Transformer les mentalités et les institutions. Réformer le système scolaire.
Les pistes ouvertes par Yann Algan.
Comment dissiper la méfiance qui s’est installée dans une partie de la société française en perturbant les relations ?
Quel constat ? Quelle analyse ? Quels remèdes ?
Cette question nous concerne personnellement et collectivement. Comment vivons-nous la relation avec ceux qui nous entourent et dans quelles dispositions entrons-nous en contact avec eux ? Comment percevons-nous notre rapport avec les collectivités et les institutions ?
Professeur d’économie à Sciences-po, Yann Algan a écrit en 2007 unpremier livre sur « la société de défiance » (1). En 2008, il a reçu le prix du meilleur jeune économiste français décerné par « Le Monde » et le Cercle des économistes pour ses travaux sur les relations entre confiance et économie. En 2012, il cosigne « la fabrique de la défiance et comment s’en sortir », un livre où l’école tient une large place (Prix lycéen du meilleur livre d’économie) (2). Ses propos rapportés ici dans une interview sur « impact » en vidéo nous aident à y voir plus clair.
Une société de défiance : le diagnostic de Yann Algan.
Un premier temps : le diagnostic ! Une société de défiance, c’est une société dans laquelle les citoyens se méfient les uns des autres. Et, dans le même mouvement, ils entretiennent beaucoup de défiance vis-à-vis de la direction des entreprises dans lesquelles ils travaillent, et parallèlement, vis à vis des institutions de l’état. La méfiance est ainsi un dénominateur commun.
« Lorsqu’on demande aux Français : « D’une manière générale peut-on faire confiance à la plupart des gens ou bien n’est-on jamais assez prudent quand on a affaire aux autres ? », ils apparaissent particulièrement méfiants… Au sein de l’OCDE, nous avons, avec le Portugal et la Turquie, la plus faible confiance. En revanche, dans les pays scandinaves, celle-ci est trois fois supérieure à la nôtre. Elle est également très inférieure à celle des Etats-Unis, de l’Angleterre, de l’Allemagne, et même de l’Espagne et de l’Italie » (« La Fabrique de la défiance », p16). La France se classe parallèlement parmi les pays où l’on ressent le plus de pessimisme et où on éprouve le plus de mal être.
Il y a un lien entre les différents champs d’activité où on peut observer des formes de défiance.
Le système scolaire français, très hiérarchisé, impose aux élèves des comportements qui ne leur permettent pas de grandir dans la confiance. La transmission des savoirs de haut en bas reste dominante. Et l’enseignement français se caractérise par une méthode de classement qui stigmatise certains élèves durant toute leur vie.
Ces comportements intériorisés se retrouvent ensuite dans la majorité des entreprises françaises (3) dirigées de haut en bas par une élite formée dans les grandes écoles, des managers qui ont peu appris à collaborer avec leur personnel. Les enquêtes internationales font apparaître que les entreprises françaises sont, avec leurs homologues japonaises, les entreprises qui sont dirigées le plus verticalement, avec un moindre degré de coopération et davantage de conflictualité.
La méfiance s’exerce également vis-à-vis des institutions del’État. L’État apparaît en effet comme hiérarchisé, dirigé par une petite élite, peu transparent. Cette situation s’accompagne d’un ressenti des inégalités de statut. Les enquêtes internationales mettent en évidence une défiance des citoyens français vis-à-vis des institutions publiques plus grande que celle qui apparaît dans d’autrespays, même par rapport à des pays d’Europe continentale et jusqu’aux pays méditerranéens.
Si le degré de confiance est plus bas en France que dans la majorité des pays comparables, en fonction de la crise, il a encore baissé au cours des trois dernières années. Et, plus encore, il a baissé davantage que dans d’autres pays confrontés avec la même crise.
Cette situation a des effets extrêmement négatifs, non seulement dans la manière dont elle conditionne les relations personnelles, mais aussi par son impact à une échelle globale. Yann Algan estime que cette négativité engendre une perte de 1,5 à 2% du Produit Intérieur Brut. Dans les sociétés post-industrielles, l’innovation a une importance considérable. Or, pour se développer, l’innovation requiert un climat qui favorise la coopération et l’initiative.
Le bonheur des français selon Claudia Senik.
Signalons ici une autre recherche qui vient d’être diffusée et dont les résultats convergent avec les investigations de Yann Algan. Une économiste française, professeur à l’Ecole d’économie de Paris, Claudia Senik, a publié en 2011 une étude rédigée en anglais : « The French unhapiness puzzle : The cultural dimension of happiness » (le mystère du malheur français : la dimension culturelle du bonheur). Les résultats de cette recherche apparaissent aujourd’hui au grand jour (4).
Dans une interview sur Rue 89 (5), Claudia Senik nous indique le sens de sa recherche : « J’ai mené plusieurs travaux sur la relation entre revenu et bien être, et en faisant ces travaux, en utilisant des enquêtes internationales, je me suis rendu compte que la France était tout le temps, en dessous des autres pays en terme de bien être moyen. Les français transforment systématiquement un niveau de vie donné en un niveau de bonheur moindreque dans les autres pays en moyenne. Et cet écart est assez stable depuis qu’on a des données (les années 70). Quand on est en France, toutes choses égales par ailleurs, on a 20% de chances en moins d’être heureux, en tout cas de se dire très heureux ».
La poursuite de cette recherche a fait apparaître un lien entre ce ressenti et une orientation culturelle. Ainsi, l’auteur s’interroge beaucoup sur le rôle de la première instance de socialisation : l’école. Une observation accompagne cette réflexion : « Les immigrés qui sont passés par l’école en France depuis un très jeune âge sont moins heureux que ceux qui ne sont pas passés par l’école française. On peut penser que les institutions de socialisation primaire formatent assez lourdement ».
Dès lors, comme le rapporte un article paru dans « Le Monde » (6), sur le registre des hypothèses, Claudia Senik formule des recommandations pour l’enseignement français. « Comment être heureux dans un monde mondialisé, si l’on ne maîtrise pas l’outil de la mondialisation qu’est la connaissance des langues étrangères ? Le système français est trop unidimensionnel. Il classe les gens en les notant essentiellement sur les maths et le français et présente un niveau d’exigence trop élevé dans une seule dimension. Autrement dit, les enfants qui ne sont bonsni en math, ni en français, mais qui peuvent avoir du talent pour d’autres disciplines s’habituent à se penser eux-mêmes en niveau d’échec, surtout dans un pays où l’on proclame l’égalité des chances ».
L’interpellation du système scolaire par Claudia Senik rejoint celle qui est formulée par Yann Algan sur le même sujet.
Promouvoir la confiance
Lorsqu’on revient au thème central : la défiance répandue enFrance, comment, en regard, promouvoir le développement de la confiance ? On peut s’interroger sur les origines historiques de cette attitude. Elle remonterait à l’entre-deux guerres et se serait surtout développée à partir de la fin de la seconde guerre mondiale. Aujourd’hui, Yann Algan voit les causes de cette défiance principalement dans le dysfonctionnement des institutions. En réformant les institutions, il y a donc une possibilité d’y remédier. Yann Algan met en évidence un mauvais fonctionnement des institutions étatiques. Nous voudrions ici rapporter ses critiques sur le système scolaire et, en regard, les propositions de réforme.
Le système scolaire en France. Analyses et remèdes.
Ces analysesse retrouvent dans différentes publications de Yann Algan. Il y revient dans un récent article paru récemment dans « Le Monde » (7) où il recommande à l’école, la mise en oeuvre d’un vivre ensemble plutôt que la mobilisation autour de l’enseignement d’une morale. « Quels grands principes « moraux » l’école doit-elle transmettre si ce n’est l’art de vivre ensemble ? »
Tout se tient. Le manque de confiance engendré par le système scolaire est lié aux modes de relation qui l’emportent aujourd’hui dans ce système. Toutes les mesures internationales montrent que l’écolier français se sent beaucoup moins bien à l’école que les enfants des autres pays développés. « A la question posée dans quarante pays différents : « Vous sentez-vous chez vous à l’école ? », plus d’un de nos enfants sur deux répond par la négative. C’est de loin la piresituation de tous les pays. En moyenne, dans les pays de l’OCDE, plus de quatre élèves sur cinq déclarent se sentir chez eux à l’école, qu’ils habitent en Europe continentale, méditerranéenne ou dans les pays anglo-saxons ». (« La fabrique de la défiance », p 107). Notre école a beau rappeler les grands principes de vie ensemble, elle développe moins le goût de la coopération que celui de la compétition.
Et, d’autre part, la hiérarchie présente dans le système scolaire se manifeste très concrètement dans la prédominance de méthodes pédagogiques trop verticales. « Notre école insiste trop exclusivement sur les capacités cognitives sans se soucier des capacités sociales de coopération avec les autres. Selon des enquêtes internationales (Piris et Timss) sur les pratiques scolaires, 56% des élèves français de 14 ans déclarent consacrer l’intégralité de leurs cours à prendre des notes au tableau, en silence. C’est le taux le plus élevé de l’OCDE après le Japon et la Turquie. Où est l’échange, le partage, la relation ? D’autant qu’à contrario, 72% de nos jeunes déclarent ne jamais avoir appris à travailler en groupe avec des camarades ! ». Et, par ailleurs, il est nécessaire d’agir dès le plus jeune âge. « Les compétences sociales et plus généralement les capacités non cognitives comme la coopération avec les autres, l’estime de soi et la confiance dans autrui, se développent très tôt, dès 3-4 ans ».
Yann Algan met ainsi en évidence un dysfonctionnement profond de notre système scolaire qui s’enracine dans une longue histoire. Au long des années, des groupes militants ont cherché à corriger cette trajectoire en développant des formes nouvelles d’éducation. Nous avons nous-mêmes participé à cette entreprise en oeuvrant pour le développement des bibliothèques, des centres documentaires et pour l’innovation dans l’enseignement. La recherche de Yann Algan et de ses collègues montre combien le système scolaire français est resté traditionnel et l’ampleur du chemin qui reste à parcourir. Mais aujourd’hui, la mutation culturelle exige une transformation profonde de notre système scolaire et éducatif. Quoiqu’il en soit, les jeunes participent par ailleurs aux formes nouvelles qui induisent des changements de mentalité.
Les origines culturelles.
Yann Algan met en évidence les dysfonctionnements institutionnels qui engendrent une défiance et recommande des réformes en profondeur pour y remédier. Mais n’y a-t-il pas également des racines de la défiance dans la culture telle qu’elle influe sur lesreprésentations. En traitant de la question des freins au bonheur dans les esprits, Claudia Senik évoque cette hypothèse. Mais, plus avant, si le système scolaire engendre des comportements de défiance, il est le produit d’une histoire qui remonte dans le passé et qui témoigne d’une culture marquée par une tradition hiérarchique. Si, comme on l’a vu, les élèves français ne se sentent pas chez eux à l’école, ne serait-ce pas parce que celle-ci est encore imposée de l’extérieur à la société et s’inscrit dans des formes bureaucratiques et corporatistes ? Dans son livre : « La Société de confiance » (8) qui fait suite au « Mal Français », Alain Peyrefitte met en évidence l’influence de l’inspiration protestante dans toute une gamme de pays où on peut observer aujourd’hui encore des comportements davantage empreints de confiance. A contrario, l’histoire de France est marquée par un conflit entre l’Ancien Régime et la Révolution, entre une Eglise catholique hiérarchisée et des forces contraires qui ont également imposé d’en haut leur idéologie (9). Ainsi, dans son livre : « La France imaginée » (10), Pierre Birnbaum montre comment, au XIXè siècle, la tradition centraliste et unitaire a prévalu, des passions rivales en faveur de l’uniformisation s’affrontant l’une contre l’autre. Et, de même, des milieux opposés étaient structurés par des mécanismes hiérarchiques. Cette tradition se dissipe peu à peu. Mais, dans les années d’après-guerre, un sociologue, Michel Crozier, pouvait encore parler de la France comme « une terre de commandement ». On voit bien en quoi la transformation des mentalités est appelée à se poursuivre.
La confiance comme réalité spirituelle.
Dans les aléas de l’histoire, il demeure que la confiance est une réalité spirituelle. Et si cette réalité se manifeste au plan personnel, elle prend aussi une forme sociale. Ce blog essaie de témoigner de cette réalité (11). On observe dans l’histoire des formes de coopération qui peuvent être considérées comme une avant garde. Dans la plupart des pays, la vie associative est de plus en plus répandue. Et aujourd’hui, à l’échelle internationale, on perçoit un mouvement croissant de convivialité. A travers certains milieux, la France y participe. Et par delà les obstacles locaux et les replis conjoncturels, une vision spirituelle de la confiance se dessine : « Être vivant signifie exister en relation avec les autres. Vivre, c’est la communication dans la communion… L’ « essence » de la création dans l’Esprit est par conséquent la « collaboration », et les structures manifestent la présence de l’Esprit, dans la mesure où elles font connaître l’accord général » (12).
Dans la mutation actuelle de la culture et de la société, la confiance devient de plus en plus une requête sociale. Si faire confiance aux autres est l’expression d’un choix existentiel, c’est aussi une contribution à une dynamique sociale cherchant à réaliser un environnement plus positif.
J. H.
(1)Algan (Yann), Cahuc (Pierre). La société de défiance. Ed Rue d’Ulm, 2007.
(2)Algan (Yann) Cahuc (Pierre), Zylbergerg (André). La fabrique de la défiance. Grasset, 2012. Les auteurs, trois économistes réputés, montrent comment « la défiance est au cœur du pessimisme français… Elle n’est pourtant pas un héritage culturel immuable ». De fait, elle résulte d’un cercle vicieux où le fonctionnement hiérarchique et élitiste de l’école nourrit celui des entreprises et de l’état ». Ce livre propose une dynamique de réforme. « Il n’y a pas de fatalité au mal français. La confiance aussi se fabrique… ». Itinéraire de Yann Algan sur Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Yann_Algan Nous présentons une interview de Yann Algan recueillie par Impact et présentée sur You Tube : http://www.youtube.com/watch?v=aXCRkEAtE9U
(3)Voir aussi : Philippon (Thomas. Le capitalisme d’héritier. La crise française du travail. Seuil, 2007. Présenté dans un article : « Défiance ou confiance » sur le site de Témoins : http://www.temoins.com/societe/defiance-ou-confiance.html
(8)Peyrefitte (Alain). La société de confiance. Essai sur les origines et la nature du développement. Odile Jacob, 1995. Ce livre est une thèse de doctorat qui marque l’aboutissement d’une longue recherche de l’auteur sur le thème de la confiance et met en évidence le rapport entre confiance et développement.
(12)Nous nous référons ici à la pensée de Jürgen Moltmann, qui nous propose une théologie de l’espérance, qui est la source d’une dynamique de confiance. Introduction à la pensée de Jürgen Moltmann sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : http://www.lespritquidonnelavie.com/ Vie et pensée de Jürgen Moltmann : « Une théologie pour notre temps » : http://www.temoins.com/etudes/une-theologie-pour-notre-temps.-l-autobiographie-de-jurgen-moltmann/toutes-les-pages.html Les citations mentionnées ici sont extraites de son livre : Moltmann (Jürgen). Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Le Cerf, 1988 (citations p.12 et p. 25).
Dispersion, lâcher prise, ressourcement et rayonnement.
Propos de Jean-Claude Schwabrecueillis au fil d’une conversation.
Quelles sont les préoccupations auxquelles les gens sont confrontés aujourd’hui ?
« Aujourd’hui, beaucoup de gens ont de la peine à vivre, à se poser dans la vie. Cela vient du fait que le contexte social ou professionnel dans lequel nous vivons se délite et que les institutions qui nous emploient ne nous apportent plus le même soutien. Il arrive même que certains professionnels (même des ecclésiastiques) ne sont plus portés par leur institution. Ils ne trouvent plus de reconnaissance sociale non plus. Du coup, cela fait porter un immense fardeau sur leurs épaules, tant sur le plan professionnel que sur le plan personnel. On se sent à la limite du supportable, du possible. Ce matin, j’étais avec un collègue, en formation continue. Rien ne le soutient. … »C’est toi qui dois te promouvoir personnellement ». C’est unimmense fardeau. D’où l’importance de plus en plus grande d’avoir accès à d’autres appuis, à ses ressources personnelles d’une part et d’autre part aux autres ressources qui peuvent être disponibles.
Face aux manques d’appuis et de repères, quelle forme de ressourcement personnel proposes-tu aux gens ?
Pour moi, les ressources personnelles, c’est l’espace qu’on se donne pour recevoir son être de Dieu. Quand tu fais silence devant Dieu, il se passe quelque chose que tu ne peux pas produire par toi-même. Quand tu te présentes devant le Dieu de miséricorde, pour moi, c’est le Dieu de Jésus-Christ, il se passe quelque chose de mystérieux. C’est le sentiment fort d’exister, ce noyau indestructible de mon être qui n’est pas seulement une ressource, mais une source qui se renouvelle. Je suis alors dans le non-faire et non plus dans « tout ce qu’il y a à faire » et qui me dépasse. Je suis dans le sabbat. Je renonce à toutes les raisons d’exister autres que « d’être là ». Et alors il m’est redonné le sentiment de cette réalité du fondement de mon existence. C’est comme si je me laissais couler au fond de la piscine pour aller y toucher le fond et remonter ensuite.
Sur quoi se fonde cette expérience spirituelle et comment les gens la vivent-ils ?
En vivant cela avec certains de mes vis-à-vis, et en communiquant avec eux à ce sujet, je vois qu’ils font cette expérience et qu’ils trouvent un positionnement par rapport au tourbillon de la vie. Je travaille surtout avec des chrétiens, mais dans les sessions que j’organise, il y a aussi des gens hors cadre, hors milieu chrétien. Mon langage s’inspire de la Bible, mais il est accessible à tous. Parmi les paroles bibliques qui m’inspirent, il y a ce texte que je trouve tout à fait central, et qui parle à chacun. Paul dit : « Je suis qui je suis, par la grâce de Dieu », 1 Corinthiens15.10. C’est tout un chemin : Paul se compare d’abord aux autres apôtres plus grands que lui, pour ensuite ne plus se comparer du tout et se situer dans son être profond fondé dans l’être du Christ: « Je suis qui je suis ». On trouve dans l’Evangile une approche analogue lorsque Jésus déclare : « Avant qu’Abraham fut, Je suis » (Jean 8.58). Il affirme une réalité centrale de son être, indestructible. L’appel du psaume 46 (verset 11), lorsque Dieu dit : « Arrêtez et sachez que je suis Dieu », je levis comme une invitation à cette même démarche : s’arrêter, faire le Shabbat, c’est à dire : renoncer à tout ce qui semble justifier mon existence pour en retrouver le fondement. Dans l’expérience même qu’on peut faire lorsqu’on s’arrête, et qu’on laisse passer les distractions, on reçoit un sentiment fort d’exister. Cette perception-là redonne un courage de vivre. Ceux qui entrent dans cette démarche en font l’expérience.
Parmi les ressources disponibles, quelle est la place donnée aux relations humaines ?
Parmi les ressources qui sont mises à notre disposition, certaines viennent directement de Dieu et d’autres viennent de nos relations humaines. Je m’inspire beaucoup du texte d’Esaïe 50.4 : « Le Seigneur éveille mon oreille pour que j’écoute comme les « appreneurs »; il m’a donné une langue exercée, pour que je puisse soutenir par la parole celui qui est abattu… ». Ce texte met en lien une attitude profonde en Dieu avec la relation aux autres. Dans cette posture dépouillée devant Dieu, de l’arrêt, du silence et de l’écoute intérieure, je trouve ce noyau vital personnel, qui permet ensuite d’être un soutien pour les autres. Evidemment, quand on fait cela, il y a un retour à l’expéditeur. Lorsque tu entres dans une telle relation avec les autres, tu es nourri toi-même, sans pour autant que cela devienne ta raison de vivre ».
Propos de Jean-Claude Schwab recueillis au fil d’une conversation.
Jean-Claude Schwab est pasteur. Il participe activement au réseau : Expérience et théologie et a la responsabilité du site correspondant : http://www.experience-theologie.ch/accueil/
On pourra lire deux articles de Jean-Claude Schwab sur le site de Témoins :
Nous vous invitons à visiter également l’article : « Paix et joie en Dieu. Approche pour une méditation. La vision de Jürgen Moltmann dans « Ethics of Hope » sur le site : « L’Esprit qui donne la vie »
Émerveillement, contemplation, adoration : un chant de Taizé .
A travers le web, nous pouvons partager nos découvertes, mais aussi, nous entretenir à leur sujet. Une amie, m’ayant fait parvenir une vidéo rapportant un chant de Taizé, je l’ai fait connaître autour de moi . Une réponse : « c’est vraiment magnifique et le diaporama est très beau ».
Effectivement, les paroles de ce chant nous appelle à la méditation, à la contemplation, à l’adoration.
Ô toi, au delà de tout, Quel esprit peut te saisir ? Tous les êtres te célèbrent, Le désir de tous aspire à toi.
En quelques mots, ce chant exprime une inspiration puisée dans les psaumes . Cette strophe, répétée dans une mélodie harmonieuse, inspire et accompagne notre pensée.
Cependant, ce chant est, de plus, accompagné par un diaporama. Alors que d’autres chants sont accompagnés par des images directement connotées par une pratique religieuse, nous trouvons ici une évocation beaucoup plus large. Il y a une grande harmonie entre le chant et les images qui se succèdent.
Ces images renvoient d’abord à l’environnement naturel de Taizé : une eau vive, des fleurs, des papillons… Une trouvaille : le chant s’inscrit dans le cycle d’un jour, de l’aube à l’arrivée de la nuit. C’est pour nous un signe de paix et d’harmonie
Au cœur du diaporama, apparaît un bas-relief qui nous montre une procession en marche vers la nativité. Ainsi, dans cette évocation d’un Dieu qui nous dépasse, il y a le rappel bienvenu de la venue de Jésus à Noël . Et Jésus manifeste concrètement la présence de Dieu, et nous le révèle comme un bon père.
Enfin, pendant une longue séquence filmée, nous voyons apparaître les visages de ceux qui participent à cette célébration chorale : visages divers dans les expressions et les attitudes puisqu’on voit de temps à autre un jeu d’instrument de musique. A travers ces visages, nous entrons dans une communion d’esprit.
Ainsi, le chant et le diaporama s’allient pour nous faire entrer dans une harmonie : émerveillement, contemplation, adoration.
Comment, dans un climat d’écoute, la vie divine peut être reconnue, se manifester et s’exprimer dans l’amour et dans la paix.
Le message de Frère Roger à Taizé .
Nos itinéraires spirituels sont divers. Les étapes et les lieux varient selon chacun. Mais, dans l’inspiration de l’Esprit de Dieu, nous sommes en marche. Aujourd’hui, à la suite d’un échange sur internet, nous avons découvert quelques vidéos qui nous communiquent de brefs, mais lumineux messages de Frère Roger. Roger Schutz, né en Suisse en 1915, a été, dans les années 40, le fondateur de la communauté de Taizé. Et, ensuite, pendant des années, devenu Frère Roger, il en a été l’inspirateur et le responsable jusqu’à sa mort, assassiné le 12 mai 2005 (1).
En regardant les deux vidéos que nous présentons ici, nous avons été ému et touché par la bonté et l’amour émanant de cet homme, une foi simple, humble et bienfaisante.
Les vidéos retenues ici : « Ce que nous ne savions pas » et « La beauté de l’écoute » se rejoignent pour nous dire que l’écoute et la compréhension dans la confiance qu’elle engendre, ouvre la voie à l’expression et la libération d’un potentiel spirituel : «Que se libère en nous et en tout être humain dans cette écoute, cette compréhension qui est amour, que se découvre peu à peu ce que nous ne savions pas : c’est que nous prions ». L’Esprit de Dieu est déjà là. Un processus se met en route dans lequel un vécu nouveau apparaît : prière, libération de la culpabilité, foi. « La foi est une réalité très humble qui ne demande pas des efforts surhumains, non, pas du tout ! Mais beaucoup plus une attitude de simplicité pour comprendre ce que Dieu a déposé en nous ». Et, dans cette émergence, nous nous rendons compte alors « qu’il y a un don, un cadeau, comme une offrande de Dieu qui est la paix, la paix intérieure, la paix du cœur ». L’écoute permet à ce qui est le plus profond en nous de s’exprimer. Ainsi, à travers un climat d’écoute, la vie divine peut être reconnue, se manifester et s’exprimer dans l’amour et dans la paix.
Ce que nous ne savions pas
« Qu’est ce que nous souhaitons le plus pour ceux qui viennent ici à Taizé ?
Nous souhaitons qu’ils soient écoutés, qu’ils soient entendus. Non pas qu’ils viennent recevoir des conseils, des directives… Rien de tout cela ! Mais qu’ils soient entendus . Et puis quese libère en nous et en tout être humain dans cette écoute, dans cette compréhension qui est amour, que se découvre peu à peu ce que nous ne savions pas. C’est que nous prions. Même quand nos lèvres sont fermées, le Christ prie en nous.
Ce que nous ne savions pas, alors que nous avons tendance à être souvent sévères envers nous-mêmes, jamais Dieu ne vient comme peser sur l’être. C’est la Parole du Christ en Saint Jean : « Quand ton cœur te condamne, Dieu est plus grand que ton cœur » (2). Et il sait tout. Il connaît tout…Une grande découverte, cette réalité d’évangile…
Ce que nous souhaitons ! Dans cette première démarche dans une semaine à Taizé : peu à peu, se rendre compte qu’il y a un don, un cadeau, comme une offrande de Dieu à nous tous qui est la paix,la paix intérieure, la paix du cœur ».
« La beauté de cette vocation qui est d’écouter l’autre. Elle est peut-être rendue possible parce qu’on a eu soi-même le besoin d’être écouté. On a compris ce que cela signifiait de ne pas être écouté.
Il y a plus ou moins le don d’écoute chez une multitude. Beaucoup d’hommes et de femmes en vieillissant saisissent ce qui leur est confié : être proche de l’autre ; le libérer ; le décharger du poids qui repose sur ses épaules, lui enlever ces mille kilos qu’il ne peut pas soulever, qu’il ne pourra jamais soulever.
Et cela passe surtout par l’écoute qui ouvre le chemin de la confiance, de l’humble confiance : la foi. Le chemin de la foi, ce n’est pas une autre voie que celle qu’on a peu à peu saisie, que la foiest une réalité très humble qui ne demande pas des efforts surhumains. Non, pas du tout. Mais beaucoup plus une attitude intérieure de simplicité pour comprendre ce que Dieu a déposé ennous ».
La rencontre de Habib Koité et Eric Bibb dans l’album : « Brothers in Bamako ».
Bamako : une ville africaine qui, peut être, passait inaperçue. La voici aujourd’hui, en ce début de l’année 2013, au centre de l’actualité. L’attention du monde se porte sur le Mali.
Certes, depuis un an, des groupes islamistes avaient conquis une partie du pays. Le fanatisme religieux se répandait en exactions et imposait sa loi. En regard, on voit maintenant le prix de la dignité humaine, du respect de l’homme, de la liberté, de la tolérance. On saisit la valeur concrète de ce qui, dans certains contextes, peut apparaître comme des banalités, voire de grands mots. Les populations de Gao et de Tombouctou, qui ont accueilli dans la liesse les armées françaises et maliennes, ont témoigné, par leur enthousiasme, de l’importance existentielle de ces valeurs. Pour des français, cet événement évoque la mémoire de la libération vécue en 1944.
Mais, on le sait, les batailles se gagnent dans les esprits et dans les cœurs. Comment une qualité de vie peut-elle s’exprimer, attirer, mobiliser ? Le Mali est un pays où les artistes sont nombreux et actifs. Quelques mois avant le paroxysme de la crise politique et militaire au Mali, un événement était intervenu dans le registre de la culture. C’était la production commune d’un CD par deux chanteurs- musiciens, l’un Malien, l’autre Afro-Américain. Habib Koité et Eric Bibb ont donné à cette expression, une portée symbolique en l’intitulant : « Brothers in Bamako » (1). « Frères à Bamako », ils témoignent ensemble de l’amitié, de la fraternité, de la beauté. A travers ces deux itinéraires, des courants culturels convergent et portent du sens. On trouvera sur internet toute l’information souhaitable concernant les chemins parcourus par Habib Koité et Eric Bibb (2). L’un et l’autre s’enracinent dans un riche héritage culturel. L’un et l’autre ont parcouru et parcourent aujourd’hui le monde. Ainsi, « Brothers in Bamako » témoigne à la fois d’une rencontre authentique, d’une harmonie entre deux courants musicaux, mais aussi d’un véritable universalisme. Nous recevons cet universalisme comme une victoire sur le clinquant et la superficialité d’une société tournée vers le paraître et sur la barbarie engendrée par le fanatisme religieux.
Ainsi pouvons nous lire le descriptif de cet album : « J’ai regardé mes parents et cela a déteint sur moi ». C’est ainsi qu’Habib Koité trace les origines de son métier mais aussi de son talent de griot du XXè siècle. Eric Bibb peut en dire autant, lui qui, non content d’avoir un père chanteur, est le filleul de Paul Robeson. Habib est héritier d’un savoir ancestral utilisé au profit d’une chanson qui le place parmi les voix les plus influentes de l’Afrique contemporaine. Eric s’est imposé dans la nouvelle génération des bluesmen sans pour autant renier les héritages du folk song et du gospel. Quoi de plus naturel alors pour ce Malien et cet Afro-Américain que de faire rimer leurs guitares et leurs voix pour partir dans un blues trans-Atlantique ? Deux chanteurs populaire, deux chanteurs enracinés dans une tradition ancienne et ce qu’elle transmet : un savoir-faire, un répertoire exemplaire, une manière d’utiliser la chanson pour jouer un rôle citoyen. Les deux ont acquis, humblement, le sens d’une chanson qui peut imprégner la société ».
Dans ce descriptif, Etienne Bours nous raconte également comment Habib et Eric se sont rencontré voici une dizaine d’années. ils ont sympathisé. Il sont restés en relation . L’amitié était là. Peu à peu, se revoir devint d’abord un rêve, puis un projet. Et récemment, les deux chanteurs se sont rencontrés. « Ils se sont assis, face à face, guitares en main pour aborder le répertoire possible ». Ensemble, ils ont produit cet album. « C’est sans directive précise que s’élabore alors le répertoire commun. Les langues se délient au rythme des guitares et c’est avec un naturel évident que le chemin se trace.. Habib regarde et chante l’Afrique, mais un Afrique affectée, transformée peut-être par le reste du monde. Eric est sensible à cette démarche dans laquelle il se retrouve ». Sensible aux aspirations sociales, il reprend une chanson de Bob Dylan des années 60 : « Blowin’ in the wind ». « Cette chanson mérite d’être chantée par un Africain et un Afro-Américain qu’aucun vent ne sépare ». « Tous deux regardent l’être humain dans un miroir : l’homme qui a l’habitude de se servir en premier en se moquant des conséquences, mais aussi l’homme inquiet qui a besoin de temps, de lumière,de foi, de solidarité, de respect. Puis les guitares partent ici ou là dans des évocations poétique et très personnelles d’airs anciens et immortels »
Eric Bibb et Habib Koité nous prouvent, avec beaucoup de talent, que la chanson la plus simple est souvent la plus efficace et que chanter comme ils le font est une nécessité universelle. Nous avons besoin de ce type de rencontre par delà les frontières, les modes, les dictats économiques » conclut Etienne Bours. « Parce que cette chanson est vivante, franche et profondément humaine »
En naviguant dans l’univers des médias, sans être expert dans le champ musical, on apprend et on fait des découvertes. Et ainsi, de fil en aiguille, nous avons rencontré cet album avant que l’actualité mette le Mali sur le devant de la scène.. Dans la conjoncture récente, cet album a pris toute sa dimension : non seulement un événement artistique dans « la retrouvaille de deux « songwriters » aux univers complémentaires : le blues de Memphis et le folk mandingue de Bamako, mais aussi un événement spirituel : une affirmation conjuguée du Bien et du Beau, l’expression d’une amitié et d’une harmonie, le plaisir joyeux d’être ensemble, un message de fraternité. Aujourd’hui, rétrospectivement, dans la foulée de la libération de Gao et de Tombouctou, nous pouvons voir aussi dans cet événement, une portée politique. Un moment dans l’histoire, un président américain, face à une menace d’invasion, avait proclamé sa solidarité avec les habitants de Berlin en proclamant : « Nous sommes tous des berlinois ». Nous savons bien que chaque situation est complexe. Les divisions et les fragilités qui existent à l’intérieur du Mali sont connues. Mais, selon le fil conducteur que nous venons de suivre, dans la reconnaissance des grandes valeurs africaines que sont l’hospitalité et la solidarité et dans la conscience de ce qui nous élève et nous unit face à la barbarie, nous pouvons dire, nous voulons dire, comme une affirmation universaliste : « Nous sommes tous frères à Bamako ! ».
J H
(1) Brothers in Bamako. Habib Koitè. Eric Bibb. Dixiefrog. Ecouter l’album en entier :