Expériences de plénitude

Lorsque la rĂ©alitĂ© spirituelle sort de l’ordinaire

 

         Il arrive que soudain une personne ressente la conscience d’une rĂ©alitĂ© belle et bonne qui la dĂ©passe, une prĂ©sence qui suscite en elle une impression inĂ©galĂ©e de plĂ©nitude. Ce sont lĂ  des expĂ©riences qui sortent de l’ordinaire, mais qui nĂ©anmoins adviennent Ă  certains comme une recherche rĂ©cente le montre Ă  partir d’une enquĂȘte menĂ©e en Grande-Bretagne. Ces expĂ©riences ne sont pas rĂ©servĂ©es aux croyants. En grande majoritĂ©, elle sont ressenties comme positives. Elles apparaissent comme Ă©tant en quelque sorte donnĂ©es comme la rĂ©vĂ©lation d’une rĂ©alitĂ© supĂ©rieure.

Dans le cadre d’une « UnitĂ© de recherche sur l ‘expĂ©rience religieuse » fondĂ©e dans le cadre de l’UniversitĂ© du Pays de Galles, un chercheur britannique, Alister Hardy, au dĂ©part un zoologiste Ă©minent, a constituĂ© une banque de donnĂ©es rassemblant des rĂ©cits d’expĂ©rience Ă  partir desquelles il a Ă©tĂ© ensuite possible d’analyser la nature  et la fonction de ces expĂ©riences. Il s’est inspirĂ© d’une mĂ©thodologie qui lui Ă©tait familiĂšre, celle des sciences naturelles : recueillir des Ă©chantillons et les classer. A partir de publicitĂ©s diffusĂ©es dans la presse, il a donc demandĂ© Ă  un vaste public de participer Ă  une enquĂȘte. Sous diffĂ©rentes variantes, la question Ă©tait la suivante : « Vous est-il arrivĂ© d’avoir conscience d’une prĂ©sence ou d’une puissance (ou d’ĂȘtre influencĂ©e par elle » que vous l’appeliez Dieu ou non et qui est diffĂ©rente de votre perception habituelle ? ». En rĂ©ponse, Hardy a rassemblĂ© plusieurs milliers de descriptions personnelles en provenance de gens ordinaires. Ces donnĂ©es ne sont qu’une des sources dans lesquelles puisent David Hay, un autre chercheur britannique qui publie un livre sur la rĂ©alitĂ© de la vie spirituelle dans la sociĂ©tĂ© d’aujourd’hui. « Il y a bien quelque chose », tel est le titre donnĂ© Ă  cet ouvrage : « Something there » (1). David Hay prĂ©sente dans ce livre des extraits de rĂ©cits d’expĂ©riences. A titre d’exemple, en voici quelques descriptions.

 

Descriptions d’expĂ©riences

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« J’étais dans une habitation Ă  la campagne. Une nuit, Ă  environ une heure du matin, je me suis lentement Ă©veillĂ© Ă  un sentiment de sĂ©curitĂ© et de bonheur absolu. C’est comme si tout ce qui existait dans le monde autour de moi se mettait Ă  chanter : « Tout est bien ». AprĂšs quelques minutes presque incroyables, je me levais et allais voir Ă  la fenĂȘtre. Je vis alors la vallĂ©e remplie de l’amour de Dieu, coulant et dĂ©bordant de la route et des quelques maisons du village. C’était comme si une grande source de lumiĂšre, d’amour et de bontĂ© Ă©tait lĂ  dans la vallĂ©e. Je sortis et la lumiĂšre et l’assurance Ă©taient lĂ . Je regardais et regardais. Et, pour ĂȘtre honnĂȘte, je n’étais pas reconnaissant comme j’aurais du l’ĂȘtre, mais je cherchais Ă  enregistrer la conscience de cette joie et de cette sĂ©curitĂ© de telle maniĂšre que je ne puisse pas l’oublier » .

Voici une autre expĂ©rience, celle-lĂ  d’une veuve dans la dĂ©tresse : « J’avais perdu mon mari, six mois avant, et mon courage en mĂȘme temps. Je sentais que la vie n’aurait plus de sens si la peur s’installait pour me dominer. Un soir, sans aucune prĂ©paration, j’ai su que j’étais dans la prĂ©sence de Dieu, qu’il ne me laisserait jamais et qu’Il m’aimait d’un amour au-delĂ  de toute imagination  ».

Et maintenant un souvenir d’enfance : « Mon pĂšre avait l’habitude d’emmener toute la famille en promenade, le dimanche soir. Nous marchions sur un chemin Ă©troit Ă  travers un champ de blĂ©. J’étais en arriĂšre et me trouvais seule. Soudain, je fus enveloppĂ©e dans une lumiĂšre dorĂ©e. J’ai eu conscience d’une prĂ©sence si douce, si aimante, si brillante, si consolante, existant en dehors de moi, mais si proche. Je n’entendis pas de bruit. Mais quelques mots parvinrent Ă  moi trĂšs distinctement : « Tout est bien. Tout est trĂšs bien ».

Ces expĂ©riences ont un grand impact qur la personnalitĂ© de ceux qui les reçoivent. Ajoutons ici un exemple rapportĂ© dans un autre livre : « Du cerveau Ă  Dieu . Plaidoyer d’un neuroscientifique pour l’existence de l’ñme » (2). L’auteur, Mario Beauregard, y consacre un chapitre aux expĂ©riences religieuses, spirituelles ou mystiques. Et lui-mĂȘme tĂ©moigne d’une expĂ©rience qui a influĂ© sur sa vie. « L’une de ces expĂ©riences est survenue, il y a une vingtaine d’annĂ©es alors que j’étais allongĂ© dans mon lit. J’étais alors particuliĂšrement faible et je souffrais d’une forme sĂ©vĂšre de ce qu’on appelle aujourd’hui le syndrome de fatigue chronique. L’expĂ©rience a commencĂ© par une sensation de chaleur et de picotement dans la colonne vertĂ©brale et la poitrine. Tout Ă  coup, j’ai fusionnĂ© avec l’intelligence cosmique (ou l’ultime rĂ©alitĂ©), source d’amour infini et je me suis retrouvĂ© uni Ă  tout ce qui existe dans le cosmos. Cet Ă©tat d’ĂȘtre
s’accompagnait d’une intense fĂ©licitĂ© et extase
 Cette expĂ©rience m’a transformĂ© psychologiquement et spirituellement et m’a donnĂ© la force nĂ©cessaire pour surmonter ma maladie et guĂ©rir  » (p.388).

 

Les expériences religieuses et spirituelles.

Portée et évolution du phénomÚne.

 

Comme on vient de le voir, ces expĂ©riences sont trĂšs variĂ©es et elles sont rapportĂ©es diffĂ©remment. Ainsi le langage est diffĂ©rent selon que la personne a une culture religieuse ou non. En effet, ces expĂ©riences adviennent Ă  des gens de toutes conditions, croyants ou non. Bien sĂ»r, elles suscitent une recherche concernant le sens qui peut leur ĂȘtre attribuĂ©e. Ces expĂ©riences sont Ă©galement soudaines. Elles sont sans commune mesure avec l’imagination. Ainsi bouleverse-t-elle souvent la personne au point que celle-ci s’interroge et hĂ©site Ă  en faire part, gardant cette mĂ©moire dans l’intimitĂ©. Au total, il apparaĂźt maintenant que ces expĂ©riences sont  beaucoup plus nombreuses qu’on aurait pu l’imaginer.

De fait, on dĂ©couvre aujourd’hui qu’il y a lĂ  un phĂ©nomĂšne important, jusque lĂ  passĂ© sous silence et mĂ©connu. En effet, dans une acception large, David Hay a pu inscrire une question relative Ă  ce phĂ©nomĂšne dans deux enquĂȘtes effectuĂ©es en Grande-Bretagne, en 1987 et 2000. Les rĂ©sultats sont surprenants. En effet, en 1987, 48% des personnes participant Ă  un Ă©chantillon national dĂ©clarent qu’ils ont connu ce genre d’expĂ©rience dans leur vie. En 2000, ce pourcentage a considĂ©rablement augmentĂ© et s’élĂšve Ă  76%. PrĂšs des trois quarts de la population britannique est ainsi concernĂ©.

L’augmentation considĂ©rable de ce pourcentage, dans une courte pĂ©riode : treize ans, a beaucoup surpris David Hay. Celui-ci interprĂšte cette situation dans les termes de l’abaissement d’une censure socioculturelle qui, jusque-lĂ , empĂȘchait les gens de s’exprimer librement Ă  ce sujet.

 

         Toutes ces descriptions, recueillies dans le cadre d’une recherche mĂ©thodique nous interpellent. Elles nous incitent Ă  penser qu’il y a bien une rĂ©alitĂ© supĂ©rieure au delĂ  de notre apprĂ©hension immĂ©diate. Les personnes qui ont vĂ©cu des expĂ©riences de ce genre se posent Ă©videmment des questions sur le sens qui peut leur ĂȘtre attribuĂ©es.  Ainsi, Ă  16 ans, un jeune allemand vĂ©cut une expĂ©rience de ce genre en pleine rue. A l’époque, il n’était pas croyant et cette expĂ©rience suscita en lui une recherche de sens. Quelques annĂ©es plus tard, il dĂ©couvrit la foi chrĂ©tienne et il devint plus tard le grand thĂ©ologien, Wolfhart Pannenberg (3).

 

Rappelons la question initiale posĂ©e en vue de la collecte des descriptions de ces expĂ©riences : « Vous est-il arrivĂ© d’avoir conscience d’une prĂ©sence ou d’une puissance (ou d’ĂȘtre influencĂ© par elle) que vous l’appeliez Dieu ou non, et qui est diffĂ©rente de votre perception habituelle ? ». Y a-t-il pas dans votre vie des souvenirs d’expĂ©rience que vous aimeriez partager ?

 

JH


1)   Hay (David). Something there. The biology of the human spirit. Darton, Longman, Todd, 2006. PrĂ©sentation sur le site de TĂ©moins (rubrique : Ă©tudes) : « La vie spirituelle comme une « conscience relationnelle » . Une recherche de David Hay sur la spiritualitĂ© d’aujourd’hui ». http://www.temoins.com/etudes/la-vie-spirituelle-comme-une-conscience-relationnelle-.-une-recherche-de-david-hay-sur-la-spiritualite-aujourd-hui./toutes-les-pages.html

2)   Beauregard (Mario), O Leary (Denise). Du cerveau Ă  Dieu. Plaidoyer d’un neuroscientifique pour l’existence de l’ñme. Tredaniel, 2008. Ce livre comporte un chapitre sur les expĂ©riences religieuses et spirituelles. PrĂ©sentation du livre sur le site de TĂ©moins : L’esprit, le cerveau et les neurosciences (culture). http://www.temoins.com/culture/l-esprit-le-cerveau-et-les-neurosciences.html

3)   Cf : textes biographiques. Cette expĂ©rience fondatrice est mentionnĂ©e sur Wikipedia. Pannenberg fait partie des thĂ©ologiens qui reconnaissent dans l’homme un sens spirituel Ă  l’image de Dieu.

 

Les malheurs de l’histoire. Mort et rĂ©surrection

Des fleurs tapissent un coin de la vieille tranchée

La charge des coquelicots monte sur la colline

Des corbeaux noirs croassent sur les champs dépeuplés.

 

Souvenirs du passĂ©, force d’un renouveau

Le vent de la forĂȘt berce le cimetiĂšre

Et des enfants s’en vont sur les chemins boisĂ©s.

 

Pourquoi étions-nous jeunes au temps de la grande guerre.

Nous sommes née trop tÎt et avons tout perdu

Dans le brouillard sombre et le bruit des obus.

FĂȘtes de la victoire, discours Ă©parpillĂ©s un jour par annĂ©e

Ne nous rendrons jamais les beaux draps blancs que nous avons quittés.

La vue d’un peuplier qui miroite au printemps

L’amour d’une femme, le sourire d’un  enfant.

 

Comme l’orage qui vient est sillonnĂ© d’éclairs

Comme la tempĂȘte arrache piĂšce Ă  piĂšce notre vieille toiture,

Comme le flot débordant emporte la bonne terre

Et comme le tonnerre qui toujours retentit

Porteur de la grĂȘle et de son clapotis,

O guerres maudites, vous parsemez l’histoire

Et quand la guerre finit

VoilĂ  comme une vague du fond de l’ocĂ©an

La sombre épidémie et ses halÚtements.

Pourquoi étions-nous jeunes au temps de la variole ?

Nous sommes nés trop tÎt au vent du choléra.

 

Pensez Ă  nos chemins, hommes des temps modernes,

Notre passé vaut bien vos lendemains.

Vous tenez votre vie de nos frĂȘles amours

Les tours des cathédrales dominent encore vos cours.

Pourtant Ă©tions dĂ©munis de ce qui aujourd’hui affranchit votre vie.

 

O temps de l’avenir, brillante citĂ© terrestre,

A quoi servirait-il que nous te construisions

Si nos yeux devaient Ă  jamais mourir

Et dans les cimetiĂšres nos corps pourrir

Comme tous ceux-là qui sont morts avant nous ?

 

La foule immense désarmée, massacré par le temps

DĂ©file devant nos yeux comme l’avenir de nos plans

Et mĂȘme si demain ils se rĂ©alisaient

Alors ne pourrions oublier vos souffrances et vos plaies.

 

A quoi serviraient-ils les lendemains qui chantent

Si tous vos cimetiÚres recouvraient la terre ?

A quoi servirait donc la roue de la technique

Si pour toujours vos cris étaient des cris

Et vos pleurs des pleurs ?

 

Dans le dĂ©sert d’un infini et dans le poids du temps

Planùte d’entre milliers au sein du firmament

Le murmure de la vie s’est fait appel.

A quoi bon le festin et Ă  quoi bon la fĂȘte

Si demain est la mort et la mort demain ?

 

Présence salutaire, vivante Eternité,

A nos cƓurs douloureux envoie un Messager

Un murmure secret a rĂ©veillĂ© nos cƓurs,

Partie d’un coin de terre est venue l’EspĂ©rance

Comme une onde, atteint les plus lointains rivages,

A travers les siĂšcles, Ă  travers le temps, sans cesse se propage.

 

C’est la bonne nouvelle, la seule dĂ©cisive

Résurrection du Christ, résurrection des morts

Et puisqu’en attendant, il faut que l’homme vive

Et que tombent les écailles de nos déchirements

PrĂ©sence de l’Esprit, renouveau de la terre, rĂ©surrection des vivants.

 

J H

 

Ce poĂšme, en forme de cri, a Ă©tĂ© Ă©crit, il y a des annĂ©es. C’est une question lancinante qui est toujours lĂ . En regard, un thĂ©ologien, JĂ»rgen Moltmann, qui a vĂ©cu l’enfer du bombardement de Hambourg en 1943, a trouvĂ© le chemin pour nous dĂ©voiler la puissance infinie de Dieu Ă  l’Ɠuvre pour libĂ©rer les vivants et les morts, pour nous dĂ©livrer du mal.

 

Délivre-nous du mal !

JĂŒrgen Moltmann entend et se fait le porte parole de tous ceux qui ont souffert de la violence et de l’injustice. Il y a dans ce monde, un grand cri, une grande demande de justice. « S’il n’y avait pas de Dieu, qu’arriverait-il Ă  ceux qui ont faim et soif de justice dans ce monde ? » (p.61).

Ainsi,  les différentes séquences de la Bible nous montre comment Dieu vient à notre secours, apporte la justice, nous rend juste.

A travers la rĂ©surrection de JĂ©sus-Christ, l’histoire change de visage. A la croix, JĂ©sus devient le compagnon de tous ceux qui se sentent abandonnĂ©s de Dieu. Il libĂšre les hommes du pĂ©chĂ© et de la culpabilitĂ©. « A travers la puissance de vie de sa rĂ©surrection, Il entraĂźne Ă  la fois les victimes et les persĂ©cuteurs dans une relation juste avec  Dieu et les uns avec les autres. Dans cette loi de vie nouvelle, ils peuvent vivre, car elle s’étend Ă  la fois aux vivants et aux morts et met fin aux revendications du mal » (p.76). Nous voici engagĂ©s dans un immense processus. « La crĂ©ation nouvelle de Dieu apparaĂźt dĂ©jĂ  aujourd’hui au milieu d’un monde encore marquĂ© par la mort. Elle sera accomplie quand, en Christ, « le Royaume sera remis Ă  Dieu » et qu’ainsi le but sera atteint et que Dieu sera tout en tous » (1 Cor 15.28).

 

J H

 

Source : Les malheurs de l’histoire. DĂ©livre-nous du mal. PrĂ©sentation de la pensĂ©e de JĂŒrgen Moltmann sur le site : l’Esprit qui donne la vie http://www.lespritquidonnelavie.com/? p=702

« DĂ©livre-nous du mal. La justice de Dieu et la renaissance de la vie », p 71-98. In : JĂŒrgen Moltmann. De commencements en recommencements. Une dynamique d’espĂ©rance. Empreinte, 2012.

Plus largement, « L’espĂ©rance des chrĂ©tiens n’est pas une espĂ©rance exclusive ou particulariste, mais une espĂ©rance inclusive et universelle en la vie qui surmonte la mort ». Voir : « La vie par delĂ  la mort » sur le site : « L’Esprit qui donne la vie ». http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=822

Comment l’esprit de l’Evangile a imprĂ©gnĂ© les mentalitĂ©s occidentales et, quoiqu’on dise, reste actif aujourd’hui

Résultat de recherche d'images pour "« The making of the western mind » de Tom Holland"« The making of the western mind » de Tom Holland

 « Dominion : The making of the western mind » (la formation de la mentalitĂ© occidentale », c’est le titre du livre d’un historien britannique, Tom Holland, traduit en français sous un titre plus explicite : « Les chrĂ©tiens. Comment ils ont changĂ© le monde » (1). Qu’est-ce Ă  dire ? A une Ă©poque oĂč la pratique chrĂ©tienne recule dans les pays occidentaux et particuliĂšrement en Europe, le christianisme continue-t-il Ă  inspirer nos sociĂ©tĂ©s ? C’est la question que s’est posĂ© cet historien. Il y rĂ©pond dans un volume de plus de 600 pages qui dĂ©roule la fil de l’histoire du christianisme Ă  travers vingt siĂšcles comme une vĂ©ritable Ă©popĂ©e, alternant rĂ©cit Ă©pique et analyse historique dans une vingtaine de grands moments rĂ©partis entre l’antiquitĂ©, la chrĂ©tientĂ© et la modernitĂ©.

« Le fracas des armes, le choc des ego, les guerres civiles qui scandent l’histoire des religions monothĂ©istes nous le rappellent : la plus grande histoire du monde, l’avĂšnement du christianisme, de l’antiquitĂ© jusqu’aux crises migratoires, est une Ă©popĂ©e. Une histoire pleine de bruits et de fureurs opposant athĂ©es et croyants, islam et chrĂ©tientĂ©. Face Ă  la montĂ©e du matĂ©rialisme, du divorce entre l’Eglise et le message Ă©vangĂ©lique Ă  la crise de foi et aux nouvelles guerres de religion, la chrĂ©tientĂ© maintiendra-t-elle sa suprĂ©matie ? Ou, confrontĂ©e au recul du sacrĂ©, fait-elle partie du monde d’hier ? » (page de couverture).

Sans doute, dans cette affaire, l’usage du mot chrĂ©tientĂ© porte Ă  question. Ce que nous dit l’auteur, c’est qu’au long de cette histoire, le message de l’Evangile a Ă©tĂ© un levain et qu’il a Ă©tĂ© et reste la matrice des grandes valeurs qui inspirent le monde occidental. Tom Holland nous dit comment personnellement il a Ă©tĂ© amenĂ© Ă  se poser ces questions Ă  partir de son expĂ©rience de l’antiquitĂ© en prenant conscience de la violence insupportable qui y rĂ©gnait. Il nous montre en quoi le christianisme a Ă©tĂ© un choc culturel par rapport Ă  la civilisation romaine, et l’inspiration Ă©vangĂ©lique, une force transformatrice au cours des siĂšcles, dans le sillage du Christ crucifiĂ©, prenant le parti des pauvres face aux riches et aux puissants. Cependant, le christianisme a souvent Ă©tĂ© desservi et trahi par les institutions. Le reflux du « christianisme organisĂ© » tĂ©moigne d’un porte-Ă -faux. Cette histoire est donc complexe. Cependant, Tom Holland nous montre qu’aujourd’hui encore, l’imprĂ©gnation Ă©vangĂ©lique est toujours active jusque dans des milieux sĂ©culiers et Ă©loignĂ©s de la religion . Ce sont des valeurs chrĂ©tiennes qui inspirent les mouvements contemporains au service du respect de l’humanitĂ© et des droits humains quelle qu’en soit la forme.

 

Comment Tom Holland a pris conscience de l’originalitĂ© de l’inspiration chrĂ©tienne

 Tom Holland s’est d’abord orientĂ© vers l’étude de l’antiquitĂ© . Ses premiers ouvrages d’historien ont portĂ© sur les invasions perses de la GrĂšce et les ultimes dĂ©cennies de la civilisation romaine. Au dĂ©part, il Ă©tait fascinĂ© par la civilisation grĂ©co-romaine et ses personnages emblĂ©matiques. Et puis, progressivement, il a pris conscience de la barbarie que cette civilisation vĂ©hiculait. Et elle lui est apparue comme de plus en plus Ă©trangĂšre : « Les valeurs de LĂ©onidas, dont le peuple avait pratiquĂ© une forme particuliĂšrement atroce d’eugĂ©nisme en entrainant les jeunes Ă  assassiner de nuit les « untermenschen », les sous-hommes, n’étaient pas les miennes, ni celles de CĂ©sar qui aurait tuĂ© un million de gaulois et rĂ©duit en esclavage un million d’autres 
 Ce n’était pas seulement leur violence extrĂȘme qui me troublait, mais leur absence totale de considĂ©ration pour les pauvres et pour les faibles » (p 27).

Tom Holland, aprĂšs une enfance pieuse, s’était Ă©loignĂ© de la foi chrĂ©tienne, mĂȘme « s’il continuait vaguement de croire en Dieu ». « Le Dieu biblique lui apparaissait comme l’ennemi de la libertĂ© et du plaisir » ( p 26). Alors, dans cette prise de conscience, il a compris combien les valeurs chrĂ©tiennes Ă©taient prĂ©cieuses. « L’effacement de ma foi chrĂ©tienne au cours de l’adolescence ne signifiait pas que j’eus cessĂ© d’ĂȘtre chrĂ©tien. Les postulats avec lesquels j’ai grandi sur la meilleure maniĂšre de gouverner une sociĂ©tĂ© et sur les principes qui devraient ĂȘtre les siens, ne proviennent pas de l’antiquitĂ© classique, encore moins d’une quelconque « nature humaine », mais trĂšs clairement de son passĂ© chrĂ©tien. L’impact du christianisme sur le dĂ©veloppement de l’Occident est un fait si profond qu’il en est venu Ă  ne plus ĂȘtre perçu 
 Ce livre explique ce qui a rendu le christianisme si subversif et perturbateur, comment il a fini par imprĂ©gner la mentalitĂ© de la chrĂ©tientĂ© latine et pourquoi, dans un Occident souvent incrĂ©dule Ă  l’égard des prĂ©tentions de la religion, nos attitudes restent, pour le meilleur et pour le pire, profondĂ©ment chrĂ©tiennes » ( p 28).

 

Face Ă  la domination et Ă  la violence, l’élan de la rĂ©vĂ©lation chrĂ©tienne

Notre image de l’antiquitĂ© grĂ©co-romaine nous renvoie gĂ©nĂ©ralement au prestige de grandes Ɠuvres intellectuelles ou monumentales. Nous recevons ainsi un hĂ©ritage. Mais il s’agit de la meilleure part, car, comme Tom Holland en a pris progressivement conscience, il y a Ă  l’arriĂšre-plan des mƓurs barbares oĂč la violence des puissants se dĂ©ploie au dĂ©pens des faibles dans une omniprĂ©sence de l’esclavage.

Le chĂątiment de la crucifixion est emblĂ©matique de la puissance romaine. Tom Holland nous dĂ©crit cette horreur rĂ©pandue au cƓur de Rome et dans tout l’empire . Ce livre commence par une effroyable description d’un quartier de Rome longtemps rĂ©servĂ© Ă  une crucifixion de masse. « Aucune mort ne semblait Ă©galer la crucifixion dans l’ignominie. Cela en faisait le chĂątiment tout dĂ©signĂ© pour les esclaves
. Pour se montrer dissuasif, celui-ci devait s’exĂ©cuter en public. Et, rien n’évoquait avec plus d’éloquence l’échec d’une rĂ©volte que la vue des centaines et des centaines de corps suspendus Ă  des croix alignĂ©es le long d’une voie ou amassĂ©es au pied d’une citĂ© rebelle ou encore de collines alentour dĂ©pouillĂ©es de leurs arbres » ( p 12). Si la cruautĂ© de ce chĂątiment n’échappait pas Ă  certains esprits, « l’effet salutaire des crucifixions sur ceux qui menaçaient l’ordre rĂ©publicain ne faisait guĂšre de doute aux yeux des romains » (p 11).

Ainsi, la croix Ă©tait l’instrument d’un systĂšme glorifiant la puissance des hommes de pouvoir et des dieux au dĂ©triment des opprimĂ©s. En mourant sur une croix, JĂ©sus a bouleversĂ© l’ordre dominant. Et cette subversion s’est rĂ©pandue dans l’histoire. « Que le fils de Dieu, nĂ© d’une femme et condamnĂ© Ă  la mort d’un esclave, ait pĂ©ri sans ĂȘtre reconnu par ses juges Ă©tait propice Ă  faire rĂ©flĂ©chir mĂȘme le plus arrogant des monarques » Il y avait lĂ  la source « d’un soupçon capital que Dieu Ă©tait plus proche des faibles que des puissants, des pauvres que des riches » ( p 20).

Par ailleurs, Ă  tous Ă©gards, en la personne de Paul, la prĂ©dication chrĂ©tienne s’est avĂ©rĂ©e rĂ©volutionnaire. Dans un chapitre : « Mission », il nous est montrĂ© toute la portĂ©e de ce message. « Les juifs, tels des enfants soumis Ă  la protection d’un tuteur, avaient reçu la grĂące de se faire le gardien de la loi divine. Mais la venue du Christ avait rendu cette mission caduque
. Le caractĂšre exclusif de cette alliance Ă©tait abrogĂ©e. Les anciennes distinctions entre eux et les autres, dont la circoncision masculine constituait le symbole, se voyaient transcendĂ©e. Juifs et grecs, galates et scythes, tous Ă©gaux dans la foi en JĂ©sus-Christ, formaient dĂ©sormais le peuple saint de Dieu » ( p 102). « Et la loi du Dieu d’IsraĂ«l pouvait ĂȘtre lue et inscrite dans le cƓur humain par son Esprit » ( p 113). L’universalitĂ© de ce message Ă©tait et est encore rĂ©volutionnaire. C’était et c’est encore un message d’amour et de respect. Dans un monde oĂč la domination masculine s’imposait, c’était Ă©galement proclamer la dignitĂ© de la femme. Dans le monde de NĂ©ron, un monde oĂč la dĂ©bauche sexuelle Ă©tait Ă  son paroxysme, comme l’auteur nous en dĂ©crit la rĂ©alitĂ© suffocante, Paul proclame le respect du corps, « temple du Saint Esprit » ( p 119). LĂ  aussi c’est un message rĂ©volutionnaire. Pendant des siĂšcles, ce message a transformĂ© les consciences et il a transformĂ© l’Occident. Si cet idĂ©al a bien souvent Ă©tĂ© bafouĂ©, il a nĂ©anmoins  changĂ© les mentalitĂ©s en profondeur.

Tout au long de ce livre, Tom Holland nous montre comment ce message s’inscrit encore aujourd’hui dans les esprits, chez ceux qui vivent la foi chrĂ©tienne, mais aussi dans ceux qui l’ont dĂ©laissĂ©e et ont quittĂ© les institutions religieuses. « Comment se fait-il qu’un culte inspirĂ© par l’exĂ©cution d’un obscur criminel dans un empire disparu ait pu imprimer une marque si profonde et durable dans le monde ? » ; C’est la question Ă  laquelle Tom Holland rĂ©pond dans ce livre. « Il suit les courants de l’empire chrĂ©tien qui se sont rĂ©pandu le plus largement et ont survĂ©cu jusqu’à nous » (p 23). « Aujourd’hui, alors que nous sommes les tĂ©moins d’un rĂ©alignement gĂ©opolitique sismique, que nos principes se rĂ©vĂšlent moins universels que certains d’entre nous ne l’auraient imaginĂ©, le besoin de reconnaĂźtre Ă  quel point ceux-ci sont culturellement contingents, est plus puissant que jamais. Etre citoyen d’un pays occidental revient Ă  vivre dans une  sociĂ©tĂ© toujours saturĂ©e de convictions et de supputations chrĂ©tiennes » (p 23).

 

De maniùre visible ou invisible, l’inspiration de l’Evangile active au fil des siùcles et toujours aujourd’hui.

 En rapportant l’histoire de la civilisation chrĂ©tienne, Tom Holland a cherchĂ© Ă  en montrer les accomplissements et les crimes, mais, comme il nous le dit, son jugement a Ă©tĂ© lui-mĂȘme conditionnĂ© par les valeurs chrĂ©tiennes. Ce sont ces valeurs qui, de fait, ont engendrĂ© la proclamation des droits humains, mĂȘme si cette origine, fut dĂšs l’époque plus ou moins passĂ©e sous silence. « Des deux cĂŽtĂ©s de l’Atlantique, les rĂ©volutionnaires considĂ©raient que les droits de l’homme existaient naturellement depuis toujours et qu’ils transcendaient le temps et l’espace » Pour l’auteur, c’est lĂ  « une croyance fantastique ». « Le concept des droits de l’homme avait Ă©tĂ© Ă  ce point mĂ©diatisĂ©, depuis la RĂ©forme, par les juristes et les philosophes protestants qu’il en Ă©tait venu Ă  masquer ses vĂ©ritables origines. Il ne provenait pas de la GrĂšce antique, ou de Rome
C’était un hĂ©ritage de jurisconsultes du Moyen-Age
. ».

Tom Holland nous montre la prĂ©gnance des valeurs chrĂ©tiennes jusque dans les mouvements qui sont sortis des cadres sociaux du christianisme. Les adversaires du christianisme s’y opposent bien souvent en fonction mĂȘme de l’esprit de l’Evangile. « Alors mĂȘme que Voltaire prĂ©sente le christianisme comme hargneux, provincial, meurtrier, son rĂȘve de fraternitĂ© ne faisait que trahir ses origines chrĂ©tiennes. De mĂȘme que Paul avait proclamĂ© qu’il n’y avait ni juif, ni grec dans le Christ JĂ©sus, un avenir baignĂ© dans d’authentiques LumiĂšres ne comporterait ni juif, ni chrĂ©tien, ni musulman. Toutes leurs diffĂ©rences seraient dissoutes. L’humanitĂ© ne ferait qu’un «  ( p 434). Le souci des humbles et des souffrants, qui mobilise aujourd’hui tant d’hommes et de femmes pour de grandes causes, est, lui aussi, directement issu du christianisme. Des adversaires extrĂȘmes du christianisme le montrent bien puisqu’ils rejettent Ă  la fois le vĂ©cu chrĂ©tien  et les idĂ©aux de compassion et d’égalitĂ©. Ce fut le cas de Nietzsche ( p 513-514).

Et, aujourd’hui, dans les dĂ©bats sur les questions de sociĂ©tĂ©, des positions adverses s’inspirent de valeurs chrĂ©tiennes reprises diffĂ©remment. « L’idĂ©e que la guerre de religion en AmĂ©rique se livre entre les chrĂ©tiens d’un cĂŽtĂ© et ceux qui se sont Ă©mancipĂ©s du christianisme de l’autre, est une exagĂ©ration que les deux parties ont intĂ©rĂȘt Ă  promouvoir.. En rĂ©alitĂ©, Ă©vangĂ©liques comme progressistes sont issus de la mĂȘme matrice. Si les adversaires de l’avortement hĂ©ritent de Macine qui avait parcouru les dĂ©charges de la Cappadoce Ă  la recherche d’enfants abandonnĂ©s Ă  sauver, ceux qui les combattent s’appuient sur la supposition non moins chrĂ©tienne que le corps de la femme devrait ĂȘtre respectĂ© comme tel par tout hommes. Les partisans du mariage homosexuel se montrent pour leur part tout autant inspirĂ©s par l’enthousiasme de l’Eglise pour la fidĂ©litĂ© monogame que ses opposants par les condamnations bibliques des hommes qui couchent avec des hommes » ( p 586).

Si dans l’histoire du christianisme, il y a bien des Ă©pisodes qui sont marquĂ©s par la violence et la domination, « les normes selon lesquelles ils furent condamnĂ©s pour cela restĂšrent chrĂ©tiennes ».

Et, aujourd’hui encore, ces normes, bien souvent non identifiĂ©es comme telles, restent vigoureuses. « MĂȘme si les Eglises devaient continuer Ă  se vider dans tout l’Occident, il semble peu probable que ces normes changeraient rapidement. « Dieu a choisi les Ă©lĂ©ments faibles du monde pour confondre les forts ». Tel est le mythe auquel nous persistons Ă  nous accrocher. En ce sens, la chrĂ©tientĂ© reste la chrĂ©tienté » ( p 592).

 

Passé, présent et avenir

 Les lectures de l’histoire du christianisme  diffĂ©rent selon les regards qui lui sont portĂ©s. L’approche d’un historien dĂ©pend de son contexte personnel qui, lui-mĂȘme induit tel ou tel questionnement.

Ainsi Jean Delumeau a explorĂ© le climat de peur engendrĂ© par une image de Dieu et un systĂšme rĂ©pressif.. Son oeuvre historique milite en faveur d’un christianisme ouvert Ă  la modernitĂ©. Conscient de l’écart entre les propositions du christianisme institutionnel et la culture actuelle, souvent dĂ©signĂ©e comme ultra-moderne, nous avons cherchĂ© un Ă©clairage dans des lectures historiques montrant comment l’élan du premier christianisme s’était figĂ© et emprisonnĂ© dans une systĂšme  hĂ©ritĂ© de la conjonction entre l’empire romain et l’Eglise et ayant perdurĂ© pendant des siĂšcles avant de soulever des vagues de protestation. Quant Ă  lui, Tom Holland s’attache Ă  mettre en Ă©vidence le caractĂšre rĂ©volutionnaire du message chrĂ©tien Ă  son apparition dans le monde antique et la puissance de la matrice chrĂ©tienne Ă  travers les siĂšcles jusqu’à aujourd’hui. Il retient notamment son engagement en faveur des pauvres et des faibles et son caractĂšre universaliste . Dans cette entreprise, il accorde une place majeure Ă  la croix alors qu’on pourrait mettre Ă©galement en Ă©vidence la rĂ©surrection du Christ, l’Ɠuvre de l’Esprit et l’espĂ©rance qui est ainsi dĂ©ployĂ©e. N’est-ce pas cette espĂ©rance qui a animĂ© certains mouvements contemporains comme la campagne pour les droits civiques  engagĂ©e par Martin Luther King contre la discrimination raciale ou la thĂ©ologie de la libĂ©ration.  C’est la thĂ©ologie de l’espĂ©rance  exprimĂ©e par JĂŒrgen Moltmann (2)

Ainsi, il y a bien un lien entre passé, présent et avenir
L’importance de ce livre nous paraĂźt rĂ©sider dans le fil conducteur qui met en valeur l’influence majeure de la matrice chrĂ©tienne dans la civilisation occidentale, et, tout particuliĂšrement dans la maniĂšre dont cette influence continue Ă  s’exercer dans une sociĂ©tĂ© sĂ©cularisĂ©e, apparemment dĂ©christianisĂ©e. Ainsi parle-t-on aujourd’hui d’une « sortie de la religion », mais tout dĂ©pend de ce qu’on entend par ce terme. Tom Holland nous dit qu’en rĂ©alitĂ© le message Ă©vangĂ©lique est toujours prĂ©sent et actif dans la profondeur des mentalitĂ©s. Et, Ă  bien y rĂ©flĂ©chir, on mesure les gains accomplis au cours des siĂšcles par rapport aux mƓurs barbares qui prĂ©dominaient dans l’antiquitĂ©. C’est comme si le message chrĂ©tien avait agi comme un levain. Si le monde aujourd’hui est en danger, il y a aussi des atouts dans la crĂ©ativité   scientifique et technologique et les prises de conscience qui se multiplient :  conscience Ă©cologique, mais aussi conscience de la montĂ©e d’une nouvelle donne relationnelle : promotion des femmes, respect des minoritĂ©s, nouveau regard oĂč prend place l’empathie, la bienveillance, le « care »  Voici un horizon oĂč on peut lire une prĂ©sence du levain Ă©vangĂ©lique quel que soit soit le dĂ©phasage des institutions. Et, dans une attention et une Ă©coute croyante, ne peut-on y voir l’oeuvre de l’Esprit et regarder ainsi en avant ?

J H

 

  1. Tom Holland. Les Chrétiens. Comment ils ont changé le monde. Editions Saint Simon, 2019 . Ce livre a été présenté sur France Culture : https://www.franceculture.fr/emissions/le-tour-du-monde-des-idees/ce-que-lesprit-occidental-doit-au-christianisme Tom Holland a été interviewé en France sur la portée et la pertinence de ce livre :      https://www.youtube.com/watch?v=LMRwkqcl3Lw&feature=emb_logo
  2. Un accĂšs Ă  la pensĂ©e thĂ©ologique de JĂŒrgen Moltmann sur le blog : « l’Esprit qui donne la vie » : https://lire-moltmann.com

Susciter un climat de convivialité et de partage

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La bibliothĂšque comme espace de rencontre

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         Au cours de son itinéraire professionnel de bibliothécaire, Blandine Aurenche a joué, entre autres, un rÎle de médiatrice.

«  La bibliothĂšque est un carrefour. les gens s’y croisent pour des motifs extrĂȘmement variĂ©s. Comme bibliothĂ©caire, j’ai essayĂ© de permettre Ă  des gens qui passent de se sentir bien Ă  l’aise dans ce lieu pour y dĂ©couvrir ce qu’il offre et croiser leurs dĂ©couvertes avec celles des autres. Cette attitude requiert beaucoup d’écoute surtout si l’on veut entendre les suggestions des gens ».

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         Comment susciter un climat de convivialité et de partage ?

« Il y a d’abord une rupture avec l’ancienne conception de la bibliothĂšque. Ce ne sont plus les collections qui sont premiĂšres et qui dĂ©finissent la bibliothĂšque. La mĂ©diathĂšque publique s’inscrit dans une perspective toute autre. Pour moi, c’est un espace de rencontre entre une population et des supports d’information divers, Ă  travers des Ă©changes et des temps de convivialitĂ©.  Je ne m’adresse pas Ă  des lecteurs isolĂ©s, mais Ă  une population . Et, dans cette population, seule une minoritĂ© est initiĂ©e Ă  l’usage classique de la bibliothĂšque . L’essentiel du travail des bibliothĂ©caires, outre l’acquisition de tous les mĂ©dias, est de faire en sorte que l’ensemble de la population, et en particulier, les habitants qui ne sont pas familiarisĂ©s avec le lieu, en dĂ©couvrent l’usage et puissent se l’approprier ».

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         Blandine Aurenche évoque de nombreuses situations.

«  Je pense par exemple Ă  de jeunes mamans d’origine Ă©trangĂšre, accueillies dans un foyer. On est allĂ© lire rĂ©guliĂšrement des livres Ă  leurs enfants devant elles. Au bout de quelques mois, ces mamans ont Ă©tĂ© accueillies Ă  la bibliothĂšque. On les a vraiment reçues avec un thĂ© Ă  la menthe. On a pris le temps de bavarder, de leur expliquer ce Ă  quoi servait la bibliothĂšque. La plupart de ces mamans sont ensuite revenues rĂ©guliĂšrement pour elles-mĂȘmes. Elles se sont servies de l’ordinateur pour celles qui savaient Ă©crire et lire. Elles se sont mises Ă  emprunter des livres, des CD, des DVD. Elles sont devenues des « clientes » Ă  part entiĂšre.

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         Dans la bibliothĂšque, il y a un rayon important de nouveautĂ©s. Nous essayons d’ĂȘtre trĂšs rĂ©actifs aux nouvelles parutions. SpontanĂ©ment ;les lecteurs ont trĂšs vite donnĂ© leur avis en mettant des petits papiers sur les livres. C’est un exemple de la maniĂšre dont les lecteurs ont investi le lieu ;

         Autre exemple : un lecteur est venu me voir pour me proposer d’organiser un cinĂ© club. Avec lui, nous avons dĂ©cidĂ© de faire en sorte que, chaque mois, un habitant vienne animer une sĂ©ance autour d’ un film choisi par lui. Et cela marche trĂšs bien.

         Des lecteurs nous ont Ă©galement proposĂ© Ă  plusieurs reprises d’inviter un musicien, un auteur qu’ils connaissaient.

         Effectivement, on constate un grand dĂ©sir de participation.  AprĂšs l’ouverture d’une mĂ©diathĂšque, une quinzaine de personnes ont proposĂ© spontanĂ©ment de faire du soutien scolaire ou de la lecture aux enfants sans qu’on les ait le moins du monde sollicitĂ©es. A partir de lĂ , nous avons organisĂ© des sĂ©ances de soutien scolaire.

         Autre exemple d’investissement personnel. Nous avons une table dĂ©volue Ă  un jeu d’échecs. Tous les samedis, sans qu’on le connaisse au dĂ©but et sans qu’on lui demande, un monsieur d’un certain Ăąge est venu s’installer Ă  cette table d’échec et s’est mis Ă  jouer avec ceux qui le souhaitaient. Et, petit Ă  petit, il a appris aux enfants Ă  jouer aux Ă©checs.

         Nous avons un jardin dans la bibliothĂšque. Un papa s’est proposĂ© pour venir, tous les samedis, entretenir ce jardin avec ses enfants et tous les autres enfants qui le souhaitaient.

         Aujourd’hui, les mamans Ă©trangĂšres ont pris l’habitude d’entrer dans la bibliothĂšque et d’y passer un bon moment lorsqu ’elles viennent chercher leurs enfants. J’ai l’impression que les gens se sentent chez eux.

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         Nous rĂ©servons le mĂȘme accueil aux adolescents.

Un garçon qui, en classe de troisiĂšme, avait Ă  lire « la VĂ©nus d’Isle » de Prosper MĂ©rimĂ©e, difficile pour un garçon de cet Ăąge, cherchait ce livre. Il m’a dit : « J’en ai marre. Je n’arrive jamais Ă  lire ces livres. C’est trop difficile ». En fait, il aurait souhaitĂ© que je fasse une fiche de lecture Ă  sa place. Je lui ai proposĂ© de lui lire Ă  haute voix le premier chapitre. Puis, nous avons convenu qu’il revienne  pour que je lui lise la suite. Je lui ai lu l’ensemble du livre. Et, en mĂȘme temps, je l’ai aidĂ© Ă  dĂ©crypter certaines expressions difficiles. Cela a changĂ© beaucoup son attitude vis-Ă -vis de la bibliothĂšque et peut-ĂȘtre vis-Ă -vis de la lecture.

         J’ai rencontrĂ© un  ancien petit lecteur qui est devenu unĂ©lu municipal. Je lui lisais souvent le dĂ©but des livres qu’il devait lire pour la classe. On pouvait en discuter. Il m’a dit que cela l’avait beaucoup aidĂ©. Cela lui avait permis de faire le pas pour s’approprier la lecture . Il me semble que le travail de la bibliothĂ©caire est de faire un petit bout de chemin avec des jeunes pour leur donner des clefs et les aider ainsi Ă  « entrer en littĂ©rature »..

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          Comment un climat convivial émerge-t-il ?

« A la bibliothĂšque Louise Michel, on a créé le cafĂ© de Louise, un temps d’échange sur les livres que les gens auto-gĂ©rent pratiquement. Entre eux, les gens Ă©changent sur leurs lectures. C’est comme dans un cinĂ© club.

         La bibliothĂšque devient un lieu familier dans le quartier. Les gens qui viennent commencent Ă  parler entre eux. Certains sont devenus amis. Beaucoup viennent tous les jours et y passent un petit moment. Ils viennent lire le journal, bavardent avec d’autres lecteurs ou avec des bibliothĂ©caires.

         A quoi un tel lieu sert-il ? Pour moi, c’est un lieu de gratuitĂ©. Les gens ne sont pas forcĂ© de venir. Mais ils sont reconnus et accueillis pour eux-mĂȘmes. C’est donc un lieu de respiration oĂč on peut se poser, se ressourcer. C’est un lieu de vie sociale oĂč on peut entrer en contact avec d’autres dans un climat convivial ».

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Contribution de Blandine Aurenche.

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Sur le mĂȘme sujet,on pourra lire aussi :

Sur ce blog : « Laissez les lire ! Une dynamique relationnelle et éducative ».  https://vivreetesperer.com/?p=523

Sur le site de TĂ©moins : Emergence d’expaces conviviaux et aspirations contemporaines. TroisiĂšme lieu (« Third place ») et nouveaux modes de vie » : http://www.temoins.com/index.php?option=com_content&view=article&id=1012&catid=4

L’économie positive

Changement dans les esprits.

Nouvelles finalités, nouvelles approches.

La grande crise financiĂšre et Ă©conomique, que nous traversons, est en train de susciter des remises en cause et des prises de consciences et aussi d’engendrer des attentes et des approches nouvelles. Comme l’écrit Michel Serres : « Si nous vivons une crise, aucun retour en arriĂšre n’est possible. Il faut donc inventer du nouveau » (1). Des reprĂ©sentations et des attitudes nouvelles sont en train d’apparaĂźtre et de se propager. De l’intĂ©rieur, la pratique Ă©conomique commence Ă  changer.

Parmi les premiers signes de transformation, figure le LHforum, premier forum international sur le thĂšme de l’économie positive et responsable (2), organisĂ© dans la ville du Havre, le 13 et 14 septembre 2012, Ă  l’initiative du groupe PlaNet finance, fondĂ© par Jacques Attali et Arnaud Lentura et devenu la premiĂšre institution globale de microfinance dans le monde.  Le forum a permis de mettre en Ă©vidence des initiatives trĂšs diverses. Abondamment commentĂ©e dans les mĂ©dias, cette manifestation a fait connaĂźtre le courant de l’économie positive .

Dans une vidéo introductive (2 ), Jacques Attali nous introduit dans la dynamique de ce mouvement. Ses propos sont particuliÚrement éclairants .

Jacques Attali constate que le monde entier prend conscience aujourd’hui de sa fragilitĂ©. La prĂ©caritĂ© n’est plus le lot exclusif des pays pauvres. Elle apparaĂźt comme une menace dans les pays dĂ©veloppĂ©s. C’est « la prise de conscience d’une situation prĂ©caire pour tout le monde ». « Nos civilisations sont mortelles, nos statuts sont fragiles, nos vies sont prĂ©caires ». Quel avertissement !

La planĂšte se transforme Ă  vive allure. La mondialisation, en marche depuis 3000 ans, suscite une Ă©conomie dĂ©finitivement mondiale, Ă  la fois « nĂ©cessaire et inĂ©vitable ». Mais si cette mondialisation n’est pas accompagnĂ©e par l’affirmation de la « rĂšgle de droit », et si possible d’une «rĂšgle de droit dĂ©mocratique », « elle conduira au chaos »

Progressivement, des systĂšmes de protection sociale sont apparus dans de nombreux pays. Aujourd’hui, on a besoin d’un mouvement analogue Ă  l’échelle mondiale. Il faut « transfĂ©rer Ă  l’échelle mondiale cette prise de conscience d’une solidaritĂ© qui a surgi dans les diffĂ©rents pays ».

L’économie positive est une nouvelle maniĂšre d’envisager l’économie. Et, en particulier, le profil y perd son caractĂšre dominateur.  « Le profil n’est plus une fin, mais un outil pour atteindre des valeurs plus Ă©levĂ©es : altruisme, Ă©thique, morale, qualitĂ© de vie
 Les richesses créées ne sont plus une fin en soi, mais un moyen
L’argent doit ĂȘtre considĂ©rĂ© comme le pinceau du peintre et non comme l’Ɠuvre d’art   ».

C’est un changement de perspective qui est entrain de se produire et qui commence Ă  se manifester avec vigueur dans des entreprises pionniĂšres. « L’économie peut ĂȘtre retournĂ©e de façon positive si elle considĂšre que sa finalitĂ© est Ă©thique  »

La transformation du systĂšme Ă©conomique ne se fera pas sans oppositions et sans conflits. Mais une vision nouvelle est en train d’apparaĂźtre comme le montre JĂ©rĂ©mie Rifkin dans son livre sur la « TroisiĂšme RĂ©volution industrielle » (3). Et, si on suit Jacques Lecomte dans son livre sur la bontĂ© humaine (4),  des Ă©volutions dans les mentalitĂ©s sont en cours. Face aux ravages engendrĂ©s par un systĂšme en crise , la rĂ©flexion des chercheurs (5 ) et la montĂ©e d’un nouvel Ă©tat d’esprit vont appuyer les actions rĂ©formatrices. Une piste Ă  suivre attentivement


J H

 

(1)            Serres (Michel). Le temps des crises . Le Pommier , 2009.  Citation en page de couverture.

(2)            Site sur le mouvement et présentation du forum : http://www.lhforum.com/

(3)            Sur ce blog : « Face Ă  la crise, un avenir pour l’économie : la troisiĂšme rĂ©volution industrielle » https://vivreetesperer.com/?p=354

(4)             Sur ce blog : « La bonté humaine, est ce possible ? » https://vivreetesperer.com/?p=674

(5)            Sur ce blog : « Pour rĂ©former la finance
 le livre de James Fatherley : « Of markets and men »