par jean | Avr 26, 2013 | ARTICLES, Beauté et émerveillement |
Autour dâune exposition : « Chagall entre guerre et paix ».
Blaise Cendrars Ă propos de Chagall :
« Il dort, il est éveillé, il prend une église et il peint avec une église, il prend une vache et il peint avec une vache, avec une sardine⊠».xx
RĂ©sidant dans une ville en Normandie, David Gonzalez a fait le dĂ©placement pour visiter lâexposition : « Chagall entre guerre et paix », au MusĂ©e du Luxembourg. Au fil dâune conversation, il nous dit pourquoi il Ă©tait motivĂ©, ce quâil a ressenti et ce quâil en rapporte.
« Quâest ce qui mâa motivĂ© ? Lâappel du dĂ©sir. Parce que ma premiĂšre rencontre avec les peintures de Chagall sâest rĂ©alisĂ©e fortuitement Ă lâoccasion dâun mariage. Des amis prĂ©paraient leur mariage. Ils ont fait le choix de sâentourer dâamis plutĂŽt que de vivre cette attente en famille ou dans une Ă©glise. Et, au cours de lâaprĂšs-midi prĂ©cĂ©dant leur mariage, le groupe dâamis qui entourait les mariĂ©s, sous la direction dâun autre ami artiste, ont vĂ©cu un moment crĂ©atif sur le thĂšme de Chagall. Sur des nappes en papier tendues sur des tasseaux en bois, ils ont peint tous ensemble des tableaux Ă la maniĂšre de Chagall. Jâai vu ces peintures et elles me sont allĂ©es droit au cĆur. Elles mâont fait une forte impression : les rouges, les bleus, des mariĂ©s voltigeant dans le ciel, des animaux lumineux dans la nuit de villages inconnus.
Ces impressions lĂ , affectives et esthĂ©tiques, mâont donnĂ© envie dâaccrocher ces tableaux dans un petit temple anglais dâune station thermale normande qui ne sert quasiment quâaux baptĂȘmes et aux mariages. Je me suis dit que ces tableaux mettraient un peu de chaleur et de goĂ»t au milieu des boiseries et des bĂ©atitudes gravĂ©es sur les murs. Parmi ces tableaux produits au cours dâun pique-nique Ă la veille du mariage, quelques uns seulement Ă©taient vraiment exposables. Jâai donc complĂ©tĂ© ce dĂ©but dâexpo en me procurant un catalogue de lâoeuvre peinte de Chagall, puis en photocopiant et en mettant sous verre quelques uns des tableaux les plus connus de ses diverses pĂ©riodes.
Cette premiĂšre expĂ©rience pour moi, a Ă©tĂ© principalement visuelle et pratique dans un premier temps. Mais elle a aussi dĂ©posĂ© en moi deux notions trĂšs fortes : que Chagall peignait lâamour entre un homme et une femme et quâil cherchait aussi Ă illustrer le divin. Lâorigine de ces peintures en provenance dâamis amoureux et lâaccrochage dans le temple Ă©taient certainement Ă lâorigine de cette rĂ©ception thĂ©matique : Chagall , Dieu et lâamour.
Quelques annĂ©es plus tard, une amie mâa proposĂ© dâaller voir lâexposition : « Chagall entre guerre et paix » au MusĂ©e du Luxembourg. Cet approfondissement de ma relation avec la peinture de Chagall se trouvait Ă nouveau habitĂ© par lâamitiĂ© et le dĂ©sir. Jâai repensĂ© Ă Dieu dans Chagall dans les habits de lâamour. Deux remarques : jâai compris cette fois-ci que lâattention et lâĂ©tat dâesprit conditionnent entiĂšrement la rĂ©ception dâune Ćuvre. Le dĂ©sir et lâamitiĂ© mâont semblĂ© ĂȘtre la meilleure voie pour redĂ©couvrir Chagall.
Premier pas dans le trĂšs fonctionnel MusĂ©e du Luxembourg. Les rĂ©servations sont complĂštes. Nous sommes nombreux devant les tableaux. Il est vingt heures trente. Câest une expĂ©rience crĂ©pusculaire.
PremiĂšre sĂ©quence de tableaux : câest le Chagall des annĂ©es 1910. Deux toiles vertes transforment immĂ©diatement mon souvenir en dĂ©couverte. Ce nâest plus le Chagall des ciels bleu nuit et des rouges omniprĂ©sents. Il y a devant moi une peinture reprĂ©sentant une femme et son enfant devant une fenĂȘtre, et câest la lumiĂšre vĂ©gĂ©tale et le vert des tissus qui illuminent ce tableau . Plus de flou. Un tableau rĂ©aliste. Le dessin est extrĂȘmement prĂ©cis. La femme, câest Bella, et le nourrisson, câest la petite fille de Marc Chagall.
La vie sâest comme arrĂȘtĂ©e. Le cours de la vie est suspendu au prĂ©sent. Et ce prĂ©sent a la beautĂ© froide dâune foret ukrainienne. Marc Chagall me fait penser Ă Sören Kierkegaard : sa vie entiĂšre Ă©tait une attente de lâamour heureux. Câest ce que la vie lui offre. Il sâen saisit. En 1914, la guerre Ă©clate. Chagall ne peut plus revenir Ă Paris comme il le dĂ©sirait. Câest un exil. Il doit rester Ă Vitebesk. Câest une Ă©preuve et le vide dâune rĂ©clusion.
Câest la pĂ©riode russe de Chagall. Dans le prolongement du premier espace du MusĂ©e du Luxemboug, sont exposĂ©s : dessins, croquis, fusains, encres de Chine, acrylique et gouache de Chagall en exil. Câest un peuple juif qui dĂ©file sous nos yeux. Des rabbins ont la figure de Monsieur tout le monde. Des visages parfois tourmentĂ©s Ă lâextrĂȘme oĂč se lit toute lâangoisse du monde et de lâhumain. Parfois, ce sont des regards et des bouilles totalement cocasses. On voit mĂȘme un rabbin transportant la Bible sur son dos en forme dâarmoire. Des inscriptions hĂ©braĂŻques au sens Ă©nigmatique figurent sur presque chaque portrait et scĂšne de vie. Plusieurs encres de Chine et papier mine ont pour support du papier dâemballage. Peindre Chagall sur des nappes en papier correspondait bien Ă lâesprit de lâartiste. Lâart comme la vie est prĂ©caire et sans prix. En regardant cette production sans aucune couleur, Chagall campe un drame historique oĂč se marque Ă la fois, au quotidien, lâangoisse et lâhumour.
SĂ©quence suivante. Nous retrouvons les mariĂ©s de Chagall virevoltant dans un ciel nocturne comme peuplĂ© dâanimaux et de personnages bizarres. Lâun des personnages bizarres est un juif volant. Câest la figure du juif errant. Câest lâimage de lâhumain cherchant le sens de sa vie au cours de son parcours terrestre. De mĂȘme, dans la tradition hassidique, les animaux rĂ©vĂšlent quelque chose du monde de Dieu.
Nouvelle sĂ©quence. Au centre de lâexposition, se dĂ©voile une sĂ©rie dâillustrations portant sur la Bible. Elle est pour Chagall : « la plus grande source de poĂ©sie de tous les temps ». Câest un ensemble dâeaux-fortes insĂ©rĂ©es au sein de la Bible de GenĂšve. Câest le grand tableau relevĂ© Ă la gouache du roi David jouant de la lyre. Câest le don des tables de la loi Ă MoĂŻse. Ce sont les prophĂštes, les patriarches, les guerriers et les rois.
Des crucifixions, notamment un trĂšs grand triptyque font le lien entre la persĂ©cution de JĂ©sus et celle des juifs en Europe dans les annĂ©es 40. Chagall en a fait don Ă lâĂ©tat français. Comme bien souvent, lâimage de JĂ©sus dĂ©route et sa normalitĂ© questionne. Câest Ă ce moment lĂ du parcours que lâamie qui mâaccompagnait me demande si JĂ©sus Ă©tait amoureux dâune femme ou dâun homme comme le raconte plusieurs romans historiques contemporains. LâĂ©change dure dix minutes. Et câest un Ă©change pour tous puisquâun petit groupe sâest arrĂȘtĂ© Ă cĂŽtĂ© de nous pour Ă©couter discrĂštement lâĂ©change dâarguments. Nous en venons, en conclusion, Ă la question la plus pertinente : Qui est JĂ©sus pour toi ? Et nous poursuivons notre visite.
DerniĂšre sĂ©quence. Lâexposition est assez courte et nous nous retrouvons au milieu des tableaux de la derniĂšre pĂ©riode de la vie de Chagall. Fini les noirs, les rouges et les inversions chromatiques. Plus de barbes violettes, bleues ou vertes. Câest maintenant lâĂ©quilibre Ă petites touches dâun coucher de soleil dans la baie dâAntibes, des palmiers et lilas⊠Le paradis terrestre est presque lĂ . Retour Ă une rĂ©alitĂ© ensoleillĂ©e. Quelque chose sâest passĂ©. Peut-ĂȘtre Chagall a-t-il fini par aimer le monde tel quâil est. Son esprit bohĂšme semble sâĂȘtre posĂ©, mais sa peinture nâa pas fini de nous faire rĂȘver .
« Mon cirque se joue dans le ciel,
Il se joue dans les nuages, parmi les chaises.
Il se joue dans la fenĂȘtre oĂč se reflĂšte la lumiĂšre »
Marc Chagall
Le divin nâa donc pas que le visage des vieilles Ă©glises dĂ©sertes. Il se reflĂšte aussi dans la richesse des couleurs du monde, du dĂ©sir et de lâamitiĂ©, mais, pour lâapprĂ©cier, il faut aimer et se savoir aimĂ©. DĂšs lors, la vie, lâĂ©glise, la foi en JĂ©sus-Christ sont comme des vitraux qui nous disent un dĂ©sir, Ă la fois souterrain et divin, que nous soyons heureux de vivre et dâespĂ©rer ».
Contribution de David Gonzalez.
Exposition : Chagall entre guerre et paix. 21 février- 21 juillet 2013 au Musée du Luxembourg
http://www.museeduluxembourg.fr/fr/expositions/p_exposition-18/
On pourra lire Ă©galement :
« Une expĂ©rience. Un regard transformĂ©. Visiter des expositions dâart ». https://vivreetesperer.com/?p=802
par jean | Avr 8, 2012 | ARTICLES, Vision et sens |
La mort est une rĂ©alitĂ© si courante que nous risquons de lâaccepter comme une fatalitĂ©. De prĂšs ou de loin, la mort se fait entendre. Elle est tapie ou bruyante. LâactualitĂ© sâen fait constamment lâĂ©cho. En regard, pour vivre, nous avons besoin de nous situer dans une inspiration de vie, et mĂȘme de savoir quelles sont nos raisons de vivre. « Jâai mis devant toi la vie et la mort. Choisis la vie ! »(DeutĂ©ronome 30.19)
Le thĂ©ologien JĂŒrgen Moltmann nous aide Ă percevoir la mort comme le terme dâune puissance de destruction et, en regard, il proclame, en Christ, la victoire de la vie sur la mort.
Avec lui, nous pouvons analyser les processus qui mĂšnent Ă la mort. Cette analyse sâeffectue Ă diffĂ©rents niveaux.
Il est clair quâĂ travers lâexploitation, lâoppression et lâaliĂ©nation, la puissance destructrice de la mort est particuliĂšrement apparente Ă lâĂ©chelle politique. « Certaines dĂ©cisions ont des consĂ©quences incalculables pour la vie de millions de gens. Elles rendent la vie difficile et souvent impossible. Chaque jour, les faibles, les pauvres et les malades doivent lutter pour la survie.. ». Aujourdâhui, on voit aussi combien la protection du vivant est devenue un enjeu majeur.
La puissance destructrice qui mĂšne Ă la mort se fait sentir Ă©galement dans la vie sociale Ă travers le rejet, lâisolement et une solitude croissante.
Dans notre propre existence, face Ă la tentation du non sens ou de lâabandon, nous avons nous mĂȘme chaque jour Ă prendre parti chaque jour pour la vie. « Chaque matin, la vie doit ĂȘtre Ă nouveau affirmĂ©e et aimĂ©e puisque, aussi bien, elle peut ĂȘtre dĂ©niĂ©e, refusĂ©e ou rejetĂ©e ».
« Pour lutter contre la mort et ne pas abandonner, nous avons besoin de croire que la mort peut ĂȘtre vaincue⊠La rĂ©surrection de Christ porte le « oui » de Dieu Ă la vie et son « Non » Ă la mort, et suscite nos Ă©nergies vitales⊠Les chrĂ©tiens sont des gens qui refusent la mort . « Lâorigine de la foi chrĂ©tienne est une fois pour toute la victoire de la vie divine sur la mort : « La mort a Ă©tĂ© engloutie dans la victoire » (1 Cor 15.54). Câest le cĆur de lâEvangile. Câest lâEvangile de la Vie ».
Si la fĂȘte de PĂąques Ă©voque la rĂ©surrection de JĂ©sus, en quoi contribue-t-elle Ă modifier pratiquement nos reprĂ©sentations et nos comportements ?
Ici JĂŒrgen Moltmann proclame lâengagement chrĂ©tien dans le processus de la vie. « LĂ oĂč Christ est prĂ©sent, il y a la vie et il y a lâespoir dans la lutte de la vie contre la puissance de la mortâŠ. Dans un amour crĂ©atif pour la vie, nous percevons que nous ne sommes pas seulement partie prenante aux Ă©nergies naturelles de la vie. Nous expĂ©rimentons aussi « les puissances du siĂšcle Ă venir » (HĂ©b 6.5). « Au commencement, Ă©tait la Parole⊠En elle, Ă©tait la Vie et la Vie Ă©tait la lumiĂšre des hommes (Jean1.4). LâĂ©vangile de Jean est marquĂ© par une thĂ©ologie de la vie ».
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Recevons et partageons la dĂ©claration de foi que JĂŒrgen Moltmann nous exprime en ces termes : « Cette thĂ©ologie de la vie doit ĂȘtre le cĆur du message chrĂ©tien en ce XXIĂš siĂšcle. JĂ©sus nâa pas fondĂ© une nouvelle religion. Il a apportĂ© une vie nouvelle dans le monde, et aussi dans le monde moderne. Ce dont nous avons besoin, câest une lutte partagĂ©e pour la vie, la vie aimĂ©e et aimante, la vie qui se communique et est partagĂ©e, en bref la vie qui vaut dâĂȘtre vĂ©cue dans cet espace vivant et fĂ©cond de la terre » (3) .
J.H.
Source
(1) JĂŒrgen Moltmann. In the end..the beginning. Fortress presss. 2004 (Prochaine parution en français aux Ă©ditions Empreinte sous le titre : « De commencements en recommencements »
JĂŒrgen Moltmann. La venue de Dieu. Cerf,1977
(2) Life against death, p. 75-77. Dans : JĂŒrgen Moltmann. Sun of       rightneousness, arise ! Fortress Pres, 2010.
(3) Texte Ă partir de lâarticle : « La vie contre la mort » dans le blog concernant la pensĂ©e de JĂŒrgen Moltmann : http://www.lespritquidonnelavie.com/
par jean | Sep 24, 2013 | ARTICLES, Expérience de vie et relation |
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Une découverte partagée sur le blog : « Zigzag du monde ».
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        Dans une ambiance qui peut parfois nous apparaĂźtre comme morose, voir une famille en route pour un tour du monde est une source de dynamisme et dâencouragement. Et quand cette famille partage son expĂ©rience sur un blog remarquablement construit et entretenu, elle nous fait un beau cadeau. Cette expĂ©rience partagĂ©e attire la sympathie, suscite amitiĂ© et affection pour ses acteurs, petits et grands. Elle nous fait entrer dans des univers nouveaux. Et dĂ©jĂ , prendre la transsibĂ©rien de Moscou Ă PĂ©kin, nâest-ce pas un rĂȘve que nous voyons sâaccomplir. Bien dâautres destinations sont presque mythiques. Ce tour du monde est bien organisĂ©, bien prĂ©parĂ©. Il peut sâappuyer sur un rĂ©seau dâamis chrĂ©tiens, mais câest quand mĂȘme une aventure. Alors, cette famille nous apprend la confiance.
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La famille Monet
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        La famille Monet se prĂ©sente Ă nous : Trois enfants : OphĂ©lie (5 ans), Lilian (7 ans), SolĂšne (10 ans). Maman, StĂ©phanie, est professeur de français, langue Ă©trangĂšre, et Papa, Gabriel, est pasteur et professeur de thĂ©ologie pratique. Ils nous en disent beaucoup sur leurs goĂ»ts et leurs intĂ©rĂȘts, et, au jour le jour, ils nous donnent de partager le vĂ©cu de ce tour du monde. Ils font route avec confiance et ils communiquent avec nous dans cet Ă©tat dâesprit. Nous les accompagnons.
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Pourquoi ce tour du monde ? Le projet.
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        Mais pourquoi entreprendre un tour du monde pendant un an ?
        « Dâabord parce que câest un rĂȘve. DĂšs avant notre mariage, nous Ă©voquions cette possibilitĂ© dâun jour partir Ă lâaventure un an pour dĂ©couvrir le monde⊠Nous nous sommes dit que vivre cette expĂ©rience avec nos enfants pourrait ĂȘtre magnifique. Le temps est donc venu et ce rĂȘve devient rĂ©alitĂ©.
        A lâoccasion de ce tour du monde, notre dĂ©sir est de mettre lâaccent sur deux aspects que les mots visages et paysages peuvent rĂ©sumer : rencontrer des gens partout oĂč nous serons et dĂ©couvrir les beautĂ©s naturelles de notre planĂšte. Câest pourquoi, dans la mesure du possible, nous serons au maximum chez lâhabitant. Câest bien sĂ»r plus Ă©conomique et surtout cela nous permet dâentrer en contact avec les personnes, de tisser des liens humains. Notre parcours a dâailleurs Ă©tĂ© pensĂ© en fonction de certains lieux naturels et dans la majoritĂ© des endroits oĂč nous serons, nous privilĂ©gierons la dĂ©couverte de la nature.
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        Ce tour du monde, câest donc aussi lâoccasion de prendre une annĂ©e sabbatique. Notre vie a Ă©tĂ© plutĂŽt trĂ©pidante⊠Bref, mĂȘme si nous ne serons pas inactifs au cours de cette annĂ©e, lâ idĂ©e est bien de dĂ©connecter, de nous ressourcer, de prendre le temps, de lĂącher prise par rapport aux multiples engagements qui remplissent nos vies au point parfois de nous faire manquer lâessentiel.
        Enfin ce projet, câest aussi une expĂ©rience familiale⊠Vivre ces temps ensemble et voyager ainsi tous les cinq est pour nous lâoccasion de faire grandir les liens qui nous unissentâŠ
        Un dernier mot pour expliquer le nom de ce blog : www.zigzagdumonde.com « Le blog du tour du monde de la famille Monet ». Au cours des mois de prĂ©paration de notre voyage, Ă une occasion oĂč nous tracions notre itinĂ©raire sur une carte du monde, SolĂšne a spontanĂ©ment dĂ©clarĂ©Â : « Ce nâest pas un tour du monde que nous allons faire, câest un zigzag du monde ». Lâexpression nous a plu. Elle rend bien compte de notre parcours gĂ©ographique (De Moscou Ă PĂ©kin, de Tokyo Ă Bali, de Sydney Ă NoumĂ©a, de Papeete Ă Lima, de Lima Ă Los Angeles et Ă New York), mais aussi de notre Ă©tat dâesprit⊠Notre destination, ce nâest pas un point gĂ©ographique, mais le fait dâĂȘtre en marche, en voyage, existentiellement, spirituellement, relationnellement ».
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En route
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        La famille Monet est maintenant en route depuis le dĂ©but du mois dâaoĂ»t 2013. Et chaque Ă©tape, chaque jour est lâobjet dâune chronique qui partage avec nous visages et paysages, les rencontres et la beautĂ© des lieux, mais aussi le vĂ©cu de chacun, et en particulier de chaque enfant qui a un espace pour sâexprimer personnellement. De belles photos accompagnent la narration.
        La famille Monet nous donne de vivre avec elle son expĂ©rience, mais aussi sa confiance. Quel cadeau pour les grands comme pour les petits ! Et quelle actualitĂ© de la pensĂ©e de Victor Hugo citĂ©e dans ce blog : « Lire, câest voyager, voyager, câest lire ». Bonne lecture !
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J. H.
par jean | Sep 9, 2023 | Emergence Ă©cologique |
Selon Jeremy Lent
En 2020, lâeffroi suscitĂ© par lâĂ©pidĂ©mie de Covid sâest alliĂ© aux apprĂ©hensions engendrĂ©es par dâautres menaces comme le dĂ©rĂšglement climatique. Aujourdâhui, une guerre vient sâajouter au malheur du temps. Cependant, cette tourmente interpelle. Elle invite les chercheurs et les militants Ă imaginer et Ă promouvoir un monde nouveau.
Câest ainsi quâen 2021, un recueil dâessais est paru aux Ătats-Unis sous le titre : « The new possible » (« Le nouveau possible ») (1). Le sous-titre en prĂ©cise le contenu : « Visions de notre monde au-delĂ de la crise ».
Cet ouvrage a Ă©tĂ© conçu dans le contexte amĂ©ricain, mais il est intĂ©ressant de constater quâil ne se borne pas Ă mettre en cause de graves dysfonctionnements aux Ătats-Unis, mais envisage les problĂšmes de beaucoup dâautres pays. Bien plus, le champ du livre sâĂ©tend au monde entier. Ainsi, plusieurs personnalitĂ©s des peuples premiers sont appelĂ©es Ă sâexprimer. Ici convergent une rĂ©flexion sociologique et Ă©conomique, des gestes militants et le recours Ă diffĂ©rentes traditions de sagesse. Le livre sâordonne en plusieurs parties : la terre ; Nous ; le changement ; la richesse ; le travail ; la nourriture ; lâĂ©ducation ; lâamour ; la communautĂ©, et il rassemble les contributions dâune trentaine dâauteurs.
Nous avons choisi de rapporter un des chapitres de ce livre : « Envisager une civilisation Ă©cologique » (« Envisioning an ecological civilization ». Lâauteur, Jeremy Lent, a Ă©crit plusieurs ouvrages de synthĂšse sur lâĂ©volution de la culture humaine et la recherche de sens : « The patterning instinct. A cultural history of humanity. Search of meaning » et « The web of meaning. Integrating science and traditional wisdom to find our place in the universe ». Comment lâhumanitĂ© a-t-elle Ă©voluĂ© dans sa recherche de sens ? Quelle vision Ă©merge aujourdâhui ?
Quitter le néolibéralisme
JĂ©rĂ©mie Lent dresse un bilan des dĂ©gĂąts et des injustices engendrĂ©s par le nĂ©olibĂ©ralisme. Ainsi, aux Ătats-Unis, les communautĂ©s pauvres ont Ă©tĂ© davantage atteintes mortellement par la pandĂ©mie que les communautĂ©s aisĂ©es. Il y a bien une origine au mal actuel. Depuis les annĂ©es 1980, le nĂ©olibĂ©ralisme propage une conception dangereuse de lâhomme selon laquelle « les hommes sont essentiellement individualistes, Ă©goĂŻstes, matĂ©rialistes et calculateurs. En consĂ©quence, le capitalisme de marchĂ© serait le meilleur cadre pour les entreprises humaines » (p 4). « Le nĂ©olibĂ©ralisme est logiquement le rĂ©sultat dâune conception de monde fondĂ©e sur la sĂ©paration : les gens sont sĂ©parĂ©s les uns des autres, les humains sont sĂ©parĂ©s de la nature, et la nature elle-mĂȘme nâest plus quâune ressource Ă©conomique » (p 4).
Menace dâeffondrement
Dans la recherche dâun progrĂšs matĂ©riel, nous consommons les richesses de la nature plus vite quâelle ne se reconstituent.
Notre civilisation fonctionne en « consommant 40% des ressources de la terre au-dessus du rythme soutenable » (p 4).
Transformer nos valeurs
Avec Jeremy Lent, faisons dâabord le point : « La description des ĂȘtres humains comme des individus Ă©goĂŻstes, la perception de la nature comme une ressource Ă exploiter, et lâidĂ©e que seule la technologie peut rĂ©pondre Ă nos plus gros problĂšmes, voilĂ de profondes erreurs qui ont conduit notre civilisation vers un dĂ©sastre »(p 5).
« Nous avons besoin de changer le fondement de notre civilisation : passer dâune civilisation fondĂ©e sur lâaccumulation des richesses Ă une autre fondĂ©e sur la santĂ© des systĂšmes vivants, une civilisation Ă©cologique » (p 6). Ce sera lĂ une mutation majeure comparable aux deux grands bonds de lâhumanitĂ©Â : la mutation agricole qui a commencĂ© il y a 12 000 ans et la rĂ©volution scientifique du XVIIe siĂšcle.
Une civilisation Ă©cologique
JĂ©rĂ©mie Lent met en valeur la vertu de lâentraide. « Les systĂšmes vivants sont caractĂ©risĂ©s Ă la fois par la compĂ©tition et la coopĂ©ration.
Cependant, les transitions majeures de lâĂ©volution qui ont amenĂ© la vie Ă son Ă©tat actuel dâabondance, sont toutes le rĂ©sultat dâun accroissement spectaculaire de la coopĂ©ration. La clĂ© de ces pas dâĂ©volution â et du fonctionnement efficient de tous les Ă©cosystĂšmes – est la symbiose : le processus dans lequel les deux parties en relation donnent et reçoivent rĂ©ciproquementâŠÂ » (p 6). « Les contributions de chaque partie crĂ©ent un ensemble plus grand que la somme des parties ». La symbiose permet aux Ă©cosystĂšmes de sâentretenir presque infiniment ». « Lâinterconnection de diffĂ©rents organismes en symbiose se manifeste dans un autre principe fondateur de la nature : lâharmonie ». « Lâharmonie apparaĂźt quand les diffĂ©rentes forces dâun systĂšme sont en Ă©quilibre » (p 6-7). Un tableau apparaĂźt. « Chaque systĂšme dĂ©pend de la vitalitĂ© des autres ».
Cette constatation « nous amĂšne Ă formuler un objectif ultime de la civilisation Ă©cologique : crĂ©er les conditions pour que tous les humains puissent fleurir comme une part dâune terre vivante et prospĂšre. Jeremy Lent transpose le phĂ©nomĂšne de la symbiose en termes humains : « les principes fondateurs de la justice et de lâĂ©quité ». Une civilisation Ă©cologique assurera « la promotion de la dignitĂ© humaine en fournissant les conditions pour permettre Ă chacun de vivre en sĂ©curitĂ© et en bien-ĂȘtre ». Par ailleurs, la civilisation Ă©cologique reconnaitra la diversitĂ© dans tous ses registres. « Elle sera fondĂ©e sur lâaxiome que le plein potentiel dâun systĂšme peut ĂȘtre rĂ©alisĂ© seulement quand il est intĂ©grĂ© â un Ă©tat dâunitĂ© dans la diffĂ©renciation oĂč la prospĂ©ritĂ© de chaque constituant contribue au bien-ĂȘtre de lâensemble » (p 7). Par-dessus tout, une civilisation Ă©cologique suscitera une symbiose englobant la sociĂ©tĂ© humaine et le monde naturel ».
La civilisation Ă©cologique en pratique
Entrer dans une civilisation Ă©cologique requiert une transformation fondamentale de lâĂ©conomie. Entre autres, on passera dâune Ă©conomie fondĂ©e sur la croissance perpĂ©tuelle du Produit National Brut Ă une sociĂ©tĂ© mettant lâaccent sur la qualitĂ© de la vie en dĂ©veloppant les indicateurs correspondants. Depuis le dĂ©but du XIXe siĂšcle, la plupart des Ă©conomistes ont considĂ©rĂ© deux domaines seulement de lâactivitĂ© Ă©conomique : les marchĂ©s et le gouvernement⊠Une civilisation Ă©cologique prendra en compte ces deux domaines, mais ajoutera deux secteurs : lâĂ©conomie domestique et les communs. « En particulier, les communs deviendront une part centrale de lâactivitĂ© Ă©conomique (3) ». Jeremy Lent rapporte lâorigine du terme : la terre partagĂ©e par les paysans en Angleterre. Mais dans un contexte plus large, « les communs comprennent toutes les sources de subsistances et de bien-ĂȘtre qui Ă©chappent Ă lâappropriation de la propriĂ©tĂ© privĂ©e et de lâĂ©tat : lâair , lâeau, la lumiĂšre du soleil, et mĂȘme les crĂ©ations humaines comme le langage, les traditions culturelles et la connaissance scientifique » (p 8). Câest une richesse commune (« a shared human commonwealth » (p 9). On reconnaitra le droit de chaque ĂȘtre humain Ă participer Ă cette richesse commune. Jeremy Lent Ă©voque ici « un revenu de base universel ». Les recherches en ce sens ont montrĂ© les aspects positifs dâune telle innovation. Dans cette transformation, quelle attitude vis-Ă -vis des grandes entreprises internationales ? Elles devront se soumettre Ă une charte Ă©cologique et sociale. La mĂȘme approche Ă©cologique entrainera la transformation de lâagriculture et du tissu urbain. Jeremy Lent envisage Ă©galement une transformation de la gouvernance vers « un modĂšle polycentrique oĂč les dĂ©cisions locales, rĂ©gionales et globales seront prises aux niveaux oĂč leurs effets se font le plus sentir » (p 10).
En marche
Si cette vision porte un idĂ©al Ă atteindre, JĂ©rĂ©my Lent nous prĂ©sente « les innombrables organisations pionniĂšres Ă travers le monde qui plantent dĂ©jĂ les semences pour une civilisation affirmant la vie » (p 10). Lâauteur cite des initiatives aux Ătats-Unis, en Bolivie, en Espagne. Il montre « comment la vision Ă©cologique se rĂ©pand Ă travers les institutions religieuses et culturelles Ă©tablissant un terrain commun avec le traditions indigĂšnes qui maintiennent leur connaissance et leur genre de vie pendant des millĂ©naires ». Il Ă©voque la « charte de la terre » initiĂ©e Ă La Haye en 2000 et adoptĂ©e depuis par plus de 2 000 organisations Ă travers le monde auxquelles se sont joints certains gouvernements. Et bien sĂ»r, il cite lâencyclique âLaudato siâ.
Sur le plan Ă©conomique et politique, des organisations apparaissent telles que la « Wellbeing Economy Alliance » et la « Global Commons Alliance ». « Peut-ĂȘtre encore plus important, un mouvement populaire affirmant la vie se rĂ©pand globalement ». (p 11)
Le livre : « The new possible » fait lui-mĂȘme Ă©cho Ă la transformation en cours.
Ce texte de Jeremy Lent nous apporte une vue dâensemble sur la mutation en cours. Il en esquisse le sens. De son point dâobservation, il vient confirmer lâextension dâun mouvement Ă©cologique Ă travers le monde entier. Ce point de vue vient donc nous encourager et nous affermir.
J H
- Philip Clayton, Kellie M Archie, Jonah Sachs, Evan Steiner, ed. The new possible. Visions of our world beyond crisis. Wipf and Stock Publishers, 2021
- Voir le blog de Jeremy Lent, author and integrator : https://www.jeremylent.com/
- La promotion des communs apparaĂźt rĂ©cemment au cĆur du livre de GaĂ«l Giraud : GaĂ«l Giraud. Composer le monde en commun, Seuil, 2022
par jean | Août 20, 2012 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Société et culture en mouvement |
Eviter les décisions absurdes et promouvoir des choix pertinents
La contribution de Christian Morel.
Les grands accidents qui engendrent le deuil et le malheur sont-ils une fatalitĂ©Â ? Pourraient-ils ĂȘtre Ă©vitĂ©s ? Dans quelle mesure, les reprĂ©sentations et les comportements des hommes sont-ils en question ? Dans un nouvel ouvrage sur « les dĂ©cisions absurdes « (1), le sociologue Christian Morel nous apporte des rĂ©ponses Ă ces questions. Oui, les grands accidents sont pour une part engendrĂ©s par des erreurs humaines. Ces erreurs sont le produit dâun ensemble de dysfonctionnements Ă la fois dans les modes de pensĂ©e et dans lâapproche collective des problĂšmes. Oui, une intelligence collective bien conduite peut nous permettre dâĂ©viter des catastrophes, mais aussi, Ă fortiori, nous aider Ă amĂ©liorer la vie sociale.
La rĂ©flexion de Christian Morel sâappuie sur de nombreuses Ă©tudes de cas qui nous font entrer dans le vĂ©cu de situations pĂ©rilleuses. Ces exemples sont particuliĂšrement Ă©vocateurs et les enseignements qui sâen dĂ©gagent nous permettent de comprendre de lâintĂ©rieur les processus de prise de dĂ©cision. A partir de cette analyse, Christian Morel peut mettre en Ă©vidence de grandes rĂšgles, des « mĂ©tarĂšgles » qui permettent de dĂ©velopper la fiabilitĂ© des actions humaines. Il entend par là « des principes gĂ©nĂ©raux dâaction ainsi que les processus maĂźtres et les modes de raisonnements communs qui forment une culture amont, ou modĂšle, de la fiabilitĂ© et sont indispensables Ă la fiabilitĂ© des dĂ©cisions en aval » (p 13-14). Les erreurs sont frĂ©quentes. Lâauteur nous en donne un exemple spectaculaire. « Sait-on quâaux Etats-Unis, quarante fois par semaine, des mĂ©decins se trompent dâindividu ou de zone corporelle lors dâune intervention chirurgicale ?… Ce seul exemple en dit long sur la propension Ă se tromper dans lâexercice des activitĂ©s humaines » (p 11).
Dans un prĂ©cĂ©dent ouvrage (2), Christian Morel avait dĂ©jĂ identifiĂ© et analysĂ© les mĂ©canismes qui conduisent individus et organisations Ă produire avec constance des erreurs radicales et persistantes ». DerriĂšre ce que lâon attribue trop souvent Ă la fatalitĂ© se cachent en rĂ©alitĂ© des dĂ©cisions dont lâhomme est seul responsable » (p 13). La bonne nouvelle, câest que « certains acteurs sociaux ne restent pas inactifs devant leur penchant pour les dĂ©cision absurdes. Ils cherchent des solutions et les mettent en Ćuvre ». Câest le cas par exemple de lâaĂ©ronautique. Et les chercheurs apportent leur contribution. Ainsi les sociologues de lâĂ©cole amĂ©ricaine dite des HRO (High reliability organisations : organisations hautement fiables) ont Ă©tudiĂ© comment fonctionnent les organisations exposĂ©es Ă de trĂšs grands risques. « Des catastrophes, telles que celles de Three Mile Island, de Tchernobyl, de la Nouvelle OrlĂ©ans ou de la navette Columbia aprĂšs celle de Challenger ont conduit Ă considĂ©rer que le combat livrĂ© aux dĂ©cisions absurdes nĂ©cessitait des solutions dâordre sociologique et non uniquement technique. Des activitĂ©s de loisir, comme le ski hors-piste confrontĂ© aux risques dâavalanche ou lâalpinisme en viennent Ă adopter des principes de fiabilitĂ© de la dĂ©cision proches de ceux de la culture aĂ©ronautique » (p 13). La prise de conscience de ces phĂ©nomĂšnes et le mouvement de la recherche ont pris de lâampleur au cours de la derniĂšre dĂ©cennie. Il y a bien sĂ»r de nombreux retards dans les mentalitĂ©s, mais lâauteur peut dĂ©dier son livre « aux femmes et hommes de lâaĂ©ronautique, des professions de santĂ©, de la marine, des forces sous-marines, de la protection civile, des sports de montagne, de la production nuclĂ©aire dâĂ©lectricitĂ©, des industries mĂ©caniques et de la production thĂ©Ăątrale, dont le retour dâexpĂ©riences heureuses ou difficiles ont nourri ma rĂ©flexion »
Dans cette mise en perspective, nous rapporterons briĂšvement quelques Ă©tudes de cas prĂ©sentĂ©es par lâauteur et nous ferons part ensuite des mĂ©thodes de pensĂ©e quâil nous propose.
Situations en mouvement
Dans la premiĂšre partie de son livre : des dĂ©cisions absurdes aux dĂ©cisions fiables, Christian Morel nous prĂ©sente lâĂ©volution de la situation de plusieurs secteurs dâactivitĂ©Â : lâaviation, la marine nuclĂ©aire, la chirurgie, les randonnĂ©es en haute montagne, diverses organisations du thĂ©Ăątre du Splendid Ă Renault.
Pour lâaĂ©ronautique, les erreurs de dĂ©cision se rĂ©vĂšlent souvent dĂ©vastatrices. « Cela lâa conduite Ă inventer des modes dâorganisation novateurs comme la collĂ©gialitĂ© dans le cockpit, la non-punition des erreurs et la formation systĂ©matique aux facteurs humains » (p 23).
Plusieurs enquĂȘtes ont mis en Ă©vidence la maniĂšre dont des excĂšs de hiĂ©rarchie dans le cockpit pouvaient engendrer des accidents en empĂȘchant un vĂ©ritable esprit dâĂ©quipe de sâexercer ainsi que lâintelligence collective qui en est le produit. A cet Ă©gard, les rĂ©sultats de la recherche sont spectaculaires. Les avions de ligne sont pilotĂ©s par un Ă©quipage comprenant deux pilotes : le commandant de bord et le copilote. Or, une enquĂȘte amĂ©ricaine concernant trente-sept accidents dâavion a montrĂ© que dans trente des trente-sept accidents concernĂ©s, câĂ©tait le commandant de bord et non le copilote qui Ă©tait le pilote en fonction (p 24). « Bien Ă©videmment, lâexplication de ce phĂ©nomĂšne nâest pas que les commandants de bord soient moins performants que les copilotes. Câest gĂ©nĂ©ralement le contraire. Le mĂ©canisme est dâordre purement sociologique. Quand le pilote en fonction est le commandant, sâil se trompe, il est difficile au copilote de le lui dire et de rectifier lâerreur. Dans la situation inverse, corriger le copilote ne pose aucun problĂšme au commandant » (p 25). Câest donc le formatage hiĂ©rarchique qui fait obstacle Ă la mise en Ćuvre dâune intelligence collective capable de rĂ©soudre le problĂšme. Ce chapitre sur « la loi du cockpit » met Ă©galement en Ă©vidence dâautres causes dâerreur, mais les excĂšs de la hiĂ©rarchie sont un aspect majeur.
Le mĂȘme phĂ©nomĂšne est mis en Ă©vidence et pris en compte dans la marine nuclĂ©aire. « La fiabilitĂ© occidentale ayant pour origine lâexemple de la marine amĂ©ricaine Ă propulsion nuclĂ©aire est le rĂ©sultat de principes forts et originaux tels que « la hiĂ©rarchie restreinte impliquĂ©e », « lâinteraction Ă©ducative permanente » et des processus de mise en dĂ©bat prĂ©alable des dĂ©cisions majeures » (p 66). Ces principes ont Ă©tĂ© initiĂ©s au dĂ©part par une forte personnalitĂ©, lâamiral H G Rickover. « Dans les sous-marins nuclĂ©aires et sur les porte-avions, on observe une attĂ©nuation de la hiĂ©rarchie. « A lâorganisation hiĂ©rarchique classique : forte stratification, ordres non discutĂ©s, formalisme, est substituĂ©e, dans certains cas, une organisation diffĂ©rente qui voit les experts et les anciens prendre le leadership, la discussion sâimposer et le formalisme disparaĂźtre » (p 67). On observe par ailleurs une interaction Ă©ducative permanente : « interaction entre tous les acteurs dans tous les sens et un processus de formation intense sur le terrain ». Il y a aussi lâaccent mis sur le principe du dĂ©bat contradictoire. Cette approche a permis Ă la marine nuclĂ©aire amĂ©ricaine de nâenregistrer aucune fuite radioactive depuis sa crĂ©ation alors que la NASA a connu deux catastrophes majeures : la destruction des navettes Challenger et Columbia (p 76).
En comparaison avec lâaĂ©ronautique et la marine nuclĂ©aire, la chirurgie est trĂšs en retard dans le domaine de la fiabilitĂ©. Le risque de dĂ©cĂšs en chirurgie est de un pour mille « ce qui Ă©quivaudrait Ă un crash dâavion de ligne chaque semaine ! » (p 79). On retrouve dans ce secteur le mĂȘme problĂšme que ceux nous venons dâĂ©voquer. Dans le chapitre concernant le bloc opĂ©ratoire, Christian Morel traite des questions dâautoritĂ© et de communication, ainsi que de lâimportance du renforcement linguistique et de la formation des Ă©quipes. Une recherche amĂ©ricaine a montrĂ© que lâintroduction dâune nouvelle technologie dans la chirurgie cardiaque rĂ©ussissait beaucoup mieux dans les Ă©quipes chirurgicales oĂč rĂ©gnait une expression collective libĂ©rĂ©e des frontiĂšres hiĂ©rarchique et professionnelle (p 82). Des actes de renforcement linguistique, tels que la check-list (vĂ©rification systĂ©matique dâun ensemble de donnĂ©es) produisent Ă©galement des effets remarquables. Dans une Ă©tude comparative sur huit hĂŽpitaux, dans les blocs opĂ©ratoires oĂč la check-list a Ă©tĂ© introduite, la mortalitĂ© des opĂ©rĂ©s a chutĂ© de 57% par rapport au groupe ou il nâen a pas Ă©tĂ© de mĂȘme. La formation aux facteurs humains a Ă©galement un grand impact. Le contenu de cette formation sâinspire de celle qui a Ă©tĂ© mise au point dans lâaĂ©ronautique : « travail en Ă©quipe, contestation mutuelle des membres de lâĂ©quipe quand des risques ont Ă©tĂ© identifiĂ©s, conduite et animation collective des briefings prĂ©opĂ©ratoires et postopĂ©ratoires, mise en ordre de comportements favorisant la communication relative Ă la reconnaissance des incidentsâŠÂ » (p 86). Or, dâaprĂšs une recherche rĂ©cente, il sâavĂšre que cette formation aux facteurs humains administrĂ©e Ă des Ă©quipes chirurgicales a accĂ©lĂ©rĂ© de 50 % la baisse du taux annuel de mortalitĂ© dans les Ă©tablissements ayant bĂ©nĂ©ficiĂ© du programme de formation (p 86).
Le dĂ©veloppement de processus permettant lâinteraction et la dĂ©libĂ©ration collective joue Ă©galement un rĂŽle majeur dans la rĂ©duction des accidents dâavalanche dans les randonnĂ©es dâhiver en montagne. Lâanalyse des rĂ©cits correspondant permet dâanalyser la conduite des groupes. Les risques sont rĂ©duits lorsque chaque membre du groupe peut prendre part effectivement aux dĂ©cisions, ce qui implique dâĂ©couter chacun et dâinciter les plus silencieux Ă sâexprimer. Lâexpertise nâest pas le seul critĂšre. Loin de lĂ . Lorsque les suisses se sont engagĂ©s dans la prise en compte des facteurs humains, ils sont parvenus Ă susciter une diminution extrĂȘmement nette des accidents mortels dâavalanche.
Principes de pensĂ©e et dâaction.
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Dans une deuxiÚme partie du livre, à partir de ces exemples, Christian Morel expose les « métarÚgles de la fiabilité ». Celles-ci portent sur différents registres.
Ainsi, notre maniĂšre de percevoir et de raisonner est elle-mĂȘme en question. Est-ce que nous prenons en compte la complexitĂ© des phĂ©nomĂšnes, la rĂ©alitĂ© des risques ? Sommes-nous capables de mettre en question nos erreurs de reprĂ©sentation, nos a priori, le biais de « la chose saillante » ? Avons-nous conscience de nos polarisations ? Christian Morel traite ainsi de la « destinationite ». Ainsi, il y a chez beaucoup de pilotes « une fixation sur la destination et Ă prendre plus de risques quand ils se rapprochent du terrain dâatterrissage que quand ils se trouvent en vol de croisiĂšre » (p 231) ;
Lâauteur consacre un chapitre au « Dire, connaĂźtre et comprendre ». Il met lâaccent sur lâimportance des problĂšmes de langage dans la communication. « Une condition impĂ©rative pour Ă©chapper aux dynamiques de dĂ©cisions absurdes est ce que jâappelle « le renforcement linguistique et visuel de lâinteraction ». Il sâagit dâassurer des communications plus sures Ă travers des actes de rĂ©pĂ©tition verbale, de rĂ©daction efficace et de standardisation linguistique, tels que check-lists, lexiquesâŠÂ ».
Dans cette mise en perspective, nous avons particuliĂšrement retenu la mise en Ćuvre de lâintelligence collective. Christian Morel consacre un chapitre Ă cette approche. A plusieurs reprises, dans les exemples citĂ©s, nous avons remarquĂ© les effets pervers de la pression hiĂ©rarchique et les initiatives pour y remĂ©dier, par exemple ce que Christian Morel appelle la « hiĂ©rarchie restreinte ». La « hiĂ©rarchie restreinte impliquĂ©e » dĂ©signe le transfert marquĂ© du pouvoir de dĂ©cision vers des acteurs sans position hiĂ©rarchique, mais dĂ©tenteurs dâun savoir et en prise directe avec les opĂ©rations. A certaines phases du fonctionnement de lâorganisation, leurs connaissances et leurs liens avec le terrain justifient quâils hĂ©ritent temporairement du pouvoir de dĂ©cision sur des choix importants » (p 130).
Et, par ailleurs, cette dimension va de pair avec une collĂ©gialitĂ©. « La migration du pouvoir vers le bas ne se fait pas en direction dâun individu isolĂ© et en excluant le chef. Câest toute la pyramide, y compris sa pointe qui devient collĂ©giale (p 130) ;
Cependant lâexercice de lâintelligence collective requiert Ă©galement des dispositions pour permettre lâexpression authentique de chacun. Les consensus apparents ou certains membres du groupe se taisent ou ne participent pas rĂ©ellement Ă la dĂ©libĂ©ration aboutissent Ă©galement Ă de graves erreurs. On doit ĂȘtre trĂšs attentif Ă la dynamique de groupe. Lâauteur met en évidence la maniĂšre selon laquelle des entraĂźnements collectifs empĂȘchent un vĂ©ritable dĂ©bat et suscitent des mauvaises dĂ©cisions. Il Ă©voque ainsi plusieurs dysfonctionnements comme lâeffet de polarisation, le paradigme de Asch, la pensĂ©e de groupe, lâillusion de lâunanimitĂ©
On notera, par exemple que les « bonnes intentions » ne sont pas toujours bĂ©nĂ©fiques. Le dĂ©sir de privilĂ©gier lâharmonie et la cohĂ©sion sur lâexpression des dĂ©saccords et de conflits internes se rĂ©vĂšle contreproductif. « Les membres du groupe qui nourrissent des rĂ©ticences Ă lâĂ©gard du projet de dĂ©cision prĂ©fĂšrent se taire plutĂŽt que de paraĂźtre inamicaux » (p 122). Certaines catastrophes ont directement rĂ©sultĂ© de dĂ©cisions perverties par la « pensĂ©e de groupe », ainsi le dĂ©barquement amĂ©ricain dans la baie des cochons Ă Cuba en 1961, ou plus rĂ©cemment, la gestion dĂ©sastreuse des problĂšmes de revĂȘtement de la navette Columbia qui a conduit Ă sa perte. (p 122). Pour Ă©viter tous ces piĂšges, la dĂ©libĂ©ration doit ĂȘtre conduite en connaissance de cause. Lâinteraction doit ĂȘtre « construite, organisĂ©e, suscitĂ©e ».
Nous sommes tous concernés
         Le livre de Christian Morel est publiĂ© dans une grande collection intitulĂ©e : « BibliothĂšque des sciences humaines ».      Lâauteur dĂ©crit son approche en ces termes : « Ma dĂ©marche est avant tout sociologique, mais comme je cherche Ă pointer ce qui « marche », je suis en outre normatifâŠÂ « La « sociologie du  vrai » quand elle porte son regard sur les mĂ©canismes humains et collectifs qui rĂ©ussissent est aussi une « sociologie du bien ». Mais cette « sociologie du bien » nâest pas une construction ex nihilo. Elle sâalimente ici aux sources de la « sociologie du vrai » (p 18).
On pourrait ajouter que lâauteur, dans le mĂȘme mouvement, cherche Ă communiquer bien au delĂ dâun cercle de spĂ©cialistes. Son livre, trĂšs accessible, sâadresse Ă nous tous qui nous sentons concernĂ©s par les problĂšmes relatifs aux modes de dĂ©cision.
Il rĂ©pond Ă des interrogations profondes : Les grandes catastrophes sont-elles une fatalitĂ©Â ? Auraient-elles pu ĂȘtre Ă©vitĂ©es ?  Ce sont des questions vitales puisquâelles concernent lâalternative entre la vie et la mort.
En nous montrant le pourquoi des dĂ©cisions absurdes, ce livre nous permet Ă©galement de comprendre comment les Ă©viter. Il propose une « contreculture de la fiabilité » (p 252-254). La plupart des exemples prĂ©sentĂ©s dans ce livre relĂšvent de grandes organisations. Dâautres comme lâexemple des randonnĂ©es en montagne se rapprochent de la vie quotidienne. Mais en fait nous sommes tous, peu ou prou, concernĂ©s, car si ce livre traite des dĂ©cisions en rapport avec la fiabilitĂ©, il nous Ă©claire plus gĂ©nĂ©ralement sur les processus de dĂ©cision. Or, dans nos vies professionnelles, mais pas seulement, nous avons bien conscience de lâimportance des processus de dĂ©cision. Câest pourquoi ce livre Ă©veille des Ă©chos bien au delĂ des spĂ©cialistes.      Ce livre nous permet de percevoir le potentiel de lâintelligence collective. Il nous invite Ă rĂ©flĂ©chir. En exergue de son livre, Christian Morel cite une parole de LĂ©onard de Vinci : « Qui pense peu se trompe beaucoup ». Mais, en fonction de notre expĂ©rience, nous savons aussi combien nos reprĂ©sentations influencent nos dĂ©cisions. Et ces reprĂ©sentations dĂ©pendent de notre Ă©thique et de notre spiritualitĂ©. Comment nous situons-nous par rapport aux autres ? Quel respect leur portons-nous ? Savons-nous Ă©couter ? Quelle est notre capacitĂ© de dialogue ? Un passage du Livre des Proverbes vient Ă notre esprit :
« Câest par la sagesse quâon construit une maison
Et par lâintelligence quâon la rend solide.
Câest grĂące au savoir que les chambres se remplissent
De toutes sortes de biens précieux et agréables.
Un homme sage est un homme fort
Et celui qui a la connaissance augmente sa force.
En effet, câest par une bonne stratĂ©gie que tu gagneras la bataille
Et la victoire sâacquiert grĂące Ă un grand nombre de conseillers » (Proverbes 24. 3-6 Traduction Bible Semeur)
Ce texte nous parle de sagesse. Et lorsquâil nous dit : « La victoire sâacquiert grĂące Ă un grand nombre de conseillers », câest bien un appel Ă lâintelligence collective.
Le livre de Christian Morel peut ĂȘtre le dĂ©part dâune rĂ©flexion partagĂ©e. Et pourquoi pas un dialogue sur ce blog Ă travers lâexpression dâexpĂ©riences et de points de vue ?
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(1)           Morel (Christian). Les dĂ©cisions absurdes II Comment les Ă©viter. Gallimard, 2012 (BibliothĂšque des sciences humaines) . Interview de lâauteur sur youtube : http://www.youtube.com/watch?v=nh_1JcftRmo
Morel (Christian). Les décisions absurdes. Sociologie des erreurs radicales et persistantes. Gallimard, 2002 (BibliothÚque des sciences humaines). Collection folio, 2004