par jean | Sep 11, 2012 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Société et culture en mouvement |
Un regard nouveau pour un monde nouveau
« Petite Poucette » de Michel Serres.
On mesure, à la lecture de ce compte-rendu l’importance que nous accordons à ce livre. En effet, en présence d’une réalité qui change, il nous aide à changer notre regard. Mais il ne s’agit pas d’un changement limité. De fait, nous sommes engagé dans une mutation qui induit et requiert une révolution mentale. Michel Serres est un bon guide, car il n’est pas seulement un bon observateur, mais aussi un épistémologue, connaisseur des méthodes et des résultats de la science. Ce livre est aussi le fruit d’une aptitude à la sympathie. Il sait voir avec le cœur. Et c’est pourquoi, en communion avec Petite Poucette, il est capable de regarder vers l’avenir et donc d’en percevoir la venue. Certes, on peut s’interroger sur telle ou telle proposition, mais il y a dans ce livre une dimension épique qui suscite l’émerveillement. Aussi, cette pensée interpelle les acteurs dans différents champs d’activité.
Dans bien des domaines, nous sommes confrontés aux blocages et aux résistances des mentalités. Combien le monde de l’école est encore loin aujourd’hui de l’horizon qui s découvre à travers le livre de Michel Serres. En politique, il y a bien quelques figures pionnières qui évoquent la démocratie participative et l’intelligence collective. On pense, par exemple, à Ségolène Royal. Il y a un long chemin à parcourir.
Et, dans le domaine religieux, combien les institutions sont encore, pour la plupart, modelées par l’héritage du passé : hiérarchie descendante de haut en bas, sacralisation des formulations, communication asymétrique. La mentalité patriarcale est encore prégnante. Alors, là aussi des voix s’élèvent pour libérer le message de vie porté par l’Evangile, de la gangue religieuse dans lequel il est trop souvent enfermé. On entend bien Michel Serres lorsqu’il évoque : « l’intuition novatrice et efficace » (p 25) par delà l’encombrement des connaissances. Les formulations rigides, répétitives, impératives, sans lien avec la vie et enfermées sur elles-mêmes sont de plus en plus contestées. Un nouvel entendement apparaît et se répand. Ainsi, aux Etats-Unis, Diane Butler Bass vient de publier un livre sur « Le christianisme après la religion » (1). Elle met en évidence les effets pervers des dogmatismes et elle met en évidence le développement d’une « foi expérientielle » Cette valorisation de l’expérience ne rejoint elle pas celle de l’intuition ? On peut évoquer ici la démarche pionnière du théologien Jürgen Moltmann. Dès les années 1970, il a écrit un livre intitulé « Le Seigneur de la danse » (2). Ce livre nous parle de jeu et de liberté. Il évoque la Sagesse de Dieu qui déclare : « Je faisais ses délices, jour après jour et je jouais sans cesse devant lui » (Proverbes 8.30) . Moltmann mentionne le philosophe grec Héraclite : « La cours du monde est un enfant qui joue et qui place les pions ça et là. C’est un royaume de l’enfant ». Cet éloge du jeu rappelle une des intuitions de Michel Serres qui est rejoint par Moltmann dans sa critique des excès de la pensée analytique.
Théologien de l’espérance, Jürgen Moltmann nous permet de regarder vers l’avenir en voyant l’oeuvre de Dieu qui vient vers nous et nous invite à aller de l’avant (3). Dans son livre, « Petite Poucette », Michel Serres nous décrit l’émergence d’une « nouvelle manière d’être et de connaître » . C’est un phénomène nouveau et de grande ampleur. « Libérée des relations asymétriques, une circulation nouvelle fait entendre les notes, quasi musicales, de sa voix (p 52). Tout le monde communique avec tout le monde en réseaux innombrables. Ce tissu de voix s’accorde à celui de la Toile, les deux bruissent en phase » (p 59). La pensée de Jürgen Moltmann nous apporte en écho un éclairage théologique. « L’essence de la création dans l’Esprit est par conséquent la « collaboration » et les structures manifestent la présence de l’Esprit dans la mesure où elle font connaître « l’accord général »… Etre vivant, signifie exister en relation avec les autres. Vivre, c’est la communication dans la communion ». (4)
Bien sûr, il y a aujourd’hui des menaces, des tensions, des peurs. D’ailleurs, Michel Serres a écrit également un livre sur « Le Temps des crises » (5) : « Mais que révèle le séisme financier et boursier qui nous secoue aujourd’hui ? Si nous vivons une crise, aucun retour en arrière n’est possible. Il faut donc inventer de nouveau » (6). « Petite Poucette » nous montre un vieux monde en train de dépérir et un nouveau monde en train de naître. Comme les institutions censées nous apporter du sens sont elles-mêmes engoncées dans l’héritage du passé, c’est le message initial qui se rappelle à nous en écho à la révolution mentale en cours aujourd’hui. Et quel est ce message ? C’est la figure de la Pentecôte. « Ils furent tous remplis de l’Esprit et se mirent à parler dans différentes langues selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer » (Livre des Actes 2.4). Et leurs paroles furent entendues et comprises par des gens du monde entier. Pour nous, il y a une analogie entre cette expérience initiale de l’Esprit et l’effervescence qui se manifeste aujourd’hui et que Michel Serres décrit en ces termes : « Pour la première fois de l’histoire, on peut entendre la voix de tous. La parole humaine bruit dans l’espace et le temps » (p 58).
J H
(1) Christianity after religion. The end of the church and the birth of a new spiritual awakening. Harper One, 2012. Mise en perspective sur le site de Témoins : « La montée d’une nouvelle conscience spirituelle ». .http://www.temoins.com/etudes/la-montee-d-une-nouvelle-conscience-spirituelle.-d-apres-le-livre-de-diana-butler-bass-christianity-after-religion.html
(2) Moltmann (Jürgen). Le Seigneur de la danse. Essai sur la joie d’être libre. Le Cerf, 1972 (Foi Vivante). Réédité .
(3) Vie et œuvre de Jürgen Moltmann d’après son autobiographie : « A broad place » : « Une théologie pour notre temps » sur le site : « L’Esprit qui donne la vie » http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=695
(4) Jürgen Moltmann est l’auteur de plusieurs livres en rapport avec le thème de cet article : « L’Esprit qui donne la vie » et « Dieu dans la création » (Editions du Cerf). Les citations sont empruntées au livre : Dieu dans la création (p 25 et p 15)
(5) Serres (Michel). Le temps des crises. Le Pommier, 2009. (Manifestes)
(6) Cette recherche de nouveauté est en cours selon les compétences des uns et des autres . Ainsi l’économiste, Daniel Cohen vient de publier un livre : « Homo economicus… », où il met l’accent sur les dégradations et les menaces, et notamment sur les incidences néfastes de la montée des inégalités au cours des dernières décennies. Son appréciation d’internet est mitigée (p 157-161). A raison, Daniel Cohen montre les conséquences fâcheuses de la prédominance du modèle de « l’homo economicus » : « Dans l’équilibre entre compétition et coopération, il faut redonner vie à la seconde en réenchantant le travail, en remettant à plat les frontières du gratuit et du payant, en repensant la coopération internationale, à commencer par celle de l’Europe » (p 206): Cohen (Daniel). Homo economicus, prophète (égaré) des temps nouveaux. Albin Michel, 2012. Nous renvoyons également ici à la vision prospective et dynamique de Jérémie Rifkin dans son livre : « La Troisième Révolution industrielle » . Sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=354 Michel Serres, bien au fait de la conjoncture actuelle, ne méconnaît pas les menaces actuelles, mais, dans la prise en compte à la fois d’une histoire de longue durée et de la mutation technologique et culturelle actuelle, il choisit de proposer une vision positive, prospective et mobilisatrice.
Suite et fin des trois contributions précédentes : La grande mutation dans la transmission des savoirs. Vers une société participative . Vers un nouvel usage et un nouveau visage du savoir.
par | Août 30, 2012 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Hstoires et projets de vie |
Témoignage sur une vie de quartier.
Yves Grelet est retraité. Prêtre marié, il milite activement, avec son épouse, Marie Christine, dans plusieurs associations locales à Bezons, une ville ouvrière de la région parisienne en pleine transformation. Il nous parle de cette ville qui a une tradition associative particulièrement dynamique. « Ville ouvrière depuis l’ère industrielle, Bezons a été très vite marquée par une vie syndicale et politique de gauche, et notamment par une forte implantation du parti communiste. La première fête de l’Humanité s’est déroulée à Bezons. Aujourd’hui, le parti socialiste est devenu majoritaire ».
Yves Grelet habite dans la cité du Colombier, un quartier où la mixité est importante au niveau de l’habitat (HLM et copropriété), au niveau de la composition sociale (populations de provenances géographiques très diverses, avec une proportion assez forte de familles d’origine maghrébine ou africaine). Dans cette population immigrée, les enfants sont nombreux et le chômage a un impact important chez les jeunes.
Grâce à la vie associative, les difficultés provoquées par la situation économique et sociale sont prises au sérieux, nous rapporte Yves Grelet. Le Centre social abrite le siège de plusieurs associations, (des groupes de femmes, de jeunes, ou de loisir). La participation nombreuse aux fêtes témoigne de la volonté et de la joie d’agir pour un vrai « vivre ensemble ». Plusieurs familles s’impliquent.
Récemment, les enfants du quartier ont été invités à réaliser « un germoir » (1). Des animateurs les ont aidés à semer des graines qui permettent d’introduire la vie végétale dans un environnement urbain en pleine transformation. Les plantes, c’est la vie. Il est bon d’appendre à les respecter…
Il y a aussi toute une activité d’échanges de savoirs. On partage les compétences en cuisine, en couture, en apprentissage des langues…
Une équipe d’« Action sociale », en lien avec la municipalité, accueille et oriente les personnes en difficultés.
Yves observe les changements en cours et cherche à en évaluer les effets.
« Aujourd’hui, ici comme ailleurs, le chômage bat son plein. Pourquoi ? Une des raisons me saute aux yeux. Lorsque j’observe les constructions des nouveaux immeubles, je suis émerveillé par l’intelligence des nouveaux procédés de construction, aussi bien au niveau des méthodes que des engins utilisés. Je remarque aussi la grande fierté des techniciens acteurs dans ces réalisations impressionnantes. Mais une question se pose à partir de là : Que sont devenus, que deviendront demain ceux qui autrefois pouvaient participer de leurs mains au travail du bâtiment ?
A la fin de l’année, un nouveau tramway, le T2 , transportera vers La Défense les personnes qui utilisaient jusqu’ici leurs voitures, mais aussi de nombreux autobus. C’est un grand progrès, car cela va supprimer d’énormes embouteillages et également faciliter l’implantation de nouvelles entreprises. Mais, en même temps, certains des actuels emplois de chauffeurs de bus vont être supprimés…
Au total, face à la disparition des anciens métiers, comment permettre aux gens sans qualification d’échapper au chômage ?
Dans cet entre-deux difficile entre l’ancien et le nouveau, on observe une évidente détérioration du tissu social.
Par ailleurs, un problème commence à se poser ici avec acuité. Du fait de la démolition récente d’anciens immeubles environnants où ils pratiquaient et de l’augmentation croissante du chômage, certains dealers se sont « rabattus » sur ce quartier, au point qu’il deviendra peut-être nécessaire un jour de l’inscrire comme « zone prioritaire de sécurité ».
Dans la ville, avec l’appui de la municipalité, le Mouvement ATD Quart Monde s’est implanté depuis deux ou trois ans. Yves y participe pour une part. Le but d’ATD se définit par ses initiales: « Agir Tous pour la Dignité ». Joseph Wresinski, son fondateur, précise : « Là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les droits de l’homme sont violés. S’unir pour les faire respecter est un devoir sacré ».
Grâce à quelques bénévoles bezonnais d’ATD quart monde une « bibliothèque de rue » a été créée pour les enfants : c’est un temps où se partage le plaisir de lire avec les enfants, un moyen de faire grandir le goût des livres indispensable à tout apprentissage et découverte, et une occasion offerte à tous, les lecteurs, enfants, animateurs, parents, habitants, de se rencontrer et de se connaître.
Avec ATD Quart Monde également, plusieurs personnes en situation difficile participent chaque mois à l’Université Populaire. Cette université n’est pas un lieu où on suit un cours, mais un lieu de « parole », où on s’exprime et où on écoute les autres. Un thème est proposé pour chaque réunion. Ce thème est commun à la dizaine de groupes ATD implantés dans la région parisienne et qui se rencontrent un soir par mois sur Paris pour échanger leurs observations et propositions. Les thèmes sont variés, par exemple : Quelle école pour une société juste – L’amitié et la fraternité – Droit de vote politique et refus de la misère – Quel combat hier, aujourd’hui et demain contre la grande pauvreté – La vieillesse… Deux accompagnateurs bénévoles assurent le suivi du groupe : Jean-Claude, l’animateur, permet l’expression de chacun. Yves est chargé de prendre note très fidèlement de ce que les gens expriment et de les retranscrire ensuite.
Grâce à ATD Quart Monde, entre autres, on a pu voir plusieurs personnes en difficulté issues du quartier s’insérer concrètement dans la vie collective : elles participent à la lutte contre les logements insalubres et pour l’application réelle, dans le Val d’Oise, de la loi imposant 20 % minimum de logements locatifs sociaux dans les communes de plus de 20.000 habitants. On les a vus aussi dans les manifestations organisées pour la défense de l’hôpital d’Argenteuil (dont les services sont régulièrement menacés de fermeture).
Enfin, Yves Grelet nous parle de ce qui l’anime profondément.
« Je viens d’une famille populaire. Mon père, militant ouvrier, nous a transmis cette fierté de lutter contre les injustices. En Anjou, il a monté autrefois de nombreuses sections syndicales et participé à la création de deux coopératives ».
Pour Yves, le message de l’évangile cité en Matthieu 25 représente une référence majeure. Il la traduit aujourd’hui ainsi : « J’étais sans papiers : vous m’avez aidé à connaître et défendre mes droits d’étranger. J’étais sans abri : vous avez manifesté pour faire respecter le droit à un logement décent. J’étais malade ou handicapé : vous m’avez visité, vous avez agi pour me permettre l’accès aux soins et à la vie sociale. J’étais une femme battue : vous m’avez écoutée, accompagnée et défendue. J’étais dans la misère : vous m’avez fait connaître des associations humanistes solidaires. J’étais isolé : vous m’avez ouvert aux droits d’expression, à la culture, aux transports… J’avais faim et soif de justice, mais peur de m’engager : vous m’avez encouragé à oser ».
Yves reconnaît l’influence sur lui d’un grand spirituel, Maurice Zündel qui a écrit : « On comprend dès lors pourquoi Jésus pousse l’identification jusqu’au Jugement dernier. « J’ai eu faim, j’ai eu soif, j’étais en prison, j’étais en haillon, j’étais informe. C’était moi en chacun, c’était moi ! Ce que vous avez fait à chacun, c’est à moi que vous l’avez fait » (Matthieu 25. 35-40). Et voilà le Jugement dernier : votre attitude envers l’homme, c’est elle qui décide de tout ».
En écho, Yves ajoute : « Là est la vraie fidélité à l’essentiel : le « sacrement du frère », n’est ce pas ? ».
Contribution de Yves Grelet
(1) Fin juin 2012, le chantier du « germoir » a été mis en oeuvre à Bezons par une association engagée dans une recherche active en agriculture urbaine: « Les Saprophytes », « collectif poético-urbain »
par jean | Août 20, 2012 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Société et culture en mouvement |
Eviter les décisions absurdes et promouvoir des choix pertinents
La contribution de Christian Morel.
Les grands accidents qui engendrent le deuil et le malheur sont-ils une fatalité ? Pourraient-ils être évités ? Dans quelle mesure, les représentations et les comportements des hommes sont-ils en question ? Dans un nouvel ouvrage sur « les décisions absurdes « (1), le sociologue Christian Morel nous apporte des réponses à ces questions. Oui, les grands accidents sont pour une part engendrés par des erreurs humaines. Ces erreurs sont le produit d’un ensemble de dysfonctionnements à la fois dans les modes de pensée et dans l’approche collective des problèmes. Oui, une intelligence collective bien conduite peut nous permettre d’éviter des catastrophes, mais aussi, à fortiori, nous aider à améliorer la vie sociale.
La réflexion de Christian Morel s’appuie sur de nombreuses études de cas qui nous font entrer dans le vécu de situations périlleuses. Ces exemples sont particulièrement évocateurs et les enseignements qui s’en dégagent nous permettent de comprendre de l’intérieur les processus de prise de décision. A partir de cette analyse, Christian Morel peut mettre en évidence de grandes règles, des « métarègles » qui permettent de développer la fiabilité des actions humaines. Il entend par là « des principes généraux d’action ainsi que les processus maîtres et les modes de raisonnements communs qui forment une culture amont, ou modèle, de la fiabilité et sont indispensables à la fiabilité des décisions en aval » (p 13-14). Les erreurs sont fréquentes. L’auteur nous en donne un exemple spectaculaire. « Sait-on qu’aux Etats-Unis, quarante fois par semaine, des médecins se trompent d’individu ou de zone corporelle lors d’une intervention chirurgicale ?… Ce seul exemple en dit long sur la propension à se tromper dans l’exercice des activités humaines » (p 11).
Dans un précédent ouvrage (2), Christian Morel avait déjà identifié et analysé les mécanismes qui conduisent individus et organisations à produire avec constance des erreurs radicales et persistantes ». Derrière ce que l’on attribue trop souvent à la fatalité se cachent en réalité des décisions dont l’homme est seul responsable » (p 13). La bonne nouvelle, c’est que « certains acteurs sociaux ne restent pas inactifs devant leur penchant pour les décision absurdes. Ils cherchent des solutions et les mettent en œuvre ». C’est le cas par exemple de l’aéronautique. Et les chercheurs apportent leur contribution. Ainsi les sociologues de l’école américaine dite des HRO (High reliability organisations : organisations hautement fiables) ont étudié comment fonctionnent les organisations exposées à de très grands risques. « Des catastrophes, telles que celles de Three Mile Island, de Tchernobyl, de la Nouvelle Orléans ou de la navette Columbia après celle de Challenger ont conduit à considérer que le combat livré aux décisions absurdes nécessitait des solutions d’ordre sociologique et non uniquement technique. Des activités de loisir, comme le ski hors-piste confronté aux risques d’avalanche ou l’alpinisme en viennent à adopter des principes de fiabilité de la décision proches de ceux de la culture aéronautique » (p 13). La prise de conscience de ces phénomènes et le mouvement de la recherche ont pris de l’ampleur au cours de la dernière décennie. Il y a bien sûr de nombreux retards dans les mentalités, mais l’auteur peut dédier son livre « aux femmes et hommes de l’aéronautique, des professions de santé, de la marine, des forces sous-marines, de la protection civile, des sports de montagne, de la production nucléaire d’électricité, des industries mécaniques et de la production théâtrale, dont le retour d’expériences heureuses ou difficiles ont nourri ma réflexion »
Dans cette mise en perspective, nous rapporterons brièvement quelques études de cas présentées par l’auteur et nous ferons part ensuite des méthodes de pensée qu’il nous propose.
Situations en mouvement
Dans la première partie de son livre : des décisions absurdes aux décisions fiables, Christian Morel nous présente l’évolution de la situation de plusieurs secteurs d’activité : l’aviation, la marine nucléaire, la chirurgie, les randonnées en haute montagne, diverses organisations du théâtre du Splendid à Renault.
Pour l’aéronautique, les erreurs de décision se révèlent souvent dévastatrices. « Cela l’a conduite à inventer des modes d’organisation novateurs comme la collégialité dans le cockpit, la non-punition des erreurs et la formation systématique aux facteurs humains » (p 23).
Plusieurs enquêtes ont mis en évidence la manière dont des excès de hiérarchie dans le cockpit pouvaient engendrer des accidents en empêchant un véritable esprit d’équipe de s’exercer ainsi que l’intelligence collective qui en est le produit. A cet égard, les résultats de la recherche sont spectaculaires. Les avions de ligne sont pilotés par un équipage comprenant deux pilotes : le commandant de bord et le copilote. Or, une enquête américaine concernant trente-sept accidents d’avion a montré que dans trente des trente-sept accidents concernés, c’était le commandant de bord et non le copilote qui était le pilote en fonction (p 24). « Bien évidemment, l’explication de ce phénomène n’est pas que les commandants de bord soient moins performants que les copilotes. C’est généralement le contraire. Le mécanisme est d’ordre purement sociologique. Quand le pilote en fonction est le commandant, s’il se trompe, il est difficile au copilote de le lui dire et de rectifier l’erreur. Dans la situation inverse, corriger le copilote ne pose aucun problème au commandant » (p 25). C’est donc le formatage hiérarchique qui fait obstacle à la mise en œuvre d’une intelligence collective capable de résoudre le problème. Ce chapitre sur « la loi du cockpit » met également en évidence d’autres causes d’erreur, mais les excès de la hiérarchie sont un aspect majeur.
Le même phénomène est mis en évidence et pris en compte dans la marine nucléaire. « La fiabilité occidentale ayant pour origine l’exemple de la marine américaine à propulsion nucléaire est le résultat de principes forts et originaux tels que « la hiérarchie restreinte impliquée », « l’interaction éducative permanente » et des processus de mise en débat préalable des décisions majeures » (p 66). Ces principes ont été initiés au départ par une forte personnalité, l’amiral H G Rickover. « Dans les sous-marins nucléaires et sur les porte-avions, on observe une atténuation de la hiérarchie. « A l’organisation hiérarchique classique : forte stratification, ordres non discutés, formalisme, est substituée, dans certains cas, une organisation différente qui voit les experts et les anciens prendre le leadership, la discussion s’imposer et le formalisme disparaître » (p 67). On observe par ailleurs une interaction éducative permanente : « interaction entre tous les acteurs dans tous les sens et un processus de formation intense sur le terrain ». Il y a aussi l’accent mis sur le principe du débat contradictoire. Cette approche a permis à la marine nucléaire américaine de n’enregistrer aucune fuite radioactive depuis sa création alors que la NASA a connu deux catastrophes majeures : la destruction des navettes Challenger et Columbia (p 76).
En comparaison avec l’aéronautique et la marine nucléaire, la chirurgie est très en retard dans le domaine de la fiabilité. Le risque de décès en chirurgie est de un pour mille « ce qui équivaudrait à un crash d’avion de ligne chaque semaine ! » (p 79). On retrouve dans ce secteur le même problème que ceux nous venons d’évoquer. Dans le chapitre concernant le bloc opératoire, Christian Morel traite des questions d’autorité et de communication, ainsi que de l’importance du renforcement linguistique et de la formation des équipes. Une recherche américaine a montré que l’introduction d’une nouvelle technologie dans la chirurgie cardiaque réussissait beaucoup mieux dans les équipes chirurgicales où régnait une expression collective libérée des frontières hiérarchique et professionnelle (p 82). Des actes de renforcement linguistique, tels que la check-list (vérification systématique d’un ensemble de données) produisent également des effets remarquables. Dans une étude comparative sur huit hôpitaux, dans les blocs opératoires où la check-list a été introduite, la mortalité des opérés a chuté de 57% par rapport au groupe ou il n’en a pas été de même. La formation aux facteurs humains a également un grand impact. Le contenu de cette formation s’inspire de celle qui a été mise au point dans l’aéronautique : « travail en équipe, contestation mutuelle des membres de l’équipe quand des risques ont été identifiés, conduite et animation collective des briefings préopératoires et postopératoires, mise en ordre de comportements favorisant la communication relative à la reconnaissance des incidents… » (p 86). Or, d’après une recherche récente, il s’avère que cette formation aux facteurs humains administrée à des équipes chirurgicales a accéléré de 50 % la baisse du taux annuel de mortalité dans les établissements ayant bénéficié du programme de formation (p 86).
Le développement de processus permettant l’interaction et la délibération collective joue également un rôle majeur dans la réduction des accidents d’avalanche dans les randonnées d’hiver en montagne. L’analyse des récits correspondant permet d’analyser la conduite des groupes. Les risques sont réduits lorsque chaque membre du groupe peut prendre part effectivement aux décisions, ce qui implique d’écouter chacun et d’inciter les plus silencieux à s’exprimer. L’expertise n’est pas le seul critère. Loin de là. Lorsque les suisses se sont engagés dans la prise en compte des facteurs humains, ils sont parvenus à susciter une diminution extrêmement nette des accidents mortels d’avalanche.
Principes de pensée et d’action.
Dans une deuxième partie du livre, à partir de ces exemples, Christian Morel expose les « métarègles de la fiabilité ». Celles-ci portent sur différents registres.
Ainsi, notre manière de percevoir et de raisonner est elle-même en question. Est-ce que nous prenons en compte la complexité des phénomènes, la réalité des risques ? Sommes-nous capables de mettre en question nos erreurs de représentation, nos a priori, le biais de « la chose saillante » ? Avons-nous conscience de nos polarisations ? Christian Morel traite ainsi de la « destinationite ». Ainsi, il y a chez beaucoup de pilotes « une fixation sur la destination et à prendre plus de risques quand ils se rapprochent du terrain d’atterrissage que quand ils se trouvent en vol de croisière » (p 231) ;
L’auteur consacre un chapitre au « Dire, connaître et comprendre ». Il met l’accent sur l’importance des problèmes de langage dans la communication. « Une condition impérative pour échapper aux dynamiques de décisions absurdes est ce que j’appelle « le renforcement linguistique et visuel de l’interaction ». Il s’agit d’assurer des communications plus sures à travers des actes de répétition verbale, de rédaction efficace et de standardisation linguistique, tels que check-lists, lexiques… ».
Dans cette mise en perspective, nous avons particulièrement retenu la mise en œuvre de l’intelligence collective. Christian Morel consacre un chapitre à cette approche. A plusieurs reprises, dans les exemples cités, nous avons remarqué les effets pervers de la pression hiérarchique et les initiatives pour y remédier, par exemple ce que Christian Morel appelle la « hiérarchie restreinte ». La « hiérarchie restreinte impliquée » désigne le transfert marqué du pouvoir de décision vers des acteurs sans position hiérarchique, mais détenteurs d’un savoir et en prise directe avec les opérations. A certaines phases du fonctionnement de l’organisation, leurs connaissances et leurs liens avec le terrain justifient qu’ils héritent temporairement du pouvoir de décision sur des choix importants » (p 130).
Et, par ailleurs, cette dimension va de pair avec une collégialité. « La migration du pouvoir vers le bas ne se fait pas en direction d’un individu isolé et en excluant le chef. C’est toute la pyramide, y compris sa pointe qui devient collégiale (p 130) ;
Cependant l’exercice de l’intelligence collective requiert également des dispositions pour permettre l’expression authentique de chacun. Les consensus apparents ou certains membres du groupe se taisent ou ne participent pas réellement à la délibération aboutissent également à de graves erreurs. On doit être très attentif à la dynamique de groupe. L’auteur met en évidence la manière selon laquelle des entraînements collectifs empêchent un véritable débat et suscitent des mauvaises décisions. Il évoque ainsi plusieurs dysfonctionnements comme l’effet de polarisation, le paradigme de Asch, la pensée de groupe, l’illusion de l’unanimité
On notera, par exemple que les « bonnes intentions » ne sont pas toujours bénéfiques. Le désir de privilégier l’harmonie et la cohésion sur l’expression des désaccords et de conflits internes se révèle contreproductif. « Les membres du groupe qui nourrissent des réticences à l’égard du projet de décision préfèrent se taire plutôt que de paraître inamicaux » (p 122). Certaines catastrophes ont directement résulté de décisions perverties par la « pensée de groupe », ainsi le débarquement américain dans la baie des cochons à Cuba en 1961, ou plus récemment, la gestion désastreuse des problèmes de revêtement de la navette Columbia qui a conduit à sa perte. (p 122). Pour éviter tous ces pièges, la délibération doit être conduite en connaissance de cause. L’interaction doit être « construite, organisée, suscitée ».
Nous sommes tous concernés
Le livre de Christian Morel est publié dans une grande collection intitulée : « Bibliothèque des sciences humaines ». L’auteur décrit son approche en ces termes : « Ma démarche est avant tout sociologique, mais comme je cherche à pointer ce qui « marche », je suis en outre normatif… « La « sociologie du vrai » quand elle porte son regard sur les mécanismes humains et collectifs qui réussissent est aussi une « sociologie du bien ». Mais cette « sociologie du bien » n’est pas une construction ex nihilo. Elle s’alimente ici aux sources de la « sociologie du vrai » (p 18).
On pourrait ajouter que l’auteur, dans le même mouvement, cherche à communiquer bien au delà d’un cercle de spécialistes. Son livre, très accessible, s’adresse à nous tous qui nous sentons concernés par les problèmes relatifs aux modes de décision.
Il répond à des interrogations profondes : Les grandes catastrophes sont-elles une fatalité ? Auraient-elles pu être évitées ? Ce sont des questions vitales puisqu’elles concernent l’alternative entre la vie et la mort.
En nous montrant le pourquoi des décisions absurdes, ce livre nous permet également de comprendre comment les éviter. Il propose une « contreculture de la fiabilité » (p 252-254). La plupart des exemples présentés dans ce livre relèvent de grandes organisations. D’autres comme l’exemple des randonnées en montagne se rapprochent de la vie quotidienne. Mais en fait nous sommes tous, peu ou prou, concernés, car si ce livre traite des décisions en rapport avec la fiabilité, il nous éclaire plus généralement sur les processus de décision. Or, dans nos vies professionnelles, mais pas seulement, nous avons bien conscience de l’importance des processus de décision. C’est pourquoi ce livre éveille des échos bien au delà des spécialistes. Ce livre nous permet de percevoir le potentiel de l’intelligence collective. Il nous invite à réfléchir. En exergue de son livre, Christian Morel cite une parole de Léonard de Vinci : « Qui pense peu se trompe beaucoup ». Mais, en fonction de notre expérience, nous savons aussi combien nos représentations influencent nos décisions. Et ces représentations dépendent de notre éthique et de notre spiritualité. Comment nous situons-nous par rapport aux autres ? Quel respect leur portons-nous ? Savons-nous écouter ? Quelle est notre capacité de dialogue ? Un passage du Livre des Proverbes vient à notre esprit :
« C’est par la sagesse qu’on construit une maison
Et par l’intelligence qu’on la rend solide.
C’est grâce au savoir que les chambres se remplissent
De toutes sortes de biens précieux et agréables.
Un homme sage est un homme fort
Et celui qui a la connaissance augmente sa force.
En effet, c’est par une bonne stratégie que tu gagneras la bataille
Et la victoire s’acquiert grâce à un grand nombre de conseillers » (Proverbes 24. 3-6 Traduction Bible Semeur)
Ce texte nous parle de sagesse. Et lorsqu’il nous dit : « La victoire s’acquiert grâce à un grand nombre de conseillers », c’est bien un appel à l’intelligence collective.
Le livre de Christian Morel peut être le départ d’une réflexion partagée. Et pourquoi pas un dialogue sur ce blog à travers l’expression d’expériences et de points de vue ?
J H
(1) Morel (Christian). Les décisions absurdes II Comment les éviter. Gallimard, 2012 (Bibliothèque des sciences humaines) . Interview de l’auteur sur youtube : http://www.youtube.com/watch?v=nh_1JcftRmo
Morel (Christian). Les décisions absurdes. Sociologie des erreurs radicales et persistantes. Gallimard, 2002 (Bibliothèque des sciences humaines). Collection folio, 2004
par | Août 20, 2012 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Hstoires et projets de vie |
Expérience d’une étudiante française.
Sarah est étudiante en psychologie dans une université anglophone au Québec.
Au départ, elle a choisi son orientation vers la psychologie parce que, nous dit-elle, « Dans mes relations avec les autres, j’ai réalisé que je pouvais les aider, et la psychologie m’est apparue comme un chemin qui me permettrait d’être plus épanouie et d’aider les autres à l’être aussi ».
Après le baccalauréat, Sarah a commencé des études de psychologie à l’Université Paris 7. « Cet enseignement est très orienté vers la psychanalyse. Et, par ailleurs, la manière d’enseigner ne m’a pas convenu, parce que c’est un ensemble de grandes idées qui me paraissent très théoriques, sans rapport avec la réalité vécue. Cet enseignement ne me permettait pas d’avoir des repères et me laissait complètement « dans le flou ».
« Ayant eu la possibilité d’aller au Canada, à Toronto, pour perfectionner mon anglais, j’ai beaucoup apprécié ce pays. En effet, le gens sont très accueillants, très gentils, très attentifs.. Par exemple, en demandant dans la rue mon orientation, il m’est arrivé qu’une personne m’accompagne jusqu’à ma destination. On peut rencontrer des gens partout. Le contact s’établit très facilement et avec n’importe qui. En France, les rencontres sont beaucoup plus difficiles parce qu’il y a une mentalité dans laquelle chacun est tourné vers son propre groupe. On ne va pas parler à quelqu’un qu’on ne connaît pas ! »
Sarah a décidé de rester au Canada. « J’ai trouvé une université pour poursuivre mes études de psychologie. Dans la conception anglo-saxonne, les études sont étroitement liées à la vie sociale étudiante : campus, évènements culturels (théâtre), clubs. Comme j’étais française, j’ai été contactée par le club international du campus et j’ai participé à ses activités. Je me suis adaptée rapidement » .
Sarah a immédiatement apprécié l’enseignement. « Les professeurs sont là pour enseigner. Ils aiment ce qu’ils font. Ils sont là pour aider les étudiants. On peut leur poser des questions et discuter avec eux. En France, les professeurs paraissent beaucoup moins disponibles et accessibles.
Dans cette université, l’enseignement de la psychologie est très lié à la neurobiologie. Les enseignements sont très concrets. Ils s’appuient sur l’utilisation de la technologie (ordinateurs, réseau internet..) . Les étudiants sont invités à effectuer des recherches, à travailler entre eux. Il y a une vision dynamique. On perçoit qu’il y a des phénomènes nouveaux à découvrir . La psychologie apparaît comme une discipline qui a de l’avenir. Les découvertes qui sont faites vont transformer la vie des gens ».
Sarah se sent très motivée par les études qu’elle a entreprises au Canada. Ces études lui apportent beaucoup. Aussi, nous dit-elle, « Si quelqu’un a une opportunité qui se présente dans ce sens, je lui conseille de ne pas hésiter. C’est enrichissant à tous les niveaux ».
Contribution de Sarah.
par jean | Août 20, 2012 | ARTICLES, Beauté et émerveillement, Expérience de vie et relation, Vision et sens |
Les petits livres Exley (1)
Oui, dans ce monde troublé où le mal se fait beaucoup voir, nous avons besoin d’entendre des voix positives, celles qui nous parlent de bonté, de beauté et de vérité. Lorsque l’ombre se propage, nous avons besoin de regarder vers la lumière et d’y trouver réconfort pour notre cœur et encouragement pour notre conduite. Dans tout ce qui peut paraître chaotique, nous avons besoin de points de repère qui nous rappellent les va leurs fondamentales. En s’adressant jadis aux chrétiens de Philippes (Epître aux Philippiens 4/8), Paul leur écrivait : « Que tout ce qu’il y a de vrai, de noble, d’honorable, ce qui a une réelle valeur et ce qui est juste, pur et digne d’être aimé, occupe vos esprits. Tendez vers tout ce qui s’appelle vertu et mérite louange ». Ces paroles peuvent être entendues par tous ceux qui, aujourd’hui, savent ou pressentent que la voix de la conscience est aussi le chemin du bonheur.
Les livres cadeaux Exley
Les livres cadeaux, signés Helen Exley, répondent à ces aspirations. Car ils apportent des paroles de sagesse capables d’inspirer un genre de vie. Et ils sont là pour être partagés, échangés dans des gestes d’amitié. « Vos pensées, si pleinement chargées de sens, si émouvantes dans les mots et dans les sentiments, sont un secret de bonheur et de paix » écrit ainsi une lectrice. « Nous ne finirons jamais de les méditer et de les approfondir. Ce sont d’infinis trésors d’amour et de sagesse. Elles nous permettent de nous relever, de rouvrir les yeux sur un nouvel horizon, de sortir de nos découragements, de nos peurs, de nos révoltes, de garder grandeur et dignité et de nous attacher à rechercher les valeurs essentielles de la vie ». (Emmanuelle Z).
Ecoutons ce que nous dit Helen Exley sur la manière dont elle crée les livres paraissant dans ses collections. « Je pense à toutes celles et à tous ceux qui liront les citations que je rassemble. La radio joue en sourdine. Je m’assieds de façon à pouvoir regarder les arbres et le jardin. Ce sont les arbres, surtout, qui me donnent le sens de la beauté, la certitude d’appartenir au monde. Les citations m’interpellent à titre personnel. Je les dispose en fonction de mes émotions et de mes sentiments. Je les lis toutes pour choisir le plus exactement l’idée voulue. Je ne choisis pas une citation en fonction de son auteur. Je choisis celle qui traduit le mieux une émotion ».
Effectivement, les citations proviennent d’auteurs très variés quant à l’époque, la nationalité, l’activité, la sensibilité religieuse ou philosophique.
Reportons-nous par exemple au petit livre : « Parlez-moi de joie ». En voici quelques citations.
« Comme c’est merveilleux, absolument merveilleux, je le redis, vraiment merveilleux ; ensuite vient l’allégresse muette » (William Shakespeare 1564-1616).
« La joie est le fruit naturel d’un cœur brûlant d’amour » (Mère Thérésa 1910-1997).
« Etre capable de trouver sa joie dans la joie de l’autre : voilà le secret du bonheur » (Georges Bernanos 1888-1948).
« Ce que je vis fut l’allégresse générale : chaque chose semblait renvoyer le même sourire au monde » (Dante 1265-1321).
« Lorsque tu atteindras le cœur de la vie, tu trouveras la beauté en toute chose » (Kahlil Gibran 1883-1931).
« Le soleil ne luit pas pour deux ou trois arbres, mais pour la joie du monde entier » (HenryWard Beecher).
« Les justes jubilent devant la face de Dieu. Ils exultent et dansent de joie » (Psaume 68).
« Avant tout, n’oublions pas qu’un acte de bonté est en lui-même un acte de bonheur. C’est la fleur d’une longue vie intérieure de joie et de contentement » (Maurice Maeterlinck 1862-1949).
Des collections porteuses de valeurs.
A travers ces extraits, nous voyons combien la recherche de sens est première. Et, comme l’éventail des collections en témoigne, cette recherche de sens porte des valeurs.
En effet, certains thèmes sont privilégiés. Ce sont les sentiments d’affection qui s’expriment dans toute la gamme des relations familiales : époux, parents, enfants, grands parents…et aussi des événements familiaux : mariages, naissances, anniversaires. Quelques titres : Ma fille, ma joie. Un bébé, quel bonheur ! Mères et filles. Les grands mères. A mon cher papa. Et, sur un registre comparable, l’amitié est exaltée dans de nombreuses parutions. Bref, la relation est au premier plan.
Une grande attention est portée également aux qualités de l’être, aux vertus, à la profondeur de l’existence : les valeurs : lumière de la vie. Sagesse pour notre temps. Parlez-moi de bonté, de beauté, de simplicité, de compassion, de courage, d’espoir, de joie…
Plus généralement, il y a ici la proposition et la recherche d’un genre de vie s’exprimant dans la profondeur et l’harmonie : La grâce du moment présent. Prendre le temps de vivre. Suivre son chemin. Le bonheur existe.
Dans ces collections, on parle aussi de diverses occupations, source de bien être : les sports, les animaux domestiques…
Quelle agréable diversité ! Quelle fraîcheur aussi dans l’expression ou l’humour est bien présent !
Ces livres se caractérisent également par la qualité de leur présentation. Chaque citation est accompagnée par une photo, un dessin, une aquarelle, une reproduction d’œuvre d’art. Il y a vraiment une recherche de la beauté des formes dans des styles qui se diversifient actuellement en fonction de l’évolution des sensibilités. L’éditeur a acquis un savoir faire qui permet l’expression de la pensée dans un écrin ou se conjuguent la beauté de l’illustration et une ingéniosité technique particulièrement à l’œuvre dans certaines collections comme les tout-petits-livres.
L’inspiration biblique et la sagesse des nations.
Au départ de cette présentation, nous avons évoqué une parole de Paul dans l’épître aux Philippiens (Phil 4/8). Paul adopte et met en valeur le positif de son environnement culturel.
Dans une introduction à la lecture de la Bible (2), un grand bibliste britannique, N.T.Wright, montre comment le Nouveau Testament se développe dans une relation de dialogue avec la culture de l’époque. Si un tri est à opérer, les valeurs positives sont retenues et mises en valeur. Dans l’épître aux Romains, « Paul peut reconnaître un lien profond entre les perceptions du bien et du mal qui existe dans le monde et celles auxquelles l’Eglise chrétienne peut adhérer » (4).
La même réalité est observable dans l’Ancien Testament.
Pasteur baptiste, engagé dans la Société Biblique britannique, David Spriggs a publié un article remarquable sur cette question (5).
Il y montre l’importance des textes de sagesse dans l’Ancien Testament : Proverbes, Job, Ecclésiaste, mais aussi : Psaumes, Ruth, l’histoire de Joseph… « A travers la tradition biblique, il est juste de considérer la sagesse comme une des voies principales dans laquelle Israël reconnaissait ses liens avec les cultures environnantes et essayait d’en explorer les implications… La sagesse hébraïque n’est pas une création isolée en Israël. Au contraire, elle s’inscrit dans une grande tradition intellectuelle qui a été élaborée pendant des siècles à travers les pays du Croissant Fertile ».
Il se trouve qu’au XIXè siècle, nous dit David Spriggs, l’importance de la sagesse dans l’Ancien Testament a été de plus en plus méconnue. A cette époque, dans l’environnement du positivisme, on s’est éloignée d’une théologie de la création. L’accent a été mis sur l’histoire. On s’est attaché à ce qui était unique dans la foi d’Israël, et finalement, cette particularité est devenue le principal indicateur de la Révélation. L’approche de la sagesse a ainsi été marginalisée. Et, dans le même temps, on a surévalué tout ce qui différenciait la religion chrétienne par rapport à ce qui est fondamentalement humain à l’intérieur d’une bonne société.
David Spriggs nous rappelle que, pour Israël, le fondement de la sagesse réside dans la création. Dieu a créé le monde entier et tous les peuples du monde. Le monde lui appartient et ainsi « les structures profondes qui sous-tendent une vie réussie, tant sur le plan personnel et familial que sur le plan communautaire et international, sont inscrites par Dieu dans le monde… Bien qu’il y ait là une réalité mystérieuse, ces structures (la manière dont les choses marchent le mieux) sont plus ou moins accessibles à celui qui est à leur recherche. Ceux qui connaissent Dieu à travers une Révélation spéciale (c’est à dire dans l’Ancien Testament, les Israélites) seront en principe davantage capables de percevoir avec clarté les marques de Dieu dans les structures de la vie ordinaire. D’où la pensée que la révérence pour Dieu est le commencement de la sagesse. Dans cette perspective, la sagesse devient un pont entre le peuple particulier d’Israël marchant dans son alliance avec Dieu et les autres peuples ».
Cette analyse éclaire la situation d’aujourd’hui. La perte de la dimension biblique de la sagesse a des conséquences sensibles. Elle va de pair avec une surestimation des différences entre l’Eglise et la société environnante et, en conséquence, une séparation croissante entre ces deux univers. Dans cette perspective, certaines communautés chrétiennes s’enferment dans un univers religieux plutôt que de s’engager dans la société en réponse à l’appel d’en être le sel et la lumière. La sagesse présente dans la Bible est là pour nous aider à nous engager dans la vie humaine ordinaire. Elle donne la capacité de trouver et de suivre la voie de Dieu dans un monde difficile et aussi d’aider les autres à découvrir cette voie.
Les petits livres Exley . Un apport spirituel.
Cette réflexion biblique nous dit combien la sagesse est précieuse.
Les choix des collections Helen Exley ne sont évidemment pas la conséquence d’une orthodoxie religieuse. Mais des chrétiens peuvent y reconnaître des valeurs avec lesquelles ils sont en affinité. Ces livres nous parlent de sagesse dans une vie humaine ordinaire. On peut y voir une action de l’Esprit en train de construire des ponts et de susciter l’émergence d’une sagesse, à partir de différentes cultures et d’un vaste ensemble de pensées issues d’une littérature internationale.
Jésus nous donne un critère de discernement : juger l’arbre à ses fruits. Manifestement, ces livres contribuent à une élévation de la pensée. Ils encouragent. Ils réconfortent. Ils incitent à aimer. Bien sûr, il appartient au lecteur d’évaluer, pour lui–même, les paroles reçues, d’exercer un discernement. Mais il y a dans ces collections un éclairage à ne pas ignorer. Voilà des ressources qui correspondent aux aspirations de personnes engagées dans une quête spirituelle. Et elles sont disponibles pour exprimer un geste d’amitié. Quel cadeau !
J H
(1) Site internet : www.helenexley.fr Voilà plus de trente ans que, depuis l’Angleterre, Helen Exley crée de « beaux-petits-livres-cadeaux » : recueils de citations, de petits textes courts de paroles de sagesse ou livres d’humour. Depuis vingt ans, en collaboration avec Helen Exley, ces livres sont adaptés en langue française, enrichis par des textes francophones et diffusés par une maison d’édition belge. Une partie du catalogue accessible sur le site.
(2) N.T.Wright. Scripture and the authority of God. SPCK. 2005.
« The New Testament stands in dialogical relation with all human culture ». (p.43-44).
(3) David Spriggs. The Bible as wisdom today : a key to cultural engagement ? The Bible in Transmission, summer 2004, p.13-15.