par jean | Avr 2, 2018 | ARTICLES, Vision et sens |
 Une vision relationnelle de Dieu en réponse aux aspirations de notre temps
Les interrogations vis-Ă -vis de Dieu, tel quâil est prĂ©sentĂ© dans la sociĂ©tĂ© occidentale en hĂ©ritage de la chrĂ©tientĂ© tournent souvent en dĂ©saffection. Mais dans cette reprĂ©sentation de Dieu, sâexprime lâĂ©cart entre une religion impĂ©riale et le premier accueil de lâEvangile. Face Ă cet Ă©cart, le livre de Richard Rohr, rĂ©cemment paru aux Etats-Unis : « The divine dance » (1) apporte plus quâune analyse : une proposition qui apparait comme une rĂ©ponse vitale : une redĂ©couverte du plein effet de la vie divine en terme de communion trinitaire. Cet ouvrage est Ă©crit par Richard Rohr, un prĂȘtre franciscain amĂ©ricain, animateur dâun Centre pour lâaction et la contemplation (Center of action and contemplation), et, comme les commentaires sur son livre lâindiquent, en phase avec un rĂ©seau de personnalitĂ©s chrĂ©tienne engagĂ©es dans le renouveau et lâinnovation.
Ainsi, un des pionniers de lâEglise Ă©mergente aux Etats-Unis, Brian McLaren, Ă©crit Ă ce sujet : « Dans « La Danse divine », Richard Rohr et Mike Morrel explorent la vision trinitaire comme un chemin qui nous permet de dĂ©passer une vision de Dieu qui pose problĂšme. Ce livre magnifiquement Ă©crit peut faire plus que changer des reprĂ©sentations perturbantes. Il peut changer entiĂšrement notre maniĂšre de penser au sujet de Dieu ». Une Ă©crivaine, Kristen Howerton, met en Ă©vidence lâoriginalitĂ© de cet ouvrage : « la Danse divine » est, pour notre gĂ©nĂ©ration, une redĂ©couverte radicale de la TrinitĂ© en nous offrant une comprĂ©hension Ă©tendue du flux divin du Dieu trinitaire, et comment cela nous apporte un cadre de comprĂ©hension gĂ©nĂ©rale pour nos relations, notre sexualitĂ©, notre estime de soi et notre spiritualitĂ©. Câest une lecture Ă©clairante pour tous les chrĂ©tiens qui ont luttĂ© pour comprendre la TrinitĂ© par delĂ une doctrine impersonnelleâŠÂ ».
Il y a des livres qui rĂ©pondent Ă nos attentes et leur donnent un sens. Ainsi, Antoine Nouis, dans son livre : « Nos racines juives » (2) raconte comment il a retenu la rĂ©flexion dâun ami : « Vous savez, on ne choisit pas une thĂ©ologie ; on est choisi par une thĂ©ologie. Quand jâai choisi Bultmann, je nâai pas Ă©tĂ© convaincu par la vigueur des arguments, mais jâai trouvĂ© en lui un auteur qui mâaidait Ă penser ce que je croyais, qui mettait des mots sur ce que je savais vrai sans toujours savoir le formuler ». Ainsi, il nous arrive de trouver rĂ©ponse Ă un ensemble de questionnements chez un auteur qui fait Ă©cho Ă notre recherche et Ă nos attentes. Ce fut le cas, en ce qui me concerne, lorsque jâai rencontrĂ© JĂŒrgen Moltmann (3). Et le livre de Richard Rohr Ă©veille un Ă©cho en nous. Lui-mĂȘme raconte comment, Ă lâoccasion dâune retraite, il a dĂ©couvert « un livre hautement acadĂ©mique » sur la TrinitĂ©. Mais cette lecture a suscitĂ© un dĂ©clic. « Comme je lisais, en saisissant seulement quelques bribes de comprĂ©hension, je ne cessais de me dire : « oui ! oui ! », aux mots et aux idĂ©es nouvelles. Je sentais la prĂ©sence dâune grande tradition rencontrant la dynamique intĂ©rieure qui avait grandi en moi pendant trente-cinq ans⊠La TrinitĂ© nâĂ©tait plus une croyance, mais une maniĂšre objective de dĂ©crire ma profonde expĂ©rience intĂ©rieure de la transcendance, ce que jâappelle ici « le flux » (« flow » (p 40-41). Ainsi, le souhait de Richard Rohr est que, si possible, ce livre ne soit pas seulement un apport de connaissances. « Ma priĂšre et mon dĂ©sir est que quelque chose que vous rencontrerez dans ces pages, rĂ©sonne avec votre propre expĂ©rience de maniĂšre Ă ce que vous pouviez dire : « Je sens. Je sais que cela est vrai pour moi ».
Ecrit dans un style direct, découpé en courts chapitres (prÚs de 70 !), ce livre nous entraine dans une découverte intellectuelle et existentielle. Cet ouvrage est trop riche pour donner lieu à un compte-rendu. Aussi rapporterons- nous simplement quelques chapitres significatifs.
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Un changement de paradigme spirituel
En reprenant le terme : « paradigme » Ă©noncĂ© par Thomas Kuhn en histoire des sciences, Richard Rohr nous parle dâune profonde transformation en cours dans notre vision du monde.
« Au risque de paraĂźtre exprimer une grosse exagĂ©ration, je pense que lâimage chrĂ©tienne la plus courante de Dieu, en dĂ©pit de JĂ©sus, est encore largement paĂŻenne et non transformĂ©e. Lâhistoire a si longtemps procĂ©dĂ© Ă travers une image impĂ©riale et statique de Dieu qui vit principalement dans un splendide isolement par rapport Ă ce quâil a crĂ©Ă©. Dieu est largement perçu comme un spectateur critique. Et comme nous devenons toujours ce que nous voyons, nous avons dĂ©sespĂ©rĂ©ment besoin dâun changement dans notre espĂ©rance chrĂ©tienne concernant la maniĂšre dont nous communiquons avec DieuâŠÂ » (p 35-36).
« De fait, la rĂ©vĂ©lation chrĂ©tienne, dans son intĂ©gralitĂ©, ne sâest traduite que trĂšs lentement dans les mentalitĂ©s. Mais, aujourdâhui, le contexte est plus favorable. « La rĂ©volution trinitaire, en cours, rĂ©vĂšle Dieu comme toujours avec nous dans toute notre vie, et comme toujours impliquĂ©. Elle redit la grĂące comme inhĂ©rente Ă la crĂ©ation, et non comme un additif occasionnel que quelques personnes mĂ©ritent⊠Cette rĂ©volution a toujours Ă©tĂ© active comme le levain dans la pĂąte. Mais aujourdâhui, on comprend mieux la thĂ©ologie de Paul et celle des PĂšres orientaux Ă lâencontre des images punitives plus tardives de Dieu qui ont dominĂ© lâEglise occidentale ».
« Dieu est celui que nous avons nommĂ© TrinitĂ©, le « flux » (flow) qui passe Ă travers toute chose sans exception et qui fait cela depuis le dĂ©but. Ainsi, toute chose est sainte pour ceux qui ont appris Ă le voir ainsi⊠Toute impulsion vitale, toute force orientĂ©e vers le futur, toute poussĂ©e dâamour, tout Ă©lan vers la beautĂ©, tout ce qui tend vers la vĂ©ritĂ©, tout Ă©merveillement devant une expression de bontĂ©, tout bond dâĂ©lan vital, comme diraient les français, tout bout dâambition pour lâhumanitĂ© et la terre, est Ă©ternellement un flux de vie du Dieu trinitaire ». « Que nous le voulions ou pas⊠Ce nâest pas une invitation que vous puissiez accepter ou refuser. Câest une description de ce qui est en train de se produire en Dieu et dans toute chose crĂ©Ă©e Ă lâimage et Ă la ressemblance de Dieu » (p 37-38). « Câest une invitation Ă ĂȘtre paisiblement joyeux et coopĂ©ratif avec la gĂ©nĂ©rositĂ© divine qui connecte tout Ă tout. Oui, Dieu sauve le monde et Dieu est Ă lâĆuvre mĂȘme quand nous manquons de le noter, de nous en rĂ©jouir et de vivre pleinement notre vie unique » (p 38-39).
Richard Rohr nous rappelle des paroles dans les épitres :
« Il y a un seul Christ. Il est tout et il est en toute chose »
« Quand Christ sera pleinement révélé, et il est votre vie, vous aussi serez révélés avec Lui dans toute votre gloire »
Dans notre sociĂ©tĂ©, il y a un grand malaise qui tient Ă une frĂ©quente dĂ©connection : « DĂ©connection de Dieu, assurĂ©ment, mais aussi de nous-mĂȘme (notre corps), des uns des autres et de notre monde⊠Il en rĂ©sulte un comportement de plus en plus destructeur.
Le don de Dieu trinitaire et lâexpĂ©rience pratique, ressentie, de recevoir ce don, nous offre une reconnection bien fondĂ©e avec Dieu, nous-mĂȘmes, les autres et le monde » (p 39).
Lâimportance majeure de la relation
Lâinfluence de la pensĂ©e grecque sur notre propre civilisation a Ă©tĂ© considĂ©rable. Platon et Aristote exercent encore une grande influence sur nos reprĂ©sentations. Or, Aristote, en considĂ©rant les propriĂ©tĂ©s des choses, distinguait la « substance » et la « relation ». « Ce qui dĂ©finissait la substance Ă©tait ce qui induit la substance par rapport Ă tout le reste. Ainsi, un « arbre » est une substance tandis que « pĂšre » est une relation. Et Aristote mettait « la substance » tout en haut de lâĂ©chelle ». Ainsi la thĂ©ologie occidentale a Ă©tĂ© influencĂ©e par la philosophie grecque. Alors Dieu a Ă©tĂ© dĂ©fini en terme de substance ce qui entre en conflit avec la reprĂ©sentation relationnelle dâun Dieu trinitaire. Et cette conception a Ă©galement influencĂ© les comportements occidentaux. « Maintenant, nous voyons bien que Dieu nâest pas, nâa pas besoin dâĂȘtre « une substance » dans le sens dâAristote de quelque chose dâindĂ©pendant de tout le reste. En fait, Dieu est lui-mĂȘme relation. Et, dans vie des hommes, lâouverture Ă la relation induit une vie saine.
Ainsi « nous pouvons dire que Dieu est essentiellement relation. Jâappellerai « salut », la disposition, la capacitĂ© et le vouloir dâĂȘtre en relation » (p 46). « La voie de JĂ©sus, câest une invitation Ă un mode trinitaire de vie, dâamour et de relation sur la terre comme câest le cas dans la divinitĂ©. Comme la TrinitĂ©, nous vivons intrinsĂšquement dans la relation. Nous appelons cela lâamour. Nous sommes faits pour lâamour. En dehors de cela, nous mourrons trĂšs rapidement. Et notre lignage spirituel nous dit que Dieu est personnel. « Dieu est amour » (p 47).
Percevoir lâimage trinitaire
« Ceux dâentre nous qui ont grandi avec la notion prĂ©trinitaire de Dieu ont vu probablement la rĂ©alitĂ©, consciemment ou inconsciemment, comme un univers en forme de pyramide avec Dieu au sommet du triangle et tout le reste en dessous⊠Mais si nous nous situons dans une perspective trinitaire, la figure reprĂ©sentative la plus appropriĂ©e est un cercle et mĂȘme une spirale et non une pyramide. Laissons la dance du cercle inspirer notre imagination chrĂ©tienneâŠÂ » (p 66-67). Nous ne sommes pas en dessous. Nous ne sommes pas exclus. Nous participons. « Nous ne sommes pas des outsiders ou des spectateurs, mais une part inhĂ©rente de la danse divine » (p 67). Le Dieu trinitaire partage sa vie avec nous. Dieu nous a inclus dans le flux divin.
Le mystĂšre trinitaire peut Ă©galement ĂȘtre perçu dans tout ce qui existe. Il peut ĂȘtre entrevu dans le code de la crĂ©ation. « Ce quâĂ la fois les physiciens et les contemplatifs affirment, câest que le fondement de la rĂ©alitĂ© est relationnel. Chaque chose est en relation avec une autre » (p 69). « Commencez par le mystĂšre de la relation. Câest lĂ oĂč rĂ©side la puissance. Câest ce que les physiciens de lâatome et les astrophysiciens nous disent aujourdâhui » (p 70).
LâĂ©nergie divine
« Le Saint Esprit est la relation dâamour entre le PĂšre et le Fils. Câest cette mĂȘme relation qui nous est gratuitement donnĂ©eâŠ
Et cette mĂȘme relation se manifeste dans une multitude de formes (p 186). « Tout ce qui conforte la relation est toujours lâĆuvre de lâEsprit qui rĂ©chauffe, adoucit, rĂ©pare et renouvelle tout ce qui est refroidi entre les chose et Ă lâintĂ©rieurâŠÂ ». Au sein de la crĂ©ation, le Saint Esprit a deux grandes tĂąches. Il multiplie les formes de vie. Beaucoup dâespĂšces animales et vĂ©gĂ©tales Ă©chappent Ă la prĂ©sence humaine. « Elles forment le cercle universel de la louange simplement en existant⊠Si vous dĂ©sirez ĂȘtre contemplatif, câest tout ce que vous avez besoin de savoir. Chaque chose en Ă©tant elle-mĂȘme rend gloire Ă Dieu » (p 187). La deuxiĂšme tĂąche du Saint Esprit est de connecter toutes ces choses. Dans cette vie multiforme, « le Saint Esprit entretient lâharmonie et une mutuelle dĂ©fĂ©rence » (p 188).
Maintenant tout est saint
« Une fois que vous avez appris Ă prendre votre place Ă lâintĂ©rieur du cercle de la louange et de la dĂ©fĂ©rence mutuelle, toute distinction entre sĂ©culier et sacrĂ©, naturel et surnaturel sâefface. Dans lâĂ©conomie divine, tout est utilisable, mĂȘme nos fautes et nos pĂ©chĂ©s. Ce message nous est adressĂ© de la croix et nous ne lâavons pas encore entendu. Tout est saint maintenant. Et la seule rĂ©sistance Ă ce flux divin de saintetĂ© et de plĂ©nitude est le refus humain de voir, de se rĂ©jouir et de participer » (p 189-190).
« Sans le libre flux du Saint Esprit, la religion devient un systÚme de tri tribal, passant beaucoup de temps à définir qui est dedans, qui est dehors, qui a raison, qui a tort. Et, surprise, nous sommes toujours du cÎté de celui qui a raison » (p 192).
Richard Rohr met en Ă©vidence la rĂ©alitĂ© et la permanence de lâamour. « Lâamour est juste comme la priĂšre. Ce nâest pas tant une action que nous faisons quâune rĂ©alitĂ© que nous sommes dĂ©jĂ . Nous ne dĂ©cidons pas dâĂȘtre aimant. Le PĂšre ne dĂ©cide pas dâaimer le Fils. Sa paternitĂ© est un flux du PĂšre au Fils. Le Fils ne choisit pas de laisser passer son amour vers le PĂšre ou lâEsprit. Lâamour est son mode dâĂȘtre⊠Lâamour en vous dit toujours oui. Ce nâest pas quelque chose que vous pouvez acheter ou gagner. Câest la prĂ©sence de Dieu en vous appelĂ© le Saint Esprit⊠Vous ne pouvez pas diminuer lâamour que Dieu vous porte. Le flux est constant, total. Dieu est pour vousâŠÂ » (p 193). Une pensĂ©e de la thĂ©ologienne Catherine La Cugna rĂ©sume tout : « La nature mĂȘme de Dieu est de trouver la plus profonde communion et amitiĂ© possible avec chaque crĂ©ature sur cette terre ». Câest la description de lâĆuvre de Dieu.
La seule chose qui puisse vous tenir Ă lâĂ©cart de la danse divine, câest la peur ou le doute ou quelque haine de soi. Quâest-ce qui arriverait dans votre vie, juste maintenant, si vous acceptiez ce que Dieu a crĂ©Ă©Â ? VoilĂ ce que vous ressentiriez soudain :
Câest un univers trĂšs sĂ»r
Vous nâavez rien Ă craindre
Dieu est pour vous
Dieu bondit de joie vers vous
Dieu est Ă votre cĂŽtĂ©, honnĂȘtement davantage que vous ĂȘtes Ă ses cĂŽtĂ©s » (p 193-194)
Pourquoi redĂ©couvrir aujourdâhui la vie trinitaire ?
Pourquoi une redĂ©couverte et un Ă©panouissement de la thĂ©ologie trinitaire aujourdâhui dans le monde? Si le livre de Richard Rohr Ă©veille en nous un Ă©cho, câest parce quâil rĂ©pond Ă nos aspirations et Ă nos questionnements dans le contexte culturel qui est le notre aujourdâhui. Comment perçoit-il lui-mĂȘme lâactualitĂ© de sa vision ?
1 LâhumilitĂ© de la transcendance
« Le processus actuel de lâindividualisation dĂ©bouche sur un sens trĂšs raffinĂ© de lâintĂ©rioritĂ©, de lâexpĂ©rience intĂ©rieure, du travail psychologique et de lâinterface avec ce quâune religion authentique dit rĂ©ellement⊠Lâapproche trinitaire offre une phĂ©nomĂ©nologie beaucoup plus profonde de notre expĂ©rience intĂ©rieure de la transcendanceâŠÂ ».
2 Un langage théologique élargi
« La globalisation de la connaissance, une interface accrue avec dâautres religions mondiales (en particulier lâautre hĂ©misphĂšre du cerveau reprĂ©sentĂ© Ă la fois par le christianisme oriental et les religions de lâOrient), un interface nouveau avec la science, tout cela demande que nous Ă©largissions notre vocabulaire thĂ©ologique ».
3 Une connaissance plus Ă©tendue de JĂ©sus et du Christ
« En extrayant JĂ©sus de la TrinitĂ© et en essayant de comprendre JĂ©sus en dehors du Christ, nous avons crĂ©Ă© une christologie trĂšs terrestre et basĂ©e sur lâexpiation (atonement). Nous avons essayĂ© dâaimer JĂ©sus sans aimer (et mĂȘme connaĂźtre le Christ et cela a crĂ©Ă© une forme de religion malheureusement tribale et compĂ©titive au lieu de celle de Paul : « Il y a un seul Christ. Il est tout et il est en tout ». Le Christ est une formulation cosmique et mĂ©taphysique. JĂ©sus est une formulation personnelle et historique. Beaucoup de chrĂ©tiens ont la seconde formulation, mais sans la premiĂšre, ce qui rend JĂ©sus et le christianisme bien trop petit » (p 121-122).
Un livre majeur pour une voie nouvelle
Ce livre regorge de points de vue Ă©tayĂ©s par des connaissances et nourris par lâexpĂ©rience. Certains de ces points de vue retentissent en nous et ouvrent un nouveau regard. Nos reprĂ©sentations se modifient.
Nous apprenons Ă mieux reconnaĂźtre la gĂ©nĂ©rositĂ© divine et sa prĂ©sence bienfaisante. Dans sa rĂ©alitĂ© trinitaire, lâamour de Dieu se rĂ©vĂšle.
Nous retrouvons dans ce livre de grands thĂšmes de lâĆuvre de JĂŒrgen Moltmann (3) qui, trĂšs tĂŽt, en 1980, a publiĂ© un livre sur « La TrinitĂ© et le Royaume de Dieu » « en dĂ©veloppant, dans un dĂ©bat critique avec les tendances monothĂ©istes de la thĂ©ologie occidentale, une doctrine « pĂ©richorĂ©tique » de la TrinitĂ© qui souligne lâĂȘtre-un des personnes divines, leur interpĂ©nĂ©tration et leur inhabitation mutuelle⊠Lorsque, dans la maniĂšre de comprendre Dieu, le concept de communautĂ©-communion, de « mutuality » et de pĂ©richorĂšse vient au premier plan et reprend, relativise et limite le concept de la Seigneurie unilatĂ©rale, alors se modifie Ă©galement la façon de comprendre les relations que le hommes sont appelĂ©s Ă vivre les uns avec les autres ainsi que leur rapport Ă la nature ». Et, ensuite, dans son livre : « Dieu dans la crĂ©ation » (premiĂšre Ă©dition en allemand : 1985), JĂŒrgen Moltmann a poursuivi sa rĂ©flexion : « Au concept trinitaire de la pĂ©richorĂšse mutuelle, correspond une doctrine Ă©cologique de la crĂ©ation. Le Dieu TrinitĂ© ne fait pas seulement face Ă sa crĂ©ation, mais y entre en mĂȘme temps par son Esprit Ă©ternel, pĂ©nĂštre toute chose et rĂ©alise la communautĂ© de la crĂ©ation par son inhabitation. Il en rĂ©sulte une connexion nouvelle de la connexion de toute chose⊠Au concept trinitaire de la pĂ©richorĂšse mutuelle, correspond une comprĂ©hension nouvelle de la condition de lâimage de Dieu qui est celle de lâhomme. Dans la communautĂ© mutuelle de lâhomme et de la femme, ainsi que dans la communautĂ© des parents et des enfants, il devient possible de reconnaĂźtre un ĂȘtre et une vie qui correspondent Ă DieuâŠÂ » (4). JĂŒrgen Moltmann a Ă©crit ensuite un livre au titre significatif : « LâEsprit qui donne la vie » (4). La pleine reconnaissance de lâEsprit dĂ©coule Ă©galement de la rĂ©vĂ©lation trinitaire.
Si les parcours et les contextes de Richard Rohr et de JĂŒrgen Moltmann sont diffĂ©rents, au point que nous ne voyons point dans le livre du premier des rĂ©fĂ©rences aux livres du second, dans une diversitĂ© dâaccents et de sensibilitĂ©s, nous voyons Ă©galement de profondes convergences dans leurs Ă©crits. Ainsi, dans son livre : « Dieu dans la crĂ©ation » (5), Moltmann Ă©crit : « La pĂ©richorĂšse trinitaire (mouvement incessant de relation en Dieu qui se traduit dans lâexpression : danse divine), doit ĂȘtre comprise comme lâactivitĂ© suprĂȘme et en mĂȘme temps comme la quiĂ©tude absolue de cet amour qui est la source de tout vivant, le ton de toutes les rĂ©sonnances et lâorigine du rythme et de la vibration des mondes dansants » (p 31). Et, comme Richard Rohr, JĂŒrgen Moltmann met en évidence lâimportance majeure de la relation : « Si lâEsprit Saint est rĂ©pandu sur toute la crĂ©ation, il fait de la communautĂ© de toutes les crĂ©atures avec Dieu et entre elles, cette communautĂ© de la crĂ©ation dans laquelle toutes les crĂ©atures communiquent chacune Ă sa maniĂšre entre elles et avec Dieu⊠Rien dans le monde nâexiste, ne vit et ne se meut par soi. Tout existe, vit et se meut dans lâautre, dans les structures cosmiques de lâEsprit divin » (p 24-25). Ainsi, Ă partir de ces diffĂ©rents Ă©clairages, nous pouvons avancer dans la joie de la dĂ©couverte et de la reconnaissance de lâĂȘtre et de lâĆuvre du Dieu trinitaire.
La parution du roman de William Paul Young : « The Shack » qui nous a proposĂ© une reprĂ©sentation imagĂ©e du Dieu trinitaire, ouvrage traduit en français sous le titre : « La cabane » (6) et ayant remportĂ© un succĂšs mondial, tĂ©moignait dâune sensibilitĂ© nouvelle. Lâauteur de ce livre  a accordĂ© une prĂ©face à « The divine Dance » : « La « danse divine », de pair avec des milliers dâautres voix qui sâĂ©lĂšvent aujourdâhui, renverse lâEmpire et cĂ©lĂšbre la Relation. Quand on a vu les profonds mystĂšres rĂ©vĂ©lĂ©s ici avec amour, on ne peut pas ne pas voir. Quand on a entendu, on ne peut retourner en arriĂšre. La souffrance ne peut effacer le sourire du cĆur. O Dieu, tu nâa jamais eu une idĂ©e mĂ©diocre de lâHumanité » (p 22). Voici un livre qui suscite la joie et la louange parce quâil nous parle de lâamour inconditionnel de Dieu au cĆur dâun univers relationnel.
J H
(1)Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Richard Rohr with Mike Morrell. Foreword by William Paul Young. The divine dance. The Trinity and your transformation. SPCK, 2016
(2)           Antoine Nouis. Nos racines juives. Préf. De Marion Muller-Colard. Bayard, 2018
(3)           Vie et Ćuvre thĂ©ologique de JĂŒrgen Moltmann Ă travers son autobiographie : A broad place. Sur le site de TĂ©moins : « Une thĂ©ologie pour notre temps. Lâautobiographie de JĂŒrgen Moltmann » : http://www.temoins.com/une-theologie-pour-notre-temps-lautobiographie-de-juergen-moltmann/   Des Ă©crits de JĂŒrgen Moltmann prĂ©sentĂ©s sur ce blog : Vivre et espĂ©rer et sur le blog : LâEsprit qui donne la vie : http://www.lespritquidonnelavie.com
(4)           JĂŒrgen Moltmann. LâEsprit qui donne la vie. Une pneumatologie intĂ©grale. Cerf, 1999. En annexe : Mon itinĂ©raire thĂ©ologique. Quelques extraits prĂ©sentĂ©s ici (p 438)
(5)           JĂŒrgen Moltmann. Dieu dans la crĂ©ation. TraitĂ© Ă©cologique de la crĂ©ation. Cerf, 1988
(6)Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â William Paul Young. La cabane. Jâai lu, 2014 (18 millions de lecteurs Ă travers le monde)
par | Juin 25, 2012 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Hstoires et projets de vie |
Une expérience internationale.
« Ni mon passĂ© familial, ni ma formation professionnelle (avocat), ne mâouvrait Ă priori sur les relations internationales », nous dit Guy Aurenche, prĂ©sident du CCFD-Terre solidaire. « Je les ai dĂ©couvertes lorsque les deux fondatrices de lâACAT (Action des chrĂ©tiens pour lâabolition de la torture) sont venues me chercher pour travailler avec elle contre la torture dans le monde. Ă cette occasion, jâai dĂ©couvert la dynamique des droits de lâhomme (DĂ©claration universelle des droits de lâhomme. 10 dĂ©cembre 1948) comme une Ă©tape fondamentale dans lâhistoire de lâhumanitĂ© et comme un moyen de mettre la dignitĂ© humaine au centre des relations internationales. Je fais la mĂȘme expĂ©rience actuellement face Ă la question du dĂ©veloppement dans le cadre du CCFD-Terre solidaire ».
Comment Guy Aurenche vit-il cette expérience ?
« LâexpĂ©rience fondamentale que jâai faite dans la pratique des relations internationales Ă travers la sociĂ©tĂ© civile, câest la dĂ©couverte que chacun de nous, sâil accepte de sâallier avec dâautres, est un sauveteur en puissance.
Sauveteur, parce que nous devenons capable de briser la solitude des personnes ou des peuples que la vie nous fait rencontrer.
Ce qui est vrai dans des situations de proximité, mais également dans les relations internationales.
LâACAT mâa fait dĂ©couvrir notre capacitĂ© de briser la solitude du torturĂ© dans sa prison. Le CCFD-Terre solidaire me fait dĂ©couvrir que nous sommes capables de briser la solitude du plus pauvre face Ă sa misĂšre.
Sur le plan de la vie chrĂ©tienne, je fais le lien entre cette capacitĂ© de sauvetage et la proposition de « salut » par JĂ©sus-Christ. Pour moi, JĂ©sus, ne nous dit pas autre chose que « tu nâes plus seul. Vous nâĂȘtes plus seul ».  Câest mon expĂ©rience pratique. Câest mon expĂ©rience spirituelle.
Contribution de Guy Aurenche
En préparation : « Une vision renouvelée des relations internationales. Interview de Guy Aurenche » sur le site de Témoins.
« Guy Aurenche. De lâACAT au CCFD-Terre solidaire. Le souffle dâune vie » : PrĂ©sentation du livre de Guy Aurenche : Le souffle dâune vie. Quarante ans de combat pour une terre solidaire. PrĂ©face de StĂ©phane Hessel. Albin Michel, 2011. Sur le site de TĂ©moins.
http://www.temoins.com/societe/guy-aurenche-de-l-acat-au-ccfd-terre-solidaire.-le-souffle-d-une-vie.html
« Tout homme est une histoire sacrée. Les droits humains au secours de la transcendance ». http://www.temoins.com/societe/tout-homme-est-une-histoire-sacree.html
par jean | Déc 27, 2011 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Vision et sens |
Lorsque la rĂ©alitĂ© spirituelle sort de lâordinaire
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        Il arrive que soudain une personne ressente la conscience dâune rĂ©alitĂ© belle et bonne qui la dĂ©passe, une prĂ©sence qui suscite en elle une impression inĂ©galĂ©e de plĂ©nitude. Ce sont lĂ des expĂ©riences qui sortent de lâordinaire, mais qui nĂ©anmoins adviennent Ă certains comme une recherche rĂ©cente le montre Ă partir dâune enquĂȘte menĂ©e en Grande-Bretagne. Ces expĂ©riences ne sont pas rĂ©servĂ©es aux croyants. En grande majoritĂ©, elle sont ressenties comme positives. Elles apparaissent comme Ă©tant en quelque sorte donnĂ©es comme la rĂ©vĂ©lation dâune rĂ©alitĂ© supĂ©rieure.
Dans le cadre dâune « UnitĂ© de recherche sur l âexpĂ©rience religieuse » fondĂ©e dans le cadre de lâUniversitĂ© du Pays de Galles, un chercheur britannique, Alister Hardy, au dĂ©part un zoologiste Ă©minent, a constituĂ© une banque de donnĂ©es rassemblant des rĂ©cits dâexpĂ©rience Ă partir desquelles il a Ă©tĂ© ensuite possible dâanalyser la nature et la fonction de ces expĂ©riences. Il sâest inspirĂ© dâune mĂ©thodologie qui lui Ă©tait familiĂšre, celle des sciences naturelles : recueillir des Ă©chantillons et les classer. A partir de publicitĂ©s diffusĂ©es dans la presse, il a donc demandĂ© Ă un vaste public de participer Ă une enquĂȘte. Sous diffĂ©rentes variantes, la question Ă©tait la suivante : « Vous est-il arrivĂ© dâavoir conscience dâune prĂ©sence ou dâune puissance (ou dâĂȘtre influencĂ©e par elle » que vous lâappeliez Dieu ou non et qui est diffĂ©rente de votre perception habituelle ? ». En rĂ©ponse, Hardy a rassemblĂ© plusieurs milliers de descriptions personnelles en provenance de gens ordinaires. Ces donnĂ©es ne sont quâune des sources dans lesquelles puisent David Hay, un autre chercheur britannique qui publie un livre sur la rĂ©alitĂ© de la vie spirituelle dans la sociĂ©tĂ© dâaujourdâhui. « Il y a bien quelque chose », tel est le titre donnĂ© Ă cet ouvrage : « Something there » (1). David Hay prĂ©sente dans ce livre des extraits de rĂ©cits dâexpĂ©riences. A titre dâexemple, en voici quelques descriptions.
Descriptions dâexpĂ©riences
.
« JâĂ©tais dans une habitation Ă la campagne. Une nuit, Ă environ une heure du matin, je me suis lentement Ă©veillĂ© Ă un sentiment de sĂ©curitĂ© et de bonheur absolu. Câest comme si tout ce qui existait dans le monde autour de moi se mettait Ă chanter : « Tout est bien ». AprĂšs quelques minutes presque incroyables, je me levais et allais voir Ă la fenĂȘtre. Je vis alors la vallĂ©e remplie de lâamour de Dieu, coulant et dĂ©bordant de la route et des quelques maisons du village. CâĂ©tait comme si une grande source de lumiĂšre, dâamour et de bontĂ© Ă©tait lĂ dans la vallĂ©e. Je sortis et la lumiĂšre et lâassurance Ă©taient lĂ . Je regardais et regardais. Et, pour ĂȘtre honnĂȘte, je nâĂ©tais pas reconnaissant comme jâaurais du lâĂȘtre, mais je cherchais Ă enregistrer la conscience de cette joie et de cette sĂ©curitĂ© de telle maniĂšre que je ne puisse pas lâoublier » .
Voici une autre expĂ©rience, celle-lĂ dâune veuve dans la dĂ©tresse : « Jâavais perdu mon mari, six mois avant, et mon courage en mĂȘme temps. Je sentais que la vie nâaurait plus de sens si la peur sâinstallait pour me dominer. Un soir, sans aucune prĂ©paration, jâai su que jâĂ©tais dans la prĂ©sence de Dieu, quâil ne me laisserait jamais et quâIl mâaimait dâun amour au-delĂ de toute imaginationâŠÂ ».
Et maintenant un souvenir dâenfance : « Mon pĂšre avait lâhabitude dâemmener toute la famille en promenade, le dimanche soir. Nous marchions sur un chemin Ă©troit Ă travers un champ de blĂ©. JâĂ©tais en arriĂšre et me trouvais seule. Soudain, je fus enveloppĂ©e dans une lumiĂšre dorĂ©e. Jâai eu conscience dâune prĂ©sence si douce, si aimante, si brillante, si consolante, existant en dehors de moi, mais si proche. Je nâentendis pas de bruit. Mais quelques mots parvinrent Ă moi trĂšs distinctement : « Tout est bien. Tout est trĂšs bien ».
Ces expĂ©riences ont un grand impact qur la personnalitĂ© de ceux qui les reçoivent. Ajoutons ici un exemple rapportĂ© dans un autre livre : « Du cerveau Ă Dieu . Plaidoyer dâun neuroscientifique pour lâexistence de lâĂąme » (2). Lâauteur, Mario Beauregard, y consacre un chapitre aux expĂ©riences religieuses, spirituelles ou mystiques. Et lui-mĂȘme tĂ©moigne dâune expĂ©rience qui a influĂ© sur sa vie. « Lâune de ces expĂ©riences est survenue, il y a une vingtaine dâannĂ©es alors que jâĂ©tais allongĂ© dans mon lit. JâĂ©tais alors particuliĂšrement faible et je souffrais dâune forme sĂ©vĂšre de ce quâon appelle aujourdâhui le syndrome de fatigue chronique. LâexpĂ©rience a commencĂ© par une sensation de chaleur et de picotement dans la colonne vertĂ©brale et la poitrine. Tout Ă coup, jâai fusionnĂ© avec lâintelligence cosmique (ou lâultime rĂ©alitĂ©), source dâamour infini et je me suis retrouvĂ© uni Ă tout ce qui existe dans le cosmos. Cet Ă©tat dâĂȘtreâŠsâaccompagnait dâune intense fĂ©licitĂ© et extase⊠Cette expĂ©rience mâa transformĂ© psychologiquement et spirituellement et mâa donnĂ© la force nĂ©cessaire pour surmonter ma maladie et guĂ©rirâŠÂ » (p.388).
Les expériences religieuses et spirituelles.
Portée et évolution du phénomÚne.
Comme on vient de le voir, ces expĂ©riences sont trĂšs variĂ©es et elles sont rapportĂ©es diffĂ©remment. Ainsi le langage est diffĂ©rent selon que la personne a une culture religieuse ou non. En effet, ces expĂ©riences adviennent Ă des gens de toutes conditions, croyants ou non. Bien sĂ»r, elles suscitent une recherche concernant le sens qui peut leur ĂȘtre attribuĂ©e. Ces expĂ©riences sont Ă©galement soudaines. Elles sont sans commune mesure avec lâimagination. Ainsi bouleverse-t-elle souvent la personne au point que celle-ci sâinterroge et hĂ©site Ă en faire part, gardant cette mĂ©moire dans lâintimitĂ©. Au total, il apparaĂźt maintenant que ces expĂ©riences sont beaucoup plus nombreuses quâon aurait pu lâimaginer.
De fait, on dĂ©couvre aujourdâhui quâil y a lĂ un phĂ©nomĂšne important, jusque lĂ passĂ© sous silence et mĂ©connu. En effet, dans une acception large, David Hay a pu inscrire une question relative Ă ce phĂ©nomĂšne dans deux enquĂȘtes effectuĂ©es en Grande-Bretagne, en 1987 et 2000. Les rĂ©sultats sont surprenants. En effet, en 1987, 48% des personnes participant Ă un Ă©chantillon national dĂ©clarent quâils ont connu ce genre dâexpĂ©rience dans leur vie. En 2000, ce pourcentage a considĂ©rablement augmentĂ© et sâĂ©lĂšve Ă 76%. PrĂšs des trois quarts de la population britannique est ainsi concernĂ©.
Lâaugmentation considĂ©rable de ce pourcentage, dans une courte pĂ©riode : treize ans, a beaucoup surpris David Hay. Celui-ci interprĂšte cette situation dans les termes de lâabaissement dâune censure socioculturelle qui, jusque-lĂ , empĂȘchait les gens de sâexprimer librement Ă ce sujet.
Â
        Toutes ces descriptions, recueillies dans le cadre dâune recherche mĂ©thodique nous interpellent. Elles nous incitent Ă penser quâil y a bien une rĂ©alitĂ© supĂ©rieure au delĂ de notre apprĂ©hension immĂ©diate. Les personnes qui ont vĂ©cu des expĂ©riences de ce genre se posent Ă©videmment des questions sur le sens qui peut leur ĂȘtre attribuĂ©es. Ainsi, Ă 16 ans, un jeune allemand vĂ©cut une expĂ©rience de ce genre en pleine rue. A lâĂ©poque, il nâĂ©tait pas croyant et cette expĂ©rience suscita en lui une recherche de sens. Quelques annĂ©es plus tard, il dĂ©couvrit la foi chrĂ©tienne et il devint plus tard le grand thĂ©ologien, Wolfhart Pannenberg (3).
Rappelons la question initiale posĂ©e en vue de la collecte des descriptions de ces expĂ©riences : « Vous est-il arrivĂ© dâavoir conscience dâune prĂ©sence ou dâune puissance (ou dâĂȘtre influencĂ© par elle) que vous lâappeliez Dieu ou non, et qui est diffĂ©rente de votre perception habituelle ? ». Y a-t-il pas dans votre vie des souvenirs dâexpĂ©rience que vous aimeriez partager ?
JH
1)  Hay (David). Something there. The biology of the human spirit. Darton, Longman, Todd, 2006. PrĂ©sentation sur le site de TĂ©moins (rubrique : Ă©tudes) : « La vie spirituelle comme une « conscience relationnelle » . Une recherche de David Hay sur la spiritualitĂ© dâaujourdâhui ». http://www.temoins.com/etudes/la-vie-spirituelle-comme-une-conscience-relationnelle-.-une-recherche-de-david-hay-sur-la-spiritualite-aujourd-hui./toutes-les-pages.html
2)  Beauregard (Mario), O Leary (Denise). Du cerveau Ă Dieu. Plaidoyer dâun neuroscientifique pour lâexistence de lâĂąme. Tredaniel, 2008. Ce livre comporte un chapitre sur les expĂ©riences religieuses et spirituelles. PrĂ©sentation du livre sur le site de TĂ©moins : Lâesprit, le cerveau et les neurosciences (culture). http://www.temoins.com/culture/l-esprit-le-cerveau-et-les-neurosciences.html
3)  Cf : textes biographiques. Cette expĂ©rience fondatrice est mentionnĂ©e sur Wikipedia. Pannenberg fait partie des thĂ©ologiens qui reconnaissent dans lâhomme un sens spirituel Ă lâimage de Dieu.
par jean | Juil 25, 2012 | ARTICLES, Société et culture en mouvement, Vision et sens |
Des fleurs tapissent un coin de la vieille tranchée
La charge des coquelicots monte sur la colline
Des corbeaux noirs croassent sur les champs dépeuplés.
Souvenirs du passĂ©, force dâun renouveau
Le vent de la forĂȘt berce le cimetiĂšre
Et des enfants sâen vont sur les chemins boisĂ©s.
Pourquoi Ă©tions-nous jeunes au temps de la grande guerre.
Nous sommes née trop tÎt et avons tout perdu
Dans le brouillard sombre et le bruit des obus.
FĂȘtes de la victoire, discours Ă©parpillĂ©s un jour par annĂ©e
Ne nous rendrons jamais les beaux draps blancs que nous avons quittés.
La vue dâun peuplier qui miroite au printemps
Lâamour dâune femme, le sourire dâun enfant.
Comme lâorage qui vient est sillonnĂ© dâĂ©clairs
Comme la tempĂȘte arrache piĂšce Ă piĂšce notre vieille toiture,
Comme le flot débordant emporte la bonne terre
Et comme le tonnerre qui toujours retentit
Porteur de la grĂȘle et de son clapotis,
O guerres maudites, vous parsemez lâhistoire
Et quand la guerre finit
VoilĂ comme une vague du fond de lâocĂ©an
La sombre épidémie et ses halÚtements.
Pourquoi étions-nous jeunes au temps de la variole ?
Nous sommes nés trop tÎt au vent du choléra.
Pensez Ă nos chemins, hommes des temps modernes,
Notre passé vaut bien vos lendemains.
Vous tenez votre vie de nos frĂȘles amours
Les tours des cathédrales dominent encore vos cours.
Pourtant Ă©tions dĂ©munis de ce qui aujourdâhui affranchit votre vie.
O temps de lâavenir, brillante citĂ© terrestre,
A quoi servirait-il que nous te construisions
Si nos yeux devaient Ă jamais mourir
Et dans les cimetiĂšres nos corps pourrir
Comme tous ceux-là qui sont morts avant nous ?
La foule immense désarmée, massacré par le temps
DĂ©file devant nos yeux comme lâavenir de nos plans
Et mĂȘme si demain ils se rĂ©alisaient
Alors ne pourrions oublier vos souffrances et vos plaies.
A quoi serviraient-ils les lendemains qui chantent
Si tous vos cimetiÚres recouvraient la terre ?
A quoi servirait donc la roue de la technique
Si pour toujours vos cris Ă©taient des cris
Et vos pleurs des pleurs ?
Dans le dĂ©sert dâun infini et dans le poids du temps
PlanĂšte dâentre milliers au sein du firmament
Le murmure de la vie sâest fait appel.
A quoi bon le festin et Ă quoi bon la fĂȘte
Si demain est la mort et la mort demain ?
Présence salutaire, vivante Eternité,
A nos cĆurs douloureux envoie un Messager
Un murmure secret a rĂ©veillĂ© nos cĆurs,
Partie dâun coin de terre est venue lâEspĂ©rance
Comme une onde, atteint les plus lointains rivages,
A travers les siĂšcles, Ă travers le temps, sans cesse se propage.
Câest la bonne nouvelle, la seule dĂ©cisive
Résurrection du Christ, résurrection des morts
Et puisquâen attendant, il faut que lâhomme vive
Et que tombent les écailles de nos déchirements
PrĂ©sence de lâEsprit, renouveau de la terre, rĂ©surrection des vivants.
J H
Ce poĂšme, en forme de cri, a Ă©tĂ© Ă©crit, il y a des annĂ©es. Câest une question lancinante qui est toujours lĂ . En regard, un thĂ©ologien, JĂ»rgen Moltmann, qui a vĂ©cu lâenfer du bombardement de Hambourg en 1943, a trouvĂ© le chemin pour nous dĂ©voiler la puissance infinie de Dieu Ă lâĆuvre pour libĂ©rer les vivants et les morts, pour nous dĂ©livrer du mal.
Délivre-nous du mal !
JĂŒrgen Moltmann entend et se fait le porte parole de tous ceux qui ont souffert de la violence et de lâinjustice. Il y a dans ce monde, un grand cri, une grande demande de justice. « Sâil nây avait pas de Dieu, quâarriverait-il Ă ceux qui ont faim et soif de justice dans ce monde ? » (p.61).
Ainsi, les différentes séquences de la Bible nous montre comment Dieu vient à notre secours, apporte la justice, nous rend juste.
A travers la rĂ©surrection de JĂ©sus-Christ, lâhistoire change de visage. A la croix, JĂ©sus devient le compagnon de tous ceux qui se sentent abandonnĂ©s de Dieu. Il libĂšre les hommes du pĂ©chĂ© et de la culpabilitĂ©. « A travers la puissance de vie de sa rĂ©surrection, Il entraĂźne Ă la fois les victimes et les persĂ©cuteurs dans une relation juste avec Dieu et les uns avec les autres. Dans cette loi de vie nouvelle, ils peuvent vivre, car elle sâĂ©tend Ă la fois aux vivants et aux morts et met fin aux revendications du mal » (p.76). Nous voici engagĂ©s dans un immense processus. « La crĂ©ation nouvelle de Dieu apparaĂźt dĂ©jĂ aujourdâhui au milieu dâun monde encore marquĂ© par la mort. Elle sera accomplie quand, en Christ, « le Royaume sera remis Ă Dieu » et quâainsi le but sera atteint et que Dieu sera tout en tous » (1 Cor 15.28).
J H
Source : Les malheurs de lâhistoire. DĂ©livre-nous du mal. PrĂ©sentation de la pensĂ©e de JĂŒrgen Moltmann sur le site : lâEsprit qui donne la vie http://www.lespritquidonnelavie.com/? p=702
« DĂ©livre-nous du mal. La justice de Dieu et la renaissance de la vie », p 71-98. In : JĂŒrgen Moltmann. De commencements en recommencements. Une dynamique dâespĂ©rance. Empreinte, 2012.
Plus largement, « LâespĂ©rance des chrĂ©tiens nâest pas une espĂ©rance exclusive ou particulariste, mais une espĂ©rance inclusive et universelle en la vie qui surmonte la mort ». Voir : « La vie par delĂ la mort » sur le site : « LâEsprit qui donne la vie ». http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=822
par jean | FĂ©v 17, 2020 | ARTICLES |
« The making of the western mind » de Tom Holland
 « Dominion : The making of the western mind » (la formation de la mentalitĂ© occidentale », câest le titre du livre dâun historien britannique, Tom Holland, traduit en français sous un titre plus explicite : « Les chrĂ©tiens. Comment ils ont changĂ© le monde » (1). Quâest-ce Ă dire ? A une Ă©poque oĂč la pratique chrĂ©tienne recule dans les pays occidentaux et particuliĂšrement en Europe, le christianisme continue-t-il Ă inspirer nos sociĂ©tĂ©s ? Câest la question que sâest posĂ© cet historien. Il y rĂ©pond dans un volume de plus de 600 pages qui dĂ©roule la fil de lâhistoire du christianisme Ă travers vingt siĂšcles comme une vĂ©ritable Ă©popĂ©e, alternant rĂ©cit Ă©pique et analyse historique dans une vingtaine de grands moments rĂ©partis entre lâantiquitĂ©, la chrĂ©tientĂ© et la modernitĂ©.
« Le fracas des armes, le choc des ego, les guerres civiles qui scandent lâhistoire des religions monothĂ©istes nous le rappellent : la plus grande histoire du monde, lâavĂšnement du christianisme, de lâantiquitĂ© jusquâaux crises migratoires, est une Ă©popĂ©e. Une histoire pleine de bruits et de fureurs opposant athĂ©es et croyants, islam et chrĂ©tientĂ©. Face Ă la montĂ©e du matĂ©rialisme, du divorce entre lâEglise et le message Ă©vangĂ©lique Ă la crise de foi et aux nouvelles guerres de religion, la chrĂ©tientĂ© maintiendra-t-elle sa suprĂ©matie ? Ou, confrontĂ©e au recul du sacrĂ©, fait-elle partie du monde dâhier ? » (page de couverture).
Sans doute, dans cette affaire, lâusage du mot chrĂ©tientĂ© porte Ă question. Ce que nous dit lâauteur, câest quâau long de cette histoire, le message de lâEvangile a Ă©tĂ© un levain et quâil a Ă©tĂ© et reste la matrice des grandes valeurs qui inspirent le monde occidental. Tom Holland nous dit comment personnellement il a Ă©tĂ© amenĂ© Ă se poser ces questions Ă partir de son expĂ©rience de lâantiquitĂ© en prenant conscience de la violence insupportable qui y rĂ©gnait. Il nous montre en quoi le christianisme a Ă©tĂ© un choc culturel par rapport Ă la civilisation romaine, et lâinspiration Ă©vangĂ©lique, une force transformatrice au cours des siĂšcles, dans le sillage du Christ crucifiĂ©, prenant le parti des pauvres face aux riches et aux puissants. Cependant, le christianisme a souvent Ă©tĂ© desservi et trahi par les institutions. Le reflux du « christianisme organisĂ© » tĂ©moigne dâun porte-Ă -faux. Cette histoire est donc complexe. Cependant, Tom Holland nous montre quâaujourdâhui encore, lâimprĂ©gnation Ă©vangĂ©lique est toujours active jusque dans des milieux sĂ©culiers et Ă©loignĂ©s de la religion . Ce sont des valeurs chrĂ©tiennes qui inspirent les mouvements contemporains au service du respect de lâhumanitĂ© et des droits humains quelle quâen soit la forme.
Comment Tom Holland a pris conscience de lâoriginalitĂ© de lâinspiration chrĂ©tienne
 Tom Holland sâest dâabord orientĂ© vers lâĂ©tude de lâantiquitĂ© . Ses premiers ouvrages dâhistorien ont portĂ© sur les invasions perses de la GrĂšce et les ultimes dĂ©cennies de la civilisation romaine. Au dĂ©part, il Ă©tait fascinĂ© par la civilisation grĂ©co-romaine et ses personnages emblĂ©matiques. Et puis, progressivement, il a pris conscience de la barbarie que cette civilisation vĂ©hiculait. Et elle lui est apparue comme de plus en plus Ă©trangĂšre : « Les valeurs de LĂ©onidas, dont le peuple avait pratiquĂ© une forme particuliĂšrement atroce dâeugĂ©nisme en entrainant les jeunes Ă assassiner de nuit les « untermenschen », les sous-hommes, nâĂ©taient pas les miennes, ni celles de CĂ©sar qui aurait tuĂ© un million de gaulois et rĂ©duit en esclavage un million dâautres ⊠Ce nâĂ©tait pas seulement leur violence extrĂȘme qui me troublait, mais leur absence totale de considĂ©ration pour les pauvres et pour les faibles » (p 27).
Tom Holland, aprĂšs une enfance pieuse, sâĂ©tait Ă©loignĂ© de la foi chrĂ©tienne, mĂȘme « sâil continuait vaguement de croire en Dieu ». « Le Dieu biblique lui apparaissait comme lâennemi de la libertĂ© et du plaisir » ( p 26). Alors, dans cette prise de conscience, il a compris combien les valeurs chrĂ©tiennes Ă©taient prĂ©cieuses. « Lâeffacement de ma foi chrĂ©tienne au cours de lâadolescence ne signifiait pas que jâeus cessĂ© dâĂȘtre chrĂ©tien. Les postulats avec lesquels jâai grandi sur la meilleure maniĂšre de gouverner une sociĂ©tĂ© et sur les principes qui devraient ĂȘtre les siens, ne proviennent pas de lâantiquitĂ© classique, encore moins dâune quelconque « nature humaine », mais trĂšs clairement de son passĂ© chrĂ©tien. Lâimpact du christianisme sur le dĂ©veloppement de lâOccident est un fait si profond quâil en est venu Ă ne plus ĂȘtre perçu ⊠Ce livre explique ce qui a rendu le christianisme si subversif et perturbateur, comment il a fini par imprĂ©gner la mentalitĂ© de la chrĂ©tientĂ© latine et pourquoi, dans un Occident souvent incrĂ©dule Ă lâĂ©gard des prĂ©tentions de la religion, nos attitudes restent, pour le meilleur et pour le pire, profondĂ©ment chrĂ©tiennes » ( p 28).
Face Ă la domination et Ă la violence, lâĂ©lan de la rĂ©vĂ©lation chrĂ©tienne
Notre image de lâantiquitĂ© grĂ©co-romaine nous renvoie gĂ©nĂ©ralement au prestige de grandes Ćuvres intellectuelles ou monumentales. Nous recevons ainsi un hĂ©ritage. Mais il sâagit de la meilleure part, car, comme Tom Holland en a pris progressivement conscience, il y a Ă lâarriĂšre-plan des mĆurs barbares oĂč la violence des puissants se dĂ©ploie au dĂ©pens des faibles dans une omniprĂ©sence de lâesclavage.
Le chĂątiment de la crucifixion est emblĂ©matique de la puissance romaine. Tom Holland nous dĂ©crit cette horreur rĂ©pandue au cĆur de Rome et dans tout lâempire . Ce livre commence par une effroyable description dâun quartier de Rome longtemps rĂ©servĂ© Ă une crucifixion de masse. « Aucune mort ne semblait Ă©galer la crucifixion dans lâignominie. Cela en faisait le chĂątiment tout dĂ©signĂ© pour les esclavesâŠ. Pour se montrer dissuasif, celui-ci devait sâexĂ©cuter en public. Et, rien nâĂ©voquait avec plus dâĂ©loquence lâĂ©chec dâune rĂ©volte que la vue des centaines et des centaines de corps suspendus Ă des croix alignĂ©es le long dâune voie ou amassĂ©es au pied dâune citĂ© rebelle ou encore de collines alentour dĂ©pouillĂ©es de leurs arbres » ( p 12). Si la cruautĂ© de ce chĂątiment nâĂ©chappait pas Ă certains esprits, « lâeffet salutaire des crucifixions sur ceux qui menaçaient lâordre rĂ©publicain ne faisait guĂšre de doute aux yeux des romains » (p 11).
Ainsi, la croix Ă©tait lâinstrument dâun systĂšme glorifiant la puissance des hommes de pouvoir et des dieux au dĂ©triment des opprimĂ©s. En mourant sur une croix, JĂ©sus a bouleversĂ© lâordre dominant. Et cette subversion sâest rĂ©pandue dans lâhistoire. « Que le fils de Dieu, nĂ© dâune femme et condamnĂ© Ă la mort dâun esclave, ait pĂ©ri sans ĂȘtre reconnu par ses juges Ă©tait propice Ă faire rĂ©flĂ©chir mĂȘme le plus arrogant des monarques » Il y avait lĂ la source « dâun soupçon capital que Dieu Ă©tait plus proche des faibles que des puissants, des pauvres que des riches » ( p 20).
Par ailleurs, Ă tous Ă©gards, en la personne de Paul, la prĂ©dication chrĂ©tienne sâest avĂ©rĂ©e rĂ©volutionnaire. Dans un chapitre : « Mission », il nous est montrĂ© toute la portĂ©e de ce message. « Les juifs, tels des enfants soumis Ă la protection dâun tuteur, avaient reçu la grĂące de se faire le gardien de la loi divine. Mais la venue du Christ avait rendu cette mission caduqueâŠ. Le caractĂšre exclusif de cette alliance Ă©tait abrogĂ©e. Les anciennes distinctions entre eux et les autres, dont la circoncision masculine constituait le symbole, se voyaient transcendĂ©e. Juifs et grecs, galates et scythes, tous Ă©gaux dans la foi en JĂ©sus-Christ, formaient dĂ©sormais le peuple saint de Dieu » ( p 102). « Et la loi du Dieu dâIsraĂ«l pouvait ĂȘtre lue et inscrite dans le cĆur humain par son Esprit » ( p 113). LâuniversalitĂ© de ce message Ă©tait et est encore rĂ©volutionnaire. CâĂ©tait et câest encore un message dâamour et de respect. Dans un monde oĂč la domination masculine sâimposait, câĂ©tait Ă©galement proclamer la dignitĂ© de la femme. Dans le monde de NĂ©ron, un monde oĂč la dĂ©bauche sexuelle Ă©tait Ă son paroxysme, comme lâauteur nous en dĂ©crit la rĂ©alitĂ© suffocante, Paul proclame le respect du corps, « temple du Saint Esprit » ( p 119). LĂ aussi câest un message rĂ©volutionnaire. Pendant des siĂšcles, ce message a transformĂ© les consciences et il a transformĂ© lâOccident. Si cet idĂ©al a bien souvent Ă©tĂ© bafouĂ©, il a nĂ©anmoins changĂ© les mentalitĂ©s en profondeur.
Tout au long de ce livre, Tom Holland nous montre comment ce message sâinscrit encore aujourdâhui dans les esprits, chez ceux qui vivent la foi chrĂ©tienne, mais aussi dans ceux qui lâont dĂ©laissĂ©e et ont quittĂ© les institutions religieuses. « Comment se fait-il quâun culte inspirĂ© par lâexĂ©cution dâun obscur criminel dans un empire disparu ait pu imprimer une marque si profonde et durable dans le monde ? » ; Câest la question Ă laquelle Tom Holland rĂ©pond dans ce livre. « Il suit les courants de lâempire chrĂ©tien qui se sont rĂ©pandu le plus largement et ont survĂ©cu jusquâĂ nous » (p 23). « Aujourdâhui, alors que nous sommes les tĂ©moins dâun rĂ©alignement gĂ©opolitique sismique, que nos principes se rĂ©vĂšlent moins universels que certains dâentre nous ne lâauraient imaginĂ©, le besoin de reconnaĂźtre Ă quel point ceux-ci sont culturellement contingents, est plus puissant que jamais. Etre citoyen dâun pays occidental revient Ă vivre dans une  sociĂ©tĂ© toujours saturĂ©e de convictions et de supputations chrĂ©tiennes » (p 23).
De maniĂšre visible ou invisible, lâinspiration de lâEvangile active au fil des siĂšcles et toujours aujourdâhui.
 En rapportant lâhistoire de la civilisation chrĂ©tienne, Tom Holland a cherchĂ© Ă en montrer les accomplissements et les crimes, mais, comme il nous le dit, son jugement a Ă©tĂ© lui-mĂȘme conditionnĂ© par les valeurs chrĂ©tiennes. Ce sont ces valeurs qui, de fait, ont engendrĂ© la proclamation des droits humains, mĂȘme si cette origine, fut dĂšs lâĂ©poque plus ou moins passĂ©e sous silence. « Des deux cĂŽtĂ©s de lâAtlantique, les rĂ©volutionnaires considĂ©raient que les droits de lâhomme existaient naturellement depuis toujours et quâils transcendaient le temps et lâespace » Pour lâauteur, câest là « une croyance fantastique ». « Le concept des droits de lâhomme avait Ă©tĂ© Ă ce point mĂ©diatisĂ©, depuis la RĂ©forme, par les juristes et les philosophes protestants quâil en Ă©tait venu Ă masquer ses vĂ©ritables origines. Il ne provenait pas de la GrĂšce antique, ou de RomeâŠCâĂ©tait un hĂ©ritage de jurisconsultes du Moyen-AgeâŠ. ».
Tom Holland nous montre la prĂ©gnance des valeurs chrĂ©tiennes jusque dans les mouvements qui sont sortis des cadres sociaux du christianisme. Les adversaires du christianisme sây opposent bien souvent en fonction mĂȘme de lâesprit de lâEvangile. « Alors mĂȘme que Voltaire prĂ©sente le christianisme comme hargneux, provincial, meurtrier, son rĂȘve de fraternitĂ© ne faisait que trahir ses origines chrĂ©tiennes. De mĂȘme que Paul avait proclamĂ© quâil nây avait ni juif, ni grec dans le Christ JĂ©sus, un avenir baignĂ© dans dâauthentiques LumiĂšres ne comporterait ni juif, ni chrĂ©tien, ni musulman. Toutes leurs diffĂ©rences seraient dissoutes. LâhumanitĂ© ne ferait quâun « ( p 434). Le souci des humbles et des souffrants, qui mobilise aujourdâhui tant dâhommes et de femmes pour de grandes causes, est, lui aussi, directement issu du christianisme. Des adversaires extrĂȘmes du christianisme le montrent bien puisquâils rejettent Ă la fois le vĂ©cu chrĂ©tien et les idĂ©aux de compassion et dâĂ©galitĂ©. Ce fut le cas de Nietzsche ( p 513-514).
Et, aujourdâhui, dans les dĂ©bats sur les questions de sociĂ©tĂ©, des positions adverses sâinspirent de valeurs chrĂ©tiennes reprises diffĂ©remment. « LâidĂ©e que la guerre de religion en AmĂ©rique se livre entre les chrĂ©tiens dâun cĂŽtĂ© et ceux qui se sont Ă©mancipĂ©s du christianisme de lâautre, est une exagĂ©ration que les deux parties ont intĂ©rĂȘt Ă promouvoir.. En rĂ©alitĂ©, Ă©vangĂ©liques comme progressistes sont issus de la mĂȘme matrice. Si les adversaires de lâavortement hĂ©ritent de Macine qui avait parcouru les dĂ©charges de la Cappadoce Ă la recherche dâenfants abandonnĂ©s Ă sauver, ceux qui les combattent sâappuient sur la supposition non moins chrĂ©tienne que le corps de la femme devrait ĂȘtre respectĂ© comme tel par tout hommes. Les partisans du mariage homosexuel se montrent pour leur part tout autant inspirĂ©s par lâenthousiasme de lâEglise pour la fidĂ©litĂ© monogame que ses opposants par les condamnations bibliques des hommes qui couchent avec des hommes » ( p 586).
Si dans lâhistoire du christianisme, il y a bien des Ă©pisodes qui sont marquĂ©s par la violence et la domination, « les normes selon lesquelles ils furent condamnĂ©s pour cela restĂšrent chrĂ©tiennes ».
Et, aujourdâhui encore, ces normes, bien souvent non identifiĂ©es comme telles, restent vigoureuses. « MĂȘme si les Eglises devaient continuer Ă se vider dans tout lâOccident, il semble peu probable que ces normes changeraient rapidement. « Dieu a choisi les Ă©lĂ©ments faibles du monde pour confondre les forts ». Tel est le mythe auquel nous persistons Ă nous accrocher. En ce sens, la chrĂ©tientĂ© reste la chrĂ©tienté » ( p 592).
Passé, présent et avenir
 Les lectures de lâhistoire du christianisme diffĂ©rent selon les regards qui lui sont portĂ©s. Lâapproche dâun historien dĂ©pend de son contexte personnel qui, lui-mĂȘme induit tel ou tel questionnement.
Ainsi Jean Delumeau a explorĂ© le climat de peur engendrĂ© par une image de Dieu et un systĂšme rĂ©pressif.. Son oeuvre historique milite en faveur dâun christianisme ouvert Ă la modernitĂ©. Conscient de lâĂ©cart entre les propositions du christianisme institutionnel et la culture actuelle, souvent dĂ©signĂ©e comme ultra-moderne, nous avons cherchĂ© un Ă©clairage dans des lectures historiques montrant comment lâĂ©lan du premier christianisme sâĂ©tait figĂ© et emprisonnĂ© dans une systĂšme hĂ©ritĂ© de la conjonction entre lâempire romain et lâEglise et ayant perdurĂ© pendant des siĂšcles avant de soulever des vagues de protestation. Quant Ă lui, Tom Holland sâattache Ă mettre en Ă©vidence le caractĂšre rĂ©volutionnaire du message chrĂ©tien Ă son apparition dans le monde antique et la puissance de la matrice chrĂ©tienne Ă travers les siĂšcles jusquâĂ aujourdâhui. Il retient notamment son engagement en faveur des pauvres et des faibles et son caractĂšre universaliste . Dans cette entreprise, il accorde une place majeure Ă la croix alors quâon pourrait mettre Ă©galement en Ă©vidence la rĂ©surrection du Christ, lâĆuvre de lâEsprit et lâespĂ©rance qui est ainsi dĂ©ployĂ©e. Nâest-ce pas cette espĂ©rance qui a animĂ© certains mouvements contemporains comme la campagne pour les droits civiques engagĂ©e par Martin Luther King contre la discrimination raciale ou la thĂ©ologie de la libĂ©ration. Câest la thĂ©ologie de lâespĂ©rance exprimĂ©e par JĂŒrgen Moltmann (2)
Ainsi, il y a bien un lien entre passé, présent et avenir
Lâimportance de ce livre nous paraĂźt rĂ©sider dans le fil conducteur qui met en valeur lâinfluence majeure de la matrice chrĂ©tienne dans la civilisation occidentale, et, tout particuliĂšrement dans la maniĂšre dont cette influence continue Ă sâexercer dans une sociĂ©tĂ© sĂ©cularisĂ©e, apparemment dĂ©christianisĂ©e. Ainsi parle-t-on aujourdâhui dâune « sortie de la religion », mais tout dĂ©pend de ce quâon entend par ce terme. Tom Holland nous dit quâen rĂ©alitĂ© le message Ă©vangĂ©lique est toujours prĂ©sent et actif dans la profondeur des mentalitĂ©s. Et, Ă bien y rĂ©flĂ©chir, on mesure les gains accomplis au cours des siĂšcles par rapport aux mĆurs barbares qui prĂ©dominaient dans lâantiquitĂ©. Câest comme si le message chrĂ©tien avait agi comme un levain. Si le monde aujourdâhui est en danger, il y a aussi des atouts dans la crĂ©ativitĂ©Â Â scientifique et technologique et les prises de conscience qui se multiplient : conscience Ă©cologique, mais aussi conscience de la montĂ©e dâune nouvelle donne relationnelle : promotion des femmes, respect des minoritĂ©s, nouveau regard oĂč prend place lâempathie, la bienveillance, le « care »⊠Voici un horizon oĂč on peut lire une prĂ©sence du levain Ă©vangĂ©lique quel que soit soit le dĂ©phasage des institutions. Et, dans une attention et une Ă©coute croyante, ne peut-on y voir lâoeuvre de lâEsprit et regarder ainsi en avant ?
J H
- Tom Holland. Les Chrétiens. Comment ils ont changé le monde. Editions Saint Simon, 2019 . Ce livre a été présenté sur France Culture : https://www.franceculture.fr/emissions/le-tour-du-monde-des-idees/ce-que-lesprit-occidental-doit-au-christianisme Tom Holland a été interviewé en France sur la portée et la pertinence de ce livre :     https://www.youtube.com/watch?v=LMRwkqcl3Lw&feature=emb_logo
- Un accĂšs Ă la pensĂ©e thĂ©ologique de JĂŒrgen Moltmann sur le blog : « lâEsprit qui donne la vie » : https://lire-moltmann.com