Redressez-vous et relevez la tête !

 

Dans un monde où les menaces abondent, et, à notre échelle personnelle, une circulation de nouvelles qui nous rappellent la fragilité de notre existence terrestre, nous sommes aujourd’hui comme en d’autres temps bien plus sombres, confrontés à l’adversité. Et pourtant, ce n’est qu’une part de la réalité. Car nous sommes portés par un mouvement de vie et nous sommes à même de pouvoir ressentir constamment des expressions de générosité, de bonté et de beauté. Pour faire route dans cet univers contrasté, pour adopter un regard juste, pour porter de bons fruits, nous avons besoin d’éclairages qui suscitent en nous des dispositions positives. Anne Faisandier nous appelle ainsi à l’accompagner dans une méditation à partir d’un texte d’évangile (Luc 21. 25-33) qui, en décrivant des évènements catastrophiques, nous appellent à la vigilance. A vrai dire, ce texte peut donner lieu à bien des interprétations selon les pulsions et les humeurs. Ainsi, au long des années, on a entendu à propos de ce texte des propos nébuleux et, pire, des commentaires engendrant la peur et la culpabilité. Au contraire, à partir de ce texte, Anne Faisandier apporte un discernement, appelle à une vigilance positive et ouvre à l’espérance : « « Redressez-vous et relevez la tête ». Nous avons relevé les paroles de Anne Faisandier dans une vidéo (1) de la série « Pasteur du dimanche » (2) et nous en soulignons certains passages.

 

« L’apocalypse, cela nous fait toujours peur parce que cela met sous nos yeux la réalité terrifiante d’un monde en train de se déconstruire, un univers ébranlé et des catastrophes naturelles, et aussi la violence, l’homme contre l’homme et le règne de la mort. Si ce texte fait cela, ce n’est pas pour nous menacer de quelque chose qui pourrait nous arriver demain, C’est, je crois, au contraire pour prendre tout à fait au sérieux ce qui nous arrive aujourd’hui, parce que c’est notre réalité aujourd’hui que de devoir traverser ces angoisses, ces frayeurs, cette déconstruction du monde.

Mais le mot : apocalypse ne veut pas dire : catastrophe. Non, il veut dire : révélation. Et je crois que s’il nous met cette réalité là sous les yeux, c’est pour nous révéler trois choses.

La première, c’est qu’il ne faut pas être dans le déni. Parce que le déni de cette réalité difficile, compliquée, terrifiante est pire que de la regarder en face et de prendre en compte la réalité.

La deuxième chose, c’est que, si nous sommes dans le déni, alors il y a de fortes chances que nous soyons soumis à ces forces du mal qui sont à l’œuvre et qui déconstruisent le monde, ces forces qui sèment la terreur, qui profèrent la haine, qui prônent le repli sur soi, qui érigent l’injustice en loi, l’égoïsme en principe de base au risque de détruire l’univers qui est autour ce nous.

La troisième chose que fait ce texte, c’est qu’il nous indique une espérance : « Redressez-vous et relevez la tête quand vous verrez cela arriver », nous dit le texte. Redressez-vous et relevez la tête, parce que c’est dans cette réalité-là, dans ce monde-là que vous verrez celui qui vient vers vous en Jésus-Christ. C’est là que Dieu a choisi d’établir son royaume pour vous, avec vous, pour le monde entier. Le monde de l’apocalypse est le même que celui où vient s’établir le royaume de Dieu.

 

Alors ce texte nous indique que nous avons devant nous un choix, le choix de voir la réalité en face ou de la refuser, le choix de nous engager ou de baisser  la tête comme si de rien n’était. Et il nous dit clairement que le choix de la vie, c’est le choix du veilleur, de celui qui relève la tête, de celui qui s’engage et qui choisit la vie… ».

 

Dans un  monde qui « souffre les douleurs de l’enfantement » (Romains 8.23), nous croyons qu’en Christ ressuscité, une nouvelle création est en route. Ce processus est déjà opérant. Et c’est donc bien dans la réalité actuelle que « Nous voyons Celui qui vient vers nous en Jésus-Christ » et que « Dieu a choisi d’établir son Royaume pour nous, avec nous et pour le monde entier ». Alors nous pouvons regarder en avant et nous appuyer sur des signes positifs comme nous y invite le théologien de l’espérance, Jürgen Moltmann (3) : « L’attente de l’avenir du Christ situe le présent dans la lumière de ce qui vient, et fait faire l’expérience de la vie corporelle dans la force de la résurrection. C’est ainsi qu’elle devient une vie « la tête haute » (Luc 21. 28) et « une marche debout » (Ernst Bloch)…. Vivre dans l’espérance, c’est vivre dans l’anticipation de ce qui vient, dans « une attente créatrice »… C’est à une telle vie vécue dans l’anticipation qu’avait appelé l’Assemblée du conseil œcuménique des Eglises à Upsal en 1968 : « Assurés de la puissance de Dieu, nous vous adressons cet appel : prenez part à l’anticipation du royaume de Dieu et rendez visible dès maintenant quelque chose de la création nouvelle que le Christ accomplira lors de son jour » (4).

 

 

Ainsi, dans ce monde où nous rencontrons menaces et souffrances, « Faisons le choix du veilleur, de  celui qui relève la tête, de celui qui s’engage et qui choisit la vie ».

 

J H

 

(1)            Anne Faisandier. L’apocalypse aujourd’hui : vidéo sur You Tube : https://www.youtube.com/watch?v=NBjo9KTXpB4

(2)            Site de « Pasteur du dimanche » : http://www.pasteurdudimanche.fr

(3)            Introduction à la pensée théologique de Jürgen Moltmann sur le blog : L’Esprit qui donne la vie : http://www.lespritquidonnelavie.com

(4)             P. 462-463, in : Jürgen Moltmann. Jésus. Le Messie de Dieu (Cerf, 1993)

 

Sur ce blog, voir aussi : « Face à la détresse du monde » : https://vivreetesperer.com/?p=1643

« Les malheurs de l’histoire. Mort et résurrection » : https://vivreetesperer.com/?p=744

« En eau profonde » : https://vivreetesperer.com/?p=409

« Une vie intérieure qui croit et que rien ne peut détruire » : https://vivreetesperer.com/?p=888

« L’avenir inachevé de Dieu. Pourquoi c’est important pour nous ! » https://vivreetesperer.com/?p=1884

« Confiance ! Le message est passé » https://vivreetesperer.com/?p=1246

Vivants et morts, ensemble en Christ ressuscité.

 

En ce début de novembre où le souvenir des morts est évoqué, et tout au long de l’année où le mot  de « disparition » de tel ou tel résonne dans les médias, il est vital de trouver une réponse qui n’accepte pas un sort qui réduirait l’homme au néant, en annihilant ainsi toute espérance personnelle ou collective, ou se satisferait d’une échappée vers un au delà qui serait radicalement séparé.

 

En quelques mots, à partir de textes bibliques, Jürgen Moltmann nous apporte un éclairage dynamique (1).

 

« C’est pour être Seigneur des morts et des vivants que Christ est mort et qu’il a repris vie » (Romains 4.9). Le sens de la foi qui justifie « est la Seigneurie salvatrice du Christ sur les morts et les vivants. Dans la communauté avec lui, ceux qui sont séparés par la mort retrouvent la communauté qui existait entre eux. Le Christ passé par la mort est devenu le frère des morts. Le Christ ressuscité rassemble les vivants et les morts dans sa communauté d’amour, parce qu’il représente la communauté dans l’espérance commune. Il est la tête de l’humanité nouvelle et l’avenir de ce qui est présent et de ce qui est passé ».

 

« Mais il faut que le Christ règne jusqu’à ce qu’il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds ; le dernier ennemi qui sera détruit, c’est la mort… pour que Dieu soit tout en tous » (1 Cor 15. 25, 26, 28). La communauté du Christ avec les morts et les vivants n’est pas une fin en elle-même, mais c’est une communauté en chemin vers la résurrection de tous les morts pour la vie éternelle et vers la destruction de la mort dans la création nouvelle de toutes choses. C’est alors seulement que seront « essuyées toutes les larmes » et que la joie parfaite unira toutes les créatures avec Dieu et entre elles. C’est pourquoi, si le sens de la foi qui justifie est la communauté des morts et des vivants avec le Christ, le sens de cette communauté est la création nouvelle dans laquelle la mort ne sera plus » (2).

 

Ainsi, nous nous inscrivons dans un mouvement. « Ce n’est pas la mort qui a le dernier mot dans l’histoire, mais la justice de Dieu. « Voici, je fais toutes choses nouvelles » (Ap 21.5) . Si cela est vrai eschatologiquement, rien n’est perdu historiquement et tout est « rétabli ». Sous cet horizon d’attente, « l’histoire comme souvenir » conduit elle-même à une sorte de « ré-éveil des morts ». Tout le passé se tient dans la lumière de l’avenir qui réveille les morts … La rétrospective historique doit donner à reconnaître et à actualiser les perspectives passées. C’est alors seulement qu’il est possible d’articuler ensemble les espérances brisées, omises ou étouffées de ceux du passé et les espérances de ceux du présent et de les inclure  dans le projet d’avenir présent ».

 

Cette vision des rapports entre histoire et résurrection est éclairante parce qu’elle nous permet, individuellement et collectivement, de nous situer dans un processus et de mieux reconnaître la présence de Dieu à l’œuvre dans le cours du temps. Ce discernement s’applique à nos vies personnelles en pensant à notre histoire familiale, et en nous percevant comme des êtres engagés dans des projets et portés par eux. Cet éclairage nous permet de regarder différemment notre environnement social et de percevoir l’œuvre de l’Esprit de génération en génération. En Christ ressuscité, dans l’Esprit, nous sommes en marche.

 

J H

 

(1)            Le blog : « L’Esprit qui donne le vie » présente une introduction à la pensée théologique de Jürgen Moltmann : http://www.lespritquidonnelavie.com. La vision de Moltmann, notamment sur le thème de la vie après la mort, est présentée, en termes aisément accessibles dans le livre livre : « De commencements en recommencements » : sur ce blog :  « Une dynamique de vie et d’espérance » : https://vivreetesperer.com/?p=572 Les textes cités dans cet article sont extraits du livre : Jürgen Moltmann. Jésus, le messie de Dieu, Cerf, 1993 : p 258 et p 332

(2)            Sur ce thème, voir aussi sur ce blog : « Sur la terre comme au ciel » : https://vivreetesperer.com/?p=338  « Une vie qui ne disparaît pas » : https://vivreetesperer.com/?p=336   En Christ ressuscité, par delà la séparation, une communion demeure avec les êtres chers qui sont partis.

(3)            « En marche » : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=848

Couleurs d’automne

 

Un coin de forêt lumineux et paisible dans la beauté de ces coloris nuancés
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Sur le site flickr de Julie Falk, des photos à goûter sur les couleurs d’automne : « Color Tour 2014 »

https://www.flickr.com/photos/piper/albums/72157646497733273/with/15320762189/

Nous avons présenté le site de Julie Falk sur ce blog : « Effets de lumière dans une campagne bocagère »

https://vivreetesperer.com/?p=2129

Sugata Mitra : Un avenir pédagogique prometteur à partir d’une expérience d’auto apprentissage d’enfants indiens en contact avec un ordinateur

 

« The hole in the wall » : un phénomène émergent

 

Peut-on imaginer qu’un groupe d’enfants indiens illettrés, sans instruction préalable, puisse apprendre l’anglais au contact d’un ordinateur, puis, dans l’année qui suit, acquérir une culture équivalente à celle d’une secrétaire occidentale ? Cela paraît invraisemblable et pourtant cette situation a été observée pendant plusieurs années dans des lieux différents par un chercheur indien, Sugata Mitra, aujourd’hui professeur de technologie de l’éducation à l’université de Newcastle upon Tyne (Grande Bretagne).

Et s’il y avait dans la motivation de ces enfants en contact avec un ordinateur un germe d’avenir qui nous concerne tous ? Laisser les enfants apprendre avec un ordinateur plutôt que de répéter les anciennes méthodes pédagogiques… Désormais l’ordinateur apporte à la fois un savoir polyvalent et un savoir-faire (1). Et s’il y avait dans la rencontre des enfants avec cette dynamique du savoir véhiculée par l’ordinateur, un phénomène émergent porteur d’avenir ?

 

The hole in the wall : une expérience fondatrice

 

En 1999, Sugata Mitra travaille comme responsable scientifique dans une entreprise d’ordinateurs à New Delhi en Inde. Il a une formation de physicien théorique, mais son travail quotidien porte sur les technologies. Comme on lui demande d’explorer le champ de l’usage public de l’ordinateur, l’idée lui vient d’en mettre un à la portée des enfants d’un quartier déshérité, un bidonville (« slum »), en bordure du bâtiment dans lequel il travaille. Alors il perce un trou dans le mur (« hole in the wall », et sans plus d’information, il offre à ces enfants la possibilité d’accéder à un ordinateur. Ces enfants sont pour la plupart illettrés et qui, de plus, à l’époque, n’ont jamais vu un objet de cet ordre. Cependant, ces enfants commencent à explorer cet objet inconnu et, peu à peu, sans information d’aucune sorte, en s’entraidant, ils en découvrent les fonctionnalités comme, en premier, l’usage de la souris. Quels ne sont pas la surprise et l’émerveillement de Sugata Mitra quand il découvre ce processus d’exploration et d’appropriation de l’ordinateur par les enfants et les conséquences qui vont s’en suivre dans leur autoapprentissage de l’anglais et de la culture correspondante. Plus tard, dans un autre lieu, il aura l’idée de mettre à la disposition des enfants, à travers l’ordinateur, un savoir en biologie, et il constatera, à sa grande stupeur, que peu à peu, ils parviennent à décrypter une partie de ce message complètement étranger dans une langue qui leur est extérieure.

Pendant des années, cette expérience d’autoapprentissage a été répétée en différents lieux. Ces observations permettent à Sugata Mitra de pouvoir déclarer qu’en 9 mois, à partir d’une absence de connaissance de la langue anglaise, ces enfants parviennent à un savoir équivalent à celui d’une secrétaire dans un pays occidental.

Parce que cet homme a été inventif, curieux d’esprit, ouvert à l’inconnu, persévérant, un phénomène qui sort de l’ordinaire a été mis en évidence et est aujourd’hui connu sous le terme de « trou dans le mur » (« hole in the wall »), expérience qui a abouti à cette grande découverte (2).

 

Un environnement pour organiser l’autoapprentissage

 

La découverte de Sugata Mitra est reconnue par le dispositif TED (3) qui diffuse les idées nouvelles dans l’univers anglophone à travers des « talks », courtes interventions diffusées en vidéo. Sugata Mitra expose son expérience en 2010 et, en 2013, un prix Ted lui est décerné, accompagné d’un crédit qui va lui permettre d’engager une expérimentation à grande échelle en créant 7 espace propices à cette pédagogie, 2 en Grande- Bretagne et 5 en Inde. Ces espaces sont définis en terme de « Self organising learning environment » (« SOLE »), des environnements pour organiser un auto-apprentissage. Ce sont des lieux confortables (lounge) avec des ordinateurs et des sièges permettant des se regrouper dans le travail. On peut découvrir le concept de SOLE comme la conjugaison d’internet à haut débit, d’une activité collaborative et d’un esprit d’encouragement et d’admiration. A chaque session, on propose aux enfants une question pour susciter leur curiosité et leur désir de recherche. Ainsi, par exemple, « Pourquoi vos dents repoussent une deuxième fois ? ». Les enfants se lancent alors dans une recherche sur ordinateur pour récolter les informations et les rassembler pour en rendre compte dans un texte.  On constate que la collaboration et la curiosité naturelle des enfants catalysent leur apprentissage même si ces enfants vivent dans les endroits les plus pauvres et ne reçoivent aucune instruction.

Une autre innovation vient de renforcer le dispositif. Elle a pour but de soutenir et d’encourager la motivation des enfants vivant dans des régions défavorisés. Ce dont on a besoin, ce n’est pas d’enseignants qui pourraient tendre à évaluer et à contrôler prématurément, ce sont des personnes capables de sympathiser avec les enfants, d’apprécier leurs découvertes et de les encourager par une expression d’enthousiasme et d’admiration. Et c’est là que l’on découvre encore une fois la créativité de Sugata Mitra. Il a pensé que des grand-mères anglaises, (« grannies ») pourraient, à travers skype, rencontrer chaque semaine un groupe d’enfants indiens et établir avec eux un contact chaleureux, bref un réseau de volontaires aidant les enfants les plus pauvres à apprendre en favorisant leur motivation. Voici un exemple de conversation telle qu’elle est souhaitée dans ce dispositif. La grand-mère manifeste son enthousiasme : « Magnifique ! C’est fantastique ! Comment est-ce que tu as fait cela ? D’où cela vient-il ? Quand j’étais enfant, jamais je n’aurais pu faire une chose pareille. Et l’enfant répond : « O, tu es stupide ! Je vais te montrer ! ». Cette approche des grand-mères exprimant leur admiration comme une force motrice, est originale. Et bien, cela marche. « La présence d’une médiation amicale peut accroître l’autoapprentissage ».

 

(vidéo sous-titrée en français : http://www.ted.com/talks/sugata_mitra_build_a_school_in_the_cloud?language=fr)

 

Laissez-les apprendre ! Un nouvel horizon

 

Cette approche commence à se diffuser dans le monde. Mais elle se heurte aussi à des obstacles dans mes mentalités. On peut se demander si dans des pays « riches », il n’y a pas parfois un manque d’appétit  parce qu’il y aurait satiété (4). On peut s’interroger sur les conditions culturelles  qui interviennent dans ce processus. Des milieux conservateurs peuvent entrer en opposition. Cette nouvelle approche rompt avec des habitudes séculaires. Comme Sugata Mitra le fait observer, pendant des décennies, on a formé les élèves dans la perspective de répondre aux besoins d’un système hiérarchisé dans lequel régnaient discipline, uniformité et interchangeabilité. Il y avait une sorte de machine qui gouvernait le monde. L’école avait pour but de produire les travailleurs correspondants. Les écoles servaient un empire et, si elles ne changent pas, elles vont être démodées. Pour changer le système, il y aujourd’hui une priorité : réformer les examens en y permettant l’accès à internet.

Bref, ce qui importe aujourd’hui, c’est de permettre l’expression de la créativité. A cet égard, deux personnalités se rejoignent dans le monde anglophone : Sugata Mitra et Ken Robinson (5). En France, le développement de « l’éducation nouvelle » s’est longtemps heurté à beaucoup d’obstacles. Mais progressivement les mentalités changent. L’école se transforme. On assiste aujourd’hui à une nouvelle vague qui se manifeste notamment dans « le printemps de l’éducation » (6).

La pédagogie nouvelle, c’est partir des intérêts et des représentations des enfants pour leur permettre d’aller plus loin (7). Une bibliothécaire, Geneviève Patte, a écrit un livre qui montre l’enthousiasme des enfants à qui l’on propose un environnement de livres et un accompagnement chaleureux. Ce livre est intitulé : « Laissez les lire ! » (8). Le mouvement engagé par Sugata Mitra se développe aujourd’hui dans un esprit analogue : « Ce n’est pas provoquer l’apprentissage, c’est laisser l’apprentissage advenir » (« It is not making learning happen. It is about letting him happen ». Laissez les lire ! Laissez les apprendre !

Comme physicien, Sugata Mitra médite sur le caractère inédit de cette entreprise. Il écrit : « Learning can emerge in spontaneous order at the edge of the chaos » : « L’apprentissage peut émerger dans un ordre spontané à la frontière du chaos ». C’est une pensée éclairante qui nous ouvre sur une autre dimension (9).

Au total, dans ce mouvement, nous pouvons ensemble reconnaître l’apparition d’un phénomène émergent qui a été mis en évidence par un homme suffisamment humble pour se laisser surprendre par la nouveauté et suffisamment persévérant et créatif pour poursuivre l’expérience.  Voici un mouvement porteur d’avenir. A nous de savoir observer et écouter.

 

J H

 

(1)            « Une nouvelle manière d’être et de connaître. « Petite Poucette » de Michel Serres ». Sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=820

(2)            On pourra consulter à ce sujet différentes sources :

Tout récemment en 2015, Sugatra Mitra a fait une conférence aux Etats-Unis : « The future of learning » à « L’Association pour le développement des talents » (ATD). On trouvera des notes sur le contenu de cette conférences sur deux sites : « Tubarks : the musings of Stan Skrabut » qui présente également plusieurs vidéos  concernant l’œuvre de Sugata Mitra : https://tubarks.wordpress.com/2015/05/24/atd2015-keynote-sugata-mitra/ et « Cammy Beam » : http://cammybean.kineo.com/2015/05/sugata-mitrathe-future-of-learning.html C’est une documentation de qualité.

Un article très bien informé et, de plus présentant une perspective synthétique, vient de paraître dans le Guardian : Carol Cadwallabr. « The « granny cloud » The network of volunteers helping poorer children learn » 2 aout 2015 : http://www.theguardian.com/education/2015/aug/02/sugata-mitra-school-in-the-cloud… On pourra également entendre Sugatra Mitra dans plusieurs vidéos comme cette courte intervention : « Beyond the Hole in the Wall. AERO conference 2015 : https://www.youtube.com/watch?v=vPjWiZaMtVc

(3)            Histoire et développement de Ted : https://en.wikipedia.org/wiki/TED_(conference) Voir aussi sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=1910

Voir l’exposé en vidéo de Sugata Mitra à Ted en 2013 : « Construire une Ecole dans le Cloud » et la transcription de son exposé en français : un texte de base pour des francophones : http://www.ted.com/talks/sugata_mitra_build_a_school_in_the_cloud?language=fr http://www.ted.com/talks/sugata_mitra_build_a_school_in_the_cloud/transcript?language=fr

(4)            On observe chez les enfants des pays pauvres une  belle soif d’instruction : Sur ce blog : «  Sur le chemin de l’école » : https://vivreetesperer.com/?p=1556

(5)            Sur ce blog : « Une révolution en éducation » : https://vivreetesperer.com/?p=1565

(6)            Voir sur ce blog : «  Et si nous éduquions nos enfants à la joie ? Pour un printemps de l’éducation » : https://vivreetesperer.com/?p=1872

Site du « Printemps de l’éducation » : http://www.printemps-education.org

(7)            Sur ce blog : « Une nouvelle manière d’enseigner : participer ensemble à une recherche de sens. L’approche pédagogique de Britt Mari Barth » : https://vivreetesperer.com/?p=1169

(8)            Sur ce blog : « Laissez-les lire. Une dynamique relationnelle en éducation » : https://vivreetesperer.com/?p=523

Dans notre contexte personnel, cette réflexion évoque la pensée théologique de Jürgen Moltmann sur la création. La pensée théologique de Moltmann est présentée sur le site : « L’Esprit qui donne la vie ». http://www.lespritquidonnelavie.com                                    Nous nous reportons ici à un des derniers livres de Moltmann : Ethics of hope. Fortress Press, 2012  (Evolution and emergence p 124-126) : « Dans l’histoire de la nature, il y a l’irruption de systèmes de matières et de formes de vie et, dans ce processus, de nouveaux ensembles émergent… On en parle comme l’auto-organisation de l’univers et de la vie… L’interprétation théologique donne à cette idée une nouvelle profondeur à travers la vision d’une auto-transcendance… J’interprète personnellement ces signes de la nature comme la présence de l’Esprit divin qui pousse vers la transcendance et, à travers l’apparition de nouveaux ensembles, anticipe le futur de la nature dans le Royaume de Dieu… Nous comprenons le présent, pas simplement comme l’aboutissement d’une évolution passée. Nous comprenons aussi le passé comme un « passé futur », parce que nous comprenons le présent comme le présent de ce qui est à venir et tend vers le futur de Dieu » (Extraits en traduction).  Dans ce registre, nous interprétons le phénomène émergent de l’auto-apprentissage interrelationnel comme une anticipation et comme un « signe des temps ».

Convergences écologiques : Jean Bastaire, Jürgen Moltmann, Pape François et Edgar Morin

Une nouvelle civilisation en gestation

La prise de conscience écologique est devenue un enjeu vital pour l’humanité. Manifestement, la menace actuelle n’est pas liée seulement à un dysfonctionnement des comportements. Elle dépend également d’une représentation du monde dans laquelle l’humanité manque de respect pour la nature en s’érigeant en maîtresse et dominatrice. C’est une invitation à nous interroger sur la manière dont nous envisageons la création, le projet de Dieu pour la nature et l’humanité. Comment concevoir le rapport entre notre humanité et la nature ?

Ces questions apparaissent aujourd’hui sur le devant de la scène. Nous voudrions mettre en évidence la convergence de trois approches : celle d’un théologien pionnier en ce domaine : Jürgen Moltmann, celle d’un homme d’église ouvert et courageusement novateur, le pape François, celle d’un sociologue qui a développé une prise en compte de la complexité dans une démarche holistique : Edgar Morin. Dans les trois cas, ils ouvrent de voies nouvelles par rapport à des mentalités où l’homme se perçoit comme dominant par rapport à la nature : un christianisme triomphaliste et conservateur ou un scientisme enfermé dans un exclusivisme humain.

Jürgen Moltmann

L’originalité de la pensée de Jürgen Moltmann est mise en évidence en France par un recueil réalisé par Jean Bastaire et publié en 2004 : « Le rire de l’univers. Traité de christianisme écologique » (1). C’est une remarquable anthologie de textes de Moltmann sur cette question. Dans sa recherche pour relier écologie et christianisme, Jean Bastaire nous montre qu’au début du XXIè siècle, cette synthèse était encore loin de s’être réalisée dans le catholicisme français et que la pensée de Moltmann lui a permis d’accomplir un pas décisif : « Je n’ai connu Jürgen Moltmann que ces toutes dernières années après avoir écrit et publié avec mon épouse plusieurs ouvrages sur l’écologie chrétienne et la dimension cosmique du Christ… Cette mystique de la terre de Dieu a profondément inspiré le combat que mène notre couple en compatissant à la souffrance de toute créature et en travaillant à réaliser la Pâque de l’univers… Nous ne soulevons pourtant guère d’écho dans les milieux chrétiens dont les membres sont très peu nombreux à établir un lien entre des besoins anthropocentriques devenus impérieux en matière d’écologie et des exigences théocentriques de tout temps évidentes au niveau de la fraternité cosmique. L’enseignement de Saint Paul et de Saint Jean est escamoté et l’exemple de François d’Assise sert généralement de poétique cache-misère à la trahison permanente du Petit Pauvre… ». C’est alors que Jean Bastaire a trouvé un apport décisif dans un aspect de l’œuvre de Moltmann : sa théologie de la création : « Jürgen Moltmann me procure un enrichissement décisif dans un domaine : le messianisme eschatologique dont il ne suffit pas de dire qu’il constitue le couronnement de la révélation biblique et chrétienne, mais qu’il en récapitule toute l’étendue depuis la Genèse jusqu’à la Parousie… Il n’est pas indifférent que Moltmann, théologien réformé réalise à ce sujet un étonnant rassemblement entre protestants, orthodoxes et catholiques qu’il reconduit à leur commune racine juive ».

Très tôt, dès 1985 (1988 dans la traduction française), Jürgen Moltmann publie un livre pionnier : « Dieu dans la création », accompagné d’un sous-titre qui en indique la visée : « Traité écologique de la création » (2). « Que signifie croire au Dieu créateur, croire que ce monde est sa création, face à l’accroissement de l’exploitation industrielle et de l’irréparable destruction de la nature ? Ce qu’on appelle : « crise de l’environnement » n’est pas seulement une crise de l’environnement naturel de l’homme, mais rien de moins qu’une crise de l’homme lui-même ».

Moltmann propose une vision du processus de la création en phase avec une approche holistique : « Dans mon titre : « Dieu dans la création », j’ai en vue Dieu, l’Esprit Saint. Dieu est « Celui qui aime la vie » et son esprit est dans toutes les créaturesCette doctrine de la création qui part de l’Esprit créateur divin, inhabitant, est aussi en mesure de fournir des points de départ pour un dialogue avec les philosophies anciennes et nouvelles de la nature, non mécanistes, mais intégrales ».

Le respect de la nature passe par la conscience de la présence de Dieu dans l’ensemble de la création à laquelle nous participons. « Selon le sens du mot grec, écologie signifie « la science de la maison » (oikos). Que peut avoir à faire la doctrine chrétienne de la création  avec la « science de la maison » ? Absolument rien si on ne voit qu’un créateur et son œuvre. Mais si on comprend le créateur, sa création et son but de façon trinitaire, alors le créateur habite par son Esprit dans l’ensemble de la création et dans chacune de ses créatures et il les maintient ensemble et en vie par la force de son Esprit ».

Mais la nature actuelle est encore souffrante, contrainte, exposée à des forces contraires. Ainsi Moltmann l’envisage dans un mouvement de libération et de recréation : « Cette doctrine chrétienne de la création prend au sérieux le temps messianique qui a commencé avec Jésus et qui tend vers la libération des hommes, la pacification de la nature et la délivrance de notre environnement à l’égard des puissances du négatif et de la mort ».

 

Le pape François

 La lettre encyclique du pape François : « Laudato Si’ » (Loué sois-tu !) sur la sauvegarde de la maison commune (3) a eu un grand retentissement. Un commentaire d’Edgar Morin, sociologue et philosophe éminent, et se situant par ailleurs en dehors du champ de la croyance, témoigne de cette audience. Répondant à une interview du journal « La Croix » (4), Edgar Morin écrit ainsi : « Nous vivons dans une époque du désert de la pensée, une pensée morcelée où les partis qui se prétendent écologistes n’ont aucune vraie vision de l’ampleur et de la complexité du problème, où ils perdent de vue l’intérêt de ce que la pape François dans une merveilleuse formule reprise de Gorbatchev appelle « la maison commune ». Or, cette même préoccupation d’une vue complexe globale au sens où il faut traiter les rapports entre chaque partie m’a toujours animé. Dans ce « désert » actuel, donc voilà que surgit un texte que je trouve tellement bien et qui répond à cette complexité. François définit « l’écologie intégrale » qui n’est surtout pas cette écologie profonde qui prétend convertir au culte de la terre et tout lui subordonner. Il montre que l’écologie touche en profondeur nos vies, notre civilisation, nos modes d’agir, nos pensées. Plus profondément, Il critique un « paradigme techno-économique », cette façon de penser qui ordonne tous nos discours et qui les rend obligatoirement fidèles aux postulats techniques et économiques pour tout résoudre. Avec ce texte, il y a à la fois une demande de prise de conscience, une incitation à repenser notre société et à agir. C’est bien le sens de providentiel : un texte inattendu et qui montre la voie ».

On sait que les propos du pape François tranchent avec un milieu conservateur, hiérarchisé et formaliste avec lequel il se trouve confronté au centre de l’Eglise catholique. Ainsi est-il particulièrement attentif aux dimensions sociales et économiques du monde dans lequel nous vivons. Dans une profonde humanité et une attention au vécu des gens, il témoigne de la spontanéité bienfaisante de l’Evangile. Et dans cette encyclique, il y a également un souffle qui passe. En se référant à Saint François, le pape communique une vision mystique de « l’harmonie avec Dieu, avec les autres, avec la nature et avec soi-même ». « Si nous nous nous approchons de la nature et de l’environnement, sans cette ouverture à l’étonnement et à l’émerveillement, si nous ne parlons plus le langage de la fraternité et de la beauté dans notre relation au monde, nos attitudes seront celles du dominateur, du consommateur ou du pur exploiteur de ressources incapables de fixer des limites à ses intérêts immédiats. Le monde est plus qu’un problème à résoudre. Il est un mystère joyeux que nous contemplons dans la joie et la louange… ». Dans cette dynamique positive, le pape François appelle à « la sauvegarde de notre maison commune », ce qui requiert « l’union de toute la famille humaine dans la recherche d’un développement durable et intégral ». Cette encyclique énonce et analyse les maux qui affectent la nature et l’humanité. Elle expose la racine humaine de la crise écologique dans un usage effréné et irréfléchi de la technologie. Elle propose une « écologie intégrale » dans un esprit de justice et de solidarité. Cette dynamique est éclairée par le message biblique et la foi évangélique. Elle requiert et appelle « une éducation et une spiritualité écologique ».

Cette encyclique s’achève sur une vision de la nouvelle création et de la vie éternelle : « A la fin, nous nous retrouverons face à face avec la beauté infinie de Dieu (cf Co 13,12) et nous pourrons lire, avec une heureuse admiration, le mystère de l’univers qui participera avec nous à la plénitude sans fin. Oui, nous voyageons vers le sabbat de l’éternité, vers la nouvelle Jérusalem, vers la maison commune du ciel. Jésus nous dit : « Voici, je fais l’univers nouveau » (Ap 21.5). La vie éternelle sera un émerveillement partagé, où chaque créature, transformée d’une manière lumineuse, occupera sa place… Entre temps, nous nous unissons pour prendre en charge cette maison qui nous a été confiée, en sachant que tout ce qui est bon en elle sera assumé dans la fête céleste. Ensemble, avec toutes les créatures, nous marchons sur cette terre en cherchant Dieu, parce que « si le monde a un principe et a été créé, il cherche celui qui l’a créé, il cherche celui qui lui a donné un commencement, celui qui est son créateur »… Que nos luttes et notre préoccupation pour cette planète ne nous enlèvent pas la joie de l’espérance ».

Cette encyclique mérite d’être lue attentivement d’un bout à l’autre. Ecrite à partir d’un univers catholique, mais s’élevant au delà pour aller à la rencontre de tous les hommes, elle a un potentiel de conscientisation considérable, notamment dans le vaste milieu dont elle est issue. C’est un message, mais c’est aussi un événement.

 

Edgar Morin

 Sociologue et philosophe de renommée internationale, Edgar Morin a réalisé une œuvre  très riche et très diversifiée (5).

Au cours d’un séjour en Californie de 1969 à 1970, il prend conscience de la question écologique. Dès lors, il va poursuivre une réflexion dans ce domaine. Ainsi, avec « Le paradigme perdu : la nature humaine » publié en 1973, il explique que l’homme n’est pas le maître de la nature, mais son partenaire et que c’est autant la nature qui en impose à l’homme que l’inverse. En 1993, Edgar Morin écrit avec Anne-Brigitte Kern un livre : « Terre patrie » qui marque une prise de conscience  de la communauté du destin terrestre. Cependant, l’apport majeur d’Edgar Morin, c’est une réflexion de long terme sur « la méthode » dans le travail de la connaissance qui est jalonnée par plusieurs ouvrages. Edgar Morin y porte un nouveau paradigme, celui de la complexité qui implique la prise en compte des liens entre les différentes composantes du savoir et un point de vue transdisciplinaire. Ce paradigme va se développer dans les sciences humaines et il est particulièrement en phase avec l’approche écologique.

Comme nous en avons déjà fait part, dans son interview à « La Croix », Edgar Morin a mis l’accent sur des convergences fondamentales avec le texte : « Laudato Si’ », tout en marquant sa différence dans l’interprétation des textes bibliques. Relevons ici tout simplement quelques convictions de fond exprimées par Edgar Morin :

« Nous savons aujourd’hui que nous avons en nous des cellules qui se sont multipliées depuis les origines de la vie, qu’elles nous constituent encore comme tout être vivant. Si nous remontons ainsi à l’histoire de l’univers, nous portons ainsi en nous tout le cosmos et d’une façon singulière. Il y a une solidarité profonde avec la nature, même si, bien entendu, nous sommes différents par la conscience, la culture. Mais tout en étant différents, nous sommes tous des enfants du Soleil. Le vrai problème, c’est non pas de nous réduire à l’état de nature, mais de nous séparer de l’état de nature…

Il existe un humanisme anthropocentriste qui met l’homme au centre de l’univers, qui fait de l’homme le seul sujet de l’univers. En somme où l’homme se situe à la place de Dieu. Je ne suis pas croyant, mais je pense que ce rôle divin que s’attribue parfois l’homme, est absolument insensé. Et une fois qu’on se situe dans ce paradigme anthropocentriste, la mission de l’homme très clairement formulée par Descartes, c’est conquérir la nature et la dominer. Le monde de la nature est devenu un monde d’objets. Le véritable humanisme, c’est au contraire celui qui va dire que je reconnais dans tout être vivant à la fois un être semblable et différent de moi ».

 

Convergence et dialogue

Les grandes voix que nous venons d’entendre se rejoignent sur bien des points et peuvent entrer dans un dialogue constructif. Ainsi l’accueil enthousiaste de l’encyclique « Laudato Si’ » par Edgar Morin, sociologue et philosophe, pionnier dans une nouvelle approche des sciences humaines, est particulièrement significative et d’autant plus que celui-ci se dit non croyant.

On peut imaginer un dialogue constructif entre Jürgen Moltmann et Edgar Morin. Rappelons l’intention de Moltmann dans sa doctrine de la création : En « partant de l’Esprit créateur, inhabitant », son approche se veut « en mesure de fournir des points de départ pour un dialogue avec les philosophies anciennes et nouvelles de la nature, non mécanistes, mais intégrales ».

Jürgen Moltmann montre comment à partir de la Renaissance, en Europe Occidentale, Dieu a été envisagé de plus en plus comme le « Tout puissant ». L’omnipotence est devenue un attribut de la divinité. Ce changement dans la représentation dominante de Dieu a engendré une transformation de la représentation de la nature. Comme image de Dieu sur la terre, l’être humain a été amené à se voir lui même en correspondance comme maître et Seigneur, à s’élever du monde comme objet passif et à le subjuguer (6). La Genèse a été interprétée en ce sens. Ainsi Moltmann entend la critique d’Edgar selon lequel la Bible raconte une création de l’homme complètement séparée de celle des animaux et a suscité une pensée anthropocentriste, mais il la resitue historiquement et présente une autre interprétation de la Genèse. Il rejoint Edgar Morin dans sa critique de l’humanisme anthropocentriste. La question posée est celle de la représentation de Dieu. Dieu, nous dit Moltmann, « n’est pas un Dieu solitaire et dominateur qui assujettit toute chose. C’est un Dieu relationnel et capable d’entrer en relation. C’est un Dieu en communion ».

Comme Edgar Morin, Moltmann critique les excès de la pensée analytique. « La pensée moderne s’est développée en un processus d’objectivisation, d’analyse, de particularisation et de réduction. L’intérêt et les méthodes de cette pensée sont orientés vers la maitrise des objets et des états de chose. L’antique règle romaine de gouvernement : « Divide et impera » imprègne ainsi les méthodes modernes de domination de la nature… A l’opposé, certaines sciences modernes, notamment la physique nucléaire et la biologie, ont prouvé à présent que ces formes et méthodes de pensée ne rendent pas compte de la réalité et ne font plus guère progresser la connaissance. On comprend au contraire beaucoup mieux les objets et les états de chose quand on les perçoit dans leurs relations avec leur milieu et leur monde environnant… La perception intégrale est nécessairement moins précise que la connaissance fragmentaire, mais plus riche en relations… Si donc on veut comprendre le réel comme réel et le vivant comme vivant, on doit le connaître dans sa communauté originale et propre, dans ses relations, ses rapports, son entourage… Une pensée intégrante et totalisante s’oriente dans cette direction sociale vers la synthèse, d’abord multiple puis enfin totale… ». Ces quelques notations permettent un dialogue constructif entre Jürgen Moltmann et Edgar Morin, ce sociologue et philosophe qui a développé un « paradigme de la complexité ».

Et, parallèlement, sur un autre registre, on perçoit également les convergences qui s’établissent entre Jürgen Moltmann et le pape François. Comme Jean Bastaire l’a montré, il y a un mouvement de fond qui se développe aujourd’hui en ce domaine. Un bel exemple est la correspondance entre la méditation du pape François sur la vie éternelle à la fin de son encyclique et le texte visionnaire de Jürgen Moltmann sur « la fête de la vie éternelle » comme dernier chapitre du recueil « Le rire de l’univers ». « Le rire de l’univers est le ravissement de Dieu » (7).

 

En route

Il y a des moments où l’apparition et le développement d’idées nouvelles en phase avec une évolution des mentalités suscitent à terme un changement du cours de l’histoire. A cet égard, l’exemple du XVIIIè siècle est particulièrement significatif. On peut penser qu’il en est de même aujourd’hui. Voilà pourquoi la mise en correspondance de la pensée de Jürgen Moltmann, du pape François et d’Edgar Morin nous paraît heuristique à travers les convergences dont elle témoigne.

Le 21 juillet 2015, un « sommet des consciences » (8) s’est réuni à Paris en rassemblant des personnalités influentes sur le plan religieux, moral et spirituel pour appeler à une prise de conscience écologique débouchant sur un engagement commun conjuguant action collective et changement personnel. Tous les aspects de notre être sont concernés (9) et la transformation de nos comportements est étroitement liée à celle de nos représentations. Chacun à leur manière, Jürgen Moltmann, le pape François et Edgar Morin éveillent notre compréhension et induisent un changement de notre regard

Jean Hassenforder

(1)            Moltmann (Jürgen). Le rire de l’univers. Traité de christianisme écologique. Anthologie réalisée et présentée par Jean Bastaire. Cerf, 2004. Les textes de Jean Bastaire mentionnés dans cet article sont issus de la préface écrite par celui-ci.

(2)            Moltmann (Jürgen). Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1988. Les textes cités sont issus de la préface, de la page de couverture, et en fin de parcours du texte : « la connaissance de la nature comme création de Dieu » (p 14-16).  Un aperçu sur le livre : « Dieu dans la création » sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=766

(3)            Pape François. Loué sois-tu. Lettre encyclique Laudato Si’ du Saint-Père François  sur la sauvegarde de la maison commune. Artège, 2015

(4)            Interview d’Edgar Morin par « La Croix » : « Edgar Morin. « L’encyclique Laudato Si’ est peut-être l’acte 1 d’un appel pour une nouvelle civilisation » : Site de « La Croix » le 21 juin 2015 : http://www.la-croix.com/Religion/Actualite/Edgar-Morin-L-encyclique-Laudato-Si-est-peut-etre-l-acte-1-d-un-appel-pour-une-nouvelle-civilisation-2015-06-21-1326175?utm_medium=Social&utm_source=Facebook&utm_campaign=Echobox&utm_term=Autofeed

(5)            Biographie d’Edgar Morin sur Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Edgar_Morin

(6)            Sur ce blog : « Vivre en harmonie avec la nature » : https://vivreetesperer.com/?p=757

(7)            « Réflexion : Pâques manifeste la plénitude de Dieu » : http://www.temoins.com/ressourcement/vie-et-spiritualite/ressourcement/reflexion-paques-manifeste-la-plenitude-de-dieu

(8)            « Le sommet des consciences » : https://www.whydoicare.org/fr

(9)            « Un Chemin de guérison pour l’humanité…(Frédéric Lenoir) » : https://vivreetesperer.com/?p=1048

 

Voir aussi : « Anne-Sophie Novel : Militante écologiste et pionnière de l’économie collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1975