par jean | Avr 5, 2025 | ARTICLES, Vision et sens |
Selon Ilia Delio
La réflexion sur la vie et la mort est au cœur de notre existence. Dans notre société, elle est ravivée au temps de Pâques. Dans un contexte chrétien, la résurrection de Jésus est proclamée, mais, dans certains milieux, des doctrines et des rites accordent beaucoup d’importance à l’empreinte de la mort. Cependant, c’est bien sur la victoire de la Vie que repose notre espérance. Dans son site : « Center for Christogenesis », Ilia Delio aborde cette question existentielle dans un essai intitulé : « Death anxiety and the cross » (1) (l’angoisse de la mort et la croix). Ilia Delio est une sœur franciscaine américaine, à la fois neuroscientifique et théologienne (2). Inspirée par la pensée de Teilhard de Chardin, en phase avec une culture émergente, elle exprime ici une dynamique spirituelle.
Angoisse de la mort
Selon Ilia Delio, l’angoisse de mort est propre à l’homme.
« La nature vit dans la radicalité de l’amour en étant simplement elle-même. Les arbres et les fleurs, le poisson et la volaille, et toutes les créatures vivantes de la terre existent dans leur unique statut de créature ». « Un arbre ne fait rien de plus que d’être un arbre, mais en étant un arbre, il rend gloire à Dieu », écrit Thomas Merton. La nature ne souffre pas d’angoisse de mort ou de peur de la mort comme les humains en souffrent. Plutôt, toute la nature cède à la mort dans un flux de vie. La vie jaillit à travers les restes carbonisés des arbres morts et dans les cendres de violentes explosions volcaniques. La vie trouve un chemin en poussant à nouveau miraculeusement, en émergeant triomphalement dans une vie nouvelle. Le dernier mot de la vie est la Vie elle-même – et c’est Dieu ».
Au contraire, l’angoisse de mort affecte l’humanité.
L’homme est confronté à la peur de la mort. « La violence délibérée de la nature commence avec l’évolution humaine et la montée d’une conscience auto-réflexive. Et ce que nous savons, c’est que nous mourrons ». On trouve des traces de cette conscience jusque dans l’art préhistorique puisque, entre autres, on trouve des symboles de mort dans la grotte de Lascaux. La mort est présente dans l’histoire d’Adam et Eve dans le livre de la Genèse. « L’angoisse de mort est un état psychologique qui a tourmenté les humains à travers les siècles ».
« Aujourd’hui, le monde moderne est tombé dans une nouvelle angoisse de mort à la pensée de la guerre nucléaire et de l’extinction de masse. Notre vie peut disparaitre en un instant. La pensée d’être personnellement effacé de l’univers par la mort a poussé la personne moderne à faire tout ce qui était en son pouvoir pour préserver son empreinte cosmique, depuis des actions héroïques de dévouement à l’accumulation de richesses pour bâtir des monuments, Nous désirons qu’on se rappelle de nous pour quelque chose de petit ou grand ».
Angoisse de mort et pensée religieuse. Péché originel et expiation
Ilia Delio se demande si l’angoisse de mort ne s’est pas incarnée dans une pensée religieuse mortifère. « Je me demande si l’angoisse de mort ne se tient pas derrière la construction de la doctrine du péché originel… Car il y a un écart logique entre le Nouveau Testament et la formulation tardive de la doctrine chrétienne. Le théologien Paul Tillich faisait remarquer que la doctrine du XIe siècle de Saint Anselme, connue comme la ‘théorie de la satisfaction’ (définition : ‘Christ ayant souffert en tant que substitut de l’humanité, satisfaisant par son infini mérite, les exigences requises par l’honneur de Dieu’) retenait l’attention parce qu’elle apaisait le fardeau de la culpabilité… D’autres théories de l’expiation, incluant la substitution pénale ont également été proposées pendant des siècles pour apaiser le fardeau de la culpabilité dans une humanité difforme qui craint le jugement final et la punition éternelle ».
Ilia Delio montre combien cette doctrine est contraire au message de Jésus. « La doctrine de l’expiation et les théories ultérieures de la substitution pénale sont des développements plutôt tardifs dans le christianisme. En d’autres mots, elles ne sont pas immédiatement associées à Jésus de Nazareth. Dans les quelques premiers siècles de l’Église, l’accent a été mis sur la Résurrection et la vie nouvelle en Dieu plutôt qu’une ‘satisfaction’ due au péché ». Ilia Delio explique comment la théorie de l’expiation a émergé après Augustin. « Comme Dieu s’éloignait de la puissance de la vie, vivante en Jésus-Christ, pour aller vers un Être parfait, immuable, intérieur, essentiel, de même ainsi, le péché originel formulé par Augustin, a commencé à forger une humanité déchue (3). L’omnipotence divine et la dépravation humaine devint corrélée. Le christianisme a été construit sur l’angoisse de mort et la menace existentielle du néant de telle façon que nous n’avons jamais pu parvenir à boire à la source de la vie ressuscitée, la vie spontanée, féconde de l’Esprit qui est créativement nouvelle, porteuse d’espérance et orientée vers le futur ».
En Jésus, la conscience divine
« Depuis le début de sa vie, il y a eu quelque chose de différent en Jésus. Elevé dans une famille juive et fidèle aux rituels et aux fêtes juives, Jésus a fait l’expérience du Dieu d’Abraham et de Moïse au cœur de sa propre vie. L’Esprit du Seigneur était sur lui de telle façon qu’il ressentait l’expérience de Dieu en lui. Il était un homme simple et probablement sans instruction, et il a travaillé comme charpentier jusqu’à il se soit senti poussé à parler au nom du royaume de Dieu, comme si quelque chose de nouveau faisait irruption à travers lui – ce que Larry Hurtado et d’autres ont appelé une mutation de conscience (4). La puissance de Dieu s’enflamma en lui, et de cette puissance, un nouveau genre de personne, une personne divine (Godly-person) émergea. La puissance de Dieu brûlait en lui, et de cette puissance, un nouveau genre de personne, une personne divine (Godly-person), a émergé. Jésus a changé les frontières humaines, se montrant être humain et divin à la fois. La puissance du Dieu d’Abraham s’exprimait maintenant dans une personne humaine.
L’ ‘incarnation’ était si contraire au sens commun qu’elle a déstabilisé des catégories chosifiées. Se montrant délibérément comme un humain avec une conscience divine, Jésus a révélé l’arbitraire et le caractère construit de ce que d’autres considéraient être la norme. Sa vie et son ministère ont déstabilisé des valeurs établies. La présence de Dieu ressentie profondément en lui, a poussé Jésus au-delà de la norme. Il devint un perturbateur, un dérangeur, celui qui choquait les autres en ne répondant pas à leurs attentes. ‘N’est-ce pas le fils du charpentier ?’ demandaient-ils ». Ilia Delio nous montre Jésus brouillant les frontières et les habitudes de pensée. « Jésus était incontrôlable parce qu’il était complétement libre. Il y avait en lui une puissance à l’œuvre, non pas une puissance de domination, mais une puissance d’amour, de pardon, de compassion, un pur désir de relever les déchus, d’aider les blessés et de soigner les malades. Jésus se sentait concerné par la personne humaine et par son inclusion dans la communauté. Il a déplacé la focalisation sur le Dieu d’en haut à celle sur le Dieu de l’intérieur… Il a vécu de l’énergie spontanée de l’amour qui vous propulse vers une relation créative ».
« Jésus est un formidable modèle quant à la manière d’être une personne humaine ouverte à et en relation avec la puissance de la vie elle-même, la puissance de Dieu. Jésus est Dieu vivant et aimant dans la chair. Nous ne pouvons pas nous détourner du fait que Dieu est le nom de la Vie elle-même, non un Être, mais le dynamisme d’un Être vivant, relationnel, actif, orienté vers davantage de vie. Prier Dieu, ce n’est pas simplement réaliser un acte d’adoration, mais plutôt prier est être conscient de la vitalité de Dieu en nous et autour de nous. Adorer requiert une vitalité nouvelle en célébration et en communauté, anticipant un nouveau futur ensemble et célébrant la vie nouvelle émergeant parmi nous ».
La croix et une vie invincible
« Il est important de porter attention aux derniers jours de la vie de Jésus telle qu’elle est racontée dans les Évangiles. Un homme innocent, trahi, humilié, injustement accusé de subversion politique, et puis jeté dans une foule en colère qui demande sa mort en échange de la libération d’un criminel. ‘Il a été conduit comme un agneau à l’abattage’ acceptant le destin de la mort sans résistance. Quel genre de personne accepterait volontairement la mort à un âge jeune à moins qu’il ne soit conduit par une croyance ou un engagement plus fort que la mort ? »
Ilia Delio apporte à cette occasion sa réflexion sur la mort : « La mort de Jésus était déjà inscrite le jour où il est né. De la même façon que notre mort est déjà une donnée quand nous ouvrons nos yeux dans l’univers. Nous vivons dans la perspective de mourir, parce que la mort est la forme finale de notre personnalité, l’empreinte que nous laissons dans le cosmos pour toute l’éternité. La mort n’est pas la fin, mais le premier acte plénier de notre personnalité. Comment nous vivons jusqu’à ce premier acte plénier de notre personnalité est le chemin de la vie elle-même. Le plus limité nous vivons, le plus égoïste nous sommes, moins nous contribuons à l’éternelle créativité cosmique de la vie ».
« Jésus a agi comme celui qui était subversif, mais cependant comme celui qui était sans ego séparé. Sa liberté radicale était la liberté de l’amour, compassion, pardon, miséricorde, guérison et espérance. Agir dans un amour subversif, c’est savoir que l’amour fait partie de la vie. Jésus commença son ministère sans avoir peur de mourir parce que la puissance de Dieu était si forte en lui que la vie elle-même ne pouvait être éteinte. L’amour radical vous demande de vivre dans la victoire ultime de la vie, qui est Dieu ».
Ilia Delio envisage la mort de Jésus dans la plénitude de l’amour. « Jésus est mort dans la plénitude de l’amour. ‘Tout est accompli’ a-t-il dit. L’amour est complet quand nous avons fait tout ce que nous pouvons pour réaliser l’amour dans les personnes que nous sommes. Jésus est mort dans une mort terrible parce qu’il croyait que Dieu ne pouvait être anéanti par la terreur d’un pouvoir humain. Et il avait raison ». Notre véritable ennemi, « c’est la distorsion du pouvoir, un pouvoir qui s’érige à partir d’un niveau de pensée enfermé dans nos propres peurs égoïstes ».
Ilia Delio fait le procès de l’intellectualisme : « Nous nous enorgueillissons du pouvoir des idées, nous pensons qu’elles peuvent nous sauver, mais nous oublions comment être nous-mêmes ».
Au moment des célébrations de Paques, Ilia Delio ne se reconnaît pas dans ‘des liturgies interminables ou des prières en termes de formules’. « Cela devait être une célébration tous azimuts de la vie ». Elle appelle des « cris exprimant que la vie ne peut être anéantie par la mort, un engagement dans tout ce nous avons et tout ce que nous sommes, envers la plénitude de vie, la conviction que Dieu est actif et vivant dans la personne humaine, dans les arbres, les plantes, les petits animaux, les créatures vivantes de la terre… ». « Si nous nous sentions nous-mêmes remplis par ce Dieu de vie, alors nous nous précipiterions dans les chemins où la vie est bloquée par l’injustice, la guerre, l’insouciance, l’avidité, la pauvreté ». Ilia Delio évoque le remue-ménage fécond qu’on peut observer dans la vie de Jésus. C’est le fruit d’ ‘une vie remplie de l’Esprit’.
Les compétences conjuguées d’Ilia Delia, sa référence à la pensée de Teilhard de Chardin, sa perception de l’évolution des mentalités lui permettent de fonder sa théologie dans un champ de vision très large. Certes, certains de ses points de vue peuvent être contestés comme comportant trop de distance avec une interprétation biblique classique, mais, comme dans ce texte, elle apporte des éclairages qui font sens. Ici, en effet, elle aborde une question existentielle : la manière dont la condition mortelle de l’homme engendre une angoisse profonde qui se manifeste tout au long l’histoire de l’humanité et qui nous concerne chacun. Il arrive que la religion amplifie cette angoisse, comme ce fut le cas avec la théorie de l’expiation. Ici, Ilia Delio nous apporte une réponse libératrice. En effet, elle sait nous présenter comment, à un tournant de l’histoire juive, Jésus a fait l’expérience du Dieu d’Abraham et de Moïse au cœur de sa propre vie. La puissance de Dieu se manifesta en lui et, de cette puissance, un nouveau genre de personne, une personne divine émergea. Dans une puissance d’amour, de pardon, de compassion, il bouscula les habitudes et les frontières. Ce mouvement se heurta à une violente opposition qui provoqua sa mort terrible sur la croix. Mais, au total, c’est la dynamique de la vie divine qui l’a emporté. Jésus avait commencé son ministère sans avoir peur de mourir parce que la puissance de Dieu était si forte en lui que la vie elle-même ne pouvait être éteinte. Il est mort dans une mort terrible parce qu’il croyait que Dieu ne pouvait être anéanti par la terreur d’un pouvoir humain. Jésus est mort dans la plénitude de l’amour. L’amour radical nous demande de vivre dans la victoire ultime de la vie, qui est Dieu. Le texte d’Ilia Delio se termine sur une affirmation de la victoire finale de la Vie.
J H
- Death anxiety and the cross (les extraits sont traduits à partir de la version anglaise (traduction personnelle non professionnelle). Il existe une traduction française automatique) https://christogenesis.org/death-anxiety-and-the-cross
- Une spiritualité de l’humanité en devenir : https://vivreetesperer.com/une-spiritualite-de-lhumanite-en-devenir/
- Lytta Basset. Oser la bienveillance : https://vivreetesperer.com/bienveillance-humaine-bienveillance-divine-une-harmonie-qui-se-repand/
- Comment la conscience de la divinité de Jésus est apparue : https://vivreetesperer.com/comment-la-conscience-de-la-divinite-de-jesus-est-apparue/
par jean | Déc 2, 2019 | ARTICLES, Emergence écologique |
Affronter la menace environnementale et climatique pour une nouvelle civilisation écologique
Joanna Macy Chris Johnstone Michel Maxime Egger
Les éditions Labor et Fides nous offre une collection dédiée à la question écologique. « Les études des scientifiques convergent. La civilisation industrielle basée sur la consommation industrielle des ressources entame désormais une confrontation ultime avec les limites du système terre dont elle dépend. Les dérèglements et dégradations en cours provoquent des dommages et catastrophes naturelles de plus en plus graves et des souffrances intolérables à un nombre croissant d’êtres humains. La collection « Fondations écologiques » dirigée par Philippe Roch et Michel Maxime Egger, propose des ouvrages cherchant à dégager les concepts, les valeurs et les moyens propres à fonder une civilisation respectueuse des limites écologiques d’un côté, et de la diversité des aptitudes et des aspirations humaines de l’autre » ( p 4).
En 2018, est paru dans cette collection, un livre de deux personnalités écologiques anglophones : Joanna Macy et Chris Johnstone : « L’Espérance en mouvement. Comment faire face au triste état de notre monde sans devenir fou » (1). Ce livre est préfacé par Michel Maxime Egger, un pionnier francophone de l’écospiritualité et de l’écopsychologie (2). En suivant cette préface (au thème repris dans une vidéo) (3), nous entrerons dans la perspective de la transition écologique et nous apprécierons l’appel de ce livre dans toute son originalité.
https://www.youtube.com/watch?v=CRk5dpvoUDQ
Vers un nouveau paradigme : écologie extérieure et écologie intérieure.
« Il ne s’agit pas seulement de protéger le milieu naturel, mais de transformer le paradigme culturel, psychologique et spirituel qui sous-tend le modèle productiviste et consumériste qui détruit la planète…Pour cela, l’économie extérieure ne suffit pas… Cette écologie doit être complétée par une écologie intérieure et verticale… Cette nouvelle approche de l’écologie centrée sur l’approche de relations réharmonisées avec la terre et tous les être qui l’habitent, a pris de plus en plus d’ampleur ces vingt dernières années … Elle se décline selon deux axes : l’écopsychologie qui explore les relations profondes entre la psyché humaine et la terre… et l’écospiritualité qui ouvre explicitement à une dimension de mystère et d’invisible, de transcendance et de sacré, non réductible aux noms et aux formes multiples –doctrinales symboliques et rituelles – que leur donnent les traditions religieuses instituées » ( p 9-10).
Une visionnaire : Joanna Macy
Joanna Macy, l’auteure du livre : « L’Espérance en mouvement », est « l’une des grandes figures de la « révolution tranquille » qui apparait aujourd’hui. Elle est l’une des rares à participer à la fois aux deux courants de l’écopsychologie et de l’écospiritualité ». Michel Maxime Egger nous présente les grandes étapes de sa vie, les « cercles expansifs » de son parcours.
Le premier cercle recouvre ses racines judéo-chrétiennes. « Si elle a vécu Dieu comme « une présence chaude et enveloppante » pendant son enfance, la théologie universitaire va transformer cette présence en vide et la foi chrétienne en injonctions morales ». Elle s’éloigne ( p 12).
Le deuxième cercle est sa formation universitaire. « Joanna a fait une formation en théorie générale des systèmes. Cela lui a donné des outils conceptuels forts pour une compréhension holistique et organique des problèmes de la planète ». Elle a vu dans cette approche « la plus importante révélation cognitive de notre temps, de la physique à la psychologie ». « Elle montre que nous tissons notre monde en une toile vivante qui forme notre demeure qu’il ne tient qu’à nous de perpétuer » ( p 13).
« Le troisième cercle est la découverte du bouddhisme à travers la rencontre avec des maitres tibétains ». Dans les années 60, elle participe à des actions humanitaires dans des régions bouddhistes. « Le bouddhisme lui a appris la nécessité de regarder la souffrance en face. Plus encore, il lui a permis de développer les ressources intérieures pour assumer cette dernière, vivre avec elle et la transformer en force de vie. Il l’a également ouverte à l’expérience de la compassion comme réponse organique à l’interdépendance de toutes choses qui constitue la loi de la toile de la vie ». Cette inspiration spirituelle va l’accompagner dans son engagement écologique.
Cet engagement se poursuit sans l’approche de l’écologie profonde, une identification avec les réalités naturelles. « Une manière de rompre avec une posture anthropocentrique et de prendre conscience de l’unité ontologique de l’être humain avec la terre et les êtres qui la peuplent » ( p 14).
Enfin, on peut percevoir un cinquième cercle dans son engagement pour la surveillance des déchets nucléaires. « L’énergie atomique constitue le symbole par excellence de la nature brisée et de la séparation de l’être humain avec la Terre ».
« Pour Joanna Macy, les cinq cercles n’en font qu’un. Elle voit entre eux de fortes convergences : la pensée et la pratique bouddhiste entrent en interaction avec les valeurs du mouvement vert et les principes gandhiens, la psychologie humaniste avec l’écoféminisme, l’économie durable avec la théorie des systèmes, l’écologie profonde et la nouvelle science paradigmatique » ( p 15).
Le Travail qui relie
« C’est riche des apports de tous ces cercles que Joanna Macy va, à partir du milieu des années 80, développer « le Travail qui relie », une méthodologie puissante de transformation personnelle et collective pour contribuer au changement de cap » ( p 16).
Car c’est bien à un changement de cap que Joanna Macy nous appelle à l’encontre de deux autres scénarios : « On fait comme d’habitude » et : on se prépare à subir « la grande désintégration ». Tout ce livre a pour but de renforcer « notre contribution au changement de cap en faisant tout notre possible » ( p 29-30).
Michel Maxime Egger porte son regard d’analyste, d’interprète et de témoin sur l’approche du « Travail qui relie ». « le but essentiel du travail qui relie est d’amener les gens à découvrir et à faire l’expérience de leurs connexions naturelles avec les êtres qui les entourent ainsi qu’avec la puissance systémique et autorégénératrice de la grande toile de la vie, cela afin qu’ils puissent trouver l’énergie et la motivation de jouer leur rôle dans la création d’une civilisation durable » (Joanna Macy) ( p 12). L’objectif est d’aider les personnes à éveiller et développer leurs ressources – intérieures et sociales – pour passer du déni à la réalité, de l’apathie au désir d’agir, de l’impuissance à l’empowerment, de la compétition à la coopération, du désespoir à la résilience, du moi ego-centré au soi relié »…
Cette série de passages est le cœur de ce que Joanna Macy appelle « l’espérance en mouvement » qui constitue le titre de cet ouvrage… « L’espérance vient de l’intérieur. Ele jaillit du cœur profond, telle une aspiration à accomplir le non encore advenu de l’histoire. L’espérance est en cela intrinsèquement liée au processus de la personne qui grandit en humanité et réalise son potentiel cosmique, humain et divin » ( p 17).
Le « Travail qui relie » se présente comme une spirale qui se déploie organiquement selon quatre temps :
S’enraciner dans la gratitude
Honorer sa souffrance pour le monde
Changer de vision
Aller de l’avant
C’est cette approche que présente Joanna Macy dans ce livre.
A travers la gratitude, « reconnaître les dons de la vie donne des forces ». A travers cette analyse, l’auteure rejoint la recherche psychologique dans ses découvertes récentes (4).
Honorer notre souffrance pour le monde, c’est accepter nos émotions face aux malheurs du monde, ne pas les refouler. C’est accepter de voir la réalité en face et ne pas nous réfugier dans le déni. C’est accepter d’entrer en relation avec les victimes dans une attitude d’empathie et de compassion. L’auteure nous appelle à reconnaitre et à accepter notre souffrance pour le monde. « Quand nous entendons les pleurs de la terre en nous, non seulement nous nous libérons des résistances, mais nous permettons la circulation des flux de reliance qui nous connectent avec le monde. Ces canaux agissent comme un système racinaire qui nous donne accès à une force et à une reliance qui perdurent aussi anciennes que la vie elle-même » (p 112). Dans cette pratique d’acceptation de la souffrance du monde, Joanna Macy fait largement appel aux ressources de la tradition bouddhiste. On pourrait de même se reporter à la compassion divine telle qu’elle se manifeste dans l’inspiration chrétienne.
En nous invitant ensuite à porter un nouveau regard, Joanna Macy élargit notre conscience comme l’indiquent les titres des différents chapitres : une conscience de soi élargie ; un pouvoir d’un autre genre ; une expérience plus riche de la communauté ; une vision élargie du temps.
Et puis, nous pouvons ensuite aller de l’avant : Joanna Macy nous parle d’inspiration, d’imagination, d’intelligence collective, de confiance, de reliance. « Nous vivons à un moment où le corps vivant de notre terre est attaqué. Cependant, l’agresseur n’est pas une force étrangère, mais notre propre société de croissance industrielle. Dans le même temps, un processus de récupération extraordinaire est en cours, une réponse créative vitale que nous appelons le changement de cap. En relevant le défi de jouer le meilleur rôle possible, nous découvrons ce trésor qui enrichit nos vies et participe à la guérison du monde. Une huitre en réponse au traumatisme fait pousser une perle. Et nous, nous faisons pousser pour l’offrir ainsi, notre don de l’espérance en mouvement » (p 290).
Le mouvement de l’espérance
Dans son œuvre militante pour une nouvelle civilisation écologique, Michel Maxime Egger a écrit de nombreux livres. Et, aux éditions Jouvence, il a publié un livre accessible à tous : « Ecospiritualité. Réenchanter notre relation à la nature » (5). Voici ce qu’il écrit à propos de l’espérance : « L’espérance vient de l’intérieur. Elle jaillit du cœur profond, telle une aspiration pour faire advenir le non encore advenu de l’histoire… C’est là qu’intervient la foi. Non pas comme une adhésion à un système de croyances, mais comme le fruit de l’expérience intime du divin. Ma foi est la connaissance que « la vie va vers la vie » et que « la mort n’est pas la fin de tout »… « Elle donne du sens, le courage de vivre et de s’engager, une confiance fondamentale en la vie, en l’Esprit, en la capacité de l’humain à changer » (p 115)
Si l’espérance monte ainsi du cœur profond, nous y voyons un mouvement général de l’Esprit qui fait lever cette espérance, une dynamique qui nous porte ensemble vers l’avenir. En termes chrétiens, la théologie de l’espérance développée par Jürgen Moltm
ann nous permet d’entrer dans cette dynamique et d’y reconnaître l’œuvre de Dieu. « La promesse de Dieu ouvre le futur et donne ainsi le courage d’aller vers l’avant ». « La promesse que l’avenir de Dieu s’ouvre à nous donne naissance à une mission dans l’histoire, de telle sorte que cet avenir puisse être anticipé dans le contexte des possibilités que nous découvrons » (6) « Le Dieu qui a ressuscité Jésus est le créateur d’une existence nouvelle de tout ce qui est créé ». « La résurrection est le premier acte de la nouvelle création de ce monde transitoire en une forme nouvelle vraie et durable ». Dieu renouvelle la terre. Si aujourd’hui le monde est encore exposé aux forces de mort – et combien ne le voit-on pas aujourd’hui ! – il est appelé à devenir la maison de Dieu ( 7). La pensée de Jürgen Moltmann et du pape François dans l’encyclique Laudato si’ se rencontrent (8).
Une perspective analogue est exprimée par Michel Maxime Egger : « L’Esprit est toujours à l’œuvre agissant à l’intérieur de la Création. Le récit allégorique de l’Apocalypse, qui clôt la Bible, raconte l’histoire – invisible, souterraine, spirituelle – qui se joue sous la surface de l’histoire apparente, pleine de bruits et de fureurs. Cette histoire visible – avec ses nœuds, ses fils coupés, brisée et enchevêtrés qui symbolisent les souffrances, violences, et désordres de la Création – représente l’envers de la toile de la vie que le divin continue de tisser –silencieusement et amoureusement – avec nos vies et celles de toutes les créatures. Cela, dans l’attente que les êtres humains opèrent la mutation de conscience, le retournement intérieur nécessaire pour permettre au motif harmonieux de l’endroit de se manifester ».
« L’écospiritualité invite chacun et chacune à s’ouvrir à une telle vision d’espérance et à effectuer cette transformation. Elle souhaite ainsi nourrir le désir de nous engager pour la transition vers une société écologique, juste et résiliente ». ( p 117).
Ainsi, le livre de Joanna Macy et Chris Johnstone : « L’espérance en mouvement » est bien nommé. Cette espérance est en marche aujourd’hui à travers des voies à la fois diverses et convergentes (9).
J H
- Joanna Macy, Chris Johnstone. L’espérance en mouvement. Comment faire face au triste état de notre monde sans devenir fou. Préface de Michel Maxime Egger. Labor et Fides, 2018
- Michel Maxime Egger est sociologue, écothéologien et acteur engagé de la société civile en Suisse. Il est l’auteur de plusieurs livres. Il a fondé le réseau : Trilogies « pour mettre en dialogue traditions spirituelles, quêtes de sens, écologie et grands enjeux socio-économiques de notre temps ». Il chemine dans la spiritualité chrétienne orthodoxe. http://trilogies.org/auteurs/michel-maxime-egger
- Vidéo de Michel Maxime Egger présentant le travail qui relie https://www.youtube.com/watch?v=CRk5dpvoUDQ
- « La gratitude : un mouvement de vie » : https://vivreetesperer.com/la-gratitude-un-mouvement-de-vie/
- Michel Maxime Egger. Ecospiritualité. Réenchanter notre relation avec la nature. Jouvence, 2018
- « Une théologie pour notre temps… Chapitre : une théologie de l’espérance : https://lire-moltmann.com/une-theologie-pour-notre-temps/
- « Dieu dans la création » : https://lire-moltmann.com/dieu-dans-la-creation/
- « Convergences écologiques : Jean Bastaire, Jürgen Moltmann, Pape François et Edgar Morin » : https://vivreetesperer.com/convergences-ecologiques-jean-bastaire-jurgen-moltmann-pape-francois-et-edgar-morin/
- Entre autres, chemins écologiques sur ce blog : « Vers une économie symbiotique » : https://vivreetesperer.com/vers-une-economie-symbiotique/ « L’homme, la nature et Dieu » : https://vivreetesperer.com/lhomme-la-nature-et-dieu/ « Comment entendre les principes de la vie cosmique pour entrer en harmonie : https://vivreetesperer.com/comment-entendre-les-principes-de-la-vie-cosmique-pour-entrer-en-harmonie/ « Une approche spirituelle de l’écologie (Sur la Terre comme au Ciel) : https://vivreetesperer.com/une-approche-spirituelle-de-lecologie/
Aspects politiques et économiques de l’écologie :
« La course pour la terre » : https://vivreetesperer.com/la-course-pour-la-terre/
« Le New Deal Vert » : https://vivreetesperer.com/le-new-deal-vert/
par jean | Déc 27, 2011 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Vision et sens |
Participer aux forces qui circulent et construisent dans le mouvement de la vie, c’est aussi refuser l’isolement et le repli sur soi. En terme spirituel, c’est participer à l’œuvre de l’Esprit qui donne vie (1). De plus en plus, cette conscience se répand, et, pourtant, nous savons par expérience les obstacles que nous ressentons. Il y a en nous de mauvais plis hérités du passé qui limitent et encombrent nos psychismes. Cependant, Dieu, en Christ et dans l’Esprit, vient à nous comme Celui qui aime, donne et libère, en nous a ppelant à participer à la vie divine. Cette inspiration se répand à travers des relations humaines. Mais, là aussi, des représentations héritées du passé peuvent faire obstacle : dogmatisme, légalisme, volontarisme. C’est comme si un cadre plus ou moins contraignant nous était imposé d’en haut. Cette attitude est bien illustrée par une formule présente dans des catéchismes anciens : « Les vérités à croire. Les commandements à pratiquer ». Mais, sous d’autres formes et dans différents milieux, on peut rencontrer aujourd’hui cet état d’esprit.
Odile Hassenforder, dans le livre : « Sa présence dans ma vie » (2), rapporte son expérience. Parce qu’un jour, elle a reçu le don de Dieu dans sa plénitude, elle a poursuivi son existence dans l’accueil de l’Esprit. Aussi, en regard des rigidités qu’elle a pu rencontrer, elle sait nous communiquer son élan intérieur et nos aider à accueillir et recevoir la vie divine. Ce message transparaît dans plusieurs chapitres de son livre. Voici quelques extraits significatifs.
Ce désir au fond de moi
« Ce désir au fond de moi d’être imprégné de la vie divine est suscité par l’Esprit. Donc, j’ai à accueillir son œuvre en moi et ensuite, à donner mon accord pour qu’il me rende capable du vouloir, puis du faire, vis-à-vis des actes qui lui plaisent. C’est très différent que de me forcer, de rassembler ma volonté pour agir… (p 119)
Accueillir l’œuvre de Christ en moi.
« J’entend souvent : « Il faut », Je dois », c’est à dire par mes propres forces. Dans la conversion, il y a certes une décision de notre part, c’est vrai pour toute chose, mais nous ne pouvons décider d’agir comme Jésus si nous n’en avons pas la grâce. Notre attitude juste est celle de l’accueil de l’œuvre de Jésus en nous, décision qu’elle se fasse en nous par l’Esprit, dans l’espérance, dans notre marche vers… La mort de Jésus a été la conséquence du refus humain à la vie divine. Le mal perd son pouvoir dans la résurrection qui donne la vie. A nous d’accueillir l’œuvre de Christ en nous en prenant conscience qu’il demeure en nous et en décidant de demeurer en Lui. Jésus n’est pas extérieur à nous comme un modèle à suivre, mais il demeure en nous » (p 121).
Nous sommes le plaisir de Dieu
Je me rend compte que nous sommes le plaisir de Dieu… La création est un acte d’amour qui éclate de Dieu : Père, Fils et Esprit pour partager, donner, dialoguer… Dieu prend plaisir à créer, à recréer ce qui est endommagé… Dieu aime toute sa création d’un amour identique pour chacun… Alors ! Dieu est d’autant plus content lorsque nous recevons (p 90).
Libres paroles sur la venue du Dalaï Lama à Paris.
« Ce succès montre la soif de spiritualité de nos contemporains : soif de paix, de tolérance, d’amour….
Et nous chrétiens, qu’avons-nous à apporter ? Nous parlons aussi d’amour. Je ne me crois pas meilleure que les autres. Depuis le jour où Dieu s’est révélé à moi à travers une prière exaucée et où j’ai découvert que je recevais de lui, paix et plénitude, je suis entré dans un univers spirituel, une nouvelle dimension. Dans la relation avec Dieu, en Jésus-Christ, je suis assuré de sa sollicitude jusque dans l’éternité… Je vois la présence de Dieu à l’œuvre aujourd’hui. Au milieu de l’ivraie, tout le négatif que nous rabâche les médias, je vois aussi le blé qui porte du fruit… » (p199).
« Dieu fait pour nous des projets de bonheur et non de malheur » (Jérémie 29.11). C’est bien dans cet esprit que nous sommes appelés à vivre. Entraidons-nous pour accueillir la Vie dans nos vies .
JH
(1) Voir le site : www.lespritquidonnelavie.com
Hassenforder (Odile). Sa présence dans ma vie. Empreinte, 2011. Site : www.editions-empreinte.com Présentation sur le site de Témoins accompagnée de commentaires et de témoignages : « Sa présence dans ma vie » http://www.temoins.com/evenements-et-actualites/sa-presence-dans-ma-vie.html
par jean | Fév 2, 2014 | ARTICLES, Expérience de vie et relation |
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Une école de vie
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Depuis quelques années, pasteur de l’Eglise réformée de Suisse romande, Jean-Claude Schwab participe à la formation d’aumôniers d’hôpitaux en République démocratique du Congo. Jean-Claude est également engagé dans le réseau « Expérience et théologie » et anime le site de cette association (1). Au cours d’un entretien, Jean-Claude Schwab a répondu à quelques-unes de nos questions sur l’accompagnement des malades.
J H
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Qu’est-ce qui t’a amené à participer à cette formation d’aumôniers d’hôpitaux en Afrique ? Comment se déroule cette formation ? Avec quels effets ? Qu’est-ce que tu as appris pour toi-même ?
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Le responsable des aumôneries du Congo s’est adressé à l’aumônerie du Centre hospitalier universitaire de Lausanne (CHUV) pour demander une aide de compétence. J’étais moi-même formateur et, en 2008, l’association de supervision pastorale m’a mandaté pour cette mission. Moi-même, j’avais été aumônier de l’Université de Kinshasa dans les années 1970.
Cette formation d’aumôniers se fait sous forme de cours en interne dans un hôpital, avec une partie de pratique d’entretiens, de visites, de rencontres avec des malades et des membres du personnel soignant. Ensuite, on retravaille sur ces entretiens (verbatim). Une autre partie, c’est la connaissance de soi-même et de « soi-même en relation », non seulement à partir de l’analyse des visites, mais également à partir des relations dans le groupe.
Quels sont les effets de cette formation ? Les pasteurs qui suivent cette formation sont bouleversés par l’implication personnelle que cela représente. Ils voient ce qu’ils font. C’est très souvent la première fois qu’ils ont un regard extérieur, compétent et bienveillant sur eux-mêmes; en effet, ils sont eux-mêmes accompagnés par des formateurs et découvrent avec reconnaissance, par l’expérience, un type d’accompagnement qu’ils ne connaissaient pas. Ils peuvent se percevoir en vérité, dans un climat de pleine acceptation; ce qui les régénère et leur ouvrent une nouvelle potentialité. L’effet, c’est une ouverture à leurs propres ressources. Ils se découvrent comme ayant plus de possibilités qu’ils ne pensaient. C’est justement ce qu’ils vont pouvoir offrir aux malades: cet accès à leurs propres ressources et à celles que Dieu leur donne.
J’ai appris moi-même à découvrir et recevoir des ressources inattendues. J’ai pu me mettre à l’école des personnes d’autres cultures et d’horizons différents. J’ai aussi observé et expérimenté les capacités de guérison qu’il y a dans une écoute authentique. Lorsqu’une personne se sent dans une relation de confiance, elle peut accéder à ses propres douleurs et questionnements, cela la libère pour s’ouvrir à d’autres possibilités d’évolution et d’espérance.
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A partir de cette expérience, comment perçois-tu, dans leur ensemble, les besoins des personnes malades ?
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Les besoins réels ne sont pas en général ceux qui apparaissent en premier, les plus visibles. Il faut aider les malades à accéder à la conscience de leurs besoins les plus profonds. Ce besoin le plus réel, c’est peut-être de rencontrer quelqu’un qui atteste par son attitude, par sa présence, qu’ils ne sont pas abandonnés, quelqu’un qui entre dans la compréhension de ce qu’ils vivent douloureusement, sans désespérer, ni banaliser. J’évoque ici des besoins qui sont de type relationnel, ceux auxquels on peut répondre par sa qualité de présence. C’est dans ce contexte que l’accompagnement trouve son sens, sa place.
Comment cet accompagnement peut-il se réaliser ? La base, c’est la sollicitude qui est une des capacités essentielles de chaque humain. Et cela entre dans les pratiques qui sont communément inscrites sous le vocable récent de « care ». La sollicitude, c’est la chaleur humaine qui permet de se relier, d’être reconnu et de répondre à des besoins existentiels.
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Comment les chrétiens participent-ils à cette approche ?
Les chrétiens peuvent accompagner comme tous les êtres humains. Ils ont les mêmes capacités que les autres et rencontrent les mêmes risques, ce qui implique qu’ils se forment au moins autant que les autres à cette pratique. Ceci dit, ils sont appelés à transcrire dans la relation et de façon créative l’amour et l’espérance qui les habitent. Mais, en plus de transcrire, ils sont appelés à voir l’amour et l’espérance surgir au cœur de la relation.
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Jésus nous dit : « J’étais malade et vous avez pris soin de moi » (Matthieu 25.36). Comment entends-tu cette parole et sa mise en œuvre ?
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Cette parole oriente l’accompagnant vers une quête. Elle lui donne le statut d’un chercheur qui s’attend à reconnaître le visage du Christ. Je suis dans une relation fraternelle et pas dans une relation d’aide hiérarchisée. Cela m’ouvre à une attitude de serviteur plutôt que de bienfaiteur. Cette perspective que l’autre est porteur du visage du Christ, nourrit ma relation avec lui. Ainsi, je m’approche des malades comme d’un mystère précieux, saint. La parole de Jésus, au sujet de cette pratique : « Toutes les fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Matthieu 25.40), nourrit la motivation du visiteur croyant lorsqu’il visite des malades. Cette perspective nous ouvre l’accès à voir quiconque comme lieu de révélation (« le sacrement de l’autre »).
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Dans l’Evangile, Jésus guérit des malades. L’œuvre de guérison divine se poursuit aujourd’hui. Comment l’accompagnement chrétien participe-t-il à cette œuvre ?
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Le visiteur chrétien se reconnaît comme un parmi d’autres de ceux qui contribuent à la guérison. Tout progrès vers la guérison peut être perçu comme une action de Dieu. Ceci dit, sa confiance en Dieu le soutient dans son approche du malade et peut fortifier celui-ci et lui permettre de développer sa propre confiance. Il est ouvert au surgissement de vie au cours de l’accompagnement. Par ailleurs, la guérison s’inscrit dans un processus qui trouve sa pleine réalisation dans la résurrection.
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Jésus veut nous communiquer la paix. Comment l’accompagnement y contribue-t-il ?
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Lorsque Jésus parle de paix, il évoque le « shalom » qui est un terme hébreu beaucoup plus large, beaucoup plus inclusif que le mot : paix. Le « shalom », c’est l’accomplissement du projet divin de restauration de toutes choses. Toute bénédiction non seulement proclame quelque chose, mais aussi communique quelque chose de ce shalom. Un geste de paix, une parole, par exemple, sont porteurs de cette réalité. On peut en observer des effets, que ce soit au niveau immédiat d’un ressenti ou une influence plus diffuse ou à long terme : un apaisement, un soulagement, une réconciliation ou une guérison physique.
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Quel message face au poids des souffrances et des limites ?
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Pour moi, je ne mets pas l’accent sur le message, mais sur l’attitude qui, elle-même, devient message. Cela me libère de la préoccupation de savoir quoi dire ! Le message ne peut être que spécifique à la situation présente, il surgit au cœur de la rencontre.
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Comment l’accompagnement intervient-il face à la menace de la mort ?
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C’est ici que le besoin d’expérience et de formation se fait le plus sentir. Les mourants sont nos maîtres parce qu’ils nous précèdent dans l’expérience et c’est d’eux que nous avons à apprendre. Une telle formation implique que nous soyons nous-mêmes confrontés à nos propres limites et à notre mortalité afin qu’on puisse entrer avec l’autre dans sa condition, sans désespérer. Accepter sa propre impuissance qui nous permet de communier avec l’autre, redécouvrir la face d’une simple présence à l’autre qui reflète la présence du Christ : nous sommes nous-même soutenus dans ce processus par notre perspective de la résurrection.
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Dans quelle mesure les accompagnants ont-ils besoin de formation ?
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Les accompagnants ont besoin d’être eux-mêmes écoutés et accompagnés pour découvrir de l’intérieur le secret d’un tel parcours, se découvrir eux-mêmes et leurs potentialités. Ils acquièrent non seulement des compétences positives, mais découvrent aussi tous les travers dans lesquels ils peuvent tomber et comment ceux-ci peuvent être transformés en ressources.
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Dans quelle mesure l’expérience vécue par des accompagnants professionnalisés peut-elle se manifester dans la vie de tous les jours ?
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Une enquête faite auprès des stagiaires congolais, une année après cette formation, a mis en évidence chez eux un émerveillement. Ils affirment que ce qu’ils ont appris dans leurs relations avec des malades s’applique dans tous les domaines de leur vie : relation avec leur conjoint, leur famille, leurs paroissiens. Leur nouvelle capacité d’écoute a transformé leurs relations. Ils ont maintenant également davantage conscience de leurs potentialités et de celles des autres. Plutôt que de se tourner vers les manques, ils s’appuient sur leurs possibilités.
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Contribution de Jean-Claude Schwab
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(1) Jean-Claude Schwab est pasteur. Il participe activement au réseau : « expérience et théologie » et à la responsabilité du site correspondant : http://www.experience-theologie.ch/accueil/
(2) On pourra lire sur ce blog deux autres contributions de Jean-Claude Schwab : « Accéder au fondement de son existence » : https://vivreetesperer.com/?p=1295 . « Entrer dans la bénédiction » : https://vivreetesperer.com/?p=1420 .On peut aussi découvrir sur son blog, le témoignage de son activité au Congo: http://cpt-congo-projet.blogspot.ch/
par jean | Mai 13, 2025 | Vision et sens |
Reconnaitre les expériences de révélation en dehors de l’Eglise
Selon Robert K Johnston
En ce début du XXIè siècle, la recherche a commencé à mettre en évidence des expériences puissantes d’émerveillement en reprenant, pour les qualifier le terme de « awe », jadis employé pour exprimer une « crainte révérentielle » (1). Ces expériences sont vécues par des hommes et des femmes de toutes conditions, de pays différents, de convictions religieuses ou philosophiques variées. Ces expériences traduisent une reconnaissance de transcendance.
Elles pourraient et elles devraient être envisagées sous un angle théologique. A cet égard, la publication du livre de David Hay : « Something there » (2) ne faisait pas seulement apparaitre le phénomène à partir d’une collecte de données d’une grande ampleur, il en faisait ressortir la portée spirituelle. C’est un éclairage théologique sensible, documenté et argumenté que nous apporte à ce sujet le théologien Robert K Johnston dans un livre intitulé : « God’s wider présence. Reconsidering general revelation » avec un arrière-titre particulièrement significatif : « Finding God outside the church » ( Trouver Dieu en dehors de l’église ) (3). Il s’agit donc bien ici de ro-reconnaitre un phénomène souvent méconnu : la révélation divine dans de nombreuses expérience en dehors de tout cadre d’église. L’auteur : Robert K Johnston est professeur de théologie et de culture au Séminaire théologique Fuller, une faculté évangélique en Californie. Ces thèses innovantes reçoivent l’approbation d’un autre théologien évangélique enseignant dans la même faculté : Amos Yong :
« God’s wider presence » porte la dynamique de l’Esprit qui transfigure
les espaces et les temps à travers lesquelles toutes les créatures vivent, se déplacent, et ont leur existence. Un nouveau point de départ pour une réflexion théologique au XXIè siècle sur le domaine important concernant l‘expérience humaine et sa rencontre avec Dieu ». Voilà donc une importante avancée. Ce livre examine en profondeur tous les aspects de son objet .il met en évidence le phénomène, sa prise en compte ou sa méconnaissance par la théologie, la manière dont celle-ci interprète les textes bibliques à ce sujet, le renouvellement de la problématique par la théologie de l’Esprit (John V Taylor, Elizabeth Johnson, Jürgen Moltmann), la prise en compte de cette approche dans une théologie des religions. Nous nous bornerons ici à présenter la manière dont Robert K Johnston présente le phénomène et en dégage une interprétation théologique.
La plus grande révélation de Dieu
L’auteur met en évidence un travers de la théologie depuis l’époque des Lumières . Livre après livre, s’écrit comme un dialogue entre livres sur le même sujet. « Peu d’attention est prêtée à la source Originelle de leurs réflexions. Tout parait d’un second ordre…. Plutôt qu’envisager la théologie comme « connaissant Dieu », ce que quelques-uns appellent aujourd’hui « spiritualité », au cours des derniers siècles, nous avons, à la place, défini la théologie comme « une connaissance au sujet de Dieu ». Plutôt que de réfléchir sur notre expérience personnelle avec la Transcendance, nous nous sommes trop souvent dirigé vers une conviction intellectuelle fondée sur une argumentation philosophique » ( p 1-2) Cela a mené à une impasse dans le domaine de la théologie concernant la révélation générale. Aujourd’hui, le temps est venu de proposer une « théologie expérientielle, bibliquement fondée, concernant la plus grande présence de Dieu se révèlant » ( p 2).
Pour commencer, quelques histoires
« Comme la modernité touche à sa fin et que nous entrons toujours plus profondément dans la post-modernité, l’usage de témoignages de premier ordre devient de plus en plus important ». Il en va de même en théologie. Ainsi, si pour étudier la pensée théologique de Paul Tillich, beaucoup se réfèrent à sa méthode des corrélations comme une clé pour la comprendre, d’autres ont justement noté une expérience qu’il a eu étant jeune adulte et qui s’est révélée fondamentale pour sa théologie. Vivant dans l’horreur de la première guerre mondiale comme aumônier militaire sur le front, Tillich se vit accorder une permission. Retournant à Berlin, il entra pour une pause dans un musée d’art. Il vit là une peinture de Boticelli appelé : « Madone et enfant avec des anges qui chantent ».. Tillich compara l’évènement à un baptême. Il dit que l’expérience avait transformé son esprit. Il l’appela « presque une révélation ». l’ouvrant à une expérience humaine lui offrant « un analogique puissant » pour parler plus généralement de l’expérience religieuse. Il a dit que cela avait ouvert une percée. Tillich a appelé cette première expérience avec le tableau de Boticelli une « extase révélatrice » Il a écrit : « Un niveau de réalité « s’est ouvert à moi » (p 2). Robert K Johnston voit dans cette expérience primitive de la présence de Dieu par Paul Tillich une fondation pour ses réflexions théologiques ultérieures.
L’auteur nous apporte un autre exemple. On ne peut comprendre la théologie de CS Lewis sans lire son autobiographie : « Surprised by joy » (surpris par la joie). Dans ce livre, CS Lewis décrit une série d’expériences sporadiques qui sont advenues dans sa jeunesse » ( jeu, lecture, relation, écoute etc ). La lecture de « Phantasies » de George McDonald fut très importante pour lui. Ces expériences le surprirent de « joie ». Il évoque « une voix avec lui, dans ma chambre ou dans mon
corps ou derrière moi. Si elle m’avait échappé dans sa distance, elle m’échappait maintenant par sa proximité ». L’auteur commente : « Ce qui est à noter ici, c’est que ces rencontres avec le divin qui advinrent en dehors de l’Eglise et sans référence explicite à Jésus-Christ furent cruciales pour sa compréhension de la théologie » ( p 3).
Tiilich appela plus tard cette plus grande Présence de Dieu un « sentiment de préoccupation ultime »
(« feeling of ultimate concern ». Lewis parle de « joie ». L’auteur évoque également Friedrich Schleiermacher qui parle de « sentiment d’absolue dépendance « et Rudolf Otto qui décrit ses expériences comme « mysterium tremendum et fascinans » (un mytère qui est empli de crainte révérentielle et cependant attrayant »). Cependant Robert K Johnston montre que ces expériences fondatrices et transformantes ne concernent pas seulement des théologiens. Elles sont vécues aussi par des artistes.
Ces ressentis d’expériences de Révélation sont nombreux et importants
L’auteur cite de nouveaux exemples. Ainsi, « un des caractères du film d’ingmar Bergman : « Fanny and Alexander » (1982) parle des arts comme offrant des « frémissements surnaturels ». Einstein a dit à
un violoniste Yehudi Menuhim ; « Merci, monsieur Menuhim. Vous m’avez à nouveau prouvé qu’il y a un Dieu dans les cieux »…. A travers un sondage en 2000, on a trouvé que 20% des américains se tournaient vers les médias, les arts et la culture comme leur premier moyen d’expérience et d’expression spirituelles et le pourcentage a augmenté depuis » ( p 4). « Si la réalité des « médias, arts et culture » comme premier lieu de signification spirituelle dans la société occidentale est un stimulus pour reconsidérer notre théologie de le Présence révélatrice de Dieu en dehors de l’église et d’une référence directe à Jésus-Christ, nos rencontres de plus en plus fréquentes avec des adhérents d’autres religions en est un second. Qu’allons-nous faire des vues de foi et des expériences numineuses de ceux que nous rencontrons et qui ne sont pas chrétiens ? Le témoignage à une plus grande présence révélatrice de Dieu dans la vie est le témoignage de beaucoup, peut-être de la plupart des gens » ( p 4). C’est là que, pour appuyer son propos, Robert K Johnston puise dans la recherche de David Hay et Kate Hunt en Angleterre présentée depuis longtemps dans un article publié sur le site de Témoins (2). A partir d’un échantillon national en Angleterre, en 2000, tandis que seulement 10% des sondés allaient à l’église, 76% rapportaient avoir eu une expérience spirituelle de quelque manière et ces 76% rapportant une expérience spirituelle dépassait le nombre de ceux ayant une culture chrétienne. Hay et Hunt font observer que leurs résultats correspondent avec une évidence en religion comparative où on ne trouve, si il y en a, que très peu de limitations à la manière dont où et quand des moments d’éveil spirituel adviennent.
L’auteur confirme cette extrême diversité des modes d’expérience à partir de ses relations. Un tel s’est converti à Christ dans un temple bouddhiste. Tel autre a vécu une expérience de transcendance en regardant un film, tel autre en lisant Milton ( p 5)..
« Dans mon enseignement sur la théologie et les arts, c’était pour moi une expérience commune d’entendre des étudiants relater des expérience de transcendance qu’ils avaient eu regardant un film ou en lisant un livre » ( p 6).
Robert K Johnston récapitule ainsi : « Les expériences ne viennent pas seulement des arts, ni elles ne sont seulement une réponse à la rencontre de la nature, ou à la poursuite d’une bonne action. Ne pouvant être contraintes, elles viennent au hasard, mais, d’une façon persistante à travers la création, la conscience et la culture… Ce sont trois lieux de de la plus grande Présence de révélation divine » ( p 6). Q
Quelles questions à partir de ce phénomène,
Robert K Johnston, en théologien, énonce des questions soulevées par ce phénomène, auxquelles il répondra au long de son livre : « God’s wider presence ».
« Qu’allons-nous faire théologiquement des descriptions répétées de ces profondes expériences de vie qui sont comprises par les participants comme révélant Dieu ? Comment allons-nous comme chrétiens comprendre de tels moments divins qui semblent ne pas être premièrement destinés à notre salut… ( excepté, naturellement, dans le sens le plus large que toute activité de Dieu est ultimement interconnectée), mais plutôt centrés sur la grâce et la rencontre ? Comment allons-nous comprendre ces expériences théologiques de Dieu qui trouvent leurs racines trinitaires dans la pneumatologie (la théologie de l’Esprit) et non dans la christologie ? De telles expériences de révélation ne paraissent pas pouvoir être déduites par la raison humaine comme nous observons les empreintes (footprints) de Dieu dans la création bien qu’une telle déduction de trace, empreinte, vestige (que Luther appelait la connaissance naturelle) puisse avoir une validité très limitée. Non plus ces expériences sont-elles produites par un effort humain, bien qu’elles puissent être invitées et que certains aspects de la création, de la conscience et de la culture soient plus propices à leur réception ( un coucher de soleil plus qu’un parking en béton …). Non, les expériences que beaucoup considèrent comme une révélation sont plus que la réception d’un écho d’une activité passée de Dieu ou une projection humaine de ce qui est transcendanr à nous-même. Plutôt, ces rencontres avec la « awe », cette plus grande présence de la révélation divine sont toujours heureuses, quelque chose qui se tient au-delà d’un agenda ou d’une sagesse de l’homme, mais qui néanmoins a une valeur inhérente et, par moments, transformante pour ceux qui en font l’expérience » ( p 6)
Pourquoi méconnait-on la révélation de Dieu en dehors des églises ?
Autant il en a prouvé la réalité, Robert K Johnson nous montre la méconnaissance des expériences de la révélation divine. Reprenant l’expression selon laquelle « il y un pont entre le ciel et la terre, l’expérience humaine et le transcendant », Robert K Johnston écrit « Cependant les chrétiens ont largement ignoré ce pont quand il se manifestait en dehors de la communauté chrétienne et sans référence directe à Jésus-Christ. Ils ont trop souvent été méfiants vis-à-vis de la plus grande présence de la révélation divine » (7). L’auteur décrit quelques ressorts de cette attitude. Il dresse un bilan du petit nombre d’études publiées depuis cinquante ans au sujet de la « Révélation générale ».
Richard K Johnston va donc rechercher les raisons de silence : une définition trop étroite ; une compréhension biblique trop limitée ; une perception trop pessimiste de l’humanité.
« Plutôt que comprendre la Révélation générale comme toute rencontre avec le Transcendant qui advient en dehors de la communauté croyante et qui n’est pas directement en rapport avec la rédemption, beaucoup l’ont réduit à tort à un plus petit commun dénominateur, limitant la « Révélation générale » à ces vérités générales qui sont communiquées par Dieu à toutes les personnes, dans tous les temps et en tout lieu… C’est une révélation générée divinement, imposée à l’ensemble de l’humanité et impossible à éviter. Ainsi définie, la révélation général reste largement une abstraction – quelque chose que les déistes pourraient affirmer, mais qui est loin de la merveille qui est générée pour certains, par moments, à travers un coucher de soleil ou la réalité transformante d’une nouvelle naissance » ( p 9).
Une meilleure description de la révélation « générale » reconnaitrait que Dieu se révèle lui-même pas seulement à travers l’Ecriture et la communauté croyante, mais aussi à travers la création, la conscience et la culture. Voilà une meilleure manière de voir l’engagement gracieux et continu de Dieu dans et à travers l’Esprit…. Le contenu de cette révélation est bien plus qu’une simple connaissance. Plutôt que de communiquer une nouvelle information qui est ensuite ignorée, la révélation générale comprend une rencontre numineuse qui est souvent transformatrice » ( p 9).
Mieux reconnaitre l’amplitude de la présence de Dieu en dehors des cadres ecclésiaux requiert une compréhension de ka Bible plus large et plus ouverte. La lecture de ka Bible est souvent centrée exclusivement sur l’histoire du salut .
L’auteur se demande si nous ne négligeons pas certains éclairages et certains textes. « Qu’en est-il par exemple des textes de la Bible centrés sur la création ? « L’attention se porte sur certains textes, Romains 1 et 2 par exemple et moins sur d’autres comme Actes 17. « Que fait-on de certaines expériences rapportées dans les Ecritures, des expériences d’hommes et de femmes en dehors de la communauté de l’Alliance et qui ont cependant fait l’expérience de la Révélation de Dieu : Melchisedech ? Abimelech ? le roi Néco ? le roi Lémuel ? Balaam ?… Le biais de la théologie en faveur de la rédemption plus que de la création et plus vers la proposition que vers la narration est peut-être une seconde explication pour la relative pauvreté de la pensée théologique sur le révélation générale.
Une troisième cause de la méconnaissance de la révélation générale réside dans une vision pessimiste de l’humanité. « Le péché aurait tellement troubler et déformer la réceptivité humaine à la révélation divine que la révélation générale est de peu de valeur… Lorsque la révélation générale est reconnue, l’effet du péché est considéré si dévastateur jusqu’à exclure tout contribution positive de la présence continue de Dieu parmi nous…La grandeur et la gloire de Dieu ne serait plus observée par un humanité perdue… Mais est-ce que cela est vrai ? Qu’allons-nous faire du témoignage répété à la grandeur et à la gloire de Dieu que ceux en dehors de l’église rendent à Dieu, fondé sur leur expérience de la création, de la conscience et de la culture ? Comment comprendrons-nous le témoignage répété de l’humanité aux expériences de révélation d’un « mysterium » qui est simultanément « tremendum » et « fascinans » ? Comme chrétiens, comment allons-nous réconcilier notre théologie avec les expériences du numineux ou du sacré que chrétiens et non-chrétiens décrivent pareillement ?
En réponse, Robert K Johnston nous propose une approche herméneutique.
Une herméneutique théologique
Robert K Johnston rapporte « l’histoire de Galilée rapportée par Moltmann : Galilée désirait montrer les satellites de Jupiter à ses opposants. Mais ceux-ci refusèrent de les regarder à travers le télescope. Ils croyaien comme Berthold Brecht le met dans leurs bouches dans sa « vie de Galilée » qu’on ne peut pas trouver de vérité dans la nature – seulement dans la comparaison entre les textes. Et Moltmann écrit à cet égard : « Il n’y a pas de paroles de Dieu sans expérience humaine de l’Esprit de Dieu… ».
L’auteur explique que sa pensée rhéologique résulte d’un dialogue entre plusieurs sources. « Comme théologiens, nous lisons (1) le texte biblique faisant autorité, (2) de notre communauté croyante (3) à la lumière des siècles de la pensée et de la pratique chrétienne (4) comme quelqu’un nourri par une culture particulière (5) qui a un ensemble unique d’expériences. Un tel processus n’est pas linéaire comme la description peut le suggérer, mais en dialogue, avec de multiples perspectives et en continu » ( p 14). Et, récusant une herméneutique du soupçon, l’auteur appelle « une herméneutique qui inclut non seulement l’Ecriture et la tradition de l’église, mais aussi la réceptivité culturelle et nos expérience personnelles . Une conversation robuste, à double sens, est nécessaire ».
Et revenant sur le thème de sa réflexion, l’auteur précise : « C’est à travers la création, la conscience et la culture que nous pouvons observer comment Dieu agit et l’entendre parler Chaque domaine contient la possibilité d’être réellement le lieu d’une rencontre avec l’Esprit de Dieu . C’est, dans les mots de Jürgen Moltmann, une « Transcendance immanente ».
Robert K Johnston apporte un exemple de texte où deux perspectives coexistent. C’est le psaume 19. « Les cieux disent la gloire de Dieu.. » Il n’y a pas de parole, ni de mots… Cependant leur voix s’exprime à travers toute la terre Puis, à la louange de la gloire de Dieu dans la création succède la louange pour la révélation de Dieu dans la Parole, la loi ( Ps 19. 7-10) (Ps 19.1-6). Dans la première séquence, on se réfère à Elohim ; le nom générique pour le Dieu de l’univers. Dans la seconde séquence, on se réfère à Yahweh, le Dieu de la révélation à son peuple et de l’alliance avec lui. Dieu est loué à la fois comme Créateur et comme Rédempteur. ( p 16).
Une approche existentielle
Le psaume 19 s’appuie sur l’expérience. « C’est la même approche existentielle qui offre aujourd’hui le meilleur potentiel pour une théologie robuste de la Révélation générale ». Robert K Johnston va donc poursuivre sa démarche théologique dans les chapitres suivant de ce livre. Il y entendra notamment d’autres théologiens. Et c’est ainsi qu’au Chaotre 7, il consulte John V Taylor, Jürgen Moltmann et Elisabeth Johnson. « Ils l’aideront à explorer le rôle que l’Esprit joue dans la Révélation générale. C’est l’Esprit qui est la Présence révélatrice de Dieu dans le monde.. Ce n’est pas la Christologie, mais la pneumatologie ( la théologie de l’Esprit) qui inspire notre première démarche. Si nous sommes véritablement trinitarien dans notre théologie à l’égard de la révélation de Dieu au-delà des murs de l’église, sommes-nous ouvert aussi à nous mouvoir de l’Esprit à la Parole dans notre pèlerinage théologique, aussi bien que de la Parole à l’Esprit ? Et plus particulièrement, sommes-nous ouvert au témoignage de l’Esprit de Vie dans et à travers la création, la conscience et la culture aussi bien qu’à l’œuvre de l’Esprit du Christ dans la rédemption ? C’est le même Esprit » ( p 17).
C’est dans la même perspective théologique que Richard K Johnston pose la question : « Comment allons- nous comprendre la Présence révélatrice de Dieu ( God’s revelatory Presence) dans et à travers les traditions religieuses ? Ainsi esquisse-t-il, en fin de parcours, une approche de théologie des religions ( p 199-211)
Un nouvel horizon
En Grande-Bretagne, depuis plusieurs dizaines d’années, un Centre de recherche aborde les questions spirituelles à travers la recension et l’étude d’expériences spirituelles et religieuses spontanées, un soudain et passager ressenti d’unité et de reliance, d’amour et de lumière. C’est à partir de ces recherches que David Hay a pu écrite son livre pionner : « Something there » (2). Et encore récemment, un chercheur travaillant dans ce centre, Jack Hunter, a écrit un livre sur le rapport entre ces expériences et l’écologie (4). Nous sommes ici dans le champ de la création. D’autres auteurs abordent le champ de la culture. C’est le cas d’Alexandra Puppinck Bortoli dans son livre « Invitation à la spiritualité » (5) puisqu’elle s’y propose d’y aborder « les expériences sensibles que nous offrent. la poésie, la musique, la beauté, l’art, le sacré, le souffle, la lumière ». Si on voyait là l’œuvre de l ’Esprit, on pouvait s’interroger sur la manière dont ces phénomènes étaient interprétés par les théologiens. La découverte du livre de Richard K Johnston : « God’s wider presence » fut donc pour nous une belle ouverture. Il ne nous montre pas seulement la signification de ce phénomène, mais il nous apprend à y distinguer le mouvement de l’Esprit au grand large, au-delà des frontières des églises. Un de ses collègues à la Faculté Fuller, Richard Peace, résume bien l’apport du livre de Richard K Johnston : « Johnston a écrit là un livre pionnier (seminal book), un livre qui élargit grandement notre compréhension des multiples voies dans lesquelles Dieu est présent dans ce monde. « God’s Wider Presence » ouvre nos yeux nous menant aux espaces de la « awe » et nous aide à interpréter les rencontres porteuses de mystère. Il a le pouvoir de nous rendre conscient des voies jusque-là inaperçues dans lesquelles Dieu est présent dans nos propres vies » (page de couverture)
J H
- La reconnaissance de la « awe » : https://vivreetesperer.com/comment-la-reconnaissance-et-la-manifestation-de-ladmiration-et-de-lemerveillement-exprimees-par-le-terme-awe-peut-transformer-nos-vies/
- La vie spirituelle comme conscience relationnelle. La recherche de David Hay : https://www.temoins.com/la-vie-spirituelle-comme-une-l-conscience-relationnelle-r/
- Robert K Johnston. God’s wider presence. Reconsidering general revelation. Baker Academic. 2014 En présentant des extraits, notre traduction n’est pas professionnelle.
- La participation des expériences spirituelles à la conscience écologique : https://vivreetesperer.com/la-participation-des-experiences-spirituelles-a-la-conscience-ecologique/
- Invitation à la spiritualité : https://vivreetesperer.com/invitation-a-la-spiritualite/