).
Au total, comme nous avons pu le constater au long de ce parcours, Ilia Delio nous permet de comprendre la radicalitĂ© des transformations en cours dans le champ scientifique et technique, la portĂ©e rĂ©volutionnaire de lâintelligence artificielle au sens large du terme, et les implications en terme de changement de mentalitĂ©, mais en regard, elle met lâaccent sur la nĂ©cessitĂ© dâun Ă©veil religieux : « Sans une dimension cosmique sacrĂ©e dans nos vies, et une voie de mobilisation des Ă©nergies spirituelles vers un foyer dâamour transcendant , nous nous abandonnons aux forces du capitalisme et du consumĂ©risme. En regard de lâintelligence artificielle, en ce XXIe siĂšcle, la religion apparait comme le facteur le plus dĂ©terminant, et, sans elle, nous serons en proie Ă la peur et Ă la vulnĂ©rabilité » (p 187).
Dans ce monde engagĂ© dans une transformation tumultueuse, nous cherchons des repĂšres. Nous avons conscience que ce monde en mouvement est aussi pluriel. Des voix diffĂ©rentes se font entendre selon les milieux, selon les pays, selon les civilisations. Leurs tonalitĂ©s sont parfois trĂšs diffĂ©rentes. Comme nous avons conscience de vivre dans un monde commun, il est dâautant plus important de sâĂ©couter.
Ainsi avons-nous pu remarquer lâoriginalitĂ© de la dĂ©marche dâIlia Delio aux Etats-Unis. Dâorigine franciscaine, nourrie par un christianisme de la fraternitĂ©, son itinĂ©raire professionnel lui fait dĂ©couvrir lâextrĂȘme avancĂ©e de la recherche scientifique et technique actuelle. Elle suit la montĂ©e de lâintelligence artificielle, au sens large du terme puisque, pour en parler, elle remonte Ă la machine de Turing au milieu du XXe siĂšcle. Et comme on peut ĂȘtre Ă©merveillĂ©e par les beautĂ©s naturelles, elle est impressionnĂ©e par les fruits du gĂ©nie humain, en lâoccurrence par les vertus de lâintelligence artificielle. En sâĂ©levant Ă une dimension cosmique, elle rejoint la pensĂ©e de Teilhard de Chardin laquelle inspire toute sa thĂ©ologie. Câest une thĂ©ologie qui va de lâavant, Ă partir dâune comprĂ©hension des changements de mentalitĂ© et de ce qui peut en ĂȘtre interprĂ©tĂ© positivement, mais aussi et surtout Ă partir dâune vision de lâincarnation de Dieu et de sa prĂ©sence dans un mouvement des consciences, prĂ©lude Ă la victoire de lâamour divin dans la conscience globale et unifiĂ©e de la NoosphĂšre telle que lâenvisage Teilhard de Chardin.
Cette perspective peut susciter des rĂ©serves. Nous avons hĂ©sitĂ© Ă en rendre compte, Ă la diffĂ©rence de la plupart des articles publiĂ©s sur ce blog. Nous avons effectivement en mĂ©moire la critique sĂ©vĂšre de Jacques Ellul vis-Ă -vis des techniques et ses mises en garde Ă lâencontre des sociĂ©tĂ©s techniciennes (4). La crise Ă©cologique Ă laquelle nous assistons aujourdâhui comme une menace inĂ©galĂ©e pour lâhumanitĂ© et pour la biosphĂšre rĂ©sulte bien dâun usage effrĂ©nĂ© des techniques manifestant lâhubris dâune caste dirigeante. On pourrait Ă©voquer Ă©galement lâenfer des guerres technologiques. Et si la misĂšre endĂ©mique demeure dans certains pays du monde, on peut constater que des pays, dits avancĂ©s, sont en proie Ă de nouveaux maux pouvant ĂȘtre imputĂ©s au rĂ©gime capitaliste. Les Etats-Unis connaissent aujourdâhui une poussĂ©e de violence dominatrice.
Ce sont lĂ des rĂ©alitĂ©s qui nâapparaissent pas ou peu dans lâĂ©vocation de lâĂ©popĂ©e scientifique et technique qui est advenue, un temps au moins, aux Etats-Unis et que nous dĂ©crit Ilia Delio. Lâaccent est mis sur lâintelligence artificielle, un phĂ©nomĂšne qui, de son lieu dâorigine, sâest rĂ©pandu Ă lâĂ©chelle mondiale et est devenu une rĂ©alitĂ© majeure, un processus incontournable qui appelle la rĂ©flexion et au sujet duquel la recherche dâIlia Delio apporte une contribution particuliĂšrement Ă©clairante. Cependant, aprĂšs le tour dâhorizon sur cette dynamique, le terme post-humain parait dĂ©calĂ©, et aussi inquiĂ©tant. Cette contribution dâIlia Delio nâen reste pas moins Ă©clairante. En montrant comment la rĂ©cente avancĂ©e de la recherche fait tomber les sĂ©parations et les catĂ©gorisations indues dâun vieux monde et combien la nouvelle communication numĂ©rique, adossĂ©e Ă une nouvelle intelligence, permet une interrelation inĂ©galĂ©e qui peut entrainer, en certains cas, des effets de communion, Ilia Delio nous parait apporter une contribution majeure Ă la rĂ©flexion collective.
Cependant, cette Ă©tude peut aussi nous amener au constat que dans le mĂȘme monde dâaujourdâhui, dĂ©jĂ un Ă certains titres, des rĂ©alitĂ©s diffĂ©rentes se cĂŽtoient, diffĂ©rentes en fonction de la culture et de lâhistoire, peut-ĂȘtre mĂȘme en fonction des diffĂ©rents Ăąges de lâhumanitĂ©. Puisque Elia Delio Ă©tudie lâhistoire de lâhumanitĂ© selon la grille des pĂ©riodes axiales, ne peut-on se dire que leurs apports ne sâexcluent pas entiĂšrement et peuvent se cĂŽtoyer et peut-ĂȘtre sâenrichir mutuellement. Ainsi, la reconnaissance des peuples autochtones nous rappelle la prĂ©sence de lâinvisible. La dĂ©fense des droits humains est un hĂ©ritage dâune partie de la premiĂšre pĂ©riode axiale. Et si Elia Delio met en avant une avancĂ©e scientifique et technique, lâusage de cette avancĂ©e peut varier selon les civilisations et ne se rĂ©sume pas Ă la forme amĂ©ricaine.
La contribution dâElia Delio se dĂ©ploie et se reçoit Ă©galement sur un registre religieux et spirituel. Et câest dâabord Ă ce titre que nous avons dâabord relevĂ© son apport. Certes, le fil biblique ne semble pas apparaitre au premier plan de sa rĂ©flexion. Cependant, câest bien sur le fondement Ă©vangĂ©lique de lâincarnation quâelle se fonde et son regard sur lâavenir, en Ă©voquant la NoosphĂšre imaginĂ©e par Teilhard de Chardin, nous parait correspondre Ă la vision chrĂ©tienne dâune communion finale en terme de Nouvelle Terre.
Cette prĂ©sentation dâune partie de lâapproche dâIlia Delio, puisque ce texte nâen aborde quâune portion limitĂ©e, pourra donc ouvrir notre rĂ©flexion dans diffĂ©rents domaines en permettant des comprĂ©hensions nouvelles, en induisant des interrogations et des critiques, en gĂ©nĂ©rant une imagination constructive, un cheminement spirituel. Cependant, Ă lâheure oĂč, comme le fait remarquer Brian McLaren dans son livre âLife after Doomâ (5), dans une crise conjointement Ă©cologique et sociale, lâhumanitĂ© est aujourdâhui menacĂ©e par diffĂ©rentes formes dâeffondrement, les dĂ©rĂšglements actuels sont bien imputables Ă un hubris de lâhumain et des signes de cette dĂ©mesure apparaissent dans lâexpansion scientifique et technologique qui constitue le fer de lance de lâĂ©volution vers ce quâIlia Delio appelle le post-humain. On pourrait Ă©galement mettre en Ă©vidence la crise de la civilisation amĂ©ricaine dans laquelle sâinscrit cette Ă©volution. Cette crise est illustrĂ©e par la rĂ©cente et dangereuse Ă©lection de Donald Trump Ă la prĂ©sidence des Etats-Unis. Et, dans cette circonstance, lâhistorien, Yuval Noah Harari met en lumiĂšre les risques de la promotion de lâintelligence artificielle par son entourage (6). Certes, Ilia Delio met lâaccent sur la nĂ©cessitĂ© dâun Ă©veil religieux pour Ă©clairer lâexpansion de lâintelligence artificielle, ce quâelle appelle âla mobilisation des Ă©nergies spirituelles vers un foyer dâamour transcendantâ. Sâil y a bien un potentiel en ce sens, encore faudrait-il quâil prenne corps rapidement. La thĂšse dâIlia Delio ne nous parait pas dĂ©pourvue dâambiguĂŻtĂ©s. Mais, dans son originalitĂ©, elle mĂ©rite dâĂȘtre connue pour enrichir le dĂ©bat.
J H
- Center for Christogenesis https://christogenesis.org/
- Ilia Delio, Wikipedia : https://en.wikipedia.org/wiki/Ilia_Delio
- Ilia Delio. Re-enchanting the earth. Why AI needs religion. Orbis books, 2020
- Jacques Ellul Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Ellul
- Brian McLaren. Life after Doom. Wisdom and courage for a world falling apart. Hodder and Stoughton, 2024
- Les risques de lâintelligence artificielle, selon Yuval Noah Harari : https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/presidentielle/donald-trump/l-election-de-donald-trump-pourrait-signifier-la-chute-de-l-ordre-mondial-analyse-yuval-noah-harari-historien-aux-45-millions-de-livres-vendus_6883823.html