Médecine d’avenir, médecine d’espoir

« La médecine personnalisée » d’après Jean-Claude Lapraz

 

Il était venu, à bout de souffle en état de fatigue chronique, une vie au minimum, sans vitalité. Jean-Claude Lapraz lui demanda : qu’est-ce vous attendez de moi ? Que je puisse me déplacer davantage … vivre. Ce fut le début d’un parcours au cours duquel il gagna progressivement en santé.  Elle vint le voir, très affectée par l’apparition d’un cancer du sein. Il l’aida à garder un horizon de vie dans la traversée des aléas successifs. Elle trouva en Jean-Claude Lapraz un accompagnement thérapeutique et une présence amie qui lui permit de résister pendant des années à cette maladie et aux traitements lourds auxquels elle fut soumise. Marie-Laure de Clermont –Tonnerre, journaliste, coauteur avec le docteur Jean-Claude Lapraz, du livre sur « la médecine personnalisée » (1) , raconte comment elle aussi découvrit dans la rencontre avec ce médecin, une réponse aux maux qui l’assaillaient et qui l’empêchaient de vivre normalement. Et, derrière les nombreux cas présentés dans ce livre, du relativement banal au tragique, de l’otite à répétition au cancer du foie, à chaque fois, on voit à l’œuvre une approche médicale qui, en dialogue avec le patient, va en profondeur dans la connaissance du fonctionnement du corps dans toutes ses interactions et qui ouvre en conséquence un chemin de libération . Cette approche médicale suscite la confiance et l’espoir là où souvent il n’y avait plus que l’angoisse et la résignation. L’efficacité de cette médecine tient à son adaptation au terrain de chacun.  C’est « une médecine personnalisée », mais cette approche requiert en conséquence une attention personnelle pour chaque patient. Et ainsi pourrait-on reprendre parallèlement le vocable : « médecine de la personne » (2), déjà utilisé, il y a des années, par le Docteur Paul Tournier, dans la désignation d’un livre qui plaidait pour une relation de confiance entre le médecin et celui qui s’adresse à lui.

 

Une vision nouvelle de la médecine : la médecine de terrain.

 

Selon notre constitution, nous réagissons chacun différemment à telle ou telle agression. « Une seule explication possible : l’état de notre terrain : « L’ensemble des facteurs génétiques, physiologiques, tissulaires ou humoraux qui, chez un individu, favorisent la survenue d’une maladie ou en conditionne le pronostic » (Larousse). C’est dans cette perspective que cette nouvelle approche médicale est mise en œuvre : « L’être humain ne se limite pas à un simple assemblage de fonctions ou d’organes sans lien entre eux. Il est un être vivant autonome et complet qui réagit à chaque instant comme un tout cohérent et doit sans cesse s’adapter… La médecine actuelle a fait éclater le corps en ses multiples composants. En négligeant de replacer chacun d’eux dans ses relations complexes avec les autres, elle a perdu la capacité d’établir un diagnostic global de l’état du patient. Il est donc temps aujourd’hui de proposer une approche médicale qui mette en évidence les liens qui unissent le local au global et qui donnent une véritable vision scientifique intégrale du patient. C’est ce que nous désignons comme la conception endobiogénique du terrain » (p68).

« Le tout est plus que la somme des parties ». Le corps est perçu comme un ensemble de niveaux : « Chaque niveau, du gêne au chromosome, du chromosome au noyau, du noyau à la cellule, de la cellule à l’organe, de l’organe à l’organisme, possède ses propres mécanismes de fonctionnement, mais ils sont intégrés et sous contrôle du niveau supérieur, et, en fin de compte sous celui de l’ensemble de l’organisme. Si un niveau se dérègle, il est important d’identifier ce qui, en amont, a généré le dérèglement et de comprendre comment celui-ci agira à son tour sur l’aval » (p 68-69).

Tout se tient. « Pour maintenir l’harmonie, il existe nécessairement une communication permanente entre chacun des éléments, chacune des parties qui nous constitue. Il faut donc qu’en notre corps, ensemble vivant infiniment complexe, existe un coordonnateur qui gère en permanence les liens qui unissent la cellule à l’organe, l’organe aux autres organes et les fonctions entre elles (p 70-71)… La vie ne peut se maintenir s’il n’existe pas une cohérence et une finalité qui permette de faire fonctionner de façon harmonieuse les cellules et les organes de notre corps pour qu’ils se maintiennent en équilibre » (p70-71).

De fait, il existe bien une forme de « chef d’orchestre ». « Si l’organisme est une maison , il a pour architecte, pour coordonnateur, pour régulateur, le système hormonal ». Selon l’endobiogénie, « l’approche endocrinienne du terrain est fondée sur la reconnaissance du role primordial et incontournable du système hormonal à tous les niveaux du corps humain. C’est lui qui gère le métabolisme, c’est à dire la succession permanente et dynamique des phénomènes de destruction (catabolisme), de reconstruction et de synthèse (anabolisme) qui se déroulent à chaque seconde en nous… » (p 71).

 

L’approche endobiogénique s’appuie sur une interprétation nouvelle du fonctionnement du corps humain. Elle propose également de nouveaux outils pour en comprendre concrètement le fonctionnement et pour pouvoir en conséquence intervenir pour corriger et réguler.

« En partant d’une simple prise de sang comportant douze données biologiques (comme la numération formule sanguine, le nombre des plaquettes sanguines, le dosage de deux enzymes…), on peut construire un système établi sur des algorithmes, tous basés sur des données incontestées de la physiologie qui font apparaître de nouveaux chiffres conduisant à une compréhension beaucoup plus large des phénomènes à l’œuvre dans le corps que ne le permet l’approche purement analytique actuellement en vigueur. C’est la « biologie des fonctions »… Ce système complexe, conçu par le Docteur Christian Duraffourd, a permis d’établir quelques 172 index d’activité endocrine, métabolique, tissulaire, etc (par exemple : nécrose cellulaire, résistance à l’insuline, remodelage osseux, immunité, stress oxydatif, développement anormal cellulaire) (p 81-83). « Dans une goutte de sang, on peut voir l’individu et son terrain ». La production de cet ensemble est un bond en avant impressionnant pour la compréhension de l’état du patient.

Mais, dans la consultation, telle qu’elle est pratiquée par les médecins qui se réclament de cette approche, d’autres données recueillies à travers l’écoute et l’examen clinique, viennent encore s’y ajouter. Ces données viennent s’inscrire en regard de l’interprétation endobiogénique. A partir de là, le médecin peut prescrire un traitement approprié en faisant appel principalement aux plantes médicinales. L’usage de celles-ci permet d’éviter la nocivité des effets secondaires que peuvent entraîner certains médicaments de synthèse. Par ailleurs, la combinaison d’un certain nombre de plantes à activité synergique ou complémentaire induit un effet global important : « La sommation des petits effets que chacun va générer dans l’organisme permet d’apporter une amélioration, puis une vraie guérison ».

 

Une pratique nouvelle de la médecine.

 

Dans un chapitre entièrement consacré à la     description du déroulement d’une consultation (p 101-134), Marie-Laure de Clermont-Tonnerre nous permet d’entrer dans la pratique de cette médecine et de la comprendre de l’intérieur. Elle nous décrit ce qu’elle a vécu. A partir de sa propre perception des symptômes qu’elle ressentait, quels ont été ses questionnements et ses besoins ? Comment a-t-elle pu s’exprimer et être entendue ? Comment a-t-elle reçu un début d’explication lui permettant de découvrir une cohérence cachée derrière l’ensemble de ses symptômes ? En quoi, l’analyse des index de la biologie des fonctions permet « de mettre en évidence de façon chiffrée les liens subtils qui existent entre les différents organes et fonctions du corps humain, amenant le médecin à une vision plus fine de l’état réel du patient, l’aidant ainsi à diriger son traitement préventif et curatif »? En quoi, très concrètement, l’examen clinique, c’est-à-dire l’auscultation détaillée selon une méthode précise, apporte des renseignements précieux sur la façon particulière dont le corps s’organise et réagit ? Et enfin, comment le traitement est prescrit et commenté en fonction de toutes les données ainsi recueillies ?

 

Ce chapitre est particulièrement éclairant, car nous pouvons beaucoup apprendre de cette étude de cas tant sur la manière dont les données sont recueillies que sur leur signification, tant sur l’interprétation des dysfonctionnements que sur la stratégie adoptée pour y porter remède. Cette consultation n’est pas seulement une situation d’ordre technique, c’est aussi le lieu d’une relation dans laquelle il y a un dialogue permettant une compréhension accrue de part et d’autre et ainsi une participation du patient. Comme en témoigne Marie-Laure, la qualité humaine du médecin est essentielle. La psychologie confirmant la sagesse, on sait aujourd’hui combien compréhension , empathie et encouragement ont un effet majeur sur l’évolution ultérieure.

Tous ceux qui ont eu la grande chance de bénéficier de cette médecine apprécieront cette description et pourront y glaner des informations passées jusque là inaperçues. Mais ce livre s’adresse à tous. Cette description riche et fine d’une consultation en médecine endobiogénique fait apparaître un univers de sens qui nous permet d’accéder à un niveau supérieur d’information et de conscience. C’est là une source d’espoir et de confiance pour beaucoup. Nous avons dit combien, dans certains cas, elle est une ouverture qui libère, et osons le mot, une médecine qui sauve.  Mais, en mettant en lumière les dysfonctionnements en formation, c’est aussi une approche qui  permet d’y remédier à temps et donc d’exercer un  rôle de prévention .

Ainsi cette médecine a une double fonction : elle prévient et elle guérit. Comment ne pas militer en faveur de son développement !

 

Origine et devenir de la médecine endobiogénique.

 

L’apparition de la médecine endobiogénique nous apparaît comme une transformation majeure dans la conception et la pratique de la médecine, ce qu’en terme de sciences sociales, on peut appeler un nouveau « paradigme ». Mais si cette approche est actuellement mise en œuvre par un groupe de médecins encore très limité en nombre, comment est-elle apparue ? Le récit de Jean-Claude Lapraz nous montre la genèse d’une prise de conscience : une insatisfaction de médecins généralistes vis à vis d’une pratique médicale qui répond ponctuellement, mais qui souvent ne parvient pas à soigner en profondeur ; en contact avec Jean Valnet, un chirurgien ayant découvert en Indochine l’efficacité des plantes médicinales, la reconnaissance de cet apport à travers une expérimentation concrète ; au début des années 70, la conjonction de deux jeunes médecins, Christian Duraffourd et Jean-Claude Lapraz pour s’engager dans la voie nouvelle de la « phytothérapie clinique », c’est à dire le recours à la plante médicinale dans le cadre d’une approche globale et complète de l’homme et de sa physiologie.

 

Et puis ces idées ont essaimées, mais en France, en fonction des conservatismes ambiants, elles sont encore largement ignorées par les institutions officielles. Dans d’autres pays, par contre, l’approche endobiogénique gagne en audience. Aujourd’hui, dans notre pays, si l’approche endobiogénique  est pratiquée par un nombre bien trop limitée de médecins, elle est  soutenue par une association d’usagers : Phyto 2000 (3) et elle commence à se répandre à travers des formations.  Voici une médecine nouvelle dont on a vu l’efficacité et combien elle répond aux attentes. Qu’on ne laisse pas arrêter par les frustrations que certains peuvent ressentir, en termes négatifs, vis- à vis d’un potentiel qui leur paraîtrait actuellement hors de portée. Les auteurs situent également cette médecine dans le contexte plus général de la société en prenant position par rapport à toutes les menaces pour la santé, depuis les dangers présentés par certains produits de l’industrie pharmaceutique jusqu’à la pollution . A l’heure où se pose également le problème du coût de la médecine, on peut également mettre en avant les avantages d’une approche qui non seulement révèle son efficacité, mais peut jouer un rôle majeur en terme de prévention. Il y a donc un immense travail de promotion à réaliser . A cet égard, le livre publié par Jean-Claude Lapraz et Marie-Laure de Clermont-Tonnerre est un outil particulièrement efficace, car dans un langage dynamique et efficace, il ouvre à tous un accès à la compréhension de l’approche endobiogénique.

 

Perspectives d’avenir.

Comment promouvoir l’endobiogénie ?

 

Dans la conclusion, les auteurs mettent en évidence un paradoxe : « Jamais le financement consacré à la recherche n’a été aussi gigantesque et jamais la technologie médicale n’a fait autant de progrès que pendant les deux dernières décennies… Pour autant, jamais la médecine n’a été confrontée à une crise d’une telle ampleur et jamais le système de santé n’a été si proche de l’éclatement..

Devant des recherches qui peinent à obtenir les résultats espérés malgré les sommes considérables englouties, une réflexion s’impose : il faut reconsidérer les concepts de l’approche du vivant qui fondent la médecine moderne. Si la voie pastorienne a donné des fruits incontestés, elle bute maintenant sur ses limites. En éclatant l’homme en ses multiples composantes, en dissociant la partie du tout et en ne la replaçant pas dans la globalité, elle n’est pas à même de faire la synthèse, ni de remettre l’homme au centre du système. Il est donc temps d’introduire au cœur de la médecine actuelle de nouveaux outils conceptuels rendant possible une vraie synthèse à tous les niveaux : écoute du patient, examen du malade, approche des résultats biologiques, conception du traitement, orientation de la recherche, mise au point de nouveaux médicaments et mise en place d’une vraie prévention. Une des solutions pour la médecine de demain passe par la voie intégrative sans rien renier des avancées apportées par la science analytique. Basée sur les données de la science et avec le recul de plus de quarante année d’une pratique clinique confirmée par de nombreux médecins français et étrangers, la voie intégrative qu’est l’endobiologie, apporte des moyens simples à mettre en œuvre rapidement.. » (p 312)

 

Nous vivons aujourd’hui dans le mouvement d’une mutation culturelle qui se déploie à l’échelle du monde. Le champ de la conscience s’élargit. Des barrières tombent. On assiste aujourd’hui au recul d’une pensée cartésienne qui séparait l’esprit et le corps de l’homme, l’homme et la nature. On perçoit de plus en plus les limites d’une pensée analytique qui induit une pratique « en miettes ». Certes la volonté de puissance de l’homme est toujours là et elle peut se manifester dans la fascination de la technologie (4). Mais on prend de plus en plus conscience des méfaits d’une telle attitude dans laquelle l’homme se pose en « maître et seigneur de la nature ». Au contraire la pensée écologique recherche une harmonisation entre l’homme et la nature. Comme l’écrit le théologien Jürgen Moltmann (5), « Nous ne voulons plus connaître pour dominer, nous voulons connaître pour participer ». Et il ajoute : « L’ « essence » de la création dans l’Esprit est la « collaboration » et les structures manifestent la présence de l’Esprit dans la mesure où elles font connaître l’ « accord général ». « Au commencement était la relation » (M.Buber) ». De plus en plus, les approches systémiques, holistiques, intégratives s’imposent. De nouvelles synthèses s’élaborent . A cet égard, le livre de Thierry Janssen : « La solution intérieure » (6) nous paraît particulièrement significatif. Thierry Janssen a quitté sa profession de chirurgien pour entreprendre une grande enquête à travers le monde ayant pour objet d’étude : « la personne humaine comme agent de guérison » : Une médecine de l’esprit pour soigner le corps ; une médecine du corps pour soigner l’esprit où il présente l’apport de la médecine des énergies en provenance des pays d’Asie : Chine et Inde.

Le livre sur la médecine personnalisée devrait bénéficier de l’ouverture des esprits aux perspectives nouvelles  qui apparaissent aujourd’hui..   En même temps, son ancrage dans les acquis de la science médicale favorise sa réception par  les milieux professionnels. « Basée sur les données de la science et plus de quarante années d’une pratique clinique confirmée par de nombreux médecins français et étrangers, la voie intégrative qu’est l’endobiogénie apporte des moyens simples à mettre en oeuvre rapidement… » .

 

Dans un système de santé qui comporte de nombreuses rigidités, comment promouvoir cette conception et cette pratique nouvelle ? A cet égard, un article récemment paru dans Le Monde (14 mars 2012) vient nous encourager. Sous la signature de Luc Montagnier, prix Nobel de médecine en 2008 (7) et Frédéric Bizard, consultant et maître de conférences à Sciences Po, cet article ouvre la voie : « Anticipons le passage d’une médecine curative à une médecine préventive ». On peut y lire : « D’une approche verticale et segmentée nous devons passer à une vision transversale de la santé. D’une médecine à dominante curative au siècle dernier, nous passons à la médecine 4p : préventive, prédictive, personnalisée, participative, ce qui modifie fondamentalement le « logiciel » du système…. L’approche transversale de la santé et de la médecine 4p doit s’accompagner d’une rénovation de notre système de santé avec une approche holistique des soins fondée sur la personne et les relations interpersonnelles. D’un système centré sur la maladie, il faut évoluer vers un système centré sur la personne, sur la santé ».

 

Tout ce que nous avons appris de l’endobiogénie la situe potentiellement au cœur de ce front pionnier. Mobilisons-nous en faveur de cette médecine d’espoir !

 

JH

 

(1)            Lapraz (Dr Jean-Claude), Clermont-Tonnerre (Marie-Laure de). La médecine personnalisée. Retrouver et garder la santé. Odile Jacob, 2012.

(2)            Tournier (Paul). La médecine de la personne. Delachaux Niestlé, 1940  http://www.paultournier.org/mdlp.html

(3)            Pour en savoir davantage sur la situation de la phytothérapie clinique et de l’endobiogénie en France, les conditions d’accès à cette médecine, une association active des usagers : Phyto 2000. Site : www.phyto2000.org

(4)            Sicard (Didier). La médecine sans le corps. Une nouvelle réflexion éthique. Plon, 2002. Personnalité reconnue dans le domaine de la médecine et de l’éthique, Didier Sicard dénonce les usages abusifs et tentaculaires de la technologie au détriment d’une reconnaissance et d’une prise en compte globale du patient.

(5)            Moltmann (Jürgen). Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1988.  Citations : p 51 et p 25. Un blog consacré à la pensée de Jürgen Moltmann : http://www.lespritquidonnelavie.com

(6)            Janssen (Thierry). La solution intérieure. Vers une nouvelle médecine du corps et de l’esprit. Fayard, 2006.  Mise en perspective sur le site de Témoins : http://www.temoins.com/developpement-personnel/vers-une-nouvelle-medecine-du-corps-et-de-l-esprit.guerir-autrement.html

(7)            Luc Montagnier est l’auteur d’un livre : Montagnier (Luc). Les combats de la vie. Mieux que guérir : prévenir. Lattes, 2008.  Mise en perspective sur le site de Témoins : http://www.temoins.com/developpement-personnel/aujourd-hui-prix-nobel-luc-montagnier-preconise-une-nouvelle-approche-de-la-medecine.html

Vivre et espérer : Une opportunité de dialogue

Un ami, Sylvain, apprécie Vivre et espérer.
Ainsi a-t-il écrit quelques commentaires sur certaines livraisons de Vivre et espérer.
En voici un concernant la livraison de février 2012(1) C’est un dialogue qui s’ouvre ainsi à travers le temps.
Merci Sylvain !

Cet article qui a abordé la peinture comme un mode de communication (parler de Dieu, parler à Dieu) me plait beaucoup, car comme tu le sais j’apprends la peinture, mais aussi les corrélations avec des états qui rapproche l’artiste, dans son exécution, d’états modifiés, de transe, plus connu sous le nom de flow.
La peinture comme moyen de se lier à la vie, à la spiritualité, est une nouvelle perspective pour moi, qui m’enchante.
Je trouve que c’est une belle démarche qui pourra apporter de la profondeur à mes œuvres.
Un moyen de me dépasser, de communiquer aux hommes et pourquoi pas avec Dieu ?

Quel présence Dieu a-t-il dans ma vie ? Je ne le dis pas encore clairement.

Odile était très claire avec cela, tout comme toi. Pas d’hésitation, de demie mesure. Une confiance totale, le dévouement, l’amour. La foi, une force qui permet de voir la vie autrement et d’en donner un véritable sens.
D’accepter, ou plutôt de comprendre que la vie est telle qu’elle est, et qu’il ne faut pas se focaliser sur les résultats sans prendre de recul, mais belle et, bien sûr, ce que les expériences positives ou négatives peuvent réellement nous apporter.
Cela parle du bien qu’il y a en toute chose a partir du moment où l’on se donne les moyens de le voir.

Pour apprécier la vie, il faut l’aimer.

La chanson de Jacques Brel est un hymne à la vie, au partage.
Cette article parle aussi de cette valeur incommensurable qu’est le don de soi.
Lorsque l’on arrive à casser toutes ses barrières mentales et que l’on se donne pleinement sans se soucier de ce que pensent les autres, mais plutôt de ce que l’on peut offrir à l’autre, alors le message que l’on peut véhiculer devient intemporel, et touche tout le monde.
Pourquoi ? Tout simplement parce qu’on devient pur amour.
Et dans les situations plus compliquées de l’existence quand on a que l’amour devient alors cette force qui nous raccroche à la vie, qui nous lie a ce qu’il y a de plus beau en nous grâce au regard de l’autre, et qui nous fait comprendre que notre existence a un sens,

Il est difficile de penser que malgré qu’il y ait une existence après la mort, qu’un fossé nous sépare de ce que nous sommes actuellement.
De savoir qu’il y a un lien entre la vie et la mort, beaucoup plus simple a appréhender que tout ce qui est proposé, me parait plus apaisant.
Il suffit de penser en toute simplicité à l’autre pour se connecter. Cela veut dire que l’autre peut aussi se connecter à nous. Ce qui veut dire que quoi qu’il advienne, nous ne sommes jamais seul.

Toutes ces manières de penser et d’appréhender l’existence sont tellement riches et variées. Cela peut donner le tournis et peut parfois prendre des allures compliquées. C’est avec les personnes qui ont une pensée claire que l’on trouve le plus de simplicité. Et c’est dans la simplicité que l’on touche à la compréhension de l’autre, que l’on retrouve des vérités, justes, belles, réconfortantes et apaisantes.

Il faut évoluer avec son temps et profiter de toutes ces ressources que l’on a la chance d’avoir autour de soi pour apprendre et mieux comprendre ce qu’est la vie, afin de pouvoir mieux communiquer avec son prochain et le soutenir.
Rester rigide dans des idées, dans des principes, n’a aucun sens car la vie montre que c’est dans la capacité l’adaptation que survit le plus sage.
Un esprit dicté par des principes figés évoluera dans la contrainte, alors que l’esprit ouvert, saura s’adapter, rester fidèle à lui-même et donner le meilleur à tout ce qui l’entoure.

Sylvain

  1. Livraison 2012 Peindre, c’est aussi parler,  Horizon de vie,  Quand on a que l’amour,  Sur la Terre comme au Ciel,  Une vie qui ne disparaît pas , Vivre et espérer février 2012 : https://vivreetesperer.com/2012/02/

 

 

Entraidons-nous en réseau !

Hélène est professeur. Elle me rapporte les difficultés vécues par une de ses collègues.

Jeune « prof », Isabelle vient d’arriver dans un établissement expérimental qui se veut exigeant. Quelque part, elle ne se trouve pas soutenue. En tout cas, elle se trouve en situation difficile en raison d’un problème de santé. Il y a quelques mois : extinction de voix et laryngite : traitement classique avec antibiotiques, congé de maladie. Rétablissement, puis rechute.  Même traitement…et puis encore rechute…Dans ce contexte, sa vie professionnelle est contrariée, sinon compromise.

Hélène est amicale et attentive. Elle encourage Isabelle. Elle cherche à l’aider. Elle sait que sa situation n’est pas facile et qu’elle donne même une occasion à tel ou tel collègue de manifester, à son égard, une forme d’agressivité. Elle ne serait pas à la hauteur ! La présence amicale d’Hélène soutient Isabelle.

Et pourtant, Hélène se rend compte  des limites de son aide. En effet, les problèmes de santé que rencontre Isabelle peuvent être envisagés dans différentes dimensions : physique, psychologique, spirituelle. Ils sont liés à un environnement.

D’après de nombreux exemples rapportés aujourd’hui par la presse, on sait combien le stress peut aujourd’hui se manifester dans des situations de travail. L’individu est soumis à de fortes attentes auxquelles il n’est pas toujours capable de faire face. C’est dire la responsabilité de l’encadrement. Qu’en est-il dans l’Education Nationale ?

Il y a aussi une responsabilité de la médecine classique. Trop souvent, elle s’arrête au symptôme et cherche uniquement à y remédier. Une pathologie : un médicament. On oublie la dimension globale de l’organisme. Dans un livre récent sur « la médecine personnalisée » (1), les auteurs donnent un bon exemple : des otites à répétition chez un jeune enfant.  Le médecin soigne l’oreille, mais cela ne suffit pas, car la congestion est en lien avec l’état général. On a besoin d’une médecine « holistique », intégrative. Et puis, il y aussi la dimension psychosomatique des troubles de santé. Est-elle vraiment prise en compte ?

Il y a également un lien entre affect psychologique et vie spirituelle. Comme chrétienne, Hélène sait combien la relation avec une présence aimante de Dieu change notre attitude. A maintes reprises, elle a expérimenté l’aide reçue en réponse à la prière. Aujourd’hui, beaucoup de gens ne sont pas « religieux », mais ils sont en chemin, en attente de découvertes spirituelles. Directement ou indirectement, ils peuvent entendre le témoignage d’Hélène. Mais comment aller plus loin ? Dans quel environnement social, peuvent ils être accueillis dan une vraie convivialité, dans le respect et en toute liberté ? Hélène se rend compte que, dans bien des communautés, les mentalités restent encore très étroites. Et, par exemple, si Isabelle vit en couple avec un compagnon, dans une démarche commune d’amour réciproque, cette situation échappe à la compréhension de certains milieux pour lesquels seul le mariage classique est légitime. Comment pourrait-elle être accueillie dans une communauté de ce type !

 

Nous vivons dans un monde en pleine mutation culturelle. Dans beaucoup de domaines, les institutions peinent à suivre. C’est ce qu’on peut entrevoir à travers la situation d’Isabelle.

 

Alors sur tous les plans, entraidons-nous et entraidons-nous en réseau ! Cherchons ensemble les réponses à nos besoins ! Partageons les bonnes ressources, les bonnes adresses, le recours aux personnes dignes de confiance

 

Qu’il en soit de même sur le plan de la vie chrétienne. « Faisons Eglise » en réseau ! Développons et partageons des expressions nouvelles de la vie en Christ (2). Accueillons-nous les uns les autres  en dehors de tout esprit de frontière ! Reconnaissons la dynamique de l’Esprit qui donne la vie ! (3)

 

JH

 

(1)            Lapraz (Dr Jean-Claude), Clermont-Tonnerre (Marie-Laure de). La médecine personnalisée. Retrouver et garder la santé. Odile Jacob, 2012. Sur ce blog : Médecine d’avenir. Médecine d’espoir.

(2)            On trouvera à ce sujet des réflexions et des témoignages sur le site de Témoins : http://www.temoins.com/index.php… Par exemple : « Au milieu du tumulte de la ville «  http://www.temoins.com/innovations/interview-d-eve-soulain.html  et « l’expansion actuelle des « fresh expressions » http://www.temoins.com/innovations/l-expansion-actuelle-des-fresh-expressions-en-grande-bretagne-un-phenomene-impressionnant.html. Voir aussi sur ce blog : « Ensemble, en chemin (septembre 2011)

(3)            http://www.lespritquidonnelavie.com/

 

Vers une économie symbiotique

 Avec Isabelle Delannoy

 Face à la crise, l’économie symbiotique, c’est la convergence des solutions.

 51AtX99cxLL._SX366_BO1,204,203,200_         Symbiose est un mot inventé à la fin du XIXè siècle et qui signifie : vivre ensemble. « Il décrit l’association étroite et pérenne entre deux organismes différents qui trouvent, dans leurs différences, leurs complémentarité. La croissance de l’un permet la croissance de l’autre et réciproquement » (p 52). En proposant le terme d’économie symbiotique, Isabelle Delannoy a écrit un livre (1) sur ce thème dans lequel elle ouvre un avenir à partir de la mise en évidence de la complémentarité d’approches innovantes qui sont déjà à l’œuvre aujourd’hui. « La vraie révolution que l’on a apporté avec l’économie symbiotique, c’est de faire croiser trois sphères : la matière avec la sphère de l’économie circulaire, la sociosphère avec l’économie collaborative, l’ingénierie écologique et l’utilisation des écosystèmes du vivant, pour qu’on puisse restaurer nos écosystèmes naturels et ne plus rester dans la logique extractive » (Laura Wynne) (2).

Ce livre est le fruit d’un parcours. Ingénieur agronome, Isabelle Delannoy a très vite mesuré l’ampleur du déséquilibre écologique. « Nous relâchons en quelques décennies un carbone que des êtres vivants ont mis des centaines de milliers d’années à enfouir ». (p 23). Et elle a participé à la réalisation du film « Home » de Yann Arthus Bertrand. « Dans ce film diffusé en 2009, nous disions une vérité lourde : Si nous ne sommes pas capables d’inverser la tendance avant dix ans, nous basculerons dans une planète au visage inconnu. A la suite de la détérioration du socle des équilibres planétaires, la détérioration des écosystèmes d’un côté, la croissance des émissions de gaz à effet de serre de l’autre, le climat pourrait entrer dans une phase d’emballement qui ferait basculer la terre dans un autre état thermodynamique global… » (p 28). Mais Isabelle Delannoy n’a pas voulu rester sur le registre de la mise en garde. Elle s’est engagée dans une recherche de solutions qui a abouti à la publication de ce livre. Et cette recherche a couvert toute la gamme des approches innovantes  que l’on peut observer aujourd’hui. « J’ai alors cherché systématiquement les logiques économiques et productives qui pouvaient participer à répondre à cette déstabilisation de l’écosystème Terre et à renverser la tendance » (p 28). En regard, elle a trouvé une pléthore d’innovations, mais « aucune de ces logiques ne suffisait… Toutes semblaient nécessaires, mais largement insuffisantes » ( p 29).

C’est alors qu’Isabelle Delannoy a vu se dessiner un mouvement global. « A mesure que je cherchais, il se formait un motif, un design commun. Je me rendais compte que, sous leur diversité apparente, elles présentaient des analogies de fonctionnement remarquable.. . Pour l’ingénieur agronome que je suis, c’est à dire une scientifique à orientation technique, les principes que je voyaient se dessiner étaient comme les rouages d’un nouveau moteur, les éléments unitaires d’un nouveau système logique économique » (p 29). Isabelle Delannoy a développé ces principes pour en faire le fondement d’une « économie symbiotique ». Tout au long de cet ouvrage, elle nous présente cette économie en devenir.

 

Vers une économie symbiotique

 

Dans cette période de mutation, nos regards se transforment. La mise en évidence des processus symbiotiques est elle-même le fruit d’une inflexion récente de la recherche. « La symbiose fut longtemps ignorée face à la compétition mise en avant par Charles Darwin dans sa théorie publiée au XIXè siècle… Depuis ces dernières décennies, la symbiose a le vent en poupe. Des chercheurs comme Lynn Margulis, Olivier Perru, Marc-André Sélosse… montrent que la symbiose en particulier, et les mécanismes coopératifs en général agissent également comme un des moteurs principaux de l’évolution » (p 52) (3). L’auteure cite l’exemple des coraux qui sont la résultante d’une symbiose entre deux organismes : l’un constructeur : le polype, l’autre nourricier : la zooxanthelle, une algue qui sait capter l’énergie lumineuse grâce à la photosynthèse. Aujourd’hui, le sens du mot  symbiose est de plus en plus réservé aux « relations à bénéfices réciproques entre deux ou plusieurs organismes qui se lient de façon pérenne » (p 53). L’économie symbiotique s’inscrit ainsi dans dans un univers caractérisé par la complémentarité, la réciprocité, la synergie. En examinant différentes approches innovantes à elle seule insuffisantes pour répondre au grand défi, Isabelle Delannoy « s’est rendu compte que, sous leur diversité apparente, elles présentaient des analogies de fonctionnement remarquables…. Je voyais converger l’agroécologie, la permaculture, l’ingénierie écologique, l’économie circulaire, l’économie de la fonctionnalité, les smart grids, l’économie collaborative et du pair à pair, la gouvernance des biens communs et les structures juridiques des coopératives. Dans tout ce qui fait économie, ressources vivantes, ressources techniques, ressources sociales, une nouvelle logique…était apparue » (p 30). A partir de l’observation des pratiques nouvelles, Isabelle Delannoy a élaboré une théorie, « un système logique commun qui peut se traduire jusque dans des formulations mathématique, systémique et thermodynamique » ( p 30)

 

Penser en terme d’écosystème

 

« En écologie, un écosystème est un ensemble formé par une communauté d’êtres vivants en interrelation avec un environnement » (Wikipedia). Penser en terme d’écosystème, c’est reconnaître et encourager une dynamique interrelationnelle. Et cette approche est particulièrement active dans ce livre sur l’économie symbiotique : « une économie de l’information ; réanimer les ressorts de la terre ; une économie structurée en écosystèmes, l’énergie et la matière ; une économie en écosystèmes… ».

 

Les milieux naturels se lisent en terme d’écosystèmes. Et, dans l’agriculture, on prend conscience actuellement des méfaits de la monoculture mécanisée et on reconnaît les avantages de la diversité et de la complémentarité. En France, la ferme du Bec Hellouin est  ainsi reconnue dans son expérimentation innovante dans l’esprit de la permaculture (4). Et le même esprit est présent dans une ferme en Autriche dans une vallée peu propice à la culture. Or, un pionnier, Sepp Holzer y a construit un écosystème agricole ultra productif. Comment a-t-il atteint cette performance ? « Sepp Holzer a réfléchi à sa ferme comme un ensemble d’écosystèmes. A la petite échelle de la parcelle, il met en compétition les espèces qui vont s’enrichir mutuellement. Ainsi chaque arbre est planté avec un ensemble de graines d’une cinquantaine de plantes différentes qui entreront en synergie. Elles trouveront leur complémentarité dans la différence de taille, de morphologie, d’enracinement, d’écosystèmes microbiens associés, de synthèse de molécules, de préférence pour l’ombre et la lumière. Ces coopérations engendrent des relations nutritives entre les plantes et permettent de se passer d’engrais. Elles entretiennent une diversité d’hôtes et de prédateurs et il et possible de s’affranchir des pesticides… Mais Sepp Holzer a également créé une association d’écosystèmes diversifiés selon un design très précis permettant leur mise en synergie… Ainsi, à mesure des années, il a créé un ensemble de soixante dix mares et étangs et étagé le relief en terrasses. Le miroir créé par la surface de l’eau envoie les rayons du soleil sur les coteaux qui la surplombent et produit de nouvelles conditions climatiques pour des espèces qui n’auraient pu se développer  dans les conditions initiales… » (p 59-60). « Le système entre  en croissance selon un mécanisme synergique et enrichit son milieu. Sepp Holzer a créé un système productif qui ne détruit pas les ressources écologiques, mais qui, au contraire, en crée » ( p 60).

 

Cependant, les écosystèmes vivants ne sont pas à même de remplacer toutes les industries. « Ces industries doivent être alimentées en matériaux et en énergie pour fonctionner. De plus, de nombreuses infrastructures, machines et outils, ne peuvent exclusivement faire appel à des matériaux biosourcés. Il s’agit donc d’organiser les systèmes économiques et productifs  qui permettront une réutilisation maximale de la matière qui la compose » (p 109). Alors Isabelle Delannoy nous expose les voies innovantes d’une économie en écosystèmes pour traiter de l’énergie et de la matière. Et là aussi, elle s’appuie sur de nombreuses études de cas.

Ainsi une architecture bioclimatique produit des bâtiments consommant un minimum d’énergie pour le chauffage et la climatisation. C’est l’exemple de l’entreprise Pocheco dans le nord de la France qui est devenu autosuffisante en matière de chauffage, six jours sur sept (p 115). Au Val d’Europe, une zone d’activité de la région parisienne,  le data center de la banque Natixis a été conçu dès son implantation comme une centrale à la fois de données et de chauffage. L’activité des serveurs est intense et dégage une grande chaleur. Cette énergie est la base d’un réseau de chaleur faisant circuler une eau à 55°C qui alimente un centre aquatique, une pépinière d’entreprises, deux hôtels et une centaine de logements collectifs (p 119).

Et, en même temps, dans l’industrie, une approche systémique se développe. « La logique de fonctionnement actuelle est très mal adaptée à la limitation des ressources. Elle repose sur une logique linéaire : j’extrais, je transforme, je consomme, je jette. Son efficience tend vers zéro » (p 12). On peut agir autrement : « ne plus bâtir des « chaines » de production, mais des écosystèmes de production en agissant sur toutes les étapes. Ainsi, à Kalundberg, au Danemark, les industriels se sont rendus compte que les uns achetaient comme matière première ce que les autres rejetaient en tant que déchets. Ils sont entrés en coopération et celle-ci s’est étendue à des échanges de matière et d’énergie ( p 126-127). Cet écosystème industriel est aujourd’hui un exemple. « En bout de chaine, avec l’apparition du web, une telle organisation collaborative se répand chez les consommateurs. Ils forment des écosystèmes ou chacun peut être à la fois fournisseur, acheteur ou usager d’un bien » (p 128).

Lorsque les consommateurs se rapprochent de la production et inversement, on enregistre des gains très importants d’efficience. C’est le cas lorsqu’au lieu de vendre des objets, le fabricant en vend l’usage. C’est une « économie de fonctionnalité ». « Puisqu’il reste propriétaire de son bien, le fabricant a tout intérêt à en prolonger la durée de vie ». et il pourra, en fin de cycle, récupérer les matériaux .

Spécialisé dans la fabrication de photocopieuses, Rank Xerox est une des références les plus anciennes. « Aujourd’hui, Rank Xerox réutilise 94% des composantes de ses anciennes machines pour en fabriquer de nouvelles (p 133). « Les modèles dynamiques d’accès  permettent de vendre beaucoup en produisant peu » (p 136).

Et, bien sur, la nouvelle économie portée par le Web abonde en systèmes écoproductifs. « Ce sont des projets open source. L’open source est un exemple des principes symbiotiques appliqués à l’innovation et à la production : une diversité d’acteurs partageant des valeurs similaires et un centre d’intérêt commun mettant en partage leurs savoirs et savoir-faire. De leur coopération naissent des logiciels (tel Wordpres, Firefox, Linux), des encyclopédies du savoir telle Wikipedia… » ( p 143).    L’émergence des fablabs pour permettre une mutualisation des outils industriels à l’intention d’acteurs de terrain témoigne de même de la métamorphose de la production (p 146-148).

« Dans les fablabs, la combinaison d’internet et le libre partage de l’innovation accélèrent le brassage des innovations. Il se crée un écosystème entre concepteurs, usagers et ateliers de fabrication qui change radicalement la logique de la production industrielle : ouverte, coopérative, locale, personnalisée »  (p 155).

Ainsi, Isabelle Delannoy nous montre l’avancée de l’économie symbiotique dans son visage industriel. C’est une métamorphose radicale de la fabrication des biens d’équipement et de consommation. On peut maintenant envisager « la transformation de la chaine industrielle en un vaste écosystème mondial reliant des écosystèmes locaux » ( p 160).

 

Le temps de l’information

 

Nos yeux s’ouvrent et nous commençons à voir le monde en terme d’information. Nous prenons conscience du rôle prépondérant de l’information. « Depuis son origine, la Terre n’a cessé de créer de l’information. Grâce à elle, des mouvements ordonnés de la matière se sont créés, donnant lieu à une diversité de formes, de couleurs, de mouvements, exceptionnelle : la vie telle que nous la connaissons. De cette information motrice, l’une a été motrice plus que tout autre. Il s’agit de celle qui est codée dans les gènes du végétal portant les mécanismes de la photosynthèse » (p 43).  La photosynthèse est un processus exceptionnellement puissant. « La photosynthèse permet de capter une énergie brute et immatérielle, l’énergie lumineuse, de la stocker et de la distribuer de façon extrêmement fine… ». Grâce aux informations contenues dans sa bibliothèque génétique, le végétal va ainsi à l’encontre des lois physiques de l’énergie qu’on appelle l’entropie » (p 44). Le vivant se caractérise par la richesse de l’information. Il en déborde. Apprenons à la respecter. « C’est très simple. Si nous coupons une forêt pour bruler son bois, nous aurons perdu l’intelligence contenue dans le matériau bois qui aurait pu servir pour la construction, mais aussi l’intelligence chimique de ses molécules qui auraient pu servir à la pharmacopée, et encore celle apportée par l’écosystème forêt réparatrice de la qualité de l’eau, de la fertilité du sol, du climat » (p 45).

Nous pouvons faire mieux. En terme d’information, l’intelligence humaine est elle-même extrêmement créatrice. L’intelligence humaine peut devenir catalysatrice. « En agissant comme un catalyseur des écosystèmes vivants, l’espèce humaine devient un facteur multipliant leur efficience naturelle » (p 46). Le rôle de l’information va en croissant. Dans les écosystèmes vivants, il y a d’abord une construction de structures. « Ils créent alors beaucoup de biomasse et tissent peu de réseaux. Mais lorsque leurs structures deviennent plus matures, les réseaux s’enrichissent…les racines se connectent…des signaux chimiques s’échangent…. La faune vient s’installer. Les informations circulent extrêmement abondantes » (p 48). On peut envisager une évolution comparable dans l’histoire humaine. Ne serions-nous pas arrivé dans la phase de maturité où « presque toute l’efficience à produire des services vient de la capacité à produire et à traiter de l’information ».

Isabelle Delannoy nous ouvre un horizon. « Admirons l’improbable conjoncture que forme notre époque. Nous vivons l’instant où le niveau de destruction des écosystèmes menace la perpétuation de nos conditions de vie en même temps que nous accédons à un stade de structuration des écosystèmes dans son plein niveau possible d’efficience (p 49).

 

Emergence

 

 

Isabelle Delannoy a mené une recherche pour mettre en évidence les principes qui fondent une économie symbiotique et toutes les synergies que celle-ci engendre. Des exemples, comme le nouveau mode de fabrication permis par la voiture électrique sont particulièrement éloquents (p 241-244). La moindre chaleur émise permet une grande souplesse et inventivité dans la mise en œuvre des matériaux. Ainsi, avec Isabelle Delannoy, nous assistons à une émergence : émergence de nouvelles pratiques, mais également avec elle, émergence d’un nouveau regard : « Il semble que, dans le silence, un nouveau regard, une métamorphose  sociale et économique soit en train de naitre. Apparues sans concertation, les différentes logiques économiques et productives que nous avons successivement présentées  couvrent toutes les activités économiques et forment un écosystème  économique complet. Sous leur apparente diversité et la multiplicité des termes : ingénierie écologique, permaculture,  biomimétisme, écologie industrielle, économie circulaire, économie de la fonctionnalité, smart grids, open source, makerspaces, open data, économie de pair à pair, contribution sociale et solidaire, elles sont d’une extraordinaire cohérence dans leur système de fonctionnement et peuvent être décrites selon les mêmes principes » (p 227). Isabelle Delannoy a « qualifié ces principes,  et le principe logique dont ils sont le cœur, de « symbiotique ». « Ce système logique est utilisable en tant que tel, sans même vouloir développer une économie symbiotique complète. Il caractérise un fonctionnement continu et typique d’une nouvelle logique émergente » (p 227).

La recherche d’Isabelle Delannoy a commencé en 2009 dans la conscience de la menace du basculement climatique. Cette menace n’a pas disparu. On doit y faire face et il y a urgence. Le remède passe par une transformation de l’économie. Isabelle Delannoy nous apporte une bonne nouvelle. Non seulement, cette transformation est possible, mais  elle a déjà commencé. Un puissant mouvement est déjà en cours.

« Une nouvelle forme de pensée se développe partout dans le monde. Extraordinairement cohérente, non concertée, apparue majoritairement ces cinquante dernières années, elle laisse entrevoir que, dans le silence, est en train de naitre une métamorphose économique, technique et sociale radicale de nos sociétés… cette nouvelle économie a le potentiel de devenir symbiotique et régénératrice au niveau global…Elle organise une symbiose entre les écosystèmes vivants, les écosystèmes sociaux et l’efficience de notre technique » (p 313-314). On assiste donc à une multiplication d’écosystèmes innovants. L’économie symbiotique grandit à partir des réalités locales. On peut imaginer une économie décentralisée avec « des places de marché locales et reliées ». Cette économie nouvelle surgit de toute part.

 

Vers une nouvelle civilisation

 

Ce livre nous fait entrer dans un monde en transformation : une métamorphose, un changement de paradigme, une nouvelle civilisation en germination. C’est bien ce qui apparaît à Isabelle Delannoy dans l’exploration qu’elle a entrepris et qu’elle nous rapporte dans cet ouvrage. Si nous définissons une civilisation comme « l’ensemble des traits qui caractérisent une société donnée du point de vue technique, intellectuel, économique, politique et moral, cette étude m’amène à penser qu’émerge aujourd’hui une nouvelle civilisation » (p 19).

Dans ce livre, nous voyons apparaître une ligne de force majeure : la reconnaissance du vivant dans toutes ses dimensions. Cela induit une nouvelle vision de l’humain. « Ces travaux ont renouvelé ma conception de l’être humain et de sa place dans l’univers. Nous avons une vision très négative de l’homme vis-à-vis du vivant. L’idée que nous devons choisir entre notre développement et celui de la nature est profondément ancrée. Il s ‘agit donc au mieux de faire le moins de mal possible. L’économie symbiotique apporte (et requiert) une vision positive de l’espèce humaine et de son rôle dans l’univers (p 35-36). Aujourd’hui, l’humain prend un autre rôle dans le vivant. Il n’observe plus la nature pour la soumettre,  pour en devenir « maitre et possesseur » comme l’expriment Francis Bacon et René Descartes, pères du rationalisme occidental moderne, mais pour en comprendre et en faciliter les équilibres afin de favoriser son développement et sa croissance (p 37). L’auteure nous indique un changement de cap majeur dans les attitudes et les représentations : «  Nous pensions quantité, masse, forces. En comprenant que nous pouvons devenir symbiotes de notre planète, notre génie se déploie. Nous pensons informations, liens, synergie (5). Jamais notre imagination n’a été nourrie de la possibilité que le beau puisse être efficace, que ce qui est doux puisse être puissant » (p 37).

 

Ouvertures spirituelles

 

A la suite de cette vaste enquête et de ce travail de synthèse, Isabelle Delannoy nous permet d’entrevoir la montée d’une civilisation nouvelle. Celle-ci commence à se frayer un chemin à travers de nouvelles représentations et de nouvelles pratiques. Et, dans le même mouvement, une nouvelle éthique et une nouvelle spiritualité apparaissent. Isabelle Delannoy évoque « une nouvelle alliance » ( p 103-106), reconnaissance et respect du vivant par l’humanité. Dans le même mouvement, c’est aussi l’affirmation de valeurs comme la bienveillance, la collaboration, l’entraide, la solidarité. Des pièces du puzzle rassemblées par l’auteur, on voit apparaître un paysage nouveau.

Laissons libre cours à notre émerveillement. Et, pour les chrétiens, à partir d’une approche théologique nouvelle, sachons reconnaître l’œuvre de l’Esprit. Nous pouvons écouter cette interpellation de Pierre Teilhard de Chardin, scientifique et théologien précurseur, cité par Isabelle Delannoy (p 57). « Si les néohumanistes du XXè siècle nous déshumanisent sous leur Ciel trop bas, de leur côté, les formes encore vivantes du théisme ( à commencer par la chrétienne) tendent à nous sous-humaniser dans l’atmosphère raréfié d’un Ciel trop haut. Systématiquement fermées encore aux grands horizons et aux grands souffles de la Cosmogenèse, elles ne se sentent plus vraiment avec la terre, une Terre dont elles peuvent bien encore, comme une huile bienfaisante, adoucir les frottements internes, mais non (comme il le faudrait) animer les ressorts ».

Et, déjà, pour participer à l’évolution en cours, pour y apporter une contribution, le christianisme est appelé à retrouver son esprit d’origine dans une marche en avant qui regarde vers la nouvelle création à venir et qui s’inscrit dans une théologie de l’espérance. « Dieu est lié à l’espérance humaine de l’avenir. C’est un Dieu de l’espérance qui marche « devant nous » et nous précède dans le déroulement de l’histoire » (Jürgen Moltmann) (6). L’Esprit de Dieu est « l’Esprit qui donne la vie » (7). Cet Esprit n’est pas seulement  l’Esprit rédempteur, c’est aussi l’Esprit créateur à l’œuvre dans une création qui se poursuit (8). Ainsi, Jürgen Moltmann peut-il écrire : « Dieu est celui qui aime la vie et son Esprit est dans toute la création. Si on comprend le créateur, la création et son but de façon trinitaire, alors le créateur habite par son Esprit dans l’ensemble de la création et dans chacune de ses créatures et il les maintient ensemble et en vie par la force de l’Esprit » (9). Ainsi l’Esprit Saint anime et relie. « Si l’Esprit Saint est répandu dans toute la création, il fait de la communauté des créatures avec Dieu et entre elles, cette communauté de la création dans laquelle toutes les créatures  communiquent chacune à sa manière entre elles et avec Dieu…L’ « essence » de la collaboration dans l’Esprit est, par conséquent, la « collaboration » et les structures manifestent la présence de l’Esprit dans la mesure  où elles font reconnaître l’ « accord général ». « Au commencement était la relation » (Martin Buber) (9). Cette vision fait apparaître une correspondance entre l’inspiration de l’Esprit qui induit reliance et créativité et ce que nous entrevoyons  dans la civilisation symbiotique en voie d’émergence.

Nous vivons à un tournant de l’histoire. Nous ne voyons que trop les menaces engendrées par les abus de l’humanité vis à vis de la nature. Les remèdes sont en route, mais le temps presse. Comme d’autres observateurs, Jürgen Moltmann  nous rapporte une parole du poète allemand, Friedrich  Hölderlin : « Dieu est proche et difficile à saisir. Mais , au milieu du danger, se développe le salut » (6).

Dans ce contexte, ce livre sur l’économie symbiotique arrive au bon moment. Isabelle Delannoy met en évidence la convergence de nouveaux courants économiques qui débouchent sur une transformation générale de l’économie et portent un changement de mentalité.  Sur ce blog, notre attention va dans le même sens. Nous essayons de mettre en évidence les émergences positives (10) et de contribuer ainsi à l’évolution des représentations. L’action dépend de l’horizon qui lui est proposée. « Nous devenons actifs pour autant que nous espérions. Nous espérons pour autant que nous puisions entrevoir des possibilités futures. Nous entreprenons ce que nous pensons être possible » (Jürgen Moltmann) (11). A juste titre, Isabelle Delannoy évoque la puissance de la pensée. Elle cite Lune Taqqiq : « Le poids d’une pensée peut faire basculer le cours de l’humanité » (p 316). Ce livre sur l’économie symbiotique participe à notre « conscientisation ». En faisant apparaître l’émergence d’une économie et d’une société nouvelle à travers l’apparition de multiples innovations signifiantes, il nous enseigne, il nous éclaire, il nous mobilise. Merci à Isabelle Delannoy !

 

Jean Hassenforder

 

(1)            Isabelle Delannoy. Préf. de Dominique Bourg. L’économie symbiotique. Régénérer la planète, l’économie et la société. Domaines du possible. Actes Sud/Colibris.  Voir aussi : Isabelle Delannoy. L’économie symbiotique. TED x Dijon : https://www.youtube.com/watch?v=9BL0fJErgmQ

(2)            Laura Wynn. « L’économie symbiotique est un modèle qui donne espoir » You tube : https://www.youtube.com/watch?v=Pvp4cxI_ENs

(3)            « L’entraide, l’autre loi de la Jungle par Pablo Servigne et Gauthier Chapelle » : https://vivreetesperer.com/?p=2734   Autre source : Dans son itinéraire scientifique, Lynn Margulis à montré le rôle important de la symbiose dans l’évolution. Comme le montre Jean-François Dortier, dans son blog : « La quatrième question », à l’époque, cette théorie symbiotique s’est heurtée à une vive opposition de la théorie Darwinienne alors dominante :               https://www.dortier.fr/lynn-margulis-et-levolution-des-etres-complexes/

(4)            « Cultiver la terre en harmonie avec la nature » (la permaculture et la ferme du Bec Hellouin) : https://vivreetesperer.com/?p=2405

(5)            « Une philosophie de l’histoire, par Michel Serres »  Michel Serres nous parle de l’entrée de l’humanité dans un âge  doux…https://vivreetesperer.com/?p=2479

(6)            Jürgen Moltmann. De commencements en recommencements. Empreinte, 2012 (p 109-110 et p 69)

(7)            Jürgen Moltmann. L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999

(8)            « Un Esprit sans frontières » :  https://vivreetesperer.com/?p=2751

(9)            Jürgen Moltmann. Dieu dans la création. Cerf, 1988 ( p 8 et 24-25)

(10)      Des initiatives écologiques à l’économie collaborative (voir ci-dessous)

(11)      « Agir et espérer. Espérer et agir » : https://vivreetesperer.com/?p=2720

 

 

Nouvelles initiatives et mouvements de pensée

1 « Cultiver la terre en harmonie avec la nature » : https://vivreetesperer.com/?p=2405

2 « Incroyable, mais vrai ! Comment les « incroyables comestibles » se sont développés en France

https://vivreetesperer.com/?p=2177

3 « Convergences écologiques : Jean Bastaire, Jürgen Moltmann, Pape François et Edgar Morin » : https://vivreetesperer.com/?p=2151

4 « Vivre en harmonie avec la nature. Ecologie, théologie et spiritualité » : https://vivreetesperer.com/?p=757

« Anne Sophie Novel : militante écologiste et pionnière de l’économie collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1975

5 « Quand l’arrivée d’un oiseau annonce une vie nouvelle pour les terrils » : https://vivreetesperer.com/?p=2713

6 « Le film : Demain » : https://vivreetesperer.com/?p=2422

7 « Blablacar. Un nouveau mode de vie » : https://vivreetesperer.com/?p=1999

8 « OuiShare, communauté leader dans le champ de l’économie collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1866

9 « Vive la co-révolution. Pour une société collaborative »

https://vivreetesperer.com/?p=1394

10 « Vers un nouveau climat de travail dans des entreprises humanistes et conviviales » : https://vivreetesperer.com/?p=1394

 

Voir aussi, en prospective économique :

« Un monde en changement accéléré » (Thomas Friedman) : https://vivreetesperer.com/?p=2560

« Comprendre la mutation actuelle de notre société requiert une vision nouvelle du monde » (Jean Staune) : https://vivreetesperer.com/?p=2560

 

Laissez-les lire !

Une dynamique relationnelle et éducative.

 

Il y a dans l’enfant un potentiel qui a été longtemps contenu. Mais, au siècle dernier, peu à peu les portes se sont ouvertes. Maria Montessori est une figure emblématique de la lutte qui a été menée pour que le potentiel de l’enfant puisse s’exprimer dans tous les domaines. Il y a dans l’enfant une force de vie qui le pousse à découvrir le monde. Dans cet esprit, le rôle de l’éducateur n’est pas d’imposer, mais d’accompagner. « Laissez les lire ! » (1), tel est le titre que Geneviève Patte, cofondatrice puis animatrice de la bibliothèque enfantine pilote de Clamart, la « Joie par les livres », a donné à un ouvrage sur les enfants, la lecture et la bibliothèque, paru en 1987. Aujourd’hui, ce livre est réédité dans une version complètement actualisée et renouvelée, si bien que sous la belle couverture animée par une illustration de Quentin Blake, il nous paraît porter un message qui peut atteindre un grand public.

 

Geneviève Patte nous raconte la naissance et le développement des bibliothèques enfantines.  Très tôt, dès la fin du XIXè siècle, elles apparaissent dans les bibliothèques publiques anglaises et américaines . Leur éclosion en France, après la grande guerre, s’inscrit dans cette inspiration, mais un travail original est accompli qui s’exprime notamment dans la remarquable bibliothèque qu’est « l’Heure Joyeuse », rue Boutebrie à Paris. C’est là que, dans les années 50, Geneviève Patte découvrit une ambiance dont elle perçut la qualité exceptionnelle et qui fut pour elle une motivation déterminante. Au début des années 70, cofondatrice de la « Joie par les Livres », une bibliothèque pilote crée dans un quartier populaire de Clamart, elle va jouer un rôle pionnier dans l’émergence d’une nouvelle génération de bibliothèques enfantines.

En nous racontant quelques scènes de la vie des bibliothèques enfantines à différentes étapes de son itinéraire, Geneviève Patte nous permet d’entrer dans un univers dans lequel on découvre à la fois une dynamique enfantine et une harmonie relationnelle. Ainsi décrit-elle la « Joie par les Livres » à Clamart comme une « maison vivante et chaleureuse ».

 

 

Une dynamique relationnelle.

 

A la bibliothèque enfantine, la motivation des enfants pour la lecture s’inscrit effectivement dans un climat informel et convivial. Ce livre nous introduit dans différentes formes de vie relationnelle.

C’est le contact, le tête-à-tête de l’enfant avec le bibliothécaire. « Cest une longue tradition. La plupart des enfants ne trouvent pas facilement, dans d’autres milieux , ce mode de rencontre. Ici, l’échange est en effet considérablement enrichi par la médiation du livre. Relation précieuse, parce qu’à la fois personnelle et pudique, puisque c’est le livre qui réunit et offre la distance nécessaire. L’adulte recherche pour l’enfant ce qui peut convenir à son expérience. Le livre peut alors devenir comme une source jaillissante où l’enfant peut apaiser sa soif, à la mesure de ses besoins et trouver ainsi le goût de l’eau vive » (p 174). « L’aide personnelle apportée à l’enfant dans ses recherches est une occasion unique d’échanges et de rencontres. L’enfant apprécie cette confiance. Ne le juge-t-on pas capable d’apprécier ce qui est beau, grand, drôle, surprenant, subtil, ce qui vaut la peine ? « Jamais on ne m’avait montré autant d’attention. Jamais, on ne s’était intéressé à moi de cette façon. Grâce à ces échanges, je me sentais exister, je me sentais important », nous confie un ancien lecteur évoquant ses années passées à la bibliothèque » (p 176).

La bibliothèque enfantine permet aussi une lecture partagée entre enfants et adultes. C’est, par exemple, vivre ensemble la lecture d’albums. Ici, c’est une relation horizontale naturellement chaleureuse. « C’est un plaisir gratuit. « Tu me lis une histoire ? » Question quasi rituelle adressée aux adultes présents…Souvent on commence à lire avec un enfant et d’autres, intéressés, se rapprochent… Magnifique liberté du lecteur : la lecture ne lui est pas imposée. Il en décide librement. C’est alors à qui sera le plus proche de la personne qui lit… Pour mieux voir les images, mais aussi pour tourner les pages, faire un commentaire, signaler à l’occasion un élément qui surprend, amuse ou évoque quelque chose de la vie. Cette intimité confiante et rassurante fait partie du plaisir » (p 202).

Et puis, il y a aussi la lecture à haute voix d’une histoire par le bibliothécaire et « l’heure du conte », une véritable institution dans les bibliothèques enfantines. « La place centrale du récit, de la parole dite, signifie pour le bibliothécaire, un engagement vis-à-vis des enfants. Il raconte. Il a envie de partager son enthousiasme et il s’en donne le temps. en décidant de raconter, il accepte de livrer quelque chose de sa propre sensibilité. En retour, il reçoit l’expression spontanée de l’émotion de ceux auxquels il s’adresse dans ce précieux face à face ».

Il y a bien d’autres événements sociaux et éducatifs dans la vie de la bibliothèque enfantine : rencontres avec des personnes invitées, fêtes, expositions, différentes formes d’atelier. Cette gamme de relations, dans laquelle, à chaque fois, l’enfant est respecté dans sa démarche et peut également s’investir, est une caractéristique de la bibliothèque enfantine. Cette qualité et foisonnement nous paraissent exemplaires si bien qu’on pourrait s’en inspirer par ailleurs.

 

Regard sur la littérature enfantine : le choix des livres.

 

Bien sûr, la qualité des livres compte aussi. Geneviève Patte consacre plusieurs chapitres à un examen de la littérature enfantine. Comment choisir les livres à l’intention des enfants ? C’est une question qui n’intéresse pas seulement les bibliothécaires, mais nous tous qui sommes en rapport avec des enfants. Ces « repères dans la forêt des livres » traitent des différentes catégories de livres : albums, ouvres de fiction, ouvrages documentaires. Ces propos témoignent d’une expérience riche d’une grande proximité avec les enfants et nous y percevons également bon sens et discernement. Ces chapitres contribuent à faire de ce livre un ouvrage qui, au delà des bibliothécaires, s’adresse à un grand public concerné par l’éducation.

 

La bibliothèque enfantine : une entreprise pionnière appelée à une créativité toujours renouvelée.

 

Rétrospectivement, les bibliothèques publiques, parce qu’elles voulaient répondre à la démarche de chacun dans sa recherche personnelle et son besoin d’éducation, peuvent être considérées comme une première étape dans la marche vers une connaissance partagée et une intelligence collective telle qu’elle se manifeste aujourd’hui dans la communication sur internet. On sait que les bibliothèques publiques dans leur modernité sont nées en Angleterre et aux Etats-Unis. Il a fallu une action pionnière pour les instaurer en France. C’est chose faite, et bien faite aujourd’hui.. Les bibliothèques enfantines s’inscrivent dans la même histoire. En portant une conception nouvelle de l’éducation, elles étaient doublement « révolutionnaires ». Ainsi, note Geneviève Patte, « alors que partout ailleurs, dans les autres institutions éducatives, les enfants sont, en quelque sorte « classés » selon leur âge, leur niveau, leur sexe, « l’Heure Joyeuse », dès 1924, proposent d’emblée, comme ses prédécesseurs étrangers, le brassage vivifiant de garçons et de filles de tous les âges, cela n’étant pas sans effrayer un certain maître d’école qui suggérait qu’une petite barrière traverse la salle et sépare lecteurs et lectrices » (p 14).

Aujourd’hui, dans ses formes innovantes, comme « La Petite Bibliothèque Ronde » (2) à Clamart qui se développe dans la foulée de l’action pionnière de la « Joie par les Livres », la bibliothèque enfantine continue d’aller de l’avant. Geneviève Patte est engagée dans cette créativité.

Ainsi met elle l’accent sur « les petites unités de lectures » : bibliothèques de rue, bibliothèques hors les murs, bibliothèques à domicile, home library, bunko, etc, qui se développent à travers le monde. « Il s’agit bien de bibliothèques. Elles en ont les caractéristiques essentielles, mais elles n’ont pas de constructions à elles n’ont pas de murs au sens propre comme au sens figuré » (p 281). Ainsi « les bibliothèques deviennent nomades » « Nous ne pouvons rester assis dans notre tour d’ivoire, isolés, à attendre que les enfants viennent à nous… ». « Ce qui caractérise ces « petites unités de lecture », c’est une petite taille, leur simplicité, leur caractère souple et chaleureux aussi, et la médiation proposée. Il suffit souvent d’un tapis, de quelques paniers de livres bien choisis, et, bien sûr, d’une personne attentive aux uns et aux autres et toujours prêtes à leur faire découvrir la joie de lire » (p 282). Ces initiatives fleurissent dans certains pays d’Amérique latine, d’Afrique ou d’Asie. L’auteure de ce livre les a fréquentées et elle en parle avec enthousiasme.

La créativité se manifeste également dans le partenariat entre bibliothécaires et chercheurs tel que Geneviève Patte nous le décrit dans un chapitre très original : « la bibliothèque en recherche active ». Ainsi la « Joie par les livres » a su collaborer avec des associations comme ACCES (Actions culturelles contre les exclusions et les ségrégations) créée en 1982 par René Diatkine et qui « réunit dans la même réflexion des chercheurs et praticiens de diverses disciplines : pédiatres, psychologues et psychanalystes, anthropologues et linguistes, bibliothécaires, etc.. ».

Bien sûr, à une époque où les moyens de communication se transforment et progressent à toute allure, la bibliothèque est appelée à bouger elle aussi rapidement. Un chapitre est consacrée au nouveau visage de la bibliothèque à l’heure du numérique.

 

Une vision prospective.

 

          Dans la grande mutation où nous nous trouvons engagés, la bibliothèque, qui a été pionnière, peut demeurer une pièce majeure du nouveau paysage culturel si elle sait apporter sa contribution spécifique. Ainsi, en partenariat avec les nouvelles formes de communication comme internet, la bibliothèque apporte la dimension d’une relation vécue. « Dans un monde qui se technicise toujours plus, la bibliothèque met l’accent sur la communication humaine, les lieux et les relations interpersonnelles autour du besoin de connaître, de se reconnaître, de penser » (p 341). « La bibliothèque propose un environnement culturel, unique et profondément humain. En encourageant chacun à emprunter son chemin propre, elle favorise l’émergence des identités dans leur singularité. Elle offre un espace où l’expression des différences est possible, souhaitable et encouragée… Elle privilégie ce qui lie et relie à travers l’accueil, les rencontres, l’ « être ensemble », non pour se confondre, mais pour tenter de se comprendre » (p 340).

 

Un livre suggestif qui stimule la réflexion.

 

         Ce livre enrichit la vision et stimule la réflexion de ses lecteurs, bien au delà des questions professionnelles.

Dans ce qu’il rapporte de l’esprit de découverte, de la capacité d’émerveillement et aussi de l’intensité de la vie relationnelle des enfants, il croise les recherches récentes sur la spiritualité enfantine (2). A certains moments,  nous nous sentons en présence d’une réalité belle et harmonieuse  qui éveille une élévation de notre conscience.

Dans ce livre, tel que Geneviève Patte, nous le présente, le mouvement des bibliothèques enfantines nous apparaît comme une véritable épopée qui, au cœur de la grande mutation dans lequel le monde est engagé , nous en révèle une des potentialité, un nouvel état d’esprit  qui conjugue la joie de découvrir, la convivialité et le respect de chacun.  Au mieux, « at his best », la Bibliothèque enfantine est « une maison vivante et chaleureuse ». Il y a là une voie originale qui peut interroger et inspirer d’autres institutions éducatives, et même  éveiller un désir d’autres lieux dans notre société où l’on puisse vivre des relations aussi bienfaisantes. Le titre de ce livre : « Laissez-les lire » appelle à la reconnaissance de la dynamique créative des enfants. Et comme cette réalité nous est décrite comme bien réelle lorsqu’elle est encouragée par un environnement favorable, il y a là plus généralement un encouragement à reconnaître de nouveaux possibles, une invitation à une vie meilleure.

 

Jean Hassenforder

        

(1)            Patte (Geneviève).Laissez-les lire ! Mission lecture. Gallimard, 2012

(2)            La Petite Bibliothèque Ronde : www.lapetitebibliothequeronde.com et www.enfance-lecture.com

Sur ce blog : « L’enfant, un être spirituel » (février 2012). Voir aussi : « Découvrir la spiritualité des enfants : un signe des temps. http://www.temoins.com/etudes/decouvrir-la-spiritualite-des-enfants.-un-signe-des-temps.html