par jean | Nov 22, 2015 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Hstoires et projets de vie |
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« Mais quâest ce qui les fait lire comme ça ? ». Oui, il y a bien chez les enfants une puissance de vie qui sâexprime en terme dâexploration, de dĂ©couverte et dâĂ©merveillement. Et câest pourquoi on doit tout simplement faciliter ce mouvement, laisser passer et encourager ce courant de vie. « Laissez les lire ! » (1) nous disait GeneviĂšve Patte Ă travers le titre dâun livre prĂ©cĂ©dent. Et, dans celui-ci, elle rĂ©itĂšre ce message : « Mais quâest-ce qui les fait lire comme ça ? » (2).
Comme Maria Montessori dans un autre contexte (3), câest la reconnaissance de la puissance de vie qui sâexprime dans lâenfant. La communion intuitive et lâĂ©coute nous permettent dâentrer dans cette rĂ©alitĂ©. Lâobservation et la rĂ©flexion nous aident Ă en saisir la pleine dimension. Et, pour tout cela, la relation est premiĂšre. On peut redire ici les mots du philosophe Martin Buber : « Au commencement Ă©tait la relation » (4). En toute chose, mais combien cela est vrai ici⊠Et cette dynamique relationnelle apparaĂźt comme premiĂšre dans lâhistoire de vie de GeneviĂšve Patte telle quâelle nous la prĂ©sente dans ce livre. Cette histoire se dĂ©roule de rencontre en rencontre.
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Une famille ouverte aux autres, ouverte Ă lâĂ©tranger
Au dĂ©part, GeneviĂšve nous parle de sa famille, une famille rĂ©sistante durant lâoccupation, une famille ouverte aux autres, ouverte Ă lâĂ©tranger. « JâĂ©tais bien petite, mais je me rappelle la pĂ©riode de lâExode Ă Poitiers. La famille Ă©tait accueillante. Tous les soirs, en mai-juin 1940, mes frĂšres et sĆurs ainĂ©s se rendaient Ă la gare pour offrir lâhospitalitĂ© Ă ceux qui ne savaient pas oĂč passer la nuit. Jâaimais alors les grandes tablĂ©es du matin oĂč chacun se restaurait avant de reprendre la routeâŠÂ » (p 17)).
Ouverture aux autres, ouverture aux livres. Je suis nĂ©e et jâai grandi dans une maison remplie de livres. Mes parents lisaient beaucoup et prenaient le temps de nous lire et de nous raconter des histoires. Il me suffisait dâaller frapper Ă la porte du bureau de mon pĂšre pour quâil interrompe ses recherches de palĂ©ontologie et mâaccorde du temps. Il sortait alors du tiroir de sa table de travail quelques albums dĂ©licieux dont il me faisait lecture⊠Ces livres mâont laissĂ© une forte impressionâŠÂ » (p 13).
Au lycĂ©e, GeneviĂšve a frĂ©quentĂ© « les classes nouvelles », crĂ©es Ă la LibĂ©ration dans un Ă©tat dâesprit pionnier. « On y privilĂ©giait le travail en Ă©quipe, lâautodiscipline et les enquĂȘtes dans la ville pour « lâĂ©tude du milieu » (p 21).
Bref, cet environnement familial et scolaire a Ă©tĂ© un point de dĂ©part privilĂ©giĂ© pour lâitinĂ©raire pionnier de GeneviĂšve Patte dans la crĂ©ation de « la Joie par les Livres » et la promotion des bibliothĂšques pour enfants.
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Des rencontres fondatrices, de « lâHeure Joyeuse » à « la Joie par les livres »
Mais cet avenir nâĂ©tait pas Ă©crit dâavance ! Il est advenu Ă travers des rencontres fondatrices.
La premiĂšre a Ă©tĂ© la dĂ©couverte de « lâHeure joyeuse », une bibliothĂšque dâavant garde créée Ă Paris dans lâentre deux guerres Ă la suite des innovations amĂ©ricaines dans le domaine de la lecture enfantine. « A travers les fenĂȘtres Ă©clairĂ©es, je voyais un spectacle qui mâenchantait. Des enfants circulaient librement dans un monde de livres. Certains semblaient accaparĂ©s par leurs lectures. Dâautres consultaient les fichiers. Jâavais remarquĂ© aussi la prĂ©sence discrĂšte et attentive de deux femmes. Elles conversaient en tĂȘte-Ă -tĂȘte avec des enfants. Tout cela me paraissait inhabituel. JâĂ©tais Ă©merveillĂ©eâŠÂ » (p 23). GeneviĂšve nous introduit ensuite dans la vie de cette bibliothĂšque exceptionnelle. Et câest lĂ quâelle a pris la dĂ©cision de devenir bibliothĂ©caire.
Quelques annĂ©es plus tard, ce fut le dĂ©but dâune aventure internationale qui allait se poursuivre ensuite tout au long de cette histoire de vie. GeneviĂšve Patte effectue un stage Ă la BibliothĂšque Internationale pour la Jeunesse Ă Munich. Et puis, dans cette ouverture dâesprit qui est la sienne, elle se laisse interpeller par lâidĂ©e de se rendre aux Etats-Unis oĂč les bibliothĂšques pour enfants sont florissantes. « Câest une dĂ©cision difficile. A cette Ă©poque, New-York est une ville lointaine. On nây va pas en quelques heures. Le voyage est une vĂ©ritable aventure⊠Finalement, je me laisse convaincre. Par chance, Ă Poitiers, je rencontre un couple amĂ©ricain particuliĂšrement ouvertâŠÂ » (p 49). Ces amis vont lâaider Ă rĂ©aliser ce voyage. GeneviĂšve obtient une bourse Fulbright et travaille à la « New York Public Library ».
De retour en France, une autre rencontre va ouvrir Ă GeneviĂšve un champ pionnier : la crĂ©ation et le dĂ©veloppement de la bibliothĂšque : « La Joie par les Livres » Ă Clamart. Câest la rencontre avec Anne Schlumberger, la mĂ©cĂšne de lâassociation, qui va permettre cette rĂ©alisation. « Qui donc est la femme gĂ©nĂ©reuse qui permet cette aventure ? Elle sâappelle Anne Gruner Schlumberger. Elle appartient Ă une famille de grands industriels protestants dâAlsace, mais aussi dâhommes de lettres et de dĂ©couvreurs de gĂ©nie. Sa famille est bien connue dans le monde entier pour ses actions de mĂ©cĂ©nat exceptionnelles de gĂ©nĂ©rositĂ© et dâintelligence⊠Cependant, sa volontĂ© dâoffrir une bibliothĂšque dâexception Ă lâintention des enfants et des familles suscite de fortes rĂ©ticences en France, dans le monde des bibliothĂšques⊠Pourtant, pour Anne Schlumberger, il ne sâagit pas dâun coup de tĂȘte. Câest une dĂ©cision longuement murieâŠÂ » (p 68-69). MalgrĂ© les oppositions ambiantes, GeneviĂšve et une petite Ă©quipe ont acceptĂ© dâentrer dans ce qui a Ă©tĂ© au dĂ©part une aventure, une manifestation extraordinaire de crĂ©ativitĂ©. « Fallait-il donc que nous ayons un courage Ă toute Ă©preuve ou une incroyable naĂŻvetĂ© pour nous lancer dans lâaventure de Clamart ? Nous devinions en fait que ce que nous offrait Anne Schlumberger Ă©tait unique : la confiance et la libertĂ© pour innover et pour rechercher lâexcellence⊠DâemblĂ©e, jâai aimĂ© lâexigence et lâenthousiasme de la petite Ă©quipe. Nous Ă©tions liĂ©es par une conviction commune et nous aimions travailler ensemble⊠Anne nous a donnĂ© toute libertĂ© pour mettre en place un projet qui ainsi a pu se dĂ©velopper de maniĂšre naturelle, Ă la fois cohĂ©rente et solide⊠Notre dĂ©sir Ă©tait clair : rĂ©vĂ©ler aux enfants ce que peut leur apporter une bibliothĂšque pensĂ©e pour eux, un lieu qui leur permette de connaĂźtre la joie de lire et de vivre lĂ une part de leur enfance, dâen ĂȘtre en quelque sorte les acteurs ; tout cela dans un contexte de relations simples et naturelles avec des adultesâŠÂ » (p 74-76). GeneviĂšve nous dĂ©crit cette bibliothĂšque pionniĂšre qui est devenue un lieu attirant et rayonnant.
Ces hommes et ces femmes au cĆur intelligent
Lâinfluence de la « Joie par les livres » sâest manifestĂ©e tant en France quâĂ lâĂ©tranger. Et lĂ encore, des rencontres fĂ©condes sont advenues. GeneviĂšve nous raconte ainsi la visite de Joseph Wresinski qui a marquĂ© le dĂ©but dâune vraie collaboration avec ATD-Quart Monde (p 135-136). Câest aussi le dialogue heuristique qui sâengage avec le pĂ©dopsychiatre RenĂ© Diatkine. « RenĂ© Diatkine aimait rappeler lâapport des vraies rencontres. Ma rencontre avec lui a Ă©tĂ© dĂ©terminante⊠Nos intĂ©rĂȘts se sont rejoints autour dâun mĂȘme souci : crĂ©er partout les conditions favorisant lâaccĂšs de tous Ă la lecture, en privilĂ©giant ceux qui habituellement sont Ă©loignĂ©s du monde de lâĂ©crit⊠(p 180). Chercheur et thĂ©rapeute, RenĂ© Diatkine a enrichi considĂ©rablement nos pratiques, parce que les sĂ©minaires quâil a animĂ© Ă notre intention ont renforcĂ© chez nous le goĂ»t de lâobservation⊠Observez, Ă©crivez, ne nĂ©gligez pas les dĂ©tails. Ils sont porteurs de sens⊠Lâobservation Ă©claire nos pratiques. Elle met au cĆur de notre mĂ©tier ce qui est fondamental : la mĂ©diation » (p 185-186).
« Avec Serge Boimare, revenir aux histoires qui ont traversĂ© les Ăąges » : voici une autre rencontre impressionnante. « Serge Boimare raconte comment des enfants refusant volontairement tout apprentissage scolaire sont capables de se prendre de passion pour des Ćuvres classĂ©es parmi les grands livres de notre patrimoine littĂ©raire : la Bible, lâOdyssĂ©e, les grands mythes classiques, les contes de Grimm ou les Ćuvres de Jack London et de Jules VerneâŠÂ » (p 197).
GeneviĂšve nous dit combien toutes ces rencontres ont Ă©tĂ© fĂ©condes : « RenĂ© Diatkine, Sarah Hirschman et Serge Boimare, ces hommes et ces femmes au cĆur intelligent, pour reprendre lâexpression de Hannah Arendt, mâont, chacun Ă leur maniĂšre, beaucoup inspirĂ©e pour ce qui est au cĆur mĂȘme de mon mĂ©tier⊠Ils partagent une mĂȘme confiance : les rencontres que les bibliothĂšques proposent, peuvent contribuer Ă transformer les vies les plus difficiles en ouvrant par la lecture, des voies nouvelles⊠Jâai beaucoup reçu de ces personnes que jâadmire pour leur humanitĂ©… VoilĂ ce qui a toujours animĂ© mes interventions en France et dans le vaste monde, notamment dans les pays du Sud, lĂ oĂč des bibliothĂ©caires souhaitent insuffler un esprit nouveau Ă leurs institutions (p 201-202).
Expériences dynamiques dans les pays du Sud
Au long de cet itinĂ©raire, GeneviĂšve sâest ainsi rendu dans de nombreux pays du Sud qui ont fait appel Ă elle. Ce livre nous dĂ©crit ces nombreuses missions Ă lâĂ©tranger. Ces missions ont Ă©tĂ© Ă lâorigine de belles rencontres. Parce quâelle est entrĂ©e en sympathie avec ses interlocuteurs, GeneviĂšve a beaucoup appris des expĂ©riences en cours aujourdâhui en AmĂ©rique latine, en Afrique, en Asie.
Dans un contexte de pauvretĂ© et souvent dâinjustice, GeneviĂšve nous dĂ©crit une multitude dâexpĂ©riences de terrain, riches en gĂ©nĂ©rositĂ© et en humanitĂ©.
« Ce qui me frappe, câest lâimagination de ces passeurs, la diversitĂ© de ces petites unitĂ©s de lecture parce quâest prise en compte la diversitĂ© des personnes et des situations⊠Ainsi, Ă Guanajuato au Mexique, pour offrir le plaisir dâhistoires racontĂ©es, Liliane nâhĂ©site pas Ă utiliser les longs moments passĂ©s dans ces autocars brinquebalants qui font partie du paysage latino-amĂ©ricain. Et lĂ elle raconte, elle montre des albums au fil des pages⊠A Mexico, une ou deux fois par semaine, en soirĂ©e, Nestor accueille chez lui parents, jeunes et enfants du quartier⊠Lâespace de lecture, amĂ©nagĂ© dans une piĂšce de sa maison, ouvre sur la rueâŠIci, on raconte, on lit Ă haute voix des textes qui touchent, on Ă©change des impressions. Lâambiance est joyeuse⊠Ailleurs encore, dans un jardin public de Jinotepe, au Nicaragua, entre balançoire et toboggan, il y a comme une sorte de petit abri, fait de bric et de broc, oĂč des enfants sâarrĂȘtent pour de longs moments de lecture. Ils peuvent sâinstaller Ă de petites tables. Le choix des livres est remarquable tout comme la concentration des enfants au milieu de lâagitation ambiante (p 248-250). « Jâai donc vu Ă lâĆuvre ces modestes pionniers. Jâai admirĂ© leur simplicitĂ©, leur goĂ»t de lâexcellence, la rigueur de leur jugement. Jâai aimé leur gaietĂ©. Leur enthousiasme est contagieux. Ainsi naissent et se dĂ©veloppent ici et lĂ des initiatives qui font tache dâhuile. Le travail en rĂ©seau est essentiel pour ces petites unitĂ©sâŠÂ » (p 250).
GeneviĂšve cite le grand Ă©ducateur brĂ©silien : Paolo Freire : « Les hommes sâĂ©duquent en communion et de maniĂšre mĂ©diatisĂ©e Ă travers le monde ». « Jâai rencontrĂ© sur mon chemin des initiatives Ă©clairĂ©es par le mĂȘme esprit et dans des lieux pourtant diffĂ©rents. Les auteurs ont en commun le mĂȘme dĂ©sir de rejoindre les marges, de se rapprocher de ceux qui souvent ne sont pas reconnus par les instances Ă©ducatives et culturelles. Ils ont une haute idĂ©e de la lecture et des bibliothĂšques. Ils sont habitĂ©s par un souci de justice qui les amĂšne Ă porter beaucoup de leurs efforts sur les oubliĂ©s. Parce quâils sâen rapprochent et les Ă©coutent, ils connaissent la richesse de ces personnes victimes dâexclusion et ils crĂ©ent des espaces de rencontre oĂč celles-ci peuvent pleinement trouver leur place et avoir voix au chapitre (p 214). Il y a ainsi, dans ces pays du Sud, une chaleur humaine et une vitalitĂ© que lâon dĂ©couvre Ă travers des rĂ©cits de rencontres avec des personnes exceptionnelles.
Ce livre se dĂ©roule en de courts chapitres, couvrant chacun un thĂšme prĂ©cis : un Ă©pisode de vie, une rencontre, une activitĂ©, un livre, une question⊠au total plus de 130 sĂ©quences, des unitĂ©s de lecture facilement accessibles. On peut lire telle ou telle dâentre elles. On peut Ă©galement entrer dans le dĂ©roulĂ© du livre et le lire de bout en bout. On y dĂ©couvre un mouvement de rencontre en rencontre, de dĂ©couverte en dĂ©couverte. Ce livre nous ouvre un horizon. « La bibliothĂšque est une terre dâenvol. « Donnez-nous des livres, donnez-nous des ailes » selon la belle formule de Paul Hazard. Il y a lĂ comme une source oĂč lâon vient goĂ»ter cette eau vive de la lecture et de la rencontre, un lieu oĂč chacun est reconnu et peut faire entendre sa voix, oĂč lâon apprĂ©cie un vivre-ensemble singulier. LĂ , je suis tĂ©moin de lâĂ©veil de lâenfant qui, Ă la faveur de ses dĂ©couvertes, naĂźt au monde et sâĂ©tonne, et jâai le plaisir de partager cela avec ceux qui sont sensibles Ă lâesprit dâenfance » (p 262).
J H
(1)           Patte (GeneviÚve). Laissez-les lire ! Mission lecture. Gallimard, 2012. Mise en perspective sur ce blog : « Laissez-les lire. Une dynamique relationnelle et éducative » : https://vivreetesperer.com/?p=523
(2)           Patte (GeneviĂšve). Mais quâest-ce qui les fait lire comme ça ? Lâhistoire de la femme qui a fait lire des millions dâenfants. Les arĂšnes. LâĂ©cole des loisirs, 2015
(3)           Montessori (Maria). Lâenfant. DesclĂ©e de Brouwer, 1936
Maria Montessori met en lumiĂšre le potentiel de lâenfant et elle le dĂ©crit en terme « dâembryon spirituel ». Sur ce blog, lâarticle : « Lâenfant, un ĂȘtre spirituel » : https://vivreetesperer.com/?p=340
Maria Montessori est une des grandes figures pionniĂšres du courant de lâĂ©ducation nouvelle qui se poursuit aujourdâhui dans dâautres formes. Sur ce blog : « Et si nous Ă©duquions nos enfants Ă la joie ? Pour un printemps de lâĂ©ducation ! » : https://vivreetesperer.com/?p=1872
(4)           « Lâ« essence » de la crĂ©ation dans lâEsprit est par consĂ©quent la « collaboration » et les structures manifestent la prĂ©sence de lâEsprit dans la mesure oĂč elles font reconnaĂźtre lâ« accord gĂ©nĂ©ral ». « Au commencement Ă©tait la relation (Martin Buber) » (JĂŒrgen Moltmann, Dieu dans la crĂ©ation. Seuil, 1988 (p25).
Sur ce blog, voir aussi :
« Esprit dâenfance. Amour, humour, Ă©merveillement. Les albums de Peter Spier » : https://vivreetesperer.com/?p=1651
« Papa arbre. Un album intime » : https://vivreetesperer.com/?p=1031
par jean | Mar 8, 2025 | ARTICLES, Hstoires et projets de vie |
Une identitĂ© qui se manifeste Ă travers la narration, dâaprĂšs la philosophie de la reconstruction de Paul Ricoeur : « Soi-mĂȘme comme un autre »
Comment nous percevons nous, nous-mĂȘme ? Comment envisageons-nous notre chemin de vie ? Comment lâexprimons-nous ? Quel regard portons-nous sur notre parcours, sur ses dĂ©faillances comme sur ses points forts ? Percevons-nous notre vie en termes de moments dispersĂ©s et contradictoires ou bien comme orientĂ©e dans une mĂȘme direction. Et, lorsque nous ressentons le besoin de faire le point, au moyen dâune narration, dâun rĂ©cit, nâest-ce pas lĂ que peut se manifester une conscience du mouvement de notre personnalitĂ© et de la vocation que nous y percevons ? Ce peut ĂȘtre ainsi une maniĂšre de prendre davantage conscience de nous-mĂȘme, de ce qui nous nous tient Ă cĆur, de ce Ă quoi nous nous sentons appelĂ©s. Nous pouvons ainsi exprimer une assurance dans le contexte du tĂ©moignage, une âattestationâ dans le langage du philosophe Paul Ricoeur pour qui lâidĂ©al de vie consiste Ă âvivre bien avec et pour les autres dans des institutions justesâ. Cette identitĂ© narrative est Ă©tudiĂ©e dans un livre de la philosophe Corine Pelluchon (1) : âPaul Ricoeur, philosophie de la reconstruction. Soin, attestation, justiceâ (2). Lâauteure y commente un livre majeur de Paul Ricoeur : âSoi-mĂȘme comme un autreâ.
A quelles questions ce livre veut-il rĂ©pondre ? « Comment retrouver notre capacitĂ© dâagir quand nos repĂšres sâeffondrent Ă la suite dâĂ©vĂšnements traumatiques ? Quelle conception du sujet rend justice Ă la dimension narrative de lâidentitĂ© ainsi quâau tĂŽle dĂ©cisif jouĂ© par autrui et par les normes sociales dans la constitution de soi ? … » (page de couverture).
Par ailleurs, dĂ©pourvu de formation philosophique stricto sensu, nous ne rendrons pas compte de lâensemble du livre, mais aprĂšs avoir repris quelques considĂ©rations sur lâĆuvre de Paul Ricoeur, nous prĂ©senterons lâapproche narrative, en Ă©voquant en fin de parcours âles prolongements de la thĂ©orie narrative en mĂ©decine et en politiqueâ.
LâĆuvre de Paul Ricoeur
Corine Pelluchon nous raconte dâabord comment ce livre est issu dâun sĂ©minaire consacrĂ© Ă lâĂ©tude de âSoi-mĂȘme comme un autreâ et intitulĂ© âSoin, attestation, justiceâ dans le cadre dâun parcours en âHumanitĂ©s mĂ©dicalesâ. En 2021, lâauteure a approfondi sa rĂ©flexion sur Paul Ricoeur. « Câest ainsi quâest nĂ© ce livre dans le but de faire comprendre une Ćuvre magistrale » (p 9).
Quel est lâesprit de cette Ćuvre ? « LâĆuvre de Paul Ricoeur est une Ćuvre de reconstruction. Ce mot doit sâentendre de plusieurs maniĂšres qui sâentremĂȘlent dans âSoi-mĂȘme comme un autreâ. La reconstruction est le fruit de la rĂ©flexion entendue comme rĂ©appropriation de notre effort pour exister. La rĂ©flexion en tant que telle est ressaisie de soi⊠Par lâinterprĂ©tation, le sens, reconfigurĂ©, permet au sujet de faire le lien entre le passĂ©, le prĂ©sent et lâavenir, câest-Ă -dire dâaffirmer son identitĂ© narrative et de pouvoir se poser comme un sujet capable de tenir ses promesses » (p 10). Ainsi, nous entendons la rĂ©flexion de Paul Ricoeur comme un aide « à mener une vie bonne dans un monde qui ne lâest pas » (p 11). Câest nous encourager Ă exister, Ă surmonter les crises, Ă poursuivre une action en personne responsable.
Paul Ricoeur adopte une âphĂ©nomĂ©nologie hermĂ©neutiqueâ qui se manifeste dans une approche constructive. Il sâoppose aux âhermĂ©neutes du soupçonâ. « Lâambition de Paul Ricoeur est dâĂ©laborer une philosophie rendant possible lâaction dâun sujet soumis Ă la passivité⊠mais Ă©galement capable dâinitiatives⊠Si on ne rend pas justice Ă cette facultĂ© quâa lâĂȘtre humain de se poser comme un sujet et de se reconnaitre dans ses actes, on ne peut plus parler de libertĂ© et de responsabilité » (p 11). « Dans âSoi-mĂȘme comme un autreâ, les diffĂ©rents fils de son Ćuvre se rassemblent autour dâun motif central : bĂątir une ontologie de lâagir qui donne du sens Ă lâaction individuelle en dĂ©pit des Ă©preuves et aide aussi Ă penser les conditions dâune revitalisation de lâespace politique sans laquelle les institutions dĂ©mocratiques ne sont que des coquilles vides » (p 13).
La rĂ©flexion de Paul Ricoeur vient nous aider Ă ĂȘtre nous-mĂȘme en traversant les crises et en Ă©clairant notre travail de reconstruction. « Pour assumer sa parole et ses actes, ĂȘtre quelquâun qui ne dit pas seulement « je », mais « me voici », il est indispensable de se penser comme moi, et non pas comme un moi quelconque. Continuer dâexister, se reconstituer aprĂšs une dĂ©pression ayant provoquĂ© lâeffondrement du psychisme, rĂ©tablir de la cohĂ©rence dans une existence marquĂ©e par de nombreuses ruptures, penser sans illusion rĂ©trospective que sa vie possĂšde une unitĂ© malgrĂ© la discontinuitĂ©, redĂ©finir ses prioritĂ©s, ĂȘtre disponible pour les autres et, de nouveau pouvoir sâengager parce que lâon croit Ă lâavenir : tel est le sens de lâhermĂ©neutique de soi que Paul Ricoeur parachĂšve dans cet ouvrage dont la notion cardinale est celle dâattestation » (p 14).
Le sens dâune vie
Identité narrative et herméneutique de soi
A travers lâexpression dâune histoire de vie, de ce rĂ©cit, de cette narration, on dĂ©couvre lâoriginalitĂ©, la singularitĂ© de sa personnalitĂ©, de son identitĂ©, ce qui se traduit en une interprĂ©tation, une hermĂ©neutique de soi.
« Parler dâidentitĂ© narrative signifie dâabord que la connaissance de soi passe par le fait de se raconter, de tisser les diffĂ©rents Ă©vĂšnements de sa vie pour leur confĂ©rer une unitĂ© et un sens qui nâest pas dĂ©finitif et nâexclue pas la remise en question. LâidentitĂ© nâest pas figĂ©e, ni Ă priori ; elle se transforme et se construit Ă travers les histoires que nous racontons sur nous-mĂȘmes et sur les autres, et elle se nourrit des lectures et des interprĂ©tations qui enrichissent notre perception du monde et de nous. Plus prĂ©cisĂ©ment, lâidentitĂ© narrative fait tenir ensemble les deux pĂŽles dont la fiction littĂ©raire prĂ©sentant des cas-limites soulignent lâĂ©cart maximal. En effet, quand on parle de soi et quâon veut se connaitre ou se faire connaitre Ă quelquâun pour ĂȘtre compris de lui, on se raconte en mĂȘlant des Ă©lĂ©ments reflĂ©tant Ă la fois son caractĂšre (le âquoiâ) et le maintien de soi, lâipse (le âquiâ). Or lâintĂ©rĂȘt de la thĂ©orie narrative est de dĂ©tailler les opĂ©rations mises en Ćuvre pour conjuguer lâunitĂ© et la diversitĂ© de sa vie » (p 120).
Lâauteure met lâaccent sur la tension entre unitĂ© et diversitĂ© au cours des vies. « Notre identitĂ© se construit par la maniĂšre dont nous agençons les Ă©vĂšnements et les interprĂ©tons, en reconnaissant que certains sâinscrivent dans une certaine continuitĂ© avec ce que nous Ă©tions (idem), alors que dâautres nous ont poussĂ© Ă remanier nos valeurs et Ă procĂ©der Ă des changements importants de notre ipsĂ©ité » (p 121) « Alors, la premiĂšre opĂ©ration que la thĂ©orie narrative met en avant est la configuration : le rĂ©cit est un art de composition servant Ă faire le lien entre la concordance et la discordance. Se raconter, se connaitre, sâinterprĂ©ter, câest procĂ©der Ă une synthĂšse de lâhĂ©tĂ©rogĂšneâŠÂ » (p 121).
Cette approche contribue non seulement Ă permettre Ă la personne de reconnaĂźtre la dynamique de sa vie, dâen bĂ©nĂ©ficier et, Ă la limite, de la partager, mais aussi de traverse des crises et dâen ressortir. « La notion dâunitĂ© narrative de la vie est essentielle si lâon veut saisir lâeffort par lequel un individu tente de se reconstruire aprĂšs une crise existentielle » (p 123). Dans une perspective qui dĂ©bouche sur lâengagement de la personne, Paul Ricoeur en privilĂ©gie le ressort : une motivation enracinĂ©e dans lâhistoire de vie : « Parce que lâidentitĂ© narrative est une Ă©tape dans la construction de son concept dâattestation, Ricoeur privilĂ©gie la dimension de cohĂ©rence sur celle de discordance » (p 126). La crise peut dĂ©boucher sur un rebondissement. « Le sujet se rassemble aprĂšs lâĂ©vĂšnement ou les Ă©vĂšnements lâayant brisĂ©. Bien plus, pour pouvoir rĂ©pondre Ă lâappel des autres, il doit retrouver lâestime de soi ». (p 126). « Dans le projet dâensemble de Paul Ricoeur, la notion dâunitĂ© narrative est un des Ă©lĂ©ments de son ontologie de lâagir, qui est une ontologie de lâhomme capable, agissant et souffrant. Cette prise en compte de lâexistant toujours situĂ© dans un contexte social et gĂ©ographique et qui a besoin, pour sâĂ©panouir, de sâaffirmer dans plusieurs domaines et dâĂȘtre reconnu, le mĂšne, pour introduire sa conception de lâunitĂ© narrative de la vie Ă distinguer des plans de vie, câest-Ă -dire de vastes unitĂ©s pratiques comme la vie professionnelle, familiale ou associative » (p 127)
La mise en Ćuvre dâune identitĂ© narrative nâest pas sans rencontrer des difficultĂ©s auxquelles lâauteure prĂȘte attention.
« Ne raconte-t-on pas uniquement ce qui a Ă©tĂ© mĂ©tabolisĂ© ou ce qui est mĂ©tabolisable ? JusquâoĂč et Ă quelles conditions faut-il accorder du crĂ©dit Ă la notion dâidentitĂ© narrative, qui implique que le sujet apprĂ©hende lâunitĂ© de sa vie ? (p 123). Elle aborde aussi le cas des personnes atteintes de la maladie dâAlzeimer. En bref, « ces personnes ne se rappellent plus ce quâelles ont fait et qui elles Ă©taient⊠La capacitĂ© de rassembler sa vie en un tout est compromise par la maladie dâAlzeimer. Lâenfermement dans le prĂ©sent, caractĂ©ristique de cette pathologie, semble rendre la notion dâidentitĂ© narrative totalement inopĂ©rante » (p 137) ; cependant, « il serait inexact de dire que la maladie dâAlzeimer prive la personne de son identité ». Lâauteure aborde alors les modalitĂ©s de son accompagnement.
Corine Pelluchon traite Ă©galement des difficultĂ©s ressenties par les personnes ayant vĂ©cu une abomination. « Quâil existe des narrations empĂȘchĂ©es parce que le traumatisme nâest pas dicible, ou parce quâen faire le rĂ©cit serait sâinfliger une peine supplĂ©mentaire puisquâil ne serait pas reçu, souligne en creux lâimportance de la narration. Celle-ci ne vise pas forcĂ©ment Ă restaurer lâunitĂ© de vie, Ă rendre acceptable ce qui ne lâest pas ou Ă rĂ©parer lâirrĂ©parable. Toutefois, le tĂ©moignage peut donner un nouveau sens Ă la vie, comme on le voit dans lâĆuvre de Semprun qui a beaucoup Ă©crit, Ă partir des annĂ©es 1960, sur la dĂ©portation » (p 135). LĂ , lâauteure souligne que la difficultĂ© de sâexprimer dans une narration nâentame en rien âlâimportance du rĂ©cit dans lâexistenceâ. Parfois, « la difficultĂ© de vivre est aussi une difficultĂ© de raconter et de se raconterâŠÂ Pourtant, le rĂ©cit existe. MĂȘme brisĂ©, il ouvre le possible, puisquâaucun rĂ©cit ne clĂŽt le sens, ne serait-ce que parce quâil est lu par dâautres » (p 136).
Ainsi, Corine Pelluchon en arrive Ă affirmer le rĂŽle essentiel du rĂ©cit : « Le rĂ©cit est un existential, une structure de lâexistence. Notre identitĂ© est narrative, mĂȘme si nous ne pouvons totalement nous rassembler et prĂ©senter une synthĂšse de lâhĂ©tĂ©rogĂšne confĂ©rant une unitĂ© Ă notre existence et nous permettant de regarder lâavenir avec confiance. Dire que le rĂ©cit est un existential signifie quâil est nĂ©cessaire Ă la comprĂ©hension de soi et quâil permet aussi de tenir bon, mĂȘme quand il est diffĂ©rĂ© et quâil sâagit dâun rĂ©cit qui parle de lâinĂ©narrable ou met en scĂšne la dissolution du soi⊠Le rĂ©cit nâest pas seulement nĂ©cessaire sur le plan moral pour ĂȘtre un sujet responsable sachant quelles sont ses valeurs et ses prioritĂ©s. Pour exister comme sujet, il faut pouvoir se raconter, mĂȘme par bribes ou en confessant que lâon ne parvient pas Ă supprimer la dĂ©chirure » (p 136). Lâauteure Ă©voque Ă©galement la psychanalyse : « Que la narration soit un existential apparait avec force quand on pense aux personnes qui reproduisent le refoulĂ© sous la forme de symptĂŽmes et que la mise en rĂ©cit de soi, comme la psychanalyse, peut aider (p 137).
Lâapproche narrative en mĂ©decine
Corine Pelluchon poursuit son Ă©tude de la mise en Ćuvre de la thĂ©orie narrative de Paul Ricoeur dans les champs de la mĂ©decine et de la politique.
Lâapparition dâune mĂ©decine narrative sâinscrit dans un mouvement dâhumanisation dâune profession tentĂ©e par une technicisation outranciĂšre.
« NĂ©e aux Etats-Unis Ă la fin des annĂ©es 1990 sous lâimpulsion de Rita Sharon, professeur de mĂ©decine clinique Ă lâUniversitĂ© de Columbia, la mĂ©decine narrative, qui connait dĂ©sormais un certain succĂšs en France, rĂ©pond Ă deux objectifs. Le premier est dâĂ©tablir une relation entre mĂ©decins et patients qui soit fondĂ©e sur lâempathie et lâĂ©coute attentive, afin que les traitements soient adaptĂ©s aux personnes et que le malade ne se sente pas objectivĂ©. Le deuxiĂšme objectif de la mĂ©decine narrative est dâaider les soignants Ă rĂ©flĂ©chir Ă leur mĂ©tier, qui les confronte Ă la souffrance et Ă la mort, et Ă sâinterroger sur le sens du soin en prenant en compte Ă la fois la souffrance des personnes et les contraintes Ă©conomiques et relationnelles.
Bien que Rita Sharon ne se rĂ©fĂšre pas Ă Ricoeur et que ceux quâelle a inspirĂ© connaissent souvent mal ce philosophe, la mĂ©decine narrative illustre ce quâil Ă©crit sur la narration et son hermĂ©neutique de soi Ă©claire mĂȘme certains aspects de cette pratique » (p 141). Lâauteure nous montre comment la mĂ©decine narrative rejoint lâapproche de Paul Ricoeur. « La mĂ©decine narrative suppose en premier lieu de reconnaitre que les patients ont des histoires Ă raconter. Pour se connaitre et se faire connaitre Ă autrui, il faut se raconter, mettre en rĂ©cit sa vie⊠Cet aspect est consonant avec la phĂ©nomĂ©nologie hermĂ©neutique de Ricoeur et avec son insistance sur le rĂ©cit en premiĂšre personne, qui dĂ©couvre un sujet incarnĂ© et toujours situé⊠En termes ricoeuriens, on dira que la premiĂšre compĂ©tence que la mĂ©decine narrative cherche Ă dĂ©velopper est la capacitĂ© de reconnaitre que le patient a besoin dâĂ©noncer les symptĂŽmes motivant sa demande de soins, et de raconter une histoire lui permettant dâinsĂ©rer lâĂ©pisode pathologique, qui est toujours vĂ©cu comme une rupture de lâunitĂ© â une discordance – dans une unitĂ©, une sĂ©rie dâĂ©vĂšnements â une concordance. En mettant en intrigue les Ă©vĂšnements de sa vie et en situant sa maladie Ă un certain moment de son existence, le rĂ©cit aide le malade Ă reconfigurer le temps et Ă donner du sens Ă ce qui lui arrive » (p 142).
« La mĂ©decine narrative passe par un travail sur les textes des patients⊠Cette analyse doit aider le soignant Ă apprĂ©hender le dĂ©sir du narrateur, câest-Ă -dire quâil doit lui permettre de comprendre le sens que le patient donne Ă sa maladie. Cette maniĂšre de procĂ©der Ă©vite de faire disparaitre le malade derriĂšre sa maladie et de rĂ©duire celle-ci Ă sa dimension objective (disease) en nĂ©gligeant sa dimension narrative (illness) » (p 143). Rita Sharon comme Paul Ricoeur critique le positivisme « Non seulement le vĂ©cu du malade ne doit pas ĂȘtre Ă©clipsĂ© par une ontologie de lâĂ©vĂšnement, mais, de surcroit, la mĂ©decine elle-mĂȘme est un art de lâinterprĂ©tation⊠Le choix des traitements et lâaccompagnement supposent de sâappuyer sur le vĂ©cu du malade et de chercher le sens global quâil confĂšre Ă sa maladie. Ainsi la mĂ©decine narrative rejoint-elle la phĂ©nomĂ©nologie hermĂ©neutique pour postuler un certain holisme de la comprĂ©hension » (p 144). La compĂ©tence narrative ne se borne pas à « reconnaitre les histoires des patients, mais aussi Ă les absorber, les interprĂ©ter et ĂȘtre Ă©mus par elles ». « Si les rĂ©cits sont si Ă©clairants, câest parce que leurs auteurs ne relatent pas seulement des faits, mais dĂ©crivent leur vĂ©cu » (p 145). Si « le rĂ©cit est lu au soignant qui va sâen servir comme dâun support pour Ă©laborer avec le patient une dĂ©marche thĂ©rapeutique », il contribue Ă©galement Ă ce que lâidentitĂ© de la personne puisse se recomposer (p 146).
Cette approche se dĂ©veloppe Ă lâencontre des dĂ©rives technicistes de la mĂ©decine. « Affirmer que la compĂ©tence premiĂšre du soignant est une compĂ©tence narrative vise Ă rĂ©pondre aux reproches adressĂ©s Ă la mĂ©decine contemporaine qui, en raison de sa haute technicitĂ©, tend Ă devenir impersonnelle et froide. Les contraintes Ă©conomiques et lâorganisation managĂ©riale de la santĂ© aggravent ce phĂ©nomĂšne. Le dĂ©faut dâĂ©coute est compensĂ© par lâinflation technologique et le soin est rĂ©duit Ă une protocolisation souvent dĂ©shumanisante (3). Pour briser ce cercle vicieux, la mĂ©decine narrative cherche Ă dĂ©velopper lâempathie, lâĂ©coute attentive, et la capacitĂ© Ă comprendre les malades⊠Il sâagit de rééquilibrer le systĂšme de santĂ© afin que la mĂ©decine, qui est une science et un art, et qui passe par la relation entre une Ă©quipe de soins et un sujet toujours singulier, soit plus juste et plus efficace » (p 142-143) (4).
Récit et politique
Corine Pelluchon aborde Ă©galement le rĂŽle du rĂ©cit dans la constitution et lâentretien de lâidentitĂ© dâune communautĂ© politique. On se reportera Ă sa dĂ©monstration.
« En traitant des implications politiques du rĂ©cit⊠Paul Ricoeur Ă©voque Walter Benjamin qui, dans âDer erzĂ€hlerâ, publiĂ© en 1936, rappelle que lâart de raconter est âlâart dâĂ©change des expĂ©riencesâ et que celles-ci dĂ©signent, non lâobservation scientifique, mais âlâexercice populaire de la sagesse pratiqueâ. Ce texte, briĂšvement mentionnĂ© par Ricoeur est dâune grande pertinence quand on sâinterroge sur le lien entre rĂ©cit et politique » (p 153). Corine Pelluchon nous montre en quoi un manque de rĂ©cit collectif pertinent engendre un dĂ©sarroi politique : « Il y a un rapport Ă©troit entre les crispations identitaires et lâimpossibilitĂ© pour les individus de sâinsĂ©rer dans un tissu dâexpĂ©riences qui les prĂ©cĂ©dent et les dĂ©passent en les interprĂ©tant sans clore le sens. Câest pourquoi lâhermĂ©neutique est essentielle Ă la dĂ©mocratie et contient la promesse dâune Ă©thique interculturelle. Toutefois, avant de parler des conditions permettant Ă une communautĂ© de construire un rĂ©cit collectif qui ne sâapparente pas Ă une mystification et corresponde Ă une identitĂ© narrative, qui est par dĂ©finition dynamique et ouverte aux influences Ă©trangĂšres, il importe dâinsister sur une des affirmations principales de âSoi-mĂȘme comme un autreâ : pour ârencontrer lâautre sans avoir peur de lui ni chercher Ă lâĂ©craser, il faut savoir qui lâon estâ. Pour âavoir en face de soi un autre que soi, il faut ĂȘtre un soiâ » (p 154).
Nâen va-t-il pas de mĂȘme collectivement ? Pour entrer pacifiquement en contact avec lâĂ©tranger, un peuple a besoin de se sentir lui-mĂȘme.
« LâidentitĂ© narrative implique lâouverture Ă autrui comme aux autres cultures, mais cela exige que le noyau crĂ©ateur dâun peuple qui renvoie aux images et symboles constituant un fonds culturel soit explorĂ© et transmis » (p 154). Câest lĂ aussi quâune approche hermĂ©neutique, un travail dâinterprĂ©tation et de rĂ©interprĂ©tation est nĂ©cessaire. « Il ne sâagit pas de sacraliser un noyau Ă©thico-mytique, mais de le soumettre Ă lâinterprĂ©tation afin quâune culture, prenant conscience dâelle-mĂȘme, libĂšre sa crĂ©ativitĂ©. En lâabsence dâun travail hermĂ©neutique visant Ă dĂ©chiffrer ces images et symboles qui forment âle rĂȘve Ă©veillĂ© dâun groupe historiqueâ, on ne peut rendre hommage Ă la diversitĂ© des cultures et sây rapporter âautrement que par le choc de la conquĂȘte et de la dominationâ » (p 153).
Cependant, nous dit Corine Pelluchon, lâĂąge moderne est marquĂ© par le dĂ©clin du rĂ©cit : manque de recul et manque de lien. On se reportera Ă son analyse inspirĂ©e par la rĂ©flexion de Walter Benjamin (p 156-159). Tout se tient. La reconnaissance des autres, la reconnaissance de lâĂ©tranger va de pair avec la connaissance de soi que ce livre prĂ©sente en terme dâidentitĂ© narrative.
« La connaissance de soi offre la capacitĂ© Ă aller vers lâautre, le travail sur les signes et les symboles de sa culture Ă©tant Ă la fois une condition de possibilitĂ© de lâaccueil de lâautre et de lâhospitalitĂ© linguistique et leur consĂ©quence » (p 161).
Voici une rĂ©flexion qui nous concerne. Comment nous percevons-nous ? Quel rapport entretenons-nous avec notre passé ? Et en quoi, le rĂ©cit que nous pouvons en Ă©tablir nous aide-t-il Ă dĂ©boucher sur un sens et sur un engagement ? Un autre philosophe, Charles PĂ©pin envisage notre rapport avec le passĂ© dans un livre : « Vivre avec son passĂ©. Aller de lâavant » (5) Ainsi Ă©crit-il :
« La question de lâidentitĂ© personnelle est un des problĂšmes philosophiques les plus passionnantsâŠ. Quâest-ce qui nous dĂ©finit en tant quâindividu singulier, nous distingue de tout autre ? Quâest-ce qui demeure en nous de maniĂšre permanente et constitue ainsi le socle de notre identité ? ⊠Si nous nous interrogeons en ce sens, nous sentons bien combien nous pensons notre ĂȘtre, notre personnalitĂ© Ă travers notre histoire personnelle ». Charles PĂ©pin interroge Ă ce sujet dâautres philosophes, des Ă©crivains. Nous retrouvons lĂ la pensĂ©e Ă©clairante de Bergson (6). Ainsi Bergson Ă©crit : « Dans une confĂ©rence donnĂ©e Ă Madrid, Henri Bergson synthĂ©tise cette idĂ©e de ressaisir notre passĂ© pour nous projeter dans lâavenir sous le concept de rĂ©capitulation crĂ©atrice ». Et, pour notre part, nous aimons la maniĂšre dont il envisage un Ă©lan vital : « LâĂ©lan vital se particularise en chacun de nous⊠Notre personnalitĂ© est plus que la condensation de lâhistoire que nous avons vĂ©cue depuis notre naissance⊠Elle est notre identitĂ©, mais propulsĂ©e vers lâavant, traversĂ©e par cette force de vie qui nous pousse Ă agir, Ă crĂ©er. »
Si nous revenons Ă la thĂ©orie narrative de Paul Ricoeur, Ă travers le livre de Corine Pelluchon, nous dĂ©couvrons combien elle est fĂ©conde dans un champ trĂšs vaste de lâidentitĂ© personnelle envisagĂ©e sous la forme dâidentitĂ© narrative jusquâĂ la mĂ©decine et la politique. Voici une approche Ă mĂȘme dâĂ©clairer les histoires de vie dont la rĂ©daction sâest multipliĂ©e dans les derniĂšres dĂ©cennies. Câest aussi un apport pour considĂ©rer les reconfigurations qui apparaissent dans les tĂ©moignages qui abondent aujourdâhui dans le registre chrĂ©tien.
J H
- Les lumiĂšres Ă lâĂąge du vivant : https://vivreetesperer.com/des-lumieres-a-lage-du-vivant/
- Corinne Pelluchon. Paul Ricoeur, philosophe de la reconstruction. Soin, attestation, justice. PUF, 2022
- Pistes de rĂ©sistance face Ă la montĂ©e dâune technocratie deshumanisante : https://vivreetesperer.com/pistes-de-resistance-face-a-la-montee-dune-technocratie-deshumanisante/
- Le soin est un humanisme : https://vivreetesperer.com/de-la-vulnerabilite-a-la-sollicitude-et-au-soin/
- Mieux vivre avec son passé : https://vivreetesperer.com/mieux-vivre-avec-son-passe/
- Bergson, notre contemporain : https://vivreetesperer.com/comment-en-son-temps-le-philosophe-henri-bergson-a-repondu-a-nos-questions-actuelles/
par | Sep 11, 2013 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Vision et sens |
Les Ă©chos dâun groupe de partage
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Contribution de ValĂ©rie BitzÂ
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        ValĂ©rie Bitz a participĂ© rĂ©cemment Ă une session sur le thĂšme de la transcendance. Au cours dâune conversation, nous avons recueilli ses observations et ses rĂ©flexions au sujet de ce qui sâest dit dans ce groupe de partage.
        Mais quâest ce quâune expĂ©rience de transcendance ? « A certains moments, on sent que quelque chose nous dĂ©passe. Cela passe par un ressenti, mais câest un ressenti que lâon peut dĂ©chiffrer.
Une caractĂ©ristique de cette expĂ©rience : on la vit, et, en mĂȘme temps, on sent que cela vient de plus grand que nous ».
        Valérie nous donne des exemples de ces expériences :
        « Ainsi, se sentir portĂ© par un amour plus grand que celui qui pourrait mâĂȘtre donnĂ© par mes propres forcesâŠ. Des personnes qui ont un sens fort de la justice, de la dignitĂ© humaine, peuvent ressentir que ces mouvements intĂ©rieurs ne sont pas uniquement de leur ressort, mais quâils viennent de bien au delĂ dâeux-mĂȘmesâŠ. En regard de la beautĂ© et de la grandeur dâun paysage, Ă©ventuellement dâune Ćuvre dâart, certaines personnes Ă©prouvent soudainement une Ă©motion esthĂ©tique qui les dĂ©passeâŠ
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Dans ces formes dâexpĂ©rience, il y a au dĂ©part des sentiments que nous connaissons, mais, Ă ces moments lĂ , nous sentons quâils nous dĂ©passent ».
        ValĂ©rie distingue un deuxiĂšme groupe dâexpĂ©riences oĂč le sentiment dâune prĂ©sence apparaĂźt : « Dâautre formes dâexpĂ©rience sont accompagnĂ©es par le sentiment dâune prĂ©sence. Cette prĂ©sence est ressentie comme bienveillante . Elle invite parfois Ă une relation⊠Dans dâautres cas, en fonction de leur culture, les gens pensent pouvoir identifier cette prĂ©sence : Dieu, lâEsprit, JĂ©sus⊠Pour dâautres encore, elles Ă©voquent une relation avec cette prĂ©sence ».
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        Mais quels sont les effets de ces différentes expériences ?
        « Les gens dĂ©couvrent une profondeur en eux-mĂȘmes⊠Aller plus profond en eux-mĂȘmes que ce quâils connaissaient dâeux-mĂȘmesâŠ.
        Les gens dĂ©couvrent leur ĂȘtre profond. Et, dans ce registre, ils dĂ©couvrent leurs aspirations essentiellesâŠ
        On se rend compte de la profondeur de la vie⊠On prend conscience que nos existences sâinscrivent dans une dimension plus large. Cette expĂ©rience suscite de nouvelles orientations de vie.
        Certaines expĂ©riences produisent une unification, une harmonisation de la pensĂ©e de la sensibilitĂ©, du ressenti corporel, de tout lâĂȘtre.
        Dans les expĂ©riences comprenant le ressenti dâune prĂ©sence, on constate lâapparition et le dĂ©veloppement dâune confiance, et, pour certains, le sentiment dâĂȘtre aimĂ©, soutenuâŠÂ »
        Les gens ne rencontrent-ils pas parfois aussi  des difficultés ?
        « On note également des obstacles, des résistances par rapport à ces expériences :
        Ne pas repĂ©rer certaines expĂ©riences parce quâon recherche quelque chose dâextraordinaire ou de sensationnel.
        Avoir peur de perdre le contrĂŽle parce quâil y a une crainte de perdre sa libertĂ©.
        Etre soumis au diktat dâune pensĂ©e qui ne permet mĂȘme pas dâenvisager que des expĂ©riences de ce type soient possibles ; ou encore croire que ces expĂ©riences sont rĂ©servĂ©es Ă un petit nombre de personnes ».
        « Bien sĂ»r, toutes ces expĂ©riences ont Ă©tĂ© vĂ©cues en dehors de la session. La session est le lieu oĂč elle peuvent ĂȘtre réévoquĂ©es et dĂ©chiffrĂ©es. Dans le dĂ©chiffrage dâune expĂ©rience de transcendance, il y a, Ă la fois, lâexpression du vĂ©cu de lâexpĂ©rience et un constat de lâimpact de celle-ci sur la personne et sur sa vie ».
        « Cette session sâinspirait dâune recherche en cours Ă Â PRH (PersonnalitĂ© et Relations Humaine) : lâĂȘtre de la personne est le lieu de son identitĂ©, de son agir et de son engagement, des relations en rapport avec cette action. Câest encore le lieu de lâouverture Ă la transcendance. Câest au niveau de lâĂȘtre que la transcendance peut se vivre et câest lĂ quâon peut sây rendre attentif. Il sâagit dây prĂȘter attention, de lâidentifier et de sây ouvrir ».
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Propos recueillis auprÚs de Valérie Bitz.
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Pour prendre contact : valerie.bitz.art@orange.fr
Tél : 03 89 76 73 62
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Autres contributions de Valérie Bitz sur ce blog :
« Et si je tentais dâexprimer ce que je ressens par la peinture ou le graphisme pour y voir plus clair » https://vivreetesperer.com/?p=1428
« Apprendre à écouter son monde intérieur et à la déchiffrer. Pourquoi ? Pour qui ? » https://vivreetesperer.com/?p=959
« Exprimer ce quâil y a de plus profond en moi » https://vivreetesperer.com/?p=501
Sur un thÚme voisin, on pourra également consulter :
« ReconnaĂźtre la prĂ©sence de Dieu Ă travers lâexpĂ©rience »
https://vivreetesperer.com/?p=1008
« Expériences de plénitude »
https://vivreetesperer.com/?p=231
par jean | Jan 15, 2020 | ARTICLES, Beauté et émerveillement, Expérience de vie et relation, Vision et sens |
Un recueil dâĆuvres peintes par ValĂ©rie Bitz
Valérie nous partage son expérience.
« Un désir est à la source de ce recueil : Rendre hommage à notre humanité chercheuse de chemins de vie !
Rejoindre les personnes qui se reconnaissent dans cette pĂąte humaineâŠ. dĂ©sireuses dâavancer !
Toucher notre sensibilitĂ© profonde, lĂ mĂȘme oĂč elle conduit vers le cĆur de soi, cet intime foyer vivant en chacun, oĂč il pourra puiser!
A la genĂšse de ces Ćuvres, une  fulgurance qui vous traverse, vous Ă©blouit et en un instant, vous ouvre un chemin devant vous. LĂ , câĂ©tait le dĂ©clic suivant : Je suis de cette humanitĂ© qui marche, peine, erre, se relĂšve,
en mĂȘme temps que j’ai beaucoup reçu, de bien des personnes, de groupes et de milieux !
Je rĂ©alise alors que quelque chose en moi coule, se donne, dĂ©borde, pour d’autres! Vais-je retenir ou  laisser circuler?
Ainsi est nĂ©e la premiĂšre peinture: «Je suis dans une chaine d’humanité».
Dâautres suivront : plusieurs hommes, un Ă un, grandeur nature presque, par besoin de leur rendre leur dignitĂ©.
Qui voudra passer le relais ?
Hymne de tendresse pour des personnes en chemin
Il y a des textes, des poÚmes, comme une proposition de voix et de vécus multiples.
Les peintures sont en craies de cire et acrylique, 100×50 cm
recueil disponible : 10⏠+ 2e si envoi postal
Valérie est peintre et accompagnatrice de vie.
Si vous ĂȘtes intĂ©ressĂ©, veuillez contacter directement : Valerie Bitz, 06 89 06 77 10 – valerie.bitz.art@orange.fr
Articles de Valérie sur ce blog
Exprimer ce quâil y a  de plus profond en moi
https://vivreetesperer.com/exprimer-ce-quâil-y-a-de-plus-profond-en-moi/
Des expĂ©riences de transcendance, cela peut sâexplorer
https://vivreetesperer.com/des-experience-de-transcendance-cela-peut-sexplorer/
Apprendre à écouter son monde intérieur et à le déchiffrer. Pourquoi ? Pour qui ? https://vivreetesperer.com/apprendre-a-ecouter-son-monde-interieur-et-a-le-dechiffrer-pour-quoi-pour-qui/
Au cĆur de nous, il y a un espace
https://vivreetesperer.com/au-coeur-de-nous-il-y-a-un-espace/
Le cadeau dâune intuition
https://vivreetesperer.com/le-cadeau-dune-intuition/
par jean | Jan 22, 2017 | ARTICLES, Expérience de vie et relation |
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A la demande de sa grand-mĂšre (1), Ă dix ans, Manon Aurenche nous communique ses observations sur lâĂ©cole anglaise dans laquelle elle vient dâentrer. Comment ne pas ĂȘtre admiratif devant ses qualitĂ©s dâobservation, de rĂ©flexion, dâexpression !

Et il y bien une impression qui ressort : cette Ă©cole publique municipale dâun quartier populaire de Londres, avec une population en majoritĂ© originaire du Pakistan ou du Bangladesh, la « Carlton school », est une Ă©cole oĂč on vit en relation. On peut sây exprimer librement. La convivialitĂ© est active et encouragĂ©e. La diversitĂ© est reconnue. La condition, câest le respect de lâautre. La caractĂ©ristique, câest un climat de confiance.
Manon note :
« Lâambiance anglaise est trĂšs diffĂ©rente, car on a le droit de se lever et de parler pour discuter du travail en cours ».
« La maßtresse est tout le temps positive, trÚs attentive aux problÚmes des enfants et elle explique trÚs bien ».
« On a, de temps en temps, des rĂ©unions de classe pour parler dâun thĂšme, en particulier comme lâamitiĂ© ou : câest quoi une bonne relation ? ».
« « La Rainbow Room (la salle Arc en Ciel) sert Ă calmer les enfants et Ă les faire sâexpliquer en racontant chacun (e) leur vision du problĂšme. Puis ils demandent Ă des enfants tĂ©moins de donner leur avisâŠÂ ».
« A lâĂ©cole, il y a des assemblĂ©es (assembly », câest Ă dire des moments oĂč toute lâĂ©cole est rĂ©unie. Elles sont diffĂ©rentes Ă chaque fois. Par exemple, il y en a sur le chant dans lesquelles on chante. Une autre fois, sur le thĂšme du harcĂšlementâŠÂ »
Quand un enfant peut ainsi ĂȘtre reconnu, sâexprimer, participer, vivre en bonne entente, il peut ĂȘtre heureux. « Jâaime beaucoup mon Ă©cole anglaise », Ă©crit Manon. « Elle et gĂ©niale ».
Depuis des dĂ©cennies, le courant de lâĂ©ducation nouvelle Ćuvre pour promouvoir une Ă©cole oĂč lâon puisse apprendre dans un climat de confiance, de partage et dâentraide (2). Cette Ă©ducation est fondĂ©e sur des valeurs. Celles-ci sont inĂ©galement actives dans les diffĂ©rentes sociĂ©tĂ©s, et parfois on doit avancer Ă contre-courant.
LâĂ©cole anglaise, frĂ©quentĂ©e par Manon, nâest pas, en soi, une « école nouvelle » . Câest une Ă©cole publique dâun quartier populaire de Londres, mais elle participe Ă la mĂȘme approche. Les cultures nationales sont diffĂ©rentes (3), mais, en France, de plus en plus de parents dĂ©sirent que leurs enfants puissent apprendre dans une ambiance conviviale et crĂ©ative. (4).
Bref, du bonheur Ă lâĂ©cole. Ce tĂ©moignage tout simple de Manon nous dit : Oui, câest possible !
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(1)           Merci à Blandine Aurenche. Bibliothécaire, Blandine Aurenche a publié un article sur ce blog : « Susciter un climat de convivialité et de partage » : https://vivreetesperer.com/?p=1542
(2)           « Et si nous Ă©duquions nos enfants Ă la joie. Pour un printemps de lâĂ©ducation » : https://vivreetesperer.com/?p=1872                                « Pour une Ă©ducation nouvelle, vague aprĂšs vague » : https://vivreetesperer.com/?p=2497
(3)           En France, « Promouvoir la confiance dans une sociĂ©tĂ© de dĂ©fiance » : https://vivreetesperer.com/?p=1306        Dans certains pays, lâenseignement public a mutĂ© vers une approche conviviale et crĂ©ative. Câest le cas en Finlande comme lâexpose « le film : Demain » : https://vivreetesperer.com/?p=2422
(4)           Ce dĂ©sir des parents sâexpriment par exemple dans le dĂ©veloppement rapide des Ă©coles Montessori en France.
Manon Ă lâĂ©cole anglaise
Je mâappelle Manon, jâai 10 ans. Jâai dĂ©mĂ©nagĂ© Ă Londres en septembre avec ma famille. Je suis Ă lâĂ©cole Anglaise de mon quartier. LâĂ©cole Anglaise est assez diffĂ©rente de lâĂ©cole Française dans son organisation et pour plein dâautres choses encoreâŠ
Lâambiance en classe est trĂšs diffĂ©rente car on a le droit de se lever et de parler pour discuter du travail en cours. De plus, si on nây arrive vraiment pas on peut aller au bureau de la maĂźtresse et elle vient Ă notre table, elle nous aide et nous Ă©coute pour voir ce que lâon a compris et regarde sur quoi nous bloquons. En Angleterre, les enfants sont plus attentifs car ils dĂ©cident de leurs propres rĂšgles de classe, tout en respectant celles de lâĂ©cole qui sont les mĂȘmes pour toutes les classes. Bon, on doit quand mĂȘme souvent se mettre en ligne sans parler. Pour le silence, il y a un signal : la maĂźtresse lĂšve la main en lâair et tape 3 tape trois fois dans les mains et tous les enfants rĂ©pĂštent aprĂšs elle. La politesse est aussi trĂšs importante.
Ma maĂźtresse sâappelle Tina, elle a les cheveux violet/rose. Ma prof de sport sâappelle Sharon, elle a plein de tatouages et de piercings. Tout ça pour vous dire quâĂ Londres le style nâa pas dâimportance ! Nous, par contre, nous sommes tous en uniformes. Contrairement Ă la France, certaines filles musulmanes portent le voile.
Mais revenons Ă ma maĂźtresse ! Je sais quâelle est allemande car elle mâa dit quâelle aussi Ă©tait arrivĂ©e Ă 14 ans en Angleterre sans savoir parler anglais. Elle est tout le temps positive, trĂšs attentive aux problĂšmes des enfants et elle explique trĂšs bien. Les maĂźtresses ne sont PAS SEULES dans la classe, elles ont des aides (Teacher Assistants) pour certains Ă©lĂšves qui ont besoin dâune aide vraiment spĂ©ciale et dâautres pour le reste de la classe. Donc, dans ma classe, il y a parfois 5 personnes en plus de la maĂźtresse ! On a de temps en temps des rĂ©unions de classe pour parler dâun thĂšme en particulier comme « lâamitiĂ© ou câest quoi une bonne relation ? ». Et puis, on peut comme cela travailler souvent en petits groupes !
Pour rĂ©gler les problĂšmes dans la cour, les Teacher Assistants envoient les enfants dans une salle qui sâappelle la Rainbow Room (la salle arc-en-ciel). Câest une salle qui sert Ă calmer les enfants et les faire sâexpliquer en racontant chacun(e) leur version du problĂšme. Puis ils demandent Ă des enfants tĂ©moins de donner leur avis. Le problĂšme est vite rĂ©glĂ©. Ceux qui se sont mal comportĂ©s comprennent pourquoi car on leur explique et les autres sont contents dâĂȘtre Ă©coutĂ©s.
A lâĂ©cole, il y a des assemblĂ©es (Assembly) câest Ă dire des moments oĂč toute lâĂ©cole est rĂ©unie dans une mĂȘme salle. Elles sont diffĂ©rentes Ă chaque fois. Par exemple, il y en a sur le chant dans lesquelles on chante⊠Une autre fois sur le thĂšme du harcĂšlement. Elles servent aussi Ă cĂ©lĂ©brer les Goldens Stars tous les vendredi. Les Goldens Stars sont les Ă©lĂšves de la semaine qui sont rĂ©compensĂ©s car ils ont bien travaillĂ© ou quâils se sont bien comportĂ©s en classe. Les assemblĂ©es apprennent aux enfants Ă prendre la parole en public mais câest trĂšs impressionnant quand on ne parle pas encore anglais !
On commence lâĂ©cole Ă 8H45 et on fini Ă 15H30 tous les jours mĂȘme le mercredi et on a moins de vacances MALHEUREUSEMENT ! Mais ce qui est super câest quâaprĂšs lâĂ©cole on peut rester pour faire des afterschools : coding club, musique (jâai pu commencer la guitare et jouer devant toute lâĂ©cole Ă la fĂȘte de NoĂ«l), football, netball, mandarin, science, cours de cuisine en famille, art, girlâs sport, piscine, etcâŠ
Bref, mĂȘme si mes copines de France me manquent beaucoup et que je suis pressĂ©e de parler Anglais, jâaime beaucoup mon Ă©cole anglaise, elle est gĂ©niale !
Manon Aurenche
Janvier 2017