« Animal » de Cyril Dion

Quand des voix innovantes et compétentes nous ouvrent de nouveaux chemins pour un monde écologique

https://youtu.be/b0HouR6CYK4

RĂ©alisateur du film : « Demain » (1), qui, en son temps, ouvrit les esprits Ă  une dynamique de sociĂ©tĂ© participative et Ă©cologique, Cyril Dion rĂ©alise aujourd’hui un second long mĂ©trage : « Animal », qui nous Ă©veille Ă  la vision d’un monde fondĂ© sur la biodiversitĂ©.

Le film rĂ©alise le projet dĂ©crit dans la page de couverture du livre correspondant : « Imaginez que vous puissiez voyager sur quatre continents pour rencontrer certains des plus Ă©minents et des plus passionnants biologistes, climatologues, palĂ©ontologues, anthropologues, philosophes, Ă©conomistes, naturalistes et activistes qui cherchent Ă  comprendre pourquoi les espĂšces disparaissent, pourquoi le climat se dĂ©rĂšgle et surtout comment inverser la tendance ». Le livre : « Animal » (2) rapporte l’ensemble de tĂ©moignages, des informations et des idĂ©es recueillies « dans une sĂ©rie de rencontres effectuĂ©es lors du tournage du film ».

« Pendant 56 jours, Cyril Dion est parti avec une Ă©quipe de tournage et deux adolescents trĂšs engagĂ©s, Bella Lack et Vipulan Puvaneswaran (p 17), l’une anglaise et l’autre français de parents nĂ©s au Sri Lanka. Avec Cyril Dion, ces deux jeunes ont posĂ© leurs questions. « Faire ce voyage avec eux fut une expĂ©rience merveilleuse et bouleversante. Pour autant, dans la retranscription des entretiens, j’ai choisi de mĂȘler nos trois voix en une pour interroger nos interlocuteurs ». « Leur prĂ©sence active a permis de mieux comprendre comment leur gĂ©nĂ©ration aborde un double dĂ©fi Ă©cologique » (p 21). Le sous-titre du livre tĂ©moigne de cette intention : « Chaque gĂ©nĂ©ration a son combat. Voici le notre ».

« Si le climat est devenu un sujet incontournable, une autre crise Ă©cologique sans doute aussi grave est encore largement absente des conversations et de nombreuses politiques publiques : « la destruction accĂ©lĂ©rĂ©e du vivant » (p 14). Les chiffres sont accablants. De nombreuses espĂšces sont menacĂ©es ou en danger d’extinction. « Notre planĂšte se dĂ©peuple de ses habitants non humains sauvages » (p 15). Aussi, ce livre est un manifeste en faveur de la biodiversitĂ©, en faveur de la prĂ©sence des animaux. Et il s’efforce de rĂ©pondre aux questions correspondantes : « Pourquoi des espĂšces disparaissent-elles ? Que pouvons-nous faire pour l’éviter ? Et pourquoi y sommes-nous pour quelque chose ? (et la rĂ©ponse est oui). Avons- nous le droit de faire ça ? A quoi servent toutes ces espĂšces ? Doivent-elles servir Ă  quelque chose pour que nous dĂ©cidions de les protĂ©ger ou d’arrĂȘter des les Ă©radiquer ? Comment renouer une relation fĂ©conde avec le vivant ? Quelle est notre place parmi les autres espĂšces ? Et, Ă  quoi servons-nous dans l’univers du vivant ? » (p 17).

« Nous avons besoin de regarder en face ce que notre planĂšte traverse
 Nous avons besoin de luciditĂ©, de courage, de solidaritĂ©, d’élan, de sens et de dĂ©sir. De la luciditĂ© peut naitre le choc et c’est ce choc qu’il nous appartient dĂ©sormais de faire » (p 23). A travers l’expĂ©rience et l’expertise des personnalitĂ©s interviewĂ©es, ce livre est si dense et si riche qu’il n’est pas possible d’en rendre compte. Nous essaierons seulement ici de rapporter quelques moments privilĂ©giĂ©s oĂč, parmi d’autres, un horizon se dĂ©couvre, une perspective apparaĂźt. Ce sont quelques brĂšves notations qui ouvrent notre esprit Ă  une dimension nouvelle.

 

Pourquoi les espÚces disparaissent ?
Rencontre avec Anthony Barnosky (p 27-36)

Anthony Barnosky, gĂ©ologue, palĂ©ontologue et biologiste qui a enseignĂ©, toute sa carriĂšre, Ă  l’UniversitĂ© de Berkeley, rĂ©pond Ă  nos questions (p 27-36). Il distingue cinq causes majeures de l’extinction des espĂšces : la destruction des habitats, la surexploitation des espĂšces, la pollution, les espĂšces invasives, et les changements climatiques » (p 29). La menace aujourd’hui rĂ©side non seulement dans des changements progressifs, mais dans l’apparition de « points de bascule » (p 32). A la suite de cet entretien, laissant de cĂŽtĂ© le dĂ©rĂšglement climatique, « un phĂ©nomĂšne si considĂ©rable qu’il nĂ©cessiterait, Ă  lui seul, un film ou un livre, la recherche de l’équipe s’est centrĂ©e sur la pollution, la surexploitation des espĂšces et la disparition des habitats ».

 

Se passer des pesticides
Rencontre avec Paul François (p 38-58)

Paul François est un agriculteur qui, suite Ă  un grave accident avec un herbicide, a converti ses 240 hectares en agriculture biologique. A cette Ă©chelle, un tel changement est un exploit. Paul François nous raconte son changement de mentalitĂ© et de pratique. Il lui a fallu accepter la prĂ©sence de l’herbe plutĂŽt que de la supprimer systĂ©matiquement. PlutĂŽt que d’acheter des produits chimiques, Paul François investit dans la mĂ©canisation et dans la main d’Ɠuvre. Et il a vu rĂ©apparaitre les hirondelles qui, en se nourrissant des insectes, remplacent les pesticides. Les abeilles reviennent Ă©galement. En mĂȘme temps, Paul François nous dit comment « il gagne mieux sa vie en bio qu’en conventionnel ». Suite Ă  sa maladie professionnelle, Paul François a remportĂ© une bataille juridique contre Monsanto. C’est dire son courage et sa persĂ©vĂ©rance. La transformation de son exploitation est un exploit remarquable.

 

ArrĂȘter de parler et agir
Rencontre avec Afroz Shah (p 65-75)

Afros Shah est un jeune avocat indien qui a engagĂ© la lutte contre le plastique rĂ©pandu sur une grande plage Ă  MumbaĂŻ. Une grande mobilisation pour le nettoyage s’en est suivie. C’est une action de terrain. VoilĂ  une action qui Ă©voque la responsabilitĂ© qui incombe Ă  chacun de nous. « C’est le raisonnement que s’est tenu Afroz. Et il se trouve qu’il est Ă  l’origine, par son seul engagement, d’un considĂ©rable mouvement de nettoyage du plastique Ă  MumbaĂŻ, qui a inspirĂ© des milliers et peut-ĂȘtre mĂȘme des millions de personnes en Inde et dans de nombreuses rĂ©gions du monde » (p 71).

 

La maternitĂ© d’un Ă©levage intensif
Rencontre avec Laurent Hélaine et Philippe Grégoire
(p 77-96)

Cette visite Ă  un Ă©levage intensif suscite en nous un effroi et un Ă©cƓurement. A cette occasion, la question de la consommation de la viande dans l’alimentation est posĂ©e. Cyril Dion ouvre la rĂ©flexion : « Si nous voulons rĂ©duire considĂ©rablement notre consommation de viande, il serait sans doute plus efficace de le faire Ă  travers une mesure structurelle emblĂ©matique qui, Ă  mon sens, ferait honneur Ă  l’humanité : bannir l’élevage en cage, mais Ă©galement en bĂątiment fermĂ© sans accĂšs Ă  l’extĂ©rieur comme le propose le rĂ©fĂ©rendum pour les animaux
 Interdire ce type d’élevage aurait la vertu de cesser d’infliger ces terribles conditions de vie Ă  des animaux, mais Ă©galement de diminuer mĂ©caniquement la quantitĂ© de viande que nous pourrions consommer » (p 95-96).

 

Des lois pour transformer la société
Rencontre avec Claire Nouvion et Matthieu Colléter
(p 98-125)

On parle ici des actions volontaires pouvant exercer une influence. On a besoin de lois pour changer la donne. Face aux lobbys, une conscience politique est nĂ©cessaire. Des associations s’emploient avec persĂ©vĂ©rance Ă  obtenir des changements lĂ©gislatifs. C’est le cas de l’association Bloom oĂč travaillent Claire et Matthieu, et qui intervient au niveau europĂ©en. Ainsi, elle est parvenue Ă  gagner une bataille contre la pĂȘche en eau profonde. C’est une victoire importante, mais il a fallu des annĂ©es pour y parvenir alors que les nouvelles techniques de pĂȘche ravageaient les fonds sous-marins. A ce propos, Cyril Dion nous dĂ©crit les coulisses des pouvoirs politiques. Il nous rapporte par exemple l’expĂ©rience innovante qui a Ă©tĂ© celle de la Convention citoyenne pour le climat (p 120-123). Et comme il y a activement participĂ©, il nous en montre Ă©galement les limites, tous les obstacles auxquels les propositions de la Convention se sont heurtĂ©es. « Les groupes d’intĂ©rĂȘt privĂ©s ont une influence disproportionnĂ©e sur les dĂ©cisions publiques ». Alors, une pression de l’opinion est particuliĂšrement nĂ©cessaire. Mais pour l’emporter, « peut-ĂȘtre avons nous besoin d’un autre rĂ©cit de ce que l’avenir pourrait ĂȘtre ».

 

Le récit de la croissance et les nouveaux indicateurs.
Rencontre avec Eloi Laurent
(p 127-145)

L’ancien rĂ©cit « fondĂ© sur la croissance Ă©conomique et une certaine conception du progrĂšs est en train de nous entrainer vers l’abime ». C’est ce que nous a longuement expliquĂ© Eloi Laurent, Ă©conomiste Ă  l’OCDE et enseignant Ă  Sciences Po Paris et Ă  l’universitĂ© de Stanford en Californie. ConsidĂ©rant la relation entre Ă©conomie et Ă©cologie, Eloi Laurent a mis l’accent sur l’interaction entre la crise des inĂ©galitĂ©s et la question Ă©cologique en les considĂ©rant comme liĂ©es et jumelles » (p 127). Quel type de dynamique sociale conduit aux crises Ă©cologiques ? Quelle est la source du problĂšme ? « Il est dĂ©sormais absolument clair que la poursuite de la croissance Ă©conomique telle qu’elle est conçue aujourd’hui, engendre la destruction des Ă©cosystĂšmes » (p 129). « Avec ‘Les limites de la croissance’, Ă©crit au dĂ©but des annĂ©es 1970, l’équipe autour de Dennis et Donella Meadows avait une incroyable intuition de ce qui allait se passer » (p 130). Selon Eloi Laurent, les concepts de croissance et de dĂ©croissance ne sont plus pertinents. « Il faut se concentrer sur le bien-ĂȘtre humain. Ce qui compte pour les gens, c’est la santĂ© et les liens sociaux ». Eloi Laurent propose la santĂ© comme l’indicateur fondamental qui doit et qui va remplacer la croissance au XXIe siĂšcle (p 153). « Malheureusement, que ce soit le lien social ou la santĂ©, ces deux indicateurs sont mis Ă  mal par l’organisation actuelle du monde ». Eloi Laurent rĂ©pond Ă©galement Ă  des questions sur le capitalisme. Ce qui importe, Ă  son avis, c’est que la puissance publique ne soit pas au service du marché » (p 137). Par ailleurs, des pays comme la Chine et l’URSS ont de trĂšs mauvais bilans Ă©cologiques indĂ©pendamment du capitalisme. Au contraire, Eloi Laurent cite « des petits pays gouvernĂ©s par des femmes, qui ont dĂ©cidĂ© de sortir de la croissance : la Nouvelle-ZĂ©lande, la Finlande, l’Islande et l’Ecosse
 On peut tout Ă  fait dĂ©cider que la richesse, c’est la santĂ©, l’éducation, la biosphĂšre
 C’est en partie ce qu’ont fait les pays nordiques » (p 138).

 

La nature n’existe pas
Rencontre avec Philippe Descola
(p 147-173)

Cyril Dion dĂ©crit ensuite son champ de recherche. « Pour Ă©laborer les directions des projets Ă©conomiques et politiques, il nous faut adhĂ©rer Ă  une lecture (forcĂ©ment subjective), commune du  monde
 (p 143) Ce dont nous avons besoin n’est pas de prouver fiĂšrement que nous sommes capables d’accomplir des exploits, mais de dĂ©tourner le fleuve pour que tout le monde aille dans la mĂȘme direction. Mais, pour cela, nous avons besoin d’un autre rĂ©cit collectif que celui de la croissance. Qui donne suffisamment de sens et de perspective Ă  l’humanitĂ© pour orienter diffĂ©remment son destin » (p 145). A partir de cet instant, nous avons rĂ©orientĂ© notre quĂȘte. « PlutĂŽt que de continuer Ă  chercher des rĂ©ponses techniques aux cinq causes de l’extinction dans une logique quelque peu mĂ©canique, nous nous sommes intĂ©ressĂ©s Ă  ce qui pourrait devenir les fondements d’un autre rĂ©cit. Pour cela, nous sommes allĂ©s rencontrer Philippe Descola, sans doute l’un des anthropologues vivants les plus respectĂ©s, disciple de Claude LĂ©vy-Strauss et auteur du livre : « Par delĂ . Nature et culture » (p 146).

Philippe Descola critique le concept de nature. « La nature, c’est essentiellement, ce qui est en dehors de nous les humains ». Elle est ce qui nous permet de regarder de haut tout ce qui est non humain  » (p 151). « La nature est devenue un Ă©lĂ©ment central du monde des EuropĂ©ens ». Ce terme n’existe pas dans d’autres langues. En Europe, nous avons voulu Ă©tablir « une frontiĂšre entre les animaux humains et non humains fondĂ©e sur discontinuitĂ© morale et subjective » (p 152). Mais, affirme Philippe Descola, « les « signes symboliques du langage » ne sont pas les seuls moyens de communication. En AmĂ©rique, les gens pensent que les animaux non humains peuvent former des projets et rĂ©flĂ©chir sur eux-mĂȘmes, qu’ils ont une sorte de subjectivitĂ© que l’on pourrait appeler intĂ©riorité ». Et, pour communiquer avec les animaux, ils intĂšgrent les signes que ceux-ci utilisent » (p 153). « Nous sommes connectĂ©s Ă  tous les Ă©lĂ©ments du monde de façon inextricable » (p 154).

 

Nous faisons partie du monde vivant
Rencontre avec Dr Jane Goodhall (3), fondatrice de l’Institut Jane Goodhall et messagùre de la paix auprùs des Nations unies.
(p 174-192)

« A une Ă©poque oĂč les femmes Ă©taient dĂ©couragĂ©es de poursuivre des Ă©tudes scientifiques
 Jane a eu l’audace d’engager des recherches non conventionnelles – d’abord sans diplĂŽme, puis en passant Ă  l’UniversitĂ© de Cambridge – en menant la toute premiĂšre Ă©tude sur les chimpanzĂ©s dans leur environnement naturel. GrĂące Ă  sa tĂ©nacitĂ©, elle a non seulement vĂ©cu une vie extraordinaire, mais elle a surtout changĂ© notre façon de penser la relation entre les humains et les animaux » (p 171). Parce qu’elle Ă©tait en phase avec la forĂȘt, les arbres, les animaux, Jane a pu entrer en contact avec les chimpanzĂ©s et mettre en Ă©vidence leurs capacitĂ©s, entre autres, l’utilisation d’outils, abolissant la frontiĂšre qui avait Ă©tĂ© Ă©tablie entre cette espĂšce et les humains. Aujourd’hui, Jane nous appelle Ă  une prise de conscience : « Tout au long de notre Ă©volution, nous faisions simplement partie du monde animal. Mais maintenant que nous avons dĂ©veloppĂ© un intellect, et que nous savons que nous dĂ©truisons la planĂšte, notre rĂŽle devrait ĂȘtre celui de rĂ©parer les dommages ». Le message de la GenĂšse devrait ĂȘtre compris comme attribuant Ă  l’homme un rĂŽle d’intendant. « Un bon intendant prend soin de la terre. L’heure est maintenant venue d’utiliser notre fameux intellect pour changer les choses  » (p 188).

 

La bibliothĂšque du vivant
Rencontre avec Dino Martins
(p 196-221)

Le voyage de Cyril Dion s’est poursuivi dans l’exploration du vivant et la comprĂ©hension des Ă©cosystĂšmes. Cyril Dion et son Ă©quipe ont rendu visite Ă  Dino Martins, biologiste et crĂ©ateur du Mpala Research Center au beau milieu du Kenya. Dino Martins est aussi un entomologiste passionnĂ© par la biodiversitĂ© et « plus particuliĂšrement par les plus petites crĂ©atures que sont les abeilles, les termites et les insectes en gĂ©nĂ©ral dont il est un spĂ©cialiste mondial » (p 189). Dino les a accompagnĂ© dans son parc du Kenya Ă  la dĂ©couverte des Ă©lĂ©phants, des girafes et des zĂšbres en libertĂ© dans leur environnement naturel. Ce fut un Ă©merveillement. En cette circonstance, Dino Martins a mis en Ă©vidence l’importance de la biodiversitĂ©. «  Si nous perdions trop d’espĂšces, la vie humaine deviendrait misĂ©rable et nous serions nous-mĂȘmes confrontĂ©s Ă  un risque d’extinction. Chaque espĂšce fait partie de cette toile de la vie oĂč tout est interconnectĂ©. La bibliothĂšque du vivant est ce qui nous maintient en bonne santĂ©, nous nourrit, nous rend heureux » (p 198). Dino dĂ©crit la vie des Ă©cosystĂšmes. Comment les animaux communiquent entre eux ? Comment les diffĂ©rentes espĂšces participent Ă  l’équilibre des Ă©cosystĂšmes ?
Grand observateur des fourmis, Dino nous montre leur activitĂ© incessante. Elles contribuent notamment Ă  la dispersion des graines. « Sans elles, il n’y aurait pas de prairies. Er, sans prairies, pas d’animaux. Ces fourmis font partie de ces Ă©cosystĂšmes depuis des centaines de milliers d’annĂ©es et elles en sont une des espĂšces clé » (p 214).
Dino manifeste son enthousiasme pour tout ce qui est vivant. La faune sauvage « nous rappelle la beautĂ©, la vĂ©ritĂ©, l’amour. Voir des animaux se dĂ©placer dans ce monde est l’une des choses les plus magiques qui soient et je ne me lasserai jamais de les observer » (p 209).

 

La cascade trophique et les superprédateurs
Rencontre avec Liz Hadley
(p 225-249)

L’exploration se poursuit dans une rencontre avec Liz Hadley, responsable de la rĂ©serve naturelle de Jasper Ridge en plein milieu de la Silicon Valley en Californie. Dans cette petite rĂ©serve, la diversitĂ© se manifeste Ă  nouveau dans la variĂ©tĂ© des espĂšces qui s’équilibrent les unes les autres. Et, Ă  cet Ă©gard, on nous montre le rĂŽle que jouent les superprĂ©dateurs, comme par exemple les pumas « en rĂ©gulant les populations de cervidĂ©s, permettent de contrer la maladie de Lyme issue des acariens qui s’attachent aux cerfs » (p 227).

 

Cohabiter avec les loups
Rencontre avec Baptiste Morizot et Jean-Marc Landry
(p 251-300)

Dans ce monde du vivant, comment les humains vont-ils se comporter, en terme de guerre ou de respect envers les espĂšces animales ? Aujourd’hui, en France, les loups reviennent et paraissent menaçants. Effectivement, les Ă©leveurs sont inquiets lorsqu’ils voient les troupeaux attaquĂ©s. Cyril Dion est allĂ© Ă  la rencontre d’un Ă©leveur et il a interrogĂ© le philosophe Baptiste Morizot. Ce dernier s’est interrogĂ© sur notre possible cohabitation avec les loups en expĂ©rimentant sur le terrain, pistant les loups et autres prĂ©dateurs, mais aussi en allant Ă  la rencontre  des Ă©leveurs » (p 249).
Ainsi Baptiste s’implique dans l’approche suivante. « C’est une situation dans laquelle les diffĂ©rents camps sont venus Ă  cohabiter dans les mĂȘmes territoires tout en ayant des intĂ©rĂȘts contradictoires. Ils doivent apprendre des langages communs et trouver des moyens de se faire passer des messages, de traduire leurs comportements mutuels pour entretenir des relations moins toxiques » (p 270).
Baptiste Morizot a Ă©crit un livre : « les diplomates ». Aujourd’hui, le monde vivant nous rappelle qu’il est bien vivant, qu’il n’a jamais Ă©tĂ© un dĂ©cor et qu’il faut agir avec lui avec le mĂȘme degrĂ© d’attention et de sĂ©rieux que nous le faisons avec les altĂ©ritĂ©s humaines
 Le grand enjeu aujourd’hui, c’est de leur rendre justice. Et donc de commencer Ă  apprendre leur langage, Ă  comprendre comment ils vivent pour inventer des modus vivendi. En ce sens, il s’agit de diplomatie » (p 295).

 

Coopérer avec le vivant
L’exemple du Bec Hellouin (4)
Rencontre avec Perrine et Charles Hervé-Gruyer
(p 201-215)

« Cohabiter avec le vivant, c’est non seulement le comprendre et le protĂ©ger, mais c’est aussi le moyen de collaborer avec lui ». Existe-t-il une façon d’habiter cette planĂšte avec une logique de gagnant-gagnant avec le vivant ? Il y a bien une nouvelle logique qui Ă©merge, notamment autour des dynamiques permaculturelles » (p 299).

« A la ferme du Bec Hellouin, on peut dĂ©couvrir une des applications, de la permaculture Ă  l’agriculture, les plus abouties du monde
 La visite mĂȘme du lieu est transformatrice
 L’harmonie des formes, des couleurs, la diversitĂ© des cultures dans un espace si rĂ©duit, le soin apportĂ© Ă  la construction de chaque butte, de chaque mare, de chaque bĂątiment a quelque chose de bouleversant
 De cette organisation profondĂ©ment intelligente peut jaillir la beautĂ© conjuguĂ©e Ă  l’efficacitĂ© crĂ©Ă©e par une forme de symbiose entre les diffĂ©rents systĂšmes qui coexistent » (p 300).

Charles nous raconte l’histoire de la ferme. « La crĂ©ation de la ferme a Ă©tĂ© une vĂ©ritable aventure. Au dĂ©part, notre rĂȘve Ă©tait de vivre en harmonie avec la nature
 Dans cette quĂȘte de beautĂ©, nous avons composĂ© l’ensemble un peu comme un tableau avec beaucoup de petits espaces
 Sans le savoir, nous avons reconstituĂ© un paysage complexe qui favorise les connexions. Puis quelque chose de magnifique s’est produit. On cherchait la beautĂ© et la nature nous a offert un cadeau formidable : la productivité » (p 303). « Cette ferme fait 20 hectares », nous  dit Perrine, « mais nous nous contentons d’en cultiver 5, car nous faisons tout Ă  la main ou avec un cheval de trait
 Une culture sans engrais, sans pesticide, sans produit chimique ou de synthĂšse » (p 302). Charles nous dĂ©crit une trajectoire de dĂ©couverte : « Au fil des ans, nous avons dĂ©couvert qu’en faisant tout Ă  la main, nous pouvions faire pousser plus de lĂ©gumes en moins d’espace. Ce faisant, on libĂšre les 9/10 du territoire pour installer des milliers d’arbres, des haies, des mares, des plantes aromatiques et mĂ©dicinales. Autant de milieux diffĂ©rents, de niches Ă©cologiques qui permettent d’accueillir la faune et la flore sauvage. Nous avons progressivement observĂ© la rĂ©apparition des insectes, des papillons, des vers de terre et des abeilles, mais aussi d’oiseaux en voie de disparition et de plantes indigĂšnes  » (p 302). C’est vraiment une coopĂ©ration avec la nature. « Au dĂ©part, on voulait produire notre nourriture en faisant le moins de mal possible Ă  la planĂšte. Mais un jour, on s’est dit que cette histoire ne tenait pas debout, que ce que nous voulions en rĂ©alitĂ©, c’est produire en faisant du bien Ă  la planĂšte. Depuis, nous faisons tous le jours le constat qu’on peut rĂ©soudre cette Ă©quation difficile qui consiste Ă  cultiver une nourriture de qualitĂ© en rĂ©parant les blessures qu’on a infligĂ© aux Ă©cosystĂšmes » (p 304).

 

Coopérer avec le vivant

Cyril Dion poursuit cette conversation sur la maniĂšre de coopĂ©rer avec le vivant en interrogeant François LĂ©ger, enseignant chercheur en agro-Ă©cologie, longtemps conseiller scientifique de la ferme du Bec Hellouin. A la demande des deux adolescents accompagnant Cyril Dion, la conversation a portĂ© notamment sur la place des animaux dans le systĂšme agricole. Ce fut ensuite une rencontre avec Nicolas Vereecken, professeur d’agro-Ă©cologie et spĂ©cialiste des insectes. Notre intĂ©rĂȘt pour les ruches et les abeilles domestiques ne doit pas nous faire oublier la vie et le rĂŽle des abeilles sauvages qui jouent un rĂŽle important dans la pollinisation. LĂ  encore, il faut envisager la biodiversitĂ©. « Si vous n’aviez pas d’oiseaux, de frelons, d’araignĂ©es, la vie serait beaucoup plus difficile pour nous tous, surtout en Ă©tĂ© parce que vous auriez des surpopulations d’insectes que tous ces organismes aident Ă  contrĂŽler
 La clĂ© de l’écologie, c’est l’interdĂ©pendance et l’équilibre » (p 333).

 

Partout des initiatives

Les entretiens se poursuivent avec des personnalités exceptionnelles en des lieux qui parsÚment la planÚte.
C’est la rencontre avec Lotus Vermeer qui est parvenue Ă  rĂ©tablir la biodiversitĂ© et Ă  ramener des espĂšces dans les Channel Islands sur la cĂŽte de Californie. C’est une rencontre avec ValĂ©rie Cabanes, juriste international qui travaille au contact des peuples indigĂšnes et lutte pour les droits humains et pour le droit de la nature. C’est une rencontre avec le prĂ©sident du Costa Rica qui, par une politique volontariste, est parvenu Ă  rĂ©tablir la couverture forestiĂšre dans son pays, de 20% dans les annĂ©es 1980, Ă  70% aujourd’hui. C’est une rencontre avec Paulino et Paolo Rivera, membres d’une tribu autochtone au Costa Rica, ayant dĂ» abandonner leur lieu d’origine et ayant rĂ©ussi Ă  planter une forĂȘt dans leur nouvel habitat.

 

En mobilisation

En fin de parcours, Cyril Dion nous rappelle l’inimaginable dĂ©fi Ă©cologique auquel nous sommes confrontĂ©s.
« Le pĂ©ril est lĂ  et demande, toutes affaires cessantes, Ă  nous mobiliser comme en temps de guerre »  « Le changement auquel nous devons parvenir, est culturel et structurel « (p 415).

Ce livre nous aide puissamment Ă  penser le monde diffĂ©remment et nous Ă©claire sur les pistes d’action. Tout informĂ© que nous ayons pu ĂȘtre sur les questions Ă©cologiques, nous sortons diffĂ©rents de cette lecture. A travers les entretiens, nous avons dĂ©couvert une multitude de situations et des rĂ©ponses aux questionnements ainsi Ă©veillĂ©s. Avec Cyril Dion et les deux adolescents qui l’ont accompagnĂ©, Bella et Vipulan, nous avons participĂ© Ă  une vĂ©ritable exploration, Ă  une grande Ă©popĂ©e. A travers des flashs significatifs, nous avons rapportĂ© cette lecture enthousiasmante qui vient accompagner un film impressionnant et mobilisateur (5). De quoi envisager ensemble un nouveau rĂ©cit et un projet commun.

J H

  1. Le film « Demain » : https://vivreetesperer.com/le-film-demain/
  2. Cyril Dion Avec la collaboration de Nelly Pons. Animal. Chaque génération a son combat. Voici le nÎtre. Actes sud. Colibris (Domaines du possible).
  3. A paraitre sur ce blog : Jane Goodhall : Une recherche pionniÚre sur les chimpanzés, une ouverture spirituelle, un engagement écologique.
  4. Cultiver la terre en harmonie avec la nature (la ferme du Bec Hellouin) : https://vivreetesperer.com/cultiver-la-terre-en-harmonie-avec-la-nature/
  5. Le film : Animal : https://www.youtube.com/watch?v=b0HouR6CYK4

 

 

La société jardiniÚre

La société jardiniÚre

La société jardiniÚre

La sociĂ©tĂ© jardiniĂšre : c’est le titre du livre de Damien Deville, un gĂ©ographe et anthropologue, qui y rapporte sa dĂ©couverte des jardins potagers implantĂ©s dans la ville d’Ales, un exemple des jardins urbains qui, en France et dans le monde, rĂ©pondent Ă  un besoin de subsistance dans diffĂ©rents contextes. On peut situer cette activitĂ© jardiniĂšre dans une histoire qui dĂ©bute Ă  la fin du XIXe siĂšcle dans l’Ɠuvre de l’abbĂ© Lemire pour le dĂ©veloppement des jardins familiaux. Plus gĂ©nĂ©ralement, cette activitĂ© jardiniĂšre en milieu urbain a connu dans les derniĂšres dĂ©cennies une remarquable impulsion dans le mouvement qui s’est rĂ©pandu en France sous le vocable : ‘Les Incroyables comestibles’ (1) Et aujourd’hui, Ă  travers diverses initiatives, certaines villes sont Ă  la recherche de la rĂ©alisation d’une autonomie alimentaire (2).

Certes, Ă©voquer une sociĂ©tĂ© jardiniĂšre Ă©veille en nous le rĂȘve d’une sociĂ©tĂ© pacifiĂ©e, mais ce n’est pas une pure utopie puisqu’il y aujourd’hui des expĂ©riences concrĂštes d’activitĂ©s jardiniĂšres en milieu urbain. Dans son livre : ‘La sociĂ©tĂ© jardiniĂšre’ (3), Damien Deville nous dĂ©crit l’une d’entre elle, dans une ville profondĂ©ment perturbĂ©e par la dĂ©sindustrialisation, Ales Ă  la porte de CĂ©vennes. « LĂ , pour les anciennes populations ouvriĂšres, se vit une façon de retour Ă  la terre. LĂ , chacun plante, bĂȘche ; tout le monde Ă©change outils, semences, et savoir-faire. Si bien qu’à la motivation Ă©conomique, forcĂ©ment premiĂšre, viennent se mĂȘler des prĂ©occupations d’ordre social, Ă©cologique, ou paysager. Cernant les contours d’une Ă©cologie de la prĂ©caritĂ©, l’auteur souligne comment de simples lopins de terre deviennent d’authentiques lieux d’émancipation. Partant, il Ă©bauche le modĂšle de ce que pourrait ĂȘtre la sociĂ©tĂ© si elle Ă©tait jardiniĂšre » (page de couverture).

 

Parcours d’une innovation sociale

L’apparition de jardins familiaux en milieu urbain remonte à la fin du XIXe siùcle.

« C’est Ă  Hazebrook, capitale de Flandre intĂ©rieure, que nait au milieu du XIXe siĂšcle celui qui restera dans les mĂ©moires comme le pĂšre fondateur des jardins familiaux : l’abbĂ© Lemire ». L’auteur esquisse sa biographie. Jeune prĂȘtre Ă  Hazebrook, « touchĂ© par la misĂšre de la commune, par les besoins des uns et les rĂȘves des autres, l’abbĂ© Lemire s’attacha rapidement aux besoins des habitants » En retour, il reçut un soutien populaire. Élu dĂ©putĂ© en 1893, il mena une carriĂšre politique indĂ©pendante par rapport Ă  l’Église. Élu maire d’Hazebrook en 1914, il fit face aux pĂ©rils de la guerre et mena une politique sociale trĂšs active si bien qu’il devint ‘un hĂ©ros local’. « AttachĂ© Ă  la dignitĂ© des ouvriers, et persuadĂ© que le lien Ă  la terre est un besoin fondamental des humains, l’abbĂ© cultiva une politique dont lui seul se faisait le gardien. Et c’est dans cette perspective que l’abbĂ© fonda en 1896, le mouvement : La Ligue française du coin de terre et du foyer. Ce mouvement existe toujours. Il a survĂ©cu Ă  l’abbĂ© et continue de tracer une partie des territoires français. Il se nomme dĂ©sormais FĂ©dĂ©ration nationale des jardins familiaux et collectifs » (p 29). L’auteur rapporte comment son influence s’est rĂ©pandue au dĂ©but du XXe siĂšcle, atteignant la ville d’Ales. LĂ , se conjuguant Ă  l’époque avec la sociĂ©tĂ© Sant-Vincent-de- Paul, la Ligue suscite, en 1916, de premiers jardins. « A destination d’abord des femmes et des excusĂ©s du front, les jardins devinrent rapidement un soutien, une Ă©paule, un guide. Greniers Ă  fruits et lĂ©gumes, ils participĂšrent Ă  la rĂ©silience alimentaire des familles s’implantant dans plusieurs quartiers ». Puis, « les ouvriers de la mine en devinrent les premiers bĂ©nĂ©ficiaires. Jusque dans les annĂ©es 1950, la surface jardinĂ©e Ă  Ales s’étendit, annĂ©e aprĂšs annĂ©e, pour atteindre un point d’orbite avec plus de 400 jardins cultivĂ©s sur la commune » (p 34).

Cependant, la situation des jardins familiaux Ă  AlĂšs participe Ă  une conjoncture nationale. « Les temps changĂšrent. Les Trente Glorieuses et le faste des projets urbains dont elles se firent l’étendard sonnĂšrent le glas de l’aventure jardiniĂšre. Les champs, les pĂątures et les vergers furent recouverts de chapes de bĂ©ton
 Les jardins familiaux ont rapidement perdu force et espace dans un flot rĂ©pĂ©tĂ© d’urbanisation qui dura jusque dans les annĂ©es 2000 » (p 35). Cependant, Ă  la fin du XXe siĂšcle, toute la France a Ă©tĂ© impactĂ©e par la dĂ©sindustrialisation et le choc a Ă©tĂ© particuliĂšrement violent Ă  Ales. « En 1986, aprĂšs plusieurs annĂ©es de licenciements massifs, le dernier puits de mine d’AlĂšs cessa dĂ©finitivement ses activitĂ©s. La mĂ©tallurgie, autre fleuron, connut le mĂȘme dĂ©clin  » (p 37)

Comme pour d’autres villes françaises, Ales doit chercher une autre voie. « Ales dut se rĂ©inventer et, au tournant des annĂ©es 1990, la ville dĂ©cide de s’orienter vers de nouvelles filiĂšres, vers une Ă©conomie de services diversifiĂ©s. ParallĂšlement, Ales cherche Ă  s’enraciner de nouveau dans le paysage cĂ©venol » (p 38). Elle cherche Ă  ancrer de nouveau la ville dans le paysage. « Ces politiques d’embellissement ne sont pas sans effet sur l’histoire des jardins
 Elles ont permis Ă  de nouveaux potagers d’émerger dans des quartiers populaires : des fleurs et des choux ont poussĂ© lĂ  oĂč il n’y avait que du bĂ©ton  » (p 39). L’auteur dĂ©crit les diffĂ©rentes logiques Ă  l’Ɠuvre dans la politique locale. La vie des jardins s’inscrit dans une histoire locale.

 

Jardins et jardiniers Ă  Ales

Damien Deville a observĂ© ces jardins et la maniĂšre dont ils tĂ©moignent d’une grande crĂ©ativitĂ©. Il a parlĂ© avec ces hommes et entendu leurs parcours dans la diversitĂ© des histoires de vie. Il met en lumiĂšre les nouvelles relations qui s’établissent ainsi.

Le jardinage Ă  Ales se dĂ©roule en plusieurs lieux. « les jardins du Chemin des Sports » sont issus d’une autre histoire que les jardins de la fĂ©dĂ©ration des jardins familiaux, portant une image de marque. BricolĂ©s sur des terrains oubliĂ©s, Ă©pousant la forme de rĂ©seaux souterrains, s’échangeant de maniĂšre informelle d’un jardinier Ă  l’autre par un bouche-Ă -oreille judicieusemant maintenu dans des cercles restreints, arpentĂ©s par des personnes venant, pour l’essentiel, des quartiers populaires de la ville, ils correspondent Ă  ce qu’Ananya Roy dĂ©signe par « urbanisme subalterne ». Ce sont des espaces urbains oubliĂ©s des grandes annales de la gĂ©ographie et des politiques de la commune oĂč s’invente la vie quotidienne des dĂ©possĂ©dĂ©s  » (p 49). A la diffĂ©rence d’autres jardins potagers, bien reconnus, « se donnant Ă  voir et s’offrant Ă  la reconnaissance des habitants, les jardins du chemin des Sports, relĂšvent plutĂŽt de bastions enfouis dans la verdure
 Ils s’effacent derriĂšre une image austĂšre et prĂ©caire » (p 50). Lorsqu’on entre dans ces jardins, on y dĂ©couvre un paysage colorĂ© et une vĂ©gĂ©tation luxuriante abondamment dĂ©crite par l’auteur « Tomates bronzĂ©es au soleil, plants de haricots parcourant des fils nouĂ©s Ă  des tuteurs, des framboisiers le long des murs dansent de leurs ombres, tandis que des plantes aromatiques, tantĂŽt cultivĂ©es en pot, tantĂŽt laissĂ©es en pleine terre parsĂšment le jardin  » (52). « Ce qui saute aux yeux, c’est une quĂȘte centrale de productivitĂ©. L’espace consacrĂ© aux fruits et aux lĂ©gumes est agencĂ© de maniĂšre Ă  produire le plus possible. Lorsque la parcelle se fait Ă©troite, les jardiniers rivalisent d’ingĂ©niositĂ© pour gagner quelques centimĂštres et conquĂ©rir les hauteurs » (p 53). L’auteur dĂ©crit des dispositifs ingĂ©nieux comme « une immense pyramide entrelacĂ©e de fils et de barres de fer
 au service des plantes : fĂšves, haricots, courges grimpantes  » (p 54). Ici, le peuple des jardiniers a une origine caractĂ©risĂ©e. « La plupart sont retournĂ©s Ă  la terre pour se doter d’une certaine autonomie alimentaire. Les jardiniers du chemin des Sports sont des marquĂ©s. Ce sont d’anciens serruriers et ouvriers des aciĂ©ries, des employĂ©s du public ou des retraitĂ©s Ă  petits revenus. Leurs trajectoires familiales ont Ă©tĂ© percutĂ©es par la fermeture des industries alĂ©siennes, par la sĂ©rie d’emplois prĂ©caires qui s’en est suivie, puis, plus rĂ©cemment par la fuite des offres d’emploi et de services vers les grandes mĂ©tropoles » (p 55). Ainsi s’est dĂ©veloppĂ© un genre de vie Ă  vocation utilitaire. « La dĂ©brouille est devenu un art de vivre
 Toutes les personnes rencontrĂ©es au fil de notre enquĂȘte l’ont partagĂ© sans s’en cacher : devenir jardinier fut une adaptation nĂ©cessaire Ă  diffĂ©rentes formes de prĂ©carité  L’agencement spatial du chemin des Sports autant que le choix des matĂ©riaux s’entendent ainsi, en premier lieu, au regard de conditions matĂ©rielles d’existence » (p 57). Cependant, tout ne rĂ©sume pas Ă  une recherche de subsistance. Les jardins tĂ©moignent aussi d’une inventivitĂ© artistique. « Les planches de culture sont parĂ©es d’objets de toutes sortes : des pots richement dĂ©corĂ©s, des Ă©pouvantails faits main, des souvenirs s’intĂšgrent aux cultures potagĂšres
 Les jardins rĂ©pondent autant aux besoins quotidiens de qui les arpente et les façonne qu’à ses aspirations, son savoir-faire, sa crĂ©ativitĂ©. Car, dans sa maniĂšre d’agencer l’espace, le jardinier cherche Ă  le rendre agrĂ©able Ă  regarder et Ă  vivre
 C’est que les ‘espaces subalternes’ ne sont pas seulement des zones de dĂ©brouillardise et d‘adaptation, ils sont encore des agencements populaires traversĂ©s par tout ce qui fait la crĂ©ativitĂ©, les joies et les envies des Ăąmes humaines » (p 60).

Ces jardins engendrent une vie sociale et ils en sont l’expression. Ainsi Damien Deville nous prĂ©sente des portraits de jardiniers. Il fait aussi Ă©cho Ă  une mĂ©moire collective : « Le jardin de Max, au cƓur de l’association des jardins familiaux, dans le quartier de la Prairie, est un bel exemple de cette mĂ©moire collective. Du haut de ses 70 ans, Max est un ancien de la FĂ©dĂ©ration des jardins familiaux d’Ales. Ici tout le monde le connait. Son papa Ă©tait un jardinier trĂšs actif dans la communautĂ©. Max Ă©prouve pour lui une grande admiration : « son travail, son parcours de vie, le pilier qu’il Ă©tait dans les jardins familiaux d’Ales » le ramĂšne Ă  sa propre enfance autant qu’aux heures de gloire qu’a connues la ville ». L’auteur rappelle ces souvenirs. « Ils se lisent Ă  mĂȘme le jardin de Max, dĂ©montrant combien les jardins sont des outils de rĂ©appropriation de rĂ©cits urbains
 Son jardin est Ă©galement un mĂ©morial Ă  la figure de son pĂšre, Henri
 FĂ©ru de bons conseils, son pĂšre Ă©tait le premier Ă  organiser des barbecues collectifs, Ă  donner des coups de main aux voisins, Ă  diffuser de bonnes pratiques et Ă  Ă©changer quelques lĂ©gumes. Tant et si bien que le nom du papa revient souvent, indĂ©lĂ©bile dans les mĂ©moires collectives » (p 76-77).

Damien Deville dĂ©crit la gĂ©ographie sociale de la rĂ©gion : « Les zones de relĂ©gation sont en centre-ville, tandis que les espaces de gentrification se situent dans les quartiers pĂ©riphĂ©riques, caractĂ©risĂ©s par des villas cosy ou dans les villages au charme d’antan. Face Ă  cette campagne qui se ferme aux personnes les plus pauvres, les jardins sont ces lieux oĂč se forge une nouvelle rĂ©ciprocitĂ©. Et lĂ  encore, c’est un jardinier, d’origine maghrĂ©bine, qui m’a mis la puce Ă  l’oreille ». L’auteur nous dĂ©crit le parcours de Moustapha. « Moustapha est arrivĂ© sur le tard dans les jardins familiaux privĂ©s du quartier de la Prairie, sur le chemin des sports. Il a repris la parcelle d’un voisin devenu trop ĂągĂ© pour s’en occuper. Les CĂ©vennes, l’homme ne les a jamais connues auparavant. Il a menĂ© l’intĂ©gralitĂ© de s vie professionnelle en AlgĂ©rie avant de rejoindre ses enfants Ă  Ales pour sa retraite. RestĂ© pendant longtemps sans allocation, Moustapha a dĂ» se dĂ©brouiller pour arrondir ses fins de mois que sa petite retraite affiliĂ©e au rĂ©gime algĂ©rien ne lui permettait pas de combler. Le jardin est arrivĂ© dans sa vie Ă  point nommé » (p 85). C’est, avec lui, que l’auteur dĂ©couvre une ouverture de ce milieu urbain vers les campagnes voisines. « C’est en Ă©changeant avec les autres jardiniers que Moustapha s’est rendu compte que les montagnes qui l’entouraient regorgeaient de trĂ©sors : d’aiguilles de pin pour amender ses cultures, de champignons Ă  vendre auprĂšs de sa communautĂ©, d’éleveurs oĂč aller chercher le mouton pour l’AĂŻd Ă  des prix rĂ©duits. Moustapha s’est mis, par lui-mĂȘme, Ă  dĂ©couvrir les coins cachĂ©s des campagnes avoisinantes » (p 86). Cependant, la relation de Moustapha avec les CĂ©vennes s’étend au-delĂ  puisqu’en fin de semaine, il frĂ©quente en famille « des lieux de baignade oĂč ses petits-enfants jouent maintenant l’été ». « Son jardin a Ă©tĂ© une fenĂȘtre sur le monde, un livre pour rĂ©apprendre le milieu dans lequel il Ă©volue au quotidien, et en faire naitre des usages Ă  des fins d’émancipation personnelle ou familiale » (p 86). Mais l’auteur perçoit ce mĂȘme attrait pour les CĂ©vennes chez d’autres jardiniers. « Le jardinier algĂ©rien n’est d’ailleurs pas un cas isolĂ©. Tous, d’une maniĂšre ou d’une autre, pratiquent la campagne avoisinante. Pour certains, cela est liĂ© Ă  un hĂ©ritage familial. Pour d’autres jardiniers rĂ©cemment arrivĂ©s, c’est toujours le jardin qui nourrit les perspectives des montagnes et des villages alentour. Les usages qu’en font les jardiniers sont pluriels en fonction des envies et de la personnalitĂ© de chacun, mais ils participent dans tous les cas Ă  une rĂ©appropriation spatiale et collective d’un territoire qui devient, enfin, de nouveau partagé » (p 86). Ainsi les jardiniers interviennent dans la vie collective. « Les CĂ©vennes s’ouvrent Ă  nouveau aux classes populaires. De cette rĂ©conciliation, dont la ville d’Ales a tellement besoin, les jardins en sont le premiers Ă©tendards
 C’est une invitation Ă  penser le territoire autrement » (p 87).

 

La société jardiniÚre

La sociĂ©tĂ© jardiniĂšre : quelle expression Ă©vocatrice ! Il y a tant de formes de sociĂ©tĂ© que l’on dĂ©plore et que l’on redoute ! Une sociĂ©tĂ© jardiniĂšre, cela Ă©voque pour le moins un respect et un amour de la nature et un Ă©tat d’esprit constructif par le genre mĂȘme de la tĂąche entreprise. Une sociĂ©tĂ© jardiniĂšre, c’est aussi une sociĂ©tĂ© nourriciĂšre et on peut imaginer qu’elle requiert et engendre la coopĂ©ration.

GĂ©ographe, Damien Deville pense Ă©galement en sociologue et en historien. Ainsi, si sa recherche a pour objet la ville d’Ales, il inscrit les jardins potagers en milieu urbain dans une histoire qui remonte Ă  la fin du XIXe siĂšcle. Mais, concentrĂ© sur son objet, il n’aborde pas la vague toute rĂ©cente, celle des « incroyables comestibles » Ă  travers laquelle la culture de fruits et de lĂ©gumes s’est rĂ©pandue Ă  l’intĂ©rieur mĂȘme d’un grand nombre d’agglomĂ©rations (1). Et aujourd’hui, des villes et des territoires s’engagent dans la recherche d’une autonomie alimentaire. Ainsi François Rouillay et Sabine Becker prĂ©conisent le dĂ©veloppement de « paysages nourriciers », y incluant la « vĂ©gĂ©talisation des villes » (3) ;

A partir de l’étude des jardins potagers dans la ville d’Ales, Damien Deville nous montre, lui aussi, comment on peut « penser autrement la ville et l’urbain ». C’est bien de ‘vivre autrement’ (p 117-118) qu’il s’agit.

DĂ©jĂ , dans un monde qui nous bouscule, la vie jardiniĂšre permet un enracinement. Ainsi, « les jardins alĂ©siens sont cultivĂ©s par des personnes peu diplĂŽmĂ©es, laissĂ©es Ă  l’arriĂšre-plan des grands rĂ©cits de l’histoire. La plupart ont quittĂ© l’école tĂŽt pour tenter leurs chances dans les grandes industries du territoire. Certaines ont Ă©tĂ© percutĂ©es par des Ă©vĂšnements traumatisants. D’autres encore, arrivĂ©es sur le tard Ă  Ales, parlent mal le français et s’intĂšgrent avec peine. Pourtant, ce sont ces mĂȘmes personnes qui ont su, face aux crises urbaines, s’adapter et construire des interfaces inĂ©dits ave la ville. Leurs jardins sont fleuris ; ils remettent des couleurs dans les rues. Ils sont poreux aux autres rĂ©seaux urbains, catalysant relations et occasions. Ils sont ces espaces oĂč se rĂ©inventent une certaine idĂ©e de prestance et de prĂ©sence Ă  soi, des oasis dessinant un autre bien vivre » (p 119).

Dans les jardins se rĂ©alise Ă©galement une rencontre entre le monde vĂ©gĂ©tal et ceux qui en prennent soin. « Ces jardins sont avant tout des mondes vĂ©gĂ©taux ». L’auteur fait l’éloge du dĂ©ploiement des plantes et de leur vitalitĂ©. Elles s’agencent comme en une danse. Or, « le jardinier accompagne cette danse. Ses choix sont primordiaux et conditionnent le dĂ©veloppement des plantes. Finalement, c’est bien cette rencontre inĂ©dite entre les plantes d’un cĂŽtĂ©, et le caractĂšre du jardinier de l’autre, qui traduit l’évolution des lieux et des rĂ©cits qui s’y Ă©crivent. L’humain devient ici un ĂȘtre hybride, inondĂ© et inspirĂ© par les plantes qu’il a vu naitre, ou qui sont revenues naturellement dans son jardin » (p 121-123).

Damien Deville voit lĂ  se dĂ©velopper une dynamique de relation. « A l’image de ce lien unique au vĂ©gĂ©tal, les jardins participent Ă  l’émancipation globale des jardiniers par leur capacitĂ© Ă  catalyser sans cesse les relations qui composent les individus » (p 123). L’auteur voit dans cette activitĂ© jardiniĂšre un potentiel de relation. « Les jardins guident d’autres possibles urbains quand ils permettent Ă  chaque ville de devenir une terre de relations » (p 123). L’auteur dĂ©crit les terres des CĂ©vennes abandonnĂ©es. « La seule solution pour sauver le vivant, c’est de retourner y habiter et de faire de la relation une Ɠuvre » (p 125). Dans le mĂȘme esprit, Damien Deville sort des limites de l’hexagone et Ă©voque un paysan du Burkina Fasso qui a rĂ©sistĂ© Ă  la dĂ©sertification et arrĂȘtĂ© le dĂ©sert en plantant des arbres, Yacouba Sawadogo, Ă  l’histoire duquel il a consacrĂ© un livre (4).

« Si Yacuba Ă©tait parti comme les autres, habitants dans les annĂ©es 1980, le dĂ©sert aurait cassĂ© la porte et continuĂ© vers le village voisin. C’est parce qu’il est restĂ©, tout en tissant autrement sa relation avec le territoire, qu’il a pu sauver le vivant  ».

Ainsi, « Ales et les CĂ©vennes, autant que le Burkina Fasso, invitent Ă  un nouveau front scientifique et politique. Trouver les Ă©gards que l’on doit au vivant, pour reprendre l’expression du philosophe Baptiste Morizot, demande, non pas de fuir certains territoires, pour se concentrer sur d’autres, mais bien de rĂ©flĂ©chir aux maniĂšres de vivre dans chaque territoire pour en respecter les grands Ă©quilibres Ă©cosystĂ©miques. L’humain a Ă©tĂ© une machine Ă  dĂ©truire, mais les initiatives se multiplient  ». Damien Deville en Ă©voque certaines dans la DrĂŽme, dans les CĂ©vennes, en Bretagne. « Tous ces exemples forgent au quotidien une nouvelle maniĂšre de faire lien, et reconstruisent des filiĂšres d’activitĂ© dans l’environnement local. Ils permettent aussi aux citoyens et citoyennes de se rĂ©approprier le territoire et de participer aux dĂ©cisions locales. En un mot, ils façonnent un droit pour toutes et tous Ă  habiter le territoire et Ă  le coconstruire au quotidien » (p 128).

En considĂ©rant l’activitĂ© jardiniĂšre, Damien Deville y perçoit un « monde ordinaire » dans une fĂ©conditĂ© mĂ©connue. Il met en valeur la maniĂšre dont les jardins gĂ©nĂšrent des relations quotidiennes. « Les Ă©conomistes CĂ©cile Renouard et GaĂ«l Giraud ont crĂ©Ă© un indicateur qui pourrait bien inspirer les territoires d’ici et d’ailleurs, ‘l’indicateur de capacitĂ© relationnelle’. Ce dernier mesure la qualitĂ© des relations qu’entretiennent les personnes entre elles, et leur capacitĂ© de s’autonomiser Ă  partir de ces mĂȘmes relations  ». « PensĂ© dans le cadre ouest-africain, cet indicateur insiste sur la qualitĂ© du tissu social et sur les relations interpersonnelles comme autant de dimensions du dĂ©veloppement humain ». Ainsi, des pauvres ‘financiĂšrement’ peuvent ĂȘtre nĂ©anmoins tellement entourĂ©s qu’ils ne manquent de rien, et inversement. « La relation est finalement plus importante que le seul revenu. Penser en ces termes le dĂ©veloppement permet d’accorder de nouveau de l’importance Ă  ce qui est invisibilisĂ© dans les grands rĂ©cits de dĂ©veloppement. Les jardins d’Ales changent le visage d’un quartier et les dynamiques sociales et Ă©cologiques d’une ville ». Dans son analyse, Damien Deville se rĂ©fĂšre Ă  Michel de Certeau. « Dans son livre maĂźtre : « L’invention du quotidien », l’historien et sociologue Michel de Certeau analysait dĂ©jĂ  les actes ordinaires comme une production permanente de culture et de partage. Selon lui, les citadins ne se contentent pas de consommer : ils produisent et inventent le quotidien par d’innombrables mĂ©canismes de crĂ©ativitĂ© et par des politiques sociales originales. Pour emprunter l’expression de Claude Levi-Strauss, les citadins « bricolent » avec les espaces qu’ils frĂ©quentent et les contraintes d’un modĂšle sociĂ©tal pour s’inventer un parcours de vie qui participe de leur Ă©mancipation. Ils crĂ©ent de la relation » (p 131).

 

Un mouvement innovant

« Qu’elle favorise le retour des oiseaux et des hĂ©rissons, protĂšge les villes des vagues caniculaires offrant de l’ombre et refroidissant l’air, l’agriculture urbaine a, en nos temps assombris de l’AnthropocĂšne, le vent en poupe » (p 7). En s’inscrivant dans un courant de recherche en plein dĂ©veloppement, Damien Deville analyse les fonctions et les configurations de l’agriculture urbaine.

« Laboratoires d’un monde possible, les jardins potagers des grandes mĂ©tropoles europĂ©ennes – qui produisent assez peu et se dĂ©ploient sur des espaces restreints – s’offrent comme des lieux oĂč s’expĂ©rimente une Ă©ducation renouvelĂ©e, plus douce, plus responsable, aux techniques de jardinage et aux arts de la table » (p 8). Cependant, la plupart des jardins rĂ©pondent Ă  une fonction plus Ă©lĂ©mentaire, celle de ressource alimentaire. « La Havane, Bobo-Dioulasso, HanoĂŻ ou encore Rabat, autant de villes pour lesquelles les jardins potagers demeurent des greniers participant de l’autonomie alimentaire des familles » (p 8). « Dans les villes du sud de l’Europe, telles qu’AthĂšnes ou Porto, frappĂ©es par la crise Ă©conomique de 2008, des familles ayant subi des pertes Ă©conomiques importantes ont mobilisĂ© les jardins comme des espaces d’adaptation » (p 14). RĂ©cemment, sous l’impulsion de l’association A9 prĂ©sidĂ© par Rodolphe Gozegba de Bombembe, thĂ©ologien, des lopins de terre autour des habitations sont mobilisĂ©s en jardin potager dans la ville de Bangui, en RĂ©publique Centre-Africaine (5). Dans son livre, Damien Deville Ă©tudie particuliĂšrement le rĂŽle des jardins potagers dans des villes moyennes appauvries par la dĂ©sindustrialisation, en concentrant sa recherche sur l’exemple de la ville d’AlĂšs. A cette occasion, il milite pour « une dĂ©centralisation guidĂ©e par la diversitĂ© des territoires et la qualitĂ© des relations que nouent les uns et les autres » (p 135). Si on ajoute le mouvement pour l’agriculture urbaine en vue d’une autonomie alimentaire dans une perspective Ă©cologique, on comprendra que le dĂ©veloppement des jardins en ville n’est pas un phĂ©nomĂšne mineur, mais qu’il s’inscrit dans une recomposition de grande ampleur.

Damien Deville a bien choisi le titre de son livre : la sociĂ©tĂ© jardiniĂšre, non seulement parce qu’il y Ă©tudie, sous toutes ses coutures, le dĂ©veloppement des jardins en ville, mais parce que il prĂ©sente, sous cette appellation, un phĂ©nomĂšne de sociĂ©tĂ© en y percevant un potentiel d’exemplaritĂ© humaine. Oui, la sociĂ©tĂ© jardiniĂšre, n’est-ce pas une vision d’avenir ?

J H

 

  1. Comment les « Incroyables comestibles se sont développés en France ? : https://vivreetesperer.com/incroyable-mais-vrai-comment-les-incroyables-comestibles-se-sont-developpes-en-france/
  2. En route pour l’autonomie alimentaire : https://vivreetesperer.com/en-route-pour-lautonomie-alimentaire/
  3. Damien Deville. La société jardiniÚre. Le Pommier, 2023
  4. Yacouba Sawadogo. Damien Deville. L’homme qui arrĂȘta le dĂ©sert. Tana Ă©ditions, 2022 (Le temps des imaginaires)
  5. Centre-Afrique : l’agriculture urbaine pour lutter contre la faim : https://www.temoins.com/centrafrique-lagriculture-urbaine-pour-lutter-contre-la-faim/

Le souci de l’autre et le soin au fondement de la vie humaine

…https://vivreetesperer.com/une-voix-differente/ Théïa Lab : https://theialab.fr La société canadienne d’anthropologie : https://www.cas-sca.ca/fr/a-propos-d-anthropologie/qu-est-ce-que-l-anthropologie De la vulnérabilité à la sollicitude et au soin : https://vivreetesperer.com/de-la-vulnerabilite-a-la-sollicitude-et-au-soin/ Les Lumières à l’âge du vivant : https://vivreetesperer.com/des-lumieres-a-lage-du-vivant/…

Une nouvelle vision du monde

Une nouvelle vision du monde

L’inspiration de Bergson chez deux personnalitĂ©s d’un nouveau monde : LĂ©opold SĂ©dar Senghor et Mohamed Iqbal selon le philosophe sĂ©nĂ©galais, Souleymane Bachir Diagne.

Si, au travers de deux Ɠuvres marquantes, ‘L’évolution crĂ©atrice’ et ‘Les deux sources de la morale et de la religion’, le philosophe Henri Bergson a ouvert une nouvelle vision dans la premiĂšre moitiĂ© du XXe siĂšcle, son influence revient aujourd’hui aprĂšs une Ă©clipse dans les annĂ©es qui ont suivi la fin de la seconde guerre mondiale comme en tĂ©moigne la parution d’un livre d’Emmanuel Kessler, ‘Bergson, notre contemporain’ (1). Il rappelle la novation ouverte par son livre ‘l’évolution crĂ©atrice’ paru en 2007 :

« L’objet de ‘l’évolution crĂ©atrice’ – titre qui porte en lui-mĂȘme une ouverture et une marche en avant – consiste prĂ©cisĂ©ment Ă  appliquer Ă  la vie en gĂ©nĂ©ral, celle des espĂšces dont l’homme bien sĂ»r, ce qu’il avait mis Ă  jour en explorant la vie psychique : la durĂ©e qui signifie Ă  la fois continuitĂ© indivisĂ©e et crĂ©ation ». Tout n’est pas Ă©crit et dĂ©ployĂ© Ă  l’avance. « L’évolution rĂ©pond Ă  un mouvement dynamique et ouvert. Bergson va la nommer en utilisant une image : l’élan vital ». Emmanuel Kessler nous montre en Bergson un philosophe qui met en valeur la novation et le mouvement. « Alors qu’à premiĂšre vue, la philosophie, depuis Platon, cherche les permanences solides au-delĂ  des apparences trompeuses, bref ce qui demeure dans ce qui change, les idĂ©es Ă©ternelles, Bergson, lui renverse la table : le vrai, c’est justement ce qui change
 Ce qui mĂ©rite notre attention n’est pas ce qui est figĂ©, mais ce qui nait, car c’est ce qui vit
 Essayons d’apprĂ©hender, d’accompagner et d’enclencher Ă  notre Ă©chelle humaine et selon sa formule ‘la crĂ©ation continue d’imprĂ©visibles nouveautĂ©s qui semblent se poursuivre dans l’univers’ ».

Certes, dans le monde d’aujourd’hui, en tension dans les transformations requises, des raidissements et des clĂŽtures commencent Ă  se manifester dans l’agressivitĂ©. Aussi, sommes-nous souvent dĂ©sorientĂ©s et polarisĂ©s par l’immĂ©diat. Nous perdons alors de vue le fil conducteur du changement auquel nous sommes appelĂ©s. La pensĂ©e de Bergson vient encourager et confirmer les tenants du mouvement, tant dans la recherche que dans l’action. C’est ainsi que Bergson dialogua avec deux scientifiques visionnaires : Pierre Teilhard de Chardin et Vladimir Vernadsky (2). Et nous dĂ©couvrons aujourd’hui que son influence s’est Ă©tendue bien au-delĂ  du monde europĂ©en en contribuant Ă  Ă©clairer d’autres civilisations engagĂ©es dans une dynamique d’émancipation.

Ainsi, le grand retour de Bergson Ă  l’orĂ©e du XXIe siĂšcle, s’est accompagnĂ© d’un regain d’intĂ©rĂȘt pour son influence exercĂ©e en dehors de France jusqu’en Inde et en Afrique comme en tĂ©moignent deux figures majeures de la lutte anticoloniale, le musulman Mohamed Iqbal et le catholique LĂ©opold SĂ©dar Senghor. A la fois poĂštes, penseurs et hommes dâ€˜Ă©tat, tous deux ont jouĂ© un rĂŽle intellectuel et politique essentiel dans l’indĂ©pendance de leur pays et trouvĂ© dans le bergsonisme de quoi nourrir leur philosophie : celle d’une reconstruction de la pensĂ©e religieuse de l’Islam pour le premier, de dĂ©saliĂ©nation de l’avenir africain pour le second. Cette analyse est proposĂ©e dans un livre intitulĂ©Â â€˜Bergson postcolonial’ (3), ce titre mettant l’accent sur le mouvement de dĂ©colonisation comme un aspect majeur de l’histoire contemporaine. L’importance du phĂ©nomĂšne de la dĂ©colonisation est effectivement une conviction de l’auteur, le philosophe sĂ©nĂ©galais, Souleymane Bachir Diagne. Ainsi, dans un livre rĂ©cent, ‘Universaliser’ (4), il montre combien la rĂ©duction du monopole de l’universalisme surplombant exercĂ© par la pensĂ©e europĂ©enne, particuliĂšrement française Ă©tait nĂ©cessaire pour la construction d’un vĂ©ritable universalisme comme une Ɠuvre commune de toute l’humanitĂ©.

Le parcours de Souleymane Bachir Diagne est particuliĂšrement Ă©vocateur de l’émergence d’une pensĂ©e nouvelle opĂ©rant une synthĂšse dynamique largement accueillie. « Souleymane Bachir Diagne est un philosophe sĂ©nĂ©galais nĂ© Ă  Saint Louis en 1965, professeur de philosophie et de français Ă  l’universitĂ© Columbia Ă  New York. C’est un spĂ©cialiste de l’histoire des sciences et de la philosophie islamique » (5). AprĂšs des Ă©tudes secondaires au SĂ©nĂ©gal, S B Diagne a Ă©tudiĂ© la philosophie en France dans les annĂ©es 1970, intĂ©grant Normale Sup. Ses thĂšses de doctorat portent sur la philosophie des sciences. De retour au SĂ©nĂ©gal, il enseigne l’histoire de la philosophie islamique. Il rejoint l’UniversitĂ© Columbia en 2008. « La dĂ©marche de Souleymane Bachir Diagne se dĂ©veloppe autour de l’histoire de la logique et des mathĂ©matiques, de l’épistĂ©mologie, ainsi que des traditions philosophiques de l’Afrique et du monde islamique. Elle est imprĂ©gnĂ©e de culture islamique et sĂ©nĂ©galaise, d’histoire de la philosophie occidentale, de littĂ©rature et de politique africaine. C’est le mĂ©lange – la mutualitĂ© – qui dĂ©crit le mieux sa philosophie » (WikipĂ©dia).

 

Bergson, LĂ©opold SĂ©dar Senghor et Mohamed Iqbal

Si la pensĂ©e de Bergson engendre une philosophie nouvelle, la ‘rĂ©volution bergsonienne’ Ă©tend son influence bien au-delĂ  de la France.

« Qu’il s’agisse de la dĂ©fense des valeurs de la NĂ©gritude de LĂ©opold SĂ©dar Senghor (1906-2001) ou du projet de Mohamed Iqbal (1877-1938) d’une ‘reconstruction de la pensĂ©e religieuse de l’Islam’ (c’est le titre de son principal ouvrage en prose), au cƓur de ces projets se trouve la pensĂ©e du philosophe Henri Bergson (1859-1951). La rĂ©volution bergsonienne et les principaux concepts dans lesquels elle s’incarne – le vitalisme, le temps comme durĂ©e, l’intuition comme une autre approche du rĂ©el, celle qui s’exprime tout particuliĂšrement dans l’art – auront donc une influence considĂ©rable sur la pensĂ©e de LĂ©opold SĂ©dar Senghor et de Mohamed Iqbal » (p 9).

Il y a lĂ  de quoi s’interroger. « Pourquoi ces deux personnalitĂ©s du monde colonisĂ© furent-ils des bergsoniens ? Pour quelles raisons des entreprises aussi diffĂ©rentes que la NĂ©gritude senghorienne ou le rĂ©formisme islamique iqbalien ont-elles trouvĂ© Ă  prendre appui sur le bergsonisme ? » (p 10). A l’époque de leur formation, ces personnalitĂ©s ont rencontrĂ© la philosophie de Bergson en plein Ă©panouissement. Et, selon le philosophe Philippe Worms, cette philosophie avait pour caractĂ©ristique de s’assigner la tĂąche « d’intervenir dans la vie pour la rĂ©former ou la transformer » et faisait l’objet d’un vĂ©ritable engouement (p 10). Senghor et Iqbal furent sensibles au concept de durĂ©e introduit par Bergson dans sa thĂšse soutenue en 1889 : ‘Essai sur les donnĂ©es immĂ©diates de la conscience’. « La vĂ©ritable durĂ©e ou temps non sĂ©riel se compose de moments intĂ©rieurs les uns aux autres. De cette durĂ©e, nous ne pouvons avoir une connaissance du type que produit notre intelligence analytique et mĂ©canicienne, celle qui sĂ©pare le sujet de l’objet et dĂ©compose celui-ci en parties. Au contraire, elle nous est donnĂ©e dans la connaissance vitale que nous en avons, dans l’intuition qui nous installe d’emblĂ©e au cƓur de l’objet saisi comme une totalitĂ© organique » (p 11).

Senghor suivra Bergson pour entreprendre la tĂąche de retrouver une approche comprĂ©hensive du rĂ©el hors du cours de la pensĂ©e philosophique tel qu’il a Ă©tĂ© orientĂ© par Aristote et tel qu’il a culminĂ© dans la pensĂ©e mĂ©canicienne de Descartes. Cette approche non mĂ©canicienne lui apparait ĂȘtre la signification mĂȘme que porte l’art africain oĂč il voit une comprĂ©hension du rĂ©el, qu’il entend comme un accĂšs Ă  la sous-rĂ©alitĂ© des choses visibles. Il le suivra Ă©galement pour prolonger sa pensĂ©e avec cet autre bergsonien qu’est le pĂšre Teilhard de Chardin, en celle d’une cosmologie Ă©mergente, d’une cosmogĂ©nĂšse qui voit la vie se libĂ©rer des aliĂ©nations qui l’entravent. C’est sous un tel Ă©clairage bergsonien et teilhardien que Senghor entreprend de lire Marx et de proposer une doctrine de ce qu’il appelle « socialisme africain » (p 12).

« Pour Mohamed Ibqal Ă©galement, il s’agit, avec Bergson, de sortir du cadre oĂč la tradition philosophique aprĂšs les prĂ©socratiques a enfermĂ© la pensĂ©e. Il s’agit de retrouver une philosophie du mouvement oĂč, dans un univers qui est constamment en train de se renouveler, l’humain advient et devient par son action crĂ©atrice qui fait de lui le ‘collaborateur » de Dieu’. Selon Ibqal, si la philosophie grecque a enrichi la pensĂ©e musulmane, elle l’a Ă©galement limitĂ©e. « D’une cosmologie dynamique et continument Ă©mergente du Coran oĂč Dieu est toujours Ă  l’Ɠuvre dans sa crĂ©ation, on est passĂ© Ă  une cosmologie fixĂ©e une fois pour toute par un ‘fiat divin’ qui s’est ensuite retirĂ© du monde. Pour Ibqal donc, la rĂ©volution de Bergson en philosophie aide Ă  une reconstruction de la pensĂ©e islamique en lui rappelant que la vie est innovation et changement. Il faut le lui ‘rappeler’ afin qu’elle puisse surmonter sa peur de l’innovation
 et sortir d’un immobilisme fataliste auquel elle est identifiĂ©e, par exemple par le philosophe Leibnitz  » (p 13-14).

 

LĂ©opold SĂ©dar Senghor et l’inspiration de Bergson

Souleymane Bachir Diagne rappelle combien la publication de la thĂšse de Bergson, ‘L’essai sur les donnĂ©es immĂ©diates de la conscience’ en 1889, parut, Ă  certains, une rĂ©volution intellectuelle. LĂ©opold SĂ©dar Senghor a trouvĂ© lĂ  une grande inspiration.

« Ce qui, plus que tout autre aspect, fait, pour LĂ©opold SĂ©dar Senghor ‘la rĂ©volution de 1889’, c’est cette mise en Ă©vidence, sous l’intelligence analytique, c’est-Ă -dire celle qui pour connaitre analyse et sĂ©pare en paries extĂ©rieures les unes aux autres, d’une facultĂ© de connaissance vitale au sens oĂč elle saisit en un seul geste cognitif, instantanĂ© et immĂ©diat, une composition, qui, parce qu’elle est vivante et non mĂ©canique, ne saurait ĂȘtre dĂ©composĂ©e
 Sous l’intelligence qui analyse et calcule, il y a l’intelligence qui est synthĂšse toujours et qui toujours comprend » (p 19). Pour Senghor, « c’est en cette langue de l’intelligence qui comprend surtout (ce qui ne veut pas dire exclusivement) que s’expriment les pensĂ©es et les conceptions du monde africaines, celles qui pointent, en particulier, les Ɠuvres d’art crĂ©es sur le continent » (p 20). Il nous est dit que « L’hellĂ©niste et aussi le catholique en Senghor ne manque jamais de rappeler qu’avant le tour pris par la pensĂ©e engagĂ©e dans la voie de l’analytique, qu’il voit comme Ă©tant celle de la « ratio », il y eut la rĂ©alitĂ© de ce qu’en poĂšte il appelle un « logos » humide et vibratoire » (p 20). Et une autre distinction apparait, celle entre une « raison Ɠil » et une « raison Ă©treinte » (p 21).

Cette approche se retrouve dans l’apprĂ©ciation de l’art africain par LĂ©opold SĂ©dar Senghor. Celui-ci, arrivant Ă  Paris comme Ă©tudiant Ă  la fin des annĂ©e 1920, y a dĂ©couvert les Ɠuvres africaines au musĂ©e de la Place du TrocadĂ©ro. « A cette Ă©poque, la vogue de l’art nĂšgre avait produit un effet certain sur l’art moderne » (p 33). La philosophie de Senghor vient Ă©clairer et interprĂ©ter l’art africain. C’est la « raison-Ă©treinte, celle qui ne sĂ©pare pas, qui peut crĂ©er, mais Ă©galement goĂ»ter les formes gĂ©omĂ©triques si caractĂ©ristiques des sculptures et masques africains  ». « C’est la langue de cette ‘raison-Ă©treinte’, du ‘logos humide et vibratoire’ qui est parlĂ©e par ces formes qui ne reproduisent, ni n’embellissent la rĂ©alitĂ© pour un regard qui la caresserait Ă  distance. Au contraire, elles retiennent les forces ‘obscures’ mais explosives, dit Senghor, qui sont cachĂ©es sous l’écorce superficielle des choses » (p 34).

Sur un autre registre, l’auteur nous prĂ©sente Ă©galement le socialisme africain dĂ©fendu et promu par LĂ©opold SĂ©dar Senghor. LĂ  aussi, on perçoit l’inspiration de Bergson. En effet, « La philosophie politique de Senghor s’inscrit dans la continuitĂ© de sa pensĂ©e vitaliste, nĂ©e de la rencontre qu’il organise, entre la philosophie de ‘l’Évolution crĂ©atrice’ et la vision du monde qu’il lit dans les religions africaines endogĂšnes. Elle exprime ce que l’homme politique sĂ©nĂ©galais a appelĂ© ‘socialisme africain’ ou ‘voie africaine du socialisme’ ».

L’auteur rĂ©sume en ces termes le parcours de Senghor : « rappeler l’engagement socialiste de Senghor dĂšs ses premiĂšres annĂ©es d’études en France Ă  la fin des annĂ©es 1920, examiner ce qu’est sa conception d’une lecture ‘africaine’ de Karl Marx qui exprime le socialisme spiritualiste lorsqu’en mĂȘme temps il dĂ©couvre la pensĂ©e de Pierre Teilhard de Chardin, envisager la maniĂšre dont cette philosophie a Ă©tĂ© articulĂ©e lorsqu’il a fallu, Ă  l’aube des indĂ©pendances africaines et devant la tĂąche de construction de pays devenus souverains, penser les notions de fĂ©dĂ©ralisme, de nation, d’état, de planification » (p 37-38). L’engagement socialiste de Senghor dĂ©buta dans la France d’avant-guerre, mais « c’est aprĂšs la seconde guerre mondiale que se met en place chez Senghor, la pensĂ©e politique qui sera dĂ©veloppĂ©e au dĂ©but des annĂ©es 60 comme sa doctrine du socialisme africain ». « L’immĂ©diat aprĂšs-guerre, c’est le moment oĂč, comme il dit, il ‘tombe en politique’ et devient dĂ©putĂ© du SĂ©nĂ©gal au parlement français. C’est le moment oĂč avec beaucoup, il dĂ©couvre les Ă©crits du « jeune Marx » alors publiĂ©s sous le titre de « manuscrits de 1844 ». Ces manuscrits traitent de la notion d’aliĂ©nation sans structurer ce propos dans les termes d’un langage se voulant plus scientifique, mais qui reflĂšte un positivisme scientiste ; Senghor retient la notion d’aliĂ©nation. « Il s’agit pour lui de celle de l ‘humain en gĂ©nĂ©ral et celle de l’humanitĂ© colonisĂ©e en particulier » (p 45). Comment Senghor reçoit-il le message de Marx, dans ses premiers Ă©crits ? « DĂ©finir l’aliĂ©nation, ainsi que le fait Marx, comme perte de substance vitale au profit d’un objet extĂ©rieur, Ă©tranger et qui se pose comme ‘hostile’ ne pouvait que parler Ă  la philosophie vitaliste de Senghor » qui est, cela a Ă©tĂ© dit dĂ©jĂ , l’effet d’une rencontre entre une ontologie de forces qui est au principe de religions de diffĂ©rents terroirs africains et leur dĂ©nominateur commun pour ainsi dire, et la pensĂ©e bergsonienne de l’élan vital. Ainsi sont valides les principes suivants :

1 Être, c’est une force de vivre

2 Est bon pour l’ĂȘtre-force ce qui le renforce

3 Est mauvais pour lui ce qui le déforce (le néologisme est de Senghor)

4 Toute force tend naturellement Ă  ĂȘtre plus forte, ou, en d’autres termes, la destination de l’ĂȘtre est de devenir plus ĂȘtre » (p 47). C’est lĂ  que Souleymane Bachir Diagne nous introduit plus avant dans la pensĂ©e de LĂ©opold SĂ©dar Senghor : « Ce quatriĂšme principe, signalĂ© par l’expression ‘plus-ĂȘtre’ fait Ă©cho Ă  la cosmologie Ă©mergente ou cosmogĂ©nĂšse de Pierre Teilhard de Chardin. Si, Ă  partir du moment oĂč il dĂ©couvre ce thĂ©ologien philosophe, Senghor revient constamment Ă  la lecture de ses ouvrages, c’est que Teilhard lui apparait comme le parachĂšvement de ce qu’il a trouvĂ© chez Bergson comme philosophie de la poussĂ©e vitale et chez Marx comme philosophie d’une libĂ©ration totale de l’humain de son Ă©tat d’aliĂ©nation pour faire advenir un vĂ©ritable humanisme ». « Cependant, Senghor n’a pas ressenti chez Marx une vĂ©ritable attention aux peuples africains alors qu’il Ă©crit Ă  propos de Teilhard de Chardin que celui-ci Ă©tait vraiment dĂ©gagĂ© de l’eurocentrisme pour penser ce qu’il a appelĂ© une ‘socialisation’ de la terre oĂč il s’agit de ‘faire la terre totale’ en parachevant une ‘humanisation’ de toute la planĂšte
 C’est dans cette cosmologie de l’émergence continue que la poussĂ©e vers le plus-ĂȘtre s’effectue, l’horizon Ă©tant ce Ă  quoi Senghor se rĂ©fĂšre encore et toujours, en teilhardien qu’il est, comme Ă©tant la ‘civilisation de l’universel’ » (p 48-49). L’auteur explique en quoi Senghor garde un recul par rapport Ă  Marx : « Senghor veut penser un humanisme qui se dĂ©finirait comme accomplissement de Dieu dans l’achĂšvement de la crĂ©ation et non contre lui. C’est parce qu’il pense ainsi l’humanisme que Senghor a rencontrĂ© en celle de Mohamed Iqbal une pensĂ©e sƓur, produite par ce qu’il appellera un ‘Teilhard musulman’. L’idĂ©e que l’humain est collaborateur de Dieu dans l’activitĂ© de crĂ©ation continue d’un monde ouvert est en effet au cƓur de la pensĂ©e iqbalienne. Senghor la dĂ©couvre probablement autour de 1955, date de la publication de la traduction de l’Ɠuvre majeure du poĂšte indien, ‘La reconstruction de la pensĂ©e religieuse de l’Islam’.

L’auteur Ă©voque ensuite le parcours politique de Senghor en Afrique oĂč il devient premier prĂ©sident de la RĂ©publique du SĂ©nĂ©gal en 1960 et oĂč il cherche Ă  Ă©viter une balkanisation de l’Afrique par une approche fĂ©dĂ©rale.

En Ă©crivant ce livre, Souleymane Bachir Diagne a mis en Ă©vidence le pouvoir des idĂ©es inattendues. L’Ɠuvre de Bergson a fait irruption, s’est imposĂ©e et son influence s’est Ă©tendue au-delĂ  de son berceau national, voire occidental. La maniĂšre dont la pensĂ©e de Bergson vient rĂ©pondre Ă  des esprits en recherche dans d’autres civilisations est non seulement Ă©clairante, mais elle tĂ©moigne de convergences en humanitĂ©. De convergences, il y en a puisque la pensĂ©e de Bergson vient ici se rencontrer avec celle de Pierre Teilhard de Chardin, soutenir une pensĂ©e Ă©mancipatrice dans deux grandes civilisations, africaine et indienne ainsi que dans des traditions religieuses diffĂ©rentes, et enfin ĂȘtre rapportĂ©e par un philosophe sĂ©nĂ©galais, lui-mĂȘme au carrefour de diffĂ©rents univers intellectuels en tĂ©moignant en faveur d’un universel en construction. Cependant, puisque la philosophie de Bergson est au cƓur de ce brassage et puisque l’élan vital en est une inspiration majeure, rappelons la recherche du thĂ©ologien zambien : Teddy Chalwe Sakupapa (6) qui met en Ă©vidence l’importance de la force vitale dans la civilisation africaine : « La force vitale est une conception traditionnelle africaine dans laquelle Dieu, les ancĂȘtres, les humains, les animaux, les plantes, les minĂ©raux sont compris en terme de force ou d’énergie vitale ». Il Ă©nonce ensuite d’autres sociĂ©tĂ©s oĂč ce concept apparait avec des nuances diffĂ©rentes. « En Europe, dans le premier XXe siĂšcle, le philosophe français Henri Bergson a prĂ©sentĂ© la notion de force vitale comme un Ă©lan vital ». Nous nous reconnaissons dans la pensĂ©e de Teddy Chalwe Sakupapa lorsqu’il Ă©voque Ă  ce sujet la thĂ©ologie de l’Esprit de JĂŒrgen Moltmann.

Et il Ă©crit : « Dans son accent sur la vie et la relationalitĂ©, la notion africaine de force vitale ouvre une avenue sur le souffle cosmique de l’Esprit ». En lisant le livre de Souleymane Bachir Diagne, nous y voyons convergence et Ă©mergence, un « levain dans la pĂąte ».

J H

 

  1. Comment, en son temps, le philosophe Henri Bergson a pu répondre à nos questions actuelles ? : https://vivreetesperer.com/comment-en-son-temps-le-philosophe-henri-bergson-a-repondu-a-nos-questions-actuelles/
  2. Un horizon pour l’humanité ? La NoosphĂšre : https://vivreetesperer.com/un-horizon-pour-lhumanite-la-noosphere/
  3. Souleymane Bachir Diagne. Bergson postcolonial. CNRS Éditions, 2020
  4. Souleymane Bachir Diagne. Universaliser. « L ‘humanitĂ© par les moyens d’humanité ». Albin Michel,2024
  5. Souleymane Bachir Diagne. Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Souleymane_Bachir_Diagne
  6. Esprit et écologie dans le contexte de la théologie africaine : https://www.temoins.com/esprit-et-ecologie-dans-le-contexte-de-la-theologie-africaine/
Une voix humaine

Une voix humaine

Sortir du patriarcat

Au fondement du care, selon Carol Gilligan, il y a plus qu’une voix diffĂ©rente, une voix humaine.

Fondatrice de l’éthique du care (1) dans son livre initial paru il y a quarante ans, en 1982 aux Etats-Unis : ‘In a different voice. Psychological Theory and Women’s development’ (en français, ‘Une voix diffĂ©rente’) (2), Carol Gilligan dĂ©veloppe et reformule sa pensĂ©e dans un nouveau livre paru en 2023 sous le titre : ‘In a human voice’ traduit en français sous le titre : ‘Une voix humaine. L’éthique du care revisitĂ©e’ (3).

« Quarante aprĂšs la rĂ©volution d’ ‘Une voix diffĂ©rente’, le livre qui a fait entendre la voix des femmes dans le domaine de la vie morale, Carol Gilligan fait le bilan de ses travaux prĂ©curseurs sur l’éthique du care. La voix de l’empathie, du soin des autres, cette voix trop souvent rĂ©duite au silence, n’est pas uniquement celle des femmes. Elle est avant tout une voix humaine qui s’oppose Ă  celle du patriarcat
 Contre une hiĂ©rarchisation binaire du fĂ©minin et du masculin, ce livre dĂ©veloppe une Ă©thique de rĂ©sistance et de libĂ©ration destinĂ©e Ă  tous. De Greta Thunberg Ă  Spike Lee, des femmes qui avortent aux jeunes filles qui se rebellent, Carol Gilligan analyse les discours les plus subversifs de notre temps et inscrit dĂ©finitivement son Ɠuvre dans notre XXIe siĂšcle » (page de couverture).

 

Une voix différente

Dans son livre fondateur : ‘Une voix diffĂ©rente’ (1), Carol Gilligan raconte comment son Ă©tat d’esprit attentif et ouvert lui a permis de dĂ©couvrir les failles qui existaient dans la psychologie dominante. Ainsi Ă©crit-elle : « Voici dix ans que je suis Ă  l’écoute des gens. Je les Ă©coute parler de la morale et d’eux-mĂȘmes. Il y a cinq ans, j’ai commencĂ© Ă  percevoir des diffĂ©rences entre toutes les voix, Ă  discerner deux façons Ă  parler de morale et Ă  dĂ©crire les rapports entre l’autre et soi ». A partir de cette Ă©coute, au travers de ces enquĂȘtes, Carol Gilligan dĂ©couvre que les voix de femmes ne correspondent pas aux descriptions psychologiques de l’identitĂ© du dĂ©veloppement qu’elle-mĂȘme avait lues et enseignĂ©es pendant des annĂ©es. « A partir de cet instant, les difficultĂ©s rĂ©currentes soulevĂ©es par l’interprĂ©tation du dĂ©veloppement fĂ©minin attirĂšrent mon attention. Je commençais Ă  Ă©tablir un rapport entre ces thĂ©ories et l’exclusion systĂ©matique des femmes des travaux permettant de construire les thĂ©ories cruciales de la recherche en psychologie
 On peut envisager une hypothĂšse : les difficultĂ©s qu’éprouvent les femmes Ă  se conformer aux modĂšles Ă©tablis du dĂ©veloppement humain indique peut-ĂȘtre qu’il existe un problĂšme de reprĂ©sentation, une conception incomplĂšte de la condition humaine, un oubli de certaines vĂ©ritĂ©s concernant la vie ». Carol Gilligan ne dĂ©bouche pas sur une catĂ©gorisation absolue : « Les voix masculines et les voix fĂ©minines ont Ă©tĂ© mises en contraste ici afin de souligner les distinctions qui existent ente deux modes de pensĂ©e et d’élucider un problĂšme d’interprĂ©tation. Je ne cherche pas Ă  Ă©tablir une interprĂ©tation quelconque sur l’un ou l’autre sexe ».

Dans une prĂ©sentation d’ ‘Une voix diffĂ©rente’, Fabienne BruguiĂšre nous en montre l’originalitĂ©. Carol Gilligan interpelle la thĂ©orie dominante du genre humain et les catĂ©gories d’interprĂ©tation morale de Kohlberg : « La morale a un genre : une morale masculine qui se veut rationnelle, imprĂ©gnĂ©e de lois et de principes, Ă©touffe une morale relationnelle nourrie par le contexte social et l’attachement aux autres. Mais, bien plus encore, elle promeut une nouvelle Ă©thique qui est un rĂ©sultat de la clinique, un Ă©quilibre nouveau entre souci de soi et souci des autres. L’éthique est alors une maniĂšre de se constituer un point de vue ». Et, dans le mĂȘme mouvement, « Gilligan ne prĂ©conise pas un fĂ©minisme de la guerre des femmes contre les hommes, mais de la relation entre sphĂšre publique et sphĂšre privĂ©e, raison et affects, Ă©thique et politique, amour de soi et amour des autres ».

Le nouveau livre de Carol Gilligan : ‘Une voix humaine’ confirme et poursuit ce mouvement. En effet, dans la poursuite de ses recherches, notamment sur l’évolution des filles et des garçons, elle a compris que c’était le systĂšme patriarcal qui Ă©tait Ă  l’origine de la perturbation « des facultĂ©s relationnelles humaines les plus Ă©lĂ©mentaires » (p 36). « A ce moment-lĂ , le mot ‘patriarcat’ avait revĂȘtu une signification toute particuliĂšre pour moi. Pour le dĂ©finir simplement, le patriarcat se rapporte Ă  un ensemble de rĂšgles de vie fondĂ© sur la binaritĂ© et la hiĂ©rarchie de genre. Pour ĂȘtre un homme, il ne faut pas ĂȘtre fĂ©minin mais masculin et asseoir sa supĂ©rioritĂ© – vis-Ă -vis des hommes qui ne sont pas perçus comme de ‘vrais’ hommes ainsi que des femmes. Dans un systĂšme patriarcal, l’ordre s’établit comme tel : le masculin l’emporte sur le fĂ©minin, l’hĂ©tĂ©rosexuel sur l’homosexuel » (p 36). La nocivitĂ© du patriarcat s’est imposĂ©e Ă  Carol Gilligan dans ses nouvelles recherches. « En sapant les aptitudes relationnelles de l’humanitĂ©, l’épreuve initiatique du patriarcat compromet, chez les enfants, leur capacitĂ© non seulement Ă  subsister mais aussi Ă  s’épanouir. Cette initiation prĂ©pare le terrain de toutes les autres formes d’oppression, qu’elles soient fondĂ©es sur la race, la classe, la caste, la sexualitĂ©, la religion etc. C’est pourquoi les enfants internalisent les codes de genre qui les obligent Ă  se dissocier de certains aspects de leur humanitĂ©, que leur aptitude Ă  percevoir et Ă  rĂ©sister Ă  l’injustice finit par se troubler » (p 37).

Au total, la ‘conception du genre binaire et hiĂ©rarchique’ de la culture patriarcale « compromet les facultĂ©s relationnelles dont nous dĂ©pendons afin de survivre et de prospĂ©rer ». Dans cette perspective, le regard se porte au-delĂ  de la subordination fĂ©minine sur l’organisation sociale et sur la conception de l’humain. « Ce qui avait Ă©tĂ© conçu, Ă  premiĂšre vue comme une question concernant spĂ©cifiquement les femmes, voire un problĂšme typiquement fĂ©minin, s’est rĂ©vĂ©lĂ©, grĂące Ă  une Ă©coute attentive – avec le temps et l’évolution des connaissances, de plus en plus Ă©tendues en la matiĂšre – ĂȘtre une problĂ©matique ‘humaine’ » (p 38).

 

Un chemin de recherche

Dans ce livre, Carol Gilligan nous rapporte son itinĂ©raire professionnel. En 1973, titulaire d’un doctorat de psychologie, elle enseigne Ă  Harvard. Elle a pour collĂšgues des chercheurs rĂ©putĂ©s dans le champ de l’identitĂ© et de la morale : Erik Erikson et Lawrence Kohlberg et, Ă  leur exemple, elle va s’engager dans cette voie de recherche. Cette orientation, nous dit-elle, est Ă©galement inspirĂ©e par ses Ă©tudes prĂ©cĂ©dentes en littĂ©rature anglaise, « ce qui a stimulĂ© son intĂ©rĂȘt pour la façon dont les gens se perçoivent eux-mĂȘmes et perçoivent la moralitĂ© lorsqu’ils sont confrontĂ©s Ă  des situations rĂ©elles de conflits et ce choix. Les questions identitaires et morales m’intĂ©ressaient, autrement dit, comme Larry Kohlberg le dĂ©finissait Ă  l’époque, le rapport entre jugement et action » (p 18).

Carol Gilligan souhaitait aborder « une situation qui oblige les gens Ă  faire un choix, soulĂšve en eux des questionnements identitaires et moraux, et les oblige aussi Ă  devoir assumer les consĂ©quences de leurs dĂ©cisions. Et c’est Ă  ce moment-lĂ  que la Cour suprĂȘme m’est venue en aide : arrĂȘt Roe v. Wade. Mes recherches porteraient sur la dĂ©cision d’avorter dans le cas de recours Ă  des institutions publiques  » (p 19). « Entre 1973 et 1975, j’ai interrogĂ© 29 femmes pendant le premier trimestre de grossesse, qui envisageait l’avortement » (p 19). C’était un Ă©chantillon diversifiĂ©. Venant de relire les transcriptions des entretiens, elle se rappelle avoir dit Ă  une collĂšgue : ‘Tu sais, je comprends pourquoi il est si difficile pour les psychologues de comprendre les femmes’. A l’époque, j’avais Ă©tĂ© en charge d’un cours qui portait sur les thĂ©ories de Freud et Erikson, de Piaget et de Kohlberg, qui avaient tous sans exception, admis qu’ils Ă©taient pour le moins dĂ©concertĂ©s par la gent fĂ©minine, qu’ils considĂ©raient moins dĂ©veloppĂ©e que les hommes en termes de perception de soi et de capacitĂ© de jugement moral
 En lisant ces entretiens et en prĂȘtant une attention toute particuliĂšre Ă  la façon dont elles parlaient d’elles-mĂȘmes de leur sens moral, j’ai perçu chez elles une tendance Ă  envisager diffĂ©remment les questions morales – en les abordant, de fait, depuis un autre angle de vue, c’est-Ă -dire Ă  partir du postulat de la connexion plutĂŽt que de la sĂ©paration » (p 21-22).

C’est Ă  partir de cette prise de conscience qu’est nĂ© ‘Une voix diffĂ©rente’, d’abord sous forme d’un article paru en 1977 dans la Harvard Educational Review, puis d’un livre publiĂ© en 1982. Carol Gilligan raconte combien la publication de cet article dans la Harvard Educational Review rencontra de grandes rĂ©sistances, si il suscita ensuite une large audience. « DĂšs le dĂ©part, ‘Une voix diffĂ©rente’ avait Ă©tĂ© reconnu pour ce qu’il Ă©tait : un Ă©lĂ©ment perturbateur » (p 24).

Cependant, Carol Gilligan percevait le danger d’attribuer le care exclusivement aux femmes. « Je n’avais rien d’une essentialiste. Au contraire, le fait que l’on considĂšre le care, l’acte de prendre soin comme typiquement ‘fĂ©minin’ m’a alertĂ© sur la construction du genre selon une modalitĂ© binaire (soit masculine, soit fĂ©minine) et hiĂ©rarchisĂ©e (privilĂ©giant le masculin)
 Il Ă©tait alors fondamental pour moi de m’attaquer Ă  la confusion qui rĂ©gnait entre les femmes et ce qui semble ou est considĂ©rĂ© comme fĂ©minin » (p 26). « Pour reprendre le titre de la philosophe Manon Garcia, ‘On ne nait pas soumise, on le devient’, c’est le patriarcat qui façonne la vie des femmes » (p 27). « Une recherche auprĂšs d’étudiant(e)s en mĂ©decine concernant les dilemmes moraux hypothĂ©tiques de Kohlberg a montrĂ© que si, du cotĂ© des femmes, un tiers prenait seulement la justice en compte, un autre tiers Ă©voquait Ă  la fois la justice et le care et un tiers encore ne se rĂ©fĂ©rait qu’au care, la positon des hommes Ă©taient loin d’ĂȘtre monolithique : si la moitiĂ© des hommes faisait uniquement intervenir la justice, l’autre moitiĂ© prĂ©sentait des considĂ©rations Ă  la fois de justice et de care afin de rĂ©soudre des problĂšmes Ă©thiques et moraux » (p 27).

Une Ă©tude auprĂšs de jeunes enfants a montrĂ© que « le souci de l’oppression (par l’usage injuste du pouvoir) et celui de l’abandon (autrement dit de l’échec Ă  prendre soin) sont des prĂ©occupations de l’humanitĂ© tout entiĂšre, inscrite dans le cycle mĂȘme de la vie humaine. Il suffisait de tendre l’oreille Ă  la parole des enfants pour entendre qu’ils faisaient appel Ă  la morale en s’exclamant : ‘C’est pas juste !’ ou ‘Tu t’en fiches !’ » (p 28 ).

« Mais c’est la recherche que j’ai menĂ©e auprĂšs des jeunes filles qui m’a fait dĂ©placer le curseur aprĂšs avoir dĂ©veloppĂ© et explicitĂ© ce que j’entendais par une voix diffĂ©rente pour me dĂ©placer sur une autre question : qu’est-ce qui peut bien inhiber notre perception, faire obstacle au point de ne pas voir ce qui se trouve sous nos yeux ? Et c’est lĂ  que la construction du genre selon une modalitĂ© binaire et hiĂ©rarchique s’est imposĂ©e comme le filtre qui nous empĂȘche de voir et de dire ce qui est pourtant Ă©vident » (p 28).

 

La pression de la culture patriarcale : soumission ou résistance

Carol Gilligan nous permet de mieux identifier la culture patriarcale qui se manifeste puissamment dans nos sociĂ©tĂ©s. Elle nous dĂ©crit dans ce livre les recherches qu’elle a entreprises pour montrer comment cette culture en arrivait Ă  formater la jeunesse en Ă©tudiant les rĂ©actions correspondantes : soumission ou rĂ©sistance. « Au milieu du XIXe siĂšcle, un psychiatre avait constatĂ© que les filles Ă©taient ‘plus susceptibles de souffrir Ă  l’adolescence’. J’en suis venu Ă  me pencher sur cette Ă©nigme. Toutes celles et ceux qui travaillent en milieu scolaire savent qu’avant l’adolescence, ce sont les garçons qui ont le plus tendance Ă  Ă©prouver des difficultĂ©s d’ordre psychologique
 tandis que pour les filles, c’est Ă  l’adolescence qu’on observe une soudaine hausse de dĂ©pression  ». Dans le cadre de sa recherche sur ‘la centralitĂ© de la relation dans le dĂ©veloppement humain’, Carol Gilligan a formulĂ© la thĂ©orie suivante : « La confrontation initiale des enfants Ă  ce que le patriarcat impose en termes de binaritĂ© et de hiĂ©rarchisation des genres prĂ©sente un danger pour leur rĂ©silience et se traduit donc par des symptĂŽmes de dĂ©tresse psychologique. La temporalitĂ© du processus initiatique intervient plus tĂŽt chez les garçons (entre 4 et 7 ans environ) et plus tard chez les filles (en gĂ©nĂ©ral Ă  l’adolescence) » (p 34).

Comme le psychologue amĂ©ricain Martin Seligman ne voyait pas l’origine de la dĂ©pression des filles dans leur enfance, Carol Gilligan a eu une intuition. « Ce sont les jeunes filles qui m’ont mis la puce Ă  l’oreille. Elles rĂ©sistaient aux structures patriarcales, Ă  la binaritĂ© des genres, qui exigeaient d’elles de dissocier leurs pensĂ©es de leurs Ă©motions, leur esprit de leur corps, leur soi – cette voix qui exprime ce qu’elles ressentent et ce qu’elles pensent – de leurs relations
 C’est en les Ă©coutant que je me suis intĂ©ressĂ©e pour la premiĂšre fois Ă  ce que je nomme initiation et rĂ©sistance  » (p 34-35).

S’il y a bien une dĂ©couverte fondamentale dans le champ des Ă©tudes consacrĂ©es au dĂ©veloppement – qui dĂ©butĂšrent avec les filles dans les annĂ©es 1980 et se poursuivirent dans les annĂ©es 1990 chez les garçons et ce jusqu’à nos jours – c’est d’avoir compris que la binaritĂ© et la hiĂ©rarchie du genre du systĂšme patriarcal compromettent les facultĂ©s relationnelles humaines les plus Ă©lĂ©mentaires. En distinguant raison (masculine) et Ă©motion (fĂ©minine), en sĂ©parant l’esprit du corps, de mĂȘme que soi et les autres, cette approche binaire nuit Ă  notre capacitĂ© Ă  ĂȘtre en contact de ce que nous ressentons par la pensĂ©e, Ă  connaitre le fonctionnement de notre corps, Ă  cultiver nos relations avec les autres, et par consĂ©quent Ă  entretenir, bon grĂ©, mal grĂ©, une vie sociale en tant qu’ĂȘtre humain » (p 37).

En continuation de sa recherche sur les jeunes filles, Carol Gilligan a observĂ© des troubles analogues chez de jeunes garçons de 4 Ă  7 ans environ, cette Ă©preuve se rejouant Ă  derniĂšre annĂ©e de lycĂ©e ou au dĂ©but de leurs Ă©tudes supĂ©rieures
 Les garçons se trouvent soumis Ă  la pression de se positionner comme ‘vrai mec’, de lĂ©gitimer leur appartenance au club des garçons
 Ces enfants, alors qu’ils dĂ©montraient au dĂ©part une expression claire, authentique et fraiche dans leurs relations les uns avec les autres devenaient progressivement moins expressifs et francs entre eux
 En revĂȘtant une cape de masculinitĂ©, ils ne faisaient que se dĂ©guiser pour mieux protĂ©ger certains aspects d’eux-mĂȘmes qui auraient Ă©tĂ© considĂ©rĂ©s comme non masculins (c’est-Ă -dire fĂ©minins) ou qui leur auraient valu d’ĂȘtre comparĂ©s Ă  des femmes (effĂ©minĂ©, gay) » (p 58-59).

« En sapant les aptitudes relationnelles de l’humanitĂ©, l’épreuve initiatique du patriarcat compromet, chez les enfants, leur capacitĂ© non seulement Ă  subsister mais aussi Ă  s’épanouir. Cette initiation prĂ©pare le terrain de toutes les autres formes d’oppression, qu’elles soient fondĂ©es sur la race, la classe, la sexualitĂ©, la religion etc. » (p 37).

 

Une voix humaine

A travers son Ă©coute, Carol Gilligan a pu reconnaitre chez certaines jeunes fille des voix qui s’élevaient en rĂ©sistance contre l’emprise patriarcale. « AprĂšs avoir passĂ© dix ans de ma vie Ă  prĂȘter attention Ă  la parole de ces jeunes filles prĂ©cisĂ©ment Ă  la pĂ©riode oĂč elles font leur entrĂ©e dans une culture qui valorise l’honneur plutĂŽt que la vie tout en privilĂ©giant la voix des patriarches, je peux tout Ă  fait l’expliquer » (p 52). « Il ne m’a pas Ă©chappĂ© qu’on rĂ©tribuait toujours celles dont la voix devenait conforme aux valeurs et aux normes du patriarcat. Mais j’ai aussi pu observer les rĂ©ticences des jeunes filles Ă  s’y accorder et l’effet de cette rĂ©sistance sur les femmes
 Ce que je souhaite ici, c’est raconter comment la parole des femmes, de mĂȘme que leur silence, nous Ă©clairent dans la comprĂ©hension de ce qui demeure sinon une Ă©nigme du dĂ©veloppement de l’espĂšce humaine : pourquoi nous accommodons-nous d’une culture qui compromet notre humanité ? Comme nous en sommes tous et toutes tĂ©moins aujourd’hui, les voix de ces jeunes filles peuvent ĂȘtre celles du changement radical, surtout quand, et si, elles sont entendues » (p 52). Carol Gilligan nous fait part alors de deux figures exemplaires : Greta Thunberg et Darnella Frazier. Greta Thunberg, cette petite jeune fille suĂ©doise est connue de nous tous pour son engagement planĂ©taire contre le rĂ©chauffement climatique. Darnella Frazier, ĂągĂ©e de 17 ans est, parmi les tĂ©moins du meurtre de George Floyd, la seule qui eut le rĂ©flexe d’enregistrer la scĂšne sur son tĂ©lĂ©phone, permettant ainsi la condamnation ultĂ©rieure du coupable.

« Parce que j’ai pu suivre des jeunes filles de la phase intermĂ©diaire de l’enfance Ă  l’adolescence et constatĂ© leur Ă©volution, j’ai observĂ© que cette rĂ©sistance saine Ă  leur dĂ©possession de la parole et de la relation se transforme en rĂ©sistance politique lorsque ces filles disent la vĂ©ritĂ© aux autoritĂ©s – Ă©levant ainsi la vĂ©ritĂ©, par leur voix, au rang du pouvoir ; songez Ă  Greta et Darnella ou encore Ă  Claudette Colvin qui n’avait pas encore 16 ans lorsqu’elle a revendiquĂ© son droit constitutionnel en s’opposant Ă  la sĂ©grĂ©gation… » (p 57).

Pour entendre la voix diffĂ©rente des femmes et puis la voix humaine qui s’affirme en dĂ©pit de la culture patriarcale, Carol Gilligan a pratiquĂ©Â â€˜une Ă©coute radicale’. « L’écoute radicale correspond Ă  une modalitĂ© d’écoute qui plonge Ă  la racine de ce qui est dit comme de ce qui n’est pas dit ; elle dĂ©finit une façon de s’accorder Ă  la voix sourde sous-jacente, Ă  cette autre conversation qui se joue entre les lignes du dialogue
 Au cours de mes recherches sur le dĂ©veloppement moral, j’ai pris conscience de la nĂ©cessitĂ© d’une Ă©coute radicale grĂące Ă  une femme que j’interrogeais. Je lui avais prĂ©sentĂ© l’un des dilemmes que les psychologues utilisent pour Ă©valuer le stade de dĂ©veloppement moral d’une personne et lui avais posĂ© la question habituelle : que devrais faire Heinz ? Si je me souviens bien ; la femme avait Ă  peu prĂšs mon Ăąge et je l’avais vu hĂ©siter, elle ne m’avait pas quittĂ© des yeux. « Vous voulez savoir ce que je pense, m’avait-elle demandĂ©. Ou vous voulez savoir ce que je pense vraiment ?… Elle me disait ainsi entre les lignes qu’elle avait appris Ă  rĂ©flĂ©chir aux questions morales d’une maniĂšre diffĂ©rente de ce qu’elle pensait rĂ©ellement. De plus, elle Ă©tait consciente de la diffĂ©rence
 Elle m’a fait comprendre la nĂ©cessitĂ© d’une pratique radicale de l’écoute, oĂč l’on tend Ă  la fois l’oreille Ă  une voix initiĂ©e et Ă  une voix qui rĂ©siste Ă  l’initiation. » (p 61-62). C’est Ă  ce changement que je voyais certaines filles rĂ©sister, rĂ©pugnant Ă  faire taire la voix qui exprimait ce qu’elles pensaient ou ressentaient ‘vraiment’ » (p 62).

Carol Gilligan a pu ainsi aller de dĂ©couverte en dĂ©couverte : « Ces derniĂšres annĂ©es, il est apparu de plus en plus Ă©vident que cette ‘voix diffĂ©rente’ qui semblait ‘fĂ©minine Ă  l’oreille’ au motif qu’elle relie la raison Ă  l’émotion, l’esprit au corps et le moi aux relations, est en fait ‘une voix humaine’ – pour reprendre les mots de la poĂ©tesse Louise GlĂŒck, une voix ‘indomptĂ©e’, une voix ‘non initiĂ©e’ » (p 73).

Dans l’épilogue de ce livre, Carol Gilligan nous prĂ©sente le mouvement de sa pensĂ©e à travers lequel l’affirmation d’une voix diffĂ©rente se reconnait comme l’affirmation d’une voix humaine et se fonde une Ă©thique du care.

« En tant que philosophie morale de la relation, l’éthique du care est un guide qui permet de connaitre les autres et de se connaitre soi
 J’ai aujourd’hui le recul nĂ©cessaire pour clarifier ce qui Ă©tait moins visible ou moins bien formulĂ© quand j’ai publiĂ© mes premiers travaux : quoique d’abord perçue comme une voix fĂ©minine, la ‘voix diffĂ©rente’ (la voix de l’éthique du care) est une voix humaine : c’est une voix qui diffĂšre de la voix patriarcale (restez Ă  l’affut des signes de rĂ©partition et de hiĂ©rarchie binaire) ; lĂ  oĂč le patriarcat s’impose en force, la voix humaine est une voix de rĂ©sistance et l’éthique du care est une Ă©thique d’émancipation » (p 164).

 

Une thĂ©ologie en phase avec l’éthique du care : Elisabeth Moltmann-Wendel et JĂŒrgen Moltmann

Au mĂȘme moment oĂč Carol Gilligan publie ‘une voix diffĂ©rente’ (1982), se dĂ©roule un dialogue entre Elisabeth Moltmann-Wendel, une des premiĂšres thĂ©ologiennes fĂ©ministes et son mari JĂŒrgen Moltmann, un des plus grands thĂ©ologiens de notre Ă©poque, Ă  la ConfĂ©rence ƓcumĂ©nique internationale de Sheffield en 1981 avec pour thĂšme : « Devenir des personnes dans la communautĂ© nouvelle des hommes et des femmes » (4).

Elisabeth et JĂŒrgen nous ont par ailleurs fait part de leur expĂ©rience personnelle Ă  ce sujet. Elisabeth Moltmann-Wendel nous rapporte qu’« elle frĂ©quentait des femmes chrĂ©tiennes bien Ă©duquĂ©es, exerçant un grand contrĂŽle sur elles-mĂȘmes. Je me suis rendu compte qu’elles ne parvenaient pas Ă  s’aimer elles-mĂȘmes. Alors en rĂ©action, j’ai proclamĂ© ces trois affirmations : ‘Je suis bonne. Je suis unifiĂ©e. Je suis belle’. J’empruntais l’idĂ©e d’unitĂ©, de complĂ©tude, de plĂ©nitude (wholeness) Ă  la thĂ©ologie fĂ©ministe qui assume la femme, corps et Ăąme  ». JĂŒrgen Moltmann interrogĂ© sur cette question a certes confirmĂ© le caractĂšre innovant et authentiquement chrĂ©tien de cette thĂ©ologie, mais il s’est exprimĂ© aussi d’une façon plus personnelle. Il rappelle combien l’éducation des jeunes garçons, des hommes, a, elle aussi, Ă©tĂ© entachĂ©e par la nĂ©gativitĂ© et la violence : ‘Vous n’ĂȘtes rien, vous ne pouvez rien, vous devez faire
 Quelle terrible Ă©ducation !’ (5).

Elisabeth Moltmann-Wendel proclame une thĂ©ologie fĂ©ministe : « L’expĂ©rience des femmes que JĂ©sus est un ami qui partage leurs vues, qui donne chaleur, intimitĂ©, et tendresse Ă  tous ceux qui sont abandonnĂ©s et sans soutien, est oubliĂ©e
 Le fĂ©minisme, le mouvement des femmes dans le monde occidental, a donnĂ© Ă  beaucoup de femmes le courage de se dĂ©couvrir, d’exprimer Ă  nouveau leurs propres expĂ©riences de Dieu, de la Bible avec des yeux nouveaux et de recouvrir leur rĂŽle unique et original dans l’Évangile ». Elisabeth incrimine le systĂšme patriarcal. « Ce systĂšme est incompatible avec l’identitĂ© et les conceptions des femmes
 Aujourd’hui, les femmes comprennent JĂ©sus comme ce qu’il a Ă©tĂ© pour elles. Elles veulent se dĂ©barrasser de la domination du systĂšme patriarcal ».

JĂŒrgen Moltmann s’accorde avec Elisabeth dans sa contestation du systĂšme patriarcal : « L’ordre patriarcal est ancien et rĂ©pandu. A un stade prĂ©coce, l’Église a Ă©tĂ© reprise en main dans une culture patriarcale. En consĂ©quence, le potentiel libĂ©rateur du christianisme a Ă©tĂ© paralysé  Ainsi, la libĂ©ration des femmes et, en consĂ©quence celle des hommes, pour sortir du systĂšme patriarcal, est connectĂ©e avec la redĂ©couverte de la libertĂ© de JĂ©sus et une nouvelle expĂ©rience des Ă©nergies de l’Esprit. Nous devons laisser derriĂšre nous le Dieu monothĂ©iste des seigneurs et des mĂąles, et dĂ©couvrir, depuis les origines du christianisme, le Dieu de la communautĂ© qui est riche en relations, capable de souffrance et apporte l’unitĂ©. C’est le Dieu vivant, le Dieu de la vie que le systĂšme patriarcal a dĂ©formĂ© Ă  travers les idoles de la domination. En lui, les hommes aussi expĂ©rimentent une libĂ©ration de la distorsion dont les femmes ont souffert et souffrent encore comme consĂ©quence du systĂšme patriarcal ».

VoilĂ  une vision thĂ©ologique qui nous parait rĂ©sonner avec l’affirmation d’une ‘voix humaine’ par Carol Gilligan, cette voix qui, dans la poursuite de la proclamation d’une ‘voix diffĂ©rente’ exprime une Ă©coute et un respect de la personne et appelle Ă  la sortie du systĂšme patriarcal.

J H

 

  1. Carol Gilligan. Une voix diffĂ©rente. La morale a-t-elle un sexe ? PrĂ©cĂ©dĂ© d’un entretien avec Fabienne BruguiĂšre. Champs essais, 2019
  2. Pour une société du care : https://vivreetesperer.com/une-voix-differente/
  3. Carol Gilligan. Une voix humaine. L’éthique du care revisitĂ©e. Climats, 2024
  4. Femmes et hommes en coresponsabilitĂ© dans l’Église : https://www.temoins.com/femmes-et-hommes-en-coresponsabilite-dans-leglise/
  5. Quelle vision de Dieu, du monde, de l’humanité  ? : https://vivreetesperer.com/quelle-vision-de-dieu-du-monde-de-lhumanite-en-phase-avec-les-aspirations-et-les-questionnements-de-notre-epoque/