par jean | Jan 1, 2023 | Société et culture en mouvement |
Et si nous envisagions les paroles qui nous sont confiées par le message biblique comme des semences en train de grandir…
Nous trouvons sur le site du « Center for action and contemplation » animé par Richard Rohr, une séquence hebdomadaire intitulée : « Movements of justice and the Spirit » (13-19 novembre 2022) (1).
Un mouvement à la rencontre des rejetés
Au départ, une première méditation rappelle que « Jésus a vécu parmi les rejetés. Il a exercé son ministère parmi les rejetés. Il est mort et a été crucifié comme rejeté, comme quelqu’un qui était en dehors de la structure du pouvoir politique. Mais, en sortant de la tombe à l’aube d’un dimanche, il entrepris un mouvement de résurrection – un réveil d’amour, un réveil de justice, un réveil de miséricorde, un réveil de grâce » (2).
Le mouvement de Jésus : Un mouvement et non une institution
Et Jésus a lancé un mouvement (3). « Je ne pense vraiment pas que nous puissions renouveler l’Église à moins que nous cessions de la penser comme une institution et commencions à la penser comme un mouvement » (Clarence Jordan ; lettre ; 1967).
Michael Curry, évêque président de l’Eglise épiscopale (américaine anglicane) s’exprime ensuite ainsi : « Jésus n’a pas établi une institution bien que les institutions puissent servir sa cause. Il n’a pas créé un parti politique, bien que ses enseignements aient un profond impact sur la politique. Jésus n’a même pas créé une religion. Non, Jésus a initié un mouvement inspiré par son Esprit, un mouvement dont le but était et est de changer la face de la terre hors du cauchemar dans lequel elle se trouve souvent, en un rêve dans l’intention de Dieu »…
« Si vous êtes attentif à la Bible, si vous l’écoutez et si vous observez comment l’Esprit de Dieu se dévoile dans une histoire sacrée, je crois que vous observerez un dessein. Vous ne pouvez manquer d’observer qu’il y a un mouvement de Dieu dans le monde ».
Et voici plusieurs caractéristiques du mouvement de Jésus :
° D’abord le mouvement est complètement centré sur Jésus et sa voie. Longtemps avant que le christianisme soit appelé l’Église, il était appelé la Voie (Actes 9.2).
° Une seconde caractéristique du mouvement : En suivant la voie de Jésus, ils abolissaient la pauvreté et la faim dans leurs communautés
° Troisièmement, ils ont appris à devenir plus qu’une collection d’individualités. Ils sont devenus une communauté contre culturelle où les juifs et les grecs, les circoncis et les incirconcis avaient un statut égal » (Actes 15.1-12).
Un mouvement spirituel inclusif tourné vers le futur
Dans une méditation : trouver le courant : « Find the flow » (4), Brian McLaren nous invite à participer à un mouvement spirituel tourné vers l’avenir au lieu d’essayer de retourner au passé. Cet article s’inscrit donc dans la perspective de son livre : « The great spiritual migration » (La grande migration spirituelle) (5).
« Depuis il y a trois ou quatre mille ans avant Jésus-Christ, quand les premières civilisations humaines sont nées, nous avons fait partie d’un « méta-mouvement, d’une manière commune de pensée que nous pourrions appeler l’ancienne humanité ou l’humanité impériale. Mais qu’est-ce qui arrive quand un méta-mouvement en vient à son terme ?
Qu’est-ce que cela signifie pour nous de vivre pendant le déclin de la vieille humanité alors que la nouvelle humanité est en train de naître dans un processus fragile et douloureux ? Et comment vivre lorsque la croissance du nouveau mouvement, de la nouvelle humanité, de la nouvelle création sociale dépend de la perte d’hégémonie de l’ancienne ?
Comme j’écris ces mots, je ne peux m’empêcher de ressentir un flot de résonances avec les Écritures hébraïques. J’entends des échos d’Esaïe qui parlent de Dieu faisant une chose nouvelle, un frais jaillissement, annonçant de bonnes nouvelles pour les pauvres, la récupération de la vue pour les aveugles, la liberté pour les emprisonnés et pour les opprimés (L’oppression des pauvres est une caractéristiques de la vieille humanité). J’entends le prophète imaginant une époque promise où les armes seraient recyclés en équipements agricoles parce qu’on n’envisagerait plus la guerre (La guerre est une des caractéristiques de la vieille humanité). J’entends la prophétie d’Ezéchiel au sujet d’un cœur nouveau, d’un cœur de chair qui remplacerait un cœur de pierre (L’endurcissement des cœurs en raison des intérêts est une caractéristique de la vieille humanité). J’entends Amos évoquant une époque où un fleuve de justice descendrait des hauteurs et remplirait les zones basses (Une concentration du pouvoir et de la richesse au sommet est une caractéristique de la vieille humanité). J’entend Michée relativisant tout ce qui est dans sa religion excepté la justice, l’amour bienveillant et marcher humblement devant Dieu (Accumuler la puissance, aimer l’argent, et marcher dans un orgueil racial, religieux ou national, sont des caractéristiques de la vieille humanité).
Ainsi, dans le méta-mouvement des empires, dans ce milieu de domination, d’extraction et d’exploitation, je m’imagine ce qui arriverait si nous recevions d’une longue succession de prophètes, comprenant Marie, Jean le Baptiste, Jésus, Paul et d’autres, une vision pour un nouveau mouvement en train de naître ».
Brian McLaren nous fait part de sa vision : « Quelque soit ce nouveau méta-mouvement émergent, il est plus grand qu’une quelconque religion. En fait, il est plus grand que la religion dans son ensemble. Il porte une invitation, peut être même un ultimatum à toutes les religions, tous les systèmes politiques et éducatifs, tous les arts et métiers, toutes les sciences et technologies, tout. C’est, pourrions-nous dire, un mouvement spirituel qui englobe tout ».
C’est dire à quoi nous sommes appelés. « Où que vous investissiez votre vie, j’espère que ce sera dans ce grand mouvement qui œuvre pour la naissance de quelque chose de nouveau. Embrassez une vue à long terme et entrez dans le profond courant, le flux infini ».
Rapporté par J H
- Movements of justice and the Spirit : https://cac.org/daily-meditations/find-the-flow-2022-11-18/
- A Movement with the Excluded : https://cac.org/daily-meditations/a-movement-with-the-excluded-2022-11-13/
- Jesus started a movement : https://cac.org/daily-meditations/jesus-started-a-movement-2022-11-14/
- Find the flow : https://cac.org/daily-meditations/find-the-flow-2022-11-18/
- La grande migration spirituelle : https://www.temoins.com/la-grande-migration-spirituelle/
par jean | Août 7, 2016 | ARTICLES, Beauté et émerveillement, Emergence écologique, Expérience de vie et relation, Hstoires et projets de vie, Vision et sens |
En mai 2016, Alain est parti avec un ami marcher en suivant le chemin de Compostelle associé au pèlerinage qui a fleuri au cours de l’histoire et se poursuit aujourd’hui sous d’autres formes. Il nous fait part de son vécu et de son ressenti en répondant à quelques questions.

Alain, qu’est ce qui t’a poussé à accomplir cette marche ?
« C’est un projet qui était depuis longtemps dans un coin de ma tête. C’est un horizon un peu mythique, n’est ce pas ? Un ami, arrivant à la retraite, voulait marquer par cette marche, son entrée dans un nouveau mode de vie. Sa proposition de l’accompagner a été pour moi l’élément déclencheur ; nous sommes partis ensemble sur le ‘Camino’ ».
Comment cette marche s’est-elle déroulée ?
« De Puy-en-Velay à Pampelune en quatre semaines… Nous sommes partis au printemps, avec le concours d’une très belle nature explosant de vie, de fleurs innombrables.
Par ailleurs, cette marche s’est déroulée en conformité avec mon attente ; aspirant avoir des moments de solitude et bien que partant à deux, j’ai parcouru en solitaire la plupart du chemin ».

Qu’est-ce que cette expérience t’a apporté ?
Cela a été pour moi une occasion unique, exceptionnelle de pouvoir vivre une longue période détaché des obligations la vie quotidienne. J’ai pu quitter un certain quotidien pour entrer dans un autre espace de réflexion, de prière, de disponibilité à l’Esprit. Cela a été un temps exceptionnel pour m’ouvrir à une nouvelle configuration propice à la prière et à la réflexion.
Ce qui m’a frappé, c’est qu’au bout d’une semaine, j’ai perçu, presque physiquement, une libération de la fatigue induite par la vie quotidienne ; s’échappait le poids déposé par les préoccupations passées.
Par ailleurs, en partant je m’étais promis de ne surtout pas « perdre » ce temps précieux. Je voulais l’utiliser pour monter comme à l’assaut du Ciel, pour prier, pour louer. Or, au bout de trois semaines, je me suis rendu compte que plutôt que d’aller à l’assaut du Ciel, j’étais appelé à accueillir la présence de Dieu, un Dieu déjà là. Je me suis rendu compte que je n’avais pas à être un virtuose spirituel, mais plutôt à ressentir que Dieu est déjà là et que déjà il m’aime. C’est alors que ma conscience s’est ouverte à des réalités jamais perçues auparavant. Une clairvoyance s’est faîte sur des aspects importants de ma vie. Ainsi, j’ai vécu la quatrième semaine en méditant ce reçu ».

Y a-t-il eu quelques moments marquants pour toi ?
« Se sentir invité dans la « maison nature », rencontrer la beauté et la diversité des fleurs ! J’en retiens une perception accrue de la beauté.
Par ailleurs je me souviens de quelques moments marquants : au matin, traversant un sous bois, j’assiste à un exceptionnel concert d’oiseaux, une véritable explosion de chants accompagnée de centaines d’instruments… J’ai le sentiment d’être invité à communier avec eux dans ce chant de louange.
A une autre moment, alors que je reçois un texto qui m’attriste beaucoup, instantanément un oiseau se met à chanter avec un éclat jusqu’alors jamais entendu, comme s’il me reprenait et me disait avec autorité : Alain, ne te laisse pas abattre, ne te laisse pas aller au découragement, regarde en haut, la Vie est là !
Autant de moments ressentis de façon très intimes et donc très difficiles à transmettre…
Sur le chemin en France, les rencontres de pèlerins étaient peu nombreuses, mais directes, très faciles, sans barrières ; si l’échange ne durait jamais longtemps, une même appartenance se partageait ».

Ce parcours a-t-il été à l’origine de découvertes spirituelles ?
« Dans une chambre d’hôte, j’avais acheté un petit livre rassemblant des textes spirituels ; parmi eux j’ai été très touché par une prière de Charles de Foucault. Elle exprimait un besoin d’absolu dans la relation, un désir d’abandon dans la confiance en Dieu, un appel à se donner, mais aussi à recevoir. Comme pour tellement de pèlerins avant moi, ce chemin offre un espace de rencontre avec soi-même, de révélation de soi et de Dieu.
Même l’ami avec qui j’ai fait ce chemin, bien que n’ayant pas d’attente spirituelle, s’interroge sur sa présence sur ce chemin : « J’aurais pu marcher sur des routes très diverses, mais si j’ai marché sur le chemin de Compostelle, cela doit avoir une signification… ».
Entretien avec Alain G

par jean | Nov 2, 2015 | ARTICLES, Vision et sens |
En ce début de novembre où le souvenir des morts est évoqué, et tout au long de l’année où le mot de « disparition » de tel ou tel résonne dans les médias, il est vital de trouver une réponse qui n’accepte pas un sort qui réduirait l’homme au néant, en annihilant ainsi toute espérance personnelle ou collective, ou se satisferait d’une échappée vers un au delà qui serait radicalement séparé.
En quelques mots, à partir de textes bibliques, Jürgen Moltmann nous apporte un éclairage dynamique (1).
« C’est pour être Seigneur des morts et des vivants que Christ est mort et qu’il a repris vie » (Romains 4.9). Le sens de la foi qui justifie « est la Seigneurie salvatrice du Christ sur les morts et les vivants. Dans la communauté avec lui, ceux qui sont séparés par la mort retrouvent la communauté qui existait entre eux. Le Christ passé par la mort est devenu le frère des morts. Le Christ ressuscité rassemble les vivants et les morts dans sa communauté d’amour, parce qu’il représente la communauté dans l’espérance commune. Il est la tête de l’humanité nouvelle et l’avenir de ce qui est présent et de ce qui est passé ».
« Mais il faut que le Christ règne jusqu’à ce qu’il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds ; le dernier ennemi qui sera détruit, c’est la mort… pour que Dieu soit tout en tous » (1 Cor 15. 25, 26, 28). La communauté du Christ avec les morts et les vivants n’est pas une fin en elle-même, mais c’est une communauté en chemin vers la résurrection de tous les morts pour la vie éternelle et vers la destruction de la mort dans la création nouvelle de toutes choses. C’est alors seulement que seront « essuyées toutes les larmes » et que la joie parfaite unira toutes les créatures avec Dieu et entre elles. C’est pourquoi, si le sens de la foi qui justifie est la communauté des morts et des vivants avec le Christ, le sens de cette communauté est la création nouvelle dans laquelle la mort ne sera plus » (2).
Ainsi, nous nous inscrivons dans un mouvement. « Ce n’est pas la mort qui a le dernier mot dans l’histoire, mais la justice de Dieu. « Voici, je fais toutes choses nouvelles » (Ap 21.5) . Si cela est vrai eschatologiquement, rien n’est perdu historiquement et tout est « rétabli ». Sous cet horizon d’attente, « l’histoire comme souvenir » conduit elle-même à une sorte de « ré-éveil des morts ». Tout le passé se tient dans la lumière de l’avenir qui réveille les morts … La rétrospective historique doit donner à reconnaître et à actualiser les perspectives passées. C’est alors seulement qu’il est possible d’articuler ensemble les espérances brisées, omises ou étouffées de ceux du passé et les espérances de ceux du présent et de les inclure dans le projet d’avenir présent ».
Cette vision des rapports entre histoire et résurrection est éclairante parce qu’elle nous permet, individuellement et collectivement, de nous situer dans un processus et de mieux reconnaître la présence de Dieu à l’œuvre dans le cours du temps. Ce discernement s’applique à nos vies personnelles en pensant à notre histoire familiale, et en nous percevant comme des êtres engagés dans des projets et portés par eux. Cet éclairage nous permet de regarder différemment notre environnement social et de percevoir l’œuvre de l’Esprit de génération en génération. En Christ ressuscité, dans l’Esprit, nous sommes en marche.
J H
(1) Le blog : « L’Esprit qui donne le vie » présente une introduction à la pensée théologique de Jürgen Moltmann : http://www.lespritquidonnelavie.com. La vision de Moltmann, notamment sur le thème de la vie après la mort, est présentée, en termes aisément accessibles dans le livre livre : « De commencements en recommencements » : sur ce blog : « Une dynamique de vie et d’espérance » : https://vivreetesperer.com/?p=572 Les textes cités dans cet article sont extraits du livre : Jürgen Moltmann. Jésus, le messie de Dieu, Cerf, 1993 : p 258 et p 332
(2) Sur ce thème, voir aussi sur ce blog : « Sur la terre comme au ciel » : https://vivreetesperer.com/?p=338 « Une vie qui ne disparaît pas » : https://vivreetesperer.com/?p=336 En Christ ressuscité, par delà la séparation, une communion demeure avec les êtres chers qui sont partis.
(3) « En marche » : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=848
par jean | Jan 8, 2025 | ARTICLES, Vision et sens |
L’inspiration de Bergson chez deux personnalités d’un nouveau monde : Léopold Sédar Senghor et Mohamed Iqbal selon le philosophe sénégalais, Souleymane Bachir Diagne.
Si, au travers de deux œuvres marquantes, ‘L’évolution créatrice’ et ‘Les deux sources de la morale et de la religion’, le philosophe Henri Bergson a ouvert une nouvelle vision dans la première moitié du XXe siècle, son influence revient aujourd’hui après une éclipse dans les années qui ont suivi la fin de la seconde guerre mondiale comme en témoigne la parution d’un livre d’Emmanuel Kessler, ‘Bergson, notre contemporain’ (1). Il rappelle la novation ouverte par son livre ‘l’évolution créatrice’ paru en 2007 :
« L’objet de ‘l’évolution créatrice’ – titre qui porte en lui-même une ouverture et une marche en avant – consiste précisément à appliquer à la vie en général, celle des espèces dont l’homme bien sûr, ce qu’il avait mis à jour en explorant la vie psychique : la durée qui signifie à la fois continuité indivisée et création ». Tout n’est pas écrit et déployé à l’avance. « L’évolution répond à un mouvement dynamique et ouvert. Bergson va la nommer en utilisant une image : l’élan vital ». Emmanuel Kessler nous montre en Bergson un philosophe qui met en valeur la novation et le mouvement. « Alors qu’à première vue, la philosophie, depuis Platon, cherche les permanences solides au-delà des apparences trompeuses, bref ce qui demeure dans ce qui change, les idées éternelles, Bergson, lui renverse la table : le vrai, c’est justement ce qui change… Ce qui mérite notre attention n’est pas ce qui est figé, mais ce qui nait, car c’est ce qui vit… Essayons d’appréhender, d’accompagner et d’enclencher à notre échelle humaine et selon sa formule ‘la création continue d’imprévisibles nouveautés qui semblent se poursuivre dans l’univers’ ».
Certes, dans le monde d’aujourd’hui, en tension dans les transformations requises, des raidissements et des clôtures commencent à se manifester dans l’agressivité. Aussi, sommes-nous souvent désorientés et polarisés par l’immédiat. Nous perdons alors de vue le fil conducteur du changement auquel nous sommes appelés. La pensée de Bergson vient encourager et confirmer les tenants du mouvement, tant dans la recherche que dans l’action. C’est ainsi que Bergson dialogua avec deux scientifiques visionnaires : Pierre Teilhard de Chardin et Vladimir Vernadsky (2). Et nous découvrons aujourd’hui que son influence s’est étendue bien au-delà du monde européen en contribuant à éclairer d’autres civilisations engagées dans une dynamique d’émancipation.
Ainsi, le grand retour de Bergson à l’orée du XXIe siècle, s’est accompagné d’un regain d’intérêt pour son influence exercée en dehors de France jusqu’en Inde et en Afrique comme en témoignent deux figures majeures de la lutte anticoloniale, le musulman Mohamed Iqbal et le catholique Léopold Sédar Senghor. A la fois poètes, penseurs et hommes d‘état, tous deux ont joué un rôle intellectuel et politique essentiel dans l’indépendance de leur pays et trouvé dans le bergsonisme de quoi nourrir leur philosophie : celle d’une reconstruction de la pensée religieuse de l’Islam pour le premier, de désaliénation de l’avenir africain pour le second. Cette analyse est proposée dans un livre intitulé ‘Bergson postcolonial’ (3), ce titre mettant l’accent sur le mouvement de décolonisation comme un aspect majeur de l’histoire contemporaine. L’importance du phénomène de la décolonisation est effectivement une conviction de l’auteur, le philosophe sénégalais, Souleymane Bachir Diagne. Ainsi, dans un livre récent, ‘Universaliser’ (4), il montre combien la réduction du monopole de l’universalisme surplombant exercé par la pensée européenne, particulièrement française était nécessaire pour la construction d’un véritable universalisme comme une œuvre commune de toute l’humanité.
Le parcours de Souleymane Bachir Diagne est particulièrement évocateur de l’émergence d’une pensée nouvelle opérant une synthèse dynamique largement accueillie. « Souleymane Bachir Diagne est un philosophe sénégalais né à Saint Louis en 1965, professeur de philosophie et de français à l’université Columbia à New York. C’est un spécialiste de l’histoire des sciences et de la philosophie islamique » (5). Après des études secondaires au Sénégal, S B Diagne a étudié la philosophie en France dans les années 1970, intégrant Normale Sup. Ses thèses de doctorat portent sur la philosophie des sciences. De retour au Sénégal, il enseigne l’histoire de la philosophie islamique. Il rejoint l’Université Columbia en 2008. « La démarche de Souleymane Bachir Diagne se développe autour de l’histoire de la logique et des mathématiques, de l’épistémologie, ainsi que des traditions philosophiques de l’Afrique et du monde islamique. Elle est imprégnée de culture islamique et sénégalaise, d’histoire de la philosophie occidentale, de littérature et de politique africaine. C’est le mélange – la mutualité – qui décrit le mieux sa philosophie » (Wikipédia).
Bergson, Léopold Sédar Senghor et Mohamed Iqbal
Si la pensée de Bergson engendre une philosophie nouvelle, la ‘révolution bergsonienne’ étend son influence bien au-delà de la France.
« Qu’il s’agisse de la défense des valeurs de la Négritude de Léopold Sédar Senghor (1906-2001) ou du projet de Mohamed Iqbal (1877-1938) d’une ‘reconstruction de la pensée religieuse de l’Islam’ (c’est le titre de son principal ouvrage en prose), au cœur de ces projets se trouve la pensée du philosophe Henri Bergson (1859-1951). La révolution bergsonienne et les principaux concepts dans lesquels elle s’incarne – le vitalisme, le temps comme durée, l’intuition comme une autre approche du réel, celle qui s’exprime tout particulièrement dans l’art – auront donc une influence considérable sur la pensée de Léopold Sédar Senghor et de Mohamed Iqbal » (p 9).
Il y a là de quoi s’interroger. « Pourquoi ces deux personnalités du monde colonisé furent-ils des bergsoniens ? Pour quelles raisons des entreprises aussi différentes que la Négritude senghorienne ou le réformisme islamique iqbalien ont-elles trouvé à prendre appui sur le bergsonisme ? » (p 10). A l’époque de leur formation, ces personnalités ont rencontré la philosophie de Bergson en plein épanouissement. Et, selon le philosophe Philippe Worms, cette philosophie avait pour caractéristique de s’assigner la tâche « d’intervenir dans la vie pour la réformer ou la transformer » et faisait l’objet d’un véritable engouement (p 10). Senghor et Iqbal furent sensibles au concept de durée introduit par Bergson dans sa thèse soutenue en 1889 : ‘Essai sur les données immédiates de la conscience’. « La véritable durée ou temps non sériel se compose de moments intérieurs les uns aux autres. De cette durée, nous ne pouvons avoir une connaissance du type que produit notre intelligence analytique et mécanicienne, celle qui sépare le sujet de l’objet et décompose celui-ci en parties. Au contraire, elle nous est donnée dans la connaissance vitale que nous en avons, dans l’intuition qui nous installe d’emblée au cœur de l’objet saisi comme une totalité organique » (p 11).
Senghor suivra Bergson pour entreprendre la tâche de retrouver une approche compréhensive du réel hors du cours de la pensée philosophique tel qu’il a été orienté par Aristote et tel qu’il a culminé dans la pensée mécanicienne de Descartes. Cette approche non mécanicienne lui apparait être la signification même que porte l’art africain où il voit une compréhension du réel, qu’il entend comme un accès à la sous-réalité des choses visibles. Il le suivra également pour prolonger sa pensée avec cet autre bergsonien qu’est le père Teilhard de Chardin, en celle d’une cosmologie émergente, d’une cosmogénèse qui voit la vie se libérer des aliénations qui l’entravent. C’est sous un tel éclairage bergsonien et teilhardien que Senghor entreprend de lire Marx et de proposer une doctrine de ce qu’il appelle « socialisme africain » (p 12).
« Pour Mohamed Ibqal également, il s’agit, avec Bergson, de sortir du cadre où la tradition philosophique après les présocratiques a enfermé la pensée. Il s’agit de retrouver une philosophie du mouvement où, dans un univers qui est constamment en train de se renouveler, l’humain advient et devient par son action créatrice qui fait de lui le ‘collaborateur » de Dieu’. Selon Ibqal, si la philosophie grecque a enrichi la pensée musulmane, elle l’a également limitée. « D’une cosmologie dynamique et continument émergente du Coran où Dieu est toujours à l’œuvre dans sa création, on est passé à une cosmologie fixée une fois pour toute par un ‘fiat divin’ qui s’est ensuite retiré du monde. Pour Ibqal donc, la révolution de Bergson en philosophie aide à une reconstruction de la pensée islamique en lui rappelant que la vie est innovation et changement. Il faut le lui ‘rappeler’ afin qu’elle puisse surmonter sa peur de l’innovation… et sortir d’un immobilisme fataliste auquel elle est identifiée, par exemple par le philosophe Leibnitz… » (p 13-14).
Léopold Sédar Senghor et l’inspiration de Bergson
Souleymane Bachir Diagne rappelle combien la publication de la thèse de Bergson, ‘L’essai sur les données immédiates de la conscience’ en 1889, parut, à certains, une révolution intellectuelle. Léopold Sédar Senghor a trouvé là une grande inspiration.
« Ce qui, plus que tout autre aspect, fait, pour Léopold Sédar Senghor ‘la révolution de 1889’, c’est cette mise en évidence, sous l’intelligence analytique, c’est-à-dire celle qui pour connaitre analyse et sépare en paries extérieures les unes aux autres, d’une faculté de connaissance vitale au sens où elle saisit en un seul geste cognitif, instantané et immédiat, une composition, qui, parce qu’elle est vivante et non mécanique, ne saurait être décomposée… Sous l’intelligence qui analyse et calcule, il y a l’intelligence qui est synthèse toujours et qui toujours comprend » (p 19). Pour Senghor, « c’est en cette langue de l’intelligence qui comprend surtout (ce qui ne veut pas dire exclusivement) que s’expriment les pensées et les conceptions du monde africaines, celles qui pointent, en particulier, les œuvres d’art crées sur le continent » (p 20). Il nous est dit que « L’helléniste et aussi le catholique en Senghor ne manque jamais de rappeler qu’avant le tour pris par la pensée engagée dans la voie de l’analytique, qu’il voit comme étant celle de la « ratio », il y eut la réalité de ce qu’en poète il appelle un « logos » humide et vibratoire » (p 20). Et une autre distinction apparait, celle entre une « raison œil » et une « raison étreinte » (p 21).
Cette approche se retrouve dans l’appréciation de l’art africain par Léopold Sédar Senghor. Celui-ci, arrivant à Paris comme étudiant à la fin des année 1920, y a découvert les œuvres africaines au musée de la Place du Trocadéro. « A cette époque, la vogue de l’art nègre avait produit un effet certain sur l’art moderne » (p 33). La philosophie de Senghor vient éclairer et interpréter l’art africain. C’est la « raison-étreinte, celle qui ne sépare pas, qui peut créer, mais également goûter les formes géométriques si caractéristiques des sculptures et masques africains… ». « C’est la langue de cette ‘raison-étreinte’, du ‘logos humide et vibratoire’ qui est parlée par ces formes qui ne reproduisent, ni n’embellissent la réalité pour un regard qui la caresserait à distance. Au contraire, elles retiennent les forces ‘obscures’ mais explosives, dit Senghor, qui sont cachées sous l’écorce superficielle des choses » (p 34).
Sur un autre registre, l’auteur nous présente également le socialisme africain défendu et promu par Léopold Sédar Senghor. Là aussi, on perçoit l’inspiration de Bergson. En effet, « La philosophie politique de Senghor s’inscrit dans la continuité de sa pensée vitaliste, née de la rencontre qu’il organise, entre la philosophie de ‘l’Évolution créatrice’ et la vision du monde qu’il lit dans les religions africaines endogènes. Elle exprime ce que l’homme politique sénégalais a appelé ‘socialisme africain’ ou ‘voie africaine du socialisme’ ».
L’auteur résume en ces termes le parcours de Senghor : « rappeler l’engagement socialiste de Senghor dès ses premières années d’études en France à la fin des années 1920, examiner ce qu’est sa conception d’une lecture ‘africaine’ de Karl Marx qui exprime le socialisme spiritualiste lorsqu’en même temps il découvre la pensée de Pierre Teilhard de Chardin, envisager la manière dont cette philosophie a été articulée lorsqu’il a fallu, à l’aube des indépendances africaines et devant la tâche de construction de pays devenus souverains, penser les notions de fédéralisme, de nation, d’état, de planification » (p 37-38). L’engagement socialiste de Senghor débuta dans la France d’avant-guerre, mais « c’est après la seconde guerre mondiale que se met en place chez Senghor, la pensée politique qui sera développée au début des années 60 comme sa doctrine du socialisme africain ». « L’immédiat après-guerre, c’est le moment où, comme il dit, il ‘tombe en politique’ et devient député du Sénégal au parlement français. C’est le moment où avec beaucoup, il découvre les écrits du « jeune Marx » alors publiés sous le titre de « manuscrits de 1844 ». Ces manuscrits traitent de la notion d’aliénation sans structurer ce propos dans les termes d’un langage se voulant plus scientifique, mais qui reflète un positivisme scientiste ; Senghor retient la notion d’aliénation. « Il s’agit pour lui de celle de l ‘humain en général et celle de l’humanité colonisée en particulier » (p 45). Comment Senghor reçoit-il le message de Marx, dans ses premiers écrits ? « Définir l’aliénation, ainsi que le fait Marx, comme perte de substance vitale au profit d’un objet extérieur, étranger et qui se pose comme ‘hostile’ ne pouvait que parler à la philosophie vitaliste de Senghor » qui est, cela a été dit déjà, l’effet d’une rencontre entre une ontologie de forces qui est au principe de religions de différents terroirs africains et leur dénominateur commun pour ainsi dire, et la pensée bergsonienne de l’élan vital. Ainsi sont valides les principes suivants :
1 Être, c’est une force de vivre
2 Est bon pour l’être-force ce qui le renforce
3 Est mauvais pour lui ce qui le déforce (le néologisme est de Senghor)
4 Toute force tend naturellement à être plus forte, ou, en d’autres termes, la destination de l’être est de devenir plus être » (p 47). C’est là que Souleymane Bachir Diagne nous introduit plus avant dans la pensée de Léopold Sédar Senghor : « Ce quatrième principe, signalé par l’expression ‘plus-être’ fait écho à la cosmologie émergente ou cosmogénèse de Pierre Teilhard de Chardin. Si, à partir du moment où il découvre ce théologien philosophe, Senghor revient constamment à la lecture de ses ouvrages, c’est que Teilhard lui apparait comme le parachèvement de ce qu’il a trouvé chez Bergson comme philosophie de la poussée vitale et chez Marx comme philosophie d’une libération totale de l’humain de son état d’aliénation pour faire advenir un véritable humanisme ». « Cependant, Senghor n’a pas ressenti chez Marx une véritable attention aux peuples africains alors qu’il écrit à propos de Teilhard de Chardin que celui-ci était vraiment dégagé de l’eurocentrisme pour penser ce qu’il a appelé une ‘socialisation’ de la terre où il s’agit de ‘faire la terre totale’ en parachevant une ‘humanisation’ de toute la planète… C’est dans cette cosmologie de l’émergence continue que la poussée vers le plus-être s’effectue, l’horizon étant ce à quoi Senghor se réfère encore et toujours, en teilhardien qu’il est, comme étant la ‘civilisation de l’universel’ » (p 48-49). L’auteur explique en quoi Senghor garde un recul par rapport à Marx : « Senghor veut penser un humanisme qui se définirait comme accomplissement de Dieu dans l’achèvement de la création et non contre lui. C’est parce qu’il pense ainsi l’humanisme que Senghor a rencontré en celle de Mohamed Iqbal une pensée sœur, produite par ce qu’il appellera un ‘Teilhard musulman’. L’idée que l’humain est collaborateur de Dieu dans l’activité de création continue d’un monde ouvert est en effet au cœur de la pensée iqbalienne. Senghor la découvre probablement autour de 1955, date de la publication de la traduction de l’œuvre majeure du poète indien, ‘La reconstruction de la pensée religieuse de l’Islam’.
L’auteur évoque ensuite le parcours politique de Senghor en Afrique où il devient premier président de la République du Sénégal en 1960 et où il cherche à éviter une balkanisation de l’Afrique par une approche fédérale.
En écrivant ce livre, Souleymane Bachir Diagne a mis en évidence le pouvoir des idées inattendues. L’œuvre de Bergson a fait irruption, s’est imposée et son influence s’est étendue au-delà de son berceau national, voire occidental. La manière dont la pensée de Bergson vient répondre à des esprits en recherche dans d’autres civilisations est non seulement éclairante, mais elle témoigne de convergences en humanité. De convergences, il y en a puisque la pensée de Bergson vient ici se rencontrer avec celle de Pierre Teilhard de Chardin, soutenir une pensée émancipatrice dans deux grandes civilisations, africaine et indienne ainsi que dans des traditions religieuses différentes, et enfin être rapportée par un philosophe sénégalais, lui-même au carrefour de différents univers intellectuels en témoignant en faveur d’un universel en construction. Cependant, puisque la philosophie de Bergson est au cœur de ce brassage et puisque l’élan vital en est une inspiration majeure, rappelons la recherche du théologien zambien : Teddy Chalwe Sakupapa (6) qui met en évidence l’importance de la force vitale dans la civilisation africaine : « La force vitale est une conception traditionnelle africaine dans laquelle Dieu, les ancêtres, les humains, les animaux, les plantes, les minéraux sont compris en terme de force ou d’énergie vitale ». Il énonce ensuite d’autres sociétés où ce concept apparait avec des nuances différentes. « En Europe, dans le premier XXe siècle, le philosophe français Henri Bergson a présenté la notion de force vitale comme un élan vital ». Nous nous reconnaissons dans la pensée de Teddy Chalwe Sakupapa lorsqu’il évoque à ce sujet la théologie de l’Esprit de Jürgen Moltmann.
Et il écrit : « Dans son accent sur la vie et la relationalité, la notion africaine de force vitale ouvre une avenue sur le souffle cosmique de l’Esprit ». En lisant le livre de Souleymane Bachir Diagne, nous y voyons convergence et émergence, un « levain dans la pâte ».
J H
- Comment, en son temps, le philosophe Henri Bergson a pu répondre à nos questions actuelles ? : https://vivreetesperer.com/comment-en-son-temps-le-philosophe-henri-bergson-a-repondu-a-nos-questions-actuelles/
- Un horizon pour l’humanité ? La Noosphère : https://vivreetesperer.com/un-horizon-pour-lhumanite-la-noosphere/
- Souleymane Bachir Diagne. Bergson postcolonial. CNRS Éditions, 2020
- Souleymane Bachir Diagne. Universaliser. « L ‘humanité par les moyens d’humanité ». Albin Michel,2024
- Souleymane Bachir Diagne. Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Souleymane_Bachir_Diagne
- Esprit et écologie dans le contexte de la théologie africaine : https://www.temoins.com/esprit-et-ecologie-dans-le-contexte-de-la-theologie-africaine/
par jean | Mai 5, 2021 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Vision et sens |
Une nouvelle vision du monde, une nouvelle manière de croire à la suite de Jésus, mort et ressuscité
Les grands penseurs du passé nous inspirent encore aujourd’hui. Paul, au départ Saul de Tarse, puis souvent appelé saint Paul ou l’apôtre Paul fait partie de ces penseurs, bien qu’il ait été aussi un homme d’action, pionnier des premières communautés chrétiennes dans le monde gréco-romain.
Mais pourquoi nous intéresser à Paul aujourd’hui ? Dans un contexte ou le christianisme institutionnel décline, non sans rapport avec un ordre patriarcal et hiérarchique, on regarde de plus en plus aujourd’hui vers la dynamique du christianisme dans les deux premiers siècles, la période de l’« invention du christianisme » selon le titre d’un ouvrage collectif consacré à ce thème (1). On y remarque que la référence à Jésus apparaît très tôt après son départ, dès le début des années 50 dans les épitres de Paul, bien avant la rédaction des évangiles. Paul ne crée pas seulement des églises dans le monde gréco-romain, il se fonde sur la mort et la résurrection de Jésus et l’interprète comme un événement déterminant dans l’histoire du monde. Quelle signification pour nous aujourd’hui ? Or, un grand exégète britannique et par ailleurs, auteur de nombreux livres, N T Wright vient d’écrire une biographie de Paul (2) qui répond à nos questions.
Un nouveau monde en gestation
Au départ N T Wright dissipe un malentendu. Dans le passé et jusque dans la jeunesse de l’auteur, beaucoup de chrétiens percevaient le christianisme dans une perspective de salut individuel : « aller au ciel au moment de la mort » ; être « sauvé » et être « glorifié », pour reprendre les termes de Paul, signifiait « aller au ciel ». C’était une attente en rapport avec des « questions médiévales ». « Le cadre de la terre et du ciel a été une construction du haut Moyen Age ». Or, « Les chrétiens du premier siècle n’attendaient pas que leurs âmes quittent le monde présent matériel ». Ce qui était premier pour Paul et les nouveaux chrétiens, c’était « la venue conjuguée du ciel et de la terre dans un grand acte de renouveau cosmique dans lequel les corps humains seraient renouvelés pour prendre leur place dans ce nouveau monde » (p 8). Paul a une vision nouvelle de l’histoire. Il parlait de l’histoire comme ce qui arrive dans le monde réel : le monde de l’espace, du temps et de la matière. Il était un juif qui croyait dans la bonté de la création originelle et à l’intention du Créateur de renouveler ce monde. Son évangile de salut portait sur le Messie d’Israël comme cela avait été promis dans les psaumes. Ce que Dieu avait fait en Jésus et à travers lui c’était un mouvement « ciel et terre » et non d’offrir un espace extra-terrestre.
Le message de Paul
N T Wright nous rapporte la vie de Paul dans un univers multiculturel. Mais le message de Paul n’est pas une synthèse philosophique. Il se fonde sur un événement, la mort et la résurrection de Jésus, et il s’enracine dans la culture juive, dans une histoire. Cette histoire est « l’histoire d’Israël comme enfants d’Abraham, Israël choisi par Dieu, choisi dans le monde, mais également Israël choisi pour le monde, Israël, le peuple de la Pâques sauvé de l’esclavage, le peuple avec lequel Dieu a fait alliance, le peuple à travers lequel toutes les nations seront bénies » (p 18). A l’époque, des signes donnent à penser que pour beaucoup de juifs, la Bible n’était pas d’abord un ensemble de règles et de prescriptions, mais un grand récit ancré dans la création et dans l’alliance et avançant dans l’ombre de l’inconnu (p 18). Et cette histoire n’était pas terminée. Elle était accompagnée de promesses et débouchait sur une espérance : un nouvel exode, une nouvelle restauration (p 19). Dans la révélation de Jésus, mort et ressuscité, Paul envisage cette histoire dans une perspective universaliste. Ainsi va-t-il appeler les juifs comme les non-juifs à entrer dans le mouvement de Jésus. Ainsi les épitres nous proposent un message à la dimension du monde entier. N T Wright évoque plusieurs textes de la Bible qui inspirent cette approche. Ainsi le psaume 2 : « Tu es mon fils. Aujourd’hui je t’ai engendré. Demande-moi et je te donne les nations en héritage, pour domaine, la terre toute entière ». Paul croit qu’à travers Jésus, sa mort et sa résurrection, le Dieu Un a vaincu toutes les puissances néfastes exerçant une emprise sur le monde. Et le pardon est accordé à tous. Cela signifie que tous les hommes, et pas seulement les juifs, sont libres pour adorer le Dieu Un. « Il n’y a plus de barrières entre juifs et non juifs » (p 79) ;
Des communautés nouvelles. Un nouveau genre de vie
Les nouvelles communautés qui apparaissent rassemblent des juifs et des non-juifs dans un nouveau genre de vie. Elles dépassent et traversent les frontières de « la culture, du genre, de l’ethnie, du milieu social », elles sont contre-culturelles, une réalisation unique à l’époque. (p 91). Ce mouvement est « profondément dépendant de « la présence et de l’inspiration puissante du Saint Esprit », dans le déploiement d’une grande énergie (p 93). Le nouveau genre de vie, qui apparaît ici, sera, dans le long terme, le point de départ d’un changement des mentalités et d’une révolution sociale politique, telle que nous la décrit l’historien britannique, Tom Holland, dans son livre : « les chrétiens. Comment ils ont changé le monde » (4). « La vision de Paul était celle d’une société dans laquelle chacun travaille pour tous et tous pour chacun » (p 427).
Genèse d’une théologie
Cependant l’apport principal de ce livre ne nous parait pas là. Ce livre n’étudie pas seulement la vie de Paul dans les différente étapes de sa vie, la fondation des communautés et la rédaction des lettres qu’il leur adresse : les épitres, mais il analyse l’inspiration de ces épitres dans leur apport retentissant. Ce qu’il nous dit, c’est que la pensée de Paul se fonde sur l’événement de la vie, de la mort et de la résurrection de Jésus, qu’elle s’appuie sur le récit biblique en proclamant l’accomplissement du plan divin à long terme (p 119). « Le Créateur du monde a réalisé en Jésus la chose qu’il avait promise, accomplissant le récit ancien qui remonte à Abraham et à David… Les échecs sont maintenant surmontés. La mort du Messie a vaincu les puissances qui asservissaient à la fois les juifs et les gentils et sa résurrection a lancé un nouvel ordre du monde « sur terre comme au ciel ». Il y a maintenant un seul peuple, le peuple du Messie (p 130).
Si ce message a été écrit dans un lointain passé, il nous paraît qu’il demeure actuel aujourd’hui. Il peut être entendu par ceux qui gardent une mémoire malheureuse d’une religion qui se détournerait du monde et trierait les personnes dans leur destinée. Il peut être entendu par nous tous en quête de boussole dans un monde incertain. A partir de la mort de la résurrection de Jésus, c’est une dynamique de vie qui s’exprime là. La théologie de l’espérance que nous apporte par ailleurs Jürgen Moltmann (4) s’appuie sur cette dynamique. Elle s’inscrit dans cette perspective « eschatologique ». Elle met en valeur la « nouvelle création » qui est en route en Christ. Et comme l’exprime Jürgen Moltmann, c’est une religion tournée vers l’avenir. On retrouve ici la vision de Paul : une dynamique de vie.
J H
- Sous la direction de Roselyne Dupont-Roc et Antoine Guggenheim. Après Jésus. L’invention du christianisme. Albin Michel, 2020
- N T Wright. Paul. A biography. Harper One, 2018
- Comment l’esprit de l’Evangile a imprégné les mentalités occidentales et quoiqu’on dise, reste actif aujourd’hui : https://vivreetesperer.com/comment-lesprit-de-levangile-a-impregne-les-mentalites-occidentales-et-quoiquon-dise-reste-actif-aujourdhui/
- Jürgen Moltmann est très présent sur ce blog. Un blog : Vivre par l’Esprit, est spécialement dédié à son œuvre théologique : https://lire-moltmann.com