par jean | Juin 4, 2021 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Vision et sens |
Une juste expression
Selon Jean Birnbaum
Lorsque lâinsĂ©curitĂ© prĂ©vaut, lorsque lâangoisse qui en rĂ©sulte suscite une agressivitĂ© gĂ©nĂ©ralisĂ©e, lorsque cette agressivitĂ© sâexprime dans une polarisation idĂ©ologique et lâaffrontement de camps opposĂ©s, alors lâexpression libre de la pensĂ©e est menacĂ©e par les pressions sociales, et le dĂ©bat public est lui-mĂȘme handicapĂ©. Dans ce contexte, il importe de rĂ©sister. Câest lâappel lancĂ© par Jean Birnbaum dans un essai : « Le courage de la nuance » (1). « Tout commence par un sentiment dâoppression. Si jâai Ă©crit ce livre, ce nâest pas pour satisfaire un intĂ©rĂȘt thĂ©orique, mais parce que jâen ai Ă©prouvĂ© la nĂ©cessitĂ© interne. Il fallait nommer cette Ă©vidence. Dans les controverses politiques comme dans les discussions entre amis, chacun est dĂ©sormais sommĂ© de rejoindre tel ou tel camp, des arguments sont de plus en plus manichĂ©ens, la polarisation idĂ©ologique annule dâemblĂ©e la possibilitĂ© mĂȘme dâune position nuancĂ©e ». « Nous Ă©touffons parmi les gens qui pensent avoir absolument raison » disait naguĂšre Albert Camus et nous sommes nombreux Ă ressentir la mĂȘme chose aujourdâhui » (p 11).
Jean Birnbaum est en situation dâĂ©mettre un jugement sur la conjoncture du dĂ©bat intellectuel. En effet, depuis 2011, il dirige le Monde des Livres et, lui-mĂȘme, il a Ă©crit deux essais : « Un silence religieux. La gauche face au djihadistes » (2), « La religion des faibles. Ce que le djihadisme dit de nous » dans lesquels il pointe des manques dans la culture actuelle face Ă un Ă©lan religieux extĂ©rieur. Et nous dit-il, Ă deux ans dâintervalle (2016 et 2018), participant, Ă ce sujet, Ă de nombreuses rencontres publiques, avoir observĂ© un changement de climat : « Dans la mĂȘme ville, parfois avec les mĂȘmes personnes, lâatmosphĂšre Ă©tait beaucoup moins ouverte. On pouvait observer une suspicion latente « avec une accusation qui effectue actuellement un grand retour et qui tient en quatre mots : « faire le jeu de » (p 14). « Vieille antienne. A lâĂ©poque du stalinisme dĂ©jĂ , le Ă©crivains qui dĂ©nonçaient le goulag Ă©taient accusĂ©s de faire le jeu du fascisme ».
En Ă©crivant ce livre, Jean Birnbaum se propose donc de nous offrir « Un bref manuel de survie par temps de vitrification idĂ©ologique, pour faire piĂšce Ă la suspicion. Non seulement parce quâil cĂ©lĂšbre la nuance comme libertĂ© critique, comme hardiesse ordinaire, mais aussi parce quâil est nourri par cette conviction que le livre, lâancienne et fragile tradition du livre constitue pour la nuance le plus sĂ»r des refuges » (p 15). Et il Ă©crit un essai, car câest un genre de livre oĂč la puissance de la nuance peut sâĂ©panouir au mieux à « la charniĂšre de la littĂ©rature et de la pensĂ©e » (p 16). Dans cette approche, Jean Birnbaum a eu lâidĂ©e de nous montrer combien on peut sâappuyer sur lâexemple « dâintellectuels et dâĂ©crivains qui illustrent un hĂ©roĂŻsme de la mesure ». Il fait appel à « des figures aimĂ©es auxquelles il revient souvent et dont il est convaincu quâen ce temps pĂ©rilleux, elles peuvent nous aider Ă tenir bon, Ă nous tenir bien » (p 17). Ce sont des personnes courageuses : Albert Camus, Georges Orwell, Hannah Arendt, Raymond Aron, Georges Bernanos, Germaine Tillon ou encore Roland Barthes. Si ces noms nous sont pour la plupart connus, leur parcours ne lâest pas toujours et, avec Jean Birnbaum, il est bon de revisiter leur histoire et dâen apprĂ©cier le sens et la portĂ©e.
Cet essai nâest pas volumineux, mais il est riche et dense. Il appelle une lecture attentive et mĂȘme enthousiaste. Dans notre prĂ©sentation, nous nous bornerons Ă situer ces auteurs dans lâhistoire et, avec Jean Birnbaum, Ă©voquer quelques traits de leurs personnalitĂ©s.
https://youtu.be/o5fu8S1irZY
Le courage de la nuance face aux pressions totalitaires
Si il y a bien aujourdâhui une menace croissante de polarisation idĂ©ologique, la situation aujourdâhui ne nous paraĂźt pas aussi tendue et aussi dangereuse quâelle a pu lâĂȘtre, durant quelques dĂ©cennies au XXĂš siĂšcle, Ă lâĂ©poque oĂč des rĂ©gimes totalitaires sâĂ©taient installĂ©s en Europe et y exerçaient leur pression : Le fascisme, lâhitlĂ©risme et le stalinisme. Les auteurs mis en valeur dans ce livre ont vĂ©cu durant cette pĂ©riode.
Georges Bernanos
La menace fasciste sâest rĂ©vĂ©lĂ©e durant la guerre dâEspagne dans le putsch de lâarmĂ©e contre la RĂ©publique espagnole et la guerre civile qui sâen est suivie. Câest lĂ quâon voit rĂ©agir Georges Bernanos dans son livre : « Les grands cimetiĂšres sous la lune » : « un tĂ©moignage sur la guerre dâEspagne rĂ©digĂ© Ă chaud par le romancier connus pour engagements royalistes et chrĂ©tiens qui nâen proclame pas moins son dĂ©gout pour les crimes du GĂ©nĂ©ral Franco et ses complices en soutane »  (p 36). LâĂ©vĂ©nement est dâautant plus significatif que Georges Bernanos a longtemps Ă©tĂ© un militant dâextrĂȘme-droite. Or, il refuse de ne pas voir les atrocitĂ©s en cours et il intervient pour les dĂ©noncer. « NaguĂšre dĂ©vouĂ© au puissant mouvement monarchiste, Bernanos vient donc briser le consensus chez ses anciens compagnons et plus gĂ©nĂ©ralement chez les soutiens français de Franco » (p 31).
A quoi tient cet engagement ? Georges Bernanos se dit « un homme de foi ». Il refuse le dĂ©ni du mal et voit dans la mĂ©diocritĂ© une rĂ©alitĂ© spirituelle « qui mĂȘle dĂ©sinvolture morale, contentement de soi et furieuse cĂ©cité⊠Il en rĂ©sulte un parti-pris de ne pas voir ce qui crĂšve les yeux » (p 41). Georges Bernanos voit dans lâenfance « une grĂące Ă prĂ©server, un Ă©lan qui se met Ă travers de lâimposture et du fanatisme⊠Nulle naĂŻvetĂ© ici… Sous la lumiĂšre de Bernanos, la nuance est un aveuglement surmonté » (p 44-45).
Georges Orwell
La guerre dâEspagne a Ă©galement mis en Ă©vidence le courage dâun autre Ă©crivain : Georges Orwell. Dans les deux camps, la guerre dâEspagne apparaĂźt Ă beaucoup comme « un combat contre le mal, une lutte finale ». Et dĂšs lors, « la prioritĂ© est de serrer les rangs, et dire la vĂ©ritĂ© devient inopportun, voire criminel si la proclamation de cette vĂ©ritĂ© sert « objectivement les intĂ©rĂȘts de la partie adverse » (p 82). Câest contre ce mĂ©canisme que Georges Orwell sâest Ă©levĂ©Â en affirmant la primautĂ© de lâhumain et de ce quâil appelle « la dĂ©cence ordinaire ». (p 86). « Ce qui fonde toute Ă©mancipation, câest la justesse des idĂ©es, mais surtout la vĂ©ritĂ© des sentiments » (p 87). On comprend pourquoi son grand roman antitotalitaire « 1984 » a pour hĂ©ros un amoureux des mots que le rĂ©gime prive bientĂŽt de la possibilitĂ© non seulement dâĂ©crire, mais de ressentir » (p 87). Et, de mĂȘme quâOrwell sait manifester de la sympathie, il aime la franchise. « Chez lui, ce franc parler se conjugue au doute ; Dire son fait Ă autrui, certes, mais aussi assumer ses propres failles⊠se montrer « fair play ». La meilleure façon dâĂȘtre honnĂȘte, câest de renoncer Ă une illusoire « objectivité »⊠Si « Hommage Ă la Catalogne » est un rĂ©cit bouleversant, câest parce que lâesprit critique et lâironie y annulent dâavance toute vellĂ©itĂ© dogmatique » (p 90). « Refusant de cĂ©der au chantage idĂ©ologiqueâŠ, Orwell nous lĂšgue sa conception de la nuance comme franchise obstinĂ©e. Avec, pour corollaire ce principe si prĂ©cieux : jamais une vĂ©ritĂ© ne devrait ĂȘtre occultĂ©e sous prĂ©texte quâen nommant les choses on risquerait de se mettre Ă dos telle personne importante ou de « faire le jeu » de telle idĂ©ologie funeste » (p 95).
Hannah Arendt
La guerre dâEspagne fut un prĂ©lude Ă lâexpansion de lâAllemagne nazie. La philosophe Hannah Arendt a fui cette domination pour se rĂ©fugier aux Ătats-Unis en 1941. Elle a Ă©prouvĂ© les effets de la « bĂȘtise », ce quâelle dĂ©signe par : « un certain rapport Ă soi, une maniĂšre de coller Ă ses propres prĂ©jugĂ©s jusquâĂ devenir sourd aux vues dâautrui » (p 58). « Pas de pensĂ©e sans dialogue avec les autres et pour commencer avec soi. Avoir une conscience aux aguets, se sentir capable dâentrer dans une dissidence intĂ©rieure, voilĂ le contraire du mal dans sa banalitĂ©Â ; pour Arendt, la pensĂ©e a moins Ă voir avec lâintelligence quâavec le courage. Câest un hĂ©roĂŻsme ordinaire. DâoĂč son insistance sur « le manque dâimagination » dâEichman, lâimpossibilitĂ© qui Ă©tait la sienne de se mettre Ă la place des autres. Aussi « cet hĂ©roĂŻsme de la pensĂ©e se confond-il largement avec le gĂ©nie de lâamitiĂ©. Câest seulement parce que je peux parler avec les autres que je peux parler avec moi-mĂȘme, câest Ă dire penser » (p 59).
Raymond Aron
Le sociologue et philosophe Raymond Aron, lui aussi, a Ă©tĂ© confrontĂ© avec le nazisme. En 1933, nommĂ© Ă un poste dâassistant de philosophie en Allemagne, il dĂ©couvre la montĂ©e hitlĂ©rienne. Câest une Ă©preuve oĂč il va apprendre le caractĂšre prĂ©cieux de la dĂ©mocratie. Et dans cette tourmente, il forge un idĂ©al de luciditĂ©. La luciditĂ© est la « premiĂšre loi de lâesprit », Ă©crit-il dĂšs 1933 dans sa « lettre ouverte dâun jeune français Ă lâAllemagne » (p 73). Et sa ligne de conduite repose sur le « pluralisme culturel ». Face aux emportements, le choix de Raymond Aron est « une Ă©thique intraitable du doute. « En ce sens, si lâon mentionne souvent Kant et Tocqueville comme les principales sources de sa pensĂ©e, on peut dire quâAron fut dâabord un disciple dâAristote, ce grand philosophe de la prudence » (p 76). Ainsi cĂ©lĂšbre-t-il « le suprĂȘme courage de la mesure ». Câest dans cet esprit que Raymond Aron a fait face aux totalitarismes, du fascisme au stalinisme.
Germaine Tillon
Au cours des annĂ©es qui prĂ©cĂšdent la guerre 1939-1945, Germaine Tillon est ethnologue, en recherche en AlgĂ©rie chez les berbĂšres Chaouis (p 105). En 1940, elle choisit la rĂ©sistance et « crĂ©e, avec dâautres, le cĂ©lĂšbre RĂ©seau du MusĂ©e de lâHomme, un des premiers rĂ©seaux de rĂ©sistance en territoire occupé » (p 106). Elle est dĂ©portĂ©e Ă Ravensbruck en 1943. A sa libĂ©ration, elle poursuit son Ćuvre de recherche oĂč elle tient ensemble « enquĂȘte serrĂ©e et expĂ©rience sensible» (p 108). Elle va Ă©crire surtout des « essais », « autrement dit des livres qui avancent Ă tĂątons en assumant leurs propres fragilité » (p 104). Durant la guerre dâAlgĂ©rie, Germaine Tillon se bat, cĂŽtĂ© français pour que cessent les exĂ©cutions capitales, et, en mĂȘme temps, elle dialogue avec un des meneurs algĂ©riens de la lutte armé » (p 111). « Femme de conviction, elle prĂ©servait cependant comme un trĂ©sor fragile la nĂ©cessitĂ© de ne jamais leur sacrifier la vĂ©ritĂ© et la possibilitĂ© de nouer des liens authentiques avec des gens aux idĂ©es diffĂ©rentes, voire opposĂ©es » (p 111).
Albert Camus
Albert Camus est lui aussi interpellĂ© par la guerre dâAlgĂ©rie puisquâil est originaire de ce pays. « NĂ© en AlgĂ©rie au sein dâune famille modeste, trĂšs tĂŽt orphelin de pĂšre, Ă©levĂ© par une grand-mĂšre pĂ©nible et une mĂšre illettrĂ©e, lâauteur de « La Peste » a Ă©tĂ© atteint par la tuberculose alors quâil nâavait que 17 ans » (p 24). Câest une dure Ă©preuve. Ce fut une expĂ©rience subie, mais « sa patience nâen demeura pas moins active ». Contre les rigiditĂ©s « dâun rationalisme sans nuance, elle nourrit des engagements ancrĂ©s dans la vie sensible. Ainsi, on ne comprend rien aux positions de Camus sur la guerre dâAlgĂ©rie si on nâa pas en tĂȘte le lien si charnel qui a uni ce fils de pied noirs aux ĂȘtres et aux paysages de ce pays. Au moment de la guerre dâAlgĂ©rie, il formule lâimpossible rĂȘve dâune formule « fĂ©dĂ©rale », qui aurait permis Ă la fois la fin du systĂšme colonial et lâinvention dâun nouveau « vivre ensemble », mais cela ne lâa pas empĂȘchĂ© de dĂ©fendre trĂšs tĂŽt les nationalistes algĂ©riens et leur lutte contre la puissance française, ses lois dâexception et ses « codes inhumains » (p 25). Inscrit au parti communiste dans sa premiĂšre jeunesse, Camus en a Ă©tĂ© banni. Il formule Ă son Ă©gard deux griefs quâil « relancera plus tard au fil des annĂ©es, en direction des intellectuels « progressistes » : dâune part, la prĂ©tention Ă faire entre la rĂ©alitĂ© sociale dans un carcan thĂ©orique, dâautre part, le refus dâadmettre quâun adversaire politique peut avoir raison » (p 26)⊠« ManichĂ©isme politique et mensonge existentiel sont insĂ©parables. La langue de bois est secrĂ©tĂ©e par un cĆur en toc » (p 26).
Albert Camus a suivi un sentier Ă©troit, mais juste. « Comment concilier indignation et luciditĂ©Â ? Un ĂȘtre humain peut-il donner libre cours Ă son « goĂ»t pour la justice » et, en mĂȘme temps, « tenir les yeux ouverts ? » (p 26). « Il y a un courage des limites, une radicalitĂ© de la mesure » (p 27).
Roland BarthesÂ
Jean Birnbaum adjoint à cet ensemble de portraits, Roland Barthes, philosophe, critique littéraire et sémiologue.
« Barthes sâest fixĂ© cette tĂąche impossible, non seulement prendre soin des mots, mais encore ne jamais laisser le langage se figer, toujours le maintenir dans cet Ă©tat de rĂ©volution permanente quâon appelle littĂ©rature » (p 118). Roland Barthes distingue une « parole ouverte » en terme de souffle et une « parole fermĂ©e », hermĂ©tique, comme un bloc de clichĂ©s, ce quâil appelle la « brique » (p 119). Lors dâun voyage dans la Chine MaoĂŻste, Roland Barthes saisit « la tyrannie des stĂ©rĂ©otypes » (p 121) et il Ă©touffe. A partir des annĂ©es 1970, « le sĂ©miologue fait de la nuance un souci constant et une mĂ©thode active. Je veux vivre selon la nuance », proclame-t-il » (p 122). Ainsi, « maitresse des nuances, la littĂ©rature est une permanente remise en question, une parade face aux dogmatismes » (p 122). Roland Barthes sâĂ©tablit dans le « refus du surplomb », le « refus de lâarrogance ».
Des attitudes communes
Si le contexte dâune mĂȘme Ă©poque est un dĂ©nominateur commun entre les personnalitĂ©s Ă©voquĂ©es dans ce livre, Jean Birnbaum voit chez eux des attitudes voisines. Et il Ă©voque cette perception dans de courts chapitres intermĂ©diaires, des « interludes ». Les titres en sont parlants : « Des mots libres pour des hommes libres » ; « Il faut parler franc » ; « La blague est quelque chose dâessentiel » ; « Vous avez dit : « faire le jeu de » ; « Lâinconnu, câest encore et toujours notre Ăąme » ; « La littĂ©rature, maitresse des nuances ». On reconnaitra lĂ les remarques de lâauteur Ă propos des personnalitĂ©s Ă©voquĂ©es dans ce livre. Jean Birnbaum les a choisis dans une communautĂ© dâattitudes et de dĂ©marches : « Les hommes et les femmes que jâai voulu rĂ©unir dans ce livre, ne savaient pas oĂč se mettre. Ils Ă©taient trop nuancĂ©s pour sâaligner sur des slogans. Trop libres pour supporter la discipline dâun parti. Trop sincĂšres pour renoncer Ă la franchise. Trop mobiles pour obĂ©ir Ă une politique de frontiĂšresâŠÂ » (p 129). Ces diverses figures « sâinscrivent dans une mĂȘme constellation de sensibilitĂ© et de vigilance », ce que Hannah Arendt nommait « une tradition cachĂ©e » (p 130). Alors, nous dit Jean Birnbaum, « Jâai voulu⊠entendre cette petite troupe dâesprits hardis, dĂ©livrĂ©s de tout fanatisme, qui ont acceptĂ© de vivre dans la contradiction, et prĂ©fĂ©rĂ© rĂ©flĂ©chir que haĂŻr » (p 137).
« Toute personne a droit Ă la libertĂ© de pensĂ©e, de conscience et de religion » affirme la dĂ©claration universelle des droits de lâhomme dans son article 18 et lâarticle 19 ajoute : « Tout individu a droit Ă la libertĂ© dâopinion et dâexpression » (3). Malheureusement, il y a encore certains Ă©tats oĂč ces libertĂ©s sont bafouĂ©es. Il y faut du courage pour penser, câest Ă dire penser librement. Cependant la menace vis Ă vis de lâexercice de la pensĂ©e ne vient pas seulement des pouvoirs politiques dictatoriaux. Dâune façon plus subtile, elle peut aussi sâexercer Ă partir de pressions sociales et idĂ©ologiques dans une imitation servile. Des modĂšles sâimposent en terme dâoppositions simplistes, dâune pensĂ©e en blanc et noir. Ici, le courage de penser, câest aussi le « courage de la nuance » pour reprendre le beau titre du livre de Jean Birnbaum. Les exemples vivants quâil nous apporte en ce sens viennent nous accompagner et nous encourager.
J H
- Jean Birnbaum. Le courage de la nuance. Seuil, 2021 Interview vidĂ©o de lâauteur : https://www.youtube.com/watch?v=o5fu8S1irZY
- Un silence religieux : https://vivreetesperer.com/un-silence-religieux/
- LibertĂ© de penser. LibertĂ© dâexpression : http://www.francas40.fr/var/francas/storage/original/application/93286c030c46cedd732730e0917a7c13
par jean | Déc 31, 2011 | ARTICLES, Expérience de vie et relation |
Nouvel An. Un commencement⊠Comment est ce que nous considĂ©rons lâavenir ? On sait que les reprĂ©sentations de lâavenir varient selon les religions, les civilisations. Notre reprĂ©sentation de lâhistoire est inspirĂ©e, implicitement ou explicitement par le message que nous avons reçu Ă travers la Bible, une foi en la promesse de Dieu qui nous met en mouvement Ă lâexemple dâAbraham ou du peuple juif sortant dâEgypte pour une nouvelle destinĂ©e. Et pour les chrĂ©tiens, entendre que Christ est ressuscitĂ© dâentre les morts et que la puissance de Dieu est Ă lâĆuvre, dĂšs maintenant, pour accomplir la rĂ©surrection des morts et la libĂ©ration de lâhumanitĂ© et de la nature, nous parle « dans un mĂȘme mouvement du fondement de lâavenir et de la pratique de la libĂ©ration des hommes et de la rĂ©demption du monde » (JĂŒrgen Moltmann, JĂ©sus, le Messie de Dieu (Cerf), p. 328). Câest le fondement dâune thĂ©ologie de lâespĂ©rance. Câest une inspiration pour notre sociĂ©tĂ© en ce temps de crise oĂč les menaces abondent, et aussi, pour nous personnellement dans un chemin oĂč se mĂȘlent les joies et les Ă©preuves et oĂč parfois on ne voit plus clair.
A un moment oĂč on prend de plus en plus conscience des interrelations entre lâhumanitĂ© et la nature dans laquelle elle sâinscrit, un exemple issu du monde animal vient nous apporter un Ă©clairage qui fonctionne comme une parabole.
Le magnifique film sorti en 2001 : « Le peuple migrateur » est prĂ©sent dans nos mĂ©moires ⊠et aujourdâhui accessible sur internet :
http://www.youtube.com/watch?v=ks_nLiTSvb4
Et, sur le site Flickr, on trouve des photos parfois impressionnantes dâoiseaux en migration. En voyant les images des oies sauvages en vol pour Ă©chapper au froid de lâArctique et gagner les pays du soleil, comment ne pas admirer lâinstinct qui les conduit. On est saisi par la beautĂ© de ces crĂ©atures. Et lorsquâon sait quâun vol dâoies sauvages est aussi une expĂ©rience collective oĂč une solidaritĂ© se manifeste, nâest-ce pas pour nous une source dâinspiration, la mĂ©taphore dâun mouvement oĂč la foi sâexercerait dans la communion. Ainsi, en ce Nouvel an, une superbe photo de ces oies en vol nous interpelle :
http://www.flickr.com/photos/warmphoto/6320042255/lightbox/
Elle nous suggĂšre foi, courage, solidaritĂ©. Nâaspirons-nous pas aussi Ă faire route les uns avec les autres comme beaucoup dâhommes dĂ©jĂ engagĂ©s sur ce chemin ?
JH
par jean | Déc 10, 2013 | ARTICLES, Beauté et émerveillement, Expérience de vie et relation, Hstoires et projets de vie, Société et culture en mouvement |
Au Paraguay, des jeunes forment un orchestre Ă partir dâinstruments fabriquĂ©s Ă partir de dĂ©chets.
Quel contraste ! Dans une banlieue dâAsuncion, la capitale du Paraguay, au bidonville de Cateura, un lieu envahi de dĂ©tritus qui y sont rejetĂ©s, un orchestre formĂ© par des jeunes est nĂ©. Câest le « Landfill Harmonic ». Le processus de dĂ©gradation a Ă©tĂ© retournĂ©. Une vidĂ©o (1) retrace pour nous une histoire Ă©mouvante de la maniĂšre dont des instruments de musique ont Ă©tĂ© fabriquĂ©s Ă partir du recyclage de dĂ©chets apportant ainsi une espĂ©rance Ă des enfants, Ă des jeunes dont lâavenir auraient Ă©tĂ©, sans cela dĂ©pourvu de sens. Quel Ă©lan de vie ! « Le monde nous envoie des ordures. Nous lui renvoyons de la musique ».
Cette expĂ©rience a commencĂ©, il y a cinq ans. Favio Chavez, musicien, joueur de clarinette et de guitare, avait commencĂ© Ă dĂ©velopper un petit orchestre dans un autre lieu. Câest alors quâil trouve un nouvel emploi Ă Cateura : un travail dâanimateur dans une association environnementale en vue dâapprendre aux ramasseurs de dĂ©tritus (« garbage collectors ») Ă se protĂ©ger eux-mĂȘmes. Favio Chavez reprend alors son activitĂ© dâanimation musicale auprĂšs des jeunes. Mais pour cela, il a besoin dâinstruments de musique. Favio Chavez en parle Ă un ramasseur de dĂ©tritus, Nicolas Gomez, qui dĂ©couvre dans la dĂ©charge un ancien tambour, puis le rĂ©pare. De fil en aiguille, comme il a Ă©tĂ© charpentier, il se met Ă lâouvrage et fabrique une guitare Ă partir de matĂ©riaux trouvĂ©s dans la dĂ©charge. BientĂŽt, dâautres instruments vont apparaĂźtre. Alors, Favio Chavez peut crĂ©er un orchestre formĂ© par des jeunes qui vont commencer Ă jouer de la musique de grande qualitĂ©, de Beethoven et Mozart Ă Henry Mancini et les Beattles.
Et lâorchestre « Lanfill Harmonic » part maintenant en tournĂ©e dans dâautres pays dâAmĂ©rique Latine. Aujourdâhui, sa prestation est connue bien au delĂ , notamment aux Etats-Unis comme en tĂ©moignent les articles de presse paru sur un site qui soutient cette remarquable initiative et la prĂ©paration dâun film Ă son sujet (2), et le visionnement de la vidĂ©o sur You Tube et Vimeo par plus dâun million dâinternautes.
Combien lâenthousiasme manifestĂ© par les jeunes sur la vidĂ©o est capable des nous Ă©mouvoir. « Quand jâentend le son dâun violon, je sens comme des papillons qui sâenvolent en moi. Câest un sentiment que je ne peux expliquer », dĂ©clare une jeune adolescente. « Sans la musique, ma vie serait sans valeur », nous dit une autre. Cette initiative ne change pas seulement la vie de ces jeunes. Elle transforme Ă©galement, par osmose, la vie de leur famille, la vie de la communautĂ© locale. Ainsi, a-t-on pu voir tel parent renoncer Ă la drogue ou tel autre reprendre des Ă©tudes.
Ici, lâharmonie nâest pas seulement un effet de la musique. Câest aussi une harmonie entre les cĆurs. Sympathie, Ă©merveillement : une Ćuvre de lâEsprit.
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J H
(1)           Landfill Harmonic : la vidĂ©o prĂ©sentant cette initiative : http://www.youtube.com/watch?v=fXynrsrTKbI « Landfill » peut ĂȘtre traduit en français par : dĂ©charge publique. Les ramasseurs de dĂ©tritus (« garbage collectors ») travaillent pour une rĂ©utilisation, un recyclage des ordures. Lâorchestre : « Landfill Harmonic » a pu ĂȘtre appelĂ© lâorchestre du recyclage.
(2)        Sur le site : Kickstarter, qui soutient, entre autres, cette initiative et la prĂ©paration dâun film Ă son sujet, une vaste information sur « landfill harmonic », notamment Ă travers un renvoi Ă Â des articles de presse : http://www.kickstarter.com/projects/405192963/landfill-harmonic-inspiring-dreams-one-note-at-a-t
par jean | Oct 3, 2022 | ARTICLES, Société et culture en mouvement |
La grande expérience
Selon Yascha Mounk
Nous vivons dans un rĂ©gime dĂ©mocratique, certes imparfait, mais qui nous assure des bĂ©nĂ©fices inestimables, une participation Ă lâautoritĂ© politique, Ă la puissance publique Ă travers des Ă©lections libres, une garantie des droits fondamentaux tels quâils ont Ă©tĂ© proclamĂ©s par la DĂ©claration des droits de lâhomme et du citoyen Ă travers un Ă©tat de droit. Bref, si il y a des frustrations, il y aussi un espace oĂč nous pouvons nous mouvoir pour susciter des changements et des amĂ©liorations. Nous vivons dans une rĂ©publique qui dĂ©pend de lâexpression de chacun et est, en principe, lâaffaire de tous. Mais avons-nous conscience de ce privilĂšge ?
Cependant, la propagation dâune agitation Ă consonance autoritaire, se parant dâune rĂ©fĂ©rence au peuple, les divers populismes qui se sont rĂ©pandus dans les derniĂšres annĂ©es sous des formes variĂ©es viennent nous interpeller et sonner lâalarme. En regard, il importe de comprendre le phĂ©nomĂšne avec lâaide des sciences sociales. Ainsi, en 2018, un chercheur en sciences politiques Yascha Mounk a Ă©crit un livre : « Le peuple contre la dĂ©mocratie » (1).
Pourquoi des mouvements populistes en viennent-ils Ă mettre en cause le bon fonctionnement des institutions dĂ©mocratiques ? On peut en distinguer quelques raisons comme la stagnation du niveau de vie depuis les annĂ©es 1980, lâarrivĂ©e des migrants qui compromettent lâentre-soi national, ou bien lâemballement de la communication Ă travers les rĂ©seaux. Cependant, un des plus grands dangers est la montĂ©e dâun sentiment nationaliste et xĂ©nophobe dans une part de population qui se sent abandonnĂ©e, privĂ©e de son privilĂšge national et sans espoir de promotion. Dans beaucoup de pays, en regard de la diversification de la population, on peut effectivement observer des phĂ©nomĂšnes de rejet et une montĂ©e des tensions et des conflits. Le pouvoir politique devient alors un enjeu. Des forces contraires veulent se lâapproprier pour neutraliser lâadversaire. Le dĂ©bat politique, et tout ce quâil implique et requiert : respect et comprĂ©hension, est alors compromis.
Or, effectivement, dans de nombreux pays occidentaux, de lâAngleterre Ă la SuĂšde, de la France Ă lâAllemagne, une forte immigration est intervenue et la composition de la population a fortement changĂ©. Aux Etats-Unis, si la diversitĂ© est constitutive, la diversification se poursuit autrement, avec une correction relative, mais positive des rapports de domination traditionnels. Comment les transformations dĂ©mographiques en cours vont-elles modifier la vie politique ? Lâenjeu est la rĂ©alisation dâune dĂ©mocratie multiethnique. Chercheur en sciences politiques, dâorigine allemande et aujourdâhui installĂ© aux Ătats-Unis, Yascha Mounk a intitulĂ© son dernier livre : « la grande expĂ©rience » (2). Les dĂ©mocraties occidentales vont-elles parvenir Ă un nouveau stade, celui dâune dĂ©mocratie multiethnique ? Et comment ?
Yascha Mounk est bien qualifiĂ© pour aborder cette question. Car lui-mĂȘme a grandi dans une famille polonaise, juive de confession, immigrĂ©e en Allemagne. Par expĂ©rience, il est sensible aux relations interculturelles. Yascha Mounk a fait ses Ă©tudes universitaires en Angleterre Ă Cambridge, puis il est devenu chercheur aux Etats-Unis. Il est maintenant professeur de politique internationale Ă lâUniversitĂ© John Hopkins. Il Ă©crit dans de nombreuses revues et sâexprime dans de nombreuse confĂ©rences.
La transformation des sociétés et la question démocratique
 Yascha Mounk part dâabord dâun constat. Câest la diversification considĂ©rable de la population des dĂ©mocraties au cours des derniĂšres dĂ©cennies. « A la fin de la seconde guerre mondiale au Royaume-Uni, moins dâune personne sur vingt-cinq Ă©tait nĂ©e Ă lâĂ©tranger. Aujourdâhui, câest une personne sur sept. Il y a quelques dĂ©cennies de cela, la SuĂšde Ă©tait lâun des pays les plus homogĂšnes du monde. Aujourdâhui, un habitant sur cinq a des origines Ă©trangĂšres » (p 16). La France et lâAllemagne vont dans le mĂȘme sens. La diffĂ©rence des europĂ©ens, le Canada et les Etats-Unis se sont pensĂ©s comme des nations dâimmigrĂ©s dĂšs leur conception. « Et pourtant, Ă leur maniĂšre, les deux grandes dĂ©mocraties du Nouveau Monde ont Ă©tĂ© profondĂ©ment excluantes durant la majeure partie de leur existence » (p 17). Aux Etats-Unis, la jeune rĂ©publique a composĂ© avec lâesclavage et refusĂ© aux noirs les droits les plus Ă©lĂ©mentaires. Lâabolition de lâesclavage en 1865 a marquĂ© un grand tournant, mais les discriminations affectant les afro-amĂ©ricains sont revenus ensuite. Elles sâeffritent aujourdâhui.
Dans ces diffĂ©rents pays oĂč sâopĂšre la transformation dĂ©mographique, des tensions sont apparues et affectent la vie dĂ©mocratique.
Yascha Mounk sâinterroge Ă partir de lâhistoire. La dĂ©mocratie multiethnique ne va pas de soi. Ainsi, dans le passĂ©, « les citoyens des dĂ©mocraties les plus respectĂ©es du monde ont portĂ© leur puretĂ© ethnique en Ă©tendard. DâAthĂšnes Ă Rome, de Venise Ă GenĂšve, les tentatives prĂ©-modernes dâauto-gouvernance ont toutes Ă©tĂ© restreintes au groupe ethnique concerné » (p 14). A contrario, on a pu observer la rĂ©ussite de sociĂ©tĂ©s multiethniques au sein dâempires oĂč le pouvoir Ă©chappait Ă toute compĂ©tition entre des groupes. Ainsi, lâĂ©largissement des dĂ©mocraties rencontre des obstacles. Pour que la grande transformation sâeffectue, « le rĂ©cit quâelles se font dâelles-mĂȘmes, leur roman national, repose encore trop sur la fiction de leur homogĂ©nĂ©ité » (p 19). Lâhistoire dâune domination brutale exerce toujours son ombre dans telle sociĂ©tĂ© marquĂ©e par lâesclavage. Dans de nombreuses sociĂ©tĂ©s apparait un risque de fragmentation culturelle. « Certains groupes dâimmigrĂ©s forment aujourdâhui une classe socio-Ă©conomique dĂ©favorisĂ©e » (p 20). En regard des faits, Yascha Mounk observe une « ascension des pessimistes », mais son analyse porte rĂ©ponse au « besoin dâoptimisme » (p 22-34).
Avancer vers une dĂ©mocratie multiethnique, câest possible
Le terme de « dĂ©mocratie multiethnique » peut donner lieu Ă des malentendus. En fait, lâampleur est plus vaste. Dâautres qualificatifs lâaccompagnent : dĂ©mocratie multiculturelle et multiconfessionnelle. (p 11). LâĂ©volution vers cette nouvelle forme de dĂ©mocratie est une traversĂ©e semĂ©e dâembuches, mais cette « grande expĂ©rience » nâest pas vouĂ©e Ă lâĂ©chec. Elle est possible et dâautant plus possible quâon en perçoit les diffĂ©rents aspects et quâon croit Ă sa rĂ©ussite. « Si nous voulons que la âgrande expĂ©rienceâ rĂ©ussisse, il nous faudra dĂ©velopper une vision optimiste » (p 27). Le livre aborde les diffĂ©rents aspects de la question en trois parties : Quand les sociĂ©tĂ©s multiethniques tournent mal ; de lâavenir souhaitable des dĂ©mocraties multiethniques ; comment les dĂ©mocraties multiethniques pourraient-elles sâĂ©panouir ?
De fait, des recherches sur lâintĂ©gration en Europe montrent quâĂ moyen terme, lâintĂ©gration en pays dâaccueil se rĂ©alise. « LâintĂ©gration linguistique aussi bien que culturelle paraĂźt plus lente en Europe quâen AmĂ©rique du Nord, mais les tendances sont les mĂȘmes. Il existe bien quelques exemples dâimmigrĂ©s de deuxiĂšme ou mĂȘme de troisiĂšme gĂ©nĂ©ration parlant mal la langue locale, mais, en gĂ©nĂ©ral, les enfants nĂ©s en Italie, en France, en SuĂšde ou en GrĂšce la parlent avec beaucoup plus de facilitĂ© que la langue de leurs ancĂȘtres » (p 254).
Mais quâen est-il du gouffre Ă©conomique qui sĂ©pare encore la majoritĂ© historiquement dominante et les groupes minoritaires ? En fait, lĂ aussi, il faut du temps selon les gĂ©nĂ©rations. « Ceux qui sont curieux de lâĂ©tat actuel de nos dĂ©mocraties multiethniques feraient bien de regarder les statistiques sur le parcours dâimmigrĂ©s de trĂšs longue date afin de dĂ©terminer si leurs conditions de vie sâamĂ©liorent » (p 260). Et, dans lâensemble, les conclusions sont positives. « Ainsi, aux Etats-Unis, les immigrĂ©s sâen sont trĂšs bien sortis, augmentant rapidement leurs revenus dâune gĂ©nĂ©ration Ă la suivante. Par ailleurs, la vitesse de cette progression dĂ©pend Ă peine de leur pays dâorigine. Les enfants dâimmigrĂ©s de presque tous les pays dâorigine amĂ©liorent plus rapidement leurs conditions Ă©conomiques que les enfants de parents nĂ©s aux Ătats-Unis» (p 261).
Par ailleurs, Ă partir de diffĂ©rentes recherches, lâauteur tempĂšre nos inquiĂ©tudes concernant une insĂ©curitĂ© potentielle. « La plupart des immigrĂ©s partagent les valeurs de leur sociĂ©tĂ© dâaccueil » (p 270). Si la menace terroriste est redoutable, elle nâa quâune petite minoritĂ© pour origine.
« La dĂ©mographie nâest pas un destin ». Lâauteur prend en exemple les Etats-Unis. Une partie de la population blanche redoute de devenir une minoritĂ© brimĂ©e Ă lâavenir. Mais il y a de grandes diffĂ©rences dans lâĂ©volution des groupes en croissance : les latinos, les asiatiques amĂ©ricains et les mĂ©tis. Lâauteur montre par exemple le caractĂšre spĂ©cifique de la rĂ©ussite intellectuelle des asiatiques amĂ©ricains. « Les asiatique amĂ©ricains ne reprĂ©sentent quâun dixiĂšme de la population des Etats-Unis, mais un quart des Ă©lĂšves qui rentrent Ă lâUniversitĂ© Harvard. A lâUniversitĂ© Berkeley, presque la moitiĂ© des Ă©tudiants amĂ©ricains entrĂ©s en 2020 Ă©taient des asiatiques amĂ©ricains ». La rĂ©ussite Ă©conomique va de pair (p 288). Lâauteur montre Ă©galement un dĂ©veloppement rapide du groupe des mĂ©tis. Il y a quelques dĂ©cennies, le mĂ©tissage rencontrait beaucoup dâhostilitĂ©. En 1980, seuls 3% des nouveau-nĂ©s Ă©taient mĂ©tis. A la fin des annĂ©es 2010, un enfant sur sept Ă©tait mĂ©tis (p 284). Ainsi, les trajectoires de ces groupes sont diffĂ©rentes. Elles permettent une Ă©volution des attitudes politiques. Elles vont Ă lâencontre dâune fatale confrontation entre « blancs » et « gens de couleur ».
Yascha Mounk estime que lâexemple amĂ©ricain est instructif et que les tendances qui y sont observĂ©es peuvent lâĂȘtre Ă©galement dans dâautres pays. « Des groupes qui nous semblent aujourdâhui soudĂ©s se fractureront sans prĂ©venir. La dĂ©mographie nâest pas un destin. Les habitants des dĂ©mocraties multiethniques, dans leur grande diversitĂ©, sont embarquĂ©s sur le mĂȘme bateau. Ceux dâentre nous qui pensons que la grande expĂ©rience peut rĂ©ussir, devons remplir une tĂąche clĂ© dans les dĂ©cennies Ă venir : nous battre pour un avenir dans lequel le plus de personnes possibles se penseront non comme les membres de tribus mutuellement hostiles, mais comme citoyennes de dĂ©mocraties multiethniques fiĂšres et optimistes » (p 304). Yascha Mounk , conscient des dangers du nationalisme, prĂ©conise en regard un patriotisme civique, inclusif et capable de rassembler les divers composantes de la population.
Dans quelle mesure les politiques publiques peuvent-elles aider à hùter cet avenir ?
Quelles politiques mettre en Ćuvre ?
Dans ce livre, Yascha Mounk ne se contente pas de proposer des analyses et des diagnostics ; en fin de parcours, il esquisse des orientations. « Quelles politiques publiques (aussi modestes soient-elles) pourraient contribuer à la réussite des démocraties multiethniques ? ».
Il importe dâabord dâidentifier les obstacles majeurs.
« Dâabord, de nombreuses personnes nâont connu quasiment aucun progrĂšs dans leurs conditions de vie ces derniĂšres annĂ©es. Elles sâinquiĂštent mĂȘme dâune future dĂ©gradation. Comme lâa montrĂ© une Ă©tude sociologique, cela les rend beaucoup plus enclines Ă regarder avec peur ou dĂ©dain les membres des autres groupes dĂ©mographiques.
DeuxiĂšmement, certains groupes ethniques ou religieux subissent encore des conditions socio-Ă©conomiques dĂ©gradĂ©esâŠ
TroisiĂšmement, les institutions des dĂ©mocraties multiethniques peinent aujourdâhui Ă prendre des dĂ©cisions efficaces. Elles sont insuffisamment rĂ©actives aux yeux de lâopinion ou elles excluent des minoritĂ©s des processus de dĂ©cision. En consĂ©quence, les citoyens nâont plus le sentiment dâĂȘtre maitres de leur destin collectif, ce qui augmente le risque de tensions intergroupes.
Enfin, la polarisation croissant empĂȘche les citoyens des dĂ©mocraties multiethniques de considĂ©rer leurs opposants politiques avec bienveillanceâŠÂ » (p 307-308).
DĂšs lors, Yascha Mounk propose quelques orientations politiques majeures.
« Les dĂ©mocraties doivent offrir Ă leurs citoyens une âprospĂ©ritĂ© garantieâ : encourager la croissance Ă©conomique et sâassurer que ses gains finiront dans la poche des citoyens ordinaires. Elles doivent accentuer encore la âsolidaritĂ© universelleâ : construire un Ătat-providence gĂ©nĂ©reux qui Ă©vitera la course Ă Ă©chalote entre groupes ethniques » (les avantages accordĂ©s Ă certains groupes peuvent susciter la jalousie et finalement sâavĂ©rer contre-productifs). Elles doivent bĂątir des institutions efficaces et inclusives : donner Ă chaque citoyen le sentiment que ses prĂ©fĂ©rences seront prises en compte. Enfin, elles doivent fonder une culture de respect mutuelâŠÂ » (p 308).
Traduit de lâanglais, trĂšs fondĂ© sociologiquement, comme en tĂ©moigne une annexe volumineuse de notes bibliographiques, ce livre se lit agrĂ©ablement en couvrant une question majeure puisquâil sâagit de lâavenir des dĂ©mocraties multiethniques Ă lâĂ©chelle internationale. Et, en France, nous sommes directement concernĂ©s. Nous dĂ©couvrons dans ce livre la pensĂ©e Ă©clairante dâun chercheur engagĂ© dans lâĂ©tude de problĂšmes politiques majeurs.
J H
- Yascha Mounk. Le peuple contre la dĂ©mocratie. LâObservatoire, 2018
- Yascha Mounk. La grande expĂ©rience. La dĂ©mocratie Ă lâĂ©preuve de la diversitĂ©. LâObservatoire, 2022
Interview de lâauteur https://www.youtube.com/watch?v=3aLoeIWTTUk
https://www.youtube.com/watch?v=lqhxrUdUiPU
par jean | Avr 12, 2023 | Emergence Ă©cologique |
« Quand le loup habitera avec lâagneau »
Selon Vinciane Despret
Dans le contexte de la mutation actuelle qui ramĂšne lâhumanitĂ© au sein de la nature, des reprĂ©sentations humaines changent en profondeur. Ce changement de reprĂ©sentations, entre autres des femmes, des enfants, et, plus rĂ©cemment, des animaux, traduit, Ă lâencontre des malheurs du siĂšcle, une Ă©volution en profondeur de la conscience humaine. Aujourdâhui, on constate un changement spectaculaire de la reprĂ©sentation des animaux. Vinciane Despret, Ă la fois philosophe et Ă©thologiste, nous propose un rĂ©cit engagĂ© qui vient nous surprendre et nous Ă©tonner au sens le plus fort. DĂ©jĂ auteur de livres pionniers sur ce sujet, elle nous offre une vision dâensemble dans son ouvrage le plus rĂ©cent : « Le loup habitera avec lâagneau » (1).
Certes, il est difficile de rendre compte dâune pensĂ©e qui est particuliĂšrement subtile et mouvante, examinant telle proposition et son contraire, et refusant de sâarrĂȘter Ă telle hypothĂšse pour en tester dâautres Ă la recherche dâun juste milieu. Cependant, cette intelligence attire, et, Ă sa suite, nous y voyons plus clair sur les mĂ©andres de la recherche en ce domaine et la maniĂšre dont elle sort aujourdâhui des schĂ©mas idĂ©ologiques du darwinisme social et du behaviorisme. DĂ©pourvue dâexpertise en ce domaine, cette prĂ©sentation a seulement pour but dâattirer notre attention sur un changement majeur dans notre maniĂšre de considĂ©rer les animaux, et par suite les rapports entre le monde animal et le monde humain. Tout commence par un constat amplement rapportĂ© sur la page de couverture :
« Les animaux ont bien changĂ© au cours des derniĂšres annĂ©es. Les babouins mĂąles qui semblaient tellement prĂ©occupĂ©s de hiĂ©rarchie et de compĂ©tition nous disent Ă prĂ©sent que leur sociĂ©tĂ© sâorganise autour de lâamitiĂ© avec les femelles. Les corbeaux qui avaient si mauvaise rĂ©putation nous apprennent que quand lâun dâeux trouve sa nourriture, il en appelle Ă dâautres pour la partager. Les moutons, dont on pensait quâils Ă©taient si moutonniers, nâont aujourdâhui plus rien Ă envier aux chimpanzĂ©s du point de vue de leur intelligence sociale. Et, nombre dâanimaux qui refusaient de parler dans les laboratoires behavioristes se sont mis Ă entretenir de vĂ©ritables conversations avec leurs scientifiques. Ces animaux ont Ă©tĂ© capables de transformer les chercheurs pour quâils deviennent plus intelligents et apprennent Ă leur poser enfin de bonnes questions. Et ces nouvelles questions ont, Ă leur tour, transformĂ© les animaux ». Ainsi le changement de reprĂ©sentation des animaux intervient au carrefour du changement de mentalitĂ©s des humains emportĂ©s dans une vision nouvelle et qui se dĂ©partissent de leur Ă©gocentrisme et de leur esprit dominateur, et par suite des projections en ce sens sur les animaux, de fait manipulĂ©s, et de la reconnaissance dâune forme de crĂ©ativitĂ© animale qui peut ĂȘtre encouragĂ©e par des attitudes nouvelles de la part des humains.
Autour des origines de lâhomme
LâhumanitĂ© sâinscrit dans le continuum du vivant et donc dans un rapport avec la vie animale. Elle en dĂ©rive selon la thĂ©orie de lâĂ©volution Ă©laborĂ©e par Darwin au XIXe siĂšcle. Mais alors, on sâest interrogĂ© sur lâorigine de lâhomme. « Les occidentaux vont chercher dans la nature celui qui sera leur ancĂȘtre. Le primate non humain en sera lâĂ©lu » ( p 39). Lâauteure examine comment Darwin a choisi cette option. Son projet a Ă©tĂ© de « repĂ©rer les Ă©lĂ©ments qui plaident pour la continuitĂ© des formes du vivant, pour en retracer lâhistoire. Il faut trouver des similitudes et des diffĂ©rences qui permettent de retracer notre histoire selon un ordre cohĂ©rent avec lâidĂ©e de progrĂšs. Il faut donc montrer que le singe qui deviendra le singe des origines nous ressemble suffisamment sous certains aspects, pour tĂ©moigner de la filiation. Or le singe nâest pas le seul en cause dans cette histoire de lâorigine. Le sauvage est lui aussi convoquĂ© Ă tĂ©moigner⊠Il doit se situer entre le primate et lâhomme civilisĂ©. Le primitif doit tĂ©moigner de son progrĂšs par rapport au premier (le singe), et du progrĂšs du second (lâhumain) par rapport Ă lui-mĂȘme » (p 45). Or, dans la culture Ă laquelle appartient Darwin, le sauvage de cette Ă©poque est mal famĂ©. Darwin sâest tournĂ© alors vers les primates. Et il perçoit chez eux une vertu : « la rĂ©gulation de la sexualitĂ© – dont la jalousie du mĂąle devient la garantie » (p 49). Si dâautres reprĂ©sentations de lâanimal Ă©taient prĂ©sentes dans cette culture, Darwin, aprĂšs avoir beaucoup hĂ©sitĂ©, a choisi « un animal de conflit, de compĂ©tition, de guerre et de jalousie » (p 51). « On pourrait dire que ce mĂąle belliqueux mobilisĂ© par une compĂ©tition sans fin autour des femelles est sans doute tout Ă fait dans la logique de la thĂ©orie darwinienne, puisque la sĂ©lection est fondĂ©e sur la compĂ©tition des individus » (p 44).
Au XXe siĂšcle, ce modĂšle de la dominance des mĂąles a encore polarisĂ© lâattention des primatologues dans leurs recherches. Mais depuis quelques dĂ©cennies, cette approche dominante a Ă©tĂ© battue en brĂšche, notamment Ă travers lâengagement de femmes primatologues. A cet Ă©gard, le rĂŽle de Jane Goodhall fut emblĂ©matique (2). Une toute autre conception de la vie sociale des primates est apparue.
Sur un autre registre, rappelons que Freud sâest inspirĂ© de la conception darwinienne des origines humaines. « Câest autour dâun extrait de Darwin que la proposition freudienne de lâorigine de toute lâhistoire sâarticule : « Des habitudes de vie des singes supĂ©rieurs, Ă©crit Freud, Darwin a conclu que lâhomme a lui aussi vĂ©cu primitivement en petites hordes, Ă lâintĂ©rieur desquelles la jalousie du mĂąle le plus ĂągĂ© et le plus fort empĂȘchait la promiscuitĂ© sexuelle » (p 42). Freud envisagera donc notre ancĂȘtre comme « un mĂąle jaloux et belliqueux » (p 42) Ă partir duquel il construira un rĂ©cit des origines, une vision mortifĂšre que dĂ©nonce Jeremy Rifkin dans son plaidoyer pour lâempathie (3).
A la fin du XIXe siĂšcle, un naturaliste russe rĂ©fugiĂ© en Angleterre pour des raisons politiques, câest Ă dire pour son adhĂ©sion aux thĂšses anarchistes, Pierre-Alexandre Kropotkine conteste lâaccent mis par Darwin sur la compĂ©tition des individus comme fondement de la sĂ©lection naturelle. Certes, nous dit lâauteure, cette contestation peut ĂȘtre imputĂ©e Ă diffĂ©rents motifs : la philosophie politique de Kropotkine, pour une part, mais aussi parce que la nature est diffĂ©rente en Russie. Mais cette critique se fonde sur une analyse de la vie animale trĂšs diffĂ©rente de celle de Darwin. Dans son livre de 1902, « lâEntraide, un facteur de lâĂ©volution », Kropotkine interroge les thĂšses darwiniennes. Il ne perçoit pas chez les animaux, une lutte de tous contre tous, une compĂ©tition fĂ©roce, mais « au contraire, des preuves de soutien mutuel, dâamitiĂ© et de solidaritĂ©Â : nourrir lâĂ©tranger, adopter lâorphelin, aider lâautre en difficulté⊠(p 53) (4). Si la guerre entre les diffĂ©rentes espĂšces est un fait, il y a « tout autant ou peut-ĂȘtre mĂȘme plus, du soutien mutuel, de lâaide mutuelle entre les animaux⊠Les primates ne contredisent pas ce modĂšle⊠On peut affirmer que la sociabilitĂ©, lâaction en commun, la protection mutuelle et un grand dĂ©veloppement de sentiments⊠caractĂ©risent la plupart des espĂšces de singe » (p 54).
Lâauteure met en valeur lâoriginalitĂ© de la pensĂ©e de Kropotkine. « Les singes Ă qui Darwin demande dâapporter les preuves de la sĂ©lection naturelle et de lâĂ©volution viennent chez Kropotkine apporter leurs concours Ă un autre projet : celui de tĂ©moigner de lâĂ©volution de la nature, mais cette fois en rompant avec le rĂ©gime de la compĂ©tition. De la mĂȘme maniĂšre que les primitifs semblent exiger, au fur et Ă mesure du temps et des recherches, une autre maniĂšre de les connaĂźtre, la nature enrĂŽle Kroptkine dans une autre histoire » (p 63). Dans lâapproche de Kropotkine, lâauteure fait reconnaĂźtre une proximitĂ© avec sa propre critique des schĂ©mas stĂ©rĂ©otypĂ©s dâune mĂ©thode scientifique longtemps dominante. « Comment pourrait-on prĂ©tendre rendre compte de ceux quâon ne se donne pas la peine de connaĂźtre et de comprendre ? Comment peut-on prĂ©tendre sâintĂ©resser Ă ceux Ă qui on ne donne aucune chance de nous mobiliser ? Comment espĂ©rer construire un savoir fiable Ă propos de ceux Ă qui nâest laissĂ©e aucune possibilitĂ© de surprendre, dâĂ©tonner, de dĂ©centrer celui qui sâadresse Ă eux, et de raconter une autre histoire ? (p 62).
Pourquoi lâapproche de Kropotkine a-t-elle Ă©tĂ© oubliĂ©e ensuite pendant des dĂ©cennies ? Sans doute, sa biologie comme sa pensĂ©e politique, sont apparues Ă son Ă©poque, comme « exotique » par rapport Ă la culture dominante. « Il fut longtemps relĂ©guĂ© aux oubliettes de lâhistoire naturelle » (p 66). Mais, soixante-dix ans plus tard, les suspicions de Kropotkine rĂ©apparaissent dans la contestation du « rĂŽle que lâon a fait jouer, dans lâhistoire de nos origines, Ă un babouin belliqueux et jaloux : la critique de lâidĂ©ologie qui marque les mythes des origines ; le rĂŽle dĂ©cisif dâun nouvelle anthropologie dans la maniĂšre dâen interroger les acteurs ; la remise en cause des gĂ©nĂ©ralisations hĂątives au dĂ©part de quelques espĂšces de primates choisies ; lâexigence dâune autre maniĂšre de poser les questions dans une perspective marquĂ©e par une conscience politique » (p 66).
RĂ©vĂ©ler le potentiel de lâanimal
 Et si nous interrogeons les animaux en les inscrivant dans nos questions, pourrait-on leur donner une chance de sâexprimer en nous instruisant ? AprĂšs sâĂȘtre rĂ©fĂ©rĂ© aux ouvrages de Darwin et de Kropotkine, Vinciane Despret nous introduit dans un livre original, trop vite oubliĂ©. Au milieu du XIXe siĂšcle, « le naturaliste anglais, Edward Pett Thompson sâattela au superbe travail de mieux faire connaĂźtre les animaux Ă ses contemporains⊠dans son troisiĂšme et dernier ouvrage : « The Passions of animals », publiĂ© en 1851, les singes seront des acteurs privilĂ©giĂ©sâŠÂ » (p 68). « Le singes mis en scĂšne par Thompson⊠ces singes justiciers, espiĂšgles, manipulateurs dâoutils, guerriers stratĂšges, menteurs impĂ©nitents ou rois de lâĂ©vasion, nous ressemblent. Le choix de ces histoires nâa rien de fortuit : dâabord, ces singes prĂ©sentent des compĂ©tences que nous avons longtemps pensĂ© ĂȘtre exclusivement les nĂŽtres. Non seulement leur intelligence est stupĂ©fiante, leur sens de la coopĂ©ration Ă©difiant, mais ils semblent aussi partager les mĂȘmes Ă©motions que les nĂŽtres » (p 71). Cependant, lâambition de Thompson va plus loin : « Ce nâest pas une simple dĂ©monstration de compĂ©tence quâil sâagit dâĂ©laborer. Il demande plus au singe : il lui demande certes de lâaider Ă construire la proximitĂ© â « comme il nous ressemble ! » – mais en y prenant la part la plus active possible, en tĂ©moignant de sa propre volontĂ© de se conduire en humain » (p 72).
Une perspective Ă©volutionniste implique une continuitĂ© entre le monde animal et lâhumanitĂ© qui apparait Ă sa suite. Mais Thompson ne sâinscrit pas dans la thĂ©orie de lâĂ©volution. Il est crĂ©ationniste. « La chaine continue des « existants » est une chaine statique agencĂ©e telle quelle dĂšs les premiers jours du travail divin ». Pourtant, dans ce contexte, depuis le XVIIe siĂšcle, Ă©tait apparue une certaine conception : « la thĂ©orie de la chaine du vivant ». On y remarqua des intervalles et « nombre de penseurs sâattelĂšrent Ă la tĂąche de les remplir en se mettant Ă traquer les ressemblances » (p 73-74). Il y donc, dĂšs cette Ă©poque, une recherche des ressemblances. Mais, « ce nâest cependant pas dans cette perspective mĂ©taphysique que Thompson sâefforce de maximaliser les ressemblances ». Ici, « les singes ne sont mobilisĂ©s ni dans un problĂšme de continuitĂ© dâune chaine statique, comme ils lâĂ©taient jusquâalors, ni dans un projet dâĂ©volution comme ils le seront quelques annĂ©es plus tardâŠÂ ». Câest un autre projet que Thompson sâest efforcĂ© de rĂ©aliser. « Lâobjectif de ce livre sera de collaborer Ă la promotion dâune meilleure estimation de la valeur et de lâutilitĂ© de la vie animale, en Ă©veillant une attention adĂ©quate et des sentiments de bontĂ© pour les crĂ©atures animales, afin dâobtenir pour elles lâadmiration et la protection quâelles mĂ©ritent » (p 75). Thompson va rĂ©futer la maniĂšre dont la rĂ©ussite des animaux est principalement attribuĂ©e Ă lâinstinct. « Il ne sâagit pas de nier le rĂŽle de lâinstinct, mais de laisser, parallĂšlement Ă lâexistence dâinvariants, les possibilitĂ©s pour la variabilitĂ©, et surtout pour le changement (p 77). « La critique de lâinstinct est une piĂšce majeure⊠Si Thompson fait tant dâeffort pour dĂ©monter ce vieux prĂ©jugĂ© de lâinstinct, ce nâest pas seulement parce que lâinstinct fait de lâanimal une sorte de mĂ©canique aveugle⊠Câest parce quâil empĂȘche les animaux de changer ; ou plutĂŽt, parce quâil sâagit surtout dâun malentendu, parce quâil empĂȘche les hommes de penser que les animaux peuvent changer » (p 81).
Thompson « sâattaque Ă une autre prĂ©jugĂ© : celui qui nous mĂšne Ă hiĂ©rarchiser les animaux selon quâils soient domestiques ou sauvages ». Et de mĂȘme, il conteste la prĂ©fĂ©rence accordĂ©e aux herbivores par rapport aux carnivores jugĂ©s violents et cruels. Certains carnivores se laissent apprivoiser. « Les carnivores sâattachent Ă leurs gardiens ». « Les animaux sauvages sont en fait le plus souvent domesticables, pour une raison trĂšs simple : ils sont sociaux » (p 82). Thompson incite Ă une action dâapprivoisement, de domestication. « Ne laissons pas passer notre chance de les arracher Ă ce qui les rend sauvage ». « Cette chance est pourtant Ă la portĂ©e de notre main : Câest ce dont tĂ©moigne le miracle de lâapprivoisement de la hyĂšne, celui des extraordinaires compĂ©tences des singes qui vivent en bonne entente avec lâhomme et, plus gĂ©nĂ©ralement, le miracle de la socialisation des ĂȘtres. Câest le miracle de la domestication : faire Ă©merger chez lâanimal tout ce qui nâest quâen puissance chez lui, ce qui tend Ă sâamĂ©liorer : la bontĂ©, la douceur, la sociabilitĂ©. « Ils sont maintenant sauvages, mais quand les circonstances qui les contraignent Ă lâĂȘtre changeront, la transformation morale deviendra un facteur naturel de la rĂ©volution intellectuelle et sociale que les prophĂštes hĂ©breux prĂ©disent » ( p 85). Câest ici quâapparait le devenir Ă long terme et le fabuleux rĂȘve de Thompson : accomplir ce que Dieu a promis : accomplir la plus vieille et la plus belle des prophĂ©ties, la prophĂ©tie dâIsaĂŻe : « Le loup dormira avec lâagneau⊠et un petit enfant les conduira par la main » (p 85).
Vinciane Despret vient ici commenter le livre de Thompson et en montrer lâextraordinaire fĂ©conditĂ©. A partir de cette prophĂ©tie, pourquoi ne pas « anticiper ? ». « Pourquoi ne pas donner Ă cette rĂ©volution annoncĂ©e par EsaĂŻe ce qui est le destin de toutes prophĂ©ties : lâaccomplir ? » (p 85). « Pourquoi ne pas nous transformer afin de pouvoir transformer les animaux ? La chance est Ă la portĂ©e de notre main : si nous nous transformons, si nous nous intĂ©ressons Ă eux, si nous cherchons avec patience tout ce qui nâattend que de sâactualiser, nous pourrons alors rĂ©aliser la prophĂ©tie » (p 86).
Et, en ce sens, câest aussi modifier nos savoirs. « Les contraintes qui pĂšsent sur le savoir des hommes sont importantes. Le monde ne sera intĂ©ressant que si nous avons la chance de nous y intĂ©resser. Il ne pourra ĂȘtre transformĂ© que si nous acceptons de passer nous-mĂȘmes par la transformation. Nous avons le monde que nos savoirs mĂ©ritent » (p 87).Vinciane Desprez prĂ©cise : si domestication, il y a, « lâarrachement Ă la nature nâa rien dâun dĂ©tachement. Il sâagit plutĂŽt dâune « socialisation » par laquelle les animaux entrent dans un monde qui sâefforce de se construire comme monde commun, et sont liĂ©s dâune maniĂšre nouvelle Ă ceux qui habitent ce monde… Emanciper, dans la perspective de Thompson, câest libĂ©rer des mauvaises contraintes : ce nâest pas dĂ©tacher, câest attacher mieux. Câest trouver, comme le dit si joliment Bruno Latour, « dans les choses attachantes elles-mĂȘmes, celles qui procurent de bons et durables liens ». Ce que Thompson propose en somme, câest dâattacher mieux : les animaux aux hommes ; les hommes au monde, et le futur aux prophĂ©ties » (p 87). Câest une vision dynamique que Vinciane Despret exprime en ces termes : « Il faudra plus de savoirs et plus de pratiques pour crĂ©er un bon monde commun : celui dans lequel « le loup habitera avec lâagneau », celui dans lequel se trouvera, chez les enfants des hommes, quelquâun pour les conduire par la main » (p 88).
Une manifestation nouvelle des animaux
Si la vision de Thompson est longtemps restĂ©e sans hĂ©ritiers, au cours des toutes derniĂšres dĂ©cennies, le regard sur les animaux est en train de changer (4). Si les animaux ont Ă©tĂ© maltraitĂ©s dans une Ă©conomie industrielle, aujourdâhui, ils sont pris en considĂ©ration Ă travers une sensibilitĂ© nouvelle. Et, dans la recherche psychologique, on assiste Ă un retournement spectaculaire des comportements Ă leur Ă©gard. Des lors, on dĂ©couvre chez eux des qualitĂ©s qui rejoignent celles que Thomson avait mis en valeur.
Vinciane Despret dresse un bilan. « Nous nâavons toujours pas Ă©tĂ© enrĂŽlĂ©s par les animaux comme Thompson le souhaitait : lâĂ©levage intensif, la disparition de nombreuses espĂšces, notre envahissement progressif de leurs territoire et, plus gĂ©nĂ©ralement le traitement infligĂ© aux animaux tĂ©moignent de lâextension massive de contraintes qui ont rarement eu pour effet de « bien attacher ».
Mais des choses ont cependant changĂ©. Certains dâentre nous sont en train dâinventer de nouveaux modes de communication, de nouvelles façons de penser le monde commun, de nouvelles habitudes, des enrĂŽlements inĂ©dits. On retrouvera par exemple, du cĂŽtĂ© des mouvements antispĂ©cistes, les mouvements qui contestent le privilĂšge accordĂ© Ă lâhumain, des hĂ©ritiers tout-Ă -fait Ă©tonnants du projet de Thompson » (p 89).
Cependant, aujourdâhui, la dĂ©marche de certains chercheurs rejoint particuliĂšrement lâinspiration de Thompson. « Pour construire la paix, et pour prĂ©server leurs animaux, les Ă©thologistes ont modifiĂ© certaines de leurs habitudes. Shirley Strum raconte ainsi que lorsque des bergers se sont trouvĂ© confrontĂ©s au problĂšme dâune trop grand prĂ©dation de leurs moutons, par les coyotes, des Ă©cologistes tentĂšrent lâexpĂ©rience de dĂ©gouter les prĂ©dateurs en leur faisant ingĂ©rer une viande de mouton Ă laquelle avait Ă©tĂ© ajoutĂ© un vomitif puissant⊠Il sâagit bien de modifier les habitudes pour rendre la paix possible.
Ce qui a changĂ© aussi et qui constituait un des ressorts du projet de Thompson nâa Ă©chappĂ© Ă personne : certains animaux ont rĂ©ussi Ă nous mobiliser dans de nouvelles histoires. Ils ont ainsi rĂ©ussi, avec leur porte-parole humains, non seulement Ă nous intĂ©resser, Ă nous donner envie de les connaĂźtre, mais aussi Ă actualiser des compĂ©tences inattendues, Ă ĂȘtre transformĂ©s, et Ă revenir en force depuis le temps oĂč Thomson les convoquait dans ses histoires pour leur demander de nous surprendre⊠Le corbeau qui sâest liĂ© avec le chien nous reviendra ces derniĂšres annĂ©es, dans les recherches de Bernd Heinrich⊠Les babouins qui sâorganisent pour piller les jardins obligeront Shirley Strum Ă modifier ses pratiques⊠Elle les a « arrachĂ© Ă ce qui les contraignait Ă ĂȘtre ce quâils Ă©taient », câest-Ă -dire un problĂšme pour les cultivateurs⊠Ceux qui ont Ă©tĂ© observĂ©s par Hans Kummer arriveront Ă convaincre ce dernier quâil est leur berger » (p 91).
Longtemps, la culture dominante a fait opposition au projet de Thompson. « Tous ces animaux, corbeau amical, orang-outan organisĂ©, singe menteur, babouin coopĂ©ratif ont du attendre longtemps avant de revenir sur le devant de la scĂšne, avant de rĂ©ussir Ă mobiliser notre intĂ©rĂȘt, avant que leurs compĂ©tences nous mĂšnent Ă nous adresser Ă eux » (p 92). Une certaine conception de la science faisait obstacle. MarquĂ©s par « des ambitions de « faire science », les scientifiques sâobligeaient Ă renoncer Ă la tentation de chercher chez les animaux des traits qui les donnent comme semblables Ă nous » (p 94). Le « pĂ©chĂ© dâanthropomorphisme » Ă©tait inacceptable pour la primatologie et la psychologie animale Ă cette Ă©poque (p 93). Et, dâautre part, lâextraordinaire ne pouvait ĂȘtre pris en compte dans des dispositifs adonnĂ©s Ă la rĂ©pĂ©tition en vue de lâobtention dâune preuve (p 95). Lâauteure nous relate ensuite la maltraitance Ă laquelle les animaux ont Ă©tĂ© soumis dans les laboratoires. Cependant, une nouvelle pratique scientifique a rĂ©ussi Ă dĂ©passer ces Ă©garements. Lâauteure nous ouvre la perspective dâune « éthologie » en devenir.
Une recherche respectueuse et ouverte à la nouveauté
 Vinciane Despret nous fait part dâun renouvellement de la conception de lâĂ©thologie. « LâĂ©thologie, gĂ©nĂ©ralement science des comportements, y renoue avec son Ă©tymologie : « ethos », les mĆurs, les habitudes ». Lâauteure envisage donc lâĂ©thologie comme « pratique des habitudes » (p 126). « En traduisant lâĂ©thologie comme une pratique des habitudes, je peux dĂ©finir ma recherche comme lâexploration de lâagencement de ces habitudes. Comment les habitudes des chercheurs et celles de leurs animaux ont-elles constituĂ©, les uns pour les autres, des occasions de transformation ? » (p 126). En examinant les habitudes des chercheurs, lâauteur en vient Ă cĂ©lĂ©brer « les rĂ©ussites, lisibles dans les transformations les plus intĂ©ressantes dont leurs recherches tĂ©moignent : « la politesse de faire connaissance ». Je peux, Ă la suite de Shirley Strum, dĂ©finir cette politesse comme lâexigence de ne pas construire un savoir « dans le dos » de ceux Ă qui elle adresse ses questions. Ainsi Vinciane Despret envisage « lâĂ©thologie qui lâintĂ©resse comme « une pratique polie des habitudes ». « Pour rendre compte du travail des Ă©thologues les plus polis, je peux, comme ils le font pour leurs animaux, chercher « ce qui compte pour eux » (p 126).
Ainsi, dit-elle sâintĂ©resser aux histoires trĂšs diverses des Ă©thologistes dans la relation avec leurs animaux. Elle nous rapporte diffĂ©rentes histoires. Par exemple, elle revient sur la recherche concernant les primates. Elle y constate « un regain de politesse de la part des chercheurs ». Les primatologues ont dĂ©cidĂ© « de sâintĂ©resser Ă ce qui intĂ©resse ceux quâils interrogent ». « Ils ont Ă©tĂ© enrĂŽlĂ©s par les problĂšmes de ceux Ă qui ils adressaient leurs questions» (p 136). Une histoire exemplaire fut celle de Jane Goodhal auprĂšs des chimpanzĂ©s de GombĂ© et trouvant chez lâun dâentre eux, David Greybeard, non seulement une personnalitĂ© crĂ©ative, mais aussi « un alliĂ© mĂ©diateur lui enseignant les rĂšgles de politesse et dâhospitalité » (p 142-143) (2).
Vinciane Despret a trouvĂ© chez le philosophe amĂ©ricain William James un accompagnateur dans son approche de recherche. « Cette vertu de lâaction pratique que je propose de cultiver sous la forme de « juste milieu », et qui dĂ©signe dans ce que jâessaie de faire, une des maniĂšres de rĂ©pondre Ă lâexigence de politesse du « faire connaissance », me fait en fait rejoindre un des philosophes les plus « polis » de notre tradition : le philosophe William James » (p 137). Lâauteure nous dit en quoi elle se trouve confortĂ©e par cette philosophie. « Nous ne devons pas nous contenter de chercher chez le seul sujet connaissant les conditions qui rendent possible cet Ă©vĂ©nement : « connaĂźtre ». Nous devons interroger aussi et surtout, les possibilitĂ©s dâĂȘtre connu dans ce qui se donne Ă connaĂźtre⊠Nous saisirons que « ce qui rĂ©ellement existe, ce ne sont pas les choses faites, mais les choses en train de se faire ». (p 138). « Pour bien connaĂźtre, « Placez-vous au point de vue du faire Ă lâintĂ©rieur des choses » (p 140). Et, « connaĂźtre, ce nâest pas traduire comment nos idĂ©es sont pensĂ©es, mais comment elles nous font penser ». « ConnaĂźtre, câest explorer un rĂ©gime dâautorisation et de « rendre capable » (p 148). Au total, Vinciane Despret nous invite Ă explorer « la maniĂšre dont les animaux se prĂ©sentent comme participants actifs dans la constitution de ce qui peut compter comme savoir scientifique : la maniĂšre dont ils font faire des choses Ă leurs chercheurs ». Comme lâĂ©crit si justement, Donna Haraway, « du point de vue des projets des biologistes, les animaux rĂ©sistent, rendent capables, perturbent, engagent, contraignent et exhibent. Ils agissent et signifient ».
Vinciane Despret nous apprend dans ce livre Ă envisager de multiples points de vue, de multiples propositions qui se cĂŽtoient pour trouver un chemin, un dĂ©passement Ă travers les oppositions. Câest une Ă©cole de pensĂ©e. Et elle aborde ici la grande question des origines de lâhumanitĂ© et des rapports entre lâhumanitĂ© et le monde animal. Les idĂ©es Ă ce sujet ont beaucoup Ă©voluĂ© au cours de ces deux derniers siĂšcles. Au cours des toutes derniĂšres dĂ©cennies, un tournant est apparu : dans des formes diverses, la dĂ©couverte dâune conscience animale et une reconnaissance progressive de la personnalitĂ© des animaux. Il y a lĂ un mouvement culturel de grande ampleur (4). Les Ă©thologues et les primatologues, Ă©chappent peu Ă peu aux prĂ©jugĂ©s contraignants auxquels ils voulaient soumettre les animaux. LâhumanitĂ© perçoit de plus en plus aujourdâhui quâelle sâinscrit dans un continuum avec le monde animal. Elle nâĂ©chappe pas Ă la nature, mais en fait partie. Cependant, nous ressentons aujourdâhui les tourments qui affectent le monde. Nous nous rappelons ici un texte de Paul selon lequel « la crĂ©ation gĂ©mit dans les douleurs de lâenfantement » (Ăpitre aux Romains). Cependant, dans une perspective chrĂ©tienne, en Christ, il y a bien un mouvement en cours vers une terre nouvelle dans la perspective des prophĂ©ties bibliques dont fait partie le texte dâEsaĂŻe : « Le loup habitera avec lâagneau, le lĂ©opard se couchera prĂšs du cabri, le veau et le jeune lion mangeront ensemble. Un petit garçon les conduira » (EsaĂŻe 11.6-10). On peut envisager la montĂ©e de la conscience unifiante qui apparaĂźt aujourdâhui, cette exigence de respect et de comprĂ©hension avancĂ©e par Vinciane Despret comme une Ă©tape. Et câest le terme âprĂ©figurationâ qui nous vient Ă lâesprit.
J H
- Vinciane Despret. Le loup habitera avec lâagneau. Nouvelle Ă©dition augmentĂ©e. Les empĂȘcheurs de tourner en rond, 2020
- Jane Lindall : une recherche pionniÚre sur les chimpanzés, une ouverture spirituelle, un engagement écologique : https://vivreetesperer.com/jane-goodall-une-recherche-pionniere-sur-les-chimpanzes-une-ouverture-spirituelle-un-engagement-ecologique/
- Vers une civilisation de lâempathie. A propos du livre de JĂ©rĂ©mie Rifkin : https://www.temoins.com/vers-une-civilisation-de-lempathie-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkinapports-questionnements-et-enjeux/
- Nicole Laurin. Les animaux dans la conscience humaine. Questions dâaujourdâhui et de toujours. ThĂ©ologiques, 2002 : https://www.erudit.org/fr/revues/theologi/2002-v10-n1-theologi714/008154ar/