La vie est un cadeau

Admirer, m’émerveiller, adorer c’est gratuit !

 

Propos d’Odile Hassenforder

dans son livre : Sa présence dans ma vie.

 

Dans son livre : « Sa présence dans ma vie ? », (1) Odile Hassenforder nous rapporte une dynamique de vie qu’elle puise en Dieu et qui la porte jusque dans l’épreuve de la maladie. Dans ce mouvement, elle reçoit  la vie comme un don, un cadeau. Et elle entre naturellement dans une attitude d’émerveillement et d’adoration. C’est une attitude profondément ancrée dans les différents moments de la vie quotidienne, comme celui-ci marqué par une grande fragilité.

 

« Je me sentais si bien hier. Pourquoi ce vague à l’âme au réveil ce matin ? Un retour de bâton ? Je me sens vide, pas d’envie, pas d’énergie, inutile… Je sens, par expérience, qu’il n’est pas bon de ruminer ainsi.

 

Du fond de mon lit, je regarde par la fenêtre le ciel, l’arbre qui gigote, et ma pensée s’envole vers des souvenirs. Des paysages défilent à toute allure avec des sensations de plaisir. Que c’est beau ! Que c’est bon ! Le créateur me donne cela gratuitement. C’est gratuit, oui, gratuit. C’est pour moi. Je n’ai qu’à prendre. Et ce don, ce cadeau vient humecter mon cœur comme une douce pluie bienfaisante dans mon désert.

 

Une sensation de contentement m’envahit. Je respire doucement, profondément avec délice… Le balancier de mon cœur se débloque et trouve peu à peu le mouvement calme et régulier du rythme de mon cœur. J’accueille cette paix imprégnée de sécurité, une joie d’exister reliée au créateur m’est donnée.

 

Que c’est bon d’exister pour admirer, m’émerveiller, adorer ! C’est gratuit. Je n’ai qu’à recevoir, en profiter sans culpabilité sans besoin de me justifier. (Justifier quoi ? de vivre ?)

 

D’un sentiment de reconnaissance, jaillit une louange joyeuse, une adoration au créateur de l’univers dont je fais partie, au Dieu qui veut le bonheur de ses créatures. Alors mon « ego » n’est plus au centre de ma vie. Il tient tout simplement sa place relié à un « tout », sans prétention ( Psaume 131). Je respire le courant de la vie qui me traverse et poursuit son chemin.

 

Comme il est écrit dans un psaume : « Cette journée est pour moi un sujet de joie… Une joie pleine en ta présence, un plaisir éternel auprès de toi, mon Dieu… Louez l’Eternel car il est bon. Son amour est infini. » (Psaume 16.118..)

 

La vie est vraiment trop belle pour être triste. Alleluia ! »

 

Odile Hassenforder

 

(1)            Hassenforder (Odile). Sa présence dans ma vie . Parcours spirituel. Empreinte, 2011. Le texte ci-dessus est paru dans ce livre : p. 179-180. Rédigé par Odile dans les derniers mois précédant son départ de la vie terrestre, il a également été mis en ligne très tôt, en mars 2009, sur le site : relation-aide.com http://www.relation-aide.com/forum/viewtopic.php?t=4285&view=previous&sid=86e477ecc0372fe31b050dbbb5864aae . Une présentation de « Sa présence dans ma vie » sur le site de Témoins : http://www.temoins.com/evenements-et-actualites/sa-presence-dans-ma-vie.html. On trouvera sur ce blog plusieurs textes présentant la pensée d’Odile : https://vivreetesperer.com/?tag=odile-hassenforder

 

« Nous, on n’est pas des intellos »

La traversée en voiture de la grande banlieue parisienne nous a préparées peu à peu au changement de paysage culturel dont nous faisons l’expérience en approchant du collège où nous devons intervenir.  Arrivées en avance, nous avons le temps de faire une halte dans un petit café tout proche. Pas une femme à l’intérieur. Nous amadouons le patron en lui disant que nous  venons prendre un réconfort avant d’attaquer notre tâche délicate dans le collège voisin : il nous fait apporter deux  tasses de café,  déposées sur le comptoir à côté d’un tronc marqué « Pour l’entretien de la mosquée ». « Vous êtes enseignantes ? », nous demande-t-il – Non, nous animons des séances d’éducation à la paix – Ah mesdames, il faut venir nombreuses, » répond-il, une expression soudainement triste sur le visage, «  ici on est dépassé par nos jeunes ! »

 

Quelques instants plus tard Marie Lou et moi traversons la cour du collège, surplombée par des barres d’immeubles où logent la plupart des élèves avec leur famille. Trois jeunes garçons, d’une douzaine d’années, nous sont amenés par l’éducatrice spécialisée. Nous sommes bientôt rejoints par Myriam, qui fait aussi partie du groupe, mais qui finissait juste de tresser les cheveux d’une amie !

 

Nous sommes conduits dans une salle accueillante, de taille réduite, réservée au travail de l’éducatrice qui, dans le cadre d’un Dispositif Nouvelle Chance agréé par l’Education nationale, accompagne des petits groupes d’élèves ayant décroché, pour motifs divers, de la scolarité courante.

Depuis quelques mois deux d’entre nous, engagées avec le programme Education à la paix, viennent une fois par semaine  pour contribuer à ce processus, avec nos propres activités.

Nous consacrons trois heures d’affilée à quatre de ces jeunes, différents d’une fois sur l’autre.

En début de séance, nous nous présentons puis nous invitons les enfants à visionner une courte vidéo, intitulée Caméra café, qui se veut drôle mais induit des situations de tensions entre les protagonistes de l’histoire. Nous remettons ensuite à chacun le texte imprimé du scénario pour le relire ensemble, ayant distribué les rôles. Nous constatons chez les jeunes de réels talents d’interprétation. Ils seront prompts, ensuite, à identifier les situations qui génèrent sentiments de violence ou d’injustice.

 

On en vient à parler de la vie au collège. Les jeunes nous font vite sentir qu’il y a un grand décalage entre les idées de notre programme et ce qu’ils vivent ici. Myriam prend respectueusement la parole ; elle s’exprime dans un français qui m’impressionne pour une fillette de onze ans « en difficulté scolaire » : « Vous savez, la plupart des jeunes ici n’ont pas ce langage que vous tenez. D’ailleurs c’est pas bien d’être ici, nous dit-elle, il y a beaucoup de grossièreté. Et puis, il n’y a pas de solidarité. » « Oui, ajoute un garçon, sur le mur d’entrée on voit liberté égalité fraternité, mais ici on vit pas ça. Et pour se défendre il faut savoir se battre. » Marie Lou acquiesce à l’idée qu’il faut se défendre, que c’est important, mais se défendre veut-il dire nécessairement frapper ?  « On  se voit pas faisant autrement, Madame, sinon on se ferait traiter de tapettes. Et puis il y a les grands frères qui s’en mêlent quelques fois. » Marie Lou demande : « Est-ce que vous êtes contents que ça marche comme ça ici, qu’on ne crée des relations que par la peur, et que ça devienne une habitude ? » Silence. « Vous voudriez d’un monde où c’est partout comme ça ? – Ben non bien sûr … –  Et bien, reprend Marie Lou, je vous assure que pour régler des conflits, il faut être hyper créatifs, hyper intelligents. – Oui mais justement nous on n’est pas vraiment … intelligents. – Qu’est ce que c’est être intelligent ? – C’est … être des intellos. » Et Myriam de nous expliquer que, par exemple, elle n’a pas de bons résultats scolaires. Marie Lou rétorque qu’il y a bien d’autres signes d’intelligence que les résultats scolaires.

 

Et nos quatre jeunes en seront bien la preuve. Lors d’une séquence de l’animation, une trentaine de photos, représentant des situations ou des objets les plus divers, seront étalées sous leurs yeux. Il leur sera demandé d’en choisir en silence deux chacun : une représentant un objet ou une situation qu’ils aiment, la seconde au contraire quelque chose qui leur déplait.

Les deux choix de Myriam et Kevin seront les mêmes, mais pour des raisons opposées ! Une photo représente quatre vieilles femmes parlant ensemble sur un banc au soleil : Myriam aime cette photo qui lui fait penser à ses conversations avec sa grand-mère, au Maroc. Cette grand-mère qui dit à sa petite fille que même si elle n’aime pas l’école, elle a de la chance d’apprendre à lire et écrire. « J’aime parler avec les vieilles personnes, on apprend toujours des choses intéressantes », insiste Myriam malgré les moqueries de ses camarades que cette scène de vieillards révulse franchement. Ce n’est pas pour rien que Kevin l’a choisie comme le dernier endroit où il voudrait être. « C’est vrai que quelquefois les vieux disent des choses pas intéressantes, dit Myriam, mais ça m’est égal, et dans ce cas là je m’endors à côté d’eux, je me sens en sécurité. »  Quant à la scène des amoureux, c’est celle-là qui la révulse : « C’est dégoûtant, c’est violent, j’aurais honte qu’un membre de ma famille me voit dans cette position !  – Ouais, tu dis ça, mais dans quelques années tu changeras d’avis »,  s’esclaffent les garçons. Et d’ailleurs Kevin ne cache pas du tout que lui rêverait de vivre déjà une histoire amoureuse, c’est pour cela qu’il a choisi cette photo comme sa préférée ! Les choix des autres jeunes seront aussi des occasions d’échanges animés,  les images interpellant vivement leurs imaginaires et leur univers émotionnel.

 

La fin de la séance approche. On distribue à chacun une feuille de papier qui préfigure une lettre qu’il va s’écrire à lui-même. Celle-ci sera ensuite glissée dans une enveloppe sur laquelle sera inscrite l’adresse de l’auteur. Dans un mois nous expédierons les lettres.  Marie Lou va d’un garçon à l’autre pour les aider à entrer dans le jeu. La démarche est prise au sérieux. Chacun se concentre dans son coin. Quant à Myriam, elle me confie qu’elle n’est « pas bonne à l’écrit » et me demande si je peux écrire ce qu’elle va me dire. « Mais c’est personnel, c’est secret », lui dis-je. « Je n’ai rien à cacher », rétorque la fillette.  Puis elle regarde droit devant elle et après un petit silence me dicte les réponses qu’elle veut donner aux trois questions pré imprimées sur sa feuille : Chère Myriam,  …     Voilà ce que tu as retenu de l’animation à laquelle tu as participé le … juin au collège : (Réponse de Myriam)  ce que je pense de moi-même est plus important que ce que les autres pensent de moi. Je peux régler mes problèmes autrement que par la bagarre.

Voici ce que tu aimerais voir changer dans le collège : (Réponse de Myriam) qu’il y ait moins de grossièreté, plus de respect et que les gens arrêtent d’avoir des préjugés les uns sur les autres d’après les vêtements qu’on porte ou comme on parle.

Voici ce que tu es prête à faire pour aider les choses à changer : (Réponse de Myriam) plutôt que de taper, je parlerai avec les autres pour comprendre la cause du problème. Je serai plus coopérante pour les aider  Je ferai comme je sens qui est bien au fond de moi et qui m’apporte la paix. Je devrais être plus concentrée en classe. »

 

Pardon Myriam de divulguer ainsi tes pensées : j’ai changé ton nom pour préserver  l’anonymat. J’ai  une grande excuse : faire savoir que dans des milieux difficiles grandissent des enfants comme toi qui ont plein de pépites au fond du cœur et dont l’intelligence vibre déjà très fort à l’interpellation de valeurs qui ne sont pas celles du milieu ambiant. Ton répondant  à notre animation justifie tous les efforts entrepris pour mettre au point des programmes d’éducation à la paix dans tous les milieux. Et il constitue un grand message d’espoir!

 

Nathalie CHAVANNE

 

 

Le Programme Education à la Paix, est un des programmes portés par l’Association Initiatives et Changement.

Il met au point des espaces structurés de réflexion et d’expression, où, dans des contextes divers, les jeunes peuvent développer leurs compétences sociales en faveur d’un meilleur vivre ensemble et d’une ouverture à l’initiative citoyenne.

 

Programme : Education à la paix

Dialoguer, apprendre à vivre ensemble, agir en citoyen.

7 bis, rue des Acacias

92130 Issy-les-Moulineaux

http://www.fr.iofc.org/

Travailler dans les nouvelles technologies. Un itinéraire professionnel fondé sur la justice.

Susciter un espace de collaboration dans une entreprise hiérarchisée.

Ingénieur, Faubert travaille depuis quinze ans dans une entreprise de nouvelle technologie.

Quelles sont les caractéristiques de ce milieu professionnel ? « Tout d’abord, c’est un secteur en mouvement, en l’espèce la technologie de l’information. Comment pouvoir accéder à un contenu sous toutes les formes possibles ? Il y a différents médias. On doit pouvoir accéder aux contenus dans ces différents supports : téléphone mobile, télévision connectée, Ipad, PC portable, voiture connectée, maison connectée…

Pour répondre à ce besoin, nous devons développer de nouvelles technologies. Cela requiert de nouveaux types de compétences et nécessite une veille permanente sur les innovations. Le cycle de renouvellement de ces différents supports est assez bref. Dans ce domaine, la concurrence mondiale est très forte. Le mouvement est constant et rapide ».

Comment Faubert a-t-il commencé à travailler dans ce secteur d’activité ?

« J’étais passionné par les technologies. J’ai reçu une proposition pour un travail dans le domaine des technologies de l’information.

J’avais des idées claires sur les tendances des marchés. Mais tout était nouveau pour moi dans le métier où je m’engageais. Je découvrais qu’il y avait des contraintes industrielles qui limitaient ma capacité d’approfondissement. Passant du monde de la recherche au monde industriel, je ressentais des limitations et une certaine frustration. C’est un monde où on apprend différemment.

Et d’autre part, je découvrais l’importance des relations sociales : avec mes collègues, avec mes supérieurs, avec d’autres partenaires industriels ? C’est un éco système complexe. J’ai commencé à réaliser la distinction entre savoir-faire et savoir-être. Dans un secteur où les relations ont une grande importance, le savoir- être est très important.

Dans son travail, Faubert a vécu une expérience concernant l’organisation du travail. Il a pu jouer un rôle innovant.

« J’ai constaté que la structure des entreprises françaises est très hiérarchisée. En France, ceux qui dirigent, viennent de formations prestigieuses : Polytechnique, Normale Sup, ENA, HEC… Beaucoup d’entre eux n’ont pas cheminé comme la majorité des travailleurs. Ils ont peu d’expérience de terrain : une certaine durée dans le temps pour intégrer la réalité professionnelle. Certains paraissent parachutés. Beaucoup d’entre eux ont le sentiment de tout savoir puisqu’ils sont les meilleurs. Pour eux, être intelligent, c’est réfléchir rapidement et trouver très vite des solutions. Mais si cela peut valoir dans les études, dans le monde professionnel, la réalité est différente. Car, dans cette réalité, les relations sociales sont très importantes. Dans ce système,  tout vient d’en haut. Et il y a une sorte de mimétisme par lequel ce modèle se propage à tous les niveaux. Une évolution commence à se manifester. En marge de ce système dominant,apparaissent de nouvelles formes d’entreprise où le management est moins hiérarchisé : Google, Facebook… »

Comment faire évoluer la manière de travailler dans ce contexte très hiérarchisé ?

« A l’époque, accédant à une rôle de manager , j’espérais peser dans les décisions et pouvoir diriger librement mon équipe. J’ai été confronté rapidement à la réalité de ma direction et dans ce contexte, j’ai ressenti que j’étais seulement le porte-parole de celle-ci. J’avais très peu de marge de manœuvre. Aussi, j’étais déçu dans l’exercice de ma nouvelle fonction. En parallèle, je souhaitais quand même ouvrir  un espace de liberté au sein de mon équipe.

J’ai agi en conséquence. J’ai formé un noyau de trois personnes pendant deux ou trois ans aussi bien sur le métier et sur le savoir-être. Je les ai aidé à bien comprendre le cycle de développement d’un produit. D’autre part, j’ai développé une relation confiante entre ce noyau et moi. J’ai voulu leur permettre d’avoir un sens critique. Qu’ils puissent me confier ce qui n’allait pas dans le service : cela pouvait être en rapport avec moi, avec l’équipe ou avec l’entreprise. C’était aussi leur donner la possibilité de faire des propositions et d’en parler ensemble. Pour moi, ce qui était important, c’est que chacun puisse s’exprimer. Certes, les propositions n’étaient pas toujours retenues, mais les choix, qui étaient faits en tenant compte des contraintes de l’entreprise, étaient expliqués. L’équipe a grandi dans ce mode de relation et cela a engendré un sens de la responsabilité beaucoup plus grand chez mes collègues, et parallèlement une vraie autonomie.

Cette période a été enthousiasmante, mais très difficile. Je voyais le fruit de ce travail de formation, mais je subissais de fortes pressions de ma  direction. On m’imposait des décisions qui ne correspondaient pas à la réalité. Je devais m’adapter, essayer de trouver un compromis entre ces décisions imposées d’en haut et la réalité de l’équipe. Il n’y avait pas de possibilité de retourner un feedback vers la direction. Cela suscitait chez moi de la souffrance. Cela m’épuisait ».

Après cette période de recherche et d’innovation sociale, comment la situation a-t-elle évolué ?

« Tout simplement, il y a eu des résultats très positifs au sein de mon équipe qui ont permis à la direction de me donner plus d’autonomie. La direction a perçu une très forte implication de mon équipe. Petit à petit, j’ai gagné une marge de liberté. J’avais réussi à ce que mon équipe soit motivée et responsable. Cela se voyait à l’extérieur. Nous réalisions une activité beaucoup plus grande en volume et en qualité que celle qui advenait dans d’autres groupes de l’entreprise.

Plus on avançait dans le temps, plus l’ensemble de l’équipe prenait des responsabilités. Ce n’était plus seulement le noyau qui était particulièrement actif. Tous les collègues étaient également impliqués. Pour que cela se passe, il fallait partager l’information. Chaque collègue était informé sur l’ensemble des activités et des projets. Dans cette période de transition, le noyau a perdu son privilège, mais, en même temps, son périmètre s’est étendu, car les responsabilités de ses membres se sont accrues, par exemple à travers des délégations. Une confiance réciproque s’est instaurée.

Récemment, il y a eu un changement de direction dans mon entreprise. Le nouveau directeur a essayé de comprendre les manières de fonctionner. A ce moment là, il m’a fallu constamment expliquer, convaincre pour qu’il se fasse sa propre opinion. Dans ce travail d’explication, mon équipe a été en première ligne. L’aventure se poursuit ».

Où Faubert a-t-il puisé la force d’aller ainsi à contre-courant pour réaliser cet espace de liberté et ce climat de confiance ?

« Dans tout cet itinéraire, j’ai été inspiré par des valeurs chrétiennes. Face à la pression que j’ai rencontrée, face à la nécessité de gérer ce grand écart, j’avais le choix entre deux attitudes : soit démissionner, soit poursuivre l’approche que j’avais engagée. Au fond de moi-même, j’étais convaincu que l’approche, que j’avais adoptée, était juste, mais, à ce moment là, je ne pouvais pas l’expliciter. Je savais simplement au fond de moi-même que, dans les difficultés, je pouvais beaucoup apprendre et également grandir. En parallèle, j’ai senti en moi une force pour supporter les grandes pressions auxquelles j’étais confronté. Je subissais de grands stress avec quelques conséquences physiques, mais j’avais la force de continuer mon œuvre. S’il y avait ainsi en moi cette force de continuer, c’est parce que je pensais que le travail que je réalisais, était juste. Cette pensée me donnait de la force. Quand je repense aujourd’hui à cette période qui a duré plusieurs années, je me dis : comment ai-je pu faire ? Je me rend compte que Dieu a agi en moi et m’a transformé en me permettant de m’affirmer, par exemple en étant capable de dire non, le cas échéant.

J’ai vu les fruits de mon travail dans le développement d’un climat de confiance au sein de mon équipe. Aujourd’hui, je suis en meilleure position par rapport à la direction pour pouvoir faire passer des messages. M’exprimant en vérité, je me sens de plus en plus en paix.

Contribution de Faubert.

Un chemin de guérison pour l’humanité. La fin d’un monde. L’aube d’une renaissance.

La guérison du monde, selon Frédéric Lenoir.

 

            La crise économique sème le trouble et l’inquiétude. Elle perturbe et endommage la vie de beaucoup de gens. Mais nous nous rendons compte qu’elle s’inscrit dans un désordre plus général : le bouleversement des équilibres naturels. Et, d’autre part, nous percevons combien la société et la culture changent rapidement. Nous sommes engagés dans une grande mutation. Pour avancer, nous avons besoin d’y voir plus clair, de comprendre l’évolution en cours, d’en percevoir les enjeux, et, pour cela, de faire appel à des personnalités qui puissent nous apporter une analyse et parfois davantage : une vision.

Dans cette recherche, le récent livre de Frédéric Lenoir : « La guérison du monde » (1) nous apporte un éclairage particulièrement utile qui rejoint et confirme d’autres contributions que nous avons précédemment mises en évidence et qui apporte aussi des éléments nouveaux venant prendre place dans le puzzle de notre questionnement. Bien écrit, pédagogique dans son déroulement et son exposition, remarquablement informé, ce livre intervient en complément d’autres analyses économiques ou sociologiques pour apporter un éclairage sur les voies nouvelles qui s’ouvrent à la conscience humaine dans l’évolution de la culture, de la spiritualité, de la religion. Ce livre, très accessible mais aussi très dense, ne se prête pas facilement à une présentation synthétique. En envisageant de mettre par la suite en perspective tel ou tel aspect de cette réflexion, nous voulons ici présenter l’économie générale de cet ouvrage pour en souligner l’importance et la fécondité.

Tout d’abord, quelle est l’intention de Frédéric Lenoir ? A juste raison, il voit dans la crise actuelle, « un symptôme de déséquilibres beaucoup plus profonds » (p 11). Et, en particulier, il fait allusion à la crise écologique qui est une donnée fondamentale. Nous avons besoin d’une vue d’ensemble. « Il convient de considérer le monde pour ce qu’il est : un organisme complexe et qui, plus est, atteint de nombreux maux. La crise que nous traversons est systémique. Elle « fait système » et il est impossible d’isoler les problèmes les uns des autres ou d’en ignorer les causes profondes et intriquées. Pour guérir le monde, il faut donc tout à la fois connaître la véritable nature de son mal et pointer les ressources dont nous disposons pour le surmonter… » (p 12).

 

La fin d’un monde.

 

Le livre s’ordonne ainsi en deux grandes parties : « La fin d’un monde ; l’aube d’une renaissance ».

La première partie propose un diagnostic de la maladie qui affecte notre monde : secteur par secteur, mais aussi de manière transversale en essayant de comprendre ce qui relie toutes les crises sectorielles entre elles » (p 12).

L’auteur évoque ensuite les grandes transformations en cours et l’impact qu’elles ont sur les représentations et les comportements. Il inscrit la mutation actuelle  dans une histoire de longue durée qui lui permet d’en souligner l’originalité. « L’accélération du temps vécu et le rétrécissement de l’espace qui en résulte constituent deux paramètres, parmi d’autres, d’une mutation anthropologique et sociale, aussi importante à mes yeux  que le passage, il y a environ douze  mille ans, du paléolithique au néolithique, quand l’être humain a quitté un mode de vie nomade pour se sédentariser… » (p 13). C’est à partir de ce tournant que se sont constitués les cités, les royaumes, les civilisations. Mais les modèles sociaux  hérités de cette révolution du néolithique apparaissent aujourd’hui  comme destructeurs : « coupure de l’homme et de la nature, domination de l’homme sur la femme, absolutisation des cultures et des religions ».

Les trois premiers chapitres dressent un bilan de la situation actuelle en résultante des changements récents ou plus lointains : « Des bouleversements inédits ; un nouveau tournant axial de l’histoire humaine ; les symptômes d’un monde malade ». Dans un quatrième chapitre, Frédéric Lenoir nous invite à changer de logique : « La fuite en avant est impossible. Le retour en arrière est illusoire ». L’auteur en appelle à une « révolution de la conscience humaine » dont il perçoit actuellement les prémices. « Sans un changement de soi, aucun changement du monde ne sera possible. Sans une révolution de la conscience de chacun, aucune révolution globale n’est à espérer. La modernité a mis l’individu au centre de tout. C’est donc aujourd’hui sur lui, plus que sur les institutions et les superstructures, que repose l’enjeu de la guérison du monde. Comme Gandhi l’a si bien exprimé : « Soyez le changement que vous voulez dans le monde » (p 15).

 

L’aube d’une renaissance.

 

Comment susciter des transformations sensibles dans le monde d’aujourd’hui ? Frédéric Lenoir met d’abord en évidence des « voies et expériences de guérison ».

 

Voies et expériences de guérison.

 

« Le processus de guérison du monde a un caractère holistique prononcé. Il inclut la guérison de notre planète meurtrie, celle de notre humanité malade d’injustices de toutes sortes. Elle englobe aussi la guérison de notre être, de notre personne. C’est dans l’articulation entre ces trois guérisons que nous pourrons mieux saisir les perspectives écologiques, sociales et intimes de ce que certains auteurs appellent le « réenchantement du monde », ou plutôt, selon Frédéric Lenoir, le « réenchantement de notre relation au monde » (p 119).

L’auteur nous présente des expériences significatives au service de la terre (La « démocratie de la terre » de Vandana Shiva ; la « ferme de Sekem » d’Ibrahim Abouleish ou l’agroécologie de Pierre Rabbi…) et d’autres au service de l’humanité (monnaies complémentaires et alternatives ; commerce équitable/alter eco ; finance solidaire/Muhammed Yunus et Maria Nowak ; taxe Tobin ; vitalité de la société civile mondiale ; Patrick Viveret et les dialogues en humanité ; voie non violente de Nelson Mandela et de Desmond Tutu ; diplomatie de la paix de la communauté de Sant’Egidio).

Frédéric Lenoir esquisse ensuite une présentation des pratiques et des courants de pensée qui se décrivent en terme de développement personnel en caractérisant celui-ci comme une « dynamique de sens (sur le plan des significations de la vie) et une dynamique de l’existence (sur le plan de la mise en cohérence) ». En quelques pages particulièrement bien venues, il aborde les problèmes thérapeutiques. « Aujourd’hui, la médecine occidentale prend en charge les symptômes et s’interdit de remonter aux causes premières. « L’homme se guérit comme l’automobile se répare, mais l’homme n’est pas une machine… » (p 160). En regard, Frédéric Lenoir nous présente deux itinéraires exemplaires de médecins qui sont allés au delà de leur compétence scientifique classique pour adopter une approche holistique de la maladie et de la guérison : David Servan-Schreiber et Thierry Janssen. Il met en valeur un recours croissant aux médecines complémentaires et aux médecines orientales. « Trois aspects me semblent importants dans cette optique : un regard holistique posé sur la personne ; une participation de la personne à son propre processus de guérison ; une ouverture résolue au pluralisme culturel » (p 165).

 

Une redécouverte des valeurs universelles.

 

« Aucune communauté humaine n’est viable sans un solide consensus sur un certain nombre de valeurs partagées. C’est aussi vrai d’un couple, que d’un clan, d’un parti, d’une nation ou d’une civilisation… Comme son nom l’indique, une valeur exprime « ce qui vaut ». Les valeurs manifestent donc ce qui est essentiel et non négociables chez un individu ou un groupe d’individus » (p 170). Dans son unification actuelle, l’humanité a besoin de pouvoir s’appuyer sur des valeurs communes.  Et il nous faut d’autre part compenser les méfaits d’une « occidentalisation du monde dominée par une logique mécaniste et financière » (p 169). « Il s’agit donc de construire ensemble une civilisation globale fondée sur d’autres valeurs que la seule logique marchande. Une des tâches les plus importantes à mes yeux, pour donner un fondement solide à cette nouvelle civilisation planétaire, consiste donc à reformuler des valeurs universelles à travers un dialogue des cultures » ( p 169).

Dans un chapitre sur « la redécouverte des valeurs universelles », Frédéric Lenoir apporte une belle contribution à cette entreprise. Ainsi, se démarquant d’un relativisme assez répandu, l’auteur nous dit avoir pu « observer à travers les grandes civilisations humaines la permanence ou la rémanence de certaines valeurs fondamentales ». Il en relève six : « la vérité, la justice, le respect, la liberté, l’amour, et la beauté » et il nous décrit comment ces valeurs sont perçues et vécues dans les principales cultures du monde.

Ces passages, qui s’appuient sur la vaste culture de leur auteur, sont particulièrement riches de sens et apprennent beaucoup. Cependant, Frédéric Lenoir évite le piège de l’unanimisme. Il met également en évidence les différences entre les cultures. « Les valeurs ne sont pas formulées de la même façon selon les cultures et les différences sont tout aussi importantes à souligner que les convergences. La hiérarchie entre les valeurs n’est pas non plus la même dans les différentes aires de civilisation » (p 171). Ainsi « la problématique de la liberté est particulière, car elle est le principal vecteur de la modernité. Avec l’émergence en Europe, à partir du XVIIè siècle, du « sujet autonome », c’est toute une conception des libertés individuelles qui va submerger l’Occident et donner naissance aux droits de l’homme comme principes universels » ( p 191).

Après avoir évoqué la conception traditionnelle de la liberté au sein des différentes cultures, l’auteur revient à l’affirmation massive de la liberté dans l’aire occidentale. C’est sous l’angle de l’autonomie du Sujet, de l’émancipation de l’individu à l’égard du groupe, du refus le l’arbitraire que s’est développée la thématique de la liberté en Occident » (p 201). Cette dynamique rencontre des oppositions ou des réserves dans d’autres aires culturelles qui attachent davantage d’importance au groupe, à la communauté, à la tradition. En analysant la « Déclaration universelle des droits de l’homme » rédigée en 1948 sous l’égide de l’Unesco, Frédéric Lenoir note qu’elle dépasse le cadre le la liberté pour mettre en avant d’autres valeurs comme la justice, le respect, la fraternité. « Ce lien entre liberté, égalité et fraternité est capital, car la principale critique que l’on peut adresser à l’Occident moderne, c’est d’avoir oublié l’idéal de fraternité en se concentrant aussi exclusivement tantôt sur les questions d’égalité, tantôt sur les libertés individuelles ».   (p 226). « Ce n’est pas l’individualisme contemporain qui peut être posé en modèle de civilisation » (p 233). Et, dans une perspective plus large, « ce qui pourrait contribuer à débloquer l’opposition radicale entre tradition et modernité, c’est une compréhension plus large de la liberté incluant sa dimension holistique et spirituelle et une « rejonction » entre liberté et fraternité » (p 229). L’auteur esquisse une réflexion en ce domaine en mettant en valeur l’humanisme de la Renaissance qui était profondément enraciné dans une vision spirituelle. « Dans la vision humaniste de la Renaissance, l’individu ne peut s’exprimer pleinement en tant qu’homme, réaliser son potentiel personnel que s’il demeure relié au cosmos et aux êtres humains » (p 232). De fait, cette approche s’inscrit dans une conception du monde qui a été ébranlée par la suite. Aujourd’hui, face aux effets destructeurs d’une certaine approche idéologique, la question de la représentation du monde est à nouveau posée.

 

Réenchanter le monde

 

            Frédéric Lenoir aborde cette question dans un chapitre intitulé : « Réenchantement du monde ». Ici, depuis longtemps, notre réflexion rejoint la sienne et nous pensons y revenir d’une manière plus approfondie. Ce thème nous paraît central, car avec l’auteur, nous pensons que « l’une des clés qui peut nous aider à entrevoir l’explication de la crise socio-anthropologique et écologique planétaire est la différence qui existe dans notre rapport au monde entre la conception « mécaniste » et la conception « organique » que nous en avons » (p 239).

Qu’est ce que la conception mécaniste et quelles en sont les conséquences ? « La vision mécaniste ne se contente pas de considérer toutes les réalités comme objectivables… Elle affirme que cette entreprise d’objectivation, autrement dit de quantification, cette mise en équation, est la seule voie permettant d’accéder aux significations de la réalité ». Mais cette méthode, issue notamment de la pensée de René Descartes, « offre une vision philosophique bien réductrice du réel. L’univers devient un champ de forces et de mouvements relevant de la mécanique et l’être humain se réduit à l’individualisme utilitaire… » (p 240). La plupart des problèmes évoqués dans ce livre résultent d’une vision mécaniste du monde et de son application dans les différents champs de l’activité humaine. Ainsi, « la crise environnementale en est l’expression la plus frappante. On a oublié que la Terre est un organisme vivant, reposant sur des équilibres extrêmement subtils que l’on a violenté à des fins productivistes… Dans le domaine médical, l’attrait de plus en plus marqué pour les approches orientales et complémentaires n’illustre-t-il pas l’impasse d’un certain réductionnisme qui tend à réduire la personne malade à une machine corporelle déréglée avec ses pannes à réparer et ses pièces à changer… Et la crise religieuse planétaire que l’on observe n’est-elle pas elle-même le symptôme de l’essor du réductionnisme dans la compréhension du sacré, du rituel et du spirituel… » (p 240).

 

Face à la conception mécaniste, philosophie dominante en Occident depuis deux siècles, « il existe un grand courant philosophique transversal, des grecs aux romantiques en Occident, en passant par l’Inde, la Chine, le bouddhisme, le chamanisme, la mystique juive et musulmane qui offre un tout autre regard sur le réel » (p 241). Pour ce courant de pensée, auquel adhère Frédéric Lenoir, « la réalité n’est pas une machine, elle est essentiellement un organisme » (p 241). L’auteur décline les formes successives dans lesquelles le courant de pensée organique s’est manifesté.

Ainsi décrit-il la « sympathie universelle » selon laquelle « le monde qui nous entoure est pénétré en tous ses lieux par un principe de cohésion, de mouvement et de vie », conception répandue dans la sagesse de l’antiquité gréco-romaine, mais aussi dans d’autres sagesses : indiennes, chinoises, africaines, amérindiennes (p 240-243).

Puis, face à la logique mécanique qui s’est développée en Occident, à la fin du XVIIIè siècle, un vaste courant philosophique et artistique visant à renouer avec une conception organique de la nature : le Romantisme, est apparu. Dans cette mouvance, la « Naturphilosophie » est la science des romantiques allemands, une manifestation de l’alternative au scientisme. On y évoque « l’Ame du monde » (l’« anima mundi » des Anciens). C’est un concept qui permet de dépasser le dualisme cartésien entre objet et sujet, transcendance et immanence. « Il fait aussi écho, dans un nouveau contexte, à la présence divine (Shekina) dans le judaïsme et aux énergies divines dans le christianisme… » (p 246). Dans la même approche, le « transcendantalisme » américain (H D Thoreau, R W Emerson, W Whitman) articule le plus souvent quête spirituelle, vision cosmique et humanisme. La  contre culture américaine des années 60 ira puiser dans ces ressources, ainsi que dans la culture de l’Orient.

 

Plus récemment, mais depuis plusieurs décennies, des transformations interviennent au cœur même de la science.

« La science et le regard philosophique qui l’accompagne ont été totalement bouleversé au cours du XXè siècle, rendant caduque la vision réductionniste et mécaniste du réel » (p 253). L’émergence, entre le dernier tiers du XIXè et le premier tiers du XXè siècle, des géométries non euclidiennes, des relativités restreintes et générales, de la mécanique quantique, de la thermodynamique du non-linéaire, des mathématiques non standard, etc, a conduit à un changement majeur touchant la plupart des grandes disciplines. Il a abouti à la déconstruction de l’appareil conceptuel de la science moderne hérité du paradigme mécaniste et réductionniste cartésien » (p 255). La révolution intervenue en physique à la suite de l’apparition et du développement de la mécanique quantique entraîne une révolution conceptuelle qui transforme notre conception du monde et se manifeste en termes philosophiques. Elle encourage la « trandisciplinarité ». Frédéric Lenoir expose comment les pensées ont cheminé et se sont rencontrées.

 

Se transformer soi-même pour changer le monde.

Cet ouvrage se conclut par un chapitre : « Se transformer soimême pour changer le monde ». Cette affirmation est explicite et compréhensible. Frédéric Lenoir nous fait part de sa conviction en l’accompagnant d’une argumentation convaincante : « C’est quand la pensée, le cœur, les attitudes auront changés que le monde changera » (p 268). Et il dénonce « trois poisons » qui intoxiquent littéralement l’esprit humain.  « Ces poisons ne sont pas nés de la modernité ; Ils ont toujours été à l’origine des problèmes auxquels ont du faire face les sociétés humaines. Cependant, le contexte de l’hyper-modernité et de la globalisation les rend encore plus virulents, plus destructeurs. Bientôt peut-être annihilateurs. Ces trois poisons sont la convoitise, le découragement qui débouche sur l’indifférence passive, et la peur » (p 269). En réponse, trois sous-chapitres : De la convoitise à la sobriété heureuse ; du découragement à l’engagement ; de la peur à l’amour.

Puisque l’affirmation de l’individu est au cœur de la société moderne, on peut s’interroger sur la manière dont elle s’exerce. Frédéric Lenoir nous montre une évolution dans la manifestation de l’autonomie en distinguant trois phases successives : l’individu émancipé, l’individu narcissique et l’individu global. « Dans cette dernière phase, nous assistons depuis une quinzaine d’années à la naissance d’une troisième révolution individualiste ». Différents mouvements convergents qui témoignent d’« un formidable besoin de sens : besoin de redonner du sens à la vie commune à travers un regain des grands idéaux collectifs, besoin de donner du sens à sa vie personnelle à travers un travail sur soi et un questionnement existentiel. Les deux quêtes apparaissent souvent intimement liées » (p 289). Frédéric Lenoir appelle à un nécessaire rééquilibrage : « De l’extériorité à l’intériorité. Du cerveau gauche au cerveau droit. Du masculin au féminin ».

 

Frédéric Lenoir envisage la guérison du monde comme « un processus dans lequel il faut résolument s’engager pour inverser la pente actuelle qui nous conduit au désastre ». « Un chemin long et exigeant, mais réaliste. Il suffit de le savoir, de le vouloir et de se mettre en route, chacun à son niveau. Tel est l’objectif de ce livre : montrer qu’un autre état du monde est envisageable, que les logiques mortifères qui dominent encore ne sont pas inéluctables, qu’un chemin de guérison est possible » (p 306).

 

Commentaire.

 

En ouvrant ce livre, je savais la qualité de son auteur, mais je ne m’attendais pas à y trouver une synthèse aussi accomplie sur les caractéristiques de la crise du monde actuel et un ensemble de voies pour y remédier. Dans les analyses comme dans les propositions, mes pensées se sont croisées avec celles de l’auteur en les rejoignant souvent. Et par ailleurs, il y a également une proximité entre les sources bibliographiques auxquelles il se réfère et celles que je fréquente et mentionne souvent, avec des différences parfois en fonction de la spécificité de chaque itinéraire. Et par exemple, dans le rapprochement entre science et spiritualité, j’apprécie l’œuvre pionnière de Jean Staune qui s’exprime notamment dans une remarquable synthèse : « Notre existence a-t-elle un sens ? » (2). Ou bien, j’aime évoquer l’œuvre qui s’est accomplie en faveur de la paix et de la réconciliation au Centre de Caux en Suisse et qui se poursuit aujourd’hui à l’échelle internationale dans l’association : « Initiatives et changement » dans un esprit associant changement personnel et action collective : « Changer soi-même pour que le monde change » (3).

Comme le récent livre de Jean-Claude Guillebaud : « Une autre vie est possible » (4) que j’ai particulièrement apprécié et dont le déroulé et le contenu me paraissent assez proche du livre de Frédéric Lenoir,  celui-ci s’adresse à un vaste public très divers dans ses options philosophiques et religieuses. Dans ce commentaire, j’interviendrai donc sur un registre plus spécifique en rapport avec ma conviction chrétienne.

A mon sens, ce livre interpelle une partie du monde chrétien qui, d’une façon ou d’une autre s’est accommodé de la conception mécaniste,  dont Frédéric Lenoir fait mention. Les sociologues américains évoquent parfois cette conception en terme de « moderne ». Ainsi, pendant longtemps, des églises ont été largement réfractaires à la pensée écologique. Et d’autre part, la conception « mécaniste » peut s’allier également à une méfiance vis à vis des cultures orientales pour aboutir à un rejet de la conception organique dans certaines de ses manifestations comme les médecines holistiques. La lecture du livre de Frédéric Lenoir  contribue à la compréhension de certains blocages. Et, par exemple, dans les origines de ceux-ci, il n’y a pas seulement les craintes du présent, mais aussi l’héritage d’un passé fort ancien. Ainsi les propos de Frédéric Lenoir sur les séquelles de la culture du néolithique : forte hiérarchisation et domination de l’homme sur la femme, éclaire les pesanteurs de certaines organisations ecclésiales. C’est dire qu’une réflexion théologique est indispensable pour éclairer les représentations et permettre leur évolution.

Les maux qui affectent l’humanité sont anciens, mais aujourd’hui, on a conscience que le monde est menacé. Dans une perspective chrétienne inspirée par une théologie de l’espérance, la guérison du monde s’inscrit dans l’œuvre d’un Dieu créateur et sauveur qui, à partir de la victoire du Christ sur le mal, à partir de sa résurrection, a engagé un processus vers la réalisation d’une seconde création où Dieu sera tout en tous.  Nous sommes appelés à reconnaître cette œuvre et à y participer.

La réponse théologique à nombre de problèmes évoqués par Frédéric Lenoir se trouve, pour moi, dans l’œuvre de Jürgen Moltmann (5), un grand théologien qui nous présente un Dieu relationnel à la fois transcendant et immanent, et qui, considérant l’œuvre de l’Esprit de Dieu, « l’Esprit qui donne la vie » (6) a pu écrire « un traité écologique de la création » (7). Et, de même, dans la foulée de la pensée prophétique juive et de la dynamique de la résurrection du Christ, auteur d’une théologie de l’espérance, Moltmann nous invite à regarder en avant, accueillant ainsi le processus de la guérison du monde.

J’ai mis l’accent, à plusieurs reprises, sur l’importance de la contribution de Frédéric Lenoir. Les convergences dans nos orientations de recherche s’expriment notamment dans un certain nombre d’articles publiés sur la toile (8). Ce livre : « La guérison du monde » nous apporte une pensée originale et dynamique, appuyée sur des sources bibliographiques fiables, présentée avec beaucoup de pédagogie et en des termes accessibles à un vaste public . C’est dire que ce livre me paraît un outil particulièrement utile pour la réflexion sur le monde d’aujourd’hui et le rôle que nous pouvons jouer dans « un chemin de guérison ».

 

J H

 

(1)               Lenoir (Frédéric). La guérison du monde. Fayard, 2012. Frédéric Lenoir, docteur en sciences sociales, philosophe et écrivain, auteur de nombreux livres, est directeur du «Monde des religions ».  On trouvera un aperçu de son parcours sur wikipedia. http://fr.wikipedia.org/wiki/Frédéric_Lenoir

(2)               Staune (Jean). Notre existence a-t-elle un sens ? Une enquête scientifique et philosophique. Presses de la Renaissance, 2007.  Voir : http://www.temoins.com/culture/notre-existence-a-t-elle-un-sens.html

(3)               Initiatives et changement. Réconcilier les différences. Créer la confiance. Site : http://www.fr.iofc.org/

(4)               Guillebaud (Jean-Claude). Une autre vie est possible. Comment retrouver l’espérance ? L’iconoclaste, 2012. Mise en perspective : https://vivreetesperer.com/?p=937

(5)               Mise en perspective de la vie et de la pensée de Jürgen Moltmann s’après son autobiographie :  Moltmann (Jürgen). A broad place. SCM Press, 2007 http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=695   La pensée théologique de Jürgen Moltmann est présentée sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » http://www.lespritquidonnelavie.com/

(6)               Moltmann (Jürgen). L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999

(7)               Moltmann (Jürgen). Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1988. Une présentation : « Dieu dans la création » http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=766

(8)               Quelques mises en perspective en rapport avec le thème de ce livre : « La vie spirituelle comme une « conscience relationnelle ». Une recherche de David Hay sur la spiritualité d’aujourd’hui » http://www.temoins.com/etudes/la-vie-spirituelle-comme-une-conscience-relationnelle-.-une-recherche-de-david-hay-sur-la-spiritualite-aujourd-hui.html                      « La dynamique de la conscience et de l’esprit humain. Un nouvel horizon scientifique d’après le livre de Mario Beauregard : « Brain wars » http://www.temoins.com/etudes/la-dynamique-de-la-conscience-et-de-l-esprit-humain.-un-nouvel-horizon-scientifique.-d-apres-le-livre-de-mario-beauregard-brain-wars.html  « Quel regard sur la société et sur le monde ? Le retour de la solidarité en sciences humaines » https://vivreetesperer.com/?p=191 « Vers une civilisation de l’empathie. A propos du livre de Jérémie Rifkin : apports, questionnements et enjeux » http://www.temoins.com/etudes/vers-une-civilisation-de-l-empathie.-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkin.apports-questionnements-et-enjeux.html  « La bonté humaine. Est-ce possible ? La recherche et l’engagement de Jacques Lecomte » https://vivreetesperer.com/?p=674  « Les créatifs culturels. Un courant émergent dans la société française » http://www.temoins.com/enqu-tes/les-creatifs-culturels-.-un-courant-emergent-dans-la-societe-francaise.html   « Une nouvelle manière d’être et de connaître. La révolution internet d’après Michel Serres : « Petite Poucette » https://vivreetesperer.com/?p=820  « Vers une nouvelle médecine du corps et de l’esprit. Guérir autrement. D’après Thierry Janssen : « La solution intérieure » http://www.temoins.com/developpement-personnel/vers-une-nouvelle-medecine-du-corps-et-de-l-esprit.guerir-autrement.html  « Médecine d’avenir. Médecine d’espoir. « La médecine personnalisée » d’après Jean-Claude Lapraz » https://vivreetesperer.com/?p=475  « L’invention du monde. Approche géographique de la mondialisation par Jacques Lévy » http://www.temoins.com/etudes/linvention-du-monde/toutes-les-pages.html  « Vers une modernité métisse. « Le commencement du monde » selon Jean-Claude Guillebaud » http://www.temoins.com/societe/vers-une-modernite-metisse-le-commencement-d-un-monde-selon-jean-claude-guillebaud.html   « La crise religieuse des années 60. Quel processus pour quel horizon, d’après l’historien : Hugh McLeod » http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=766 « Quel horizon pour la foi chrétienne ? « The future of faith » par Harvey Cox » http://www.temoins.com/publications/quel-horizon-pour-la-foi-chretienne-the-future-of-faith-par-harvey-cox.html  « La montée d’une nouvelle conscience spirituelle. D’après le livre de Diana Butler Bass : « Christianity after religion »  http://www.temoins.com/etudes/la-montee-d-une-nouvelle-conscience-spirituelle.-d-apres-le-livre-de-diana-butler-bass-christianity-after-religion.html  « Vivre en harmonie avec la nature. Ecologie, théologie, spiritualité, d’après Jürgen Moltmann » https://vivreetesperer.com/?p=757   « L’avenir de Dieu pour l’humanité et pour la terre d’après Jürgen Moltmann : « Sun of rigteousness, arise ! God’s future for humanity and the earth »  http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=798

Venir en aide aux adultes vulnérables. La protection des personnes majeures

D’un emploi salarié dans les prestations de presse à un métier dans la protection des personnes.

Au long des années, Pierre-Henri Chaix en est venu à s’intéresser de plus en plus à la condition des personnes adultes en difficulté.

Professionnellement, pendant vingt-cinq ans, il a travaillé dans le domaine de la presse et de l’édition, et, dans ces dernières années, à la réalisation de revues de presse numériques. Parallèlement, Pierre-Henri est très actif dans la communauté chrétienne locale, et là, il anime un groupe d’hommes pour la plupart isolés. Il suit également un groupe de personnes qui, présentent un handicap mental. Progressivement, Pierre-Henri s’est intéressé à la question des personnes vulnérables. Et, pour celles avec qui il est en contact, il les a accompagnées parfois chez leurs tuteurs.

On estime aujourd’hui aux alentours d’un million, le nombre de personnes sous protection judiciaire, qui, pour la moitié, sont prises en charge par des tuteurs ou curateurs appartenant à la famille, et, pour l’autre moitié, par des mandataires qui peuvent être, soit des associations, soit des personnes déléguées dans des établissements de santé (hôpitaux, maisons de retraite), soit des mandataires privés. L’encadrement juridique des personnes majeures vulnérables a été remanié par la loi de 2007. Cette loi a mis l’accent sur la protection des personnes alors que les lois antérieures étaient plutôt centrées sur la gestion des biens. « La loi française avant 2007 parlait d’incapables. La nouvelle loi parle d’adultes majeurs protégés » ».

La loi prévoit qu’on puisse mettre en place une mesure de protection judiciaire lorsqu’une personne n’est plus en mesure d’exprimer sa volonté ou de la mettre en oeuvre conformément à ses intérêts.

« Par exemple, Clémentine, qui a vingt-neuf ans, réside dans une maison d’accueil spécialisée et elle a un handicap qui l’empêche de s’exprimer oralement. N’étant pas en mesure de travailler, elle perçoit une allocation d’adulte handicapé et bénéficie d’une aide au logement qui lui permettent d’assurer la prise en charge des frais de résidence spécialisée. La justice l’a placée sous tutelle auprès d’une association.

Pierre, qui a quatre-vingt ans, souffre de la maladie d’Alzheimer avec actuellement une dégradation des capacités cognitives.  Au stade actuel, son épouse doit prévoir pour lui une situation d’hébergement spécialisé qui l’oblige à vendre sa maison pour faire face au coût. La réalisation de cette vente requiert une mise sous protection judiciaire qui, en l’espèce, sera confiée à l’épouse ».

Pierre-Henri était en transition sur le plan professionnel suite à un licenciement douloureux. Il a commencé à évaluer le marché du travail salarié pour se rendre compte rapidement à quarante-neuf ans de la quasi-impossibilité de retrouver un emploi comparable à celui qu’il avait auparavant : directeur de département. Assez vite, il a acquis la conviction qu’il fallait qu’il se mette à son compte. Assez spontanément, il a cherché à trouver une activité dans son domaine de compétence : la presse, mais cela n’a pas abouti dans des conditions raisonnables. Il a donc bifurqué vers la gestion de patrimoine, mais ces contacts professionnels l’entraînaient vers le grand ouest parisien, très loin de son environnement local. Dans un souci de trouver un bon équilibre sur le plan personnel et sur le plan économique, Pierre-Henri s’est concentré sur ses domaines de compétence. Et naturellement, à partir de l’expérience qu’il avait dans le domaine de l’accompagnement de personnes en difficulté, il a décidé d’en faire son métier. Il a suivi en conséquence une formation professionnelle de mandataire judiciaire à la protection des majeurs. Il a eu aussi l’occasion de pratiquer le métier dans un hôpital psychiatrique pendant trois mois. « C’est un métier extrêmement prenant parce qu’on est souvent dans une logique d’urgence. Et d’autre part, c’est un métier passionnant parce qu’on est confronté à des personnes très diverses qui affrontent des problèmes très variés. Il y a dans ce métier un défi constant, que j’ai toujours apprécié dans le personnage de Zorro ( !), et on est constamment sur la brèche pour débrouiller des situations inextricables ». Pierre-Henri vient d’obtenir la certification professionnelle de mandataire judiciaire pour la protection des majeurs (MJPM) et met en place son activité professionnelle.

Dans cette profession, le rapport humain est essentiel. « L’écoute est fondamentale. Dans ce domaine, il y a une interaction très forte avec les pathologies. Par exemple, je me suis occupé d’une personne d’une quarantaine d’années qui, de fait, mentait tout le temps, et, pour autant, il fallait quand même arriver à savoir quelles étaient ses aspirations. J’ai déjà évoqué Clémentine qui n’est pas capable de parler, mais, avec de la pratique et de l’expérience, on arrive à comprendre ce qu’elle souhaite et à lui permettre de participer aux décisions qui la concernent. Il est également absolument essentiel, et c’est d’ailleurs devenu une obligation dans la loi de 2007, d’obtenir l’adhésion des personnes,  de leur communiquer toutes les informations dès lors qu ‘elles peuvent les recevoir et de les faire participer à leurs mesures de protection ».

Sur le plan économique, ces métiers ne sont pas très rémunérateurs, mais, pour Pierre-Henri, il trouve là une voie qui correspond à ses aspirations. Il a très mal vécu ses dernières années en qualité de salarié, aussi lorsqu’il évoque son nouveau travail, un mot lui vient à l’esprit : « Libéré ! », malgré les difficultés économiques à surmonter.

Contribution de Pierre-Henri Chaix

Reconnaître la présence de Dieu à travers l’expérience

L’éclairage apporté par la pensée théologique de Jürgen Moltmann.

 

L’expérience se définit, dans les termes du dictionnaire Petit Robert comme « le fait d’éprouver quelque chose ». Ainsi, à travers la perception et le ressenti que comporte l’expérience, nous nous ouvrons à une réalité qui se présente à nous. Au delà des perceptions sensibles de la vie courante qui n’attirent pas l’attention, l’expérience ressort dans la vie de la conscience et elle contribue à son élargissement. Notre vie est ponctuée et marquée par des expériences dont certaines ont un grand impact dans notre manière de voir et de sentir. Ce sont là des expériences fondamentales, des expériences spirituelles.

 

Si nous croyons « qu’en Dieu, nous avons la vie, le mouvement et l’être » (Actes 7.27), alors nous pensons que ce Dieu là est proche de nous et se manifeste à travers notre expérience. Cependant, la reconnaissance de la présence de Dieu dépend, pour une part, de nos représentations. Si, au départ, en fonctions des idées reçues, nous ne croyons pas en la réalité de Dieu, alors nous aurons plus de mal à reconnaître sa présence. De même, cette reconnaissance requiert une ouverture, un désir de notre part, et ce désir lui-même est conditionné par notre état d’âme, mais aussi par la représentation que nous avons de Dieu. Si, dans un registre socio-culturel ou psychologique, nous avons peur de Dieu, évidemment nous ne chercherons pas à reconnaître sa présence, et même nous ferons barrage. C’est dire le mal causé par certaines formes religieuses qui communiquent l’image d’un Dieu plus ou moins redoutable. Quelle différence si nous croyons que Dieu est bonté et amour (1 Jean 16) !

 

Quelles représentations théologiques ?

 

Mais d’une façon moins criante, les obstacles peuvent venir également de certaines représentations théologiques. Aussi, suivons nous ici le fil conducteur que nous apporte Jürgen Moltmann dans son livre : « L’Esprit qui donne la vie » (1).

Certains théologiens, nous explique-t-il, ont affirmé « une discontinuité entre l’Esprit de Dieu et l’esprit de l’homme » (p 22). Dieu leur apparaît si grand, si puissant qu’il est hors de portée et se manifeste à distance. Par exemple, Karl Barth appelle l’Esprit Saint : « l’Esprit de la promesse, parce qu’il place l’homme  dans l’attente du « Tout Autre », de Celui dont, pour cette raison, il n’est jamais possible de faire l’expérience » (p 29). Mais, comme écrit Moltmann, pourquoi opposer la révélation de Dieu à des hommes et l’expérience de Dieu faite par des hommes ? « Comment un homme pourrait-il parler de Dieu, si Dieu ne se révèle pas ? Comment pourrait-il parler d’un Dieu dont il n’existe aucune expérience humaine ? » (p 22). La réalité, c’est « l’immanence de Dieu dans l’expérience humaine et la transcendance de l’homme en Dieu ». « Parce que l’Esprit de Dieu est en l’homme, l’esprit de l’homme, dans son autotranscendance, est orienté vers Dieu » (p 24). La Bible ne rapporte-t-elle pas des expériences humaines qui manifestent l’œuvre de Dieu et à travers lesquelles Dieu nous parle ?

Et, par ailleurs, on observe dans l’histoire la prétention des « religieux » à restreindre l’œuvre de l’Esprit à ce qui relève de leur univers. « Dans la théologie et la piété protestante comme dans la théologie et la piété catholique, il existe une tendance à concevoir l’Esprit Saint uniquement comme l’Esprit de la rédemption dont le lieu est l’Eglise et qui donne aux hommes la certitude de la béatitude éternelle de leurs âmes. Cet Esprit sauveur est mis à l’écart de la vie corporelle comme de la vie naturelle » (p 25). Ainsi dans un ouvrage jadis consacré à l’Esprit Saint par le grand théologien, Yves Congar, la présentation de l’Esprit créateur et de l’Esprit de recréation de toutes choses est presque totalement absente » (p 26). C’est méconnaître que l’Esprit n’est pas seulement l’Esprit de la rédemption, mais aussi l’Esprit de la création, constamment à l’œuvre dans celle-ci.

Et, comme le souligne un autre théologien, William R. Davies (2), l’Esprit de Dieu est sans limite (« Spirit without measure »). Il est à l’œuvre dans tous les hommes et ne se laisse pas enfermer dans des catégories.

Comme l’écrit Moltmann, « Les hommes ne font pas l’expérience de l’Esprit, de façon extérieure seulement dans leur communauté ecclésiale, mais aussi de façon intérieure, dans l’expérience qu’ils font d’eux mêmes, à savoir dans le fait que « l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint » (Romains 5.5). Cette expérience de l’Esprit, beaucoup de personnes l’expriment par ces simples mots : « Dieu m’aime ». Dans cette expérience de Dieu, elles font l’expérience de leur propre dignité, indestructible, inaliénable de sorte qu’elles peuvent se remettre debout… » (p 18). De nombreux témoignages rapportent  ce vécu. (3)

 

Un éclairage théologique sur l’expérience spirituelle.

 

Moltmann nous propose une théologie de l’expérience qui échappe à l’emprise des spécialistes et se situe en résonance avec le vécu de tous. « En parlant d’expérience de l’Esprit, j’entends par là une perception de Dieu, dans, avec et sous l’expérience de la vie qui nous donne la certitude de la communion de l’amitié et de l’amour de Dieu » (p 37).

 

C’est une vision très ouverte. « L’expérience de l’Esprit de Dieu n’est pas limitée à l’expérience de soi du sujet humain », telle qu’on peut parfois l’envisager dans une polarisation sur la destinée de notre âme. (p 130-131). « Elle est aussi un élément constitutif dans l’expérience du Tu, dans l’expérience communautaire et dans l’expérience de la nature ». La conscience d’une présence transcendante se fonde sur « la possibilité de reconnaître Dieu en toutes choses et toutes choses en Dieu, à travers la compréhension de l’Esprit de Dieu comme puissance de la création et comme source de vie… « C’est le souffle de Dieu qui m’a fait, l’inspiration du Puissant qui me fait vivre » dit Job (Job 33.4) (p 60). Ainsi, toute expérience qui nous advient ou que nous faisons, peut avoir une face intérieure transcendante. Jürgen Moltmann met en évidence une unité de l’agir de Dieu dans la création, la rédemption et la sanctification de toutes choses » (p 21). C’est là une vision globale : « L’expérience de la puissance de la résurrection  et la relation à cette puissance divine ne conduisent pas à une spiritualité qui exclut les sens, qui est tournée vers l’intérieur, hostile au corps et séparée du monde, mais à une vitalité nouvelle de l’amour de la vie » (p 17).

 

A une époque où on reconnaît l’importance majeure de l’expérience dans la vie spirituelle (4), la vision de Jürgen Moltmann est particulièrement éclairante. L’homme a besoin à la fois d’exprimer et de comprendre ces expériences. « Ces expériences sont tributaires des représentations et des concepts à l’aide desquelles nous cherchons à les saisir, car des expériences non comprises sont comme des expériences qu’on n’aurait pas faites ». Et de même, « sans expression adéquate, une expérience reste en quelque sorte bloquée en l’homme » (p 39). « Les expériences sans expression sont aveugles. Des expressions sans expérience sont vides. C’est dans l’expression que réside la puissance créatrice de la vie » (p 40).

 

         Dans la communion de l’Esprit, nous pouvons percevoir la présence de Dieu sur des registres différents et dans une grande variété de situations. C’est bien dans cet esprit que l’expérience tient une grande place sur ce blog.

 

J H

 

(1)            Moltmann (Jürgen). L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999. La pensée de Moltmann est présentée sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » http://www.lespritquidonnelavie.com/ On y trouvera un article sur le thème de l’expérience : « Vivre l’expérience de la présence de Dieu » http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=864

(2)            Davies (William R). Spirit without measure. Charismatic faith and practice. Darton, Longman and Todd, 1996. Sur le site de Témoins : « Une ouverture pour le courant charismatique » http://www.temoins.com/reflexions/une-ouverture-theologique-pour-le-courant-charismatique/toutes-les-pages.html

(3)            Parmi d’autres, le témoignage d’Odile Hassenforder dans son livre : « Sa présence dans ma vie » rapporte combien elle a été marquée par le ressenti de l’amour de Dieu accompagnant la réception de sa guérison. On pourra lire sur ce blog un récit de sa guérison. https://vivreetesperer.com/?p=746

(4)            Cette importance de l’expérience dans la vie spirituelle est mise en valeur par David Hay dans son livre : « Something there » : Hay (David). Something there. Darton, Longman, Todd, 2006. Sur ce blog : « Expériences de plénitude » https://vivreetesperer.com/?p=231. Des livres récents : « The future of faith », par Harvey Cox, et « Christianity after religion », par Diana Butler Bass, mettent l’accent sur le développement d’une foi expérientielle. http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=864