par | Oct 17, 2013 | ARTICLES, Expérience de vie et relation |
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La bibliothĂšque comme espace de rencontre
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        Au cours de son itinéraire professionnel de bibliothécaire, Blandine Aurenche a joué, entre autres, un rÎle de médiatrice.
« La bibliothĂšque est un carrefour. les gens sây croisent pour des motifs extrĂȘmement variĂ©s. Comme bibliothĂ©caire, jâai essayĂ© de permettre Ă des gens qui passent de se sentir bien Ă lâaise dans ce lieu pour y dĂ©couvrir ce quâil offre et croiser leurs dĂ©couvertes avec celles des autres. Cette attitude requiert beaucoup dâĂ©coute surtout si lâon veut entendre les suggestions des gens ».
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        Comment susciter un climat de convivialité et de partage ?
« Il y a dâabord une rupture avec lâancienne conception de la bibliothĂšque. Ce ne sont plus les collections qui sont premiĂšres et qui dĂ©finissent la bibliothĂšque. La mĂ©diathĂšque publique sâinscrit dans une perspective toute autre. Pour moi, câest un espace de rencontre entre une population et des supports dâinformation divers, Ă travers des Ă©changes et des temps de convivialitĂ©. Je ne mâadresse pas Ă des lecteurs isolĂ©s, mais Ă une population . Et, dans cette population, seule une minoritĂ© est initiĂ©e Ă lâusage classique de la bibliothĂšque . Lâessentiel du travail des bibliothĂ©caires, outre lâacquisition de tous les mĂ©dias, est de faire en sorte que lâensemble de la population, et en particulier, les habitants qui ne sont pas familiarisĂ©s avec le lieu, en dĂ©couvrent lâusage et puissent se lâapproprier ».
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        Blandine Aurenche évoque de nombreuses situations.
« Je pense par exemple Ă de jeunes mamans dâorigine Ă©trangĂšre, accueillies dans un foyer. On est allĂ© lire rĂ©guliĂšrement des livres Ă leurs enfants devant elles. Au bout de quelques mois, ces mamans ont Ă©tĂ© accueillies Ă la bibliothĂšque. On les a vraiment reçues avec un thĂ© Ă la menthe. On a pris le temps de bavarder, de leur expliquer ce Ă quoi servait la bibliothĂšque. La plupart de ces mamans sont ensuite revenues rĂ©guliĂšrement pour elles-mĂȘmes. Elles se sont servies de lâordinateur pour celles qui savaient Ă©crire et lire. Elles se sont mises Ă emprunter des livres, des CD, des DVD. Elles sont devenues des « clientes » Ă part entiĂšre.
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        Dans la bibliothĂšque, il y a un rayon important de nouveautĂ©s. Nous essayons dâĂȘtre trĂšs rĂ©actifs aux nouvelles parutions. SpontanĂ©ment ;les lecteurs ont trĂšs vite donnĂ© leur avis en mettant des petits papiers sur les livres. Câest un exemple de la maniĂšre dont les lecteurs ont investi le lieu ;
        Autre exemple : un lecteur est venu me voir pour me proposer dâorganiser un cinĂ© club. Avec lui, nous avons dĂ©cidĂ© de faire en sorte que, chaque mois, un habitant vienne animer une sĂ©ance autour dâ un film choisi par lui. Et cela marche trĂšs bien.
        Des lecteurs nous ont Ă©galement proposĂ© Ă plusieurs reprises dâinviter un musicien, un auteur quâils connaissaient.
        Effectivement, on constate un grand dĂ©sir de participation. AprĂšs lâouverture dâune mĂ©diathĂšque, une quinzaine de personnes ont proposĂ© spontanĂ©ment de faire du soutien scolaire ou de la lecture aux enfants sans quâon les ait le moins du monde sollicitĂ©es. A partir de lĂ , nous avons organisĂ© des sĂ©ances de soutien scolaire.
        Autre exemple dâinvestissement personnel. Nous avons une table dĂ©volue Ă un jeu dâĂ©checs. Tous les samedis, sans quâon le connaisse au dĂ©but et sans quâon lui demande, un monsieur dâun certain Ăąge est venu sâinstaller Ă cette table dâĂ©chec et sâest mis Ă jouer avec ceux qui le souhaitaient. Et, petit Ă petit, il a appris aux enfants Ă jouer aux Ă©checs.
        Nous avons un jardin dans la bibliothĂšque. Un papa sâest proposĂ© pour venir, tous les samedis, entretenir ce jardin avec ses enfants et tous les autres enfants qui le souhaitaient.
        Aujourdâhui, les mamans Ă©trangĂšres ont pris lâhabitude dâentrer dans la bibliothĂšque et dây passer un bon moment lorsqu âelles viennent chercher leurs enfants. Jâai lâimpression que les gens se sentent chez eux.
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        Nous rĂ©servons le mĂȘme accueil aux adolescents.
Un garçon qui, en classe de troisiĂšme, avait Ă lire « la VĂ©nus dâIsle » de Prosper MĂ©rimĂ©e, difficile pour un garçon de cet Ăąge, cherchait ce livre. Il mâa dit : « Jâen ai marre. Je nâarrive jamais Ă lire ces livres. Câest trop difficile ». En fait, il aurait souhaitĂ© que je fasse une fiche de lecture Ă sa place. Je lui ai proposĂ© de lui lire Ă haute voix le premier chapitre. Puis, nous avons convenu quâil revienne pour que je lui lise la suite. Je lui ai lu lâensemble du livre. Et, en mĂȘme temps, je lâai aidĂ© Ă dĂ©crypter certaines expressions difficiles. Cela a changĂ© beaucoup son attitude vis-Ă -vis de la bibliothĂšque et peut-ĂȘtre vis-Ă -vis de la lecture.
        Jâai rencontrĂ© un ancien petit lecteur qui est devenu unĂ©lu municipal. Je lui lisais souvent le dĂ©but des livres quâil devait lire pour la classe. On pouvait en discuter. Il mâa dit que cela lâavait beaucoup aidĂ©. Cela lui avait permis de faire le pas pour sâapproprier la lecture . Il me semble que le travail de la bibliothĂ©caire est de faire un petit bout de chemin avec des jeunes pour leur donner des clefs et les aider ainsi à « entrer en littĂ©rature »..
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         Comment un climat convivial émerge-t-il ?
« A la bibliothĂšque Louise Michel, on a crĂ©Ă© le cafĂ© de Louise, un temps dâĂ©change sur les livres que les gens auto-gĂ©rent pratiquement. Entre eux, les gens Ă©changent sur leurs lectures. Câest comme dans un cinĂ© club.
        La bibliothĂšque devient un lieu familier dans le quartier. Les gens qui viennent commencent Ă parler entre eux. Certains sont devenus amis. Beaucoup viennent tous les jours et y passent un petit moment. Ils viennent lire le journal, bavardent avec dâautres lecteurs ou avec des bibliothĂ©caires.
        A quoi un tel lieu sert-il ? Pour moi, câest un lieu de gratuitĂ©. Les gens ne sont pas forcĂ© de venir. Mais ils sont reconnus et accueillis pour eux-mĂȘmes. Câest donc un lieu de respiration oĂč on peut se poser, se ressourcer. Câest un lieu de vie sociale oĂč on peut entrer en contact avec dâautres dans un climat convivial ».
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Contribution de Blandine Aurenche.
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Sur le mĂȘme sujet,on pourra lire aussi :
Sur ce blog : « Laissez les lire ! Une dynamique relationnelle et éducative ». https://vivreetesperer.com/?p=523
Sur le site de TĂ©moins : Emergence d’expaces conviviaux et aspirations contemporaines. TroisiĂšme lieu (« Third place ») et nouveaux modes de vie » : http://www.temoins.com/index.php?option=com_content&view=article&id=1012&catid=4
par jean | Sep 18, 2012 | ARTICLES, Société et culture en mouvement |
Changement dans les esprits.
Nouvelles finalités, nouvelles approches.
La grande crise financiĂšre et Ă©conomique, que nous traversons, est en train de susciter des remises en cause et des prises de consciences et aussi dâengendrer des attentes et des approches nouvelles. Comme lâĂ©crit Michel Serres : « Si nous vivons une crise, aucun retour en arriĂšre nâest possible. Il faut donc inventer du nouveau » (1). Des reprĂ©sentations et des attitudes nouvelles sont en train dâapparaĂźtre et de se propager. De lâintĂ©rieur, la pratique Ă©conomique commence Ă changer.
Parmi les premiers signes de transformation, figure le LHforum, premier forum international sur le thĂšme de lâĂ©conomie positive et responsable (2), organisĂ© dans la ville du Havre, le 13 et 14 septembre 2012, Ă lâinitiative du groupe PlaNet finance, fondĂ© par Jacques Attali et Arnaud Lentura et devenu la premiĂšre institution globale de microfinance dans le monde. Le forum a permis de mettre en Ă©vidence des initiatives trĂšs diverses. Abondamment commentĂ©e dans les mĂ©dias, cette manifestation a fait connaĂźtre le courant de lâĂ©conomie positive .
Dans une vidéo introductive (2 ), Jacques Attali nous introduit dans la dynamique de ce mouvement. Ses propos sont particuliÚrement éclairants .
Jacques Attali constate que le monde entier prend conscience aujourdâhui de sa fragilitĂ©. La prĂ©caritĂ© nâest plus le lot exclusif des pays pauvres. Elle apparaĂźt comme une menace dans les pays dĂ©veloppĂ©s. Câest « la prise de conscience dâune situation prĂ©caire pour tout le monde ». « Nos civilisations sont mortelles, nos statuts sont fragiles, nos vies sont prĂ©caires ». Quel avertissement !
La planĂšte se transforme Ă vive allure. La mondialisation, en marche depuis 3000 ans, suscite une Ă©conomie dĂ©finitivement mondiale, Ă la fois « nĂ©cessaire et inĂ©vitable ». Mais si cette mondialisation nâest pas accompagnĂ©e par lâaffirmation de la « rĂšgle de droit », et si possible dâune «rĂšgle de droit dĂ©mocratique », « elle conduira au chaos »
Progressivement, des systĂšmes de protection sociale sont apparus dans de nombreux pays. Aujourdâhui, on a besoin dâun mouvement analogue Ă lâĂ©chelle mondiale. Il faut « transfĂ©rer Ă lâĂ©chelle mondiale cette prise de conscience dâune solidaritĂ© qui a surgi dans les diffĂ©rents pays ».
LâĂ©conomie positive est une nouvelle maniĂšre dâenvisager lâĂ©conomie. Et, en particulier, le profil y perd son caractĂšre dominateur.  « Le profil nâest plus une fin, mais un outil pour atteindre des valeurs plus Ă©levĂ©es : altruisme, Ă©thique, morale, qualitĂ© de vie⊠Les richesses crĂ©Ă©es ne sont plus une fin en soi, mais un moyenâŠLâargent doit ĂȘtre considĂ©rĂ© comme le pinceau du peintre et non comme lâĆuvre dâart âŠÂ ».
Câest un changement de perspective qui est entrain de se produire et qui commence Ă se manifester avec vigueur dans des entreprises pionniĂšres. « LâĂ©conomie peut ĂȘtre retournĂ©e de façon positive si elle considĂšre que sa finalitĂ© est Ă©thiqueâŠÂ »
La transformation du systĂšme Ă©conomique ne se fera pas sans oppositions et sans conflits. Mais une vision nouvelle est en train dâapparaĂźtre comme le montre JĂ©rĂ©mie Rifkin dans son livre sur la « TroisiĂšme RĂ©volution industrielle » (3). Et, si on suit Jacques Lecomte dans son livre sur la bontĂ© humaine (4), des Ă©volutions dans les mentalitĂ©s sont en cours. Face aux ravages engendrĂ©s par un systĂšme en crise , la rĂ©flexion des chercheurs (5 ) et la montĂ©e dâun nouvel Ă©tat dâesprit vont appuyer les actions rĂ©formatrices. Une piste Ă suivre attentivementâŠ
J H
(1)           Serres (Michel). Le temps des crises . Le Pommier , 2009. Citation en page de couverture.
(2)           Site sur le mouvement et présentation du forum : http://www.lhforum.com/
(3)           Sur ce blog : « Face Ă la crise, un avenir pour lâĂ©conomie : la troisiĂšme rĂ©volution industrielle » https://vivreetesperer.com/?p=354
(4)            Sur ce blog : « La bonté humaine, est ce possible ? » https://vivreetesperer.com/?p=674
(5)           Sur ce blog : « Pour réformer la finance⊠le livre de James Fatherley : « Of markets and men »
par jean | Jan 1, 2014 | ARTICLES, Beauté et émerveillement, Expérience de vie et relation |
Amour, humour, Ă©merveillement. Les albums de Peter Spier.
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Avec quelques autres illustrateurs comme Quentin Blake (1), Peter Spier rejoint Ă travers son oeuvre lâesprit dâenfance : humour et Ă©merveillement. Ayant vĂ©cu durant sa jeunesse aux Pays-Bas, Peter Spier Ă©migre aux Etats-Unis oĂč il va illustrer des dizaines de livres pour enfants (2). Et son Ćuvre se rĂ©pand dans le monde. Elle nous rencontre, enfants comme adultes, Ă bien des Ă©tapes de notre vie.
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Dans la dynamique de son Ćuvre crĂ©atrice, Peter Spier nous est prĂ©sentĂ© dans une courte vidĂ©o (4). La vidĂ©o commence par un chant traditionnel issu dâun poĂšme anglais du XVĂšme siĂšcle : « The fox went out on a chilly night » (5). Câest Peter Spier qui fredonne le premier couplet :
« Le renard partit la nuit pour chasser.
Il pria pour que la lune lui donne de la lumiĂšre
Car il avait plus dâun mile Ă faire
A parcourir avant dâatteindre la ville ».
Peter Spier reprend ce chant qui lâa inspirĂ© pour illustrer un de ses premiers albums, dâabord pour partie couleur, pour partie noir et blanc, et puis, aujourdâhui, 53 ans aprĂšs cette publication, complĂ©tĂ© par lâauteur Ă lâaquarelle pour une version e-book.
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Peter Spier a frĂ©quentĂ© une Ă©cole dâart Ă Amsterdam avant dâĂ©migrer aux Etats-Unis oĂč il a illustrĂ© environ 150 livres.
Le premier livre de Peter Spier mis en exergue par lâattribution dâun prix a Ă©tĂ© son album sur lâArche de NoĂ© (Noahâs Ark ) paru en 1977. Puisquâil nây a pas de texte, câest Ă travers lâillustration que la rĂ©alitĂ© de lâhistoire apparaĂźt. Les dĂ©tails enchantent. NoĂ© ramasse les Ćufs de ses poules !
Et la seconde rĂ©ussite de lâauteur, câest lâalbum sur la chanson du renard parti chasser Ă la ville. Peter Spier a Ă©galement rĂ©alisĂ© un grand album sur les gens dans le monde (« People »), lui aussi trĂšs connu. Il nous raconte comment il a utilisĂ© la documentation du National Geographic pour rĂ©aliser une illustration pleine de pittoresque et dâhumour.
La vidĂ©o se termine sur une image dâavenir. Peter Spier apprĂ©cie la qualitĂ© des images des ses aquarelles sur les e-books oĂč la lumiĂšre illumine les photos.
Des commentaires sur lâauteur parsĂšment la vidĂ©o. « Il permet Ă notre imagination de travailler ». Il nous entraĂźne dans une histoire. Mais câest Peter Spier qui, avec un grand sourire, exprime le mieux lâesprit qui lâanime : « Je le fais pour les enfants et pour lâenfant qui est en moi ».
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Baba, auteur de lâalbum « Papa arbre » (3), a dĂ©couvert trĂšs tĂŽt les livres de Peter Spier. Dans sa veine artistique et poĂ©tique, il nous dit ici lâinspiration que lui apporte Peter Spier.
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Baba, quand et comment as-tu découvert cet auteur ?
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Je ne sais plus trĂšs bien, tout jeune, Ă la bibliothĂšque. J’avais aussi reçu certains de ses albums en cadeau d’amis bien inspirĂ©s. Mais, Ă vrai dire, c’est seulement maintenant, rĂ©ouvrant ces livres avec mes propres enfants, que je mesure combien ils ont jalonnĂ© mon enfance, façonnĂ© mon imaginaire. Il y a d’abord Sept milliards de visages, qui n’Ă©taient d’ailleurs que quatre Ă l’Ă©poque : un album magnifique, Ă la rencontre du monde, de l’humanitĂ©, de son immense diversitĂ©, un dessin florissant, une voix subtile, une vision de l’homme apaisĂ©e. Il y a Christmas, Rain⊠des albums sans paroles, une cĂ©lĂ©bration du quotidien, de ces instants de grĂące qui fondent l’existence. Il y a L’histoire de NoĂ© : le rĂ©cit biblique dĂ©voilĂ© dans toute sa richesse, dans sa chair, avec ses bruits, ses gestes, ses couleurs, ses odeurs, l’arche qui devient le refuge de la vie, de toute la vie.
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Il y a aussi Quand on s’ennuie : l’histoire gĂ©niale de deux frĂšres dĂ©sĆuvrĂ©s Ă qui leurs parents reprochent de ne pas savoir s’occuper. Ils dĂ©couvrent de vieux plans, rassemblent tout ce qu’ils trouvent, dĂ©montent la voiture, les haies, les rideaux, pour se fabriquer un avion. Leur envolĂ©e leur vaut de belles Ă©motions et une bonne fessĂ©e de leurs parents ! Chaque histoire, chaque crĂ©ation de Peter Spier est l’histoire mĂȘme d’une crĂ©ation, de ce moment oĂč du rien jaillit le plein, oĂč formes et couleurs nous invitent à « cet Ă©tat d’invention perpĂ©tuelle », selon le mot de Paul Valery, qui n’est peut-ĂȘtre autre chose que l’enfance.
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Quels sont les albums de Peter Spier qui te plaisent le plus ?
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Tous. Je crois qu’aucun ne m’a déçu. DĂšs ses premiers albums, The Cow who fell in the canal, The Fox went out on chilly night, le talent de Spier Ă©clate : l’Ă©loquence de son dessin, son trait inarrĂȘtable, son amour du dĂ©tail, la tendresse de son regard, sa poĂ©sie, son humour. Spier est un hĂ©ritier des paysagistes hollandais, d’Avercamp, de Van de Velde, de Van Goyen, de Ruysdael, attentifs au dialogue du ciel, de la terre et de l’eau, amoureux des gens, partagĂ©s entre le plaisir d’ĂȘtre chez soi, la douceur de l’intimitĂ© et l’appel du large, l’ivresse du chemin, l’horizon des navires Ă l’assaut de la mer.
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AmĂ©ricain d’adoption, il a consacrĂ© des albums trĂšs beaux Ă l’histoire des Etats-Unis, aux pionniers, Ă la naissance de la nation amĂ©ricaine, Ă la fondation de New-York. Il y a chez lui cet imaginaire du « nouveau monde » qui fait contrepoint avec ses origines nĂ©erlandaises. Il a aussi beaucoup travaillĂ© Ă partir de chansons, des traditionnels – London Bridge is falling down, The Erie Canal, To Market, market, Hurrah, we’re outward bound !, And so my garden grows – dont les paroles scandent ses planches, font courir le regard du lecteur et rĂ©vĂšlent toute la musicalitĂ© de ses visions.
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Quelle inspiration trouves-tu chez Peter Spier ?
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Ce sont des leçons. Tout chez Spier mĂ©rite d’ĂȘtre regardĂ© parce que, lorsqu’il pose son regard sur les choses, rien pour lui n’est indigne d’ĂȘtre regardĂ©. Il y a chez lui un appĂ©tit fabuleux, cette envie de faire l’inventaire du monde, de mettre partout ses yeux et ses pinceaux. La trame est toujours assez simple. Il imprime d’abord un mouvement, on suit un personnage, une riviĂšre, un bateau, une voiture, une voix, ou, Ă l’inverse, on voit le monde, les gens, la nature se dĂ©ployer, aller, venir, revenir, vivre, mourir, autour d’un mĂȘme lieu, d’un mĂȘme Ă©difice, d’un mĂȘme objet.
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Et puis il y a ces moments oĂč tout s’arrĂȘte, oĂč tout cĂšde Ă la contemplation, Ă la couleur, Ă la douceur d’une lune, au parfum d’une prairie, Ă la fantaisie d’un nuage, Ă la fragilitĂ© d’une goutte d’eau, au fouillis d’un garage, au clair-obscur d’une rue ⊠C’est dans ces moments-lĂ que la nature, l’ouvrage des hommes et le dĂ©sordre qu’ils sĂšment se retrouvent pour toucher au sublime.
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(1) Site de Quentin Blake : http://quentinblake.com/
(2) Itinéraire de Peter Spier sur wikipedia anglophone : http://en.wikipedia.org/wiki/Peter_Spier
(3) « Sur ce blog : « Papa arbre. Un album intime » : https://vivreetesperer.com/?p=1031
(4) Peter Speer author video : http://www.youtube.com/watch?v=cnR5u7T9F_c
(5) « The fox went out on a chilly night » : histoire et texte de cette chanson sur Wikipedia anglophone : http://en.wikipedia.org/wiki/The_Fox_(folk song)
par jean | Déc 2, 2021 | Beauté et émerveillement, Emergence écologique, Société et culture en mouvement, Vision et sens |
Quand des voix innovantes et compétentes nous ouvrent de nouveaux chemins pour un monde écologique
https://youtu.be/b0HouR6CYK4
RĂ©alisateur du film : « Demain » (1), qui, en son temps, ouvrit les esprits Ă une dynamique de sociĂ©tĂ© participative et Ă©cologique, Cyril Dion rĂ©alise aujourdâhui un second long mĂ©trage : « Animal », qui nous Ă©veille Ă la vision dâun monde fondĂ© sur la biodiversitĂ©.
Le film rĂ©alise le projet dĂ©crit dans la page de couverture du livre correspondant : « Imaginez que vous puissiez voyager sur quatre continents pour rencontrer certains des plus Ă©minents et des plus passionnants biologistes, climatologues, palĂ©ontologues, anthropologues, philosophes, Ă©conomistes, naturalistes et activistes qui cherchent Ă comprendre pourquoi les espĂšces disparaissent, pourquoi le climat se dĂ©rĂšgle et surtout comment inverser la tendance ». Le livre : « Animal » (2) rapporte lâensemble de tĂ©moignages, des informations et des idĂ©es recueillies « dans une sĂ©rie de rencontres effectuĂ©es lors du tournage du film ».
« Pendant 56 jours, Cyril Dion est parti avec une Ă©quipe de tournage et deux adolescents trĂšs engagĂ©s, Bella Lack et Vipulan Puvaneswaran (p 17), lâune anglaise et lâautre français de parents nĂ©s au Sri Lanka. Avec Cyril Dion, ces deux jeunes ont posĂ© leurs questions. « Faire ce voyage avec eux fut une expĂ©rience merveilleuse et bouleversante. Pour autant, dans la retranscription des entretiens, jâai choisi de mĂȘler nos trois voix en une pour interroger nos interlocuteurs ». « Leur prĂ©sence active a permis de mieux comprendre comment leur gĂ©nĂ©ration aborde un double dĂ©fi Ă©cologique » (p 21). Le sous-titre du livre tĂ©moigne de cette intention : « Chaque gĂ©nĂ©ration a son combat. Voici le notre ».
« Si le climat est devenu un sujet incontournable, une autre crise Ă©cologique sans doute aussi grave est encore largement absente des conversations et de nombreuses politiques publiques : « la destruction accĂ©lĂ©rĂ©e du vivant » (p 14). Les chiffres sont accablants. De nombreuses espĂšces sont menacĂ©es ou en danger dâextinction. « Notre planĂšte se dĂ©peuple de ses habitants non humains sauvages » (p 15). Aussi, ce livre est un manifeste en faveur de la biodiversitĂ©, en faveur de la prĂ©sence des animaux. Et il sâefforce de rĂ©pondre aux questions correspondantes : « Pourquoi des espĂšces disparaissent-elles ? Que pouvons-nous faire pour lâĂ©viter ? Et pourquoi y sommes-nous pour quelque chose ? (et la rĂ©ponse est oui). Avons- nous le droit de faire ça ? A quoi servent toutes ces espĂšces ? Doivent-elles servir Ă quelque chose pour que nous dĂ©cidions de les protĂ©ger ou dâarrĂȘter des les Ă©radiquer ? Comment renouer une relation fĂ©conde avec le vivant ? Quelle est notre place parmi les autres espĂšces ? Et, Ă quoi servons-nous dans lâunivers du vivant ? » (p 17).
« Nous avons besoin de regarder en face ce que notre planĂšte traverse⊠Nous avons besoin de luciditĂ©, de courage, de solidaritĂ©, dâĂ©lan, de sens et de dĂ©sir. De la luciditĂ© peut naitre le choc et câest ce choc quâil nous appartient dĂ©sormais de faire » (p 23). A travers lâexpĂ©rience et lâexpertise des personnalitĂ©s interviewĂ©es, ce livre est si dense et si riche quâil nâest pas possible dâen rendre compte. Nous essaierons seulement ici de rapporter quelques moments privilĂ©giĂ©s oĂč, parmi dâautres, un horizon se dĂ©couvre, une perspective apparaĂźt. Ce sont quelques brĂšves notations qui ouvrent notre esprit Ă une dimension nouvelle.
Pourquoi les espÚces disparaissent ?
Rencontre avec Anthony Barnosky (p 27-36)
Anthony Barnosky, gĂ©ologue, palĂ©ontologue et biologiste qui a enseignĂ©, toute sa carriĂšre, Ă lâUniversitĂ© de Berkeley, rĂ©pond Ă nos questions (p 27-36). Il distingue cinq causes majeures de lâextinction des espĂšces : la destruction des habitats, la surexploitation des espĂšces, la pollution, les espĂšces invasives, et les changements climatiques » (p 29). La menace aujourdâhui rĂ©side non seulement dans des changements progressifs, mais dans lâapparition de « points de bascule » (p 32). A la suite de cet entretien, laissant de cĂŽtĂ© le dĂ©rĂšglement climatique, « un phĂ©nomĂšne si considĂ©rable quâil nĂ©cessiterait, Ă lui seul, un film ou un livre, la recherche de lâĂ©quipe sâest centrĂ©e sur la pollution, la surexploitation des espĂšces et la disparition des habitats ».
Se passer des pesticides
Rencontre avec Paul François (p 38-58)
Paul François est un agriculteur qui, suite Ă un grave accident avec un herbicide, a converti ses 240 hectares en agriculture biologique. A cette Ă©chelle, un tel changement est un exploit. Paul François nous raconte son changement de mentalitĂ© et de pratique. Il lui a fallu accepter la prĂ©sence de lâherbe plutĂŽt que de la supprimer systĂ©matiquement. PlutĂŽt que dâacheter des produits chimiques, Paul François investit dans la mĂ©canisation et dans la main dâĆuvre. Et il a vu rĂ©apparaitre les hirondelles qui, en se nourrissant des insectes, remplacent les pesticides. Les abeilles reviennent Ă©galement. En mĂȘme temps, Paul François nous dit comment « il gagne mieux sa vie en bio quâen conventionnel ». Suite Ă sa maladie professionnelle, Paul François a remportĂ© une bataille juridique contre Monsanto. Câest dire son courage et sa persĂ©vĂ©rance. La transformation de son exploitation est un exploit remarquable.
ArrĂȘter de parler et agir
Rencontre avec Afroz Shah (p 65-75)
Afros Shah est un jeune avocat indien qui a engagĂ© la lutte contre le plastique rĂ©pandu sur une grande plage Ă MumbaĂŻ. Une grande mobilisation pour le nettoyage sâen est suivie. Câest une action de terrain. VoilĂ une action qui Ă©voque la responsabilitĂ© qui incombe Ă chacun de nous. « Câest le raisonnement que sâest tenu Afroz. Et il se trouve quâil est Ă lâorigine, par son seul engagement, dâun considĂ©rable mouvement de nettoyage du plastique Ă MumbaĂŻ, qui a inspirĂ© des milliers et peut-ĂȘtre mĂȘme des millions de personnes en Inde et dans de nombreuses rĂ©gions du monde » (p 71).
La maternitĂ© dâun Ă©levage intensif
Rencontre avec Laurent Hélaine et Philippe Grégoire
(p 77-96)
Cette visite Ă un Ă©levage intensif suscite en nous un effroi et un Ă©cĆurement. A cette occasion, la question de la consommation de la viande dans lâalimentation est posĂ©e. Cyril Dion ouvre la rĂ©flexion : « Si nous voulons rĂ©duire considĂ©rablement notre consommation de viande, il serait sans doute plus efficace de le faire Ă travers une mesure structurelle emblĂ©matique qui, Ă mon sens, ferait honneur Ă lâhumanitĂ©Â : bannir lâĂ©levage en cage, mais Ă©galement en bĂątiment fermĂ© sans accĂšs Ă lâextĂ©rieur comme le propose le rĂ©fĂ©rendum pour les animaux⊠Interdire ce type dâĂ©levage aurait la vertu de cesser dâinfliger ces terribles conditions de vie Ă des animaux, mais Ă©galement de diminuer mĂ©caniquement la quantitĂ© de viande que nous pourrions consommer » (p 95-96).
Des lois pour transformer la société
Rencontre avec Claire Nouvion et Matthieu Colléter
(p 98-125)
On parle ici des actions volontaires pouvant exercer une influence. On a besoin de lois pour changer la donne. Face aux lobbys, une conscience politique est nĂ©cessaire. Des associations sâemploient avec persĂ©vĂ©rance Ă obtenir des changements lĂ©gislatifs. Câest le cas de lâassociation Bloom oĂč travaillent Claire et Matthieu, et qui intervient au niveau europĂ©en. Ainsi, elle est parvenue Ă gagner une bataille contre la pĂȘche en eau profonde. Câest une victoire importante, mais il a fallu des annĂ©es pour y parvenir alors que les nouvelles techniques de pĂȘche ravageaient les fonds sous-marins. A ce propos, Cyril Dion nous dĂ©crit les coulisses des pouvoirs politiques. Il nous rapporte par exemple lâexpĂ©rience innovante qui a Ă©tĂ© celle de la Convention citoyenne pour le climat (p 120-123). Et comme il y a activement participĂ©, il nous en montre Ă©galement les limites, tous les obstacles auxquels les propositions de la Convention se sont heurtĂ©es. « Les groupes dâintĂ©rĂȘt privĂ©s ont une influence disproportionnĂ©e sur les dĂ©cisions publiques ». Alors, une pression de lâopinion est particuliĂšrement nĂ©cessaire. Mais pour lâemporter, « peut-ĂȘtre avons nous besoin dâun autre rĂ©cit de ce que lâavenir pourrait ĂȘtre ».
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Le récit de la croissance et les nouveaux indicateurs.
Rencontre avec Eloi Laurent
(p 127-145)
Lâancien rĂ©cit « fondĂ© sur la croissance Ă©conomique et une certaine conception du progrĂšs est en train de nous entrainer vers lâabime ». Câest ce que nous a longuement expliquĂ© Eloi Laurent, Ă©conomiste Ă lâOCDE et enseignant Ă Sciences Po Paris et Ă lâuniversitĂ© de Stanford en Californie. ConsidĂ©rant la relation entre Ă©conomie et Ă©cologie, Eloi Laurent a mis lâaccent sur lâinteraction entre la crise des inĂ©galitĂ©s et la question Ă©cologique en les considĂ©rant comme liĂ©es et jumelles » (p 127). Quel type de dynamique sociale conduit aux crises Ă©cologiques ? Quelle est la source du problĂšme ? « Il est dĂ©sormais absolument clair que la poursuite de la croissance Ă©conomique telle quâelle est conçue aujourdâhui, engendre la destruction des Ă©cosystĂšmes » (p 129). « Avec âLes limites de la croissanceâ, Ă©crit au dĂ©but des annĂ©es 1970, lâĂ©quipe autour de Dennis et Donella Meadows avait une incroyable intuition de ce qui allait se passer » (p 130). Selon Eloi Laurent, les concepts de croissance et de dĂ©croissance ne sont plus pertinents. « Il faut se concentrer sur le bien-ĂȘtre humain. Ce qui compte pour les gens, câest la santĂ© et les liens sociaux ». Eloi Laurent propose la santĂ© comme lâindicateur fondamental qui doit et qui va remplacer la croissance au XXIe siĂšcle (p 153). « Malheureusement, que ce soit le lien social ou la santĂ©, ces deux indicateurs sont mis Ă mal par lâorganisation actuelle du monde ». Eloi Laurent rĂ©pond Ă©galement Ă des questions sur le capitalisme. Ce qui importe, Ă son avis, câest que la puissance publique ne soit pas au service du marché » (p 137). Par ailleurs, des pays comme la Chine et lâURSS ont de trĂšs mauvais bilans Ă©cologiques indĂ©pendamment du capitalisme. Au contraire, Eloi Laurent cite « des petits pays gouvernĂ©s par des femmes, qui ont dĂ©cidĂ© de sortir de la croissance : la Nouvelle-ZĂ©lande, la Finlande, lâIslande et lâEcosse⊠On peut tout Ă fait dĂ©cider que la richesse, câest la santĂ©, lâĂ©ducation, la biosphĂšre⊠Câest en partie ce quâont fait les pays nordiques » (p 138).
La nature nâexiste pas
Rencontre avec Philippe Descola
(p 147-173)
Cyril Dion dĂ©crit ensuite son champ de recherche. « Pour Ă©laborer les directions des projets Ă©conomiques et politiques, il nous faut adhĂ©rer Ă une lecture (forcĂ©ment subjective), commune du monde⊠(p 143) Ce dont nous avons besoin nâest pas de prouver fiĂšrement que nous sommes capables dâaccomplir des exploits, mais de dĂ©tourner le fleuve pour que tout le monde aille dans la mĂȘme direction. Mais, pour cela, nous avons besoin dâun autre rĂ©cit collectif que celui de la croissance. Qui donne suffisamment de sens et de perspective Ă lâhumanitĂ© pour orienter diffĂ©remment son destin » (p 145). A partir de cet instant, nous avons rĂ©orientĂ© notre quĂȘte. « PlutĂŽt que de continuer Ă chercher des rĂ©ponses techniques aux cinq causes de lâextinction dans une logique quelque peu mĂ©canique, nous nous sommes intĂ©ressĂ©s Ă ce qui pourrait devenir les fondements dâun autre rĂ©cit. Pour cela, nous sommes allĂ©s rencontrer Philippe Descola, sans doute lâun des anthropologues vivants les plus respectĂ©s, disciple de Claude LĂ©vy-Strauss et auteur du livre : « Par delĂ . Nature et culture » (p 146).
Philippe Descola critique le concept de nature. « La nature, câest essentiellement, ce qui est en dehors de nous les humains ». Elle est ce qui nous permet de regarder de haut tout ce qui est non humainâŠÂ » (p 151). « La nature est devenue un Ă©lĂ©ment central du monde des EuropĂ©ens ». Ce terme nâexiste pas dans dâautres langues. En Europe, nous avons voulu Ă©tablir « une frontiĂšre entre les animaux humains et non humains fondĂ©e sur discontinuitĂ© morale et subjective » (p 152). Mais, affirme Philippe Descola, « les « signes symboliques du langage » ne sont pas les seuls moyens de communication. En AmĂ©rique, les gens pensent que les animaux non humains peuvent former des projets et rĂ©flĂ©chir sur eux-mĂȘmes, quâils ont une sorte de subjectivitĂ© que lâon pourrait appeler intĂ©riorité ». Et, pour communiquer avec les animaux, ils intĂšgrent les signes que ceux-ci utilisent » (p 153). « Nous sommes connectĂ©s Ă tous les Ă©lĂ©ments du monde de façon inextricable » (p 154).
Nous faisons partie du monde vivant
Rencontre avec Dr Jane Goodhall (3), fondatrice de lâInstitut Jane Goodhall et messagĂšre de la paix auprĂšs des Nations unies.
(p 174-192)
« A une Ă©poque oĂč les femmes Ă©taient dĂ©couragĂ©es de poursuivre des Ă©tudes scientifiques⊠Jane a eu lâaudace dâengager des recherches non conventionnelles – dâabord sans diplĂŽme, puis en passant Ă lâUniversitĂ© de Cambridge – en menant la toute premiĂšre Ă©tude sur les chimpanzĂ©s dans leur environnement naturel. GrĂące Ă sa tĂ©nacitĂ©, elle a non seulement vĂ©cu une vie extraordinaire, mais elle a surtout changĂ© notre façon de penser la relation entre les humains et les animaux » (p 171). Parce quâelle Ă©tait en phase avec la forĂȘt, les arbres, les animaux, Jane a pu entrer en contact avec les chimpanzĂ©s et mettre en Ă©vidence leurs capacitĂ©s, entre autres, lâutilisation dâoutils, abolissant la frontiĂšre qui avait Ă©tĂ© Ă©tablie entre cette espĂšce et les humains. Aujourdâhui, Jane nous appelle Ă une prise de conscience : « Tout au long de notre Ă©volution, nous faisions simplement partie du monde animal. Mais maintenant que nous avons dĂ©veloppĂ© un intellect, et que nous savons que nous dĂ©truisons la planĂšte, notre rĂŽle devrait ĂȘtre celui de rĂ©parer les dommages ». Le message de la GenĂšse devrait ĂȘtre compris comme attribuant Ă lâhomme un rĂŽle dâintendant. « Un bon intendant prend soin de la terre. Lâheure est maintenant venue dâutiliser notre fameux intellect pour changer les chosesâŠÂ » (p 188).
La bibliothĂšque du vivant
Rencontre avec Dino Martins
(p 196-221)
Le voyage de Cyril Dion sâest poursuivi dans lâexploration du vivant et la comprĂ©hension des Ă©cosystĂšmes. Cyril Dion et son Ă©quipe ont rendu visite Ă Dino Martins, biologiste et crĂ©ateur du Mpala Research Center au beau milieu du Kenya. Dino Martins est aussi un entomologiste passionnĂ© par la biodiversitĂ© et « plus particuliĂšrement par les plus petites crĂ©atures que sont les abeilles, les termites et les insectes en gĂ©nĂ©ral dont il est un spĂ©cialiste mondial » (p 189). Dino les a accompagnĂ© dans son parc du Kenya Ă la dĂ©couverte des Ă©lĂ©phants, des girafes et des zĂšbres en libertĂ© dans leur environnement naturel. Ce fut un Ă©merveillement. En cette circonstance, Dino Martins a mis en Ă©vidence lâimportance de la biodiversitĂ©. « Si nous perdions trop dâespĂšces, la vie humaine deviendrait misĂ©rable et nous serions nous-mĂȘmes confrontĂ©s Ă un risque dâextinction. Chaque espĂšce fait partie de cette toile de la vie oĂč tout est interconnectĂ©. La bibliothĂšque du vivant est ce qui nous maintient en bonne santĂ©, nous nourrit, nous rend heureux » (p 198). Dino dĂ©crit la vie des Ă©cosystĂšmes. Comment les animaux communiquent entre eux ? Comment les diffĂ©rentes espĂšces participent Ă lâĂ©quilibre des Ă©cosystĂšmes ?
Grand observateur des fourmis, Dino nous montre leur activitĂ© incessante. Elles contribuent notamment Ă la dispersion des graines. « Sans elles, il nây aurait pas de prairies. Er, sans prairies, pas dâanimaux. Ces fourmis font partie de ces Ă©cosystĂšmes depuis des centaines de milliers dâannĂ©es et elles en sont une des espĂšces clé » (p 214).
Dino manifeste son enthousiasme pour tout ce qui est vivant. La faune sauvage « nous rappelle la beautĂ©, la vĂ©ritĂ©, lâamour. Voir des animaux se dĂ©placer dans ce monde est lâune des choses les plus magiques qui soient et je ne me lasserai jamais de les observer » (p 209).
La cascade trophique et les superprédateurs
Rencontre avec Liz Hadley
(p 225-249)
Lâexploration se poursuit dans une rencontre avec Liz Hadley, responsable de la rĂ©serve naturelle de Jasper Ridge en plein milieu de la Silicon Valley en Californie. Dans cette petite rĂ©serve, la diversitĂ© se manifeste Ă nouveau dans la variĂ©tĂ© des espĂšces qui sâĂ©quilibrent les unes les autres. Et, Ă cet Ă©gard, on nous montre le rĂŽle que jouent les superprĂ©dateurs, comme par exemple les pumas « en rĂ©gulant les populations de cervidĂ©s, permettent de contrer la maladie de Lyme issue des acariens qui sâattachent aux cerfs » (p 227).
Cohabiter avec les loups
Rencontre avec Baptiste Morizot et Jean-Marc Landry
(p 251-300)
Dans ce monde du vivant, comment les humains vont-ils se comporter, en terme de guerre ou de respect envers les espĂšces animales ? Aujourdâhui, en France, les loups reviennent et paraissent menaçants. Effectivement, les Ă©leveurs sont inquiets lorsquâils voient les troupeaux attaquĂ©s. Cyril Dion est allĂ© Ă la rencontre dâun Ă©leveur et il a interrogĂ© le philosophe Baptiste Morizot. Ce dernier sâest interrogĂ© sur notre possible cohabitation avec les loups en expĂ©rimentant sur le terrain, pistant les loups et autres prĂ©dateurs, mais aussi en allant Ă la rencontre des Ă©leveurs » (p 249).
Ainsi Baptiste sâimplique dans lâapproche suivante. « Câest une situation dans laquelle les diffĂ©rents camps sont venus Ă cohabiter dans les mĂȘmes territoires tout en ayant des intĂ©rĂȘts contradictoires. Ils doivent apprendre des langages communs et trouver des moyens de se faire passer des messages, de traduire leurs comportements mutuels pour entretenir des relations moins toxiques » (p 270).
Baptiste Morizot a Ă©crit un livre : « les diplomates ». Aujourdâhui, le monde vivant nous rappelle quâil est bien vivant, quâil nâa jamais Ă©tĂ© un dĂ©cor et quâil faut agir avec lui avec le mĂȘme degrĂ© dâattention et de sĂ©rieux que nous le faisons avec les altĂ©ritĂ©s humaines⊠Le grand enjeu aujourdâhui, câest de leur rendre justice. Et donc de commencer Ă apprendre leur langage, Ă comprendre comment ils vivent pour inventer des modus vivendi. En ce sens, il sâagit de diplomatie » (p 295).
Coopérer avec le vivant
Lâexemple du Bec Hellouin (4)
Rencontre avec Perrine et Charles Hervé-Gruyer
(p 201-215)
« Cohabiter avec le vivant, câest non seulement le comprendre et le protĂ©ger, mais câest aussi le moyen de collaborer avec lui ». Existe-t-il une façon dâhabiter cette planĂšte avec une logique de gagnant-gagnant avec le vivant ? Il y a bien une nouvelle logique qui Ă©merge, notamment autour des dynamiques permaculturelles » (p 299).
« A la ferme du Bec Hellouin, on peut dĂ©couvrir une des applications, de la permaculture Ă lâagriculture, les plus abouties du monde⊠La visite mĂȘme du lieu est transformatrice⊠Lâharmonie des formes, des couleurs, la diversitĂ© des cultures dans un espace si rĂ©duit, le soin apportĂ© Ă la construction de chaque butte, de chaque mare, de chaque bĂątiment a quelque chose de bouleversant⊠De cette organisation profondĂ©ment intelligente peut jaillir la beautĂ© conjuguĂ©e Ă lâefficacitĂ© crĂ©Ă©e par une forme de symbiose entre les diffĂ©rents systĂšmes qui coexistent » (p 300).
Charles nous raconte lâhistoire de la ferme. « La crĂ©ation de la ferme a Ă©tĂ© une vĂ©ritable aventure. Au dĂ©part, notre rĂȘve Ă©tait de vivre en harmonie avec la nature⊠Dans cette quĂȘte de beautĂ©, nous avons composĂ© lâensemble un peu comme un tableau avec beaucoup de petits espaces⊠Sans le savoir, nous avons reconstituĂ© un paysage complexe qui favorise les connexions. Puis quelque chose de magnifique sâest produit. On cherchait la beautĂ© et la nature nous a offert un cadeau formidable : la productivité » (p 303). « Cette ferme fait 20 hectares », nous dit Perrine, « mais nous nous contentons dâen cultiver 5, car nous faisons tout Ă la main ou avec un cheval de trait⊠Une culture sans engrais, sans pesticide, sans produit chimique ou de synthĂšse » (p 302). Charles nous dĂ©crit une trajectoire de dĂ©couverte : « Au fil des ans, nous avons dĂ©couvert quâen faisant tout Ă la main, nous pouvions faire pousser plus de lĂ©gumes en moins dâespace. Ce faisant, on libĂšre les 9/10 du territoire pour installer des milliers dâarbres, des haies, des mares, des plantes aromatiques et mĂ©dicinales. Autant de milieux diffĂ©rents, de niches Ă©cologiques qui permettent dâaccueillir la faune et la flore sauvage. Nous avons progressivement observĂ© la rĂ©apparition des insectes, des papillons, des vers de terre et des abeilles, mais aussi dâoiseaux en voie de disparition et de plantes indigĂšnesâŠÂ » (p 302). Câest vraiment une coopĂ©ration avec la nature. « Au dĂ©part, on voulait produire notre nourriture en faisant le moins de mal possible Ă la planĂšte. Mais un jour, on sâest dit que cette histoire ne tenait pas debout, que ce que nous voulions en rĂ©alitĂ©, câest produire en faisant du bien Ă la planĂšte. Depuis, nous faisons tous le jours le constat quâon peut rĂ©soudre cette Ă©quation difficile qui consiste Ă cultiver une nourriture de qualitĂ© en rĂ©parant les blessures quâon a infligĂ© aux Ă©cosystĂšmes » (p 304).
Coopérer avec le vivant
Cyril Dion poursuit cette conversation sur la maniĂšre de coopĂ©rer avec le vivant en interrogeant François LĂ©ger, enseignant chercheur en agro-Ă©cologie, longtemps conseiller scientifique de la ferme du Bec Hellouin. A la demande des deux adolescents accompagnant Cyril Dion, la conversation a portĂ© notamment sur la place des animaux dans le systĂšme agricole. Ce fut ensuite une rencontre avec Nicolas Vereecken, professeur dâagro-Ă©cologie et spĂ©cialiste des insectes. Notre intĂ©rĂȘt pour les ruches et les abeilles domestiques ne doit pas nous faire oublier la vie et le rĂŽle des abeilles sauvages qui jouent un rĂŽle important dans la pollinisation. LĂ encore, il faut envisager la biodiversitĂ©. « Si vous nâaviez pas dâoiseaux, de frelons, dâaraignĂ©es, la vie serait beaucoup plus difficile pour nous tous, surtout en Ă©tĂ© parce que vous auriez des surpopulations dâinsectes que tous ces organismes aident Ă contrĂŽler⊠La clĂ© de lâĂ©cologie, câest lâinterdĂ©pendance et lâĂ©quilibre » (p 333).
Partout des initiatives
Les entretiens se poursuivent avec des personnalités exceptionnelles en des lieux qui parsÚment la planÚte.
Câest la rencontre avec Lotus Vermeer qui est parvenue Ă rĂ©tablir la biodiversitĂ© et Ă ramener des espĂšces dans les Channel Islands sur la cĂŽte de Californie. Câest une rencontre avec ValĂ©rie Cabanes, juriste international qui travaille au contact des peuples indigĂšnes et lutte pour les droits humains et pour le droit de la nature. Câest une rencontre avec le prĂ©sident du Costa Rica qui, par une politique volontariste, est parvenu Ă rĂ©tablir la couverture forestiĂšre dans son pays, de 20% dans les annĂ©es 1980, Ă 70% aujourdâhui. Câest une rencontre avec Paulino et Paolo Rivera, membres dâune tribu autochtone au Costa Rica, ayant dĂ» abandonner leur lieu dâorigine et ayant rĂ©ussi Ă planter une forĂȘt dans leur nouvel habitat.
En mobilisation
En fin de parcours, Cyril Dion nous rappelle lâinimaginable dĂ©fi Ă©cologique auquel nous sommes confrontĂ©s.
« Le péril est là et demande, toutes affaires cessantes, à nous mobiliser comme en temps de guerre »⊠« Le changement auquel nous devons parvenir, est culturel et structurel « (p 415).
Ce livre nous aide puissamment Ă penser le monde diffĂ©remment et nous Ă©claire sur les pistes dâaction. Tout informĂ© que nous ayons pu ĂȘtre sur les questions Ă©cologiques, nous sortons diffĂ©rents de cette lecture. A travers les entretiens, nous avons dĂ©couvert une multitude de situations et des rĂ©ponses aux questionnements ainsi Ă©veillĂ©s. Avec Cyril Dion et les deux adolescents qui lâont accompagnĂ©, Bella et Vipulan, nous avons participĂ© Ă une vĂ©ritable exploration, Ă une grande Ă©popĂ©e. A travers des flashs significatifs, nous avons rapportĂ© cette lecture enthousiasmante qui vient accompagner un film impressionnant et mobilisateur (5). De quoi envisager ensemble un nouveau rĂ©cit et un projet commun.
J H
- Le film « Demain » : https://vivreetesperer.com/le-film-demain/
- Cyril Dion Avec la collaboration de Nelly Pons. Animal. Chaque génération a son combat. Voici le nÎtre. Actes sud. Colibris (Domaines du possible).
- A paraitre sur ce blog : Jane Goodhall : Une recherche pionniÚre sur les chimpanzés, une ouverture spirituelle, un engagement écologique.
- Cultiver la terre en harmonie avec la nature (la ferme du Bec Hellouin)Â : https://vivreetesperer.com/cultiver-la-terre-en-harmonie-avec-la-nature/
- Le film : Animal : https://www.youtube.com/watch?v=b0HouR6CYK4
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par jean | Sep 2, 2024 | ARTICLES, Emergence Ă©cologique |
La société jardiniÚre
La sociĂ©tĂ© jardiniĂšre : câest le titre du livre de Damien Deville, un gĂ©ographe et anthropologue, qui y rapporte sa dĂ©couverte des jardins potagers implantĂ©s dans la ville dâAles, un exemple des jardins urbains qui, en France et dans le monde, rĂ©pondent Ă un besoin de subsistance dans diffĂ©rents contextes. On peut situer cette activitĂ© jardiniĂšre dans une histoire qui dĂ©bute Ă la fin du XIXe siĂšcle dans lâĆuvre de lâabbĂ© Lemire pour le dĂ©veloppement des jardins familiaux. Plus gĂ©nĂ©ralement, cette activitĂ© jardiniĂšre en milieu urbain a connu dans les derniĂšres dĂ©cennies une remarquable impulsion dans le mouvement qui sâest rĂ©pandu en France sous le vocable : âLes Incroyables comestiblesâ (1) Et aujourdâhui, Ă travers diverses initiatives, certaines villes sont Ă la recherche de la rĂ©alisation dâune autonomie alimentaire (2).
Certes, Ă©voquer une sociĂ©tĂ© jardiniĂšre Ă©veille en nous le rĂȘve dâune sociĂ©tĂ© pacifiĂ©e, mais ce nâest pas une pure utopie puisquâil y aujourdâhui des expĂ©riences concrĂštes dâactivitĂ©s jardiniĂšres en milieu urbain. Dans son livre : âLa sociĂ©tĂ© jardiniĂšreâ (3), Damien Deville nous dĂ©crit lâune dâentre elle, dans une ville profondĂ©ment perturbĂ©e par la dĂ©sindustrialisation, Ales Ă la porte de CĂ©vennes. « LĂ , pour les anciennes populations ouvriĂšres, se vit une façon de retour Ă la terre. LĂ , chacun plante, bĂȘche ; tout le monde Ă©change outils, semences, et savoir-faire. Si bien quâĂ la motivation Ă©conomique, forcĂ©ment premiĂšre, viennent se mĂȘler des prĂ©occupations dâordre social, Ă©cologique, ou paysager. Cernant les contours dâune Ă©cologie de la prĂ©caritĂ©, lâauteur souligne comment de simples lopins de terre deviennent dâauthentiques lieux dâĂ©mancipation. Partant, il Ă©bauche le modĂšle de ce que pourrait ĂȘtre la sociĂ©tĂ© si elle Ă©tait jardiniĂšre » (page de couverture).
Parcours dâune innovation sociale
Lâapparition de jardins familiaux en milieu urbain remonte Ă la fin du XIXe siĂšcle.
« Câest Ă Hazebrook, capitale de Flandre intĂ©rieure, que nait au milieu du XIXe siĂšcle celui qui restera dans les mĂ©moires comme le pĂšre fondateur des jardins familiaux : lâabbĂ© Lemire ». Lâauteur esquisse sa biographie. Jeune prĂȘtre Ă Hazebrook, « touchĂ© par la misĂšre de la commune, par les besoins des uns et les rĂȘves des autres, lâabbĂ© Lemire sâattacha rapidement aux besoins des habitants » En retour, il reçut un soutien populaire. Ălu dĂ©putĂ© en 1893, il mena une carriĂšre politique indĂ©pendante par rapport Ă lâĂglise. Ălu maire dâHazebrook en 1914, il fit face aux pĂ©rils de la guerre et mena une politique sociale trĂšs active si bien quâil devint âun hĂ©ros localâ. « AttachĂ© Ă la dignitĂ© des ouvriers, et persuadĂ© que le lien Ă la terre est un besoin fondamental des humains, lâabbĂ© cultiva une politique dont lui seul se faisait le gardien. Et câest dans cette perspective que lâabbĂ© fonda en 1896, le mouvement : La Ligue française du coin de terre et du foyer. Ce mouvement existe toujours. Il a survĂ©cu Ă lâabbĂ© et continue de tracer une partie des territoires français. Il se nomme dĂ©sormais FĂ©dĂ©ration nationale des jardins familiaux et collectifs » (p 29). Lâauteur rapporte comment son influence sâest rĂ©pandue au dĂ©but du XXe siĂšcle, atteignant la ville dâAles. LĂ , se conjuguant Ă lâĂ©poque avec la sociĂ©tĂ© Sant-Vincent-de- Paul, la Ligue suscite, en 1916, de premiers jardins. « A destination dâabord des femmes et des excusĂ©s du front, les jardins devinrent rapidement un soutien, une Ă©paule, un guide. Greniers Ă fruits et lĂ©gumes, ils participĂšrent Ă la rĂ©silience alimentaire des familles sâimplantant dans plusieurs quartiers ». Puis, « les ouvriers de la mine en devinrent les premiers bĂ©nĂ©ficiaires. Jusque dans les annĂ©es 1950, la surface jardinĂ©e Ă Ales sâĂ©tendit, annĂ©e aprĂšs annĂ©e, pour atteindre un point dâorbite avec plus de 400 jardins cultivĂ©s sur la commune » (p 34).
Cependant, la situation des jardins familiaux Ă AlĂšs participe Ă une conjoncture nationale. « Les temps changĂšrent. Les Trente Glorieuses et le faste des projets urbains dont elles se firent lâĂ©tendard sonnĂšrent le glas de lâaventure jardiniĂšre. Les champs, les pĂątures et les vergers furent recouverts de chapes de bĂ©ton⊠Les jardins familiaux ont rapidement perdu force et espace dans un flot rĂ©pĂ©tĂ© dâurbanisation qui dura jusque dans les annĂ©es 2000 » (p 35). Cependant, Ă la fin du XXe siĂšcle, toute la France a Ă©tĂ© impactĂ©e par la dĂ©sindustrialisation et le choc a Ă©tĂ© particuliĂšrement violent Ă Ales. « En 1986, aprĂšs plusieurs annĂ©es de licenciements massifs, le dernier puits de mine dâAlĂšs cessa dĂ©finitivement ses activitĂ©s. La mĂ©tallurgie, autre fleuron, connut le mĂȘme dĂ©clinâŠÂ » (p 37)
Comme pour dâautres villes françaises, Ales doit chercher une autre voie. « Ales dut se rĂ©inventer et, au tournant des annĂ©es 1990, la ville dĂ©cide de sâorienter vers de nouvelles filiĂšres, vers une Ă©conomie de services diversifiĂ©s. ParallĂšlement, Ales cherche Ă sâenraciner de nouveau dans le paysage cĂ©venol » (p 38). Elle cherche Ă ancrer de nouveau la ville dans le paysage. « Ces politiques dâembellissement ne sont pas sans effet sur lâhistoire des jardins⊠Elles ont permis Ă de nouveaux potagers dâĂ©merger dans des quartiers populaires : des fleurs et des choux ont poussĂ© lĂ oĂč il nây avait que du bĂ©tonâŠÂ » (p 39). Lâauteur dĂ©crit les diffĂ©rentes logiques Ă lâĆuvre dans la politique locale. La vie des jardins sâinscrit dans une histoire locale.
Jardins et jardiniers Ă Ales
Damien Deville a observĂ© ces jardins et la maniĂšre dont ils tĂ©moignent dâune grande crĂ©ativitĂ©. Il a parlĂ© avec ces hommes et entendu leurs parcours dans la diversitĂ© des histoires de vie. Il met en lumiĂšre les nouvelles relations qui sâĂ©tablissent ainsi.
Le jardinage Ă Ales se dĂ©roule en plusieurs lieux. « les jardins du Chemin des Sports » sont issus dâune autre histoire que les jardins de la fĂ©dĂ©ration des jardins familiaux, portant une image de marque. BricolĂ©s sur des terrains oubliĂ©s, Ă©pousant la forme de rĂ©seaux souterrains, sâĂ©changeant de maniĂšre informelle dâun jardinier Ă lâautre par un bouche-Ă -oreille judicieusemant maintenu dans des cercles restreints, arpentĂ©s par des personnes venant, pour lâessentiel, des quartiers populaires de la ville, ils correspondent Ă ce quâAnanya Roy dĂ©signe par « urbanisme subalterne ». Ce sont des espaces urbains oubliĂ©s des grandes annales de la gĂ©ographie et des politiques de la commune oĂč sâinvente la vie quotidienne des dĂ©possĂ©dĂ©sâŠÂ » (p 49). A la diffĂ©rence dâautres jardins potagers, bien reconnus, « se donnant Ă voir et sâoffrant Ă la reconnaissance des habitants, les jardins du chemin des Sports, relĂšvent plutĂŽt de bastions enfouis dans la verdure⊠Ils sâeffacent derriĂšre une image austĂšre et prĂ©caire » (p 50). Lorsquâon entre dans ces jardins, on y dĂ©couvre un paysage colorĂ© et une vĂ©gĂ©tation luxuriante abondamment dĂ©crite par lâauteur « Tomates bronzĂ©es au soleil, plants de haricots parcourant des fils nouĂ©s Ă des tuteurs, des framboisiers le long des murs dansent de leurs ombres, tandis que des plantes aromatiques, tantĂŽt cultivĂ©es en pot, tantĂŽt laissĂ©es en pleine terre parsĂšment le jardinâŠÂ » (52). « Ce qui saute aux yeux, câest une quĂȘte centrale de productivitĂ©. Lâespace consacrĂ© aux fruits et aux lĂ©gumes est agencĂ© de maniĂšre Ă produire le plus possible. Lorsque la parcelle se fait Ă©troite, les jardiniers rivalisent dâingĂ©niositĂ© pour gagner quelques centimĂštres et conquĂ©rir les hauteurs » (p 53). Lâauteur dĂ©crit des dispositifs ingĂ©nieux comme « une immense pyramide entrelacĂ©e de fils et de barres de fer⊠au service des plantes : fĂšves, haricots, courges grimpantesâŠÂ » (p 54). Ici, le peuple des jardiniers a une origine caractĂ©risĂ©e. « La plupart sont retournĂ©s Ă la terre pour se doter dâune certaine autonomie alimentaire. Les jardiniers du chemin des Sports sont des marquĂ©s. Ce sont dâanciens serruriers et ouvriers des aciĂ©ries, des employĂ©s du public ou des retraitĂ©s Ă petits revenus. Leurs trajectoires familiales ont Ă©tĂ© percutĂ©es par la fermeture des industries alĂ©siennes, par la sĂ©rie dâemplois prĂ©caires qui sâen est suivie, puis, plus rĂ©cemment par la fuite des offres dâemploi et de services vers les grandes mĂ©tropoles » (p 55). Ainsi sâest dĂ©veloppĂ© un genre de vie Ă vocation utilitaire. « La dĂ©brouille est devenu un art de vivre⊠Toutes les personnes rencontrĂ©es au fil de notre enquĂȘte lâont partagĂ© sans sâen cacher : devenir jardinier fut une adaptation nĂ©cessaire Ă diffĂ©rentes formes de prĂ©carité⊠Lâagencement spatial du chemin des Sports autant que le choix des matĂ©riaux sâentendent ainsi, en premier lieu, au regard de conditions matĂ©rielles dâexistence » (p 57). Cependant, tout ne rĂ©sume pas Ă une recherche de subsistance. Les jardins tĂ©moignent aussi dâune inventivitĂ© artistique. « Les planches de culture sont parĂ©es dâobjets de toutes sortes : des pots richement dĂ©corĂ©s, des Ă©pouvantails faits main, des souvenirs sâintĂšgrent aux cultures potagĂšres⊠Les jardins rĂ©pondent autant aux besoins quotidiens de qui les arpente et les façonne quâĂ ses aspirations, son savoir-faire, sa crĂ©ativitĂ©. Car, dans sa maniĂšre dâagencer lâespace, le jardinier cherche Ă le rendre agrĂ©able Ă regarder et Ă vivre⊠Câest que les âespaces subalternesâ ne sont pas seulement des zones de dĂ©brouillardise et dâadaptation, ils sont encore des agencements populaires traversĂ©s par tout ce qui fait la crĂ©ativitĂ©, les joies et les envies des Ăąmes humaines » (p 60).
Ces jardins engendrent une vie sociale et ils en sont lâexpression. Ainsi Damien Deville nous prĂ©sente des portraits de jardiniers. Il fait aussi Ă©cho Ă une mĂ©moire collective : « Le jardin de Max, au cĆur de lâassociation des jardins familiaux, dans le quartier de la Prairie, est un bel exemple de cette mĂ©moire collective. Du haut de ses 70 ans, Max est un ancien de la FĂ©dĂ©ration des jardins familiaux dâAles. Ici tout le monde le connait. Son papa Ă©tait un jardinier trĂšs actif dans la communautĂ©. Max Ă©prouve pour lui une grande admiration : « son travail, son parcours de vie, le pilier quâil Ă©tait dans les jardins familiaux dâAles » le ramĂšne Ă sa propre enfance autant quâaux heures de gloire quâa connues la ville ». Lâauteur rappelle ces souvenirs. « Ils se lisent Ă mĂȘme le jardin de Max, dĂ©montrant combien les jardins sont des outils de rĂ©appropriation de rĂ©cits urbains⊠Son jardin est Ă©galement un mĂ©morial Ă la figure de son pĂšre, Henri⊠FĂ©ru de bons conseils, son pĂšre Ă©tait le premier Ă organiser des barbecues collectifs, Ă donner des coups de main aux voisins, Ă diffuser de bonnes pratiques et Ă Ă©changer quelques lĂ©gumes. Tant et si bien que le nom du papa revient souvent, indĂ©lĂ©bile dans les mĂ©moires collectives » (p 76-77).
Damien Deville dĂ©crit la gĂ©ographie sociale de la rĂ©gion : « Les zones de relĂ©gation sont en centre-ville, tandis que les espaces de gentrification se situent dans les quartiers pĂ©riphĂ©riques, caractĂ©risĂ©s par des villas cosy ou dans les villages au charme dâantan. Face Ă cette campagne qui se ferme aux personnes les plus pauvres, les jardins sont ces lieux oĂč se forge une nouvelle rĂ©ciprocitĂ©. Et lĂ encore, câest un jardinier, dâorigine maghrĂ©bine, qui mâa mis la puce Ă lâoreille ». Lâauteur nous dĂ©crit le parcours de Moustapha. « Moustapha est arrivĂ© sur le tard dans les jardins familiaux privĂ©s du quartier de la Prairie, sur le chemin des sports. Il a repris la parcelle dâun voisin devenu trop ĂągĂ© pour sâen occuper. Les CĂ©vennes, lâhomme ne les a jamais connues auparavant. Il a menĂ© lâintĂ©gralitĂ© de s vie professionnelle en AlgĂ©rie avant de rejoindre ses enfants Ă Ales pour sa retraite. RestĂ© pendant longtemps sans allocation, Moustapha a dĂ» se dĂ©brouiller pour arrondir ses fins de mois que sa petite retraite affiliĂ©e au rĂ©gime algĂ©rien ne lui permettait pas de combler. Le jardin est arrivĂ© dans sa vie Ă point nommé » (p 85). Câest, avec lui, que lâauteur dĂ©couvre une ouverture de ce milieu urbain vers les campagnes voisines. « Câest en Ă©changeant avec les autres jardiniers que Moustapha sâest rendu compte que les montagnes qui lâentouraient regorgeaient de trĂ©sors : dâaiguilles de pin pour amender ses cultures, de champignons Ă vendre auprĂšs de sa communautĂ©, dâĂ©leveurs oĂč aller chercher le mouton pour lâAĂŻd Ă des prix rĂ©duits. Moustapha sâest mis, par lui-mĂȘme, Ă dĂ©couvrir les coins cachĂ©s des campagnes avoisinantes » (p 86). Cependant, la relation de Moustapha avec les CĂ©vennes sâĂ©tend au-delĂ puisquâen fin de semaine, il frĂ©quente en famille « des lieux de baignade oĂč ses petits-enfants jouent maintenant lâĂ©té ». « Son jardin a Ă©tĂ© une fenĂȘtre sur le monde, un livre pour rĂ©apprendre le milieu dans lequel il Ă©volue au quotidien, et en faire naitre des usages Ă des fins dâĂ©mancipation personnelle ou familiale » (p 86). Mais lâauteur perçoit ce mĂȘme attrait pour les CĂ©vennes chez dâautres jardiniers. « Le jardinier algĂ©rien nâest dâailleurs pas un cas isolĂ©. Tous, dâune maniĂšre ou dâune autre, pratiquent la campagne avoisinante. Pour certains, cela est liĂ© Ă un hĂ©ritage familial. Pour dâautres jardiniers rĂ©cemment arrivĂ©s, câest toujours le jardin qui nourrit les perspectives des montagnes et des villages alentour. Les usages quâen font les jardiniers sont pluriels en fonction des envies et de la personnalitĂ© de chacun, mais ils participent dans tous les cas Ă une rĂ©appropriation spatiale et collective dâun territoire qui devient, enfin, de nouveau partagé » (p 86). Ainsi les jardiniers interviennent dans la vie collective. « Les CĂ©vennes sâouvrent Ă nouveau aux classes populaires. De cette rĂ©conciliation, dont la ville dâAles a tellement besoin, les jardins en sont le premiers Ă©tendards⊠Câest une invitation Ă penser le territoire autrement » (p 87).
La société jardiniÚre
La sociĂ©tĂ© jardiniĂšre : quelle expression Ă©vocatrice ! Il y a tant de formes de sociĂ©tĂ© que lâon dĂ©plore et que lâon redoute ! Une sociĂ©tĂ© jardiniĂšre, cela Ă©voque pour le moins un respect et un amour de la nature et un Ă©tat dâesprit constructif par le genre mĂȘme de la tĂąche entreprise. Une sociĂ©tĂ© jardiniĂšre, câest aussi une sociĂ©tĂ© nourriciĂšre et on peut imaginer quâelle requiert et engendre la coopĂ©ration.
GĂ©ographe, Damien Deville pense Ă©galement en sociologue et en historien. Ainsi, si sa recherche a pour objet la ville dâAles, il inscrit les jardins potagers en milieu urbain dans une histoire qui remonte Ă la fin du XIXe siĂšcle. Mais, concentrĂ© sur son objet, il nâaborde pas la vague toute rĂ©cente, celle des « incroyables comestibles » Ă travers laquelle la culture de fruits et de lĂ©gumes sâest rĂ©pandue Ă lâintĂ©rieur mĂȘme dâun grand nombre dâagglomĂ©rations (1). Et aujourdâhui, des villes et des territoires sâengagent dans la recherche dâune autonomie alimentaire. Ainsi François Rouillay et Sabine Becker prĂ©conisent le dĂ©veloppement de « paysages nourriciers », y incluant la « vĂ©gĂ©talisation des villes » (3) ;
A partir de lâĂ©tude des jardins potagers dans la ville dâAles, Damien Deville nous montre, lui aussi, comment on peut « penser autrement la ville et lâurbain ». Câest bien de âvivre autrementâ (p 117-118) quâil sâagit.
DĂ©jĂ , dans un monde qui nous bouscule, la vie jardiniĂšre permet un enracinement. Ainsi, « les jardins alĂ©siens sont cultivĂ©s par des personnes peu diplĂŽmĂ©es, laissĂ©es Ă lâarriĂšre-plan des grands rĂ©cits de lâhistoire. La plupart ont quittĂ© lâĂ©cole tĂŽt pour tenter leurs chances dans les grandes industries du territoire. Certaines ont Ă©tĂ© percutĂ©es par des Ă©vĂšnements traumatisants. Dâautres encore, arrivĂ©es sur le tard Ă Ales, parlent mal le français et sâintĂšgrent avec peine. Pourtant, ce sont ces mĂȘmes personnes qui ont su, face aux crises urbaines, sâadapter et construire des interfaces inĂ©dits ave la ville. Leurs jardins sont fleuris ; ils remettent des couleurs dans les rues. Ils sont poreux aux autres rĂ©seaux urbains, catalysant relations et occasions. Ils sont ces espaces oĂč se rĂ©inventent une certaine idĂ©e de prestance et de prĂ©sence Ă soi, des oasis dessinant un autre bien vivre » (p 119).
Dans les jardins se rĂ©alise Ă©galement une rencontre entre le monde vĂ©gĂ©tal et ceux qui en prennent soin. « Ces jardins sont avant tout des mondes vĂ©gĂ©taux ». Lâauteur fait lâĂ©loge du dĂ©ploiement des plantes et de leur vitalitĂ©. Elles sâagencent comme en une danse. Or, « le jardinier accompagne cette danse. Ses choix sont primordiaux et conditionnent le dĂ©veloppement des plantes. Finalement, câest bien cette rencontre inĂ©dite entre les plantes dâun cĂŽtĂ©, et le caractĂšre du jardinier de lâautre, qui traduit lâĂ©volution des lieux et des rĂ©cits qui sây Ă©crivent. Lâhumain devient ici un ĂȘtre hybride, inondĂ© et inspirĂ© par les plantes quâil a vu naitre, ou qui sont revenues naturellement dans son jardin » (p 121-123).
Damien Deville voit lĂ se dĂ©velopper une dynamique de relation. « A lâimage de ce lien unique au vĂ©gĂ©tal, les jardins participent Ă lâĂ©mancipation globale des jardiniers par leur capacitĂ© Ă catalyser sans cesse les relations qui composent les individus » (p 123). Lâauteur voit dans cette activitĂ© jardiniĂšre un potentiel de relation. « Les jardins guident dâautres possibles urbains quand ils permettent Ă chaque ville de devenir une terre de relations » (p 123). Lâauteur dĂ©crit les terres des CĂ©vennes abandonnĂ©es. « La seule solution pour sauver le vivant, câest de retourner y habiter et de faire de la relation une Ćuvre » (p 125). Dans le mĂȘme esprit, Damien Deville sort des limites de lâhexagone et Ă©voque un paysan du Burkina Fasso qui a rĂ©sistĂ© Ă la dĂ©sertification et arrĂȘtĂ© le dĂ©sert en plantant des arbres, Yacouba Sawadogo, Ă lâhistoire duquel il a consacrĂ© un livre (4).
« Si Yacuba Ă©tait parti comme les autres, habitants dans les annĂ©es 1980, le dĂ©sert aurait cassĂ© la porte et continuĂ© vers le village voisin. Câest parce quâil est restĂ©, tout en tissant autrement sa relation avec le territoire, quâil a pu sauver le vivantâŠÂ ».
Ainsi, « Ales et les CĂ©vennes, autant que le Burkina Fasso, invitent Ă un nouveau front scientifique et politique. Trouver les Ă©gards que lâon doit au vivant, pour reprendre lâexpression du philosophe Baptiste Morizot, demande, non pas de fuir certains territoires, pour se concentrer sur dâautres, mais bien de rĂ©flĂ©chir aux maniĂšres de vivre dans chaque territoire pour en respecter les grands Ă©quilibres Ă©cosystĂ©miques. Lâhumain a Ă©tĂ© une machine Ă dĂ©truire, mais les initiatives se multiplientâŠÂ ». Damien Deville en Ă©voque certaines dans la DrĂŽme, dans les CĂ©vennes, en Bretagne. « Tous ces exemples forgent au quotidien une nouvelle maniĂšre de faire lien, et reconstruisent des filiĂšres dâactivitĂ© dans lâenvironnement local. Ils permettent aussi aux citoyens et citoyennes de se rĂ©approprier le territoire et de participer aux dĂ©cisions locales. En un mot, ils façonnent un droit pour toutes et tous Ă habiter le territoire et Ă le coconstruire au quotidien » (p 128).
En considĂ©rant lâactivitĂ© jardiniĂšre, Damien Deville y perçoit un « monde ordinaire » dans une fĂ©conditĂ© mĂ©connue. Il met en valeur la maniĂšre dont les jardins gĂ©nĂšrent des relations quotidiennes. « Les Ă©conomistes CĂ©cile Renouard et GaĂ«l Giraud ont crĂ©Ă© un indicateur qui pourrait bien inspirer les territoires dâici et dâailleurs, âlâindicateur de capacitĂ© relationnelleâ. Ce dernier mesure la qualitĂ© des relations quâentretiennent les personnes entre elles, et leur capacitĂ© de sâautonomiser Ă partir de ces mĂȘmes relationsâŠÂ ». « PensĂ© dans le cadre ouest-africain, cet indicateur insiste sur la qualitĂ© du tissu social et sur les relations interpersonnelles comme autant de dimensions du dĂ©veloppement humain ». Ainsi, des pauvres âfinanciĂšrementâ peuvent ĂȘtre nĂ©anmoins tellement entourĂ©s quâils ne manquent de rien, et inversement. « La relation est finalement plus importante que le seul revenu. Penser en ces termes le dĂ©veloppement permet dâaccorder de nouveau de lâimportance Ă ce qui est invisibilisĂ© dans les grands rĂ©cits de dĂ©veloppement. Les jardins dâAles changent le visage dâun quartier et les dynamiques sociales et Ă©cologiques dâune ville ». Dans son analyse, Damien Deville se rĂ©fĂšre Ă Michel de Certeau. « Dans son livre maĂźtre : « Lâinvention du quotidien », lâhistorien et sociologue Michel de Certeau analysait dĂ©jĂ les actes ordinaires comme une production permanente de culture et de partage. Selon lui, les citadins ne se contentent pas de consommer : ils produisent et inventent le quotidien par dâinnombrables mĂ©canismes de crĂ©ativitĂ© et par des politiques sociales originales. Pour emprunter lâexpression de Claude Levi-Strauss, les citadins « bricolent » avec les espaces quâils frĂ©quentent et les contraintes dâun modĂšle sociĂ©tal pour sâinventer un parcours de vie qui participe de leur Ă©mancipation. Ils crĂ©ent de la relation » (p 131).
Un mouvement innovant
« Quâelle favorise le retour des oiseaux et des hĂ©rissons, protĂšge les villes des vagues caniculaires offrant de lâombre et refroidissant lâair, lâagriculture urbaine a, en nos temps assombris de lâAnthropocĂšne, le vent en poupe » (p 7). En sâinscrivant dans un courant de recherche en plein dĂ©veloppement, Damien Deville analyse les fonctions et les configurations de lâagriculture urbaine.
« Laboratoires dâun monde possible, les jardins potagers des grandes mĂ©tropoles europĂ©ennes â qui produisent assez peu et se dĂ©ploient sur des espaces restreints – sâoffrent comme des lieux oĂč sâexpĂ©rimente une Ă©ducation renouvelĂ©e, plus douce, plus responsable, aux techniques de jardinage et aux arts de la table » (p 8). Cependant, la plupart des jardins rĂ©pondent Ă une fonction plus Ă©lĂ©mentaire, celle de ressource alimentaire. « La Havane, Bobo-Dioulasso, HanoĂŻ ou encore Rabat, autant de villes pour lesquelles les jardins potagers demeurent des greniers participant de lâautonomie alimentaire des familles » (p 8). « Dans les villes du sud de lâEurope, telles quâAthĂšnes ou Porto, frappĂ©es par la crise Ă©conomique de 2008, des familles ayant subi des pertes Ă©conomiques importantes ont mobilisĂ© les jardins comme des espaces dâadaptation » (p 14). RĂ©cemment, sous lâimpulsion de lâassociation A9 prĂ©sidĂ© par Rodolphe Gozegba de Bombembe, thĂ©ologien, des lopins de terre autour des habitations sont mobilisĂ©s en jardin potager dans la ville de Bangui, en RĂ©publique Centre-Africaine (5). Dans son livre, Damien Deville Ă©tudie particuliĂšrement le rĂŽle des jardins potagers dans des villes moyennes appauvries par la dĂ©sindustrialisation, en concentrant sa recherche sur lâexemple de la ville dâAlĂšs. A cette occasion, il milite pour « une dĂ©centralisation guidĂ©e par la diversitĂ© des territoires et la qualitĂ© des relations que nouent les uns et les autres » (p 135). Si on ajoute le mouvement pour lâagriculture urbaine en vue dâune autonomie alimentaire dans une perspective Ă©cologique, on comprendra que le dĂ©veloppement des jardins en ville n’est pas un phĂ©nomĂšne mineur, mais quâil sâinscrit dans une recomposition de grande ampleur.
Damien Deville a bien choisi le titre de son livre : la sociĂ©tĂ© jardiniĂšre, non seulement parce quâil y Ă©tudie, sous toutes ses coutures, le dĂ©veloppement des jardins en ville, mais parce que il prĂ©sente, sous cette appellation, un phĂ©nomĂšne de sociĂ©tĂ© en y percevant un potentiel dâexemplaritĂ© humaine. Oui, la sociĂ©tĂ© jardiniĂšre, nâest-ce pas une vision dâavenir ?
J H
- Comment les « Incroyables comestibles se sont développés en France ? : https://vivreetesperer.com/incroyable-mais-vrai-comment-les-incroyables-comestibles-se-sont-developpes-en-france/
- En route pour lâautonomie alimentaire : https://vivreetesperer.com/en-route-pour-lautonomie-alimentaire/
- Damien Deville. La société jardiniÚre. Le Pommier, 2023
- Yacouba Sawadogo. Damien Deville. Lâhomme qui arrĂȘta le dĂ©sert. Tana Ă©ditions, 2022 (Le temps des imaginaires)
- Centre-Afrique : lâagriculture urbaine pour lutter contre la faim : https://www.temoins.com/centrafrique-lagriculture-urbaine-pour-lutter-contre-la-faim/