Les plantes médicinales au cœur d’une nouvelle approche médicale : phytothérapie clinique intégrative et médecine endobiogénique.

 

indexNotre société se caractérise par une individualisation croissante. C’est un processus de longue durée qui se réalise par étapes. Aujourd’hui, cette individualisation est manifeste dans tous les domaines de la vie. Elle appelle en regard une responsabilité accrue à travers une extension des choix. Dans le même temps, on prend conscience des interrelations qui interviennent à tous les niveaux de notre existence. Ces deux mouvements se traduisent dans des phénomènes différents, mais concomitants : la prise de conscience écologique et la révolution numérique. Cette évolution dans les mentalités influence notre manière de voir dans différents domaines d’activité. C’est le cas, par exemple, dans le domaine de l’éducation. C’est aussi le cas dans le domaine de la médecine. Dans ces deux domaines, les usagers, aspirent à être considérés comme des personnes et à participer à un mouvement de vie. Cependant, cette évolution se heurte à la fois à des représentations anciennes et au poids des appareils. Les organisations peinent à se défaire de la massification héritée de la précédente révolution industrielle. La pensée écologique, dans sa vision holistique, consciente de la complexité et respectueuse de la diversité, se heurte à l’héritage d’une conception dominatrice. Ainsi, la part donnée aux mathématiques dans l’accession aux études de médecine traduit un état d’esprit technocentré. Nous sommes donc engagés dans un changement qui rencontre des oppositions. Mais ce changement peut s’appuyer sur la transformation actuelle des mentalités.

Aujourd’hui, l’apparition d’une médecine endobiogénique qui s’appuie sur l’usage des plantes médicinales est une innovation pionnière qui s’inscrit dans la transformation de notre culture et de notre société. C’est une médecine personnalisée qui prend en compte la diversité dans une relation participative. C’est une médecine intégrative qui met en œuvre une vision globale, holistique d’un organisme humain en mouvement dans l’exercice des fonctions hormonales et neuro-végétatives. Le recours aux plantes médicinales pour une œuvre de régulation et de remédiation se révèle particulièrement efficace parce qu’il  participe au monde du vivant et multiplie, dans une approche scientifique, les acquis d’une expérience traditionnelle. C’est un aspect remarquable de la prise en compte de la biodiversité. Dans son originalité, la médecine endobiogénique est née en France, sous l’impulsion de deux médecins, Christian Duraffour et Jean-Claude Lapraz et elle est portée par une communauté innovante (1), même si elle se heurte encore aujourd’hui à un manque de moyens et un manque de reconnaissance.      Dans ce contexte, la publication d’un ouvrage de référence, sous la direction de Jean-Claude Lapraz et d’Alain Carillon : « Plantes médicinales. Phytothérapie clinique intégrative et médecine endobiogénique » (2) est un pôle de ressources qui vient conforter une dynamique scientifique. Pour en situer la portée, il est bon de rappeler quelques jalons permettant d’ouvrir à tous la compréhension de cet apport.

 

Une médecine personnalisée

En 2012, paraît un livre intitulé : « La médecine personnalisée », écrit par le docteur Jean-Claude Lapraz  en collaboration avec une journalise : Marie-Laure de Clermont-Tonnerre  (3). Ce livre explique les fondements de la médecine endobiogénique et nous introduit ensuite dans un vécu personnel de sa pratique. Cet ouvrage demeure aujourd’hui la porte d’entrée pour la compréhension de cette médecine. On en trouvera une présentation détaillée sur ce blog (4). Nous renvoyons à cette analyse en rappelant néanmoins les grands principes qui y sont exposés.

 

Une vision nouvelle de la médecine : la médecine de terrain.

Selon notre constitution, nous réagissons chacun différemment à telle ou telle agression. « Une seule explication possible : l’état de notre terrain : « L’ensemble des facteurs génétiques, physiologiques, tissulaires ou humoraux qui, chez un individu, favorisent la survenue d’une maladie ou en conditionne le pronostic » (Larousse). C’est dans cette perspective que cette nouvelle approche médicale est mise en œuvre : « L’être humain ne se limite pas à un simple assemblage de fonctions ou d’organes sans lien entre eux. Il est un être vivant autonome et complet qui réagit à chaque instant comme un tout cohérent et doit sans cesse s’adapter… La médecine actuelle a fait éclater le corps en ses multiples composants. En négligeant de replacer chacun d’eux dans ses relations complexes avec les autres, elle a perdu la capacité d’établir un diagnostic global de l’état du patient. Il est donc temps aujourd’hui de proposer une approche médicale qui mette en évidence les liens qui unissent le local au global et qui donnent une véritable vision scientifique intégrale du patient. C’est ce que nous désignons comme la conception endobiogénique du terrain » (p 68).

On prend conscience aujourd’hui des limites d’une médecine en miettes pour se diriger vers une médecine globale, « intégrative ».

Effectivement, nous dit-on, « le tout est plus que la somme des parties ». Le corps est perçu comme un ensemble de niveaux : « Chaque niveau, du gêne au chromosome, du chromosome au noyau, du noyau à la cellule, de la cellule à l’organe, de l’organe à l’organisme, possède ses propres mécanismes de fonctionnement, mais ils sont intégrés et sous contrôle du niveau supérieur, et, en fin de compte sous celui de l’ensemble de l’organisme. Si un niveau se dérègle, il est important d’identifier ce qui, en amont, a généré le dérèglement et de comprendre comment celui-ci agira à son tour sur l’aval » (p 68-69).

Tout se tient. « Pour maintenir l’harmonie, il existe nécessairement une communication permanente entre chacun des éléments, chacune des parties qui nous constitue. Il faut donc qu’en notre corps, ensemble vivant infiniment complexe, existe un coordonnateur qui gère en permanence les liens qui unissent la cellule à l’organe, l’organe aux autres organes et les fonctions entre elles (p 70-71)… La vie ne peut se maintenir s’il n’existe pas une cohérence et une finalité qui permette de faire fonctionner de façon harmonieuse les cellules et les organes de notre corps pour qu’ils se maintiennent en équilibre » (p 70-71).

De fait, il existe bien une forme de « chef d’orchestre ». « Si l’organisme est une maison, il a pour architecte, pour coordonnateur, pour régulateur, le système hormonal ». Selon l’endobiogénie, « l’approche endocrinienne du terrain est fondée sur la reconnaissance du rôle primordial et incontournable du système hormonal à tous les niveaux du corps humain. C’est lui qui gère le métabolisme, c’est à dire la succession permanente et dynamique des phénomènes de destruction (catabolisme), de reconstruction et de synthèse (anabolisme) qui se déroulent à chaque seconde en nous… » (p 71).

 

L’approche endobiogénique s’appuie sur une interprétation nouvelle du fonctionnement du corps humain. Elle propose également de nouveaux outils pour en comprendre concrètement le fonctionnement et pour pouvoir en conséquence intervenir pour corriger et réguler.

« En partant d’une simple prise de sang comportant douze données biologiques (comme la numération formule sanguine, le nombre des plaquettes sanguines, le dosage de deux enzymes…), on peut construire un système établi sur des algorithmes, tous basés sur des données incontestées de la physiologie qui font apparaître de nouveaux chiffres conduisant à une compréhension beaucoup plus large des phénomènes à l’œuvre dans le corps que ne le permet l’approche purement analytique actuellement en vigueur. C’est la biologie des fonctions… Ce système complexe, conçu par le Docteur Christian Duraffourd, a permis d’établir quelques 172 index d’activité endocrine, métabolique, tissulaire, etc (par exemple : nécrose cellulaire, résistance à l’insuline, remodelage osseux, immunité, stress oxydatif, développement anormal cellulaire) (p 81-83). « Dans une goutte de sang, on peut voir l’individu et son terrain ». La production de cet ensemble est un bond en avant impressionnant pour la compréhension de l’état du patient.

Mais, dans la consultation, telle qu’elle est pratiquée par les médecins qui se réclament de cette approche, d’autres données recueillies à travers l’écoute et l’examen clinique, viennent encore s’y ajouter. Ces données viennent s’inscrire en regard de l’interprétation endobiogénique. A partir de là, le médecin peut prescrire un traitement approprié en faisant appel principalement aux plantes médicinales. L’usage de celles-ci permet d’éviter la nocivité des effets secondaires que peuvent entraîner certains médicaments de synthèse. Par ailleurs, la combinaison d’un certain nombre de plantes à activité synergique ou complémentaire induit un effet global important : « La sommation des petits effets que chacun va générer dans l’organisme permet d’apporter une amélioration, puis une vraie guérison ».

 

Soigner autrement, c’est possible

         En 2013, le docteur Jean-Christophe Charrié, médecin généraliste et praticien de l’endobiogénie à la Rochelle explique l’approche de la médecine endobiogénique dans la vidéo d’une intervention TEDx : « Soigner autrement, c’est possible » (5). Jean-Christophe Charrié fait partie du groupe de médecins qui militent pour la progression de l’endobiogénie en France et il a apporté une contribution au livre de fond qui vient de paraître sur les plantes médicinales (6). Cette intervention, alliant beaucoup de compétence et un grand talent pédagogique, nous familiarise avec cette pratique médicale.

 

 

Après avoir esquissé une définition de l’endobiogénie (endo : intérieur ; bio : la vie ; génie : organisation) : une science de l’organisation de la vie intérieure », Jean-Christophe Charrié nous expose au préalable les vertus de la plante médicinale :

« Quelque chose qui appartient à toute l’humanité, car elle n’est pas brevetable.

Quelque chose qui est actuellement la seule source de soin pour 4 humains sur 5.

Quelque chose dont l’Organisation Mondiale de la Santé fait la promotion.

Quelque chose qui a été reconnu en France par l’Académie de Médecine, mais qui a été rejeté en 2007 par la Sécurité Sociale.

Cela fait 7 000 ans au moins que l’homme utilise la plante médicinale. C’est un outil aux propriétés multiples, exceptionnelles, qu’il convient d’utiliser à bon escient.

C’est un outil thérapeutique qui répond aux exigences de la politique de santé de demain, en terme de réduction des coûts, en terme d’accessibilité aux soins, en terme de respect de l’individu et de l’environnement. C’est un outil thérapeutique qui prend sa pleine puissance quand il est utilisé dans le cadre de la science médicale qu’est l’endobiogénie ».

Il y a effectivement un potentiel considérable. « Il y a sur terre un peu plus de 500 000 plantes. La moitié a été répertoriée. L’Organisation Mondiale de la Santé a relevé 29 000 plantes comme faisant partie de celles utilisées traditionnellement dans le soin. Un peu plus de 2 500 plantes ont bénéficié d’études approfondies pour savoir comment elles fonctionnent. Et dans ma pratique, j’en utilise un peu plus de 200. Ainsi, nous avons un potentiel énorme de recherche et de développement. L’industrie pharmaceutique l’a bien compris, puisque dans le gros dictionnaire rouge des médecins, le Vidal, 70% des médicaments trouvent leur source dans la plante médicinale ».

 

Si la plante médicinale est un outil majeur de la médecine endobiogénique, elle est négligée par la médecine dominante. Jean-Christophe Charriè nous apporte un aperçu très éclairant sur la manière dont la médecine s’est développée depuis 150 ans.

Comment en est-on arrivé à la médecine d’aujourd’hui ?

Au milieu du XIXè siècle, « la science médicale était dans une impasse, car elle n’arrivait pas à soigner et guérir les grandes épidémies. En ce temps-là, il y a eu deux montées d’approche théorique de la recherche qui s’incarnent dans deux figures emblématiques : Claude Bernard et Louis Pasteur. Pour Claude Bernard, qui est médecin, il s’agit d’étudier la fonctionnalité de l’organisme. La maladie est la résultante d’une dysfonction. C’est grâce à ses travaux  qu’on peut aujourd’hui interpréter une prise de sang. Pour Louis Pasteur qui est physicien, mais qui n’est pas médecin, la maladie est la conséquence de l’agression de l’organisme par un événement extérieur, que cet événement soit un microbe, un poison et aujourd’hui un gène défectueux. C’est parce que cette approche avait des résultats visibles, reproductibles et finalement très simples : à une maladie correspond un traitement, que la science médicale s’est engouffrée dans cette seule voie de recherche.

Il a fallu créer de nouveaux médicaments, des médicaments à la puissance extrême pour gérer des maladies extrêmes. Et, ainsi ; on a effectivement maitrisé de grandes épidémies telle que la peste, la tuberculose, la variole. Et c’est ainsi qu’on est entré dans la logique des anti : antihypertenseur, anticholestérol, antidiabétique, antibiotique. Avec ces outils à la puissance extrême, pour lutter contre des maladies extrêmes, on a cru qu’on allait tout guérir. Force est de constater, que ce n’est pas le cas.

Aujourd’hui, du fait d’un mésusage en utilisant ces outils extrêmes qui sont là pour prendre la place de l’organisme afin d’entrainer la guérison de celui-ci dans des situations extrêmes, on a utilisé ces outils pour soigner des maladies du quotidien et cela davantage pour l’intérêt de l’industrie pharmaceutique que pour l’intérêt du patient. Par cette stratégie, on a vu apparaître des maladies induites par ces médicaments, on a vu apparaitre une explosion des coûts de santé et, plus grave encore, des maladies qu’on pouvait traiter avec ces médicaments, aujourd’hui ne répondent plus. Par exemple, dans la maladie infectieuse, vous avez des bactéries qui ont développé des résistances aux antibiotiques, c’est à dire que l’antibiotique n’a plus de prise sur la bactérie, ne peut plus la détruire…

Nous sommes donc à nouveau dans une impasse. Avec cette approche médicale qui a résumé l’organisme à un foie malade, un cœur malade, un intestin malade, un cerveau malade, bref avec cette approche qui a éclaté l’homme, comment peut-on recoller les morceaux ? Comment reconsidérer le tout ? L’endobiogénie apporte une réponse. Et comment respecter le tout ? Les plantes médicinales apportent une réponse ».

 

Jean-Claude Charrié nous raconte ensuite comment, dans son itinéraire médical, il a rencontré l’endobiogénie et comment il la met en œuvre aujourd’hui. « Je suis un médecin généraliste qui, de façon prioritaire, utilise les plantes médicinales quand il est possible d’accompagner l’organisme dans des mécanismes d’autoréparation. Je ne m’interdis pas d’utiliser les médicaments anti dont nous avons parlé, mais je les garde pour des situations exceptionnelles. Et j’utilise la plante médicinale selon l’endobiogénie. L’endobiogénie est une médecine qui vous sort de la masse, qui vous sort de la statistique. C’est une médecine qui s’intéresse à chacun de vous individuellement. Et qui construira pour vous un traitement sur mesure qui est adopté à vous seulement.

L’endobiogénie, c’est une approche qui essaie de comprendre comment fonctionnent les mécanismes de réparation et de restauration. La restauration : par exemple, votre peau. Tous les matins, quand vous faites votre toilette, vous enlevez de la poussière, de la crasse et des cellules mortes. Cette peau, il faut la restaurer en permanence. L’autoréparation : Quand vous avez un petit chat qui vous griffe, vous avez une plaie. Et l’organisme sait réparer. Il fait cela tout seul. Il n’a pas besoin de médecine pour faire cela. Parce que vous êtes vivant. Parfois, il y a des phénomènes qui apparaissent et qui ont du mal à se restaurer et à se réparer. Et là, vous avez besoin du médecin. Le rôle du médecin en endobiogénie est de comprendre comment vous fonctionnez, aller voir ce qu’on peut soutenir et d’étayer votre organisme pour qu’il puisse se réparer lui-même ;

L’endobiogénie est une science. Comme toute science, elle repose sur une théorie. Pour que cette dynamique de réparation et de restauration fonctionne, il faut un gestionnaire et ce gestionnaire repose essentiellement sur le système endocrinien et le système neurovégétatif. Comment vos hormones s’organisent entre elles, comment elles entrent en interrelation pour coordonner cette dynamique ? Et comment votre système nerveux inconscient, celui qui gère votre digestion, votre respiration, le battement de votre cœur, comment ce système là vient aider le premier pour obtenir des phénomènes de réparation ? Quand vous allez voir le médecin en consultation, vous lui parlez. Il vous écoute et il vous examine. Pour le médecin endobiogéniste, ces trois temps là sont fondamentaux, car il va chercher des petits signes qui peuvent paraître infimes, sans sens, mais qui, associés les uns aux autres, peuvent permettre de construire l’histoire de votre vie jusqu’à aujourd’hui, permettre de comprendre les dysfonctionnements qui ont abouti à la maladie que vous exprimez. S’il en a besoin, mieux encore, le médecin peut faire une prise de sang simple. Quand les paramètres sont dans les normes, tout va bien. Quand ils sont hors des normes, il y a un problème. Vous n’avez pas assez de globules rouges, vous avez une anémie. On peut s’arrêter à cela. Mais grâce à la théorie de l’endobiogénie, on peut comprendre que tous ces chiffres ne sont pas liés au hasard. Ces paramètres apportent une sorte de photographie de votre fonctionnement intérieur. Avec l’endobiogénie, on peut relier ces chiffres entre eux, et mesurer, de la façon la plus fine, comment vous fonctionnez. Cela apporte une aide considérable au médecin. Car, pour étayer, il faut avoir les bons étais pour les mettre à une bonne place. Et, pour faire cela, le médecin va utiliser les plantes médicinales. Il va les utiliser en fonction des données de la science moderne qui a démontré que la plante a la capacité de réguler les systèmes endocriniens et neurovégétatifs ».

 

Plantes médicinales et médecine endobiogénique

Un ouvrage ressource. Un ouvrage de référence

Sur des registres différents, le livre de Jean-Claude Lapraz et Marie-Laure de Clermont-Tonnerre  et l’interview en vidéo de Jean-Christophe Charrié introduisent un vaste public dans la prise de conscience du caractère original de l’approche endobiogénique et de son apport précieux et irremplaçable. Et cette approche s’appuie sur l’utilisation des plantes médicinales. C’est dire l’importance et l’utilité d’un ouvrage de référence consacré à cette ressource.

 

L’ouvrage sur les plantes médicinales récemment publié sous la direction de Jean-Claude Lapraz et Alain Carillon présente effectivement les connaissances correspondantes issues de la pharmacologie et des données de la tradition. Il offre « 45 monographies de plantes médicinales dont l’intérêt thérapeutique est confirmé par de nombreuses publications scientifiques récentes ».

Cependant, « l’originalité et la spécificité de cet ouvrage reposent sur un abord nouveau de l’usage de la plante médicinale fondé sur l’évaluation clinique  du patient placé au cœur de la réflexion diagnostique. Cette approche permet l’utilisation intégrative et personnalisée des plantes… La plante médicinale, par la complexité des éléments qui la composent et de leurs effets spécifiques, répond au mieux aux exigences d’une thérapeutique plus physiologique  et peut alors devenir un moyen de traitement de premier plan si elle est utilisée selon les règles médicales et prescriptives… La médecine endobiogénique propose une réflexion originale qui permet de mettre en évidence les déséquilibres des systèmes endocriniens gestionnaires de l’organisme. Elle aide le médecin à les identifier et leur permet d’établir un traitement régulateur et physiologiques où la plante médicinale joue un rôle prioritaire afin d’aider l’individu à retrouver l’état d’équilibre antérieur à la maladie : l’état de santé ».

 

Vers une nouvelle approche médicale

Ce livre sur les plantes médicinales et la médecine endobiogénique  prend place dans l’univers scientifique et professionnel. Ainsi cette nouvelle approche médicale progresse sur différents registres. Elle rencontre une opinion plus favorable,  comme en témoigne un intérêt croissant pour les médecines alternatives et complémentaires, dans un contexte de plus en plus sensible à la dimension écologique et en demande de participation. Elle est portée par un courant militant : médecins généreux et patients reconnaissants (6). Et ce livre témoigne d’une maturité scientifique.

Tout au long de cet article, on a pu percevoir une vision nouvelle, un nouveau paradigme et a pu apprécier la fécondité de cette approche. On attendrait qu’elle se répande dans le corps médical. En ce sens, des propositions accrues de formation sont nécessaires. Il serait opportun que les pouvoirs publics apportent leur soutien.

Dans un système de santé qui comporte de nombreuses rigidités, comment promouvoir cette nouvelle pratique ? A cet égard, un article paru dans Le Monde, le 14 mars 2012, est toujours pertinent aujourd’hui (8). Sous la signature de Luc Montagnier, prix Nobel de médecine en 2008 et Frédéric Bizard, consultant et maitre de conférences à Sciences-Po, cet article ouvre la voie : « Anticipons le passage d’une médecine curative à une médecine préventive ». On peut y lire : « D’une approche verticale et segmentée, nous devons passer à une vision transversale de la santé. D’une médecine curative du siècle dernier, nous devons passer à la médecine 4p : préventive, prédictive, personnalisée, partipative, ce qui modifie considérablement le logiciel du système. L’approche transversale de la médecine 4p doit s’accompagner d’une rénovation de notre système de santé avec une approche holistique des soins fondée sur la personne et les relations interpersonnelles. D’un système centré sur la maladie, il faut évoluer vers un système centré sur la personne, sur la santé ». La médecine endobiogénique s’inscrit dans cette grande transformation.

 

J H

(1)            Société internationale de médecine endobiogénique et de physiologie intégrative : https://www.simepi.info

(2)            Jean-Claude Lapraz. Alain Carillon, dir. Plantes médicinales. Phytothérapie clinique intégratives et médecine endobiogénique. Lavoisier Tec et doc. 2017

(3)            Jean-Claude Lapraz. Marie-Laure de Clermont-Tonnerre. La médecine personnalisée. Retrouver er garder la santé. Odile Jacob. 2012

(4)            Présentation du livre : « La médecine personnalisée » : « Médecine d’avenir. Médecine d’espoir » : https://vivreetesperer.com/?p=475

(5)            « Soigner autrement, c’est possible » : TEDx La Rochelle, 2013 : https://www.youtube.com/watch?v=XAazxiP6tP0

(6)            Le docteur Jean-Christophe Charrié est un des contributeurs du livre : « Plantes médicinales.  Phytothérapie clinique intégrative… » Il a écrit plusieurs livres de conseil médical, dans une perspective endobiogénique, en collaboration avec Marie-Laure de Clermont Tonnerre : « Se soigner toute l’année au naturel » (2017) ; « Objectif santé : à chaque besoin, sa cure » (2017) ; « Soigner au naturel les maux de l’automne et de l’hiver » (2014) ; il vient de publier un livre sur « les clés de l’alimentation anti-cancer et maladies inflammatoires, infectieuses, auto-immunes » (2017).           Voir : https://www.amazon.fr/s/ref=nb_sb_noss_2?__mk_fr_FR=ÅMÅŽÕÑ&url=search-alias%3Dstripbooks&field-keywords=Jean-Christophe+Charrié

(7)            Phyto2000 : association des usagers de la phytothérapie clinique : https://www.google.fr/search?hl=fr&as_q=Phyto2000&as_epq=&as_oq=&as_eq=&as_nlo=&as_nhi=&lr=&cr=&as_qdr=all&as_sitesearch=&as_occt=any&safe=images&as_filetype=&as_rights= Le site de l’association est en réfection.

(8)            Texte cité dans l’article présentant le livre : « La médecine personnalisée » (note 4). Ce texte publié en 2012 nous paraît garder toute son actualité.

Un horizon pour l’humanité ? La Noosphère

https://images2.medimops.eu/product/90b9f0/M02226440550-large.jpgSelon Patrice Van Eersel

 Les crises se succèdent. Les menaces grandissent. L’horizon parait bouché. Nous voyons le climat se dégrader, la diversité des espèces se réduire. Nos repères se fragilisent. Il semble que l’ordre naturel est ébranlé. Le ciel va-t-il nous tomber sur la tête ?

L’humanité elle-même nous paraît de plus en plus instable. Le rythme de la vie sociale s’accélère, s’emballe. Dans cette ambiance préoccupante, la solidarité vacille. Des forces s’entrechoquent. Des monstres, bien réels ou imaginaires apparaissent. Dans ce tohu-bohu, certains se désespèrent et envisagent la fin du monde, un grand effondrement. Ce catastrophisme est dévastateur. Il sape les élans de vie.

C’est dans ce contexte que Patrice Van Eersel, journaliste et écrivain (1), connu pour ses études pionnières dans la découverte de réalités hors du commun, d’expériences transcendentales, a décidé de répondre au pessimisme ambiant en écrivant un livre intitulé : « Noosphère » (2). Il trace une piste décrivant le processus intellectuel qui a commencé au début du XXè siècle et a mis en évidence la perspective de l’émergence d’une conscience collective.

Ce livre est présenté ainsi dan la page de couverture.

«  Comment croire en l’avenir quand on a trente ans et la conviction de vivre l’effondrement de la planète – réchauffement global, dégradation de la biodiversité, pollution généralisée, le tout aggravé par une crise sanitaire mondiale ?

En remontant le temps, répond l’auteur de ce récit à son jeune interlocuteur, Sacha, en s’inspirant du concept de Noosphère, forgé dans les années 1920 par deux hommes, le français Teilhard de Chardin et le russe Vladimir Vernadski qui désignaient ainsi la conscience collective planétaire. Ayant compris le rôle crucial de l’action humaine sur la biosphère – ce que l’on appelle aujourd’hui l’anthropocène – ces visionnaires, convaincus du caractère « cosmique » de la vie biologique, considéraient le triomphe de la « Noosphère » comme la prochaine et irrésistible étape de l’Évolution, condition sine qua non de notre survie sur la terre ».

L’auteur a agencé son récit en fonction d’interlocuteurs imaginés : le fils d’un ami décédé, Sacha, un jeune homme en pleine dépression parce qu’il s’attend à un effondrement de la société et, en conséquence, s’est réfugié dans un refus du travail, et, autour de lui, une constellation familiale, sa mère, sa compagne, mère d’une petite fille, séparée de lui et elle aussi, portée à des idées extrêmes. Et donc, le récit se développe en phase avec des questionnements et des ressentis. Dans cette disposition de l’ouvrage, l’auteur engage un dialogue avec toute une jeunesse en recherche. Et, en même temps, l’auteur nous présente une réflexion complexe au carrefour de considérations scientifiques, philosophiques et même théologiques. Dans un déroulé historique, attentif à la vie des personnalités évoquées, le récit suscite une attention soutenue. Patrice Van Eersel a écrit là un livre fondé sur de nombreuses enquêtes et lectures. C’est un ouvrage important, en 400 pages. Il ne peut donc être question ici d’en résumer le contenu. Nous chercherons simplement à en présenter quelques étapes, quelques parties saillantes.

 

Une approche de l’effondrement : la collapsologie

Puisque son jeune ami, Sacha, est obsédé par la menace de l’effondrement, Patrice Van Eersel va lui ménager un contact avec ceux qui, eux aussi, se focalisent sur cette question de l’effondrement. Ainsi, il entre en contact avec des scientifiques innovants qui, en fin de compte, se sont engagés dans l’exploration de cette hypothèse. Depuis quelques années, Patrice connaissait un chercheur belge, Gauthier Chapelle, spécialiste de biomimétisme : comment reconnaître les inventions de la nature et en tirer parti ? Avec un autre chercheur, Pablo Servigne, Cauthier Chapelle avait participé à la rédaction d’un livre particulièrement innovant : « L’entraide. L’autre loi de la jungle » (3). Cependant, les années passant, Gauthier Chapelle avait rejoint son collège et ami, Pablo Servigne dans son regard pessimiste sur l’avenir de l’humanité. Ce dernier avait écrit un livre : « Pourquoi tout peut s’effondrer ». Pablo Servigne et un petit groupe de chercheurs avec lui s’étaient engagés dans un recherche sur l’effondrement en adoptant le terme de : collapsologie. « Ce que ces jeunes chercheurs s’escrimaient à étudier en détail, c’était le « processus systémique » par lequel une société s’emballe dans une série de spirales devenant folles et qui, tendant vers l’infini à partir de certains seuils, résonnent si bien les unes avec les autres qu’elles font exploser l’ensemble » (p 18). Gauthier Chapelle ayant donc facilité une rencontre entre Patrice van Eersel et Pablo Servigne, celle-ci déboucha sur une discussion concernant la perspective de l’effondrement. Pablo Servigne suggéra à Patrice de faire bénéficier son groupe de son expérience sur l’approche de la mort apprise d’« Elisabeth Kubler Ross, psychiatre américano-suisse, initiée au feu de l’ouverture des camps de concentration en Pologne, puis projetée dans l’univers des grands hôpitaux américains » (p 23). Dans son pessimisme, Pablo Servigne a choisi néanmoins de « rester humain quoiqu’il arrive » et il s’est installé avec ses enfants dans la campagne de la Drome (p 24-25). En emmenant Sacha avec lui, Patrice Van Eersel lui rend visite dans son nouveau lieu de vie. La conversation s’oriente vers la puissance de l’entraide qui « concerne tous les êtres vivants depuis quatre milliards d’années ». « Les groupes qui s’entraident survivent beaucoup plus longtemps ». Cette puissance de l’entraide a été mise en valeur par la pensée pionnière de Kropotkine, géographe et anarchiste, et le courant russe de l’anarchisme mystique. « On débouche sur un engagement social d’essence éthique et, même, finalement sur une voie philosophique étroitement spirituelle » (p 135-136). Tout en envisageant le pire, Pablo Servigne  poursuit sa recherche sur les manières de l’affronter. « Les humains ont besoin de grands récits. Or ceux qui ont nourri le monde moderne depuis la Renaissance, en particulier le récit de la liberté individuelle ou de la technoscience, sont maintenant épuisés. Et Pablo énonce des pistes d’action : « Schématiquement, je vois trois possibilités : bâtir des réseaux d’entraide, motivés par le bien commun ; s’entrainer à recevoir l’imprévisible, le pire et le meilleur… et puis ouvrir des horizons, rêver ensemble, tisser de grands récits ! » (p 140).

 

Chercheurs artistes américains

Éclaireurs pour une nouvelle vision du monde

 L’auteur a réalisé de nombreuses enquêtes aux Etats-Unis. « L’Amérique est un pays si contradictoire qu’il peut vous dégouter autant que vous inspirer. Du nord au sud et de la côte ouest à la côte est, j’y avais rencontré des dizaines de chercheurs artistes et de scientifiques ouvreurs de voies » (p 32). Dans ces rencontres, il a mesuré la dimension historique de l’anthropocène. « Tout d’abord, ces gens, bien qu’en général d’idéologie libertaire, m’ont lavé d’une première grande illusion. Ce n’est pas la finance digitalisée, ni le capitalisme, ni la révolution industrielle qui ont commencé à foutre en l’air la biosphère terrestre. Le mal a débuté bien plus tôt, au minimum au Néolithique c’est à dire à l’âge où les humains se sont peu à peu sédentarisés, élevant des animaux domestiques et cultivant des plantes » (p 32-33). Et, dès cette époque, ces scientifiques « prétendaient inventer des façons concrètes de pacifier ce qu’on s’entend à appeler ‘anthropocène’ aujourd’hui ». Ainsi Patrice Van Eersel a rencontré la microbiologiste Lynn Margulis. « Cette grande spécialiste des bactéries, qui était aussi une artiste visionnaire, fut à l’origine, avec le climatologue James Lovelock, de « l’hypothèse Gaïa » selon laquelle la biosphère qui enveloppe notre planète se comporterait comme un seul gigantesque être vivant » (p 34).

Lynn Margulis a écrit un essai magistral : « L’univers bactériel ». Les bactéries ont joué un rôle majeur dans le développement de la vie. « Elles ont fait de cette planète non seulement leur nid, mais leur chose, leur production, leur création collective » (p 34). Les bactéries ont traversé ainsi plusieurs épisodes très difficiles de la vie terrestre. Aujourd’hui, à nouveau, une crise a éclaté. « L’humanité et ses langages ont secrété une technosphère constituée de toutes nos techniques… Quand est survenue la révolution industrielle, le processus mortifère s’est accentuée dans des proportions démentes… » (p 36-37). Ici Lynn Marjulis a ouvert un nouvel horizon à Patrice Van Eersel : « le défi est colossal , mais clair. Si nous voulons que la technosphère humaine cesse d’agresser la biosphère qui l’a engendrée et constitue sa matrice, il faut que s’impose une sphère nouvelle. Il faut d’urgence renforcer la Noosphère » (p 37). La Noosphère, « c’est la sphère de la conscience. En grec, « noos » signifie « esprit, conscience ». L’intelligence collective des humains est impressionnante, mais elle n’est encore que très partiellement consciente… Seul un colossal saut collectif dans la conscience, donc dans la responsabilité, peut rendre les techniques humaines biophiles et non plus antibiotiques ». (p 38). Lynn Margulis va orienter Patrice Van Eersel vers les pionniers de cette vision. Ce sont «  deux grands chercheurs du début du XXè siècle… deux savants prophétiques sans exagération : le plus vieux était russe et s’appelait Vladimir Ivanovitch Vernadski. L’autre était français et s’appelait Pierre Teilhard de Chardin. Venant de philosophies très différentes – immanentiste pour le russe et transcendantaliste pour le français – ils tombèrent d’accord pour dire deux choses. D’une part que la Noosphère émergeait de la nature même du monde matériel, d’autre part que l’on pouvait voir en elle l’avenir même de l’univers ». Lynn Margulis encouragea Patrice à enquêter sur ces deux hommes.

Pierre Teilhard de Chardin

Une vision émergente

Patrice Van Eersel est donc parti à la découverte de Teilhard de Chardin. Celui-ci est aujourd’hui une personnalité célèbre, qui a donné lieu à des biographies et dont l’abondante production est maintenant éditée (4). Il existe même une association des Amis de Teilhard de Chardin (5). Dans plusieurs chapitres successifs et en fonction de son auditoire imaginaire, Patrice Van Eersel poursuit un récit du parcours de Teilhard de Chardin. Il retrace les grands moments de sa vie, c’est à dire le contexte dans lequel sa vision a grandi depuis les affres de la grande guerre jusqu’à son intense recherche paléontologique. Prêtre jésuite, sa vision s’est heurtée au pouvoir de la hiérarchie catholique et s’est diffusée sous le manteau à travers un réseau d’amis et grâce à des amitiés féminines. Cette vision a fait irruption après sa mort avec la publication d’un livre clé : « le Phénomène Humain ».

L’auteur nous relate la vie de Pierre Teilhard de Chardin tout au long de la grande guerre comme brancardier et « dans la fureur et le sang » (p 41-54). Très particulièrement exposé en fonction du courage qu’il manifeste au secours des blessés et en fonction de sa haute taille, il échappe à la mort quasi miraculeusement. A travers les massacres qui l’environnent, il garde le cap et dans les moments de répit, il écrit passionnément. « Profitant de la moindre accalmie, hanté par une recherche de sens d’autant plus déraisonnable que le contexte est fou, le prêtre paléontologue écrit des centaines de pages » (p 86) qu’il envoie ensuite à sa cousine Marguerite.

La vision de Teilhard se développe en tension avec le malheur ambiant. « Sous la pression de sa mission assumée de caporal brancardier œuvrant dans les tranchées, le docteur en paléontologie voit un ordre supérieur jaillir du chaos… » (p 95). Il écrit : « L’effet du séjour dans le danger est de purifier le goût de spéculations… L’âme est sensibilisée par l’effort moral, bandée aussi dans toutes ses énergies spéculatives, longtemps comprimées. Sitôt qu’une éclaircie se fait dans l’existence des tranchées, l’homme se retrouve lui-même et au dessus de lui-même, parce que désintéressé dans ses vues et agrandi dans ses facultés (aiguisées et affamées) » (p 101). La dynamique du chercheur se poursuit et s’intensifie ; L’évolution lui apparaît de plus en plus comme « une réalité omniprésente et universelle ».

Après la guerre, Teilhard va pouvoir s’engager dans la recherche. « A partir du printemps 1923, la Chine va devenir la destination favorite de Teilhard, sa « seconde patrie » où il va creuser la piste du Sinanthrope ou homme de Pékin, l’ancêtre chinois d’Homo Sapiens ». En Chine, son regard s’élargit. Sa vision est « de plus en plus globale ».Dans une lettre, il écrit : « Je rêve d’une espèce de Livre de la Terre où je me laisserais parler non comme Français, ni comme élément d’un compartiment quelconque, mais simplement comme homme ou comme ‘Terrestre’ » (p 167).

Dans ses allées et venues qui vont se poursuivre toute sa vie, Teilhard rentre de Chine à la fin de l’été 1924 avec plusieurs tonnes de fossiles et d’échantillons de toutes sortes destinés au Muséum. Et là, il va rencontrer un autre paléontologue l’abbé Breuil et un philosophe Edouard Le Roy qui vient d’être choisi par Henri Bergson pour lui succéder à la chaire de philosophie grecque et latine du Collège de France. (p 177). « Catholique convaincu , mais très attaché à la laïcité, Edouard Le Roy, ce mathématicien philosophe n’a pas hésité à résister au Vatican. Les conversations entre Teilhard et Le Roy vont être très constructives. Le Roy est un élève et un ami de Bergson, auteur de « l’Evolution créatrice » et de « L’Energie spirituelle ». Et les intuitions de Teilhard et de Bergson vont pouvoir se rejoindre sur un point essentiel : «Toutes deux saisissent dans un même mouvement l’Être et le Devenir – et l’idée d’évolution irréversible constitue une clé majeure pour l’un comme pour l’autre. L’Être se révèle dans le devenir parce que l’évolution est création » (p 181).

Ultérieurement, Teilhard de Chardin va passer une bonne partie de sa vie en Chine. L’auteur nous fait part du développement de sa réflexion sur la Noosphère qui va de pair avec un idéal de vie exigeant. « Seule vaut l’action fidèle, pour le Monde, en Dieu. Pour arriver à voir cela et à en vivre, il y a une sorte de pas à franchir ou de retournement à faire subir à ce qui paraît l’habitude générale des hommes. Mais, ce geste un fois exécuté, quelle liberté pour travailler et pour aimer » (p 321).

Dans son livre emblématique : « Le Phénomène Humain », Teilhard envisage le processus qui débouche sur l’éclosion de la Noosphère.

« Besoin d’une religion à la mesure de la terre nouvelle », de fait le christianisme renouvelé. Et il envisage « un processus de recherche, de tentatives et de tâtonnements multiples ». Et il écrit : « Ce n’est que par le libre choix, la découverte et le développement, par chaque segment national et culturel de l’humanité de sa forme singulière de liberté, que pourront être assurées la convergence et la structuration de cette multitude dans un système planétaire uni » (p 223). Et il appelle à une « poussée du tous ensemble ».

L’auteur déroule la pensée de Teilhard de Chardin telle qu’elle s’exprime dans le Phénomène Humain. C’est « la vision spatiotemporelle d’un monde fibreux (chaque nouvelle émergence constituant un fibre à l’intérieur d’une nappe évolutive) et toute la techtonique psycho-matérielle de l’univers s’enroulant sur lui-même suivant la loi de la complexité-conscience. Une complexité-conscience croissante qui ayant abouti à l’avènement de l’humain… a engendré ipso facto une Noosphère : une conscience réfléchie de plus en plus socialisée, prise dans un tissage de plus en plus collectif » (p 348).

 

Le parcours d’un géologue russe : le professeur Vernadski

La chercheuse américaine Lynn Margulis avait également orienté l’auteur vers un géologue russe : le professeur Vernadski. Le parcours de celui-ci s’est développé dans un tout autre contexte : un milieu scientifique russe qui va être entrainé au XXè siècle dans une grande tourmente politique. Vernadski est l’élève de grands savants russes ; En 1884, il est appelé à décrypter l’histoire du sol ukrainien, le tchernozium, au fil de l’évolution géologique. « En observant la terre mère d’Ukraine, coupe de sol après coupe de sol, il avait observé un mélange unique d’humus et d’argile… Et il n’avait pu faire autrement que d’admirer l’inextricable tissage de vie recelé par ce sol. Un réseau d’une densité et d’une variété inouïes où se mêlait dans un enchevêtrement et un grouillement éblouissants tout ce que la vie biologique avait pu inventer depuis les champignons jusqu’aux mammifères… sans parler des bactéries… Camouflée sous le silence apparent de la terre, s’offrait à ses yeux une véritable frénésie… admirablement organisée, telle une étoffe relationnelle ultracomplexe. (p 61-62). « De là, l’énorme hypothèse qui avait peu à peu émergé dans son esprit : la vie biologique ne mettrait-elle pas en branle, par son intelligence propre des flux de matière et d’énergie infiniment supérieurs à ceux engendrés par la seule géologie minérale ? Dit plus abrupt, la biologie n’accélérait-elle pas tous les processus terrestres dans des proportions extravagantes constituant de la sorte la force biologique numéro un de la surface de notre planète ? » p 62). « En quelques années, sa propre intuition l’amena à se poser une question encore plus folle pour un scientifique rigoureux comme lui : ne fallait-il pas considérer la vie biologique comme une entité en soi impossible à réduire à ses éléments chimiques inertes ? Ne fallait-il pas, peut-être, parler d’elle comme d’une force cosmique spécifique, dont la physique ne tenait pour l’instant aucun compte ? » (p 63). Vernaski en vint à se demander si la richesse minérale faramineuse de la terre n’était à mettre en relation avec l’existence de la biosphère… c’est à dire avec la matière vivante, prémonition que les recherches scientifiques n’allaient cesser de valider jusqu’au XXIè siècle » (p 65).

A partir des années 1990, Vernaski grimpa rapidement dans la hiérarchie universitaire et académique russe et multiplia les voyages auprès de chercheurs de premier plan en Europe. Il introduisit dans le corpus de son enseignement, l’idée totalement nouvelle et transdisciplinaire d’une « biogéochimie ». « Tous les êtres vivants, avançait-il, forment une sorte d’entité géante qui, nourrie des corps chimique inertes, sculpte, malaxe, cristallise et fait transmuter la surface de la terre à sa guise » (p 65).

Patrice Van Eersel déroule la biographie de Vladimir Ivanovitch Vernadski dans plusieurs chapitres de son livre. Vernadski ne fut pas seulement un grand savant visionnaire, mais aussi un homme engagé socialement et politiquement. Ainsi, dans les années prérévolutionnaires, il a participé à « une organisation apte à accueillir les idéaux humanistes et démocratiques et à en permettre la mise en œuvre ». « Avec plusieurs camarades, ils avaient donc créé une fraternité comme c’était alors la coutume » (p 69). Foncièrement démocrate, il se heurte à la dictature issue de la Révolution d’Octobre, mais sa réputation scientifique l’aide à traverser cette tourmente. Et elle va l’aider à composer avec le régime soviétique.

Sa réflexion philosophique assise sur sa recherche scientifique va donc se poursuivre. Réfugié en Ukraine, puis en Crimée juste après la Révolution d’octobre, déjà atteint par la tuberculose, fin 1919, il tombe gravement malade du typhus. Or, dans cet état, il va connaître un genre d’expérience mystique. « Hospitalisé et mis sous perfusion, le savant se retrouve pendant plusieurs semaines dans « un état de conscience modifiée », une forme de délire qui, peu à peu, va se transformer en visualisation claire et limpide… Vision de la suite à donner à ses recherches jusque dans ses détails théoriques les plus abstraits et les conditions expérimentales correspondantes (p 121). « J’ai clairement vu de quelle façon il faudrait m’y prendre pour faire progresser et aboutir en particulier mon idée de « matière vivante ». Il est profondément impressionné par « l’esthétique des choses et des êtres. La faramineuse beauté de la nature, son harmonie, sa prodigalité, mais aussi la beauté des êtres humains et de leurs trouvailles, m’ont fait atteindre une extase que j’aurais du mal à décrire avec des mots » (p 123). Il projette la création d’un « Institut de la matière vivante ». PatriceVan Eersel nous relate dans le détail la maturation de la pensée de Vernadski, son hommage aux naturalistes anglais et australiens du XIXè siècle (p 125) et un approfondissement de sa conception de l’émergence du vivant. « Depuis son avènement il y a des centaines de millions d’années, la vie biologique a constitué la force biologique et atmosphérique numéro 1 de la surface de notre planète. Cependant, depuis beaucoup moins longtemps, c’est l’humanité qui, de tous les êtres vivants, constitue la force de transformation matérielle la plus puissante… Après la biosphère, nous nous trouvons donc en présence d’une « humanosphère » (p 128).

 

La Noosphère : Le concept émergeant d’une grande rencontre : Olivier Le Roy, Pierre Teilhard de Chardin et Vladimir Vernadski

En 1922 le professeur Vernadski arrive en France et y poursuit son activité scientifique. En automne 1924, un dialogue s’engage entre lui, Olivier Le Roy, disciple de Bergson et Pierre Teilhard de Chardin. A partir de textes existants, Patrice Van Eersel reconstitue et restitue leur conversation où se manifeste une reconnaissance commune de la Noosphère. Olivier le Roy déclare ainsi : « Je vous propose l’hypothèse de travail suivante qui découle directement de vos travaux respectifs. Ne pourrait-on pas dire que la biosphère, ayant atteint l’ère anthropozoïque dont nous parle de façon très immanentiste le professeur Vernadski (le concept de céphalisation, p 215), et « se retournant sur elle-même », comme le propose dans une perspective transcendentale, le père Teilhard, qui me parlait récemment « d’une incarnation planétaire de l’esprit », doit à présent accoucher d’une Noosphère pleine et entière, c’est à dire d’une conscience collective intégrale ». Ainsi l’évolution cosmique pourrait passer au stade suivant » (p 222). PatriceVan Eersel précise que Teilhard et Vernadski ont été aussi portés, aussi bien l’un que, à utiliser le terme de noosphère et que Vernadski en attribue l’expression à Olivier Le Roy. (p 224).

Vernadski aussi bien que Teilhard ont été confrontés aux massacres guerriers. Ils ont conscience des dangers encourus par l’humanité. Il y a cent ans déjà, l’humanité se sentait menacée.

Face aux régimes totalitaires, Teilhard voit dans la noosphère un espace de personnalisation. « Si, sous la pression considérable du processus de complexification cosmique appelée « évolution », les consciences individuelles se rapprochent les une des autres, les individualités ne disparaissent pas. Elles transcendent leurs limites et resplendissent » (p 217). Et de même, dans cette conversation, différents obstacles sont évoqués : l’individualisme exacerbé, la tentation de faire machine arrière, la peur de la mort… A chaque fois, des réponses apparaissent. Selon Teilhard, nous devons être spirituellement amoureux de la matière. « L’idéal noosphérique contredit en tous points aussi bien l’isolationnisme du spiritualiste coupé du monde dans l’attente d’un au delà que l’idéal du petit-bourgeois claquemuré derrière son confort » (p 228). Vernadski évoque le refus d’aller de l’avant. « Cela ne nous est pas possible ou alors seulement en disparaissant. Si l’humanité veut continuer d’exister, elle est contrainte de chercher à transformer le monde et à se métamorphoser elle-même. Sinon elle disparaît purement et simplement » (p 229). Face à la mort, Teilhard pense qu’à travers nous, se manifeste une présence que rien ne peut éteindre. La biologie seule, même si elle résiste, finirait dispersée par l’entropie. Seule l’émergence de l’humain change définitivement la donne : pour moi, ce qui sera définitivement conservé, c’est l’énergie humaine, c’est-à-dire la Personne » (p 234). Il y a des forces qui interviennent face au totalitarisme oppresseur. Vernadski évoque la puissante forte de l’entraide à l’œuvre dans le monde vivant et mise en évidence par le savant russe, de conviction anarchiste, Kropotkine (p 236) et Teilhard, dans une inspiration chrétienne, évoque « une conspiration d’amour » animée par les forces de la sympathie » (p 235).

 

La Noosphère : quelle actualité ?

La vision de la noosphère a émergé il y a un centaine d’années dans un contexte où l’humanité était déjà confrontée à de grands maux. Aujourd’hui, cette vision est toujours éclairante et des réalités nouvelles comme l’expansion du web viennent l’illustrer.

Comme d’autres chercheurs, Patrice Van Eersel évoque le besoin d’un grand récit fédérateur répondant aux questionnements de beaucoup de nos contemporains. Ainsi évoque-t-il « l’utilité vitale, reconnue par tous, d’inventer de nouveaux grands récits pour tirer en avant l’humanité menacée de désespérance » (p 291).

Dans plusieurs chapitres, l’auteur dialogue avec la jeune génération telle qu’il la représente dans quelques personnages. Il évoque ainsi des réalités bien documentées, mais aujourd’hui largement méconnues. Ainsi, il apparaît qu’à long terme, dans la vie quotidienne, la violence recule. Et il fait appel à de nombreuses recherches qui montrent l’influence potentielle de la pensée et de la méditation sur des réalités sociales. Des interrelations nouvelles apparaissent. On découvre ainsi que «  nos volontés et nos actions influent sur nos corps… Nos cerveaux sont beaucoup plus malléables que l’on ne croyait. Nos réseaux neuronaux se reconstruisent en permanence. Et même, mis en relation avec quelqu’un, nous fonctionnons littéralement en wifi. Et cela nous transforme. Nous nous transformons physiquement les uns les autres en fonction de nos interactions… » (p 267). Sur un autre registre, le concept d’imaginal est avancé. « Ce sont des mondes et des niveaux de conscience différents, mais bien réels » ; certains disent même plus réels que le réel… Pour les mystiques de toutes les traditions, on pourrait dire que l’imaginal représente le monde intermédiaire entre le réel physique et l’Être ineffable et absolu » (p 271).

Un des interlocuteurs présents dans ce livre s’exprime ainsi : « Je suis persuadé que Vernadski et Teilhard visualisaient la Noosphère comme une dimension bien réelle, mais habitée par des humains ayant suffisamment cultivé leurs mondes intérieurs – et résolu leurs névroses – pour pouvoir s’échapper à volonté dans l’imaginal » (p 272). Patrice Van Eersel se rend compte que pendant longtemps il a réfléchi à la Noosphère «  en terme d’extériorité, beaucoup plus rarement en terme de vie intérieure – qui est bien autre chose que le flux psychologique des images et des pensées qui nous traversent à chaque instant… Pourtant, chacun à sa façon, les personnages de mon récit, Teilhard de Chardin comme Vernadski ou Le Roy, n’avaient jamais cessé d’insister sur le va-et-vient indissoluble entre le dehors et le dedans » (p 273)…

« Pourrait-on donc imaginer que l’évolution d’Homo Sapiens ait atteint un stade limite où s’ouvrirait soudain en nous l’urgence vitale d’ouvrir une porte inédite vers un « ailleurs » ? Ou plutôt une porte aussi ancienne que l’être humain des origines, mais oubliée depuis des siècles par quasiment toute l’humanité à l’exception de minuscules minorités d’initiés, une porte qui signalerait une transition vers un être humain non pas « augmenté », mais « métamorphosé » ? (p 274).

Cet ouvrage volumineux de Patrice Van Eersel se lit de bout en bout, car il y a un dynamisme dans ce récit et un appel constant à la découverte. C’est un univers tant il est vaste dans le thème abordé et l’approche empruntée. Ce livre est également constamment orienté vers une recherche de sens. La vision suggérée et proposée de la Noosphère est envisagée non seulement dans son émergence, mais dans sa réception. Une piste est tracée et elle est accueillie dans un dialogue incessant entre l’auteur et des interlocuteurs imaginés exprimant les angoisses, les interpellations et les attentes d’une nouvelle génération. Ce livre est un univers. Il ne rapporte pas seulement la vie et l’apport de grands chercheurs, mais il aborde également des recherches et des innovations plus récentes. Une abondante bibliographie en témoigne. Nous avons essayé de proposer quelques aperçus de ce livre, sachant que nous ne pouvions rendre compte de toute sa diversité. Il y a, dans ce livre, une dynamique à la fois intellectuelle et humaine. C’est aussi un ouvrage qui met, à la portée de tous, une ouverture de sens pour nos contemporains. Une incitation à la lecture.

J H

  1. Biographie de Patrice Van Eersel : https://fr.wikipedia.org/wiki/Patrice_Van_Eersel
  2. Patrice Van Eersel. Noosphère. Eléments d’un grand récit pour le XXIè siècle. Albin Michel, 2021

Interview de Patrice Van Eersel sur son livre : Noosphère : https://www.youtube.com/watch?v=WCV7TOnoScA

  1. Face à la violence, l’entraide dans la nature et dans l’humanité : https://vivreetesperer.com/face-a-la-violence-lentraide-puissance-de-vie-dans-la-nature-et-dans-lhumanite/
  2. Il existe de nombreuses études sur la vie et l’œuvre de Pierre Teilhard de Chardin. Ici : Patrice Boudignon. Teilhard de Chardin. Sa biographie par sa correspondance : https://www.canalacademies.com/emissions/au-fil-des-pages/teilhard-de-chardin-sa-biographie-par-sa-correspondance Plus précisément, en rapport avec le sujet de cet article : Noosphère podcast : de la conscience individuelle à la conscience collective, par François Euvé : https://www.youtube.com/watch?v=09WRgOQAc24
  3. Association des amis de Teilhard de Chardin : https://teilhard.fr/

 

 

Une vision nouvelle des animaux

« Quand le loup habitera avec l’agneau »

Selon Vinciane Despret

Dans le contexte de la mutation actuelle qui ramène l’humanité au sein de la nature, des représentations humaines changent en profondeur. Ce changement de représentations, entre autres des femmes, des enfants, et, plus récemment, des animaux, traduit, à l’encontre des malheurs du siècle, une évolution en profondeur de la conscience humaine. Aujourd’hui, on constate un changement spectaculaire de la représentation des animaux. Vinciane Despret, à la fois philosophe et éthologiste, nous propose un récit engagé qui vient nous surprendre et nous étonner au sens le plus fort. Déjà auteur de livres pionniers sur ce sujet, elle nous offre une vision d’ensemble dans son ouvrage le plus récent : « Le loup habitera avec l’agneau » (1).

Certes, il est difficile de rendre compte d’une pensée qui est particulièrement subtile et mouvante, examinant telle proposition et son contraire, et refusant de s’arrêter à telle hypothèse pour en tester d’autres à la recherche d’un juste milieu. Cependant, cette intelligence attire, et, à sa suite, nous y voyons plus clair sur les méandres de la recherche en ce domaine et la manière dont elle sort aujourd’hui des schémas idéologiques du darwinisme social et du behaviorisme. Dépourvue d’expertise en ce domaine, cette présentation a seulement pour but d’attirer notre attention sur un changement majeur dans notre manière de considérer les animaux, et par suite les rapports entre le monde animal et le monde humain. Tout commence par un constat amplement rapporté sur la page de couverture :

« Les animaux ont bien changé au cours des dernières années. Les babouins mâles qui semblaient tellement préoccupés de hiérarchie et de compétition nous disent à présent que leur société s’organise autour de l’amitié avec les femelles. Les corbeaux qui avaient si mauvaise réputation nous apprennent que quand l’un d’eux trouve sa nourriture, il en appelle à d’autres pour la partager. Les moutons, dont on pensait qu’ils étaient si moutonniers, n’ont aujourd’hui plus rien à envier aux chimpanzés du point de vue de leur intelligence sociale. Et, nombre d’animaux qui refusaient de parler dans les laboratoires behavioristes se sont mis à entretenir de véritables conversations avec leurs scientifiques. Ces animaux ont été capables de transformer les chercheurs pour qu’ils deviennent plus intelligents et apprennent à leur poser enfin de bonnes questions. Et ces nouvelles questions ont, à leur tour, transformé les animaux ». Ainsi le changement de représentation des animaux intervient au carrefour du changement de mentalités des humains emportés dans une vision nouvelle et qui se départissent de leur égocentrisme et de leur esprit dominateur, et par suite des projections en ce sens sur les animaux, de fait manipulés, et de la reconnaissance d’une forme de créativité animale qui peut être encouragée par des attitudes nouvelles de la part des humains.

 

Autour des origines de l’homme

L’humanité s’inscrit dans le continuum du vivant et donc dans un rapport avec la vie animale. Elle en dérive selon la théorie de l’évolution élaborée par Darwin au XIXe siècle. Mais alors, on s’est interrogé sur l’origine de l’homme. « Les occidentaux vont chercher dans la nature celui qui sera leur ancêtre. Le primate non humain en sera l’élu » ( p 39). L’auteure examine comment Darwin a choisi cette option. Son projet a été de « repérer les éléments qui plaident pour la continuité des formes du vivant, pour en retracer l’histoire. Il faut trouver des similitudes et des différences qui permettent de retracer notre histoire selon un ordre cohérent avec l’idée de progrès. Il faut donc montrer que le singe qui deviendra le singe des origines nous ressemble suffisamment sous certains aspects, pour témoigner de la filiation. Or le singe n’est pas le seul en cause dans cette histoire de l’origine. Le sauvage est lui aussi convoqué à témoigner… Il doit se situer entre le primate et l’homme civilisé. Le primitif doit témoigner de son progrès par rapport au premier (le singe), et du progrès du second (l’humain) par rapport à lui-même » (p 45). Or, dans la culture à laquelle appartient Darwin, le sauvage de cette époque est mal famé. Darwin s’est tourné alors vers les primates. Et il perçoit chez eux une vertu : « la régulation de la sexualité – dont la jalousie du mâle devient la garantie » (p 49). Si d’autres représentations de l’animal étaient présentes dans cette culture, Darwin, après avoir beaucoup hésité, a choisi « un animal de conflit, de compétition, de guerre et de jalousie » (p 51). « On pourrait dire que ce mâle belliqueux mobilisé par une compétition sans fin autour des femelles est sans doute tout à fait dans la logique de la théorie darwinienne, puisque la sélection est fondée sur la compétition des individus » (p 44).

Au XXe siècle, ce modèle de la dominance des mâles a encore polarisé l’attention des primatologues dans leurs recherches. Mais depuis quelques décennies, cette approche dominante a été battue en brèche, notamment à travers l’engagement de femmes primatologues. A cet égard, le rôle de Jane Goodhall fut emblématique (2). Une toute autre conception de la vie sociale des primates est apparue.

Sur un autre registre, rappelons que Freud s’est inspiré de la conception darwinienne des origines humaines. « C’est autour d’un extrait de Darwin que la proposition freudienne de l’origine de toute l’histoire s’articule : « Des habitudes de vie des singes supérieurs, écrit Freud, Darwin a conclu que l’homme a lui aussi vécu primitivement en petites hordes, à l’intérieur desquelles la jalousie du mâle le plus âgé et le plus fort empêchait la promiscuité sexuelle » (p 42). Freud envisagera donc notre ancêtre comme « un mâle jaloux et belliqueux » (p 42) à partir duquel il construira un récit des origines, une vision mortifère que dénonce Jeremy Rifkin dans son plaidoyer pour l’empathie (3).

A la fin du XIXe siècle, un naturaliste russe réfugié en Angleterre pour des raisons politiques, c’est à dire pour son adhésion aux thèses anarchistes, Pierre-Alexandre Kropotkine conteste l’accent mis par Darwin sur la compétition des individus comme fondement de la sélection naturelle. Certes, nous dit l’auteure, cette contestation peut être imputée à différents motifs : la philosophie politique de Kropotkine, pour une part, mais aussi parce que la nature est différente en Russie. Mais cette critique se fonde sur une analyse de la vie animale très différente de celle de Darwin. Dans son livre de 1902, « l’Entraide, un facteur de l’évolution », Kropotkine interroge les thèses darwiniennes. Il ne perçoit pas chez les animaux, une lutte de tous contre tous, une compétition féroce, mais « au contraire, des preuves de soutien mutuel, d’amitié et de solidarité : nourrir l’étranger, adopter l’orphelin, aider l’autre en difficulté (p 53) (4). Si la guerre entre les différentes espèces est un fait, il y a « tout autant ou peut-être même plus, du soutien mutuel, de l’aide mutuelle entre les animaux… Les primates ne contredisent pas ce modèle… On peut affirmer que la sociabilité, l’action en commun, la protection mutuelle et un grand développement de sentiments… caractérisent la plupart des espèces de singe » (p 54).

L’auteure met en valeur l’originalité de la pensée de Kropotkine. « Les singes à qui Darwin demande d’apporter les preuves de la sélection naturelle et de l’évolution viennent chez Kropotkine apporter leurs concours à un autre projet : celui de témoigner de l’évolution de la nature, mais cette fois en rompant avec le régime de la compétition. De la même manière que les primitifs semblent exiger, au fur et à mesure du temps et des recherches, une autre manière de les connaître, la nature enrôle Kroptkine dans une autre histoire » (p 63). Dans l’approche de Kropotkine, l’auteure fait reconnaître une proximité avec sa propre critique des schémas stéréotypés d’une méthode scientifique longtemps dominante. « Comment pourrait-on prétendre rendre compte de ceux qu’on ne se donne pas la peine de connaître et de comprendre ? Comment peut-on prétendre s’intéresser à ceux à qui on ne donne aucune chance de nous mobiliser ? Comment espérer construire un savoir fiable à propos de ceux à qui n’est laissée aucune possibilité de surprendre, d’étonner, de décentrer celui qui s’adresse à eux, et de raconter une autre histoire ? (p 62).

Pourquoi l’approche de Kropotkine a-t-elle été oubliée ensuite pendant des décennies ? Sans doute, sa biologie comme sa pensée politique, sont apparues à son époque, comme « exotique » par rapport à la culture dominante. « Il fut longtemps relégué aux oubliettes de l’histoire naturelle » (p 66). Mais, soixante-dix ans plus tard, les suspicions de Kropotkine réapparaissent dans la contestation du « rôle que l’on a fait jouer, dans l’histoire de nos origines, à un babouin belliqueux et jaloux : la critique de l’idéologie qui marque les mythes des origines ; le rôle décisif d’un nouvelle anthropologie dans la manière d’en interroger les acteurs ; la remise en cause des généralisations hâtives au départ de quelques espèces de primates choisies ; l’exigence d’une autre manière de poser les questions dans une perspective marquée par une conscience politique » (p 66).

 

Révéler le potentiel de l’animal

 Et si nous interrogeons les animaux en les inscrivant dans nos questions, pourrait-on leur donner une chance de s’exprimer en nous instruisant ? Après s’être référé aux ouvrages de Darwin et de Kropotkine, Vinciane Despret nous introduit dans un livre original, trop vite oublié. Au milieu du XIXe siècle, «  le naturaliste anglais, Edward Pett Thompson s’attela au superbe travail de mieux faire connaître les animaux à ses contemporains… dans son troisième et dernier ouvrage : « The Passions of animals », publié en 1851, les singes seront des acteurs privilégiés… » (p 68). « Le singes mis en scène par Thompson… ces singes justiciers, espiègles, manipulateurs d’outils, guerriers stratèges, menteurs impénitents ou rois de l’évasion, nous ressemblent. Le choix de ces histoires n’a rien de fortuit : d’abord, ces singes présentent des compétences que nous avons longtemps pensé être exclusivement les nôtres. Non seulement leur intelligence est stupéfiante, leur sens de la coopération édifiant, mais ils semblent aussi partager les mêmes émotions que les nôtres » (p 71). Cependant, l’ambition de Thompson va plus loin : «  Ce n’est pas une simple démonstration de compétence qu’il s’agit d’élaborer. Il demande plus au singe : il lui demande certes de l’aider à construire la proximité – « comme il nous ressemble ! » – mais en y prenant la part la plus active possible, en témoignant de sa propre volonté de se conduire en humain » (p 72).

Une perspective évolutionniste implique une continuité entre le monde animal et l’humanité qui apparait à sa suite. Mais Thompson ne s’inscrit pas dans la théorie de l’évolution. Il est créationniste. « La chaine continue des « existants » est une chaine statique agencée telle quelle dès les premiers jours du travail divin ». Pourtant, dans ce contexte, depuis le XVIIe siècle, était apparue une certaine conception : « la théorie de la chaine du vivant ». On y remarqua des intervalles et « nombre de penseurs s’attelèrent à la tâche de les remplir en se mettant à traquer les ressemblances » (p 73-74). Il y donc, dès cette époque, une recherche des ressemblances. Mais, « ce n’est cependant pas dans cette perspective métaphysique que Thompson s’efforce de maximaliser les ressemblances ». Ici, « les singes ne sont mobilisés ni dans un problème de continuité d’une chaine statique, comme ils l’étaient jusqu’alors, ni dans un projet d’évolution comme ils le seront quelques années plus tard… ». C’est un autre projet que Thompson s’est efforcé de réaliser. « L’objectif de ce livre sera de collaborer à la promotion d’une meilleure estimation de la valeur et de l’utilité de la vie animale, en éveillant une attention adéquate et des sentiments de bonté pour les créatures animales, afin d’obtenir pour elles l’admiration et la protection qu’elles méritent » (p 75). Thompson va réfuter la manière dont la réussite des animaux est principalement attribuée à l’instinct. « Il ne s’agit pas de nier le rôle de l’instinct, mais de laisser, parallèlement à l’existence d’invariants, les possibilités pour la variabilité, et surtout pour le changement (p 77). « La critique de l’instinct est une pièce majeure… Si Thompson fait tant d’effort pour démonter ce vieux préjugé de l’instinct, ce n’est pas seulement parce que l’instinct fait de l’animal une sorte de mécanique aveugle… C’est parce qu’il empêche les animaux de changer ; ou plutôt, parce qu’il s’agit surtout d’un malentendu, parce qu’il empêche les hommes de penser que les animaux peuvent changer » (p 81).

Thompson « s’attaque à une autre préjugé : celui qui nous mène à hiérarchiser les animaux selon qu’ils soient domestiques ou sauvages ». Et de même, il conteste la préférence accordée aux herbivores par rapport aux carnivores jugés violents et cruels. Certains carnivores se laissent apprivoiser. « Les carnivores s’attachent à leurs gardiens ». « Les animaux sauvages sont en fait le plus souvent domesticables, pour une raison très simple : ils sont sociaux » (p 82). Thompson incite à une action d’apprivoisement, de domestication. « Ne laissons pas passer notre chance de les arracher à ce qui les rend sauvage ». « Cette chance est pourtant à la portée de notre main : C’est ce dont témoigne le miracle de l’apprivoisement de la hyène, celui des extraordinaires compétences des singes qui vivent en bonne entente avec l’homme et, plus généralement, le miracle de la socialisation des êtres. C’est le miracle de la domestication : faire émerger chez l’animal tout ce qui n’est qu’en puissance chez lui, ce qui tend à s’améliorer : la bonté, la douceur, la sociabilité. « Ils sont maintenant sauvages, mais quand les circonstances qui les contraignent à l’être changeront, la transformation morale deviendra un facteur naturel de la révolution intellectuelle et sociale que les prophètes hébreux  prédisent » ( p 85). C’est ici qu’apparait le devenir à long terme et le fabuleux rêve de Thompson : accomplir ce que Dieu a promis : accomplir la plus vieille et la plus belle des prophéties, la prophétie d’Isaïe : « Le loup dormira avec l’agneau… et un petit enfant les conduira par la main » (p 85).

Vinciane Despret vient ici commenter le livre de Thompson et en montrer l’extraordinaire fécondité. A partir de cette prophétie, pourquoi ne pas « anticiper ? ». « Pourquoi ne pas donner à cette révolution annoncée par Esaïe ce qui est le destin de toutes prophéties : l’accomplir ? » (p 85). « Pourquoi ne pas nous transformer afin de pouvoir transformer les animaux ? La chance est à la portée de notre main : si nous nous transformons, si nous nous intéressons à eux, si nous cherchons avec patience tout ce qui n’attend que de s’actualiser, nous pourrons alors réaliser la prophétie » (p 86).

Et, en ce sens, c’est aussi modifier nos savoirs. « Les contraintes qui pèsent sur le savoir des hommes sont importantes. Le monde ne sera intéressant que si nous avons la chance de nous y intéresser. Il ne pourra être transformé que si nous acceptons de passer nous-mêmes par la transformation. Nous avons le monde que nos savoirs méritent » (p 87).Vinciane Desprez précise : si domestication, il y a, « l’arrachement à la nature n’a rien d’un détachement. Il s’agit plutôt d’une « socialisation » par laquelle les animaux entrent dans un monde qui s’efforce de se construire comme monde commun, et sont liés d’une manière nouvelle à ceux qui habitent ce monde… Emanciper, dans la perspective de Thompson, c’est libérer des mauvaises contraintes : ce n’est pas détacher, c’est attacher mieux. C’est trouver, comme le dit si joliment Bruno Latour, « dans les choses attachantes elles-mêmes, celles qui procurent de bons et durables liens ». Ce que Thompson propose en somme, c’est d’attacher mieux : les animaux aux hommes ; les hommes au monde, et le futur aux prophéties » (p 87). C’est une vision dynamique que Vinciane Despret exprime en ces termes : «  Il faudra plus de savoirs et plus de pratiques pour créer un bon monde commun : celui dans lequel « le loup habitera avec l’agneau », celui dans lequel se trouvera, chez les enfants des hommes, quelqu’un pour les conduire par la main » (p 88).

 

Une manifestation nouvelle des animaux

Si la vision de Thompson est longtemps restée sans héritiers, au cours des toutes dernières décennies, le regard sur les animaux est en train de changer (4). Si les animaux ont été maltraités dans une économie industrielle, aujourd’hui, ils sont pris en considération à travers une sensibilité nouvelle. Et, dans la recherche psychologique, on assiste à un retournement spectaculaire des comportements à leur égard. Des lors, on découvre chez eux des qualités qui rejoignent celles que Thomson avait mis en valeur.

Vinciane Despret dresse un bilan. «  Nous n’avons toujours pas été enrôlés par les animaux comme Thompson le souhaitait : l’élevage intensif, la disparition de nombreuses espèces, notre envahissement progressif de leurs territoire et, plus généralement le traitement infligé aux animaux témoignent de l’extension massive de contraintes qui ont rarement eu pour effet de « bien attacher ».

Mais des choses ont cependant changé. Certains d’entre nous sont en train d’inventer de nouveaux modes de communication, de nouvelles façons de penser le monde commun, de nouvelles habitudes, des enrôlements inédits. On retrouvera par exemple, du côté des mouvements antispécistes, les mouvements qui contestent le privilège accordé à l’humain, des héritiers tout-à-fait étonnants du projet de Thompson » (p 89).

Cependant, aujourd’hui, la démarche de certains chercheurs rejoint particulièrement l’inspiration de Thompson. « Pour construire la paix, et pour préserver leurs animaux, les éthologistes ont modifié certaines de leurs habitudes. Shirley Strum raconte ainsi que lorsque des bergers se sont trouvé confrontés au problème d’une trop grand prédation de leurs moutons, par les coyotes, des écologistes tentèrent l’expérience de dégouter les prédateurs en leur faisant ingérer une viande de mouton à laquelle avait été ajouté un vomitif puissant… Il s’agit bien de modifier les habitudes pour rendre la paix possible.

Ce qui a changé aussi et qui constituait un des ressorts du projet de Thompson n’a échappé à personne : certains animaux ont réussi à nous mobiliser dans de nouvelles histoires. Ils ont ainsi réussi, avec leur porte-parole humains, non seulement à nous intéresser, à nous donner envie de les connaître, mais aussi à actualiser des compétences inattendues, à être transformés, et à revenir en force depuis le temps où Thomson les convoquait dans ses histoires pour leur demander de nous surprendre… Le corbeau qui s’est lié avec le chien nous reviendra ces dernières années, dans les recherches de Bernd Heinrich… Les babouins qui s’organisent pour piller les jardins obligeront Shirley Strum à modifier ses pratiques… Elle les a « arraché à ce qui les contraignait à être ce qu’ils étaient », c’est-à-dire un problème pour les cultivateurs… Ceux qui ont été observés par Hans Kummer arriveront à convaincre ce dernier qu’il est leur berger » (p 91).

Longtemps, la culture dominante a fait opposition au projet de Thompson. « Tous ces animaux, corbeau amical, orang-outan organisé, singe menteur, babouin coopératif ont du attendre longtemps avant de revenir sur le devant de la scène, avant de réussir à mobiliser notre intérêt, avant que leurs compétences nous mènent à nous adresser à eux » (p 92). Une certaine conception de la science faisait obstacle. Marqués par « des ambitions de « faire science », les scientifiques s’obligeaient à renoncer à la tentation de chercher chez les animaux des traits qui les donnent comme semblables à nous » (p 94). Le « péché d’anthropomorphisme » était inacceptable pour la primatologie et la psychologie animale à cette époque (p 93). Et, d’autre part, l’extraordinaire ne pouvait être pris en compte dans des dispositifs adonnés à la répétition en vue de l’obtention d’une preuve (p 95). L’auteure nous relate ensuite la maltraitance à laquelle les animaux ont été soumis dans les laboratoires. Cependant, une nouvelle pratique scientifique a réussi à dépasser ces égarements. L’auteure nous ouvre la perspective d’une « éthologie » en devenir.

 

Une recherche respectueuse et ouverte à la nouveauté

 Vinciane Despret nous fait part d’un renouvellement de la conception de l’éthologie. « L’éthologie, généralement science des comportements, y renoue avec son étymologie : « ethos », les mœurs, les habitudes ». L’auteure envisage donc l’éthologie comme « pratique des habitudes » (p 126). « En traduisant l’éthologie comme une pratique des habitudes, je peux définir ma recherche comme l’exploration de l’agencement de ces habitudes. Comment les habitudes des chercheurs et celles de leurs animaux ont-elles constitué, les uns pour les autres, des occasions de transformation ? » (p 126). En examinant les habitudes des chercheurs, l’auteur en vient à célébrer « les réussites, lisibles dans les transformations les plus intéressantes dont leurs recherches témoignent : « la politesse de faire connaissance ». Je peux, à la suite de Shirley Strum, définir cette politesse comme l’exigence de ne pas construire un savoir « dans le dos » de ceux à qui elle adresse ses questions. Ainsi Vinciane Despret envisage « l’éthologie qui l’intéresse comme « une pratique polie des habitudes ». « Pour rendre compte du travail des éthologues les plus polis, je peux, comme ils le font pour leurs animaux, chercher « ce qui compte pour eux » (p 126).

Ainsi, dit-elle s’intéresser aux histoires très diverses des éthologistes dans la relation avec leurs animaux. Elle nous rapporte différentes histoires. Par exemple, elle revient sur la recherche concernant les primates. Elle y constate « un regain de politesse de la part des chercheurs ». Les primatologues ont décidé « de s’intéresser à ce qui intéresse ceux qu’ils interrogent ». « Ils ont été enrôlés par les problèmes de ceux à qui ils adressaient leurs questions» (p 136). Une histoire exemplaire fut celle de Jane Goodhal auprès des chimpanzés de Gombé et trouvant chez l’un d’entre eux, David Greybeard, non seulement une personnalité créative, mais aussi « un allié médiateur lui enseignant les règles de politesse et d’hospitalité » (p 142-143) (2).

Vinciane Despret a trouvé chez le philosophe américain William James un accompagnateur dans son approche de recherche. « Cette vertu de l’action pratique que je propose de cultiver sous la forme de « juste milieu », et qui désigne dans ce que j’essaie de faire, une des manières de répondre à l’exigence de politesse du « faire connaissance », me fait en fait rejoindre un des philosophes les plus « polis » de notre tradition : le philosophe William James » (p 137). L’auteure nous dit en quoi elle se trouve confortée par cette philosophie. « Nous ne devons pas nous contenter de chercher chez le seul sujet connaissant les conditions qui rendent possible cet événement : « connaître ». Nous devons interroger aussi et surtout, les possibilités d’être connu dans ce qui se donne à connaître… Nous saisirons que « ce qui réellement existe, ce ne sont pas les choses faites, mais les choses en train de se faire ». (p 138). « Pour bien connaître, « Placez-vous au point de vue du faire à l’intérieur des choses » (p 140). Et, « connaître, ce n’est pas traduire comment nos idées sont pensées, mais comment elles nous font penser ». « Connaître, c’est explorer un régime d’autorisation et de « rendre capable » (p 148). Au total, Vinciane Despret nous invite à explorer « la manière dont les animaux se présentent comme participants actifs dans la constitution de ce qui peut compter comme savoir scientifique : la manière dont ils font faire des choses à leurs chercheurs ». Comme l’écrit si justement, Donna Haraway, « du point de vue des projets des biologistes, les animaux résistent, rendent capables, perturbent, engagent, contraignent et exhibent. Ils agissent et signifient ».

Vinciane Despret nous apprend dans ce livre à envisager de multiples points de vue, de multiples propositions qui se côtoient pour trouver un chemin, un dépassement à travers les oppositions. C’est une école de pensée. Et elle aborde ici la grande question des origines de l’humanité et des rapports entre l’humanité et le monde animal. Les idées à ce sujet ont beaucoup évolué au cours de ces deux derniers siècles. Au cours des toutes dernières décennies, un tournant est apparu : dans des formes diverses, la découverte d’une conscience animale et une reconnaissance progressive de la personnalité des animaux. Il y a là un mouvement culturel de grande ampleur (4). Les éthologues et les primatologues, échappent peu à peu aux préjugés contraignants auxquels ils voulaient soumettre les animaux. L’humanité perçoit de plus en plus aujourd’hui qu’elle s’inscrit dans un continuum avec le monde animal. Elle n’échappe pas à la nature, mais en fait partie. Cependant, nous ressentons aujourd’hui les tourments qui affectent le monde. Nous nous rappelons ici un texte de Paul selon lequel « la création gémit dans les douleurs de l’enfantement » (Épitre aux Romains). Cependant, dans une perspective chrétienne, en Christ, il y a bien un mouvement en cours vers une terre nouvelle dans la perspective des prophéties bibliques dont fait partie le texte d’Esaïe : « Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du cabri, le veau et le jeune lion mangeront ensemble. Un petit garçon les conduira » (Esaïe 11.6-10). On peut envisager la montée de la conscience unifiante qui apparaît aujourd’hui, cette exigence de respect et de compréhension avancée par Vinciane Despret comme une étape. Et c’est le terme ‘préfiguration’ qui nous vient à l’esprit.

 

J H

 

  1. Vinciane Despret. Le loup habitera avec l’agneau. Nouvelle édition augmentée. Les empêcheurs de tourner en rond, 2020
  2. Jane Lindall : une recherche pionnière sur les chimpanzés, une ouverture spirituelle, un engagement écologique : https://vivreetesperer.com/jane-goodall-une-recherche-pionniere-sur-les-chimpanzes-une-ouverture-spirituelle-un-engagement-ecologique/
  3. Vers une civilisation de l’empathie. A propos du livre de Jérémie Rifkin : https://www.temoins.com/vers-une-civilisation-de-lempathie-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkinapports-questionnements-et-enjeux/
  4. Nicole Laurin. Les animaux dans la conscience humaine. Questions d’aujourd’hui et de toujours. Théologiques, 2002 : https://www.erudit.org/fr/revues/theologi/2002-v10-n1-theologi714/008154ar/

Médecine d’avenir, médecine d’espoir

« La médecine personnalisée » d’après Jean-Claude Lapraz

 

Il était venu, à bout de souffle en état de fatigue chronique, une vie au minimum, sans vitalité. Jean-Claude Lapraz lui demanda : qu’est-ce vous attendez de moi ? Que je puisse me déplacer davantage … vivre. Ce fut le début d’un parcours au cours duquel il gagna progressivement en santé.  Elle vint le voir, très affectée par l’apparition d’un cancer du sein. Il l’aida à garder un horizon de vie dans la traversée des aléas successifs. Elle trouva en Jean-Claude Lapraz un accompagnement thérapeutique et une présence amie qui lui permit de résister pendant des années à cette maladie et aux traitements lourds auxquels elle fut soumise. Marie-Laure de Clermont –Tonnerre, journaliste, coauteur avec le docteur Jean-Claude Lapraz, du livre sur « la médecine personnalisée » (1) , raconte comment elle aussi découvrit dans la rencontre avec ce médecin, une réponse aux maux qui l’assaillaient et qui l’empêchaient de vivre normalement. Et, derrière les nombreux cas présentés dans ce livre, du relativement banal au tragique, de l’otite à répétition au cancer du foie, à chaque fois, on voit à l’œuvre une approche médicale qui, en dialogue avec le patient, va en profondeur dans la connaissance du fonctionnement du corps dans toutes ses interactions et qui ouvre en conséquence un chemin de libération . Cette approche médicale suscite la confiance et l’espoir là où souvent il n’y avait plus que l’angoisse et la résignation. L’efficacité de cette médecine tient à son adaptation au terrain de chacun.  C’est « une médecine personnalisée », mais cette approche requiert en conséquence une attention personnelle pour chaque patient. Et ainsi pourrait-on reprendre parallèlement le vocable : « médecine de la personne » (2), déjà utilisé, il y a des années, par le Docteur Paul Tournier, dans la désignation d’un livre qui plaidait pour une relation de confiance entre le médecin et celui qui s’adresse à lui.

 

Une vision nouvelle de la médecine : la médecine de terrain.

 

Selon notre constitution, nous réagissons chacun différemment à telle ou telle agression. « Une seule explication possible : l’état de notre terrain : « L’ensemble des facteurs génétiques, physiologiques, tissulaires ou humoraux qui, chez un individu, favorisent la survenue d’une maladie ou en conditionne le pronostic » (Larousse). C’est dans cette perspective que cette nouvelle approche médicale est mise en œuvre : « L’être humain ne se limite pas à un simple assemblage de fonctions ou d’organes sans lien entre eux. Il est un être vivant autonome et complet qui réagit à chaque instant comme un tout cohérent et doit sans cesse s’adapter… La médecine actuelle a fait éclater le corps en ses multiples composants. En négligeant de replacer chacun d’eux dans ses relations complexes avec les autres, elle a perdu la capacité d’établir un diagnostic global de l’état du patient. Il est donc temps aujourd’hui de proposer une approche médicale qui mette en évidence les liens qui unissent le local au global et qui donnent une véritable vision scientifique intégrale du patient. C’est ce que nous désignons comme la conception endobiogénique du terrain » (p68).

« Le tout est plus que la somme des parties ». Le corps est perçu comme un ensemble de niveaux : « Chaque niveau, du gêne au chromosome, du chromosome au noyau, du noyau à la cellule, de la cellule à l’organe, de l’organe à l’organisme, possède ses propres mécanismes de fonctionnement, mais ils sont intégrés et sous contrôle du niveau supérieur, et, en fin de compte sous celui de l’ensemble de l’organisme. Si un niveau se dérègle, il est important d’identifier ce qui, en amont, a généré le dérèglement et de comprendre comment celui-ci agira à son tour sur l’aval » (p 68-69).

Tout se tient. « Pour maintenir l’harmonie, il existe nécessairement une communication permanente entre chacun des éléments, chacune des parties qui nous constitue. Il faut donc qu’en notre corps, ensemble vivant infiniment complexe, existe un coordonnateur qui gère en permanence les liens qui unissent la cellule à l’organe, l’organe aux autres organes et les fonctions entre elles (p 70-71)… La vie ne peut se maintenir s’il n’existe pas une cohérence et une finalité qui permette de faire fonctionner de façon harmonieuse les cellules et les organes de notre corps pour qu’ils se maintiennent en équilibre » (p70-71).

De fait, il existe bien une forme de « chef d’orchestre ». « Si l’organisme est une maison , il a pour architecte, pour coordonnateur, pour régulateur, le système hormonal ». Selon l’endobiogénie, « l’approche endocrinienne du terrain est fondée sur la reconnaissance du role primordial et incontournable du système hormonal à tous les niveaux du corps humain. C’est lui qui gère le métabolisme, c’est à dire la succession permanente et dynamique des phénomènes de destruction (catabolisme), de reconstruction et de synthèse (anabolisme) qui se déroulent à chaque seconde en nous… » (p 71).

 

L’approche endobiogénique s’appuie sur une interprétation nouvelle du fonctionnement du corps humain. Elle propose également de nouveaux outils pour en comprendre concrètement le fonctionnement et pour pouvoir en conséquence intervenir pour corriger et réguler.

« En partant d’une simple prise de sang comportant douze données biologiques (comme la numération formule sanguine, le nombre des plaquettes sanguines, le dosage de deux enzymes…), on peut construire un système établi sur des algorithmes, tous basés sur des données incontestées de la physiologie qui font apparaître de nouveaux chiffres conduisant à une compréhension beaucoup plus large des phénomènes à l’œuvre dans le corps que ne le permet l’approche purement analytique actuellement en vigueur. C’est la « biologie des fonctions »… Ce système complexe, conçu par le Docteur Christian Duraffourd, a permis d’établir quelques 172 index d’activité endocrine, métabolique, tissulaire, etc (par exemple : nécrose cellulaire, résistance à l’insuline, remodelage osseux, immunité, stress oxydatif, développement anormal cellulaire) (p 81-83). « Dans une goutte de sang, on peut voir l’individu et son terrain ». La production de cet ensemble est un bond en avant impressionnant pour la compréhension de l’état du patient.

Mais, dans la consultation, telle qu’elle est pratiquée par les médecins qui se réclament de cette approche, d’autres données recueillies à travers l’écoute et l’examen clinique, viennent encore s’y ajouter. Ces données viennent s’inscrire en regard de l’interprétation endobiogénique. A partir de là, le médecin peut prescrire un traitement approprié en faisant appel principalement aux plantes médicinales. L’usage de celles-ci permet d’éviter la nocivité des effets secondaires que peuvent entraîner certains médicaments de synthèse. Par ailleurs, la combinaison d’un certain nombre de plantes à activité synergique ou complémentaire induit un effet global important : « La sommation des petits effets que chacun va générer dans l’organisme permet d’apporter une amélioration, puis une vraie guérison ».

 

Une pratique nouvelle de la médecine.

 

Dans un chapitre entièrement consacré à la     description du déroulement d’une consultation (p 101-134), Marie-Laure de Clermont-Tonnerre nous permet d’entrer dans la pratique de cette médecine et de la comprendre de l’intérieur. Elle nous décrit ce qu’elle a vécu. A partir de sa propre perception des symptômes qu’elle ressentait, quels ont été ses questionnements et ses besoins ? Comment a-t-elle pu s’exprimer et être entendue ? Comment a-t-elle reçu un début d’explication lui permettant de découvrir une cohérence cachée derrière l’ensemble de ses symptômes ? En quoi, l’analyse des index de la biologie des fonctions permet « de mettre en évidence de façon chiffrée les liens subtils qui existent entre les différents organes et fonctions du corps humain, amenant le médecin à une vision plus fine de l’état réel du patient, l’aidant ainsi à diriger son traitement préventif et curatif »? En quoi, très concrètement, l’examen clinique, c’est-à-dire l’auscultation détaillée selon une méthode précise, apporte des renseignements précieux sur la façon particulière dont le corps s’organise et réagit ? Et enfin, comment le traitement est prescrit et commenté en fonction de toutes les données ainsi recueillies ?

 

Ce chapitre est particulièrement éclairant, car nous pouvons beaucoup apprendre de cette étude de cas tant sur la manière dont les données sont recueillies que sur leur signification, tant sur l’interprétation des dysfonctionnements que sur la stratégie adoptée pour y porter remède. Cette consultation n’est pas seulement une situation d’ordre technique, c’est aussi le lieu d’une relation dans laquelle il y a un dialogue permettant une compréhension accrue de part et d’autre et ainsi une participation du patient. Comme en témoigne Marie-Laure, la qualité humaine du médecin est essentielle. La psychologie confirmant la sagesse, on sait aujourd’hui combien compréhension , empathie et encouragement ont un effet majeur sur l’évolution ultérieure.

Tous ceux qui ont eu la grande chance de bénéficier de cette médecine apprécieront cette description et pourront y glaner des informations passées jusque là inaperçues. Mais ce livre s’adresse à tous. Cette description riche et fine d’une consultation en médecine endobiogénique fait apparaître un univers de sens qui nous permet d’accéder à un niveau supérieur d’information et de conscience. C’est là une source d’espoir et de confiance pour beaucoup. Nous avons dit combien, dans certains cas, elle est une ouverture qui libère, et osons le mot, une médecine qui sauve.  Mais, en mettant en lumière les dysfonctionnements en formation, c’est aussi une approche qui  permet d’y remédier à temps et donc d’exercer un  rôle de prévention .

Ainsi cette médecine a une double fonction : elle prévient et elle guérit. Comment ne pas militer en faveur de son développement !

 

Origine et devenir de la médecine endobiogénique.

 

L’apparition de la médecine endobiogénique nous apparaît comme une transformation majeure dans la conception et la pratique de la médecine, ce qu’en terme de sciences sociales, on peut appeler un nouveau « paradigme ». Mais si cette approche est actuellement mise en œuvre par un groupe de médecins encore très limité en nombre, comment est-elle apparue ? Le récit de Jean-Claude Lapraz nous montre la genèse d’une prise de conscience : une insatisfaction de médecins généralistes vis à vis d’une pratique médicale qui répond ponctuellement, mais qui souvent ne parvient pas à soigner en profondeur ; en contact avec Jean Valnet, un chirurgien ayant découvert en Indochine l’efficacité des plantes médicinales, la reconnaissance de cet apport à travers une expérimentation concrète ; au début des années 70, la conjonction de deux jeunes médecins, Christian Duraffourd et Jean-Claude Lapraz pour s’engager dans la voie nouvelle de la « phytothérapie clinique », c’est à dire le recours à la plante médicinale dans le cadre d’une approche globale et complète de l’homme et de sa physiologie.

 

Et puis ces idées ont essaimées, mais en France, en fonction des conservatismes ambiants, elles sont encore largement ignorées par les institutions officielles. Dans d’autres pays, par contre, l’approche endobiogénique gagne en audience. Aujourd’hui, dans notre pays, si l’approche endobiogénique  est pratiquée par un nombre bien trop limitée de médecins, elle est  soutenue par une association d’usagers : Phyto 2000 (3) et elle commence à se répandre à travers des formations.  Voici une médecine nouvelle dont on a vu l’efficacité et combien elle répond aux attentes. Qu’on ne laisse pas arrêter par les frustrations que certains peuvent ressentir, en termes négatifs, vis- à vis d’un potentiel qui leur paraîtrait actuellement hors de portée. Les auteurs situent également cette médecine dans le contexte plus général de la société en prenant position par rapport à toutes les menaces pour la santé, depuis les dangers présentés par certains produits de l’industrie pharmaceutique jusqu’à la pollution . A l’heure où se pose également le problème du coût de la médecine, on peut également mettre en avant les avantages d’une approche qui non seulement révèle son efficacité, mais peut jouer un rôle majeur en terme de prévention. Il y a donc un immense travail de promotion à réaliser . A cet égard, le livre publié par Jean-Claude Lapraz et Marie-Laure de Clermont-Tonnerre est un outil particulièrement efficace, car dans un langage dynamique et efficace, il ouvre à tous un accès à la compréhension de l’approche endobiogénique.

 

Perspectives d’avenir.

Comment promouvoir l’endobiogénie ?

 

Dans la conclusion, les auteurs mettent en évidence un paradoxe : « Jamais le financement consacré à la recherche n’a été aussi gigantesque et jamais la technologie médicale n’a fait autant de progrès que pendant les deux dernières décennies… Pour autant, jamais la médecine n’a été confrontée à une crise d’une telle ampleur et jamais le système de santé n’a été si proche de l’éclatement..

Devant des recherches qui peinent à obtenir les résultats espérés malgré les sommes considérables englouties, une réflexion s’impose : il faut reconsidérer les concepts de l’approche du vivant qui fondent la médecine moderne. Si la voie pastorienne a donné des fruits incontestés, elle bute maintenant sur ses limites. En éclatant l’homme en ses multiples composantes, en dissociant la partie du tout et en ne la replaçant pas dans la globalité, elle n’est pas à même de faire la synthèse, ni de remettre l’homme au centre du système. Il est donc temps d’introduire au cœur de la médecine actuelle de nouveaux outils conceptuels rendant possible une vraie synthèse à tous les niveaux : écoute du patient, examen du malade, approche des résultats biologiques, conception du traitement, orientation de la recherche, mise au point de nouveaux médicaments et mise en place d’une vraie prévention. Une des solutions pour la médecine de demain passe par la voie intégrative sans rien renier des avancées apportées par la science analytique. Basée sur les données de la science et avec le recul de plus de quarante année d’une pratique clinique confirmée par de nombreux médecins français et étrangers, la voie intégrative qu’est l’endobiologie, apporte des moyens simples à mettre en œuvre rapidement.. » (p 312)

 

Nous vivons aujourd’hui dans le mouvement d’une mutation culturelle qui se déploie à l’échelle du monde. Le champ de la conscience s’élargit. Des barrières tombent. On assiste aujourd’hui au recul d’une pensée cartésienne qui séparait l’esprit et le corps de l’homme, l’homme et la nature. On perçoit de plus en plus les limites d’une pensée analytique qui induit une pratique « en miettes ». Certes la volonté de puissance de l’homme est toujours là et elle peut se manifester dans la fascination de la technologie (4). Mais on prend de plus en plus conscience des méfaits d’une telle attitude dans laquelle l’homme se pose en « maître et seigneur de la nature ». Au contraire la pensée écologique recherche une harmonisation entre l’homme et la nature. Comme l’écrit le théologien Jürgen Moltmann (5), « Nous ne voulons plus connaître pour dominer, nous voulons connaître pour participer ». Et il ajoute : « L’ « essence » de la création dans l’Esprit est la « collaboration » et les structures manifestent la présence de l’Esprit dans la mesure où elles font connaître l’ « accord général ». « Au commencement était la relation » (M.Buber) ». De plus en plus, les approches systémiques, holistiques, intégratives s’imposent. De nouvelles synthèses s’élaborent . A cet égard, le livre de Thierry Janssen : « La solution intérieure » (6) nous paraît particulièrement significatif. Thierry Janssen a quitté sa profession de chirurgien pour entreprendre une grande enquête à travers le monde ayant pour objet d’étude : « la personne humaine comme agent de guérison » : Une médecine de l’esprit pour soigner le corps ; une médecine du corps pour soigner l’esprit où il présente l’apport de la médecine des énergies en provenance des pays d’Asie : Chine et Inde.

Le livre sur la médecine personnalisée devrait bénéficier de l’ouverture des esprits aux perspectives nouvelles  qui apparaissent aujourd’hui..   En même temps, son ancrage dans les acquis de la science médicale favorise sa réception par  les milieux professionnels. « Basée sur les données de la science et plus de quarante années d’une pratique clinique confirmée par de nombreux médecins français et étrangers, la voie intégrative qu’est l’endobiogénie apporte des moyens simples à mettre en oeuvre rapidement… » .

 

Dans un système de santé qui comporte de nombreuses rigidités, comment promouvoir cette conception et cette pratique nouvelle ? A cet égard, un article récemment paru dans Le Monde (14 mars 2012) vient nous encourager. Sous la signature de Luc Montagnier, prix Nobel de médecine en 2008 (7) et Frédéric Bizard, consultant et maître de conférences à Sciences Po, cet article ouvre la voie : « Anticipons le passage d’une médecine curative à une médecine préventive ». On peut y lire : « D’une approche verticale et segmentée nous devons passer à une vision transversale de la santé. D’une médecine à dominante curative au siècle dernier, nous passons à la médecine 4p : préventive, prédictive, personnalisée, participative, ce qui modifie fondamentalement le « logiciel » du système…. L’approche transversale de la santé et de la médecine 4p doit s’accompagner d’une rénovation de notre système de santé avec une approche holistique des soins fondée sur la personne et les relations interpersonnelles. D’un système centré sur la maladie, il faut évoluer vers un système centré sur la personne, sur la santé ».

 

Tout ce que nous avons appris de l’endobiogénie la situe potentiellement au cœur de ce front pionnier. Mobilisons-nous en faveur de cette médecine d’espoir !

 

JH

 

(1)            Lapraz (Dr Jean-Claude), Clermont-Tonnerre (Marie-Laure de). La médecine personnalisée. Retrouver et garder la santé. Odile Jacob, 2012.

(2)            Tournier (Paul). La médecine de la personne. Delachaux Niestlé, 1940  http://www.paultournier.org/mdlp.html

(3)            Pour en savoir davantage sur la situation de la phytothérapie clinique et de l’endobiogénie en France, les conditions d’accès à cette médecine, une association active des usagers : Phyto 2000. Site : www.phyto2000.org

(4)            Sicard (Didier). La médecine sans le corps. Une nouvelle réflexion éthique. Plon, 2002. Personnalité reconnue dans le domaine de la médecine et de l’éthique, Didier Sicard dénonce les usages abusifs et tentaculaires de la technologie au détriment d’une reconnaissance et d’une prise en compte globale du patient.

(5)            Moltmann (Jürgen). Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1988.  Citations : p 51 et p 25. Un blog consacré à la pensée de Jürgen Moltmann : http://www.lespritquidonnelavie.com

(6)            Janssen (Thierry). La solution intérieure. Vers une nouvelle médecine du corps et de l’esprit. Fayard, 2006.  Mise en perspective sur le site de Témoins : http://www.temoins.com/developpement-personnel/vers-une-nouvelle-medecine-du-corps-et-de-l-esprit.guerir-autrement.html

(7)            Luc Montagnier est l’auteur d’un livre : Montagnier (Luc). Les combats de la vie. Mieux que guérir : prévenir. Lattes, 2008.  Mise en perspective sur le site de Témoins : http://www.temoins.com/developpement-personnel/aujourd-hui-prix-nobel-luc-montagnier-preconise-une-nouvelle-approche-de-la-medecine.html

Une boite à soleil : reconnaître les petits bonheurs comme un flux de vie

 

 

De l’archéologie de la souffrance à une psychologie des ressources

Par Jeanne Siaud Facchin

 

Dans notre existence quotidienne, savons-nous reconnaître les petits bonheurs qui se présentent à nous comme des épisodes qui nous réjouissent le cœur, nous fortifient et peuvent nous construire dans une vision positive ? Dans un talk à la conférence TEDx Vaugirard Road, Jeanne Siaud Facchin nous invite à reconnaître les « petits bonheurs » et à les mémoriser dans tout notre être en développant ainsi un comportement positif au lieu de vouloir arracher à tout prix les mauvaises herbes de notre passé. Et c’est pourquoi comme psychologue, elle intitule la vidéo correspondante : « En finir avec l’archéologie de la souffrance » (1). Jeanne Siaud Facchin nous entraine ainsi avec délicatesse de cœur et enthousiasme dans un parcours où nous découvrons le potentiel des petits bonheurs.

 

Jeanne Siaud Facchin commence par nous raconter une belle histoire, celle d’une petite fille qui voulait offrir un cadeau d’anniversaire à son grand frère. C’est l’histoire particulièrement symbolique de la « boîte à soleil ». Elle a trouvé une boîte et toute la journée, elle a cherché à y capturer du soleil. Et le soir, la boîte est éclairée, car il se trouve, nous rapporte la conteuse à la fin de l’histoire, qu’un vers luisant est venu s’y loger ! « Quelquefois dans la vie, c’est comme ça. On croit que ce n’est pas possible. Et pourtant ! ».

 

La vision  que nous apporte Jeanne Siaud Facchin n’est pas un rêve. Elle est bien  connectée avec la réalité. Et c’est ainsi qu’elle introduit son exhortation par un récit émouvant. Comme psychologue, elle reçoit un  jour un petit garçon qui vient de perdre son papa. Elle nous rapporte son désarroi face à cette situation tragique. Les savoirs théoriques ne sont d’aucun secours. Alors, elle se fie à son intuition : « Je prend une grande respiration : je me relie à ce que je ressens au plus profond de moi. Je m’entends lui dire : « Tu sais, au fond de toi, il y a un trésor. C’est tout l’amour que tu as partagé avec ton papa, les moments de bonheur que tu as passés avec lui. Et ce trésor, la mort ne l’a pas emporté. Tu l’auras toujours au fond de toi. Et tu pourras y puiser tout au long de la vie. C’est ta boîte à soleil ». Elle a rencontré, par la suite, ce petit garçon devenu grand qui se souvenait du réconfort qu’elle lui avait ainsi apporté : « Il avait ressenti quelque chose de chaud. Ça l’avait beaucoup aidé ».

 

A partir de cet exemple émouvant, Jeanne Siaud Facchin peut nous interpeller : « C’est pourquoi c’est si important d’avoir une boite à soleil, d’avoir cette attention de la remplir à chaque instant de sa vie. Tout le monde peut capturer du soleil, capturer ces micromoments de vie qui sont doux, agréables, qui nous font chaud au cœur, mais auxquels il faut être attentifs, car ils sont éphémères. Souvent on passe à côté. Et pour graver ces petits bonheurs, il faut faire très attention… On passe beaucoup de temps de notre vie à attendre le Bonheur ou à courir après lui. Comme si un jour le Bonheur arrivait : « Bonjour, je suis le Bonheur »… Ce sont les petits bonheurs, les bonheurs ordinaires qui fabriquent le bonheur extraordinaire ».

Mais comment y prêter attention ? Comment nous en imprégner ? Comment le mémoriser pour nous en inspirer ? « Pour graver en soi les petits bonheurs, la seule chose dont nous ayons besoin, c’est notre corps. Le bonheur, ça s’attrape en ressentant, en ressentant vraiment. Le bonheur, ça se sent. Je m’arrête un instant, je me relie à moi, aux émotions qui sont là et je les ancre aux plus profond de moi ».

 

Trop souvent, nous vivons en marge de notre être profond. Alors Jeanne Siaud Facchin nous propose un exercice : « Et si on ramenait tous notre attention sur nos sensations… Et puis tranquillement, je puis fermer les yeux, puis focaliser mon attention sur certains points de mon corps, tout ce que je peux sentir. Et juste là, juste maintenant, est-ce que je me relie avec mes sensations ? Je dirige mon attention pour être mieux relié à moi-même et aux autres. Est-ce que je peux sentir que je suis là, vraiment là ? Souvent, on le sait, mais dans notre tête, on est ailleurs ».

 

Cette attention positive reliée à la sensation nous permet d’être vraiment présent avec tout notre corps. Nous pouvons graver nos petits bonheurs dans une boîte à soleil. « Et qu’est ce qui se passe dans notre cerveau quand on est totalement relié à ce qu’on vient de vivre. Ce sont les neurosciences qui nous le disent. Notre cerveau déclanche la sécrétion d’un cocktail d’hormones qui nous font du bien, qui nous apaisent. Bien sûr, la boîte à soleil n’empêche pas les malheurs de l’existence. Elle ne peut pas empêcher les souffrances. Mais elle permet de les amortir. Elle permet d’avoir des ressources pour aller y puiser, pour ne pas être « vidé » au sens propre, pour ne pas se laisser engloutir ».

 

« Et si c’était ça le chemin pour vivre mieux ! Si c’était cela la psychologie d’aujourd’hui ! C’est comme une bascule. On passe de l’archéologie de la souffrance à la psychologie des ressources qu’on pourrait appeler une psychologie préventive qui nous donne des clés pour notre vie, une psychologie qui nous apprend à nourrir et cultiver des champs fertiles plutôt que de s’épuiser à tenter d’arracher de mauvaises herbes ».

 

« Parce que ce qui  est hallucinant, c’est qu’on continue à fonctionner comme à la préhistoire. Notre cerveau est génétiquement programmé comme celui des hommes des cavernes. Notre amygdale, cette petite zone au fin fond de notre cerveau archaïque et dont la fonction est de décoder les émotions, se déclanche tout le temps face à ce qui est perçu comme une menace, comme un danger, comme si notre vie en dépendait. Et alors, des milliers d’années après, on continue à vivre dans un état d’alerte permanent. On est polarisé sur ce qui ne va pas. C’est ce qu’on voit en premier, en grand, c’est ce qui attire immédiatement notre attention. C’est pour cela qu’il est tellement important, urgent de modifier le câblage, la programmation. Il faut s’entraîner. Et la bonne nouvelle, c’est que notre cerveau est plastique, malléable ; ça s’appelle la neuro plasticité. Et grâce à la capture des petits bonheurs, on va restructurer notre cerveau, on va créer de nouvelles connexions, on va tracer de nouveaux chemins et c’est ça qui change tout. Entraîner notre cerveau à se focaliser automatiquement sur ce qui va bien et comme cela, on remplit notre boîte à soleil sans y penser ».

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Ce discours nous touche parce qu’on le sent bienfaisant et parce qu’il ouvre une voie. Il y a dans ce parler une force de conviction parce qu’il fait écho à des expériences et des aspirations en nous, même lorsque nous ne pouvons pas encore les exprimer comme cela.

Pour nous, nous sentons bien combien nous sommes fortifiés par les épisodes où nous vivons un moment de bonheur et d’harmonie si nous savons l’inscrire dans notre parcours de vie. Et nous savons aussi combien il peut être réconfortant de revisiter des souvenirs heureux. Tout cela se développe d’autant mieux si nous sommes imprégnés de bienveillance et si notre attention est tournée vers le bon et le beau.

Ici, sur ce blog, nous évoquons souvent la vie et la pensée d’Odile Hassenforder telle qu’elle nous en fait part dans son livre : « Sa présence dans ma vie » (2). Dans son chemin spirituel, elle a reçu une inspiration qui l’a portée à valoriser toutes les expériences positives. Certes, cette inspiration va au delà d’une attention aux moments heureux, mais elle l’inclut. Face à la maladie, elle nous parle de la joie d’exister. « Au fond de mon lit, en pleine aphasie due à une chimio trop forte, j’ai reçu la joie de l’existence, un cadeau gratuit donné à tout humain par Dieu. En réalisant cela, je découvre le jaillissement de l’être divin qui nous partage ce qu’il est puisque nous sommes créés à son image pour évoluer à sa ressemblance (p 172). C’est l’accueil de la vie : « Que c’est bon d’exister pour admirer, m’émerveiller, adorer. C’est gratuit. D’un sentiment de reconnaissance jaillit une louange joyeuse, une adoration du Créateur de l’univers dont je fais partie, un Dieu qui veut le bonheur de ses créatures. Alors, mon « ego » n’est plus au centre de ma vie. Il tient tout simplement sa place, relié à  un tout sans prétention (Psaume 131). Je respire le courant de la vie qui me traverse et poursuit mon chemin comme il est écrit dans un psaume : « Cette journée est pour moi un sujet de joie… une joie pleine en ta présence, un plaisir éternel auprès de toi. Louez l’Eternel, car il est bon. Son amour est infini » (psaume 16.115) (p 180).

Et tout au long de ce parcours, Odile nous dit combien elle apprécie les petits bonheurs et s’en  nourrit. De sa fenêtre, elle admire le paysage mouvant de la nature. « Mon fauteuil de méditation matinale est orienté à l’est. J’aime admirer le lever du soleil, ces nuages qui s’élèvent, se colorent, passent du gris au rose, avancent plus ou moins vite selon le vent… Pour ma part, de tels spectacles de la nature, de la simple pâquerette au coucher de soleil m’émeuvent. Je sens mon cœur se dilater. J’appartiens à cet univers visible, mais aussi invisible… » (p 213) Et un des chapitres du livre est consacré à l’importance des rencontres ordinaires : « Des petits riens d’une grande portée » (p 183-184).

 

Chacun de nous peut répondre à sa manière à l’évocation des petits bonheurs que nous décrit Jeanne Siaud Facchin. Mais qui n’apprendrait pas de son entretien un plus pour sa vie ? A partir d’une expérience toute simple : savoir apprécier et se nourrir de petits bonheurs, elle ouvre une approche nouvelle dans la démarche psychologique : « Passer de l’archéologie de la souffrance à la psychologie des ressources ». Et d’expérience, on comprend bien ce qu’elle nous rapporte des effets du fonctionnement du cerveau archaïque : la perception excessive de la menace et du danger. Alors,  comment ne pas l’écouter lorsqu’elle nous invite à la « capture des petits bonheurs pour créer de nouvelles connexions et tracer de nouveaux chemins, ce qui change tout ».

 

J H

 

(1)            Sur le site TEDx Vaugirard Road (Bouger les lignes 12 juin 2014), Talk en vidéo de Jeanne Siaud Facchin : « En finir avec l’archéologie de la souffrance » : http://www.tedxvaugirardroad.com/videos-2014/                  On pourra consulter aussi le site de Jeanne Siaud Facchin : http://www.jeannesiaudfacchin.com/index.php?lang=fr

(2)            Hassenforder (Odile). Sa Présence dans ma vie. Parcours spirituel. Empreinte Temps présent, 2011. Sur ce blog, articles en rapport avec ce livre : https://vivreetesperer.com/?tag=odile-hassenforder

 

 

Sur ce blog, voir aussi :

 

« Vivant dans un monde vivant… Aparté avec Thomas d’Ansembourg » : https://vivreetesperer.com/?p=1371

 

« Bienveillance humaine. Bienveillance divine. Une harmonie qui se répand : Lytta Basset. Oser la bienveillance » : https://vivreetesperer.com/?p=1842

 

« Développer la bonté en nous. Un habitus de bonté » : https://vivreetesperer.com/?p=1838

 

« Des petits riens d’une grande portée. La bienveillance au quotidien » : https://vivreetesperer.com/?p=1849

 

« Comme les petits enfants : Accueil, confiance et émerveillement » : https://vivreetesperer.com/?p=1640