Société collaborative. La fin des hiérarchies.

« Société collaborative. La fin des hiérarchies » (1) : c’est le titre d’un petit livre publié en 2015 par la communauté « OuiShare ». Petit par le format, mais, à notre sens, de grande portée. Car ce livre, nourrie par une expérience vécue, riche en informations sur les innovations sociales et technologiques en cours, sait analyser la   réalité sociale et ouvrir des pistes de changement. Et la dynamique de cet engagement se fonde sur les valeurs de OuiShare, une jeune association  qui a grandi rapidement depuis janvier 2012 pour devenir un acteur international de premier plan dans le domaine de l’économie collaborative (2). Sur ce blog, nous avons déjà mis en évidence le caractère novateur de l’économie collaborative (3). OuiShare se définit aujourd’hui comme « une communauté, un accélérateur d’idées et de projets dédié à l’émergence de la société collaborative, une société basée sur des principes d’ouverture, de confiance et de partage de la valeur » (4). L’association, actuellement présente dans vingt pays, développe ses activités dans quatre domaines : « animation de communautés ; production intellectuelle ; incubation et accélération de projets collaboratifs ; formation et accompagnement ».

Quelle est donc l’intention de ce livre ? Diane Filippova nous en fait part dans l’introduction : « Ce n’est pas un manifeste… Plutôt que d’asséner une théorie générale du collaboratif » ou tout autre discours prescriptif, c’est à partir de l’analyse d’initiatives concrètes que nous faisons émerger notre vision, parfois idéale, souvent pragmatique. Si les principes de coopération, de justice sociale, de liberté, occupent une place de choix, c’est en tant que préceptes traduits en projets concrets. Aussi divers soient-ils, ces projets ont une caractéristique en partage : l’économique ne l’emporte jamais sur les enjeux sociaux, culturels et politiques » (p 9). On appréciera cette capacité d’un milieu engagé pratiquement dans des activités économiques à prendre du recul vis à vis « d’une autonomisation de la sphère économique par rapport au tissu social qui conduit à une sacralisation de la compétition et à la proclamation de la supériorité des modèles fermés » (p 9). Ce livre s’appuie sur une expérience de terrain. Et c’est à partir de là que les auteurs perçoivent l’apparition d’une société nouvelle en germe, en progrès. « La société collaborative est déjà là » (p 10). Le livre se développe en six parties : « La fin des Léviathans. Splendeurs et misères des nouvelles formes de travail. L’éducation au XXIè siècle : l’âge de « l’encapacitation ». Pour des organisations libératrices et émancipatrices. Face aux défis environnementaux et sociaux, des solutions communes en pair-à-pair. La transition vers la production distribué a commencé ». Un horizon s’ouvre. L’exploration commence

Dans le premier chapitre : « La fin des Léviathans », Arthur de Grave nous fait entrer dans une critique salutaire du « pessimisme anthropologique », un regard négatif sur l’homme qui trouve sa formulation extrême dans « Le Léviathan », livre d’un philosophe anglais de XVIIè siècle, Thomas Hobbes. « Les institutions sont des entraves imposées aux hommes pour éviter qu’ils ne s’entretuent » (p 19). Avec l’auteur, nous participons à cette critique d’une conception très sombre de l’homme qui sape la confiance mutuelle, accroit les conflits, engendre l’autoritarisme (5). La concurrence exacerbée,  exaltée dans la figure de « l’homo economicus »  s’inscrit dans cette représentation . Et il en va de même quant à la hiérarchisation. L’auteur décrit différentes variantes de l’organisation hiérarchique. Mais aujourd’hui, partout, « le consensus autour de structures de pouvoir obsolètes et légitimées par le recours un peu facile au pessimisme anthropologique se fissure…Internet remet la collaboration au gout du jour  au moment même où l’idéologie de la compétition tous azimuts se révèle pour ce qu’elle a toujours été : une vision tronquée et bornée de la société. Dans la production, la consommation, le financement, ou encore l’éducation, les modèles collaboratifs ne cessent de monter en puissance depuis quelques années jusqu’à perturber des pans entiers de l’économie » (p 24). L’ensemble du livre met en évidence l’émergence des ces nouveaux modèles.

Le paysage économique et social est en train de changer. C’est le chapitre de Diana Filippova sur « les nouvelles  formes de travail ». Elle observe « une montée en puissance de nouvelles formes de travail, très éloignées du salariat classique : travail indépendant, travail à la demande, entrepreneuriat, consommation-production… » (p  31). Ainsi aux Etats-Unis, les travailleurs indépendants représentent le tiers de la population active américaine. Il y a là des aspects innovants, mais cela ne doit pas nous faire oublier les problèmes qui se posent, et notamment une menace de précarité. L’auteure évoque des dispositifs qui se mettent en place pour y faire face. Dans le mouvement actuel vers la diversification, « il s’agit d’ouvrir la voie à une multitude de possibilités sans à priori économique ou moral et d’éviter les inégalités économiques et statutaires rédhibitoires «  (p 46).

 

L’avènement d’internet met en cause radicalement les formes traditionnelles de l’enseignement déjà battue en brèche par l’apparition d’une sensibilité nouvelle mettant l’accent sur le rôle actif de l’apprenant (6). Le chapitre sur l’éducation au XXIè siècle apporte une contribution incisive et riche en informations sur les innovations en cours présentées en quelques grandes pistes : « L’espace : apprendre partout. Le temps : apprendre tout le temps. La transmission : apprendre autrement, autre chose. L’expérience : apprendre en collaborant ». Marc-Arthur Gauthey et Maëva Tordo concluent ainsi ce chapitre : « De nouvelles écoles voient le jour et réinventent les formats et la temporalité de la pédagogie, contribuant à la création de modèles éducatifs où l’initiative personnelle, l’originalité et la collaboration remplacent peu à peu les logiques de compétition, d’obéissance et de distinction » (p 65).

On peut observer aujourd’hui un mouvement en faveur d’une redéfinition des finalités et des modes de fondement des organisations. « Comment travailler ensemble à l’heure du numérique et des réseaux sociaux ? Comment construire une organisation qui prend corps, dure et a de l’influence sans reproduire les formes de hiérarchies formelles et informelles ? » Antonin Léonard et Asmaa Guedira peuvent se poser ces questions à partir de l’exemple de OuiShare qui est parvenu à s’inscrire dans cette nouvelle dynamique. Il y a bien un mouvement de fond. « Le numérique a rendu possible cette évolution en stimulant le travail en réseau par nature horizontal et a accéléré le basculement vers de nouvelles formes d’organisation en faisant émerger une culture plus collaborative qui s’accommode mal de la hiérarchie et du management autoritaire issus de l’ère industrielle. La baisse des coûts d’auto-organisation et de transaction permise par des outils gratuits ou très peu onéreux joue également un rôle majeur. Autonomie, développement des compétences, définition d’un sens, impact, appartenance, autant de besoins intrinsèques, sources de motivation du travail » (p 68).

Dans tous les domaines, on découvre l’impact révolutionnaire du numérique (7). Et dans le même mouvement, on observe également une transformation dans les attitudes relationnelles (8). Flore Berlinger nous présente le champ en expansion et déjà très vaste « des solutions communes en pair à pair ». Et comme dans les autres chapitres de ce livre, il y a là une description de nombreuses innovations qui changent la donne (9). « Au delà de caractéristiques spécifiques (ouverture, distribution, horizontalité etc), les initiatives évoquées ont pour point fort de s’inscrire dans le long terme. Il s’agit de changer de pratiques, voire de modes de vie, pour répondre aux contraintes économiques et écologiques de notre époque. Elles ont un effet d’entraînement…. en nous appelant à chercher toujours de « nouvelles solutions, locales et reproductibles » (p 99).

« La transition vers la production distribuée a commencé » affirment les auteurs du dernier chapitre : Edwin Mootoosamy et Benjamin Tincq. « La réappropriation des moyens de production et la sortie d’une logique consumériste sont le deux constantes des réflexions menées pour dépasser » un modèle «économique productiviste. Mais, « un modèle alternatif, concret et généralisable, ne s’est pas encore dégagé ». La transformation numérique pourrait bien être l’un des facteurs clefs d’une telle alternative. Pour la première fois, des personnes du monde entier coordonnent leurs contributions au sein de communautés en ligne et locales. Si les promesses sont importantes, force est de constater que l’incertitude reste entière. Le mouvement des « makers » parviendra-t-il à répondre aux enjeux sociaux et écologiques nés de la production de masse ? Les nouveaux modes de production resteront-ils l’apanage de quelques « happy few » ou seront-ils massivement adoptés par le grand public, voire par les industriels ? Et, si oui, à quelles fins ? » (p 104-105). Les auteurs font le point sur les innovations en cours. Ils s’interrogent sur la portée de la transformation actuelle. « Au delà de l’implication des acteurs traditionnels, la maîtrise sociale de la fabrication distribuée devra d’abord passer par la pédagogie et la sensibilisation du plus grand nombre, afin qu’elle soit réellement un levier d’émancipation et de transition écologique, économique et démocratique » (p 118).

Ce livre n’est pas seulement une bonne introduction aux changements en cours à même de favoriser le développement d’une société collaborative. Il est aussi l’expression d’acteurs engagés dans des pratiques économiques innovantes et rassemblés dans l’association OuiShare. Il allie ainsi une expérience, un savoir, une vision. Dans un temps où la morosité, l’inquiétude, le ressenti d’une impasse sont répandus, ce livre participe à la mise en évidence des émergences positives et contribue par là à baliser un chemin et à ouvrir une voie où l’on puisse avancer  dans une espérance concrète.

 

J H

 

(1)            Filippova (Diana) dir. Société collaborative. La fin des hiérarchies. OuiShare, 2015

(2)            « Un mouvement émergent pour le partage, la collaboration et l’ouverture : OuiShare, communauté leader dans le champ de l’économie collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1866

(3)            Sur ce blog : l’économie collaborative : un courant porteur d’avenir :                                                                               « Une révolution de l’être ensemble » : « Vive la co-révolution ! Pour une société collaborative » (Anne-Sophie Novel et Stéphane Riot ) : https://vivreetesperer.com/?p=1394                                     « Pour une société collaborative ! Un avenir pour l’humanité dans l’inspiration de l’Esprit » : https://vivreetesperer.com/?p=1534                                     « Anne-Sophie Novel : militante écologiste et pionnière de l’économie collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1975

(4)            Site de OuiShare : « Welcome to the collaborative Society. OuiShare est une communauté internationale habilitant les citoyens à élaborer une société basée sur la collaboration, l’ouverture et le partage » : http://ouishare.net/fr

(5)            Nous nous accordons avec Arthur de Grave sur les conséquences fâcheuses du « pessimisme anthropologique ». Cependant, il remonte loin dans le temps , et, pour faire face à cet héritage, une recherche historique, sociologique, philosophique et théologique est nécessaire. Sur ce blog :        « La bonté humaine. Est-ce possible ? La recherche et l’engagement de Jacques Lecomte » : https://vivreetesperer.com/?p=674                                           A propos du livre de Lytta Basset : « Oser la bienveillance » : https://vivreetesperer.com/?p=1842

(6)            « Une révolution en éducation. L’impact d’internet pour un nouveau paradigme en éducation » : https://vivreetesperer.com/?p=1565                                      « Et si nous éduquions nos enfants à la joie ? Pour un printemps de l’éducation ! » : https://vivreetesperer.com/?p=1872

(7)            « L’ère numérique. Gilles Babinet, un guide pour entrer dans ce nouveau monde » : https://vivreetesperer.com/?p=1812

(8)            « Appel à la fraternité. Pour un nouveau vivre ensemble » : https://vivreetesperer.com/?p=2086                                  « Vers une civilisation de l’empathie. A propos du livre de Jérémie Rifkin : « Une nouvelle conscience pour un monde en crise » : http://www.temoins.com/etudes/recherche-et-innovation/etudes/vers-une-civilisation-de-lempathie-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkinapports-questionnements-et-enjeux                                                                                             Si on peut constater des évolutions en profondeur quant aux modes de relation, on observe aussi en France un héritage de défiance : « Promouvoir la confiance dans une société de défiance. Les pistes ouvertes par Yann Algan » https://vivreetesperer.com/?p=1306

(9)            « BlaBlaCar : un nouveau mode de vie » : https://vivreetesperer.com/?p=1999

Incroyable, mais vrai ! Comment « Les Incroyables Comestibles » se sont développés en France

Interview de François Rouillay

En 2008, dans la ville anglaise de Todmorden, des gens ont commencé à planter et à cultiver des fruits et des légumes pour les mettre à la disposition de tous (1). Ce mouvement : « Incredible Edible » prend une grande ampleur et suscite un nouveau genre de vie. En 2011, François Rouillay découvre cette innovation et suscite, dans sa commune, Colroy-la-Roche en Alsace, une démarche analogue, un mouvement du cœur. Des gens se mettent à planter des fruits et légumes pour les partager avec tout le monde. A toute allure, ce mouvement : « les Incroyables Comestibles » se diffuse et se répand dans toute la France.

Au cœur de ce processus, François Rouillay témoigne de cette aventure et de l’esprit dans laquelle elle se développe. « Chacun est appelé à faire sa part ». « Soyez le changement que vous voulez voir dans ce monde ». C’est un « nouvel art de vivre, de produire et de consommer localement, de s’entraider, d’être dans un mouvement joyeux et solidaire, intergénérationnel ». L’expérience de Todmorden est relatée dans un livre récent (2). L’innovation se déploie sur un site internet : « Les Incroyables Comestibles. Bienvenue sur le site de l’abondance partagée » (3). Passer du chacun chez soi, du chacun pour soi, à un mouvement de partage où une créativité collective s’exprime en plantant et en cultivant des fruits et légumes pour les mettre à la disposition de tous, est-ce un rêve généreux, mais irréalisable ? L’expérience prouve que c’est une vision qui se réalise lorsque des gens prennent l’initiative, deviennent acteurs révélant ainsi des aspirations collectives qui se mettent en marche. « C’est un mouvement où des citoyens changent de regard, se prennent en main et se décident à créer ce nouveau monde, ce meilleur et à en faire l’expérience ». Ecoutons, à travers cette vidéo (4), le témoignage concret et émouvant de François Rouillay, cofondateur des « Incroyables comestibles ». Quelques notes extraites de cette interview nous aideront à poursuivre notre réflexion. Incroyable, mais vrai !

 

Comment l’aventure a commencé

 François Rouillay se présente comme « un père de famille » avec une passion particulière pour le jardinage et une autre passion : le partage, les démarches collectives qui rendent possible notre art de vivre sur les territoires, dans les communes, dans les villages, par l’échange, le dialogue, le partage. C’est ici à Colroy-la-Roche que nous avons commencé l’aventure, l’heureuse aventure des « Incroyables comestibles » au mois d’avril 2012… Dans cette maison, les enfants ont construit le premier bac de fruits et légumes à partager, un bac qui se trouve devant la maison. Et ce bac a suscité la création d’un autre bac par un voisin. Et puis un autre voisin a fait la même chose. Et puis le village d’à coté s’est engagé lui aussi… Maintenant on se développe dans toute la France et à l’étranger. Les « Incroyables Comestibles », c’est une démarche des gens, un mouvement du cœur et du partage dans des communes où on va planter des fruits et légumes, les cultiver et les offrir en partage à tout le monde. Et quand on devient collectif, on peut transformer les espaces urbains en jardins d’abondance puisqu’on en plante le plus possible partout.

C’est une démarche qui nous est venue d’Angleterre puisque tout a commencé en 2008 à Tormorden, près de Manchester, dans le nord de l’Angleterre, une petite ville dans une période difficile de désindustrialisation. Au mois de décembre 2011, je faisais de la veille sur la sécurité alimentaire, les populations et j’essayais de trouver des solutions au niveau collectif et j’ai découvert un article anglais sur cette nouvelle méthode. J’ai fait des recherches. Et j’ai découvert qu’on n’en parlait absolument pas dans la presse française. Cela faisait trois ans que cela existait et pas un mot dans la presse française. J’ai été stupéfait de voir qu’une méthode qui fonctionne, qui fonctionne tellement bien que Todmorden s’est développé dans 35 communes en Angleterre avec le soutien du prince Charles et que les gens sont ravis, restait inconnue chez nous. Rien en France. Et donc on s’est réuni en famille avec quelques amis. Et on s’est dit : c’est génial. Il faut le faire. Donc, on s’est lancé dans l’aventure. C’est comme cela qu’on a expérimenté ce mouvement qui est un mouvement collectif, citoyen, un mouvement qui vient des gens. Et on a commencé à le faire devant cette maison. Comme disait Gandhi, soyez le changement que vous voulez voir dans le monde,  on a commencé par nous même.

 

Colroy-la-Roche : les étapes d’un processus

 Le principe pour réaliser cette démarche citoyenne est très simple. On l’a expérimenté à Colroy-la-Roche. Même une seule personne peut démarrer. C’est étonnant ! Parfois, il y a des groupes qui démarrent à 30 ou 40, mais il y a des communes où cela a démarré avec une seule personne.

Quand on a démarré à Colroy la Roche, mon épouse a accepté de lancer l’appel de Colroy. L’étape 1, c’est de se prendre en photo durant la pancarte de la commune. On se prend en photo devant le panneau avec le visuel : Nourriture à partager : Incroyables Comestibles France. Et puis on prend aussi des râteaux, des binettes, des outils de jardinage, des arrosoirs. Et on prend aussi quelques fruits et légumes. Cette étape est très importante parce que c’est le point de départ d’un processus où les citoyens vont changer de regard. Ils vont acter l’intention délibérée d’engager un processus collectif sur le territoire, et cela dans le respect de la loi, dans une démarche de pacification. C’est autorisé à tout le monde de se prendre en photo devant une pancarte. C’est une démarche bienveillante.

On passe ensuite à l’étape 2. On va partager la photo sur les réseaux sociaux, sur un blog, sur un site internet et lancer l’appel aux autres à participer. Donc l’étape 2, c’est de la communication. Aujourd’hui, on la relaie en faisant passer l’information sur le site des « Incroyables Comestibles. France » et à nos amis anglais de Todmorden. Il y a une carte mondiale et, sur cette carte, on place une petite balise de la commune où des citoyens se lancent. On passe du local au global. Les gens se relient entre eux. Si en plus, on associe la presse quotidienne régionale, la radio, les gens autour de vous peuvent découvrir qu’il y a une démarche collégiale et ils proposent de vous rejoindre. C’est ce qui se passe régulièrement.

Ensuite, l’étape 3. Soyons le changement que nous voulons voir dans le monde. On commence par soi-même. Chacun est invité à faire sa part. On met un bac devant la boite à lettres sur l’espace privé ouvert au public. Certaines personnes n’ont pas d’espace devant. Elles placent une jardinière sur le balcon. Dans un logement collectif, il n’y avait devant que 50 cm de terre avec des buissons. Des mamans et des enfants ont planté des framboisiers, avec : « nourriture à partager » et une petite information. Alors des voisins ont demandé : « Qu’est ce qui se passe ? ». « Oui, c’est sympa ! » Les gens se mettent à parler… Voilà l’étape numéro 3. Chacun fait sa part.

On arrive à l’étape 4. On passe à la dimension collective. On va organiser une réunion publique dans la salle des fêtes. On va sur des marchés. On va créer l’événement en allant à la rencontre des autres pour faire monter le mouvement collectif, ce mouvement citoyen. Et quand on arrive à susciter une certaine dynamique dans la commune, généralement les élus en ont entendu parler et souvent les conseils municipaux viennent à la rencontre.

Et dans l’étape 5, on tente de rallier le conseil municipal de manière à ouvrir l’espace public pour transformer la ville en parcours potager libre et gratuit.

Aujourd’hui, neuf mois auprès le début de l’action, les « Incroyables Comestibles » fleurissent partout en France. On enregistre plus d’une action par jour en France et dans le monde. C’est tellement sympathique, c’est tellement efficace, un véritable retour au bon sens de produire et de consommer localement, que parfois, le même jour, tout se met en place jusqu’au maire et au conseil municipal qui viennent en soutien et qui proposent de coopérer ».

François Rouillay nous fait part ensuite de belles expériences dans son département, mais aussi dans d’autres régions de France. Il nous raconte des initiatives en arboriculture pour remettre en circuit des anciennes espèces et créer des vergers citoyens. Il nous rapporte une dynamique à laquelle des enfants participent activement : « Ces enfants ouvrent une voie pour ce nouvel art de vivre, de produire et consommer facilement, de s’entraider, d’être dans un mouvement joyeux et solidaire, intergénérationnel ».

 


 

Changer de système. De la pénurie à l’abondance

 

Dans un contexte de déclin industriel, les anglais à Todmorden ont intitulé le mouvement : « Incredible Edible Unlimited ». Il y a là une ambition : un horizon illimité. « Le cités industrielles en déclin renaissent de leurs cendres et se disent illimitées. La créativité est illimitée. On peut passer d’un système de pénurie à un système d’abondance. Tout cela par un simple changement de regard. Les anglais nous expliquent qu’ils ont quitté la croyance erronée qu’ils étaient victimes de génération en génération, et, du jour au lendemain,  en abandonnant le système de peur de l’autre, de peur du lendemain qui conduit à la loi du plus fort, de la compétition qui, on le voit bien, génère de l’exclusion, on quitte l’ancien système qui ne fonctionne plus et qui est en bout de course pour entrer dans un nouveau système qui est inclusif, accessible à chacun. Les handicapés, les enfants, les personnes âgées peuvent participer de manière simple à créer de l’abondance… C’est facile à comprendre : vous prenez une semence de comestible, vous la plantez dans le sol, la terre vous en rend cent fois plus. Vous en plantez mille, elle en rend cent mille. Et si vous êtes 15 000 à le faire le même jour, qu’est ce qui se passe ? Et bien, c’est ce qui s’est passé à Todmorden. Et aujourd’hui, c’est ce que nous mettons en place dans nos villes : 1 000 pommiers en une journée. Nous invitons les habitants à créer l’abondance sur les territoires. On a une démarche citoyenne qui est très simple : Nourriture à partager… Servez-vous librement ! C’est gratuit ! »

 

Changer de regard

        

Un petit logo représente un haricot qui germe. « C’est une invitation à une prise de conscience. De génération en génération, on nous a transmis cette croyance erronée qui est la peur du manque. Moi-même, j’ai perçu cela. Et donc, j’ai un tas d’exemples. Aujourd’hui, on s’aperçoit que c’est complètement faux. La terre est généreuse. On plante une graine. La terre nous en rend cent fois plus. Quand vous avez changé de regard et que vous avez commencé à faire l’expérience, vous voyez le monde totalement différent ».

Il y a une grande crise économique et financière en Europe. Il y a des collectivités entières avec des taux de chômage très élevés. Des populations ne profitent pas des bienfaits de la terre. « Si vous changez le regard, et que vous faites le lien entre ces populations et la terre, on peut passer de la pénurie à l’abondance. C’est ce que Todmorden a fait puisqu’en 4 ans. Todmorden est arrivé à 83% d’autosuffisance alimentaire. Maintenant, on peut le faire en 10 mois parce que Todmorden partage son expérience gratuitement avec tout le monde.

Le meilleur est à venir. Pourquoi ? Parce que nous avons décidé de le créer et de le vivre ensemble. En nous connectant et en nous reliant les uns aux autres avec la terre, nous en faisons l’expérience ici et maintenant.

 

Les enfants sont nos guides

 

La raison pour laquelle ce mouvement se développe partout et sans frontières, c’est que c’est simple à réaliser et que la terre est généreuse, si simple que même les enfants peuvent le faire.

Et les enfants aiment le faire. On dit que les enfants sont nos guides. Pourquoi les enfants sont nos guides ? Parce que quand vous confiez à des enfants la responsabilité de planter des semences pour faire un jardin à partager, les enfants vont jusqu’au bout.

D’abord, ils s’émerveillent de manière naturelle. Ils s’émerveillent de voir que cela pousse. Ils trouvent cela merveilleux. Ils vont arroser toutes les semaines.

Ce qui est extraordinaire, c’est que pour l’enfant lorsqu’on lui dit, c’est pour partager, il le croit immédiatement. Pour l’enfant, le partage, c’est quelque chose de naturel. L’abondance dans la nature est un phénomène naturel. C’est un changement de regard.

 

Fêter l’abondance. Partager un repas

 

Nos amis anglais nous disent : « Célébrate ! ». Faites la fête de l’abondance. Et, pour cela, il n’y a rien de mieux que de partager des fruits et des légumes, en mangeant ensemble. L’assiette, le repas, c’est ce qui nous unit ». François Rouillay évoque l’expérience des « soupes du partage ». On apporte ce qu’on a. « Ceux qui savent cuisiner vont apprendre aux autres à faire de délicieux potages ».

 

Une économie de proximité

 

Qu’est ce que vont penser les maraîchers locaux ? Vont-ils craindre une concurrence ? « Et bien non, c’est tout le contraire. Actuellement, nous sommes soutenus par les maraîchers locaux parce ce que c’est par le changement de regard qu’on va réactiver les circuits courts ». A Todmorden, l’économie est repartie. On recrée des emplois. Le changement repose sur trois plaques tournantes : la communauté (la participation citoyenne), l’éducation et la pédagogie avec en  priorité les enfants, l’économie locale. Si on relie ces trois pôles, « vous avez un cercle vertueux, un système complètement évolutif et accessible à chacun ».

 

Un horizon nouveau

 

«  La terre peut nourrir tous ses enfants sans problème. On se redonne un avenir. On se recrée un monde du possible, un monde de gentillesse, de bienveillance. Non nous ne sommes pas emprisonnés dans la pénurie. Nous sommes créateurs de ce monde où on peut vivre dans une forme d’abondance partagée.

Pierre Rabhi nous parle de « sobriété heureuse ». Il parle des 3 H : humus, humilité, humanité. C’est cela notre leitmotiv : guérir la terre, recréer l’humus et, en humilité, nourrir l’humanité ».

 

La montée d’une conscience nouvelle

 

Dans notre société en mutation où les menaces abondent, il est bon de mettre en évidence des courants et des mouvements à travers lesquels la collaboration et la solidarité se manifestent (5). Ce sont là des signes qui nous encouragent et nous éclairent. Le mouvement : « Incroyables Comestibles » fait partie de ces changements qui débouchent sur un nouveau genre de vie et qui témoignent d’une transformation en profondeur des mentalités. François Rouillay met en évidence la portée de ce changement. C’est à la fois une nouvelle forme d’économie fondée sur le partage et un nouveau genre de vie. Mais c’est aussi une conception nouvelle du monde. Ici, ce n’est plus la force et l’exclusion qui dominent, c’est la collaboration et l’inclusion (6). Ici l’homme ne se prétend plus maître et seigneur de la nature (7), mais il la respecte et considère avec reconnaissance les bienfaits d’une « terre généreuse » et le potentiel d’abondance qui lui est ainsi offert.

 

Nous voyons également dans ce mouvement une signification spirituelle qui transparaît dans cette interview à de nombreuses reprises. « Comme disait Gandhi, soyez le changement que vous voulez voir dans ce monde ». Cette réalité spirituelle est particulièrement sensible chez les enfants qui y sont prédisposés (8). François Rouillay nous montre comment les enfants participent avec enthousiasme à ce mouvement : « Ils s’émerveillent de manière naturelle… Pour eux, le partage, c’est quelque chose de naturel. L’abondance dans la nature est un phénomène naturel. C’est cela le changement de regard ».

Toutes ces observations évoquent pour nous le message des évangiles. Jésus ne donne-t-il pas les enfants en exemple ? Ne nous montre-il pas un Dieu qui exprime sa bonté dans la profusion de la nature ? Ne nous invite-t-il pas à une convivialité fraternelle dans des repas partagés ? Certes ce message a souvent été perdu de vue dans un héritage religieux en osmose avec une société menacée par la mort et marquée par la domination, la répression et l’exclusion. François Rouillay évoque le souvenir du manque présent encore aujourd’hui, mais en remontant dans le passé, on y rencontre des famines. Ainsi, si nous vivons aujourd’hui dans une période difficile, il y a néanmoins une évolution des esprits qui permet l’éclosion d’un nouveau genre de vie. Les mentalités évoluent. Ainsi reconnaît-on davantage aujourd’hui les dispositions positives et un chercheur comme Jérémie Rifkin a pu écrire un livre sur la reconnaissance et le développement de l’empathie (9). Si le christianisme occidental a été pollué pendant des siècles par l’idéologie mortifère du péché originel, une transformation intervient là aussi. A cet égard, le livre de Lytta Basset : « Osons la bienveillance » est particulièrement éclairant (10). En prenant en exemple certains épisodes de la vie de Jésus, elle nous montre comment la bienveillance peut s’exercer et se répandre aujourd’hui. Et cette vertu est bien présente dans le mouvement des « Incroyables comestibles ». Dans le contexte de notre réflexion personnelle, nous percevons  dans la dynamique de ce mouvement une inspiration de l’Esprit telle qu’elle nous est décrite par Jürgen Moltmann, théologien de l’Espérance (11). « Etre vivant signifie exister en relation avec les autres. Vivre, c’est la communication dans la communion… L’« essence » de la création dans l’Esprit, c’est la « collaboration » et les structures manifestent la présence de l’Esprit, dans la mesure où elles font reconnaître l’« accord général » ». La création et le développement des «Incroyables comestibles » nous apparaît comme un phénomène émergent. Moltmann apporte un éclairage sur la signification de l’émergence en y voyant un processus d’« auto-organisation » de la vie, un « saut qualitatif ». Il y perçoit «  une présence de l’Esprit divin qui pousse vers la transcendance et qui, dans l’apparition de nouveaux ensembles, anticipe la réalité future dans le Royaume de Dieu ».

Les « Incroyables Comestibles » nous apparaissent comme une remarquable « innovation sociale qui revêt une vraie portée socio-politique et socio-culturelle. Bien sûr, dans la crise de grande ampleur à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui, cette approche ne résout pas tous les problèmes. Elle apporte sa part, mais c’est une contribution substantielle. Elle participe à l’apparition d’une nouvelle économie et d’un nouveau genre de vie.  Telle qu’elle nous est décrite, elle apparaît comme « une Révolution tranquille » qui concerne à la fois l’économie, le social et la culture. Mise en évidence vécue et concrète d’une étonnante dynamique,  sens visionnaire, expression chaleureuse, bon sens et sagesse se conjuguent pour faire de cette interview de François Rouillay une ressource particulièrement précieuse,  une source d’enthousiasme dans un temps où nous devons faire face à beaucoup de morosité.

J H

 

(1)            La dynamique intervenue à Todmorden est relatée dans une vidéo sous-titrée en français accessible sur le site des « Incroyables Comestibles » http://lesincroyablescomestibles.fr

(2)            Les Incroyables Comestibles. Plantez des légumes. Faites éclore une révolution. L’incroyable histoire de Todmorden. Préface de François Rouillay. Postface de Gilles Daveau. Actes Sud/Colibris, 2015. Ce livre, traduit de l’anglais, relate l’histoire de Todmorden, mais, à travers la contribution de François Rouillay, il rend compte brièvement de l’histoire du mouvement en France et nous donne un état de la situation actuelle comme sa présence active dans quelques villes comme Albi, Bayonne, Besançon et La Rochelle.

(3)            Site des « Incroyables Comestibles » : http://lesincroyablescomestibles.fr

(4)            Interview de François Rouillay en vidéo (Le Chou Brave) : https://www.youtube.com/watch?v=ZfFbD9pBREA

(5)            Des courants et des mouvements novateurs porteurs de collaboration et de solidarité. Sur ce blog : « Une révolution de « l’être ensemble ». « Vive la co-révolution. Pour une société collaborative » (Anne-Sophie Novel et Stéphane Riot) : https://vivreetesperer.com/?p=1394  « Pour une société collaborative » (Pippa Soundy) : https://vivreetesperer.com/?p=1534  Anne-Sophie Novel, militante écologiste et pionnière de l’économie collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1975       « OuiShare, communauté pionnière dans le champ de l’économie collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1866 « Une jeunesse engagée pour une société plus humaine et plus durable » (Myriam Bertrand) : https://vivreetesperer.com/?p=1780 « Thomas d’Ansembourg : un citoyen pacifié devient un citoyen pacifiant » : https://vivreetesperer.com/?p=2156   « Discerner les voies pour une société plus humaine (« Les voies d’espérance ») » : https://vivreetesperer.com/?p=1992 « Appel à la fraternité » : https://vivreetesperer.com/?p=2086

(6)            « Dedans… Dehors ! Face à l’exclusion, vivre une commune humanité » : https://vivreetesperer.com/?p=439 « Dedans… Dehors ! Un chemin de liberté (Philippe Molla) : https://vivreetesperer.com/?p=444

(7)            « Vivre en harmonie. Ecologie, théologie et spiritualité (Jürgen Moltmann) » : https://vivreetesperer.com/?p=757

(8)            Sur le site de Témoins : « L’enfant est un être spirituel : une prise de conscience révolutionnaire  (Rebecca Nye) » : http://www.temoins.com/index.php?option=com_content&view=article&id=1106:l’enfant-est-un-être-spirituel&catid=14:developpement-personnel&Itemid=84        Sur ce blog : « L’enfant : un être spirituel » : https://vivreetesperer.com/?p=340

(9)            Sur le site de Témoins : « Vers une civilisation de l’empathie. A propos du livre de Jérémie Rifkin. Apports, questionnements et enjeux » : http://www.temoins.com/etudes/recherche-et-innovation/etudes/vers-une-civilisation-de-lempathie-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkinapports-questionnements-et-enjeux

(10)      Sur ce blog : « Bienveillance humaine. Bienveillance divine. Une harmonie qui se répand. (Lytta Basset : Osons la bienveillance » : https://vivreetesperer.com/?p=1842

(11)       La pensée de Jürgen Moltmann est présenté sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : http://www.lespritquidonnelavie.com   Les citations présentes dans cet article sont extraites du livre : « Dieu dans la création » (Cerf, 1988) : p 15 et 25. Et de « Ethics of hope » (Fortress Press, 2012) p 126.

Sugata Mitra : Un avenir pédagogique prometteur à partir d’une expérience d’auto apprentissage d’enfants indiens en contact avec un ordinateur

 

« The hole in the wall » : un phénomène émergent

 

Peut-on imaginer qu’un groupe d’enfants indiens illettrés, sans instruction préalable, puisse apprendre l’anglais au contact d’un ordinateur, puis, dans l’année qui suit, acquérir une culture équivalente à celle d’une secrétaire occidentale ? Cela paraît invraisemblable et pourtant cette situation a été observée pendant plusieurs années dans des lieux différents par un chercheur indien, Sugata Mitra, aujourd’hui professeur de technologie de l’éducation à l’université de Newcastle upon Tyne (Grande Bretagne).

Et s’il y avait dans la motivation de ces enfants en contact avec un ordinateur un germe d’avenir qui nous concerne tous ? Laisser les enfants apprendre avec un ordinateur plutôt que de répéter les anciennes méthodes pédagogiques… Désormais l’ordinateur apporte à la fois un savoir polyvalent et un savoir-faire (1). Et s’il y avait dans la rencontre des enfants avec cette dynamique du savoir véhiculée par l’ordinateur, un phénomène émergent porteur d’avenir ?

 

The hole in the wall : une expérience fondatrice

 

En 1999, Sugata Mitra travaille comme responsable scientifique dans une entreprise d’ordinateurs à New Delhi en Inde. Il a une formation de physicien théorique, mais son travail quotidien porte sur les technologies. Comme on lui demande d’explorer le champ de l’usage public de l’ordinateur, l’idée lui vient d’en mettre un à la portée des enfants d’un quartier déshérité, un bidonville (« slum »), en bordure du bâtiment dans lequel il travaille. Alors il perce un trou dans le mur (« hole in the wall », et sans plus d’information, il offre à ces enfants la possibilité d’accéder à un ordinateur. Ces enfants sont pour la plupart illettrés et qui, de plus, à l’époque, n’ont jamais vu un objet de cet ordre. Cependant, ces enfants commencent à explorer cet objet inconnu et, peu à peu, sans information d’aucune sorte, en s’entraidant, ils en découvrent les fonctionnalités comme, en premier, l’usage de la souris. Quels ne sont pas la surprise et l’émerveillement de Sugata Mitra quand il découvre ce processus d’exploration et d’appropriation de l’ordinateur par les enfants et les conséquences qui vont s’en suivre dans leur autoapprentissage de l’anglais et de la culture correspondante. Plus tard, dans un autre lieu, il aura l’idée de mettre à la disposition des enfants, à travers l’ordinateur, un savoir en biologie, et il constatera, à sa grande stupeur, que peu à peu, ils parviennent à décrypter une partie de ce message complètement étranger dans une langue qui leur est extérieure.

Pendant des années, cette expérience d’autoapprentissage a été répétée en différents lieux. Ces observations permettent à Sugata Mitra de pouvoir déclarer qu’en 9 mois, à partir d’une absence de connaissance de la langue anglaise, ces enfants parviennent à un savoir équivalent à celui d’une secrétaire dans un pays occidental.

Parce que cet homme a été inventif, curieux d’esprit, ouvert à l’inconnu, persévérant, un phénomène qui sort de l’ordinaire a été mis en évidence et est aujourd’hui connu sous le terme de « trou dans le mur » (« hole in the wall »), expérience qui a abouti à cette grande découverte (2).

 

Un environnement pour organiser l’autoapprentissage

 

La découverte de Sugata Mitra est reconnue par le dispositif TED (3) qui diffuse les idées nouvelles dans l’univers anglophone à travers des « talks », courtes interventions diffusées en vidéo. Sugata Mitra expose son expérience en 2010 et, en 2013, un prix Ted lui est décerné, accompagné d’un crédit qui va lui permettre d’engager une expérimentation à grande échelle en créant 7 espace propices à cette pédagogie, 2 en Grande- Bretagne et 5 en Inde. Ces espaces sont définis en terme de « Self organising learning environment » (« SOLE »), des environnements pour organiser un auto-apprentissage. Ce sont des lieux confortables (lounge) avec des ordinateurs et des sièges permettant des se regrouper dans le travail. On peut découvrir le concept de SOLE comme la conjugaison d’internet à haut débit, d’une activité collaborative et d’un esprit d’encouragement et d’admiration. A chaque session, on propose aux enfants une question pour susciter leur curiosité et leur désir de recherche. Ainsi, par exemple, « Pourquoi vos dents repoussent une deuxième fois ? ». Les enfants se lancent alors dans une recherche sur ordinateur pour récolter les informations et les rassembler pour en rendre compte dans un texte.  On constate que la collaboration et la curiosité naturelle des enfants catalysent leur apprentissage même si ces enfants vivent dans les endroits les plus pauvres et ne reçoivent aucune instruction.

Une autre innovation vient de renforcer le dispositif. Elle a pour but de soutenir et d’encourager la motivation des enfants vivant dans des régions défavorisés. Ce dont on a besoin, ce n’est pas d’enseignants qui pourraient tendre à évaluer et à contrôler prématurément, ce sont des personnes capables de sympathiser avec les enfants, d’apprécier leurs découvertes et de les encourager par une expression d’enthousiasme et d’admiration. Et c’est là que l’on découvre encore une fois la créativité de Sugata Mitra. Il a pensé que des grand-mères anglaises, (« grannies ») pourraient, à travers skype, rencontrer chaque semaine un groupe d’enfants indiens et établir avec eux un contact chaleureux, bref un réseau de volontaires aidant les enfants les plus pauvres à apprendre en favorisant leur motivation. Voici un exemple de conversation telle qu’elle est souhaitée dans ce dispositif. La grand-mère manifeste son enthousiasme : « Magnifique ! C’est fantastique ! Comment est-ce que tu as fait cela ? D’où cela vient-il ? Quand j’étais enfant, jamais je n’aurais pu faire une chose pareille. Et l’enfant répond : « O, tu es stupide ! Je vais te montrer ! ». Cette approche des grand-mères exprimant leur admiration comme une force motrice, est originale. Et bien, cela marche. « La présence d’une médiation amicale peut accroître l’autoapprentissage ».

 

(vidéo sous-titrée en français : http://www.ted.com/talks/sugata_mitra_build_a_school_in_the_cloud?language=fr)

 

Laissez-les apprendre ! Un nouvel horizon

 

Cette approche commence à se diffuser dans le monde. Mais elle se heurte aussi à des obstacles dans mes mentalités. On peut se demander si dans des pays « riches », il n’y a pas parfois un manque d’appétit  parce qu’il y aurait satiété (4). On peut s’interroger sur les conditions culturelles  qui interviennent dans ce processus. Des milieux conservateurs peuvent entrer en opposition. Cette nouvelle approche rompt avec des habitudes séculaires. Comme Sugata Mitra le fait observer, pendant des décennies, on a formé les élèves dans la perspective de répondre aux besoins d’un système hiérarchisé dans lequel régnaient discipline, uniformité et interchangeabilité. Il y avait une sorte de machine qui gouvernait le monde. L’école avait pour but de produire les travailleurs correspondants. Les écoles servaient un empire et, si elles ne changent pas, elles vont être démodées. Pour changer le système, il y aujourd’hui une priorité : réformer les examens en y permettant l’accès à internet.

Bref, ce qui importe aujourd’hui, c’est de permettre l’expression de la créativité. A cet égard, deux personnalités se rejoignent dans le monde anglophone : Sugata Mitra et Ken Robinson (5). En France, le développement de « l’éducation nouvelle » s’est longtemps heurté à beaucoup d’obstacles. Mais progressivement les mentalités changent. L’école se transforme. On assiste aujourd’hui à une nouvelle vague qui se manifeste notamment dans « le printemps de l’éducation » (6).

La pédagogie nouvelle, c’est partir des intérêts et des représentations des enfants pour leur permettre d’aller plus loin (7). Une bibliothécaire, Geneviève Patte, a écrit un livre qui montre l’enthousiasme des enfants à qui l’on propose un environnement de livres et un accompagnement chaleureux. Ce livre est intitulé : « Laissez les lire ! » (8). Le mouvement engagé par Sugata Mitra se développe aujourd’hui dans un esprit analogue : « Ce n’est pas provoquer l’apprentissage, c’est laisser l’apprentissage advenir » (« It is not making learning happen. It is about letting him happen ». Laissez les lire ! Laissez les apprendre !

Comme physicien, Sugata Mitra médite sur le caractère inédit de cette entreprise. Il écrit : « Learning can emerge in spontaneous order at the edge of the chaos » : « L’apprentissage peut émerger dans un ordre spontané à la frontière du chaos ». C’est une pensée éclairante qui nous ouvre sur une autre dimension (9).

Au total, dans ce mouvement, nous pouvons ensemble reconnaître l’apparition d’un phénomène émergent qui a été mis en évidence par un homme suffisamment humble pour se laisser surprendre par la nouveauté et suffisamment persévérant et créatif pour poursuivre l’expérience.  Voici un mouvement porteur d’avenir. A nous de savoir observer et écouter.

 

J H

 

(1)            « Une nouvelle manière d’être et de connaître. « Petite Poucette » de Michel Serres ». Sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=820

(2)            On pourra consulter à ce sujet différentes sources :

Tout récemment en 2015, Sugatra Mitra a fait une conférence aux Etats-Unis : « The future of learning » à « L’Association pour le développement des talents » (ATD). On trouvera des notes sur le contenu de cette conférences sur deux sites : « Tubarks : the musings of Stan Skrabut » qui présente également plusieurs vidéos  concernant l’œuvre de Sugata Mitra : https://tubarks.wordpress.com/2015/05/24/atd2015-keynote-sugata-mitra/ et « Cammy Beam » : http://cammybean.kineo.com/2015/05/sugata-mitrathe-future-of-learning.html C’est une documentation de qualité.

Un article très bien informé et, de plus présentant une perspective synthétique, vient de paraître dans le Guardian : Carol Cadwallabr. « The « granny cloud » The network of volunteers helping poorer children learn » 2 aout 2015 : http://www.theguardian.com/education/2015/aug/02/sugata-mitra-school-in-the-cloud… On pourra également entendre Sugatra Mitra dans plusieurs vidéos comme cette courte intervention : « Beyond the Hole in the Wall. AERO conference 2015 : https://www.youtube.com/watch?v=vPjWiZaMtVc

(3)            Histoire et développement de Ted : https://en.wikipedia.org/wiki/TED_(conference) Voir aussi sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=1910

Voir l’exposé en vidéo de Sugata Mitra à Ted en 2013 : « Construire une Ecole dans le Cloud » et la transcription de son exposé en français : un texte de base pour des francophones : http://www.ted.com/talks/sugata_mitra_build_a_school_in_the_cloud?language=fr http://www.ted.com/talks/sugata_mitra_build_a_school_in_the_cloud/transcript?language=fr

(4)            On observe chez les enfants des pays pauvres une  belle soif d’instruction : Sur ce blog : «  Sur le chemin de l’école » : https://vivreetesperer.com/?p=1556

(5)            Sur ce blog : « Une révolution en éducation » : https://vivreetesperer.com/?p=1565

(6)            Voir sur ce blog : «  Et si nous éduquions nos enfants à la joie ? Pour un printemps de l’éducation » : https://vivreetesperer.com/?p=1872

Site du « Printemps de l’éducation » : http://www.printemps-education.org

(7)            Sur ce blog : « Une nouvelle manière d’enseigner : participer ensemble à une recherche de sens. L’approche pédagogique de Britt Mari Barth » : https://vivreetesperer.com/?p=1169

(8)            Sur ce blog : « Laissez-les lire. Une dynamique relationnelle en éducation » : https://vivreetesperer.com/?p=523

Dans notre contexte personnel, cette réflexion évoque la pensée théologique de Jürgen Moltmann sur la création. La pensée théologique de Moltmann est présentée sur le site : « L’Esprit qui donne la vie ». http://www.lespritquidonnelavie.com                                    Nous nous reportons ici à un des derniers livres de Moltmann : Ethics of hope. Fortress Press, 2012  (Evolution and emergence p 124-126) : « Dans l’histoire de la nature, il y a l’irruption de systèmes de matières et de formes de vie et, dans ce processus, de nouveaux ensembles émergent… On en parle comme l’auto-organisation de l’univers et de la vie… L’interprétation théologique donne à cette idée une nouvelle profondeur à travers la vision d’une auto-transcendance… J’interprète personnellement ces signes de la nature comme la présence de l’Esprit divin qui pousse vers la transcendance et, à travers l’apparition de nouveaux ensembles, anticipe le futur de la nature dans le Royaume de Dieu… Nous comprenons le présent, pas simplement comme l’aboutissement d’une évolution passée. Nous comprenons aussi le passé comme un « passé futur », parce que nous comprenons le présent comme le présent de ce qui est à venir et tend vers le futur de Dieu » (Extraits en traduction).  Dans ce registre, nous interprétons le phénomène émergent de l’auto-apprentissage interrelationnel comme une anticipation et comme un « signe des temps ».

Thomas d’Ansembourg : « Un citoyen pacifié devient un citoyen pacifiant »

Une campagne du mouvement Colibris pour une (r)évolution intérieure.

Face aux dysfonctionnements de notre société, le mouvement Colibris, qui puise son inspiration tout particulièrement chez Pierre Rabhi, appelle ses membres à des voies alternatives de reconstruction. « Soyons le changement ! ». Et « si la plus importante révolution à mener était votre (r)évolution intérieure ! ». Le mouvement Colibris vient donc de lancer une nouvelle campagne citoyenne dans ce sens. « Dans la continuité du travail réalisé autour des principaux leviers de la société : économie, agriculture, démocratie, énergie, Colibris souhaite passer un message fort et montrer que la vraie (r)évolution est celle qui nous amène à nous transformer nous mêmes pour transformer le monde » (1). Le mouvement Colibris a donc suscité une rencontre où une douzaine de participants ont apporté leur témoignage sur leur évolution intérieure. Ces messages ont été enregistrés sur de courtes vidéos que nous pouvons regarder avec respect et reconnaissance (2).

On trouvera parmi ces témoignages une intervention de Thomas d’Ansembourg. Sur ce blog, à deux reprises, nous avons fait connaître des vidéos de Thomas d’Ansembourg particulièrement éclairantes (3). Thomas sait nous parler de son expérience de vie et des clés de compréhension et de transformation dont il fait usage en psychothérapie. On trouvera ces mêmes qualités dans la vidéo que nous présentons ici, et qui, en quelques minutes, nous ouvre un chemin (4).

L’itinéraire de Thomas d’Ansembourg est rappelé au préalable en ces termes : « Thomas d’Ansembourg a exercé la profession d’avocat. Parallèlement, il s’est engagé dans une association d’aide concrète aux jeunes qui connaissent des problèmes de délinquance, violence, prostitution et dépendances de toutes sortes. Par cette double approche juridique et sociale, il s’est impliqué dans la gestion des conflits et la recherche de sens. Dans le souhait de comprendre la difficulté d’être en général et particulièrement la violence, Thomas a entrepris une psychothérapie. Il découvre alors la liberté de prendre du champ sur l’inconscient et mesure qu’il aurait pu passer sa vie, se croyant libre, alors qu’il était pris au piège de ses conditionnements éducatifs, habitudes de pensée et systèmes de croyances. Il décide de devenir psychothérapeute pour partager ces prises de conscience et accompagner d’autres personnes dans ces processus de cœur et de conscience. Il se forme à différentes approches et particulièrement à la méthode de communication non violente (CNV) avec son fondateur Marshall Rosenberg.

 

Quel est le message de cette vidéo ? Nous présentons ici quelques citations qui en sont extraites pour qu’elles nous accompagnent dans le chemin de réflexion ouvert par Thomas d’Ansembourg.

Evoquant son expérience d’avocat, Thomas d’Ansembourg évoque un manque de formation pour l’exercice de cette profession : « Nous éviterions bien des conflits si nous avions quelques clés de connaissance de soi, de compréhension des émotions, de capacité à mieux les gérer et les exprimer sans agresser, à exprimer ses besoins et à être à l’écoute des besoins des autres d’une façon ouverte et empathique et que cela faisait très clairement défaut dans nos éducations. Moi-même comme avocat, je n’ai pas reçu une clé d’écoute, pas une clé de compréhension de la mécanique relationnelle, pas une clé de gestion des émotions. J’étais éduqué pour faire des contrats, des plaidoiries, mais pas pour être à l’écoute d’un humain en difficulté ».

En s’orientant, parallèlement à son travail d’avocat, vers l’accompagnement de jeunes en difficultés, il s’est « vite rendu compte que quelques clés de connaissance de soi faciliteraient la vie collective : Apprendre à connaître ses émotions, à les démélanger les unes des autres, à identifier nos besoins, à leur donner des priorités, à ne pas les confondre avec nos envies, nos désirs qui sont changeants, multiples et dispersants, à être capables d’exprimer cela par des demandes tout en étant en empathie avec le besoin de l’autre dans la capacité d’écouter ce besoin même si il est différent, tolérer le désaccord et la différence et chercher ensemble des solutions négociées qui seraient satisfaisantes pour chacun ».

Thomas s’est alors engagé dans une psychothérapie. Il a senti « un pivotement intérieur » en prenant du champ sur l’inconscient : « J’aurais pu passer ma vie dans des enfermements » avec la prise de conscience que le mot : « enfer » peut s’appliquer à ceux-ci. Thomas d’Ansembourg est maintenant psychothérapeute depuis plus de vingt ans. Il encourage le développement d’une « intériorité citoyenne », une vie intérieure qui peut s’exprimer au service de la vie communautaire. « Je fais le lien avec ce que la plupart des spiritualités nous disent de façon concordante : si nous prenons du temps d’écoute intérieure, de discernement et d’entrer dans un puits de connaissance universelle qui est, semble-t-il, au cœur de chacun de nous, nous nous relions, nous appartenons ». « Et voilà, il m’est donc apparu qu’un citoyen pacifié devient un citoyen pacifiant (5). Il s’implique. Il laisse un sillage de bienveillance, de bienfaisance, de douceur, de générosité, de collaboration, de synergie. Il donne envie qu’on aille avec lui. En se sentant pacifié, il donne envie d’être pacifiant à notre tour ».

J’ai la conviction que cette vie intérieure peut se nourrir de multiples façons. Bien sûr, je recommande de porter régulièrement des moments de gratitude (6). Toutes les personnes qui pratiquent régulièrement des moments de gratitude sentent une énergie, une vitalité, une joie d’être au monde ». Cela ne vient pas nécessairement immédiatement, mais cela « ne manque pas de venir si on jardine cette vie intérieure avec suffisamment de bienveillance et d’attention ».

Dans ce travail, je propose également un exercice, c’est de se poser cette simple petite question que l’on pose autour de soi une dizaine de fois par jour : Comment cela va ? Comment te sens-tu ? Se poser à soi cette question : Comment vas-tu ? Comment te sens-tu ? Qu’est-ce qui est heureux dans ton cœur ? Célébrer ce qui va bien.  Commencer par ce qui va bien. Il y a des chose qui vont bien même si nos vies sont tragiques ».  Repérons ce qui correspond à nos aspirations profondes et qui nous procurent du contentement. Quand ces aspirations sont nourries en moi, je vais bien. « Je tend donc vers cela. Si ce qui me correspond, c’est « le partage, l’écoute et la sincérité », je vais chercher à créer ces conditions. « Ainsi nous apprenons à nous centrer. Il y a les choses joyeuses qui vont bien dans mon cœur. Je les honore, les célèbre et j’oriente ma vie dans ce sens. Et puis il y a les choses moins joyeuses, plus difficiles, plus éprouvantes. Je les accueille, je les écoute et j’essaie de les comprendre. Petit à petit, j’oriente ma vie pour ne plus retomber dans les circonstances dont je sais par expérience qu’elles ne m’apportent pas de bien-être. Et ainsi, je récupère les manettes de mon existence.

Qu’est ce qui arrive à la plupart de nos contemporains ? Ils n’ont pas les manettes pour orienter leur vie. Or ce n’est pas compliqué. Cela demande juste un peu de jardinage intérieur ».

 

 

Ce message est porteur car il se développe à partir d’une expérience et il s’exprime sur un ton qui suscite la sympathie. Il aide à mieux interpréter nos situations de vie et à y faire face. Il nous encourage. Un changement est possible. Oui, nous pouvons !

Bien sûr, dans ce court message, Thomas d’Ansembourg n’a pas le temps d’aborder des situations critiques ou d’entrer dans une réflexion approfondie sur la manière dont nous percevons le sens profond de nos existences, lequel a tant d’importance dans la dynamique de notre vie.

Il s’exprime cependant sur le rapport entre psychologie et spiritualité.

« Je fais le lien avec ce que la plupart des spiritualités nous disent de façon concordante. Si nous prenons un temps d’écoute intérieure, de discernement et d’entrer dans un puits de connaissance universelle qui est, semble-t-il, au cœur de chacun de nous, nous nous relions, nous appartenons ».

Cette conscience d’une relation, d’une appartenance à plus grand que soi, nous paraît essentielle. Et il en est de même du fil conducteur que nous pouvons suivre dans le monde. Sommes-nous inspirés par la sympathie et l’amour ? A certains moments et dans certaines conditions, certains milieux religieux ont pu être pollués par des représentations négatives. Mais aujourd’hui ce n’est pas le courant principal. Thomas d’Ansembourg évoque les bienfaits de la gratitude. A ce sujet, un remarquable article est paru dans Wikipedia. Free encyclopedia (anglophone) (6). « L’étude systématique de la gratitude à l’intérieur de la psychologie a commencé seulement autour des années 2000, peut-être parce ce que la psychologie traditionnellement se focalisait sur les situations de détresses… ». Des études récentes suggèrent que les gens reconnaissants sont aussi plus altruistes et vivent dans un état de bien être subjectif plus élevé.  Cependant cet article met également l’accent sur la manière dont la gratitude et la reconnaissance sont au cœur des pratiques de vie chrétiennes et juives. « Dans le judaïsme, la gratitude est une part essentielle de l’acte d’adoration et de la vie du croyant. De même l’expression de la gratitude modèle et donne sa forme à la pratique de vie chrétienne ». Ainsi, sur des registres différents, l’expression de la gratitude est bien une démarche fondamentale. Elle éclaire la relation positive et débouche sur une harmonie.

Dans la gratitude comme dans la démarche de prendre soin de nous-même, il y a un mouvement commun qui est la bienveillance. Dans son livre : « Oser la bienveillance », Lytta Basset a mis en valeur cette dimension essentielle de notre existence : « Bienveillance humaine, bienveillance divine » (7).

Cette vidéo de Thomas d’Ansembourg nous invite à fréquenter ses autres enseignements et notamment les deux autres vidéos rapportées sur ce blog (3). Dans ce monde où nous pouvons être tenté par le pessimisme, l’agressivité ou le repli, cette vidéo contribue à la campagne du mouvement Colibris : « Faisons notre part ! Soyons le changement ! Engageons-nous dans une (r)évolution intérieure ». Thomas d’Ansembourg nous apporte un message tonique. Oui, cette évolution positive est possible. Il y a de l’espoir !

 

Jean Hassenforder

 

(1)            « Une (r)évolution intérieure » : https://www.colibris-lemouvement.org/revolution/une-revolution-interieure

Sur ce blog, un regard sur le mouvement Colibris : « une jeunesse engagée pour une société plus humaine et plus durable » : https://vivreetesperer.com/?p=1780

(2)            « Entretiens : ma ®évolution intérieure » : https://www.colibris-lemouvement.org/revolution/une-revolution-interieure/entretiens-ma-revolution-interieure

(3)            « Femmes et hommes. Monde nouveau. Alliance nouvelle » : https://vivreetesperer.com/?p=1791 « Vivant dans un monde vivant. Changer intérieurement pour vivre en collaboration » : https://vivreetesperer.com/?p=1371

(4)            « Thomas d’Ansembourg : ma (r)évolution intérieure » : vidéo You Tube : https://www.youtube.com/watch?v=gWLoMcVoHaU

(5)            Dans son livre : « la guérison du monde», Frédéric Lenoir met en évidence le développement d’un courant spirituel qui allie intériorité et engagement collectif. Sur ce blog : « Un chemin de guérison pour l’humanité » : https://vivreetesperer.com/?p=1048

(6)            « Gratitude. From Wikipedia. The free encyclopedia » : https://en.wikipedia.org/wiki/Gratitude Sur ce blog, « Avaaz : Transformation sociale et transformation personnelle vont de pair » : des moments de gratitude sont envisagés dans ce processus : https://vivreetesperer.com/?p=2034

(7)            Sur ce blog : Lytta Basset. « Oser la bienveillance ». « Bienveillance humaine. Bienveillance divine. Une harmonie qui se répand » : https://vivreetesperer.com/?p=1842

Convergences écologiques : Jean Bastaire, Jürgen Moltmann, Pape François et Edgar Morin

Une nouvelle civilisation en gestation

La prise de conscience écologique est devenue un enjeu vital pour l’humanité. Manifestement, la menace actuelle n’est pas liée seulement à un dysfonctionnement des comportements. Elle dépend également d’une représentation du monde dans laquelle l’humanité manque de respect pour la nature en s’érigeant en maîtresse et dominatrice. C’est une invitation à nous interroger sur la manière dont nous envisageons la création, le projet de Dieu pour la nature et l’humanité. Comment concevoir le rapport entre notre humanité et la nature ?

Ces questions apparaissent aujourd’hui sur le devant de la scène. Nous voudrions mettre en évidence la convergence de trois approches : celle d’un théologien pionnier en ce domaine : Jürgen Moltmann, celle d’un homme d’église ouvert et courageusement novateur, le pape François, celle d’un sociologue qui a développé une prise en compte de la complexité dans une démarche holistique : Edgar Morin. Dans les trois cas, ils ouvrent de voies nouvelles par rapport à des mentalités où l’homme se perçoit comme dominant par rapport à la nature : un christianisme triomphaliste et conservateur ou un scientisme enfermé dans un exclusivisme humain.

Jürgen Moltmann

L’originalité de la pensée de Jürgen Moltmann est mise en évidence en France par un recueil réalisé par Jean Bastaire et publié en 2004 : « Le rire de l’univers. Traité de christianisme écologique » (1). C’est une remarquable anthologie de textes de Moltmann sur cette question. Dans sa recherche pour relier écologie et christianisme, Jean Bastaire nous montre qu’au début du XXIè siècle, cette synthèse était encore loin de s’être réalisée dans le catholicisme français et que la pensée de Moltmann lui a permis d’accomplir un pas décisif : « Je n’ai connu Jürgen Moltmann que ces toutes dernières années après avoir écrit et publié avec mon épouse plusieurs ouvrages sur l’écologie chrétienne et la dimension cosmique du Christ… Cette mystique de la terre de Dieu a profondément inspiré le combat que mène notre couple en compatissant à la souffrance de toute créature et en travaillant à réaliser la Pâque de l’univers… Nous ne soulevons pourtant guère d’écho dans les milieux chrétiens dont les membres sont très peu nombreux à établir un lien entre des besoins anthropocentriques devenus impérieux en matière d’écologie et des exigences théocentriques de tout temps évidentes au niveau de la fraternité cosmique. L’enseignement de Saint Paul et de Saint Jean est escamoté et l’exemple de François d’Assise sert généralement de poétique cache-misère à la trahison permanente du Petit Pauvre… ». C’est alors que Jean Bastaire a trouvé un apport décisif dans un aspect de l’œuvre de Moltmann : sa théologie de la création : « Jürgen Moltmann me procure un enrichissement décisif dans un domaine : le messianisme eschatologique dont il ne suffit pas de dire qu’il constitue le couronnement de la révélation biblique et chrétienne, mais qu’il en récapitule toute l’étendue depuis la Genèse jusqu’à la Parousie… Il n’est pas indifférent que Moltmann, théologien réformé réalise à ce sujet un étonnant rassemblement entre protestants, orthodoxes et catholiques qu’il reconduit à leur commune racine juive ».

Très tôt, dès 1985 (1988 dans la traduction française), Jürgen Moltmann publie un livre pionnier : « Dieu dans la création », accompagné d’un sous-titre qui en indique la visée : « Traité écologique de la création » (2). « Que signifie croire au Dieu créateur, croire que ce monde est sa création, face à l’accroissement de l’exploitation industrielle et de l’irréparable destruction de la nature ? Ce qu’on appelle : « crise de l’environnement » n’est pas seulement une crise de l’environnement naturel de l’homme, mais rien de moins qu’une crise de l’homme lui-même ».

Moltmann propose une vision du processus de la création en phase avec une approche holistique : « Dans mon titre : « Dieu dans la création », j’ai en vue Dieu, l’Esprit Saint. Dieu est « Celui qui aime la vie » et son esprit est dans toutes les créaturesCette doctrine de la création qui part de l’Esprit créateur divin, inhabitant, est aussi en mesure de fournir des points de départ pour un dialogue avec les philosophies anciennes et nouvelles de la nature, non mécanistes, mais intégrales ».

Le respect de la nature passe par la conscience de la présence de Dieu dans l’ensemble de la création à laquelle nous participons. « Selon le sens du mot grec, écologie signifie « la science de la maison » (oikos). Que peut avoir à faire la doctrine chrétienne de la création  avec la « science de la maison » ? Absolument rien si on ne voit qu’un créateur et son œuvre. Mais si on comprend le créateur, sa création et son but de façon trinitaire, alors le créateur habite par son Esprit dans l’ensemble de la création et dans chacune de ses créatures et il les maintient ensemble et en vie par la force de son Esprit ».

Mais la nature actuelle est encore souffrante, contrainte, exposée à des forces contraires. Ainsi Moltmann l’envisage dans un mouvement de libération et de recréation : « Cette doctrine chrétienne de la création prend au sérieux le temps messianique qui a commencé avec Jésus et qui tend vers la libération des hommes, la pacification de la nature et la délivrance de notre environnement à l’égard des puissances du négatif et de la mort ».

 

Le pape François

 La lettre encyclique du pape François : « Laudato Si’ » (Loué sois-tu !) sur la sauvegarde de la maison commune (3) a eu un grand retentissement. Un commentaire d’Edgar Morin, sociologue et philosophe éminent, et se situant par ailleurs en dehors du champ de la croyance, témoigne de cette audience. Répondant à une interview du journal « La Croix » (4), Edgar Morin écrit ainsi : « Nous vivons dans une époque du désert de la pensée, une pensée morcelée où les partis qui se prétendent écologistes n’ont aucune vraie vision de l’ampleur et de la complexité du problème, où ils perdent de vue l’intérêt de ce que la pape François dans une merveilleuse formule reprise de Gorbatchev appelle « la maison commune ». Or, cette même préoccupation d’une vue complexe globale au sens où il faut traiter les rapports entre chaque partie m’a toujours animé. Dans ce « désert » actuel, donc voilà que surgit un texte que je trouve tellement bien et qui répond à cette complexité. François définit « l’écologie intégrale » qui n’est surtout pas cette écologie profonde qui prétend convertir au culte de la terre et tout lui subordonner. Il montre que l’écologie touche en profondeur nos vies, notre civilisation, nos modes d’agir, nos pensées. Plus profondément, Il critique un « paradigme techno-économique », cette façon de penser qui ordonne tous nos discours et qui les rend obligatoirement fidèles aux postulats techniques et économiques pour tout résoudre. Avec ce texte, il y a à la fois une demande de prise de conscience, une incitation à repenser notre société et à agir. C’est bien le sens de providentiel : un texte inattendu et qui montre la voie ».

On sait que les propos du pape François tranchent avec un milieu conservateur, hiérarchisé et formaliste avec lequel il se trouve confronté au centre de l’Eglise catholique. Ainsi est-il particulièrement attentif aux dimensions sociales et économiques du monde dans lequel nous vivons. Dans une profonde humanité et une attention au vécu des gens, il témoigne de la spontanéité bienfaisante de l’Evangile. Et dans cette encyclique, il y a également un souffle qui passe. En se référant à Saint François, le pape communique une vision mystique de « l’harmonie avec Dieu, avec les autres, avec la nature et avec soi-même ». « Si nous nous nous approchons de la nature et de l’environnement, sans cette ouverture à l’étonnement et à l’émerveillement, si nous ne parlons plus le langage de la fraternité et de la beauté dans notre relation au monde, nos attitudes seront celles du dominateur, du consommateur ou du pur exploiteur de ressources incapables de fixer des limites à ses intérêts immédiats. Le monde est plus qu’un problème à résoudre. Il est un mystère joyeux que nous contemplons dans la joie et la louange… ». Dans cette dynamique positive, le pape François appelle à « la sauvegarde de notre maison commune », ce qui requiert « l’union de toute la famille humaine dans la recherche d’un développement durable et intégral ». Cette encyclique énonce et analyse les maux qui affectent la nature et l’humanité. Elle expose la racine humaine de la crise écologique dans un usage effréné et irréfléchi de la technologie. Elle propose une « écologie intégrale » dans un esprit de justice et de solidarité. Cette dynamique est éclairée par le message biblique et la foi évangélique. Elle requiert et appelle « une éducation et une spiritualité écologique ».

Cette encyclique s’achève sur une vision de la nouvelle création et de la vie éternelle : « A la fin, nous nous retrouverons face à face avec la beauté infinie de Dieu (cf Co 13,12) et nous pourrons lire, avec une heureuse admiration, le mystère de l’univers qui participera avec nous à la plénitude sans fin. Oui, nous voyageons vers le sabbat de l’éternité, vers la nouvelle Jérusalem, vers la maison commune du ciel. Jésus nous dit : « Voici, je fais l’univers nouveau » (Ap 21.5). La vie éternelle sera un émerveillement partagé, où chaque créature, transformée d’une manière lumineuse, occupera sa place… Entre temps, nous nous unissons pour prendre en charge cette maison qui nous a été confiée, en sachant que tout ce qui est bon en elle sera assumé dans la fête céleste. Ensemble, avec toutes les créatures, nous marchons sur cette terre en cherchant Dieu, parce que « si le monde a un principe et a été créé, il cherche celui qui l’a créé, il cherche celui qui lui a donné un commencement, celui qui est son créateur »… Que nos luttes et notre préoccupation pour cette planète ne nous enlèvent pas la joie de l’espérance ».

Cette encyclique mérite d’être lue attentivement d’un bout à l’autre. Ecrite à partir d’un univers catholique, mais s’élevant au delà pour aller à la rencontre de tous les hommes, elle a un potentiel de conscientisation considérable, notamment dans le vaste milieu dont elle est issue. C’est un message, mais c’est aussi un événement.

 

Edgar Morin

 Sociologue et philosophe de renommée internationale, Edgar Morin a réalisé une œuvre  très riche et très diversifiée (5).

Au cours d’un séjour en Californie de 1969 à 1970, il prend conscience de la question écologique. Dès lors, il va poursuivre une réflexion dans ce domaine. Ainsi, avec « Le paradigme perdu : la nature humaine » publié en 1973, il explique que l’homme n’est pas le maître de la nature, mais son partenaire et que c’est autant la nature qui en impose à l’homme que l’inverse. En 1993, Edgar Morin écrit avec Anne-Brigitte Kern un livre : « Terre patrie » qui marque une prise de conscience  de la communauté du destin terrestre. Cependant, l’apport majeur d’Edgar Morin, c’est une réflexion de long terme sur « la méthode » dans le travail de la connaissance qui est jalonnée par plusieurs ouvrages. Edgar Morin y porte un nouveau paradigme, celui de la complexité qui implique la prise en compte des liens entre les différentes composantes du savoir et un point de vue transdisciplinaire. Ce paradigme va se développer dans les sciences humaines et il est particulièrement en phase avec l’approche écologique.

Comme nous en avons déjà fait part, dans son interview à « La Croix », Edgar Morin a mis l’accent sur des convergences fondamentales avec le texte : « Laudato Si’ », tout en marquant sa différence dans l’interprétation des textes bibliques. Relevons ici tout simplement quelques convictions de fond exprimées par Edgar Morin :

« Nous savons aujourd’hui que nous avons en nous des cellules qui se sont multipliées depuis les origines de la vie, qu’elles nous constituent encore comme tout être vivant. Si nous remontons ainsi à l’histoire de l’univers, nous portons ainsi en nous tout le cosmos et d’une façon singulière. Il y a une solidarité profonde avec la nature, même si, bien entendu, nous sommes différents par la conscience, la culture. Mais tout en étant différents, nous sommes tous des enfants du Soleil. Le vrai problème, c’est non pas de nous réduire à l’état de nature, mais de nous séparer de l’état de nature…

Il existe un humanisme anthropocentriste qui met l’homme au centre de l’univers, qui fait de l’homme le seul sujet de l’univers. En somme où l’homme se situe à la place de Dieu. Je ne suis pas croyant, mais je pense que ce rôle divin que s’attribue parfois l’homme, est absolument insensé. Et une fois qu’on se situe dans ce paradigme anthropocentriste, la mission de l’homme très clairement formulée par Descartes, c’est conquérir la nature et la dominer. Le monde de la nature est devenu un monde d’objets. Le véritable humanisme, c’est au contraire celui qui va dire que je reconnais dans tout être vivant à la fois un être semblable et différent de moi ».

 

Convergence et dialogue

Les grandes voix que nous venons d’entendre se rejoignent sur bien des points et peuvent entrer dans un dialogue constructif. Ainsi l’accueil enthousiaste de l’encyclique « Laudato Si’ » par Edgar Morin, sociologue et philosophe, pionnier dans une nouvelle approche des sciences humaines, est particulièrement significative et d’autant plus que celui-ci se dit non croyant.

On peut imaginer un dialogue constructif entre Jürgen Moltmann et Edgar Morin. Rappelons l’intention de Moltmann dans sa doctrine de la création : En « partant de l’Esprit créateur, inhabitant », son approche se veut « en mesure de fournir des points de départ pour un dialogue avec les philosophies anciennes et nouvelles de la nature, non mécanistes, mais intégrales ».

Jürgen Moltmann montre comment à partir de la Renaissance, en Europe Occidentale, Dieu a été envisagé de plus en plus comme le « Tout puissant ». L’omnipotence est devenue un attribut de la divinité. Ce changement dans la représentation dominante de Dieu a engendré une transformation de la représentation de la nature. Comme image de Dieu sur la terre, l’être humain a été amené à se voir lui même en correspondance comme maître et Seigneur, à s’élever du monde comme objet passif et à le subjuguer (6). La Genèse a été interprétée en ce sens. Ainsi Moltmann entend la critique d’Edgar selon lequel la Bible raconte une création de l’homme complètement séparée de celle des animaux et a suscité une pensée anthropocentriste, mais il la resitue historiquement et présente une autre interprétation de la Genèse. Il rejoint Edgar Morin dans sa critique de l’humanisme anthropocentriste. La question posée est celle de la représentation de Dieu. Dieu, nous dit Moltmann, « n’est pas un Dieu solitaire et dominateur qui assujettit toute chose. C’est un Dieu relationnel et capable d’entrer en relation. C’est un Dieu en communion ».

Comme Edgar Morin, Moltmann critique les excès de la pensée analytique. « La pensée moderne s’est développée en un processus d’objectivisation, d’analyse, de particularisation et de réduction. L’intérêt et les méthodes de cette pensée sont orientés vers la maitrise des objets et des états de chose. L’antique règle romaine de gouvernement : « Divide et impera » imprègne ainsi les méthodes modernes de domination de la nature… A l’opposé, certaines sciences modernes, notamment la physique nucléaire et la biologie, ont prouvé à présent que ces formes et méthodes de pensée ne rendent pas compte de la réalité et ne font plus guère progresser la connaissance. On comprend au contraire beaucoup mieux les objets et les états de chose quand on les perçoit dans leurs relations avec leur milieu et leur monde environnant… La perception intégrale est nécessairement moins précise que la connaissance fragmentaire, mais plus riche en relations… Si donc on veut comprendre le réel comme réel et le vivant comme vivant, on doit le connaître dans sa communauté originale et propre, dans ses relations, ses rapports, son entourage… Une pensée intégrante et totalisante s’oriente dans cette direction sociale vers la synthèse, d’abord multiple puis enfin totale… ». Ces quelques notations permettent un dialogue constructif entre Jürgen Moltmann et Edgar Morin, ce sociologue et philosophe qui a développé un « paradigme de la complexité ».

Et, parallèlement, sur un autre registre, on perçoit également les convergences qui s’établissent entre Jürgen Moltmann et le pape François. Comme Jean Bastaire l’a montré, il y a un mouvement de fond qui se développe aujourd’hui en ce domaine. Un bel exemple est la correspondance entre la méditation du pape François sur la vie éternelle à la fin de son encyclique et le texte visionnaire de Jürgen Moltmann sur « la fête de la vie éternelle » comme dernier chapitre du recueil « Le rire de l’univers ». « Le rire de l’univers est le ravissement de Dieu » (7).

 

En route

Il y a des moments où l’apparition et le développement d’idées nouvelles en phase avec une évolution des mentalités suscitent à terme un changement du cours de l’histoire. A cet égard, l’exemple du XVIIIè siècle est particulièrement significatif. On peut penser qu’il en est de même aujourd’hui. Voilà pourquoi la mise en correspondance de la pensée de Jürgen Moltmann, du pape François et d’Edgar Morin nous paraît heuristique à travers les convergences dont elle témoigne.

Le 21 juillet 2015, un « sommet des consciences » (8) s’est réuni à Paris en rassemblant des personnalités influentes sur le plan religieux, moral et spirituel pour appeler à une prise de conscience écologique débouchant sur un engagement commun conjuguant action collective et changement personnel. Tous les aspects de notre être sont concernés (9) et la transformation de nos comportements est étroitement liée à celle de nos représentations. Chacun à leur manière, Jürgen Moltmann, le pape François et Edgar Morin éveillent notre compréhension et induisent un changement de notre regard

Jean Hassenforder

(1)            Moltmann (Jürgen). Le rire de l’univers. Traité de christianisme écologique. Anthologie réalisée et présentée par Jean Bastaire. Cerf, 2004. Les textes de Jean Bastaire mentionnés dans cet article sont issus de la préface écrite par celui-ci.

(2)            Moltmann (Jürgen). Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1988. Les textes cités sont issus de la préface, de la page de couverture, et en fin de parcours du texte : « la connaissance de la nature comme création de Dieu » (p 14-16).  Un aperçu sur le livre : « Dieu dans la création » sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=766

(3)            Pape François. Loué sois-tu. Lettre encyclique Laudato Si’ du Saint-Père François  sur la sauvegarde de la maison commune. Artège, 2015

(4)            Interview d’Edgar Morin par « La Croix » : « Edgar Morin. « L’encyclique Laudato Si’ est peut-être l’acte 1 d’un appel pour une nouvelle civilisation » : Site de « La Croix » le 21 juin 2015 : http://www.la-croix.com/Religion/Actualite/Edgar-Morin-L-encyclique-Laudato-Si-est-peut-etre-l-acte-1-d-un-appel-pour-une-nouvelle-civilisation-2015-06-21-1326175?utm_medium=Social&utm_source=Facebook&utm_campaign=Echobox&utm_term=Autofeed

(5)            Biographie d’Edgar Morin sur Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Edgar_Morin

(6)            Sur ce blog : « Vivre en harmonie avec la nature » : https://vivreetesperer.com/?p=757

(7)            « Réflexion : Pâques manifeste la plénitude de Dieu » : http://www.temoins.com/ressourcement/vie-et-spiritualite/ressourcement/reflexion-paques-manifeste-la-plenitude-de-dieu

(8)            « Le sommet des consciences » : https://www.whydoicare.org/fr

(9)            « Un Chemin de guérison pour l’humanité…(Frédéric Lenoir) » : https://vivreetesperer.com/?p=1048

 

Voir aussi : « Anne-Sophie Novel : Militante écologiste et pionnière de l’économie collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1975