par jean | Déc 27, 2011 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Vision et sens |
Lorsque la rĂ©alitĂ© spirituelle sort de lâordinaire
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        Il arrive que soudain une personne ressente la conscience dâune rĂ©alitĂ© belle et bonne qui la dĂ©passe, une prĂ©sence qui suscite en elle une impression inĂ©galĂ©e de plĂ©nitude. Ce sont lĂ des expĂ©riences qui sortent de lâordinaire, mais qui nĂ©anmoins adviennent Ă certains comme une recherche rĂ©cente le montre Ă partir dâune enquĂȘte menĂ©e en Grande-Bretagne. Ces expĂ©riences ne sont pas rĂ©servĂ©es aux croyants. En grande majoritĂ©, elle sont ressenties comme positives. Elles apparaissent comme Ă©tant en quelque sorte donnĂ©es comme la rĂ©vĂ©lation dâune rĂ©alitĂ© supĂ©rieure.
Dans le cadre dâune « UnitĂ© de recherche sur l âexpĂ©rience religieuse » fondĂ©e dans le cadre de lâUniversitĂ© du Pays de Galles, un chercheur britannique, Alister Hardy, au dĂ©part un zoologiste Ă©minent, a constituĂ© une banque de donnĂ©es rassemblant des rĂ©cits dâexpĂ©rience Ă partir desquelles il a Ă©tĂ© ensuite possible dâanalyser la nature et la fonction de ces expĂ©riences. Il sâest inspirĂ© dâune mĂ©thodologie qui lui Ă©tait familiĂšre, celle des sciences naturelles : recueillir des Ă©chantillons et les classer. A partir de publicitĂ©s diffusĂ©es dans la presse, il a donc demandĂ© Ă un vaste public de participer Ă une enquĂȘte. Sous diffĂ©rentes variantes, la question Ă©tait la suivante : « Vous est-il arrivĂ© dâavoir conscience dâune prĂ©sence ou dâune puissance (ou dâĂȘtre influencĂ©e par elle » que vous lâappeliez Dieu ou non et qui est diffĂ©rente de votre perception habituelle ? ». En rĂ©ponse, Hardy a rassemblĂ© plusieurs milliers de descriptions personnelles en provenance de gens ordinaires. Ces donnĂ©es ne sont quâune des sources dans lesquelles puisent David Hay, un autre chercheur britannique qui publie un livre sur la rĂ©alitĂ© de la vie spirituelle dans la sociĂ©tĂ© dâaujourdâhui. « Il y a bien quelque chose », tel est le titre donnĂ© Ă cet ouvrage : « Something there » (1). David Hay prĂ©sente dans ce livre des extraits de rĂ©cits dâexpĂ©riences. A titre dâexemple, en voici quelques descriptions.
Descriptions dâexpĂ©riences
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« JâĂ©tais dans une habitation Ă la campagne. Une nuit, Ă environ une heure du matin, je me suis lentement Ă©veillĂ© Ă un sentiment de sĂ©curitĂ© et de bonheur absolu. Câest comme si tout ce qui existait dans le monde autour de moi se mettait Ă chanter : « Tout est bien ». AprĂšs quelques minutes presque incroyables, je me levais et allais voir Ă la fenĂȘtre. Je vis alors la vallĂ©e remplie de lâamour de Dieu, coulant et dĂ©bordant de la route et des quelques maisons du village. CâĂ©tait comme si une grande source de lumiĂšre, dâamour et de bontĂ© Ă©tait lĂ dans la vallĂ©e. Je sortis et la lumiĂšre et lâassurance Ă©taient lĂ . Je regardais et regardais. Et, pour ĂȘtre honnĂȘte, je nâĂ©tais pas reconnaissant comme jâaurais du lâĂȘtre, mais je cherchais Ă enregistrer la conscience de cette joie et de cette sĂ©curitĂ© de telle maniĂšre que je ne puisse pas lâoublier » .
Voici une autre expĂ©rience, celle-lĂ dâune veuve dans la dĂ©tresse : « Jâavais perdu mon mari, six mois avant, et mon courage en mĂȘme temps. Je sentais que la vie nâaurait plus de sens si la peur sâinstallait pour me dominer. Un soir, sans aucune prĂ©paration, jâai su que jâĂ©tais dans la prĂ©sence de Dieu, quâil ne me laisserait jamais et quâIl mâaimait dâun amour au-delĂ de toute imaginationâŠÂ ».
Et maintenant un souvenir dâenfance : « Mon pĂšre avait lâhabitude dâemmener toute la famille en promenade, le dimanche soir. Nous marchions sur un chemin Ă©troit Ă travers un champ de blĂ©. JâĂ©tais en arriĂšre et me trouvais seule. Soudain, je fus enveloppĂ©e dans une lumiĂšre dorĂ©e. Jâai eu conscience dâune prĂ©sence si douce, si aimante, si brillante, si consolante, existant en dehors de moi, mais si proche. Je nâentendis pas de bruit. Mais quelques mots parvinrent Ă moi trĂšs distinctement : « Tout est bien. Tout est trĂšs bien ».
Ces expĂ©riences ont un grand impact qur la personnalitĂ© de ceux qui les reçoivent. Ajoutons ici un exemple rapportĂ© dans un autre livre : « Du cerveau Ă Dieu . Plaidoyer dâun neuroscientifique pour lâexistence de lâĂąme » (2). Lâauteur, Mario Beauregard, y consacre un chapitre aux expĂ©riences religieuses, spirituelles ou mystiques. Et lui-mĂȘme tĂ©moigne dâune expĂ©rience qui a influĂ© sur sa vie. « Lâune de ces expĂ©riences est survenue, il y a une vingtaine dâannĂ©es alors que jâĂ©tais allongĂ© dans mon lit. JâĂ©tais alors particuliĂšrement faible et je souffrais dâune forme sĂ©vĂšre de ce quâon appelle aujourdâhui le syndrome de fatigue chronique. LâexpĂ©rience a commencĂ© par une sensation de chaleur et de picotement dans la colonne vertĂ©brale et la poitrine. Tout Ă coup, jâai fusionnĂ© avec lâintelligence cosmique (ou lâultime rĂ©alitĂ©), source dâamour infini et je me suis retrouvĂ© uni Ă tout ce qui existe dans le cosmos. Cet Ă©tat dâĂȘtreâŠsâaccompagnait dâune intense fĂ©licitĂ© et extase⊠Cette expĂ©rience mâa transformĂ© psychologiquement et spirituellement et mâa donnĂ© la force nĂ©cessaire pour surmonter ma maladie et guĂ©rirâŠÂ » (p.388).
Les expériences religieuses et spirituelles.
Portée et évolution du phénomÚne.
Comme on vient de le voir, ces expĂ©riences sont trĂšs variĂ©es et elles sont rapportĂ©es diffĂ©remment. Ainsi le langage est diffĂ©rent selon que la personne a une culture religieuse ou non. En effet, ces expĂ©riences adviennent Ă des gens de toutes conditions, croyants ou non. Bien sĂ»r, elles suscitent une recherche concernant le sens qui peut leur ĂȘtre attribuĂ©e. Ces expĂ©riences sont Ă©galement soudaines. Elles sont sans commune mesure avec lâimagination. Ainsi bouleverse-t-elle souvent la personne au point que celle-ci sâinterroge et hĂ©site Ă en faire part, gardant cette mĂ©moire dans lâintimitĂ©. Au total, il apparaĂźt maintenant que ces expĂ©riences sont beaucoup plus nombreuses quâon aurait pu lâimaginer.
De fait, on dĂ©couvre aujourdâhui quâil y a lĂ un phĂ©nomĂšne important, jusque lĂ passĂ© sous silence et mĂ©connu. En effet, dans une acception large, David Hay a pu inscrire une question relative Ă ce phĂ©nomĂšne dans deux enquĂȘtes effectuĂ©es en Grande-Bretagne, en 1987 et 2000. Les rĂ©sultats sont surprenants. En effet, en 1987, 48% des personnes participant Ă un Ă©chantillon national dĂ©clarent quâils ont connu ce genre dâexpĂ©rience dans leur vie. En 2000, ce pourcentage a considĂ©rablement augmentĂ© et sâĂ©lĂšve Ă 76%. PrĂšs des trois quarts de la population britannique est ainsi concernĂ©.
Lâaugmentation considĂ©rable de ce pourcentage, dans une courte pĂ©riode : treize ans, a beaucoup surpris David Hay. Celui-ci interprĂšte cette situation dans les termes de lâabaissement dâune censure socioculturelle qui, jusque-lĂ , empĂȘchait les gens de sâexprimer librement Ă ce sujet.
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        Toutes ces descriptions, recueillies dans le cadre dâune recherche mĂ©thodique nous interpellent. Elles nous incitent Ă penser quâil y a bien une rĂ©alitĂ© supĂ©rieure au delĂ de notre apprĂ©hension immĂ©diate. Les personnes qui ont vĂ©cu des expĂ©riences de ce genre se posent Ă©videmment des questions sur le sens qui peut leur ĂȘtre attribuĂ©es. Ainsi, Ă 16 ans, un jeune allemand vĂ©cut une expĂ©rience de ce genre en pleine rue. A lâĂ©poque, il nâĂ©tait pas croyant et cette expĂ©rience suscita en lui une recherche de sens. Quelques annĂ©es plus tard, il dĂ©couvrit la foi chrĂ©tienne et il devint plus tard le grand thĂ©ologien, Wolfhart Pannenberg (3).
Rappelons la question initiale posĂ©e en vue de la collecte des descriptions de ces expĂ©riences : « Vous est-il arrivĂ© dâavoir conscience dâune prĂ©sence ou dâune puissance (ou dâĂȘtre influencĂ© par elle) que vous lâappeliez Dieu ou non, et qui est diffĂ©rente de votre perception habituelle ? ». Y a-t-il pas dans votre vie des souvenirs dâexpĂ©rience que vous aimeriez partager ?
JH
1)  Hay (David). Something there. The biology of the human spirit. Darton, Longman, Todd, 2006. PrĂ©sentation sur le site de TĂ©moins (rubrique : Ă©tudes) : « La vie spirituelle comme une « conscience relationnelle » . Une recherche de David Hay sur la spiritualitĂ© dâaujourdâhui ». http://www.temoins.com/etudes/la-vie-spirituelle-comme-une-conscience-relationnelle-.-une-recherche-de-david-hay-sur-la-spiritualite-aujourd-hui./toutes-les-pages.html
2)  Beauregard (Mario), O Leary (Denise). Du cerveau Ă Dieu. Plaidoyer dâun neuroscientifique pour lâexistence de lâĂąme. Tredaniel, 2008. Ce livre comporte un chapitre sur les expĂ©riences religieuses et spirituelles. PrĂ©sentation du livre sur le site de TĂ©moins : Lâesprit, le cerveau et les neurosciences (culture). http://www.temoins.com/culture/l-esprit-le-cerveau-et-les-neurosciences.html
3)  Cf : textes biographiques. Cette expĂ©rience fondatrice est mentionnĂ©e sur Wikipedia. Pannenberg fait partie des thĂ©ologiens qui reconnaissent dans lâhomme un sens spirituel Ă lâimage de Dieu.
par jean | Juil 25, 2012 | ARTICLES, Société et culture en mouvement, Vision et sens |
Des fleurs tapissent un coin de la vieille tranchée
La charge des coquelicots monte sur la colline
Des corbeaux noirs croassent sur les champs dépeuplés.
Souvenirs du passĂ©, force dâun renouveau
Le vent de la forĂȘt berce le cimetiĂšre
Et des enfants sâen vont sur les chemins boisĂ©s.
Pourquoi étions-nous jeunes au temps de la grande guerre.
Nous sommes née trop tÎt et avons tout perdu
Dans le brouillard sombre et le bruit des obus.
FĂȘtes de la victoire, discours Ă©parpillĂ©s un jour par annĂ©e
Ne nous rendrons jamais les beaux draps blancs que nous avons quittés.
La vue dâun peuplier qui miroite au printemps
Lâamour dâune femme, le sourire dâun enfant.
Comme lâorage qui vient est sillonnĂ© dâĂ©clairs
Comme la tempĂȘte arrache piĂšce Ă piĂšce notre vieille toiture,
Comme le flot débordant emporte la bonne terre
Et comme le tonnerre qui toujours retentit
Porteur de la grĂȘle et de son clapotis,
O guerres maudites, vous parsemez lâhistoire
Et quand la guerre finit
VoilĂ comme une vague du fond de lâocĂ©an
La sombre épidémie et ses halÚtements.
Pourquoi étions-nous jeunes au temps de la variole ?
Nous sommes nés trop tÎt au vent du choléra.
Pensez Ă nos chemins, hommes des temps modernes,
Notre passé vaut bien vos lendemains.
Vous tenez votre vie de nos frĂȘles amours
Les tours des cathédrales dominent encore vos cours.
Pourtant Ă©tions dĂ©munis de ce qui aujourdâhui affranchit votre vie.
O temps de lâavenir, brillante citĂ© terrestre,
A quoi servirait-il que nous te construisions
Si nos yeux devaient Ă jamais mourir
Et dans les cimetiĂšres nos corps pourrir
Comme tous ceux-là qui sont morts avant nous ?
La foule immense désarmée, massacré par le temps
DĂ©file devant nos yeux comme lâavenir de nos plans
Et mĂȘme si demain ils se rĂ©alisaient
Alors ne pourrions oublier vos souffrances et vos plaies.
A quoi serviraient-ils les lendemains qui chantent
Si tous vos cimetiÚres recouvraient la terre ?
A quoi servirait donc la roue de la technique
Si pour toujours vos cris étaient des cris
Et vos pleurs des pleurs ?
Dans le dĂ©sert dâun infini et dans le poids du temps
PlanĂšte dâentre milliers au sein du firmament
Le murmure de la vie sâest fait appel.
A quoi bon le festin et Ă quoi bon la fĂȘte
Si demain est la mort et la mort demain ?
Présence salutaire, vivante Eternité,
A nos cĆurs douloureux envoie un Messager
Un murmure secret a rĂ©veillĂ© nos cĆurs,
Partie dâun coin de terre est venue lâEspĂ©rance
Comme une onde, atteint les plus lointains rivages,
A travers les siĂšcles, Ă travers le temps, sans cesse se propage.
Câest la bonne nouvelle, la seule dĂ©cisive
Résurrection du Christ, résurrection des morts
Et puisquâen attendant, il faut que lâhomme vive
Et que tombent les écailles de nos déchirements
PrĂ©sence de lâEsprit, renouveau de la terre, rĂ©surrection des vivants.
J H
Ce poĂšme, en forme de cri, a Ă©tĂ© Ă©crit, il y a des annĂ©es. Câest une question lancinante qui est toujours lĂ . En regard, un thĂ©ologien, JĂ»rgen Moltmann, qui a vĂ©cu lâenfer du bombardement de Hambourg en 1943, a trouvĂ© le chemin pour nous dĂ©voiler la puissance infinie de Dieu Ă lâĆuvre pour libĂ©rer les vivants et les morts, pour nous dĂ©livrer du mal.
Délivre-nous du mal !
JĂŒrgen Moltmann entend et se fait le porte parole de tous ceux qui ont souffert de la violence et de lâinjustice. Il y a dans ce monde, un grand cri, une grande demande de justice. « Sâil nây avait pas de Dieu, quâarriverait-il Ă ceux qui ont faim et soif de justice dans ce monde ? » (p.61).
Ainsi, les différentes séquences de la Bible nous montre comment Dieu vient à notre secours, apporte la justice, nous rend juste.
A travers la rĂ©surrection de JĂ©sus-Christ, lâhistoire change de visage. A la croix, JĂ©sus devient le compagnon de tous ceux qui se sentent abandonnĂ©s de Dieu. Il libĂšre les hommes du pĂ©chĂ© et de la culpabilitĂ©. « A travers la puissance de vie de sa rĂ©surrection, Il entraĂźne Ă la fois les victimes et les persĂ©cuteurs dans une relation juste avec Dieu et les uns avec les autres. Dans cette loi de vie nouvelle, ils peuvent vivre, car elle sâĂ©tend Ă la fois aux vivants et aux morts et met fin aux revendications du mal » (p.76). Nous voici engagĂ©s dans un immense processus. « La crĂ©ation nouvelle de Dieu apparaĂźt dĂ©jĂ aujourdâhui au milieu dâun monde encore marquĂ© par la mort. Elle sera accomplie quand, en Christ, « le Royaume sera remis Ă Dieu » et quâainsi le but sera atteint et que Dieu sera tout en tous » (1 Cor 15.28).
J H
Source : Les malheurs de lâhistoire. DĂ©livre-nous du mal. PrĂ©sentation de la pensĂ©e de JĂŒrgen Moltmann sur le site : lâEsprit qui donne la vie http://www.lespritquidonnelavie.com/? p=702
« DĂ©livre-nous du mal. La justice de Dieu et la renaissance de la vie », p 71-98. In : JĂŒrgen Moltmann. De commencements en recommencements. Une dynamique dâespĂ©rance. Empreinte, 2012.
Plus largement, « LâespĂ©rance des chrĂ©tiens nâest pas une espĂ©rance exclusive ou particulariste, mais une espĂ©rance inclusive et universelle en la vie qui surmonte la mort ». Voir : « La vie par delĂ la mort » sur le site : « LâEsprit qui donne la vie ». http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=822
par jean | Fév 17, 2020 | ARTICLES |
« The making of the western mind » de Tom Holland
 « Dominion : The making of the western mind » (la formation de la mentalitĂ© occidentale », câest le titre du livre dâun historien britannique, Tom Holland, traduit en français sous un titre plus explicite : « Les chrĂ©tiens. Comment ils ont changĂ© le monde » (1). Quâest-ce Ă dire ? A une Ă©poque oĂč la pratique chrĂ©tienne recule dans les pays occidentaux et particuliĂšrement en Europe, le christianisme continue-t-il Ă inspirer nos sociĂ©tĂ©s ? Câest la question que sâest posĂ© cet historien. Il y rĂ©pond dans un volume de plus de 600 pages qui dĂ©roule la fil de lâhistoire du christianisme Ă travers vingt siĂšcles comme une vĂ©ritable Ă©popĂ©e, alternant rĂ©cit Ă©pique et analyse historique dans une vingtaine de grands moments rĂ©partis entre lâantiquitĂ©, la chrĂ©tientĂ© et la modernitĂ©.
« Le fracas des armes, le choc des ego, les guerres civiles qui scandent lâhistoire des religions monothĂ©istes nous le rappellent : la plus grande histoire du monde, lâavĂšnement du christianisme, de lâantiquitĂ© jusquâaux crises migratoires, est une Ă©popĂ©e. Une histoire pleine de bruits et de fureurs opposant athĂ©es et croyants, islam et chrĂ©tientĂ©. Face Ă la montĂ©e du matĂ©rialisme, du divorce entre lâEglise et le message Ă©vangĂ©lique Ă la crise de foi et aux nouvelles guerres de religion, la chrĂ©tientĂ© maintiendra-t-elle sa suprĂ©matie ? Ou, confrontĂ©e au recul du sacrĂ©, fait-elle partie du monde dâhier ? » (page de couverture).
Sans doute, dans cette affaire, lâusage du mot chrĂ©tientĂ© porte Ă question. Ce que nous dit lâauteur, câest quâau long de cette histoire, le message de lâEvangile a Ă©tĂ© un levain et quâil a Ă©tĂ© et reste la matrice des grandes valeurs qui inspirent le monde occidental. Tom Holland nous dit comment personnellement il a Ă©tĂ© amenĂ© Ă se poser ces questions Ă partir de son expĂ©rience de lâantiquitĂ© en prenant conscience de la violence insupportable qui y rĂ©gnait. Il nous montre en quoi le christianisme a Ă©tĂ© un choc culturel par rapport Ă la civilisation romaine, et lâinspiration Ă©vangĂ©lique, une force transformatrice au cours des siĂšcles, dans le sillage du Christ crucifiĂ©, prenant le parti des pauvres face aux riches et aux puissants. Cependant, le christianisme a souvent Ă©tĂ© desservi et trahi par les institutions. Le reflux du « christianisme organisĂ© » tĂ©moigne dâun porte-Ă -faux. Cette histoire est donc complexe. Cependant, Tom Holland nous montre quâaujourdâhui encore, lâimprĂ©gnation Ă©vangĂ©lique est toujours active jusque dans des milieux sĂ©culiers et Ă©loignĂ©s de la religion . Ce sont des valeurs chrĂ©tiennes qui inspirent les mouvements contemporains au service du respect de lâhumanitĂ© et des droits humains quelle quâen soit la forme.
Comment Tom Holland a pris conscience de lâoriginalitĂ© de lâinspiration chrĂ©tienne
 Tom Holland sâest dâabord orientĂ© vers lâĂ©tude de lâantiquitĂ© . Ses premiers ouvrages dâhistorien ont portĂ© sur les invasions perses de la GrĂšce et les ultimes dĂ©cennies de la civilisation romaine. Au dĂ©part, il Ă©tait fascinĂ© par la civilisation grĂ©co-romaine et ses personnages emblĂ©matiques. Et puis, progressivement, il a pris conscience de la barbarie que cette civilisation vĂ©hiculait. Et elle lui est apparue comme de plus en plus Ă©trangĂšre : « Les valeurs de LĂ©onidas, dont le peuple avait pratiquĂ© une forme particuliĂšrement atroce dâeugĂ©nisme en entrainant les jeunes Ă assassiner de nuit les « untermenschen », les sous-hommes, nâĂ©taient pas les miennes, ni celles de CĂ©sar qui aurait tuĂ© un million de gaulois et rĂ©duit en esclavage un million dâautres ⊠Ce nâĂ©tait pas seulement leur violence extrĂȘme qui me troublait, mais leur absence totale de considĂ©ration pour les pauvres et pour les faibles » (p 27).
Tom Holland, aprĂšs une enfance pieuse, sâĂ©tait Ă©loignĂ© de la foi chrĂ©tienne, mĂȘme « sâil continuait vaguement de croire en Dieu ». « Le Dieu biblique lui apparaissait comme lâennemi de la libertĂ© et du plaisir » ( p 26). Alors, dans cette prise de conscience, il a compris combien les valeurs chrĂ©tiennes Ă©taient prĂ©cieuses. « Lâeffacement de ma foi chrĂ©tienne au cours de lâadolescence ne signifiait pas que jâeus cessĂ© dâĂȘtre chrĂ©tien. Les postulats avec lesquels jâai grandi sur la meilleure maniĂšre de gouverner une sociĂ©tĂ© et sur les principes qui devraient ĂȘtre les siens, ne proviennent pas de lâantiquitĂ© classique, encore moins dâune quelconque « nature humaine », mais trĂšs clairement de son passĂ© chrĂ©tien. Lâimpact du christianisme sur le dĂ©veloppement de lâOccident est un fait si profond quâil en est venu Ă ne plus ĂȘtre perçu ⊠Ce livre explique ce qui a rendu le christianisme si subversif et perturbateur, comment il a fini par imprĂ©gner la mentalitĂ© de la chrĂ©tientĂ© latine et pourquoi, dans un Occident souvent incrĂ©dule Ă lâĂ©gard des prĂ©tentions de la religion, nos attitudes restent, pour le meilleur et pour le pire, profondĂ©ment chrĂ©tiennes » ( p 28).
Face Ă la domination et Ă la violence, lâĂ©lan de la rĂ©vĂ©lation chrĂ©tienne
Notre image de lâantiquitĂ© grĂ©co-romaine nous renvoie gĂ©nĂ©ralement au prestige de grandes Ćuvres intellectuelles ou monumentales. Nous recevons ainsi un hĂ©ritage. Mais il sâagit de la meilleure part, car, comme Tom Holland en a pris progressivement conscience, il y a Ă lâarriĂšre-plan des mĆurs barbares oĂč la violence des puissants se dĂ©ploie au dĂ©pens des faibles dans une omniprĂ©sence de lâesclavage.
Le chĂątiment de la crucifixion est emblĂ©matique de la puissance romaine. Tom Holland nous dĂ©crit cette horreur rĂ©pandue au cĆur de Rome et dans tout lâempire . Ce livre commence par une effroyable description dâun quartier de Rome longtemps rĂ©servĂ© Ă une crucifixion de masse. « Aucune mort ne semblait Ă©galer la crucifixion dans lâignominie. Cela en faisait le chĂątiment tout dĂ©signĂ© pour les esclavesâŠ. Pour se montrer dissuasif, celui-ci devait sâexĂ©cuter en public. Et, rien nâĂ©voquait avec plus dâĂ©loquence lâĂ©chec dâune rĂ©volte que la vue des centaines et des centaines de corps suspendus Ă des croix alignĂ©es le long dâune voie ou amassĂ©es au pied dâune citĂ© rebelle ou encore de collines alentour dĂ©pouillĂ©es de leurs arbres » ( p 12). Si la cruautĂ© de ce chĂątiment nâĂ©chappait pas Ă certains esprits, « lâeffet salutaire des crucifixions sur ceux qui menaçaient lâordre rĂ©publicain ne faisait guĂšre de doute aux yeux des romains » (p 11).
Ainsi, la croix Ă©tait lâinstrument dâun systĂšme glorifiant la puissance des hommes de pouvoir et des dieux au dĂ©triment des opprimĂ©s. En mourant sur une croix, JĂ©sus a bouleversĂ© lâordre dominant. Et cette subversion sâest rĂ©pandue dans lâhistoire. « Que le fils de Dieu, nĂ© dâune femme et condamnĂ© Ă la mort dâun esclave, ait pĂ©ri sans ĂȘtre reconnu par ses juges Ă©tait propice Ă faire rĂ©flĂ©chir mĂȘme le plus arrogant des monarques » Il y avait lĂ la source « dâun soupçon capital que Dieu Ă©tait plus proche des faibles que des puissants, des pauvres que des riches » ( p 20).
Par ailleurs, Ă tous Ă©gards, en la personne de Paul, la prĂ©dication chrĂ©tienne sâest avĂ©rĂ©e rĂ©volutionnaire. Dans un chapitre : « Mission », il nous est montrĂ© toute la portĂ©e de ce message. « Les juifs, tels des enfants soumis Ă la protection dâun tuteur, avaient reçu la grĂące de se faire le gardien de la loi divine. Mais la venue du Christ avait rendu cette mission caduqueâŠ. Le caractĂšre exclusif de cette alliance Ă©tait abrogĂ©e. Les anciennes distinctions entre eux et les autres, dont la circoncision masculine constituait le symbole, se voyaient transcendĂ©e. Juifs et grecs, galates et scythes, tous Ă©gaux dans la foi en JĂ©sus-Christ, formaient dĂ©sormais le peuple saint de Dieu » ( p 102). « Et la loi du Dieu dâIsraĂ«l pouvait ĂȘtre lue et inscrite dans le cĆur humain par son Esprit » ( p 113). LâuniversalitĂ© de ce message Ă©tait et est encore rĂ©volutionnaire. CâĂ©tait et câest encore un message dâamour et de respect. Dans un monde oĂč la domination masculine sâimposait, câĂ©tait Ă©galement proclamer la dignitĂ© de la femme. Dans le monde de NĂ©ron, un monde oĂč la dĂ©bauche sexuelle Ă©tait Ă son paroxysme, comme lâauteur nous en dĂ©crit la rĂ©alitĂ© suffocante, Paul proclame le respect du corps, « temple du Saint Esprit » ( p 119). LĂ aussi câest un message rĂ©volutionnaire. Pendant des siĂšcles, ce message a transformĂ© les consciences et il a transformĂ© lâOccident. Si cet idĂ©al a bien souvent Ă©tĂ© bafouĂ©, il a nĂ©anmoins changĂ© les mentalitĂ©s en profondeur.
Tout au long de ce livre, Tom Holland nous montre comment ce message sâinscrit encore aujourdâhui dans les esprits, chez ceux qui vivent la foi chrĂ©tienne, mais aussi dans ceux qui lâont dĂ©laissĂ©e et ont quittĂ© les institutions religieuses. « Comment se fait-il quâun culte inspirĂ© par lâexĂ©cution dâun obscur criminel dans un empire disparu ait pu imprimer une marque si profonde et durable dans le monde ? » ; Câest la question Ă laquelle Tom Holland rĂ©pond dans ce livre. « Il suit les courants de lâempire chrĂ©tien qui se sont rĂ©pandu le plus largement et ont survĂ©cu jusquâĂ nous » (p 23). « Aujourdâhui, alors que nous sommes les tĂ©moins dâun rĂ©alignement gĂ©opolitique sismique, que nos principes se rĂ©vĂšlent moins universels que certains dâentre nous ne lâauraient imaginĂ©, le besoin de reconnaĂźtre Ă quel point ceux-ci sont culturellement contingents, est plus puissant que jamais. Etre citoyen dâun pays occidental revient Ă vivre dans une  sociĂ©tĂ© toujours saturĂ©e de convictions et de supputations chrĂ©tiennes » (p 23).
De maniĂšre visible ou invisible, lâinspiration de lâEvangile active au fil des siĂšcles et toujours aujourdâhui.
 En rapportant lâhistoire de la civilisation chrĂ©tienne, Tom Holland a cherchĂ© Ă en montrer les accomplissements et les crimes, mais, comme il nous le dit, son jugement a Ă©tĂ© lui-mĂȘme conditionnĂ© par les valeurs chrĂ©tiennes. Ce sont ces valeurs qui, de fait, ont engendrĂ© la proclamation des droits humains, mĂȘme si cette origine, fut dĂšs lâĂ©poque plus ou moins passĂ©e sous silence. « Des deux cĂŽtĂ©s de lâAtlantique, les rĂ©volutionnaires considĂ©raient que les droits de lâhomme existaient naturellement depuis toujours et quâils transcendaient le temps et lâespace » Pour lâauteur, câest là « une croyance fantastique ». « Le concept des droits de lâhomme avait Ă©tĂ© Ă ce point mĂ©diatisĂ©, depuis la RĂ©forme, par les juristes et les philosophes protestants quâil en Ă©tait venu Ă masquer ses vĂ©ritables origines. Il ne provenait pas de la GrĂšce antique, ou de RomeâŠCâĂ©tait un hĂ©ritage de jurisconsultes du Moyen-AgeâŠ. ».
Tom Holland nous montre la prĂ©gnance des valeurs chrĂ©tiennes jusque dans les mouvements qui sont sortis des cadres sociaux du christianisme. Les adversaires du christianisme sây opposent bien souvent en fonction mĂȘme de lâesprit de lâEvangile. « Alors mĂȘme que Voltaire prĂ©sente le christianisme comme hargneux, provincial, meurtrier, son rĂȘve de fraternitĂ© ne faisait que trahir ses origines chrĂ©tiennes. De mĂȘme que Paul avait proclamĂ© quâil nây avait ni juif, ni grec dans le Christ JĂ©sus, un avenir baignĂ© dans dâauthentiques LumiĂšres ne comporterait ni juif, ni chrĂ©tien, ni musulman. Toutes leurs diffĂ©rences seraient dissoutes. LâhumanitĂ© ne ferait quâun « ( p 434). Le souci des humbles et des souffrants, qui mobilise aujourdâhui tant dâhommes et de femmes pour de grandes causes, est, lui aussi, directement issu du christianisme. Des adversaires extrĂȘmes du christianisme le montrent bien puisquâils rejettent Ă la fois le vĂ©cu chrĂ©tien et les idĂ©aux de compassion et dâĂ©galitĂ©. Ce fut le cas de Nietzsche ( p 513-514).
Et, aujourdâhui, dans les dĂ©bats sur les questions de sociĂ©tĂ©, des positions adverses sâinspirent de valeurs chrĂ©tiennes reprises diffĂ©remment. « LâidĂ©e que la guerre de religion en AmĂ©rique se livre entre les chrĂ©tiens dâun cĂŽtĂ© et ceux qui se sont Ă©mancipĂ©s du christianisme de lâautre, est une exagĂ©ration que les deux parties ont intĂ©rĂȘt Ă promouvoir.. En rĂ©alitĂ©, Ă©vangĂ©liques comme progressistes sont issus de la mĂȘme matrice. Si les adversaires de lâavortement hĂ©ritent de Macine qui avait parcouru les dĂ©charges de la Cappadoce Ă la recherche dâenfants abandonnĂ©s Ă sauver, ceux qui les combattent sâappuient sur la supposition non moins chrĂ©tienne que le corps de la femme devrait ĂȘtre respectĂ© comme tel par tout hommes. Les partisans du mariage homosexuel se montrent pour leur part tout autant inspirĂ©s par lâenthousiasme de lâEglise pour la fidĂ©litĂ© monogame que ses opposants par les condamnations bibliques des hommes qui couchent avec des hommes » ( p 586).
Si dans lâhistoire du christianisme, il y a bien des Ă©pisodes qui sont marquĂ©s par la violence et la domination, « les normes selon lesquelles ils furent condamnĂ©s pour cela restĂšrent chrĂ©tiennes ».
Et, aujourdâhui encore, ces normes, bien souvent non identifiĂ©es comme telles, restent vigoureuses. « MĂȘme si les Eglises devaient continuer Ă se vider dans tout lâOccident, il semble peu probable que ces normes changeraient rapidement. « Dieu a choisi les Ă©lĂ©ments faibles du monde pour confondre les forts ». Tel est le mythe auquel nous persistons Ă nous accrocher. En ce sens, la chrĂ©tientĂ© reste la chrĂ©tienté » ( p 592).
Passé, présent et avenir
 Les lectures de lâhistoire du christianisme diffĂ©rent selon les regards qui lui sont portĂ©s. Lâapproche dâun historien dĂ©pend de son contexte personnel qui, lui-mĂȘme induit tel ou tel questionnement.
Ainsi Jean Delumeau a explorĂ© le climat de peur engendrĂ© par une image de Dieu et un systĂšme rĂ©pressif.. Son oeuvre historique milite en faveur dâun christianisme ouvert Ă la modernitĂ©. Conscient de lâĂ©cart entre les propositions du christianisme institutionnel et la culture actuelle, souvent dĂ©signĂ©e comme ultra-moderne, nous avons cherchĂ© un Ă©clairage dans des lectures historiques montrant comment lâĂ©lan du premier christianisme sâĂ©tait figĂ© et emprisonnĂ© dans une systĂšme hĂ©ritĂ© de la conjonction entre lâempire romain et lâEglise et ayant perdurĂ© pendant des siĂšcles avant de soulever des vagues de protestation. Quant Ă lui, Tom Holland sâattache Ă mettre en Ă©vidence le caractĂšre rĂ©volutionnaire du message chrĂ©tien Ă son apparition dans le monde antique et la puissance de la matrice chrĂ©tienne Ă travers les siĂšcles jusquâĂ aujourdâhui. Il retient notamment son engagement en faveur des pauvres et des faibles et son caractĂšre universaliste . Dans cette entreprise, il accorde une place majeure Ă la croix alors quâon pourrait mettre Ă©galement en Ă©vidence la rĂ©surrection du Christ, lâĆuvre de lâEsprit et lâespĂ©rance qui est ainsi dĂ©ployĂ©e. Nâest-ce pas cette espĂ©rance qui a animĂ© certains mouvements contemporains comme la campagne pour les droits civiques engagĂ©e par Martin Luther King contre la discrimination raciale ou la thĂ©ologie de la libĂ©ration. Câest la thĂ©ologie de lâespĂ©rance exprimĂ©e par JĂŒrgen Moltmann (2)
Ainsi, il y a bien un lien entre passé, présent et avenir
Lâimportance de ce livre nous paraĂźt rĂ©sider dans le fil conducteur qui met en valeur lâinfluence majeure de la matrice chrĂ©tienne dans la civilisation occidentale, et, tout particuliĂšrement dans la maniĂšre dont cette influence continue Ă sâexercer dans une sociĂ©tĂ© sĂ©cularisĂ©e, apparemment dĂ©christianisĂ©e. Ainsi parle-t-on aujourdâhui dâune « sortie de la religion », mais tout dĂ©pend de ce quâon entend par ce terme. Tom Holland nous dit quâen rĂ©alitĂ© le message Ă©vangĂ©lique est toujours prĂ©sent et actif dans la profondeur des mentalitĂ©s. Et, Ă bien y rĂ©flĂ©chir, on mesure les gains accomplis au cours des siĂšcles par rapport aux mĆurs barbares qui prĂ©dominaient dans lâantiquitĂ©. Câest comme si le message chrĂ©tien avait agi comme un levain. Si le monde aujourdâhui est en danger, il y a aussi des atouts dans la crĂ©ativité  scientifique et technologique et les prises de conscience qui se multiplient : conscience Ă©cologique, mais aussi conscience de la montĂ©e dâune nouvelle donne relationnelle : promotion des femmes, respect des minoritĂ©s, nouveau regard oĂč prend place lâempathie, la bienveillance, le « care »⊠Voici un horizon oĂč on peut lire une prĂ©sence du levain Ă©vangĂ©lique quel que soit soit le dĂ©phasage des institutions. Et, dans une attention et une Ă©coute croyante, ne peut-on y voir lâoeuvre de lâEsprit et regarder ainsi en avant ?
J H
- Tom Holland. Les Chrétiens. Comment ils ont changé le monde. Editions Saint Simon, 2019 . Ce livre a été présenté sur France Culture : https://www.franceculture.fr/emissions/le-tour-du-monde-des-idees/ce-que-lesprit-occidental-doit-au-christianisme Tom Holland a été interviewé en France sur la portée et la pertinence de ce livre :     https://www.youtube.com/watch?v=LMRwkqcl3Lw&feature=emb_logo
- Un accĂšs Ă la pensĂ©e thĂ©ologique de JĂŒrgen Moltmann sur le blog : « lâEsprit qui donne la vie » : https://lire-moltmann.com
par | Oct 17, 2013 | ARTICLES, Expérience de vie et relation |
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La bibliothĂšque comme espace de rencontre
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        Au cours de son itinéraire professionnel de bibliothécaire, Blandine Aurenche a joué, entre autres, un rÎle de médiatrice.
« La bibliothĂšque est un carrefour. les gens sây croisent pour des motifs extrĂȘmement variĂ©s. Comme bibliothĂ©caire, jâai essayĂ© de permettre Ă des gens qui passent de se sentir bien Ă lâaise dans ce lieu pour y dĂ©couvrir ce quâil offre et croiser leurs dĂ©couvertes avec celles des autres. Cette attitude requiert beaucoup dâĂ©coute surtout si lâon veut entendre les suggestions des gens ».
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        Comment susciter un climat de convivialité et de partage ?
« Il y a dâabord une rupture avec lâancienne conception de la bibliothĂšque. Ce ne sont plus les collections qui sont premiĂšres et qui dĂ©finissent la bibliothĂšque. La mĂ©diathĂšque publique sâinscrit dans une perspective toute autre. Pour moi, câest un espace de rencontre entre une population et des supports dâinformation divers, Ă travers des Ă©changes et des temps de convivialitĂ©. Je ne mâadresse pas Ă des lecteurs isolĂ©s, mais Ă une population . Et, dans cette population, seule une minoritĂ© est initiĂ©e Ă lâusage classique de la bibliothĂšque . Lâessentiel du travail des bibliothĂ©caires, outre lâacquisition de tous les mĂ©dias, est de faire en sorte que lâensemble de la population, et en particulier, les habitants qui ne sont pas familiarisĂ©s avec le lieu, en dĂ©couvrent lâusage et puissent se lâapproprier ».
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        Blandine Aurenche évoque de nombreuses situations.
« Je pense par exemple Ă de jeunes mamans dâorigine Ă©trangĂšre, accueillies dans un foyer. On est allĂ© lire rĂ©guliĂšrement des livres Ă leurs enfants devant elles. Au bout de quelques mois, ces mamans ont Ă©tĂ© accueillies Ă la bibliothĂšque. On les a vraiment reçues avec un thĂ© Ă la menthe. On a pris le temps de bavarder, de leur expliquer ce Ă quoi servait la bibliothĂšque. La plupart de ces mamans sont ensuite revenues rĂ©guliĂšrement pour elles-mĂȘmes. Elles se sont servies de lâordinateur pour celles qui savaient Ă©crire et lire. Elles se sont mises Ă emprunter des livres, des CD, des DVD. Elles sont devenues des « clientes » Ă part entiĂšre.
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        Dans la bibliothĂšque, il y a un rayon important de nouveautĂ©s. Nous essayons dâĂȘtre trĂšs rĂ©actifs aux nouvelles parutions. SpontanĂ©ment ;les lecteurs ont trĂšs vite donnĂ© leur avis en mettant des petits papiers sur les livres. Câest un exemple de la maniĂšre dont les lecteurs ont investi le lieu ;
        Autre exemple : un lecteur est venu me voir pour me proposer dâorganiser un cinĂ© club. Avec lui, nous avons dĂ©cidĂ© de faire en sorte que, chaque mois, un habitant vienne animer une sĂ©ance autour dâ un film choisi par lui. Et cela marche trĂšs bien.
        Des lecteurs nous ont Ă©galement proposĂ© Ă plusieurs reprises dâinviter un musicien, un auteur quâils connaissaient.
        Effectivement, on constate un grand dĂ©sir de participation. AprĂšs lâouverture dâune mĂ©diathĂšque, une quinzaine de personnes ont proposĂ© spontanĂ©ment de faire du soutien scolaire ou de la lecture aux enfants sans quâon les ait le moins du monde sollicitĂ©es. A partir de lĂ , nous avons organisĂ© des sĂ©ances de soutien scolaire.
        Autre exemple dâinvestissement personnel. Nous avons une table dĂ©volue Ă un jeu dâĂ©checs. Tous les samedis, sans quâon le connaisse au dĂ©but et sans quâon lui demande, un monsieur dâun certain Ăąge est venu sâinstaller Ă cette table dâĂ©chec et sâest mis Ă jouer avec ceux qui le souhaitaient. Et, petit Ă petit, il a appris aux enfants Ă jouer aux Ă©checs.
        Nous avons un jardin dans la bibliothĂšque. Un papa sâest proposĂ© pour venir, tous les samedis, entretenir ce jardin avec ses enfants et tous les autres enfants qui le souhaitaient.
        Aujourdâhui, les mamans Ă©trangĂšres ont pris lâhabitude dâentrer dans la bibliothĂšque et dây passer un bon moment lorsqu âelles viennent chercher leurs enfants. Jâai lâimpression que les gens se sentent chez eux.
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        Nous rĂ©servons le mĂȘme accueil aux adolescents.
Un garçon qui, en classe de troisiĂšme, avait Ă lire « la VĂ©nus dâIsle » de Prosper MĂ©rimĂ©e, difficile pour un garçon de cet Ăąge, cherchait ce livre. Il mâa dit : « Jâen ai marre. Je nâarrive jamais Ă lire ces livres. Câest trop difficile ». En fait, il aurait souhaitĂ© que je fasse une fiche de lecture Ă sa place. Je lui ai proposĂ© de lui lire Ă haute voix le premier chapitre. Puis, nous avons convenu quâil revienne pour que je lui lise la suite. Je lui ai lu lâensemble du livre. Et, en mĂȘme temps, je lâai aidĂ© Ă dĂ©crypter certaines expressions difficiles. Cela a changĂ© beaucoup son attitude vis-Ă -vis de la bibliothĂšque et peut-ĂȘtre vis-Ă -vis de la lecture.
        Jâai rencontrĂ© un ancien petit lecteur qui est devenu unĂ©lu municipal. Je lui lisais souvent le dĂ©but des livres quâil devait lire pour la classe. On pouvait en discuter. Il mâa dit que cela lâavait beaucoup aidĂ©. Cela lui avait permis de faire le pas pour sâapproprier la lecture . Il me semble que le travail de la bibliothĂ©caire est de faire un petit bout de chemin avec des jeunes pour leur donner des clefs et les aider ainsi à « entrer en littĂ©rature »..
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         Comment un climat convivial émerge-t-il ?
« A la bibliothĂšque Louise Michel, on a créé le cafĂ© de Louise, un temps dâĂ©change sur les livres que les gens auto-gĂ©rent pratiquement. Entre eux, les gens Ă©changent sur leurs lectures. Câest comme dans un cinĂ© club.
        La bibliothĂšque devient un lieu familier dans le quartier. Les gens qui viennent commencent Ă parler entre eux. Certains sont devenus amis. Beaucoup viennent tous les jours et y passent un petit moment. Ils viennent lire le journal, bavardent avec dâautres lecteurs ou avec des bibliothĂ©caires.
        A quoi un tel lieu sert-il ? Pour moi, câest un lieu de gratuitĂ©. Les gens ne sont pas forcĂ© de venir. Mais ils sont reconnus et accueillis pour eux-mĂȘmes. Câest donc un lieu de respiration oĂč on peut se poser, se ressourcer. Câest un lieu de vie sociale oĂč on peut entrer en contact avec dâautres dans un climat convivial ».
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Contribution de Blandine Aurenche.
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Sur le mĂȘme sujet,on pourra lire aussi :
Sur ce blog : « Laissez les lire ! Une dynamique relationnelle et éducative ». https://vivreetesperer.com/?p=523
Sur le site de TĂ©moins : Emergence d’expaces conviviaux et aspirations contemporaines. TroisiĂšme lieu (« Third place ») et nouveaux modes de vie » : http://www.temoins.com/index.php?option=com_content&view=article&id=1012&catid=4
par jean | Sep 18, 2012 | ARTICLES, Société et culture en mouvement |
Changement dans les esprits.
Nouvelles finalités, nouvelles approches.
La grande crise financiĂšre et Ă©conomique, que nous traversons, est en train de susciter des remises en cause et des prises de consciences et aussi dâengendrer des attentes et des approches nouvelles. Comme lâĂ©crit Michel Serres : « Si nous vivons une crise, aucun retour en arriĂšre nâest possible. Il faut donc inventer du nouveau » (1). Des reprĂ©sentations et des attitudes nouvelles sont en train dâapparaĂźtre et de se propager. De lâintĂ©rieur, la pratique Ă©conomique commence Ă changer.
Parmi les premiers signes de transformation, figure le LHforum, premier forum international sur le thĂšme de lâĂ©conomie positive et responsable (2), organisĂ© dans la ville du Havre, le 13 et 14 septembre 2012, Ă lâinitiative du groupe PlaNet finance, fondĂ© par Jacques Attali et Arnaud Lentura et devenu la premiĂšre institution globale de microfinance dans le monde. Le forum a permis de mettre en Ă©vidence des initiatives trĂšs diverses. Abondamment commentĂ©e dans les mĂ©dias, cette manifestation a fait connaĂźtre le courant de lâĂ©conomie positive .
Dans une vidéo introductive (2 ), Jacques Attali nous introduit dans la dynamique de ce mouvement. Ses propos sont particuliÚrement éclairants .
Jacques Attali constate que le monde entier prend conscience aujourdâhui de sa fragilitĂ©. La prĂ©caritĂ© nâest plus le lot exclusif des pays pauvres. Elle apparaĂźt comme une menace dans les pays dĂ©veloppĂ©s. Câest « la prise de conscience dâune situation prĂ©caire pour tout le monde ». « Nos civilisations sont mortelles, nos statuts sont fragiles, nos vies sont prĂ©caires ». Quel avertissement !
La planĂšte se transforme Ă vive allure. La mondialisation, en marche depuis 3000 ans, suscite une Ă©conomie dĂ©finitivement mondiale, Ă la fois « nĂ©cessaire et inĂ©vitable ». Mais si cette mondialisation nâest pas accompagnĂ©e par lâaffirmation de la « rĂšgle de droit », et si possible dâune «rĂšgle de droit dĂ©mocratique », « elle conduira au chaos »
Progressivement, des systĂšmes de protection sociale sont apparus dans de nombreux pays. Aujourdâhui, on a besoin dâun mouvement analogue Ă lâĂ©chelle mondiale. Il faut « transfĂ©rer Ă lâĂ©chelle mondiale cette prise de conscience dâune solidaritĂ© qui a surgi dans les diffĂ©rents pays ».
LâĂ©conomie positive est une nouvelle maniĂšre dâenvisager lâĂ©conomie. Et, en particulier, le profil y perd son caractĂšre dominateur.  « Le profil nâest plus une fin, mais un outil pour atteindre des valeurs plus Ă©levĂ©es : altruisme, Ă©thique, morale, qualitĂ© de vie⊠Les richesses créées ne sont plus une fin en soi, mais un moyenâŠLâargent doit ĂȘtre considĂ©rĂ© comme le pinceau du peintre et non comme lâĆuvre dâart âŠÂ ».
Câest un changement de perspective qui est entrain de se produire et qui commence Ă se manifester avec vigueur dans des entreprises pionniĂšres. « LâĂ©conomie peut ĂȘtre retournĂ©e de façon positive si elle considĂšre que sa finalitĂ© est Ă©thiqueâŠÂ »
La transformation du systĂšme Ă©conomique ne se fera pas sans oppositions et sans conflits. Mais une vision nouvelle est en train dâapparaĂźtre comme le montre JĂ©rĂ©mie Rifkin dans son livre sur la « TroisiĂšme RĂ©volution industrielle » (3). Et, si on suit Jacques Lecomte dans son livre sur la bontĂ© humaine (4), des Ă©volutions dans les mentalitĂ©s sont en cours. Face aux ravages engendrĂ©s par un systĂšme en crise , la rĂ©flexion des chercheurs (5 ) et la montĂ©e dâun nouvel Ă©tat dâesprit vont appuyer les actions rĂ©formatrices. Une piste Ă suivre attentivementâŠ
J H
(1)           Serres (Michel). Le temps des crises . Le Pommier , 2009. Citation en page de couverture.
(2)           Site sur le mouvement et présentation du forum : http://www.lhforum.com/
(3)           Sur ce blog : « Face Ă la crise, un avenir pour lâĂ©conomie : la troisiĂšme rĂ©volution industrielle » https://vivreetesperer.com/?p=354
(4)            Sur ce blog : « La bonté humaine, est ce possible ? » https://vivreetesperer.com/?p=674
(5)           Sur ce blog : « Pour réformer la finance⊠le livre de James Fatherley : « Of markets and men »