par jean | Mai 5, 2024 | ARTICLES, Vision et sens |
Quel est le sens biblique de la solidaritĂ©Â ? La question est posĂ©e Ă Renny Golden qui , dans les annĂ©es 1980, sâest engagĂ© en faveur de lâaccueil aux Etats-Unis, des rĂ©fugiĂ©s dâAmĂ©rique Centrale fuyant la violence.
« Le mot : solidaritĂ© nâapparaĂźt pas tel quel dans la Bible. Cependant, comme pratique de foi, il capte lâessence des traditions juives et chrĂ©tiennes. La Bible est lâhistoire multimillĂ©naire des israĂ©lites essayant de maintenir une solidaritĂ© avec leur Dieu et avec les pauvres ». Quel est lâesprit de cette solidaritĂ©, « Lorsque au dĂ©but, Dieu appelle MoĂŻse Ă sortir le peuple de lâesclavage, celui-ci rechigne et cherche des excuses ( Exode 3.13, 4.1, 10). Mais Dieu promet : « Je serai avec toi » Ce nâest pas du paternalisme ou de la pitiĂ©. Câest travailler Ă©paule contre Ă©paule dans une Ćuvre de libĂ©ration ».
Dieu manifeste sa solidaritĂ© avec lâhumanitĂ© en JĂ©sus. « La naissance de JĂ©sus, lâincarnation de Dieu dans le monde est lâacte paradigmatique de la solidaritĂ©. Dieu a tellement aimĂ© le monde quâil a pris une forme humaine. Câest une identification complĂšte avec la condition humaine, une solidaritĂ© totale avec lâhistoire humaine. JĂ©sus a du fuir les excĂšs du pouvoir impĂ©rial. Il a Ă©tĂ© une menace pour lâordre Ă©tabli et il a du fuir les escadrons de la mort du gouvernement romain ( Matt 2.13-14). JĂ©sus a commencĂ© sa vie non pas comme membre dâune Ă©lite, mais comme un rĂ©fugiĂ©, un sans abri. Ainsi, lâamour de Dieu pour le monde se manifeste trĂšs particuliĂšrement pour les persĂ©cutĂ©s, les rejetĂ©s, les fugitifs ».
Comme le montre Robert Chao Romero, le ministĂšre de JĂ©sus a manifestĂ© la solidaritĂ©. « Dieu est devenu chair et a lancĂ© son mouvement parmi ceux qui Ă©taient mĂ©prisĂ©s et rejetĂ©s Ă la fois par les romains et par lâĂ©lite du peuple. JĂ©sus nâest pas allĂ© vers la grande ville en cherchant Ă recruter parmi lâĂ©lite religieuse, politique et Ă©conomique. Pour changer le systĂšme, JĂ©sus devait commencer avec ceux qui Ă©taient exclus du systĂšme. Bien que la bonne nouvelle de JĂ©sus Ă©tait pour lâensemble de la famille humaine, elle va dâabord aux pauvres et Ă ceux qui sont marginalisĂ©s. Comme un pĂšre aimant (ou une mĂšre), Dieu aime tous ses enfants Ă©galement, mais se prĂ©occupe particuliĂšrement de ceux ou celles qui souffrent le plus ».
Les gens, qui souffraient du double fardeau du colonialisme romain et de lâoppression spirituelle et Ă©conomique des Ă©lites, attendaient de Dieu une libĂ©ration ». Effectivement, les plus faibles ont Ă©tĂ© considĂ©rĂ©s comme indispensables. « Bien quâils aient Ă©tĂ© considĂ©rĂ©s comme les moins honorables, JĂ©sus leur a portĂ© le plus grand honneur. JĂ©sus a accordĂ© le plus grand honneur Ă ceux qui en manquaient    ( 1 Corinthiens 12. 22-25).
Un esprit de solidarité et pas de jugement (2)
Richard Rohr envisage le cĆur du christianisme comme la solidaritĂ© aimante de Dieu avec tous le gens. « A travers JĂ©sus, la propre vision du monde de Dieu, vaste, profonde et entiĂšrement inclusive est rendue accessible Ă tous. En fait, jâirai jusquâĂ dire que la marque de la vie chrĂ©tienne et de se tenir en solidaritĂ© radicale avec tout autre. Câest lâeffet final et intentionnel – symbolisĂ© par la croix, qui est le grand acte de solidaritĂ© de Dieu Ă la place du jugement. VoilĂ comment nous sommes appelĂ©s Ă imiter JĂ©sus, cet homme juif bon qui voyait et appelait le divin dans les « gentils », comme la femme syro-phĂ©nicienne et les centurions romains qui lâont suivi, dans les collecteurs dâimpĂŽt juifs qui collaboraient avec lâEmpire, dans les zĂ©lotes qui sây opposaient, et tous ceux « en dehors de la loi ». JĂ©sus nâavait pas de problĂšme quelque il soit avec lâaltĂ©rité ».
JĂ©sus a inclus. Il nâa pas exclu. « La seule chose que JĂ©sus a exclus, câest lâexclusion elle-mĂȘme ».
A cet Ă©gard, comment envisager aujourdâhui notre attitude visâĂ -vis de personnes pratiquent dâautres modes de sexualitĂ© que celui qui dĂ©rive directement de notre interprĂ©tation des Ă©critures. Ici, la parole est donnĂ©e Ă Shannon Kearns, prĂȘtre transgenre. Il nous apporte « un exemple de la solidaritĂ© inclusive de Dieu avec les eunuques, minoritĂ©s sexuelles Ă lâĂ©poque du prophĂšte EsaĂŻe. En EsaĂŻe ( 56. 3b-5), le prophĂšte dĂ©clare : « Et ne laissez pas les eunuques dire : « Je ne suis quâun arbre sec ». Le Seigneur dĂ©clare : « Aux eunuques qui gardent mes sabbats, choisissent ce qui mâest agrĂ©able et qui persĂ©vĂ©reront dans Ă mon alliance, je donnerai dans ma maison et dans mes murs une place et un nom prĂ©fĂ©rables Ă mes fils et Ă mes filles. Je leur donnerai un nom Ă©ternel qui ne pĂ©rira pas ». Câest une parole de rĂ©confort et dâespĂ©rance. Câest une parole de guĂ©rison ».  En commentaire, Shannon Kearns nous dit comment ces paroles bibliques « rĂ©sonnent fortement pour beaucoup de gens transgenre et non-binaire ». « Ils rĂ©sonnent aussi fortement pour les nombreuses personnes qui se sont senties exclues et rejetĂ©es dâune entrĂ©e dans un espace religieux Ă cause de leur diversitĂ© de genre ».
Nous sommes donc invitĂ©s Ă regarder autour de nous et Ă nous poser des questions : « Qui est en train dâĂȘtre exclu ? Qui nâest pas bienvenu ? Pour qui il nây a pas de place ? Le message est en EsaĂŻe 56 et dans le rĂ©cit de lâeunuque Ă©thiopien en Acte 8 : « Il y a une place aussi pour eux dans le Royaume de Dieu. Ils nâont pas besoin de changer pour ĂȘtre inclus. Ils sont rendus dignes dâĂȘtre inclus en dĂ©sirant lâĂȘtre ».
La spiritualité de la solidarité (3)
Barbara Holmes, Ă qui on a fait appel dans cette sĂ©quence, nous invite, Ă la suite de JĂ©sus, « à discerner les signes des temps et Ă ĂȘtre un baume toujours prĂ©sent dans ce monde troublé ». « Le physicien Neill de Grasse Tyson nous rappelle que notre solidaritĂ© nâest pas un choix, câest une rĂ©alitĂ©. Nous sommes tous connectĂ©s les uns aux autres, biologiquement, Ă la terre chimiquement, et, au reste de lâunivers atomiquement. Notre solidaritĂ© est un fait scientifique aussi bien que lâacte de salut dâun Sauveur aimant et un Saint Esprit sage et guidant. Et mĂȘme cet appel Ă la solidaritĂ© est incarnĂ© par le Divin. Parce que JĂ©sus est venu et a vaincu et renversĂ© les systĂšmes de ce monde, il nous appelle Ă faire de mĂȘme ».
Mais est-ce bien possible ? « Les systĂšmes disent que les changements ne peuvent pas arriver, que la gravitĂ© gagne, que la religion nâa pas dâutilitĂ© exceptĂ© de calmer les gens, que vous faites mieux de mettre votre confiance dans des fonds communs de croissance. Mais JĂ©sus dĂ©clare quâil y a une autre voie la – voie prophĂ©tique â et mĂȘme maintenant, il nous appelle Ă nous avancer sur la parole, Ă nous rassembler en un, et Ă exercer nos dons. Alors seulement, nous pourrons faire la paix avec nos voisins, mettre fin Ă la violence du canon et arrĂȘter notre addiction Ă la division. La solidaritĂ© et la compassion, câest lâamour en action ».
Mais comment envisager une spiritualitĂ© de la solidaritĂ© ? Selon lâĂ©crivaine Margaret Swedish, cette spiritualitĂ© commence Ă se manifester « en honorant la prĂ©sence divine en chaque ĂȘtre humain ».
« Je crois que Dieu nous a donnĂ© le plus grand exemple de solidaritĂ© lorsque Dieu a envoyĂ© son fils JĂ©sus vivre avec nous » (rĂ©fugiĂ© salvadorien). Nous sommes appelĂ©s Ă un Ă©tat dâesprit dans lequel nous sommes persuadĂ©s que les autres ont une valeur Ă©gale Ă la notre. « Ma vie nâest pas plus valable ou digne, de plus grande ou de moindre signification que celle dâun autre ĂȘtre humain. Je ne suis pas plus ou moins mĂ©ritant. Mes droits ne sont pas plus importants que ceux de cette autre personne. Cette spiritualitĂ© commence Ă un endroit douloureux – avec lâacceptation du fait que le monde est brisĂ© et que nous sommes brisĂ©s. Dans cela, nous cherchons des liens profonds avec les personnes blessĂ©es de notre monde. Et en cette place vulnĂ©rables, nous cherchons le cĆur de la solidaritĂ©Â : la compassion ».
La sĂ©quence sur la solidaritĂ© prĂ©sentĂ©e sur le site : « Center for action and contemplation » se poursuit ensuite dans dâautres Ă©lĂ©ments, notamment par une mĂ©ditation de Richard Rohr sur la solidaritĂ© divine avec la souffrance. Ce texte, tant par la densitĂ© Ă©motionnelle du propos que par les questions quâil soulĂšve requiert un traitement particulier. Nous nous bornerons ici Ă cette premiĂšre Ă©vocation de la solidaritĂ©, un thĂšme qui correspond bien Ă notre conscience actuelle et qui en met la signification chrĂ©tienne en valeur.
J H
par jean | Mai 4, 2021 | ARTICLES, Vision et sens |
Selon Thomas dâAnsembourg
Thomas dâAnsembourg, que nous rencontrons frĂ©quemment sur ce blog (1), nous parle des Ă©motions dans plusieurs interviews vidĂ©os chez « les dominicains de Belgique ». Parmi les Ă©motions, il y a la peur (2), la tristesse, la colĂšre, mais il y a aussi la joie (3). Nous pouvons bien rejoindre Thomas dâAnsembourg lorsquâil dĂ©clare quâil y a « une Ă©nergie magnifique dans la joie », mais alors comment la cultiver ?
https://youtu.be/B5vyHlEDU04
La joie, est-ce possible ?
A partir de son expĂ©rience dâaccompagnement de nombreuses personnes, Thomas dâAnsembourg peut estimer que « nous sommes joyeux par nature ». Les enfants ne sont-ils pas naturellement joyeux ? « Pourquoi les adultes ont-ils souvent dĂ©sertĂ© cette joie lĂ Â ? ».
Il y a certes des explications en rapport avec la culture. « Les difficultĂ©s dâaccĂšs Ă la joie, Ă la joie durable que lâon peut reproduire et que lâon peut utiliser pour orienter sa vie, cette difficultĂ© dâaccĂšs Ă la joie tient Ă ce que jâappelle la culture du malheur ». Nous avons grandi dans « une culture ambiante qui est plutĂŽt basĂ©e sur les rapports de force » et qui hĂ©rite dâune mĂ©moire collective rappelant des guerres, des Ă©pidĂ©mies, la mortalitĂ© infantile⊠« Tout cela sâest encodĂ© dans notre inconscient ». Thomas dâAnsembourg en voit lâexpression dans une inquiĂ©tude latente qui implique un repli : « On nâest pas lĂ pour rigoler ». Cela joue comme un « vaccin anti-bonheur ». « On a envie dâĂȘtre joyeux, mais on nây accĂšde pas ». Si on est joyeux, ce nâest pas pour longtemps. Car « on a peur dâun retour de manivelle ». « On espĂšre le bonheur, mais on nây accĂšde pas. On ne sây autorise pas ». Comme nous avons peur que la joie nous Ă©chappe, instinctivement, câest nous-mĂȘme qui nous la retirons. Comme cela, nous avons lâimpression dâavoir du pouvoir sur notre propre vie. Câest ce quâon appelle un mĂ©canisme dâauto-sabotage. Câest peu connu. Seulement, si nous savions cela, nous pourrions observer un mĂ©canisme de dĂ©samorçage et le rĂ©amorcer avant quâil ne sâenclenche.
Jâen parle en connaissance de cause mâĂ©tant moi-mĂȘme retrouvĂ© dans des mĂ©canismes dâauto-sabotage que je nâimaginais pas du tout. Vous mâauriez demandĂ© : « Quâest-ce que vous cherchez Ă vivre », jâaurais rĂ©pondu : jâai envie dâĂȘtre joyeux. Jâai envie dâĂȘtre heureux. Mais je nâavais pas vu que câĂ©tait moi qui Ă©tait en cause. Jâattribuais mon problĂšme aux autres, Ă mon travail, Ă ma compagne⊠Jâavais du mal Ă identifier tout ce qui mâempĂȘchait dâĂȘtre joyeux ».
Apprendre Ă vivre davantage dans la joie.
Comment apprendre Ă ĂȘtre dans un Ă©tat de joie de plus en plus rĂ©gulier, ce qui nâempĂȘche pas la traversĂ©e des difficultĂ©s, car nous ne vivons pas dans un monde idĂ©al et nous devons faire face aux contrariĂ©tĂ©s. « Cependant, je crois que notre intention, notre sentiment profond, câest de goĂ»ter de la joie malgrĂ© ces passages difficiles, de conserver de la joue Ă lâintĂ©rieur de soi. Comment apprendre cela ? Thomas dâAnsembourg reprend ici un petit exercice de dialogue avec un sentiment symbolisĂ© par un fauteuil Ă cĂŽtĂ© de lui. « Apprendre Ă cĂŽtoyer la joie, Ă lui faire de la place. Je la goĂ»te, je la savoure, je conjure la culture du malheurâŠÂ ».
Thomas nous invite Ă observer les moments de la journĂ©e ou nous ressentons de la joie. « Si je suis heureux parce quâil y a du soleil le matin, parce que le temps est beau, cela veut dire que jâaime la beautĂ©, jâaime la douceur, jâaime la chaleur. Ce ne sont pas lĂ des valeurs nĂ©gligeables : beautĂ©, douceur, chaleur. Quâest-ce que je vais faire dans la journĂ©e pour reproduire et restaurer cela ?…. »
« Si jâai partagĂ© un repas avec quelques amis, je vais observer ce qui mâa rendu joyeux : lâamitiĂ©, la fidĂ©litĂ©, la connivence, la rencontre authentique, la vulnĂ©rabilitĂ© que chacun accueille chez lâun, chez lâautre⊠Et jâaime cela. Câest comme cela que je veux vivre. Et donc dans mes rapports, je vais instaurer ou rĂ©instaurer authenticitĂ©, intĂ©rioritĂ©, acceptation de la vulnĂ©rabilitĂ©, franchise⊠Je recrĂ©e parce que la joie me dit que câest par lĂ que je veux aller. Je lâinstaure. »
Et si, pendant le week-end, jâai promenĂ© les enfants dans la forĂȘt et que je me suis enchantĂ©, je vais dĂ©coder ce que me dit ma joie : nature, beautĂ©, silence, prĂ©sence des enfants⊠Jâai besoin de garder cela mĂȘme quand je prends les transports en commun. Jâai besoin de garder le goĂ»t de lâĂ©merveillement : regarder les gens, mâintĂ©resser Ă leur vie⊠Jâai besoin de goĂ»ter le vivant partout oĂč je suis et pas seulement dans une belle forĂȘt, mais aussi dans le mĂ©tro. GoĂ»ter le fait que je suis dans une communautĂ© humaine qui est en marche, qui est en routeâŠÂ ». Ainsi, il est bon de dĂ©coder les moments de joie parce quâils nous indiquent notre fil rouge, comme une courbe croissante de cette joie que nous voudrions vivre.
« Accompagnant des personnes depuis vingt cinq ans, câest ma conviction que nous cherchons Ă vivre cet Ă©tat de joie profonde que jâappelle toujours un Ă©tat de paix intĂ©rieure, de plus en plus stable, de plus en plus transportable dans les pĂ©ripĂ©ties de la vie, un Ă©tat de paix intĂ©rieure qui se rĂ©vĂšle contagieux, gĂ©nĂ©reux. Je pense que câest notre vĂ©ritable humanitĂ© dâapprendre Ă trouver cet Ă©tat de paix intĂ©rieure qui permet dâĂȘtre rayonnant, dâĂȘtre contagieux dans notre Ă©tat dâĂȘtre. Cela ne nie pas les difficultĂ©s. Cela ne nie pas les tensions, les moments de dĂ©sarroi. Mais plus je sais bien traiter ma colĂšre, ma tristesse, ma peur, des parties de moi, pas tout moi, plus je sais Ă©couter ces parties de moi, moins elles mâencombrent. Et plus mon espace qui est la joie prend de la place, sâinstalle, sâinstaure, se stabilise. Pour moi, notre vraie nature, câest dâĂȘtre dans un Ă©tat de plus en plus frĂ©quent de joie intĂ©rieure. Et jâobserve, dans mes lectures, que la plupart des traditions disent la mĂȘme chose : ĂȘtre joyeux dans un monde vivant et ĂȘtre contagieux de notre joie ». A ce stade, lâinterviewer rappelle la parole de JĂ©sus : « Je suis venu pour que les hommes aient la vie et quâils lâaient en abondance ».
Pourquoi un univers médiatique si peu propice à une expression de joie ?
Constatant une avalanche de mauvaises nouvelles dans les mĂ©dias, une situation peu propice Ă une expression de joie, lâinterviewer questionne Thomas dâAnsembourg sur cet Ă©tat de chose. « On se plaint de cette offre de mauvaises nouvelles, mais je pense quâil nây aurait pas dâoffre si il nây avait pas de demande. Quâest-ce qui fait quâon demande cela ? Une des maniĂšres de lâexpliquer, Ă partir de mon travail dâaccompagnement, si la vie me paraĂźt plate, ennuyeuse, si je ne fais pas les choses que jâaime, si je sens pas le tressaillement de la vie, si tout me paraĂźt morose, quand je rentre le soir et que jâallume mon petit Ă©cran, il y a des catastrophes, il y a des Ă©boulements, il y a des guerres, je me sens vivant parce que je ne suis pas mort. Il y a un effet de comparaison. Je ne me sens pas vivant par lâintĂ©rieur, mais par diffĂ©rence avec la mort, avec la tragĂ©die. Nous avons besoin de nous rĂ©Ă©duquer par rapport Ă ce phĂ©nomĂšne dâĂȘtre fascinĂ© par lâhorreur et dâattendre cela. Il y a ce phĂ©nomĂšne de la culture du malheur. Nous savons ce qui ne va pas. Nous savons nous plaindre, nous lamenter, mais nous ne savons pas bien nous rĂ©jouir et nous rĂ©jouir durablement. Câest un systĂšme de pensĂ©e ». Thomas nous invite Ă imaginer des mĂ©dias qui diffuseraient autant de bonnes nouvelles que de mauvaises, et cela, bien sĂ»r, en rapport avec la rĂ©alitĂ©. Mais pour un avion qui sâĂ©crase, des milliers et des milliers arrivent normalement Ă bon port⊠« Il y a des prodiges de technologie et de savoir faire humain et cela mĂ©riterait notre Ă©merveillement, notre admiration » « Si les gens des mĂ©dias rĂ©instauraient un peu plus dâĂ©quitĂ© entre bonnes et mauvaises nouvelles, je pense que cela changerait significativement lâĂ©nergie du monde ». Et dâailleurs, nous savons bien que lorsque nous entendons des bonnes nouvelles qui nous concernent, cela nous dynamise. Thomas rappelle les bienfaits de la gratitude (3). Il y a un rapport entre savoir vivre des moments de gratitude et une meilleure santĂ©. « Câest citoyen que dâapprendre Ă se rĂ©jouir profondĂ©ment pour pouvoir transformer les choses ».
Dans cet entretien, Thomas dâAnsembourg vient nous rejoindre dans les Ă©motions qui abondent dans notre vie quotidienne. Et il y en a une, la joie qui est un tremplin pour une vie heureuse, tournĂ©e vers le bon et vers le beau. Cependant , dans le monde oĂč nous vivons, les circonstances auxquelles nous devons faire face, la joie est souvent Ă©touffĂ©e par dâautre Ă©motions. Elle est Ă©galement empĂȘchĂ©e par une culture hĂ©ritĂ©e dâun passĂ© douloureux : une « culture du malheur » comme une culture du deuil et du sacrifice. Thomas dâAnsembourg vient nous aider Ă y voir clair, Ă lever les obstacles qui font opposition Ă la joie et Ă reconnaĂźtre celle-ci en dĂ©sir dâĂ©mergence dans notre vie. Comme cet entretien fait rĂ©fĂ©rence Ă lâapport de traditions religieuses en faveur de la joie, rappelons lâappel de JĂ©sus : « Je vous ai dit cela afin que ma joie soit en vous et votre joie soit complĂšte » (Jean 15.11). Et, en 2013, le pape François publie un texte sur « la joie de lâEvangile » (4). Si lâon pense que lâĂȘtre humain est fondamentalement un ĂȘtre en relation, avec lui mĂȘme, avec les autres humains, avec la nature et avec Dieu, alors on imagine que la joie rĂ©sulte de la qualitĂ© et de lâharmonie de ces relations. Dans les chemins oĂč la joie se dĂ©couvre, il y a cette levĂ©e des obstacles Ă laquelle nous invite Thomas dâAnsembourg.
- Face Ă la violence, apprendre la paix (avec des liens Ă dâautres articles rapportant sur ce blog la pensĂ©e de Thomas dâAnsembourg) : https://vivreetesperer.com/face-a-la-violence-apprendre-la-paix/
- Une émotion à surmonter : la peur
- Thomas dâAnsembourg : la joie : https://www.youtube.com/watch?v=B5vyHlEDU04
- Evangelii Gaudium : http://www.vatican.va/content/francesco/fr/apost_exhortations/documents/papa-francesco_esortazione-ap_20131124_evangelii-gaudium.html
par jean | Juin 2, 2021 | ARTICLES, Vision et sens |
Le parcours dâAngĂ©lique Kidjo du BĂ©nin Ă une vie internationale
 Un petit livre vient de paraĂźtre dans une nouvelle collection : « Je chemine avec AngĂ©lique Kidjo » (1). Ainsi, Ă travers des entretiens avec Sophie Lhullier, nous dĂ©couvrons le parcours et le tĂ©moignage dâune chanteuse rĂ©putĂ©e internationalement. La collection elle-mĂȘme mĂ©rite attention. Elle est destinĂ©e aux jeunes. « Comment trouve-t-on sa voie ? Quand nous demande-t-on ce qui nous anime, ce qui nous donnerait envie de nous lever le matin ? Dâou lâidĂ©e de partager lâexemple de possibles, de rĂ©cits de vie de personnalitĂ©s trĂšs diffĂ©rentes, mais toutes libres et passionnĂ©es ». En fait, le public sâĂ©tend bien au delĂ des jeunes, Ă tous ceux qui se veulent Ă lâĂ©coute, en mouvement.
Nous avons dĂ©couvert la personnalitĂ© dâAngĂ©lique Kidjo Ă travers le message dâune amie sur facebook . Effectivement, ce livre nous prĂ©sente un rĂ©cit de vie particuliĂšrement instructif Ă double titre : il nous prĂ©sente un tĂ©moignage oĂč nous voyons un fil conducteur ; sagesse et Ă©thique, et, en mĂȘme temps, il nous permet de mieux comprendre comment un nouveau monde est en train de se construire, un monde en transformation oĂč chacun dâentre nous compte et est appelĂ© Ă jouer un rĂŽle constructif. Il y a lĂ une lecture, tonique, encourageante, Ă partager.
Un parcours international
Le parcours dâAngĂ©lique Kidjo nous est prĂ©sentĂ© dans une introduction (p 8-9) : Elle nait au BĂ©nin en 1960, deux semaines avant lâindĂ©pendance. « Elle y vit une enfance entourĂ©e de parents ouverts et dâune fratrie de musiciens ». Toute petite fille, elle commence Ă chanter. Dans une ambiance favorable, elle apparaĂźt trĂšs vite sur scĂšne. Et « elle devient une star au BĂ©nin Ă 19 ans ». « En 1983, ne pouvant plus sâexprimer en tant quâartiste en raison de la dictature, AngĂ©lique Kidjo dĂ©cide de fuir en France pour continuer Ă chanter librement. Elle repart Ă zĂ©ro, sâinscrit dans une Ă©cole de jazz oĂč elle rencontre son futur mari, Jean Hebrail. Depuis, ils nâont cessĂ© de travailler ensemble. En 1991, elle sort son premier album français : « Logozo » dont le succĂšs est immĂ©diat et international. ». En 1998, AngĂ©lique et son mari sâinstallent aux Etats-Unis oĂč ils vivent depuis lors. La crĂ©ativitĂ© musicale dâAngĂ©lique Kidjo sây dĂ©ploie brillamment. Elle rĂ©alise de nombreux albums « intimement liĂ©s Ă lâhistoire de lâAfrique et aux droits humains ». « Elle associe, avec brio, la beautĂ© des musiques traditionnelles dâAfrique Ă lâĂ©nergie et Ă la vivacitĂ© des musiques contemporaines. Par le chant, elle cherche Ă rassembler les peuples et les cultures, Ă pacifier les relationsâŠÂ ». AngĂ©lique Kidjo est Ă©galement engagĂ©e socialement. « Elle est ambassadrice de bonne volontĂ© de lâUnicef depuis 2002. Pour elle, tant que lâĂ©ducation ne sera pas devenus la prioritĂ© de tous les adultes, le justice et la paix ne pourront pas rĂ©gner dans le monde. Câest pourquoi, elle a crĂ©Ă© en 2006 sa fondation Batonga qui oeuvre en faveur de lâĂ©ducation secondaire des jeunes filles africaines.
Une source inspirante.
LâĂ©ducation dâAngĂ©lique dans une famille pionniĂšre.
 Au cours de cet entretien, on dĂ©couvre combien la famille dâAngĂ©lique jouĂ© un rĂŽle majeur dans sa formation et son orientation.
Non seulement cette famille lâa encouragĂ© dans le dĂ©veloppement de ses dons et ses talents, mais elle a participĂ© Ă lâadoption de valeurs fondatrices. Il y a lĂ un fait original, car cette famille Ă©tait particuliĂšrement ouverte. Ainsi a-t-elle reçu une Ă©ducation « atypique », orientĂ©e vers la bienveillance, lâaccueil et le respect de la femme. Son pĂšre croyait hautement Ă lâimportance de lâĂ©ducation scolaire, envoyant Ă lâĂ©cole ses nombreux enfants, les filles comme les garçons. Il appelait sa fille Ă rĂ©flĂ©chir par elle-mĂȘme, mais aussi Ă tenir compte des autres et Ă savoir se remettre en cause. « Jâai Ă©tĂ© Ă©duquĂ©e dans cette logique dâassocier la tĂȘte et le cĆur Ă toute rĂ©flexion » (p 12). Et aussi, son pĂšre manifestait une attitude de bienveillance et de comprĂ©hension.  Un jour quâAngĂ©lique sâĂ©tait violemment emportĂ©e en dĂ©couvrant la rĂ©alitĂ© de lâapartheid, son pĂšre lui a dit : Tu as le droit dâĂȘtre en colĂšre et de ne pas comprendre pourquoi il y a lâapartheid en Afrique du sud, mais jamais je ne te laisserai aller vers la haine et la violence⊠Que veux-tu ? Comment vois-tu la vie ? Tu veux un monde de guerre perpĂ©tuelle ou tu veux que lâon arrive un jour Ă comprendre que nos diffĂ©rences sont nos forces et pas nos faiblessesâŠÂ » (p 31). AngĂ©lique a rĂ©flĂ©chi et a rĂ©Ă©crit la chanson qui faisait problĂšme. Son pĂšre respectait la vocation de sa femme Ă la tĂȘte dâune compagnie de thĂ©Ăątre. AngĂ©lique a intĂ©grĂ© celle-ci Ă lâĂąge de six ans. « La personne que je suis a commencĂ© Ă se construire là  » (p 13). Son pĂšre et sa mĂšre Ă©taient fĂ©ministes. « Sa mĂšre a Ă©levĂ© ses garçons de la mĂȘme maniĂšre que les filles (p 12).
AngĂ©lique sâest interrogĂ©e sur la personnalitĂ© « atypique » de ses deux parents. Elle y voit lâinfluence des ses deux grands-mĂšres, veuves trĂšs jeunes et qui sont devenues des « femmes fortes » engagĂ©es dans une activitĂ© marchande.
Un autre Ă©lĂ©ment est intervenu dans la formation dâAngĂ©lique : la prĂ©sence dâune nombreuse fratrie. Ses frĂšres jouaient tous dâun instrument et ils Ă©taient trĂšs engagĂ©s dans la musique. AngĂ©lique a chantĂ© depuis la petite enfance et elle a grandi en Ă©coutant beaucoup de musique depuis la musique traditionnelle jusquâĂ pratiquement toutes les musiques du monde » (p 13). Ainsi, ce livre nous Ă©claire sur le contexte dans laquelle la personnalitĂ© dâAngĂ©lique sâest forgĂ©e. Et, de plus, dans la sympathie Ă©veillĂ©e par cette lecture, nous apprenons beaucoup sur la civilisation africaine et sur son Ă©volution.
Toute créativité
Un parcours musical exceptionnel
A 23 ans, AngĂ©lique arrive en France. Elle rĂ©ussit une adaptation difficile en sâengageant dans une formation musicale et câest dans une Ă©cole de jazz quâelle rencontre Jean Hebrail, bassiste, compositeur qui devient son mari. De rencontre en rencontre, elle trouve une reconnaissance et une aide pour sâexprimer. AngĂ©lique nous dĂ©crit cet univers et rend hommage Ă ceux qui ont choisi de travailler avec elle. Ses albums rencontrent de grand succĂšs. Ce fut le cas de « Logozo » en 1991. Des concerts en rĂ©sultent jusquâen Australie. Dea tournĂ©es sâorganisent autour de ces succĂšs comme « Agolo » (terre nourriciĂšre). En 1998, AngĂ©lique et son mari sâinstallent aux Etats-Unis oĂč ils vont rĂ©sider jusquâĂ aujourdâhui. Elle y rĂ©alise une trilogie musicale sur lâesclavage (p 66). Aujourdâhui, la rĂ©putation dâAngĂ©lique Kidjo est internationale. Ainsi, on lui a demandĂ© de chanter devant un parterre de chefs dâĂ©tat lors du centenaire de lâarmistice du 11 novembre 2018 (2).
Cette carriĂšre musicale tĂ©moigne dâun dynamisme considĂ©rable. En effet, il nây a pas seulement une grande crĂ©ativitĂ© artistique, mais il y a aussi une intense activitĂ© relationnelle. Celle-ci se manifeste notamment dans le travail quotidien avec de nombreux collaborateurs. « Choisir le bon manager et le bon producteur, câest capital dans la profession ». Et pour ses albums, il y a chaque fois un choix de partenaires, de musiciens. « On ne se fait pas tout seul, jamais. Beaucoup de soutiens mâont ouvert les voies. Jâessaie de ne jamais lâoublier. Câest pour cela que je fais le maximum pour aider autour de moi » (p 65). Sur la scĂšne, il y a Ă©galement une relation intense avec le public. « On nâest jamais artiste seul. Sans public, il nây a pas dâartiste. Tu crĂ©es Ă partir de ce qui est au fond de toi, de ce que tu as vĂ©cu, mais aussi ce que dâautres ont vĂ©cu et de ce que tu as vĂ©cu Ă travers eux » (p 102).
Au total, il y a un fil conducteur, câest lâinspiration. « Quand on Ă©crit, comme dit Philip Glass, câest du domaine de lâinconnu. Ce nâest pas toi qui dĂ©cide du moment oĂč les mots ou la musique doivent sortir. Et quand ça vient, il faut essayer de prĂ©server tel quel ce qui arrive » (p 102).
LâAfrique au cĆur
 AngĂ©lique vient dâune famille africaine avancĂ©e dans lâaffirmation du respect des autres, du respect des femmes. Son tĂ©moignage nous fait part de lâexemple donnĂ© par son pĂšre et par sa mĂšre dans lâhĂ©ritage dâune lignĂ©e de grand-mĂšres, « femmes puissantes ». Câest un rappel de lâinfluence de choix personnels bien au delĂ du prĂ©sent immĂ©diat, car AngĂ©lique a portĂ© ensuite ces valeurs de respect, ce refus de la haine et de la violence. Et de mĂȘme, la vocation musicale dâAngĂ©lique sâenracine dans sa famille. Elle sâinscrit Ă©galement dans le contexte de la culture africaine. Câest au BĂ©nin quâelle a appris la musique. Et, dans sa rĂ©ussite de chanteuse, elle a repris lâhĂ©ritage des rythmes africains et elle a Ă©crit ses chansons dans des langues africaines. Elle nous dit parler quatre langues du BĂ©nin : le fon, le yoruba, le goun et le mina (p 83). LâĆuvre dâAngĂ©lique Kodjo a portĂ© haut la culture musicale africaine quâelle retrouve Ă©galement dans la diaspora et, particuliĂšrement, dans la descendance de lâesclavage prĂ©sente en AmĂ©rique des Etats-Unis au BrĂ©sil en passant par les Antilles. Dans ce mouvement, AngĂ©lique Kodjo a rĂ©alisĂ© une trilogie musicale sur lâesclavage.
Dans cet entretien, elle nous rappelle maintes fois cette histoire douloureuse dont nous mĂ©connaissons trop souvent la charge et lâimportance. « la violence de nos sociĂ©tĂ©s est un hĂ©ritage de lâesclavage⊠On commence seulement Ă se poser la question de savoir pourquoi lâAfrique, un continent riche (en matiĂšres premiĂšres, en forces vitales), compte le plus de pauvretĂ©. Lâexploitation des richesses de lâAfrique par les pays occidentaux perpĂ©tue ce systĂšme inĂ©galitaire auquel il faut mettre fin. Et si on commence Ă examiner lâhistoire Ă©conomique mondiale, on se rend compte que câest le travail des esclaves qui a financĂ© la richesse des pays occidentaux et a fondĂ© un capitalisme inhumain. Aux Etats-Unis, les esclaves ont travaillĂ© quatre cent ans sans ĂȘtre payĂ©s⊠Tant que cette rĂ©alitĂ© historique ne sera pas reconnue, nous ne pourrons pas progresser parce que le poison de lâhumiliation et de la dĂ©shumanisation des africains restera au cĆur des sociĂ©tĂ©s » (p 127-128). « Il faut Ă©galement se souvenir que jusquâĂ la Renaissance, on trouvait en Afrique, des sociĂ©tĂ©s, des royaumes, de lâarchitecture dâun niveau comparable Ă lâEurope. Tout un pan africain de lâhistoire de lâhumanitĂ© a Ă©tĂ© occultĂ© pendant longtemps (p 128-129).
AngĂ©lique Kidjo porte lâAfrique dans son cĆur. DĂ©jĂ dĂ©crite, câest la prĂ©sence de lâAfrique dans ses chants et sa musique. Ainsi, dans un album comme « Djin Djin », elle a voulu partager sa culture bĂ©ninoise avec des musiciens bĂ©ninois actuels. (p 76). Et puis, elle est Ă©galement engagĂ©e socialement au service de lâAfrique Ă lâUnicef et dans la fondation Batonga qui Ćuvre pour lâĂ©ducation  secondaire des jeunes filles en Afrique.
Une sagesse. Une Ă©thique
Des valeurs vécues au quotidien
Au tout dĂ©but de lâinterview, AngĂ©lique Kidjo proclame une vision universaliste de lâĂȘtre humain : « Avant dâĂȘtre femme, avant dâĂȘtre noire, je suis un ĂȘtre humain » (p 12). Et elle rappelle ensuite son vĂ©cu familial oĂč elle a appris le respect des autre qui est aussi le respect de la femme et qui se manifeste par une hospitalitĂ© ouverte. Elle y a appris Ă©galement Ă rejeter la haine et Ă refuser la violence.
Le respect des autre, câest aussi le respect de soi-mĂȘme, et par lĂ mĂȘme, une hygiĂšne de vie. Cette hygiĂšne de vie lui paraĂźt indispensable dans son mĂ©tier de chanteuse. « Les cordes vocales sont comme les muscles » (p 95). Il y a donc des rĂšgles de vie importantes : bien dormir, avoir une alimentation saine, ne pas fumer ou boire de lâalcool. Depuis une dizaine dâannĂ©es, AngĂ©lique pratique la mĂ©ditation. « Tous les voyages que jâai fait, mâauraient tuĂ© sans la mĂ©ditation » (p 97).
La sagesse, câest aussi ne pas sâenorgueuillir : « Savoir rester humbleâŠ.Tu es au service de ton inspiration. Laisse ta chanson se faire. Cette vulnĂ©rabilitĂ© te permet de saisir clairement ce dont tu as envieâŠ. Quand lâinspiration se prĂ©sente, le moment est tellement fugace que si tu nâadoptes pas une posture dâhumilitĂ©, tu risques de passer Ă cĂŽté » (p 103-104).
AngĂ©lique Kidjo trouve des joies intenses dans son mĂ©tier de chanteuse. Câest le plaisir de chanter, le bonheur dâĂȘtre en scĂšne (p 104), mais câest aussi le travail dâĂ©quipe. AngĂ©lique est trĂšs sensible Ă lâaccueil du public. Il y a des personnes qui se mettent en mouvement parce quâelles trouvent une Ă©nergie, une espĂ©rance dans les chansons dâAngĂ©lique.
Il y a une dynamique de vie dans ses chansons. AngĂ©lique dĂ©plore lâindividualisme qui rĂšgne en France, une attitude trĂšs diffĂ©rente de celle qui prĂ©vaut en Afrique. « Quand je rencontre quelquâun chez moi dans ma ville Ă Cotonou, on se dit bonjour, on se rĂ©pond⊠Quand je suis arrivĂ©e en France, quand je rencontrais les voisins de lâimmeuble dans les escaliers et que je leur disais bonjour, ils se collaient au mur comme si jâallais les agresser.. Ne rien voir, ne rien dire, ne rien entendre, câest souvent ça pour moi, les pays riches » (p 108-109).
AngĂ©lique Kidjo a toujours eu un sens aigu de la justice, mais trĂšs jeune, elle a dĂ©couvert le danger de la violence (p 25). Et elle a adoptĂ© le mĂȘme refus de la haine que celui de ses parents. « Chanter est ma responsabilitĂ©. Il ne faut pas la prendre Ă la lĂ©gĂšre. Il ne faut pas chanter la haine » (p 117). « Que demande lâamour ? DĂ©jĂ que lâon sâaime soi-mĂȘme avec ses dĂ©fauts et ses qualitĂ©s, que lâon soit prĂȘt Ă ĂȘtre vulnĂ©rable et rejetĂ© dans cet amour, pour ensuite retrouver la force dans ce rejet. La haine ne demande rien. La haine se nourrit de la haine . La colĂšre, mĂȘme Ă toute petite dose, se transforme rapidement en un problĂšme insurmontable. Puis tu commences Ă haĂŻr et le temps que tu alimente cette haine, tu ne sais mĂȘme plus pourquoi elle est apparue. Tu entres dans le vortex de la haine qui va te broyer parce quâelle nâapporte que violence et destruction. La haine nait de la peur. De quoi avons nous peur ? (p 131-132).
AngĂ©lique et Jean ont une fille, Naima, grande maintenant. Naima a reçu une Ă©ducation internationale incluant ses origines bĂ©ninoises. La maniĂšre dont AngĂ©lique parle de lâĂ©ducation de sa fille tĂ©moigne de ses valeurs. « Ce que jâespĂšre lui avoir transmis, câest cette valeur fondamentale : « Aime-toi, respecte-toi et respecte les autres. Et ne fais jamais subir Ă autrui ce que tu ne voudrais pas subir toi-mĂȘme » (p 142).
« Je chemine avec AngĂ©lique Kidjo » : La conversation qui se dĂ©roule Ă travers lâinterview est trĂšs agrĂ©able Ă suivre. Elle suscite de la sympathie et elle est aussi trĂšs instructive.
Certes nos goĂ»ts musicaux sont diffĂ©rents les uns des autres. On ne se reconnaĂźt pas nĂ©cessairement dans telle musique. Mais nây a-t-il pas lĂ aussi Ă apprendre du nouveau ?
Voici un livre qui Ă©largit notre vision.
Nous y apprenons la vitalitĂ© crĂ©ative de lâAfrique, la richesse de la civilisation africaine.
Cette richesse sâexprime notamment dans la musique et nous en y voyons ici la dimension internationale.
Ce livre nous rappelle Ă©galement lâampleur des mĂ©faits de lâesclavage. Câest une rĂ©alitĂ© que nous avons trop tendance à oublier.
Voici Ă©galement un message tonique. Câest lâimportance des choix et des attitudes personnelles. Parce quâun pĂšre et une mĂšre ont choisi le respect des autres et, Ă une Ă©chelle plus vaste, le respect de la femme, un sain fĂ©minisme, leur fille AngĂ©lique, a pu trouver lĂ une inspiration et se dĂ©ployer dans une vie ouverte et crĂ©ative. Au delĂ de son pays dâorigine, elle nous apporte un message de paix dans une convivialitĂ© internationale.
Si il y a aujourdâhui beaucoup dâombre dans ce monde, il y a aussi de la lumiĂšre. AngĂ©lique Kidjo nous apporte une dynamique de vie qui vient nous Ă©clairer. Oui, le titre du livre est bien choisi : « Je chemine avec AngĂ©lique Kidjo ». AngĂ©lique nous accompagne.
J H
- Angélique Kidjo. Je chemine avec Angélique Kidjo. Entretiens menés avec Sophie Lhuillier. Seuil, 2021
- AngĂ©lique Kidjo a Ă©crit prĂ©cĂ©demment des mĂ©moires : « La voix est le miroir de lâĂąme » (2017) Elle est interviewĂ©e Ă ce sujet : https://www.youtube.com/watch?v=DDKEr1FLfFs
- « Pour le 11 novembre, Angélique Kidjo a ému les spectateurs ave la chanson de « Blewu » : https://www.youtube.com/watch?v=j5jk4sr6Upg
par jean | Juin 4, 2021 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Vision et sens |
Une juste expression
Selon Jean Birnbaum
Lorsque lâinsĂ©curitĂ© prĂ©vaut, lorsque lâangoisse qui en rĂ©sulte suscite une agressivitĂ© gĂ©nĂ©ralisĂ©e, lorsque cette agressivitĂ© sâexprime dans une polarisation idĂ©ologique et lâaffrontement de camps opposĂ©s, alors lâexpression libre de la pensĂ©e est menacĂ©e par les pressions sociales, et le dĂ©bat public est lui-mĂȘme handicapĂ©. Dans ce contexte, il importe de rĂ©sister. Câest lâappel lancĂ© par Jean Birnbaum dans un essai : « Le courage de la nuance » (1). « Tout commence par un sentiment dâoppression. Si jâai Ă©crit ce livre, ce nâest pas pour satisfaire un intĂ©rĂȘt thĂ©orique, mais parce que jâen ai Ă©prouvĂ© la nĂ©cessitĂ© interne. Il fallait nommer cette Ă©vidence. Dans les controverses politiques comme dans les discussions entre amis, chacun est dĂ©sormais sommĂ© de rejoindre tel ou tel camp, des arguments sont de plus en plus manichĂ©ens, la polarisation idĂ©ologique annule dâemblĂ©e la possibilitĂ© mĂȘme dâune position nuancĂ©e ». « Nous Ă©touffons parmi les gens qui pensent avoir absolument raison » disait naguĂšre Albert Camus et nous sommes nombreux Ă ressentir la mĂȘme chose aujourdâhui » (p 11).
Jean Birnbaum est en situation dâĂ©mettre un jugement sur la conjoncture du dĂ©bat intellectuel. En effet, depuis 2011, il dirige le Monde des Livres et, lui-mĂȘme, il a Ă©crit deux essais : « Un silence religieux. La gauche face au djihadistes » (2), « La religion des faibles. Ce que le djihadisme dit de nous » dans lesquels il pointe des manques dans la culture actuelle face Ă un Ă©lan religieux extĂ©rieur. Et nous dit-il, Ă deux ans dâintervalle (2016 et 2018), participant, Ă ce sujet, Ă de nombreuses rencontres publiques, avoir observĂ© un changement de climat : « Dans la mĂȘme ville, parfois avec les mĂȘmes personnes, lâatmosphĂšre Ă©tait beaucoup moins ouverte. On pouvait observer une suspicion latente « avec une accusation qui effectue actuellement un grand retour et qui tient en quatre mots : « faire le jeu de » (p 14). « Vieille antienne. A lâĂ©poque du stalinisme dĂ©jĂ , le Ă©crivains qui dĂ©nonçaient le goulag Ă©taient accusĂ©s de faire le jeu du fascisme ».
En Ă©crivant ce livre, Jean Birnbaum se propose donc de nous offrir « Un bref manuel de survie par temps de vitrification idĂ©ologique, pour faire piĂšce Ă la suspicion. Non seulement parce quâil cĂ©lĂšbre la nuance comme libertĂ© critique, comme hardiesse ordinaire, mais aussi parce quâil est nourri par cette conviction que le livre, lâancienne et fragile tradition du livre constitue pour la nuance le plus sĂ»r des refuges » (p 15). Et il Ă©crit un essai, car câest un genre de livre oĂč la puissance de la nuance peut sâĂ©panouir au mieux à « la charniĂšre de la littĂ©rature et de la pensĂ©e » (p 16). Dans cette approche, Jean Birnbaum a eu lâidĂ©e de nous montrer combien on peut sâappuyer sur lâexemple « dâintellectuels et dâĂ©crivains qui illustrent un hĂ©roĂŻsme de la mesure ». Il fait appel à « des figures aimĂ©es auxquelles il revient souvent et dont il est convaincu quâen ce temps pĂ©rilleux, elles peuvent nous aider Ă tenir bon, Ă nous tenir bien » (p 17). Ce sont des personnes courageuses : Albert Camus, Georges Orwell, Hannah Arendt, Raymond Aron, Georges Bernanos, Germaine Tillon ou encore Roland Barthes. Si ces noms nous sont pour la plupart connus, leur parcours ne lâest pas toujours et, avec Jean Birnbaum, il est bon de revisiter leur histoire et dâen apprĂ©cier le sens et la portĂ©e.
Cet essai nâest pas volumineux, mais il est riche et dense. Il appelle une lecture attentive et mĂȘme enthousiaste. Dans notre prĂ©sentation, nous nous bornerons Ă situer ces auteurs dans lâhistoire et, avec Jean Birnbaum, Ă©voquer quelques traits de leurs personnalitĂ©s.
https://youtu.be/o5fu8S1irZY
Le courage de la nuance face aux pressions totalitaires
Si il y a bien aujourdâhui une menace croissante de polarisation idĂ©ologique, la situation aujourdâhui ne nous paraĂźt pas aussi tendue et aussi dangereuse quâelle a pu lâĂȘtre, durant quelques dĂ©cennies au XXĂš siĂšcle, Ă lâĂ©poque oĂč des rĂ©gimes totalitaires sâĂ©taient installĂ©s en Europe et y exerçaient leur pression : Le fascisme, lâhitlĂ©risme et le stalinisme. Les auteurs mis en valeur dans ce livre ont vĂ©cu durant cette pĂ©riode.
Georges Bernanos
La menace fasciste sâest rĂ©vĂ©lĂ©e durant la guerre dâEspagne dans le putsch de lâarmĂ©e contre la RĂ©publique espagnole et la guerre civile qui sâen est suivie. Câest lĂ quâon voit rĂ©agir Georges Bernanos dans son livre : « Les grands cimetiĂšres sous la lune » : « un tĂ©moignage sur la guerre dâEspagne rĂ©digĂ© Ă chaud par le romancier connus pour engagements royalistes et chrĂ©tiens qui nâen proclame pas moins son dĂ©gout pour les crimes du GĂ©nĂ©ral Franco et ses complices en soutane »  (p 36). LâĂ©vĂ©nement est dâautant plus significatif que Georges Bernanos a longtemps Ă©tĂ© un militant dâextrĂȘme-droite. Or, il refuse de ne pas voir les atrocitĂ©s en cours et il intervient pour les dĂ©noncer. « NaguĂšre dĂ©vouĂ© au puissant mouvement monarchiste, Bernanos vient donc briser le consensus chez ses anciens compagnons et plus gĂ©nĂ©ralement chez les soutiens français de Franco » (p 31).
A quoi tient cet engagement ? Georges Bernanos se dit « un homme de foi ». Il refuse le dĂ©ni du mal et voit dans la mĂ©diocritĂ© une rĂ©alitĂ© spirituelle « qui mĂȘle dĂ©sinvolture morale, contentement de soi et furieuse cĂ©cité⊠Il en rĂ©sulte un parti-pris de ne pas voir ce qui crĂšve les yeux » (p 41). Georges Bernanos voit dans lâenfance « une grĂące Ă prĂ©server, un Ă©lan qui se met Ă travers de lâimposture et du fanatisme⊠Nulle naĂŻvetĂ© ici… Sous la lumiĂšre de Bernanos, la nuance est un aveuglement surmonté » (p 44-45).
Georges Orwell
La guerre dâEspagne a Ă©galement mis en Ă©vidence le courage dâun autre Ă©crivain : Georges Orwell. Dans les deux camps, la guerre dâEspagne apparaĂźt Ă beaucoup comme « un combat contre le mal, une lutte finale ». Et dĂšs lors, « la prioritĂ© est de serrer les rangs, et dire la vĂ©ritĂ© devient inopportun, voire criminel si la proclamation de cette vĂ©ritĂ© sert « objectivement les intĂ©rĂȘts de la partie adverse » (p 82). Câest contre ce mĂ©canisme que Georges Orwell sâest Ă©levĂ©Â en affirmant la primautĂ© de lâhumain et de ce quâil appelle « la dĂ©cence ordinaire ». (p 86). « Ce qui fonde toute Ă©mancipation, câest la justesse des idĂ©es, mais surtout la vĂ©ritĂ© des sentiments » (p 87). On comprend pourquoi son grand roman antitotalitaire « 1984 » a pour hĂ©ros un amoureux des mots que le rĂ©gime prive bientĂŽt de la possibilitĂ© non seulement dâĂ©crire, mais de ressentir » (p 87). Et, de mĂȘme quâOrwell sait manifester de la sympathie, il aime la franchise. « Chez lui, ce franc parler se conjugue au doute ; Dire son fait Ă autrui, certes, mais aussi assumer ses propres failles⊠se montrer « fair play ». La meilleure façon dâĂȘtre honnĂȘte, câest de renoncer Ă une illusoire « objectivité »⊠Si « Hommage Ă la Catalogne » est un rĂ©cit bouleversant, câest parce que lâesprit critique et lâironie y annulent dâavance toute vellĂ©itĂ© dogmatique » (p 90). « Refusant de cĂ©der au chantage idĂ©ologiqueâŠ, Orwell nous lĂšgue sa conception de la nuance comme franchise obstinĂ©e. Avec, pour corollaire ce principe si prĂ©cieux : jamais une vĂ©ritĂ© ne devrait ĂȘtre occultĂ©e sous prĂ©texte quâen nommant les choses on risquerait de se mettre Ă dos telle personne importante ou de « faire le jeu » de telle idĂ©ologie funeste » (p 95).
Hannah Arendt
La guerre dâEspagne fut un prĂ©lude Ă lâexpansion de lâAllemagne nazie. La philosophe Hannah Arendt a fui cette domination pour se rĂ©fugier aux Ătats-Unis en 1941. Elle a Ă©prouvĂ© les effets de la « bĂȘtise », ce quâelle dĂ©signe par : « un certain rapport Ă soi, une maniĂšre de coller Ă ses propres prĂ©jugĂ©s jusquâĂ devenir sourd aux vues dâautrui » (p 58). « Pas de pensĂ©e sans dialogue avec les autres et pour commencer avec soi. Avoir une conscience aux aguets, se sentir capable dâentrer dans une dissidence intĂ©rieure, voilĂ le contraire du mal dans sa banalitĂ©Â ; pour Arendt, la pensĂ©e a moins Ă voir avec lâintelligence quâavec le courage. Câest un hĂ©roĂŻsme ordinaire. DâoĂč son insistance sur « le manque dâimagination » dâEichman, lâimpossibilitĂ© qui Ă©tait la sienne de se mettre Ă la place des autres. Aussi « cet hĂ©roĂŻsme de la pensĂ©e se confond-il largement avec le gĂ©nie de lâamitiĂ©. Câest seulement parce que je peux parler avec les autres que je peux parler avec moi-mĂȘme, câest Ă dire penser » (p 59).
Raymond Aron
Le sociologue et philosophe Raymond Aron, lui aussi, a Ă©tĂ© confrontĂ© avec le nazisme. En 1933, nommĂ© Ă un poste dâassistant de philosophie en Allemagne, il dĂ©couvre la montĂ©e hitlĂ©rienne. Câest une Ă©preuve oĂč il va apprendre le caractĂšre prĂ©cieux de la dĂ©mocratie. Et dans cette tourmente, il forge un idĂ©al de luciditĂ©. La luciditĂ© est la « premiĂšre loi de lâesprit », Ă©crit-il dĂšs 1933 dans sa « lettre ouverte dâun jeune français Ă lâAllemagne » (p 73). Et sa ligne de conduite repose sur le « pluralisme culturel ». Face aux emportements, le choix de Raymond Aron est « une Ă©thique intraitable du doute. « En ce sens, si lâon mentionne souvent Kant et Tocqueville comme les principales sources de sa pensĂ©e, on peut dire quâAron fut dâabord un disciple dâAristote, ce grand philosophe de la prudence » (p 76). Ainsi cĂ©lĂšbre-t-il « le suprĂȘme courage de la mesure ». Câest dans cet esprit que Raymond Aron a fait face aux totalitarismes, du fascisme au stalinisme.
Germaine Tillon
Au cours des annĂ©es qui prĂ©cĂšdent la guerre 1939-1945, Germaine Tillon est ethnologue, en recherche en AlgĂ©rie chez les berbĂšres Chaouis (p 105). En 1940, elle choisit la rĂ©sistance et « crĂ©e, avec dâautres, le cĂ©lĂšbre RĂ©seau du MusĂ©e de lâHomme, un des premiers rĂ©seaux de rĂ©sistance en territoire occupé » (p 106). Elle est dĂ©portĂ©e Ă Ravensbruck en 1943. A sa libĂ©ration, elle poursuit son Ćuvre de recherche oĂč elle tient ensemble « enquĂȘte serrĂ©e et expĂ©rience sensible» (p 108). Elle va Ă©crire surtout des « essais », « autrement dit des livres qui avancent Ă tĂątons en assumant leurs propres fragilité » (p 104). Durant la guerre dâAlgĂ©rie, Germaine Tillon se bat, cĂŽtĂ© français pour que cessent les exĂ©cutions capitales, et, en mĂȘme temps, elle dialogue avec un des meneurs algĂ©riens de la lutte armé » (p 111). « Femme de conviction, elle prĂ©servait cependant comme un trĂ©sor fragile la nĂ©cessitĂ© de ne jamais leur sacrifier la vĂ©ritĂ© et la possibilitĂ© de nouer des liens authentiques avec des gens aux idĂ©es diffĂ©rentes, voire opposĂ©es » (p 111).
Albert Camus
Albert Camus est lui aussi interpellĂ© par la guerre dâAlgĂ©rie puisquâil est originaire de ce pays. « NĂ© en AlgĂ©rie au sein dâune famille modeste, trĂšs tĂŽt orphelin de pĂšre, Ă©levĂ© par une grand-mĂšre pĂ©nible et une mĂšre illettrĂ©e, lâauteur de « La Peste » a Ă©tĂ© atteint par la tuberculose alors quâil nâavait que 17 ans » (p 24). Câest une dure Ă©preuve. Ce fut une expĂ©rience subie, mais « sa patience nâen demeura pas moins active ». Contre les rigiditĂ©s « dâun rationalisme sans nuance, elle nourrit des engagements ancrĂ©s dans la vie sensible. Ainsi, on ne comprend rien aux positions de Camus sur la guerre dâAlgĂ©rie si on nâa pas en tĂȘte le lien si charnel qui a uni ce fils de pied noirs aux ĂȘtres et aux paysages de ce pays. Au moment de la guerre dâAlgĂ©rie, il formule lâimpossible rĂȘve dâune formule « fĂ©dĂ©rale », qui aurait permis Ă la fois la fin du systĂšme colonial et lâinvention dâun nouveau « vivre ensemble », mais cela ne lâa pas empĂȘchĂ© de dĂ©fendre trĂšs tĂŽt les nationalistes algĂ©riens et leur lutte contre la puissance française, ses lois dâexception et ses « codes inhumains » (p 25). Inscrit au parti communiste dans sa premiĂšre jeunesse, Camus en a Ă©tĂ© banni. Il formule Ă son Ă©gard deux griefs quâil « relancera plus tard au fil des annĂ©es, en direction des intellectuels « progressistes » : dâune part, la prĂ©tention Ă faire entre la rĂ©alitĂ© sociale dans un carcan thĂ©orique, dâautre part, le refus dâadmettre quâun adversaire politique peut avoir raison » (p 26)⊠« ManichĂ©isme politique et mensonge existentiel sont insĂ©parables. La langue de bois est secrĂ©tĂ©e par un cĆur en toc » (p 26).
Albert Camus a suivi un sentier Ă©troit, mais juste. « Comment concilier indignation et luciditĂ©Â ? Un ĂȘtre humain peut-il donner libre cours Ă son « goĂ»t pour la justice » et, en mĂȘme temps, « tenir les yeux ouverts ? » (p 26). « Il y a un courage des limites, une radicalitĂ© de la mesure » (p 27).
Roland BarthesÂ
Jean Birnbaum adjoint à cet ensemble de portraits, Roland Barthes, philosophe, critique littéraire et sémiologue.
« Barthes sâest fixĂ© cette tĂąche impossible, non seulement prendre soin des mots, mais encore ne jamais laisser le langage se figer, toujours le maintenir dans cet Ă©tat de rĂ©volution permanente quâon appelle littĂ©rature » (p 118). Roland Barthes distingue une « parole ouverte » en terme de souffle et une « parole fermĂ©e », hermĂ©tique, comme un bloc de clichĂ©s, ce quâil appelle la « brique » (p 119). Lors dâun voyage dans la Chine MaoĂŻste, Roland Barthes saisit « la tyrannie des stĂ©rĂ©otypes » (p 121) et il Ă©touffe. A partir des annĂ©es 1970, « le sĂ©miologue fait de la nuance un souci constant et une mĂ©thode active. Je veux vivre selon la nuance », proclame-t-il » (p 122). Ainsi, « maitresse des nuances, la littĂ©rature est une permanente remise en question, une parade face aux dogmatismes » (p 122). Roland Barthes sâĂ©tablit dans le « refus du surplomb », le « refus de lâarrogance ».
Des attitudes communes
Si le contexte dâune mĂȘme Ă©poque est un dĂ©nominateur commun entre les personnalitĂ©s Ă©voquĂ©es dans ce livre, Jean Birnbaum voit chez eux des attitudes voisines. Et il Ă©voque cette perception dans de courts chapitres intermĂ©diaires, des « interludes ». Les titres en sont parlants : « Des mots libres pour des hommes libres » ; « Il faut parler franc » ; « La blague est quelque chose dâessentiel » ; « Vous avez dit : « faire le jeu de » ; « Lâinconnu, câest encore et toujours notre Ăąme » ; « La littĂ©rature, maitresse des nuances ». On reconnaitra lĂ les remarques de lâauteur Ă propos des personnalitĂ©s Ă©voquĂ©es dans ce livre. Jean Birnbaum les a choisis dans une communautĂ© dâattitudes et de dĂ©marches : « Les hommes et les femmes que jâai voulu rĂ©unir dans ce livre, ne savaient pas oĂč se mettre. Ils Ă©taient trop nuancĂ©s pour sâaligner sur des slogans. Trop libres pour supporter la discipline dâun parti. Trop sincĂšres pour renoncer Ă la franchise. Trop mobiles pour obĂ©ir Ă une politique de frontiĂšresâŠÂ » (p 129). Ces diverses figures « sâinscrivent dans une mĂȘme constellation de sensibilitĂ© et de vigilance », ce que Hannah Arendt nommait « une tradition cachĂ©e » (p 130). Alors, nous dit Jean Birnbaum, « Jâai voulu⊠entendre cette petite troupe dâesprits hardis, dĂ©livrĂ©s de tout fanatisme, qui ont acceptĂ© de vivre dans la contradiction, et prĂ©fĂ©rĂ© rĂ©flĂ©chir que haĂŻr » (p 137).
« Toute personne a droit Ă la libertĂ© de pensĂ©e, de conscience et de religion » affirme la dĂ©claration universelle des droits de lâhomme dans son article 18 et lâarticle 19 ajoute : « Tout individu a droit Ă la libertĂ© dâopinion et dâexpression » (3). Malheureusement, il y a encore certains Ă©tats oĂč ces libertĂ©s sont bafouĂ©es. Il y faut du courage pour penser, câest Ă dire penser librement. Cependant la menace vis Ă vis de lâexercice de la pensĂ©e ne vient pas seulement des pouvoirs politiques dictatoriaux. Dâune façon plus subtile, elle peut aussi sâexercer Ă partir de pressions sociales et idĂ©ologiques dans une imitation servile. Des modĂšles sâimposent en terme dâoppositions simplistes, dâune pensĂ©e en blanc et noir. Ici, le courage de penser, câest aussi le « courage de la nuance » pour reprendre le beau titre du livre de Jean Birnbaum. Les exemples vivants quâil nous apporte en ce sens viennent nous accompagner et nous encourager.
J H
- Jean Birnbaum. Le courage de la nuance. Seuil, 2021 Interview vidĂ©o de lâauteur : https://www.youtube.com/watch?v=o5fu8S1irZY
- Un silence religieux : https://vivreetesperer.com/un-silence-religieux/
- LibertĂ© de penser. LibertĂ© dâexpression : http://www.francas40.fr/var/francas/storage/original/application/93286c030c46cedd732730e0917a7c13
par jean | Déc 31, 2011 | ARTICLES, Expérience de vie et relation |
Nouvel An. Un commencement⊠Comment est ce que nous considĂ©rons lâavenir ? On sait que les reprĂ©sentations de lâavenir varient selon les religions, les civilisations. Notre reprĂ©sentation de lâhistoire est inspirĂ©e, implicitement ou explicitement par le message que nous avons reçu Ă travers la Bible, une foi en la promesse de Dieu qui nous met en mouvement Ă lâexemple dâAbraham ou du peuple juif sortant dâEgypte pour une nouvelle destinĂ©e. Et pour les chrĂ©tiens, entendre que Christ est ressuscitĂ© dâentre les morts et que la puissance de Dieu est Ă lâĆuvre, dĂšs maintenant, pour accomplir la rĂ©surrection des morts et la libĂ©ration de lâhumanitĂ© et de la nature, nous parle « dans un mĂȘme mouvement du fondement de lâavenir et de la pratique de la libĂ©ration des hommes et de la rĂ©demption du monde » (JĂŒrgen Moltmann, JĂ©sus, le Messie de Dieu (Cerf), p. 328). Câest le fondement dâune thĂ©ologie de lâespĂ©rance. Câest une inspiration pour notre sociĂ©tĂ© en ce temps de crise oĂč les menaces abondent, et aussi, pour nous personnellement dans un chemin oĂč se mĂȘlent les joies et les Ă©preuves et oĂč parfois on ne voit plus clair.
A un moment oĂč on prend de plus en plus conscience des interrelations entre lâhumanitĂ© et la nature dans laquelle elle sâinscrit, un exemple issu du monde animal vient nous apporter un Ă©clairage qui fonctionne comme une parabole.
Le magnifique film sorti en 2001 : « Le peuple migrateur » est prĂ©sent dans nos mĂ©moires ⊠et aujourdâhui accessible sur internet :
http://www.youtube.com/watch?v=ks_nLiTSvb4
Et, sur le site Flickr, on trouve des photos parfois impressionnantes dâoiseaux en migration. En voyant les images des oies sauvages en vol pour Ă©chapper au froid de lâArctique et gagner les pays du soleil, comment ne pas admirer lâinstinct qui les conduit. On est saisi par la beautĂ© de ces crĂ©atures. Et lorsquâon sait quâun vol dâoies sauvages est aussi une expĂ©rience collective oĂč une solidaritĂ© se manifeste, nâest-ce pas pour nous une source dâinspiration, la mĂ©taphore dâun mouvement oĂč la foi sâexercerait dans la communion. Ainsi, en ce Nouvel an, une superbe photo de ces oies en vol nous interpelle :
http://www.flickr.com/photos/warmphoto/6320042255/lightbox/
Elle nous suggĂšre foi, courage, solidaritĂ©. Nâaspirons-nous pas aussi Ă faire route les uns avec les autres comme beaucoup dâhommes dĂ©jĂ engagĂ©s sur ce chemin ?
JH