Au sortir de la société hiérarchisée qui a prévalu pendant des siècles, l’aspiration à la liberté a grandi et s’est manifestée à travers des bouleversements sociaux comme les révolutions qui, à la suite de la Révolution Française, ont parsemé le XIXè siècle. Mais l’aspiration à la liberté ne se manifeste pas seulement au plan de la politique intérieure, mais aussi sur le registre des combats pour l’indépendance nationale par opposition à une domination étrangère et, dans le domaine social, en terme de luttes pour une libération face à l’exploitation d’un groupe dominant. Aujourd’hui encore, l’aspiration à la liberté figure dans l’actualité comme on l’a vu dans les « printemps arabes » et ce ferment est toujours actif.
Cependant, le mouvement pour la liberté n’est pas sans rencontrer des écueils. Il y a des avancées, mais aussi des reculs et des régressions. Le processus dépend pour une part de nos représentations de l’être humain et de la manière de concevoir la vie en société dans une perspective plus vaste. Quelle est notre vision de la nature humaine et de l’avenir de l’humanité ?
Pour répondre à ces interrogations, nous nous inspirons de la pensée de Jürgen Moltmann telle qu’elle s’exprime en quelques pages éclairantes dans son livre : « L’Esprit qui donne la vie » (1).
La liberté comme maîtrise.
Dans une rétrospective historique, on constate que la liberté s’est affirmée fréquemment en terme de lutte pour le pouvoir. Il y a des vainqueurs et des vaincus. Dans cette perspective conflictuelle, la liberté apparaît comme un privilège de ceux qui dominent. Cela a été le cas dans la société antique. La liberté apparaît alors comme une « maîtrise ». « Celui qui comprend la liberté comme maîtrise ne peut être libre qu’au détriment des autres hommes… Au fond, il ne connaît que lui-même et ce qu’il possède. Il ne voit pas les autres comme des personnes » (p 165). Si nous considérons principalement la libertécomme la possibilité de faire ce qui nous plaît, nous avons l’impression d’être « notre propre maître ». Mais alors, c’est l’individualisme qui prévaut. Certes, on fixe pour règle de respecter la liberté des autres. Mais n’est-ce pas sous-entendre que « tout homme n’est qu’une limite à ma liberté ». « Chacun est libre pour ce qui le concerne lui-même, mais personne ne se soucie de l’autre…Dans le cas idéal, il s’agit d’une société d’individus libres et égaux, mais solitaires » (p 160). Mais est-ce bien là une situation qui puisse répondre aux aspirations profondes de l’être humain ?
La liberté comme participation.
On peut avoir un autre regard sur la vie sociale selon lequel la liberté s’exerce dans une relation caractérisée par un respect réciproque. « C’est le concept de la « liberté communicative »… C’est dans l’amour mutuel que la liberté humaine trouve sa réalité. Je suis libre et me sens libre lorsque je suis respecté et reconnu par les autres (2) et, lorsque, de mon côté, je respecte et reconnaît les autres » (p 166). Si je partage ma vie avec d’autres, « l’autre n’est plus la limite, mais le complément à ma liberté ». « La vie est communion dans la communication… Nous nous communiquons mutuellement de la vie… Dans la participation à la vie les uns avec les autres, chacun devient libre au-delà des limites de son individualité » (p 166). Ainsi la liberté s’exerce dans la relation sociale. Elle se manifeste dans l’amour ou la solidarité.
En comparant « la liberté comme maîtrise » et « la liberté comme communauté », Jürgen Moltmann éclaire notre interprétation de l’histoire. « Aussi longtemps que la liberté signifie maîtrise, il faut tout séparer, isoler, fractionner et distinguer pour pouvoir dominer. Mais si la liberté signifie communauté, alors on fait l’expérience de l’union de tout ce qui est séparé ». Ainsi deux conceptions s’opposent : d’un côté, une logique individualiste, et d’un autre côté, une vision holistique. Dans cette vision, « l’aliénation de l’homme par rapport à l’homme, la séparation de la société humaine et de la nature, la scission entre l’âme et le corps, enfin la crainte religieuse sont abolies ». « La liberté comme communauté est un mouvement qui va en sens contraire des luttes pour le pouvoir et des luttes des classes dans lesquelles la liberté ne pouvait être comprise que comme domination… La vérité de la liberté humaine consiste dans l’amour qui veut la vie. Elle conduit à des communautés sans entraves, solidaires et ouvertes… » (p 167)
La liberté comme avenir.
Mais, si onconçoit la vie sociale sans pouvoir fonder sa dynamique dans une perspective d’avenir, sans horizon, alors un enfermement apparaît, un repli se manifeste. « La détermination de la liberté par la foi chrétienne conduit encore au delà de la liberté comme communauté. Nous avons caractérisé la foi chrétienne comme étant essentiellement espérance de la résurrection. A la lumière de cette espérance, la liberté est la passion créatrice pour le possible ». Pour s’exercer, la liberté ne peut se contenter de l’existant. « Elle est référée à l’avenir, à l’avenir du Dieu qui vient » (p 167). Ainsi nous regardons en avant, nous pensons en terme de projet, nous manifestons notre créativité. « Cette dimension de la liberté qui se réfère à l’avenir a été longtemps négligée parce qu’on ne comprenait pas la liberté de la foi chrétienne comme participation à l’agir créateur de Dieu. » (p 168). Dans cette perspective, « nous découvrons la liberté dans la relation de sujet à sujet en relation au projet commun.. ». Jürgen Moltmann nous appelle à entrer dans une vision. « Il est vrai que dans l’histoire dont nous faisons l’expérience, il nous est plus facile de désigner le négatif dont nous voulons nous libérer que d’exprimer le positif envue duquel nous espérons devenir libre. Mais c’est l’espérance d’un avenir plus grand qui, dans l’histoire, nous mène vers des expériences toujours nouvelles » (p 168).
Liberté, égalité, fraternité.
Dans cet éclairage, nous pouvons examiner la grande devise de la République française : liberté, égalité, fraternité. Lorsqu’on souffre de l’absence de liberté, on en perçoit le prix. Et l’égalité fait barrage aux privilèges qui entraînent et accompagnent la domination. Mais si l’on s’en tient à ces deux termes, on s’expose à retomber dans une situation où la recherche de maîtrise est sous-jacente et s’exprime dans un individualisme qui défait le lien social… C’est pourquoi, l’adjonction de la fraternité est essentielle. Et, si l’on se reporte à l’histoire, on sait que le terme s’est imposé au cours du processus qui a abouti à la Révolution de 1848 et que, par rapport à l’individualisme bourgeois, des chrétiens socialistes ont joué un rôle dans cette adjonction (3). Une inspiration chrétienne s’est manifestée dans l’émergence de la fraternité. La fraternité va de pair avec la solidarité et elle en est le ferment.
Dans un livre récent : « Le mystère français » (4), deux démographes, Hervé Le Bras et Olivier Todd, nous apportent un éclairage précieux sur la pluralité des cultures dans la société française. Cette réalité est mise en évidence à travers un ensemble de cartes particulièrement significatives. L’interprétation des auteurs peut naturellement être débattue. A notre sens, la notion de fraternité mériterait d’être davantage prise en compte. La crise de l’héritage révolutionnaire dans le grand bassin parisien, peut être perçue comme la résultante d’un déficit de fraternité. Le dynamisme qui se manifeste dans des régions autrefois marquées par un catholicisme hiérarchisé, peut être imputée à la fraternité qui se manifeste dans une inspiration évangélique autrefois contrôlée.
Aujourd’hui, dans la crise économique et sociale et le désarroi qui en résulte, la fraternité nourrit et soutient la vie en société. Elle s’exprime plus difficilement dans une vie politique marquée par la recherche du pouvoir. Mais, d’expérience, certains en savent l’importance. Ainsi, dans le récent livre de Ségolène Royal : « Cette belle idée du courage » (5), la fraternité est présente dans beaucoup de portraits. Et, à un moment, l’organisationd’une fête annuelle de la fraternité a manifesté la prise en compte d’aspirations populaires au risque de susciter une réaction hostile chez les tenants de l’idéologie traditionnelle.
Pour une société conviviale
Et pourtant, aujourd’hui, dans la mutation en cours, la politique ne peut ignorer un mouvement profond qui s’exprime dans la reconnaissance de l’empathie (6) et dans l’aspiration à une autre manière de vivre où la dimension fraternelle va de pair avec un mouvement qui va de l’avant. Ainsi Jean-Claude Guillebaud a-t-il intitulé son dernier livre : « Une autre vie est possible » (7).
Dans la même inspiration, on parle aujourd’hui de convivialité. Ainsi, dans un recueil intitulé « De la convivialité. Dialogue sur la société conviviale à venir » (8), Patrick Viveret met en cause la « démesure », ce que les grecs appelaient « l’hubris » comme une des causes de la crise actuelle. Et il conclut en posant la question du vivre ensemble entre les êtres humains. « Nous n’avons plus la facilité de contourner la question humaine en la reportant du côté des choses –passer du gouvernement des hommes à l’administration des choses – et il nous faut affronter la question du gouvernement des hommes à l’échelle planétaire. C’est fondamentalement, et la question de la démocratie, et au sens le plus radical du terme, la question de la qualité relationnelle interhumaine, j’ose le mot : de la qualité d’amour de l’humanité qui est en jeu dans la suite de sa propre aventure » (p 40) . L’appel à la convivialité s’étend puisque, tout récemment, un « Manifeste convivialiste » (9) vient de paraître.
Comment vivre ensemble entre êtres humains ? Et selon quelle éthique de la liberté ? La pensée théologique de Jürgen Moltmann nous aide à clarifier les termes du débat… Et, dans cette vision, s’il nous
J.H.
(1)Moltmann (Jürgen). L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999.La pensée théologique de Jürgen Moltman est présenté au public francophone sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : http://www.lespritquidonnelavie.com/.Vie et pensée de Jürgen Moltmann à travers son autobiographie : « Une théologie pour notre temps » : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=695
(2)La recherche en sciences sociales, notamment à travers les écritsde Axel Honneth, met de plus en plus l’accent sur l’importance pour les gens de se sentir reconnu par autrui. Nous renvoyons à recueil de contributions sur ce sujet récemment publié : La reconnaissance. Des revendications collectives à l’estime de soi. Editions Sciences humaines, 2013. « C’est dans le regard des autres que l’individu trouve la confirmation de son existence, qu’il se sent à la fois semblable et différent. Et qu’il peut trouver les sources de l’amour et de l’estime de soi….Le besoin de reconnaissance touche aussi bien les individus que les groupes ».
(5)Royal (Ségolène). Cette belle idée du courage. Grasset, 2013 Sur ce blog, mise en perspective : « Force et joie de vivre dans un engagement politique au service des autres » : https://vivreetesperer.com/?p=1335
(7)Guillebaud (Jean-Claude). Une autre vie est possible. Comment retrouver l’espérance ? L’Iconoclaste, 2012.Mise en perspective sur ce site : « Quel avenir pour le monde et pour la France » : https://vivreetesperer.com/?p=937
(8)Caillé (Alain), Humbert (Marc), Latouche (Serge), Viveret (Patrick). De la convivialité. Dialogues sur la société conviviale à venir ». La Découverte, 2011.
Dispersion, lâcher prise, ressourcement et rayonnement.
Propos de Jean-Claude Schwabrecueillis au fil d’une conversation.
Quelles sont les préoccupations auxquelles les gens sont confrontés aujourd’hui ?
« Aujourd’hui, beaucoup de gens ont de la peine à vivre, à se poser dans la vie. Cela vient du fait que le contexte social ou professionnel dans lequel nous vivons se délite et que les institutions qui nous emploient ne nous apportent plus le même soutien. Il arrive même que certains professionnels (même des ecclésiastiques) ne sont plus portés par leur institution. Ils ne trouvent plus de reconnaissance sociale non plus. Du coup, cela fait porter un immense fardeau sur leurs épaules, tant sur le plan professionnel que sur le plan personnel. On se sent à la limite du supportable, du possible. Ce matin, j’étais avec un collègue, en formation continue. Rien ne le soutient. … »C’est toi qui dois te promouvoir personnellement ». C’est unimmense fardeau. D’où l’importance de plus en plus grande d’avoir accès à d’autres appuis, à ses ressources personnelles d’une part et d’autre part aux autres ressources qui peuvent être disponibles.
Face aux manques d’appuis et de repères, quelle forme de ressourcement personnel proposes-tu aux gens ?
Pour moi, les ressources personnelles, c’est l’espace qu’on se donne pour recevoir son être de Dieu. Quand tu fais silence devant Dieu, il se passe quelque chose que tu ne peux pas produire par toi-même. Quand tu te présentes devant le Dieu de miséricorde, pour moi, c’est le Dieu de Jésus-Christ, il se passe quelque chose de mystérieux. C’est le sentiment fort d’exister, ce noyau indestructible de mon être qui n’est pas seulement une ressource, mais une source qui se renouvelle. Je suis alors dans le non-faire et non plus dans « tout ce qu’il y a à faire » et qui me dépasse. Je suis dans le sabbat. Je renonce à toutes les raisons d’exister autres que « d’être là ». Et alors il m’est redonné le sentiment de cette réalité du fondement de mon existence. C’est comme si je me laissais couler au fond de la piscine pour aller y toucher le fond et remonter ensuite.
Sur quoi se fonde cette expérience spirituelle et comment les gens la vivent-ils ?
En vivant cela avec certains de mes vis-à-vis, et en communiquant avec eux à ce sujet, je vois qu’ils font cette expérience et qu’ils trouvent un positionnement par rapport au tourbillon de la vie. Je travaille surtout avec des chrétiens, mais dans les sessions que j’organise, il y a aussi des gens hors cadre, hors milieu chrétien. Mon langage s’inspire de la Bible, mais il est accessible à tous. Parmi les paroles bibliques qui m’inspirent, il y a ce texte que je trouve tout à fait central, et qui parle à chacun. Paul dit : « Je suis qui je suis, par la grâce de Dieu », 1 Corinthiens15.10. C’est tout un chemin : Paul se compare d’abord aux autres apôtres plus grands que lui, pour ensuite ne plus se comparer du tout et se situer dans son être profond fondé dans l’être du Christ: « Je suis qui je suis ». On trouve dans l’Evangile une approche analogue lorsque Jésus déclare : « Avant qu’Abraham fut, Je suis » (Jean 8.58). Il affirme une réalité centrale de son être, indestructible. L’appel du psaume 46 (verset 11), lorsque Dieu dit : « Arrêtez et sachez que je suis Dieu », je levis comme une invitation à cette même démarche : s’arrêter, faire le Shabbat, c’est à dire : renoncer à tout ce qui semble justifier mon existence pour en retrouver le fondement. Dans l’expérience même qu’on peut faire lorsqu’on s’arrête, et qu’on laisse passer les distractions, on reçoit un sentiment fort d’exister. Cette perception-là redonne un courage de vivre. Ceux qui entrent dans cette démarche en font l’expérience.
Parmi les ressources disponibles, quelle est la place donnée aux relations humaines ?
Parmi les ressources qui sont mises à notre disposition, certaines viennent directement de Dieu et d’autres viennent de nos relations humaines. Je m’inspire beaucoup du texte d’Esaïe 50.4 : « Le Seigneur éveille mon oreille pour que j’écoute comme les « appreneurs »; il m’a donné une langue exercée, pour que je puisse soutenir par la parole celui qui est abattu… ». Ce texte met en lien une attitude profonde en Dieu avec la relation aux autres. Dans cette posture dépouillée devant Dieu, de l’arrêt, du silence et de l’écoute intérieure, je trouve ce noyau vital personnel, qui permet ensuite d’être un soutien pour les autres. Evidemment, quand on fait cela, il y a un retour à l’expéditeur. Lorsque tu entres dans une telle relation avec les autres, tu es nourri toi-même, sans pour autant que cela devienne ta raison de vivre ».
Propos de Jean-Claude Schwab recueillis au fil d’une conversation.
Jean-Claude Schwab est pasteur. Il participe activement au réseau : Expérience et théologie et a la responsabilité du site correspondant : http://www.experience-theologie.ch/accueil/
On pourra lire deux articles de Jean-Claude Schwab sur le site de Témoins :
Nous vous invitons à visiter également l’article : « Paix et joie en Dieu. Approche pour une méditation. La vision de Jürgen Moltmann dans « Ethics of Hope » sur le site : « L’Esprit qui donne la vie »
Autour d’une exposition : « Chagall entre guerre et paix ». Blaise Cendrars à propos de Chagall :
« Il dort, il est éveillé, il prend une église et il peint avec une église, il prend une vache et il peint avec une vache, avec une sardine… ».xx
Résidant dans une ville en Normandie, David Gonzalez a fait le déplacement pour visiter l’exposition : « Chagall entre guerre et paix », au Musée du Luxembourg. Au fil d’une conversation, il nous dit pourquoi il était motivé, ce qu’il a ressenti et ce qu’il en rapporte.
« Qu’est ce qui m’a motivé ? L’appel du désir. Parce que ma première rencontre avec les peintures de Chagall s’est réalisée fortuitement à l’occasion d’un mariage. Des amis préparaient leur mariage. Ils ont fait le choix de s’entourer d’amis plutôt que de vivre cette attente en famille ou dans une église. Et, au cours de l’après-midi précédant leur mariage, le groupe d’amis qui entourait les mariés, sous la direction d’un autre ami artiste, ont vécu un moment créatif sur le thème de Chagall. Sur des nappes en papier tendues sur des tasseaux en bois, ils ont peint tous ensemble des tableaux à la manière de Chagall. J’ai vu ces peintures et elles me sont allées droit au cœur. Elles m’ont fait une forte impression : les rouges, les bleus, des mariés voltigeant dans le ciel, des animaux lumineux dans la nuit de villages inconnus.
Ces impressions là, affectives et esthétiques, m’ont donné envie d’accrocher ces tableaux dans un petit temple anglais d’une station thermale normande qui ne sert quasiment qu’aux baptêmes et aux mariages. Je me suis dit que ces tableaux mettraient un peu de chaleur et de goût au milieu des boiseries et des béatitudes gravées sur les murs. Parmi ces tableaux produits au cours d’un pique-nique à la veille du mariage, quelques uns seulement étaient vraiment exposables. J’ai donc complété ce début d’expo en me procurant un catalogue de l’oeuvre peinte de Chagall, puis en photocopiant et en mettant sous verre quelques uns des tableaux les plus connus de ses diverses périodes.
Cette première expérience pour moi, a été principalement visuelle et pratique dans un premier temps. Mais elle a aussi déposé en moi deux notions très fortes : que Chagall peignait l’amour entre un homme et une femme et qu’il cherchait aussi à illustrer le divin. L’origine de ces peintures en provenance d’amis amoureux et l’accrochage dans le temple étaient certainement à l’origine de cette réception thématique : Chagall , Dieu et l’amour.
Quelques années plus tard, une amie m’a proposé d’aller voir l’exposition : « Chagall entre guerre et paix » au Musée du Luxembourg. Cet approfondissement de ma relation avec la peinture de Chagall se trouvait à nouveau habité par l’amitié et le désir. J’ai repensé à Dieu dans Chagall dans les habits de l’amour. Deux remarques : j’ai compris cette fois-ci que l’attention et l’état d’esprit conditionnent entièrement la réception d’une œuvre. Le désir et l’amitié m’ont semblé être la meilleure voie pour redécouvrir Chagall.
Premier pas dans le très fonctionnel Musée du Luxembourg. Les réservations sont complètes. Nous sommes nombreux devant les tableaux. Il est vingt heures trente. C’est une expérience crépusculaire.
Première séquence de tableaux : c’est le Chagall des années 1910. Deux toiles vertes transforment immédiatement mon souvenir en découverte. Ce n’est plus le Chagall des ciels bleu nuit et des rouges omniprésents. Il y a devant moi une peinture représentant une femme et son enfant devant une fenêtre, et c’est la lumière végétale et le vert des tissus qui illuminent ce tableau . Plus de flou. Un tableau réaliste. Le dessin est extrêmement précis. La femme, c’est Bella, et le nourrisson, c’est la petite fille de Marc Chagall.
La vie s’est comme arrêtée. Le cours de la vie est suspendu au présent. Et ce présent a la beauté froide d’une foret ukrainienne. Marc Chagall me fait penser à Sören Kierkegaard : sa vie entière était une attente de l’amour heureux. C’est ce que la vie lui offre. Il s’en saisit. En 1914, la guerre éclate. Chagall ne peut plus revenir à Paris comme il le désirait. C’est un exil. Il doit rester à Vitebesk. C’est une épreuve et le vide d’une réclusion.
C’est la période russe de Chagall. Dans le prolongement du premier espace du Musée du Luxemboug, sont exposés : dessins, croquis, fusains, encres de Chine, acrylique et gouache de Chagall en exil. C’est un peuple juif qui défile sous nos yeux. Des rabbins ont la figure de Monsieur tout le monde. Des visages parfois tourmentés à l’extrême où se lit toute l’angoisse du monde et de l’humain. Parfois, ce sont des regards et des bouilles totalement cocasses. On voit même un rabbin transportant la Bible sur son dos en forme d’armoire. Des inscriptions hébraïques au sens énigmatique figurent sur presque chaque portrait et scène de vie. Plusieurs encres de Chine et papier mine ont pour support du papier d’emballage. Peindre Chagall sur des nappes en papier correspondait bien à l’esprit de l’artiste. L’art comme la vie est précaire et sans prix. En regardant cette production sans aucune couleur, Chagall campe un drame historique où se marque à la fois, au quotidien, l’angoisse et l’humour.
Séquence suivante. Nous retrouvons les mariés de Chagall virevoltant dans un ciel nocturne comme peuplé d’animaux et de personnages bizarres. L’un des personnages bizarres est un juif volant. C’est la figure du juif errant. C’est l’image de l’humain cherchant le sens de sa vie au cours de son parcours terrestre. De même, dans la tradition hassidique, les animaux révèlent quelque chose du monde de Dieu.
Nouvelle séquence. Au centre de l’exposition, se dévoile une série d’illustrations portant sur la Bible. Elle est pour Chagall : « la plus grande source de poésie de tous les temps ». C’est un ensemble d’eaux-fortes insérées au sein de la Bible de Genève. C’est le grand tableau relevé à la gouache du roi David jouant de la lyre. C’est le don des tables de la loi à Moïse. Ce sont les prophètes, les patriarches, les guerriers et les rois.
Des crucifixions, notamment un très grand triptyque font le lien entre la persécution de Jésus et celle des juifs en Europe dans les années 40. Chagall en a fait don à l’état français. Comme bien souvent, l’image de Jésus déroute et sa normalité questionne. C’est à ce moment là du parcours que l’amie qui m’accompagnait me demande si Jésus était amoureux d’une femme ou d’un homme comme le raconte plusieurs romans historiques contemporains. L’échange dure dix minutes. Et c’est un échange pour tous puisqu’un petit groupe s’est arrêté à côté de nous pour écouter discrètement l’échange d’arguments. Nous en venons, en conclusion, à la question la plus pertinente : Qui est Jésus pour toi ? Et nous poursuivons notre visite.
Dernière séquence. L’exposition est assez courte et nous nous retrouvons au milieu des tableaux de la dernière période de la vie de Chagall. Fini les noirs, les rouges et les inversions chromatiques. Plus de barbes violettes, bleues ou vertes. C’est maintenant l’équilibre à petites touches d’un coucher de soleil dans la baie d’Antibes, des palmiers et lilas… Le paradis terrestre est presque là. Retour à une réalité ensoleillée. Quelque chose s’est passé. Peut-être Chagall a-t-il fini par aimer le monde tel qu’il est. Son esprit bohème semble s’être posé, mais sa peinture n’a pas fini de nous faire rêver .
« Mon cirque se joue dans le ciel,
Il se joue dans les nuages, parmi les chaises.
Il se joue dans la fenêtre où se reflète la lumière »
Marc Chagall
Le divin n’a donc pas que le visage des vieilles églises désertes. Il se reflète aussi dans la richesse des couleurs du monde, du désir et de l’amitié, mais, pour l’apprécier, il faut aimer et se savoir aimé. Dès lors, la vie, l’église, la foi en Jésus-Christ sont comme des vitraux qui nous disent un désir, à la fois souterrain et divin, que nous soyons heureux de vivre et d’espérer ».
Contribution de David Gonzalez.
Exposition : Chagall entre guerre et paix. 21 février- 21 juillet 2013 au Musée du Luxembourg
Émerveillement, contemplation, adoration : un chant de Taizé .
A travers le web, nous pouvons partager nos découvertes, mais aussi, nous entretenir à leur sujet. Une amie, m’ayant fait parvenir une vidéo rapportant un chant de Taizé, je l’ai fait connaître autour de moi . Une réponse : « c’est vraiment magnifique et le diaporama est très beau ».
Effectivement, les paroles de ce chant nous appelle à la méditation, à la contemplation, à l’adoration.
Ô toi, au delà de tout, Quel esprit peut te saisir ? Tous les êtres te célèbrent, Le désir de tous aspire à toi.
En quelques mots, ce chant exprime une inspiration puisée dans les psaumes . Cette strophe, répétée dans une mélodie harmonieuse, inspire et accompagne notre pensée.
Cependant, ce chant est, de plus, accompagné par un diaporama. Alors que d’autres chants sont accompagnés par des images directement connotées par une pratique religieuse, nous trouvons ici une évocation beaucoup plus large. Il y a une grande harmonie entre le chant et les images qui se succèdent.
Ces images renvoient d’abord à l’environnement naturel de Taizé : une eau vive, des fleurs, des papillons… Une trouvaille : le chant s’inscrit dans le cycle d’un jour, de l’aube à l’arrivée de la nuit. C’est pour nous un signe de paix et d’harmonie
Au cœur du diaporama, apparaît un bas-relief qui nous montre une procession en marche vers la nativité. Ainsi, dans cette évocation d’un Dieu qui nous dépasse, il y a le rappel bienvenu de la venue de Jésus à Noël . Et Jésus manifeste concrètement la présence de Dieu, et nous le révèle comme un bon père.
Enfin, pendant une longue séquence filmée, nous voyons apparaître les visages de ceux qui participent à cette célébration chorale : visages divers dans les expressions et les attitudes puisqu’on voit de temps à autre un jeu d’instrument de musique. A travers ces visages, nous entrons dans une communion d’esprit.
Ainsi, le chant et le diaporama s’allient pour nous faire entrer dans une harmonie : émerveillement, contemplation, adoration.
Dans son livre : « Sa présence dans ma vie ». Odile Hassenforder exprime la bonté et l’amour de Dieu.
En nous faisant part de son parcours spirituel tout au long de sa vie, d’une expérience fondatrice dans laquelle elle a reçu à la fois guérison et ressenti de l’amour de Dieu jusqu’aux dernières années où confrontée à une grave maladie, elle a trouvé en Dieu force et soutien, en passant par deux décennies où elle a vécu vie familiale et engagement chrétien en étant à l’écoute de tous ceux qui étaient en difficulté ou en recherche, Odile Hassenforder nous exprime, dans son livre (1) l’essentiel de sa foi . « Qui est Dieu ? » Un Dieu de Bonté et d’amour, nous répond-elle dans les différents textes qui composent ce chapitre, et, entre autres, celui-ci : « Geste d’amour ».
Geste d’amour.
Il est encore trop petit, mais il a très envie d’être grand. Alors, il emprunte le vélo du grand frère. Maman le lui a interdit pourtant. Ce qui devait arriver, arriva : il est tombé et s’est fait très mal. Quelle maman, ou quel papa, digne de ce nom, va-t-il le gronder ? A la vue du petit blessé, le geste d’amour spontané n’est-il pas de se précipiter pour consoler son enfant, le prendre dans ses bras et le soigner ? La leçon viendra plus tard. De cette expérience malheureuse, l’enfant retiendra d’abord et surtout cette tendresse qu’il a reçue. De même, cet adolescent, après un conflit avec son père, se réjouira de la réconciliation au cours de laquelle il s’est senti compris et aimé.
Nous sommes créés à l’image de Dieu, ce Dieu d’amour qui a pris nature humaine pour communiquer avec nous. Jésus est venu nous révéler la bonté infinie de son Père. Il nous en parle en racontant l’histoire de cet homme qui accueille sans reproche son fils, celui qui a dilapidé son héritage. Il le voit de loin, et, saisi d’une grande compassion, il court à sa rencontre et l’embrasse (Luc 15).
De même, j’ai été très émue le jour où j’ai lu le chapitre 11 du livre d’Osée . L’Eternel considère le peuple d’Israël comme son enfant. « Quand Israël était enfant, je l’ai aimé. J’ai appelé mon fils à sortir d’Egypte… C’est moi qui ai guidé les premiers pas d’Ephraïm (diminutif d’Israël) et qui l’ai porté dans mes bras. Mais il n’a pas voulu savoir que, moi, je prenais soin de Lui. Je le dirigeais avec ménagement, lié à lui par des liens d’amour. J’étais pour lui comme un père qui porte son petit enfant tout contre sa joue… ». Quelle sollicitude ! Quelle tendresse quasi maternelle !
Dieu nous a aimé le premier. Il fait des projets de bonheur pour chacun de nous, rappelle le prophète Jérémie (29/11 ). Il vient au devant de nous. Son pardon nous est acquis d’avance (I Jean 1/9).
Quand Jésus bénit les petits enfants et les donne en modèle à ses disciples, ne veut-il pas leur faire comprendre la nécessité d’accueillir avec confiance la bonté de son Père ?
« Le Seigneur est bienveillant et compatissant,
Patient et d’une immense bonté.
Le Seigneur est bon pour tous.
Son amour s’étend à tous ceux qu’Il a créés » (Psaume 145/8).