Susciter un climat de convivialité et de partage

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La bibliothĂšque comme espace de rencontre

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         Au cours de son itinéraire professionnel de bibliothécaire, Blandine Aurenche a joué, entre autres, un rÎle de médiatrice.

«  La bibliothĂšque est un carrefour. les gens s’y croisent pour des motifs extrĂȘmement variĂ©s. Comme bibliothĂ©caire, j’ai essayĂ© de permettre Ă  des gens qui passent de se sentir bien Ă  l’aise dans ce lieu pour y dĂ©couvrir ce qu’il offre et croiser leurs dĂ©couvertes avec celles des autres. Cette attitude requiert beaucoup d’écoute surtout si l’on veut entendre les suggestions des gens ».

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         Comment susciter un climat de convivialité et de partage ?

« Il y a d’abord une rupture avec l’ancienne conception de la bibliothĂšque. Ce ne sont plus les collections qui sont premiĂšres et qui dĂ©finissent la bibliothĂšque. La mĂ©diathĂšque publique s’inscrit dans une perspective toute autre. Pour moi, c’est un espace de rencontre entre une population et des supports d’information divers, Ă  travers des Ă©changes et des temps de convivialitĂ©.  Je ne m’adresse pas Ă  des lecteurs isolĂ©s, mais Ă  une population . Et, dans cette population, seule une minoritĂ© est initiĂ©e Ă  l’usage classique de la bibliothĂšque . L’essentiel du travail des bibliothĂ©caires, outre l’acquisition de tous les mĂ©dias, est de faire en sorte que l’ensemble de la population, et en particulier, les habitants qui ne sont pas familiarisĂ©s avec le lieu, en dĂ©couvrent l’usage et puissent se l’approprier ».

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         Blandine Aurenche évoque de nombreuses situations.

«  Je pense par exemple Ă  de jeunes mamans d’origine Ă©trangĂšre, accueillies dans un foyer. On est allĂ© lire rĂ©guliĂšrement des livres Ă  leurs enfants devant elles. Au bout de quelques mois, ces mamans ont Ă©tĂ© accueillies Ă  la bibliothĂšque. On les a vraiment reçues avec un thĂ© Ă  la menthe. On a pris le temps de bavarder, de leur expliquer ce Ă  quoi servait la bibliothĂšque. La plupart de ces mamans sont ensuite revenues rĂ©guliĂšrement pour elles-mĂȘmes. Elles se sont servies de l’ordinateur pour celles qui savaient Ă©crire et lire. Elles se sont mises Ă  emprunter des livres, des CD, des DVD. Elles sont devenues des « clientes » Ă  part entiĂšre.

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         Dans la bibliothĂšque, il y a un rayon important de nouveautĂ©s. Nous essayons d’ĂȘtre trĂšs rĂ©actifs aux nouvelles parutions. SpontanĂ©ment ;les lecteurs ont trĂšs vite donnĂ© leur avis en mettant des petits papiers sur les livres. C’est un exemple de la maniĂšre dont les lecteurs ont investi le lieu ;

         Autre exemple : un lecteur est venu me voir pour me proposer d’organiser un cinĂ© club. Avec lui, nous avons dĂ©cidĂ© de faire en sorte que, chaque mois, un habitant vienne animer une sĂ©ance autour d’ un film choisi par lui. Et cela marche trĂšs bien.

         Des lecteurs nous ont Ă©galement proposĂ© Ă  plusieurs reprises d’inviter un musicien, un auteur qu’ils connaissaient.

         Effectivement, on constate un grand dĂ©sir de participation.  AprĂšs l’ouverture d’une mĂ©diathĂšque, une quinzaine de personnes ont proposĂ© spontanĂ©ment de faire du soutien scolaire ou de la lecture aux enfants sans qu’on les ait le moins du monde sollicitĂ©es. A partir de lĂ , nous avons organisĂ© des sĂ©ances de soutien scolaire.

         Autre exemple d’investissement personnel. Nous avons une table dĂ©volue Ă  un jeu d’échecs. Tous les samedis, sans qu’on le connaisse au dĂ©but et sans qu’on lui demande, un monsieur d’un certain Ăąge est venu s’installer Ă  cette table d’échec et s’est mis Ă  jouer avec ceux qui le souhaitaient. Et, petit Ă  petit, il a appris aux enfants Ă  jouer aux Ă©checs.

         Nous avons un jardin dans la bibliothĂšque. Un papa s’est proposĂ© pour venir, tous les samedis, entretenir ce jardin avec ses enfants et tous les autres enfants qui le souhaitaient.

         Aujourd’hui, les mamans Ă©trangĂšres ont pris l’habitude d’entrer dans la bibliothĂšque et d’y passer un bon moment lorsqu ’elles viennent chercher leurs enfants. J’ai l’impression que les gens se sentent chez eux.

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         Nous rĂ©servons le mĂȘme accueil aux adolescents.

Un garçon qui, en classe de troisiĂšme, avait Ă  lire « la VĂ©nus d’Isle » de Prosper MĂ©rimĂ©e, difficile pour un garçon de cet Ăąge, cherchait ce livre. Il m’a dit : « J’en ai marre. Je n’arrive jamais Ă  lire ces livres. C’est trop difficile ». En fait, il aurait souhaitĂ© que je fasse une fiche de lecture Ă  sa place. Je lui ai proposĂ© de lui lire Ă  haute voix le premier chapitre. Puis, nous avons convenu qu’il revienne  pour que je lui lise la suite. Je lui ai lu l’ensemble du livre. Et, en mĂȘme temps, je l’ai aidĂ© Ă  dĂ©crypter certaines expressions difficiles. Cela a changĂ© beaucoup son attitude vis-Ă -vis de la bibliothĂšque et peut-ĂȘtre vis-Ă -vis de la lecture.

         J’ai rencontrĂ© un  ancien petit lecteur qui est devenu unĂ©lu municipal. Je lui lisais souvent le dĂ©but des livres qu’il devait lire pour la classe. On pouvait en discuter. Il m’a dit que cela l’avait beaucoup aidĂ©. Cela lui avait permis de faire le pas pour s’approprier la lecture . Il me semble que le travail de la bibliothĂ©caire est de faire un petit bout de chemin avec des jeunes pour leur donner des clefs et les aider ainsi Ă  « entrer en littĂ©rature »..

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          Comment un climat convivial émerge-t-il ?

« A la bibliothĂšque Louise Michel, on a crĂ©Ă© le cafĂ© de Louise, un temps d’échange sur les livres que les gens auto-gĂ©rent pratiquement. Entre eux, les gens Ă©changent sur leurs lectures. C’est comme dans un cinĂ© club.

         La bibliothĂšque devient un lieu familier dans le quartier. Les gens qui viennent commencent Ă  parler entre eux. Certains sont devenus amis. Beaucoup viennent tous les jours et y passent un petit moment. Ils viennent lire le journal, bavardent avec d’autres lecteurs ou avec des bibliothĂ©caires.

         A quoi un tel lieu sert-il ? Pour moi, c’est un lieu de gratuitĂ©. Les gens ne sont pas forcĂ© de venir. Mais ils sont reconnus et accueillis pour eux-mĂȘmes. C’est donc un lieu de respiration oĂč on peut se poser, se ressourcer. C’est un lieu de vie sociale oĂč on peut entrer en contact avec d’autres dans un climat convivial ».

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Contribution de Blandine Aurenche.

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Sur le mĂȘme sujet,on pourra lire aussi :

Sur ce blog : « Laissez les lire ! Une dynamique relationnelle et éducative ».  https://vivreetesperer.com/?p=523

Sur le site de TĂ©moins : Emergence d’expaces conviviaux et aspirations contemporaines. TroisiĂšme lieu (« Third place ») et nouveaux modes de vie » : http://www.temoins.com/index.php?option=com_content&view=article&id=1012&catid=4

L’économie positive

Changement dans les esprits.

Nouvelles finalités, nouvelles approches.

La grande crise financiĂšre et Ă©conomique, que nous traversons, est en train de susciter des remises en cause et des prises de consciences et aussi d’engendrer des attentes et des approches nouvelles. Comme l’écrit Michel Serres : « Si nous vivons une crise, aucun retour en arriĂšre n’est possible. Il faut donc inventer du nouveau » (1). Des reprĂ©sentations et des attitudes nouvelles sont en train d’apparaĂźtre et de se propager. De l’intĂ©rieur, la pratique Ă©conomique commence Ă  changer.

Parmi les premiers signes de transformation, figure le LHforum, premier forum international sur le thĂšme de l’économie positive et responsable (2), organisĂ© dans la ville du Havre, le 13 et 14 septembre 2012, Ă  l’initiative du groupe PlaNet finance, fondĂ© par Jacques Attali et Arnaud Lentura et devenu la premiĂšre institution globale de microfinance dans le monde.  Le forum a permis de mettre en Ă©vidence des initiatives trĂšs diverses. Abondamment commentĂ©e dans les mĂ©dias, cette manifestation a fait connaĂźtre le courant de l’économie positive .

Dans une vidéo introductive (2 ), Jacques Attali nous introduit dans la dynamique de ce mouvement. Ses propos sont particuliÚrement éclairants .

Jacques Attali constate que le monde entier prend conscience aujourd’hui de sa fragilitĂ©. La prĂ©caritĂ© n’est plus le lot exclusif des pays pauvres. Elle apparaĂźt comme une menace dans les pays dĂ©veloppĂ©s. C’est « la prise de conscience d’une situation prĂ©caire pour tout le monde ». « Nos civilisations sont mortelles, nos statuts sont fragiles, nos vies sont prĂ©caires ». Quel avertissement !

La planĂšte se transforme Ă  vive allure. La mondialisation, en marche depuis 3000 ans, suscite une Ă©conomie dĂ©finitivement mondiale, Ă  la fois « nĂ©cessaire et inĂ©vitable ». Mais si cette mondialisation n’est pas accompagnĂ©e par l’affirmation de la « rĂšgle de droit », et si possible d’une «rĂšgle de droit dĂ©mocratique », « elle conduira au chaos »

Progressivement, des systĂšmes de protection sociale sont apparus dans de nombreux pays. Aujourd’hui, on a besoin d’un mouvement analogue Ă  l’échelle mondiale. Il faut « transfĂ©rer Ă  l’échelle mondiale cette prise de conscience d’une solidaritĂ© qui a surgi dans les diffĂ©rents pays ».

L’économie positive est une nouvelle maniĂšre d’envisager l’économie. Et, en particulier, le profil y perd son caractĂšre dominateur.  « Le profil n’est plus une fin, mais un outil pour atteindre des valeurs plus Ă©levĂ©es : altruisme, Ă©thique, morale, qualitĂ© de vie
 Les richesses crĂ©Ă©es ne sont plus une fin en soi, mais un moyen
L’argent doit ĂȘtre considĂ©rĂ© comme le pinceau du peintre et non comme l’Ɠuvre d’art   ».

C’est un changement de perspective qui est entrain de se produire et qui commence Ă  se manifester avec vigueur dans des entreprises pionniĂšres. « L’économie peut ĂȘtre retournĂ©e de façon positive si elle considĂšre que sa finalitĂ© est Ă©thique  »

La transformation du systĂšme Ă©conomique ne se fera pas sans oppositions et sans conflits. Mais une vision nouvelle est en train d’apparaĂźtre comme le montre JĂ©rĂ©mie Rifkin dans son livre sur la « TroisiĂšme RĂ©volution industrielle » (3). Et, si on suit Jacques Lecomte dans son livre sur la bontĂ© humaine (4),  des Ă©volutions dans les mentalitĂ©s sont en cours. Face aux ravages engendrĂ©s par un systĂšme en crise , la rĂ©flexion des chercheurs (5 ) et la montĂ©e d’un nouvel Ă©tat d’esprit vont appuyer les actions rĂ©formatrices. Une piste Ă  suivre attentivement


J H

 

(1)            Serres (Michel). Le temps des crises . Le Pommier , 2009.  Citation en page de couverture.

(2)            Site sur le mouvement et présentation du forum : http://www.lhforum.com/

(3)            Sur ce blog : « Face Ă  la crise, un avenir pour l’économie : la troisiĂšme rĂ©volution industrielle » https://vivreetesperer.com/?p=354

(4)             Sur ce blog : « La bonté humaine, est ce possible ? » https://vivreetesperer.com/?p=674

(5)            Sur ce blog : « Pour rĂ©former la finance
 le livre de James Fatherley : « Of markets and men »

Esprit d’enfance

Amour, humour, Ă©merveillement. Les albums de Peter Spier.

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Avec quelques autres illustrateurs comme Quentin Blake (1), Peter Spier rejoint Ă  travers son oeuvre l’esprit d’enfance : humour et Ă©merveillement. Ayant vĂ©cu durant sa jeunesse aux Pays-Bas, Peter Spier Ă©migre aux Etats-Unis oĂč il va illustrer des dizaines de livres pour enfants (2). Et son Ɠuvre se rĂ©pand dans le monde. Elle nous rencontre, enfants comme adultes, Ă  bien des Ă©tapes de notre vie.

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Dans la dynamique de son Ɠuvre crĂ©atrice, Peter Spier nous est prĂ©sentĂ© dans une courte vidĂ©o (4). La vidĂ©o commence par un chant traditionnel issu d’un poĂšme anglais du XVĂšme siĂšcle : « The fox went out on a chilly night » (5). C’est Peter Spier qui fredonne le premier couplet :

« Le renard partit la nuit pour chasser.

Il pria pour que la lune lui donne de la lumiĂšre

Car il avait plus d’un mile à faire

A parcourir avant d’atteindre la ville ».

Peter Spier reprend ce chant qui l’a inspirĂ© pour illustrer un de ses premiers albums, d’abord pour partie couleur, pour partie noir et blanc, et puis, aujourd’hui, 53 ans aprĂšs cette publication, complĂ©tĂ© par l’auteur Ă  l’aquarelle pour une version e-book.

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Peter Spier a frĂ©quentĂ© une Ă©cole d’art Ă  Amsterdam avant d’émigrer aux Etats-Unis oĂč il a illustrĂ© environ 150 livres.

Le premier livre de Peter Spier mis en exergue par l’attribution d’un prix a Ă©tĂ© son album sur l’Arche de NoĂ© (Noah’s Ark ) paru en 1977. Puisqu’il n’y a pas de texte, c’est Ă  travers l’illustration que la rĂ©alitĂ© de l’histoire apparaĂźt. Les dĂ©tails enchantent. NoĂ© ramasse les Ɠufs de ses poules !

Et la seconde rĂ©ussite de l’auteur, c’est l’album sur la chanson du renard parti chasser Ă  la ville. Peter Spier a Ă©galement rĂ©alisĂ© un grand album sur les gens dans le monde (« People »), lui aussi trĂšs connu. Il nous raconte comment il a utilisĂ© la documentation du National Geographic pour rĂ©aliser une illustration pleine de pittoresque et d’humour.

La vidĂ©o se termine sur une image d’avenir. Peter Spier apprĂ©cie la qualitĂ© des images des ses aquarelles sur les e-books oĂč la lumiĂšre illumine les photos.

Des commentaires sur l’auteur parsĂšment la vidĂ©o. « Il permet Ă  notre imagination de travailler ». Il nous entraĂźne dans une histoire. Mais c’est Peter Spier qui, avec un grand sourire, exprime le mieux l’esprit qui l’anime : « Je le fais pour les enfants et pour l’enfant qui est en moi ».

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Baba, auteur de l’album « Papa arbre » (3), a dĂ©couvert trĂšs tĂŽt les livres de Peter Spier. Dans sa veine artistique et poĂ©tique, il nous dit ici l’inspiration que lui apporte Peter Spier.

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Baba, quand et comment as-tu découvert cet auteur ?

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Je ne sais plus trĂšs bien, tout jeune, Ă  la bibliothĂšque. J’avais aussi reçu certains de ses albums en cadeau d’amis bien inspirĂ©s. Mais, Ă  vrai dire, c’est seulement maintenant, rĂ©ouvrant ces livres avec mes propres enfants, que je mesure combien ils ont jalonnĂ© mon enfance, façonnĂ© mon imaginaire. Il y a d’abord Sept milliards de visages, qui n’Ă©taient d’ailleurs que quatre Ă  l’Ă©poque : un album magnifique, Ă  la rencontre du monde, de l’humanitĂ©, de son immense diversitĂ©, un dessin florissant, une voix subtile, une vision de l’homme apaisĂ©e. Il y a Christmas, Rain
 des albums sans paroles, une cĂ©lĂ©bration du quotidien, de ces instants de grĂące qui fondent l’existence. Il y a L’histoire de NoĂ© : le rĂ©cit biblique dĂ©voilĂ© dans toute sa richesse, dans sa chair, avec ses bruits, ses gestes, ses couleurs, ses odeurs, l’arche qui devient le refuge de la vie, de toute la vie.

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Il y a aussi Quand on s’ennuie : l’histoire gĂ©niale de deux frĂšres dĂ©sƓuvrĂ©s Ă  qui leurs parents reprochent de ne pas savoir s’occuper. Ils dĂ©couvrent de vieux plans, rassemblent tout ce qu’ils trouvent, dĂ©montent la voiture, les haies, les rideaux, pour se fabriquer un avion. Leur envolĂ©e leur vaut de belles Ă©motions et une bonne fessĂ©e de leurs parents ! Chaque histoire, chaque crĂ©ation de Peter Spier est l’histoire mĂȘme d’une crĂ©ation, de ce moment oĂč du rien jaillit le plein, oĂč formes et couleurs nous invitent Ă  « cet Ă©tat d’invention perpĂ©tuelle », selon le mot de Paul Valery, qui n’est peut-ĂȘtre autre chose que l’enfance.

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Quels sont les albums de Peter Spier qui te plaisent le plus ?

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Tous. Je crois qu’aucun ne m’a déçu. DĂšs ses premiers albums, The Cow who fell in the canal, The Fox went out on chilly night, le talent de Spier Ă©clate : l’Ă©loquence de son dessin, son trait inarrĂȘtable, son amour du dĂ©tail, la tendresse de son regard, sa poĂ©sie, son humour. Spier est un hĂ©ritier des paysagistes hollandais, d’Avercamp, de Van de Velde, de Van Goyen, de Ruysdael, attentifs au dialogue du ciel, de la terre et de l’eau, amoureux des gens, partagĂ©s entre le plaisir d’ĂȘtre chez soi, la douceur de l’intimitĂ© et l’appel du large, l’ivresse du chemin, l’horizon des navires Ă  l’assaut de la mer.

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AmĂ©ricain d’adoption, il a consacrĂ© des albums trĂšs beaux Ă  l’histoire des Etats-Unis, aux pionniers, Ă  la naissance de la nation amĂ©ricaine, Ă  la fondation de New-York. Il y a chez lui cet imaginaire du « nouveau monde » qui fait contrepoint avec ses origines nĂ©erlandaises. Il a aussi beaucoup travaillĂ© Ă  partir de chansons, des traditionnels – London Bridge is falling down, The Erie Canal, To Market, market, Hurrah, we’re outward bound !, And so my garden grows – dont les paroles scandent ses planches, font courir le regard du lecteur et rĂ©vĂšlent toute la musicalitĂ© de ses visions.

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Quelle inspiration trouves-tu chez Peter Spier ?

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Ce sont des leçons. Tout chez Spier mĂ©rite d’ĂȘtre regardĂ© parce que, lorsqu’il pose son regard sur les choses, rien pour lui n’est indigne d’ĂȘtre regardĂ©. Il y a chez lui un appĂ©tit fabuleux, cette envie de faire l’inventaire du monde, de mettre partout ses yeux et ses pinceaux. La trame est toujours assez simple. Il imprime d’abord un mouvement, on suit un personnage, une riviĂšre, un bateau, une voiture, une voix, ou, Ă  l’inverse, on voit le monde, les gens, la nature se dĂ©ployer, aller, venir, revenir, vivre, mourir, autour d’un mĂȘme lieu, d’un mĂȘme Ă©difice, d’un mĂȘme objet.

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Et puis il y a ces moments oĂč tout s’arrĂȘte, oĂč tout cĂšde Ă  la contemplation, Ă  la couleur, Ă  la douceur d’une lune, au parfum d’une prairie, Ă  la fantaisie d’un nuage, Ă  la fragilitĂ© d’une goutte d’eau, au fouillis d’un garage, au clair-obscur d’une rue 
 C’est dans ces moments-lĂ  que la nature, l’ouvrage des hommes et le dĂ©sordre qu’ils sĂšment se retrouvent pour toucher au sublime.

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(1) Site de Quentin Blake : http://quentinblake.com/

(2) Itinéraire de Peter Spier sur wikipedia anglophone : http://en.wikipedia.org/wiki/Peter_Spier

(3) « Sur ce blog : « Papa arbre. Un album intime » : https://vivreetesperer.com/?p=1031

(4) Peter Speer author video : http://www.youtube.com/watch?v=cnR5u7T9F_c

(5) « The fox went out on a chilly night » : histoire et texte de cette chanson sur Wikipedia anglophone : http://en.wikipedia.org/wiki/The_Fox_(folk song)

 

 

« Animal » de Cyril Dion

Quand des voix innovantes et compétentes nous ouvrent de nouveaux chemins pour un monde écologique

https://youtu.be/b0HouR6CYK4

RĂ©alisateur du film : « Demain » (1), qui, en son temps, ouvrit les esprits Ă  une dynamique de sociĂ©tĂ© participative et Ă©cologique, Cyril Dion rĂ©alise aujourd’hui un second long mĂ©trage : « Animal », qui nous Ă©veille Ă  la vision d’un monde fondĂ© sur la biodiversitĂ©.

Le film rĂ©alise le projet dĂ©crit dans la page de couverture du livre correspondant : « Imaginez que vous puissiez voyager sur quatre continents pour rencontrer certains des plus Ă©minents et des plus passionnants biologistes, climatologues, palĂ©ontologues, anthropologues, philosophes, Ă©conomistes, naturalistes et activistes qui cherchent Ă  comprendre pourquoi les espĂšces disparaissent, pourquoi le climat se dĂ©rĂšgle et surtout comment inverser la tendance ». Le livre : « Animal » (2) rapporte l’ensemble de tĂ©moignages, des informations et des idĂ©es recueillies « dans une sĂ©rie de rencontres effectuĂ©es lors du tournage du film ».

« Pendant 56 jours, Cyril Dion est parti avec une Ă©quipe de tournage et deux adolescents trĂšs engagĂ©s, Bella Lack et Vipulan Puvaneswaran (p 17), l’une anglaise et l’autre français de parents nĂ©s au Sri Lanka. Avec Cyril Dion, ces deux jeunes ont posĂ© leurs questions. « Faire ce voyage avec eux fut une expĂ©rience merveilleuse et bouleversante. Pour autant, dans la retranscription des entretiens, j’ai choisi de mĂȘler nos trois voix en une pour interroger nos interlocuteurs ». « Leur prĂ©sence active a permis de mieux comprendre comment leur gĂ©nĂ©ration aborde un double dĂ©fi Ă©cologique » (p 21). Le sous-titre du livre tĂ©moigne de cette intention : « Chaque gĂ©nĂ©ration a son combat. Voici le notre ».

« Si le climat est devenu un sujet incontournable, une autre crise Ă©cologique sans doute aussi grave est encore largement absente des conversations et de nombreuses politiques publiques : « la destruction accĂ©lĂ©rĂ©e du vivant » (p 14). Les chiffres sont accablants. De nombreuses espĂšces sont menacĂ©es ou en danger d’extinction. « Notre planĂšte se dĂ©peuple de ses habitants non humains sauvages » (p 15). Aussi, ce livre est un manifeste en faveur de la biodiversitĂ©, en faveur de la prĂ©sence des animaux. Et il s’efforce de rĂ©pondre aux questions correspondantes : « Pourquoi des espĂšces disparaissent-elles ? Que pouvons-nous faire pour l’éviter ? Et pourquoi y sommes-nous pour quelque chose ? (et la rĂ©ponse est oui). Avons- nous le droit de faire ça ? A quoi servent toutes ces espĂšces ? Doivent-elles servir Ă  quelque chose pour que nous dĂ©cidions de les protĂ©ger ou d’arrĂȘter des les Ă©radiquer ? Comment renouer une relation fĂ©conde avec le vivant ? Quelle est notre place parmi les autres espĂšces ? Et, Ă  quoi servons-nous dans l’univers du vivant ? » (p 17).

« Nous avons besoin de regarder en face ce que notre planĂšte traverse
 Nous avons besoin de luciditĂ©, de courage, de solidaritĂ©, d’élan, de sens et de dĂ©sir. De la luciditĂ© peut naitre le choc et c’est ce choc qu’il nous appartient dĂ©sormais de faire » (p 23). A travers l’expĂ©rience et l’expertise des personnalitĂ©s interviewĂ©es, ce livre est si dense et si riche qu’il n’est pas possible d’en rendre compte. Nous essaierons seulement ici de rapporter quelques moments privilĂ©giĂ©s oĂč, parmi d’autres, un horizon se dĂ©couvre, une perspective apparaĂźt. Ce sont quelques brĂšves notations qui ouvrent notre esprit Ă  une dimension nouvelle.

 

Pourquoi les espÚces disparaissent ?
Rencontre avec Anthony Barnosky (p 27-36)

Anthony Barnosky, gĂ©ologue, palĂ©ontologue et biologiste qui a enseignĂ©, toute sa carriĂšre, Ă  l’UniversitĂ© de Berkeley, rĂ©pond Ă  nos questions (p 27-36). Il distingue cinq causes majeures de l’extinction des espĂšces : la destruction des habitats, la surexploitation des espĂšces, la pollution, les espĂšces invasives, et les changements climatiques » (p 29). La menace aujourd’hui rĂ©side non seulement dans des changements progressifs, mais dans l’apparition de « points de bascule » (p 32). A la suite de cet entretien, laissant de cĂŽtĂ© le dĂ©rĂšglement climatique, « un phĂ©nomĂšne si considĂ©rable qu’il nĂ©cessiterait, Ă  lui seul, un film ou un livre, la recherche de l’équipe s’est centrĂ©e sur la pollution, la surexploitation des espĂšces et la disparition des habitats ».

 

Se passer des pesticides
Rencontre avec Paul François (p 38-58)

Paul François est un agriculteur qui, suite Ă  un grave accident avec un herbicide, a converti ses 240 hectares en agriculture biologique. A cette Ă©chelle, un tel changement est un exploit. Paul François nous raconte son changement de mentalitĂ© et de pratique. Il lui a fallu accepter la prĂ©sence de l’herbe plutĂŽt que de la supprimer systĂ©matiquement. PlutĂŽt que d’acheter des produits chimiques, Paul François investit dans la mĂ©canisation et dans la main d’Ɠuvre. Et il a vu rĂ©apparaitre les hirondelles qui, en se nourrissant des insectes, remplacent les pesticides. Les abeilles reviennent Ă©galement. En mĂȘme temps, Paul François nous dit comment « il gagne mieux sa vie en bio qu’en conventionnel ». Suite Ă  sa maladie professionnelle, Paul François a remportĂ© une bataille juridique contre Monsanto. C’est dire son courage et sa persĂ©vĂ©rance. La transformation de son exploitation est un exploit remarquable.

 

ArrĂȘter de parler et agir
Rencontre avec Afroz Shah (p 65-75)

Afros Shah est un jeune avocat indien qui a engagĂ© la lutte contre le plastique rĂ©pandu sur une grande plage Ă  MumbaĂŻ. Une grande mobilisation pour le nettoyage s’en est suivie. C’est une action de terrain. VoilĂ  une action qui Ă©voque la responsabilitĂ© qui incombe Ă  chacun de nous. « C’est le raisonnement que s’est tenu Afroz. Et il se trouve qu’il est Ă  l’origine, par son seul engagement, d’un considĂ©rable mouvement de nettoyage du plastique Ă  MumbaĂŻ, qui a inspirĂ© des milliers et peut-ĂȘtre mĂȘme des millions de personnes en Inde et dans de nombreuses rĂ©gions du monde » (p 71).

 

La maternitĂ© d’un Ă©levage intensif
Rencontre avec Laurent Hélaine et Philippe Grégoire
(p 77-96)

Cette visite Ă  un Ă©levage intensif suscite en nous un effroi et un Ă©cƓurement. A cette occasion, la question de la consommation de la viande dans l’alimentation est posĂ©e. Cyril Dion ouvre la rĂ©flexion : « Si nous voulons rĂ©duire considĂ©rablement notre consommation de viande, il serait sans doute plus efficace de le faire Ă  travers une mesure structurelle emblĂ©matique qui, Ă  mon sens, ferait honneur Ă  l’humanité : bannir l’élevage en cage, mais Ă©galement en bĂątiment fermĂ© sans accĂšs Ă  l’extĂ©rieur comme le propose le rĂ©fĂ©rendum pour les animaux
 Interdire ce type d’élevage aurait la vertu de cesser d’infliger ces terribles conditions de vie Ă  des animaux, mais Ă©galement de diminuer mĂ©caniquement la quantitĂ© de viande que nous pourrions consommer » (p 95-96).

 

Des lois pour transformer la société
Rencontre avec Claire Nouvion et Matthieu Colléter
(p 98-125)

On parle ici des actions volontaires pouvant exercer une influence. On a besoin de lois pour changer la donne. Face aux lobbys, une conscience politique est nĂ©cessaire. Des associations s’emploient avec persĂ©vĂ©rance Ă  obtenir des changements lĂ©gislatifs. C’est le cas de l’association Bloom oĂč travaillent Claire et Matthieu, et qui intervient au niveau europĂ©en. Ainsi, elle est parvenue Ă  gagner une bataille contre la pĂȘche en eau profonde. C’est une victoire importante, mais il a fallu des annĂ©es pour y parvenir alors que les nouvelles techniques de pĂȘche ravageaient les fonds sous-marins. A ce propos, Cyril Dion nous dĂ©crit les coulisses des pouvoirs politiques. Il nous rapporte par exemple l’expĂ©rience innovante qui a Ă©tĂ© celle de la Convention citoyenne pour le climat (p 120-123). Et comme il y a activement participĂ©, il nous en montre Ă©galement les limites, tous les obstacles auxquels les propositions de la Convention se sont heurtĂ©es. « Les groupes d’intĂ©rĂȘt privĂ©s ont une influence disproportionnĂ©e sur les dĂ©cisions publiques ». Alors, une pression de l’opinion est particuliĂšrement nĂ©cessaire. Mais pour l’emporter, « peut-ĂȘtre avons nous besoin d’un autre rĂ©cit de ce que l’avenir pourrait ĂȘtre ».

 

Le récit de la croissance et les nouveaux indicateurs.
Rencontre avec Eloi Laurent
(p 127-145)

L’ancien rĂ©cit « fondĂ© sur la croissance Ă©conomique et une certaine conception du progrĂšs est en train de nous entrainer vers l’abime ». C’est ce que nous a longuement expliquĂ© Eloi Laurent, Ă©conomiste Ă  l’OCDE et enseignant Ă  Sciences Po Paris et Ă  l’universitĂ© de Stanford en Californie. ConsidĂ©rant la relation entre Ă©conomie et Ă©cologie, Eloi Laurent a mis l’accent sur l’interaction entre la crise des inĂ©galitĂ©s et la question Ă©cologique en les considĂ©rant comme liĂ©es et jumelles » (p 127). Quel type de dynamique sociale conduit aux crises Ă©cologiques ? Quelle est la source du problĂšme ? « Il est dĂ©sormais absolument clair que la poursuite de la croissance Ă©conomique telle qu’elle est conçue aujourd’hui, engendre la destruction des Ă©cosystĂšmes » (p 129). « Avec ‘Les limites de la croissance’, Ă©crit au dĂ©but des annĂ©es 1970, l’équipe autour de Dennis et Donella Meadows avait une incroyable intuition de ce qui allait se passer » (p 130). Selon Eloi Laurent, les concepts de croissance et de dĂ©croissance ne sont plus pertinents. « Il faut se concentrer sur le bien-ĂȘtre humain. Ce qui compte pour les gens, c’est la santĂ© et les liens sociaux ». Eloi Laurent propose la santĂ© comme l’indicateur fondamental qui doit et qui va remplacer la croissance au XXIe siĂšcle (p 153). « Malheureusement, que ce soit le lien social ou la santĂ©, ces deux indicateurs sont mis Ă  mal par l’organisation actuelle du monde ». Eloi Laurent rĂ©pond Ă©galement Ă  des questions sur le capitalisme. Ce qui importe, Ă  son avis, c’est que la puissance publique ne soit pas au service du marché » (p 137). Par ailleurs, des pays comme la Chine et l’URSS ont de trĂšs mauvais bilans Ă©cologiques indĂ©pendamment du capitalisme. Au contraire, Eloi Laurent cite « des petits pays gouvernĂ©s par des femmes, qui ont dĂ©cidĂ© de sortir de la croissance : la Nouvelle-ZĂ©lande, la Finlande, l’Islande et l’Ecosse
 On peut tout Ă  fait dĂ©cider que la richesse, c’est la santĂ©, l’éducation, la biosphĂšre
 C’est en partie ce qu’ont fait les pays nordiques » (p 138).

 

La nature n’existe pas
Rencontre avec Philippe Descola
(p 147-173)

Cyril Dion dĂ©crit ensuite son champ de recherche. « Pour Ă©laborer les directions des projets Ă©conomiques et politiques, il nous faut adhĂ©rer Ă  une lecture (forcĂ©ment subjective), commune du  monde
 (p 143) Ce dont nous avons besoin n’est pas de prouver fiĂšrement que nous sommes capables d’accomplir des exploits, mais de dĂ©tourner le fleuve pour que tout le monde aille dans la mĂȘme direction. Mais, pour cela, nous avons besoin d’un autre rĂ©cit collectif que celui de la croissance. Qui donne suffisamment de sens et de perspective Ă  l’humanitĂ© pour orienter diffĂ©remment son destin » (p 145). A partir de cet instant, nous avons rĂ©orientĂ© notre quĂȘte. « PlutĂŽt que de continuer Ă  chercher des rĂ©ponses techniques aux cinq causes de l’extinction dans une logique quelque peu mĂ©canique, nous nous sommes intĂ©ressĂ©s Ă  ce qui pourrait devenir les fondements d’un autre rĂ©cit. Pour cela, nous sommes allĂ©s rencontrer Philippe Descola, sans doute l’un des anthropologues vivants les plus respectĂ©s, disciple de Claude LĂ©vy-Strauss et auteur du livre : « Par delĂ . Nature et culture » (p 146).

Philippe Descola critique le concept de nature. « La nature, c’est essentiellement, ce qui est en dehors de nous les humains ». Elle est ce qui nous permet de regarder de haut tout ce qui est non humain  » (p 151). « La nature est devenue un Ă©lĂ©ment central du monde des EuropĂ©ens ». Ce terme n’existe pas dans d’autres langues. En Europe, nous avons voulu Ă©tablir « une frontiĂšre entre les animaux humains et non humains fondĂ©e sur discontinuitĂ© morale et subjective » (p 152). Mais, affirme Philippe Descola, « les « signes symboliques du langage » ne sont pas les seuls moyens de communication. En AmĂ©rique, les gens pensent que les animaux non humains peuvent former des projets et rĂ©flĂ©chir sur eux-mĂȘmes, qu’ils ont une sorte de subjectivitĂ© que l’on pourrait appeler intĂ©riorité ». Et, pour communiquer avec les animaux, ils intĂšgrent les signes que ceux-ci utilisent » (p 153). « Nous sommes connectĂ©s Ă  tous les Ă©lĂ©ments du monde de façon inextricable » (p 154).

 

Nous faisons partie du monde vivant
Rencontre avec Dr Jane Goodhall (3), fondatrice de l’Institut Jane Goodhall et messagùre de la paix auprùs des Nations unies.
(p 174-192)

« A une Ă©poque oĂč les femmes Ă©taient dĂ©couragĂ©es de poursuivre des Ă©tudes scientifiques
 Jane a eu l’audace d’engager des recherches non conventionnelles – d’abord sans diplĂŽme, puis en passant Ă  l’UniversitĂ© de Cambridge – en menant la toute premiĂšre Ă©tude sur les chimpanzĂ©s dans leur environnement naturel. GrĂące Ă  sa tĂ©nacitĂ©, elle a non seulement vĂ©cu une vie extraordinaire, mais elle a surtout changĂ© notre façon de penser la relation entre les humains et les animaux » (p 171). Parce qu’elle Ă©tait en phase avec la forĂȘt, les arbres, les animaux, Jane a pu entrer en contact avec les chimpanzĂ©s et mettre en Ă©vidence leurs capacitĂ©s, entre autres, l’utilisation d’outils, abolissant la frontiĂšre qui avait Ă©tĂ© Ă©tablie entre cette espĂšce et les humains. Aujourd’hui, Jane nous appelle Ă  une prise de conscience : « Tout au long de notre Ă©volution, nous faisions simplement partie du monde animal. Mais maintenant que nous avons dĂ©veloppĂ© un intellect, et que nous savons que nous dĂ©truisons la planĂšte, notre rĂŽle devrait ĂȘtre celui de rĂ©parer les dommages ». Le message de la GenĂšse devrait ĂȘtre compris comme attribuant Ă  l’homme un rĂŽle d’intendant. « Un bon intendant prend soin de la terre. L’heure est maintenant venue d’utiliser notre fameux intellect pour changer les choses  » (p 188).

 

La bibliothĂšque du vivant
Rencontre avec Dino Martins
(p 196-221)

Le voyage de Cyril Dion s’est poursuivi dans l’exploration du vivant et la comprĂ©hension des Ă©cosystĂšmes. Cyril Dion et son Ă©quipe ont rendu visite Ă  Dino Martins, biologiste et crĂ©ateur du Mpala Research Center au beau milieu du Kenya. Dino Martins est aussi un entomologiste passionnĂ© par la biodiversitĂ© et « plus particuliĂšrement par les plus petites crĂ©atures que sont les abeilles, les termites et les insectes en gĂ©nĂ©ral dont il est un spĂ©cialiste mondial » (p 189). Dino les a accompagnĂ© dans son parc du Kenya Ă  la dĂ©couverte des Ă©lĂ©phants, des girafes et des zĂšbres en libertĂ© dans leur environnement naturel. Ce fut un Ă©merveillement. En cette circonstance, Dino Martins a mis en Ă©vidence l’importance de la biodiversitĂ©. «  Si nous perdions trop d’espĂšces, la vie humaine deviendrait misĂ©rable et nous serions nous-mĂȘmes confrontĂ©s Ă  un risque d’extinction. Chaque espĂšce fait partie de cette toile de la vie oĂč tout est interconnectĂ©. La bibliothĂšque du vivant est ce qui nous maintient en bonne santĂ©, nous nourrit, nous rend heureux » (p 198). Dino dĂ©crit la vie des Ă©cosystĂšmes. Comment les animaux communiquent entre eux ? Comment les diffĂ©rentes espĂšces participent Ă  l’équilibre des Ă©cosystĂšmes ?
Grand observateur des fourmis, Dino nous montre leur activitĂ© incessante. Elles contribuent notamment Ă  la dispersion des graines. « Sans elles, il n’y aurait pas de prairies. Er, sans prairies, pas d’animaux. Ces fourmis font partie de ces Ă©cosystĂšmes depuis des centaines de milliers d’annĂ©es et elles en sont une des espĂšces clé » (p 214).
Dino manifeste son enthousiasme pour tout ce qui est vivant. La faune sauvage « nous rappelle la beautĂ©, la vĂ©ritĂ©, l’amour. Voir des animaux se dĂ©placer dans ce monde est l’une des choses les plus magiques qui soient et je ne me lasserai jamais de les observer » (p 209).

 

La cascade trophique et les superprédateurs
Rencontre avec Liz Hadley
(p 225-249)

L’exploration se poursuit dans une rencontre avec Liz Hadley, responsable de la rĂ©serve naturelle de Jasper Ridge en plein milieu de la Silicon Valley en Californie. Dans cette petite rĂ©serve, la diversitĂ© se manifeste Ă  nouveau dans la variĂ©tĂ© des espĂšces qui s’équilibrent les unes les autres. Et, Ă  cet Ă©gard, on nous montre le rĂŽle que jouent les superprĂ©dateurs, comme par exemple les pumas « en rĂ©gulant les populations de cervidĂ©s, permettent de contrer la maladie de Lyme issue des acariens qui s’attachent aux cerfs » (p 227).

 

Cohabiter avec les loups
Rencontre avec Baptiste Morizot et Jean-Marc Landry
(p 251-300)

Dans ce monde du vivant, comment les humains vont-ils se comporter, en terme de guerre ou de respect envers les espĂšces animales ? Aujourd’hui, en France, les loups reviennent et paraissent menaçants. Effectivement, les Ă©leveurs sont inquiets lorsqu’ils voient les troupeaux attaquĂ©s. Cyril Dion est allĂ© Ă  la rencontre d’un Ă©leveur et il a interrogĂ© le philosophe Baptiste Morizot. Ce dernier s’est interrogĂ© sur notre possible cohabitation avec les loups en expĂ©rimentant sur le terrain, pistant les loups et autres prĂ©dateurs, mais aussi en allant Ă  la rencontre  des Ă©leveurs » (p 249).
Ainsi Baptiste s’implique dans l’approche suivante. « C’est une situation dans laquelle les diffĂ©rents camps sont venus Ă  cohabiter dans les mĂȘmes territoires tout en ayant des intĂ©rĂȘts contradictoires. Ils doivent apprendre des langages communs et trouver des moyens de se faire passer des messages, de traduire leurs comportements mutuels pour entretenir des relations moins toxiques » (p 270).
Baptiste Morizot a Ă©crit un livre : « les diplomates ». Aujourd’hui, le monde vivant nous rappelle qu’il est bien vivant, qu’il n’a jamais Ă©tĂ© un dĂ©cor et qu’il faut agir avec lui avec le mĂȘme degrĂ© d’attention et de sĂ©rieux que nous le faisons avec les altĂ©ritĂ©s humaines
 Le grand enjeu aujourd’hui, c’est de leur rendre justice. Et donc de commencer Ă  apprendre leur langage, Ă  comprendre comment ils vivent pour inventer des modus vivendi. En ce sens, il s’agit de diplomatie » (p 295).

 

Coopérer avec le vivant
L’exemple du Bec Hellouin (4)
Rencontre avec Perrine et Charles Hervé-Gruyer
(p 201-215)

« Cohabiter avec le vivant, c’est non seulement le comprendre et le protĂ©ger, mais c’est aussi le moyen de collaborer avec lui ». Existe-t-il une façon d’habiter cette planĂšte avec une logique de gagnant-gagnant avec le vivant ? Il y a bien une nouvelle logique qui Ă©merge, notamment autour des dynamiques permaculturelles » (p 299).

« A la ferme du Bec Hellouin, on peut dĂ©couvrir une des applications, de la permaculture Ă  l’agriculture, les plus abouties du monde
 La visite mĂȘme du lieu est transformatrice
 L’harmonie des formes, des couleurs, la diversitĂ© des cultures dans un espace si rĂ©duit, le soin apportĂ© Ă  la construction de chaque butte, de chaque mare, de chaque bĂątiment a quelque chose de bouleversant
 De cette organisation profondĂ©ment intelligente peut jaillir la beautĂ© conjuguĂ©e Ă  l’efficacitĂ© crĂ©Ă©e par une forme de symbiose entre les diffĂ©rents systĂšmes qui coexistent » (p 300).

Charles nous raconte l’histoire de la ferme. « La crĂ©ation de la ferme a Ă©tĂ© une vĂ©ritable aventure. Au dĂ©part, notre rĂȘve Ă©tait de vivre en harmonie avec la nature
 Dans cette quĂȘte de beautĂ©, nous avons composĂ© l’ensemble un peu comme un tableau avec beaucoup de petits espaces
 Sans le savoir, nous avons reconstituĂ© un paysage complexe qui favorise les connexions. Puis quelque chose de magnifique s’est produit. On cherchait la beautĂ© et la nature nous a offert un cadeau formidable : la productivité » (p 303). « Cette ferme fait 20 hectares », nous  dit Perrine, « mais nous nous contentons d’en cultiver 5, car nous faisons tout Ă  la main ou avec un cheval de trait
 Une culture sans engrais, sans pesticide, sans produit chimique ou de synthĂšse » (p 302). Charles nous dĂ©crit une trajectoire de dĂ©couverte : « Au fil des ans, nous avons dĂ©couvert qu’en faisant tout Ă  la main, nous pouvions faire pousser plus de lĂ©gumes en moins d’espace. Ce faisant, on libĂšre les 9/10 du territoire pour installer des milliers d’arbres, des haies, des mares, des plantes aromatiques et mĂ©dicinales. Autant de milieux diffĂ©rents, de niches Ă©cologiques qui permettent d’accueillir la faune et la flore sauvage. Nous avons progressivement observĂ© la rĂ©apparition des insectes, des papillons, des vers de terre et des abeilles, mais aussi d’oiseaux en voie de disparition et de plantes indigĂšnes  » (p 302). C’est vraiment une coopĂ©ration avec la nature. « Au dĂ©part, on voulait produire notre nourriture en faisant le moins de mal possible Ă  la planĂšte. Mais un jour, on s’est dit que cette histoire ne tenait pas debout, que ce que nous voulions en rĂ©alitĂ©, c’est produire en faisant du bien Ă  la planĂšte. Depuis, nous faisons tous le jours le constat qu’on peut rĂ©soudre cette Ă©quation difficile qui consiste Ă  cultiver une nourriture de qualitĂ© en rĂ©parant les blessures qu’on a infligĂ© aux Ă©cosystĂšmes » (p 304).

 

Coopérer avec le vivant

Cyril Dion poursuit cette conversation sur la maniĂšre de coopĂ©rer avec le vivant en interrogeant François LĂ©ger, enseignant chercheur en agro-Ă©cologie, longtemps conseiller scientifique de la ferme du Bec Hellouin. A la demande des deux adolescents accompagnant Cyril Dion, la conversation a portĂ© notamment sur la place des animaux dans le systĂšme agricole. Ce fut ensuite une rencontre avec Nicolas Vereecken, professeur d’agro-Ă©cologie et spĂ©cialiste des insectes. Notre intĂ©rĂȘt pour les ruches et les abeilles domestiques ne doit pas nous faire oublier la vie et le rĂŽle des abeilles sauvages qui jouent un rĂŽle important dans la pollinisation. LĂ  encore, il faut envisager la biodiversitĂ©. « Si vous n’aviez pas d’oiseaux, de frelons, d’araignĂ©es, la vie serait beaucoup plus difficile pour nous tous, surtout en Ă©tĂ© parce que vous auriez des surpopulations d’insectes que tous ces organismes aident Ă  contrĂŽler
 La clĂ© de l’écologie, c’est l’interdĂ©pendance et l’équilibre » (p 333).

 

Partout des initiatives

Les entretiens se poursuivent avec des personnalités exceptionnelles en des lieux qui parsÚment la planÚte.
C’est la rencontre avec Lotus Vermeer qui est parvenue Ă  rĂ©tablir la biodiversitĂ© et Ă  ramener des espĂšces dans les Channel Islands sur la cĂŽte de Californie. C’est une rencontre avec ValĂ©rie Cabanes, juriste international qui travaille au contact des peuples indigĂšnes et lutte pour les droits humains et pour le droit de la nature. C’est une rencontre avec le prĂ©sident du Costa Rica qui, par une politique volontariste, est parvenu Ă  rĂ©tablir la couverture forestiĂšre dans son pays, de 20% dans les annĂ©es 1980, Ă  70% aujourd’hui. C’est une rencontre avec Paulino et Paolo Rivera, membres d’une tribu autochtone au Costa Rica, ayant dĂ» abandonner leur lieu d’origine et ayant rĂ©ussi Ă  planter une forĂȘt dans leur nouvel habitat.

 

En mobilisation

En fin de parcours, Cyril Dion nous rappelle l’inimaginable dĂ©fi Ă©cologique auquel nous sommes confrontĂ©s.
« Le pĂ©ril est lĂ  et demande, toutes affaires cessantes, Ă  nous mobiliser comme en temps de guerre »  « Le changement auquel nous devons parvenir, est culturel et structurel « (p 415).

Ce livre nous aide puissamment Ă  penser le monde diffĂ©remment et nous Ă©claire sur les pistes d’action. Tout informĂ© que nous ayons pu ĂȘtre sur les questions Ă©cologiques, nous sortons diffĂ©rents de cette lecture. A travers les entretiens, nous avons dĂ©couvert une multitude de situations et des rĂ©ponses aux questionnements ainsi Ă©veillĂ©s. Avec Cyril Dion et les deux adolescents qui l’ont accompagnĂ©, Bella et Vipulan, nous avons participĂ© Ă  une vĂ©ritable exploration, Ă  une grande Ă©popĂ©e. A travers des flashs significatifs, nous avons rapportĂ© cette lecture enthousiasmante qui vient accompagner un film impressionnant et mobilisateur (5). De quoi envisager ensemble un nouveau rĂ©cit et un projet commun.

J H

  1. Le film « Demain » : https://vivreetesperer.com/le-film-demain/
  2. Cyril Dion Avec la collaboration de Nelly Pons. Animal. Chaque génération a son combat. Voici le nÎtre. Actes sud. Colibris (Domaines du possible).
  3. A paraitre sur ce blog : Jane Goodhall : Une recherche pionniÚre sur les chimpanzés, une ouverture spirituelle, un engagement écologique.
  4. Cultiver la terre en harmonie avec la nature (la ferme du Bec Hellouin) : https://vivreetesperer.com/cultiver-la-terre-en-harmonie-avec-la-nature/
  5. Le film : Animal : https://www.youtube.com/watch?v=b0HouR6CYK4

 

 

La société jardiniÚre

La société jardiniÚre

La société jardiniÚre

La sociĂ©tĂ© jardiniĂšre : c’est le titre du livre de Damien Deville, un gĂ©ographe et anthropologue, qui y rapporte sa dĂ©couverte des jardins potagers implantĂ©s dans la ville d’Ales, un exemple des jardins urbains qui, en France et dans le monde, rĂ©pondent Ă  un besoin de subsistance dans diffĂ©rents contextes. On peut situer cette activitĂ© jardiniĂšre dans une histoire qui dĂ©bute Ă  la fin du XIXe siĂšcle dans l’Ɠuvre de l’abbĂ© Lemire pour le dĂ©veloppement des jardins familiaux. Plus gĂ©nĂ©ralement, cette activitĂ© jardiniĂšre en milieu urbain a connu dans les derniĂšres dĂ©cennies une remarquable impulsion dans le mouvement qui s’est rĂ©pandu en France sous le vocable : ‘Les Incroyables comestibles’ (1) Et aujourd’hui, Ă  travers diverses initiatives, certaines villes sont Ă  la recherche de la rĂ©alisation d’une autonomie alimentaire (2).

Certes, Ă©voquer une sociĂ©tĂ© jardiniĂšre Ă©veille en nous le rĂȘve d’une sociĂ©tĂ© pacifiĂ©e, mais ce n’est pas une pure utopie puisqu’il y aujourd’hui des expĂ©riences concrĂštes d’activitĂ©s jardiniĂšres en milieu urbain. Dans son livre : ‘La sociĂ©tĂ© jardiniĂšre’ (3), Damien Deville nous dĂ©crit l’une d’entre elle, dans une ville profondĂ©ment perturbĂ©e par la dĂ©sindustrialisation, Ales Ă  la porte de CĂ©vennes. « LĂ , pour les anciennes populations ouvriĂšres, se vit une façon de retour Ă  la terre. LĂ , chacun plante, bĂȘche ; tout le monde Ă©change outils, semences, et savoir-faire. Si bien qu’à la motivation Ă©conomique, forcĂ©ment premiĂšre, viennent se mĂȘler des prĂ©occupations d’ordre social, Ă©cologique, ou paysager. Cernant les contours d’une Ă©cologie de la prĂ©caritĂ©, l’auteur souligne comment de simples lopins de terre deviennent d’authentiques lieux d’émancipation. Partant, il Ă©bauche le modĂšle de ce que pourrait ĂȘtre la sociĂ©tĂ© si elle Ă©tait jardiniĂšre » (page de couverture).

 

Parcours d’une innovation sociale

L’apparition de jardins familiaux en milieu urbain remonte à la fin du XIXe siùcle.

« C’est Ă  Hazebrook, capitale de Flandre intĂ©rieure, que nait au milieu du XIXe siĂšcle celui qui restera dans les mĂ©moires comme le pĂšre fondateur des jardins familiaux : l’abbĂ© Lemire ». L’auteur esquisse sa biographie. Jeune prĂȘtre Ă  Hazebrook, « touchĂ© par la misĂšre de la commune, par les besoins des uns et les rĂȘves des autres, l’abbĂ© Lemire s’attacha rapidement aux besoins des habitants » En retour, il reçut un soutien populaire. Élu dĂ©putĂ© en 1893, il mena une carriĂšre politique indĂ©pendante par rapport Ă  l’Église. Élu maire d’Hazebrook en 1914, il fit face aux pĂ©rils de la guerre et mena une politique sociale trĂšs active si bien qu’il devint ‘un hĂ©ros local’. « AttachĂ© Ă  la dignitĂ© des ouvriers, et persuadĂ© que le lien Ă  la terre est un besoin fondamental des humains, l’abbĂ© cultiva une politique dont lui seul se faisait le gardien. Et c’est dans cette perspective que l’abbĂ© fonda en 1896, le mouvement : La Ligue française du coin de terre et du foyer. Ce mouvement existe toujours. Il a survĂ©cu Ă  l’abbĂ© et continue de tracer une partie des territoires français. Il se nomme dĂ©sormais FĂ©dĂ©ration nationale des jardins familiaux et collectifs » (p 29). L’auteur rapporte comment son influence s’est rĂ©pandue au dĂ©but du XXe siĂšcle, atteignant la ville d’Ales. LĂ , se conjuguant Ă  l’époque avec la sociĂ©tĂ© Sant-Vincent-de- Paul, la Ligue suscite, en 1916, de premiers jardins. « A destination d’abord des femmes et des excusĂ©s du front, les jardins devinrent rapidement un soutien, une Ă©paule, un guide. Greniers Ă  fruits et lĂ©gumes, ils participĂšrent Ă  la rĂ©silience alimentaire des familles s’implantant dans plusieurs quartiers ». Puis, « les ouvriers de la mine en devinrent les premiers bĂ©nĂ©ficiaires. Jusque dans les annĂ©es 1950, la surface jardinĂ©e Ă  Ales s’étendit, annĂ©e aprĂšs annĂ©e, pour atteindre un point d’orbite avec plus de 400 jardins cultivĂ©s sur la commune » (p 34).

Cependant, la situation des jardins familiaux Ă  AlĂšs participe Ă  une conjoncture nationale. « Les temps changĂšrent. Les Trente Glorieuses et le faste des projets urbains dont elles se firent l’étendard sonnĂšrent le glas de l’aventure jardiniĂšre. Les champs, les pĂątures et les vergers furent recouverts de chapes de bĂ©ton
 Les jardins familiaux ont rapidement perdu force et espace dans un flot rĂ©pĂ©tĂ© d’urbanisation qui dura jusque dans les annĂ©es 2000 » (p 35). Cependant, Ă  la fin du XXe siĂšcle, toute la France a Ă©tĂ© impactĂ©e par la dĂ©sindustrialisation et le choc a Ă©tĂ© particuliĂšrement violent Ă  Ales. « En 1986, aprĂšs plusieurs annĂ©es de licenciements massifs, le dernier puits de mine d’AlĂšs cessa dĂ©finitivement ses activitĂ©s. La mĂ©tallurgie, autre fleuron, connut le mĂȘme dĂ©clin  » (p 37)

Comme pour d’autres villes françaises, Ales doit chercher une autre voie. « Ales dut se rĂ©inventer et, au tournant des annĂ©es 1990, la ville dĂ©cide de s’orienter vers de nouvelles filiĂšres, vers une Ă©conomie de services diversifiĂ©s. ParallĂšlement, Ales cherche Ă  s’enraciner de nouveau dans le paysage cĂ©venol » (p 38). Elle cherche Ă  ancrer de nouveau la ville dans le paysage. « Ces politiques d’embellissement ne sont pas sans effet sur l’histoire des jardins
 Elles ont permis Ă  de nouveaux potagers d’émerger dans des quartiers populaires : des fleurs et des choux ont poussĂ© lĂ  oĂč il n’y avait que du bĂ©ton  » (p 39). L’auteur dĂ©crit les diffĂ©rentes logiques Ă  l’Ɠuvre dans la politique locale. La vie des jardins s’inscrit dans une histoire locale.

 

Jardins et jardiniers Ă  Ales

Damien Deville a observĂ© ces jardins et la maniĂšre dont ils tĂ©moignent d’une grande crĂ©ativitĂ©. Il a parlĂ© avec ces hommes et entendu leurs parcours dans la diversitĂ© des histoires de vie. Il met en lumiĂšre les nouvelles relations qui s’établissent ainsi.

Le jardinage Ă  Ales se dĂ©roule en plusieurs lieux. « les jardins du Chemin des Sports » sont issus d’une autre histoire que les jardins de la fĂ©dĂ©ration des jardins familiaux, portant une image de marque. BricolĂ©s sur des terrains oubliĂ©s, Ă©pousant la forme de rĂ©seaux souterrains, s’échangeant de maniĂšre informelle d’un jardinier Ă  l’autre par un bouche-Ă -oreille judicieusemant maintenu dans des cercles restreints, arpentĂ©s par des personnes venant, pour l’essentiel, des quartiers populaires de la ville, ils correspondent Ă  ce qu’Ananya Roy dĂ©signe par « urbanisme subalterne ». Ce sont des espaces urbains oubliĂ©s des grandes annales de la gĂ©ographie et des politiques de la commune oĂč s’invente la vie quotidienne des dĂ©possĂ©dĂ©s  » (p 49). A la diffĂ©rence d’autres jardins potagers, bien reconnus, « se donnant Ă  voir et s’offrant Ă  la reconnaissance des habitants, les jardins du chemin des Sports, relĂšvent plutĂŽt de bastions enfouis dans la verdure
 Ils s’effacent derriĂšre une image austĂšre et prĂ©caire » (p 50). Lorsqu’on entre dans ces jardins, on y dĂ©couvre un paysage colorĂ© et une vĂ©gĂ©tation luxuriante abondamment dĂ©crite par l’auteur « Tomates bronzĂ©es au soleil, plants de haricots parcourant des fils nouĂ©s Ă  des tuteurs, des framboisiers le long des murs dansent de leurs ombres, tandis que des plantes aromatiques, tantĂŽt cultivĂ©es en pot, tantĂŽt laissĂ©es en pleine terre parsĂšment le jardin  » (52). « Ce qui saute aux yeux, c’est une quĂȘte centrale de productivitĂ©. L’espace consacrĂ© aux fruits et aux lĂ©gumes est agencĂ© de maniĂšre Ă  produire le plus possible. Lorsque la parcelle se fait Ă©troite, les jardiniers rivalisent d’ingĂ©niositĂ© pour gagner quelques centimĂštres et conquĂ©rir les hauteurs » (p 53). L’auteur dĂ©crit des dispositifs ingĂ©nieux comme « une immense pyramide entrelacĂ©e de fils et de barres de fer
 au service des plantes : fĂšves, haricots, courges grimpantes  » (p 54). Ici, le peuple des jardiniers a une origine caractĂ©risĂ©e. « La plupart sont retournĂ©s Ă  la terre pour se doter d’une certaine autonomie alimentaire. Les jardiniers du chemin des Sports sont des marquĂ©s. Ce sont d’anciens serruriers et ouvriers des aciĂ©ries, des employĂ©s du public ou des retraitĂ©s Ă  petits revenus. Leurs trajectoires familiales ont Ă©tĂ© percutĂ©es par la fermeture des industries alĂ©siennes, par la sĂ©rie d’emplois prĂ©caires qui s’en est suivie, puis, plus rĂ©cemment par la fuite des offres d’emploi et de services vers les grandes mĂ©tropoles » (p 55). Ainsi s’est dĂ©veloppĂ© un genre de vie Ă  vocation utilitaire. « La dĂ©brouille est devenu un art de vivre
 Toutes les personnes rencontrĂ©es au fil de notre enquĂȘte l’ont partagĂ© sans s’en cacher : devenir jardinier fut une adaptation nĂ©cessaire Ă  diffĂ©rentes formes de prĂ©carité  L’agencement spatial du chemin des Sports autant que le choix des matĂ©riaux s’entendent ainsi, en premier lieu, au regard de conditions matĂ©rielles d’existence » (p 57). Cependant, tout ne rĂ©sume pas Ă  une recherche de subsistance. Les jardins tĂ©moignent aussi d’une inventivitĂ© artistique. « Les planches de culture sont parĂ©es d’objets de toutes sortes : des pots richement dĂ©corĂ©s, des Ă©pouvantails faits main, des souvenirs s’intĂšgrent aux cultures potagĂšres
 Les jardins rĂ©pondent autant aux besoins quotidiens de qui les arpente et les façonne qu’à ses aspirations, son savoir-faire, sa crĂ©ativitĂ©. Car, dans sa maniĂšre d’agencer l’espace, le jardinier cherche Ă  le rendre agrĂ©able Ă  regarder et Ă  vivre
 C’est que les ‘espaces subalternes’ ne sont pas seulement des zones de dĂ©brouillardise et d‘adaptation, ils sont encore des agencements populaires traversĂ©s par tout ce qui fait la crĂ©ativitĂ©, les joies et les envies des Ăąmes humaines » (p 60).

Ces jardins engendrent une vie sociale et ils en sont l’expression. Ainsi Damien Deville nous prĂ©sente des portraits de jardiniers. Il fait aussi Ă©cho Ă  une mĂ©moire collective : « Le jardin de Max, au cƓur de l’association des jardins familiaux, dans le quartier de la Prairie, est un bel exemple de cette mĂ©moire collective. Du haut de ses 70 ans, Max est un ancien de la FĂ©dĂ©ration des jardins familiaux d’Ales. Ici tout le monde le connait. Son papa Ă©tait un jardinier trĂšs actif dans la communautĂ©. Max Ă©prouve pour lui une grande admiration : « son travail, son parcours de vie, le pilier qu’il Ă©tait dans les jardins familiaux d’Ales » le ramĂšne Ă  sa propre enfance autant qu’aux heures de gloire qu’a connues la ville ». L’auteur rappelle ces souvenirs. « Ils se lisent Ă  mĂȘme le jardin de Max, dĂ©montrant combien les jardins sont des outils de rĂ©appropriation de rĂ©cits urbains
 Son jardin est Ă©galement un mĂ©morial Ă  la figure de son pĂšre, Henri
 FĂ©ru de bons conseils, son pĂšre Ă©tait le premier Ă  organiser des barbecues collectifs, Ă  donner des coups de main aux voisins, Ă  diffuser de bonnes pratiques et Ă  Ă©changer quelques lĂ©gumes. Tant et si bien que le nom du papa revient souvent, indĂ©lĂ©bile dans les mĂ©moires collectives » (p 76-77).

Damien Deville dĂ©crit la gĂ©ographie sociale de la rĂ©gion : « Les zones de relĂ©gation sont en centre-ville, tandis que les espaces de gentrification se situent dans les quartiers pĂ©riphĂ©riques, caractĂ©risĂ©s par des villas cosy ou dans les villages au charme d’antan. Face Ă  cette campagne qui se ferme aux personnes les plus pauvres, les jardins sont ces lieux oĂč se forge une nouvelle rĂ©ciprocitĂ©. Et lĂ  encore, c’est un jardinier, d’origine maghrĂ©bine, qui m’a mis la puce Ă  l’oreille ». L’auteur nous dĂ©crit le parcours de Moustapha. « Moustapha est arrivĂ© sur le tard dans les jardins familiaux privĂ©s du quartier de la Prairie, sur le chemin des sports. Il a repris la parcelle d’un voisin devenu trop ĂągĂ© pour s’en occuper. Les CĂ©vennes, l’homme ne les a jamais connues auparavant. Il a menĂ© l’intĂ©gralitĂ© de s vie professionnelle en AlgĂ©rie avant de rejoindre ses enfants Ă  Ales pour sa retraite. RestĂ© pendant longtemps sans allocation, Moustapha a dĂ» se dĂ©brouiller pour arrondir ses fins de mois que sa petite retraite affiliĂ©e au rĂ©gime algĂ©rien ne lui permettait pas de combler. Le jardin est arrivĂ© dans sa vie Ă  point nommé » (p 85). C’est, avec lui, que l’auteur dĂ©couvre une ouverture de ce milieu urbain vers les campagnes voisines. « C’est en Ă©changeant avec les autres jardiniers que Moustapha s’est rendu compte que les montagnes qui l’entouraient regorgeaient de trĂ©sors : d’aiguilles de pin pour amender ses cultures, de champignons Ă  vendre auprĂšs de sa communautĂ©, d’éleveurs oĂč aller chercher le mouton pour l’AĂŻd Ă  des prix rĂ©duits. Moustapha s’est mis, par lui-mĂȘme, Ă  dĂ©couvrir les coins cachĂ©s des campagnes avoisinantes » (p 86). Cependant, la relation de Moustapha avec les CĂ©vennes s’étend au-delĂ  puisqu’en fin de semaine, il frĂ©quente en famille « des lieux de baignade oĂč ses petits-enfants jouent maintenant l’été ». « Son jardin a Ă©tĂ© une fenĂȘtre sur le monde, un livre pour rĂ©apprendre le milieu dans lequel il Ă©volue au quotidien, et en faire naitre des usages Ă  des fins d’émancipation personnelle ou familiale » (p 86). Mais l’auteur perçoit ce mĂȘme attrait pour les CĂ©vennes chez d’autres jardiniers. « Le jardinier algĂ©rien n’est d’ailleurs pas un cas isolĂ©. Tous, d’une maniĂšre ou d’une autre, pratiquent la campagne avoisinante. Pour certains, cela est liĂ© Ă  un hĂ©ritage familial. Pour d’autres jardiniers rĂ©cemment arrivĂ©s, c’est toujours le jardin qui nourrit les perspectives des montagnes et des villages alentour. Les usages qu’en font les jardiniers sont pluriels en fonction des envies et de la personnalitĂ© de chacun, mais ils participent dans tous les cas Ă  une rĂ©appropriation spatiale et collective d’un territoire qui devient, enfin, de nouveau partagé » (p 86). Ainsi les jardiniers interviennent dans la vie collective. « Les CĂ©vennes s’ouvrent Ă  nouveau aux classes populaires. De cette rĂ©conciliation, dont la ville d’Ales a tellement besoin, les jardins en sont le premiers Ă©tendards
 C’est une invitation Ă  penser le territoire autrement » (p 87).

 

La société jardiniÚre

La sociĂ©tĂ© jardiniĂšre : quelle expression Ă©vocatrice ! Il y a tant de formes de sociĂ©tĂ© que l’on dĂ©plore et que l’on redoute ! Une sociĂ©tĂ© jardiniĂšre, cela Ă©voque pour le moins un respect et un amour de la nature et un Ă©tat d’esprit constructif par le genre mĂȘme de la tĂąche entreprise. Une sociĂ©tĂ© jardiniĂšre, c’est aussi une sociĂ©tĂ© nourriciĂšre et on peut imaginer qu’elle requiert et engendre la coopĂ©ration.

GĂ©ographe, Damien Deville pense Ă©galement en sociologue et en historien. Ainsi, si sa recherche a pour objet la ville d’Ales, il inscrit les jardins potagers en milieu urbain dans une histoire qui remonte Ă  la fin du XIXe siĂšcle. Mais, concentrĂ© sur son objet, il n’aborde pas la vague toute rĂ©cente, celle des « incroyables comestibles » Ă  travers laquelle la culture de fruits et de lĂ©gumes s’est rĂ©pandue Ă  l’intĂ©rieur mĂȘme d’un grand nombre d’agglomĂ©rations (1). Et aujourd’hui, des villes et des territoires s’engagent dans la recherche d’une autonomie alimentaire. Ainsi François Rouillay et Sabine Becker prĂ©conisent le dĂ©veloppement de « paysages nourriciers », y incluant la « vĂ©gĂ©talisation des villes » (3) ;

A partir de l’étude des jardins potagers dans la ville d’Ales, Damien Deville nous montre, lui aussi, comment on peut « penser autrement la ville et l’urbain ». C’est bien de ‘vivre autrement’ (p 117-118) qu’il s’agit.

DĂ©jĂ , dans un monde qui nous bouscule, la vie jardiniĂšre permet un enracinement. Ainsi, « les jardins alĂ©siens sont cultivĂ©s par des personnes peu diplĂŽmĂ©es, laissĂ©es Ă  l’arriĂšre-plan des grands rĂ©cits de l’histoire. La plupart ont quittĂ© l’école tĂŽt pour tenter leurs chances dans les grandes industries du territoire. Certaines ont Ă©tĂ© percutĂ©es par des Ă©vĂšnements traumatisants. D’autres encore, arrivĂ©es sur le tard Ă  Ales, parlent mal le français et s’intĂšgrent avec peine. Pourtant, ce sont ces mĂȘmes personnes qui ont su, face aux crises urbaines, s’adapter et construire des interfaces inĂ©dits ave la ville. Leurs jardins sont fleuris ; ils remettent des couleurs dans les rues. Ils sont poreux aux autres rĂ©seaux urbains, catalysant relations et occasions. Ils sont ces espaces oĂč se rĂ©inventent une certaine idĂ©e de prestance et de prĂ©sence Ă  soi, des oasis dessinant un autre bien vivre » (p 119).

Dans les jardins se rĂ©alise Ă©galement une rencontre entre le monde vĂ©gĂ©tal et ceux qui en prennent soin. « Ces jardins sont avant tout des mondes vĂ©gĂ©taux ». L’auteur fait l’éloge du dĂ©ploiement des plantes et de leur vitalitĂ©. Elles s’agencent comme en une danse. Or, « le jardinier accompagne cette danse. Ses choix sont primordiaux et conditionnent le dĂ©veloppement des plantes. Finalement, c’est bien cette rencontre inĂ©dite entre les plantes d’un cĂŽtĂ©, et le caractĂšre du jardinier de l’autre, qui traduit l’évolution des lieux et des rĂ©cits qui s’y Ă©crivent. L’humain devient ici un ĂȘtre hybride, inondĂ© et inspirĂ© par les plantes qu’il a vu naitre, ou qui sont revenues naturellement dans son jardin » (p 121-123).

Damien Deville voit lĂ  se dĂ©velopper une dynamique de relation. « A l’image de ce lien unique au vĂ©gĂ©tal, les jardins participent Ă  l’émancipation globale des jardiniers par leur capacitĂ© Ă  catalyser sans cesse les relations qui composent les individus » (p 123). L’auteur voit dans cette activitĂ© jardiniĂšre un potentiel de relation. « Les jardins guident d’autres possibles urbains quand ils permettent Ă  chaque ville de devenir une terre de relations » (p 123). L’auteur dĂ©crit les terres des CĂ©vennes abandonnĂ©es. « La seule solution pour sauver le vivant, c’est de retourner y habiter et de faire de la relation une Ɠuvre » (p 125). Dans le mĂȘme esprit, Damien Deville sort des limites de l’hexagone et Ă©voque un paysan du Burkina Fasso qui a rĂ©sistĂ© Ă  la dĂ©sertification et arrĂȘtĂ© le dĂ©sert en plantant des arbres, Yacouba Sawadogo, Ă  l’histoire duquel il a consacrĂ© un livre (4).

« Si Yacuba Ă©tait parti comme les autres, habitants dans les annĂ©es 1980, le dĂ©sert aurait cassĂ© la porte et continuĂ© vers le village voisin. C’est parce qu’il est restĂ©, tout en tissant autrement sa relation avec le territoire, qu’il a pu sauver le vivant  ».

Ainsi, « Ales et les CĂ©vennes, autant que le Burkina Fasso, invitent Ă  un nouveau front scientifique et politique. Trouver les Ă©gards que l’on doit au vivant, pour reprendre l’expression du philosophe Baptiste Morizot, demande, non pas de fuir certains territoires, pour se concentrer sur d’autres, mais bien de rĂ©flĂ©chir aux maniĂšres de vivre dans chaque territoire pour en respecter les grands Ă©quilibres Ă©cosystĂ©miques. L’humain a Ă©tĂ© une machine Ă  dĂ©truire, mais les initiatives se multiplient  ». Damien Deville en Ă©voque certaines dans la DrĂŽme, dans les CĂ©vennes, en Bretagne. « Tous ces exemples forgent au quotidien une nouvelle maniĂšre de faire lien, et reconstruisent des filiĂšres d’activitĂ© dans l’environnement local. Ils permettent aussi aux citoyens et citoyennes de se rĂ©approprier le territoire et de participer aux dĂ©cisions locales. En un mot, ils façonnent un droit pour toutes et tous Ă  habiter le territoire et Ă  le coconstruire au quotidien » (p 128).

En considĂ©rant l’activitĂ© jardiniĂšre, Damien Deville y perçoit un « monde ordinaire » dans une fĂ©conditĂ© mĂ©connue. Il met en valeur la maniĂšre dont les jardins gĂ©nĂšrent des relations quotidiennes. « Les Ă©conomistes CĂ©cile Renouard et GaĂ«l Giraud ont crĂ©Ă© un indicateur qui pourrait bien inspirer les territoires d’ici et d’ailleurs, ‘l’indicateur de capacitĂ© relationnelle’. Ce dernier mesure la qualitĂ© des relations qu’entretiennent les personnes entre elles, et leur capacitĂ© de s’autonomiser Ă  partir de ces mĂȘmes relations  ». « PensĂ© dans le cadre ouest-africain, cet indicateur insiste sur la qualitĂ© du tissu social et sur les relations interpersonnelles comme autant de dimensions du dĂ©veloppement humain ». Ainsi, des pauvres ‘financiĂšrement’ peuvent ĂȘtre nĂ©anmoins tellement entourĂ©s qu’ils ne manquent de rien, et inversement. « La relation est finalement plus importante que le seul revenu. Penser en ces termes le dĂ©veloppement permet d’accorder de nouveau de l’importance Ă  ce qui est invisibilisĂ© dans les grands rĂ©cits de dĂ©veloppement. Les jardins d’Ales changent le visage d’un quartier et les dynamiques sociales et Ă©cologiques d’une ville ». Dans son analyse, Damien Deville se rĂ©fĂšre Ă  Michel de Certeau. « Dans son livre maĂźtre : « L’invention du quotidien », l’historien et sociologue Michel de Certeau analysait dĂ©jĂ  les actes ordinaires comme une production permanente de culture et de partage. Selon lui, les citadins ne se contentent pas de consommer : ils produisent et inventent le quotidien par d’innombrables mĂ©canismes de crĂ©ativitĂ© et par des politiques sociales originales. Pour emprunter l’expression de Claude Levi-Strauss, les citadins « bricolent » avec les espaces qu’ils frĂ©quentent et les contraintes d’un modĂšle sociĂ©tal pour s’inventer un parcours de vie qui participe de leur Ă©mancipation. Ils crĂ©ent de la relation » (p 131).

 

Un mouvement innovant

« Qu’elle favorise le retour des oiseaux et des hĂ©rissons, protĂšge les villes des vagues caniculaires offrant de l’ombre et refroidissant l’air, l’agriculture urbaine a, en nos temps assombris de l’AnthropocĂšne, le vent en poupe » (p 7). En s’inscrivant dans un courant de recherche en plein dĂ©veloppement, Damien Deville analyse les fonctions et les configurations de l’agriculture urbaine.

« Laboratoires d’un monde possible, les jardins potagers des grandes mĂ©tropoles europĂ©ennes – qui produisent assez peu et se dĂ©ploient sur des espaces restreints – s’offrent comme des lieux oĂč s’expĂ©rimente une Ă©ducation renouvelĂ©e, plus douce, plus responsable, aux techniques de jardinage et aux arts de la table » (p 8). Cependant, la plupart des jardins rĂ©pondent Ă  une fonction plus Ă©lĂ©mentaire, celle de ressource alimentaire. « La Havane, Bobo-Dioulasso, HanoĂŻ ou encore Rabat, autant de villes pour lesquelles les jardins potagers demeurent des greniers participant de l’autonomie alimentaire des familles » (p 8). « Dans les villes du sud de l’Europe, telles qu’AthĂšnes ou Porto, frappĂ©es par la crise Ă©conomique de 2008, des familles ayant subi des pertes Ă©conomiques importantes ont mobilisĂ© les jardins comme des espaces d’adaptation » (p 14). RĂ©cemment, sous l’impulsion de l’association A9 prĂ©sidĂ© par Rodolphe Gozegba de Bombembe, thĂ©ologien, des lopins de terre autour des habitations sont mobilisĂ©s en jardin potager dans la ville de Bangui, en RĂ©publique Centre-Africaine (5). Dans son livre, Damien Deville Ă©tudie particuliĂšrement le rĂŽle des jardins potagers dans des villes moyennes appauvries par la dĂ©sindustrialisation, en concentrant sa recherche sur l’exemple de la ville d’AlĂšs. A cette occasion, il milite pour « une dĂ©centralisation guidĂ©e par la diversitĂ© des territoires et la qualitĂ© des relations que nouent les uns et les autres » (p 135). Si on ajoute le mouvement pour l’agriculture urbaine en vue d’une autonomie alimentaire dans une perspective Ă©cologique, on comprendra que le dĂ©veloppement des jardins en ville n’est pas un phĂ©nomĂšne mineur, mais qu’il s’inscrit dans une recomposition de grande ampleur.

Damien Deville a bien choisi le titre de son livre : la sociĂ©tĂ© jardiniĂšre, non seulement parce qu’il y Ă©tudie, sous toutes ses coutures, le dĂ©veloppement des jardins en ville, mais parce que il prĂ©sente, sous cette appellation, un phĂ©nomĂšne de sociĂ©tĂ© en y percevant un potentiel d’exemplaritĂ© humaine. Oui, la sociĂ©tĂ© jardiniĂšre, n’est-ce pas une vision d’avenir ?

J H

 

  1. Comment les « Incroyables comestibles se sont développés en France ? : https://vivreetesperer.com/incroyable-mais-vrai-comment-les-incroyables-comestibles-se-sont-developpes-en-france/
  2. En route pour l’autonomie alimentaire : https://vivreetesperer.com/en-route-pour-lautonomie-alimentaire/
  3. Damien Deville. La société jardiniÚre. Le Pommier, 2023
  4. Yacouba Sawadogo. Damien Deville. L’homme qui arrĂȘta le dĂ©sert. Tana Ă©ditions, 2022 (Le temps des imaginaires)
  5. Centre-Afrique : l’agriculture urbaine pour lutter contre la faim : https://www.temoins.com/centrafrique-lagriculture-urbaine-pour-lutter-contre-la-faim/