Comment nos pensées influencent la réalité

 

 

« Pour une approche intégrale de la conscience » : conférence de Mario Beauregard au colloque de l’UIP : « Sciences et connaissances »

 

         Notre existence, la conscience que nous en avons, se fondent sur notre pensée. C’est dire l’importance des questions que nous pouvons nous poser sur les rapports entre nos pensées et notre être corporel. De même, c’est par la pensée que nous  participons au monde et pouvons accéder à ce qui nous dépasse. Dans un texte concernant les expériences spirituelles publié sur ce blog (1), nous nous référions au livre d’un chercheur en neurosciences, Mario Beauregard : « Du cerveau à Dieu. Plaidoyer d’un neuroscientifique pour l’existence de l’âme » (2). Par la suite, nous avons découvert un nouveau livre de ce même chercheur : « Brain wars. The scientific battle over the existence of the mind and the proof that will change our life » (3). A partir de travaux scientifiques, l’auteur y réfute les thèses matérialistes. Non, la conscience n’est pas le produit du cerveau et destinée à disparaître avec lui. Non elle ne dépend pas entièrement des mécanismes physiologiques, ainsi soumises aux seules lois de la matière. Non, la conscience humaine n’est pas qu’un épiphénomène, une forme passagère juste là en attendant de disparaître. Au contraire, l’esprit humain apparaît comme une réalité spécifique. Des recherches convergentes montrent l’influence de nos pensées sur nous-même et sur le monde extérieur. Nous avons présenté une mise en perspective de cet ouvrage sur le site de Témoins. Aujourd’hui, ce livre a été traduit en français sous le titre : « Les pouvoirs de la conscience. Comment nos pensées influencent la réalité » (4).

 

En janvier 2016, Mario Beauregard est intervenu dans le cadre du colloque organisé  par l’Université interdisciplinaire de Paris (5) ayant pour thème « Sciences et connaissances. De la matière à l’esprit ». L’Université interdisciplinaire de Paris vient de mettre en ligne sur YouTube l’ensemble des contributions des intervenants. Dans son intervention, Mario Beauregard nous présente « une approche intégrale de la conscience » (6). Il nous fait part d’abord du plan de son exposé. « Je voudrais parler dans un premier temps de ce qu’on appelle le matérialisme scientifique qui est devenu très influent dans les disciplines scientifiques et qui joue un rôle important dans les neurosciences jusqu’à présent ». Mario Beauregard montre là comment cette idéologie s’est formée et quelles sont ses conséquences. Il nous parle ensuite des recherches qu’il a réalisées à partir d’une série d’études d’imagerie cérébrale. « Ces études montrent que, contrairement à ce que certaines théories matérialistes veulent nous faire croire, l’esprit humain a une grande capacité d’influence au niveau cérébral. L’esprit humain a une grande capacité d’influence au niveau du corps, du cerveau et de tous les systèmes physiologiques qui sont connectés. Il a aussi une influence énorme à l’extérieur des limites du corps. C’est le concept appelé « l’esprit non local ». Je vais vous présenter certaines études à ce sujet. Je vais terminer en vous parlant de ce qui est en train d’émerger, à partir des études qui vous sont présentées, un nouveau paradigme qu’on a appelé un paradigme post matérialiste ». Avant de commencer son exposé, Mario Beauregard donne également quelques définitions préalables que nous retiendrons ici : « Quand je fais référence à l’esprit, c’est la traduction du terme anglais : « mind ». C’est l’ensemble des processus mentaux, qu’ils soient conscients ou non, par exemple la mémoire, la perception, les émotions, la pensée. Lorsque je fais référence à la conscience, c’est la faculté mentale qui permet d’appréhender ce qui se passe soit en relation avec le monde extérieur, soit avec ce qui se passe intérieurement sur le plan mental, par exemple la pensée, les émotions. Cela inclut aussi la conscience de soi ». A la fin de sa conférence, Mario Beauregard donne quelques références sur les évolutions en cours concernant le paradigme post matérialiste, mais pour une approfondissement complémentaire concernant l’ensemble de son exposé, il renvoie aux deux livres que nous avons évoqués. On trouvera donc maintenant une reprise du texte mettant en perspective l’apport de son livre : « Brain wars », déjà publié sur le site de Témoins.

 

 

Brain Wars. Face à une idéologie matérialiste, les pouvoirs de la conscience

Dans le livre : « Brain wars », par delà la description du conflit entre des conceptions scientifiques opposées, Mario Beauregard nous apporte des données convergentes qui montrent l’apparition et le développement d’un nouveau paradigme dans lequel l’esprit humain apparaît comme une réalité spécifique : « L’esprit n’a pas de masse, de volume ou de forme et il ne peut être mesuré dans l’espace et dans le temps, mais il est aussi réel que les neurones des neurotransmetteurs et les jonctions synaptiques. Il est aussi très puissant » (p 5).

Mario Beauregard trace une rétrospective des travaux réalisés dans ce champ d’étude. Il critique les postulats méthodologiques de l’approche matérialiste, notamment l’application des principes de la physique classique à ce domaine. Les théories jusque là dominantes ne peuvent expliquer « pourquoi et comment des expériences intérieures subjectives telle que l’amour ou des expériences spirituelles se développent à partir de processus physiques dans le cerveau » (p15). Le livre met en évidence une nouvelle manière de comprendre les rapports entre l’esprit et le corps à partir des données émergentes résultant des recherches menées dans des champs nouvellement explorés comme : l’effet placebo/nocebo, le contrôle cérébral, la neuro plasticité, la connexion psychosomatique, l’hypnose, la télépathie, les expériences aux frontières de la mort, les expériences mystiques. En prenant en compte la vision nouvelle que la mécanique quantique nous propose pour la compréhension de la réalité, Mario Beauregard inscrit les recherches sur les rapports entre le cerveau et l’esprit dans un nouveau paradigme. « Dans l’univers quantique, il n’y a plus de séparation radicale entre le monde mental et le monde physique » (p 207). Désormais, la conscience apparaît comme une réalité motrice. En exergue de son chapitre de  conclusion, l’auteur propose une citation du physicien et astronome, James Jeans : « L’univers commence à ressembler davantage à une grande pensée qu’à une grande machine ».

Ce nouveau paradigme ne nous apporte pas seulement une compréhension nouvelle, il a des conséquences pratiques pour notre vie. Désormais, nous pouvons exercer une influence positive sur notre santé et sur nos comportements, mais nous sommes appelés en même temps « à cultiver des valeurs positives comme la compassion, le respect et la paix » (p 214). A travers la description des expériences aux frontières de la mort et des expériences mystiques, nous apprenons aussi l’existence d’une réalité supérieure empreinte d’amour et de paix. Ce regard  nouveau appelle une vision spirituelle. Quand le mental et la conscience s’unifient, « nous sommes à nouveau connectés à nous-même, aux autres, à notre planète et à l’univers » (p 214). Cette mise en évidence de la conscience est un phénomène qui va entraîner des transformations profondes dans le monde.

 

Des champs nouveaux où la conscience émerge.

Les chapitres du livre nous présentent successivement des champs d’étude où la conscience apparaît désormais comme une réalité majeure. En voici quelques exemples.

 

Placebo/nocebo.

La croyance a le pouvoir de guérir ou de tuer. C’est l’effet placebo/ nocebo. L’auteur nous apporte un exemple particulièrement évocateur : un patient en train de mourir d’un cancer très avancé, apprenant l’apparition d’un nouveau médicament, le réclame et, après l’injection, connaît une guérison spectaculaire. Deux mois après, il apprend, en lisant un journal, que ce médicament a été jugé inefficace. Il rechute. Le médecin adopte un stratagème. En lui affirmant que son information est inexacte, il lui injecte de l’eau distillée. Et, à nouveau, les effets sont étonnants puisque très rapidement, la tumeur disparaît. Hélas, lisant à nouveau dans la presse la confirmation de l’inefficacité de ce médicament, il est réadmis à l’hôpital et meurt au bout de deux jours.

L’auteur ne mentionne pas seulement des cas surprenants, mais bien établis. Il nous fait part également de nombreuses recherches. Des traitements fictifs et même des opérations fictives remportent de grands succès lorsque les patients croient à leur efficacité. Mais on a vu que des croyances négatives ont parallèlement des effets néfastes. Ainsi, « À travers nos croyances, nous détenons une puissance de vie et de mort entre nos mains… La science a démontré, mainte et mainte fois, que ce que nous croyons influence significativement notre expérience de la souffrance, la réussite d’une opération, même l’issue d’une maladie. Nos attentes peuvent inciter nos corps à effectuer un travail de régulation de nos conditions physiques et émotionnelles » (p 40).

 

Neurofeedback

Plusieurs chapitres très documentés font le point sur l’influence considérable de la pensée sur les processus corporels.

Par exemple, le « neurofeedback » permet aux individus de changer certains aspects de leur fonctionnement physique et d’améliorer leur santé en traitant les informations qui leur sont fournies en temps réels sur les réponses de leur corps (comme le rythme cardiaque ou la tension musculaire). Le « neurofeedback » introduit des changements dans le fonctionnement du cerveau et peut aussi améliorer les fonctions cognitives, réduire l’anxiété et accroître le bien-être émotionnel.

 

Neuroplasticité

Bien plus, on découvre aujourd’hui les effets d’une pensée méthodiquement conduite et entraînée sur l’organisation et le fonctionnement du cerveau. Cette découverte de la « neuroplasticité » est relativement récente. Elle est apparue au cours des dernières décennies. Auparavant, les neuroscientifiques croyaient que le cerveau était figé dans son état initial parce qu’ils le concevaient comme une machine non évolutive. On sait maintenant qu’il n’en est rien. « La recherche a montré que nous pouvons intentionnellement éduquer notre mental à travers des pratiques méditatives et accroître ainsi l’activité de régions et de circuits de nos cerveaux non seulement dans le domaine de la concentration et de l’attention, mais aussi dans le domaine de l’empathie, de la compassion et du bien être émotionnel. De tels exercices peuvent même modifier la structure physique du cerveau ». A cet égard de nombreuses recherches ont été effectuées sur les effets de la méditation de moines bouddhistes et aussi de religieuses carmélites. Ces recherches mettent en évidence un effet majeur sur le fonctionnement et la structure du cerveau. L’auteur cite le Dalaï Lama : « Le cerveau que nous développons, reflète la vie que  nous menons ». Bien évidemment, cette remarque est de portée générale.

 

Psychosomatique

Dans la même perspective, Mario Beauregard traite de « la connexion entre le corps et l’esprit » qui est le fondement de la médecine psychosomatique. Cette médecine, bien qu’encore trop peu considérée, est aujourd’hui bien connue. Il y a quelques années, Thierry Janssen, dans son livre : « La solution intérieure » (7) mettait à nouveau cette approche en valeur dans une enquête à l’échelle internationale sur la manière d’envisager les rapports entre l’esprit et le corps. L’auteur apporte ici un ensemble de données qui permettent de mieux comprendre les processus correspondants.

 

Hypnose

Et dans le chapitre suivant, il traite de l’hypnose à partir des recherches qui ont été effectuées sur ce phénomène. Il en explore les effets bénéfiques sur le plan médical. L’auteur voit dans l’hypnose une situation qui permet l’expression d’une force intérieure « En fait, nous ne sommes pas contrôlés par la suggestion hypnotique. Plutôt, l’hypnose peut nous aider à laisser tomber les barrières qui nous empêchent d’utiliser des capacités latentes en nous » (p 132).

 

Communication extrasensorielle.

Mario Beauregard confirme la réalité des phénomènes psychiques dans lesquels la réalité est appréhendée au delà de l’espace et du temps. Et comme dans la plupart de ses chapitres, il commence son exposé en nous proposant des études de cas. Et ici, il s’agit des performances d’un jeune homme recruté par les services de renseignement américains, qui, à distance, a perçu des situations et fourni des informations dont on a pu vérifier la réalité.

La recherche dans le domaine de la perception extrasensorielle prouve que nous pouvons recevoir de l’information à travers l’espace et le temps sans utiliser nos sens ordinaires. L’Esprit peut également influencer à distance de la matière et des organismes vivants. Ainsi, si aucune théorie ne permet aujourd’hui d’expliquer cette catégorie de phénomènes, il y a désormais un grand nombre de données expérimentales à ce sujet. L’auteur fait appel à la physique quantique pour apporter un début d’éclairage : « La physique classique décrit l’univers comme un ensemble d’éléments isolés les uns des autres.Mais la physique quantique a montré que l’univers est fondamentalement « non local » : les particules et les objets physiques qui paraissent être isolés et séparés sont en fait profondément interconnectés indépendamment de la distance » (p 154). Mais cette explication est insuffisante, car elle ne prend pas en compte les aspects psychologiques. En fait, « les phénomènes psy ont de profondes implications pour notre compréhension du rôle de l’esprit et de la conscience dans l’univers. Ces phénomènes suggèrent que l’esprit joue un rôle fondamental dans la nature et que la psyché et le monde physique ne sont pas radicalement séparés » (p 155).

 

Expériences aux frontières de la mort.

Le phénomène des « near-death experiences » (NDR), en français désigné sous le terme : « les expériences de mort imminente » (EMI), est aujourd’hui connu par un vaste public, car il a fait l’objet, depuis plusieurs décennies, d’une abondante littérature. Très tôt, avec la parution du livre du psychiatre américain, Raymond Moody : « La vie après la vie » (8), des exemples impressionnants et vraisemblables nous ont été apportés. Aujourd’hui, la recherche à ce sujet se fait de plus en plus rigoureuses, comme en témoigne la parution récente du livre d’un chirurgien néerlandais : Pim Van Lommel : « Consciousness beyond life. The science of near-death expériences » (9) qui rend compte de recherches scientifiques dont celles menées par l’auteur. Nous n’aborderons pas ici dans le détail les phénomènes correspondants. Voici quelques conclusions de Mario Beauregard au sujet de cet horizon nouveau qui s’offre à nous aujourd’hui : « Les études scientifiques sur les « near-death experiences » réalisées au cours des dernières décennies indiquent que les fonctions mentales les plus élevées peuvent être opérantes indépendamment du corps à un moment où l’activité du cerveau est gravement endommagée ou apparemment absente (lors d’un arrêt cardiaque). Quelques unes de ces études montrent que des gens aveugles peuvent avoir des perceptions véridiques au cours d’une expérience de sortie du corps. Les études sur les expériences aux frontières de la mort suggèrent qu’après la mort physique, l’esprit et la conscience continuent à un niveau transcendant de la réalité… Ce phénomène est incompatible avec la croyance de beaucoup de matérialiste selon laquelle le monde matériel serait l’unique réalité » (p 181-182). Le contenu de ces expériences n’est pas moins important puisqu’il véhicule généralement amour et paix.

 

Expériences mystiques.

Le dernier chapitre du livre porte sur les expériences mystiques. Elles sont caractérisées par une expansion de la conscience bien au delà des limites habituelles de nos corps et de nos égos, et au delà du concept quotidien de l’espace et du temps » (p 185). D’après le philosophe britannique, Walter Stace, ces expériences ont pour traits communs « la perception d’être un à l’infini, une vie sans faille, englober toute chose, des sentiments de paix, le bonheur et la joie, l’impression d’avoir touché au fondement ultime de la réalité (quelque fois identifié avec Dieu) et une transcendance de l’espace et du temps » (p 185). Les expériences mystiques peuvent être extraverties ou intraverties. Dans le premier cas, les réalités terrestres continuent à être perçues à travers les sens physiques, mais elles sont alors transfigurées par une conscience de l’unité qui brille à travers elles. Dans les formes extraverties, le « petit soi » ordinaire s’évanouit momentanément et revient transformé. « Il y a une union temporaire avec le tout, un sentiment d’unité avec toutes choses dans l’univers, la découverte que le fondement de l’être est à l’origine de la vie. On a pu parler à ce sujet de conscience cosmique » (p186). Dans la même perspective, le livre récemment publié par David Hay : « Something there » rapporte une collecte d’expériences mystiques intervenues dans la quotidien telle qu’elle a été initiée par Alister Hardy, un autre chercheur britannique. Il a travaillé à partir de là sur le concept de spiritualité (10).

Mario Beauregard met en évidence la diversité des cadres et des situations dans lesquelles ces expériences peuvent survenir. Elles peuvent se produire en rapport ave une absorption de drogues. « Je suis d’accord avec Henri Bergson et Aldous Huxley que l’activité habituelle du cerveau joue un rôle de filtre qui, généralement, nous rend inconscient du fondement de l’être » (« Ground of being »). Les barrières seraient levées par certaines substances. Mais dans l’ensemble, le phénomène apparaît bien plus vaste et mystérieux. Chez ceux qui les ont vécues, les expériences mystiques produisent une transformation profonde dans leur vie ultérieure : un sens de la vie nouveau, un bien être psychologique. On a pu observer des changements analogues après certaines expériences aux frontières de la mort (11).

 

L’émergence d’une conscience nouvelle.

A la fin de son livre, dans sa conclusion, Mario Beauregard évoque « un grand changement dans la conscience » (« A great shift in consciousness »). En effet, à partir de champs d’étude différents, toutes ces recherches convergent dans la mise en évidence de la réalité et de la puissance de l’esprit humain et, au delà, de la réalité d’un univers spirituel qui nous dépasse infiniment : « Nos esprits peuvent être extrêmement puissants, bien plus puissants que nous pouvions l’imaginer il y a quelques décennies » (p 208). Ces facultés peuvent dépasser les contraintes habituelles à l’espace et au temps. Les expériences aux frontières de la mort mettent en évidence que l’esprit a une certaine autonomie par rapport à l’activité cérébrale. La composante mystique des expériences aux frontières de la mort montre qu’elles comportent un accès à de nouveaux univers de réalité, indépendamment du cerveau. Et, de même, les récits des expériences mystiques ouvrent nos yeux à une nouvelle vision de l’univers et de la place de l’être humain dans celui-ci. Pour interpréter ces données en termes scientifiques, Mario Beauregard fait appel aux apports de la physique quantique qui change notre perception de la réalité matérielle.

Son livre nous introduit dans un nouveau paradigme, une transformation révolutionnaire de notre représentation de l’être humaine et cette transformation intervient à partir de données scientifiques, qui, par delà les particularités sociales et culturelles, ont une portée universelle. Mario Beauregard, dans l’enthousiasme de cette découverte, proclame les aspects positifs de ce grand mouvement de la conscience. Il y voit une affirmation de la dignité de l’homme, une ouverture à des valeurs positives comme la compassion, le respect et la paix. Rejoignant la définition de la spiritualité qui nous est apportée par David Hay comme « une conscience relationnelle », Mario Beauregard nous dit que lorsque le mental, l’esprit et la conscience sont reconnus comme une réalité unifiée, « nous sommes connectés à nous-même, aux autres, à notre planète et à l’univers » (p 214).

 

Une esquisse de questionnement théologique.

La vision qui nous est présentée par Mario Beauregard  bouscule les thèses matérialistes qui remontent au XIXè siècle. Mais sa nouveauté radicale interpelle aussi tous ceux  qui réfléchissent à la place de l’être humain dans l’univers, philosophes, théologiens, mais aussi les chercheurs travaillant dans des champs scientifiques différents. Cette vision appelle une réflexion interdisciplinaire. Elle requiert également une recherche théologique. Nous situant dans une perspective chrétienne, voici quelques questions qui nous semblent appeler réflexion, en sachant, au départ, qu’en milieu chrétien, la réception de cette vision sera différente selon les mentalités. Les représentations nouvelles qui nous sont proposées par le livre de Mario Beauregard induisent de nombreux questionnements en rapport notamment avec la conception de l’homme, la manifestation du bien et du mal, la perception et la représentation de Dieu, la destinée humaine, la manière dont nous percevons le temps où nous vivons.

 

Le livre de Mario Beauregard met en valeur la dignité de l’homme. La personnalité de celui-ci n’est pas déterminée par des conditionnements biologiques. Non seulement, il a une part de liberté, mais les recherches mettent en valeur le potentiel considérable dont il dispose pour exercer une influence sur ces conditions de vie. L’esprit humain se voit reconnaître une capacité d’intervention jusque là inenvisageable, par exemple, dans certains cas, une communication qui peut s’exercer au delà des limites habituelles de notre corps. Au total, il y a là une mise en valeur de la puissance de l’esprit humain. Bien sûr, en contrepartie, la responsabilité humaine est alors davantage engagée. Car, si puissance il y a, il est d’autant plus nécessaire qu’elle s’exerce au service du bien. C’est dire que l’homme a besoin d’une inspiration bénéfique. Cependant, par delà cette interrogation, cette vision est susceptible de contrarier et d’inquiéter tous ceux qui portent sur l’homme un regard globalement négatif et pessimiste. Ainsi, dans le monde chrétien, elle se heurte à un courant de pensée enraciné dans une forme de pensée théologique qui met l’accent sur l’impact destructeur du péché originel et la corruption de la nature humaine qui en serait résultée. Cette tradition, apparue au début de la chrétienté s’est longtemps poursuivie en son sein. D’autre part, la représentation de Dieu intervient parallèlement. S’il est envisagé selon l’image des monarques dominateurs de l’Antiquité et non comme un Dieu trinitaire, communion d’amour qui appelle à la participation des êtres humains, alors on sera enclin à ne pas encourager le potentiel humain. Encore aujourd’hui, dans certains milieux, la puissance de Dieu paraît mieux valorisée si l’on pose en comparaison la faiblesse de l’homme. En regard, la représentation nouvelle de l’homme qui nous est communiquée par Mario Beauregard trouve un éclairage chez les théologiens qui mettent l’accent sur la création de l’homme par Dieu, « à son image et à sa ressemblance » (Genèse 1.26) et dans l’avènement décisif de la venue, de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ qui remporte la victoire sur la mort, induit un tournant décisif dans l’histoire de l’humanité et prépare l’avènement d’une création nouvelle dans laquelle Dieu sera « tout en tous ». Comme le montre Jürgen Moltmann dans son livre : « L’Esprit qui donne la vie » (12), Dieu est à la fois transcendant et immanent. L’Esprit de Dieu est à l’œuvre dans la création. L’homme s’inscrit dans cette création et est appelé à y participer.

 

Dans cette perspective, si le mal est encore bien actif dans ce monde, la dynamique de Dieu porte la vie. Et nous sommes appelés à y participer selon les capacités qui nous sont données et dont nous voyons, à travers ce livre, qu’elles dépassent ce qu’on imaginait jusqu’ici. Et d’autre part, « Dieu est le créateur des choses visibles et invisibles ». Nous sommes appelés à dépasser une opposition tranchée entre naturel et surnaturel. C’est-à-dire, en termes caricaturaux, ce qui relèverait de l’homme et ce qui relèverait de Dieu. La découverte de capacités nouvelles accessibles à l’homme ne s’oppose pas à la puissance de Dieu, mais elle en est le reflet et elle s’inscrit dans l’œuvre de l’Esprit. Si cette vision nouvelle va à l’encontre des interdits qui avaient pu s’installer dans une inquiétude allant de pair avec l’ignorance, elle appelle au contraire une participation accrue des chrétiens à l’œuvre de l’Esprit qui devraient trouver dans la conscience du potentiel humain, un encouragement pour manifester cette oeuvre avec force par exemple dans le domaine de la guérison.

 

D’autre part, les recherches dont Mario Beauregard dresse le bilan dans le domaine des expériences aux frontières de la mort, mais aussi dans le champ des expériences mystiques, nous apporte, à travers des données empiriques, une représentation du « divin » et une perception des rapports entre le « divin » et l’humain. Cet apport appelle un approfondissement de la réflexion théologique. L’histoire nous montre le parcours des représentations de Dieu à travers les siècles dans le monde chrétien. On peut y observer des contrastes et des évolutions. Jésus nous communique une vision de Dieu comme un Etre qui se révèle dans la tendresse de l’appellation : « Papa » et comme le Père miséricordieux qui accordent à tous les hommes les bienfaits de la création : le soleil et la pluie (Matthieu 5.45). A travers son ministère terrestre, sa mort et sa résurrection, Jésus-Christ remporte la victoire sur le mal et ouvre les portes d’un univers nouveau dans lequel Dieu sera « tout en tous ». Ces quelques notations ont simplement pour but d’évoquer la bonté et la puissance infinie de Dieu telles qu’on peut en trouver une approche chez certains théologiens. La vision du « divin », qui nous est communiquée par Mario Beauregard rejoint l’approche de ces théologiens. Les expériences du « divin » sont essentiellement des manifestations d’amour et de paix. Et elles sont accordées, sans discrimination, à des hommes et des femmes issus d’univers culturels et religieux très variés. Elles se manifestent ainsi comme un don de Dieu, en  terme de grâce selon le vocabulaire chrétien. C’est une réalité qui va à l’encontre de tout exclusivisme dans lequel certains voudraient attribuer aux chrétiens la propriété des œuvres du Saint Esprit et une emprise sur l’horizon du salut. Il n’est pas de notre compétence de rendre compte ici des orientations de la théologie contemporaine. On trouvera sur ce site les apports  plusieurs théologiens qui interviennent sur cette question : William Davies dans « Spirit without frontiers » (L’Esprit sans frontière) (13), Brian McLaren dans « Generous orthodoxy » (« Orthodoxie généreuse ») (14) et Jürgen Moltmann dans l’ensemble de son œuvre (15). David Hay, dans son livre : « Something there » (10) inscrit la démarche de sa recherche dans une perspective analogue : suivre attentivement la manière dont l’Esprit s’exprime aujourd’hui.

 

Certains peuvent s’interroger sur la spécificité chrétienne. Il nous paraît que les chrétiens sont appelés à accompagner les manifestations du « divin », de la « conscience cosmique », par une réflexion inspirée par la Parole Biblique qui permettra aux personnes concernées d’avancer dans l’interprétation de ce vécu. Un bel exemple nous en est donné par l’itinéraire de Wolfhart Pannenberg qui, incroyant à l’époque, a vécu dans sa jeunesse une expérience mystique. Celle-ci a suscité en lui une recherche qui a débouché sur une entrée dans la foi chrétienne et une œuvre de théologien qui apparaît comme particulièrement significative. Mais il y a aussi une manière de vivre ces expériences dans laquelle il y a immédiatement un rapport direct et réciproque entre le vécu et une foi chrétienne déjà présente. La foi est nourrie et éclairée par l’Esprit Saint tel qu’il se manifeste dans ces expériences. Celles-ci sont vécues dans une dimension personnalisée : une relation avec Jésus-Christ. Les exemples sont innombrables, et, proche de nous à Témoins, ce rapport entre l’expérience et la Parole s’exprime bien dans le vécu d’Odile Hassenforder tel qu’elle l’exprime dans le livre : « Sa présence dans ma vie » (16). Le récit de sa guérison, expérience fondatrice qui s’accompagne d’un vif ressenti de l’amour de Dieu, témoigne de la manière dont cette expérience illumine et éclaire sa compréhension de la Parole. « Dieu se manifestait à moi par l’amour qui m’envahissait. Je me suis sentie aimée au point où cet amour débordait de moi sur tous ceux que je rencontrais… J’avais demandé la vie. Je l’ai reçu en abondance, bien au delà de ce que je pouvais imaginer : la vie éternelle… Je suis née à la vie de l’Esprit, je suis entrée dans l’univers spirituel… « Le Royaume de Dieu » dit Jésus. Ce fut une révélation pour moi… La trinité devenait une réalité aussi naturelle qu’avoir des parents… Jésus, par sa mort et sa résurrection, m’a tirée de la mort où m’entraînait le mal, pour me donner la vie éternelle en me réconciliant avec le Père… J’avais soif d’en connaître davantage. Je lisais ma Bible, surtout le Nouveau Testament. Et assez curieusement, je comprenais des choses qui m’étaient jusque-là restées hermétiques… » (p 34).

Le livre de Mario Beauregard s’inscrit dans un contexte nouveau culturel et spirituel. Dans la recherche, particulièrement dans le domaine des sciences humaines, le choix d’un sujet d’investigation, l’attention qui lui est portée, la démarche suivie ne sont pas sans rapport avec des transformations plus générales dans les manières de voir et de sentir. Dans bien des domaines, il y a des pionniers qui se heurtent d’abord à l’incompréhension, et puis, à un moment, le climat change et la même problématique commence à déboucher. Parallèlement des recherches nouvelles ébranlent les anciennes certitudes et un  nouveau paradigme émerge. Dans un livre récent : « The future of faith » (17), le théologien américain Harvey Cox, rapportant le bilan de plusieurs décennies de recherche, évoque l’apparition d’un « âge de l’Esprit » où l’expérience a une place majeure. Sur le registre scientifique des neurosciences, la recherche de Mario Beauregard correspond et contribue à un changement dans notre conception du monde et notre regard sur la vie. Dans cette période de mutation culturelle où nous vivons, nous sommes appelés à discerner « les signes des temps » (18)

 

Jean Hassenforder

 

(1)            Sur le blog : Vivre et espérer : « les expériences spirituelles » :

https://vivreetesperer.com/?p=670

(2)            Beauregard (Mario), O’Leary (Denyse). Du cerveau à Dieu. Plaidoyer d’un neuroscientifique pour l’existence de l’âme. Guy Trédaniel, 2008. Mise en perspective sur le site de Témoins

(3)            Beauregard (Marion). Brain wars. The scientific battle over the existence of the mind and the proof that will change the way we live our lives. Harper Collins, 2012. Nous reprenons ici la mise en perspective de ce livre (« la dynamique de la conscience et de l’esprit humain ») réalisée pour le site de Témoins, actuellement (mars-avril 2016) en réfection, et en conséquence, non accessible. Ce texte renvoie aux pages de ce livre, depuis lors traduit en français. Sur ce blog, une présentation du livre de Mario Beauregard : « Potentiel de l’esprit humain et dynamique de la conscience » : https://vivreetesperer.com/?p=737

(4)            Beauregard (Mario). Les pouvoirs de la conscience. Comment nos pensées influencent la réalité. Interéditions Dunod, 2013

(5)            Fondée en 1995 sous l’impulsion de Jean Staune et de Jean-François Lambert, L’Université interdisciplinaire de Paris  (UIP) a joué un rôle pionnier dans le développement d’une vision du monde  prenant en compte  démarche scientifique et démarche de foi en organisant colloques et rencontres dans une perspective internationale et interdisciplinaire. Site : http://uip.edu  Jean Staune est l’auteur de deux best-sellers, « Les clés du futur » qui analyse les mutations de la société sous les angles, technologique, sociologique, scientifique et économique, et « Notre existence a-t-elle un sens ? » qui parcourt à la fois les sciences de l’univers, de la matière, de la vie, de la conscience pour analyser les implications philosophiques et métaphysiques des découvertes scientifiques contemporaines . Voir : http://www.jeanstaune.fr

(6)            « Pour une approche intégrale de la conscience » : intervention sur YouTube de Mario Beauregard, neurologue, chercheur à l’Université d’Arizona (USA) :

https://www.youtube.com/watch?v=t9czuewM0VM

(7)            Janssen (Thierry). La solution intérieure. Vers une nouvelle médecine du corps et de l’esprit. Fayard, 2006. Sur le site de Témoins : « Vers une nouvelle médecine du corps et de l’esprit. Guérir autrement ». http://www.temoins.com/developpement-personnel/vers-une-nouvelle-medecine-du-corps-et-de-l-esprit.guerir-autrement.html

(8)            Moody (Raymond). La vie après la vie. Laffont, 1977

(9)            Van Lommel (Pim). Consciousness beyond life. The science of near-death experiences. Harper Collins, 2010. Présentation sur le blog : Vivre et espérer : « les expériences spirituelles telles que les « near-death experiences ». https://vivreetesperer.com/?p=670

(10)      Hay (David). Something there. The biology of the human spirit. Darton, Longman, Todd, 2006. Sur le site de Témoins : « La vie spirituelle comme une « conscience relationnelle ». Une recherche de David Hay sur la spiritualité d’aujourd’hui ».

http://www.temoins.com/etudes/la-vie-spirituelle-comme-une-conscience-relationnelle-.-une-recherche-de-david-hay-sur-la-spiritualite-aujourd-hui./toutes-les-pages.html

(11)      « Les expériences spirituelles telles que les « near-death expériences ». Quels changements de représentations et de comportements ? »  Article sur le blog : Vivre et espérer.

https://vivreetesperer.com/?p=670

(12)      Moltmann (Jürgen). L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999.  Présentation de la pensée théologique de Jürgen Moltmann sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie ».

http://www.lespritquidonnelavie.com/

(13)      Davies (William R). Spirit without mesure. Charismatic faith and practice. Darton, Longman and Todd, 1996. Sur le site de Témoins : « Une ouverture théologique pour le courant charismatique ».

http://www.temoins.com/reflexions/une-ouverture-theologique-pour-le-courant-charismatique/toutes-les-pages.html

(14)      Mc Laren (Brian D). Generous orthodoxy… Zondervan, 2004 : « Une théologie pour l’Eglise émergente. Qu’est ce qu’une orthodoxie généreuse ? »

http://www.temoins.com/etudes/une-theologie-pour-l-eglise-emergente.-qu-est-ce-qu-une-orthodoxie-genereuse/toutes-les-pages.html

(15)       Blog sur la pensée théologique de Jürgen Moltmann : « L’Esprit qui donne la vie »

http://www.lespritquidonnelavie.com/

(16)      Hassenforder (Odile). Sa présence dans ma vie. Empreinte, Temps présent, 2011. Des passages de ce livre ont fréquemment été présentés sur ce blog : Vivre et espérer

(17)      Cox (Harvey). The future of faith. Harper, 2009  Sur le site de Témoins : « Quel horizon pour la foi chrétienne ? « The future of faith » par Harvey Cox »

http://www.temoins.com/publications/quel-horizon-pour-la-foi-chretienne-the-future-of-faith-par-harvey-cox.html

(18)      Parole de Jésus sur les signes des temps : Matthieu 16.3. Sur le site de Témoins : «  Les signes des temps. Comprendre notre environnement culturel et pratiquer une théologie du quotidien »

http://www.temoins.com/culture/les-signes-des-temps.-comprendre-notre-environnement-culturel-et-pratiquer-une-theologie-du-quotidien.html

Face à la violence, apprendre la paix

La communication non violente, avec Thomas d’Ansembourg 

Nous sommes confrontés à la violence. C’est une réalité qui nous environne : violence dans les rapports sociaux, mais aussi violence perçue dans les réactions de tel ou tel. Nous savons comment la violence peut être dévastatrice. Alors comment lui résister ?

Les approches non violentes dans des conflits politiques et sociaux telles que celles de Gandhi et de Martin Luther King sont aujourd’hui bien connues. Plus récemment, un psychologue américain, Marshall B Rosenberg a développé un ensemble de pratiques sous le terme de « Communication non violente ». « La communication non violente, c’est la combinaison d’un langage, d’une façon de penser, d’un savoir faire de communication et de moyens d’influence qui servent mon désir de faire trois choses : me libérer du conditionnement culturel qui est en discordance avec la manière de vivre ma vie ; acquérir le pouvoir de me mettre en lien avec moi-même et autrui d’une façon qui me permette de donner naturellement à partir de mon cœur ; acquérir le pouvoir de créer des structures qui entretiennent cette façon de donner » (1).

A plusieurs reprises sur ce blog (2), nous avons présenté l’enseignement de Thomas d’Ansembourg sur la relation et communication dans la vie sociale. A un moment de sa vie, Thomas a vécu comme animateur avec des jeunes de la rue. C’est à partir de cette expérience qu’il a décidé de se former à la communication non violente avec Marshall Rosenberg. Puis il a continué son parcours comme psychothérapeute. Ainsi est-il bien placé pour nous aider à comprendre la  violence et à la dépasser. Dans cette vidéo : « La paix, ça s’apprend ! » (3), Thomas d’Ansembourg nous raconte brièvement son parcours et répond aux questions qui lui sont posées. Il y a là des réponses à nos propres questionnements. Voici donc, en notes, quelques extraits de ses propos.

 

La paix, ça s’apprend !

La paix, ça s’apprend ! Oui, mais « curieusement, nous sommes tout à fait prêts à apprendre la guerre, et, depuis l’époque des romains, nous connaissons l’adage : « Si tu veux la paix, prépares la guerre ! ». Et forcément, comme on prépare la guerre, on a pour cela des budgets, de l’organisation, des responsables, des formations, des spécialisations. C’est extraordinaire comme on est habitué à préparer la guerre, à y consacrer du temps et de l’argent ». Et, en regard, il y a bien peu d’efforts pour engager notre énergie en faveur de la paix et nous former en ce sens. « Pour la paix, il n’y a pas de budgets, pas de formations, pas de responsables… Je me suis intéressé à faire le parallèle. Si nous mettions autant d’attention à préparer la paix, est-ce que nous n’aurions pas quelque chance d’en avoir davantage parce qu’on y serait davantage préparé ».

Un parcours de formation et d’action

Thomas nous raconte comment il a été amené à s’intéresser à cette question. « Quand j’ai commencé mon travail comme avocat, je me suis rendu compte que beaucoup de conflits étaient le fruit de malentendus. Si nous apprenions à mieux nous exprimer et à mieux écouter l’autre, il y aurait beaucoup moins de malentendus. Nous aurions intérêt à apprendre qui nous sommes, à gérer nos émotions, à nous aligner sur notre élan de vie, aussi apprendre à exprimer ce que nous sommes et nos ressentis d’une façon adéquate, sensible et, de même, à écouter ce que l’autre ressent ».

Puis, deuxième expérience, Thomas a commencé à s’occuper de jeunes de la rue. « Je me suis aperçu que la violence était souvent liée à un manque de discernement, de conscience, de capacité d’expression de ce que nous vivons. Un peu d’apprentissage de soi, de connaissance de soi, éviterait à beaucoup de ces jeunes d’entrer dans des mécanismes de violence ».

Thomas a ensuite décidé de suivre une psychothérapie qui a été également source de prise de conscience. « Quand je suis entré moi-même en thérapie, je me suis aperçu du temps que je mettais à démanteler des attitudes, des automatismes, des conditionnements. Il faut du temps pour défaire ce qui empêche, avant de construire.

« Quand je suis devenu moi-même thérapeute », poursuit Thomas, « j’ai fait moi-même la même constatation et combien nous manquions d’apprentissages de base ».

Au cours de son service militaire, Thomas d’Ansembourg s’est engagé comme officier dans l’arme des paracommandos. Dans ce cadre, il a été soumis à un entrainement particulièrement rigoureux et vigoureux. Cet apprentissage a été pour lui « une expérience humaine de rencontre avec soi, de confrontation avec les limites du corps, de la volonté, des émotions ». Il en est resté une découverte : ces limites peuvent être dépassées. « Nous avons un potentiel pour aller bien au delà des limites que nous connaissons. Nous avons des ressources exceptionnelles pour aller au delà de ce que nous croyons ».

Thomas d’Ansembourg a trouvé en Marshall Rosenberg un formateur et un accompagnateur qui lui a permis de s’engager dans la voie de la communication non violente. « C’est un apprentissage systématique pour entraîner notre esprit à écouter autrement, à regarder autrement ». Ce n’est « pas seulement un outil relationnel, mais aussi un outil de connaissance de soi ».

 

Outils pour la connaissance de soi

« Il y a aujourd’hui des outils de connaissance de soi extrêmement performant. Ils ont fait leur preuve pendant de nombreuses années. Ils sont généreux. Ils sont pertinents. Ils se vivent dans le respect de toutes les traditions. Il est grand temps que nous les fassions connaître. Ne pas les connaître serait comme une non assistance à personnes en danger ». Mais quels sont ces outils ? demande un auditeur. Il y a bien cette approche de la communication non violente qui a tant apporté et apporte tant à Thomas. Mais il y en a beaucoup d’autres. Thomas cite notamment la PNL, l’analyse transactionnelle, la gestalt, la sophrologie, des approches plus physiques : le yoga, le qi gong…

 

Autour de l’agacement

En réponse aux questions des auditeurs, Thomas d’Ansembourg ouvre pour nous des portes de compréhension, des approches pour un changement intérieur.

« Comment éviter d’être agacé ? Lui demande-t-on. « On ne l’évitera pas. Ce qui est important, c’est de savoir pourquoi nous sommes agacés, peut-être régulièrement agacés. Qu’est ce qui est récurrent là dedans ? Comment anticiper pour ne pas se retrouver dans une situation d’agacement ? Beaucoup de nos contemporains vivent de l’agacement à répétition sans jamais sonder pourquoi ils se trouvent agacés et sans savoir qu’est-ce qui est en leur pouvoir pour transformer cette situation. J’ai pu voir moi-même dans mes propres agacements et aussi dans l’accompagnement des personnes que nous sommes beaucoup plus puissants que nous croyons dans notre capacité non pas de changer l’autre ou les circonstances, mais dans celle de changer notre manière de vivre par rapport à l’autre et aux circonstances ». Il y a des pistes pour sortir de ces impasses. « Tu es peut-être agacé, énervé. Tu te sens seul. Qu’est-ce que cela dit de toi ? Qu’est-ce que tu as besoin de développer, de transformer ? Tu as peut-être besoin de demander de l’aide. Il est bon de pouvoir tirer parti d’une friction ou d’un agacement pour tenter d’éviter que cela ne se représente ».

 

Changer le monde ?

Quel peut être l’impact de cette approche dans la vie du monde ? Thomas d’Ansembourg répond prudemment. « On ne peut pas changer le monde. Mais on peut changer sa façon d’être au monde » et par suite influer sur le monde. « Imaginez que chaque citoyen sur la planète prenne du temps chaque jour pour se pacifier, réconcilier ses tensions, comprendre ce qu’elles veulent dire, vérifier qu’elles s’alignent sur son élan intérieur… » Thomas d’Ansembourg croit au pouvoir de la non violence. « Nous créons un nouveau climat et cela demande une vision à long terme… ». « C’est particulièrement précieux d’avoir ces clés de pacification aujourd’hui puisque des tensions considérables viennent autour de nous sur nos territoires en Europe et que cela nous demande une vigilance pour ne pas être dans l’action-réaction qui est toujours une façon de gérer ce genre de choses ».

 

Face au terrorisme 

Comment réagir devant l’horreur du terrorisme ? D’abord en accueillant bien sûr la colère, la tristesse, le dépit. Evidemment on ne peut pas être indifférent par rapport à ces évènements. En quoi cela nous subjugue par rapport à nos critères ? En même temps, manifestement, nous avons à faire aux symptômes tragiques d’une société extrêmement malade. Il me semble que nos gouvernants se préoccupent surtout des symptômes sans tenter de comprendre la cause. Certains l’ont bien identifiée. Elle vient d’un monde que nous avons créé qui se révèle un monde centrifuge. Ceux qui n’arrivent pas  à rester au centre, à s’accrocher à l’axe, sont jetés au dehors et forcément, ceux qui n’ont plus rien à gagner n’ont plus rien à perdre. Et ils nous le font cruellement sentir. Je souhaiterais qu’un peu plus de nos contemporains mesurent qu’il s’agit parallèlement de remettre en question notre système socio-économique. Notre système capitaliste patriarcal est à bout de souffle et il est grand temps d’inventer une autre façon de générer et de partager les biens et les ressources ». Thomas évoque une réflexion d’Albert Jacquard, un scientifique engagé. : « La présence d’une prison dans une ville est le signe qu’il y a un problème dans la société toute entière ». Les mesures de sécurité ne suffisent pas. « Je me dis qu’on oublie de s’intéresser aux problèmes qui affectent la société toute entière et qui continuent de générer des poches de frustration ».

 

Face à la violence

Mais d’où vient la violence ? Est-ce une fatalité biologique selon laquelle « l’homme serait un loup pour l’homme » ? « La violence n’est pas l’expression de notre nature. La violence est l’expression des frustrations de notre nature » répond Thomas. « C’est lorsque notre nature est frustrée que nous pouvons être violent. Un être humain qui a reçu de l’amour, de l’attention, de la valorisation de ses talents, de l’encouragement dans ses faiblesses, pourquoi cet individu utiliserait-il une stratégie violente pour se sentir vivre ? ».

Autre question : comment fait-on par rapport à la violence des autres ? La solution n’est-elle pas de développer notre paix, notre propre bienveillance ? Effectivement, Thomas nous invite à nous tourner vers nous-même. « Ce sera très difficile de comprendre la violence des autres si on refuse de voir la notre. Et beaucoup de nos contemporains refusent de voir la leur. La plupart des gens n’imaginent pas de quelle violence subtile il s’agit : le jugement sur soi, la condamnation, les systèmes de pensée qui nous forment, la culpabilité qui déchire. La plupart de nos contemporains n’imaginent pas la violence qu’ils exercent sur eux-mêmes et ils se trouvent encagés en tenant bien la clé en main pour ne pas se libérer. Nous avons besoin d’apprendre à démembrer cette violence sur nous-même. C’est la condition pour accueillir la violence de l’autre, sinon la violence de l’autre nous rappelle la violence que nous exerçons sur nous-même. Lorsque l’autre nous juge, cela interpelle la partie de nous-même qui nous juge aussi. Je ne puis pas écouter l’autre me traiter d’égoïste si il y a une partie de moi qui me dit : « Je suis un égoïste. Je ne pense qu’à moi. C’est inadmissible ».

 

Le pouvoir de l’empathie

Thomas nous appelle à reconnaître et à développer notre empathie. « Je suis de plus en plus surpris par le pouvoir de l’empathie. L’empathie, c’est la capacité de me relier à ce que l’autre ressent et à ce qu’il aimerait, même si on n’est pas d’accord. L’empathie ne veut pas dire qu’on est d’accord, qu’on souscrit, qu’on est prêt à faire ce que l’autre demande. L’empathie, c’est comprendre ce que l’autre ressent, mais sans être forcé d’y souscrire. Je suis impressionné par la puissance de l’empathie. Beaucoup de nos besoins de violence, d’agressivité viennent du besoin d’être compris, d’être rejoint, du désir que notre manière d’être soit entendue. Si nous arrivons à créer un climat d’écoute et d’empathie pendant un certain temps, j’ai la conviction qu’il y aura du changement ».

 

Pardon…réconciliation…

Un auditeur demande à Thomas d’Ansembourg ce qu’il pense du pardon. « J’ai grandi dans la tradition catholique. Comme enfant et jeune homme encore, on m’a beaucoup parlé du pardon. Intellectuellement ces paroles me paraissaient belles et nécessaires, mais je n’ai pas ressenti un déclic dans mon cœur. Par la suite, quand j’ai appris ce qu’était l’empathie, l’empathie pour soi et l’empathie pour l’autre, j’ai tout à coup ressenti ce « tilt » : aller jusqu’à comprendre l’autre même si on a souffert de lui. Or c’est un effet que je n’avais pas perçu en disant : « Je te pardonne. Ce n’est pas grave ». Je gardais quand même le souvenir d’une tristesse, d’un agacement. Maintenant, je sais qu’on peut appendre à se réconcilier et je préfère la démarche de réconciliation. Comprendre ce que l’autre a ressenti et le découvrir dans son humanité et dans son dénuement, cela demande que nous ayons accepté nous-même de nous voir dans notre humanité, dans notre pauvreté, dans notre dénuement, par moment dans notre impuissance. Plus nous porterons de l’humanité envers nous-même, plus nous développerons de l’humanité pour l’humain devant nous. C’est une démarche. C’est un travail. Si on comprend ainsi le mot pardon, j’y souscris.

 

Que penser des religions ?

Un auditeur pose une grande question à Thomas d’Ansembourg : « Que penses-tu des religions ? »

« J’ai de l’estime pour les religions qui aident les personnes à mieux vivre, qui leur donnent des outils de compassion pour les autres, d’entraide et d’éveil au meilleur de soi. Il se trouve que j’ai perçu des limites dans la façon dont la religion m’été enseignée. J’ai grandi dans une tradition catholique très pratiquante. J’ai exploré ces ressources et, à un moment, elles ne me servaient plus. Il a fallu que je cherche autre chose qui n’était pas en contradiction avec la pratique religieuse, mais qui ne s’y trouvait pas, notamment la connaissance de soi. Le fait d’entrer en thérapie n’était pas cautionné par la religion. Les religieux me disaient : « Mais priez ! Allez faire une retraite spirituelle et tout ira bien… » Et bien non ! Dans le climat que j’ai vécu, je sentais plutôt un étouffoir, une limite, un empêchement à me mettre moi-même dan une perspective d’expansion et de mettre ainsi le meilleur de moi-même au service des autres. Si la religion aide à grandir et à être plus joyeux et plus généreux, alors c’est une appartenance magnifique. Je serais toutefois vigilant en constatant qu’il peut arriver en thérapie beaucoup de personnes ayant été « obscurcies » par une pratique religieuse qui les empêche d’être elles-mêmes. Elles étaient juste des copies conformes de leurs parents, de leurs milieux. Or, on est sur terre pour transformer le monde et apporter de la nouveauté. Et la nouveauté vient lorsqu’on est créateur et quand on a appris à se connaître et à se confronter avec son ombre. Et pour se confronter avec son ombre, il faut l’avoir rencontrée. La plupart des religions disent : « N’allez pas voir votre ombre ! » Comment voulez-vous dépasser quelque chose que vous ne connaissez pas ? Cette religion me tirait hors de moi. Je n’avais pas un creuset d’intériorité transformante où je pouvais nettoyer mes tristesses, mes désarrois. Il me manquait ce petit laboratoire intérieur. J’ai pu voir par la suite qu’on peut vivre une religion très stricte sans espace d’intériorité, sans aucun recul. Je vous engage donc à développer une vie intérieure profonde qui peut bien se vivre dans un cadre religieux, mais aussi dans un autre cadre.

 

Une conscience de la respiration

A la fin de la session, un auditeur demande à Thomas d’Ansembourg, un exercice, « une petite pratique pour une éducation à la paix, un entrainement à la paix ». En réponse, Thomas propose un exercice simple et porteur de sens. « Vous pouvez commencer votre journée par 3 ou 4 minutes de présence. Vous posez votre main sur votre poitrine en constatant que vous respirez et vous prenez deux ou trois respirations dans cette conscience. Je respire. Cela respire en moi. Goutez cette conscience que c’est la Vie qui respire en vous. Il n’y a rien à faire.  Et puis, à côté de cette conscience de la Vie qui est en vous, qui est là constamment, ajoutez une petite visualisation de ce qui se passe. Entrez dans l’intime de vos poumons. Visualisez ce qui se passe à chaque instant dans vos poumons : un échange entre oxygène et gaz carbonique. La vie est échange. Sans échange, il n’y a pas de vie. Ajoutez un sentiment, ne serait-ce que de la gratitude pour cela. Mesurez l’âge que vous avez, le nombre de respirations que vous avez prises depuis la toute première à la sortie du sein maternel  et combien votre respiration est fidèle depuis tant d’années et elle le sera indéfectiblement jusqu’à votre dernier souffle. Fidélité de la vie. Portez de la gratitude, de la reconnaissance à la fois pour le souffle physique, et, pour ceux qui partagent cette perspective, pour le souffle de l’Esprit qui souffle à travers toute personne et tout être, quelque soient les mots que vous mettiez sur cette réalité. Un petit exercice de quelques secondes qui vous relie à la sensation d’être vivant, à la merveille de l’organisation biologique de la vie, à l’appartenance au souffle que ce soit simplement le souffle physique qui est le même pour tous les êtres vivants et nous relie au Cosmos et à la totalité, mais également au souffle qui nous relie à la dimension spirituelle, le souffle qui inspire notre humanité depuis des millénaires au delà de ce que nous voyons.

 

Interprétations

Comment ne pas nous interroger sur la violence qui nous environne ? La conférence questions-réponses de Thomas d’Ansembourg nous apporte un éclairage précieux. Cette approche nous aide à comprendre, mais elle nous ouvre aussi des pistes pour des prises de conscience débouchant sur un changement personnel. Et ce changement personnel contribue à une pacification collective : « Un citoyen pacifié est un citoyen pacifiant ». Cet enseignement est le fruit de l’expérience de Thomas qui nous fait le cadeau de nous la partager. Mais elle est donc également associée à un parcours personnel dans un contexte spécifique. Aussi, sur certains points, notre interprétation peut être différente. Nous ouvrons ici quelques pistes de réflexion complémentaires.

 

Pour une théologie de la vie

         Thomas d’Ansembourg a été apparemment confronté à un catholicisme traditionnel dont il s’est éloigné parce qu’il en percevait les limites et les empêchements qui en résultaient dans son évolution personnelle. Cependant, il y a aujourd’hui plusieurs manières d’envisager et de vivre la foi chrétienne. Dans son oeuvre théologique, Jürgen Moltmann nous montre l’influence que la philosophie platonicienne a exercée dans une part du christianisme associée à une société traditionnelle. La terre était perçue comme « une vallée de larmes ». Le salut était associé à un détachement du corps et une échappée de l’âme vers l’au delà. En réponse, Moltmann nous propose une théologie de la vie. Ainsi écrit-il, dans son tout récent livre : « The living God and the fullness of life » (4) : « Le christianisme naissant a conquis le monde ancien avec son message au sujet du Christ : « Il est la résurrection et la vie ». C’est le Christ qui vient en ce monde et c’est cette vie avant la mort qui est éternelle parce qu’elle est remplie de Dieu dans la joie. Car, en Christ, le Dieu vivant est venu sur cette terre pour « qu’ils puissent avoir la vie et l’avoir en abondance » (p IX)… Dans la résurrection du Christ, une vie entre dans le présent qui ne peut être qu’aimée et vécue joyeusement… Je désire présenter une transcendance qui ne supprime, ni n’aliène notre vie présente, mais qui libère et donne à la vie une transcendance dont nous n’ayons pas besoin de nous détourner, mais qui nous remplisse d’une joie de vivre » (p X). N’est-ce pas cette dynamique de vie qui manquait dans l’univers religieux que Thomas a rencontré dans son enfance et sa jeunesse ? Dans cette perspective, Moltmann accorde une grande importance à la présence et à l’œuvre de l’Esprit Saint, un Esprit créateur et qui donne la vie (5). Nous percevons cette présence de l’Esprit dans la dimension du Souffle à laquelle Thomas d’Ansembourg fait allusion en commentant l’exercice de la respiration.

 

Face à la peur : le témoignage de Barack Obama

L’approche développée à travers cette conférence peut aider des gens très différents. « Ces outils de connaissance de soi se vivent dans le respect de toutes les traditions ». Dans une perspective chrétienne, ils s’inscrivent dans une vision de foi qui engendre la confiance et donne la force. Elle apporte un soutien face à l’adversité. A cet égard, le récent témoignage (6) du Président des Etats-Unis, Barack Obama, nous paraît particulièrement éloquent. On imagine autant la responsabilité qu’il assume que les drames et les menaces auxquels il peut être confronté. Dans une rencontre nationale autour de la prière (« National prayer breakfast »), Barack Obama a choisi de commenter un verset biblique (2 Timothée 7) : « Car Dieu ne nous a pas donné un esprit de peur, mais un esprit de puissance, d’amour et de sagesse ».   Ainsi nous parle-t-il de la peur : « La peur peut nous amener à nous en prendre violemment à ceux qui sont différents de nous… Elle peut nous entrainer vers le désespoir, la paralysie ou le cynisme. La peur peut susciter nos impulsions les plus égoïstes et briser les liens communautaires. La peur est une émotion primaire que nous éprouvons tous. Et elle peut être contagieuse se répandant à travers les sociétés et les nations.

Pour moi, et je le sais pour beaucoup d’entre vous, la foi est le grand remède à la peur. Jésus est un grand remède à la peur. Dieu donne aux croyants la puissance, l’amour, la sagesse qui sont requis pour surmonter toute peur… La foi m’aide à faire face aux craintes quotidiennes auxquelles nous sommes tous confrontés… Elle m’aide à affronter quelques unes des tâches spécifiques de ma fonctionNelson Mandela a dit : « J’ai appris que le courage n’était pas l’absence de peur, mais le fait de la surmonter… »… Et certainement, il y a des moments où je dois me répéter cela à moi-même dans ma  fonction… Et comme président, comme chaque leader, chaque personne, j’ai connu la peur, mais ma foi m’a dit que je n’avais pas à craindre la mort, que l’acceptation du Christ promet le vie éternelle… Dans la force de Dieu, je puis résister, faire face aux aléas, me préparer à l’action… ». Barack Obama ajoute longuement combien, dans ces épreuves, il a été encouragé par la foi des autres.

 

Face à la violence : compréhension et changement intérieur

A plusieurs reprises dans ses propos, Thomas d’Ansembourg indique le registre dans lequel il se situe : « Je vous engage à développer une vie intérieure profonde » qui peut se vivre dans différents cadres. Nous venons d’ajouter ici en regard quelques pistes de réflexions personnelles. A plusieurs reprises, nous avons présenté sur ce blog l’apport de Thomas d’Ansembourg qui nous paraît apporter un éclairage précieux pour nous situer personnellement dans le monde d’aujourd’hui et évoluer en conséquence. Le problème de la violence se pose à nous aujourd’hui avec acuité, mais il nous interroge aussi par rapport à certains comportements que nous rencontrons dans la vie quotidienne, et, comme Thomas l’a bien montré, par rapport à certaines de nos réactions. C’est pourquoi, rencontrant cette vidéo : « La paix, ça s’apprend » à un détour d’internet, nous avons immédiatement choisi de la mettre ici en évidence. Voici un éclairage qui ne nous apporte pas seulement une compréhension, mais qui nous ouvre un chemin.

J H

 

(1)            Voir : « Communication non violente » sur Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Communication_non-violente

(2)            « Un citoyen pacifié devient un citoyen pacifiant » https://vivreetesperer.com/?p=2156

« Femmes et hommes. Monde nouveau. Alliance nouvelle » https://vivreetesperer.com/?p=1791

« Vivant dans un monde vivant. Changer intérieurement pour vivre en collaboration » https://vivreetesperer.com/?p=1371

(3)            « La paix, ça s’apprend » par Thomas d’Ansembourg : vidéo sur YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=2rwhx8XyyYw

(4)             Moltmann (Jürgen). The living God and the fullness of life ». World Council of churches, 2016 Sur ce blog : voir aussi : « Dieu vivant. Dieu présent. Dieu avec nous dans un monde où tout se tient » : https://vivreetesperer.com/?p=2267

(5)            Moltmann (Jürgen). L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999. « l’Esprit de Dieu s’appelle l’Esprit Saint parce qu’Il vivifie notre vie présente et non parce qu’Il lui est étranger et en est éloigné. Il place cette vie dans la présence du Dieu vivant et dans le courant de l’amour éternel. Pour marquer l’unité entre expérience de Dieu et expérience vitale, je parle dans le présent ouvrage de « l’Esprit qui donne la vie ». Voir aussi une introduction à la pensée théologique de Jürgen Moltmann sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : http://www.lespritquidonnelavie.com

(6)            Remarks of the President at National Prayer Breakfast : https://www.whitehouse.gov/the-press-office/2016/02/04/remarks-president-national-prayer-breakfast-0 Vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=ifvN7JDpkXw

 

Sur ce blog, voir aussi :

« La force de l’empathie » : https://www.youtube.com/watch?v=ifvN7JDpkXw

« Bienveillance humaine. Bienveillance divine. Une harmonie qui se répand » : https://vivreetesperer.com/?p=1842

La prière dans la vie de Barack Obama

 

Un ancrage face à la peur

 

Dans bien des circonstances de notre vie, face aux menaces qui surgissent et font irruption dans notre existence, nous ressentons désarroi, peur, angoisse. C’est le moment de nous rappeler que nous ne sommes pas seul. Le croyant peut se confier à Celui qui est présence d’amour et puissance de vie.

A travers les médias, nous sommes confrontés aux souffrances et aux inquiétudes répandues dans le monde. Là aussi, nous avons besoin d’une inspiration qui puisse nous éclairer. Et combien cette inspiration est-elle nécessaire pour les dirigeants engagés dans la conduite des affaires du monde ! C’est là que le témoignage de Barack Obama comme président des Etats-Unis, est particulièrement précieux. Confronté à des situations parfois redoutables, il s’est récemment exprimé sur sa pratique de la prière, dans le cadre du « National Prayer Breakfast » (1). Il a ouvert son intervention en citant un verset biblique (2 Timothée 7), puis en le commentant à partir de son expérience personnelle : « Car Dieu ne nous a pas donné un esprit de peur, mais un esprit de puissance, d’amour et de sagesse » (« For God has not given us a spirit of fear, but of power and of love and of a sound mind ».

 

« La peur peut nous entrainer à tomber dans le désespoir, la paralysie ou le cynisme »

 

« Nous vivons à une époque extraordinaire », nous dit Barack Obama. C’est une période où « le changement est extraordinaire » et il en mesure les avantages, mais aussi les menaces et les dangers. « Il y a un écart  qui donne le vertige entre les gens dans le besoin et ceux dans l’abondance. Nous pouvons craindre la possibilité non seulement que le progrès soit en perte de vitesse, mais que, peut-être, nous ayons davantage à perdre. Et la peur produit des choses étranges. La peur peut nous pousser à nous en prendre à ceux qui sont différents… Elle peut nous entrainer à tomber dans le désespoir, la paralysie ou le cynisme. La peur peut nourrir nos penchants les plus égoïstes et éroder les solidarités communautaires ». Et « la peur est une émotion primitive dont chacun de nous fait l’expérience. Elle peut être contagieuse, en se répandant à travers les sociétés et les nations. Et si nous nous laissons entrainer, les conséquences de cette peur peuvent être pires que toute menace extérieure ». Voici un diagnostic qui fait écho aux menaces que nous percevons aujourd’hui dans certaines attitudes politiques. Et cela vaut aussi pour les extrémismes religieux.

 

« Pour moi, la foi est un grand remède à la peur »

 

Sur ce blog, à travers la présentation d’un dialogue ente Barack Obama et le Pape François, nous avons pu dégager de grandes orientations communes qui s’inspirent des valeurs de l’Evangile (2). Aujourd’hui, Barack Obama nous fait part de la force intérieure qu’il trouve dans la prière et qui lui permet d’assumer des responsabilités considérables. C’est un homme authentique qui ose parler, non seulement de ses convictions, mais de ses émotions personnelles.

« Pour moi, la foi est le grand remède à la peur. Jésus est un bon remède à la peur. Dieu donne aux croyants la puissance, l’amour et la sagesse requises pour vaincre la peur… N’est-ce pas dans cette époque changeante et tumultueuse que nous avons besoin de sentir Jésus se tenir à coté de nous, affermissant nos esprits, purifiant nos cœurs et nous montrant ce qui importe vraiment… Son amour nous donne le pouvoir de résister à la tentation de la peur. Il nous donne le courage pour rejoindre les autres par delà ce qui divise plutôt que de les rejeter. Il nous donne le courage d’aller à l’encontre des conventions pour défendre ce qui est juste, même quand ce n’est pas populaire, le courage de résister non seulement à nos ennemis, mais parfois à nos amis. Il nous donne la force de nous sacrifier pour une cause qui nous dépasse… ou pour prendre des décisions ardues en sachant que nous pouvons seulement faire de notre mieux. Moins de moi, plus de Dieu. Et ensuite, d’avoir le courage d’admettre nos échecs et nos péchés tout en nous engageant à apprendre de nos fautes et en essayant de faire mieux… Certainement, durant le temps de cet immense privilège pour moi de servir comme président des Etats-Unis, c’est ce que la foi m’a apporté. Elle m’aide à faire face aux craintes quotidiennes que nous partageons tous ». Et le président de mentionner avec humour les inquiétudes liées au départ des grands enfants du foyer familial.

#

(discours d’Obama à partir d’1h48)

 

« La foi m’aide à traiter des affaires qui sont propres à ma fonction »

 

« Chaque jour, nous craignons de ne plus avoir une vue claire du dessein de Dieu. Nous cherchons à voir comment nous nous inscrivons dans son projet. Et puis la foi m’aide à traiter des affaires qui sont propres à ma fonction. Comme Nelson Mandela l’a une fois déclaré : « J’ai appris que le courage n’était pas l’absence de la peur, mais la victoire par rapport à celle-ci. L’homme brave n’est pas celui qui n’éprouve pas la peur, mais celui qui la surmonte ». Et certainement, il y a des moments où je dois me répéter cela dans l’exercice de mes fonctions ».

Barack Obama évoque quelques défis qu’il a du affronter. « Comme chaque président, comme chaque dirigeant, comme chaque personne, j’ai connu la peur. Mais ma foi me dit que je n’ai pas à craindre la mort, que l’acceptation du Christ me promet la vie éternelle et le pardon des péchés. Si l’Ecriture m’enseigne à « porter la pleine armure de Dieu » pour que je sois capable de résister lorsque vient la tourmente, alors certainement je peux faire face à des aléas temporaires, certainement je puis combattre les doutes, je puis me mettre en action ».

 

« Ce que j’ai vu chez tant d’entre vous, ce Dieu que je vois en vous, cela me rend confiant dans l’avenir »

 

Mais la foi de Barack Obama n’est pas une foi solitaire. Elle s’inscrit dans une communion. « Et si ma foi vacille, si je perd mon chemin, je puise ma force, non seulement chez ma remarquable épouse, non seulement chez des amis et des collègues exceptionnels, mais aussi de tous ceux dont je suis témoin et qui, à travers ce pays et à travers le monde, de bonnes gens de toutes  confessions, réalisent chaque jour le travail du Seigneur en s’appuyant sur sa puissance, son amour et sa sagesse pour nourrir ceux qui ont faim, guérir les malades, enseigner nos enfants et accueillir l’étranger ». Barack Obama évoque des exemples d’action humanitaire entreprises  par des croyants à travers le monde, cette « marche d’espérance vivante » (« This march of living hope », ainsi dénommées par le Pape François.

Et puis, « il y a encore davantage : l’effort moins spectaculaire, plus tranquille des communautés croyantes simplement pour aider les gens. Voir Dieu dans les autres. Et nous sommes poussés à faire cela parce que nous croyons à  ce que tant de nos confessions de foi nous enseignent : Je suis le gardien de mon frère, je suis le gardien de ma sœur. Comme chrétiens, nous sommes poussés par l’Evangile de Jésus : le commandement d’aimer Dieu et de nous aimer les uns les autres ». Ainsi, « oui, comme chacun d’entre nous, il y a des moments où j’ai peur. Mais, ma foi, et encore plus ce que j’ai vu chez tant d’entre vous, ce Dieu que je vois en vous, cela me rend confiant dans l’avenir. J’ai vu tant de gens qui savent que Dieu ne nous a pas donné un esprit de peur. Il nous a donné puissance, amour et sagesse ».

 

Deux histoires qui nous parlent de foi, d’amour et de courage

 

Barack Obama achève son exhortation en racontant deux histoires qui nous parlent de foi, d’amour et de courage.

Il évoque ainsi un sergent fait prisonnier par l’armée allemande, avec d’autres soldats américains, pendant la dernière guerre mondiale. Les allemands voulaient identifier les soldats juifs. Au lieu de désigner ses camarades juifs, le sergent réunit tous les soldats et, malgré la menace de mort d’un officier nazi, il répéta : « Nous sommes tous juifs ». « Ainsi, à travers cette lumière morale, à travers un acte de foi, le sergent Edmonds a sauvé tous ses frères d’arme juifs ».

La seconde histoire est celle d’un musulman américain rencontré par Barack Obama lors de sa récente visite à la mosquée de Baltimore. Rami Nashashibi est travailleur social à Chicago où il collabore avec différentes communautés et églises. Il a raconté à Obama comment, se promenant dans un parc avec ses enfants, après la tuerie de San Bernardino commise par des terroristes islamistes, il avait hésité à prier publiquement selon le rite musulman des cinq prières quotidiennes. Sa fille lui avait demandé pourquoi il ne priait pas comme il le faisait habituellement. Alors, il s’était souvenu des nombreuses fois où il avait raconté à ses enfants la marche pour les droits humains et la justice, effectuée dans ce parc, par Martin Luther King et le rabbin Robert Marx. « Et alors, à ce moment, puisant du courage dans le souvenir de l’action de ces hommes de différentes religions, Rami a refuser d’enseigner la peur à ses enfants ». Il a déployé son tapis de prière et il a prié.

« Ces deux histoires », rapporte Barack Obama, « me donnent du courage et de l’espoir. Et elles m’édifient dans ma propre foi chrétienne ».

 

Ainsi, la prière de Barack Obama se déploie en communion avec tous ceux qui recherchent la paix, la justice, la bonté. C’est un état d’esprit qui fait écho à la parole d’une épitre : « Portez votre attention sur ce qui est bon et digne de louange, sur tout ce qui est vrai, respectable, juste, pur, agréable et honorable » (Philippiens 4.8). C’est une prière qui  fortifie et qui porte une dynamique de vie. « Je prie pour que nos dirigeants agissent toujours avec humilité et générosité. Je prie pour que mes défaillances soient pardonnées. Je prie pour que nous remplissions notre devoir d’être de  bons serviteurs de la création de Dieu, cette belle planète. Je prie pour que nous voyons chaque enfant comme si c’était le nôtre, chacun digne d’amour et de compassion. Et je prie pour que nous répondions à l’appel de l’Ecriture à aider les gens  vulnérables à se relever, à tenir bon en faveur de la justice et à agir pour que chaque être humain vive dans la dignité ».

 

J H

 

(1)            Sur YouTube : President Obama speaks at the National Prayer Breakfast (intervention à la fin de cette rencontre) : https://www.youtube.com/watch?v=ifvN7JDpkXw

Texte de l’intervention : The White House. Remarks by the President at the National Prayer Breakfast : https://www.whitehouse.gov/the-press-office/2016/02/04/remarks-president-national-prayer-breakfast-0 Pour faciliter l’accessibilité de ce texte aux francophones, nous proposons ici des extraits adaptés en français

(2)            Sur ce blog : « La rencontre entre le Président Obama et le Pape François » : https://vivreetesperer.com/?p=2192

 

Voir aussi :

«  Charleston : face aux fanatismes, un message qui s’adresse au monde entier » : https://vivreetesperer.com/?p=2117

« De Martin Luther King à Obama » : https://vivreetesperer.com/?p=2065

Un silence religieux

 En regard d’un manque qui engendre le pire, quelle dynamique d’espérance ?

 «  Un silence religieux. La gauche face au djihadisme », c’est le titre d’un livre de Jean Birnbaum qui vient de paraître au Seuil » (1).

Pour qui cherche à comprendre, dans le contexte de notre histoire politique, les réactions aux évènements récents, ces drames causés par le djihadisme, ce livre apporte un éclairage original, à partir d’une analyse du rapport entre la gauche française et le fait religieux au cours des dernières décennies. Jean Birnbaum met en évidence une forte propension au silence sur la dimension religieuse de la menace djihadiste. Certes, il était et il est légitime de prévenir un amalgame entre islam et terrorisme. Mais, « par delà ces motivations politiques, ce silence fait symptôme d’un aveuglement plus profond qui concerne le rapport que beaucoup d’entre nous entretenons avec la religion. Ce qui est en jeu, c’est la réticence… à envisager la croyance religieuse comme causalité spécifique, et d’abord comme puissance politique » (p 23). A partir de sa trajectoire idéologique et d’un héritage historique, la majorité de la gauche française « a le plus souvent refusé de prendre le fait spirituel au sérieux » (p 37). A partir de plusieurs exemples comme l’anticolonialisme en Algérie ou l’attitude vis-à-vis de la révolution iranienne, l’auteur montre comment la sous-estimation du facteur religieux a engendré des erreurs d’interprétation. « Incapables de prendre la religion au sérieux, comment la gauche comprendrait-elle ce qui se passe actuellement, non seulement le regain de la quête spirituelle, mais surtout le retour de flamme d’un fanatisme qui en est la perversion violente » (p 39).

Aujourd’hui où le djihadisme est un phénomène complexe qui est la résultante de nombreux facteurs, on en méconnaît trop souvent la dimension religieuse. L’auteur nous fait voir combien certains jeunes s’engagent dans une vision du monde inspiré par le fondamentalisme islamique : « C’est une certitude vécue, une conviction qui a de la suite dans les idées, une croyance logique à l’extrême. Si l’on acceptait de délaisser un instant l’approche policière pour parler politique, si l’on déplaçait aussi l’enquête du social au spirituel, alors on poserait la seule question qui vaille, celle de l’espérance » (p 184). C’est dire combien l’enjeu est à la fois idéologique et théologique. « Pour lutter contre le djihadisme, plutôt que d’affirmer qu’il est étranger à l’islam, mieux vaut admettre qu’il constitue la manifestation la plus récente, la plus spectaculaire et la plus sanglante de la guerre intime qui déchire l’islam. Car l’islam est en guerre avec lui-même » (p 43).

La situation actuelle nous appelle ainsi les uns et les autres à un renouvellement et un élargissement de notre regard. Ainsi Jean Birnbaum revisite l’histoire de la pensée marxiste et il met en évidence des contradictions. Il fait appel à l’analyse de quelques philosophes comme Foucault et Derrida qui ont su percevoir les implications de la dimension religieuse. Dans un beau chapitre : « L’espoir maintenant. Des brigadistes aux djihadistes », il revisite la guerre d’Espagne et effectue une comparaison particulièrement éclairante entre les volontaires des brigades internationales et les djihadistes partis en Syrie. A cet égard, il cite Régis Debray marquant la différence des époques et des croyances. « Le surmoi révolutionnaire, à gauche, s’est effondré… Ce qui l’a remplacé chez les exigeants, pour qui « tout ce qui n’est pas l’idéal est misère », c’est le surmoi religieux » (p 185).

Cependant, comparer les visions du monde à l’œuvre chez les combattants des brigades internationales et les djihadistes, fait ressortir une opposition radicale. « Si l’avant-garde du djihad peut ainsi donner congé à l’histoire humaine, c’est qu’elle accorde un privilège absolu à l’au delà… Mais cette valorisation exclusive de l’au delà commande aussi un mépris de la vie… Ici, le choc entre les imaginaires brigadistes et djihadistes est non seulement frontal, mais viscéral, car les volontaires d’Espagne partaient à la guerre pour bâtir les conditions d’une vie pleinement humaine… Du reste, ils se sont affrontés à des forces politiques et militaires qui revendiquaient leur amour de la mort : « viva la muerte !», « vive la mort ! », dans un contexte catholique intégriste ((p 210-213). En développant une théologie pour la vie, Jürgen Moltmann (2) rappelle cet épisode sinistre. Aujourd’hui, dans la lutte engagée contre tout ce qui menace la vie humaine, les représentations comptent. Et, à ce sujet, la théologie est convoquée tant en christianisme qu’en islam.

Pour sa part, Jean Birnbaum appelle à une réflexion critique qui prenne en compte les différentes dimensions de l’humain. « Paradoxe d’une tradition qui esquive sans cesse les croyances, mais dont plusieurs figures fondatrices (Engels, Rosa Luxembourg, Jaurès) se sont reconnues comme les seules héritières authentiques d’une quête de justice jadis portée par les prophètes bibliques. Paradoxe d’un mouvement révolutionnaire qui fait l’impasse sur le spirituel alors que son propre imaginaire est celui d’une religion séculière et qu’il s’est déployé dans un mimétisme permanent à l’égard du messianisme judéo-chrétien » (p 219). Jean Birnbaum met en évidence l’apport d’une poignée de penseurs critiques qui ouvrent la voie. « Aucun d’entre deux n’a considéré que la politique moderne avait pour condition le « dépassement » du religieux. Tous avaient conscience que pour bien distinguer ces deux domaines, le mieux est encore de donner une place à l’un comme à l’autre. C’est en niant leur existence respective qu’on risque de sombrer dans une violente indistinction. Qui veut séparer le politique et le théologique doit d’abord mener à leur égard, un travail de vigilante réarticulation » (p 231-232).

Ce livre passionnant apporte un nouvel éclairage et ouvre un horizon. Il vient à un moment où on peut observer une effervescence  du religieux (3). C’est ce que note un journaliste du « Monde », Benoît Hopkin, dans un article intitulé : « Et Dieu dans tout ça » (4) où il présente en regard l’ouvrage de Jean Birnbaum.

Naviguer dans ce monde en pleine mutation requiert une bonne compréhension, mais appelle aussi une vision. « Quand il n’y a pas de vision, le peuple périt » (Proverbes  29.18). Comme l’écrit Jean Birnbaum, « Si l’on déplaçait l’enquête du social au spirituel, alors on poserait la seule question qui vaille, celle de l’espérance ». Nous avons besoin d’espérance, individuellement et collectivement.  La vie implique le mouvement.  Les barrières qui s’y opposent  sont destructrices. Nos activités, nos engagements dépendent de notre motivation. Elle-même requiert la capacité de regarder en avant, un horizon de vie, une dynamique d’espérance (5). Si la fragilité de la condition humaine est une constante, dans un monde en mutation où les menaces abondent, l’humain a d’autant plus besoin de s’inscrire dans une perspective qui le dépasse et qui lui donne sens. Cette requête est personnelle. Elle est aussi sociale. Ce livre : « Un silence religieux » traite du rapport entre le politique et le religieux en France, mais, dans notre démarche, nous y voyons apparaître plus généralement un manque dans la prise en compte des  aspirations spirituelles. On pourrait à cet égard évoquer le débat sur la laïcité qui se poursuit depuis des années (6). Dans la réalité de notre temps, nous avons d’autant plus besoin d’une laïcité inclusive. Le livre nous interpelle sur un phénomène complexe. C’est aussi un phénomène spécifique. Mais le djihadisme peut être envisagé aussi comme un symptôme qui traduit un dysfonctionnement plus général. Et, parmi d’autres facteurs, il y a un  manque spirituel. Jean Birnbaum nous apporte à ce sujet un éclairage original.

Face au manque, comme chrétiens, quelle vision alternative pouvons-nous proposer en sachant la pesanteur des héritages historiques ? Le théologien Jürgen Moltmann nous parle de la force vitale de l’espérance. « Que le Dieu de l’espérance vous remplisse de toute joie et de toute paix dans la foi, pour que vous abondiez en espérance, par la puissance du Saint-Esprit ! » (Rom 15.13). C’est unique. Nulle part ailleurs dans le monde des religions, Dieu n’est lié à l’expérience humaine de l’avenir. Dieu est l’éternel présent, la divinité est le tout autre, le divin est l’intemporel éternel. Voilà des notions familières. Dieu est « au dessus de nous », en tant que tout-puissant ou, en nous, en tant que fondement de l’être : ce sont des notions connues. Mais un « Dieu de l’espérance » qui marche « devant nous » et nous précède dans le déroulement de l’histoire, voilà qui est nouveau. On ne trouve cette notion que dans le message de la Bible. C’est le Dieu de l’exode d’Israël… C’est le Dieu de la résurrection de Christ… C’est le Dieu qui « habitera » parmi les hommes comme le révèle l’Apocalypse de Jean (21.3)… Le christianisme est résolument tourné vers l’avenir et invite au renouveau… » (7). Cette vision vient à l’appui d’un état d’esprit qui s’oppose aux égarements actuels que nous décrit si bien Jean Birnbaum. Elle accompagne le mouvement pour une humanité responsable de la planète.

J H

 

(1)            Birnbaum (Jean). Un silence religieux. La gauche face au djihadisme. Seuil, 2016. Jean Birnbaum dirige « Le Monde des livres ». Il est l’auteur de plusieurs essais concernant le vécu politique caractéristique d’une génération.

(2)            Jürgen Moltmann a commencé son parcours par une théologie de l’espérance, qui a nourri, entre autres, la théologie de la libération. Tout récemment, Jürgen Moltmann, « probablement le plus influent des théologiens contemporains » au Conseil œcuménique des églises : http://protestinfo.ch/201601157774/7774-la-theologie-va-prendre-un-virage-ecologique.html?utm_medium=twitter&utm_source=twitterfeed                                                                                              Il a développé également une théologie pour la vie. « La vie contre la mort » : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=841                             On pourra découvrir les apports successifs de Jürgen Moltmann dans son autobiographie : « Une théologie pour notre temps » : http://www.temoins.com/etudes/recherche-et-innovation/etudes/une-theologie-pour-notre-temps-lautobiographie-de-juergen-moltmann/all-pages

(3)            Sur le site de Témoins : « Les paradoxes de la scène religieuse occidentale.  Conférence de Danièle Hervieu-Léger, le 5 février 2014 » : http://www.temoins.com/etudes/recherche-et-innovation/etudes/une-theologie-pour-notre-temps-lautobiographie-de-juergen-moltmann/all-pages

(4)            Benoît Hopkin. Et Dieu dans tout ça ? Le Monde, 12 janvier 2016

(5)            « Espérer et agir. Agir et espérer » : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=900

(6)            « Les rapports entre le politique et le religieux » : http://www.temoins.com/etudes/recherche-et-innovation/etudes/les-rapports-entre-le-politique-et-le-religieux

(7)            Moltmann (Jürgen). De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance. Empreinte Temps présent, 2012. La force vitale de l’espérance. p 109

Evénement symbolique et promesse d’avenir

 La création de la « Chan Zuckerberg Initiative »

 Dans un monde où les menaces abondent, ne perdons pas confiance. Sachons reconnaître les évolutions positives et les promesses d’avenir dans une multitude de signes encore peu visibles. C’est regarder au bien plutôt qu’au mal. C’est accepter des nouveautés, des surprises. C’est aller au delà de nos conventions et de nos habitudes de pensée, et parfois à l’encontre d’une pensée dominante dans certains cercles. Ce préalable est-il nécessaire pour saluer la toute récente création de la « Chan Zuckerberg Initiative » par Mark Zuckerberg, inventeur et directeur de Facebook et son épouse, Priscilla Chan à l’occasion de la naissance de leur fille Max ?

Peut-être parce que des esprits chagrins peuvent voir là une manifestation spectaculaire de la richesse… Il est vrai qu’actuellement les inégalités se creusent en fonction d’un capitalisme non régulé. Mais, les choses étant ce qu’elles sont, il y a toute la différence entre un riche patron qui thésaurise et celui qui met une fortune au service des gens.

Ainsi, le 1er décembre 2015, Mark Zuckerberg annonçait la création, avec son épouse Priscilla Chan, de la « Chan Zuckerberg Initiative » (CZI) (1). Cette organisation caritative sera à terme dotée de 99% des actions de Facebook détenues par le couple, soit une somme estimée aujourd’hui à 45 milliard de dollars (42 milliards d’euros). Elle a pour ambition de « faire avancer le potentiel humain et de promouvoir l’égalité » avec un intérêt majeur pour l’enfance et l’éducation.

Pourquoi évoquer ici une initiative, qui, dans le contexte français, peut paraître lointaine, décalée, voire suspecte ? Parce que justement elle s’inscrit dans les signes positifs qui apparaissent dans un monde en pleine transformation. Dans une recherche commune, sachons reconnaître les avant-garde où qu’elles soient.

Et, dans ce cas, le berceau des nouvelles technologies de la communication, la « Silicone valley » est en train d’engendrer une nouvelle philanthropie, qui, ici, tient ses ressources du talent et du travail de ses promoteurs. Et, à l’exemple de la fondation Bill Gates, on peut voir là un outil puissant, parce que souple et efficace, pour promouvoir des pratiques au service de la vie.

Et puis, dans cette initiative, il y aussi une dimension émotionnelle qui nous touche profondément. Un jeune couple et la naissance de sa petite fille.  Ce n’est pas rien qu’à l’occasion de cette naissance, les parents choisissent d’engager leur vie au service de l’humanité.  Dans ces circonstances, ce geste donateur de parents fortunés nous rappelle certains contes d’autrefois. Mais, dans ce cas, la vision d’avenir n’est pas la poursuite d’une dynastie régnant sur un peuple, mais un engagement au service du progrès de l’humanité.

Cet événement advient dans un pays qui est devenu un creuset de toutes les populations du monde. Priscilla Chan est fille de parents sino-vietnamiens arrivés aux Etats-Unis après la chute de Saigon en 1978 (2).  Et elle a fait de brillantes études médicales. Aujourd’hui, à 30 ans, elle est créatrice et directrice d’une  école privée à but non lucratif qui se propose d’offrir à des élèves de condition modeste, un enseignement ainsi qu’un suivi de santé, jusqu’à l’obtention de leur diplôme. Facebook, l’œuvre de Mark Zuckerberg s’inscrit dans le processus actuel de globalisation. Nous sommes là au cœur d’une dynamique internationale.

Ainsi, la création de cette nouvelle organisation humanitaire nous apparaît à la fois comme un événement symbolique et une promesse d’avenir.

Pour annoncer leur engagement, Mark Zuckenberg et Priscilla Cham publient une lettre dans laquelle ils s’adressent à la petite fille qui vient de naitre : « Lettre à notre fille » (3).

« Ta mère et moi, nous n’avons pas encore les mots pour décrire l’espoir que tu nous donnes pour l’avenir. Ta vie nouvelle est pleine de promesses et nous espérons que tu seras heureuse et en bonne santé pour pouvoir explorer cet avenir. Tu nous donnes déjà une raison pour réfléchir au monde dans  lequel nous espérons que tu vas vivre. Alors que les grands titres de la presse se concentrent sur ce qui mal, de bien des manières, ce monde est en train d’aller mieux. La santé s’améliore.  La pauvreté recule. Le savoir grandit. Les gens se connectent. Dans chaque domaine, le progrès des technologies implique que ta vie devrait être bien meilleure que la notre aujourd’hui ».

Cette lettre se caractérise par un parti pris d’optimisme. Les auteurs attendent de nouvelles découvertes scientifiques et techniques à même de changer les conditions de vie. On peut s’interroger, mais ils sont certainement bien placés pour apprécier le potentiel qui se développe actuellement. Ainsi, il nous est dit que l’ouverture d’un accès à internet a des conséquences remarquables en terme de condition de vie et d’emploi. Or, plus de la moitié de la population mondiale n’a pas encore accès à internet. La progression de cet outil devrait permettre à des centaines de millions de personnes de sortir de leur enfermement. « Notre espoir pour cette génération se concentre sur deux idées : faire progresser le potentiel humain et promouvoir l’égalité »

 

12307499_10102503447148641_3856093597107795502_o

Dans une perspective optimiste, Mark et Priscilla manifestent une grande confiance dans les progrès de la médecine. Et ils préconisent des investissements massifs dans ce domaine. Cependant, Mark et Priscilla décrivent la mise en œuvre d’une dynamique de progrès dans tous les domaines qui régissent les conditions de vie. C’est le cas en particulier dans le domaine de l’enseignement.

« Notre génération a grandi dans des classes où nous apprenions tous la même chose à la même vitesse sans tenir compte des intérêts et des dons de chacun. Votre génération traduira en objectifs ce que vous désirerez devenir : ingénieur, professionnels de santé, écrivain, leader de communauté…Vous aurez la technologie qui comprendra comment vous pouvez le mieux apprendre et sur quoi vous avez besoin de vous concentrer…Dans le monde entier, les étudiants auront accès à travers internet à des aides d’apprentissage personnalisé… ». C’est une vision mobilisatrice. « Nous ferons tout pour que cela arrive non seulement parce que nous t’aimons, mais parce que nous avons une responsabilité morale envers tous les enfants de la prochaine génération ».

En considérant le monde d’aujourd’hui,, nous y voyons bien des malheurs, guerres, maladies, famines. Des politiques essaient d’y faire face. Des organisations humanitaires se confrontent à ces souffrances pour essayer d’en limiter l’impact. Cependant, nous devons prendre en compte les différents aspects de la réalité non seulement dans le court terme, mais aussi dans le long terme. Dans la durée, sur certains points, on peut observer des améliorations sensibles. Dans le paysage actuel, il y a bien des orages, bien des nuages, mais aussi des ciels plus lumineux. Sachons apprécier les lumières qui apparaissent et rendent le monde meilleur. Bienvenue à la « Chan Zuckerberg Initiative ».

 

J H

 

(1)            « Mark Zuckerberg, symbole d’une nouvelle génération de philanthropes ». Sur le site du « Monde », propos recueillis par Morgane Tual auprès d’Antoine Vaccario, président du Centre d’étude et de recherche sur la philanthropie. Un éclairage bien informé et inscrivant le phénomène dans sa dimension historique et culturelle. http://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/12/03/mark-zuckerberg-symbole-d-une-nouvelle-generation-de-philanthropes_4823502_4408996.html

(2)            « Qui est Priscilla Chan, l’épouse de Mark Zuckerberg ? » : http://www.lexpress.fr/styles/vip/qui-est-priscilla-chan-l-epouse-de-mark-zuckerberg_1741830.html

(3)            « A letter to our daughter » : https://www.facebook.com/notes/mark-zuckerberg/a-letter-to-our-daughter/10153375081581634

(4)            Sur ce blog :  « Une révolution en éducation. L’impact d’internet pour un nouveau paradigme en éducation » : https://vivreetesperer.com/?p=1565  « Sugata Mitra : un avenir pédagogique prometteur à partir d’une expérience d’autoapprentissage d’enfants indiens en contact avec un ordinateur » : https://vivreetesperer.com/?p=2165