De rencontre en rencontre. L’histoire de la femme qui a fait lire des millions d’enfants

#

51sadn30ieL._SX316_BO1,204,203,200_« Mais qu’est ce qui les fait lire comme ça ? ». Oui, il y a bien chez les enfants une puissance de vie qui s’exprime en terme d’exploration, de dĂ©couverte et d’émerveillement. Et c’est pourquoi on doit tout simplement faciliter ce mouvement, laisser passer et encourager ce courant de vie. « Laissez les lire ! » (1) nous disait GeneviĂšve Patte Ă  travers le titre d’un livre prĂ©cĂ©dent. Et, dans celui-ci, elle rĂ©itĂšre ce message : « Mais qu’est-ce qui les fait lire comme ça ? » (2).

Comme Maria Montessori dans un autre contexte (3), c’est la reconnaissance de la puissance de vie qui s’exprime dans l’enfant. La communion intuitive et l’écoute nous permettent d’entrer dans cette rĂ©alitĂ©. L’observation et la rĂ©flexion nous aident Ă  en saisir la pleine dimension. Et, pour tout cela, la relation est premiĂšre. On peut redire ici les mots du philosophe Martin Buber : « Au commencement Ă©tait la relation » (4). En toute chose, mais combien cela est vrai ici
 Et cette dynamique relationnelle apparaĂźt comme premiĂšre dans l’histoire de vie de GeneviĂšve Patte telle qu’elle nous la prĂ©sente dans ce livre. Cette histoire se dĂ©roule de rencontre en rencontre.

 

Une famille ouverte aux autres, ouverte Ă  l’étranger

 

Au dĂ©part, GeneviĂšve nous parle de sa famille, une famille rĂ©sistante durant l’occupation, une famille ouverte aux autres, ouverte Ă  l’étranger. « J’étais bien petite, mais je me rappelle la pĂ©riode de l’Exode Ă  Poitiers. La famille Ă©tait accueillante. Tous les soirs, en mai-juin 1940, mes frĂšres et sƓurs ainĂ©s se rendaient Ă  la gare pour offrir l’hospitalitĂ© Ă  ceux qui ne savaient pas oĂč passer la nuit. J’aimais alors les grandes tablĂ©es du matin oĂč chacun se restaurait avant de reprendre la route  » (p 17)).

Ouverture aux autres, ouverture aux livres. Je suis nĂ©e et j’ai grandi dans une maison remplie de livres. Mes parents lisaient beaucoup et prenaient le temps de nous lire et de nous raconter des histoires. Il me suffisait d’aller frapper Ă  la porte du bureau de mon pĂšre pour qu’il interrompe ses recherches de palĂ©ontologie et m’accorde du temps. Il sortait alors du tiroir de sa table de travail quelques albums dĂ©licieux dont il me faisait lecture
 Ces livres m’ont laissĂ© une forte impression  » (p 13).

Au lycĂ©e, GeneviĂšve a frĂ©quentĂ© « les classes nouvelles », crĂ©es Ă  la LibĂ©ration dans un Ă©tat d’esprit pionnier. « On y privilĂ©giait le travail en Ă©quipe, l’autodiscipline et les enquĂȘtes dans la ville pour « l’étude du milieu » (p 21).

Bref, cet environnement familial et scolaire a Ă©tĂ© un point de dĂ©part privilĂ©giĂ© pour l’itinĂ©raire pionnier de GeneviĂšve Patte dans la crĂ©ation de « la Joie par les Livres » et la promotion des bibliothĂšques pour enfants.

 

Des rencontres fondatrices, de « l’Heure Joyeuse » Ă  « la Joie par les livres »

 

Mais cet avenir n’était pas Ă©crit d’avance ! Il est advenu Ă  travers des rencontres fondatrices.

La premiĂšre a Ă©tĂ© la dĂ©couverte de « l’Heure joyeuse », une bibliothĂšque d’avant garde créée Ă  Paris dans l’entre deux guerres Ă  la suite des innovations amĂ©ricaines dans le domaine de la lecture enfantine. « A travers les fenĂȘtres Ă©clairĂ©es, je voyais un spectacle qui m’enchantait. Des enfants circulaient librement dans un monde de livres. Certains semblaient accaparĂ©s par leurs lectures. D’autres consultaient les fichiers. J’avais remarquĂ© aussi la prĂ©sence discrĂšte et attentive de deux femmes. Elles conversaient en tĂȘte-Ă -tĂȘte avec des enfants. Tout cela me paraissait inhabituel. J’étais Ă©merveillĂ©e  » (p 23). GeneviĂšve nous introduit ensuite dans la vie de cette bibliothĂšque exceptionnelle. Et c’est lĂ  qu’elle a pris la dĂ©cision de devenir bibliothĂ©caire.

Quelques annĂ©es plus tard, ce fut le dĂ©but d’une aventure internationale qui allait se poursuivre ensuite tout au long de cette histoire de vie. GeneviĂšve Patte effectue un stage Ă  la BibliothĂšque Internationale pour la Jeunesse Ă  Munich. Et puis, dans cette ouverture d’esprit qui est la sienne, elle se laisse interpeller par l’idĂ©e de se rendre aux Etats-Unis oĂč les bibliothĂšques pour enfants sont florissantes. « C’est une dĂ©cision difficile. A cette Ă©poque, New-York est une ville lointaine. On n’y va pas en quelques heures. Le voyage est une vĂ©ritable aventure
 Finalement, je me laisse convaincre. Par chance, Ă  Poitiers, je rencontre un couple amĂ©ricain particuliĂšrement ouvert  » (p 49). Ces amis vont l’aider Ă  rĂ©aliser ce voyage. GeneviĂšve obtient une bourse Fulbright et travaille  Ă  la « New York Public Library ».

De retour en France, une autre rencontre va ouvrir Ă  GeneviĂšve un champ pionnier : la crĂ©ation et le dĂ©veloppement de la bibliothĂšque : « La Joie par les Livres » Ă  Clamart. C’est la rencontre avec Anne Schlumberger, la mĂ©cĂšne de l’association, qui va permettre cette rĂ©alisation. « Qui donc est la femme gĂ©nĂ©reuse qui permet cette aventure ? Elle s’appelle Anne Gruner Schlumberger. Elle appartient Ă  une famille de grands industriels protestants d’Alsace, mais aussi d’hommes de lettres et de dĂ©couvreurs de gĂ©nie. Sa famille est bien connue dans le monde entier pour ses actions de mĂ©cĂ©nat exceptionnelles de gĂ©nĂ©rositĂ© et d’intelligence
 Cependant, sa volontĂ© d’offrir une bibliothĂšque d’exception Ă  l’intention des enfants et des familles suscite de fortes rĂ©ticences en France, dans le monde des bibliothĂšques
 Pourtant, pour Anne Schlumberger, il ne s’agit pas d’un coup de tĂȘte. C’est une dĂ©cision longuement murie  » (p 68-69). MalgrĂ© les oppositions ambiantes, GeneviĂšve et une petite Ă©quipe ont acceptĂ© d’entrer dans ce qui a Ă©tĂ© au dĂ©part une aventure, une manifestation extraordinaire de crĂ©ativitĂ©. « Fallait-il donc que nous ayons un courage Ă  toute Ă©preuve ou une incroyable naĂŻvetĂ© pour nous lancer dans l’aventure de Clamart ? Nous devinions en fait que ce que nous offrait Anne Schlumberger Ă©tait unique : la confiance et la libertĂ© pour innover et pour rechercher l’excellence
 D’emblĂ©e, j’ai aimĂ© l’exigence et l’enthousiasme de la petite Ă©quipe. Nous Ă©tions liĂ©es par une conviction commune et nous aimions travailler ensemble
 Anne nous a donnĂ© toute libertĂ© pour mettre en place un projet qui ainsi a pu se dĂ©velopper  de maniĂšre naturelle, Ă  la fois cohĂ©rente et solide
 Notre dĂ©sir Ă©tait clair : rĂ©vĂ©ler aux enfants ce que peut leur apporter une bibliothĂšque pensĂ©e pour eux, un lieu qui leur permette de connaĂźtre la joie de lire et de vivre lĂ  une part de leur enfance, d’en ĂȘtre en quelque sorte les acteurs ; tout cela dans un contexte de relations simples et naturelles avec des adultes  » (p 74-76). GeneviĂšve nous dĂ©crit cette bibliothĂšque pionniĂšre qui est devenue un lieu attirant et rayonnant.

 

Ces hommes et ces femmes au cƓur intelligent

 

L’influence de la « Joie par les livres » s’est manifestĂ©e tant en France qu’à l’étranger. Et lĂ  encore, des rencontres fĂ©condes sont advenues. GeneviĂšve nous raconte ainsi la visite de Joseph Wresinski qui a marquĂ© le dĂ©but d’une vraie collaboration avec ATD-Quart Monde (p 135-136). C’est aussi le dialogue heuristique qui s’engage avec le pĂ©dopsychiatre RenĂ© Diatkine. « RenĂ© Diatkine aimait rappeler l’apport des vraies rencontres. Ma rencontre avec lui a Ă©tĂ© dĂ©terminante
 Nos intĂ©rĂȘts  se sont rejoints autour d’un mĂȘme souci : crĂ©er partout les conditions favorisant l’accĂšs de tous Ă  la lecture, en privilĂ©giant ceux qui habituellement sont Ă©loignĂ©s du monde de l’écrit
 (p 180). Chercheur et thĂ©rapeute, RenĂ© Diatkine a enrichi considĂ©rablement nos pratiques, parce que les sĂ©minaires qu’il a animĂ© Ă  notre intention ont renforcĂ© chez nous le goĂ»t de l’observation
 Observez, Ă©crivez, ne nĂ©gligez pas les dĂ©tails. Ils sont porteurs de sens
 L’observation Ă©claire nos pratiques. Elle met au cƓur de notre mĂ©tier ce qui est fondamental : la mĂ©diation » (p 185-186).

« Avec Serge Boimare, revenir aux histoires qui ont traversĂ© les Ăąges » : voici une autre rencontre impressionnante. « Serge Boimare raconte comment des enfants refusant volontairement tout apprentissage scolaire sont capables de se prendre de passion pour des Ɠuvres classĂ©es parmi les grands livres de notre patrimoine littĂ©raire : la Bible, l’OdyssĂ©e, les grands mythes classiques, les contes de Grimm ou les Ɠuvres de Jack London et de Jules Verne  » (p 197).

GeneviĂšve nous dit combien toutes ces rencontres ont Ă©tĂ© fĂ©condes : « RenĂ© Diatkine, Sarah Hirschman et Serge Boimare, ces hommes et ces femmes au cƓur intelligent, pour reprendre l’expression de Hannah Arendt, m’ont, chacun Ă  leur maniĂšre, beaucoup inspirĂ©e pour ce qui est au cƓur mĂȘme de mon mĂ©tier
 Ils partagent une mĂȘme confiance : les rencontres que les bibliothĂšques proposent, peuvent contribuer Ă  transformer les vies les plus difficiles en ouvrant par la lecture, des voies nouvelles
 J’ai beaucoup reçu de ces personnes que j’admire pour leur humanitĂ©… VoilĂ  ce qui a toujours animĂ© mes interventions en France et dans le vaste monde, notamment dans les pays du Sud, lĂ  oĂč des bibliothĂ©caires souhaitent insuffler un esprit nouveau Ă  leurs institutions (p 201-202).

 

Expériences dynamiques dans les pays du Sud

Au long de cet itinĂ©raire, GeneviĂšve s’est ainsi rendu dans de nombreux pays du Sud qui ont fait appel Ă  elle. Ce livre nous dĂ©crit ces nombreuses missions Ă  l’étranger. Ces missions ont Ă©tĂ© Ă  l’origine de belles rencontres. Parce qu’elle est entrĂ©e en sympathie avec ses interlocuteurs, GeneviĂšve a beaucoup appris des expĂ©riences en cours aujourd’hui en AmĂ©rique latine, en Afrique, en Asie.

Dans un contexte de pauvretĂ© et souvent d’injustice, GeneviĂšve nous dĂ©crit une multitude d’expĂ©riences de terrain, riches en gĂ©nĂ©rositĂ© et en humanitĂ©.

« Ce qui me frappe, c’est l’imagination de ces passeurs, la diversitĂ© de ces petites unitĂ©s de lecture parce qu’est prise en compte la diversitĂ© des personnes et des situations
 Ainsi, Ă  Guanajuato au Mexique, pour offrir le plaisir d’histoires racontĂ©es, Liliane n’hĂ©site pas Ă  utiliser les longs moments passĂ©s dans ces autocars brinquebalants qui font partie du paysage latino-amĂ©ricain. Et lĂ  elle raconte, elle montre des albums au fil des pages
 A Mexico, une ou deux fois par semaine, en soirĂ©e, Nestor accueille chez lui parents, jeunes et enfants du quartier
 L’espace de lecture, amĂ©nagĂ© dans une piĂšce de sa maison, ouvre sur la rue
Ici, on raconte, on lit Ă  haute voix des textes qui touchent, on Ă©change des impressions. L’ambiance est joyeuse
 Ailleurs encore, dans un jardin public de Jinotepe, au Nicaragua, entre balançoire et toboggan, il y a comme une sorte de petit abri, fait de bric et de broc, oĂč des enfants s’arrĂȘtent pour de longs moments de lecture. Ils peuvent s’installer Ă  de petites tables. Le choix des livres est remarquable tout comme la concentration des enfants au milieu de l’agitation ambiante (p 248-250). « J’ai donc vu Ă  l’Ɠuvre ces modestes pionniers. J’ai admirĂ© leur simplicitĂ©, leur goĂ»t de l’excellence, la rigueur de leur jugement. J’ai aimé  leur gaietĂ©. Leur enthousiasme est contagieux. Ainsi naissent et se dĂ©veloppent ici et lĂ  des initiatives qui font tache d’huile. Le travail en rĂ©seau est essentiel pour ces petites unitĂ©s  » (p 250).

GeneviĂšve cite le grand Ă©ducateur brĂ©silien : Paolo Freire : « Les hommes s’éduquent en communion et de maniĂšre mĂ©diatisĂ©e Ă  travers le monde ». « J’ai rencontrĂ© sur mon chemin des initiatives Ă©clairĂ©es par le mĂȘme esprit et dans des lieux pourtant diffĂ©rents. Les auteurs ont en commun le mĂȘme dĂ©sir de rejoindre les marges, de se rapprocher de ceux qui souvent ne sont pas reconnus par les instances Ă©ducatives et culturelles. Ils ont une haute idĂ©e de la lecture et des bibliothĂšques. Ils sont habitĂ©s par un souci de justice qui les amĂšne Ă  porter beaucoup de leurs efforts sur les oubliĂ©s. Parce qu’ils s’en rapprochent et les Ă©coutent, ils connaissent la richesse de ces personnes victimes d’exclusion et ils crĂ©ent des espaces de rencontre oĂč celles-ci peuvent pleinement trouver leur place et avoir voix au chapitre (p 214). Il y a ainsi, dans ces pays du Sud, une chaleur humaine et une vitalitĂ© que l’on dĂ©couvre Ă  travers des rĂ©cits de rencontres avec des personnes exceptionnelles.

 

Ce livre se dĂ©roule en de courts chapitres, couvrant chacun un thĂšme prĂ©cis : un Ă©pisode de vie, une rencontre, une activitĂ©, un livre, une question
 au total plus de 130 sĂ©quences, des unitĂ©s de lecture facilement accessibles. On peut lire telle ou telle d’entre elles. On peut Ă©galement entrer dans le dĂ©roulĂ© du livre et le lire de bout en bout. On y dĂ©couvre un mouvement de rencontre en rencontre, de dĂ©couverte en dĂ©couverte. Ce livre nous ouvre un horizon. « La bibliothĂšque est une terre d’envol. « Donnez-nous des livres, donnez-nous des ailes » selon la belle formule de Paul Hazard. Il y a lĂ  comme une source oĂč l’on vient goĂ»ter cette eau vive de la lecture et de la rencontre, un lieu oĂč chacun est reconnu et peut faire entendre sa voix, oĂč l’on apprĂ©cie un vivre-ensemble singulier. LĂ , je suis tĂ©moin de l’éveil de l’enfant qui, Ă  la faveur de ses dĂ©couvertes, naĂźt au monde et s’étonne, et j’ai le plaisir de partager cela avec ceux qui sont sensibles Ă  l’esprit d’enfance » (p 262).

 

J H

 

(1)            Patte (GeneviÚve). Laissez-les lire ! Mission lecture. Gallimard, 2012. Mise en perspective sur ce blog : « Laissez-les lire. Une dynamique relationnelle et éducative » : https://vivreetesperer.com/?p=523

(2)            Patte (GeneviĂšve). Mais qu’est-ce qui les fait lire comme ça ? L’histoire de la femme qui a fait lire des millions d’enfants. Les arĂšnes. L’école des loisirs, 2015

(3)            Montessori (Maria). L’enfant. DesclĂ©e de Brouwer, 1936

Maria Montessori met en lumiĂšre le potentiel de l’enfant et elle le dĂ©crit en terme « d’embryon spirituel ». Sur ce blog, l’article : « L’enfant, un ĂȘtre spirituel » : https://vivreetesperer.com/?p=340

Maria Montessori est une des grandes figures pionniĂšres du courant de l’éducation nouvelle qui se poursuit aujourd’hui  dans d’autres formes. Sur ce blog : « Et si nous Ă©duquions nos enfants Ă  la joie ? Pour un printemps de l’éducation ! » : https://vivreetesperer.com/?p=1872

(4)            « L’« essence » de la crĂ©ation dans l’Esprit est par consĂ©quent la « collaboration » et les structures manifestent la prĂ©sence de l’Esprit dans la mesure oĂč elles font reconnaĂźtre l’« accord gĂ©nĂ©ral ». « Au commencement Ă©tait la relation (Martin Buber) » (JĂŒrgen Moltmann, Dieu dans la crĂ©ation. Seuil, 1988 (p25).

 

Sur ce blog, voir aussi :

« Esprit d’enfance. Amour, humour, Ă©merveillement. Les albums de Peter Spier » : https://vivreetesperer.com/?p=1651

« Papa arbre. Un album intime » : https://vivreetesperer.com/?p=1031

Identité narrative

Identité narrative

Une identitĂ© qui se manifeste Ă  travers la narration, d’aprĂšs la philosophie de la reconstruction de Paul Ricoeur : « Soi-mĂȘme comme un autre »

Comment nous percevons nous, nous-mĂȘme ? Comment envisageons-nous notre chemin de vie ? Comment l’exprimons-nous ? Quel regard portons-nous sur notre parcours, sur ses dĂ©faillances comme sur ses points forts ? Percevons-nous notre vie en termes de moments dispersĂ©s et contradictoires ou bien comme orientĂ©e dans une mĂȘme direction. Et, lorsque nous ressentons le besoin de faire le point, au moyen d’une narration, d’un rĂ©cit, n’est-ce pas lĂ  que peut se manifester une conscience du mouvement de notre personnalitĂ© et de la vocation que nous y percevons ? Ce peut ĂȘtre ainsi une maniĂšre de prendre davantage conscience de nous-mĂȘme, de ce qui nous nous tient Ă  cƓur, de ce Ă  quoi nous nous sentons appelĂ©s. Nous pouvons ainsi exprimer une assurance dans le contexte du tĂ©moignage, une ‘attestation’ dans le langage du philosophe Paul Ricoeur pour qui l’idĂ©al de vie consiste Ă  ‘vivre bien avec et pour les autres dans des institutions justes’. Cette identitĂ© narrative est Ă©tudiĂ©e dans un livre de la philosophe Corine Pelluchon (1) : ‘Paul Ricoeur, philosophie de la reconstruction. Soin, attestation, justice’ (2). L’auteure y commente un livre majeur de Paul Ricoeur : ‘Soi-mĂȘme comme un autre’.

A quelles questions ce livre veut-il rĂ©pondre ? « Comment retrouver notre capacitĂ© d’agir quand nos repĂšres s‘effondrent Ă  la suite d’évĂšnements traumatiques ? Quelle conception du sujet rend justice Ă  la dimension narrative de l’identitĂ© ainsi qu’au tĂŽle dĂ©cisif jouĂ© par autrui et par les normes sociales dans la constitution de soi ? … » (page de couverture).

Par ailleurs, dĂ©pourvu de formation philosophique stricto sensu, nous ne rendrons pas compte de l’ensemble du livre, mais aprĂšs avoir repris quelques considĂ©rations sur l’Ɠuvre de Paul Ricoeur, nous prĂ©senterons l’approche narrative, en Ă©voquant en fin de parcours ‘les prolongements de la thĂ©orie narrative en mĂ©decine et en politique’.

 

L’Ɠuvre de Paul Ricoeur

Corine Pelluchon nous raconte d’abord comment ce livre est issu d’un sĂ©minaire consacrĂ© Ă  l’étude de ‘Soi-mĂȘme comme un autre’ et intitulĂ© ‘Soin, attestation, justice’ dans le cadre d’un parcours en ‘HumanitĂ©s mĂ©dicales’. En 2021, l’auteure a approfondi sa rĂ©flexion sur Paul Ricoeur. « C’est ainsi qu’est nĂ© ce livre dans le but de faire comprendre une Ɠuvre magistrale » (p 9).

Quel est l’esprit de cette Ɠuvre ? « L’Ɠuvre de Paul Ricoeur est une Ɠuvre de reconstruction. Ce mot doit s’entendre de plusieurs maniĂšres qui s’entremĂȘlent dans ‘Soi-mĂȘme comme un autre’. La reconstruction est le fruit de la rĂ©flexion entendue comme rĂ©appropriation de notre effort pour exister. La rĂ©flexion en tant que telle est ressaisie de soi
 Par l’interprĂ©tation, le sens, reconfigurĂ©, permet au sujet de faire le lien entre le passĂ©, le prĂ©sent et l’avenir, c’est-Ă -dire d’affirmer son identitĂ© narrative et de pouvoir se poser comme un sujet capable de tenir ses promesses » (p 10). Ainsi, nous entendons la rĂ©flexion de Paul Ricoeur comme un aide « à mener une vie bonne dans un monde qui ne l’est pas » (p 11). C’est nous encourager Ă  exister, Ă  surmonter les crises, Ă  poursuivre une action en personne responsable.

Paul Ricoeur adopte une ‘phĂ©nomĂ©nologie hermĂ©neutique’ qui se manifeste dans une approche constructive. Il s’oppose aux ‘hermĂ©neutes du soupçon’. « L’ambition de Paul Ricoeur est d’élaborer une philosophie rendant possible l’action d’un sujet soumis Ă  la passivité  mais Ă©galement capable d’initiatives
 Si on ne rend pas justice Ă  cette facultĂ© qu’a l’ĂȘtre humain de se poser comme un sujet et de se reconnaitre dans ses actes, on ne peut plus parler de libertĂ© et de responsabilité » (p 11). « Dans ‘Soi-mĂȘme comme un autre’, les diffĂ©rents fils de son Ɠuvre se rassemblent autour d’un motif central : bĂątir une ontologie de l’agir qui donne du sens Ă  l’action individuelle en dĂ©pit des Ă©preuves et aide aussi Ă  penser les conditions d’une revitalisation de l’espace politique sans laquelle les institutions dĂ©mocratiques ne sont que des coquilles vides » (p 13).

La rĂ©flexion de Paul Ricoeur vient nous aider Ă  ĂȘtre nous-mĂȘme en traversant les crises et en Ă©clairant notre travail de reconstruction. « Pour assumer sa parole et ses actes, ĂȘtre quelqu’un qui ne dit pas seulement « je », mais « me voici », il est indispensable de se penser comme moi, et non pas comme un moi quelconque. Continuer d’exister, se reconstituer aprĂšs une dĂ©pression ayant provoquĂ© l’effondrement du psychisme, rĂ©tablir de la cohĂ©rence dans une existence marquĂ©e par de nombreuses ruptures, penser sans illusion rĂ©trospective que sa vie possĂšde une unitĂ© malgrĂ© la discontinuitĂ©, redĂ©finir ses prioritĂ©s, ĂȘtre disponible pour les autres et, de nouveau pouvoir s’engager parce que l’on croit Ă  l’avenir : tel est le sens de l’hermĂ©neutique de soi que Paul Ricoeur parachĂšve dans cet ouvrage dont la notion cardinale est celle d’attestation » (p 14).

 

Le sens d’une vie

Identité narrative et herméneutique de soi

A travers l’expression d’une histoire de vie, de ce rĂ©cit, de cette narration, on dĂ©couvre l’originalitĂ©, la singularitĂ© de sa personnalitĂ©, de son identitĂ©, ce qui se traduit en une interprĂ©tation, une hermĂ©neutique de soi.

« Parler d’identitĂ© narrative signifie d’abord que la connaissance de soi passe par le fait de se raconter, de tisser les diffĂ©rents Ă©vĂšnements de sa vie pour leur confĂ©rer une unitĂ© et un sens qui n’est pas dĂ©finitif et n’exclue pas la remise en question. L’identitĂ© n’est pas figĂ©e, ni Ă  priori ; elle se transforme et se construit Ă  travers les histoires que nous racontons sur nous-mĂȘmes et sur les autres, et elle se nourrit des lectures et des interprĂ©tations qui enrichissent notre perception du monde et de nous. Plus prĂ©cisĂ©ment, l’identitĂ© narrative fait tenir ensemble les deux pĂŽles dont la fiction littĂ©raire prĂ©sentant des cas-limites soulignent l’écart maximal. En effet, quand on parle de soi et qu’on veut se connaitre ou se faire connaitre Ă  quelqu’un pour ĂȘtre compris de lui, on se raconte en mĂȘlant des Ă©lĂ©ments reflĂ©tant Ă  la fois son caractĂšre (le ‘quoi’) et le maintien de soi, l’ipse (le ‘qui’). Or l’intĂ©rĂȘt de la thĂ©orie narrative est de dĂ©tailler les opĂ©rations mises en Ɠuvre pour conjuguer l’unitĂ© et la diversitĂ© de sa vie » (p 120).

L’auteure met l’accent sur la tension entre unitĂ© et diversitĂ© au cours des vies. « Notre identitĂ© se construit par la maniĂšre dont nous agençons les Ă©vĂšnements et les interprĂ©tons, en reconnaissant que certains s’inscrivent dans une certaine continuitĂ© avec ce que nous Ă©tions (idem), alors que d’autres nous ont poussĂ© Ă  remanier nos valeurs et Ă  procĂ©der Ă  des changements importants de notre ipsĂ©ité » (p 121) « Alors, la premiĂšre opĂ©ration que la thĂ©orie narrative met en avant est la configuration : le rĂ©cit est un art de composition servant Ă  faire le lien entre la concordance et la discordance. Se raconter, se connaitre, s’interprĂ©ter, c’est procĂ©der Ă  une synthĂšse de l’hĂ©tĂ©rogĂšne  » (p 121).

Cette approche contribue non seulement Ă  permettre Ă  la personne de reconnaĂźtre la dynamique de sa vie, d’en bĂ©nĂ©ficier et, Ă  la limite, de la partager, mais aussi de traverse des crises et d’en ressortir. « La notion d’unitĂ© narrative de la vie est essentielle si l’on veut saisir l’effort par lequel un individu tente de se reconstruire aprĂšs une crise existentielle » (p 123). Dans une perspective qui dĂ©bouche sur l’engagement de la personne, Paul Ricoeur en privilĂ©gie le ressort : une motivation enracinĂ©e dans l’histoire de vie : « Parce que l’identitĂ© narrative est une Ă©tape dans la construction de son concept d’attestation, Ricoeur privilĂ©gie la dimension de cohĂ©rence sur celle de discordance » (p 126). La crise peut dĂ©boucher sur un rebondissement. « Le sujet se rassemble aprĂšs l’évĂšnement ou les Ă©vĂšnements l’ayant brisĂ©. Bien plus, pour pouvoir rĂ©pondre Ă  l’appel des autres, il doit retrouver l’estime de soi ». (p 126). « Dans le projet d’ensemble de Paul Ricoeur, la notion d’unitĂ© narrative est un des Ă©lĂ©ments de son ontologie de l’agir, qui est une ontologie de l’homme capable, agissant et souffrant. Cette prise en compte de l’existant toujours situĂ© dans un contexte social et gĂ©ographique et qui a besoin, pour s’épanouir, de s’affirmer dans plusieurs domaines et d’ĂȘtre reconnu, le mĂšne, pour introduire sa conception de l’unitĂ© narrative de la vie Ă  distinguer des plans de vie, c’est-Ă -dire de vastes unitĂ©s pratiques comme la vie professionnelle, familiale ou associative » (p 127)

La mise en Ɠuvre d’une identitĂ© narrative n’est pas sans rencontrer des difficultĂ©s auxquelles l’auteure prĂȘte attention.

« Ne raconte-t-on pas uniquement ce qui a Ă©tĂ© mĂ©tabolisĂ© ou ce qui est mĂ©tabolisable ? Jusqu’oĂč et Ă  quelles conditions faut-il accorder du crĂ©dit Ă  la notion d’identitĂ© narrative, qui implique que le sujet apprĂ©hende l’unitĂ© de sa vie ? (p 123). Elle aborde aussi le cas des personnes atteintes de la maladie d’Alzeimer. En bref, « ces personnes ne se rappellent plus ce qu’elles ont fait et qui elles Ă©taient
 La capacitĂ© de rassembler sa vie en un tout est compromise par la maladie d’Alzeimer. L’enfermement dans le prĂ©sent, caractĂ©ristique de cette pathologie, semble rendre la notion d’identitĂ© narrative totalement inopĂ©rante » (p 137) ; cependant, « il serait inexact de dire que la maladie d’Alzeimer prive la personne de son identité ». L’auteure aborde alors les modalitĂ©s de son accompagnement.

Corine Pelluchon traite Ă©galement des difficultĂ©s ressenties par les personnes ayant vĂ©cu une abomination. « Qu’il existe des narrations empĂȘchĂ©es parce que le traumatisme n’est pas dicible, ou parce qu’en faire le rĂ©cit serait s’infliger une peine supplĂ©mentaire puisqu’il ne serait pas reçu, souligne en creux l’importance de la narration. Celle-ci ne vise pas forcĂ©ment Ă  restaurer l’unitĂ© de vie, Ă  rendre acceptable ce qui ne l’est pas ou Ă  rĂ©parer l’irrĂ©parable. Toutefois, le tĂ©moignage peut donner un nouveau sens Ă  la vie, comme on le voit dans l’Ɠuvre de Semprun qui a beaucoup Ă©crit, Ă  partir des annĂ©es 1960, sur la dĂ©portation » (p 135). LĂ , l’auteure souligne que la difficultĂ© de s’exprimer dans une narration n’entame en rien ‘l’importance du rĂ©cit dans l’existence’. Parfois, « la difficultĂ© de vivre est aussi une difficultĂ© de raconter et de se raconter
 Pourtant, le rĂ©cit existe. MĂȘme brisĂ©, il ouvre le possible, puisqu’aucun rĂ©cit ne clĂŽt le sens, ne serait-ce que parce qu’il est lu par d’autres » (p 136).

Ainsi, Corine Pelluchon en arrive Ă  affirmer le rĂŽle essentiel du rĂ©cit : « Le rĂ©cit est un existential, une structure de l’existence. Notre identitĂ© est narrative, mĂȘme si nous ne pouvons totalement nous rassembler et prĂ©senter une synthĂšse de l’hĂ©tĂ©rogĂšne confĂ©rant une unitĂ© Ă  notre existence et nous permettant de regarder l’avenir avec confiance. Dire que le rĂ©cit est un existential signifie qu’il est nĂ©cessaire Ă  la comprĂ©hension de soi et qu’il permet aussi de tenir bon, mĂȘme quand il est diffĂ©rĂ© et qu’il s’agit d’un rĂ©cit qui parle de l’inĂ©narrable ou met en scĂšne la dissolution du soi
 Le rĂ©cit n’est pas seulement nĂ©cessaire sur le plan moral pour ĂȘtre un sujet responsable sachant quelles sont ses valeurs et ses prioritĂ©s. Pour exister comme sujet, il faut pouvoir se raconter, mĂȘme par bribes ou en confessant que l’on ne parvient pas Ă  supprimer la dĂ©chirure » (p 136). L’auteure Ă©voque Ă©galement la psychanalyse : « Que la narration soit un existential apparait avec force quand on pense aux personnes qui reproduisent le refoulĂ© sous la forme de symptĂŽmes et que la mise en rĂ©cit de soi, comme la psychanalyse, peut aider (p 137).

 

L’approche narrative en mĂ©decine

Corine Pelluchon poursuit son Ă©tude de la mise en Ɠuvre de la thĂ©orie narrative de Paul Ricoeur dans les champs de la mĂ©decine et de la politique.

L’apparition d’une mĂ©decine narrative s’inscrit dans un mouvement d’humanisation d’une profession tentĂ©e par une technicisation outranciĂšre.

« NĂ©e aux Etats-Unis Ă  la fin des annĂ©es 1990 sous l’impulsion de Rita Sharon, professeur de mĂ©decine clinique Ă  l’UniversitĂ© de Columbia, la mĂ©decine narrative, qui connait dĂ©sormais un certain succĂšs en France, rĂ©pond Ă  deux objectifs. Le premier est d’établir une relation entre mĂ©decins et patients qui soit fondĂ©e sur l’empathie et l’écoute attentive, afin que les traitements soient adaptĂ©s aux personnes et que le malade ne se sente pas objectivĂ©. Le deuxiĂšme objectif de la mĂ©decine narrative est d’aider les soignants Ă  rĂ©flĂ©chir Ă  leur mĂ©tier, qui les confronte Ă  la souffrance et Ă  la mort, et Ă  s’interroger sur le sens du soin en prenant en compte Ă  la fois la souffrance des personnes et les contraintes Ă©conomiques et relationnelles.

Bien que Rita Sharon ne se rĂ©fĂšre pas Ă  Ricoeur et que ceux qu’elle a inspirĂ© connaissent souvent mal ce philosophe, la mĂ©decine narrative illustre ce qu’il Ă©crit sur la narration et son hermĂ©neutique de soi Ă©claire mĂȘme certains aspects de cette pratique » (p 141). L’auteure nous montre comment la mĂ©decine narrative rejoint l’approche de Paul Ricoeur. « La mĂ©decine narrative suppose en premier lieu de reconnaitre que les patients ont des histoires Ă  raconter. Pour se connaitre et se faire connaitre Ă  autrui, il faut se raconter, mettre en rĂ©cit sa vie
 Cet aspect est consonant avec la phĂ©nomĂ©nologie hermĂ©neutique de Ricoeur et avec son insistance sur le rĂ©cit en premiĂšre personne, qui dĂ©couvre un sujet incarnĂ© et toujours situé  En termes ricoeuriens, on dira que la premiĂšre compĂ©tence que la mĂ©decine narrative cherche Ă  dĂ©velopper est la capacitĂ© de reconnaitre que le patient a besoin d’énoncer les symptĂŽmes motivant sa demande de soins, et de raconter une histoire lui permettant d’insĂ©rer l’épisode pathologique, qui est toujours vĂ©cu comme une rupture de l’unitĂ© – une discordance – dans une unitĂ©, une sĂ©rie d’évĂšnements – une concordance. En mettant en intrigue les Ă©vĂšnements de sa vie et en situant sa maladie Ă  un certain moment de son existence, le rĂ©cit aide le malade Ă  reconfigurer le temps et Ă  donner du sens Ă  ce qui lui arrive » (p 142).

« La mĂ©decine narrative passe par un travail sur les textes des patients
 Cette analyse doit aider le soignant Ă  apprĂ©hender le dĂ©sir du narrateur, c’est-Ă -dire qu’il doit lui permettre de comprendre le sens que le patient donne Ă  sa maladie. Cette maniĂšre de procĂ©der Ă©vite de faire disparaitre le malade derriĂšre sa maladie et de rĂ©duire celle-ci Ă  sa dimension objective (disease) en nĂ©gligeant sa dimension narrative (illness) » (p 143). Rita Sharon comme Paul Ricoeur critique le positivisme « Non seulement le vĂ©cu du malade ne doit pas ĂȘtre Ă©clipsĂ© par une ontologie de l’évĂšnement, mais, de surcroit, la mĂ©decine elle-mĂȘme est un art de l’interprĂ©tation
 Le choix des traitements et l’accompagnement supposent de s’appuyer sur le vĂ©cu du malade et de chercher le sens global qu’il confĂšre Ă  sa maladie. Ainsi la mĂ©decine narrative rejoint-elle la phĂ©nomĂ©nologie hermĂ©neutique pour postuler un certain holisme de la comprĂ©hension » (p 144). La compĂ©tence narrative ne se borne pas Ă  « reconnaitre les histoires des patients, mais aussi Ă  les absorber, les interprĂ©ter et ĂȘtre Ă©mus par elles ». « Si les rĂ©cits sont si Ă©clairants, c’est parce que leurs auteurs ne relatent pas seulement des faits, mais dĂ©crivent leur vĂ©cu » (p 145). Si « le rĂ©cit est lu au soignant qui va s’en servir comme d’un support pour Ă©laborer avec le patient une dĂ©marche thĂ©rapeutique », il contribue Ă©galement Ă  ce que l’identitĂ© de la personne puisse se recomposer (p 146).

Cette approche se dĂ©veloppe Ă  l’encontre des dĂ©rives technicistes de la mĂ©decine. « Affirmer que la compĂ©tence premiĂšre du soignant est une compĂ©tence narrative vise Ă  rĂ©pondre aux reproches adressĂ©s Ă  la mĂ©decine contemporaine qui, en raison de sa haute technicitĂ©, tend Ă  devenir impersonnelle et froide. Les contraintes Ă©conomiques et l’organisation managĂ©riale de la santĂ© aggravent ce phĂ©nomĂšne. Le dĂ©faut d’écoute est compensĂ© par l’inflation technologique et le soin est rĂ©duit Ă  une protocolisation souvent dĂ©shumanisante (3). Pour briser ce cercle vicieux, la mĂ©decine narrative cherche Ă  dĂ©velopper l’empathie, l’écoute attentive, et la capacitĂ© Ă  comprendre les malades
 Il s’agit de rééquilibrer le systĂšme de santĂ© afin que la mĂ©decine, qui est une science et un art, et qui passe par la relation entre une Ă©quipe de soins et un sujet toujours singulier, soit plus juste et plus efficace » (p 142-143) (4).

 

Récit et politique

Corine Pelluchon aborde Ă©galement le rĂŽle du rĂ©cit dans la constitution et l’entretien de l’identitĂ© d’une communautĂ© politique. On se reportera Ă  sa dĂ©monstration.

« En traitant des implications politiques du rĂ©cit
 Paul Ricoeur Ă©voque Walter Benjamin qui, dans ‘Der erzĂ€hler’, publiĂ© en 1936, rappelle que l’art de raconter est ‘l’art d’échange des expĂ©riences’ et que celles-ci dĂ©signent, non l’observation scientifique, mais ‘l’exercice populaire de la sagesse pratique’. Ce texte, briĂšvement mentionnĂ© par Ricoeur est d’une grande pertinence quand on s’interroge sur le lien entre rĂ©cit et politique » (p 153). Corine Pelluchon nous montre en quoi un manque de rĂ©cit collectif pertinent engendre un dĂ©sarroi politique : « Il y a un rapport Ă©troit entre les crispations identitaires et l’impossibilitĂ© pour les individus de s’insĂ©rer dans un tissu d’expĂ©riences qui les prĂ©cĂ©dent et les dĂ©passent en les interprĂ©tant sans clore le sens. C’est pourquoi l’hermĂ©neutique est essentielle Ă  la dĂ©mocratie et contient la promesse d’une Ă©thique interculturelle. Toutefois, avant de parler des conditions permettant Ă  une communautĂ© de construire un rĂ©cit collectif qui ne s’apparente pas Ă  une mystification et corresponde Ă  une identitĂ© narrative, qui est par dĂ©finition dynamique et ouverte aux influences Ă©trangĂšres, il importe d’insister sur une des affirmations principales de ‘Soi-mĂȘme comme un autre’ : pour ‘rencontrer l’autre sans avoir peur de lui ni chercher Ă  l’écraser, il faut savoir qui l’on est’. Pour ‘avoir en face de soi un autre que soi, il faut ĂȘtre un soi’ » (p 154).

N’en va-t-il pas de mĂȘme collectivement ? Pour entrer pacifiquement en contact avec l’étranger, un peuple a besoin de se sentir lui-mĂȘme.

« L’identitĂ© narrative implique l’ouverture Ă  autrui comme aux autres cultures, mais cela exige que le noyau crĂ©ateur d’un peuple qui renvoie aux images et symboles constituant un fonds culturel soit explorĂ© et transmis » (p 154). C’est lĂ  aussi qu’une approche hermĂ©neutique, un travail d’interprĂ©tation et de rĂ©interprĂ©tation est nĂ©cessaire. « Il ne s’agit pas de sacraliser un noyau Ă©thico-mytique, mais de le soumettre Ă  l’interprĂ©tation afin qu’une culture, prenant conscience d’elle-mĂȘme, libĂšre sa crĂ©ativitĂ©. En l’absence d’un travail hermĂ©neutique visant Ă  dĂ©chiffrer ces images et symboles qui forment ‘le rĂȘve Ă©veillĂ© d’un groupe historique’, on ne peut rendre hommage Ă  la diversitĂ© des cultures et s’y rapporter ‘autrement que par le choc de la conquĂȘte et de la domination’ » (p 153).

Cependant, nous dit Corine Pelluchon, l’ñge moderne est marquĂ© par le dĂ©clin du rĂ©cit : manque de recul et manque de lien. On se reportera Ă  son analyse inspirĂ©e par la rĂ©flexion de Walter Benjamin (p 156-159). Tout se tient. La reconnaissance des autres, la reconnaissance de l’étranger va de pair avec la connaissance de soi que ce livre prĂ©sente en terme d’identitĂ© narrative.

« La connaissance de soi offre la capacitĂ© Ă  aller vers l’autre, le travail sur les signes et les symboles de sa culture Ă©tant Ă  la fois une condition de possibilitĂ© de l’accueil de l’autre et de l’hospitalitĂ© linguistique et leur consĂ©quence » (p 161).

Voici une rĂ©flexion qui nous concerne. Comment nous percevons-nous ? Quel rapport entretenons-nous avec notre passé ? Et en quoi, le rĂ©cit que nous pouvons en Ă©tablir nous aide-t-il Ă  dĂ©boucher sur un sens et sur un engagement ? Un autre philosophe, Charles PĂ©pin envisage notre rapport avec le passĂ© dans un livre : « Vivre avec son passĂ©. Aller de l’avant » (5) Ainsi Ă©crit-il :

« La question de l’identitĂ© personnelle est un des problĂšmes philosophiques les plus passionnants
. Qu’est-ce qui nous dĂ©finit en tant qu’individu singulier, nous distingue de tout autre ? Qu’est-ce qui demeure en nous de maniĂšre permanente et constitue ainsi le socle de notre identité ? 
 Si nous nous interrogeons en ce sens, nous sentons bien combien nous pensons notre ĂȘtre, notre personnalitĂ© Ă  travers notre histoire personnelle ». Charles PĂ©pin interroge Ă  ce sujet d’autres philosophes, des Ă©crivains. Nous retrouvons lĂ  la pensĂ©e Ă©clairante de Bergson (6). Ainsi Bergson Ă©crit : « Dans une confĂ©rence donnĂ©e Ă  Madrid, Henri Bergson synthĂ©tise cette idĂ©e de ressaisir notre passĂ© pour nous projeter dans l’avenir sous le concept de rĂ©capitulation crĂ©atrice ». Et, pour notre part, nous aimons la maniĂšre dont il envisage un Ă©lan vital : « L’élan vital se particularise en chacun de nous
 Notre personnalitĂ© est plus que la condensation de l’histoire que nous avons vĂ©cue depuis notre naissance
 Elle est notre identitĂ©, mais propulsĂ©e vers l’avant, traversĂ©e par cette force de vie qui nous pousse Ă  agir, Ă  crĂ©er. »

Si nous revenons Ă  la thĂ©orie narrative de Paul Ricoeur, Ă  travers le livre de Corine Pelluchon, nous dĂ©couvrons combien elle est fĂ©conde dans un champ trĂšs vaste de l’identitĂ© personnelle envisagĂ©e sous la forme d’identitĂ© narrative jusqu’à la mĂ©decine et la politique. Voici une approche Ă  mĂȘme d’éclairer les histoires de vie dont la rĂ©daction s’est multipliĂ©e dans les derniĂšres dĂ©cennies. C’est aussi un apport pour considĂ©rer les reconfigurations qui apparaissent dans les tĂ©moignages qui abondent aujourd’hui dans le registre chrĂ©tien.

J H

 

  1. Les lumiùres à l’ñge du vivant : https://vivreetesperer.com/des-lumieres-a-lage-du-vivant/
  2. Corinne Pelluchon. Paul Ricoeur, philosophe de la reconstruction. Soin, attestation, justice. PUF, 2022
  3. Pistes de rĂ©sistance face Ă  la montĂ©e d’une technocratie deshumanisante : https://vivreetesperer.com/pistes-de-resistance-face-a-la-montee-dune-technocratie-deshumanisante/
  4. Le soin est un humanisme : https://vivreetesperer.com/de-la-vulnerabilite-a-la-sollicitude-et-au-soin/
  5. Mieux vivre avec son passé : https://vivreetesperer.com/mieux-vivre-avec-son-passe/
  6. Bergson, notre contemporain : https://vivreetesperer.com/comment-en-son-temps-le-philosophe-henri-bergson-a-repondu-a-nos-questions-actuelles/

Des expĂ©rience de transcendance, cela peut s’explorer !

Les Ă©chos d’un  groupe de partage

#

Contribution de Valérie Bitz 

#

         ValĂ©rie Bitz a participĂ© rĂ©cemment Ă  une session sur le thĂšme de la transcendance. Au cours d’une conversation, nous avons recueilli ses observations et ses rĂ©flexions au sujet de ce qui s’est dit dans ce groupe de partage.

         Mais qu’est ce qu’une expĂ©rience de transcendance ? « A certains moments, on sent que quelque chose nous dĂ©passe. Cela passe par un ressenti, mais c’est un ressenti que l’on peut dĂ©chiffrer.

Une caractĂ©ristique de cette expĂ©rience : on la vit, et, en mĂȘme temps, on sent que cela vient de plus grand que nous ».

         Valérie nous donne des exemples de ces expériences :

         « Ainsi, se sentir portĂ© par un amour plus grand que celui qui pourrait m’ĂȘtre donnĂ© par mes propres forces
. Des personnes qui ont un sens fort de la justice, de la dignitĂ© humaine, peuvent ressentir que ces mouvements intĂ©rieurs ne sont pas uniquement de leur ressort, mais qu’ils viennent de bien au delĂ  d’eux-mĂȘmes
. En regard de la beautĂ© et de la grandeur d’un paysage, Ă©ventuellement d’une Ɠuvre d’art, certaines personnes Ă©prouvent soudainement une Ă©motion esthĂ©tique qui les dĂ©passe


#

Dans ces formes d’expĂ©rience, il y a au dĂ©part des sentiments que nous connaissons, mais, Ă  ces moments lĂ , nous sentons qu’ils nous dĂ©passent ».

         ValĂ©rie distingue un deuxiĂšme groupe d’expĂ©riences oĂč le sentiment d’une prĂ©sence apparaĂźt : « D’autre formes d’expĂ©rience sont accompagnĂ©es par le sentiment d’une prĂ©sence. Cette prĂ©sence est ressentie comme bienveillante . Elle invite parfois Ă  une relation
 Dans d’autres cas, en fonction de leur culture, les gens pensent pouvoir identifier cette prĂ©sence : Dieu, l’Esprit, JĂ©sus
 Pour d’autres encore, elles Ă©voquent une relation avec cette prĂ©sence ».

#

         Mais quels sont les effets de ces différentes expériences ?

         « Les gens dĂ©couvrent une profondeur en eux-mĂȘmes
 Aller plus profond en eux-mĂȘmes que ce qu’ils connaissaient d’eux-mĂȘmes
.

         Les gens dĂ©couvrent leur ĂȘtre profond. Et, dans ce registre, ils dĂ©couvrent leurs aspirations essentielles


         On se rend compte de la profondeur de la vie
 On prend conscience que nos existences s’inscrivent dans une dimension plus large. Cette expĂ©rience suscite de nouvelles orientations de vie.

         Certaines expĂ©riences produisent une unification, une harmonisation de la pensĂ©e de la sensibilitĂ©, du ressenti corporel, de tout l’ĂȘtre.

         Dans les expĂ©riences comprenant le ressenti d’une prĂ©sence, on constate l’apparition et le dĂ©veloppement d’une confiance, et, pour certains, le sentiment d’ĂȘtre aimĂ©, soutenu  »

         Les gens ne rencontrent-ils pas parfois aussi  des difficultés ?

         « On note également des obstacles, des résistances par rapport à ces expériences :

         Ne pas repĂ©rer certaines expĂ©riences parce qu’on recherche quelque chose d’extraordinaire ou de sensationnel.

         Avoir peur de perdre le contrĂŽle parce qu’il y a une crainte de perdre sa libertĂ©.

         Etre soumis au diktat d’une pensĂ©e qui ne permet mĂȘme pas d’envisager que des expĂ©riences de ce type soient possibles ; ou encore croire que ces expĂ©riences sont rĂ©servĂ©es Ă  un petit nombre de personnes ».

         « Bien sĂ»r, toutes ces expĂ©riences ont Ă©tĂ© vĂ©cues en dehors de la session. La session est le lieu oĂč elle peuvent ĂȘtre réévoquĂ©es et dĂ©chiffrĂ©es.  Dans le dĂ©chiffrage d’une expĂ©rience de transcendance, il y a, Ă  la fois, l’expression du vĂ©cu de l’expĂ©rience et un constat de l’impact de celle-ci sur la personne et sur sa vie ».

         « Cette session s’inspirait d’une recherche en cours Ă   PRH (PersonnalitĂ© et Relations Humaine) : l’ĂȘtre de la personne est le lieu de son identitĂ©, de son agir et de son engagement, des relations en rapport avec cette action. C’est encore le lieu de l’ouverture Ă  la transcendance. C’est au niveau de l’ĂȘtre que la transcendance peut se vivre et c’est lĂ  qu’on peut s’y rendre attentif. Il s’agit d’y prĂȘter attention, de l’identifier et de s’y ouvrir ».

#

Propos recueillis auprÚs de Valérie Bitz.

#

Pour prendre contact : valerie.bitz.art@orange.fr

Tél : 03 89 76 73 62

#

Autres contributions de Valérie Bitz sur ce blog :

« Et si je tentais d’exprimer ce que je ressens par la peinture ou le graphisme pour y voir plus clair » https://vivreetesperer.com/?p=1428

« Apprendre à écouter son monde intérieur et à la déchiffrer.  Pourquoi ? Pour qui ? » https://vivreetesperer.com/?p=959

« Exprimer ce qu’il y a de plus profond en moi » https://vivreetesperer.com/?p=501

Sur un thÚme voisin, on pourra également consulter :

« ReconnaĂźtre la prĂ©sence de Dieu Ă  travers l’expĂ©rience »

https://vivreetesperer.com/?p=1008

« Expériences de plénitude »

https://vivreetesperer.com/?p=231

Hymne de tendresse pour des personnes en chemin,

Un recueil d’Ɠuvres peintes par ValĂ©rie Bitz

Valérie nous partage son expérience.

« Un désir est à la source de ce recueil : Rendre hommage à notre humanité chercheuse de chemins de vie !

Rejoindre les personnes qui se reconnaissent dans cette pĂąte humaine
. dĂ©sireuses d’avancer !
Toucher notre sensibilitĂ© profonde, lĂ  mĂȘme oĂč elle conduit vers le cƓur de soi, cet intime foyer vivant en chacun, oĂč il pourra puiser!

A la genĂšse de ces Ɠuvres, une  fulgurance qui vous traverse, vous Ă©blouit et en un instant, vous ouvre un chemin devant vous. LĂ , c’était  le dĂ©clic suivant : Je suis de cette humanitĂ© qui marche, peine, erre, se relĂšve,
en mĂȘme temps que j’ai beaucoup reçu, de bien des personnes, de groupes et de milieux !
Je rĂ©alise alors que quelque chose en moi  coule, se donne, dĂ©borde, pour d’autres! Vais-je retenir ou  laisser circuler?
Ainsi est nĂ©e la premiĂšre peinture: «Je suis dans une chaine d’humanité».

D’autres suivront : plusieurs hommes, un Ă  un, grandeur nature presque, par besoin de leur rendre leur dignitĂ©.

Qui voudra passer le relais ?

Hymne de tendresse pour des personnes en chemin

Il y a des textes, des poÚmes, comme une proposition de voix et de vécus multiples.

Les peintures sont en craies de cire et acrylique, 100×50 cm
recueil disponible : 10€ + 2e si envoi postal

Valérie est peintre et accompagnatrice de vie.

Si vous ĂȘtes intĂ©ressĂ©, veuillez contacter directement : Valerie Bitz, 06 89 06 77 10  –  valerie.bitz.art@orange.fr

Articles de Valérie sur ce blog
Exprimer ce qu’il y a  de plus profond en moi
https://vivreetesperer.com/exprimer-ce-qu’il-y-a-de-plus-profond-en-moi/
Des expĂ©riences de transcendance, cela peut s’explorer
https://vivreetesperer.com/des-experience-de-transcendance-cela-peut-sexplorer/
Apprendre à écouter son monde intérieur et à le déchiffrer. Pourquoi ? Pour qui ? https://vivreetesperer.com/apprendre-a-ecouter-son-monde-interieur-et-a-le-dechiffrer-pour-quoi-pour-qui/
Au cƓur de nous, il y a un espace
https://vivreetesperer.com/au-coeur-de-nous-il-y-a-un-espace/
Le cadeau d’une intuition
https://vivreetesperer.com/le-cadeau-dune-intuition/

 

Une Ă©cole oĂč on vit en relation, c’est possible !

 

A la demande de sa grand-mĂšre (1), Ă  dix ans, Manon Aurenche nous communique ses observations sur l’école anglaise dans laquelle elle vient d’entrer. Comment ne pas ĂȘtre admiratif devant ses qualitĂ©s d’observation, de rĂ©flexion, d’expression !

 

Carlton

 

Et il y bien une impression qui ressort : cette Ă©cole publique municipale d’un quartier populaire de Londres, avec une population en majoritĂ© originaire du Pakistan ou du Bangladesh, la « Carlton school », est une Ă©cole oĂč on vit en relation. On peut s’y exprimer librement. La convivialitĂ© est active et encouragĂ©e. La diversitĂ© est reconnue. La condition, c’est le respect de l’autre. La caractĂ©ristique, c’est un climat de confiance.

 

Manon note :

 

« L’ambiance anglaise est trĂšs diffĂ©rente, car on a le droit de se lever et de parler pour discuter du travail en cours ».

 

« La maßtresse est tout le temps positive, trÚs attentive aux problÚmes des enfants et elle explique trÚs bien ».

 

« On a, de temps en temps, des rĂ©unions de classe pour parler d’un thĂšme, en particulier comme l’amitiĂ© ou : c’est quoi une bonne relation ? ».

 

« « La Rainbow Room (la salle Arc en Ciel) sert Ă  calmer les enfants et Ă  les faire s’expliquer en racontant chacun (e) leur vision du problĂšme. Puis ils demandent Ă  des enfants tĂ©moins de donner leur avis  ».

 

« A l’école, il y a des assemblĂ©es (assembly », c’est Ă  dire des moments oĂč toute l’école est rĂ©unie. Elles sont diffĂ©rentes Ă  chaque fois. Par exemple, il y en a sur le chant dans lesquelles on chante. Une autre fois, sur le thĂšme du harcĂšlement  »

 

Quand un enfant peut ainsi ĂȘtre reconnu, s’exprimer, participer, vivre en bonne entente, il peut ĂȘtre heureux. « J’aime beaucoup mon Ă©cole anglaise », Ă©crit Manon. « Elle et gĂ©niale ».

 

Depuis des dĂ©cennies, le courant de l’éducation nouvelle Ɠuvre pour promouvoir une Ă©cole oĂč l’on puisse apprendre dans un climat de confiance, de partage et d’entraide (2). Cette Ă©ducation est fondĂ©e sur des valeurs. Celles-ci sont inĂ©galement actives dans les diffĂ©rentes sociĂ©tĂ©s, et parfois on doit avancer Ă  contre-courant.

L’école anglaise, frĂ©quentĂ©e par Manon, n’est pas, en soi, une « école nouvelle » . C’est une Ă©cole publique d’un quartier populaire de Londres, mais elle  participe Ă  la mĂȘme approche. Les cultures nationales sont diffĂ©rentes (3), mais, en France, de plus en plus de parents dĂ©sirent que leurs enfants puissent apprendre dans une ambiance conviviale et crĂ©ative. (4).

Bref, du bonheur Ă  l’école. Ce tĂ©moignage tout simple de Manon nous dit : Oui, c’est possible !

 

J H

 

(1)            Merci à Blandine Aurenche. Bibliothécaire, Blandine Aurenche a publié un article sur ce blog : « Susciter un climat de convivialité et de partage » : https://vivreetesperer.com/?p=1542

(2)            « Et si nous Ă©duquions nos enfants Ă  la joie. Pour un printemps de l’éducation » : https://vivreetesperer.com/?p=1872                                 « Pour une Ă©ducation nouvelle, vague aprĂšs vague » : https://vivreetesperer.com/?p=2497

(3)            En France, « Promouvoir la confiance dans une sociĂ©tĂ© de dĂ©fiance » : https://vivreetesperer.com/?p=1306         Dans certains pays, l’enseignement public a mutĂ© vers  une approche conviviale et crĂ©ative. C’est le cas en Finlande comme l’expose « le film : Demain » : https://vivreetesperer.com/?p=2422

(4)            Ce  dĂ©sir des parents s’expriment par exemple dans le dĂ©veloppement rapide des Ă©coles Montessori en France.

 

Manon Ă  l’école anglaise

Je m’appelle Manon, j’ai 10 ans. J’ai dĂ©mĂ©nagĂ© Ă  Londres en septembre avec ma famille. Je suis Ă  l’école Anglaise de mon quartier. L’école Anglaise est assez diffĂ©rente de l’école Française dans son organisation et pour plein d’autres choses encore


 

L’ambiance en classe est trĂšs diffĂ©rente car on a le droit de se lever et de parler pour discuter du travail en cours. De plus, si on n’y arrive vraiment pas on peut aller au bureau de la maĂźtresse et elle vient Ă  notre table, elle nous aide et nous Ă©coute pour voir ce que l’on a compris et regarde sur quoi nous bloquons. En Angleterre, les enfants sont plus attentifs car ils dĂ©cident de leurs propres rĂšgles de classe, tout en respectant celles de l’école qui sont les mĂȘmes pour toutes les classes. Bon, on doit quand mĂȘme souvent se mettre en ligne sans parler. Pour le silence, il y a un signal : la maĂźtresse lĂšve la main en l’air et tape 3 tape trois fois dans les mains et tous les enfants rĂ©pĂštent aprĂšs elle. La politesse est aussi trĂšs importante.

 

Ma maütresse s’appelle Tina, elle a les cheveux violet/rose. Ma prof de sport s’appelle Sharon, elle a plein de tatouages et de piercings. Tout ça pour vous dire qu’à Londres le style n’a pas d’importance ! Nous, par contre, nous sommes tous en uniformes. Contrairement à la France, certaines filles musulmanes portent le voile.

 

Mais revenons Ă  ma maĂźtresse ! Je sais qu’elle est allemande car elle m’a dit qu’elle aussi Ă©tait arrivĂ©e Ă  14 ans en Angleterre sans savoir parler anglais. Elle est tout le temps positive, trĂšs attentive aux problĂšmes des enfants et elle explique trĂšs bien. Les maĂźtresses ne sont PAS SEULES dans la classe, elles ont des aides (Teacher Assistants) pour certains Ă©lĂšves qui ont besoin d’une aide vraiment spĂ©ciale et d’autres pour le reste de la classe. Donc, dans ma classe, il y a parfois 5 personnes en plus de la maĂźtresse ! On a de temps en temps des rĂ©unions de classe pour parler d’un thĂšme en particulier comme « l’amitiĂ© ou c’est quoi une bonne relation ? ». Et puis, on peut comme cela travailler souvent en petits groupes !

 

Pour rĂ©gler les problĂšmes dans la cour, les Teacher Assistants envoient les enfants dans une salle qui s’appelle la Rainbow Room (la salle arc-en-ciel). C’est une salle qui sert Ă  calmer les enfants et les faire s’expliquer en racontant chacun(e) leur version du problĂšme. Puis ils demandent Ă  des enfants tĂ©moins de donner leur avis. Le problĂšme est vite rĂ©glĂ©. Ceux qui se sont mal comportĂ©s comprennent pourquoi car on leur explique et les autres sont contents d’ĂȘtre Ă©coutĂ©s.

 

A l’école, il y a des assemblĂ©es (Assembly) c’est Ă  dire des moments oĂč toute l’école est rĂ©unie dans une mĂȘme salle. Elles sont diffĂ©rentes Ă  chaque fois. Par exemple, il y en a sur le chant dans lesquelles on chante
 Une autre fois sur le thĂšme du harcĂšlement. Elles servent aussi Ă  cĂ©lĂ©brer les Goldens Stars tous les vendredi. Les Goldens Stars sont les Ă©lĂšves de la semaine qui sont rĂ©compensĂ©s car ils ont bien travaillĂ© ou qu’ils se sont bien comportĂ©s en classe. Les assemblĂ©es apprennent aux enfants Ă  prendre la parole en public mais c’est trĂšs impressionnant quand on ne parle pas encore anglais !

 

On commence l’école Ă  8H45 et on fini Ă  15H30 tous les jours mĂȘme le mercredi et on a moins de vacances MALHEUREUSEMENT ! Mais ce qui est super c’est qu’aprĂšs l’école on peut rester pour faire des afterschools : coding club, musique (j’ai pu commencer la guitare et jouer devant toute l’école Ă  la fĂȘte de NoĂ«l), football, netball, mandarin, science, cours de cuisine en famille, art, girl’s sport, piscine, etc


 

Bref, mĂȘme si mes copines de France me manquent beaucoup et que je suis pressĂ©e de parler Anglais, j’aime beaucoup mon Ă©cole anglaise, elle est gĂ©niale !

 

Manon Aurenche

Janvier 2017