par jean | Août 10, 2014 | ARTICLES, Vision et sens |
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Jürgen Moltmann en conversation avec un panel de théologiens au Garrett Evangelical Theological Seminary (Evanston USA).
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Nous savons combien nos représentations influencent nos états d’âme et nos comportements. Ces représentations dépendent de notre vision du monde. Comme réflexion sur Dieu, la théologie inspire cette vision. C’est dire l’importance des orientations théologiques. Comme le dit Jésus, on reconnaît l’arbre à ses fruits. Nous trouvons, personnellement, une inspiration positive dans la pensée théologique de Jürgen Moltmann, souvent évoquée sur ce blog. Reconnu comme un des plus grands théologiens de notre temps (1), Jürgen Moltmann est souvent invité à s’exprimer dans des facultés de théologie à travers le monde. Ainsi est-il intervenu en 2009 dans une faculté de théologie américaine sur le thème : « Une théologie pour la vie. Une vie pour la théologie » (2). Cette intervention a été effectuée au Garrett Evangelical Theological Seminary (Evanston USA), une faculté en lien avec l’Eglise méthodiste. Après cette première conférence, Jürgen Moltmann a été invité à participer à une conversation où il a répondu aux questions d’un panel de trois théologien(ne)s : Nancy Bedford, Stephen Ray, Anne Joe. Ceux-ci ont été ensuite interrogés personnellement sur cet apport. L’ensemble est communiqué sur le site de la faculté à travers des vidéos (3). Comme dans une précédente note sur ce blog (4), nous présentons ainsi à nouveau une contribution de Jürgen Moltmann en vidéo. Ce n’est pas seulement une rencontre avec sa pensée, c’est aussi une rencontre avec sa personne où on peut apprécier une chaleur communicative empreinte d’une forme de modestie et de respect en terme d’humour. Nous présentons ici la vidéo où Jürgen Moltmann répond aux questions de ses interlocuteurs (5). Et comme cet entretien est en anglais, nous voulons en faciliter l’accès à travers une transposition en français dans des notes prises au cours de cette audition.
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Comment lire la Bible avec discernement ?
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Comme théologien, comment lisez-vous l’Ecriture. Quels sont vos critères herméneutiques ?, lui demande au départ son ancienne étudiante, Nancy Bedford. Question sensible ! Jürgen Moltmann fait écho à la question posée par Philippe au ministre éthiopien qui lisait le prophète Esaïe (Actes 6.30) : « Comprends-tu ce que tu lis ? ». Comprenons-nous ce que nous lisons ? En lisant la Bible, je m’attends à la Parole de Dieu dans des mots et des idées, des témoignages humains, mais ces mots humains sont parfois en contradiction les uns avec les autres. J. M. donne des exemples, tous deux empruntés aux épîtres de Paul, l’un concernant l’attitude vis-à-vis des femmes et l’autre, l’attitude vis-à-vis des juifs. Ainsi rappelle-t-il la grande affirmation universaliste de Paul à la suite du prophète Joël, en Galates 3.26 : « Il n’y a plus ni hommes, ni femmes. Nous sommes tous un en Jésus-Christ ». Mais on trouve aussi dans ces épîtres mention d’une attitude que Jürgen Moltmann exprime en termes humoristiques : « Les femmes devraient la fermer dans les cultes »…Qu’est ce qui est vrai ? Qu’est-ce qui est le plus proche de la vérité du Christ ? Et, reprend-t-il avec humour : Si les femmes avaient été silencieuses tout le temps, elles n’auraient pas annoncé la résurrection de Jésus et nous n’en saurions rien ! Pour interpréter, je ne me réfère pas à un humanisme moderne, qui va de ci, de là, mais je développe une critique interne en recherche de l’essentiel à l’intérieur même de l’Ecriture (« material criticism inside the reading of Scripture – criticizing inside the truth of the Bible »). D’abord, je lis, puis je cherche à comprendre. Qu’est-ce que cette expression cherche à me dire avec plus ou moins de bonheur ? Je cherche ce qui est vrai, ce qui me paraît le plus proche de la vérité du Christ (« What is closer to the truth of Christ »).
Jürgen Moltmann évoque des approches comme celles du « Jésus historique » (historical Jesus ») ou de l’exégèse matérialiste (« Materialistic exegesis »), qui se perd dans l’accessoire, auxquelles il n’adhère pas. Et notamment, peut-on en théologie s’intéresser seulement au « Jésus historique », c’est à dire ne pas prendre en considération l’éclairage de la résurrection ? Le Jésus historique est le Jésus mort (« The historical Jesus is the dead Jesus »).
Puisque J. Moltmann se réfère à Christ comme critère, son interlocutrice lui pose une seconde question : « Vous prenez Christ comme critère, mais qu’est ce qui arrive quand ce critère est mal utilisé ? Certains comportements et images peuvent contrecarrer une juste représentation du Christ. Jürgen Moltmann répond en prenant l’exemple de la croix. Au début du christianisme, il y a la croix de Golgotha, mais il y a eu très vite une croix imaginée par l’Empire comme signe de puissance et de victoire à commencer par celle de l’empereur Constantin : « Tu vaincras par ce signe ! », une tradition dominatrice qui s’est perpétuée dans la chrétienté.
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Le dialogue œcuménique
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Quelle est la part des théologiens dans le dialogue œcuménique ? Jürgen Moltmann répond à cette question en évoquant une affirmation centrale : la parole de Jésus concernant ses disciples : « Qu’ils soient un comme nous sommes un » (Jean 17.22). Cette prière a été entendue par le Père. Alors, en Christ, nous sommes déjà un. Mais, si c’est le cas, nous sommes appelés à rendre cette réalité visible. Nous rendons cette réalité visible, non pas d’abord par le dialogue théologique, mais par la fraternité eucharistique. Les églises ne sont pas propriétaires de la pratique eucharistique. Prendre ensemble le repas eucharistique, c’est répondre à l’invitation du Christ. Alors, en premier le repas du Seigneur : manger et boire, et ensuite le dialogue théologique. Ce dialogue en sera facilité, car alors, nous reconnaissons que nous sommes déjà dans la famille de Jésus. Avec humour, Moltmann évoque sa différence sur ce point avec son ancien collègue à l’université de Tübingen, Joseph Ratzinger devenu ensuite le pape Benoit XVI.
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Les gens dans la misère. Quelle espérance ?
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Une théologienne pose à Moltmann cette question : Comment accorde-t-il dans sa réflexion sa théologie de l’espérance et sa vision de « Dieu crucifié » ? Si la passion du Christ s’inscrit dans sa nature d’un Dieu incarné, sa résurrection manifeste la puissance d’un Dieu transcendant. Des théologiens catholiques latino-américains ont évoqué les victimes des régimes despotiques en termes d’hommes et de femmes crucifiés porteurs de rédemption. Dans cette approche, l’Eglise prolonge le Christ (« Christus prolongatus »), et, en extension, la souffrance des persécutés des personnes crucifiées est censée contribuer à la rédemption. Jürgen Moltmann n’est pas à l’aise avec cette extrapolation. Si vous vivez dans la misère et l’isolement, vous n’avez pas envie qu’on interprète votre souffrance en terme de participation à la rédemption. Vous avez envie de vous en sortir, vous avez envie d’être libéré. Autrement, vous continueriez à souffrir. Et, de même, en ce qui concerne « l’option préférentielle pour les pauvres », il y a danger d’idéaliser la pauvreté. N’interprétons pas la situation des pauvres à leur place…
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Le salut. Nous échapper dans un au delà ou nous tourner vers l’avenir.
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Moltmann est interrogé à propos de son approche eschatologique dans son livre : La venue de Dieu (« Coming of God »). Il y a un débat en cours sur la conception du salut. Notre espérance réside-t-elle dans une séparation de ce monde pour un autre, une éternité intemporelle ou bien sommes-nous invités à regarder vers l’avenir à l’intérieur même du processus de la nouvelle création. Dans la fixation sur l’éternité, il y a une aspiration gnostique. Dans l’espérance chrétienne et juive, on attend un ciel nouveau et une terre nouvelle. C’est bien là la demande exprimée dans la prière du « Notre Père », non pas que nous échappions à la terre, mais que « le règne de Dieu vienne sur la terre comme au ciel ». Ainsi, nous espérons le salut de la terre dans une nouvelle création. Je crois que Dieu le créateur ne laissera pas sa création dégringoler, mais récapitulera toute chose – et sa création- dans sa venue finale (« will recollect his creation in his final coming »). La résurrection des morts s’inscrit bien dans ce processus. Il nous faut développer à nouveau frais une théologie centrée sur la terre (« earth-centered »)
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Une théologie de la terre
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Si l’être humain a été crée par Dieu, la terre dans laquelle les hommes vivent, résulte elle aussi de la création de Dieu. Elle mérite d’être considérée et respectée. En réponse à une question, Moltmann esquisse une théologie de la terre à partir de quelques textes bibliques.
En Genèse 1, la terre est présentée comme étant elle-même créatrice et productrice. En Genèse 9, Dieu instaure une alliance avec l’humanité, les êtres vivants et la terre. Celle-ci est spécifiquement mentionnée au verset 13. Dans les règles ultérieures concernant l’agriculture, la terre est respectée et participe au repos sabbatique. Le Prophète Esaïe associe même la terre à la réalisation du salut. C’est dire combien la terre n’est pas subordonnée à l’homme. Moltmann note que la théologie orthodoxe reconnaît ce rapport entre Dieu et la terre, particulièrement dans son art de l’icône. Aujourd’hui, c’est à côté de la déclaration des droits de l’homme que les Nations Unies ont établi une charte de la nature. Comment combiner les deux ? Une théologie de la terre rejette l’instrumentalisation de celle-ci par les hommes. Nous ne devons pas vivre sur la terre en la dominant. Nous devons vivre en symbiose avec elle et bannir le terme d’environnement dans la mesure où il est conçu uniquement en fonction de l’homme («We live in the earth, not on the earth »). En espérance, nous regardons vers une nouvelle création où la justice habitera.
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L’être humain, une créature vulnérable
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Sensible à l’ouverture de Jürgen Moltmann à la dimension de la compassion, telle qu’elle apparaît dans son livre : « Le Dieu crucifié », une théologienne participant au panel évoque la recherche d’invulnérabilité répandue dans le monde occidental. Quelle place donner à l’affliction et au deuil ? Jürgen Moltmann répond positivement à cette question. Les gens faibles cherchent à être invulnérables. Seuls les gens forts acceptent d’être vulnérables. A travers le deuil, les gens expriment leur amour. La place accordée au deuil dans le monde occidental a été trop réduite. On devrait accorder davantage de temps au processus de deuil.
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La communauté des vivants et des morts
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Jürgen Moltmann raconte qu’en 1961, en visitant un ancien camp de concentration en Pologne, il a eu une forme de vision, percevant soudain les gens assassinés venant à lui et lui demandant : « Pourquoi ? ». Ces gens là n’étaient pas « morts ». Ils étaient présents, très présents. Moltmann évoque ensuite la relation avec les ancêtres en Asie, telle qu’elle se manifeste notamment dans le culte des ancêtres. Il y a une part de vérité dans tout cela. Les morts n’ont pas disparu. Ils sont très présents. Vous pouvez le sentir. Ils veillent sur nous (« They watch over us ») et, si nous sommes assez sensibles, nous veillons avec eux. Dans l’histoire de la Réforme, face à la thèse du sommeil des morts attendant la résurrection, c’est la conviction qui a été exprimée par Jean Calvin. Non, les morts ne dorment pas, ils veillent sur nous (« They are watching over us »). Les uns et les autres, nous vivons dans la perspective de la résurrection commune. Cette résurrection est un avenir pour le passé. Nous sommes dans le même mouvement. Nous sommes dans la même présence et nous regardons en avant dans l’attente du même futur. « We are in the same presence and we are looking forward for the same future »
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Dieu trinitaire. Un chemin de communion
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On demande à Jürgen Moltmann comment il en est venu à accorder une grande importance à une vision trinitaire de Dieu.
De fait, la parution de son livre : « The Trinity and the Kingdom of God » a été précédée par une attention croissante portée à l’Esprit Saint. Qui est l’Esprit Saint ? L’Esprit Saint, c’est la présence créatrice et unifiante de l’Esprit dans le monde. C’est le consolateur, mais aussi la source de vie. Dans la communion avec Christ, Il nous communique une énergie vitale.
En nous racontant son histoire de vie lors de sa conférence initiale, Jürgen Moltmann nous a raconté l’épreuve qu’il a vécu dans sa jeunesse. Dans un camp de prisonniers en Angleterre, il a trouvé dans la Bible une consolation. Jésus est devenu l’ami avec qui il pouvait partager son sort. C’est là aussi une présence guérissante : « A travers ses meurtrissures, nous sommes guéris » (Esaïe 53.5). Jésus nous introduit dans la proximité de Dieu, son Père aimé, « Abba ».
Dès lors, nous dit Jürgen Moltmann, nous pouvons entrer tout simplement dans la communion trinitaire. En union avec Jésus, nous sommes en relation priante avec son Père aimé, Abba. Dieu est présent. Et nous faisons l’expérience de la présence vivifiante de l’Esprit. Ainsi la Trinité, n’est pas un mystère, c’est une réalité toute simple. Nous ne croyons pas en Dieu, nous vivons en un Dieu trinitaire (« You do not believe in God. You live in the trinitarian God »). Nous vivons en relation avec Jésus, Abba, cher Père et l’Esprit qui donne la vie. « You live between Jesus, Abba, dear Father and the live giving energies of the Spirit ». Depuis le commencement, la foi chrétienne a une forme trinitaire : Jésus, Abba, Esprit. « The christian faith has from the beginning on, a triadic form : Jesus, Abba, Spirit ».
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Une pensée pour la vie
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Cette vidéo et celles qui l’accompagnent nous permettent de mieux comprendre ce que peut être le cheminement d’une réflexion théologique. Et, si nous pouvons douter de la pertinence et de la justesse de certaines constructions théologiques, ici, nous entrons dans une approche qui répond à des questionnements souvent existentiels. En fonction de son histoire de vie, la théologie de Jürgen Moltmann ne se développe pas dans l’abstraction. Elle est « branchée » sur des questions que nous nous posons dans la vie, non seulement sur le plan personnel, mais aussi en rapport avec nos interrogations concernant le monde d’aujourd’hui (6). Que cette théologie pour la vie nous aide à vivre en harmonie et en mouvement !
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J H
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(1) L’autobiographie de Jürgen Moltmann relatée dans son livre : « A broad place », nous introduit dans le développement de sa pensée et l’évolution de son œuvre : Moltmann (Jürgen). A broad place. an autobiography. SCM Press, 2007. Voir une mise en perspective de ce livre : « Une théologie pour notre temps » sur le site de Témoins : http://www.temoins.com/etudes/recherche-et-innovation/etudes/une-theologie-pour-notre-temps-lautobiographie-de-juergen-moltmann
Sur le blog : L’Esprit qui donne la vie : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=695.
(2) Conférence de Jürgen Moltmann, professeur invité au Garrett Evangelical Theological Seminary en 2009 (vidéo) : http://www.garrettmedia.net/video500.php?vid_name=special/moltmann09/convocation
(3) Sur le site de la faculté, présentation de l’ensemble des vidéos en rapport avec la venue de Jürgen Moltmann : http://www.garrett.edu/news/161-september-2009/282-video-of-jrgen-moltmann-at-garrett-evangelical
(4) Présentation d’une interview de Jürgen Moltmann en vidéo : « L’avenir inachevé de Dieu. Pourquoi c’est important pour nous ». Sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=1884
(5) Vidéo présentée dans cette contribution : A conversation with Jürgen Moltmann : http://www.garrettmedia.net/video500.php?vid_name=special/moltmann09/conversation
(6) Un essai d’introduction à l’œuvre de Jürgen Moltmann : le blog : L’Esprit qui donne la vie : http://www.lespritquidonnelavie.com/ Plusieurs des thèmes abordés dans cet article sont abordés sur ce blog. On pourra y lire notamment une présentation d’un livre de Moltmann paru en 2010 et récapitulant les grandes orientations de sa pensée : « Sun of rightneousness, arise. God’s future for humanity and the earth » : « Lève-toi, Soleil de justice ! L’avenir de Dieu pour l’humanité et la terre » : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=798
Jürgen Moltmann a publié de nombreux livres qui sont des livres de fond, pour une part, traduits en français au Cerf. Un livre récemment traduit en France nous introduit dans les grandes orientations de sa pensée : Jürgen Moltmann. De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance. Empreinte temps présent, 2012 Présentation sur ce blog : « Une dynamique de vie et d’espérance » : https://vivreetesperer.com/?p=572
Sur ce blog, des articles correspondant à certains thèmes de cette conversation, notamment : « Vivre en harmonie avec la nature » : https://vivreetesperer.com/?p=757
Et : « Une vie qui ne disparaît pas » : https://vivreetesperer.com/?p=336 « Sur la terre comme au ciel » : https://vivreetesperer.com/?p=338
par jean | Mar 18, 2018 | ARTICLES, Emergence écologique, Vision et sens |
Tous interconnectés dans une communauté de la création
La menace qui pèse sur la nature nous réveille d’une longue indifférence. Nous prenons conscience non seulement qu’elle est condition de notre vie, mais aussi de ce que nous y participons dans une vie commune, dans un monde de vivants. Nous retrouvons l’émerveillement que l’homme a toujours éprouvé par rapport à la nature et qui risquait de s’éloigner. Aujourd’hui, une nouvelle approche se répand. C’est celle d’une écologie qui ne s’affirme pas seulement pour préserver les équilibres naturels, mais aussi comme un genre de vie, un nouveau rapport entre l’humanité et la nature.
On connaît les dédales par lesquels une part du christianisme avait endossé la domination de l’homme sur la nature (1). Aujourd’hui, on perçoit à nouveau combien cette nature est création de Dieu, un espace où les êtres vivants communiquent, un don où l’humain participe à un mouvement de vie. C’est donc un nouveau regard qui s’ouvre ainsi et qui trouve inspiration dans la vision de théologiens comme Jürgen Moltmann (2) et le Pape François (3).
Aux Etats-Unis, un frère franciscain, Richard Rohr, a créé un « Centre d’Action et de Contemplation » où, entre autres, il intervient en faveur d’une spiritualité de la création. Nous présentions ici deux de ses méditations journalières mises en ligne sur internet (4).
La nature est habitée
Avec Richard Rohr, nous découvrons une merveilleuse création.
« Par la parole du Seigneur, les cieux ont été créés » (Psaume 35.6). Ceci nous dit que le monde n’est pas advenu comme un produit du chaos ou de la chance, mais comme le résultat d’une décision. Le monde créé vient d’un libre choix… L’amour de Dieu est la force motrice fondamentale dans toutes les choses créées. « Car tu aimes toutes les choses qui existent et tu ne détestent aucune des choses que tu as faites, car tu n’aurais rien fait si tu les avais détestées » (Sagesse 11.24) (Pape François Laudate Si’ 77).
En Occident, nous nous sommes éloigné de la nature. « Pour la plupart des chrétiens occidentaux, reconnaître la beauté et la valeur intrinsèque de la création : éléments, plantes et animaux, est un déplacement majeur du paradigme. Dans le passé, beaucoup ont rejeté cette vision comme une expression d’animisme ou de paganisme. Nous avons limité l’amour de Dieu et le salut à notre propre espèce humaine, et, alors, dans cette théologie de la rareté, nous n’avons pas eu assez d’amour de reste pour couvrir toute l’humanité !… ».
Notre spiritualité s’est rétrécie. « Le mot « profane » vient du mot latin « pro » voulant dire « au devant » et « fanum » signifiant « temple ». Nous pensions vivre « en dehors du temple ». En l’absence d’une spiritualité fondée sur la nature, nous nous trouvions dans un univers profane, privé de l’Esprit. Ainsi, nous n’avons cessé de construire des sanctuaires et des églises pour enfermer et y contenir un Dieu domestiqué… En posant de telles limites, nous n’avons plus su regarder au divin… Notez que je ne suis pas en train de dire que Dieu est en toutes chose (panthéisme), mais que chaque chose révèle un aspect de Dieu. Dieu est à la fois plus grand que l’ensemble de l’univers, et, comme Créateur, il interpénètre toutes les choses créées (panenthéisme) ».
Toute notre représentation du monde en est changée. Nous vivons en communion. « Comme l’as dit justement Thomas Berry : « Le monde devient une communion de sujets plus qu’une collection d’objets ». « Quand vous aimez quelque chose, vous lui prêtez une âme, vous voyez son âme et vous êtes touché par son âme. Nous devons aimer quelque chose en profondeur pour connaître son âme. Avant d’entrer dans une résonance d’amour, vous êtes largement aveugle à la signification, à la valeur et au pouvoir des choses ordinaires pour vous « sauver », pour vous aider à vivre en union avec la source de toute chose. En fait, jusqu’à ce que vous puissiez apprécier et même vous réjouir de l’âme des autres choses, même des arbres et des animaux, je doute que vous ayez découvert votre âme elle-même. L’âme connaît l’âme ».
La nature comme miroir de Dieu.
Hildegarde de Bingen (1098-1179), proclamée, en catholicisme, docteur de l’Eglise, en 2012, « a communiqué spirituellement l’esprit de la création à travers la musique, l’art, la poésie, la médecine, le jardinage et une réflexion sur la nature. « Vous comprenez bien peu de ce qui est autour de vous parce que vous ne faites pas usage de ce qui est à l’intérieur de vous », écrit-elle dans son livre célèbre : « Schivias ».
Richard Rohr nous entraine dans la découverte du rapport entre le monde intérieur et le monde extérieur. La manière dont Hildegarde envisage l’âme est très proche de celle de Thérèse d’Avila. « Hildegarde perçoit la personne humaine comme un microcosme avec une affinité naturelle pour une résonance avec un macrocosme que beaucoup appellent Dieu. Notre petit monde reflète le grand monde ». Ici la contemplation prend tout son sens. « Le mot-clé est résonance. La prière contemplative permet à votre esprit de résonner avec ce qui est visible et juste en face de vous. La contemplation élimine la séparation entre ce qui est vu et celui qui voit ».
Hildegarde utilise le mot « viriditas ». Ce terme s’allie à des mots comme : vitalité, fécondité, verdure ou croissance. Il symbolise la santé physique et spirituelle comme un reflet du divin (5). Richard Rohr évoque « le verdissement des choses de l’intérieur analogue à ce que nous appelons « photosynthèse ». Hildegarde reconnaît l’aptitude des plantes à recevoir le soleil et à le transformer en énergie et en vie. Elle voit aussi une connexion inhérente entre le monde physique et la présence divine. Cette conjonction se transfère en une énergie qui est le terrain et la semence de toute chose, une voix intérieure qui appelle à « devenir ce que nous sommes », « tout ce que nous sommes »… C’est notre souhait de vie (« life wish ») ».
Nous pouvons suivre l’exemple de Hildegarde. « Hildegarde est un merveilleux exemple de quelqu’un qui se trouve en sureté dans un univers où l’individu reflète le cosmos et où le cosmos reflète l’individu ». En regard, Richard Rohr rapporte la magnifique prière d’Hildegarde à l’Esprit Saint : « O Saint Esprit, tu es la voie puissante dans laquelle toute chose qui est dans les cieux, sur la terre et sous la terre, est ouverte à la connexion et à la relation (« penetrated with connectness, relatedness). C’est un vrai univers trinitaire où toutes les choses tournent les unes avec les autres ». Ici, Richard Rohr rejoint la vision de Jürgen Moltmann dans « L’Esprit qui donne la vie » (6).
Hildegarde a entendu Dieu parler : « J’ai créé des miroirs dans lesquels je considère toutes les merveilles de ma création, des merveilles qui ne cesseront jamais ». « Pour Hildegarde, la nature était un miroir pour l’âme et pour Dieu. Ce miroir change la manière dont nous voyons et expérimentons la réalité ». Ainsi, « la nature n’est pas une simple toile de fond permettant aux humains de régner sur la scène. De fait, la création participe à la transformation humaine puisque le monde extérieur a absolument besoin de se mirer dans le vrai monde intérieur. « Le monde entier est un sacrement et c’est un univers trinitaire », conclut Richard Rohr.
Une oeuvre divine
Et, dans cette même série de méditations, Richard Rohr évoque la vision d’Irénée (130-202). « Irénée a enseigné passionnément que la substance de la terre et de ses créatures portait en elle la vie divine. Dieu, dit-il, est à la fois au dessus de tout et au dedans de tout. Dieu est la fois transcendant et immanent. Et l’œuvre de Jésus, enseigne-t-il, n’est pas là pour nous sauver de notre nature, mais pour nous restaurer dans notre nature et nous remettre en relation avec la tonalité la plus profonde au sein de la création. Dans son commentaire de l’Evangile de Jean dans lequel toutes choses sont décrites comme engendrées par la parole de Dieu, Irénée nous montre Jésus, non pas comme exprimant une parole nouvelle, mais comme exprimant à nouveau, la parole première, le son du commencement et le cœur de la vie. Il voit en Jésus, celui qui récapitule l’œuvre originale du Créateur en articulant ce que nous avons oublié et ce dont nous avons besoin de nous entendre répéter, le son duquel tout est venu. L’histoire du Christ est l’histoire de l’univers. La naissance de cet enfant divin-humain est une révélation, le voile soulevé pour nous montrer que toute vie a été conçue par l’Esprit au sein de l’univers, que nous sommes tous des créatures divines-humaines, que tout ce qui existe dans l’univers porte en soi le sacré de l’Esprit ».
En lisant ces méditations, on ressent combien nous nous inscrivons dans une réalité plus grande que nous. Nous faisons partie de la nature et nous y participons. Dieu est présent dans cette réalité et nous pouvons le reconnaître en nous et en dehors de nous. Cette reconnaissance et cette adhésion sont source d’unification et de paix. Ces méditations nous ouvrent à un nouveau regard.
J H
(1) « Vivre en harmonie avec la nature. Ecologie, théologie et spiritualité » : https://vivreetesperer.com/?p=757
(2) Jürgen Moltmann est un théologien qui a réalisé une oeuvre pionnière dans de nombreux domaines. Paru en français dès 1988, son livre : « Dieu dans la création » (Cerf) porte en sous titre : « Traité écologique de la création ». La pensée de Jürgen Moltmann, très présente sur ce blog, est pour nous une référence théologique. Voir aussi le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : http://www.lespritquidonnelavie.com
(3) « Convergences écologiques : Jean Bastaire, Jürgen Moltman, Pape François et Edgar Morin » : https://vivreetesperer.com/?p=2151
(4) Center for action and contemplation
« Nature is ensouled » : https://cac.org/nature-is-ensouled-2018-03-11/ « Nature as a mirror of God » : https://cac.org/nature-as-a-mirror-of-god-2018-03-12/ Et enfin : « The substance of God » : https://cac.org/the-substance-of-god-2018-03-13/
(5) Un blog de Claudine Géreg : « Viriditas » inspiré par Hildegarde de Bingen : https://viriditas.fr
(6) Sur ce blog, voir notre précédent article : « Un Esprit sans frontières. Reconnaître la présence et l’œuvre de l’Esprit » (d’après le livre de Jürgen Moltmann : L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999).
par | Oct 27, 2011 | ARTICLES, Expérience de vie et relation |
Dans des registres variés, il y a des relations qui apportent la vie à des personnes en difficulté. Et parfois cette intervention fait la différence entre la vie et … la survie. C’est pourquoi certaines expériences sont belles et réconfortantes.
Claude est aujourd’hui cadre dans une société de services. Marié, il a deux grandes filles. Il se rappelle son enfance comme fils unique : « J’étais seul et dès lors tous les espoirs de mes parents pesaient sur moi ». Leurs personnalités très différentes étaient souvent source de divergences. Claude a connu une bonne relation avec son père, traducteur-lexicographe, reconnu par la presse spécialisée et passionné par son travail.Comme il exerce en libéral, Claude est témoin de son activité. « Il a su me communiquer en partie sa passion pour l’anglais grâce à son sens pédagogique et son don de l’observation des détails ». Il participe à ses centres d’intérêt : les voyages, la musique classique. « On aimait bien écouter des œuvres ensemble ou en découvrir de nouvelles ».
La mère de Claude, malade pendant dix ans, décède en 2005. « Mon père s’est occupé d’elle jusqu’au bout, refusant toute aide, estimant que cela relevait de sa responsabilité. Il s’est épuisé à la prendre en charge. Peu de temps après, il est lui-même tombé malade ». Affecté par une dépression et des pertes cognitives, le père de Claude, hospitalisé pendant quelques mois, entre ensuite dans une maison de retraite médicalisée. L’environnement de cette maison est plutôt positif, mais son père, précédemment très autonome sur tous les plans, a du mal à s’y habituer. « Je suis content que tu viennes me voir, je n’ai personne d’autre ».
Claude le rencontre deux à trois fois par semaine. Dans sa conversation, il s’appuie sur les centres d’intérêt de son père. Connaissant ses goûts, il écoute avec lui de la musique classique. Il a même ravivé chez lui le jeu de l’harmonica. Bien plus, certains week-ends, il l’emmène rencontrer d’anciens amis au pays Basque, en Angleterre,dans la Sarthe ou simplement l’invite à un concert local. Et il l’entraîne parfois dans un week-end touristique. Cela devient un sujet de conversation : « On parle de notre prochain voyage, ce que l’on envisage de faire, qui nous allons voir, au le retour nous regardons les photos faisons le point sur ce qui lui a plu ou pas ».
Pour le père de Claude, c’est vraiment un lien vital. Affecté par des pertes de mémoire, des troubles neurologiques et d’orientation qui entravent sa mobilité et l’empêchent d’avoir une activité intellectuelle normale, ce père trouve dans son fils une présence active qui éveille en lui une motivation ciblée et entretient, remet en route parfois des processus cognitifs. Claude nous dit comment il a conçu ces activités. « Pour moi, le plus important c’est de valoriser mon père par rapport à ce qu’il était et ce qu’il peut encore faire, positiver en quelque sorte et réanimer le lien social qu’il avait avant dans ses relations ». « Ce que j’essaye de faire est simple : réanimer des choses qui étaient en sommeil, réveiller des motivations, apporter des stimulations. Ainsi a-t-il pu communiquer avec une amie aux USA grâce au système Skype et la voir sur l’écran d’ordinateur, ce qui était absolument inédit pour lui ».« Mon père aimait l’humour et les jeux de mots, les histoires dérisoires qui font rire … dans les prétoires, alors, de temps en temps à travers une histoire ou une allusion de ma part, il arrive encore à rire ou sourire ». Lorsqu’il raconte ses déplacements avec son père, à travers son récit, on perçoit chez Claude beaucoup de sollicitude : intégrer les limites de son père qui se déplace principalement en chaise roulante, tenir compte des intempéries et … des contretemps périlleux… Il l’encourage à prendre des initiatives et doit aussi être parfois directif avec lui, en particulier dans les transports pour des aspects de sécurité.
L’expérience de Claude s’adresse à tous ceux qui sont confrontés à des situations analogues : « Lorsqu’en 2009, mon père a constaté lui-même, en fonction de son état, qu’il n’y avait guère d’autre choix que de rechercher une maison de retraite médicalisée, j’ai été perturbé.J’ai découvert ensuite que ce n’est pas nécessairement la fin mais le commencement d’une autre nature de relation qui s’appuie sur son vécu, sa culture, sa personnalité et tient compte des limites du présent ». Le récit de cette expérience pourra aider d’autres personnes et leur redonner espoir.
« Voir son père se dégrader est évidemment une souffrance; « Je dis souvent qu’il descend l’escalier par étapes, à chaque marche il faut se réadapter mutuellement ! » En l’aidant, je « bénéficie » aussi d’un retour, une sorte de feed-back, cela me fait du bien de participer à cet accompagnement et de voir mon père content. « Subsidiairement je ne veux pas risquer de cultiver demain le regret posthume d’avoir omis de mettre en œuvre à son égard ce qui était raisonnablement envisageable… ». Claude évoque un verset de la Bible, le cinquième commandement : « Honore ton père et ta mère afin que tes jours se prolongent et que tu sois heureux » (Deutéronome 5.16). Il participe concrètement à cette inspiration. Comme d’autres personnes qui prennent soin de leurs proches ou de leurs relations, il est source de vie pour des personnes fragiles et isolées. C’est un message d’espoir.
Contribution de Claude à partir d’un entretien retranscrit sous la forme d’un récit (JH).
par jean | Oct 1, 2021 | ARTICLES, Société et culture en mouvement, Vision et sens |
Comment une pratique spirituelle fait barrage à la dépression, apparaît positivement dans l’activité du cerveau et engendre une vie pleine
Par Lisa Miller
Il arrive qu’un long cheminement personnel et intellectuel débouche sur la publication d’un livre qui ouvre un nouvel horizon. Ce livre résulte d’un nouveau regard. Il récapitule une recherche de longue haleine et il débouche sur des conclusions qui renouvellent notre entendement. Ainsi vient de paraître aux Etats-Unis un livre qui ouvre un nouvel horizon pour la psychothérapie et qui, en même temps nous appelle à une nouvelle manière de voir et de vivre. Il met en évidence l’importance de la spiritualité dans la reconnaissance de ses apports. C’est un livre qui se fonde sur une approche scientifique rigoureuse, en particulier des recherches portant sur le fonctionnement du cerveau. Le titre rend compte de l’ambition de la démarche : « The awakened brain. The new science of spirituality and our quest for an inspired life » (Le cerveau éveillé. La nouvelle science de la spiritualité et la quête d’une vie inspirée) (1).
« Le livre de Lisa Miller révèle que les humains sont universellement équipés d’une capacité pour la spiritualité et qu’en résultat, nos cerveaux deviennent plus robustes et plus résilients. Le « Awakened brain » combine une science en pointe (de « l’imagerie par résonance magnétique » à l’épidémiologie) à une application sur le terrain pour des gens de tous les âges et de tous les genres de vie, en éclairant la science surprenante de la spiritualité et comment mettre celle-ci en œuvre dans nos propres vies » (page de couverture).
Ce livre est le fruit d’un parcours scientifique de longue haleine. Lisa Miller est professeur de psychologie clinique à l’Université Columbia et travaille dans le département de psychiatrie de cette université.
Un parcours de vie. Un itinéraire professionnel
Dans ce livre, Lisa Miller nous entretient à la fois de son parcours de vie et de son itinéraire professionnel. Il y a là en effet un mouvement commun de prise de conscience de la dimension spirituelle.
Etudiante, Lisa a rencontré Phil en 1985. Ils se sont mariés et ils ont vécu dans leur milieu. En l’absence d’une naissance d’enfant, ils ont adopté un petit garçon en Russie. Et finalement, des naissances de deux petites filles sont advenues. Dans cet itinéraire, ils ont quitté le milieu urbain pour vivre à la campagne. Ce parcours témoigne de choix de vie qui ponctuent une évolution spirituelle.
Et, de même Lisa nous raconte son entrée au travail en 1994 et ses premières années de pratique professionnelle comme psychologue dans une clinique psychiatrique attachée à un hôpital new-yorkais. Cette clinique n’était pas retardataire et elle alliait médicaments et psychothérapie. « Notre modèle de traitement psychologique était essentiellement psychodynamique. Nous avions été entrainés à aider nos patients à fouiller dans leur passé pour une conscience et un éclairage permettant d’alléger leurs souffrances présentes… La voie pour sortir de la souffrance était d’y faire face en gagnant en compétence. C’était explorer les souvenirs pénibles et les expériences difficiles pour gagner en conscience » (p 13-14). Les limites de cette approche sont rapidement apparues à Lisa. De fait, les patients étaient amenés à se répéter et ils tournaient souvent en rond. Lisa a commencé à leur poser des questions nouvelles qui ne portaient pas seulement sur leur passé, mais sur leur présent. Et elle a perçu, chez certains, un besoin de reconnaissance. Souvent le psychologue garde une distance. « Le modèle thérapeutique peut aider à améliorer le contrôle des impulsions, mais il n’attire pas toujours, ni ne guide le meilleur et authentique soi-même du patient. Il m’est apparu que la guérison ne pouvait arriver à distance et que l’attention personnelle et la relation devaient faire partie du processus. Aussi, je différais avec un programme strictement psychanalytique » (p 17-18).
Un jour, dans une réunion, un patient demanda : « A-t-on prévu quelque chose pour célébrer le Yom Kippour ? ». Le Yom Kippour est la fête juive du pardon. On pouvait voir dans cette demande une recherche de sens. Dans ce quartier de New York, la clinique recevait de nombreuses personnes juives. Et il y en avait également dans le personnel. Lisa elle-même a une ascendance juive. Or la réponse fut négative comme si cela était hors de propos. En s’appuyant sur sa mémoire personnelle, Lisa prit alors l’initiative d’organiser une célébration avec quelques patients concernés. Et là elle constata chez eux de grands changements dans leurs comportements. « Les patients s’animèrent spectaculairement tandis que la célébration progressait, leurs yeux brillant comme ils lisaient et chantaient » (p 31). « Il y eut des expressions de foi. La salle paraissait fraiche et purifiée. Et ceux d’entre nous autour de la table, nous nous sentions plus connectés les uns aux autres et à quelque chose de plus grand » (p 32). Ces changements de comportement allaient-ils se poursuivre ? Or Lisa a constaté qu’il y avait bien une transformation profonde. « Non seulement ces patients paraissaient élevés (uplifted) par la cérémonie, mais chacun paraissait plus connecté et restauré à l’endroit même où ils étaient habituellement séparés ou enfermés » (p 33). Cette célébration avait été une initiative personnelle de Lisa. Elle chercha donc à mieux comprendre ce qui s’était exactement passé. Elle s’en entretint avec la collègue qui la supervisait. Celle-ci écouta et sa réponse fut décevante. « Le fond du problème, c’est que ces patients sont très malades. Nous sommes dans un hôpital ». « Son implication était claire. La spiritualité était extérieure à notre profession. J’avais dérogé à une règle non écrite et je m’étais discréditée en participant à un système de croyance qui n’était pas en lien avec la rigueur médicale. La conversation était terminée » (p 34).
Cependant, la question du sens habitait Lisa qui gardait mémoire d’une brève période de sa première jeunesse où elle avait frôlé la dépression. En travaillant par la suite dans une clinique destinée à des étudiants, elle s’interrogea à nouveau. Elle se rendait compte qu’une petite minorité seulement avait besoin d’un traitement psychiatrique. « Les autres étaient déprimés, mais leurs problèmes étaient davantage existentiels » (p 42). « Ce qu’ils éprouvaient, c’était plutôt de la tristesse et de la désorientation accompagnées de questions sur le sens et le but de la vie » (p 42). A 19 ans, Lisa s’était posé aussi ces questions. Elle se demandait si Dieu existait et quelle était sa raison de vivre. « Est-ce que l’amour est possible ? Est-ce que je retrouverai la joie ? » (p 42). Elle entreprit de suivre des consultations psychiatriques. Mais, à chaque fois, elle se sentait plus déprimée. Les psychologues lui posaient des questions sur ce qui avait pu l’affecter dans son enfance. « Mes questions n’étaient pas considérées comme des questions valides montrant une croissance authentique et un désir ardent de connaître la nature du monde » (p 43). Les psychologues « cherchaient des blessures d’enfance » et elle, recherchait un sens à la vie. On aurait pu lui poser la question : Est-ce qu’il y a une part de vous qui a ressenti profondément une réponse ? Est-ce qu’il y a un moment dans le passé où vous avez accéder à une connaissance intérieure ? Mais rien ne vint et elle perdit pied. Quand l’été vint et qu’elle rencontra Phil , son futur mari, elle revint à la vie.
Après ces premières années de pratique professionnelle, en 1995, elle reçut une bourse pour une recherche durant trois ans. Désormais, elle pouvait étudier sans contrainte. Dès lors, elle a pu prendre en compte le questionnement sur la question du sens dont on a vu comment elle s’était développée à la fois personnellement et professionnellement. Au contact avec les réalités de terrain, Lisa s’était de plus en plus interrogée sur les enfermements induits par certaines approches. Elle a pu exploiter les données d’une collègue pour y découvrir quelques configurations dans les facteurs en mesure d’atténuer la dépression. Ainsi elle va essayer d’établir des corrélations entre certaines variables. A cette occasion, elle a donc cherché quelles variables qu’elle pourrait prendre en compte pour envisager le rapport entre la dépression et l’expérience spirituelle. Elle a découvert deux questions qui pouvaient s’appliquer à cette étude. Ainsi « La religion ou la spiritualité sont-elles importantes pour vous personnellement ? ». Une rencontre incita Lisa à s’interroger sur la transmission intergénérationnelle de la spiritualité. Elle travailla donc en ce sens sur ces données et elle put mettre en évidence un lien important. « Il y a cinq fois moins de chance pour un enfant de tomber en dépression lorsqu’il partage une vie spirituelle avec sa mère » (p 52). Cet effet de protection était impressionnant. Lisa a donc publié un article relatant les résultats de sa recherche.
La réception par ses collègues psychologues fut mitigée. Mais, quelques mois plus tard en 1997, un autre article parut, lui aussi avançant dans la reconnaissance d’un lien entre santé mentale et spiritualité. Cet article du Docteur Kenneth Kendler, personnalité éminente en psychiatrie épidémiologie était intitulé : « Religion, psychopathologie et usage de drogue… ». L’auteur distinguait clairement spiritualité personnelle et stricte adhésion à une règle religieuse. Parfois, les deux allaient de pair, mais ce n’était pas le cas pour la majorité. « La recherche du docteur Kendler était la première étude empirique mettant en évidence cette importante distinction entre les gens qui peuvent être spirituels en étant ou pas religieux, et ceux religieux en étant ou pas spirituels » (p 56). Et par ailleurs, cette recherche montrait qu’un bas niveau de symptômes dépressifs était associé à un haut niveau de spiritualité. Au total, une religiosité personnelle jouait un rôle protecteur par rapport à différentes formes d’évènements stressants de la vie (p 57).
« Cette nouvelle recherche a ouvert la possibilité que juste comme nous sommes des êtres cognitifs, physiques, émotionnels, nous sommes des êtres spirituels… Cette recherche révolutionnaire a suggéré que la spiritualité n’est pas juste une croyance, mais quelque chose avec lequel chacun de nous est né avec la capacité d’en faire l’expérience » (p 58).
The awakened brain (Le cerveau éveillé) : une découverte révolutionnaire.
Au cours des années suivantes, la quête personnelle et professionnelle de Lisa Miller s’est poursuivie. Et une quinzaine d’années après sa première recherche, en 2012, un nouveau projet de recherche a abouti en apportant des conclusions spectaculaires.
Lisa Miller nous raconte cet épisode Au départ, elle nous rappelle le contexte. « Nous vivons à une époque d’anxiété mentale sans précédent » (p 4). Alors Lisa attendait beaucoup de cette recherche. « La spiritualité pouvait-elle jouer un rôle dans la prévention et la protection à l’encontre de la dépression ? » (p 3). Cependant, même autour d’elle, parmi ses proches collègues, le scepticisme l’emportait. Alors on attendait avec impatience les données provenant de l’imagerie à résonnance magnétique. La recherche portait sur des gens à haut ou bas risque génétique de dépression pour voir si il y avait une configuration particulière dans les structures du cerveau des participants déprimés ou non déprimés en vue d’envisager des traitements plus efficaces (p 6). Lisa avait ajouté une question controversée : « Nous avons demandé aux participants de répondre à la question : La religion ou la spiritualité sont-elles importantes pour vous ? ». « En plus de comparer les structures de cerveau de participants déprimés et non déprimés, nous désirions savoir comment la spiritualité était associée à la structure du cerveau et comment elle était corrélée avec le risque de dépression » (p 6).
C’était un grand enjeu, or les résultats qui sont apparus, étaient convaincants et sans appel. Il y avait un différence éclatante entre le cerveau associé à une faible spiritualité et le cerveau associée à une spiritualité élevée. « Le cerveau haute spiritualité était plus sain et plus robuste que le cerveau basse spiritualité. Et le cerveau haute spiritualité était plus fort et plus épais exactement dans les mêmes régions qui s’affaiblissaient dans le cerveau déprimé » (p 7).
Devant ces résultats inattendus, les collègues étaient stupéfaits. La quête persévérante de Lisa était récompensée.
The awakened brain : Le cerveau éveillé
C’est à partir de cette découverte que Lisa peut nous expliquer ce qu’est « le cerveau éveillé » (awakened brain) et comment
il se comporte. « Chacun de nous est doté d’une capacité naturelle de percevoir une réalité plus grande et de se connecter consciemment à la force de vie qui se meut à l’intérieur de nous, à travers nous et autour de nous »… » (p 8). Notre cerveau a une inclination naturelle pour accueillir une conscience spirituelle. Quand nous accueillons cette conscience spirituelle, nous nous sentons davantage en plénitude et à l’aise dans le monde. Nous entrons en relation et prenons des décisions à partir d’une vision plus large. « Nous passons de la solitude et de l’isolement à la connexion, de la compétition et de la division à la compassion et à l’altruisme, d’une focalisation sur nos blessures, nos problèmes et nos pertes à une grande attention pour notre voyage de vie » (p 8). D’un modèle d’identité en pièces et en morceaux, nous en venons à cultiver un genre de vie qui se fonde sur l’amour et la connexion.
Qu’est ce que la spiritualité ? Lisa Miller nous dit qu’elle ne s’est pas engagée dans cette recherche pour étudier la spiritualité, mais parce qu’elle y a été poussée par le désir de comprendre la résilience des humains et de les y aider. Peu à peu, à partir de ses expériences cliniques et de ses recherches, elle a découvert combien la spiritualité était une composante vitale de la guérison. Lisa Miller énonce des expériences qui évoquent la spiritualité : un moment de connexion profonde ave un autre être ou dans la nature, un sentiment d’émerveillement, de respect, de transcendance, une expérience de synchronicité, un moment où vous vous êtes senti inspiré ou sauvé par quelque chose de plus grand que vous (p 8).
Lisa Miller précise qu’elle est une scientifique et non pas une théologienne. C’est aussi une psychologue qui œuvre pour la santé mentale. « Quand nous faisons un plein usage de la manière dont nous sommes construits, nos cerveaux deviennent plus sains et plus connectés. et nous en tirons des bénéfices insurpassables… » (p 9). Mais, au delà de la santé mentale, le « cerveau éveillé » apporte un nouveau paradigme pour notre manière d’être, de nous diriger de nous relier, qui peut nous aider à agir avec une plus grande clarté et capacité face aux défis actuels auxquels l’humanité est confrontée.
Le cerveau éveillé est accessible à chacun d’entre nous, ici dans nos circuits neuronaux. Mais il nous revient de choisir de l’activer. On peut comparer cette situation à un muscle que nous pouvons fortifier ou bien le laisser s’atrophier (p 9). « Chacun d’entre nous a la capacité de développer pleinement son potentiel inné à travers une capacité d’amour, d’interconnexion et d’appréciation du déroulement de la vie. Au delà de la croyance, au delà du récit cognitif que nous nous disons à nous-même, le cerveau éveillé est la lunette intérieure à travers laquelle nous avons accès à la réalité la plus vraie, que notre vie est sacrée, que nous ne marchons jamais seul » . « Nos cerveaux sont branchés pour percevoir et recevoir ce qui élève, illumine et guérit » (p 10).
Etats d’être et fonctionnement du cerveau
Après cette découverte, Lisa Miller a engagé des recherches sur la manière dont les états d’être se manifestaient dans le fonctionnement du cerveau et comment ce fonctionnement pouvait avoir des conséquences à son tour. Ainsi a-t-on demandé à tous les participants d’exprimer oralement trois expériences personnelles, respectivement à un moment stressant, un moment relaxant et une expérience spirituelle tandis qu’ils étaient en même temps examinés au scanner (p 156). A partir de là, Lisa Mller expose les différents fonctionnements observés. A nouveau s’affirme l’originalité du fonctionnement en fonction de l’expérience spirituelle. « Les moments d’expérience spirituelle étaient biologiquement identiques qu’ils aient ou non un caractère explicitement religieux, qu’ils adviennent dans une maison de prière ou dans la cathédrale de la nature. Ils avaient le même niveau d’intensité ressentie et les mêmes chemins d’activation… Cela prouve que chacun d’entre nous a une part spirituelle du cerveau qui peut s’engager n’importe où et à n’importe quel moment » (p162).
Lisa Miller en arrive ainsi à distinguer deux processus différents d’activation de la conscience : « achieving awareness » (une conscience de réalisation) et « awakened awareness » (une conscience éveillée) (p 163-166). « Les études utilisant l’imagerie à résonance magnétique mettent en lumière que nous avons deux modes de conscience à notre disposition à tous moments : la conscience de réalisation et la conscience éveillée. C’est à nous de savoir dans laquelle nous voulons nous engager » (p 163).
La conscience de réalisation est la perception que nous avons d’organiser et de contrôler nos vies. Quand nous vivons à travers notre conscience de réalisation, le souci fondamental est : « Comment puis-je obtenir et garder ce que je désire » (p 163). Ce mode de conscience est utile et souvent nécessaire. Il nous donne une attention focalisée et souvent nécessaire pour atteindre des buts et nous permet de diriger notre attention et notre énergie sur une tâche particulière. Cependant quand la conscience de réalisation est sur-employée ou exclusivement employée, elle déborde et change la structure de nos cerveaux, entrainant des pathologies de dépression, d’anxiété et de stress.
D’autre part, « si nous poursuivons notre vie avec seulement la conscience de réalisation, nous sommes souvent frustrés et blessés lorsque les choses ne tournent pas aussi bien qu’elles sont planifiées et espérées » (p 164). Nous pouvons également ressentir de l’isolement et verser dans la rumination. Si nous vivons uniquement dans la conscience de réalisation, nous développons un sens excessif du contrôle. « Nous tombons dans une manière d’être solitaire et intrinsèquement vide ». La perception d’un vide nous amène à en vouloir plus.
Quand nous nous engageons dans la conscience éveillée, nous utilisons des parties différentes de notre cerveau et littéralement « nous voyons plus », intégrant de l’information de sources multiples.
La conscience éveillée nous permet de voir davantage de choses et d’opportunités. Nous ne nous agrippons pas à un but.
« Nous comprenons que la vie est une force dynamique avec laquelle nous pouvons nous harmoniser et interagir » « Ce n’est plus moi contre le monde, mais moi entendant ce que la vie a à me dire » (p 165). « Je m’appuie sur le flot de la vie, attentif aux portes qui s’ouvrent et qui se ferment ». « Je deviens attentif aux évènements significatifs. Nous inscrivant dans le courant de la vie, nous ressentons que nous ne sommes pas vraiment seuls ».
Cependant, nous avons également besoin de la conscience de réalisation pour la mise en œuvre de nos projets. Mais les décisions les plus importantes ne peuvent être prises à partir de la seule conscience de réalisation. Nous ne pouvons percevoir la réalité correctement que si nous allions les deux consciences. Ainsi, écrit Lise Miller, si la conscience éveillée nous est ainsi indispensable, elle nous est également accessible, car c’est un choix que nous pouvons faire. « La conscience éveillée est un choix que nous pouvons faire à chaque moment, un choix de la manière de percevoir le monde et nous-même ». (p 166). Au total, écrit Lisa Miller, l’intégration des deux modes de conscience est nécessaire. Et elle part ici de son exemple personnel : « Mes voyages pour trouver Isaiah, mon fils adoptif et la découverte du cerveau éveillé ont requis à la fois la conscience de réalisation et la conscience éveillée » (p 167). « Une interaction créative, dynamique entre la conscience de réalisation et la conscience éveillée ont changé mon chemin » (p 167).
Dans les derniers chapitres du livre, Lisa Muller nous décrit la manière dont le cerveau se manifeste dans « une attention éveillée », « une connexion éveillée » et « un cœur éveillé »… des textes riches en aperçus et en exemples.
Ce livre nous apporte une vision nouvelle. C’est une contribution essentielle. « Quand nous vivons avec un cerveau éveillé, en utilisant le mode de réalisation et le mode éveillé, en équilibre, nous utilisons la plénitude de ce que nous sommes et la manière dont nous sommes branchés pour percevoir. Le cerveau éveillé est fondateur dans la connaissance humaine et l’histoire. L’appel à la conscience éveillée se manifeste à travers les différentes religions et les traditions éthiques. à travers les arts et la musique, à travers les actions humanitaires et l’altruisme. Le cerveau éveillé est le siège de la perception de la transcendance et de l’immanence. Le cerveau éveillé ouvre notre sensibilité au ressenti d’une présence qui nous guide et à la sacralité dans la vie quotidienne » (p 242). Et, bien sûr, cette prise de conscience a un impact sur la société.
Une nouvelle perspective
Dans ce livre : « The awakened brain », Lisa Miller nous ouvre un nouvel horizon tant dans le domaine de la santé mentale que dans notre manière d’envisager la vie. Ce livre magistral est, en même temps, le récit d’une découverte scientifique révolutionnaire et un témoignage qui nous apporte un nouveau regard sur la vie. Nous accueillons cette vision innovante dans une approche théologique qui nous permet de reconnaître la présence de Dieu avec nous et en nous. « Dieu vivant, Dieu présent, Dieu avec nous dans un monde où tout se tient » (2). C’est le titre d’un article exprimant les approches convergentes de Jürgen Moltmann et de Diana Butler Bass. « Dieu, le créateur du Ciel et de la Terre est présent par son Esprit cosmique dans chacune de ses créatures et dans leur communauté créée » écrit le théologien Jürgen Moltmann. Et Diana Butler Bass, historienne et théologienne américaine écrit : « Ce glissement d’un Dieu vertical vers un Dieu qui se trouve à travers la nature et la communauté humaine est le cœur de la révolution spirituelle qui nous environne ». La disposition spirituelle de Lisa Miller peut également être accueillie dans l’approche du théologien franciscain américain, fondateur et animateur d’un Centre pour l’action et la méditation, Richard Rohr. Dans son livre, « la Danse divine », Richard Rohr écrit : « Dieu est celui que nous avons nommé Trinité, le flux (« flow ») qui passe à travers toute chose sans exception et qui fait cela depuis le début… Toute implication vitale, toute force orientée vers le futur, toute pensée d’amour, tout élan vers la beauté, tout ce qui tend vers la vérité, tout émerveillement devant une expression de bonté, tout bond d’élan vital comme diraient les français, tout bout d’ambition pour l’humanité et la terre, est éternellement un flux du Dieu Trinitaire ». Voici une invitation à être « paisiblement joyeux et coopératif avec la générosité divine qui connecte tout à tout ».
« Le don de Dieu trinitaire et l’expérience pratique, ressentie, de recevoir ce don, nous offre une reconnexion bien fondée avec Dieu, nous même, les autres et le monde ».
Dans l’horizon ouvert par ces théologiens (4), nous aimons relire la conclusion de Lisa Miller : « Nous pouvons nous éveiller à la vraie trame du monde, une tapisserie en évolution que nous pouvons à la fois contempler et aider à la création, dans laquelle chaque fil importe et aucun brin n’est seul. Nous pouvons vivre dans l’isolement ou nous pouvons nous éveiller à une connaissance commune, à une communication avec tous les êtres vivants et à un alignement profond et ressenti avec la source de la conscience » (p 242).
J H
- Lisa Miller. The awakened brain. The science of spirituality and our quest for an inspired life. Random House, 2021 Lisa Miller est également l’auteur du livre: The spiritual child. A new science on parenting for health and lifelong thriving
- Dieu vivant, Dieu présent, Dieu avec nous dans un monde où tout se tient : https://vivreetesperer.com/?s=dieu+vivant%2C+Dieu&et_pb_searchform_submit=et_search_proccess&et_pb_include_posts=yes&et_pb_include_pages=yes
- La Danse divine (The Divine dance) par Richard Rohr : https://vivreetesperer.com/?s=danse+divine&et_pb_searchform_submit=et_search_proccess&et_pb_include_posts=yes&et_pb_include_pages=yes
- En dehors des théologiens, voir aussi la contribution de chercheurs sur la spiritualité : Une vie pleine de sens, c’est une vie qui a du sens (Emily Esfahani Smith) https://vivreetesperer.com/une-vie-pleine-cest-une-vie-qui-a-du-sens/ La vie spirituelle comme une conscience relationnelle. Une recherche de David Hay sur la spiritualité d’aujourd’hui : https://www.temoins.com/la-vie-spirituelle-comme-une-l-conscience-relationnelle-r/
par jean | Sep 5, 2019 | ARTICLES, Emergence écologique, Société et culture en mouvement, Vision et sens |
Une approche de Jürgen Moltmann
La crise actuelle va de pair avec une crise sociale et écologique. De fait, on prend conscience qu’elle révèle l’inadéquation croissante d’un ordre établi de longue date. C’est un changement de civilisation qui s’annonce et se dessine. L’ordre patriarcal ancien est en train de s’affaisser. Or, au cours des derniers siècles, cet ordre avait privilégié un modèle mécanique autour de la fabrication des biens. Aujourd’hui, on prend conscience que ce monde allait de pair avec la conception d’un Dieu éminemment transcendant et dominant. Très tôt, dans les années 1980, Jürgen Moltmann, à travers un livre : « Dieu dans la création » (1), a su analyser cette situation et proposer un traité écologique de la création » . Nous reprenons brièvement ici un aspect éclairant de la prise de conscience qui nous est proposée (2) avec les conséquences libératrices qui en découlent.
La manière de se représenter le monde.
« Le monde , nous dit Jürgen Moltmann, a été perçu à travers un certain nombre de symboles. La pensée biblique, la pensée théologique sont entrées en dialogue avec ces symboles en intégrant certains éléments. Jürgen Moltmann énumère ainsi différents symboles advenus au cours du temps : la mère du monde ; la terre mère ; les symboles de la fête, de la danse, du théâtre, de la musique et du jeu ; le symbole du monde comme ouvrage et comme machine.
Lorsque le monde est conçu comme ouvrage et comme machine, Dieu est envisagé comme un maitre d’ouvrage. « L’imaginaire de ce symbole comprend le monde de l’action, du travail et des œuvres. C’est, avant tout, le monde de l’homme au sens masculin ». « Un enfant surgit dans le ventre de sa mère et est enfanté par elle. Mais l’homme travaille sur quelque chose qui est extérieur et crée une œuvre qui subsiste en dehors de lui. Il connaît la distance qui le sépare de « l’œuvre de ses mains »…Le « monde comme ouvrage divin » reflète, malgré toute la différence, la vision du monde de l’homme travailleur. Là où cette vision s’impose… elle repousse les mythes humains de la mère du monde, de la terre mère et de la fête du ciel et de la terre » (p 387-398). A partir du symbole du monde comme ouvrage divin, se sont développés à l’époque des Lumières, les symboles modernes du monde : le monde comme machine, le monde comme atelier, le monde comme expérience » ( p 398).
Les impasses d’une théologie fondée sur une représentation du monde comme ouvrage et comme machine
A partir d’une analyse historique, Jürgen Moltmann peut mettre en évidence l’impasse où nous a entrainé un monothéisme étroit, une pensée théologique fondée sur une vision du monde comme ouvrage et comme machine. « Au terme d’une longue histoire de la culture et de l’esprit, la vision du monde comme « entente secrète », la métaphysique des puissances vitales, de leurs accords et de leurs désaccords, a été détruite, et cela, d’une part, par le monothéisme, et, d’autre part, par le mécanisme scientifico-technique, par lequel, d’ailleurs, le monothéisme a conquis la place, en désacralisant et en désenchantant la nature. Dieu et la machine ont survécu au monde archaïque et se rencontrent maintenant seuls » (A Gehlen). Si ceci devait être le but du développement, ce serait aussi, en raison de la destruction de la nature, la fin de l’homme » ( p 401). En regard, Moltmann nous propose une autre vision théologique. « La foi chrétienne de la création est la foi messianique en la création. La foi messianique en la création est une connaissance du monde et de l’homme dans la lumière messianique de leur avenir de salut » (p 402). Nous sommes engagés dans « une histoire cosmique inachevée » (p 254).
Les différents symboles du monde énumérés par Moltmann peuvent nous permettre d’y percevoir la présence d’un Dieu immanent. Seul, le symbole du monde comme ouvrage et comme machine, débouche sur une transcendance de Dieu sans partage. « Le monothéisme du Dieu transcendant et la mécanisation du monde suppriment toutes les représentations d’une immanence divine. Avec ce développement , a commencé le démembrement du divin du monde de l’homme. Le déisme a fait de Dieu un Dieu lointain. L’athéisme devait suivre, car il faut que cette machine du monde fonctionne aussi par elle-même sans Dieu » (p 403)
Le déclin du patriarcat
« Une seconde comparaison s’attache aux intérêts et aux expériences humaines qui sont liés à ces symboles du monde. C’est pourquoi on peut reconnaître dans leur histoire le passage du matriarcat des civilisations primitives au patriarcat des civilisations historiques. A l’apparition des symboles patriarcaux du monde est liée la prise de pouvoir et de possession par les hommes » (p 404).
En regard de la domination patriarcale, « est né le messianisme, c’est à dire le messianisme de l’enfant .« En vérité, je vous le dis, si vous ne retournez à l’état d’enfant, vous ne pourrez entrer dans le royaume des cieux » (Matthieu 18.3). Les visions messianiques de l’avenir surmontent la puissance des symboles archaïque et rendent les hommes libres » (p 405). « Le don messianique de l’Esprit, qui surmontent la primauté religieuse de l’homme ou de la femme, est symbolisé, en christianisme, par le baptême des hommes et des femmes, qui remplacent la circoncision purement masculine d’Israël ». ( p 406).
Vers une civilisation nouvelle : écologie et égalité des genres
Nous assistons aujourd’hui à une transformation profonde de la société qui peut être interprétée en terme d’un mouvement vers une civilisation écologique. La pression des évènements va dans ce sens et les mentalités évoluent en profondeur. Or, au même moment, d’autres changements interviennent. Ainsi se manifeste un mouvement en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes. On pourrait se demander en quoi ce mouvement a-t-il un lien avec la mobilisation écologique. L’analyse de Moltmann nous apporte une réponse.
« Il paraît raisonnable de chercher à remplacer la vision mécaniste du monde, car c’est image marquée d’une façon unilatérale par le patriarcat. Le passage à une vision écologique du monde fait davantage justice, non seulement aux environnements naturels du monde humain, mais au caractère naturel de ce monde humain lui-même – hommes et femmes. C’est pourquoi il implique de nouvelles formes égalitaires de communauté, dans laquelle la domination patriarcale est abolie et une communauté fraternelle est construite. Les centralisations de la conception mécaniste du monde cèdent le pas à des ententes dans le réseau des relations réciproques… » (p 409).
Une nouvelle expression chrétienne
Un changement de civilisation induit de nouvelles exigences, de nouvelles attentes, de nouvelles aspirations. Il appelle en regard une nouvelle dimension spirituelle. Ici, la reconnaissance du Vivant évoque respect, émerveillement, dépassement. Nous voici en demande d’un renouvellement des pratiques et des représentations religieuses.
Les églises qui s’attarderont dans un style patriarcal, en subiront les conséquences. Cependant, l’enjeu majeur, c’est bien une transformation de la vision théologique. Dès les années 1980, Jürgen Moltmann a esquissé une réponse : une théologie écologique. Son livre : « Dieu dans la création » est présenté en ces termes : « Dans ce traité écologique de la création, Jürgen Moltmann formule, de façon nouvelle, la foi chrétienne en la création de telle sorte que celle-ci ne continue pas à être elle-même un facteur de la crise, mais devienne un facteur de paix avec la nature. Il s’agit d’une doctrine chrétienne de la création, c’est à dire qu’elle prend au sérieux le temps messianique qui a commencé avec Jésus et qui tend vers la libération des hommes, la pacification de la nature et la délivrance de notre environnement à l’égard des puissances du négatif et de la mort. Il s’agit d’une doctrine trinitaire de la création (un Dieu communion). L’insistance sur la création dans l’Esprit et pas seulement par la parole, nous invite à dépasser une conception typiquement moderne de la subjectivité et de la domination mécanique du monde. Ecologie signifie le monde de la « maison » (oikos). Une telle doctrine de la création est une théologie de l’inhabitation de Dieu par son Esprit dans l’ensemble de la création ». Si la récente encyclique du pape François : « Laudato si’ » converge (3), il reste du chemin à faire : reconnaitre et accompagner l’œuvre de l’Esprit dans cette sortie de la civilisation patriarcale, l’entrée dans la dimension écologique, la confrontation avec les menaces assorties au changement, le chemin vers une nouveauté de vie .
J H
- Jürgen Moltmann. Dieu dans la création. Traité écologique de la création . Traduit de l’allemand par Morand Kleiber. Cerf, 1988 (édition originale en 1985). Voir aussi sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : « Dieu dans la création » : https://lire-moltmann.com/dieu-dans-la-creation/ Sur ce blog, la pensée de Jürgen Moltmann est très présente : https://vivreetesperer.com/?s=Moltmann+&et_pb_searchform_submit=et_search_proccess&et_pb_include_posts=yes&et_pb_include_pages=yes
- L’analyse de la succession des symboles du monde n’est qu’un aspect de l’évolution générale de la manière de concevoir les rapports entre l’homme et la nature dans le contexte de la relation entre science et théologie. Jürgen Moltmann met en évidence l’évolution de la représentation de Dieu depuis la Renaissance : « L’omnipotence est devenu un attribut prééminent de la Divinité… Comme image de Dieu sur terre, l’être humain a été amené à se voir lui-même en correspondance comme maître et seigneur et à s’élever au dessus du monde et à le subjuguer ». https://vivreetesperer.com/vivre-en-harmonie-avec-la-nature/ La remise en cause de cette domination se poursuit aujourd’hui. Ainsi, au « Center for action and contemplation », Richard Rohr rapporte qu’au Moyen Age, l’univers était perçu comme centré autour de l’homme et de la terre. C’était une conception anthropocentrique. Dieu comme le monde était envisagé dans un ordre stable et hiérarchique. Evidemment, notre représentation de l’univers a complètement changé. « Nous ne sommes plus au centre de rien . Nous avons besoin d’une cosmologie et d’une vision du monde entièrement nouvelle » ( 26 août 2019) https://cac.org/a-new-cosmology-2019-08-26/
- « Convergences écologiques : Jean Bastaire, Jürgen Moltmann, pape François et Edgar Morin » : https://vivreetesperer.com/convergences-ecologiques-jean-bastaire-jurgen-moltmann-pape-francois-et-edgar-morin/
Voir aussi
« Comment entendre les principes de la vie cosmique pour entrer en harmonie »
https://vivreetesperer.com/comment-entendre-les-principes-de-la-vie-cosmique-pour-entrer-en-harmonie/
« Vers une économie symbiotique »
https://vivreetesperer.com/vers-une-economie-symbiotique/