Apprendre à s’aimer

Une expérience de la relation

Selon Camille Syren

 Apprendre Ă  s’aimer. S’aimer soi-mĂȘme. S’aimer toi et moi. S’aimer entre nous, ensemble.

Si on ne s’aime pas soi-mĂȘme, comment peut-on recevoir le flux de l’amour et le rĂ©pandre autour de soi ? C’est une Ă©tape majeure, mais elle ne va pas de soi. Parce qu’elle peut rencontrer des oppositions dans un hĂ©ritage psychologique, et parce que, culturellement et religieusement, cette Ă©tape peut ĂȘtre sous-estimĂ©e, voire dĂ©niĂ©e.

Comment apprendre Ă  s’aimer ? Au fond de notre cƓur, nous savons bien que l’amour partagĂ© est la source qui porte la vie et qui fonde la communautĂ© humaine. Alors, quels chemins pouvons nous emprunter ? Quel bonheur lorsque, Ă  ce sujet, nous pouvons entendre  une parole authentique fondĂ©e sur une expĂ©rience personnelle ! Et justement, c’est ce que nous apprĂ©cions dans l’intervention de Camille Syren, en octobre 2017, Ă  TED X La Rochelle (1). Comment fait-on pour s’aimer soi-mĂȘme, toi et moi et tous ensemble ? C’est une question qui a Ă©tĂ© et qui est au cƓur de Camille. Il y a, dans ses paroles, non seulement une expĂ©rience murie et une rĂ©flexion construite, mais aussi un engagement affectif. Et, dans cette expression d’un amour vĂ©cu, il y a un courant qui passe. Accompagnons l’écoute de cette vidĂ©o par des notes qui vont nous permettre de mĂ©diter doublement Ă  partir de cette contribution.

 

 

Un chemin

« S’aimer (m’aimer), S’aimer (toi et moi). S’aimer (les uns les autres), c’est pareil. Et je crois que dans la vie, c’est pareil ». C’est tout un chemin. Pour Camille Syren, « Cela fait 43 ans de recherche appliquĂ©e. Le voyage certainement le plus intĂ©ressant et le plus utile que j’ai jamais fait. Ce qui m’amĂšne Ă  vous dire aujourd’hui que le bien le plus utile et le plus prĂ©cieux que j’ai, c’est justement mon aptitude Ă  aimer. Et la bonne nouvelle, c’est que cette aptitude s’apprend. Il n’y a pas ceux qui naissent avec et ceux qui naissent sans
 Apprendre Ă  tisser des relations de qualitĂ©, c’est de l’or en barre. On n’y croit pas assez. C’est puissant. Si il y avait une seule chose Ă  cultiver, c’est bien celle-ci ».

Dans la vie de Camille, il y a eu un dĂ©clic et puis, tout un processus s’est mis en marche. « Quand j’avais 14 ans, j’ai reçu de son auteur, un autocollant : « DĂ©claration des droits Ă  l’amour ». Quand j’ai lu cela, je me suis dit : « Ouah, je rĂȘve ! Si un jour, j’arrive Ă  faire cela ! ». Et du coup, je me suis dit : Si quelqu’un l’a Ă©crit, donc c’est possible. Et je dĂ©cide d’y croire. Je me suis dit aussi : je dĂ©cide d’y avoir droit. MĂȘme moi, qui avait Ă©tĂ© abimĂ©e, pour bien savoir aimer ou me laisser aimer. Et puis, troisiĂšme chose que je me suis dit : je veux savoir comment on fait. Et, depuis, je n’ai jamais arrĂȘtĂ© de chercher  ».

 

« La cabane à gratter » : une association de quartier

 Camille nous donne un premier exemple de l’esprit qui l’anime : sa participation à une association de quartier.

« La cabane Ă  gratter », c’est une petite association dans mon quartier que j’ai rencontrĂ© pour la premiĂšre fois, il y a quelques annĂ©es. InstallĂ©e sur le trottoir, une petite cahute en bois de toutes les couleurs. Quand j’ai fait connaissance, elle Ă©tait tenue par Gervais, un grand « black » avec un cƓur d’or, qui savait trĂšs bien s’y prendre pour faire de la place Ă  chacun, qui qu’il soit, d’oĂč qu’il vienne. Cette rencontre a accrochĂ© mon cƓur. Moi qui ai toujours eu Ă  cƓur de mettre de la diversitĂ© dans ma vie, dĂ©jĂ  pour mourir moins bĂȘte, car la rĂ©alitĂ© est toujours complexe. Alors, moi aussi, j’ai commencĂ© Ă  frĂ©quenter la cabane comme ces gens isolĂ©s du quartier, comme les personnes dĂ©racinĂ©es, en transition, loin de chez elle, comme il peut y en avoir dans un quartier de la gare.

Ce que j’ai aimĂ© dans « la cabane Ă  gratter », ce sont deux choses. Une petite phrase d’une habituĂ©e de la cabane : « Quand on ne gratte pas, on ne peut pas savoir ». Et bien, je trouve que c’est vrai pour tout. Ne jamais se contenter des apparences. En ce qui me concerne, en ce qui te concerne, en ce qui nous concerne. Toujours gratter un peu derriĂšre. On y trouve des pĂ©pites
 A la fin d’une fĂȘte de NoĂ«l, une des plus belles fĂȘtes de NoĂ«l que j’ai passĂ©, je rentre chez moi Ă  la maison avec mes enfants qui vont Ă  l’école, qui sont au chaud
 Depuis ma place Ă  moi, il n’est pas si simple d’ĂȘtre Ă  paritĂ©, de passer une fĂȘte de NoĂ«l avec quelqu’un qui a une histoire Ă  coucher dehors, pour de vrai, avec quelqu’un qui n’a plus rien, avec quelqu’un qui n’a personne autour de lui pour l’aimer
 Cette capacitĂ© d’ĂȘtre profondĂ©ment connectĂ© d’humain Ă  humain, quelque soient les statuts, ĂȘtre ensemble, c’est un plaisir profond. Des moments comme cela, il devrait y en avoir plus souvent ».

 

Apprendre Ă  vivre la rencontre

 Cependant, si on peut ĂȘtre prĂ©disposĂ© Ă  cette expĂ©rience de la rencontre, on a besoin aussi de s’y familiariser, de dĂ©velopper en nous cette aptitude, car « cette aptitude lĂ , elle se cultive ». Camille nous fait part de son apprentissage. Comment a-t-elle appris Ă  s’aimer, Ă  se rencontrer, Ă  rencontrer l’autre ?

« Je parle de traversĂ©e. Il ne suffit pas d’avoir des bottes de sept lieues. Il y a quelques passages obligĂ©s. Et la premiĂšre rencontre Ă  faire, c’est soi. Cela tombe bien, car pour se rencontrer, on a la matiĂšre premiĂšre la plus infinie qui existe, renouvelable, gratuite, hyperperformante, disponible tout le temps et chez tout le monde. Tout est lĂ  et tout est juste. C’est ma sensibilitĂ©. C’est votre sensibilitĂ©. RĂ©apprendre Ă  sentir. Apprendre quelque chose que je sens. Comprendre quelque chose que je sens et agir.

Mais il y a deux idées reçues qui me révoltent.

La premiĂšre, c’est qu’il y aurait des Ă©motions nĂ©gatives. Or, toutes les Ă©motions sont importantes. Cela rappelle le petit jeu pour guider une recherche : « Tu brĂ»les. Tu refroidis ». Si on ne disais que « tu brĂ»les » Ă  celui qui cherche, il pourrait chercher  longtemps ! De mĂȘme, dans la vie, on a besoin  des autres indications : traces de peur, de colĂšre, de tristesse. Toutes ces indications sont juste celles dont on a besoin pour aller vers la satisfaction suffisante de nos besoins. Et lĂ  est le plaisir. On appelle cela le plaisir chez les humains. Pas d’émotions nĂ©gatives. Elles sont toutes bonnes Ă  prendre. Et quand cela prend le tour d’une Ă©motion destructrice, voire violente, que ce soit pour soi-mĂȘme ou pour les autres, ce n’est pas une Ă©motion, c’est un mĂ©canisme de dĂ©fense. Ce n’est pas la mĂȘme chose. Et en gĂ©nĂ©ral, cela nous vient de loin et mĂȘme de trĂšs loin. Et les mĂ©canismes de dĂ©fense, on en a tous. C’est un court-circuit. Et cette zone d’ombre vulnĂ©rable, nous devons ĂȘtre capable de la respecter, de la regarder avec tendresse, car il n’y a que comme cela qu’elle nous dĂ©livrera l’information dont on a besoin pour pouvoir faire diffĂ©remment.

DeuxiĂšme idĂ©e reçue : Cela ne peut pas changer. Entendre cela me dĂ©sespĂšre. Quand j’entendais dire, Ă  14 ans, on ne peut pas changer, quelle bonne excuse pour ne pas bouger les lignes. Et les siennes d’abord ! »

Toi et moi

Apprendre à s’aimer, c’est un processus. C’est s’aimer soi, mais c’est aussi s’aimer, toi et moi.

« Une seconde rencontre Ă  faire : toi et moi. Que ce soit mon conjoint, mon voisin, mon boss, ma boulangĂšre
 Or, parfois, la diversitĂ© nous agace. Je ne sais pas si vous avez dĂ©jĂ  rempli le coffre d’une voiture avec votre compagne, votre compagnon
 On n’a pas la mĂȘme façon ! Cette deuxiĂšme rencontre, c’est dĂ©passer le « ou toi, ou moi » pour penser : « tout moi et tout toi ». Cela m’émerveille, car je vois que cela marche. Quand je suis « tout moi » et que je ne lĂąche pas ce moi, cela me laisse assez tranquille pour permettre Ă  l’autre d’ĂȘtre « tout toi ». Il y a quelque chose qui arrive que jamais je n’aurais inventĂ© tout seul et qu’il (elle) n’aurait jamais inventĂ© tout seul. C’est encore mieux qu’on aurait pu l’imaginer. Bienvenue dans la vraie vie, mais en mieux. C’est la rĂ©alitĂ© augmentĂ©e.

Assumer la diversitĂ©. Mais se rencontrer comme cela, c’est du courage. La premiĂšre chose dont vous devez vous Ă©quiper, c’est la sensibilitĂ©. Et puis, pour moi, j’aime quand cela marche et j’aime les gens. Et quand je dĂ©cide d’aimer quelqu’un, et bien, je dĂ©cide de ne pas lĂącher si facilement. Et, du coup, je m’occupe du « entre » en mettant de l’énergie dans le courage d’aller au contact et dire le bien. Quand vous voyez quelque chose de bon et que vous ne le dites pas, un compliment que vous retenez, il manque Ă  l’univers. C’est quelque chose de perdu pour l’univers.

Et puis, bien sĂ»r, il y a toujours des choses qui restent en touche, des tensions dont on ne s’est pas occupĂ© parce que : pas de temps, parce que : pas si important, parce que : autre chose Ă  faire. Et bien, quand cela reste en travers, c’est qu’il y a quelque chose Ă  faire. Sinon, cela pourrait bien se mettre en travers de ma santĂ©, en travers de notre relation, mettre Ă  distance »

 

Se rencontrer entre nous, ensemble

 Cette dynamique interpersonnelle débouche sur un mouvement de convivialité,  de vie commune, un vrai savoir-faire pour le vivre ensemble

« Se rencontrer, c’est se rencontrer soi-mĂȘme, se rencontrer toi et moi, se rencontrer entre nous. Quand on sait faire cela de mieux en mieux, cela se pratique, cela se dĂ©cide, cela se tisse. Se rencontrer entre nous, c’est plus complexe encore, car il y a un lien entre plusieurs personnes, toutes celles qui participent au collectif. Il va falloir s’occuper de chaque personne et s’occuper du « entre ». Si on sait bien faire cela, le rĂ©sultat dĂ©passe nos espĂ©rances.

Pourquoi cela se complique au moment oĂč on devient un collectif ? Parce qu’on vit lĂ  avec une question. On vient au monde avec une question. Quelle est ma place ? Trouver ma place dans ma famille mĂȘme si elle est toute petite, trouver ma place dans mon collectif d’amis, dans mon job, dans mon entreprise, dans mon association
 Et dĂšs que j’ai peur pour ma place, dĂšs que je ne suis pas sĂ»r d’en avoir une, les choses se crispent. Quand chacun dans un groupe ose prendre sa place, s’occupe du « entre » pour que chacun ait la permission rĂ©elle de prendre sa place, alors il y a un espace, un « truc magique » qui se passe, qui est : « il y a de la place pour tout le monde ».

         A partir de cette intelligence lĂ , Ă  la fois Ă©motionnelle, relationnelle, mais aussi une forme de saut dans le vide, ne pas avoir de plan prĂ©Ă©tabli au dĂ©part, quand on mise sur ce qu’on a, sur ce chacun aime, ses limites, ses handicaps, ses « pas possible », la complĂ©mentaritĂ© fera forcĂ©ment quelque chose de bien. C’est un sacrĂ© lĂącher prise par rapport Ă  notre envie de contrĂŽler, de savoir Ă  l’avance. Et cette attitude est valable aussi bien quand je pilote la campagne Ă  gratter que quand j’élabore ma stratĂ©gie d’entreprise : faire de la place Ă  chacun et, pour le reste, laisser faire l’univers. Et bien, ces choses lĂ , jamais l’intelligence artificielle ne pourra le faire Ă  notre place.

Savoir s’aimer, cela s’apprend, c’est notre bien le plus prĂ©cieux, alors cultivons-le ! ».

 

Un message Ă©mouvant, Ă©clairant, mobilisateur

 En rapportant les propos de Camille Syren dans les termes familiers oĂč elle nous communique son expĂ©rience personnelle, nous accompagnons ici sa parole par un Ă©crit pour nous permettre de mieux en apprĂ©cier la portĂ©e. Apprendre Ă  s’aimer dans tous les registres de la rencontre : s’aimer soi-mĂȘme, s’aimer toi et moi, s’aimer entre nous ensemble, pour Camille, cette visĂ©e se rĂ©alise Ă  travers un engagement personnel qui allie Ă©motion, observation et rĂ©flexion. C’est une dynamique qui se rĂ©pand, car si on apprend Ă  s’aimer, l’affection reçue peut y contribuer.

Nous sentons bien qu’il y a dans l’expĂ©rience de l’amour une dimension qui nous dĂ©passe et que nous pouvons Ă©voquer en des termes diffĂ©rents, par exemple, cet « univers » que Camille Syren nous invite Ă  « laisser faire » ou bien nous le prĂ©sente comme « nous appelant Ă  exprimer tout ce qui est bon ». Pour nous, nous nous reconnaissons dans la vision du monde du thĂ©ologien JĂŒrgen Moltmann lorsqu’il nous parle de « l’Esprit qui donne la Vie » : « L’essence de la crĂ©ation dans l’Esprit est « la collaboration » et les structures manifestent la prĂ©sence de l’Esprit dans la mesure oĂč elles font connaĂźtre « l’accord gĂ©nĂ©ral ». « Au commencement Ă©tait la relation » (Martin Buber) (2). L’amour est au coeur du message de JĂ©sus.

Cette intervention nous instruit sur bien des obstacles dont nous n’avons pas toujours conscience. Sans se rĂ©fĂ©rer directement Ă  des savoirs, comme des connaissances psychologiques ou l’approche de la communication non violente, Camille nous Ă©claire par une rĂ©flexion Ă  partir de son expĂ©rience personnelle, une rĂ©flexion que nous recevons d’emblĂ©e. Il y a dans ce tĂ©moignage l’expression d’une Ă©motion qui Ă©veille la nĂŽtre et nous met en mouvement. En suivant le chemin de l’amour vĂ©cu : s’aimer, toi et moi,  s’aimer entre nous, nous entrons dans une dynamique. C’est un souffle de vie.

J H

 

(1)            Comment on fait pour s’aimer ? Camille Syren TED x La Rochelle https://www.youtube.com/watch?v=i6ZmfE15LhY

(2)             Dans ce blog, nous faisons souvent appel Ă  l’éclairage de JĂŒrgen Moltmann. Citation p 25 (Dieu dans l’Univers, Cerf, 1988). JĂŒrgen Moltmann. L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999

 

Sur ce blog, voir aussi :

Lytta Basset. Oser la bienveillance : https://vivreetesperer.com/?p=1842

La raison pour laquelle le seul futur qui mĂ©rite d’ĂȘtre conçu inclut tout le monde (Pape François TED) : https://vivreetesperer.com/?p=2634

Une belle vie se construit avec de belles relations

https://vivreetesperer.com/?p=2491

On ne dit jamais assez aux gens qu’on aime qu’on les aime

https://vivreetesperer.com/?p=2224

Devenir plus humain. Une culture de l’amour, de l’accueil de l’autre, d’acceptation de la diffĂ©rence (Jean Vanier) : https://vivreetesperer.com/?p=2105

Se sentir aimĂ© pour s’accepter (Luc-Olivier Bosset) : https://vivreetesperer.com/?p=2100

Des petits riens de grande portée. La bienveillance au quotidien (Odile Hassenforder) : https://vivreetesperer.com/?p=1849

Face à la crise écologique, réaliser des transitions justes

Face à la crise écologique, réaliser des transitions justes

Une nouvelle pensée économique selon Eloi Laurent

Pour rĂ©aliser les transformations Ă©conomiques requises urgemment par la crise Ă©cologique, nous avons besoin de considĂ©rer l’économie sous un jour nouveau. C’est pourquoi Eloi Laurent nous propose un livre intitulé : « Économie pour le XXIe siĂšcle. Manuel des transitions justes » (1). Eloi Laurent est enseignant-chercheur Ă  l’OFCE/Sciences Po et Ă  Ponts Paris Tech et Ă  l’international ; il a enseignĂ© dans les universitĂ©s Harvard et Stanford. Il est donc bien placĂ© pour constater « la perplexitĂ© croissante des Ă©tudiants » vis-Ă -vis de l’enseignement d’une « économie aveugle Ă  l’écologie comme s’il s’agissait de deux mondes parallĂšles ».

« Économiste engagĂ© dans le dĂ©bat public, il jette ici un regard critique et constructif sur sa discipline ». « Ce manuel innovant propose une Ă©conomie pour le XXIe siĂšcle, qui intĂšgre dĂ©fis Ă©cologiques et enjeux sociaux : une Ă©conomie qui part de la biosphĂšre plutĂŽt que de la traiter comme une variable d’ajustement ; une Ă©conomie qui place au centre la crise des inĂ©galitĂ©s sociales plutĂŽt que l’obsession de la croissance ; une Ă©conomie organique en prise avec le vivant dont nous dĂ©pendons ; une Ă©conomie en dialogue avec les autres disciplines. En somme, une Ă©conomie mise au service des transitions justes qui ont pour but de prĂ©server notre planĂšte et nos libertĂ©s » (page de couverture).

Comme la prise de conscience Ă©cologique nous a appelĂ© Ă  Ă©tudier sur ce blog des pistes de transformation dans diffĂ©rents domaines, depuis l’économie (2) et la socio-politique (3) ou l’environnementalisme (4) jusqu’à la philosophie (5) et la spiritualitĂ© (6), cet ouvrage est particuliĂšrement bienvenu car il nous offre un chemin qui allie la prise en compte des effets mortifĂšres des inĂ©galitĂ©s et des politiques Ă©cologiques pour tracer le chemin de ‘transitions justes’.

Ce livre s’organise en deux grandes parties .« La premiĂšre partie prĂ©sente un cadre, une mĂ©thode et des outils pour insĂ©rer l’économie entre la rĂ©alitĂ© Ă©cologique et les principes de justice. La seconde partie applique cette approche social-Ă©cologique Ă  toutes les grandes questions de notre temps : la biodiversitĂ©, les Ă©cosystĂšmes, l’énergie, le climat, etc
 et donne Ă  voir tous les leviers d’action pour mener Ă  bien des transitions justes : Nations unies, Union europĂ©enne, gouvernement français, territoires, entreprises, communautĂ©s » (page de couverture). On se reportera Ă  ces diffĂ©rents champs d’étude. Nous introduirons ici le lecteur Ă  la maniĂšre dont Eloi Laurent prĂ©sente les attendus de la nouvelle Ă©conomie et l’approche sociale-Ă©cologique au cƓur de cette vision nouvelle

Ce que l’économie savait, ce qu’elle a oubliĂ©, ce qu’elle peut encore nous apprendre.

Pour rĂ©ussir la transition Ă©cologique, il serait bon de pouvoir Ă©clairer et guider les changements Ă©conomiques nĂ©cessaires par des savoirs Ă©conomiques. C’est lĂ  que l’auteur met en Ă©vidence le manque de pertinence des sciences Ă©conomiques actuelles. « L’économie standard s’est enfermĂ©e au cours des derniĂšres dĂ©cennies du siĂšcle prĂ©cĂ©dent dans une approche beaucoup trop Ă©troite de la coopĂ©ration sociale et du dĂ©veloppement humain, fixĂ©e sur des obsessions abstraites telle que l’efficacitĂ©, la rentabilitĂ© ou la croissance, qui la rendent trop inopĂ©rante aujourd’hui. Ce faisant, elle a mĂ©prisĂ© sa propre richesse, ignorĂ© son Ă©codiversitĂ©, et nĂ©gligĂ© de s’interroger sur les conditions de possibilitĂ© de l’activitĂ© Ă©conomique » (p 10).

Or, en remontant aux origines, puis dans l’histoire de l’économie politique, on dĂ©couvre que celle-ci a longtemps tenu grand compte des ressources naturelles et de l’environnement.

« Contrairement aux apparences contemporaines, il apparait que l’analyse Ă©conomique a dĂ©veloppĂ© trĂšs tĂŽt une double prĂ©occupation pour la justice et pour la question Ă©cologique et mĂȘme pour l’articulation de ces deux thĂ©matiques » (p 15). L’auteur remonte aux origines. L’économie a Ă©tĂ© inventĂ©e en GrĂšce, il y a 2500 ans par XĂ©nophon, propriĂ©taire administrant un domaine agricole, et par Aristote dans sa ‘Politique’. Chez Aristote, l’économie, c’est « la discipline de la sobriĂ©tĂ© au service des besoins essentiels. C’est donc une discipline qui concilie les besoins des humains avec les contraintes de leur environnement. Quand l’économie devient â€˜Ă©conomie politique’ Ă  l’époque moderne, les premiers « économistes font de la nature la source de la richesse et l’origine du pouvoir ». (p 15-16). C’est au XVIIIe siĂšcle qu’une pensĂ©e Ă©conomique Ă©merge Ă  nouveau. « Les premiers Ă©conomistes sont les physiocrates, un groupe de philosophes et de responsables politiques français. Ils ont Ă©tĂ© les premiers Ă  construire un modĂšle cohĂ©rent de reprĂ©sentation de l’économie oĂč les ressources naturelles jouaient un rĂŽle central. Les physiocrates nous aident Ă  comprendre le lien essentiel entre ressources naturelles, pouvoir politique et justice sociale. Cette analyse se prolonge avec les travaux de l’école classique anglaise » (p 16-19). L’auteur Ă©voque ici David Ricardo et John Stuart Mill. Alors qu’en 1848, la premiĂšre rĂ©volution industrielle atteint son pinacle, John Stuart Mill envisage un ralentissement de la croissance, un â€˜Ă©tat stationnaire’. « OĂč tendons nous ? A quel but dĂ©finitif la sociĂ©tĂ© marche-t-elle avec son progrĂšs industriel ?… Les Ă©conomistes n’ont pas manquĂ© de voir plus ou moins distinctement que l’accroissement de la richesse n’est pas illimité ; qu’à la fin de ce qu’on appelle l’état progressif se trouve l’état stationnaire  ». Et, dĂšs cette Ă©poque, il pressent et envisage la question Ă©cologique : « Si la terre doit perdre une grande partie de l’agrĂ©ment qu’elle doit aux objets, que dĂ©truirait l’accroissement continu de la richesse et de la population
 j’espĂšre sincĂšrement pour la postĂ©ritĂ© qu’elle se contentera de l’état stationnaire longtemps avant d’y ĂȘtre forcĂ©e par la nĂ©cessité ». Eloi Laurent commente ainsi : « La nature rĂ©volutionnaire du questionnement de John Stuart Mill sur les finalitĂ©s mĂȘmes de l’économie capitaliste libĂ©rale rĂ©side dans sa comprĂ©hension de l’impact profond que les sociĂ©tĂ©s humaines ont dĂ©jĂ , de son temps, sur la biosphĂšre ». D’une maniĂšre positive, John Stuart Mill prĂ©cise : « Ce ne sera que quand, avec de bonnes institutions, l’humanitĂ© sera guidĂ©e par une judicieuse prĂ©voyance, que les conquĂȘtes faites sur les forces de la nature par l’intelligence et l’énergie des explorateurs scientifiques deviendront la propriĂ©tĂ© commune de l’espĂšce et un moyen d’amĂ©liorer et d’élever le sort de tous » (p 41-42).

Eloi Laurent nous montre ensuite le tournant intervenu dans les sciences Ă©conomiques au XXe siĂšcle. D’aprĂšs Dani Rodrik, « l’économie serait diffĂ©rente des autres sciences sociales (et pour tout dire supĂ©rieure), du fait de sa maitrise des modĂšles, autrement dit de reprĂ©sentations simplifiĂ©es et opĂ©ratoires des comportements humains, lesquels permettraient d’identifier des relations causales. L’économie du XXe se serait ainsi progressivement singularisĂ©e par l’amĂ©lioration de ses techniques quantitatives, prenant appui sur la formalisation mathĂ©matique pour dĂ©velopper l’économĂ©trie, la thĂ©orie des jeux jusqu’à l’économie computationnelle et le big data d’aujourd’hui. En rĂ©alitĂ©, la question des instruments apparait secondaire dans l’émancipation de l’économie au XXe siĂšcle. La vĂ©ritable rupture n’est pas formelle mais substantielle : c’est la rupture avec la philosophie, l’éthique et la justice » (p 42). L’auteur rappelle que les enjeux de rĂ©partition et les principes de justice Ă©taient au cƓur de l’Ɠuvre des pĂšres fondateurs de ce qu’on a appelĂ© ‘l’économie politique’. Mais force est de constater que ces enjeux ont Ă©tĂ© marginalisĂ©s et finalement presque oblitĂ©rĂ©s dans les derniĂšres dĂ©cennies du XXe siĂšcle. Cet aveuglement progressif dans les travaux de l’école nĂ©oclassique a Ă©tĂ© aggravĂ© par la focalisation sur le court terme par l’approche keynĂ©sienne.

L’auteur met en Ă©vidence « la relĂ©gation de l’enjeu de la justice par rapport Ă  celui de l’efficacité » dans les publications en Ă©conomie Ă  partir de la fin du XIXe siĂšcle. Ce n’est qu’à partir des annĂ©es 2000 que « l’économie des inĂ©galitĂ©s a fait un retour remarqué ».

Eloi Laurent nous propose Ă©galement une histoire du dĂ©veloppement de l’économie de l’environnement Ă  partir du milieu du XIXe siĂšcle. Au dĂ©but des annĂ©es 1960, une Ă©conomie Ă©cologique Ă©merge comme une rĂ©ponse au dĂ©fi de la soutenabilitĂ© dĂ©jĂ  cristallisĂ© par la publication du rapport Brundtland publiĂ© dans le cadre d’une commission des Nations Unies en 1987, qui dĂ©finit pour la premiĂšre fois le ‘dĂ©veloppement soutenable’ (ou durable) comme « un mode de dĂ©veloppement qui rĂ©pond aux besoins des gĂ©nĂ©rations prĂ©sentes, sans compromettre la capacitĂ© des gĂ©nĂ©rations futures de rĂ©pondre aux leurs » (p 50).

Cependant, malgrĂ© les recherches sur l’économie de l’environnement pendant un siĂšcle et demi, cette discipline est encore nĂ©gligĂ©e dans le domaine de l’économie. « Dans leur grande majoritĂ©, les Ă©conomistes ignorent les questions environnementales, au double sens de l’inculture et de l’indiffĂ©rence » (p 50). Cette affirmation s’appuie sur un examen de la littĂ©rature Ă©conomique contemporaine. « Ce dĂ©sintĂ©rĂȘt est d’autant plus prĂ©judiciable que la transition Ă©cologique est dĂ©sormais un enjeu de sciences sociales : les sciences dures ont largement ƓuvrĂ© pour rĂ©vĂ©ler l’ampleur et l’urgence des crises Ă©cologiques ». Aujourd’hui, « ce sont les sciences sociales, dont l’économie, qui dĂ©tiennent la clĂ© des problĂšmes que les sciences dures ont rĂ©vĂ©lĂ©s » (p 56).

 

Une approche sociale-Ă©cologique

Pour des transitions justes.

Un constat s’impose aujourd’hui : les ravages provoquĂ©s par la montĂ©e croissante des inĂ©galitĂ©s. « Nos sociĂ©tĂ©s sont devenues de plus en plus inĂ©galitaires., fragmentĂ©es et polarisĂ©es au cours des quarante derniĂšres annĂ©es tandis que les dĂ©gradations environnementales s’accĂ©lĂ©raient pour atteindre des niveaux inĂ©dits. La crise des inĂ©galitĂ©s et les crises Ă©cologiques marchent du mĂȘme pas. Les 35 pays considĂ©rĂ©s comme les plus riches, qui ne reprĂ©sentent que 15% de la population mondiale sont ainsi responsables de75% de la consommation dĂ©mesurĂ©e des ressources naturelles depuis 1970. Et la moitiĂ© des Ă©missions de CO2 depuis 1990 est le fait de seulement 10% des humains » (p 8). « Nos systĂšmes sociaux – Ă  commencer par nos systĂšmes Ă©conomiques – sont devenus autodestructeurs et l’aviditĂ© d’une partie des humains est devenue prĂ©judiciable Ă  la poursuite de l’avenir de l’humanitĂ©. C’est pourquoi nous devons trouver un moyen d’inverser la spirale social-Ă©cologique vicieuse dans laquelle nous sommes pris » (p 9).

C’est dans cette perspective qu’Eloi Laurent met en Ă©vidence le rapport rĂ©ciproque entre les inĂ©galitĂ©s et les effets de la crise Ă©cologique.

« ° La non-transition Ă©cologique – c’est-Ă -dire la situation actuelle dans laquelle les crises Ă©cologiques s’aggravent sans trouver de rĂ©ponse adĂ©quate – est gĂ©nĂ©ratrice d’inĂ©galitĂ©s sociales qui touchent d’abord les plus dĂ©munis.

° La nĂ©cessaire rĂ©duction des inĂ©galitĂ©s sociales peut attĂ©nuer les crises Ă©cologiques et rĂ©ciproquement les politiques de transition Ă©cologique peuvent rĂ©duire les inĂ©galitĂ©s sociales et amĂ©liorer le bien-ĂȘtre des plus dĂ©munis.

° On peut concevoir des politiques social-Ă©cologiques qui, aujourd’hui, comme dans la durĂ©e, rĂ©duisent simultanĂ©ment les inĂ©galitĂ©s sociales et les dĂ©gradations environnementales » (p 100).

Eloi Laurent consacre un chapitre Ă  l’approche social-Ă©cologique (p 74-98). Il y aborde en premier les questions relatives Ă  la gestion des communs : « De la tragĂ©die des communs Ă  la gouvernance des communs ». Mal gouvernĂ©s, les communs peuvent dĂ©gĂ©nĂ©rer. C’est ainsi qu’en 1968, Garett Hardin Ă©voque ‘la tragĂ©die des communs’. L’image est celle de « bergers Ă©puisant le pĂąturage qu’ils partagent sans le possĂ©der, faute de s’en rĂ©partir Ă©quitablement l’usage ». Hardin propose comme remĂšde « soit de privatiser la ressource naturelle, soit d’instituer ‘une coercition rĂ©ciproque par acceptation mutuelle’, autrement dit de recourir Ă  un autoritĂ© centrale qui monopolisera le pouvoir de choisir et qui ressemble fort Ă  un gouvernement dictatorial » (p 75). Pendant les dĂ©cennies qui suivirent, l’article de Hardin « fut annexĂ© par une pensĂ©e nĂ©olibĂ©rale en plein essor qui en fait l’emblĂšme de sa lutte en faveur de la propriĂ©tĂ© exclusive comme seul outil rationnel de gestion des ressources » (p 75).

Cependant, si on a dĂ©crit deux solutions Ă  la ‘tragĂ©die des communs’ : la centralisation politique ou la privatisation, une troisiĂšme option apparait : « une rĂ©volution des communs dont Ostrom est le porte-Ă©tendard ». « Les travaux d’Ostrom et de ses nombreux coauteurs vont dĂ©montrer que les institutions qui permettent la prĂ©servation des ressources par la coopĂ©ration sont engendrĂ©es par les communautĂ©s humaines elles-mĂȘmes et pas par l’État, ni par le marchĂ©. Des centaines de gouvernances dĂ©centralisĂ©es Ă©vitent, partout dans le monde et depuis des millĂ©naires, la tragĂ©die des communs en permettant l’exploitation soutenable de toutes sortes de ressources : eau, forĂȘts, poissons, etc » (p 78). En exemple, le partage de l’eau depuis le dĂ©but de l’agriculture, il y a 10000 ans
 « Ces principes de gouvernement Ă©cologique Ă©manent des communautĂ©s humaines elles-mĂȘmes, pas d’une autoritĂ© extĂ©rieure ». Toutes les informations sont ainsi Ă  portĂ©e et nourrissent l’action. Quant Ă  elle, la privatisation engendre l’inĂ©galitĂ©.

« Dans ce cadre d’analyse, on voit clairement l’importance de la relation – horizontale, mais souvent nĂ©gligĂ©e – entre prĂ©servation naturelle et confiance. Ce n’est donc pas un hasard si Ostrom a aussi contribuĂ© de maniĂšre dĂ©cisive Ă  la littĂ©rature sur la confiance en lien avec la coopĂ©ration » (p 78). « Selon Ostrom, les individus qui coopĂšrent sont capables d’apprendre des autres ; Ils se souviennent des comportements de coopĂ©ration et plus gĂ©nĂ©ralement de la fiabilitĂ© des personnes auxquelles ils ont affaire ; ils utilisent leur mĂ©moire et d’autres indices
 pour Ă©valuer la fiabilitĂ© de leurs partenaires dans l’échange, avant de leur accorder leur confiance ; ils s’efforcent de se bĂątir une rĂ©putation de fiabilité  ils adoptent des horizons temporels qui excĂšdent le passĂ© immĂ©diat
 La coopĂ©ration est une quĂȘte de connaissances partagĂ©es » (p 79). Ainsi, « grĂące Ă  Ostrom, on sait maintenant que des institutions communes enracinĂ©es dans des principes de justice, mĂȘme rĂ©duites Ă  leur plus simple expression, favorisent les comportements coopĂ©ratifs. La thĂ©orie des communs d’Ostrom constitue donc la premiĂšre matrice de l’approche sociale-Ă©cologique » (p 80).

L’approche sociale-Ă©cologique considĂšre la relation rĂ©ciproque entre dynamique sociale et dynamique environnementale en se concentrant sur le caractĂšre imbriquĂ©e des deux crises qui caractĂ©risent le dĂ©but du XXIe siĂšcle. A cet Ă©gard, l’approche sociale-Ă©cologique fonctionne Ă  double sens : les inĂ©galitĂ©s sociales alimentent les crises Ă©cologiques tandis que les crises Ă©cologiques aggravent Ă  leur tour les inĂ©galitĂ©s sociales » (p 80).

« L‘impact social des crises Ă©cologiques n’est pas le mĂȘme pour les diffĂ©rents individus et groupes compte tenu de leur statut socio-Ă©conomique » (p 81). L’auteur Ă©tudie l’incidence des riches et des pauvres sur l’environnement. « Du cĂŽtĂ© des riches, le sociologue Thomas Veblen a montrĂ© dans sa ‘ThĂ©orie de la classe de loisir’ que le dĂ©sir de la classe moyenne d’imiter les modes de vie des classes les plus favorisĂ©es peut conduire Ă  une Ă©pidĂ©mie culturelle de dĂ©gradations environnementales ». C’est l’attrait d’une ‘consommation ostentatoire’. Dans un autre registre, Indira Gandhi faisait remarquer que dans les pays les plus dĂ©munis, « la pauvretĂ© conduit Ă  des dĂ©gradations environnementales du fait de l’urgence sociale ». La richesse des pays pauvres du monde rĂ©sidant d’abord dans les ressources naturelles, ils sont contraints Ă  y puiser excessivement. « L’éradication de la pauvretĂ© est donc souhaitable non seulement socialement, mais aussi sur le plan environnemental, Ă  condition qu’elle ne prenne pas la forme d’un rattrapage consumĂ©riste, mais s’inscrive dans une redĂ©finition de la richesse globale » (p 83). « Les inĂ©galitĂ©s augmentent le besoin d’une croissance Ă©conomique nĂ©faste pour l’environnement et socialement inutile
 Si l’accumulation de richesse dans un pays donnĂ© est accaparĂ©e par une petite fraction de la population, le reste de la population rĂ©clamera une croissance Ă©conomique supplĂ©mentaire pour que son niveau de vie ne stagne pas ». Et, dans l’état actuel des choses, ce surplus de croissance « se traduira par davantage de dĂ©gradations environnementales ».

Comment rĂ©duire les inĂ©galitĂ©s ? « Par dĂ©finition, il existe deux maniĂšres de les rĂ©duire: du bas vers le haut ou du haut vers le bas. RĂ©duire les niveaux des groupes des plus riches de la population mondiale (les 10% qui Ă©mettent un peu moins de la moitiĂ© du CO2 mondial, d’aprĂšs les analyses du GIEC en 2022) via une fiscalitĂ© adĂ©quate se traduira logiquement par d’importantes rĂ©ductions d’émission. De plus, les biens de ‘luxe’ engendrent beaucoup plus d’émissions de carbone que les biens de ‘nĂ©cessité’ (p 86).

Dans ce cadre, veiller Ă  une transition juste : « Dans l’Union europĂ©enne, alors que les Ă©missions par habitant ont baissĂ© en moyenne de l’ordre de 25% entre 1990 et 2013, les Ă©missions de 1% des plus riches ont augmentĂ© de 7% (principalement sous l’effet du transport aĂ©rien et, dans une moindre mesure, terrestre) tandis que celles des 50% des plus pauvres ont baissĂ© de 32%. Nous vivons donc une transition injuste dans le continent le plus avancĂ© dans l’attĂ©nuation de la crise climatique » (p 87).

De plus, « Les inĂ©galitĂ©s augmentent l’irresponsabilitĂ© Ă©cologique des plus riches Ă  l’intĂ©rieur de chaque pays et entre les nations ». On constate ainsi que le dommages environnementaux (activitĂ©s polluantes, dĂ©chets) sont souvent affectĂ©s aux zones pauvres. « Les inĂ©galitĂ©s, qui affectent la santĂ© des individus et des groupes, diminuent la rĂ©silience social-Ă©cologique des communautĂ©s et des sociĂ©tĂ©s, et affaiblissent leur capacitĂ© collective Ă  s’adapter Ă  l’accĂ©lĂ©ration du changement environnemental global ». « Un important corpus de recherches
 a confirmĂ© l’impact nĂ©gatif des inĂ©galitĂ©s sociales sur la santĂ© physique et mentale aux niveaux local et national (via le stress, la violence, un moindre accĂšs aux soins de santĂ© etc.) » (p 91). Selon Paul Farmer, l’inĂ©galitĂ© constitue un « flĂ©au moderne » sur le plan sanitaire aussi redoutable que les agents infectieux. De mĂȘme, la dynamique des inĂ©galitĂ©s sociales influe sur la rĂ©silience ou au contraire la vulnĂ©rabilitĂ© des populations exposĂ©es Ă  de grands chocs. Et de plus, « Les inĂ©galitĂ©s entravent l’action collective visant Ă  prĂ©server les ressources naturelles
 De nombreuses Ă©tudes ont montrĂ© comment l’inĂ©galitĂ© nuit Ă  la gestion durable des ressources communes car elle perturbe, dĂ©moralise et dĂ©sorganise le communautĂ©s humaines » (p 92). De mĂȘme, « les inĂ©galitĂ©s rĂ©duisent l’acceptabilitĂ© politique des prĂ©occupations environnementales et la possibilitĂ© de compenser les effets socialement rĂ©gressifs potentiels des politiques environnementales » (p 94).

 

Les horizons de la transition juste

« L’approche sociale-Ă©cologique, dont on vient de dĂ©tailler les deux facettes, trouve depuis quelques annĂ©es une traduction institutionnelle porteuse d’avenir dans l’idĂ©e de ‘transition juste’ qui monte en puissance dans le champ acadĂ©mique et dans la sphĂšre politique. Ainsi, lors de la Cop 26 (novembre 2021), plusieurs chefs dâ€˜Ă©tat et de gouvernement ont co-signĂ© une dĂ©claration sur « la transition internationale juste » (p 96). Eloi Laurent nous rapporte l’évolution de cette notion. « Elle est nĂ©e au dĂ©but des annĂ©es 1990 dans les milieux syndicalistes amĂ©ricains comme un projet social dĂ©fensif visant Ă  protĂ©ger les travailleurs des industries fossiles des consĂ©quences des politiques climatiques sur leurs emplois et leurs retraites ». Ce projet a trouvĂ© par la suite un Ă©cho dans d’autres contextes. « Dans cette perspective dĂ©fensive, ce sont les politiques de transition qu’il s’agit de rendre justes. Or l’amplification des chocs Ă©cologiques (inondations, sĂ©cheresses, pandĂ©mies, etc.), indĂ©pendamment des politiques d’attĂ©nuation qui seront mises en Ɠuvre pour y faire face, appelle une dĂ©finition plus large et plus positive de la transition juste. Cet Ă©largissement a Ă©tĂ© entamĂ© sous l’influence de la ConfĂ©dĂ©ration internationale des syndicats, puis de la confĂ©dĂ©ration europĂ©enne des syndicats, qui ont fait Ă©voluer la transition juste vers une tentative de conciliation de la lutte contre le dĂ©rĂšglement climatique et la rĂ©duction des inĂ©galitĂ©s sociales, autour du thĂšme des « emplois verts »  Eloi Laurent se rĂ©jouit de cette Ă©volution, mais appelle Ă  aller encore plus loin. « Il convient d’élargir encore le projet de transition juste en prĂ©cisant ses exigences et surtout en s’efforçant de la rendre opĂ©ratoire de maniĂšre dĂ©mocratique
 La transition juste ne doit plus seulement s’entendre comme un accompagnement social ou une compensation financiĂšre des politiques d’attĂ©nuation des crises Ă©cologiques, mais plus largement comme une stratĂ©gie de transition social-Ă©cologique intĂ©grĂ©e » (p 97).

Eloi Laurent formule en conclusion trois exigences:

1) analyser systĂ©matiquement les chocs Ă©cologiques et les politiques correspondantes, sous l’angle de la justice sociale


2) accorder la prioritĂ© dans les politiques de transition juste au bien-ĂȘtre humain dynamique Ă©clairĂ© par des enjeux de justice en vue de dĂ©passer l’horizon de la croissance Ă©conomique
 Ce dĂ©passement de la croissance Ă©conomique est en train de devenir un Ă©lĂ©ment de consensus dans la communautĂ© globale environnementale

3) construire ces politiques de transition juste de maniĂšre dĂ©mocratique en veillant Ă  la comprĂ©hension, Ă  l’adhĂ©sion et Ă  l’engagement des  citoyens  » (p 98).

Eloi Laurent présente ensuite la palette des transitions justes.

En Ă©conomiste ouvert Ă  un vaste horizon, Eloi Laurent nous apprend beaucoup sur la transition, un leitmotiv de notre Ă©poque. C’est ainsi que nous avons dĂ©couvert son approche dans un podcast du journal Le Monde : « Comment rendre la transition heureuse », une approche qui nous a paru particuliĂšrement ajustĂ©e (7). En prĂ©sentant ce livre : « Manuel des transitions justes », nous n’en rendons compte que d’une petite part, car cet ouvrage aborde toute une gamme de questions relatives Ă  la transition depuis : « la transition vers la prĂ©servation du monde vivant », « la transition vers la coopĂ©ration et le bien-ĂȘtre » jusqu’à la « transition vers la pleine santé ». Il nous apparait ainsi comme une piĂšce marquante d’un des quelques thĂšmes que nous abordons sur ce blog. Certes, son propos est dense, mais il est accessible et, manifestement, il aborde la question majeure de la transition Ă©cologique sous un angle qui nous parait Ă  la fois Ă©thique et rĂ©aliste, cette « transition juste » qui se dĂ©ploie dans une approche « social-Ă©cologique ».

J H

 

(1)  Eloi Laurent. Économie pour le XXIe siĂšcle. Manuel des transitions justes. La DĂ©couverte, 2023

(2) Sortir de l’obsession de l’efficience pour entrer dans un nouveau rapport avec la nature : https://vivreetesperer.com/sortir-de-lobsession-de-lefficience-pour-entrer-dans-un-nouveau-rapport-avec-la-nature/ Vers une civilisation Ă©cologique : https://vivreetesperer.com/vers-une-civilisation-ecologique/

Vers une économie symbiotique : https://vivreetesperer.com/vers-une-economie-symbiotique/

(3) Face à une accélération et à une chosification de la société : https://vivreetesperer.com/face-a-une-acceleration-et-a-une-chosification-de-la-societe/

Comment la puissance technologique n’engendre pas nĂ©cessairement le progrĂšs : https://vivreetesperer.com/comment-la-puissance-technologique-nengendre-pas-necessairement-le-progres/

(4) L’humanitĂ© peut-elle faire face au dĂ©rĂšglement des Ă©quilibres naturels ? : https://vivreetesperer.com/lhumanite-peut-elle-faire-face-au-dereglement-des-equilibres-naturels/

(5) Les lumiùres à l’ñge du vivant : https://vivreetesperer.com/des-lumieres-a-lage-du-vivant/

(6) Réenchanter notre relation au vivant : https://vivreetesperer.com/reenchanter-notre-relation-au-vivant/ Ecospiritualité : https://vivreetesperer.com/ecospiritualite/

(7) Comment rendre la transition heureuse ? le Monde. Eloi Laurent : https://podcasts.lemonde.fr/chaleur-humaine/202404090500-climat-comment-rendre-la-transition-heureuse

 

Comment la reconnaissance et la manifestation de l’admiration et de l’émerveillement exprimĂ©es par le terme : « awe », peut transformer nos vies

A certains moments, dans certaines circonstances, nous ressentons une irruption de beautĂ©, un passage oĂč nous sommes subjuguĂ©s par un sentiment d’admiration et d’émerveillement, la manifestation d’une rĂ©alitĂ© qui nous dĂ©passe. Dans la langue anglaise, il y a un terme qui dĂ©signe cette situation et l’émotion qui l’accompagne : « awe ». Certes, ce terme vient de loin et il vĂ©hicule des connotations diffĂ©rentes, mais, dans cette histoire, il s’est dĂ©gagĂ© des ombres qui l’accompagnaient. Et aujourd’hui, cette « awe » attire l’attention des chercheurs en psychologie soucieux de contribuer au « Greater good », au meilleur bien. Il Ă©voque aussi un ressenti de transcendance qui s’inscrit dans une histoire religieuse et qui, aujourd’hui, se manifeste dans un champ plus vaste jusqu’à une reconnaissance possible dans la quotidiennetĂ©. Dans ce contexte, vient de paraĂźtre un livre Ă©crit par Dacher Keltner, professeur de psychologie Ă  l’universitĂ© de Berkeley (Californie), Ă©galement directeur au « Greater Good Centre » (1) ; cet ouvrage nous rapporte une avancĂ©e de la recherche en ce domaine : « Awe. The new science of everyday wonder and how it can transform your life » (L’admiration. La nouvelle science du merveilleux au quotidien et comment elle peut transformer votre vie ») (2).

 

« Awe » : des significations en évolution

« Awe » est un terme apparu en vieil anglais au Moyen Age. A l’époque, il traduit un sentiment de crainte et mĂȘme de peur, voire de terreur par rapport Ă  une manifestation de puissance et d’étrangetĂ©. On peut imaginer de telles rĂ©actions dans un contexte marquĂ© par un climat de violence et un manque de savoir. A titre d’exemple, la foudre n’est plus perçue aujourd’hui comme hier. Comme l’a Ă©crit le chercheur Rudolf Otto, l’expression du sacrĂ© peut ĂȘtre redoutĂ©e. Cependant, l’emploi du terme « awe » dans le vocabulaire chrĂ©tien a portĂ© une signification diffĂ©rente, celle d’une admiration respectueuse vis Ă  vis de la grandeur de Dieu, parfois dĂ©crite comme « une crainte rĂ©vĂ©rencielle, manifestation de transcendance, un ressenti d’un dĂ©passement ». Aussi, la traduction de « awe » en français manifeste toute une gamme de sens : admiration, Ă©merveillement, Ă©bahissement, extase, crainte rĂ©vĂ©rencielle
 Le phĂ©nomĂšne varie en intensitĂ©. Il peut se manifester d’une maniĂšre bouleversante comme dans les « peak experiences » (les expĂ©riences de sommet ) dĂ©crites dĂšs les annĂ©es 1960 par Abraham Maslow, ou bien selon une autre terminologie par « un sentiment ocĂ©anique ». Mais si ces expĂ©riences sont toujours remarquables, elles peuvent se manifester sur un mode beaucoup plus courant et familier comme le livre de Dacher Keltner vient nous le montrer abondamment.

 

L’évolution de la recherche en psychologie

Si la recherche concernant les expĂ©riences religieuses et spirituelles est marquĂ©e aux Etats-Unis par la personnalitĂ© du philosophe et psychologue amĂ©ricain Williams James au  dĂ©but du XXe siĂšcle, et si elle a Ă©tĂ© poursuivie par des personnalitĂ©s comme Alister Hardy (3) en Angleterre dans les annĂ©es 1970, la recherche concernant le phĂ©nomĂšne de la « awe » est beaucoup plus tardive et s’inscrit dans un autre contexte. Dacher Keltner nous en prĂ©sente le dĂ©veloppement.

Dans les annĂ©es 1980, la psychologie Ă©tait dominĂ©e par la « rĂ©volution cognitive ». Dans ce contexte, chaque expĂ©rience humaine, du jugement moral Ă  la manifestation des prĂ©jugĂ©s, Ă©tait abordĂ©e dans une maniĂšre oĂč notre pensĂ©e, comme un programme d’ordinateur, traitait les unitĂ©s d’information dans un processus dĂ©pourvu d’émotions. Les Ă©motions n’étaient pas prises en compte dans la comprĂ©hension de la nature humaine. Longtemps, les Ă©motions ont Ă©tĂ© perçues comme infĂ©rieures et venant troubler notre raison, la part Ă©levĂ©e de notre nature, considĂ©rĂ©e comme la plus haute manifestation de notre humanitĂ©. Les Ă©motions fugaces et subjectives ne pouvaient ĂȘtre observĂ©es en laboratoire. C’est alors qu’un article de l’anthropologue Paul Eckman a renversĂ© la vapeur en mettant en Ă©vidence l’importance des Ă©motions et la nĂ©cessitĂ© ainsi que la possibilitĂ© de les Ă©tudier. Il avait auparavant parcouru la planĂšte et dĂ©montrĂ© qu’il existait des Ă©motions universelles, six au total : la colĂšre, la peur, le dĂ©goĂ»t, la joie, la tristesse, la surprise. Elles sont reconnaissables par des mimiques caractĂ©ristiques. De jeunes chercheurs s’engagĂšrent sur cette piste et ils Ă©largirent le champ des Ă©motions Ă©tudiĂ©es, y ajoutant l’amusement, la gratitude, l’amour et l’orgueil. Dans son laboratoire, Dacher Keltner a lui-mĂȘme travaillĂ© sur le rire, la gratitude, l’amour, le dĂ©sir et la sympathie. En rĂ©action par rapport Ă  la rĂ©volution cognitive, une rĂ©volution de l’émotion Ă©tait en cours. On a ainsi mis en avant l’étude d’une intelligence Ă©motionnelle.

Ici Dacher Keltner s’interroge. Pourquoi l’étude de la « awe » ne s’est-elle pas inscrite dans ce grand mouvement de recherche alors que l’« awe » est une Ă©motion qui est Ă  la source de tant de choses humaines : « musique, art, religion, science, politique et intuitions transformatrices au sujet de la vie ». Les raisons de cette omission sont pour une part mĂ©thodologiques. La « awe » ne se prĂȘte pas Ă  la mesure. Comment l’étudier dan un laboratoire ? Il y avait aussi une barriĂšre thĂ©orique. Quand la science des Ă©motions s’est dĂ©veloppĂ©e, c’était dans le contexte de l’esprit du temps qui envisageait les Ă©motions comme tournĂ©es vers la protection de soi, rĂ©duisant les dangers et accroissant les gains compĂ©titifs pour les individus. En contraste, la « awe » semble nous orienter vers un dĂ©vouement portĂ© au delĂ  de soi, vers un service et un sacrifice. C’est le sentiment que les frontiĂšres entre nos mois individuels et les autres peuvent se dissoudre facilement, que notre vraie nature est collective. Ces qualitĂ©s ne correspondaient pas Ă  la conception de la nature humaine hyper individualiste, matĂ©rialiste, qui dominait Ă  l’époque. Et de plus, certains craignaient d’engager leur pratique scientifique dans un domaine oĂč les expĂ©riences peuvent s’exprimer en termes religieux.

 

Développement de la recherche sur la « awe »

Lorsque la recherche sur les Ă©motions a commencĂ© Ă  aborder le champ des Ă©motions positives, en 2003, Dacher Keltner et un de ses collĂšgues, Jonathan Haig ont commencĂ© Ă  travailler pour Ă©laborer une dĂ©finition de la « awe ». A l’époque, il y avait seulement quelques articles concernant ce sujet. Il manquait une dĂ©finition. Dave Keltner rapporte comment ils ont Ă©tudiĂ© une vaste littĂ©rature, de mystiques Ă  des anthropologues et Ă  un sociologue comme Max Weber. Et il en est rĂ©sultĂ© la dĂ©finition suivante : la « Awe » est le sentiment de la prĂ©sence de quelque chose d’immense qui transcende votre comprĂ©hension habituelle du monde ». L’immensitĂ© (« vastness ») peut ĂȘtre perçue tant dans l’espace que dans le temps ou bien encore dans le monde des idĂ©es « lorsqu’une Ă©piphanie intĂšgre des croyances dispersĂ©es en une thĂšse cohĂ©rente ». L’immensitĂ© peut ĂȘtre dĂ©stabilisante. Elle entraine la recherche de nouvelles formes de comprĂ©hension. La « awe » porte sur les grands mystĂšres de la vie. Il y a des variations innombrables. Comment change-t-elle d’une culture Ă  une autre, ou d’une pĂ©riode de l’histoire Ă  une autre, ou d’une personne Ă  un autre ? Ou bien mĂȘme d’un moment de votre vie Ă  un autre ? Le sens change selon les contextes, et ces contextes sont extrĂȘmement divers.

Lorsqu’au dĂ©but du XXe siĂšcle, le grand psychologue amĂ©ricain William James s’engagea dans une recherche pour comprendre la « awe » mystique, il ne procĂ©da pas Ă  des expĂ©rimentations ou Ă  des mesures. Il rassembla des rĂ©cits : des rĂ©cits personnels, Ă  la premiĂšre personne, de rencontres avec le divin, des rĂ©cits de conversions religieuses, d’épiphanies spirituelles
 Et en dĂ©couvrant des configurations dans ces rĂ©cits, il mit en lumiĂšre « le cƓur de la religion dans son rapport avec la « awe » mystique, une expĂ©rience Ă©motionnelle ineffable d’ĂȘtre en relation avec ce que nous considĂ©rons divin ».

Dacher Keltner s’est donc engagĂ© avec le professeur Yang Bai dans une grande enquĂȘte internationale Ă  l’échelle mondiale en vue de rassembler des rĂ©cits de personnes dĂ©crivant une expĂ©rience de « awe » selon la dĂ©finition choisie : « Etre en prĂ©sence de quelque chose de vaste et de mystĂ©rieux qui transcende votre comprĂ©hension habituelle du monde ». Les participant venaient de toutes les religions ou de sans-religions. Ils appartenaient Ă  des cultures diffĂ©rentes avec une grande diversitĂ© de conditions sociales et de conditions d’éducation. 2600 rĂ©cits ont Ă©tĂ© traduits Ă  partir de vingt langues.

(Ce chapitre et le précédent sont écrits à partir des pages du livre 4 à 12).

 

Les huit merveilles de la vie

Qu’est-ce qui allait ressortir de cette moisson ? Dacher Keltner a Ă©tĂ© heureusement surpris de pouvoir classer ces rĂ©cits en huit groupes aboutissant Ă  une taxonomie en huit merveilles. De fait, le champ des expĂ©riences de « awe » est trĂšs vaste et ne se rĂ©duit pas Ă  des situations privilĂ©giĂ©es comme l’admiration de la nature. Qu’est ce qui amĂšne le plus communĂ©ment les gens Ă  ressentir de l’admiration ? C’est la beautĂ© morale qui s’exprime dans des actions oĂč se marquent une puretĂ© et une bontĂ© de l’intention. Une attention particuliĂšre est accordĂ©e au courage.

Une seconde merveille de la vie est l’effervescence collective, un terme introduit par le sociologue français Emile Durkheim dans son analyse du cƓur de la religion. Il y aurait une force de vie qui porterait les gens dans une conscience collective, un sens ocĂ©anique du « nous ». Les rĂ©cits portent sur des Ă©vĂšnements familiaux, religieux, sportifs, politiques


La troisiĂšme merveille de la vie, c’est la nature. Les phĂ©nomĂšnes naturels impressionnent. « Les expĂ©riences dans les montagnes, la vue des canyons, la marche parmi des arbres majestueux, une course Ă  travers des dunes de sable, une premiĂšre rencontre avec l’ocĂ©an suscitent de la « awe ». Ces expĂ©riences s’accompagnent frĂ©quemment du sentiment que les plantes et les animaux sont conscients, une idĂ©e rĂ©pandue dans les traditions indigĂšnes.

La musique apparaĂźt comme la quatriĂšme merveille de la vie, car elle transporte les gens dans de nouvelles dimensions de signification symbolique Ă  travers l’expĂ©rience de concerts, de l’écoute tranquille d’un morceau de musique, du chant dans des temps religieux ou tout simplement avec d’autres. On connait l’importance de la musique dans la culture actuelle.

Les rĂ©alisations visuelles (« visual design ») apparaissent comme la cinquiĂšme merveille de la vie. L’auteur cite des constructions, de grands barrages, de belles peintures.

Des récits de « awe » spirituelle et religieuse manifestent la sixiÚme merveille de la vie. On y trouve bien sûr des récits de  conversion.

L’auteur mentionne des rĂ©cits de vie et de mort en y voyant une septiĂšme merveille de la vie. Le passage de la mort est Ă©videmment un moment particuliĂšrement crucial.

La huitiĂšme merveille de la vie se manifeste en terme d’épiphanies, c’est Ă  dire de moments oĂč nous comprenons soudainement des vĂ©ritĂ©s essentielles sur la vie. A travers le monde, des gens ont Ă©tĂ© remplis d’« awe » par des intuitions philosophiques, des dĂ©couvertes scientifiques, des idĂ©es mĂ©taphysiques, des Ă©quations mathĂ©matiques
 Dans chaque cas, l’épiphanie unit des faits, des croyances, des intuitions et des images en un nouveau systĂšme de comprĂ©hension.

Toutes ces expĂ©riences de « awe » «  interviennent dans un royaume diffĂ©rent du monde banal du matĂ©rialisme, de l’argent, de la cupiditĂ©, et de la recherche de statut, un royaume au delĂ  du profane que beaucoup appellent le sacré » (p 19) (p 10-19).

 

La spĂ©cificitĂ© de l’émotion de « awe »

Dacher Keltner revient sur le parcours du terme : « awe » et nous montre que la signification correspondante est dĂ©sormais tout Ă  fait distincte des significations qui lui ont Ă©tĂ© associĂ©es au dĂ©part. En effet, le terme « awe » remonte Ă  un mot anglais apparu il y a 800 ans et qui renvoyait Ă  la peur, la crainte, la terreur. Le contexte de l’époque Ă©tait menaçant. Depuis la signification a Ă©voluĂ©, mais qu’en est-il d’un hĂ©ritage de peur ? La recherche sur les Ă©motions permet de rĂ©pondre aujourd’hui Ă  cette question. Parmi les autres Ă©motions, l’émotion de « awe » est spĂ©cifique. Dacher Keltner peut s’appuyer sur une analyse mathĂ©matique d’une nouvelle approche quantitative d’un ensemble d’expĂ©riences Ă©motionnelles. Dans cette Ă©tude, son auteur, Alan Cowen, a pris en compte 27 espĂšces d’émotion. Ici, l’émotion de « awe » apparaĂźt comme trĂšs Ă©loignĂ©e de la peur et de l’anxiĂ©tĂ©. Au contraire, elle est proche de l’admiration, de l’intĂ©rĂȘt, de l’apprĂ©ciation esthĂ©tique ou du sentiment de beautĂ©. « L’émotion de « awe » paraĂźt intrinsĂšquement bonne ». Cette Ă©motion se distingue d’un sentiment classique de beautĂ© qui ne comporte pas une impression d’immensitĂ© et de mystĂšre. L’émotion de « awe » s’accompagne de rĂ©actions du corps spĂ©cifiques, par exemple de l’expression faciale. « Notre expĂ©rience de la « awe » prend place dans un espace spĂ©cifique trĂšs loin de la peur et distincte du sentiment plaisant et familier de la beauté » (p 23) (p 19-23).

 

L’émotion de « awe » au quotidien

A partir de ces constats, Dacher Keltner s’est interrogĂ© sur la frĂ©quence des Ă©motions de « awe ». L’enquĂȘte internationale avait collectĂ© des rĂ©cits tĂ©moignant d’une grande intensitĂ© de « awe ». L’expĂ©rience de « awe » est-elle beaucoup plus rĂ©pandue ? ApparaĂźt-elle dans nos vies quotidiennes ? Des recherches nouvelles, Ă  partir de l’analyse de journaux personnels tenus au quotidien, apportent une rĂ©ponse positive. « Dans nos vies quotidiennes, nous ressentons frĂ©quemment des Ă©motions de « awe » dans nos rencontres avec la beautĂ© morale, et en second, la nature, et dans des expĂ©riences avec la musique, l’art et le cinĂ©ma « (p 25). La culture influence ces ressentis. Ainsi, aux Etats-Unis, ils sont beaucoup plus frĂ©quents dans des contextes individualistes. Certains Ă©prouvent, quelque part chaque semaine, un ressenti de « awe », en « reconnaissant l’extraordinaire dans l’ordinaire », une gĂ©nĂ©rositĂ©, la senteur d’une fleur, la lumiĂšre dans un arbre, un chant. « De grands penseurs de Walt Whitman Ă  Rachel Carson
 nous appellent Ă  prendre conscience combien une bonne part de notre vie peut apporter une Ă©motion de « awe » (p 26).

 

Les contours de la « awe » ?

AprĂšs ces diffĂ©rentes approches de recherche, une enquĂȘte internationale, une cartographie des Ă©motions et l’expression des gens sur leur expĂ©rience quotidienne, Dave Keltner peut nous rĂ©pondre Ă  la question : « Qu’est-ce que la « awe » ? « La « awe » commence avec les huit merveilles de la vie. Cette expĂ©rience se dĂ©roule dans un espace spĂ©cifique et diffĂšre des sentiments de peur et de beautĂ©. Notre expĂ©rience quotidienne nous en offre de multiples occasions ».

L’auteur nous parle des Ă©motions « qui nous transportent hors d’un Ă©tat focalisĂ© sur nous-mĂȘme, centrĂ© sur la menace et soucieux du statu quo, vers un royaume oĂč nous sommes connectĂ©s Ă  quelque chose de plus grand que nous-mĂȘme » (p 28). Parmi les Ă©motions qui nous dĂ©centrent de nous-mĂȘme, l’auteur cite la joie, l’extase (oĂč nous nous sentons nous dissoudre complĂštement alors que dans la « awe » nous restons conscients de notre moi, bien que faiblement), l’amusement


Cette « awe » nous tourne vers « quelque chose de plus grand que le soi » (« Something larger than the self » (p 31). Dacher Keltner relit le cours de l’histoire. Pendant des centaines d’annĂ©es, la « awe » a inspirĂ© la maniĂšre d’écrire sur la rencontre avec le divin. Avec Emerson et Thoreau, elle Ă©tait au cƓur d’une Ă©criture sur la rencontre Ă©merveillĂ©e de la nature. Elle a amenĂ© des chercheurs comme Herschel Ă  la recherche astronomique. Albert Einstein a ainsi Ă©crit : « la plus belle expĂ©rience que nous pouvions faire est celle du mystĂ©rieux. C’est l’émotion fondamentale qui se tient au berceau de l’art et de la science » (p 29). C’est aussi une Ă©motion qui inspire la communion humaine. « Dans les moments de « awe », nous nous Ă©loignons de l’impression que nous sommes seuls en charge de notre propre destin pour parvenir au sentiment de faire partie d’une communautĂ© interdĂ©pendante et collaborante. Cette « awe » Ă©largit ce que le philosophe Pete Singer appelle le cercle du soin (circle of care)
 William James appelle les actions qui donnent naissance au cercle du soin ‘les saintes tendances de la « awe » mystique’
 Cette « awe » Ă©veille les meilleurs anges de notre nature » (p 40-41).

 

Comment la « awe » peut rendre la vie meilleure

Dave Keltner nous a montrĂ© que l’émotion de « awe » n’est pas un phĂ©nomĂšne exceptionnel, mais que cette Ă©motion peut apparaĂźtre Ă  certains moments de la vie quotidienne avec des effets bĂ©nĂ©fiques. Si il y a toujours un risque d’instrumentalisation, on peut donc imaginer des Ă©vĂšnements et des processus favorisant cette Ă©motion. C’est dans ce sens que travaille le centre du « Greater Good » Ă  Berkeley. Le site correspondant publie de nombreux articles sur le thĂšme de la « awe » et notamment cet article : « Huit raisons pour laquelle la « awe » rend la vie plus heureuse, en meilleure santĂ©, plus humble et plus connectĂ©e aux gens autour de vous » (4).

« Un ensemble croissant de recherches suggĂšre que faire l’expĂ©rience de la « awe » peut engendrer une vaste gamme de bienfaits, mĂȘme davantage de gĂ©nĂ©rositĂ©, d’humilitĂ© et d’esprit critique
 Nous pouvons sous-estimer cette opportunité ». Une simple prescription peut avoir des effets transformateurs. Envisagez davantage d’expĂ©riences journaliĂšres de « awe », dĂ©clare Dacher Keltner.

Cet article Ă©numĂšre les bienfaits d’une expĂ©rience de « awe » en accompagnant d’exemples et de donnĂ©es chaque proposition :

° La « awe » peut améliorer votre humeur et vous rendre plus satisfait de votre vie.

° La « awe » peut ĂȘtre bonne pour votre santĂ©.

° La « awe » peut vous aider Ă  penser d’une maniĂšre plus critique.

° la « awe » peut réduire le matérialisme.

° La « awe » peut vous rendre plus petit et plus humble.

° La « awe » peut vous donner l’impression que vous avez plus de temps.

° La « awe » peut vous rendre plus généreux et plus coopératif.

° La « awe » peut vous rendre plus connectĂ© aux autres gens et Ă  l’humanitĂ©.

Cependant, prĂ©cise cet article publiĂ© en 2018, la recherche sur ce thĂšme n’est en fait qu’à son dĂ©but et beaucoup de points restent Ă  prĂ©ciser ou Ă  Ă©tudier. Paru en 2022, le livre de Dacher Keltner est un grand pas en avant.

 

Une vision nouvelle

A l’échelle internationale, des personnes ont donc Ă©tĂ© appelĂ©es Ă  dĂ©crire une expĂ©rience de « awe » selon la dĂ©finition : « Etre en prĂ©sence de quelque chose de vaste et de mystĂ©rieux qui transcende notre comprĂ©hension habituelle du monde ». De fait, pour Dacher Keltner, la « awe » nous tourne vers quelque chose de plus grand que nous (something larger than the self). Et il relit ainsi le cours de l’histoire : « Pendant des centaines d’annĂ©es, la « awe » a inspirĂ© la maniĂšre d’écrire sur la rencontre avec le divin. Avec Emerson et Thoreau, elle Ă©tait au cƓur d’une Ă©criture sur la rencontre Ă©merveillĂ©e avec la nature ». Il reprend une citation d’Einstein : « La plus belle expĂ©rience que vous puissiez faire est celle du mystĂ©rieux. C’est l’émotion fondamentale qui se tient au berceau de l’art et de la science ».

Si il y a un lien entre « awe » et transcendance, il est significatif que le retard dans la recherche psychologique sur la « awe » puisse ĂȘtre attribuĂ©e pour une part Ă  une conception de la nature humaine hyper individualiste et matĂ©rialiste qui dominait encore Ă  la fin du XXe siĂšcle et Ă©galement Ă  une crainte de compromission avec la religion. On notera que la psychologue amĂ©ricaine Lise Miller a dĂ» Ă©galement s’imposer dans sa recherche sur l’activitĂ© du cerveau et la spiritualitĂ© (5) comme dans celle sur la spiritualitĂ© de l’enfant (6). La reconnaissance nouvelle de ces recherches marque un tournant dans l’état d’esprit du milieu de la recherche. C’est un tournant significatif.

Le terme anglais : « awe » est polysĂ©mique et sa traduction en français est donc difficile. Dans notre texte, nous avons gardĂ© le mot original. Une des significations correspondantes en français est l’émerveillement. Philosophe et thĂ©ologien, Bertrand Vergely a montrĂ© en quoi l’émerveillement joue un rĂŽle majeur dans notre vision du monde (7). « Qui s’émerveille n’est pas indiffĂ©rent. Il est ouvert au monde, Ă  l’humanitĂ©, Ă  l’existence. Il rend possible un lien Ă  ceux-ci ». Ce constat nous rappelle la maniĂšre dont la « awe » est perçue comme dĂ©centrement de soi pour une ouverture au monde et notamment aux autres humains. « Dans les moments de « awe », nous nous Ă©loignons de l’impression que nous sommes seuls en charge de notre propre destin pour parvenir au sentiment de faire partie d’une communautĂ© interdĂ©pendante et collaborante ».

Les rĂ©sultats de l’enquĂȘte internationale manifestent, Ă  travers leur diversitĂ©, des tendances communes, des expressions d’une spiritualitĂ© universelle. Cette universalitĂ© se constate Ă©galement dans un tout autre domaine, celui des expĂ©riences de mort imminente (8).   Quoiqu’il en soit, en regard, nous exposons ici des tendances universalisantes dans le monde chrĂ©tien. Ainsi, l’historienne et thĂ©ologienne amĂ©ricaine, Diana Butler Bass, dans son livre : « Grounded. Finding God in the world. A spiritual revolution » (9), Ă©crit : « Ce qui apparaĂźt comme un dĂ©clin de la religion indique en rĂ©alitĂ© une transformation majeure dans la maniĂšre oĂč les gens se reprĂ©sentent Dieu et en font l’expĂ©rience. Du Dieu distant de la religion conventionnelle, on passe Ă  un sens plus intime du sacrĂ© qui emplit le monde. Ce mouvement, d’un Dieu vertical Ă  un Dieu qui s’inscrit dans la nature et dans la communautĂ© humaine, est au cƓur de la rĂ©volution spirituelle qui nous environne  ». Si le glissement de sens dans le terme « awe » est plus ancien, il s’inscrit aussi dans ce contexte. Dans son livre : « Grounded », Diana Butler Bass nous rĂ©vĂšle la maniĂšre dont les gens trouvent un nouvel environnement spirituel dans un Dieu qui rĂ©side avec nous dans le monde : dans le sol, l’eau, le ciel, dans nos maisons et nos voisinages et dans nos espaces communs.

Pour interprĂ©ter l’évolution en cours et esquisser une rĂ©ponse chrĂ©tienne, nous trouvons un Ă©clairage thĂ©ologique dans la pensĂ©e de JĂŒrgen Molmann (10). « Dieu, le crĂ©ateur du ciel et de la terre est prĂ©sent par son Esprit cosmique dans chacune de ses crĂ©ature et dans leur communautĂ© crĂ©Ă©e
 GrĂące aux forces et aux possibilitĂ©s de l’Esprit, le crĂ©ateur demeure auprĂšs de ses crĂ©atures, les vivifie et les mĂšne vers son royaume futur
 Dieu est Ă  la fois transcendant et immanent ». Dieu est communion.

Comme JĂŒrgen Moltmann, Richard Rohr partage cette vision (11) « La rĂ©volution trinitaire, en cours, rĂ©vĂšle Dieu avec nous dans toute notre vie
 Elle redit la grĂące inhĂ©rente Ă  la crĂ©ation, et non comme un additif additionnel que quelques personnes mĂ©ritent
 Dieu est celui que nous avons nommĂ© TrinitĂ©, le flux (flow) qui passe Ă  travers toute chose
 Toute chose est sainte pour ceux qui ont appris Ă  la voir ainsi
 Toute impulsion vitale, toute force orientĂ©e vers le futur, toute poussĂ©e d’amour, tout Ă©lan vers la beautĂ©, tout ce qui tend vers la vĂ©ritĂ©, tout Ă©merveillement devant une expression de bontĂ©, tout bond d’élan vital
 tout bout d’ambition pour l’humanitĂ© et la terre, est Ă©ternellement un flux de vie du Dieu trinitaire  ».

« Cet Ă©lan vers la beautĂ©, cet Ă©merveillement devant une expression de bontĂ© » ne sont-ils pas souvent propices Ă  une Ă©motion de « awe » ? Et si la « awe » est « le sentiment de la prĂ©sence de quelque chose d’immense qui transcende notre comprĂ©hension habituelle du monde », si ce sentiment peut se manifester et se manifeste dans des vĂ©cus extĂ©rieurs Ă  toute empreinte religieuse, il peut Ă©galement ĂȘtre Ă©clairĂ© par l’approche thĂ©ologique que nous venons de proposer. Et cette approche Ă©claire notre regard chrĂ©tien sur ces rĂ©alitĂ©s.

Dans la tourmente qui se manifeste aujourd’hui dans le dĂ©chainement d’une violence patriarcale, il serait bon que nous ne perdions pas de vue les signes d’évolution positive qui sont apparus dans les toutes derniĂšres dĂ©cennies. Et, parmi ce signes, la mise en valeur de la gratitude (12) et de la « awe » dans le champ psychologique. Cette mise en Ă©vidence apparaĂźt Ă  la fois comme un progrĂšs dans la civilisation humaine et comme un fait spirituel.

J H

 

  1. Greater Good Center : https://greatergood.berkeley.edu
  2. Dacher Keltner. Awe. The new Science of everyday wonder and how it can transform your life. Penguin Press, 2023
  3. L’Ɠuvre d’Alister Hardy, dans : Participation des expĂ©riences spirituelles Ă  la conscience Ă©cologique : https://vivreetesperer.com/la-participation-des-experiences-spirituelles-a-la-conscience-ecologique/
  4. Eight reasons why awe makes your life better : https://greatergood.berkeley.edu/article/item/eight_reasons_why_awe_makes_your_life_better?fbclid=IwAR3PMEJYCYR4hNPBOxfJhd1aMLDE-gtAUVQ_dquAsu25VZxS8GeT4GCB-70
  5. Lisa Miller. The awakaned brain : https://vivreetesperer.com/the-awakened-brain/
  6. Lisa Miller. L’enfant spirituel : https://vivreetesperer.com/lenfant-un-etre-spirituel/
  7. Bertrand Vergely. Avant toute chose, la vie est bonne : https://vivreetesperer.com/avant-toute-chose-la-vie-est-bonne/
  8. Lytta Basset. Une rĂ©volution spirituelle. Une nouvelle approche d l’Au-delà : https://vivreetesperer.com/une-revolution-spirituelle-une-approche-nouvelle-de-lau-dela/
  9. Diana Butler Bass. Une nouvelle maniÚre de croire : https://vivreetesperer.com/une-nouvelle-maniere-de-croire/
  10. Deux approches convergentes : Diana Butler Bass et JĂŒrgen Moltmann : https://vivreetesperer.com/dieu-vivant-dieu-present-dieu-avec-nous-dans-un-univers-interrelationnel-holistique-anime/
  11. Richard Rohr. La danse divine : https://vivreetesperer.com/la-danse-divine-the-divine-dance-par-richard-rohr/
  12. La gratitude. Un mouvement de vie : https://vivreetesperer.com/la-gratitude-un-mouvement-de-vie/
Ebloui par l’émerveillement

Ebloui par l’émerveillement

« Awe and amazement »

Un autre regard

Sur son site : “Center for action and contemplation”, Richard Rohr nous entraine dans une sĂ©quence sur les bienfaits de l’admiration et de l’émerveillement dans la vie spirituelle. Cette sĂ©quence est intitulĂ©e : « awe and amazement » (1)

Le sens du terme de « awe »  a Ă©voluĂ© dans le temps Ă  partir d’un vocabulaire religieux oĂč la rĂ©vĂ©rence Ă©tait accompagnĂ©e par une forme de crainte. Aujourd’hui, ce terme Ă©voque admiration et Ă©merveillement. Depuis le dĂ©but de ce siĂšcle, le phĂ©nomĂšne correspondant est  l’objet d’une recherche. Aujourd’hui, la « awe » attire l’attention des chercheurs en psychologie. Le ressenti de transcendance, qui s’est inscrit dans une histoire religieuse, est reconnu aujourd’hui dans le champ plus vaste de la quotidiennetĂ©. Ainsi, Dacher Keltner, professeur de psychologie Ă  l’UniversitĂ© de Berkeley, a Ă©crit un livre : « Awe. The new science of everyday wonder and how it can transform your life” (L’admiration. La nouvelle science du merveilleux au quotidien et comment elle peut transformer votre vie » (2).

 

Vouloir ĂȘtre surpris

« Willing to be amazed »

Richard Rohr se rĂ©fĂšre Ă  Abraham Joshua Heschel et il affirme que la « awe », l’admiration, l’émerveillement, l’’éblouissement sont des expĂ©riences spirituelles fondatrices. « Je crois que l’intuition religieuse fondatrice, premiĂšre, basique est un moment de « awe » », un moment d’admiration et d’émerveillement. Nous disons : « O Dieu, que c’est beau ! ». Pourquoi Ă©voquons si souvent Dieu lorsque nous avons de tels moments ? Je pense que c’est reconnaitre que c’est un moment divin. D’une certaine maniĂšre, nous avons conscience que c’est trop bon, trop beau
 quand cette « awe », l’admiration Ă©blouie, sont absents de notre vie, nous bĂątissons notre religion sur des lois ou des rituels, essayant de fabriquer des moments de « awe ». Cela marche parfois  ».

Richard Rohr met ensuite en valeur les bienfaits de l’admiration et de l’émerveillement. « Les gens dont la vie est ouverte Ă  l’admiration et l’émerveillement ont une « plus grande chance de rencontrer le saint , le sacrĂ© (« holy ») que quelqu’un qui va seulement Ă  l’église, mais ne vit pas d’une maniĂšre ouverte. Nous avons presque domestiquĂ© le sacrĂ© en le rendant si banal ». Richard Rohr marque sa crainte que cela se produise dans la maniĂšre dont nous ritualisons le culte. « Jour aprĂšs jour, je vois des gens venir Ă  l’église sans aucune ouverture Ă  quelque chose de nouveau et de diffĂ©rent. Et si quelque chose de nouveau et de diffĂ©rent arrive, ils se replient dans leur vieille boite. Leur attitude semble ĂȘtre : « je ne serai pas impressionnĂ© par l’admiration et l’émerveillement ». Je ne pense pas que nous allions trĂšs loin avec cette rĂ©sistance au nouveau, au RĂ©el, au surprenant. C’est probablement pourquoi Dieu permet que nos plus belles relations commencent par un engouement pour une autre personne – et je n’entends pas seulement un engouement sexuel, mais une profonde admiration et considĂ©ration. Cela nous permet de prendre notre place comme apprenant et Ă©tudiant. Si nous ne faisons pas cela, il ne va rien arriver ».

Plus largement, Richard Rohr Ă©voque la pensĂ©e de l’écrivain russe, Alexandre Soljhenitsyne. « Il Ă©crivait que le systĂšme occidental, dans son Ă©tat actuel d’épuisement spirituel, ne paraissait pas attractif. C’est un jugement significatif. L’esprit occidental refuse presque Ă  ĂȘtre encore en Ă©merveillement. Il est seulement conscient de ce qui est mauvais et semble incapable de rejoindre ce qui est encore bon, vrai et beau. Le seul moyen de sortie se trouve dans une imagination nouvelle et une nouvelle cosmologie, suscitĂ©e par une expĂ©rience de Dieu positive. Finalement, l’éducation, la rĂ©solution de problĂšmes et une idĂ©ologie rigide sont toutes, en elles-mĂȘmes, inadĂ©quates pour crĂ©er une espĂ©rance et un sens cosmique. Seule « une grande religion » peut faire cela et c’est probablement pourquoi JĂ©sus a passĂ© une si grande partie de son ministĂšre Ă  essayer de rĂ©former la religion ».

Richard Rohr peut ensuite Ă©voquer ce qu’apporte une religion saine. « Elle nous donne un sens fondamental de « awe », un Ă©merveillement Ă©veillant la transcendance
 Elle rĂ©enchante un univers autrement vide. Elle Ă©veille chez les gens une rĂ©vĂ©rence universelle envers toutes choses. C’est seulement dans une telle rĂ©vĂ©rence que nous pouvons trouver confiance et cohĂ©rence. C’est seulement alors que le monde devient une maison « home » sure. Alors nous pouvons voir la rĂ©flexion de l’image divine dans l’humain, dans l’animal, dans le monde naturel entier, qui est alors devenu intrinsĂšquement surnaturel ».

 

Nous sommes ce que nous voyons

« We are what we see”

Selon Richard Rohr, la contemplation approfondit notre capacitĂ© Ă  nous Ă©tonner, Ă  ĂȘtre surpris. « Les moments d’admiration et d’émerveillement (awe and wonder) sont les seuls fondements solides pour notre sentiment et notre voyage religieux ». Le rĂ©cit de l’Exode noue en apporte un bon exemple : « Ce rĂ©cit commence avec l’histoire d’un meurtrier (MoĂŻse) qui s‘enfuit des reprĂ©sailles de la loi et rencontre « un buisson paradoxal qui brule sans ĂȘtre consumé ». TouchĂ© par une crainte rĂ©vĂ©rentielle (awe), MoĂŻse enlĂšve ses chaussures et la terre en dessous de ses pieds devient une terre sacrĂ©e » (holy ground » (Exode 3.2-6). Parce qu’il a rencontrĂ© « Celui qui est » (Being itself) (Exode 3.14). Ce rĂ©cit manifeste un modĂšle classique rĂ©pĂ©tĂ© sous des formes diffĂ©rentes dans des vies diffĂ©rentes et dans le vocabulaire de tous les mystiques du monde ».

Certes, il y a des obstacles. « Je dois reconnaitre que nous sommes gĂ©nĂ©ralement bloquĂ©s vis-Ă -vis d’une grand impression de « awe » comme nous le sommes vis-Ă -vis d’un grand amour ou d’une grande souffrance. La premiĂšre Ă©tape de la contemplation porte largement sur l’identification et le relĂąchement de ces blocages en reconnaissant le rĂ©servoir d’attentes, de prĂ©suppositions, et de croyances dans lesquelles nous sommes dĂ©jĂ  immergĂ©s. Si nous ne voyons pas ce qu’il y a dans notre rĂ©servoir, nous entendrons toutes les choses nouvelles de la mĂȘme maniĂšre ancienne et rien de nouveau n’adviendra »  La contemplation remplit notre rĂ©servoir d’une eau pure et claire qui nous permet de rĂ©aliser des expĂ©riences en Ă©tant libĂ©rĂ©s de nos anciens schĂ©mas ».

De fait, ajoute Richard Rohr, nous ne nous rendons pas compte qu’au moins partiellement, notre rĂ©action enthousiaste ou colĂ©rique , peureuse n’est pas entrainĂ©e uniquement par la personne ou la situation en face de nous. « Si la vue d’un beau ballon dans le ciel nous rend heureux, c’est que nous sommes dĂ©jĂ  prĂ©disposĂ©s au bonheur. Le ballon Ă  air chaud nous fournit juste une occasion. Et presque n’importe quoi d’autre aurait produit la mĂȘme impression. Comment nous voyons dĂ©terminera largement ce que nous voyons et si cela provoque en nous de la joie ou, au contraire, une attitude de repli Ă©motionnel. Sans nier qu’il y ait une rĂ©alitĂ© extĂ©rieur objective, ce que nous sommes capable de voir dans le monde extĂ©rieur, et prĂ©disposĂ© en ce sens, est une rĂ©flexion en miroir de notre monde intĂ©rieur et Ă©tat de conscience sur le moment. La plupart du temps, nous ne voyons pas du tout et opĂ©rons sur le mode d’un contrĂŽle de croisiĂšre.

Il semble que nous, humains, sommes des miroirs Ă  deux faces reflĂ©tant Ă  la fois le monde intĂ©rieur et le monde extĂ©rieur. Nous nous projetons nous-mĂȘmes sur les choses extĂ©rieures et ces mĂȘmes choses nous renvoient au dĂ©ploiement de notre propre identitĂ©. La mise en miroir est la maniĂšre dont les contemplatifs voient de sujet Ă  sujet plutĂŽt que de sujet Ă  objet ».

 

Une « awe », émerveillement ébloui, qui connecte

« An awe that connects »

Richard Rohr fait appel Ă  Judy Cannato qui met l’accent sur la surprise, l’ébahissement comme point de dĂ©part de la contemplation. « Dans son livre : « Le pleur silencieux », la thĂ©ologienne allemande Dorothee Sölle Ă©crit : « Je pense que chaque dĂ©couverte du monde nous plonge dans la jubilation ; une surprise radicale qui dĂ©chire le voile de la trivialité ». Quand le voile est dĂ©chirĂ© et que notre vision est claire, alors Ă©merge la reconnaissance que toute vie est connectĂ©e – une vĂ©ritĂ© qui n’est pas seulement rĂ©vĂ©lĂ©e par la science moderne, mais qui rĂ©sonne avec les mystiques anciens. Nous sommes tous un, connectĂ©s et rassemblĂ©s dans un Saint MystĂšre, au sujet duquel, dans toute son ineffabilitĂ©, nous ne pouvons demeurer indiffĂ©rents »

Or, d’aprĂšs Sölle, la surprise, l’ébahissement est un point de dĂ©part. « Elle maintient qu’une surprise radicale est le point de dĂ©part pour la contemplation. Souvent, nous pensons que la contemplation appartient au domaine du religieux, Ă  un stade Ă©sotĂ©rique de priĂšre avancĂ©e que seuls les gens spirituellement douĂ©s possĂšdent. Ce n’est pas le cas. La nature de la contemplation telle que je la dĂ©cris ici est qu’elle demeure Ă  l’intĂ©rieur de chacun de nous.

Pour utiliser une parole familiĂšre, la contemplation consiste Ă  avoir un long regard amoureux vis-Ă -vis du rĂ©el.  La posture contemplative qui dĂ©coule d‘une surprise radicale, d’un Ă©bahissement, nous attrape dans l’amour – l’Amour qui est le CrĂ©ateur de tout ce qui est, le Saint MystĂšre qui ne cesse de surprendre, qui ne cesse de prodiguer l’amour en nous, sur nous, autour de nous ».

Mais comment reconnaitre et nous approcher du « rĂ©el » ? Judy Cannnato nous rĂ©pond en ce sens. « La contemplation est un long regard d’amour sur ce qui est rĂ©el. Combien de fois ne sommes-nous pas trompĂ©s par ce qui imite le rĂ©el ? Vraiment nous vivons dans une culture qui affiche le faux et prospĂšre dans une fabrication scintillante. Nous sommes tellement bombardĂ©s par le superficiel et le trivial que nous pouvons perdre nos appuis et nous abandonner Ă  un genre de vie qui nous vide de notre humanité  Quand nous nous engageons dans une pratique de surprise radicale (« radical amazement »), nous commençons Ă  distinguer ce qui est authentique de ce qui est frelatĂ©.

Saisis par la conscience contemplative et enracinĂ©s dans l’amour, nous commençons Ă  nous libĂ©rer de nos conditionnements culturels et Ă  embrasser la vĂ©ritĂ© qui demeure au cƓur de toute rĂ©alité : nous sommes un ».

Ainsi la contemplation n’est pas rĂ©servĂ©e Ă  une Ă©lite religieuse ou spirituelle, elle donne Ă  voir Ă  tous. « Ce qui devient plus apparent aujourd’hui, c’est que nous devons devenir des contemplatifs, pas seulement dans la maniĂšre oĂč nous rĂ©flĂ©chissons ou prions, mais dans la maniĂšre oĂč nous vivons Ă©veillĂ©s, alertes, engagĂ©s, prĂȘts Ă  rĂ©pondre aux gĂ©missements de la crĂ©ation ».

 

La dignité de toutes choses

« The dignity of all things”

 Le rabbin Abraham Joshua Heschel est connu pour son action prophĂ©tique et pour son engagement en faveur d’une surprise radicale. Le thĂ©ologien Bruce Epperly explique :

« Au cƓur de la vision mystique d’Heschel, il y a l’expĂ©rience d’une surprise radicale. La merveille est essentielle Ă  la fois pour la spiritualitĂ© et la thĂ©ologie. La « awe », Ă©merveillement Ă©bloui, donne le sens de la transcendance. Elle nous permet de percevoir les signes du divin dans le monde. La merveille mĂšne Ă  la surprise radicale dans l’univers de Dieu. CrĂ©Ă© Ă  l’image de Dieu, chacun de nous est surprenant. La merveille mĂšne Ă  la spiritualitĂ© et Ă  l’éthique. Comme Heshel le dĂ©clare : « Simplement ĂȘtre est une bĂ©nĂ©diction. Simplement vivre est saint. Le moment est la merveille ».

Comment cette sensibilitĂ© affecte-t ’elle notre vision du monde ? Elle fonde la vision du monde d’Heshel. « Le monde se prĂ©sente Ă  moi de deux maniĂšres : comme une chose que je possĂšde ; comme un mystĂšre qui se prĂ©sente Ă  moi. Ce que je possĂšde est une bagatelle ; ce qui se prĂ©sente Ă  moi est sublime. Je prends soin de ne pas gaspiller ce que possĂšde ; je dois apprendre Ă  ne pas manquer ce qui se prĂ©sente Ă  moi.

Nous traitons ce qui est accessible à la surface du monde ; Nous devons également nous tenir en révérence (« awe ») vis-à-vis du mystÚre du monde »

Reprenons donc notre approche de la « awe », de l’émerveillement Ă©bloui.

« La « awe » est plus qu’une Ă©motion. C’est une maniĂšre de comprendre, une entrĂ©e dans un sens plus grand que nous. Le commencement de la « awe », c’est reconnaitre la merveille, s’émerveiller ». Et « le commencement de la sagesse est la « awe », cet Ă©merveillement Ă©bloui et rĂ©vĂ©renciel. « La « awe » est une intuition de la dignitĂ© de toutes choses. C’est rĂ©aliser que les choses ne sont pas seulement ce qu’elles sont, mais qu’elles se tiennent lĂ , quelqu’en soit l’éloignement, pour signifier quelque chose de suprĂȘme.

L’« awe » est un sens du mystĂšre au-delĂ  de toute chose. Elle nous permet de sentir dans les petites choses le dĂ©but d’un sens infini, de sentir l’ultime dans le commun et le simple ; de sentir le calme de l’éternel dans la prĂ©cipitation de ce qui passe. Nous ne pouvons pas comprendre cela par l’analyse ; Nous en devenons conscient par la « awe ». VoilĂ  aussi un Ă©clairage pour la foi : « la foi n’est pas une croyance, l’adhĂ©sion Ă  une proposition. La foi est un attachement Ă  la transcendance, au sens au-delĂ  du mystĂšre… La « awe » prĂ©cĂšde la foi. Elle est Ă  la racine de la foi  »

C’est dire combien la « awe » est fondamentale. « Si notre capacitĂ© de rĂ©vĂ©rence diminue, l’univers devient pour nous un marchĂ©. Un retour Ă  la rĂ©vĂ©rence est le premier prĂ©requis pour un rĂ©veil de la sagesse, pour la dĂ©couverte du monde comme une allusion Ă  Dieu ».

 

La pratique spirituelle de la « awe ».

« The spiritual practice of awe”

Comment pouvons-nous vivre dans un Ă©tat d’esprit d’émerveillement porteur d’une pratique spirituelle ? La question est posĂ©e Ă  Cole Arthur Riley, Ă©crivain et liturgiste. Il nous dĂ©crit « la « awe » comme une pratique spirituelle ». « Je pense que la « awe » est un exercice Ă  la fois dans le faire et l’ĂȘtre. C’est un muscle spirituel de l’humanitĂ© que nous pouvons empĂȘcher de s’atrophier si nous l’exerçons habituellement. Je m’assois dans la clairiĂšre derriĂšre ma maison Ă©coutant le chant des hirondelles rustiques se mĂȘlant au bruit des voitures accĂ©lĂ©rant. J’observe le courant de lait dans mon thĂ© et les petites feuilles danser librement hors de leur enclos
 Quand je parle de merveille, j’entends la pratique de contempler le beau. Contempler le majestueux – le sommet enneigĂ© des Himalayas, le soleil se couchant sur la mer – mais aussi les petits spectacles du quotidien
 Plus que dans les grandes beautĂ©s de nos vies, la merveille rĂ©side dans notre prĂ©sence d’attention Ă  l’ordinaire. On peut dire que trouver la beautĂ© dans l’ordinaire est un exercice plus profond que grimper dans les montagnes
 Rencontrer le saint, le sacrĂ© dans l’ordinaire, c’est trouver Dieu dans le liminal, la marge d’oĂč nous pourrions inconsciemment l’exclure  »

Arthur Riley dĂ©crit comment l’émerveillement dĂ©veloppe la capacitĂ© de nous aimer, d’aimer notre prochain, d’aimer l’étranger. « L’émerveillement inclut la capacitĂ© d’ĂȘtre en « awe », en Ă©merveillement vis-Ă -vis de nous-mĂȘme » Arthur Riley nous incite Ă  ĂȘtre attentif Ă  la vie quotidienne. « Qu’à chaque seconde, nos organes et nos os nous soutiennent est un miracle. Quand nos os guĂ©rissent, quand nos blessures se cicatrisent, c’est un appel Ă  nous Ă©merveiller de nos corps – leur rĂ©gĂ©nĂ©ration, leur stabilitĂ© et leur fragilitĂ©. Cela fait grandir notre sentiment de dignitĂ©. Être capable de s’émerveiller du visage de notre prochain, avec la mĂȘme « awe », le mĂȘme Ă©merveillement que nous avons pour le sommet des montagne ou la rĂ©flexion du soleil, c’est une maniĂšre de voir qui nous empĂȘche de nous dĂ©truire les uns les autres ». L’émerveillement, ce n’est pas nous dissoudre, mais nous sentir vivement dans notre connexion avec chaque crĂ©ature. « Dans un saint Ă©merveillement, nous faisons partie de l’histoire ».

 

Le privilĂšge de la vie elle-mĂȘme

« The privilege of life itself”

 Ici Richard Rohr s’est adressĂ© Ă  Brian McLaren pour lequel l’émerveillement, la « awe » sont essentiel pour rencontrer la crĂ©ation. « Les premiĂšres pages de la Bible et les meilleures rĂ©flexions des scientifiques actuels sont en plein accord. Au commencement, tout a commencĂ© quand l’espace et le temps, l’énergie et la matiĂšre, la gravitĂ© et la lumiĂšre sont apparus dans une soudaine expansion. A la lumiĂšre du rĂ©cit de la GenĂšse, nous dirions que la possibilitĂ© de l’univers s’est Ă©panchĂ©e dans l’actualitĂ© comme Dieu, l’Esprit crĂ©ateur, prononçait l’invitation premiĂšre, originale : Qu’il en soit ainsi ! (« Let it be »). Et, en rĂ©ponse, qu’est-ce-qui est arrivĂ© ? La lumiĂšre, le temps , l’espace, la matiĂšre, le mouvement, la mer, la pierre, le poisson, le moineau, vous, moi, nous rĂ©jouissant de ce don inexprimable, ce privilĂšge d’ĂȘtre ici, d’ĂȘtre en vie », Brian McLaren Ă©voque la beautĂ© qu’on peut entrevoir dans la diversitĂ© des dons et des talents. Comme les autres auteurs prĂ©sents dans cette sĂ©quence, il exprime son admiration pour la crĂ©ation. «  Est-ce que nous ne nous sentons pas comme des poĂštes qui essaient d’exprimer la beautĂ© et la merveille de cette crĂ©ation ? Est-ce que nous ne partageons pas une commune stupeur en envisageant notre voisinage cosmique et en nous Ă©veillant au fait que nous sommes rĂ©ellement lĂ , rĂ©ellement vivant, juste maintenant ? ». Brin McLaren nous entraine dans l’admiration et l’émerveillement vis-Ă -vis des merveilles de la montagne et de la mer jusqu’à « regarder avec dĂ©lice un simple oiseau, un arbre, une feuille ou un ami et Ă  sentir qu’ils murmurent au sujet du crĂ©ateur, de la source de tout ce que nous partageons ».

En exprimant cette admiration, cette « awe » vis-Ă -vis de toutes les merveilles qu’on peut entrevoir, Brian McLaren, thĂ©ologien engagĂ©, ne perd pas de vue les maux de nos sociĂ©tĂ©s et la nĂ©cessitĂ© de nous y confronter (3). Mais, dans sa vision enthousiaste, il s’appuie sur un fondement biblique. « La GenĂšse » signifie : commencements. Elle parle Ă  travers une poĂ©sie profonde, Ă  plusieurs couches, et des histoires anciennes et sauvages. La poĂ©sie et les rĂ©cits de la GenĂšse rĂ©vĂšlent des vĂ©ritĂ©s profondes qui nous aident Ă  ĂȘtre plus pleinement vivants aujourd’hui. Elles osent proclamer que l’univers est l’expression de Dieu lui-mĂȘme. La parole de Dieu agit. Cela signifie que toute chose, partout, est toujours sainte, spirituelle, ayant de la valeur, signifiante. Toute matiĂšre importe. La GenĂšse dĂ©crit la grande bontĂ© qui apparait Ă  la suite d’un long processus de crĂ©ation. Cet ensemble harmonieux est si bon que le CrĂ©ateur prend un jour de congĂ©, juste pour s’en rĂ©jouir. Ce jour de repos en rĂ©jouissance nous dit que le but de l’existence n’est pas l’argent ou le pouvoir ou la renommĂ©e, ou la sĂ©curitĂ© ou quoique ce soit moins que ceci : participer Ă  la bontĂ©, Ă  la beautĂ© et Ă  la vitalitĂ© de la crĂ©ation.

 

Un autre regard

Les reprĂ©sentations du monde sont multiples en Ă©tant influencĂ©es par de nombreux facteurs et, tout particuliĂšrement par ce que nous entendons des Ă©vĂšnements. Cette sĂ©quence inspirĂ©e par Richard Rohr est intitulĂ©e : « awe and amazement » ; elle nous apprend Ă  nous Ă©merveiller, tout Ă©blouis par les merveilles qui se prĂ©sentent Ă  nous, Ă  ciel ouvert, mais aussi au dĂ©part dissimulĂ©es, cachĂ©es Ă  nos yeux parce que nous n’y prĂȘtons pas attention. Ce mouvement d’émerveillement exprimĂ© par le terme « awe », dont le sens s’est dĂ©placĂ© Ă  travers l’histoire de « crainte rĂ©vĂ©rentielle » dans un contexte religieux Ă  un Ă©merveillement Ă©bloui accompagnĂ© par un sentiment d’ouverture Ă  la transcendance, doit ĂȘtre aujourd’hui pleinement reconnu. Par-delĂ  des apparences souvent trompeuses ou l’assujettissement Ă  de sombres situations, nous sommes appelĂ©s Ă  reconnaitre dans la contemplation une RĂ©alitĂ© spirituelle, une prĂ©sence divine. Cet Ă©clairage, et parfois cette illumination peuvent nous surprendre. Cependant, ce sentiment d’admiration, cette « awe », ne sont pas rĂ©servĂ©s Ă  des moments privilĂ©giĂ©s. On peut les Ă©prouver dans le quotidien et mĂȘme en regardant de belles photos comme l’écrit le rabbin Hara Person dans un texte final : « une part de beauté » (« A slice of beauty »). Bref, au total, nous sommes conviĂ©s Ă  un autre regard.

Sans expertise professionnelle de la traduction, rapporté par J H

 

  1. Awe and amazement. Avec la présentation et la référence des six textes constituant la séquence : https://cac.org/daily-meditations/awe-and-amazement-weekly-summary/
  2. Comment la manifestation de l’admiration et de l’émerveillement exprimĂ©e par le terme « awe » peut transformer nos vies : https://vivreetesperer.com/comment-la-reconnaissance-et-la-manifestation-de-ladmiration-et-de-lemerveillement-exprimees-par-le-terme-awe-peut-transformer-nos-vies/
  3. Reconnaitre aujourd’hui un mouvement Ă©mergent pour la justice dans une inspiration de long cours : https://vivreetesperer.com/reconnaitre-aujourdhui-un-mouvement-emergent-pour-la-justice-dans-une-inspiration-de-long-cours/

 

On pourra lire aussi :

La participation des expériences spirituelles à la conscience écologique : https://vivreetesperer.com/la-participation-des-experiences-spirituelles-a-la-conscience-ecologique/

Avoir de la gratitude :

https://vivreetesperer.com/avoir-de-la-gratitude/

L’homme, la nature et Dieu

 Tous interconnectés dans une communauté de la création

La menace qui pĂšse sur la nature nous rĂ©veille d’une longue indiffĂ©rence. Nous prenons conscience non seulement qu’elle est condition de notre vie, mais aussi de ce que nous y participons dans une vie commune, dans un monde de vivants. Nous retrouvons l’émerveillement que l’homme a toujours Ă©prouvĂ© par rapport Ă  la nature et qui risquait de s’éloigner. Aujourd’hui, une nouvelle approche se rĂ©pand. C’est celle d’une Ă©cologie qui ne s’affirme pas seulement pour prĂ©server les Ă©quilibres naturels, mais aussi comme un genre de vie, un nouveau rapport entre l’humanitĂ© et la nature.

On connaĂźt les dĂ©dales par lesquels une part du christianisme avait endossĂ© la domination de l’homme sur la nature (1). Aujourd’hui, on perçoit Ă  nouveau combien cette nature est crĂ©ation de Dieu, un espace oĂč les ĂȘtres vivants communiquent, un don oĂč l’humain participe Ă  un mouvement de vie. C’est donc un nouveau regard qui s’ouvre ainsi et qui trouve inspiration dans la vision de thĂ©ologiens comme JĂŒrgen Moltmann (2) et le Pape François (3).

Aux Etats-Unis, un frĂšre franciscain, Richard Rohr, a crĂ©Ă© un  « Centre d’Action et de Contemplation » oĂč, entre autres, il intervient en faveur d’une spiritualitĂ© de la crĂ©ation. Nous prĂ©sentions ici deux de ses mĂ©ditations journaliĂšres mises en ligne sur internet (4).

 

La nature est habitée

Avec Richard Rohr, nous découvrons une merveilleuse création.

« Par la parole du Seigneur, les cieux ont Ă©tĂ© crĂ©Ă©s » (Psaume 35.6). Ceci nous dit que le monde n’est pas advenu comme un produit du chaos ou de la chance, mais comme le rĂ©sultat d’une dĂ©cision. Le monde crĂ©Ă© vient d’un libre choix
 L’amour de Dieu est la force motrice fondamentale dans toutes les choses crĂ©Ă©es. « Car tu aimes toutes les choses qui existent et tu ne dĂ©testent aucune des choses que tu as faites, car tu n’aurais rien fait si tu les avais dĂ©testĂ©es » (Sagesse 11.24) (Pape François Laudate Si’ 77).

En Occident, nous nous sommes Ă©loignĂ© de la nature. « Pour la plupart des chrĂ©tiens occidentaux, reconnaĂźtre la beautĂ© et la valeur intrinsĂšque de la crĂ©ation : Ă©lĂ©ments, plantes et animaux, est un dĂ©placement majeur du paradigme. Dans le passĂ©, beaucoup ont rejetĂ© cette vision comme une expression d’animisme ou de paganisme. Nous avons limitĂ© l’amour de Dieu et le salut Ă  notre propre espĂšce humaine, et, alors, dans cette thĂ©ologie de la raretĂ©, nous n’avons pas eu assez d’amour de reste pour couvrir toute l’humanité !  ».

Notre spiritualitĂ© s’est rĂ©trĂ©cie. « Le mot « profane » vient du mot latin « pro » voulant dire « au devant » et « fanum » signifiant « temple ». Nous pensions vivre « en dehors du temple ». En l’absence d’une spiritualitĂ© fondĂ©e sur la nature, nous nous trouvions dans un univers profane, privĂ© de l’Esprit. Ainsi, nous n’avons cessĂ© de construire des sanctuaires et des Ă©glises pour enfermer et y contenir un Dieu domestiqué  En posant de telles limites, nous n’avons plus su regarder au divin
 Notez que je ne suis pas en train de dire que Dieu est en toutes chose (panthĂ©isme), mais que chaque chose rĂ©vĂšle un aspect de Dieu. Dieu est Ă  la fois plus grand que l’ensemble de l’univers, et, comme CrĂ©ateur, il interpĂ©nĂštre toutes les choses crĂ©Ă©es (panenthĂ©isme) ».

Toute notre reprĂ©sentation du monde en est changĂ©e. Nous vivons en communion. « Comme l’as dit justement Thomas Berry : « Le monde devient une communion de sujets plus qu’une collection d’objets ». « Quand vous aimez quelque chose, vous lui prĂȘtez une Ăąme, vous voyez son Ăąme et vous ĂȘtes touchĂ© par son Ăąme. Nous devons aimer quelque chose en profondeur pour connaĂźtre son Ăąme. Avant d’entrer dans une rĂ©sonance d’amour, vous ĂȘtes largement aveugle Ă  la signification, Ă  la valeur et au pouvoir des choses ordinaires pour vous « sauver », pour vous aider Ă  vivre en union avec la source de toute chose. En fait, jusqu’à ce que vous puissiez apprĂ©cier et mĂȘme vous rĂ©jouir de l’ñme des autres choses, mĂȘme des arbres et des animaux, je doute que vous ayez dĂ©couvert votre Ăąme elle-mĂȘme. L’ñme connaĂźt l’ñme ».

 

La nature comme miroir de Dieu.

Hildegarde de Bingen (1098-1179), proclamĂ©e, en catholicisme, docteur de l’Eglise, en 2012, « a communiquĂ© spirituellement l’esprit de la crĂ©ation Ă  travers la musique, l’art, la poĂ©sie, la mĂ©decine, le jardinage et une rĂ©flexion sur la nature. « Vous comprenez bien peu de ce qui est autour de vous parce que vous ne faites pas usage de ce qui est Ă  l’intĂ©rieur de vous », Ă©crit-elle dans son livre cĂ©lĂšbre : « Schivias ».

Richard Rohr nous entraine dans la dĂ©couverte du rapport entre le monde intĂ©rieur et le monde extĂ©rieur. La maniĂšre dont Hildegarde envisage l’ñme est trĂšs proche de celle de ThĂ©rĂšse d’Avila. « Hildegarde perçoit la personne humaine comme un microcosme avec une affinitĂ© naturelle pour une rĂ©sonance avec un macrocosme que beaucoup appellent Dieu. Notre petit monde reflĂšte le grand monde ». Ici la contemplation prend tout son sens. « Le mot-clĂ© est rĂ©sonance. La priĂšre contemplative permet Ă  votre esprit de rĂ©sonner avec ce qui est visible et juste en face de vous. La contemplation Ă©limine la sĂ©paration entre ce qui est vu et celui qui voit ».

Hildegarde utilise le mot « viriditas ». Ce terme s’allie Ă  des mots comme : vitalitĂ©, fĂ©conditĂ©, verdure ou croissance. Il symbolise la santĂ© physique et spirituelle comme un reflet du divin (5). Richard Rohr Ă©voque « le verdissement des choses de l’intĂ©rieur analogue Ă  ce que nous appelons « photosynthĂšse ». Hildegarde reconnaĂźt l’aptitude des plantes Ă  recevoir le soleil et Ă  le transformer en Ă©nergie et en vie. Elle voit aussi une connexion inhĂ©rente entre le monde physique et la prĂ©sence divine. Cette conjonction se transfĂšre en une Ă©nergie qui est le terrain et la semence de toute chose, une voix intĂ©rieure qui appelle Ă  « devenir ce que nous sommes », « tout ce que nous sommes »  C’est notre souhait de vie (« life wish ») ».

Nous pouvons suivre l’exemple de Hildegarde. « Hildegarde est un merveilleux exemple de quelqu’un qui se trouve en suretĂ© dans un univers oĂč l’individu reflĂšte le cosmos et oĂč le cosmos reflĂšte l’individu ». En regard, Richard Rohr rapporte la magnifique priĂšre d’Hildegarde Ă  l’Esprit Saint : « O Saint Esprit, tu es la voie puissante dans laquelle toute chose qui est dans les cieux, sur la terre et sous la terre, est ouverte Ă  la connexion et Ă  la relation (« penetrated with connectness, relatedness). C’est un vrai univers trinitaire oĂč toutes les choses tournent les unes avec les autres ». Ici, Richard Rohr rejoint la vision de JĂŒrgen Moltmann dans  « L’Esprit qui donne la vie » (6).

Hildegarde a entendu Dieu parler : « J’ai crĂ©Ă© des miroirs dans lesquels je considĂšre toutes les merveilles de ma crĂ©ation, des merveilles qui ne cesseront jamais ». « Pour Hildegarde, la nature Ă©tait un miroir pour l’ñme et pour Dieu. Ce miroir change la maniĂšre dont nous voyons et expĂ©rimentons la rĂ©alité ». Ainsi, « la nature n’est pas une simple toile de fond permettant aux humains de rĂ©gner sur la scĂšne. De fait, la crĂ©ation participe Ă  la transformation humaine puisque le monde extĂ©rieur a absolument besoin de se mirer dans le vrai monde intĂ©rieur. « Le monde entier est un sacrement et c’est un univers trinitaire », conclut Richard Rohr.

 

Une oeuvre divine

Et, dans cette mĂȘme sĂ©rie de mĂ©ditations, Richard Rohr Ă©voque la vision d’IrĂ©nĂ©e (130-202). « IrĂ©nĂ©e a enseignĂ© passionnĂ©ment que la substance de la terre et de ses crĂ©atures portait en elle la vie divine. Dieu, dit-il, est Ă  la fois au dessus de tout et au dedans de tout. Dieu est la fois transcendant et immanent. Et l’Ɠuvre de JĂ©sus, enseigne-t-il, n’est pas lĂ  pour nous sauver de notre nature, mais pour nous restaurer dans notre nature et nous remettre en relation avec la tonalitĂ© la plus profonde au sein de la crĂ©ation. Dans son commentaire de l’Evangile de Jean dans lequel toutes choses sont dĂ©crites comme engendrĂ©es par la parole de Dieu, IrĂ©nĂ©e nous montre JĂ©sus, non pas comme exprimant une parole nouvelle, mais comme exprimant Ă  nouveau, la parole premiĂšre, le son du commencement et le cƓur de la vie. Il voit en JĂ©sus, celui qui rĂ©capitule l’Ɠuvre originale du CrĂ©ateur en articulant ce que nous avons oubliĂ© et ce dont nous avons besoin de nous entendre rĂ©pĂ©ter, le son duquel tout est venu. L’histoire du Christ est l’histoire de l’univers. La naissance de cet enfant divin-humain est une rĂ©vĂ©lation, le voile soulevĂ© pour nous montrer que toute vie a Ă©tĂ© conçue par l’Esprit au sein de l’univers, que nous sommes tous des crĂ©atures divines-humaines, que tout ce qui existe dans l’univers porte en soi le sacrĂ© de l’Esprit ».

En lisant ces mĂ©ditations, on ressent combien nous nous inscrivons dans une rĂ©alitĂ© plus grande que nous. Nous faisons partie de la nature et nous y participons. Dieu est prĂ©sent dans cette rĂ©alitĂ© et nous pouvons le reconnaĂźtre en nous et en dehors de nous. Cette reconnaissance et cette adhĂ©sion sont source d’unification et de paix. Ces mĂ©ditations nous ouvrent Ă  un nouveau regard.

J H

 

(1)            « Vivre en harmonie avec la nature. Ecologie, théologie et spiritualité » : https://vivreetesperer.com/?p=757

(2)            JĂŒrgen Moltmann est un thĂ©ologien qui a rĂ©alisĂ© une oeuvre pionniĂšre dans de nombreux domaines. Paru en français dĂšs 1988, son livre : « Dieu dans la crĂ©ation » (Cerf) porte en sous titre : « TraitĂ© Ă©cologique de la crĂ©ation ». La pensĂ©e de JĂŒrgen  Moltmann, trĂšs prĂ©sente sur ce blog, est pour nous une rĂ©fĂ©rence thĂ©ologique. Voir aussi le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : http://www.lespritquidonnelavie.com

(3)            « Convergences Ă©cologiques : Jean Bastaire, JĂŒrgen Moltman, Pape François et Edgar Morin » : https://vivreetesperer.com/?p=2151

(4)            Center for action and contemplation

« Nature is ensouled » : https://cac.org/nature-is-ensouled-2018-03-11/ « Nature as a mirror of God » : https://cac.org/nature-as-a-mirror-of-god-2018-03-12/ Et enfin : « The substance of God » : https://cac.org/the-substance-of-god-2018-03-13/

(5)            Un blog de Claudine Géreg : « Viriditas » inspiré par Hildegarde de Bingen : https://viriditas.fr

(6)            Sur ce blog, voir notre prĂ©cĂ©dent article : « Un Esprit sans frontiĂšres. ReconnaĂźtre la prĂ©sence et l’Ɠuvre de l’Esprit » (d’aprĂšs le livre de JĂŒrgen Moltmann : L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999).