Un chemin de guérison pour l’humanité. La fin d’un monde. L’aube d’une renaissance.

La guérison du monde, selon Frédéric Lenoir.

 

            La crise économique sème le trouble et l’inquiétude. Elle perturbe et endommage la vie de beaucoup de gens. Mais nous nous rendons compte qu’elle s’inscrit dans un désordre plus général : le bouleversement des équilibres naturels. Et, d’autre part, nous percevons combien la société et la culture changent rapidement. Nous sommes engagés dans une grande mutation. Pour avancer, nous avons besoin d’y voir plus clair, de comprendre l’évolution en cours, d’en percevoir les enjeux, et, pour cela, de faire appel à des personnalités qui puissent nous apporter une analyse et parfois davantage : une vision.

Dans cette recherche, le récent livre de Frédéric Lenoir : « La guérison du monde » (1) nous apporte un éclairage particulièrement utile qui rejoint et confirme d’autres contributions que nous avons précédemment mises en évidence et qui apporte aussi des éléments nouveaux venant prendre place dans le puzzle de notre questionnement. Bien écrit, pédagogique dans son déroulement et son exposition, remarquablement informé, ce livre intervient en complément d’autres analyses économiques ou sociologiques pour apporter un éclairage sur les voies nouvelles qui s’ouvrent à la conscience humaine dans l’évolution de la culture, de la spiritualité, de la religion. Ce livre, très accessible mais aussi très dense, ne se prête pas facilement à une présentation synthétique. En envisageant de mettre par la suite en perspective tel ou tel aspect de cette réflexion, nous voulons ici présenter l’économie générale de cet ouvrage pour en souligner l’importance et la fécondité.

Tout d’abord, quelle est l’intention de Frédéric Lenoir ? A juste raison, il voit dans la crise actuelle, « un symptôme de déséquilibres beaucoup plus profonds » (p 11). Et, en particulier, il fait allusion à la crise écologique qui est une donnée fondamentale. Nous avons besoin d’une vue d’ensemble. « Il convient de considérer le monde pour ce qu’il est : un organisme complexe et qui, plus est, atteint de nombreux maux. La crise que nous traversons est systémique. Elle « fait système » et il est impossible d’isoler les problèmes les uns des autres ou d’en ignorer les causes profondes et intriquées. Pour guérir le monde, il faut donc tout à la fois connaître la véritable nature de son mal et pointer les ressources dont nous disposons pour le surmonter… » (p 12).

 

La fin d’un monde.

 

Le livre s’ordonne ainsi en deux grandes parties : « La fin d’un monde ; l’aube d’une renaissance ».

La première partie propose un diagnostic de la maladie qui affecte notre monde : secteur par secteur, mais aussi de manière transversale en essayant de comprendre ce qui relie toutes les crises sectorielles entre elles » (p 12).

L’auteur évoque ensuite les grandes transformations en cours et l’impact qu’elles ont sur les représentations et les comportements. Il inscrit la mutation actuelle  dans une histoire de longue durée qui lui permet d’en souligner l’originalité. « L’accélération du temps vécu et le rétrécissement de l’espace qui en résulte constituent deux paramètres, parmi d’autres, d’une mutation anthropologique et sociale, aussi importante à mes yeux  que le passage, il y a environ douze  mille ans, du paléolithique au néolithique, quand l’être humain a quitté un mode de vie nomade pour se sédentariser… » (p 13). C’est à partir de ce tournant que se sont constitués les cités, les royaumes, les civilisations. Mais les modèles sociaux  hérités de cette révolution du néolithique apparaissent aujourd’hui  comme destructeurs : « coupure de l’homme et de la nature, domination de l’homme sur la femme, absolutisation des cultures et des religions ».

Les trois premiers chapitres dressent un bilan de la situation actuelle en résultante des changements récents ou plus lointains : « Des bouleversements inédits ; un nouveau tournant axial de l’histoire humaine ; les symptômes d’un monde malade ». Dans un quatrième chapitre, Frédéric Lenoir nous invite à changer de logique : « La fuite en avant est impossible. Le retour en arrière est illusoire ». L’auteur en appelle à une « révolution de la conscience humaine » dont il perçoit actuellement les prémices. « Sans un changement de soi, aucun changement du monde ne sera possible. Sans une révolution de la conscience de chacun, aucune révolution globale n’est à espérer. La modernité a mis l’individu au centre de tout. C’est donc aujourd’hui sur lui, plus que sur les institutions et les superstructures, que repose l’enjeu de la guérison du monde. Comme Gandhi l’a si bien exprimé : « Soyez le changement que vous voulez dans le monde » (p 15).

 

L’aube d’une renaissance.

 

Comment susciter des transformations sensibles dans le monde d’aujourd’hui ? Frédéric Lenoir met d’abord en évidence des « voies et expériences de guérison ».

 

Voies et expériences de guérison.

 

« Le processus de guérison du monde a un caractère holistique prononcé. Il inclut la guérison de notre planète meurtrie, celle de notre humanité malade d’injustices de toutes sortes. Elle englobe aussi la guérison de notre être, de notre personne. C’est dans l’articulation entre ces trois guérisons que nous pourrons mieux saisir les perspectives écologiques, sociales et intimes de ce que certains auteurs appellent le « réenchantement du monde », ou plutôt, selon Frédéric Lenoir, le « réenchantement de notre relation au monde » (p 119).

L’auteur nous présente des expériences significatives au service de la terre (La « démocratie de la terre » de Vandana Shiva ; la « ferme de Sekem » d’Ibrahim Abouleish ou l’agroécologie de Pierre Rabbi…) et d’autres au service de l’humanité (monnaies complémentaires et alternatives ; commerce équitable/alter eco ; finance solidaire/Muhammed Yunus et Maria Nowak ; taxe Tobin ; vitalité de la société civile mondiale ; Patrick Viveret et les dialogues en humanité ; voie non violente de Nelson Mandela et de Desmond Tutu ; diplomatie de la paix de la communauté de Sant’Egidio).

Frédéric Lenoir esquisse ensuite une présentation des pratiques et des courants de pensée qui se décrivent en terme de développement personnel en caractérisant celui-ci comme une « dynamique de sens (sur le plan des significations de la vie) et une dynamique de l’existence (sur le plan de la mise en cohérence) ». En quelques pages particulièrement bien venues, il aborde les problèmes thérapeutiques. « Aujourd’hui, la médecine occidentale prend en charge les symptômes et s’interdit de remonter aux causes premières. « L’homme se guérit comme l’automobile se répare, mais l’homme n’est pas une machine… » (p 160). En regard, Frédéric Lenoir nous présente deux itinéraires exemplaires de médecins qui sont allés au delà de leur compétence scientifique classique pour adopter une approche holistique de la maladie et de la guérison : David Servan-Schreiber et Thierry Janssen. Il met en valeur un recours croissant aux médecines complémentaires et aux médecines orientales. « Trois aspects me semblent importants dans cette optique : un regard holistique posé sur la personne ; une participation de la personne à son propre processus de guérison ; une ouverture résolue au pluralisme culturel » (p 165).

 

Une redécouverte des valeurs universelles.

 

« Aucune communauté humaine n’est viable sans un solide consensus sur un certain nombre de valeurs partagées. C’est aussi vrai d’un couple, que d’un clan, d’un parti, d’une nation ou d’une civilisation… Comme son nom l’indique, une valeur exprime « ce qui vaut ». Les valeurs manifestent donc ce qui est essentiel et non négociables chez un individu ou un groupe d’individus » (p 170). Dans son unification actuelle, l’humanité a besoin de pouvoir s’appuyer sur des valeurs communes.  Et il nous faut d’autre part compenser les méfaits d’une « occidentalisation du monde dominée par une logique mécaniste et financière » (p 169). « Il s’agit donc de construire ensemble une civilisation globale fondée sur d’autres valeurs que la seule logique marchande. Une des tâches les plus importantes à mes yeux, pour donner un fondement solide à cette nouvelle civilisation planétaire, consiste donc à reformuler des valeurs universelles à travers un dialogue des cultures » ( p 169).

Dans un chapitre sur « la redécouverte des valeurs universelles », Frédéric Lenoir apporte une belle contribution à cette entreprise. Ainsi, se démarquant d’un relativisme assez répandu, l’auteur nous dit avoir pu « observer à travers les grandes civilisations humaines la permanence ou la rémanence de certaines valeurs fondamentales ». Il en relève six : « la vérité, la justice, le respect, la liberté, l’amour, et la beauté » et il nous décrit comment ces valeurs sont perçues et vécues dans les principales cultures du monde.

Ces passages, qui s’appuient sur la vaste culture de leur auteur, sont particulièrement riches de sens et apprennent beaucoup. Cependant, Frédéric Lenoir évite le piège de l’unanimisme. Il met également en évidence les différences entre les cultures. « Les valeurs ne sont pas formulées de la même façon selon les cultures et les différences sont tout aussi importantes à souligner que les convergences. La hiérarchie entre les valeurs n’est pas non plus la même dans les différentes aires de civilisation » (p 171). Ainsi « la problématique de la liberté est particulière, car elle est le principal vecteur de la modernité. Avec l’émergence en Europe, à partir du XVIIè siècle, du « sujet autonome », c’est toute une conception des libertés individuelles qui va submerger l’Occident et donner naissance aux droits de l’homme comme principes universels » ( p 191).

Après avoir évoqué la conception traditionnelle de la liberté au sein des différentes cultures, l’auteur revient à l’affirmation massive de la liberté dans l’aire occidentale. C’est sous l’angle de l’autonomie du Sujet, de l’émancipation de l’individu à l’égard du groupe, du refus le l’arbitraire que s’est développée la thématique de la liberté en Occident » (p 201). Cette dynamique rencontre des oppositions ou des réserves dans d’autres aires culturelles qui attachent davantage d’importance au groupe, à la communauté, à la tradition. En analysant la « Déclaration universelle des droits de l’homme » rédigée en 1948 sous l’égide de l’Unesco, Frédéric Lenoir note qu’elle dépasse le cadre le la liberté pour mettre en avant d’autres valeurs comme la justice, le respect, la fraternité. « Ce lien entre liberté, égalité et fraternité est capital, car la principale critique que l’on peut adresser à l’Occident moderne, c’est d’avoir oublié l’idéal de fraternité en se concentrant aussi exclusivement tantôt sur les questions d’égalité, tantôt sur les libertés individuelles ».   (p 226). « Ce n’est pas l’individualisme contemporain qui peut être posé en modèle de civilisation » (p 233). Et, dans une perspective plus large, « ce qui pourrait contribuer à débloquer l’opposition radicale entre tradition et modernité, c’est une compréhension plus large de la liberté incluant sa dimension holistique et spirituelle et une « rejonction » entre liberté et fraternité » (p 229). L’auteur esquisse une réflexion en ce domaine en mettant en valeur l’humanisme de la Renaissance qui était profondément enraciné dans une vision spirituelle. « Dans la vision humaniste de la Renaissance, l’individu ne peut s’exprimer pleinement en tant qu’homme, réaliser son potentiel personnel que s’il demeure relié au cosmos et aux êtres humains » (p 232). De fait, cette approche s’inscrit dans une conception du monde qui a été ébranlée par la suite. Aujourd’hui, face aux effets destructeurs d’une certaine approche idéologique, la question de la représentation du monde est à nouveau posée.

 

Réenchanter le monde

 

            Frédéric Lenoir aborde cette question dans un chapitre intitulé : « Réenchantement du monde ». Ici, depuis longtemps, notre réflexion rejoint la sienne et nous pensons y revenir d’une manière plus approfondie. Ce thème nous paraît central, car avec l’auteur, nous pensons que « l’une des clés qui peut nous aider à entrevoir l’explication de la crise socio-anthropologique et écologique planétaire est la différence qui existe dans notre rapport au monde entre la conception « mécaniste » et la conception « organique » que nous en avons » (p 239).

Qu’est ce que la conception mécaniste et quelles en sont les conséquences ? « La vision mécaniste ne se contente pas de considérer toutes les réalités comme objectivables… Elle affirme que cette entreprise d’objectivation, autrement dit de quantification, cette mise en équation, est la seule voie permettant d’accéder aux significations de la réalité ». Mais cette méthode, issue notamment de la pensée de René Descartes, « offre une vision philosophique bien réductrice du réel. L’univers devient un champ de forces et de mouvements relevant de la mécanique et l’être humain se réduit à l’individualisme utilitaire… » (p 240). La plupart des problèmes évoqués dans ce livre résultent d’une vision mécaniste du monde et de son application dans les différents champs de l’activité humaine. Ainsi, « la crise environnementale en est l’expression la plus frappante. On a oublié que la Terre est un organisme vivant, reposant sur des équilibres extrêmement subtils que l’on a violenté à des fins productivistes… Dans le domaine médical, l’attrait de plus en plus marqué pour les approches orientales et complémentaires n’illustre-t-il pas l’impasse d’un certain réductionnisme qui tend à réduire la personne malade à une machine corporelle déréglée avec ses pannes à réparer et ses pièces à changer… Et la crise religieuse planétaire que l’on observe n’est-elle pas elle-même le symptôme de l’essor du réductionnisme dans la compréhension du sacré, du rituel et du spirituel… » (p 240).

 

Face à la conception mécaniste, philosophie dominante en Occident depuis deux siècles, « il existe un grand courant philosophique transversal, des grecs aux romantiques en Occident, en passant par l’Inde, la Chine, le bouddhisme, le chamanisme, la mystique juive et musulmane qui offre un tout autre regard sur le réel » (p 241). Pour ce courant de pensée, auquel adhère Frédéric Lenoir, « la réalité n’est pas une machine, elle est essentiellement un organisme » (p 241). L’auteur décline les formes successives dans lesquelles le courant de pensée organique s’est manifesté.

Ainsi décrit-il la « sympathie universelle » selon laquelle « le monde qui nous entoure est pénétré en tous ses lieux par un principe de cohésion, de mouvement et de vie », conception répandue dans la sagesse de l’antiquité gréco-romaine, mais aussi dans d’autres sagesses : indiennes, chinoises, africaines, amérindiennes (p 240-243).

Puis, face à la logique mécanique qui s’est développée en Occident, à la fin du XVIIIè siècle, un vaste courant philosophique et artistique visant à renouer avec une conception organique de la nature : le Romantisme, est apparu. Dans cette mouvance, la « Naturphilosophie » est la science des romantiques allemands, une manifestation de l’alternative au scientisme. On y évoque « l’Ame du monde » (l’« anima mundi » des Anciens). C’est un concept qui permet de dépasser le dualisme cartésien entre objet et sujet, transcendance et immanence. « Il fait aussi écho, dans un nouveau contexte, à la présence divine (Shekina) dans le judaïsme et aux énergies divines dans le christianisme… » (p 246). Dans la même approche, le « transcendantalisme » américain (H D Thoreau, R W Emerson, W Whitman) articule le plus souvent quête spirituelle, vision cosmique et humanisme. La  contre culture américaine des années 60 ira puiser dans ces ressources, ainsi que dans la culture de l’Orient.

 

Plus récemment, mais depuis plusieurs décennies, des transformations interviennent au cœur même de la science.

« La science et le regard philosophique qui l’accompagne ont été totalement bouleversé au cours du XXè siècle, rendant caduque la vision réductionniste et mécaniste du réel » (p 253). L’émergence, entre le dernier tiers du XIXè et le premier tiers du XXè siècle, des géométries non euclidiennes, des relativités restreintes et générales, de la mécanique quantique, de la thermodynamique du non-linéaire, des mathématiques non standard, etc, a conduit à un changement majeur touchant la plupart des grandes disciplines. Il a abouti à la déconstruction de l’appareil conceptuel de la science moderne hérité du paradigme mécaniste et réductionniste cartésien » (p 255). La révolution intervenue en physique à la suite de l’apparition et du développement de la mécanique quantique entraîne une révolution conceptuelle qui transforme notre conception du monde et se manifeste en termes philosophiques. Elle encourage la « trandisciplinarité ». Frédéric Lenoir expose comment les pensées ont cheminé et se sont rencontrées.

 

Se transformer soi-même pour changer le monde.

Cet ouvrage se conclut par un chapitre : « Se transformer soimême pour changer le monde ». Cette affirmation est explicite et compréhensible. Frédéric Lenoir nous fait part de sa conviction en l’accompagnant d’une argumentation convaincante : « C’est quand la pensée, le cœur, les attitudes auront changés que le monde changera » (p 268). Et il dénonce « trois poisons » qui intoxiquent littéralement l’esprit humain.  « Ces poisons ne sont pas nés de la modernité ; Ils ont toujours été à l’origine des problèmes auxquels ont du faire face les sociétés humaines. Cependant, le contexte de l’hyper-modernité et de la globalisation les rend encore plus virulents, plus destructeurs. Bientôt peut-être annihilateurs. Ces trois poisons sont la convoitise, le découragement qui débouche sur l’indifférence passive, et la peur » (p 269). En réponse, trois sous-chapitres : De la convoitise à la sobriété heureuse ; du découragement à l’engagement ; de la peur à l’amour.

Puisque l’affirmation de l’individu est au cœur de la société moderne, on peut s’interroger sur la manière dont elle s’exerce. Frédéric Lenoir nous montre une évolution dans la manifestation de l’autonomie en distinguant trois phases successives : l’individu émancipé, l’individu narcissique et l’individu global. « Dans cette dernière phase, nous assistons depuis une quinzaine d’années à la naissance d’une troisième révolution individualiste ». Différents mouvements convergents qui témoignent d’« un formidable besoin de sens : besoin de redonner du sens à la vie commune à travers un regain des grands idéaux collectifs, besoin de donner du sens à sa vie personnelle à travers un travail sur soi et un questionnement existentiel. Les deux quêtes apparaissent souvent intimement liées » (p 289). Frédéric Lenoir appelle à un nécessaire rééquilibrage : « De l’extériorité à l’intériorité. Du cerveau gauche au cerveau droit. Du masculin au féminin ».

 

Frédéric Lenoir envisage la guérison du monde comme « un processus dans lequel il faut résolument s’engager pour inverser la pente actuelle qui nous conduit au désastre ». « Un chemin long et exigeant, mais réaliste. Il suffit de le savoir, de le vouloir et de se mettre en route, chacun à son niveau. Tel est l’objectif de ce livre : montrer qu’un autre état du monde est envisageable, que les logiques mortifères qui dominent encore ne sont pas inéluctables, qu’un chemin de guérison est possible » (p 306).

 

Commentaire.

 

En ouvrant ce livre, je savais la qualité de son auteur, mais je ne m’attendais pas à y trouver une synthèse aussi accomplie sur les caractéristiques de la crise du monde actuel et un ensemble de voies pour y remédier. Dans les analyses comme dans les propositions, mes pensées se sont croisées avec celles de l’auteur en les rejoignant souvent. Et par ailleurs, il y a également une proximité entre les sources bibliographiques auxquelles il se réfère et celles que je fréquente et mentionne souvent, avec des différences parfois en fonction de la spécificité de chaque itinéraire. Et par exemple, dans le rapprochement entre science et spiritualité, j’apprécie l’œuvre pionnière de Jean Staune qui s’exprime notamment dans une remarquable synthèse : « Notre existence a-t-elle un sens ? » (2). Ou bien, j’aime évoquer l’œuvre qui s’est accomplie en faveur de la paix et de la réconciliation au Centre de Caux en Suisse et qui se poursuit aujourd’hui à l’échelle internationale dans l’association : « Initiatives et changement » dans un esprit associant changement personnel et action collective : « Changer soi-même pour que le monde change » (3).

Comme le récent livre de Jean-Claude Guillebaud : « Une autre vie est possible » (4) que j’ai particulièrement apprécié et dont le déroulé et le contenu me paraissent assez proche du livre de Frédéric Lenoir,  celui-ci s’adresse à un vaste public très divers dans ses options philosophiques et religieuses. Dans ce commentaire, j’interviendrai donc sur un registre plus spécifique en rapport avec ma conviction chrétienne.

A mon sens, ce livre interpelle une partie du monde chrétien qui, d’une façon ou d’une autre s’est accommodé de la conception mécaniste,  dont Frédéric Lenoir fait mention. Les sociologues américains évoquent parfois cette conception en terme de « moderne ». Ainsi, pendant longtemps, des églises ont été largement réfractaires à la pensée écologique. Et d’autre part, la conception « mécaniste » peut s’allier également à une méfiance vis à vis des cultures orientales pour aboutir à un rejet de la conception organique dans certaines de ses manifestations comme les médecines holistiques. La lecture du livre de Frédéric Lenoir  contribue à la compréhension de certains blocages. Et, par exemple, dans les origines de ceux-ci, il n’y a pas seulement les craintes du présent, mais aussi l’héritage d’un passé fort ancien. Ainsi les propos de Frédéric Lenoir sur les séquelles de la culture du néolithique : forte hiérarchisation et domination de l’homme sur la femme, éclaire les pesanteurs de certaines organisations ecclésiales. C’est dire qu’une réflexion théologique est indispensable pour éclairer les représentations et permettre leur évolution.

Les maux qui affectent l’humanité sont anciens, mais aujourd’hui, on a conscience que le monde est menacé. Dans une perspective chrétienne inspirée par une théologie de l’espérance, la guérison du monde s’inscrit dans l’œuvre d’un Dieu créateur et sauveur qui, à partir de la victoire du Christ sur le mal, à partir de sa résurrection, a engagé un processus vers la réalisation d’une seconde création où Dieu sera tout en tous.  Nous sommes appelés à reconnaître cette œuvre et à y participer.

La réponse théologique à nombre de problèmes évoqués par Frédéric Lenoir se trouve, pour moi, dans l’œuvre de Jürgen Moltmann (5), un grand théologien qui nous présente un Dieu relationnel à la fois transcendant et immanent, et qui, considérant l’œuvre de l’Esprit de Dieu, « l’Esprit qui donne la vie » (6) a pu écrire « un traité écologique de la création » (7). Et, de même, dans la foulée de la pensée prophétique juive et de la dynamique de la résurrection du Christ, auteur d’une théologie de l’espérance, Moltmann nous invite à regarder en avant, accueillant ainsi le processus de la guérison du monde.

J’ai mis l’accent, à plusieurs reprises, sur l’importance de la contribution de Frédéric Lenoir. Les convergences dans nos orientations de recherche s’expriment notamment dans un certain nombre d’articles publiés sur la toile (8). Ce livre : « La guérison du monde » nous apporte une pensée originale et dynamique, appuyée sur des sources bibliographiques fiables, présentée avec beaucoup de pédagogie et en des termes accessibles à un vaste public . C’est dire que ce livre me paraît un outil particulièrement utile pour la réflexion sur le monde d’aujourd’hui et le rôle que nous pouvons jouer dans « un chemin de guérison ».

 

J H

 

(1)               Lenoir (Frédéric). La guérison du monde. Fayard, 2012. Frédéric Lenoir, docteur en sciences sociales, philosophe et écrivain, auteur de nombreux livres, est directeur du «Monde des religions ».  On trouvera un aperçu de son parcours sur wikipedia. http://fr.wikipedia.org/wiki/Frédéric_Lenoir

(2)               Staune (Jean). Notre existence a-t-elle un sens ? Une enquête scientifique et philosophique. Presses de la Renaissance, 2007.  Voir : http://www.temoins.com/culture/notre-existence-a-t-elle-un-sens.html

(3)               Initiatives et changement. Réconcilier les différences. Créer la confiance. Site : http://www.fr.iofc.org/

(4)               Guillebaud (Jean-Claude). Une autre vie est possible. Comment retrouver l’espérance ? L’iconoclaste, 2012. Mise en perspective : https://vivreetesperer.com/?p=937

(5)               Mise en perspective de la vie et de la pensée de Jürgen Moltmann s’après son autobiographie :  Moltmann (Jürgen). A broad place. SCM Press, 2007 http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=695   La pensée théologique de Jürgen Moltmann est présentée sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » http://www.lespritquidonnelavie.com/

(6)               Moltmann (Jürgen). L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999

(7)               Moltmann (Jürgen). Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1988. Une présentation : « Dieu dans la création » http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=766

(8)               Quelques mises en perspective en rapport avec le thème de ce livre : « La vie spirituelle comme une « conscience relationnelle ». Une recherche de David Hay sur la spiritualité d’aujourd’hui » http://www.temoins.com/etudes/la-vie-spirituelle-comme-une-conscience-relationnelle-.-une-recherche-de-david-hay-sur-la-spiritualite-aujourd-hui.html                      « La dynamique de la conscience et de l’esprit humain. Un nouvel horizon scientifique d’après le livre de Mario Beauregard : « Brain wars » http://www.temoins.com/etudes/la-dynamique-de-la-conscience-et-de-l-esprit-humain.-un-nouvel-horizon-scientifique.-d-apres-le-livre-de-mario-beauregard-brain-wars.html  « Quel regard sur la société et sur le monde ? Le retour de la solidarité en sciences humaines » https://vivreetesperer.com/?p=191 « Vers une civilisation de l’empathie. A propos du livre de Jérémie Rifkin : apports, questionnements et enjeux » http://www.temoins.com/etudes/vers-une-civilisation-de-l-empathie.-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkin.apports-questionnements-et-enjeux.html  « La bonté humaine. Est-ce possible ? La recherche et l’engagement de Jacques Lecomte » https://vivreetesperer.com/?p=674  « Les créatifs culturels. Un courant émergent dans la société française » http://www.temoins.com/enqu-tes/les-creatifs-culturels-.-un-courant-emergent-dans-la-societe-francaise.html   « Une nouvelle manière d’être et de connaître. La révolution internet d’après Michel Serres : « Petite Poucette » https://vivreetesperer.com/?p=820  « Vers une nouvelle médecine du corps et de l’esprit. Guérir autrement. D’après Thierry Janssen : « La solution intérieure » http://www.temoins.com/developpement-personnel/vers-une-nouvelle-medecine-du-corps-et-de-l-esprit.guerir-autrement.html  « Médecine d’avenir. Médecine d’espoir. « La médecine personnalisée » d’après Jean-Claude Lapraz » https://vivreetesperer.com/?p=475  « L’invention du monde. Approche géographique de la mondialisation par Jacques Lévy » http://www.temoins.com/etudes/linvention-du-monde/toutes-les-pages.html  « Vers une modernité métisse. « Le commencement du monde » selon Jean-Claude Guillebaud » http://www.temoins.com/societe/vers-une-modernite-metisse-le-commencement-d-un-monde-selon-jean-claude-guillebaud.html   « La crise religieuse des années 60. Quel processus pour quel horizon, d’après l’historien : Hugh McLeod » http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=766 « Quel horizon pour la foi chrétienne ? « The future of faith » par Harvey Cox » http://www.temoins.com/publications/quel-horizon-pour-la-foi-chretienne-the-future-of-faith-par-harvey-cox.html  « La montée d’une nouvelle conscience spirituelle. D’après le livre de Diana Butler Bass : « Christianity after religion »  http://www.temoins.com/etudes/la-montee-d-une-nouvelle-conscience-spirituelle.-d-apres-le-livre-de-diana-butler-bass-christianity-after-religion.html  « Vivre en harmonie avec la nature. Ecologie, théologie, spiritualité, d’après Jürgen Moltmann » https://vivreetesperer.com/?p=757   « L’avenir de Dieu pour l’humanité et pour la terre d’après Jürgen Moltmann : « Sun of rigteousness, arise ! God’s future for humanity and the earth »  http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=798

Quelle espérance ?

Un espoir pour l’avenir humain

Le Royaume de Dieu en train de venir.

Selon quel horizon vivons-nous ? Réduisons-nous plus ou moins notre vision à notre condition présente jusqu’à ce que nous passions à un autre état ? Ou nous sentons-nous en marche vers un univers nouveau où Dieu sera tout en tous ? En route dans le Royaume de Dieu, percevons-nous l’œuvre de l’Esprit en nous, autour de nous et dans le monde ? Comment faisons-nous la relation entre  l’œuvre vivifiante de l’Esprit et notre présence dans le monde ? Vivons-nous plus ou moins sur la défensive dans un monde relativement clos ou, au contraire, avançons nous librement et avec empathie dans un espace ouvert en sachant que l’Esprit de Dieu nous conduit dans l’espérance ?

« Puisse le Dieu de l’Espérance vous remplir de toute joie et toute paix dans la foi, de telle manière que, par la puissance du Saint Esprit, vous puissiez abonder en espérance, écrit Paul aux Romains (Romains 15-13).

Jürgen Moltmann nous montre combien cet accent est original, unique parmi les différentes religions. « Nulle part ailleurs dans le monde des religions, Dieu est ainsi associé à un espoir humain pour l’avenir… Le futur est un élément essentiel de la foi, qui est spécifiquement chrétien. C’est la foi de Pâques.. La foi signifie vivre dans la présence de Christ ressuscité et nous mouvoir dans le Royaume de Dieu qui vient. Notre expérience de la vie quotidienne prend place dans une attente créative de Christ en train de venir. Nous attendons et nous avançons, nous espérons et nous endurons, nous prions et observons, nous sommes à la fois patients et curieux. » (p. 87-88).

 La vision chrétienne de l’espérance nous parle de Jésus-Christ et de l’avenir qu’il nous ouvre. A ce point, il est important d’avoir une juste représentation. « Si nous parlons uniquement de la « seconde venue » du Christ, le présent est vide et tout ce qui nous est laissé est d’attendre quelque jugement final… Mais si nous parlons de Christ qui vient, il est déjà  dans le processus de venir, et, dans la puissance de l’espérance, nous nous ouvrons nous-même aujourd’hui avec tous nos sens aux expériences qui marquent sa venue » (p. 89).

 Ce sont des « paraboles du royaume de Dieu en train de venir » (p.92). Nous pouvons connaître déjà ici et maintenant quelque chose de la guérison et de la nouvelle création de toutes choses que nous attendons dans l’avenir. Dans son royaume, Dieu commence à se manifester sur la terre »

Et si nous partagions notre regard sur ce que nous percevons de l’œuvre de Dieu dans le monde d’aujourd’hui ?

 J. H.

        

Source :

Jürgen Moltmann. In the end…the beginning. Fortress Press, 2004

Chapitre : The living power of hope. p. 87-95

Ce livre vient d’être traduit en français : Jürgen Moltmann. De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance. Empreinte, 2012

 

Le texte intégral : www.laparolequidonnelavie.com

Une vie intérieure qui croît et que rien ne peut détruire

Face à un danger d’accident, une expérience rapportée par Odile Hassenforder (« Sa présence dans ma vie »).

 

Quelques années après la transformation engendrée par le vécu d’une guérison dans l’Esprit et accompagnée par une lecture régulière et inspirée de la parole biblique, Odile nous rapporte l’expérience d’un risque d’accident et les sentiments et les pensées que cet incident a suscité en elle.

En Christ, son être intérieur est désormais en sûreté, dans un ressenti d’intégrité et de confiance. Elle constate également les effets de sa fréquentation des textes bibliques dans l’inspiration de l’Esprit. «La Bible n’est pas une simple histoire à comprendre intellectuellement ou à adopter comme modèle de conduite. C’est beaucoup plus que cela et autre chose… J’ai découvert qu’elle est semence. Je demande à L’Esprit de faire germer cette semence en moi. Je n’en vois les fruits que lorsqu’il y a corrélation avec la réalité concrète… Je réalise l’importance pour moi de me laisser imprégner par les Ecritures pour devenir ce sarment accroché à la vigne dont Jésus est le cep… ».       

 

La nuit est noire. Il pleuvait…

 

La nuit est noire. Il pleuvait. Un chapelet de feux rouges devant moi. Je suis emportée dans le flot des voitures. Il est tard et l’étape est encore loin.

Je regarde le compteur : 140. J’ai un coup au cœur. Une angoisse m’assaille. Un moindre incident, un petit coup de volant pour éviter une pierre ou une voiture qui change de file et j’envoie la famille dans les décors. En un éclair, j’envisage le pire : un enfant qui peut rester orphelin. Tout en prenant instinctivement une allure plus raisonnable, une conviction intérieure m’apaise. J’ai confié mon fils au Seigneur, j’ai confiance : il ne sera pas « cassé ». Cette expression voulait dire pour moi qu’il ne connaîtrait pas, comme je l’avais connue, la destruction de l’être, car Dieu est en lui. Même orphelin, il aurait cette vie intérieure qui le ferait rebondir.

 

Plus rien ne peut m’atteindre. Le Seigneur ne m’abandonne pas

 

Cette conviction m’a tellement imprégnée qu’elle fait partie de mon être : la vie, qui, malgré les apparences visibles, ressurgit pour demeurer éternellement. Je reconnais là que la Parole de Dieu est bien une semence qui a poussé sans que j’y prenne garde, jour et nuit, et qui, à cet instant, porte ses fruits. Au moment de l’événement, il ne m’est pas revenu à l’esprit telle ou telle parole de Jésus en tels versets bibliques, mais une réalité intérieure imprégnée en moi. J’étais dans l’état d’esprit du salut éternel apporté par Jésus. Plus rien ne peut m’atteindre. Le Seigneur ne m’abandonne pas moi et ma maison.

 

La Bible est une semence. Je demande à l’Esprit de faire germer cette semence en moi…

 

         Ainsi la Bible n’est pas une simple histoire à comprendre intellectuellement ou à s’imprégner comme modèle de conduite. C’est beaucoup plus que cela et autre chose. Avant d’avoir découvert l’action de l’Esprit en moi, je cherchais dans les évangiles, que j’avais lus en entier, une conduite à suivre. Je m’appliquais à suivre une morale qui me paraissait supérieure aux conduites humaines. C’était une nourriture extérieure à moi que j’essayais de digérer au mieux. J’ai découvert depuis qu’elle est semence. Je ne comprends pas toujours, mais avant de lire les Ecritures, je me mets en état de réceptivité. Je demande à l’Esprit de faire germer cette semence en moi. Je n’en vois les fruits que lorsqu’il y a une corrélation avec la réalité concrète que je vois. Il y a alors expérience de la vie de Dieu en moi. Il peut se passer des mois, des années entre telle lecture et la réalisation de sa signification. Elle devient signifiante pour moi à l’expérience. Dans ce laps de temps, la graine a germé sans que je m’en aperçoive.  Elle devient un arbre qui peut porter ainsi beaucoup de fruits. C’est pourquoi je réalise l’importance pour moi de me laisser imprégner par les Ecritures pour devenir ce sarment rattaché à la vigne dont Jésus se dit la plante. « Je suis la plante de vigne, vous êtes les branches. Celui qui demeure uni à moi et à qui je suis uni, porte beaucoup de fruit (le fruit de l’Esprit), car vous ne pouvez rien faire sans moi » (Jean 15.5). Cette union à Jésus, pour moi aujourd’hui, se réalise dans la lecture des Ecritures qui deviennent signifiantes à l’événement vécu antérieurement ou ultérieurement, dans la prière qui est don de soi, réceptivité et louange, et enfin dans la vie qui est parfois interrogation, attente de signification, parfois vision du sens vital.

 

Odile Hassenforder

 

Ce texte est extrait d’un chapitre du livre : « Sa présence dans ma vie » (p 47-48) : Hassenforder (Odile). Sa présence dans ma vie. Empreinte, 2011. Ce livre a été présenté sur le site de Témoins : http://www.temoins.com/evenements-et-actualites/sa-presence-dans-ma-vie.html. Le témoignage et la pensée d’Odile Hassenforder apparaissent dans plusieurs articles de ce blog.

Une expérience. Un regard transformé

Visiter des expositions d’art

Geneviève aime visiter des expositions d’art.

« J’aime beaucoup me donner le plaisir de prendre le temps d’entrer dans l’univers sensible d’un artiste. Quand j’ai du temps, je vais voir les grandes expositions qui suscitent beaucoup d’entrées, mais aussi les petits musées intimes où il y a plus de silence et de possibilité de se concentrer. C’est une visite. C’est une rencontre, une concentration sur l’œuvre de quelqu’un, sur l’œuvre d’une personne particulièrement sensible qui a une manière à elle de regarder le monde.

Je suis intéressé par son regard. C’est très net dans les expositions de photos. Je suis émerveillé par le regard du photographe  qui sait voir dans des choses humbles, la beauté des choses simples.

Récemment, j’ai été très impressionné par la visite d’une grande exposition de photos du photographe coréen, Ahae, qui avait pour titre : « De ma fenêtre », parce que ce sont des photos multiples de ce qu’il a vu du paysage qui l’environne sans jamais quitter sa propre fenêtre. Sa maison est entourée d’arbres, d’étangs, de chemins. On voit donc la nature de près et de loin, sous différentes lumières, sous la neige, au soleil, à travers les saisons. Et dans ce monde immobile, on voit les habitants de cet espace : des biches, des oiseaux, des papillons.  Cette précision du regard nous invite, d’une certaine manière, à regarder notre environnement avec la même précision.

Je suis également stimulée par les expositions de peinture. Durant ces derniers mois, j’ai vu ainsi au Louvre l’exposition des visages de Jésus par Rembrandt. Je suis toujours saisi par le regard du Christ, et le regard du Christ qui est en face de nous. J’ai été frappée par ce que me disait une amie artiste. Ce n’est pas seulement nous qui regardons le visage. C’est le visage qui nous regarde . C’est un véritable échange. Mais il faut savoir rester longtemps devant une œuvre. C’est justement ce qui m’intéresse. C’est l’idée de prendre son temps. Contempler une œuvre, c’et se laisser habiter par cette œuvre. On ne peut pas seulement passer. L’artiste nous fait un formidable cadeau.

J’ai vu également au Louvre la peinture de Léonard de Vinci : Sainte Anne, qui m’a touché par son humanité.  Pour moi, c’était comme lire une page d’évangile. J’ai visité aussi l’exposition  Mondrian. C’est un artiste qui, dans un  premier temps, peint des arbres. Petit à petit, par une sorte d’exigence intérieure, il arrive à un degré d’abstraction qui est, en même temps, une quête de perfection. Cela m’intéresse de voir l’évolution d’un peintre.

Lorsque je sors d’une exposition, je suis toujours étonnée de voir comme mon regard a été, en quelque sorte, purifié parce que j’ai reçu de l’artiste, l’expression de son regard sensible et je suis ainsi invitée à être plus attentive au monde qui m’entoure, à sa singularité. Cela m’aide à sortir d’une sorte de passivité et à me réjouir de la beauté du monde. C’est pour cela que j’aime tant voir des expositions, feuilleter des livres d’art, voir des films d’art aussi. C’est pour moi une sorte de démarche spirituelle. Je la vis quelquefois avec des ami(e)s parce que le regard de l’autre m’intéresse toujours.

Contribution de Geneviève Patte.

Les malheurs de l’histoire. Mort et résurrection

Des fleurs tapissent un coin de la vieille tranchée

La charge des coquelicots monte sur la colline

Des corbeaux noirs croassent sur les champs dépeuplés.

 

Souvenirs du passé, force d’un renouveau

Le vent de la forêt berce le cimetière

Et des enfants s’en vont sur les chemins boisés.

 

Pourquoi étions-nous jeunes au temps de la grande guerre.

Nous sommes née trop tôt et avons tout perdu

Dans le brouillard sombre et le bruit des obus.

Fêtes de la victoire, discours éparpillés un jour par année

Ne nous rendrons jamais les beaux draps blancs que nous avons quittés.

La vue d’un peuplier qui miroite au printemps

L’amour d’une femme, le sourire d’un  enfant.

 

Comme l’orage qui vient est sillonné d’éclairs

Comme la tempête arrache pièce à pièce notre vieille toiture,

Comme le flot débordant emporte la bonne terre

Et comme le tonnerre qui toujours retentit

Porteur de la grêle et de son clapotis,

O guerres maudites, vous parsemez l’histoire

Et quand la guerre finit

Voilà comme une vague du fond de l’océan

La sombre épidémie et ses halètements.

Pourquoi étions-nous jeunes au temps de la variole ?

Nous sommes nés trop tôt au vent du choléra.

 

Pensez à nos chemins, hommes des temps modernes,

Notre passé vaut bien vos lendemains.

Vous tenez votre vie de nos frêles amours

Les tours des cathédrales dominent encore vos cours.

Pourtant étions démunis de ce qui aujourd’hui affranchit votre vie.

 

O temps de l’avenir, brillante cité terrestre,

A quoi servirait-il que nous te construisions

Si nos yeux devaient à jamais mourir

Et dans les cimetières nos corps pourrir

Comme tous ceux-là qui sont morts avant nous ?

 

La foule immense désarmée, massacré par le temps

Défile devant nos yeux comme l’avenir de nos plans

Et même si demain ils se réalisaient

Alors ne pourrions oublier vos souffrances et vos plaies.

 

A quoi serviraient-ils les lendemains qui chantent

Si tous vos cimetières recouvraient la terre ?

A quoi servirait donc la roue de la technique

Si pour toujours vos cris étaient des cris

Et vos pleurs des pleurs ?

 

Dans le désert d’un infini et dans le poids du temps

Planète d’entre milliers au sein du firmament

Le murmure de la vie s’est fait appel.

A quoi bon le festin et à quoi bon la fête

Si demain est la mort et la mort demain ?

 

Présence salutaire, vivante Eternité,

A nos cœurs douloureux envoie un Messager

Un murmure secret a réveillé nos cœurs,

Partie d’un coin de terre est venue l’Espérance

Comme une onde, atteint les plus lointains rivages,

A travers les siècles, à travers le temps, sans cesse se propage.

 

C’est la bonne nouvelle, la seule décisive

Résurrection du Christ, résurrection des morts

Et puisqu’en attendant, il faut que l’homme vive

Et que tombent les écailles de nos déchirements

Présence de l’Esprit, renouveau de la terre, résurrection des vivants.

 

J H

 

Ce poème, en forme de cri, a été écrit, il y a des années. C’est une question lancinante qui est toujours là. En regard, un théologien, Jûrgen Moltmann, qui a vécu l’enfer du bombardement de Hambourg en 1943, a trouvé le chemin pour nous dévoiler la puissance infinie de Dieu à l’œuvre pour libérer les vivants et les morts, pour nous délivrer du mal.

 

Délivre-nous du mal !

Jürgen Moltmann entend et se fait le porte parole de tous ceux qui ont souffert de la violence et de l’injustice. Il y a dans ce monde, un grand cri, une grande demande de justice. « S’il n’y avait pas de Dieu, qu’arriverait-il à ceux qui ont faim et soif de justice dans ce monde ? » (p.61).

Ainsi,  les différentes séquences de la Bible nous montre comment Dieu vient à notre secours, apporte la justice, nous rend juste.

A travers la résurrection de Jésus-Christ, l’histoire change de visage. A la croix, Jésus devient le compagnon de tous ceux qui se sentent abandonnés de Dieu. Il libère les hommes du péché et de la culpabilité. « A travers la puissance de vie de sa résurrection, Il entraîne à la fois les victimes et les persécuteurs dans une relation juste avec  Dieu et les uns avec les autres. Dans cette loi de vie nouvelle, ils peuvent vivre, car elle s’étend à la fois aux vivants et aux morts et met fin aux revendications du mal » (p.76). Nous voici engagés dans un immense processus. « La création nouvelle de Dieu apparaît déjà aujourd’hui au milieu d’un monde encore marqué par la mort. Elle sera accomplie quand, en Christ, « le Royaume sera remis à Dieu » et qu’ainsi le but sera atteint et que Dieu sera tout en tous » (1 Cor 15.28).

 

J H

 

Source : Les malheurs de l’histoire. Délivre-nous du mal. Présentation de la pensée de Jürgen Moltmann sur le site : l’Esprit qui donne la vie http://www.lespritquidonnelavie.com/? p=702

« Délivre-nous du mal. La justice de Dieu et la renaissance de la vie », p 71-98. In : Jürgen Moltmann. De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance. Empreinte, 2012.

Plus largement, « L’espérance des chrétiens n’est pas une espérance exclusive ou particulariste, mais une espérance inclusive et universelle en la vie qui surmonte la mort ». Voir : « La vie par delà la mort » sur le site : « L’Esprit qui donne la vie ». http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=822