Un chemin spirituel vers un nouveau monde

« S’élancer vers une nouvelle terre. Une approche contemporaine pour s’éveiller à demain et traverser les changements ».

https://youtu.be/CxrfhAgi_0s

A la sortie de la pandémie, le monde va-t-il reprendre ses habitudes, se réinstaller dans un système économique et social dont on voit bien qu’il va à sa perte. La crise du coronavirus va-t-elle permettre une accélération de « la transition vers des sociétés post-carbone respectueuses des limites de la biosphère, de la justice globale et des droits des générations futures ? » (1). Cependant, cette mutation globale requiert une profonde transformation des mentalités. Cette transformation appelle un cheminement spirituel qui  induise une évolution des comportements et la mise en pratique de valeurs nouvelles. C’est aussi, comme l’écrit Michel Maxime Egger dans un article du « Temps » (2), « le besoin d’un nouvel imaginaire qui puisse entrainer une mobilisation collective ».

Michel Maxime Egger est un sociologue et un théologien (chrétien orthodoxe) qui anime aujourd’hui le « Laboratoire de transition intérieure » de l’association suisse : « Pain pour le prochain ». Depuis plus de vingt ans, il milite pour le développement durable et des relations Nord Sud plus équitables. En 2004, il a fondé le réseau « Trilogies » (3) qu’il anime depuis « pour mettre en dialogue : traditions spirituelles, quête de sens, écologie et grands enjeux socio-économiques ». C’est une approche qui associe « le cosmique, l‘humain et le divin ». Dans cette perspective, Michel Maxime Egger a écrit plusieurs livres :

A partir de la spiritualité chrétienne, « La Terre comme soi-même. Repères pour une écospiritualité » (2015).

A partir de la profondeur de la psychè humaine : « Soigner l’esprit. Guérir la terre. Introduction à l’échopsychologie » (2015).

A partir de la spiritualité dans une approche interreligieuse : « Ecospiritualité. Réenchanter notre relation à la nature » (2018).

Michel Maxime Egger a préfacé récemment un livre de la grande militante écologiste américaine : Joanna Macy : « L’espérance en mouvement » Nous avons présenté cette œuvre sur « Vivre et espérer » (4).

Michel Maxime Egger intervient dans de nombreuses rencontres. Et ainsi, en mai-juin 2020, il a répondu à une interview rapportée dans une vidéo qui introduit un cycle de méditation : « meditatio écologie » « organisée par la « Communauté mondiale pour la méditation chrétienne ». L’horizon ouvert nous est annoncé par le titre  de cette vidéo : « S’élancer vers une nouvelle terre. Une approche contemporaine pour  s’éveiller à demain et traverser les changements » (1). Nous accompagnons ici cette interview en évoquant quelques unes de ses expressions. Mais la vidéo s’entend avec tant de clarté et avec tant de sympathie qu’elle se suffit à elle-même.

La première question porte sur la réaction personnelle : « Pouvez-vous nous dire dans un registre personnel comment vous voyez ce qui se passe aujourd’hui ? En quoi vous êtes touché de manière sensible et comment y faites vous  face ? » Chacun réagit selon  les conditions d’habitat et de travail, mais aussi selon les circonstances  familiales. Ici Michel Maxime Egger profite du confinement pour être présent à sa maman dans son départ au Ciel et accompagner son papa dans sa nouvelle solitude, une école de compassion. Et naturellement  les nouvelles limitations sont une invitation à « aller vers le dedans, revenir vers soi, descendre à l’intérieur de soi » : prière, méditation, contact avec la nature…

La seconde question est plus générale. « Qu’est-ce que cette crise du Covid 19  nous dit de notre manière de vivre aujourd’hui ? Quel lien avec la crise écologique ? Comment met-elle le doigt sur une fragilité et questionne-t-elle nos vies spirituelles ? »

Si on entend par apocalypse révélation et dévoilement, cette crise a une « dimension apocalyptique ». Nous sommes conviés à écouter, à entendre. A travers ses symptômes, le  coronavirus est un puissant  révélateur . « Il donne le fièvre et tue par suffocation. Le symbole d’un système qui réchauffe et asphyxie la planète par son obsession de la croissance, sa démesure consumériste et sa quête du produit sans fin. Ensuite par son origine : le Covid 19 vient d’animaux abominablement maltraités , et son développement est indissociable des perturbations climatiques et écosystémiques…. Enfin par sa diffusion et ses impacts : impressionnant d’observer comment un virus microscopique peut mettre le monde à l’arrêt et l’économie à terre. L’expression de la vulnérabilité d’un système globalisé dont l’interconnexion est à la fois la force et la faiblesse » (2)

Cependant, Michel Maxime Egger nous appelle également à redécouvrir des éléments essentiels. Et tout d’abord, « Nous sommes un avec le Vivant. Le Vivant est un ». Nous sommes ensemble dans une situation de profonde interdépendance Or « par notre domination, par notre arrogance, nous avons brisé cette unité ». C’est un appel à la réconciliation avec la Terre, avec le Vivant.

Cette crise nous rappelle que « nous ne sommes pas les maitres et possesseurs de la nature. La nature n’est pas qu’un stock de ressources, mais elle est au contraire la source de la vie, une source qui nous appelle au respect, à un respect profond » .

Un troisième élément que cette crise du coronavirus nous rappelle, c’est que « nous ne sommes pas tout puissants, mais profondément fragiles, profondément vulnérables. C’est un appel à redécouvrir l’humilité ».

Et puis, parce que nous avons été amenés à réduire notre consommation, « nous avons appris que le bonheur ne réside pas dans des biens en quantité, mais dans des biens de qualité. Et, bien que physiquement, nous ayons du garder nos distances, nous avons redécouvert l’importance des relations humaines, des relations d’entraide pour la coopération. Ainsi ce virus nous apprend à retrouver, d’une part, la solidarité, et, d’autre part, par la réduction de la consommation, la sobriété ».

« A quels changements, attitudes et actions sommes-nous appelés, individuellement et collectivement, en lien avec un chemin spirituel tel que celui de la méditation ? »

« J’entend dans cette crise un triple appel : un appel à un choix radical, un appel à une métanoïa, un appel à un engagement, ces trois  dimensions étant profondément interreliées »

« Choix radical : Je vis depuis longtemps avec cette idée que l’humanité est arrivée à une croisée des chemins, à une forme de carrefour. Nous avons en fait le choix, selon l’expression du sociologue Edgar Morin, entre le coté de l’abime et la métamorphose. Pour moi, cette crise du coronavirus a confirmé cette vision d’un carrefour de l’humanité ». « La grande question aujourd’hui : Est-ce que l’après sera un simple retour à l’avant ou au contraire aurons nous su, pu profiter de ce temps de ralentissement, de retour sur soi-même pour pouvoir faire des pas vers cette transition écologique et sociale qui est absolument nécessaire ». « J’ai souvent médité sur la phrase du Deutéronome (Deutéronome 30) dans le Premier Testament : « Je te propose vie et bonheur, mort et malheur. Choisis la vie pour que toi et ta postérité (les générations futures), vous viviez ». Mais de quelle vie parle-t-on ? D’une Vie avec un grand V, d’une vie connectée avec ce qui est vivant, d’une vie ralliée avec ce qui est Vivant, mais aussi à la source du Vivant, à ce Souffle, cet Esprit qui est à la source de toute chose, qui anime toute chose, qui anime la Création, qui est le mystère du Divin quelque soit le nom qu’on veuille lui donner. Evidemment, pour entrer dans cette  connection là, la méditation est un espace, un chemin privilégié. S’ouvrir à ce Souffle, à cet Esprit, à cette dimension, attire une métamorphose, une métanoia, un retournement. Se métamorphoser, c’est en quelque sorte mourir pour renaitre. Mourir à ce qui conduit à la mort… pour pouvoir  renaitre…renaitre au nouveau et donc à la vie, une vie plus forte que la mort, une vie animée par le souffle de l’Esprit et dont la résurrection du Christ a été une des manifestations et un des symboles et qui nous ouvre à une dimension d’inconnu. Ce choix de la vie, cette métanoia sont les fondements d’un engagement, à la fois personnel et collectif, pour la transition écologique et sociale, au  sens fort du mot transition : trans ire : aller au delà, parce qu’il ne s’agit pas simplement de corriger un système ou de l’améliorer, mais bien de changer le système, changer le paradigme pour opérer, ce que le pape François, dans son encyclique, Laudato Si, appelle une révolution culturelle courageuse.

 Quel encouragement, quelle perspective pourriez-vous nous donner pour s’élancer vers une nouvelle terre ?

Cette tâche est gigantesque, mais il est important de ne pas se décourager devant l’ampleur de la  tâche ! Michel Maxime Egger nous propose plusieurs pistes.

Ne pas rejeter les émotions que nous pouvons avoir comme la peur, la tristesse, le découragement, le sentiment d’impuissance, mais simplement les accueillir … Elles sont . Elles appartiennent à notre humanité. Mais ce qui est extrêmement important, c’est de ne pas nous laisser enfermer, dominer, submerger par ces émotions, et, pour cela, créer des espaces où ces émotions puissent s’exprimer, se partager pour pouvoir ensuite être transformées….

Deuxième piste : « le mot confiance ou le mot foi ». Et à coté de toutes ses failles, « il y a en l’être humain créé à l’image de

Dieu… un être capable d’amour, capable de relations harmonieuses avec les autres. Ce sont des qualités, des dimensions à reconnaître, à cultiver et ce à l’intérieur de chaque être humain.

Troisième piste : entrer dans la conscience que chacun de nous tient le fil d’un autre possible. Un fil parfois ténu, mais qui est bien là. Mais pour pouvoir tisser ce fil, c’est extrêmement important d’aller à la source de ce fil, se connecter à ce qui est le plus vivant, le plus vibrant en nous, c’est à dire en fait se connecter à notre  désir. Cela  prendra des formes différentes…il  ne pourra y avoir d’écologie intégrale durable si c’est une écologie du défaut. Ce  doit être une écologie du désir.

Quatrième piste : commencer là où nous sommes, par de petits pas … L’important, c’est de se mettre en mouvement….

Cinquième élément : croire que c’est possible. Et pour cela se rappeler que l’histoire est pleine de causes qui apparaissaient au départ impossibles et sans espoir et qui se sont réalisées. Pensons à l’abolition de l’esclavage, à la chute du mur, à la fin de l’apartheid. … Il y a eu des basculements systémiques et structurels…

Sixième piste : construire des appuis et des alliances. On a  besoin des autres. On ne peut pas réaliser la transition tout seul. Et pour cela, pour construire ces alliances, on a besoin de dialogue. On a besoin de s’écouter, on a besoin de coopérer. Passer du pouvoir sur au pouvoir de… c’est à dire on se met au service de quelque chose avec d’autres…

Septième piste. Comme l’a dit Joanna Macy, opérer le changement de cap en gardant le cap de la joie profonde. C’est à dire cultiver des énergies comme l’amour, comme la joie, comme l’enthousiasme. Ces énergies ne sont pas seulement des énergies renouvelables. Ce sont, bel et bien, des énergies inépuisables.

Huitième piste. Pour tout cela, il est nécessaire de créer à l’intérieur de nous un espace où va pouvoir agir à travers nous une force, un esprit, une énergie ( c’est tout le rôle de la méditation), qui n’est pas celle de notre égo, ce moi volontariste qui est aux commandes, une force qui va pouvoir agir en nous, nous traverser, agir à travers nous, une autre force, une autre  énergie , un souffle qui est aussi un souffle de la terre, un souffle du vivant, mais aussi un souffle du Vivant avec un grand V, un souffle de l’Esprit, le souffle du Mystère au delà de tout nom. Et quand on laisse ce Souffle agir, dans cette ouverture, c’est aussi une ouverture à l’avenir, a ce qui va advenir, dans la  confiance, dans une ouverture au fait que cette  terre, cette terre nouvelle vers laquelle on s’élance, on ne sait pas la forme qu’elle va prendre. Il y a là une dimension d’inconnu, une dimension d’inouï, une dimension d’improgrammable à respecter. Oui, cette terre nouvelle, on ne peut pas la programmer, mais elle va émerger de quelque chose qu’on ne connait pas encore.

Voici une pensée unifiante, tournée vers l’avenir, qui en rejoint d’autres, présentes sur ce blog, telle que celle de Jürgen Moltmann. Cette méditation s’inscrit  dans la réflexion que le vision écologique induit également sur ce blog . « Nous sommes un avec le Vivant. Le Vivant est un », nous dit Michel Maxime Egger.

J H

 

  1. Dans cette interview en vidéo, Michel Maxime Egger introduit Meditatio Ecologie sur le thème : « S’élancer vers une nouvelle terre. Une approche contemplative pour s’éveiller à demain et traverser les changement » : https://www.youtube.com/watch?v=CxrfhAgi_0s&feature=share&fbclid=IwAR1ynwSqVhbTPyTDqv8QudnoR6vkT8fNr7VSexdHr25Xv83SSwH2B407jPQ
  2. Michel Maxime Egger. Après le coronavirus, besoin d’un nouvel imaginaire. Le Temps, 6 mai 2020 : https://www.letemps.ch/opinions/apres-coronavirus-besoin-dun-nouvel-imaginaire?utm_source=facebook&utm_medium=share&utm_campaign=article&fbclid=IwAR0PcSdvtfQ1UN62KbGft6FFgTSpeKSIKpKI2WppO69zGTEkqv672oGM7kA
  3. Le site de Michel Maxime Egger : Trilogies. Entre le cosmique, l’humain et le divin : https://trilogies.org/auteurs/michel-maxime-egger
  4. L’espérance en mouvement. Vivre et espérer : https://vivreetesperer.com/lesperance-en-mouvement/

 

Voir aussi :

En route pour l’autonomie alimentaire : https://vivreetesperer.com/en-route-pour-lautonomie-alimentaire/
Vers une économie symbiotique : https://vivreetesperer.com/vers-une-economie-symbiotique/
L’homme, la nature et Dieu : https://vivreetesperer.com/lhomme-la-nature-et-dieu/
Comment entendre les principes de la vie cosmique pour entrer en harmonie : https://vivreetesperer.com/comment-entendre-les-principes-de-la-vie-cosmique-pour-entrer-en-harmonie/
Une approche spirituelle de l’écologie (Sur la Terre comme au Ciel) : https://vivreetesperer.com/une-approche-spirituelle-de-lecologie/
Un avenir écologique pour la théologie moderne
https://vivreetesperer.com/un-avenir-ecologique-pour-la-theologie-moderne/

Comment  dimension écologique et égalité hommes-femmes vont de pair et appellent une nouvelle vision écologique : https://vivreetesperer.com/comment-dimension-ecologique-et-egalite-hommes-femmes-vont-de-pair-et-appellent-une-nouvelle-vision-theologique/

Convergences écologiques : Jean Bastaire, Jürgen Moltmann, pape François, Edgar Morin : https://vivreetesperer.com/convergences-ecologiques-jean-bastaire-jurgen-moltmann-pape-francois-et-edgar-morin/

 

Vers une économie symbiotique

 Avec Isabelle Delannoy

 Face à la crise, l’économie symbiotique, c’est la convergence des solutions.

 51AtX99cxLL._SX366_BO1,204,203,200_         Symbiose est un mot inventé à la fin du XIXè siècle et qui signifie : vivre ensemble. « Il décrit l’association étroite et pérenne entre deux organismes différents qui trouvent, dans leurs différences, leurs complémentarité. La croissance de l’un permet la croissance de l’autre et réciproquement » (p 52). En proposant le terme d’économie symbiotique, Isabelle Delannoy a écrit un livre (1) sur ce thème dans lequel elle ouvre un avenir à partir de la mise en évidence de la complémentarité d’approches innovantes qui sont déjà à l’œuvre aujourd’hui. « La vraie révolution que l’on a apporté avec l’économie symbiotique, c’est de faire croiser trois sphères : la matière avec la sphère de l’économie circulaire, la sociosphère avec l’économie collaborative, l’ingénierie écologique et l’utilisation des écosystèmes du vivant, pour qu’on puisse restaurer nos écosystèmes naturels et ne plus rester dans la logique extractive » (Laura Wynne) (2).

Ce livre est le fruit d’un parcours. Ingénieur agronome, Isabelle Delannoy a très vite mesuré l’ampleur du déséquilibre écologique. « Nous relâchons en quelques décennies un carbone que des êtres vivants ont mis des centaines de milliers d’années à enfouir ». (p 23). Et elle a participé à la réalisation du film « Home » de Yann Arthus Bertrand. « Dans ce film diffusé en 2009, nous disions une vérité lourde : Si nous ne sommes pas capables d’inverser la tendance avant dix ans, nous basculerons dans une planète au visage inconnu. A la suite de la détérioration du socle des équilibres planétaires, la détérioration des écosystèmes d’un côté, la croissance des émissions de gaz à effet de serre de l’autre, le climat pourrait entrer dans une phase d’emballement qui ferait basculer la terre dans un autre état thermodynamique global… » (p 28). Mais Isabelle Delannoy n’a pas voulu rester sur le registre de la mise en garde. Elle s’est engagée dans une recherche de solutions qui a abouti à la publication de ce livre. Et cette recherche a couvert toute la gamme des approches innovantes  que l’on peut observer aujourd’hui. « J’ai alors cherché systématiquement les logiques économiques et productives qui pouvaient participer à répondre à cette déstabilisation de l’écosystème Terre et à renverser la tendance » (p 28). En regard, elle a trouvé une pléthore d’innovations, mais « aucune de ces logiques ne suffisait… Toutes semblaient nécessaires, mais largement insuffisantes » ( p 29).

C’est alors qu’Isabelle Delannoy a vu se dessiner un mouvement global. « A mesure que je cherchais, il se formait un motif, un design commun. Je me rendais compte que, sous leur diversité apparente, elles présentaient des analogies de fonctionnement remarquable.. . Pour l’ingénieur agronome que je suis, c’est à dire une scientifique à orientation technique, les principes que je voyaient se dessiner étaient comme les rouages d’un nouveau moteur, les éléments unitaires d’un nouveau système logique économique » (p 29). Isabelle Delannoy a développé ces principes pour en faire le fondement d’une « économie symbiotique ». Tout au long de cet ouvrage, elle nous présente cette économie en devenir.

 

Vers une économie symbiotique

 

Dans cette période de mutation, nos regards se transforment. La mise en évidence des processus symbiotiques est elle-même le fruit d’une inflexion récente de la recherche. « La symbiose fut longtemps ignorée face à la compétition mise en avant par Charles Darwin dans sa théorie publiée au XIXè siècle… Depuis ces dernières décennies, la symbiose a le vent en poupe. Des chercheurs comme Lynn Margulis, Olivier Perru, Marc-André Sélosse… montrent que la symbiose en particulier, et les mécanismes coopératifs en général agissent également comme un des moteurs principaux de l’évolution » (p 52) (3). L’auteure cite l’exemple des coraux qui sont la résultante d’une symbiose entre deux organismes : l’un constructeur : le polype, l’autre nourricier : la zooxanthelle, une algue qui sait capter l’énergie lumineuse grâce à la photosynthèse. Aujourd’hui, le sens du mot  symbiose est de plus en plus réservé aux « relations à bénéfices réciproques entre deux ou plusieurs organismes qui se lient de façon pérenne » (p 53). L’économie symbiotique s’inscrit ainsi dans dans un univers caractérisé par la complémentarité, la réciprocité, la synergie. En examinant différentes approches innovantes à elle seule insuffisantes pour répondre au grand défi, Isabelle Delannoy « s’est rendu compte que, sous leur diversité apparente, elles présentaient des analogies de fonctionnement remarquables…. Je voyais converger l’agroécologie, la permaculture, l’ingénierie écologique, l’économie circulaire, l’économie de la fonctionnalité, les smart grids, l’économie collaborative et du pair à pair, la gouvernance des biens communs et les structures juridiques des coopératives. Dans tout ce qui fait économie, ressources vivantes, ressources techniques, ressources sociales, une nouvelle logique…était apparue » (p 30). A partir de l’observation des pratiques nouvelles, Isabelle Delannoy a élaboré une théorie, « un système logique commun qui peut se traduire jusque dans des formulations mathématique, systémique et thermodynamique » ( p 30)

 

Penser en terme d’écosystème

 

« En écologie, un écosystème est un ensemble formé par une communauté d’êtres vivants en interrelation avec un environnement » (Wikipedia). Penser en terme d’écosystème, c’est reconnaître et encourager une dynamique interrelationnelle. Et cette approche est particulièrement active dans ce livre sur l’économie symbiotique : « une économie de l’information ; réanimer les ressorts de la terre ; une économie structurée en écosystèmes, l’énergie et la matière ; une économie en écosystèmes… ».

 

Les milieux naturels se lisent en terme d’écosystèmes. Et, dans l’agriculture, on prend conscience actuellement des méfaits de la monoculture mécanisée et on reconnaît les avantages de la diversité et de la complémentarité. En France, la ferme du Bec Hellouin est  ainsi reconnue dans son expérimentation innovante dans l’esprit de la permaculture (4). Et le même esprit est présent dans une ferme en Autriche dans une vallée peu propice à la culture. Or, un pionnier, Sepp Holzer y a construit un écosystème agricole ultra productif. Comment a-t-il atteint cette performance ? « Sepp Holzer a réfléchi à sa ferme comme un ensemble d’écosystèmes. A la petite échelle de la parcelle, il met en compétition les espèces qui vont s’enrichir mutuellement. Ainsi chaque arbre est planté avec un ensemble de graines d’une cinquantaine de plantes différentes qui entreront en synergie. Elles trouveront leur complémentarité dans la différence de taille, de morphologie, d’enracinement, d’écosystèmes microbiens associés, de synthèse de molécules, de préférence pour l’ombre et la lumière. Ces coopérations engendrent des relations nutritives entre les plantes et permettent de se passer d’engrais. Elles entretiennent une diversité d’hôtes et de prédateurs et il et possible de s’affranchir des pesticides… Mais Sepp Holzer a également créé une association d’écosystèmes diversifiés selon un design très précis permettant leur mise en synergie… Ainsi, à mesure des années, il a créé un ensemble de soixante dix mares et étangs et étagé le relief en terrasses. Le miroir créé par la surface de l’eau envoie les rayons du soleil sur les coteaux qui la surplombent et produit de nouvelles conditions climatiques pour des espèces qui n’auraient pu se développer  dans les conditions initiales… » (p 59-60). « Le système entre  en croissance selon un mécanisme synergique et enrichit son milieu. Sepp Holzer a créé un système productif qui ne détruit pas les ressources écologiques, mais qui, au contraire, en crée » ( p 60).

 

Cependant, les écosystèmes vivants ne sont pas à même de remplacer toutes les industries. « Ces industries doivent être alimentées en matériaux et en énergie pour fonctionner. De plus, de nombreuses infrastructures, machines et outils, ne peuvent exclusivement faire appel à des matériaux biosourcés. Il s’agit donc d’organiser les systèmes économiques et productifs  qui permettront une réutilisation maximale de la matière qui la compose » (p 109). Alors Isabelle Delannoy nous expose les voies innovantes d’une économie en écosystèmes pour traiter de l’énergie et de la matière. Et là aussi, elle s’appuie sur de nombreuses études de cas.

Ainsi une architecture bioclimatique produit des bâtiments consommant un minimum d’énergie pour le chauffage et la climatisation. C’est l’exemple de l’entreprise Pocheco dans le nord de la France qui est devenu autosuffisante en matière de chauffage, six jours sur sept (p 115). Au Val d’Europe, une zone d’activité de la région parisienne,  le data center de la banque Natixis a été conçu dès son implantation comme une centrale à la fois de données et de chauffage. L’activité des serveurs est intense et dégage une grande chaleur. Cette énergie est la base d’un réseau de chaleur faisant circuler une eau à 55°C qui alimente un centre aquatique, une pépinière d’entreprises, deux hôtels et une centaine de logements collectifs (p 119).

Et, en même temps, dans l’industrie, une approche systémique se développe. « La logique de fonctionnement actuelle est très mal adaptée à la limitation des ressources. Elle repose sur une logique linéaire : j’extrais, je transforme, je consomme, je jette. Son efficience tend vers zéro » (p 12). On peut agir autrement : « ne plus bâtir des « chaines » de production, mais des écosystèmes de production en agissant sur toutes les étapes. Ainsi, à Kalundberg, au Danemark, les industriels se sont rendus compte que les uns achetaient comme matière première ce que les autres rejetaient en tant que déchets. Ils sont entrés en coopération et celle-ci s’est étendue à des échanges de matière et d’énergie ( p 126-127). Cet écosystème industriel est aujourd’hui un exemple. « En bout de chaine, avec l’apparition du web, une telle organisation collaborative se répand chez les consommateurs. Ils forment des écosystèmes ou chacun peut être à la fois fournisseur, acheteur ou usager d’un bien » (p 128).

Lorsque les consommateurs se rapprochent de la production et inversement, on enregistre des gains très importants d’efficience. C’est le cas lorsqu’au lieu de vendre des objets, le fabricant en vend l’usage. C’est une « économie de fonctionnalité ». « Puisqu’il reste propriétaire de son bien, le fabricant a tout intérêt à en prolonger la durée de vie ». et il pourra, en fin de cycle, récupérer les matériaux .

Spécialisé dans la fabrication de photocopieuses, Rank Xerox est une des références les plus anciennes. « Aujourd’hui, Rank Xerox réutilise 94% des composantes de ses anciennes machines pour en fabriquer de nouvelles (p 133). « Les modèles dynamiques d’accès  permettent de vendre beaucoup en produisant peu » (p 136).

Et, bien sur, la nouvelle économie portée par le Web abonde en systèmes écoproductifs. « Ce sont des projets open source. L’open source est un exemple des principes symbiotiques appliqués à l’innovation et à la production : une diversité d’acteurs partageant des valeurs similaires et un centre d’intérêt commun mettant en partage leurs savoirs et savoir-faire. De leur coopération naissent des logiciels (tel Wordpres, Firefox, Linux), des encyclopédies du savoir telle Wikipedia… » ( p 143).    L’émergence des fablabs pour permettre une mutualisation des outils industriels à l’intention d’acteurs de terrain témoigne de même de la métamorphose de la production (p 146-148).

« Dans les fablabs, la combinaison d’internet et le libre partage de l’innovation accélèrent le brassage des innovations. Il se crée un écosystème entre concepteurs, usagers et ateliers de fabrication qui change radicalement la logique de la production industrielle : ouverte, coopérative, locale, personnalisée »  (p 155).

Ainsi, Isabelle Delannoy nous montre l’avancée de l’économie symbiotique dans son visage industriel. C’est une métamorphose radicale de la fabrication des biens d’équipement et de consommation. On peut maintenant envisager « la transformation de la chaine industrielle en un vaste écosystème mondial reliant des écosystèmes locaux » ( p 160).

 

Le temps de l’information

 

Nos yeux s’ouvrent et nous commençons à voir le monde en terme d’information. Nous prenons conscience du rôle prépondérant de l’information. « Depuis son origine, la Terre n’a cessé de créer de l’information. Grâce à elle, des mouvements ordonnés de la matière se sont créés, donnant lieu à une diversité de formes, de couleurs, de mouvements, exceptionnelle : la vie telle que nous la connaissons. De cette information motrice, l’une a été motrice plus que tout autre. Il s’agit de celle qui est codée dans les gènes du végétal portant les mécanismes de la photosynthèse » (p 43).  La photosynthèse est un processus exceptionnellement puissant. « La photosynthèse permet de capter une énergie brute et immatérielle, l’énergie lumineuse, de la stocker et de la distribuer de façon extrêmement fine… ». Grâce aux informations contenues dans sa bibliothèque génétique, le végétal va ainsi à l’encontre des lois physiques de l’énergie qu’on appelle l’entropie » (p 44). Le vivant se caractérise par la richesse de l’information. Il en déborde. Apprenons à la respecter. « C’est très simple. Si nous coupons une forêt pour bruler son bois, nous aurons perdu l’intelligence contenue dans le matériau bois qui aurait pu servir pour la construction, mais aussi l’intelligence chimique de ses molécules qui auraient pu servir à la pharmacopée, et encore celle apportée par l’écosystème forêt réparatrice de la qualité de l’eau, de la fertilité du sol, du climat » (p 45).

Nous pouvons faire mieux. En terme d’information, l’intelligence humaine est elle-même extrêmement créatrice. L’intelligence humaine peut devenir catalysatrice. « En agissant comme un catalyseur des écosystèmes vivants, l’espèce humaine devient un facteur multipliant leur efficience naturelle » (p 46). Le rôle de l’information va en croissant. Dans les écosystèmes vivants, il y a d’abord une construction de structures. « Ils créent alors beaucoup de biomasse et tissent peu de réseaux. Mais lorsque leurs structures deviennent plus matures, les réseaux s’enrichissent…les racines se connectent…des signaux chimiques s’échangent…. La faune vient s’installer. Les informations circulent extrêmement abondantes » (p 48). On peut envisager une évolution comparable dans l’histoire humaine. Ne serions-nous pas arrivé dans la phase de maturité où « presque toute l’efficience à produire des services vient de la capacité à produire et à traiter de l’information ».

Isabelle Delannoy nous ouvre un horizon. « Admirons l’improbable conjoncture que forme notre époque. Nous vivons l’instant où le niveau de destruction des écosystèmes menace la perpétuation de nos conditions de vie en même temps que nous accédons à un stade de structuration des écosystèmes dans son plein niveau possible d’efficience (p 49).

 

Emergence

 

 

Isabelle Delannoy a mené une recherche pour mettre en évidence les principes qui fondent une économie symbiotique et toutes les synergies que celle-ci engendre. Des exemples, comme le nouveau mode de fabrication permis par la voiture électrique sont particulièrement éloquents (p 241-244). La moindre chaleur émise permet une grande souplesse et inventivité dans la mise en œuvre des matériaux. Ainsi, avec Isabelle Delannoy, nous assistons à une émergence : émergence de nouvelles pratiques, mais également avec elle, émergence d’un nouveau regard : « Il semble que, dans le silence, un nouveau regard, une métamorphose  sociale et économique soit en train de naitre. Apparues sans concertation, les différentes logiques économiques et productives que nous avons successivement présentées  couvrent toutes les activités économiques et forment un écosystème  économique complet. Sous leur apparente diversité et la multiplicité des termes : ingénierie écologique, permaculture,  biomimétisme, écologie industrielle, économie circulaire, économie de la fonctionnalité, smart grids, open source, makerspaces, open data, économie de pair à pair, contribution sociale et solidaire, elles sont d’une extraordinaire cohérence dans leur système de fonctionnement et peuvent être décrites selon les mêmes principes » (p 227). Isabelle Delannoy a « qualifié ces principes,  et le principe logique dont ils sont le cœur, de « symbiotique ». « Ce système logique est utilisable en tant que tel, sans même vouloir développer une économie symbiotique complète. Il caractérise un fonctionnement continu et typique d’une nouvelle logique émergente » (p 227).

La recherche d’Isabelle Delannoy a commencé en 2009 dans la conscience de la menace du basculement climatique. Cette menace n’a pas disparu. On doit y faire face et il y a urgence. Le remède passe par une transformation de l’économie. Isabelle Delannoy nous apporte une bonne nouvelle. Non seulement, cette transformation est possible, mais  elle a déjà commencé. Un puissant mouvement est déjà en cours.

« Une nouvelle forme de pensée se développe partout dans le monde. Extraordinairement cohérente, non concertée, apparue majoritairement ces cinquante dernières années, elle laisse entrevoir que, dans le silence, est en train de naitre une métamorphose économique, technique et sociale radicale de nos sociétés… cette nouvelle économie a le potentiel de devenir symbiotique et régénératrice au niveau global…Elle organise une symbiose entre les écosystèmes vivants, les écosystèmes sociaux et l’efficience de notre technique » (p 313-314). On assiste donc à une multiplication d’écosystèmes innovants. L’économie symbiotique grandit à partir des réalités locales. On peut imaginer une économie décentralisée avec « des places de marché locales et reliées ». Cette économie nouvelle surgit de toute part.

 

Vers une nouvelle civilisation

 

Ce livre nous fait entrer dans un monde en transformation : une métamorphose, un changement de paradigme, une nouvelle civilisation en germination. C’est bien ce qui apparaît à Isabelle Delannoy dans l’exploration qu’elle a entrepris et qu’elle nous rapporte dans cet ouvrage. Si nous définissons une civilisation comme « l’ensemble des traits qui caractérisent une société donnée du point de vue technique, intellectuel, économique, politique et moral, cette étude m’amène à penser qu’émerge aujourd’hui une nouvelle civilisation » (p 19).

Dans ce livre, nous voyons apparaître une ligne de force majeure : la reconnaissance du vivant dans toutes ses dimensions. Cela induit une nouvelle vision de l’humain. « Ces travaux ont renouvelé ma conception de l’être humain et de sa place dans l’univers. Nous avons une vision très négative de l’homme vis-à-vis du vivant. L’idée que nous devons choisir entre notre développement et celui de la nature est profondément ancrée. Il s ‘agit donc au mieux de faire le moins de mal possible. L’économie symbiotique apporte (et requiert) une vision positive de l’espèce humaine et de son rôle dans l’univers (p 35-36). Aujourd’hui, l’humain prend un autre rôle dans le vivant. Il n’observe plus la nature pour la soumettre,  pour en devenir « maitre et possesseur » comme l’expriment Francis Bacon et René Descartes, pères du rationalisme occidental moderne, mais pour en comprendre et en faciliter les équilibres afin de favoriser son développement et sa croissance (p 37). L’auteure nous indique un changement de cap majeur dans les attitudes et les représentations : «  Nous pensions quantité, masse, forces. En comprenant que nous pouvons devenir symbiotes de notre planète, notre génie se déploie. Nous pensons informations, liens, synergie (5). Jamais notre imagination n’a été nourrie de la possibilité que le beau puisse être efficace, que ce qui est doux puisse être puissant » (p 37).

 

Ouvertures spirituelles

 

A la suite de cette vaste enquête et de ce travail de synthèse, Isabelle Delannoy nous permet d’entrevoir la montée d’une civilisation nouvelle. Celle-ci commence à se frayer un chemin à travers de nouvelles représentations et de nouvelles pratiques. Et, dans le même mouvement, une nouvelle éthique et une nouvelle spiritualité apparaissent. Isabelle Delannoy évoque « une nouvelle alliance » ( p 103-106), reconnaissance et respect du vivant par l’humanité. Dans le même mouvement, c’est aussi l’affirmation de valeurs comme la bienveillance, la collaboration, l’entraide, la solidarité. Des pièces du puzzle rassemblées par l’auteur, on voit apparaître un paysage nouveau.

Laissons libre cours à notre émerveillement. Et, pour les chrétiens, à partir d’une approche théologique nouvelle, sachons reconnaître l’œuvre de l’Esprit. Nous pouvons écouter cette interpellation de Pierre Teilhard de Chardin, scientifique et théologien précurseur, cité par Isabelle Delannoy (p 57). « Si les néohumanistes du XXè siècle nous déshumanisent sous leur Ciel trop bas, de leur côté, les formes encore vivantes du théisme ( à commencer par la chrétienne) tendent à nous sous-humaniser dans l’atmosphère raréfié d’un Ciel trop haut. Systématiquement fermées encore aux grands horizons et aux grands souffles de la Cosmogenèse, elles ne se sentent plus vraiment avec la terre, une Terre dont elles peuvent bien encore, comme une huile bienfaisante, adoucir les frottements internes, mais non (comme il le faudrait) animer les ressorts ».

Et, déjà, pour participer à l’évolution en cours, pour y apporter une contribution, le christianisme est appelé à retrouver son esprit d’origine dans une marche en avant qui regarde vers la nouvelle création à venir et qui s’inscrit dans une théologie de l’espérance. « Dieu est lié à l’espérance humaine de l’avenir. C’est un Dieu de l’espérance qui marche « devant nous » et nous précède dans le déroulement de l’histoire » (Jürgen Moltmann) (6). L’Esprit de Dieu est « l’Esprit qui donne la vie » (7). Cet Esprit n’est pas seulement  l’Esprit rédempteur, c’est aussi l’Esprit créateur à l’œuvre dans une création qui se poursuit (8). Ainsi, Jürgen Moltmann peut-il écrire : « Dieu est celui qui aime la vie et son Esprit est dans toute la création. Si on comprend le créateur, la création et son but de façon trinitaire, alors le créateur habite par son Esprit dans l’ensemble de la création et dans chacune de ses créatures et il les maintient ensemble et en vie par la force de l’Esprit » (9). Ainsi l’Esprit Saint anime et relie. « Si l’Esprit Saint est répandu dans toute la création, il fait de la communauté des créatures avec Dieu et entre elles, cette communauté de la création dans laquelle toutes les créatures  communiquent chacune à sa manière entre elles et avec Dieu…L’ « essence » de la collaboration dans l’Esprit est, par conséquent, la « collaboration » et les structures manifestent la présence de l’Esprit dans la mesure  où elles font reconnaître l’ « accord général ». « Au commencement était la relation » (Martin Buber) (9). Cette vision fait apparaître une correspondance entre l’inspiration de l’Esprit qui induit reliance et créativité et ce que nous entrevoyons  dans la civilisation symbiotique en voie d’émergence.

Nous vivons à un tournant de l’histoire. Nous ne voyons que trop les menaces engendrées par les abus de l’humanité vis à vis de la nature. Les remèdes sont en route, mais le temps presse. Comme d’autres observateurs, Jürgen Moltmann  nous rapporte une parole du poète allemand, Friedrich  Hölderlin : « Dieu est proche et difficile à saisir. Mais , au milieu du danger, se développe le salut » (6).

Dans ce contexte, ce livre sur l’économie symbiotique arrive au bon moment. Isabelle Delannoy met en évidence la convergence de nouveaux courants économiques qui débouchent sur une transformation générale de l’économie et portent un changement de mentalité.  Sur ce blog, notre attention va dans le même sens. Nous essayons de mettre en évidence les émergences positives (10) et de contribuer ainsi à l’évolution des représentations. L’action dépend de l’horizon qui lui est proposée. « Nous devenons actifs pour autant que nous espérions. Nous espérons pour autant que nous puisions entrevoir des possibilités futures. Nous entreprenons ce que nous pensons être possible » (Jürgen Moltmann) (11). A juste titre, Isabelle Delannoy évoque la puissance de la pensée. Elle cite Lune Taqqiq : « Le poids d’une pensée peut faire basculer le cours de l’humanité » (p 316). Ce livre sur l’économie symbiotique participe à notre « conscientisation ». En faisant apparaître l’émergence d’une économie et d’une société nouvelle à travers l’apparition de multiples innovations signifiantes, il nous enseigne, il nous éclaire, il nous mobilise. Merci à Isabelle Delannoy !

 

Jean Hassenforder

 

(1)            Isabelle Delannoy. Préf. de Dominique Bourg. L’économie symbiotique. Régénérer la planète, l’économie et la société. Domaines du possible. Actes Sud/Colibris.  Voir aussi : Isabelle Delannoy. L’économie symbiotique. TED x Dijon : https://www.youtube.com/watch?v=9BL0fJErgmQ

(2)            Laura Wynn. « L’économie symbiotique est un modèle qui donne espoir » You tube : https://www.youtube.com/watch?v=Pvp4cxI_ENs

(3)            « L’entraide, l’autre loi de la Jungle par Pablo Servigne et Gauthier Chapelle » : https://vivreetesperer.com/?p=2734   Autre source : Dans son itinéraire scientifique, Lynn Margulis à montré le rôle important de la symbiose dans l’évolution. Comme le montre Jean-François Dortier, dans son blog : « La quatrième question », à l’époque, cette théorie symbiotique s’est heurtée à une vive opposition de la théorie Darwinienne alors dominante :               https://www.dortier.fr/lynn-margulis-et-levolution-des-etres-complexes/

(4)            « Cultiver la terre en harmonie avec la nature » (la permaculture et la ferme du Bec Hellouin) : https://vivreetesperer.com/?p=2405

(5)            « Une philosophie de l’histoire, par Michel Serres »  Michel Serres nous parle de l’entrée de l’humanité dans un âge  doux…https://vivreetesperer.com/?p=2479

(6)            Jürgen Moltmann. De commencements en recommencements. Empreinte, 2012 (p 109-110 et p 69)

(7)            Jürgen Moltmann. L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999

(8)            « Un Esprit sans frontières » :  https://vivreetesperer.com/?p=2751

(9)            Jürgen Moltmann. Dieu dans la création. Cerf, 1988 ( p 8 et 24-25)

(10)      Des initiatives écologiques à l’économie collaborative (voir ci-dessous)

(11)      « Agir et espérer. Espérer et agir » : https://vivreetesperer.com/?p=2720

 

 

Nouvelles initiatives et mouvements de pensée

1 « Cultiver la terre en harmonie avec la nature » : https://vivreetesperer.com/?p=2405

2 « Incroyable, mais vrai ! Comment les « incroyables comestibles » se sont développés en France

https://vivreetesperer.com/?p=2177

3 « Convergences écologiques : Jean Bastaire, Jürgen Moltmann, Pape François et Edgar Morin » : https://vivreetesperer.com/?p=2151

4 « Vivre en harmonie avec la nature. Ecologie, théologie et spiritualité » : https://vivreetesperer.com/?p=757

« Anne Sophie Novel : militante écologiste et pionnière de l’économie collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1975

5 « Quand l’arrivée d’un oiseau annonce une vie nouvelle pour les terrils » : https://vivreetesperer.com/?p=2713

6 « Le film : Demain » : https://vivreetesperer.com/?p=2422

7 « Blablacar. Un nouveau mode de vie » : https://vivreetesperer.com/?p=1999

8 « OuiShare, communauté leader dans le champ de l’économie collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1866

9 « Vive la co-révolution. Pour une société collaborative »

https://vivreetesperer.com/?p=1394

10 « Vers un nouveau climat de travail dans des entreprises humanistes et conviviales » : https://vivreetesperer.com/?p=1394

 

Voir aussi, en prospective économique :

« Un monde en changement accéléré » (Thomas Friedman) : https://vivreetesperer.com/?p=2560

« Comprendre la mutation actuelle de notre société requiert une vision nouvelle du monde » (Jean Staune) : https://vivreetesperer.com/?p=2560

 

Comment entendre les principes de la vie cosmique pour entrer en harmonie

Diversité, essence et communion

Temoins présente un article de soeur Joan BrownSelon Sœur Joan Brown

 Nous vivons dans un univers en évolution, dans un monde vivant. Avons-nous conscience d’en faire partie ou bien nous en détachons-nous pour le dominer, pour nous replier sur nous ou pour nous en évader ? Si nous entendons les principes de la vie cosmique, les lois de la vie, alors nous participerons à la vie qui nous est donnée et nous pourrons vivre en harmonie. Comment comprendre le rapport entre diversité et unité ? Comment participer au grand mouvement d’interconnexion et de reliance  constamment à l’œuvre ? Comprendre le monde, c’est nous comprendre nous-mêmes. Nous comprendre, c’est comprendre le monde et y participer. C’est une vision où s’allie la science et la spiritualité.

Aujourd’hui, les menaces qui mettent en danger les équilibres du vivant sur notre planète engendrent une prise de conscience écologique. Cette prise de conscience n’appelle pas seulement une transformation majeure de la vie économique, un changement de la production et de la consommation, mais aussi, dans le même mouvement, une transformation de notre genre de vie (1). Et donc, ce qui nous est demandé, c’est une nouvelle manière d’envisager la vie dans son essence même.

Dans l’Occident chrétien, à partir de la renaissance, en phase avec une certaine conception de Dieu, la nature a été soumise à une gouvernance autoritaire (2). Si, dans le même temps, le matérialisme s’est répandu, face à ces errements, à la fin du XXè siècle, des théologiens se sont dressés et nous ont proposé une nouvelle vision de Dieu et du monde. Ainsi, en 1985, Jürgen Moltmann, déjà reconnu comme le théologien de l’espérance, publie un livre : « Dieu dans la création » , qui porte déjà comme sous-titre, « Traité écologique de la création ». (3). Aux Etats-Unis, Thomas Berry (4), prêtre catholique engagé dans une intime compréhension des grandes cultures religieuses, de la Chine et l’Inde jusqu’aux traditions des peuples premiers, disciple de la pensée de Teilhard de Chardin, s’affirme comme un chercheur passionné à l’étude de la terre, comme un « écothéologien ». Un peu plus tard, en 2015, paraît « Laudato Si’ », la lettre encyclique du Pape François sur la sauvegarde de la maison commune (5).

La sœur franciscaine, Joan Brown (6), participe à l’inspiration de Thomas Berry et collabore avec Richard Rohr, fondateur et responsable du « Center for action and contemplation » à Albuquerque (New Mexico) (7). Elle participe à des mouvements alliant écologie et spiritualité comme les « sœurs de la terre » (« Sisters of earth ») (8). Dans l’Etat américain du Nouveau Mexique, elle anime et dirige un centre écologique et interconfessionnel : « New Mexico Interfaith Power and Light » (9). Le centre appuie les églises engagées dans la transformation écologique et participe à des actions environnementales. Dans le cadre d’un cycle de méditations : « Unité et diversité » publié du 2 au 8 juin dans le cadre des méditations quotidiennes diffusées par le « Center for action and contemplation », Joan Brown a écrit une contribution : « Diversité, essence et communion » (10).

Diversité, essence et communion

« Nous tous qui vivons, respirons et marchons sur cette Mère Terre, magnifique et sainte, nous tous, sommes appelés à comprendre les principes inhérents à l’énergie interdépendante et dynamique qui vibre dans chaque élément de la vie ».

Joan Brown distingue en effet trois mouvements qui ont émergé dès la première apparition de la vie, il y a 13,8 milliards d’années.

Ces mouvements, ces énergies, ces principes sont :

« la différenciation ou la diversité

La subjectivité, l’intériorité ou l’essence

La communion, la communauté et l’interconnexion ».

« Comprendre ces principes d’action est essentiel dans les temps critiques où  nous vivons, là où la diversité engendre des conflits, où la vie se déroule à un niveau souvent superficiel et où l’individualisme est rampant ». Ainsi, Joan Brown nous décrit ses principes d’action.

D’abord, chacun de nous – chaque être humain, chaque goutte d’eau, chaque molécule, chaque oiseau, chaque grain de sable, chaque montagne –  est distinct ou différent. Chacun, chacune est une manifestation distincte de l’énergie du Divin Amour. L’univers prospère et ne peut exister sans cette diversité. Ces différences même que nous évitons ou même détruisons, sont nécessaires à la vie  pour qu’elle se poursuive dans une multitude de formes magnifiques.

Joan Brown exprime ensuite un second principe cosmique, « plus facilement accessible aux gens de toute tradition religieuse ». Ce principe, c’est « l’intériorité ou l’essence ». Chaque créature est sainte. Chaque brin d’herbe, chaque sauterelle, chaque enfant est saint. La dégradation écologique, le racisme, la discrimination, la haine, le manque d’intérêt pour œuvrer en faveur de la justice et de l’amour, tout cela évoque un manque de respect, une incapacité d’honorer ce qui se tient devant moi… Pour aider les gens à gérer le changement climatique et à s’y adapter, ce qui est le sujet le plus critique de notre époque, je crois que nous devons nous mettre en contact avec l’essence sacrée de chaque chose qui existe, de chaque existence.

Le troisième principe cosmique est assez évident. « La communion ou la communauté est intimement liée à  la diversité/différenciation et à l’intériorité/essence. Joan Brown évoque une citation attribuée à un moine bouddhiste, Thich Nhat Hanh : «  Nous sommes ici pour nous éveiller, sortir de l’illusion de la séparation ». « La force gravitationnelle de l’amour entraine chaque être vivant et chaque chose à entrer en relation et en communion ».

Nous avons besoin d’une prise de conscience. « Si nous ne pouvons pas aimer notre prochain comme nous-même, c’est parce que nous ne nous représentons pas notre prochain comme nous-même », écrit Béatrice Bruteau, elle aussi « écospirituelle ». « Si nous sommes incapables de voir que nous sommes en communion avec l’autre, nous ne réaliserons pas que ce que nous faisons à nous-même, nous le faisons à l’autre et à la terre. De même, nous ne réalisons pas qu’en fin de compte, notre manque de compréhension se retourne contre nous en violence, que ce soit la peur des autres races et de la diversité ou la destruction de la terre parce que nous voyons le monde naturel comme un objet plutôt que comme un sujet avec une intériorité ».

C’est un appel à voir plus profond , plus grand. « Nous sommes appelé à être plus grand que ce que nous pouvons imaginer être en ce moment. Les principes cosmiques sont une nouvelle manière de comprendre, de voir et d’agir dans un monde qui parait déchiré par une mécompréhension de la beauté de la diversité, de la sainteté de l’essence et de la force évolutionnaire de la communion ».

 Nous ne attarderons pas sur l’arrière plan dans lequel nous voyons cette réflexion : la création en marche « souffrant des douleurs de l’enfantement »  (Rom 8.22) et la dynamique victorieuse de la libération divine en Christ ressuscité. Comme l’écrit Jürgen Moltmann, « le Christ ressuscité est le Christ cosmique. Il est présent en toutes choses. Finalement, il est aussi celui qui vient et qui remplira le ciel et le terre de sa justice ».

La nouvelle spiritualité de la terre éveille une « humilité cosmique ». Elle suscite également un amour cosmique tel que le staretz Sosima l’exprime dans le roman de Dostoevski : « les frères Karamazov » : « Aime toute la création, l’ensemble et chaque petit grain de sable. Aime les animaux, les plantes, chaque petite chose. Si tu aimes chaque petite chose, alors le mystère de Dieu en elle, te sera révélé. Une fois qu’il t’est révélé, alors tu le percevras de plus en plus chaque jour. Et, à la fin, tu aimeras l’univers entier d’un amour sans limites » (11)

Dans ce contexte, combien le regard de Joan Brown nous éclaire et nous apporte une manière nouvelle, une manière constructive de comprendre, de voir et d’agir dans ce monde.

J H

  1. « Vers une économie symbiotique » : https://vivreetesperer.com/vers-une-economie-symbiotique/
  2. « Vivre en harmonie avec la nature » : https://vivreetesperer.com/vivre-en-harmonie-avec-la-nature/
  3. Jürgen Moltmann. Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1988 Voir aussi : « Dieu dans la création » : https://lire-moltmann.com/dieu-dans-la-creation/
  4. Vie et œuvre de Thomas Berry : https://en.wikipedia.org/wiki/Thomas_Berry http://encyclopedie.homovivens.org/documents/thomas_berry
  5. « Convergences théologiques : Jean Bastaire, Jürgen Moltmann, Pape François et Edgar Morin » : https://vivreetesperer.com/convergences-ecologiques-jean-bastaire-jurgen-moltmann-pape-francois-et-edgar-morin/
  6. Sister Joan Brown : https://www.globalsistersreport.org/authors/joan-brown
  7. Center for action and contemplation : https://cac.org/about-cac/
  8. Sisters of the earth : https://www.sisters-of-earth.net
  9. New Mexico Interfaith Power and Light : https://www.nm-ipl.org
  10. « Diversity, Essence and communion » : https://cac.org/diversity-essence-and-communion-2019-06-07/
  11. Jürgen Moltmann. The living God and the fullness of life.World council of churches, 2016 « In the fellowship of the earth » p 80-85 https://vivreetesperer.com/le-dieu-vivant-et-la-plenitude-de-vie-2/

 

Voir aussi sur ce blog :

La danse divine (The Divine Dance) par Richard Rohr :  https://vivreetesperer.com/la-danse-divine-the-divine-dance-par-richard-rohr/

Face à la violence, l’entraide, puissance de vie dans la et dans l’humanité : https://vivreetesperer.com/face-a-la-violence-lentraide-puissance-de-vie-dans-la-nature-et-dans-lhumanite/

L’homme, la nature et Dieu. Tous interconnectés dans une communauté de la création : https://vivreetesperer.com/lhomme-la-nature-et-dieu/

Dieu suscite la communion

Si l’être intime de Dieu est la communion d’amour qui se manifeste dans le Dieu trinitaire, l’Esprit Saint porte et suscite cette communion. Dans notre regard sur l’univers, nous percevons aujourd’hui l’importance primordiale des relations. Tout se tient. « Rien dans le monde n’existe, ne vit et ne se meut par soi. Tout existe, vit et se meut dans l’autre, l’un dans l’autre, l’un avec l’autre, l’un pour l’autre » (p.25). L’Esprit divin est présent dans cette réalité. « En Dieu, nous avons la vie, le mouvement et l’être » (Actes 1.28). L’Esprit Saint suscite « une communauté de la création dans laquelle toutes les créatures communiquent chacune à sa manière entre elles et avec Dieu » (p.24). A l’encontre de toutes les forces contraires, le projet de Dieu est l’harmonie entre les êtres : « L’essence de la création dans l’Esprit est par conséquent la « collaboration » et les structures manifestent la présence de l’Esprit, dans la mesure où elles font connaître l’ « accord général » (p.25). Nous voyons là un principe qui éclaire notre regard, induit notre discernement et motive notre action. « Etre vivant signifie exister en relation avec les autres. Vivre, c’est la communication dans la communion… » (p.15).

 

Cette vision nous apporte un principe de discernement :  « les structures manifestent la présence de l’Esprit, dans la mesure où elles font connaître l’ « accord général » et une orientation pour notre vie : « Etre vivant signifie exister en relation avec les autres. Vivre, c’est la communication dans la communion ». Partageons concrètement cette pensée

 

 

JH

 

Source

 

Moltmann (Jürgen). Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1988 ( renvoi des citations aux pagination)

Voir : « Dieu dans la création » : www.lespritquidonnelavie.com

Une dynamique de vie et d’espérance

De commencements en recommencements

 

Dans nos parcours, il y a des moments où l’horizon s’assombrit, pour nous, pour nos proches, pour nos amis. Parfois, c’est une vie brisée par le deuil, accablée par une maladie, confrontée à une impasse. Comment garder ou retrouver une espérance ?

Et puis nous sommes aussi confrontés aux grandes catastrophes collectives qui parsèment l’histoire et s’inscrivent parfois dans l’histoire de nos familles. Serions-nous sans recours par rapport à cette mémoire ? Et dans ce temps de crise, nous avons besoin de discernement.  Là aussi, comment persévérer dans l’espérance ?

Jürgen Moltmann, un grand théologien contemporain (1) a été confronté dans sa jeunesse au malheur engendré par la guerre à travers l’immense incendie qui a détruit la ville de Hambourg à la suite d’un bombardement aérien, puis par les combats qui l’amènent à se retrouver prisonnier dans un camp de prisonniers allemands en Grande-Bretagne. Il sait ce que le mal représente. Mais dans la découverte de Jésus, puis dans son engagement dans la foi chrétienne et la rencontre avec la pensée messianique juive, il a trouvé en Christ ressuscité le fondement d’une espérance et la source d’une dynamique qui abolit les impasses et ouvre un horizon de vie.

Ainsi a-t-il écrit un livre ayant pour titre : « Im Ende..der Enfang » : « Dans la fin.. un commencement ». Nous en avons eu connaissance dans sa traduction anglaise et nous avons alors rédigé une présentation (2) Ce livre vient d’être traduit et publié aux Editions Empreinte sous le titre : « De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance » (3).

Jürgen Moltmann est un théologien en phase avec les questionnements de notre temps. Mais, si la plupart de ses livres ont été traduits en français aux  Editions du Cerf, ce sont des ouvrages de plusieurs centaines de pages. Il y a donc tout un  travail à accomplir pour rendre accessible sa pensée à un grand public (4). Or, « De commencements en recommencements »  présente une double caractéristique. Ce livre s’adresse à toutes les personnes en recherche de sens. Et il présente un aspect majeur de la pensée de Jürgen Moltmann : la manière dont celui-ci conçoit et perçoit l’œuvre de Dieu dans les vies personnelles en sachant que celles-ci s’inscrivent dans un ensemble qui comprend également un aspect politique et une dimension cosmique. Si ce livre répond ainsi à des questions existentielles, c’est donc aussi une entrée dans la pensée théologique de Jürgen Moltmann.

 

La dynamique de l’espérance.

 

De bout en bout, ce livre est animé par le souffle de l’espérance.

« Que le Dieu de l’espérance vous remplisse de toute joie et de toute paix dans la foi pour que vous abondiez en espérance par la puissance du Saint Esprit (Romains 15.13). Dieu nous précède et nous guide vers un avenir. Il nous appelle et il nous conduit vers un nouvel horizon. L’espérance est une caractéristique originale de la foi chrétienne. Elle est fondée sur la présence de Christ ressuscité et elle suscite notre participation à l’œuvre de Dieu, à son royaume, à la nouvelle création. Pratiquement, elle nous encourage et nous permet de grandir, puis de rebondir face à l’adversité, de « commencements en recommencements ».

 

Les grandes questions de l’existence.

 

         Ce livre éclaire successivement trois aspects de notre existence : le dynamisme de l’enfance et de la jeunesse ; la confrontation avec les catastrophes dans une perspective qui nous permet d’aller au delà ; les questions soulevées par la mort dans une vision qui exprime la puissance miséricordieuse de Dieu. A partir de la version anglaise de ce livre, nous avons présenté à de nombreuses reprises la dynamique libératrice de ces textes . La parution en français vient apporter des pistes de réponse à de nombreuses questions existentielles. Voici donc une brève présentation du contenu de l’ouvrage.

L’approche de Jürgen Moltmann conjugue l’inspiration biblique et une ouverture aux valeurs  que portent l’Esprit dans la culture contemporaine . Ainsi, dans les chapitres sur l’enfance et la jeunesse, l’auteur se départit d’une attitude empreinte de pessimisme sur l’être humain et son devenir. Fréquemment, la valeur attribuée à l’enfant reposait sur sa faiblesse, source d’humilité. Jürgen Moltmann nous présente en regard l’œuvre divine qui se révèle dans le potentiel et la dynamique de la vie des enfants.

Les chapitres consacrés aux recommencements que Dieu suscite dans la confrontation aux catastrophes rompent avec les représentations d’un Dieu justicier ou avec la résignation et à l’incertitude concernant le sort des victimes. Ainsi, dans la durée, Dieu est à l’œuvre pour délivrer tous les hommes du mal. Il n’y a plus de catégories humaines vouées pour toujours à l’anéantissement en fonction d’une fatalité historique. Au contraire, dans sa justice , et dans une puissance infinie, à travers un processus qui s’exerce dans le temps, Dieu sauvera les victimes et il redressera et changera les oppresseurs (5). En Jésus mourant sur la croix, l’amour divin est vainqueur. A travers sa résurrection, Christ suscite un processus de libération qui aboutit à un univers dans lequel « Dieu sera tout en tous » (1 Cor 15.28). L’espérance est une dynamique qui ouvre la voie aux recommencements.

Bien sûr, dans la confrontation avec la mort, l’Evangile nous apporte la promesse de la Vie éternelle. Cependant, on constate que l’enseignement entendu aujourd’hui à ce sujet est souvent hésitant parce qu’il est influencé par des représentations héritées d’une histoire qui s’est écartée du message original. Il y a la crainte engendrée par l’image d’un Dieu justicier et la menace de l’enfer. Et il y a aussi les incertitudes suscitées par des oppositions doctrinaires héritées de l’histoire, ainsi en réaction avec les excès d’une osmose se prêtant aux manipulations institutionnelles,  l’apparition d’une thèse impliquant une séparation tranchée entre le ciel et la terre, qui rompt avec la dynamique de vie. En regard, à partir de la lecture des textes bibliques de l’ancien et du nouveau Testament et d’une analyse historique des représentations et des cultures, Jürgen Moltmann nous apporte une vision qui nous éclaire sur notre devenir dans l’éclairage de la vie éternelle, sur la communauté des vivants et des morts et sur l’œuvre de salut accompli par Dieu en Christ à l’intention de tous les hommes dans la marche vers une nouvelle création où « Dieu sera tout en tous » (1 Cor 15.28)  . A un moment où tout vacillait (6), nous avons trouvé dans la version anglaise de ce livre une réponse providentielle à nos questions. Nous avons voulu ensuite partager cette vision de l’œuvre de Dieu qui porte vie, amour, et délivrance (7)

 

Aujourd’hui, la parution en français du livre de Jürgen Moltmann est non seulement un événement éditorial en rendant accessible sa pensée à un  grand public francophone. C’est aussi la manifestation d’une dynamique de vie et d’espérance qui se répandra parmi ses lecteurs. Notre vie change lorsqu’on peut la penser en terme de commencements en recommencements.

 

JH

 

(1)            La vie et la pensée de Jürgen Moltmann : « Une théologie pour notre temps. Autobiographie de Jürgen Moltmann » http://www.temoins.com/etudes/une-theologie-pour-notre-temps.-l-autobiographie-de-jurgen-moltmann/toutes-les-pages.html

(2)            Moltmann (Jürgen). In the end..The beginning. The life of hope. Fortress Press, 2004 . Présentation : « Vivre dans l’espoir. Dans la fin..un commencement ». http://www.temoins.com/ressourcement/vivre-dans-l-espoir-dans-la-fin-un-commencement.html

(3)            Moltmann (Jürgen). De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance. Empreinte Temps présent, 2012  http://www.editions-empreinte.com/detail_produit.php?rub=6&article=6698&voir=edit

(4)            Parce que la pensée théologique de Jürgen Moltmann est en phase avec les interrogations de notre temps et ouvre des pistes de réponse,  un blog a été créé pour rendre accessible cette pensée : « L’Esprit qui donne la vie » » http://www.lespritquidonnelavie.com/

(5)            Sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : « Délivre nous du mal » http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=702

(6)            Sur le blog : « Vivre et espérer » : « Une vie qui ne disparaît pas ! » https://vivreetesperer.com/?p=336

Sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie », « La vie par delà la mort »  http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=822