Une nouvelle manière d’être et de connaître / 4

Un regard nouveau pour un monde nouveau

« Petite Poucette » de Michel Serres.

On mesure, à la lecture de ce compte-rendu l’importance que nous accordons à ce livre. En effet, en présence d’une réalité qui change, il nous aide à changer notre regard. Mais il ne s’agit pas d’un  changement limité. De fait, nous sommes engagé dans une mutation qui induit et requiert une révolution mentale. Michel Serres est un bon guide, car il n’est pas seulement un bon observateur, mais aussi un épistémologue, connaisseur des méthodes et des résultats de la science. Ce livre est aussi le fruit d’une aptitude à la sympathie. Il sait voir avec le cœur. Et c’est pourquoi, en communion avec Petite Poucette, il est capable de regarder vers l’avenir et donc d’en percevoir la venue. Certes, on peut s’interroger sur telle ou telle proposition, mais il y a dans ce livre une dimension épique qui suscite l’émerveillement. Aussi, cette pensée interpelle les acteurs dans différents champs d’activité.

Dans bien des domaines, nous sommes confrontés aux blocages et aux résistances des mentalités. Combien le monde de l’école est encore loin aujourd’hui de l’horizon qui s découvre à travers le livre de Michel Serres.  En politique, il y a bien quelques figures pionnières qui évoquent la démocratie participative et l’intelligence collective.  On pense, par exemple, à Ségolène Royal. Il y a un long chemin à parcourir.

Et, dans le domaine religieux, combien les institutions sont encore, pour la plupart, modelées par l’héritage du passé : hiérarchie descendante de haut en bas, sacralisation des formulations, communication asymétrique. La mentalité patriarcale est encore prégnante. Alors, là aussi des voix  s’élèvent pour libérer le message  de vie porté par l’Evangile, de la gangue religieuse dans lequel il est trop souvent enfermé. On entend bien Michel Serres lorsqu’il évoque : « l’intuition novatrice et efficace » (p 25) par delà l’encombrement des connaissances. Les formulations rigides, répétitives, impératives, sans lien avec la vie et enfermées sur elles-mêmes sont de plus en plus contestées. Un nouvel entendement apparaît et se répand. Ainsi, aux Etats-Unis, Diane Butler Bass vient de publier un livre sur « Le christianisme après la religion » (1). Elle met en évidence les effets pervers des dogmatismes et elle met en évidence le développement d’une « foi expérientielle »  Cette valorisation de l’expérience ne rejoint elle pas celle de l’intuition ? On peut évoquer ici la démarche pionnière du théologien Jürgen Moltmann. Dès les années 1970, il a écrit un livre intitulé « Le Seigneur de la danse » (2). Ce livre nous parle de jeu et de liberté. Il évoque la Sagesse de Dieu qui déclare : « Je faisais ses délices, jour après jour et je jouais sans cesse devant lui » (Proverbes 8.30) . Moltmann mentionne le philosophe grec Héraclite : « La cours du monde est un enfant qui joue et qui place les pions ça et là. C’est un royaume de l’enfant ». Cet éloge du jeu rappelle une des intuitions de Michel Serres qui est rejoint par Moltmann dans sa critique des excès de la pensée analytique.

Théologien de l’espérance, Jürgen Moltmann nous permet de regarder vers l’avenir en voyant l’oeuvre de Dieu qui vient vers nous et nous invite à aller de l’avant (3). Dans son livre, « Petite Poucette », Michel Serres nous décrit l’émergence d’une « nouvelle manière d’être et de connaître » . C’est un phénomène nouveau et de grande ampleur. « Libérée des relations asymétriques, une circulation nouvelle fait entendre les notes, quasi musicales, de sa voix (p 52). Tout le monde communique avec tout le monde en réseaux innombrables. Ce tissu de voix s’accorde à celui de la Toile, les deux bruissent en phase » (p 59). La pensée de Jürgen Moltmann nous apporte en écho un éclairage théologique. « L’essence de la création dans l’Esprit est par conséquent la « collaboration » et les structures manifestent la présence de l’Esprit dans la mesure où elle font connaître « l’accord général »… Etre vivant, signifie exister en relation avec les autres. Vivre, c’est la communication dans la communion ». (4)

Bien sûr, il y a aujourd’hui des menaces, des tensions, des peurs. D’ailleurs, Michel Serres a écrit également un livre sur « Le Temps des crises » (5) : « Mais que révèle le séisme financier et boursier qui nous secoue aujourd’hui ? Si nous vivons une crise, aucun retour en arrière n’est possible. Il faut donc inventer de nouveau » (6). « Petite Poucette » nous montre un vieux monde en train de dépérir et un nouveau monde en train de naître. Comme les institutions censées nous apporter du sens sont elles-mêmes engoncées dans l’héritage du passé, c’est le message initial qui se rappelle à nous en écho à la révolution mentale en cours aujourd’hui. Et quel est ce message ? C’est la figure de la Pentecôte. « Ils furent tous remplis de l’Esprit et se mirent à parler dans différentes langues selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer » (Livre des Actes 2.4). Et leurs paroles furent entendues et comprises par des gens du monde entier.  Pour nous, il y a une analogie entre cette expérience initiale de l’Esprit et l’effervescence qui se manifeste aujourd’hui et que Michel Serres décrit en ces termes : « Pour la première fois de l’histoire, on peut entendre la voix de tous. La parole humaine bruit dans l’espace et le temps » (p 58).

J H

(1)            Christianity after religion. The end of the church and the birth of a new spiritual awakening. Harper One, 2012. Mise en perspective sur le site de Témoins : « La montée d’une nouvelle conscience spirituelle ». .http://www.temoins.com/etudes/la-montee-d-une-nouvelle-conscience-spirituelle.-d-apres-le-livre-de-diana-butler-bass-christianity-after-religion.html

(2)             Moltmann (Jürgen). Le Seigneur de la danse. Essai sur la joie d’être libre. Le Cerf, 1972 (Foi Vivante). Réédité .

(3)            Vie et œuvre de Jürgen Moltmann  d’après son autobiographie : « A broad place » : « Une théologie pour notre temps » sur le site : « L’Esprit qui donne la vie » http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=695

(4)             Jürgen Moltmann est l’auteur de plusieurs livres en rapport avec le thème de cet article : « L’Esprit qui donne la vie » et « Dieu dans la création » (Editions du Cerf). Les citations sont empruntées au livre : Dieu dans la création  (p 25 et p 15)

(5)            Serres (Michel). Le temps des crises. Le Pommier, 2009. (Manifestes)

(6)            Cette recherche de nouveauté est en cours selon les compétences des uns et des autres . Ainsi l’économiste, Daniel Cohen vient de publier un livre : « Homo economicus… », où il met l’accent sur les dégradations et les menaces, et notamment sur les incidences néfastes de la montée des inégalités au cours des dernières décennies. Son appréciation d’internet est mitigée (p 157-161). A raison, Daniel Cohen montre les conséquences fâcheuses de la prédominance du modèle de « l’homo economicus » : « Dans l’équilibre entre compétition et coopération, il faut redonner vie à la seconde en réenchantant le travail, en remettant à plat les frontières du gratuit et du payant, en repensant la coopération internationale, à commencer par celle de l’Europe » (p 206): Cohen (Daniel). Homo economicus, prophète (égaré) des temps nouveaux. Albin Michel, 2012.  Nous renvoyons également ici à la vision prospective et dynamique de Jérémie Rifkin  dans son livre : « La Troisième Révolution industrielle » . Sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=354     Michel Serres, bien au fait de la conjoncture actuelle, ne méconnaît pas les menaces actuelles, mais, dans la prise en compte à la fois d’une histoire de longue durée et de la mutation technologique et culturelle actuelle, il choisit de proposer une vision positive, prospective et mobilisatrice.

Suite et fin des trois contributions précédentes : La grande mutation dans la transmission des savoirs. Vers une société participative . Vers un nouvel usage et un nouveau visage du savoir.

Dieu suscite la communion

Si l’être intime de Dieu est la communion d’amour qui se manifeste dans le Dieu trinitaire, l’Esprit Saint porte et suscite cette communion. Dans notre regard sur l’univers, nous percevons aujourd’hui l’importance primordiale des relations. Tout se tient. « Rien dans le monde n’existe, ne vit et ne se meut par soi. Tout existe, vit et se meut dans l’autre, l’un dans l’autre, l’un avec l’autre, l’un pour l’autre » (p.25). L’Esprit divin est présent dans cette réalité. « En Dieu, nous avons la vie, le mouvement et l’être » (Actes 1.28). L’Esprit Saint suscite « une communauté de la création dans laquelle toutes les créatures communiquent chacune à sa manière entre elles et avec Dieu » (p.24). A l’encontre de toutes les forces contraires, le projet de Dieu est l’harmonie entre les êtres : « L’essence de la création dans l’Esprit est par conséquent la « collaboration » et les structures manifestent la présence de l’Esprit, dans la mesure où elles font connaître l’ « accord général » (p.25). Nous voyons là un principe qui éclaire notre regard, induit notre discernement et motive notre action. « Etre vivant signifie exister en relation avec les autres. Vivre, c’est la communication dans la communion… » (p.15).

 

Cette vision nous apporte un principe de discernement :  « les structures manifestent la présence de l’Esprit, dans la mesure où elles font connaître l’ « accord général » et une orientation pour notre vie : « Etre vivant signifie exister en relation avec les autres. Vivre, c’est la communication dans la communion ». Partageons concrètement cette pensée

 

 

JH

 

Source

 

Moltmann (Jürgen). Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1988 ( renvoi des citations aux pagination)

Voir : « Dieu dans la création » : www.lespritquidonnelavie.com

Partager le bon et le beau

https://www.temoins.com/wp-content/uploads/2011-2/2011-2_777Allons.jpgNous nous trouvons souvent  confrontés à une ambiance où l’expression du négatif l’emporte. Différents sentiments s’y manifestent. Ce peut être la crainte lorsqu’on se décharge, sans contrepartie de mauvaises nouvelles et, parfois, avec force détails. C’est une absence d’horizon, un avenir bouché. Tous les maux de la terre, certes bien réels, affluent. Parfois on regrette le passé. Tout va mal. Tout va plus mal. Et puis, chacun pour soi. Cela se dit rarement, mais cela se pratique : égoïsme et cynisme. Bien sûr, là où une foi ou un  idéal se manifestent, l’ambiance est autre. Mais, même là, on observe parfois un repli sur son propre milieu : le bien au dedans, le mal et le danger au dehors.

Ce propos est caricatural. Et d’ailleurs, le mal existe. Il est là et bien là. Cette réalité appelle mise en garde, lutte et pour les chrétiens, intercession. Simplement, partout où nous constatons une expression commune d’empathie, de sympathie et de paix, nous pouvons dire qu’il y a là ce qui permet aux gens de vivre et à la société d’être humaine, au bon sens du mot. Et d’ailleurs, qui ne verrait pas le positif, non seulement dans l’attention que tant de gens se portent dans la vie quotidienne, mais aussi dans des mouvements qui s’expriment à grande échelle dans notre société : l’entraide qui se déploie dans un grand nombre d’associations humanitaires, le désir de beauté qui fait le succès des expositions, une nouvelle sociabilité qui s’esquisse notamment sur internet, et bien d’autres tendances positives. Apprenons à voir le positif dans l’offre « mélangée » des médias. Mais n’y aurait-il pas aussi des lieux de rencontre où on puisse, à certains moments, partager ce qui est bon et beau et s’en réjouir ensemble ?

Nous rapportons ici une expérience. Pendant quelques années, dans une association, des rencontres ont été organisées pour permettre un partage des expériences positives de chacun. Ainsi, les participants exprimaient des expériences de tout genre, ce qu ‘ils avaient vécu de beau et de bon. Ce pouvait être l’émotion ressentie à la vue d’une peinture, l’appréciation d’un livre ou d’un film, l’harmonie perçue à travers tel chant ou telle musique, la joie d’une compréhension nouvelle de la société ou de la nature, mais aussi un moment de bonheur au quotidien, l’émotion ressentie en présence d’un paysage, une expérience spirituelle ou l’expression d’un vécu relationnel bienfaisant. Et cette énumération n’a pas de limites.

Chacun pouvait donc participer selon son désir en exprimant ainsi ce qui lui tenait à cœur, mais aussi en écoutant tout simplement et en goûtant le bonheur de ce partage. Chacun avait son chemin, son itinéraire. Chacun était respecté dans son mouvement et sa recherche.

Explicitement , cette rencontre était organisée par des chrétiens, si bien qu’il était reconnu qu’à certains moments, dans un chant ou dans une prière, une louange s’exprimait. C’était une expression de reconnaissance envers « l’Esprit qui donne la vie » et en « Celui en qui nous avons la vie, le mouvement et l’être » (Actes 17.27). Et ce Dieu là ne fait pas de forcing et respecte le cheminement de chacun.

Il y avait là une ambiance conviviale et joyeuse qui faisait écho à ce que, dans les premiers temps du christianisme, un apôtre a exprimé en considérant ce qui était positif dans la société de son temps, elle aussi aux prises avec bien des déformations et même des dépravations.  Paul écrivait ainsi aux chrétiens : « Que tout ce qui est bon et digne de louange, tout ce qui est vrai, respectable, juste, pur et honorable soit l’objet de vos pensées » (Epitre aux Philippiens 4.8).

Ce que nous vivons déjà sur un certain registre, pourquoi ne pas le partager dans des rencontres comme celles que nous venons de décrire ? La situation peut varier. Elle est peut être très informelle, par exemple une soirée entre amis où on prend plaisir à partager de belles et bonnes choses. Le cadre lui-même peut  comporter de nombreuses variantes en particulier dans le degré de l’expression de foi qui pourrait aller jusqu’à la mise en œuvre d’un culte où l’Esprit s’exprime à partir de l’expérience apportée et partagée comme des paroles bibliques qui se présentent. Comme dans une oeuvre musicale, il y a des notes multiples. On peut aussi prendre part à des processus analogues dans des contextes purement séculiers. Quoiqu’il en soit, sachons être attentif. « L’essence de la création dans l’Esprit est la collaboration » (Jürgen Moltmann). « Tout ce qui monte, converge » (Teilhard de Chardin).

 

JH

 

Sur ce blog : Vivre en harmonie

Sur le site de Témoins, la vie d’un groupe de partage : Un air de liberté. Conversation avec Frédérique. https://www.temoins.com/un-air-de-liberte-entretien-entre-frederique-ivulski-et-jean-hassenforder/

 

Vivre en harmonie

Dans notre regard sur l’univers, nous percevons aujourd’hui l’importance primordiale des relations. Tout se tient. Comme l’écrit le théologien Jürgen Moltmann, « Rien dans le monde n’existe, ne vit et ne se meut par soi. Tout existe, vit et se meut dans l’autre, l’un dans l’autre, l’un avec l’autre, l’un pour l’autre » (p.25). L’Esprit divin est présent dans cette réalité. « En Dieu, nous avons la vie, le mouvement et l’être » (Actes 1 :28). L’Esprit saint suscite « une communauté de la création dans laquelle toutes les créatures communiquent chacune à sa manière entre elles et avec Dieu » (p.24). A l’encontre de toutes les forces contraires, le projet de Dieu est l’harmonie entre les êtres . « L’essence de la création dans l’Esprit est par conséquent la « collaboration » et les structures manifestent la présence de l’Esprit, dans la mesure où elles font connaître « l’accord général » (p.25). « Etre vivant signifie exister en relation avec les autres. Vivre, c’est la communication dans la communion… » (p.15).

Cette vision éclaire mon regard.  Elle me permet de percevoir l’œuvre de Dieu dans toute sa dimension. Elle indique la voie pour y participer. Elle m’encourage à y entrer.  Partageons nos découvertes.

JH

 

(1)         Moltmann (Jürgen). Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1988  (cf citations). Voir le blog :  www.lespritquidonnelavie.com