Femmes et hommes. Monde nouveau. Alliance nouvelle

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Une conférence de Thomas d’Ansembourg

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         Psychothérapeute dans un parcours où il traite des problèmes de relation et de communication dans des contextes très variés, des problèmes individuels jusqu’aux questions de société, Thomas d’Ansembourg nous apporte un éclairage original qui nous aide à vivre plus heureusement et plus intelligemment . Sur ce blog, nous avons déjà présenté une de ses interventions (1) . Aujourd’hui, nous vous invitons à écouter une conférence de Thomas d’Ansembourg, enregistrée en vidéo, sur le thème : « Femmes et hommes. Monde nouveau. Alliance Nouvelle « (2).

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Cette fois, l’intervention se déroule en une longue séquence, près d’une heure et demie, mais le talent pédagogique du conférencier, en terme d’interrelation, d’illustration par des exemples concrets, d’échappées en forme d’éclairages globaux, d’implication personnelle et de beaucoup d’humour rend cette conférence passionnante. Elle est d’autant plus passionnante qu’elle aborde un thème majeur : la vie en couple dans une perspective qui va bien au delà d’une analyse de la relation, puisqu’elle nous appelle à envisager celle-ci dans le cadre d’une société en mutation et en rapport avec la quête spirituelle qui se répand aujourd’hui. Voici quelques étapes de cette conférence où l’on pourra trouver de précieux éclairages.

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Les bases de l’humain.

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         Cette conférence commence par une question de Thomas d’Ansembourg auprès de son public : Combien de couples heureux connaissez-vous ? Mais si ce nombre n’est pas élevé, n’est-ce pas parce qu’il n’y a pas de formation à la relation ? Ce qui manque, c’est bien souvent un dialogue en profondeur sur ce qu’on veut vivre ensemble . Ainsi appelle-t-il les participants à parler ensemble un à un de leurs aspirations. Et puis, il leur demande les mots qui, à leurs yeux,  caractérisent une relation heureuse : « Qu’est ce que vous souhaitez vivre dans la relation ? ».  Et voici les mots qui apparaissent : liberté, complicité, confiance, partage, ouverture, échange, authenticité, plaisir, sensualité, créativité, joie, émerveillement, évolution, transformation, amour…

         Ainsi des lignes de force surgissent de cette consultation. Et comme le dit, avec humour, Thomas d’Ansembourg, « Il ne faut pas être un grand psy ou un grand philosophe pour dégager ainsi les bases de l’humain ». « Ce que nous cherchons à vivre, c’est un profond contentement de tout notre être » dans la relation à soi, à l’autre, et à la vie, à la grâce ou à Dieu selon notre expression.

         Alors Thomas d’Ansembourg trace sur le tableau où il a écrit tous les mots qui ont été évoqués, une ligne qui monte, un « fil rouge ». Au départ, nous dit-il, l’enfant vit ce profond contentement. Il chevauche son élan de vie. Et puis, des adultes autour de lui lui imposent peu à peu de vivre selon leur schéma : c’est l’heure ; il est temps. On fait les choses comme ceci et non comme cela ; Il faut. Ces schémas correspondent à un certain genre de société, un certain type de culture.

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Un monde nouveau.

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         A plusieurs reprises dans son exposé,Thomas d’Ansembourg montre qu’actuellement la société et la culture sont en train de vaciller et de se fissurer. Un monde nouveau est en train d’apparaître. Car aujourd’hui,  les fondements de l’économie sont de plus en plus critiqués.  « Nous assistons à l’écroulement du mythe de la croissance économique exponentielle et à une fracture croissante entre ceux qui ont de plus en plus et ceux qui ont de moins en moins ». L’exploitation désordonnée des ressources naturelles devient intolérable. Face à ces dysfonctionnements, « une conscience nouvelle semble s’activer ».  Des premiers signes de changement apparaissent dans les pratiques. Parallèlement, une quête de sens apparaît. « De plus en plus d’individus réalisent que la division dans ce monde correspond à une division dans nos cœurs.  Ils ont l’impression d’une déchirure ». « Ce que je vis n’est pas ce que je veux vivre ». Cette quête de sens est donc une caractéristique de notre époque. C’est une démarche pour trouver « un sens personnel et vivant à notre existence »

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Vers la fin du système patriarcal

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         Thomas d’Ansembourg remet également en cause le système patriarcal qui, lui aussi, est en train de se fissurer, mais qui perturbe encore grandement la relation entre les hommes et les femmes. Ainsi nous décrit-il l’apparition de ce système. L’homme devenu agriculteur, enclot son champ. La société se fonde sur la propriété. Une hiérarchie s’instaure. Des divergences d’intérêt débouchent sur des conflits armés. Et de même, la femme est désormais soumise à l’homme. Elle entre dans sa propriété. Mais aujourd’hui, à cet égard, ce système s’effondre. Avec la contraception, la femme peut avoir des enfants comme elle veut et avec qui elle veut.

         Thomas d’Ansembourg nous montre combien la culture patriarcale a faussé les relations . Dans son aspect guerrier, elle développe une culture du sacrifice et du malheur. Dans son accent sur la propriété et l’enrichissement, la possession prévaut : « L’humain est chosifié ». La vie est devenue une sorte d’objet. Clôture et enfermement vont de pair. Dans les mentalités,on peut repérer des comportements qui correspondent à cette culture patriarcale. Et, par exemple, est-ce que le volontarisme correspondant ne provoque pas chez nous un interdit  vis-à-vis de l’accès au bonheur ? Clairement,le rapport de force accompagnant le système patriarcal est contraire à la manifestation de la tendresse et de la douceur.

         Face à cet encodage séculaire,Thomas d’Ansembourg nous invite à « revisiter nos systèmes de pensée, nos systèmes de croyances ». Le travail n’est pas simple. Comme l’ écrit Einstein, « Il faut plus d’énergie pour faire sauter une croyance ou un préjugé qu’un atome ». Mais ce travail est nécessaire pour « sortir de nos enfermements ». Et le mot enfermement évoque le terme d’enfer. Pour ce faire, nous avons besoin « de courage et d’humilité ».

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Pistes de changement

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         Thomas d’Ansembourg ne nous permet pas seulement de repérer nos préjugés et nos enfermements.Très concrètement, il propose des pistes pour une vie en couple plus heureuse en évitant un ensemble de pièges comme la méconnaissance de la tendresse et de la douceur, le rapport de force, une fusion romantique dans laquelle l’autre est « une moitié », ce qui empêche la croissance de chacun et la reconnaissance de l’altérité, l’amour conditionnel, la prétention d’avoir toujours raison, la crainte de montrer nos vulnérabilités. Cette analyse est accompagnée d’exemples vécus qui sont extrêmement évocateurs.

         Le dernier chapitre de cette conférence nous conduit dans une voie de pacification. Thomas d’Ansembourg met l’accent sur la nécessité « d’un temps de présence et d’échange pour une écoute empathique ».  C’est une leçon qu’il a du lui-même apprendre : « J’étais quelqu’un qui courait tout le temps. J’ai du apprendre à ralentir et à pacifier le temps ». Cette disponibilité permettra aussi « d’écouter l’autre au bon endroit ». En voici un bel exemple. A une mère de famille qui impose à ses enfants sa manière de concevoir l’ordre dans la maison, Thomas d’Ansembourg pose des questions successives sur le pourquoi de son attitude. Recherche d’harmonie, de paix, répond-elle. Et puis soudain, elle se rend compte que l’important, c’est le vivant. Et, à quarante-cinq ans, il lui revient une injonction de sa mère : « Plus tard, tu ne sauras jamais tenir ta maison ». Autre discernement : il y a des couples où chacun dit faire son travail. Mais insidieusement, une séparation peut s’installer. Il n’y a plus d’expression de gratitude pour le travail de l’autre. La division prévaut. L’enchantement disparaît.

         L’expression de la reconnaissance, de la gratitude est une démarche indispensable dans la vie humaine. Apprendre à ne pas considérer les choses comme allant de soi. Considérer en quoi notre existence dépend de la collaboration de tant d’êtres humains . Goûter, célébrer ! Bref, y a-t-il « assez d’enchantement, assez d’écoute, assez de solidarité » ? Thomas d’Ansembourg compare le couple à une sorte de creuset où peut se réaliser un processus de transformation. C’est le passage d’une souffrance à la paix intérieure, du morcellement et de la division à l’unité, de l’action réaction à la création, du vide et du manque à la plénitude. C’est passer de l’égo,  qui joue petit, qui a peur de perdre, qui calcule, à la dimension de l’être qui est souffle et inspiration. Allons à l’essentiel plutôt que de nous attacher à des formes provisoires. Nous sommes en route.

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         Dans cette vidéo, Thomas d’Ansembourg déploie des qualités d’acteur au service de sa pédagogie.  Son enthousiasme communicatif nous aide dans notre prise de conscience. Cette conférence nous entraîne  dans de multiples facettes et de nombreuses découvertes . On peut parfois relativiser ce qui est exprimé, mais quel chemin  nous parcourons ainsi avec le conférencier ! C’est un chemin de vie.

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J H

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(1)            Sur ce blog : « Vivant dans un monde vivant. Changer intérieurement pour vivre en collaboration. Aparté avec Thomas d’Ansembourg recueilli par Michel de Kemmeter » https://vivreetesperer.com/?p=1371

(2)            Conférence du 30 janvier 2014 de Thomas d’Ansembourg sur le thème : « Femmes et hommes. Monde nouveau. Alliance nouvelle » : http://www.youtube.com/watch?v=SGVqvLkTcT8 (Alpescproduction. Mis en ligne le 3 février)

        

Apport de l’immigration africaine à la culture du care


 
Hommage reconnaissant et engagé

Si le système de santé français est en crise, confronté aux menaces technocratiques, il reste que le mouvement du care poursuit sa route, gagne dans les esprits et se marque sur le terrain. On pourra se reporter au livre de Fabienne Brugère : « l’éthique du care » (1). C’est « une approche de sollicitude envers les êtres vulnérables ». Fabienne Brugère écrit ainsi : « Il existe une « caring attitude », une façon de renouveler le lien social par l’attention aux autres, le « prendre soin », le « soin mutuel , la  sollicitude et le souci des autres. Ces comportements adossés à des politiques, à des collectifs, ou à des institutions, s’inscrivent dans une nouvelle anthropologie qui combine la vulnérabilité et la relationalité ». Il y a donc bien une « culture du care » qui progresse discrètement en France. Une expérience  de trois ans de vécu en hôpital et en ehpad, en rassemblant mes souvenirs de paroles et de gestes bienfaisants, me permet de mettre en valeur la grande part  que prennent les soignants issus de l’immigration africaine dans la culture du care. Cette propension s’interprète naturellement dans la commune relationalité propre aux deux cultures.

Certes, on doit se garder de toute idéalisation. Il y a parfois dans les souvenirs des moments ou la relation a été difficile en raison de caractères impérieux ou de difficultés de compréhension linguistique. Mais, c’est le loin l’admiration et la reconnaissance qui l’emportent. Dans cet article, nous allons donc égrainer des souvenirs de paroles et de gestes bienfaisants et de faits significatifs. Comme nous rapportons généralement du positif, nous nous permettons de mentionner généralement les prénoms (parfois les abrégeant pour éviter une reconnaissance directe si les circonstances y  incitent)  Et plutôt que de présenter une simple galerie, nous reprendrons ses souvenirs dans des thèmes successifs. Comment avons-nous pu apprécier cette dynamique soignante ?  Comment s’est manifestée une présence portant du sens,  en l’espèce, bien souvent, une présence croyante ? Comment peut-on également percevoir une dynamique sociale dans l’apprentissage de nouveaux savoirs et la mobilité d’une diaspora ? Enfin, nous regretterons, ici ou là , une frilosité des instances dirigeantes vis-à-vis de cet apport. Dans notre mémoire, cette immigration africaine est principalement subsaharienne, mais elle est parfois également maghrébine. Les territoires d’outre-mer se relient à cette mouvance. Ajoutons une participation féminine motrice,  rejoignant celle du care

 

Une dynamique soignante

Cette après-midi là, à l’occasion d’un incident, je fus saisi d’émotion en entendant Nathalie, l’aide-soignante de l’étage, me proclamer en quelque sorte sa vocation. Avec un sourire rayonnant, elle me dit : « Pour moi, je ne conçois pas mon travail, uniquement comme des tâches pratiques, comme faire la toilette. Je sais combien l’attention aux accrocs des personnes âgées est importante et peut prévenir des catastrophes. Je suis une soignante ». Et elle rappela combien les gens étaient solidaires dans son village d’Afrique. Cette « vocation » m’apparut également chez une infirmière qui, à la différence d’autres de passage, se présenta très clairement avec un enthousiasme contagieux et réconfortant : « Je suis Yolande ». Effectivement, très jeune au Cameroun, elle vivait dans une famille où son père était médecin vétérinaire. « Toute petite, je savais qu’il soignait les animaux. Moi, je me suis dit : « je ferais plutôt le métier d’infirmière ». Et alors, je pourrai avoir des moments d’échange avec mon père sur le fait de soigner et sur l’évolution de la médecine. J’avais huit ans » (2). Venue en France, Yolande a surmonté ses difficultés financières initiales et, avec le même désir d’apprendre er le même désir de soigner, elle est devenue aide-soignante, puis infirmière.

Quand on est hospitalisé, on a besoin d’encouragement et ce sont parfois des aides-soignantes qui apportent une aide précieuse. Dans le roulis d’une hospitalisation pour covid, il y avait dans cette clinique une aide-soignante qui se détachait par un soin prévenant. La doctoresse écoutait cette femme d’origine africaine. Par la suite, arrivant dans un hôpital pour un suivi d’hospitalisation, je me souviens d’une aide-soignante qui m’assura que c’était le bon endroit pour remonter. Ces aides-soignantes n’ont pas une vie facile, mais ce sont de bonnes personnes animées par un élan de vie. Cet élan de vie, on le retrouve aussi dans la présence de certaines personnes assurant le service des repas et du ménage.

C’est le cas dans cet ehpad où comptent la gentillesse et le sourire des personnes apportant le repas. Fati est originaire de la région de Tombouctou dans le Mali. Elle est attentive et encourageante. Elle s’est familiarisée avec l’établissement et sait où demander. Elle sait aider discrètement.  Originaire de la côte d’Ivoire, Salimata est joyeuse et enjouée. La bonne humeur, cela compte dans cet univers monotone.

Dans cet ephad, il y a de nombreuses aides-soignantes avec souvent des années d’expérience. On les rencontre notamment au moment de « la toilette » Dans ce moment de proximité, on peut apprécier la prévenance et le respect de beaucoup d’entre elles. Elles aussi viennent de différents pays d’Afrique de la Côte d’Ivoire et du Cameroun au Congo. Une occasion de manifester ma reconnaissance à des aides-soignantes dialoguantes comme Lucie, Alice, Lydienne, Régine, Judith, Nathalie, Solange…Il y a des exceptions où on peut être confronté à des personnes impérieuses et peu communicantes . Toutes ces soignantes, parfois à l’épreuve d’un temps élevé de transport, apportent une vitalité qui s‘inscrit dans une culture du care.

La mémoire d’une aide significative nous revient ici comme un exemple qui vient illustrer cette contribution de l’immigration africaine au care. Infirmière dans cet ephad, elle s’appelait Janette. Mère de famille, elle avait trois enfants. Mal en point à l’époque, j’avais remarqué sa prévenance. Elle m’avait en quelque sorte adopté. Et lorsque ma santé s’affichait positivement, j’observais chez elle un discret et curieux mouvement de danse. J’ai compris depuis combien la danse est consubstantielle à la culture africaine

 

Une présence croyante

La vulnérabilité des patients et des personnes fragiles entraine un besoin de confiance. Il y a des soignantes qui y répondent en puisant dans une culture croyante. C’est le cas chez de nombreuses soignantes issues de l’immigration africaine. L’épreuve amène à chercher l’essentiel. Dans un contexte de proximité, des soignantes apportent discrètement un témoignage de leur foi à travers gestes et paroles. Une culture croyante affleure. D’une clinique, je me souviens de cette aide-soignante estimée qui me parla un jour de son jeune fils à l’école dont les parents prenaient soin pour le protéger et elle me dit combien la prière comptait à cet égard.   Dans l’immigration africaine, la culture croyante va souvent de pair avec une culture chaleureuse qui tranche avec « une culture froide » individualiste et technocratique qui nuit à la sollicitude et sape le moral de personnes éprouvées.

Venant de Côte d’Ivoire et participant à une culture familiale chaleureuse, cette animatrice s’interrogeait sur la manière de témoigner de sa foi dans un milieu de personnes âgées et handicapées et leur manifestait une intelligente sollicitude. Cependant, en évoquant cette présence croyante, je pense particulièrement à une infirmière qui exerçait sa fonction avec chaleur et enthousiasme. Parfois elle chantait et dans la tonalité, je reconnaisais des hymnes connus. Me sachant chrétien, elle n’hésita pas à se dire pentecôtiste. Me concernant, tout naturellement, venait l’expression : « Dieu vous bénit ».

Notons que la croyance en Dieu se manifeste dans la culture africaine avec beaucoup de tolérance. J’ai appris par Fati qu’au Mali, la communauté musulmane coexistait avec différentes églises chrétiennes et que dans sa famille elle-même, il y avait des musulmans et des chrétiens.

 

Une dynamique sociale et culturelle

En s’inscrivant dans la culture française à travers l’activité du care, l’immigration africaine réalise un parcours de promotion impressionnant. C’est un mouvement en marche pour le meilleur. On peut l’observer chez de très jeunes. D’origine maghrébine, Leila, très attentive et communicante, vit avec ses parents dans une famille de sept enfants, dont les ainés ont déjà une inscription professionnelle. Et elle-même poursuit des études d’infirmière. Telle autre jeune fille, d’origine ivoirienne, vivant dans une famille nombreuse et également excentrée en grand banlieue s’engage dans des études d’infirmière.

Cependant, on observe dans la vie des soignantes, des parcours impressionnants de promotion. Béninoise, Philomène, réduite en esclavage domestique par un ménage français qui l’avait emmené en France en promettant à ses parents de lui permettre de faire des études, a pu s’échapper avec l’aide d’une voisine (3). Elle est soutenue par une association, effectue une formation d’auxiliaire de vie, travaille dans l’aide à domicile, travail épuisant lorsque on ne dispose pas d’une voiture pour les transports, puis dans une crèche. Comme aide à domicile, j’ai pu apprécier la qualité de son attention et elle est devenue une amie. Aujourd’hui, mariée, mère de plusieurs enfants, elle commence une formation d’aide-soignante.

En terme de promotion sociale et professionnelle, l’itinéraire de Yolande est exemplaire. « En arrivant en France en 2003, j’ai travaillé comme femme de chambre pendant cinq ans pour financer une formation d’aide-soignante… J’ai approfondi le côté relationnel qui était déjà ancré en moi, mais dont j’ai mieux compris l’application. Cela m’a conforté dans la vocation de soignante que j’avais depuis l’enfance….J’ai commencé à travailler dans les hôpitaux .. Cela m’a permis d’accroitre mes connaissances pendant douze ans. Ensuite, j’ai voulu évoluer dans m carrière professionnelle. C’est alors que j’ai suivi une formation d’infirmière pendant trois ans… ». En revoyant ce parcours, je comprend maintenant pourquoi et comment le gout d’apprendre était si vif chez Yolande. J’ai pu partager avec elle des textes et des livres. Trop souvent, des gens sont assis sur leur culture acquise dans de longues études. Des mouvements comme Peuple et Culture nous ont appris les vertus de la culture populaire et de l’éducation permanente. Animateur dans cet ephad, il s’appelait Sylvain. De par ses origines, il participait à plusieurs cultures.  Il venait de choisir ce métier d’animateur en ephad par souci d’humanité. Il cherchait sa voie et je le sentais en désir d’apprendre et de comprendre. Ce fut un beau moment de partage. Pendant quelque temps, il prit même connaissance des articles de Vivre et espérer…

On retrouve chez beaucoup de soignantes de l’immigration africaine, ce mouvement de promotion dans un univers caractérisé par la mobilité. Cette mobilité est sociale dans un mouvement ascendant. Elle est aussi internationale. On peut apercevoir ici des effets de diaspora. Telle soignante a des sœurs en Europe de Nord. Et puis, les relations avec « le pays » sont fortes et constantes. Une telle soutient des orphelins dans sa ville d’origine. Telle autre travaille en surplus pour permettre à tous les membres de sa famille africaine d’acheter des cadeaux de Noël. Et d’ailleurs, on s’en va souvent au pays pour s’y ressourcer ou pour des évènements familiaux. Il arrive même qu’on participe de Paris à un courant politique . Telle soignante franco-ivoirienne participe au « mouvement des générations capables ».

 

Face à des brimades

On sait que la société française est traversée par des courants politiques opposés dans leur attitude vis-à vis de l’immigration. Ainsi, il y a bien une attitude d’ouverture qui peut s’appuyer sur un grand mouvement associatif et l’appui des églises. Mas il y a aussi la pression hostile engendrée par une mémoire dominatrice et par la peur d’une perte d’identité dans une société en crise de valeurs.

On peut donc observer une certaine frilosité dans l’attitude vis-à-vis de l’immigration. Ainsi tarde la modernisation d’une administration bureaucratique lente dans l’accueil et dans la facilitation administrative de l’immigration reconnue. Philomène venait d’effectuer une aide à domicile . Elle devait joindre l’administration pour une démarche indispensable. Je luis proposais de s’installer tranquillement pour téléphoner. Au bout du fil, nous attendîmes pendant une heure avant de pouvoir joindre le service.

D’origine ivoirienne, Pris avait effectué de bonnes études artistique dans une université française. Elle avait trouvé un travail d’animatrice dans cet ephad et s’y était engagé avec empathie, sensibilité et créativité. En demande de renouveler son permis de séjour, l’administration estima que sa rémunération était trop faible pour correspondre à ses titres universitaires. En l’absence d’un mouvement favorable de l’employeur, elle dut quitter précipitamment l’établissement.

Les soignantes franco-africaines oeuvrent dans un secteur de santé aujourd’hui défavorisé sur le plan des rémunérations. Dans cet ephad, sous la responsabilité de deux soignants franco-africains : Judith et Eric, une section syndicale CFDT veille à la défense du personnel et milite pour une juste rémunération. Un jour, une grève apparut. On peut se réjouir de la réussite de cette grève d’autant qu’elle fut menée dans un esprit de responsabilité en veillant à ne pas nuire aux personnes dépendantes et en poursuivant avec succès la négociation avec la direction.

Nous voici dans un aspect plus sombre de cette histoire. Récemment, j’ai été conduit à m’engager pour la défense de soignantes brusquement congédiées.  Dans un effort de remise en ordre vis-àvis de certains dysfontionnements, une nouvelle direction a pris des mesures sans prendre suffisamment en compte l’histoire des lieux et les états de service de plusieurs soignantes.

Depuis peu, j’avais fait connaissance de Joan, assistante de nuit, une jeune personne active et cultivée finançant par ce travail des études d’anglais à l’Université Villetaneuse. On lui reprocha un écart, un retard et une dispute, et elle fut congédiée du jour au lendemain. Certes, on a pu me dire que je n’avais entendu qu’une version, la sienne.

Joan travaillait dans l’établissement depuis plusieurs années. Ayant pris sa défense au travers d’un mail, elle me rapporta combien elle avait été reçue à la direction sans avoir le sentiment d’être écoutée. Ce matin-là, elle avait été profondément humiliée. Au point qu’elle me dise : « Vous êtes un blanc, vous ! Jamais, on aurait osé vous traiter de la sorte ». Je n’avais jamais entendu une telle remarque et j’en ai frémi.  A la même période, un délégué syndical m’avait remercié pour mon soutien en évoquant le ressenti d’une population qui se sent brimée.

Juste auparavant, une infirmière appréciée de tous à la suite d’un engagement chaleureux dans l’établissement pendant deux années, à  l’écoute active » des patients, s’était vu brutalement congédiée, dans un soudain non renouvellement de son CDD. Certes, la nouvelle direction cherchait à réformer un système défaillant. On lui reprocha une bavure médicale, mais elle ne put présenter sa défense. On ne tint aucun compte de son œuvre sans doute dans ce mécanisme de l’idée unique qui ne tient pas compte d’un ensemble. Elle fut donc éliminée du jour au lendemain sans même être reçue. A travers des mails, je m’engageais à fond contre un tel gachis et demandant une médiation. Il y eut dialogue, mais il n’aboutit pas. La section syndicale CFDT s’engagea elle aussi. En vain. Je n’incrimine pas ici une discrimination, mais le défaut de mentalité d’un système qui regarde d’en haut.  Pour le bien, cette infirmière portera ailleurs son écoute active et sa culture du care.

Ce sont là des bavures au regard de la magnifique avancée que nous venons de décrire, la promotion d’une population d’origine africaine dans la contribution au développement d’une culture et d’une société du care.

 

Une vision relationnelle

Dans son livre sur l’éthique du care (1), Fabienne Brugère met l’accent sur la dimension relationnelle de cette approche. « Chaque vie déploie un monde qu’il s‘agit de maintenir, de développer et de réparer. L’individu est relationnel et non pas isolé ». « La théorie du care est d’abord élaborée comme une éthique relationnelle structurée par l’attention des autres ».

Or, cette dimension relationnelle est très présente dans la culture africaine.

Ainsi, apparait-elle dans l’œuvre de Fatou Diome, écrivaine franco-sénégalaise (4).

A plusieurs reprises, Fatou Diome s’est exprimée à propos des personnes âgées en sollicitant du respect à leur égard. Dans la culture africaine, il y a une continuité entre les générations  et les « anciens » sont respectés. Or Fatou Diome a été elle-même élevée par ses grands-parents et elle leur voue une infinie reconnaissance. Nous avons pu ainsi visionner une séquence de vidéo  sur les personnes âgées, mise en ligne sur facebook. Il s’en dégage une grande émotion . J’ai pu partager ce visionnement avec deux personnes travaillant à l’ephad : Régine et Fati. Toutes deux se sont reconnues dans cette vidéo et ont exprimé une grande émotion. Fati n’a-t-elle pas été élevée par ses deux grands-mères et un grand-père…. Ce fut une émotion partagée

Si la culture du care met l’accent sur la dimension relationnelle, elle rencontre à cet égard la culture africaine ou cette dimension est privilégiée  (5). Un théologien travaillant dans une Université de Zambie, Teddy Chawe Sakupapa évoque « la centralité de la vie et de la relation entre les êtres dans la vision africaine du monde ». On peut rappeler ici le concept de l’ubuntu dans la galaxie bantoue. Wikipedia en donne la définition suivante : « la qualité inhérente d’être une personne parmi d’autres personnes. Le terme ubuntu est souvent lié à un proverbe qui peut être traduit ainsi : « Je suis ce que je suis par ce que vous êtes ce que vous êtes » ou « Je suis ce que je suis grâce à ce que nous sommes tous » (6). Teddy Chawe Sakupapa écrit : « Dans une réalité interreliée, il n’y a pas de séparation entre le séculier et le sacré ». « La relationalité est au cœur de l’ontologie africaine »

Cette approche correspond à la définition de la spiritualité selon David Hay comme « conscience relationnelle avec soi-même, les autres, la nature et Dieu ». Et Teddy Chawe Sakupapa peut évoquer « une force vitale comme présence de Dieu dans toute la création ».

A travers sa culture relationnelle , l’immigration africaine est propice à la culture du care qui se fonde sur la relationalité . A partir de notre mémoire, nous avons rassemblé ici des récits vécus à travers lesquels on peut voir l’invention d’une culture franco-africaine en voie de promouvoir une culture du care dans les contextes où celle-ci commence à pénétrer. Ce texte exprime, souvent avec émotion, une immense gratitude pour le vécu de ces rencontres. C’est aussi une action de grâce pour le puissant apport de la culture franco- africaine à la société du care. Puisse la France manifester sa reconnaissance en retour.

J H

 

  1. Une voix différente. Pour une société du care : https://vivreetesperer.com/une-voix-differente/ ‘De
  2. De Yaoundé à Paris. D’aide-soignante à infirmière. Une vie au service du care et de la santé : https://vivreetesperer.com/de-yaounde-a-paris/
  3. De l’esclavage à la lumière. Du Bénin à la région parisienne. Une histoire de vie : https://vivreetesperer.com/de-lesclavage-a-la-lumiere/
  4. Fatou Diomé, invitée d’un monde, un regard : https://www.google.fr/search?hl=fr&as_q=Fatou+Diomé&as_epq=&as_oq=&as_eq=&as_nlo=&as_nhi=&lr=&cr=&as_qdr=all&as_sitesearch=&as_occt=any&as_filetype=&tbs=#fpstate=ive&vld=cid:402c46cc,vid:5yIAErUWBo8,st:469
  5. Esprit et écologie dans le contexte de la culture africaine : https://www.temoins.com/esprit-et-ecologie-dans-le-contexte-de-la-theologie-africaine/
  6. La philosophie de l’ubuntu d’après Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ubuntu_(philosophie)

 

Printemps

Printemps : expression et dynamisme de vie. Quelle beauté !

J’aime voir l’œuvre de Dieu dans la nature.

Sur ce site : Voir Dieu dans la nature

https://vivreetesperer.com/?p=152

« Le Dieu trinitaire inspire sans cesse la création …La « source de vie » est présente dans tout ce qui existe et qui est vivant. Tout ce qui est existe et vit, manifeste la présence de cette « source de vie » divine » (Jürgen Moltmann. Dieu dans la création (p. 23, 24).

En cette saison , quelques photos extraites des sites Flickr de CaptPiper et Ecstaticist.

 

 

 

 

 

 

Une nouvelle manière d’être et de connaître / 4

Un regard nouveau pour un monde nouveau

« Petite Poucette » de Michel Serres.

On mesure, à la lecture de ce compte-rendu l’importance que nous accordons à ce livre. En effet, en présence d’une réalité qui change, il nous aide à changer notre regard. Mais il ne s’agit pas d’un  changement limité. De fait, nous sommes engagé dans une mutation qui induit et requiert une révolution mentale. Michel Serres est un bon guide, car il n’est pas seulement un bon observateur, mais aussi un épistémologue, connaisseur des méthodes et des résultats de la science. Ce livre est aussi le fruit d’une aptitude à la sympathie. Il sait voir avec le cœur. Et c’est pourquoi, en communion avec Petite Poucette, il est capable de regarder vers l’avenir et donc d’en percevoir la venue. Certes, on peut s’interroger sur telle ou telle proposition, mais il y a dans ce livre une dimension épique qui suscite l’émerveillement. Aussi, cette pensée interpelle les acteurs dans différents champs d’activité.

Dans bien des domaines, nous sommes confrontés aux blocages et aux résistances des mentalités. Combien le monde de l’école est encore loin aujourd’hui de l’horizon qui s découvre à travers le livre de Michel Serres.  En politique, il y a bien quelques figures pionnières qui évoquent la démocratie participative et l’intelligence collective.  On pense, par exemple, à Ségolène Royal. Il y a un long chemin à parcourir.

Et, dans le domaine religieux, combien les institutions sont encore, pour la plupart, modelées par l’héritage du passé : hiérarchie descendante de haut en bas, sacralisation des formulations, communication asymétrique. La mentalité patriarcale est encore prégnante. Alors, là aussi des voix  s’élèvent pour libérer le message  de vie porté par l’Evangile, de la gangue religieuse dans lequel il est trop souvent enfermé. On entend bien Michel Serres lorsqu’il évoque : « l’intuition novatrice et efficace » (p 25) par delà l’encombrement des connaissances. Les formulations rigides, répétitives, impératives, sans lien avec la vie et enfermées sur elles-mêmes sont de plus en plus contestées. Un nouvel entendement apparaît et se répand. Ainsi, aux Etats-Unis, Diane Butler Bass vient de publier un livre sur « Le christianisme après la religion » (1). Elle met en évidence les effets pervers des dogmatismes et elle met en évidence le développement d’une « foi expérientielle »  Cette valorisation de l’expérience ne rejoint elle pas celle de l’intuition ? On peut évoquer ici la démarche pionnière du théologien Jürgen Moltmann. Dès les années 1970, il a écrit un livre intitulé « Le Seigneur de la danse » (2). Ce livre nous parle de jeu et de liberté. Il évoque la Sagesse de Dieu qui déclare : « Je faisais ses délices, jour après jour et je jouais sans cesse devant lui » (Proverbes 8.30) . Moltmann mentionne le philosophe grec Héraclite : « La cours du monde est un enfant qui joue et qui place les pions ça et là. C’est un royaume de l’enfant ». Cet éloge du jeu rappelle une des intuitions de Michel Serres qui est rejoint par Moltmann dans sa critique des excès de la pensée analytique.

Théologien de l’espérance, Jürgen Moltmann nous permet de regarder vers l’avenir en voyant l’oeuvre de Dieu qui vient vers nous et nous invite à aller de l’avant (3). Dans son livre, « Petite Poucette », Michel Serres nous décrit l’émergence d’une « nouvelle manière d’être et de connaître » . C’est un phénomène nouveau et de grande ampleur. « Libérée des relations asymétriques, une circulation nouvelle fait entendre les notes, quasi musicales, de sa voix (p 52). Tout le monde communique avec tout le monde en réseaux innombrables. Ce tissu de voix s’accorde à celui de la Toile, les deux bruissent en phase » (p 59). La pensée de Jürgen Moltmann nous apporte en écho un éclairage théologique. « L’essence de la création dans l’Esprit est par conséquent la « collaboration » et les structures manifestent la présence de l’Esprit dans la mesure où elle font connaître « l’accord général »… Etre vivant, signifie exister en relation avec les autres. Vivre, c’est la communication dans la communion ». (4)

Bien sûr, il y a aujourd’hui des menaces, des tensions, des peurs. D’ailleurs, Michel Serres a écrit également un livre sur « Le Temps des crises » (5) : « Mais que révèle le séisme financier et boursier qui nous secoue aujourd’hui ? Si nous vivons une crise, aucun retour en arrière n’est possible. Il faut donc inventer de nouveau » (6). « Petite Poucette » nous montre un vieux monde en train de dépérir et un nouveau monde en train de naître. Comme les institutions censées nous apporter du sens sont elles-mêmes engoncées dans l’héritage du passé, c’est le message initial qui se rappelle à nous en écho à la révolution mentale en cours aujourd’hui. Et quel est ce message ? C’est la figure de la Pentecôte. « Ils furent tous remplis de l’Esprit et se mirent à parler dans différentes langues selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer » (Livre des Actes 2.4). Et leurs paroles furent entendues et comprises par des gens du monde entier.  Pour nous, il y a une analogie entre cette expérience initiale de l’Esprit et l’effervescence qui se manifeste aujourd’hui et que Michel Serres décrit en ces termes : « Pour la première fois de l’histoire, on peut entendre la voix de tous. La parole humaine bruit dans l’espace et le temps » (p 58).

J H

(1)            Christianity after religion. The end of the church and the birth of a new spiritual awakening. Harper One, 2012. Mise en perspective sur le site de Témoins : « La montée d’une nouvelle conscience spirituelle ». .http://www.temoins.com/etudes/la-montee-d-une-nouvelle-conscience-spirituelle.-d-apres-le-livre-de-diana-butler-bass-christianity-after-religion.html

(2)             Moltmann (Jürgen). Le Seigneur de la danse. Essai sur la joie d’être libre. Le Cerf, 1972 (Foi Vivante). Réédité .

(3)            Vie et œuvre de Jürgen Moltmann  d’après son autobiographie : « A broad place » : « Une théologie pour notre temps » sur le site : « L’Esprit qui donne la vie » http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=695

(4)             Jürgen Moltmann est l’auteur de plusieurs livres en rapport avec le thème de cet article : « L’Esprit qui donne la vie » et « Dieu dans la création » (Editions du Cerf). Les citations sont empruntées au livre : Dieu dans la création  (p 25 et p 15)

(5)            Serres (Michel). Le temps des crises. Le Pommier, 2009. (Manifestes)

(6)            Cette recherche de nouveauté est en cours selon les compétences des uns et des autres . Ainsi l’économiste, Daniel Cohen vient de publier un livre : « Homo economicus… », où il met l’accent sur les dégradations et les menaces, et notamment sur les incidences néfastes de la montée des inégalités au cours des dernières décennies. Son appréciation d’internet est mitigée (p 157-161). A raison, Daniel Cohen montre les conséquences fâcheuses de la prédominance du modèle de « l’homo economicus » : « Dans l’équilibre entre compétition et coopération, il faut redonner vie à la seconde en réenchantant le travail, en remettant à plat les frontières du gratuit et du payant, en repensant la coopération internationale, à commencer par celle de l’Europe » (p 206): Cohen (Daniel). Homo economicus, prophète (égaré) des temps nouveaux. Albin Michel, 2012.  Nous renvoyons également ici à la vision prospective et dynamique de Jérémie Rifkin  dans son livre : « La Troisième Révolution industrielle » . Sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=354     Michel Serres, bien au fait de la conjoncture actuelle, ne méconnaît pas les menaces actuelles, mais, dans la prise en compte à la fois d’une histoire de longue durée et de la mutation technologique et culturelle actuelle, il choisit de proposer une vision positive, prospective et mobilisatrice.

Suite et fin des trois contributions précédentes : La grande mutation dans la transmission des savoirs. Vers une société participative . Vers un nouvel usage et un nouveau visage du savoir.

Spiritualité et psychiatrie

Spiritualité et psychiatrie

La vision spirituelle du médecin psychiatre, Jacques Besson dans la découverte de nouveaux horizons : les neurosciences, les synchronicités, la lutte contre les addictions, l’usage des psychédéliques, le chamanisme…

Auteur d’un livre sur : Addiction et spiritualité (1), Jacques Besson, médecin psychiatre, addictologue, ancien chef du département de psychiatrie communautaire du département de psychiatrie du centre hospitalier universitaire vaudois, professeur honoraire de l’Université de Lausanne, a été fréquemment interviewé dans des vidéos sur You tube (2). Il y met en évidence des relations sensibles entre spiritualité, présence d’une conscience, lutte contre les addictions, usage des psychédéliques, expérience de mort imminente, expérience du chamanisme. En même temps, Jacques Besson se présente comme un croyant enraciné dans une foi chrétienne d’inspiration protestante. En écoutant Jacques Besson, nous découvrons des réalités qui se manifestent aujourd’hui et sur la signification desquelles nous nous interrogeons. A partir de son expérience et des connaissances, il nous apporte un éclairage précieux. Voici donc quelques aperçus à partir d’une interview de jacques Besson par Didier Reinach : « Spiritualité et créativité de soi – l’esprit du bonheur » (3).

 

Cheminement professionnel et spirituel de Jacques Besson

Au départ, l’intervieweur rappelle les intérêts de Jacques Besson : « la psychiatrie communautaire, la santé mentale, les rapports entre la psychiatrie, la religion, la spiritualité et les neurosciences ». Il pose donc une première question : « Pourquoi la spiritualité est-elle un chemin de guérison ? » Et il l’interroge sur ses motivations : « Qu’est-ce qui te pousse, qu’est-ce qui te porte à introduire la dimension spirituelle ? ». La réponse porte d’abord sur les racines : « Je viens d’une longue tradition protestante. Comme enfant, j’ai eu des visions, des intuitions, des aspirations sur l’invisible, sur la lumière du monde. Cela m’a toujours intrigué et passionné. Depuis l’âge de cinq ans environ, je m’intéresse à l’individu, à la question de l’esprit ». Jacques Besson s’est donc dirigé vers la médecine ; puis, il s’est intéressé à la neurologie. Il est passé ensuite à la psychiatrie, puis à la psychanalyse. Et de la psychanalyse, il s’est dévoué pour des populations vulnérables, pour la médecine des pauvres au Centre Saint-Martin qui a accueilli des milliers toxicomanes. C’était une médecine communautaire, généreuse. De là, Jacques Besson est devenu un expert en addictologie, une science interdisciplinaire qui rassemble un ensemble de savoirs pour faire face à la complexité du problème de l’addiction. Il s’est engagé dans des psychothérapies et c’est là qu’il s’est rendu compte petit à petit que « la question du sens était centrale ». Jacques Besson a également été médecin dans l’Armée du Salut. Il a vu là un témoignage magnifique et il y a beaucoup appris. C’est là qu’il a rencontré « les alcooliques anonymes », un mouvement spirituel et non religieux qui a commencé dans les années 1930, où les participants se remettent à une puissance supérieure, à plus grand qu’eux-mêmes, pour leur rétablissement. Les « alcooliques anonymes » ont actuellement plusieurs dizaines de millions d’adeptes en traitement qui vont bien. Jacques Besson, bien au fait de la biologie moléculaire, a considéré les bienfaits engendrés par l’approche des alcooliques anonymes : les différentes étapes, le lâcher-prise et la conscience dans l’univers. Il s’est alors demandé : est-ce qu’il y aurait une neuroscience des alcooliques anonymes ? La réponse est oui. Il y a eu beaucoup de recherches en imagerie sur l’impact de la prière, de la méditation. Dans les années 1990, au cours d’une année sabbatique à Harvard, il a pu suivre les débuts de l’imagerie fonctionnelle cérébrale et il a découvert la puissance de l’instrument. « Entre addiction et spiritualité, il y a un rapport très étroit. D’un côté, l’addiction est une impasse de sens. De l’autre côté, la spiritualité est une ouverture à plus grand que soi. Donc la spiritualité est un instrument puissant pour la prévention et le rétablissement des addictions ». Après avoir fait une thèse sur la correspondance échangée entre Freud et le pasteur Pfister où les fondements du dialogue entre psychanalyse et religion étaient posés, Jacques Besson s’est engagé dans une étude de la pensée de Carl Jung et, pendant une dizaine d’années, il s’est formé à la psychanalyse jungienne en autodidacte, puisque celle-ci n’est pas agréée dans l’enseignement officiel. Il y a trouvé les ingrédients dont il avait besoin pour établir un lien entre science et spiritualité. « Il peut y avoir une science de l’esprit qui est plus grande que celle du cerveau ou de la psychologie, et la question de l’inconscient collectif, la question du Dieu inconscient, la question de ce qui nous transcende et de ce qui nous traverse sont des questions qui ont habité les humains depuis toujours et Jung a été un investigateur de génie sur ces questions ». Par la suite, Jacques Besson s’est tourné vers l’œuvre du sociologue médical, rescapé d’Auschwitz, Aaron Antoniovsy. Il a observé la vie dans les camps et « il en a tiré la conclusion que les humains avaient besoin de sens et de cohérence, de cohérence permettant d’aligner le somatique, le psychique et le spirituel, et d’être droit dans ses bottes, d’avoir un sens dans la vie. Voilà ce qui est générateur de ce qu’il a appelé lui-même la salutogenèse. La salutogenèse, à travers ses origines latines entend le salut à la fois comme santé et comme salut. La salutogenèse est le concept génial qui créé la promotion de la santé. Les médecins obsédés par les causes des maladies s’intéressent beaucoup moins aux attracteurs de santé et je me suis passionné pour le ‘solutionnisme’, c’est à dire conjuguer toutes les approches disponibles dans un champ comme les addictions où la médecine était très pauvre et pouvoir venir ainsi à l’aide de populations vulnérables ».

Mais, si l’on peut distinguer des groupes vulnérables, « nous sommes tous aujourd’hui vulnérables d’une certaine manière… Nous avons tous des carences, nous avons tous des maltraitances… la condition humaine fait que la vie est imparfaite et que nous sommes sur un chemin entre l’inaccompli et l’accompli. C’est une voie mystique qui ne me fait pas peur parce qu’elle est compatible avec la vision scientifique d’un monde évolutionnaire ».

Aujourd’hui, « l’humanité est traumatisée et elle n’accède pas, pas encore, aux instruments de guérison, cet alignement entre le physique, le psychique et le spirituel, entre la science de la nature, la science humaine et, peut-être la science de l’esprit. Donc, j’ai toujours cherché cette cohérence, cet alignement… Je n’ai jamais quitté cette ligne et je suis ‘le capitaine de mon âme’ » (cette expression en écho à celle du poème récité en priant, par Nelson Mandela dans sa prison).

 

L’être humain et la spiritualité

L’entretien se poursuit au sujet de la nature humaine. Nous ressentons aujourd’hui les effets nocifs du matérialisme. « Ce matérialisme, dans lequel nous sommes désespérément plongés, nous coupe de ce que les peuples premiers savaient très bien… C’est que le monde est un. Nous sommes dans une totalité ». En demandant à ses étudiants en médecine : où est l’esprit, Jacques Besson les amenait à penser qu’il n’était pas seulement dans le cerveau, dans le corps, mais que, pour vivre, l’être humain avait besoin d’un langage, de relations, d’une culture ; « il faut une humanité, il faut une planète, il faut un univers. Pour un seul être humain, il faut la totalité de l’univers et le grand mystère, c’est que chaque être humain représente une singularité ». Mais cette singularité se vit en complémentarité, dans un ensemble. « Plus on va vers soi-même, disent les sages du premier millénaire chrétien, plus on s’approche de Dieu, mais il s’agit de soi-même, au sens de Jung, c’est à dire d’une individuation. Il s’agit de bien comprendre le rapport entre le soi et la totalité ».

C’est un apport de la psychanalyse jungienne qui, elle-même, peut être envisagée comme une étape pour aller plus haut. A partir d’un épisode vécu et rapporté par Jung, du ‘rêve d’un scarabée par un patient et l’apparition de cet insecte à la fenêtre’, la conversation s’engage sur le phénomène des synchronicités. Jacques Besson a vécu de nombreuses synchronicités dans sa carrière et « il est convaincu que ce phénomène introduit une fenêtre sur un rapport différent au temps, au temps qui nous dépasse, au temps vertical, le grand temps, celui qui s’est déployé avec le big bang… ». L’accueil des synchronicité requiert « une grande ouverture au monde, à l’univers, à la conscience, qui est bien plus grande que ce qu’on peut imaginer, et pour les scientifiques, beaucoup d’humilité », vertu trop peu répandue… « Il faut être bien conscient des limites de la science pour accéder à un monde plus grand… La foi et la science ne s’oppose pas. On peut être scientifique et mystique. La science s’occupe des ‘comments’. Elle propose des modèles. La métaphysique propose des intuitions, des visions ».

La conversation se poursuit sur les ressources du cerveau humain. « Le cerveau a de nombreuses fonctions… Le cerveau est un univers à lui tout seul. C’est un microcosme. L’univers du cerveau est un univers infiniment complexe ». Ainsi, s’il y a un infiniment petit et un infiniment grand, « comme l’a intuitivement prédit, le génial Blaise Pascal, l’homme est le milieu de toutes choses et l’être humain est entre les deux infinis, le petit et le grand, et je suis arrivé à la conclusion qu’il détient le troisième infini qui est l’infiniment complexe… La science se préoccupe d’objectiver. La ligne de la science, c’est bien l’objectivité, mais nous autres, êtres humains, nous vivons aussi d’une subjectivité et la science du sujet est extrêmement importante. C’est la science de la conscience précisément… La totalité implique d’avoir recours à la science et à la conscience, à la science et à la spiritualité ».

 

Spiritualité, soin, médecine

Une question de l’interviewer : Est-ce que la spiritualité peut soigner des égos blessés, des égos malades ? Jacques Besson répond en évoquant « une nouvelle science qui a fait d’énormes progrès depuis une quinzaine d’années : la psycho-traumatologie. La psycho-traumatologie est l’étude interdisciplinaire des traumatismes psychiques. Nous avons tous un certain capital de santé mentale et nous pouvons supporter ainsi un certain nombre de souffrances. Mais s’il y a effraction, un abus trop fort, une agression trop violente, la blessure psychique qui en résulte est un traumatisme. La question du traumatisme est très importante parce qu’elle participe au diagnostic d’une vulnérabilité particulière chez certaines personnes qui peut être investiguée et surtout peut être traitée.

Puis, une grande question se pose : pourquoi moi ? Pourquoi à moi, m’est-il arrivé tel accident, tel malheur ? Et le ‘pourquoi moi’, est un grand mystère. C’est une blessure parce que c’est incompréhensible. Le monde est imparfait. L’arrivée d’un accident nous dépasse et la spiritualité nous aide à redonner du sens, à recouvrir notre âme… C’est la technique chamanique. C’est l’extraction d’esprit et le recouvrement d’âme. Les chamans sont spécialistes du trauma à leur manière. L’extraction d’esprit, c’est se détourner de ce qui nous a blessé, peut-être l’extraire ou tout au moins s’en détacher. Le recouvrement d’âme, c’est aller vers plus grand que soi. Et voilà un mouvement salutogénique. Et voilà, les peuples premiers ont cette intuition qu’il y un rétablissement possible. La santé mentale est le fruit d’une plasticité. Et cela, c’est tout l’espoir que peut avoir un psychiatre, un psychiatre psychothérapeute en l’occurrence. Le cerveau est plastique. C’est à dire que les connexions s’adaptent à l’environnement, à la culture. Les neurones dialoguent entre eux et se connectent. Et cela laisse de la trace.

Donc, du coup, l’expérience spirituelle, cela laisse de la trace. Pour en donner un exemple, la méditation en pleine conscience, qui s’est occidentalisé récemment, se révèle modifier la connectivité cérébrale, ainsi que montre les nouvelles techniques d’imagerie. On devient plus autonome affectivement et cognitivement, plus souple. Ce sont des encouragements très forts pour relier la médecine psychiatrique, la médecine somatique et la psychothérapie. Depuis plusieurs années, j’ai eu la chance d’introduire la santé spirituelle à la faculté de médecine, notamment à la suite de la rencontre publique avec le Dalaï Lama en 2013.

Je lui ai posé la question des trois ordres de la médecine et il m’a répondu avec beaucoup de chaleur que c’était une question qu’il fallait absolument explorer en Occident, car, pour la médecine tibétaine, il est évident que le premier rang de la santé est la santé spirituelle. En découle la santé psychique dont découle la santé physique. Or, en Occident, nous faisons très exactement le contraire. Nous avons jeté les bases d’une santé somatique, nous avons élaboré correctement une psychiatrie qui tient la route, mais nous somme encore très loin de la singularité du sujet, de la question du lien, de la question du sens qui sont les vraies questions qui mobilisent la salutogenèse et le rétablissement ».

Une création de sens ? suggère l’interviewer. C’est inné ou cela se travaille ? demande-t-il. « Les deux à la fois » répond Jacques Besson. « Je crois qu’il y a du divin dans l’homme, pour citer les Pères de l’Église ». En reprenant une expression latine, « l’homme est capable de Dieu. C’est-à-dire, il a une intuition du beau, du bien, du vrai, du juste, et il peut suivre ce chemin. C’est un possible. Alors cela nécessite évidemment un travail. Le Bouddha a dit : « Le bonheur est sur le chemin ». Alors, cheminons.

 

Psychédéliques, chamanisme, médecine ouverte

Jacques Besson envisage son approche de la guérison sous différents angles. Ainsi, dans un cadre psychiatrique, il participe à « la réhabilitation des psychédéliques (champignons hallucinogènes, Lsd, certaines formes d’ecstasy) », à des fins thérapeutiques. Historiquement, ces substances ont été stigmatisées après le premier développement de leur usage aux Etats-Unis, mais on observe aujourd’hui un retour parce qu’on a compris que ce n’est pas le même groupe de drogues que les opiacés, la cocaïne ; un groupe différent qui a la capacité de perturber l’ordre psychique, mais à petites dose, bien contrôlées et dans un cadre thérapeutique, cela peut permettre de modifier un ordre établi dans le sens d’ouvrir certaines mémoires qui étaient dans des tiroirs. Lorsqu’un traumatisme désorganisateur infecte une existence, il vaut mieux le sortir, l’aérer. Et cela, c’est l’extraction d’esprit et le recouvrement d’âme opérés par les chamans, c’est ce que la psychanalyse essaie de faire laborieusement avec de longs processus, c’est ce que l’hypnose essaie de faire par des conditionnements, mais les psychédéliques sont aujourd’hui le moyen le plus prometteur pour accéder aux souvenirs traumatiques dans un contexte sécurisé et élargir la conscience… On pense que les psychédéliques ont le pouvoir d’accroitre la plasticité neuronale, et notamment les champignons, ce que les peuples premiers savaient très bien. Aujourd’hui les médicaments les plus prometteurs en psychiatrie sont ceux qui ont été les plus ostracisés et maudits quand j’étais jeune. Le cannabis ouvre des perspectives intéressantes en médecine curative et les psychédéliques ouvrent des pistes intéressantes pour la santé mentale ».

Jacques Besson critique les préjugés engendrés par un matérialisme réductionniste vis-à-vis des pratiques des peuples premiers. « J’ai eu la chance de rencontrer plusieurs personnes qui se sont intéressées scientifiquement au chamanisme. Ainsi le docteur Olivier Chambon en France qui a écrit un texte de référence : « Psychothérapie et chamanisme ». Il évoque la psychologie transpersonnelle, notamment Stéphane Gros. Ce sont des psychologues qui acceptent qu’on puisse communiquer d’inconscient à inconscient et communiquer avec plus grand que soi. Le chamanisme, c’est aussi une communication avec un monde plus grand. Le chamane et à la fois prêtre et médecin. Aujourd’hui, nous avons rejeté le prêtre et garder le médecin.

Il est grand temps de réconcilier le prêtre et le médecin, le spirituel et le scientifique ». il y a un fossé à combler. Cependant, en médecine scientifique, on enseigne la psychologie médicale, les fondements de la relation médecin-malade, l’alliance thérapeutique et il y a maintenant une science établie de l’effet placebo. Le médecin revient au prêtre par des voies détournées. Et il utilise très largement, souvent inconsciemment, le chemin de la suggestion (suggestion que Freud n’aimait pas trop). Pour ma part, je pense que le médecin de famille est un homme de confiance. Il a le manteau du druide. Il fait de la suggestion. Et c’est une bonne chose ! Les médicaments parfois peuvent avoir un effet placebo sans le savoir ». Jacques Besson évoque une recherche sur les antidépresseurs qui montre qu’il n’y a que 5% de variance entre le placebo et le médicament. « Cela rend modeste quand on pense qu’on a dépensé des milliards pour des antidépresseurs.

« Je crois qu’il faut être juste et humble. Il y a un ordre somatique de la médecine. Il y a des gènes. Il y a des molécules. Il y a un déterminisme biologique. Il y a une génétique. Mais il y a aussi une épigénétique. Les gènes dialoguent avec l’environnement. Le sujet a une histoire dans sa nature, dans son contexte. Et c’est toute la force de l’ordre psychique. Nous avons une éducation, un environnement, une culture, des valeurs et cela produit de la plasticité ». Il y a des intuitions. L’intuition est une dimension de l’appareil psychique qui n’est pas étudiée en psychothérapie. Elle est souvent destinée aux « bonnes femmes » alors que la femme a beaucoup plus d’intuition que l’homme.

C’est probablement avec les femmes que l’on a eu les plus grandes découvertes de la sacralité. Certes, il y a des différences biologiques entre les hommes et les femmes, mais ces différences ne sont pas absolues. « Il y a l’ordre psychique, les apprentissages, les valeurs qui ont été transmises. Mais je pense que la réponse la plus appropriée est dans la psyché, les archétypes, l’animus et l’anima… La santé psychique, c’est le dialogue, le mariage entre l’animus et l’anima. C’est la rencontre des opposés. Pour atteindre la totalité, l’individuation, il faut avoir marié l’anima et l’animus… ». Cette analyse se poursuit au niveau de l’univers. « La rencontre du ciel et de la terre se fait pour que l’homme puisse accéder à plus grand que lui. Henri Bergson disait : « la terre est un incubateur de Dieu ». Tout se passe comme si la matière voulait être spiritualisée… ». C’est une vision de réconciliation.

Puis, Jacques Besson évoque l’amour des autres comme l’amour de soi. » Pour les bouddhistes, pas de sagesse sans compassion. Pour les chrétiens, pas de vérité sans charité. La conscience ne suffit pas… il faut passer par le don de soi ; par la créativité, par le nouveau. Si nous sommes dans un univers évolutionnaire, alors nous faisons partie de l’évolution. Nous avons une responsabilité. Nous sommes des co-créateurs ».

« La méditation, la prière, la sagesse des peuples premiers et la religion peuvent nous apporter quelque chose. La spiritualité n’a pas besoin d’être religieuse ; mais je pense qu’il y a des religions qui peuvent être spirituelles. Personnellement, j’ai beaucoup d’admiration pour le soufisme… Soyons humble. Gandhi a dit : « celui qui va au fond de sa religion, va au fond de toutes les religions ». Le noyau dur des religions, c’est la spiritualité, c’est la sacralité, c’est le rapport entre la vérité et la charité. C’est cela le noyau dur ».

 

Quelles lectures éclairantes ? Une inspiration biblique

L’intervieweur demande à Jacques Besson de nous conseiller. Et, entre autres, quelles lectures comptent pour lui ? La réponse va à l’encontre de la mode. C’est « lire la Bible ». « Parce que c’est, quand même, un livre incroyable. Ce sont des centaines d’auteurs qui écrivent ensemble dans des moments différents, dans des contextes différents, pour exprimer une forme de vérité profonde dont ils ont eu l’inspiration, la révélation pour le bien de la communauté. Il y a, bien sûr, des chapitres plus difficiles, mais lire la Bible avec la psychologie des profondeurs, avec de l’éveil, avec un regard chamanique, c’est très riche de sens, de lien, d’expérience d’autres humains, d’autres situations. Quand Moïse va chercher les tables de la loi et qu’il trouve les « couillons » avec le veau d’or, c’est une modernité effrayante. Et le Christ sur sa croix qui est plus fort que la mort – après, on peut l’interpréter de plusieurs manières – c’est actuel, je pense. Si on ne s’occupe pas trop de la mort, on devient tellement plus vivant. Il faut vivre l’instant ». Et donc, si la Bible n’est plus toujours appréciée, Jacques Besson s’écrie : « moi, je la lis ». Certains passages le touchent davantage ; « Ma petite préférence va à l’Évangile de Jean. Dans l’Ancien Testament, j’aime beaucoup le Livre de Job, le malheur de l’innocent… Il y a les psaumes qui sont merveilleux aussi et bien sûr les Évangiles. Septante trois guérisons du Christ. Le Christ est un exorciste. C’est un immense chaman. Le Saint-Esprit, vu par la spiritualité et les neurosciences, c’est le Grand Esprit, c’est l’âme du monde ». Paracelse est cité en évoquant ‘la lumière, l’âme du monde’. « Lisez Paracelse, lisez Jung, lisez la Bible, regardez la biographie de Gandhi ».

Interrogé sur l’esprit qui l’anime, Jacque Besson revient à son enfance : « Quand j’avais quatre ans, mon grand-père est mort dans des conditions assez tristes et ma mère a fait une assez grave dépression ; je me suis mis à avoir peur du noir. C’était assez angoissant. Un jour que ma nourrice s’occupait de moi, elle a remarqué que j’avais peur du noir et elle s’est adressée à moi avec beaucoup de gentillesse et beaucoup d’humanité, elle m’a dit : Jacques, il ne faut pas avoir peur du noir. Non, il ne faut pas avoir peur du noir parce que, dans le monde, il y a une lumière invisible. Oui, c’est une lumière qui éclaire et qui réchauffe le cœur des enfants. C’est un enfant aussi qui la donne. Il s’appelle Jésus. Cela m’a intéressé : il y aurait une lumière invisible et un autre enfant qui la donne. Et il est d’un autre ordre… Donc, à partir de quatre-cinq ans, je me suis intéressé à cette figure. On m’a envoyé à l’école du dimanche. Je me suis passionné pour les personnages de la Bible : Abraham, Isaac, Jacob, Joseph et les pharaons, Moïse, David, Goliath et puis, après, le Christ. J’ai toujours eu cette intuition qu’il y a du visible dans l’invisible. Et plus tard, j’ai découvert, avec les Pères du premier millénaire chrétien ce qu’ils appellent l’intelligible, non pas au sens de l’intelligence, mais au sens que dans l’invisible, il y a des choses qu’on peut comprendre, auxquelles on peut accéder, c’est une grâce divine. Alors, toute ma vie a été éclairée, d’un côté par mon intérêt sincère et rigoureux pour la science et mon intérêt sincère et rigoureux pour la spiritualité. Et, un jour j’ai découvert, je crois que c’est Jean Calvin qui l’a dit, « la science permet l’émerveillement ». J’avais une passerelle….

Cette contribution de Jacques Besson nous parait particulièrement éclairante et innovante. Elle reconnait et prend en compte des réalités émergentes comme par exemple les résultats de l’imagerie cérébrale, les synchronicités et le chamanisme. Des courants de pensée et de recherche, encore minoritaires sont pris en compte. Un nouveau paysage apparait.

Cette contribution nous parait doublement précieuse. A l’encontre d’un matérialisme encore puissant, elle instaure une nouvelle compréhension de la nature humaine et de l’ordre du monde d’autant qu’en plus des phénomènes mentionnés dans cet interview, on peut en ajouter d’autres comme les expériences de mort imminente présentées par l’auteur dans une autre vidéo. En même temps, elle installe la spiritualité dans la préservation et le recouvrement de la santé.

On peut ajouter un autre apport qui nous parait précieux dans la configuration religieuse actuelle où certains courants fondamentalistes manifestent une étroitesse d’esprit en considérant négativement des phénomènes émergeants jusqu’à les condamner et à les rejeter avec violence au nom d’une interprétation littérale de la Bible. Or, ici, Jacques Besson conjugue la reconnaissance de ces phénomènes avec un témoignage de foi chrétienne et une lecture de la Bible à la fois instruite et enthousiaste.

Ainsi, à tous égards, cette contribution nous parait appeler une particulière attention.

Rapporté par J H

 

1.Jacques Besson. Addiction et spiritualité. Spiritus contre spiritum. Erès, 2017. « L’auteur propose un voyage depuis l’aube de l’humanité en compagnie des substances psycho-actives jusqu’à l’épidémie addictive contemporaine. Il montre comment l’addiction représente une pathologie du lien et du sens. Les relations entre addiction et spiritualité sont explorées par les dernières recherches neuroscientifiques sur la méditation et la prière, dans ce qui est devenu une nouvelle science, la neurothéologie »
2. La CONSCIENCE , moteur de la prochaine REVOLUTION : https://www.youtube.com/watch?v=-bA52VG7wZg
Expériences de mort imminente : la science face à une énigme : https://www.youtube.com/watch?v=REoY0EwwnMM
3.Spiritualité et créativité de soi. L’esprit du bonheur : https://www.youtube.com/watch?v=M7C1FXvMzSA

Voir aussi :
The Awakened brain  ( Cerveau et spiritualité) : https://vivreetesperer.com/the-awakened-brain/
La nouvelle science de la conscience : https://vivreetesperer.com/la-nouvelle-science-de-la-conscience/
Comment nos pensées influencent notre réalité : https://vivreetesperer.com/comment-nos-pensees-influencent-la-realite/
Les expériences spirituelles : https://vivreetesperer.com/les-experiences-spirituelles/
Une révolution spirituelle. Une approche nouvelle de l’au-delà (Lytta Basset) : https://vivreetesperer.com/une-revolution-spirituelle-une-approche-nouvelle-de-lau-dela/
Jésus le guérisseur (Tobie Nathan) : https://vivreetesperer.com/jesus-le-guerisseur/