Le souci de l’autre et le soin au fondement de la vie humaine

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L’humanitĂ© peut-elle faire face au dĂ©rĂšglement des Ă©quilibres naturels ?

L’humanitĂ© peut-elle faire face au dĂ©rĂšglement des Ă©quilibres naturels ?

L’effondrement est-il fatal, ou bien, au contraire, rien n’est jouĂ©.
La science contre les thĂ©ories de l’effondrement.

Aujourd’hui, face aux menaces du dĂ©rĂšglement des Ă©quilibres naturels engendrĂ© par un accroissement effrĂ©nĂ© de la production industrielle, la prise de conscience Ă©cologique se dĂ©veloppe et elle s’accompagne de la mise en Ă©vidence des dangers encourus. Certes, une mobilisation est en cours pour dĂ©velopper de nouvelles pratiques Ă©conomiques et un nouveau genre de vie. Cependant, autant l’alarme est nĂ©cessaire pour favoriser cette mobilisation, autant elle peut se prĂȘter Ă  des excĂšs qui engendrent la peur au point que celle-ci dĂ©bouche sur le dĂ©sespoir, le fatalisme, la rĂ©signation. C’est ainsi qu’au cours des derniĂšres annĂ©es, s’est dĂ©veloppĂ© un courant de pensĂ©e influant qui envisage l’avenir en terme d’effondrement. Dans un livre : « « Comment tout peut s’effondrer », des chercheurs, par ailleurs reconnus, Pablo Servigne et RaphaĂ«l Stevens se proposent d’aborder dans une perspective scientifique l’effondrement systĂ©mique global de la civilisation industrielle et des grands Ă©quilibres des Ă©cosytĂšmes, en dĂ©signant cette approche sous le vocable de « collapsologie ». Si l’alarme nĂ©cessaire vis-Ă -vis des menaces de dĂ©rĂšglement des Ă©quilibres naturels, peut susciter une eco-anxiĂ©tĂ© et, en rĂ©ponse, un nouveau mode de pensĂ©e (1), elle peut dĂ©gĂ©nĂ©rer en se focalisant sur la crainte d’un effondrement, car une telle fascination engendre le fatalisme. C’est pourquoi, un chercheur, bien connu sur ce blog, Jacques Lecomte, vient d’écrire un livre oĂč il s’élĂšve contre ‘l’effondrisme’ : « La science contre les thĂ©ories de l’effondrement ». Le titre principal, ‘Rien n’est joué’ (2) manifeste son refus du fatalisme. Expert français en psychologie positive, Jacques Lecomte a appris comment la focalisation sur le nĂ©gatif entrainait un enfermement dans ce registre. Et Ă  l’inverse, il y a une dynamique du bien. C’est pourquoi Jacques Lecomte a Ă©crit un beau livre sur « la bontĂ© humaine » (3). Par la suite, il a mis en Ă©vidence les expĂ©riences positives des « entreprises humanistes » (4 ). Et enfin, dĂ©sirant encourager la confiance, il a publiĂ© en 2017,un livre visant Ă  enrayer le pessimisme collectif : ‘Le monde va beaucoup mieux que vous ne croyez’ (5). On comprend donc pourquoi aujourd’hui Jacques Lecomte s’attelle Ă  la tĂąche de rĂ©futer les thĂšses de « l’effondrisme ».

Jacques Lecomte partage notre souci de sauvegarder la Terre. Il n’est pas climatosceptique. Au contraire, « c’est prĂ©cisĂ©ment parce que l’état de notre environnement me prĂ©occupe fortement que je m’intĂ©resse aux solutions dĂ©jĂ  existantes. Car il y a urgence face au rĂ©chauffement climatique d’origine humaine, Ă  la destruction de la nature et Ă  de nouvelles formes de pollution ». Mais, selon l’auteur, « les effondristes contemporains affirment au contraire qu’il n’y a pas de solutions aux problĂšmes, que les seules actions envisageables consiste Ă  s’adapter Ă  une situation environnementale insoluble » (p 10). « L’objectif de ce livre est d’évaluer la qualitĂ© scientifique de ce courant de pensĂ©e ». Pour Jacques Lecomte, cette intervention n’allait pas de soi. « J’ai pour habitude, dans mes Ă©crits, confĂ©rences et formations de valoriser des informations positives, non de critiquer. De plus, en commençant l’écriture de ce livre, j’étais embarrassĂ© de contester les propos de personnes dont je partage la prĂ©occupation environnementale et l’aspiration Ă  une sociĂ©tĂ© plus fraternelle. Mes lectures m’ont cependant amenĂ© progressivement Ă  cette conviction : le discours effondriste est non seulement scientifiquement faux, mais il a de plus des effets nĂ©fastes psychologiques, politiquement et environnementalement. Comprendre cela a Ă©tĂ© pour moi l’argument dĂ©cisif. S’il pouvait limiter la vague actuelle d’éco-anxiĂ©tĂ© et redonner de l’espoir et l’envie d’agir fortement pour amĂ©liorer notre monde, j’en serais ravi. La premiĂšre raison d’ĂȘtre de ce livre est donc de montrer Ă  celles et ceux qui le liront que rien n’est jouĂ©, qu’il est encore possible d’agir efficacement » (p 11).

Jacques Lecomte a donc entrepris un travail considĂ©rable d’analyse des textes en les confrontant avec d’autres recherches et avec les donnĂ©es pouvant ĂȘtre mises en Ă©vidence. Et par exemple, la prĂ©diction de telle pĂ©nurie de matiĂšres premiĂšres Ă  telle date s’est-elle rĂ©alisĂ©e ?

Le livre se compose de deux parties : la critique des points fondamentaux de l’approche effondriste ; une analyse des modes de pensĂ©e entrainant des dĂ©rives dans les conclusions. Nous nous limiterons ici Ă  une courte prĂ©sentation de la remise en cause de conclusions effondristes.

 

Les pionniers de l’effondrisme. ProphĂ©ties ratĂ©es et cruautĂ© politique
Quels sont les auteurs  auxquels les penseurs de l’effondrisme se rĂ©fĂ©rent et dont ils s’inspirent ? En quoi leurs thĂ©ories sont-elles profondĂ©ment critiquables ?

« Nous ne pouvons comprendre les effondristes contemporains que si nous analysons en premier lieu les pensĂ©es et les actes des prĂ©curseurs dont ils se disent hĂ©ritiers. Ces auteurs sont gĂ©nĂ©ralement prĂ©sentĂ©s par les effondristes comme des sources scientifiquement et moralement fiables. Il s’agit principalement de Thomas Malthus, Paul Ehrlich, Garrett Hardin, Denis Meadow et ses collĂšgues, Jared Diamond » (p 21). Jacques Lecomte nous montre Ă  travers des citations de personnalitĂ©s effondristes combien ils sont influencĂ©s par la pensĂ©e Malthusienne. Le livre majeur de Malthus, publiĂ© en 1798, est intitulé : « Essai sur le principe de population ». L’idĂ©e centrale de ce livre est que « la population humaine augmente Ă  un rythme bien plus rapide que notre capacitĂ© Ă  produire l’alimentation nĂ©cessaire ». Jacques Lecomte rappelle les incidences cruelles de la pensĂ©e malthusienne qui impute leur sort aux pauvres et n’hĂ©site pas Ă  considĂ©rer la mortalitĂ© comme un moyen de limiter la population. Sa thĂ©orie a inspirĂ© des mesures grossiĂšrement antisociales dans l’Angleterre du XIXe siĂšcle. A partir des donnĂ©es existantes, Jacques Lecomte rĂ©fute les thĂšses de Malthus : « Il n’y a pas augmentation exponentielle de la population
 La production alimentaire suffit Ă  nourrir la population mondiale
 Les famines ne rĂ©sultent pas des pĂ©nuries alimentaires, mais de choix politiques
 C’est la pauvretĂ© qui entraine la croissance dĂ©mographique, non l’inverse
 L’aide sociale n’incite pas les pauvres Ă  se reproduire  » (p 26-28). L’auteur dĂ©crit « les terribles consĂ©quences des pratiques malthusiennes » comme la grand famine en Irlande (1845-1850) et la grande famine en Inde (1876-1875) (p 30-31).

Ce tableau est si sombre qu’on peut se demander comment des auteurs peuvent aujourd’hui Ă©voquer son inspiration « Malthus a Ă©tĂ© le premier auteur Ă  introduire la notion de raretĂ© en Ă©conomie. C’est surtout Ă  ce titre qu’il est suivi par des auteurs contemporains qui s’affirment malthusiens ou nĂ©o-malthusiens  » Les emprunts Ă  sa pensĂ©e varient Ă©galement. « Malthus se prĂ©occupait surtout de la production alimentaire tandis que les continuateurs actuels soulignent que les ressources naturelles sont limitĂ©es. C’est l’interprĂ©tations que soulignent Pablo Servigne et RaphaĂ«l Stevens
 en nous rappelant que nous ne pouvons pas croĂźtre indĂ©finiment dans un monde fini ». Mais, nous dit Jacques Lecomte : « On ne peut prĂ©senter Malthus comme un Ă©cologiste avant l’heure, alors que sa prĂ©occupation Ă©tait toute autre, et ses propositions particuliĂšrement brutales » (p 24).

Lorsqu’on s’oppose Ă  une croissance sans frein gĂ©nĂ©ratrice du dĂ©sordre naturel, on considĂšre souvent le rapport Meadows, le rapport du Club de Rome publiĂ© en 1972 ; les ‘limites de la croissance’ comme un avertissement prĂ©curseur. Jacques Lecomte nous montre en quoi le rapport Meadows est cependant critiquable. « Certes les auteurs du rapport Meadows dĂ©crivent des impacts nĂ©fastes de l’action humaine (dĂ©chets nuclĂ©aires, pollution de l’eau et de l’air, pesticides), mais cela reste secondaire dans l’ouvrage. L’alerte environnementale constitue moins d’un dixiĂšme du propos. Comme beaucoup d’autres Ă©crits effondristes contemporains, ce document met essentiellement en garde contre le risque de proche effondrement de notre sociĂ©tĂ© industrielle par manque de matiĂšres premiĂšres  » (p 47). Cependant, on constate maintenant que les prĂ©visions du rapport ne se sont pas rĂ©alisĂ©es. « Les dates prĂ©vues de pĂ©nurie de matiĂšres premiĂšres devant conduire Ă  l’effondrement se sont toutes rĂ©vĂ©lĂ©es fausses » (p 49). De fait, on peut voir de ‘multiples biais mĂ©thodologiques’ dans ce rapport (p 60-55). Les erreurs de prĂ©vision ne sont pas sans consĂ©quences. « Le fondement malthusien du rapport conduisait Ă  dire qu’il y a sur terre trop de personnes, comparĂ© aux ressources restreintes de la planĂšte ». Un chercheur chinois a propagĂ© cette vision en Chine et « la politique de l’enfant unique » en a Ă©tĂ© une « tragique application » (p 62-63).

Jacques Lecomte Ă©voque un autre auteur qui est maintenant renommĂ© et exerce une influence auprĂšs des auteurs effondristes. Jared Diamond est devenu cĂ©lĂšbre en publiant en 2005 un ouvrage intitulĂ©Â â€˜Effondrement’ dans lequel il affirme que « plusieurs facteurs expliquent la disparition ou la fragilisation de certaines civilisations telles que les Incas, les habitants de l’Ile de PĂąques, les Vikings
 Ces causes sont principalement des dommages environnementaux, des changements climatiques, des voisins hostiles, des rapports de dĂ©pendance avec des partenaires commerciaux et les rĂ©ponses apportĂ©es par chaque sociĂ©tĂ© Ă  ces problĂšmes. Le sous-titre ‘Comment les sociĂ©tĂ© dĂ©cident de leur disparition  ou de leur survie’ prĂ©cise bien les intentions de l’auteur » (p 64). Ce livre a rencontrĂ© un grand succĂšs. « Il est devenu un best-seller mondial trĂšs souvent citĂ© par les auteurs catastrophistes qui insistent sur les dommages environnementaux comme source d’effondrement ». Or, ces explications sont maintenant contestĂ©es. « Des dizaines d’experts, des centaines de pages ont remis en question l’ensemble de l’édifice Ă©laborĂ© par Diamond. En 2010, un groupe d‘universitaires s’est rĂ©uni Ă  l’universitĂ© de Cambridge pour analyser le concept d’effondrement en histoire et en archĂ©ologie. Un consensus a Ă©mergĂ© selon lequel l’effondrement sociĂ©tal est un concept fuyant qui rĂ©siste Ă  tout tentative de dĂ©finition simple et les vrais effondrements sociaux sont rares. Ce que constatent les spĂ©cialistes, ce sont plus des dĂ©clins et des transformations que des chutes brusques. Certes, ces chercheurs ne nient pas que des dĂ©sastres surviennent, mais ils notent une considĂ©rable rĂ©silience des peuples en rĂ©ponse Ă  toutes sortes de difficultĂ©s et changements environnementaux » (p 64). « La rĂ©silience est la rĂšgle plutĂŽt que l’exception lorsque ces sociĂ©tĂ©s ont dĂ» faire face Ă  des problĂšmes extrĂȘmes » (p 65). Jacques Lecomte Ă©tudie ensuite le cas emblĂ©matique de l’Ile de PĂąques dans le Pacifique. « Diamond affirme que les habitants de l’üle ont pratiquĂ© un « écocide » en dĂ©truisant leur forĂȘt ce qui a conduit Ă  leur propre destruction » (p 66). Or, d’autres chercheurs ont contestĂ© les arguments de Diamond. Ainsi, ce n’est pas le transport des grandes statues de l’Ile de PĂąques qui a nĂ©cessitĂ© et entrainĂ© la dĂ©forestation. Et l’effondrement de la population n’a pas eu lieu avant l’arrivĂ©e des europĂ©ens. Ces critiques sont trop souvent ignorĂ©es par les medias qui continuent Ă  faire l’apologie du livre de Diamond (p 66-70).

En conclusion de ce chapitre, Jacques Lecomte rĂ©itĂšre sa critique du rapport Meadows en s’inspirant d’un autre modĂšle, celui du rapport Bariloche, qui, Ă  l’encontre d‘une croissance zĂ©ro, met en Ă©vidence les besoins des pays non occidentaux. « Les problĂšmes les plus importants que le monde moderne doit affronter ne sont pas d’ordre physique, mais sociopolitique et proviennent d‘une distribution inĂ©gale du pouvoir tant sur le plan international qu’au sein des pays eux-mĂȘmes » (p 72). « Une autre vision – humaniste – du monde est possible » conclut Jacques Lecomte (p 71).

 

Une autre composante de l’effondrisme :  une annonce de la pĂ©nurie de matiĂšres premiĂšres

Jacques Lecomte consacre un chapitre Ă  rĂ©futer la thĂšse d’une pĂ©nurie imminente de matiĂšres premiĂšres : « La pĂ©nurie imminente de matiĂšres premiĂšres constitue la piĂšce maĂźtresse de l’effondrisme. Enlevez pĂ©trole, charbon, gaz, mĂ©taux et minerais, et notre civilisation moderne s’effondre
 Le pic de matiĂšres premiĂšres, c’est-Ă -dire le moment oĂč la production mondiale atteint son maximum, puis dĂ©cline, est donc au cƓur de ce discours. Or affirmer que nous sommes au bord d’une pĂ©nurie mondiale de matiĂšres premiĂšres rĂ©sulte d’une lecture biaisĂ©e des donnĂ©es scientifiques existantes ». L’auteur peut ainsi relever un grand nombre de prĂ©dictions alarmistes qui se sont rĂ©vĂ©lĂ©es fausses. « Depuis 1860, on observe de multiples alertes sans fondement ». Bien plus, Jacques Lecomte renverse cette perspective : une gestion Ă©conome des ressources est un moyen de lutter contre une croissance effrĂ©nĂ©e. « Le vrai problĂšme n’est pas que nous allons manquer de pĂ©trole et de minerais, mais que nous en avons beaucoup trop Ă  disposition. L’enjeu majeur n’est dons pas l’imminence de la pĂ©nurie de matiĂšres premiĂšres, mais la dĂ©cision de laisser dans le sol des quantitĂ©s considĂ©rables de ces produits » (p 75-76). Les nombreuses analyses de ce chapitre se fondent sur des Ă©tudes de cas particuliĂšrement documentĂ©es. L’approche est logique : «  Croire ou se faire croire Ă  la pĂ©nurie imminente de matiĂšres premiĂšres, c’est perpĂ©tuer le systĂšme actuel. Un monde reposant essentiellement sur une Ă©nergie carbonĂ©e et c’est inacceptable d’un point de vue environnemental » (p 102). « La transition Ă©nergĂ©tique par contrainte liĂ©e au pic des matiĂšres premiĂšres est un mythe. En revanche, l’essor de cette transition par dĂ©cision est possible  » (p 103).

 

Le climat. « Comment les effondristes maltraitent les rapports du GIEC et se trompent sur les peuples du sud ».

Nous voici en prĂ©sence du problĂšme majeur : la menace d’un bouleversement climatique. Sur ce point, nous avons tous besoin d’un Ă©clairage objectif et porteur d’un espoir mobilisateur. L’apport de Jacque Lecomte va se rĂ©vĂ©ler prĂ©cieux.

« Le changement climatique est le problĂšme environnemental majeur. Nous sommes alertĂ©s depuis plus de trente ans par les rapports successifs du CIEC (groupe intergouvernemental sur l’évolution de climat), ce rĂ©seau international d’experts, dont la mission est d’évaluer et de diffuser l’état des connaissances sur le rĂ©chauffement climatique et ses consĂ©quences » (p 105). Les travaux du GIEC sont devenus de plus en plus prĂ©cis et assurĂ©s. « Le consensus scientifique sur l’origine humaine du rĂ©chauffement climatique est aujourd’hui impressionnant ». On peut constater que la plupart de ses prĂ©dictions climatiques se rĂ©vĂšlent exactes (p 106). Jacques Lecomte remarque alors que les messages du GIEC peuvent ĂȘtre dĂ©formĂ©s aussi bien par les effondristes que par les climatosceptiques. Il sait critiquer certains articles envisageant «une terre bientĂŽt inhabitable » (p 111-117) en montrant combien leurs rĂ©fĂ©rences sont peu fiables et en mentionnant les oppositions qui leur sont faites. Dans certains cas, Jacques Lecomte redresse quelques images catastrophiques qui viennent alimenter notre eco-anxiĂ©tĂ© telles qu’un probable engloutissement du Bangladesh ou des Ăźles des ocĂ©ans Indien et Pacifique sous les eaux.

« Le Bangladesh est l’un des pays les plus sujets aux catastrophes naturelles, indĂ©pendamment mĂȘme du changement climatique. Environ 80% du Bangladesh est composĂ© de l’immense delta du Bengale alimentĂ© par trois fleuves
 Chaque annĂ©e, entre un cinquiĂšme et un tiers du pays est inondĂ© et ce taux peut s’élever jusqu’à 70%. Il s’agit d’inondations temporaires. La plus grande partie du pays est situĂ©e Ă  moins de 10 mĂštres au-dessus du niveau de la mer et les vastes zones cĂŽtiĂšres Ă  moins de 1 mĂštre  » (p 118). Toutefois, ces inondations sont Ă  la fois destructrices et productrices en dĂ©pĂŽt d’alluvions. Selon le GIEC, la mer s’élĂšvera de 26 cm Ă  98 cm en 2100. Mais les consĂ©quences sont Ă©valuĂ©es diffĂ©remment selon les auteurs. Jacques Lecomte rĂ©fute un scĂ©nario dramatique. Il se rĂ©fĂšre Ă  un gĂ©ographe anglais expert du Bengale, Hugh Brammer. « Selon lui, la gĂ©ographie physique et la zone cĂŽtiĂšre du Bangladesh sont plus diverses et dynamiques qu’on ne le pense gĂ©nĂ©ralement. C’est une erreur de penser que cette Ă©lĂ©vation va submerger la cĂŽte » (p 119). Et, en raison des alluvions apportĂ©s par les fleuves, on note mĂȘme des gains de terre au long des annĂ©es. Par ailleurs, les habitants de ce pays ne sont pas passifs. On peut constater de nombreuses innovations. Et, par exemple, « de vastes bĂątiments sur pilotis en bĂ©ton ont Ă©tĂ© construits ». Ils servent de refuge en cas d’inondation. En mĂȘme temps, les services d’alerte sont perfectionnĂ©s. On observe dans ce pays une grande ingĂ©niositĂ©. On y compte, par exemple, de multiples innovations agricoles comme des variĂ©tĂ©s de riz rĂ©sistantes Ă  la salinité  Una attention particuliĂšre est portĂ©e aux « charlands », ces iles qui se forment grĂące Ă  l’accumulation des sĂ©diments. « Lorsque le « charland » est stabilisĂ©, l’État met en place un systĂšme permettant Ă  des familles de devenir propriĂ©taires du lieu qu’elles occupent. La gestion des ressources naturelles est communautaire ». A la lecture de cette description, notre reprĂ©sentation change. « En parlant de 60 millions de Bangladais privĂ©s de terre, les effondristes nous les prĂ©sentent comme une masse indiffĂ©renciĂ©e et impuissante, alors qu’il s’agit de personnes actives et efficaces, gĂ©nĂ©ralement structurĂ©es en communautĂ©s solidaires. ConfrontĂ©s Ă  l’adversitĂ© depuis toujours, les Bangladais ont su faire preuve de crĂ©ativitĂ© et obtiennent de remarquables rĂ©sultats » (p 124).

Jacques Lecomte nous permet Ă©galement de reconnaitre le potentiel de rĂ©sistance des Ăźles du Pacifique menacĂ©es par la montĂ©e du niveau de la mer. De fait, les phĂ©nomĂšnes naturels ne comportent pas uniquement des aspects nĂ©gatifs. Ainsi « les vagues transportent, puis dĂ©posent sur la cĂŽte du sable, du gravier, et des parties de coraux  ». D’autre part, les coraux sont des organismes rĂ©actifs. Un expert peut Ă©crire : « L’accumulation de donnĂ©es scientifiques montre que les Ăźles rĂ©agissent Ă  l’élĂ©vation du niveau de la mer. De nombreuses possibilitĂ©s d’adaptation permettent aux habitants des Ăźles de continuer Ă  mener une bonne vie. Le dĂ©fi est de savoir comment y arriver, ce qui est politique  » (p 128). « On ne doit pas minimiser l’importance de la rĂ©silience et des actions des communautĂ©s locales » souligne Jacques Lecomte.

Au total, ce chapitre nous parait analyser en profondeur les problĂšmes en recherchant, en mĂȘme temps, les voies de solution. Ainsi, intitule-t-il son dernier texte ‘Face aux mythes dĂ©primants et stigmatisants, une rĂ©alitĂ© porteuse d’espĂ©rance’. LĂ  encore, il apporte un exemple positif. Face aux tensions et aux conflits suscitĂ©s par le problĂšme du partage de l’eau, il nous dĂ©crit « les frĂ©quents exemples de diplomatie de l’eau ». C’est par la nĂ©gociation et la coopĂ©ration que les problĂšmes partagĂ©s ont le plus de probabilitĂ©s d’ĂȘtre rĂ©glĂ©s » (p 150).

 

La biodiversité. Dramatiser la crise est aussi néfaste que la nier

« La nature est en danger. C’est incontestable ». « Une partie de la biodiversitĂ© est clairement en grande difficulté ». L’auteur en donne quelques exemples : « la rĂ©duction des Ă©cosystĂšmes sauvages » ; « l’effondrement de nombreuses espĂšces d’amphibiens » ; « le dĂ©clin des insectes » ; « le dĂ©clin des oiseaux communs d’Europe et d’AmĂ©rique du Nord ». Comment Jacques Lecomte envisage-t-il la situation ? « Tout cela est prĂ©occupant. Il n’y a donc nul besoin de noircir le tableau pour en percevoir la gravitĂ©. C’est malheureusement ce qui est souvent fait, que ce soit par des experts, des militants, ou des journalistes. J’analyse dans les pages qui suivent des arguments frĂ©quemment mis en avant par des partisans d’une vision catastrophique. L’information objective sur les problĂšmes diffĂšre nettement de l’extrĂ©misme catastrophique » (p 165). L’auteur critique notamment la prĂ©diction d’une prochaine « extinction ce masse ». Il y a un immense Ă©cart entre les prĂ©dictions catastrophiques d’espĂšces devant s’éteindre (jusqu’à un million) et la rĂ©alitĂ© (quelques centaines en plusieurs siĂšcles) (p 166). De fait il y a des espĂšces perdantes, mais aussi des gagnantes grĂące Ă  l’action militante » (p 169). Ainsi, si il y a une perte massive de certains oiseaux familiers en Europe ( alouette, Ă©tourneau, moineau domestique), il y aussi des espĂšces rares et menacĂ©es qui se portent mieux. « Par exemple, la population des grues cendrĂ©es a Ă©tĂ© multipliĂ©e par 5. Les oiseaux rares europĂ©ens sont en pleine renaissance. De forts progrĂšs qui consacrent des annĂ©es d’efforts des naturalistes et des politiques de protection » (p 171). Au total, « il n’y a donc pas un effondrement gĂ©nĂ©ralisĂ© de la biodiversitĂ©, mais plutĂŽt trois situations. Une majoritĂ© d’espĂšces sont stables. Il y a le groupe minoritaire des espĂšces perdantes et les espĂšces gagnantes » (p 170). L’auteur fait apparaitre des biais dans l’examen des espĂšces menacĂ©es. Ainsi, « lorsqu’une espĂšce entre dans la catĂ©gorie ‘prĂ©occupation mineure’, elle ne peut plus jamais s’amĂ©liorer, mĂȘme si sa population augmente considĂ©rablement » (p 184). En France, de nombreux mammifĂšres sont en grande augmentation, tels les chevreuils, les cerfs, les chamois, les castors, les sangliers. Les castors se sont multipliĂ©s par 100 en un siĂšcle (p 185). Sur de nombreuses pages, l’auteur procĂšde Ă  un examen dĂ©taillĂ© des informations sur des pertes jugĂ©es catastrophiques. Par un travail minutieux, la confrontation de recensements, il met en Ă©vidence des abus de dramatisation. Il montre notamment les rĂ©ussites des lĂ©gislations protectrices, par exemple dans le cas des rhinocĂ©ros d’Afrique et des loutres de mer (p 204-208).

Ainsi apparait un tableau moins sombre que celui qui nous est présenté par les médias.

On peut se demander si cette moindre dramatisation ne risque pas d’engendrer une dĂ©mobilisation. Jacques Lecomte s’est posĂ© cette question et il y rĂ©pond. « Pour ma part, en Ă©crivant ce chapitre, ne serais-je pas en train de tirer contre mon propre camp, celui des amoureux de la nature ? Je ne le pense pas pour trois raisons ; d’objectivitĂ© et de crĂ©dibilitĂ©, d’efficacité ; de vision existentielle. » (p 211). « Si on nous donne l’impression que la situation est dĂ©sespĂ©rĂ©e, on pensera qu’il est trop tard pour changer de cours. Ce qui est faux. Quand on prend des mesures Ă©nergiques, on obtient des rĂ©sultats
 Les recherches en sciences humaines montrent que la communication par les expĂ©riences positives et l’espoir est plus efficace que la communication par la catastrophe. Informer prioritairement sur la baisse de la biodiversitĂ©, voire sur les risques d’extinction d’espĂšces, Ă©tait certainement utile, il y a une cinquantaine d’annĂ©es, et cette dĂ©marche a conduit Ă  prendre des mesures, dont certaines se sont rĂ©vĂ©lĂ©es trĂšs efficaces. Mais la situation n’est plus la mĂȘme aujourd’hui, car, Ă  cĂŽtĂ© des menaces pesant sur la nature, nous disposons d’une histoire riche de multiples succĂšs, qu’il est nĂ©cessaire de faire connaitre pour les multiplier » (p 211). « Une derniĂšre raison pour laquelle j’assume pleinement l’orientation de ce chapitre est existentielle. Je considĂšre que s’émerveiller de la renaissance de la nature est une source de sens Ă  la vie bien plus puissante que d’ĂȘtre obnubilĂ© par sa destruction » (p 213). Le chapitre se conclut par une rĂ©flexion stratĂ©gique. Comment amĂ©liorer la conservation de la nature et la protection de la biodiversité ? De plus en plus, en partageant les expĂ©riences de rĂ©ussite des actions entreprises.

 

Comment se produisent les dĂ©formations dans l’apprĂ©hension du rĂ©el qui abondent dans la pensĂ©e effondriste ?

Jacques Lecomte consacre la seconde partie de son livre Ă  une confrontation avec la pensĂ©e effondriste et, en d’autres termes, avec la collapsologie. On se reportera particuliĂšrement au chapitre sur les biais cognitifs. Une citation de Karl Popper exprime bien les intentions qui instruisent ce chapitre : « Si nous ne prenons pas une attitude critique, nous trouverons toujours ce que nous dĂ©sirons ; nous rechercherons, et nous trouverons la confirmation ; nous Ă©viterons et nous ne verrons pas tout ce qui peut ĂȘtre dangereux pour nos thĂ©ories favorites. De cette façon, il n’est que trop aisĂ© d’obtenir ce qui semble une preuve irrĂ©sistible en faveur d’une thĂ©orie qui, si on l’avait approchĂ© d’une façon critique, aurait Ă©tĂ© rĂ©futĂ©e ».

Ce livre porte sur des questions fondamentales. Comment faire face aux menaces vis-Ă -vis de la poursuite de notre humanité dans son environnement naturel ? Et donc comment Ă©valuer cette menace et dĂ©velopper de bonnes stratĂ©gies ? Dans cette recherche, ce livre est trĂšs original dans sa quĂȘte d’objectivitĂ© et son approche positive. En s’affrontant Ă  la collapsologie et Ă  la pensĂ©e effondriste, il nous prĂ©munit vis-Ă -vis de la tentation du dĂ©faitisme, il vient nous encourager dans l’espĂ©rance. Oui, « s’émerveiller de la renaissance de la nature est une source de sens Ă  la vie ».

Cependant, ce livre se caractĂ©rise par un travail considĂ©rable dans la confrontation des donnĂ©es et la recherche des sources. il nous apprend Ă  Ă©valuer l’information dans un monde oĂč cette dĂ©marche est difficile. Et, Ă  cette intention, il mobilise une immense documentation. A cet Ă©gard, c’est un outil de travail pour tous ceux qui travaillent dans les mĂ©dias. Il y a trop d’idĂ©es toutes faites dans une fascination de la dramatisation. Cet ouvrage est donc un livre de rĂ©fĂ©rence. Ici, Jacques Lecomte poursuit son Ɠuvre qui est de nous Ă©clairer dans une approche positive.

J H

 

  1. L’espĂ©rance en mouvement : https://vivreetesperer.com/lesperance-en-mouvement/
  2. Jacques Lecomte. Rien n’est joué ; La science contre les thĂ©ories de l’effondrement. Les ArĂšnes, 2023
  3. La bonté humaine : https://vivreetesperer.com/la-bonte-humaine/
  4. Vers un nouveau climat de travail dans des entreprises humanistes et conviviales : https://vivreetesperer.com/vers-un-nouveau-climat-de-travail-dans-des-entreprises-humanistes-et-conviviales-un-parcours-de-recherche-avec-jacques-lecomte/
  5. En 2017, Jacques Lecomte avait dĂ©jĂ  publiĂ© un livre visant Ă  introduire un regard positif dans l’observation des rĂ©alitĂ©s contemporaines : « Le monde va beaucoup mieux que vous ne le croyez » : https://vivreetesperer.com/et-si-tout-nallait-pas-si-mal/

Agir et espérer. Espérer et agir

L’espĂ©rance comme motivation et accompagnement de l’action.

Nos activitĂ©s, nos engagements dĂ©pendent de notre motivation. Et notre motivation elle-mĂȘme requiert la capacitĂ© de regarder en avant, un horizon de vie, une dynamique d’espĂ©rance. Quel rapport entre espĂ©rance et action ? Cette question concerne tous les registres de notre existence. JĂŒrgen Moltmann apporte une rĂ©ponse thĂ©ologique Ă  cette question dans l’introduction Ă  son dernier ouvrage qui porte sur l’éthique de l’espĂ©rance (Ethics of hope ») (1)

 

Qu’est-ce que nous pouvons espĂ©rer ? Que pouvons-nous faire ? Un espace pour l’action.

L’espĂ©rance, nous dit Moltmann, suscite notre motivation. Peut-on agir si nous avons l’impression de nous heurter Ă  un mur ? A un certain point, le volontarisme trouve sa limite. Dans l’histoire, on a vu des groupes se dĂ©liter parce qu’ils avaient perdu une vision de l’avenir. Pour agir, nous avons besoin de croire que notre action peut s’exercer avec profit. « Nous devenons actif pour autant que nous espĂ©rions », Ă©crit Moltmann. « Nous espĂ©rons pour autant que nous puissions entrevoir des possibilitĂ©s futures. Nous entreprenons ce que nous pensons ĂȘtre possible ».

Ce regard inspire nos comportements sur diffĂ©rents registres, dans la vie quotidienne, mais aussi dans la vie en sociĂ©tĂ©. « Si, par exemple, nous espĂ©rons que le monde va continuer comme maintenant, nous garderons les choses telles qu’elles sont. Si, par contre, nous espĂ©rons en un avenir alternatif, alors nous essaierons dĂšs maintenant de changer les choses autant que faire se peut ».

 

Que dois-je craindre ? Qu’est-ce que je peux faire ? L’action : une nĂ©cessitĂ©.

 « Nous pensons Ă  l’avenir, non seulement en fonction d’un monde meilleur, mais aussi, et peut-ĂȘtre plus encore, en fonction de nos anxiĂ©tĂ©s et de nos peurs ». Il est important et nĂ©cessaire de percevoir les dangers. Nos peurs interviennent alors comme une alerte.

La peur affecte Ă©galement nos comportements. L’anxiĂ©tĂ© attire notre attention sur les menaces. Nous faisons face au danger avec d’autant plus d’énergie que nous percevons l’efficacitĂ© de notre action. « Une Ă©thique de la crainte nous rend conscient des crises. Une Ă©thique de l’espĂ©rance perçoit les chances dans les crises ».

 

EspĂ©rance chrĂ©tienne.  D’un monde ancien Ă  un monde nouveau.

Dans les textes apocalyptiques juifs et chrĂ©tiens, la fin des temps est Ă©voquĂ©e dans des scĂ©narios catastrophiques, « mais, en mĂȘme temps, la dĂ©livrance Ă  travers un nouveau commencement divin est proclamĂ© avec d’autant plus de vigueur ». Ainsi, « rien de moins que l’Esprit de Dieu sera rĂ©pandu pour que tout ce qui est mortel puisse vivre ». (JoĂ«l 2. 28-32. Actes 2 16-21). PortĂ© par l’Esprit divin, la nouvelle crĂ©ation de toutes choses commence lorsque le monde ancien s’efface . Motmann cite le poĂšte Friedrich Hölderlin : « LĂ  oĂč est le danger, la dĂ©livrance croit aussi ». « L’éthique chrĂ©tienne de l’espĂ©rance apparaĂźt dans la mĂ©moire de la rĂ©surrection du Christ crucifiĂ© et attend donc l’aube du nouveau monde suscitĂ© par Dieu dans l’effacement de l’ancien ». C’est une forme de mĂ©tamorphose. La transformation est dĂ©jĂ  en cours. « L’espĂ©rance chrĂ©tienne est fondĂ©e sur la rĂ©surrection du Christ et s’ouvre Ă  une vie Ă  la lumiĂšre du nouveau monde suscitĂ© par Dieu. L’éthique chrĂ©tienne anticipe,  dans les potentialitĂ©s de l’histoire, la venue (« coming » universelle de Dieu ».

 

Prier et observer.

Si l’on espĂšre, la priĂšre s’inscrit dans une attente et, en consĂ©quence, elle s’accompagne d’une observation de ce qui se passe et va se passer : prier et observer. « En observant, nous ouvrons nos yeux et reconnaissons le Christ cachĂ© qui nous attend dans les pauvres et les malades (Matthieu 25. 37)
 L’attention Ă  l’éveil messianique se manifeste Ă  travers les signes des temps dans lesquels le futur de Dieu est annoncĂ© de telle façon que l’action chrĂ©tienne inspirĂ©e par l’espĂ©rance, devienne anticipation du royaume qui vient, dans lequel justice et paix s’embrassent mutuellement ».

 

Attendre et se hĂąter.

« Dans l’espĂ©rance de l’avenir divin, tous les thĂ©ologiens de ComĂ©nius Ă  Blumhardt ont mis l’accent sur ces deux attitudes : attendre et se hĂąter ». Attendre ne veut pas dire adopter une attitude passive, mais au contraire regarder en avant : « La nuit est avancĂ©e. Le jour est proche » (Romains 15.12). Attendre, c’est aussi s’attendre. « La venue de Dieu, Dieu qui vient, engendre une puissance de transformation dans le prĂ©sent ». « Dans la tension de l’attente, nous nous prĂ©parons Ă  l’avenir divin et cet avenir gagne en force dans notre prĂ©sent ».

Et aussi, nous ne nous rĂ©signons pas Ă  l’injustice et Ă  la violence. Les gens qui attendent la justice de Dieu ne peuvent plus supporter la rĂ©alitĂ© actuelle comme un fait obligĂ© « parce qu’ils savent qu’un monde meilleur est possible et que des changements sont aujourd’hui nĂ©cessaires ».

L’attente s’exerce dans une foi fidĂšle : « L’espĂ©rance ne donne pas seulement des ailes Ă  la foi.  Elle donne aussi Ă  cette foi le pouvoir de tenir ferme et de persĂ©vĂ©rer jusqu’au bout ».

Il y a aussi un double mouvement : attendre et se hĂąter. « Se hĂąter dans le temps signifie traverser la frontiĂšre entre la rĂ©alitĂ© prĂ©sente et la sphĂšre de ce qui est possible dans l’avenir ». En traversant cette frontiĂšre, nous anticipons l’avenir que nous espĂ©rons. « Ne pas prendre les choses comme elles sont, mais les voir comme elles peuvent ĂȘtre dans l’avenir  et amener dans le prĂ©sent cette potentialitĂ©, ce pouvoir ĂȘtre, c’est nous ouvrir Ă  l’avenir ». Le prĂ©sent apparaĂźt comme une transition entre ce qui a Ă©tĂ© et ce qui sera.

« Regarder en avant, percevoir les possibilitĂ©s et anticiper ce que sera demain, tels sont les concepts fondamentaux d’une Ă©thique de l’espĂ©rance. Aujourd’hui, attendre et se hĂąter dans la perspective du futur signifient rĂ©sister et anticiper ».

Jean Hassenforder

 

(1)            Moltmann (JĂŒrgen). Ethics of Hope. Fortress Press, 2012. Ce livre a Ă©tĂ© traduit par Margaret Kohl Ă  partir de la premiĂšre Ă©dition publiĂ©e en allemand en 2010 : Ethik der Hoffnung. Dans cet ouvrage, JĂŒrgen Moltmann fait le point sur sa pensĂ©e aprĂšs plusieurs dĂ©cennies de rĂ©flexion thĂ©ologique. Ce texte est Ă©crit Ă  partir de l’introduction Ă  laquelle les citations sont empruntĂ©es (p 3-8).

 

 

Sur ce blog , d’autres articles sur la pensĂ©e de JĂŒrgen Moltmann :

« Le Dieu vivant et la plénitude de vie » : https://vivreetesperer.com/?p=2697

https://vivreetesperer.com/?p=2413

« Dieu vivant, Dieu prĂ©sent, Dieu avec nous dans un monde oĂč tout se tient » https://vivreetesperer.com/?p=2267

« L’avenir inachevĂ© de Dieu. Pourquoi c’est important pour nous !  » : https://vivreetesperer.com/?p=1884

RĂ©inventer les aurores (1)

https://images2.medimops.eu/product/4124ad/M02213713006-large.jpgSelon HaĂŻm Korsia

« C’est par la faille que jaillit la lumiĂšre ». Cette phrase fut prononcĂ©e par, HaĂŻm Korsia, grand rabbin de France, au cours d’une Ă©mission de grande Ă©coute, qui Ă©numĂ©rait les innombrables Ă©preuves que la France traverse en cette pĂ©riode de pandĂ©mie. L’incurie de nos gouvernants Ă©tait fortement Ă©voquĂ©e.

Sa parole lumineuse et forte fait Ă©cho Ă  toute une tradition judĂ©o-chrĂ©tienne qui porte en elle cette certitude multisĂ©culaire : la crise que nous traversons rĂ©vĂšle notre faiblesse mais c’est peut-ĂȘtre lĂ  que se trouve la source d’une eau vive et d’une croissance intĂ©rieure inattendue.  Pour Albert Camus aussi, la souffrance est un trou et la lumiĂšre vient de ce trou.

C’est aussi ce que dit, en chantant, le grand Leonard Cohen : « There is a crack in everything. That’s how the light gets in » De mĂȘme, c’est ce qu’exprime Pierre Soulages avec l’outrenoir, ses grands tableaux couverts d’aplats de noirs qui jouent avec la lumiĂšre. À 100 ans, il offre la couverture de ce livre Ă  son ami HaĂŻm.

Il suffit parfois d’un angle de vue pour changer de monde et le monde. C’est Ă  cela que nous invite HaĂŻm Korsia. Il s’agit, nous dit-il, de reconstituer, maille aprĂšs maille, le tissu de la sociĂ©tĂ© menacĂ©e par tout ce qui la dĂ©lite, de la peur Ă  la haine. Il nous invite Ă  faire appel aux forces de l’imaginaire alliĂ©es Ă  celles de la raison pour rĂ©inventer une sociĂ©tĂ© plus juste, rĂ©inventer les aurores. Il y a lĂ , comme un manifeste contre l’indiffĂ©rence, un plaidoyer pour la fraternitĂ©. En des termes simples et forts, il nous aide Ă  penser une politique de la jubilation et du bonheur retrouvĂ©.

Son projet politique pour aujourd’hui, est bien celui du retour Ă  l’espĂ©rance. Nous y avons notre place : l’État ne peut pas tout. Il ne peut que ce que les citoyens sont prĂȘts Ă  faire. Le rĂȘve d’une sociĂ©tĂ© heureuse implique des efforts collectifs et individuels.

RĂ©inventer les aurores de la RĂ©publique.  C’est bien de cela qu’il s’agit dans cet ouvrage qu’on a plaisir Ă  lire. La langue est belle, simple et lumineuse. Ses propos reposent sur une connaissance fine, prĂ©cise et lucide de la France d’aujourd’hui, celle qui souffre de la pandĂ©mie et du confinement, celle des Gilets jaunes et autres Ă©vĂ©nements qui marquent notre quotidien aujourd’hui. Car, on se doit de « penser ce moment pour ce qu’il dit. Il y a lĂ , un immense questionnement sur notre sociĂ©tĂ©, sur notre modĂšle, sur notre rapport Ă  l’étranger, au pauvre, au rĂ©fugiĂ©, sur la violence des impĂ©ratifs de performance et de rentabilitĂ© qui s’exercent sur nous et sur les autres au quotidien, sur le sens de notre existence. »

Si l’on refuse la passivitĂ©,  au cƓur de la nuit, il y a une espĂ©rance, une ouverture. C’est alors que des personnes diffĂ©rentes, d’horizons et de cultures diffĂ©rents, se sentent invitĂ©es Ă  participer Ă  une intelligence collective, enrichie de toutes ses pĂ©pites uniques et ainsi de refaire sociĂ©tĂ©. Il s’agit, en effet, d’échanger pour retrouver notre capacitĂ© Ă  inventer de nouveaux possibles.

Son idĂ©e de la RĂ©publique est Ă©clairĂ©e par son judaĂŻsme profondĂ©ment ouvert aux autres formes de spiritualitĂ© et de cultures. « Ce n’est pas le livre d’un Juif pour les Juifs, dit-il, mais la rĂ©flexion que peut offrir un homme porteur de la part juive de la France, s’adressant Ă  l’ensemble de ses concitoyens. » Il nous donne, ainsi, sa vision de textes fondamentaux qui ouvrent sur une espĂ©rance active pour aujourd’hui. GrĂące Ă  lui, l’Exode, les HĂ©breux dans le dĂ©sert, MoĂŻse, prennent vie et nous Ă©clairent.

Le rĂȘve est au cƓur du judaĂŻsme, nous dit-il. Juif ou non juif, nous nous retrouvons tous Ă  Ă©couter sa parole, parce qu’elle repose sur un regard lucide, exigeant sur notre actualitĂ©. Son espĂ©rance nous incite Ă  partir Ă  sa suite, pour retrouver notre capacitĂ© Ă  inventer de nouveaux possibles, notre rĂȘve commun, un socle et un idĂ©al, grĂące auxquels, chacun accepte de rogner un tout petit peu sur ses propres privilĂšges – les farouches critiques de l’État diraient sur les libertĂ©s – au profit du bien commun.

L’erreur souvent est de ne voir que notre passĂ©. « Il y a lĂ , comme un vieillissement de l’ñme, un manque de confiance d’une sociĂ©tĂ© dans son avenir. Ouvrons-nous aux nouvelles idĂ©es, aux nouveaux possibles. Car, il s’agit bien de trouver le souffle des premiers matins de la RĂ©publique. L’essentiel se joue dans la dĂ©finition de notre dĂ©sir commun de faire sociĂ©tĂ©. »

Le seul combat qui vaille est celui qui vise Ă  un monde plus juste, plus ouvert sur l’altĂ©ritĂ©, en faisant appel aux forces de l’imaginaire alliĂ©es Ă  celles de la raison pour rĂ©inventer une telle sociĂ©tĂ©. Il faut pour cela, «  rassembler les Ă©tincelles de lumiĂšre de tous les peuples. » Il s’agit de permettre Ă  des personnes diffĂ©rentes, d’horizons et de cultures diffĂ©rents de participer. Il est vital de multiplier les opinions, d’encourager une pensĂ©e divergente qui tourne le dos au nivellement par le bas de l’opinion publique.

Il faut oser imaginer un autre monde que celui qui nous est imposĂ©. Le vĂ©ritable enjeu de notre prĂ©sent, c’est la rĂ©appropriation, par chacun, de son pouvoir. « Tout ce qui descend du haut vers le bas, sans consentement ni participation, sans explication ni tendresse, apparaĂźt inacceptable. » HaĂŻm Korsia encourage alors des pensĂ©es divergentes, militantes, comme celles de ce merveilleux film documentaire « Demain » de Cyril Dion et MĂ©lanie qui prĂ©sente de nombreuses initiatives dans le monde, rĂ©pondant aux grandes questions sociales et Ă©cologiques du moment. « C’est local dans sa mondialitĂ©, optimiste, vivant, jouissif, parce que porteur d’espoir et de bonheur. »

GeneviĂšve Patte

  • HaĂŻm Korsia. RĂ©inventer les aurores. Fayard, 2020

 

Voir aussi :

« Le film demain » : https://vivreetesperer.com/le-film-demain/

« Pour des oasis de fraternité : https://vivreetesperer.com/pour-des-oasis-de-fraternite/

« Appel à la fraternité » :

https://vivreetesperer.com/appel-a-la-fraternite/

« Penser Ă  l’avenir, selon Jean Viard »

https://vivreetesperer.com/penser-a-lavenir-selon-jean-viard/