par jean | Nov 3, 2021 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Vision et sens |
Lâenfant spirituel
Par Lisa Miller
Comment envisageons-nous la spiritualitĂ© ? Quâest-ce quâune dĂ©marche spirituelle ? Comment la spiritualitĂ© peut-elle inspirer lâĂ©ducation ? Comment les parents peuvent-ils reconnaĂźtre les aspirations spirituelles de leurs enfants et de leurs adolescents et leurs mouvements en ce sens ? En quoi la vie spirituelle des enfants et des adolescents contribue Ă leur permettre dâaccĂ©der Ă une vie plus pleine et plus saine ? Est-ce que la recherche scientifique nous apporte des donnĂ©es sur cette rĂ©alitĂ© ? Et, trĂšs concrĂštement, dans ce domaine complexe, quel Ă©clairage peut-on apporter aux parents pour quâils puissent comprendre lâimportance de cette dimension et encourager leurs enfants et leurs adolescents ?
La chercheuse amĂ©ricaine en psychologie, Lisa Miller vient de publier un livre sur le cerveau Ă©veillĂ©Â : « The awakened brain » qui nous montre le rĂŽle important de la spiritualitĂ© dans la vie des adultes et le fonctionnement du cerveau. Nous avons prĂ©sentĂ© cet ouvrage (1). Mais quelques annĂ©es auparavant, en 2105, Lisa Miller avait  publiĂ© un autre livre sur lâenfant spirituel : « The spiritual child. The new science on parenting for health and lifelong striving » (2). Le sous-titre prĂ©cise lâintention de lâouvrage. Il nâexpose pas seulement la nature spirituelle de lâenfant. Il apporte une vision nouvelle Ă mĂȘme dâĂ©clairer les parents en les conseillant dans leurs pratiques dâĂ©ducation. Nous prĂ©sentons ici briĂšvement cet ouvrage dont la richesse exigerait une trĂšs longue description. Nous pourrons donc y revenir par la suite.
Quâest ce que la spiritualitĂ©Â ?
Comme les manifestations de la spiritualitĂ© sont lâobjet des recherches de Lisa Miller, celle-ci a Ă©tĂ© amenĂ©e Ă dĂ©finir ce quâelle entendait par spiritualitĂ©. « La recherche montre une claire diffĂ©rence entre la stricte adhĂ©sion Ă une religion particuliĂšre et une spiritualitĂ© personnelle. Cette spiritualitĂ© personnelle est entendue comme « un sens intĂ©rieur dâune relation vivante avec une puissance supĂ©rieure (Dieu, la nature, lâesprit, lâunivers, ou , quelque soit le mot, une force de vie ultime, aimante, et guidante » (p 6-7). Dans une autre recherche menĂ©e en Angleterre et rapportĂ©e dans un livre : « Something there » (3), David Hay, accompagnĂ© par Rebecca Nye, Ă©tait arrivĂ© Ă la dĂ©finition suivante : une « conscience relationnelle ». « Les analyses de conversations avec les enfants montraient comme ils se sentaient reliĂ©s Ă la nature, aux autres personnes, Ă eux-mĂȘmes et Ă Dieu ».
Lisa Miller prĂ©cise ainsi sa pensĂ©e : « Tandis que les religions organisĂ©es peuvent effectivement jouer un rĂŽle dans le dĂ©veloppement spirituel, le moteur premier qui suscite la spiritualitĂ© naturelle, est une facultĂ© innĂ©e, biologique et en dĂ©veloppement : dâabord une facultĂ© innĂ©e pour une connection transcendante, puis un Ă©lan de dĂ©veloppement pour rendre sienne cette connection, et, en consĂ©quence, une relation personnelle profonde avec le transcendant Ă travers la nature, Dieu, ou la force universelle » (p 9).
Une recherche scientifique
Lisa Miller se prĂ©sente comme psychologue clinique, directrice de la clinique de psychologie clinique de lâuniversitĂ© Columbia. Dans son laboratoire, elle a conduit de multiples recherches et publiĂ© de nombreux articles validĂ©s scientifiquement sur le dĂ©veloppement spirituel des enfants, des adolescents et des familles (p 1). Devenue une personnalitĂ© majeure dans le champ en pleine expansion du rapport entre psychologie, spiritualitĂ© et santĂ© mentale, elle a jouĂ© un rĂŽle pionnier dans ce domaine. En effet, il y a deux dĂ©cennies, comme chercheuse centrĂ©e sur la spiritualitĂ© et la santĂ©, elle rencontrait un Ă©norme scepticisme et un vĂ©ritable rejet. « Au dĂ©but du XXIĂš siĂšcle, dans les sciences sociales et mĂ©dicales, il existait encore une forte opposition envers la recherche sur la spiritualitĂ© et la religion, de fait, des concepts distincts dans mon esprit » (p 2) . Cependant, des recherches ont ouvert la voie et ce fut une avancĂ©e dĂ©cisive Ă travers « la comprĂ©hension de la science du cerveau et les dĂ©couvertes de lâimagerie cĂ©rĂ©brale, de longs entretiens avec des centaines dâenfants et de parents, des Ă©tudes de cas, et un riche matĂ©riel dâanecdotes » (p 2). Lisa Miller Ă©nonce les grandes idĂ©es nouvelles qui sâimposent aujourdâhui dans la psychologie : la psychologie positive, lâintelligence Ă©motionnelle.. Et elle y ajoute la reconnaissance scientifique dâune facultĂ© humaine : la spiritualitĂ© naturelle qui concerne tout particuliĂšrement lâĂ©ducation familiale.
Reconnaßtre la spiritualité des enfants
Lisa Miller parcourt le pays Ă la rencontre des parents pour les entretenir de sa recherche. Elle nous raconte combien de nombreux parents lui parlent alors de leurs enfants  : « des enfants qui prennent soin de leurs frĂšres et sĆurs plus petits ou de leurs grands-parents, qui parlent aux animaux ou chantent en priĂšre ». « Les enfants sont si spirituels », me disent-ils (p 1). Souvent, dans des moments de crise familiale, des enfants font preuve de sagesse et de comprĂ©hension. Comme chercheuse scientifique, je sais que la spiritualitĂ© de lâenfance est une vĂ©ritĂ© puissante qui est irrĂ©futable et cependant Ă©trangement absente de la culture dominante ». « Que les enfants soient « si spirituels », nâest pas simplement une anecdote ou une opinion, que ce soit la mienne ou celle dâun autre. Câest un fait scientifique Ă©tabli » (p 2).
La spiritualité, une faculté naturelle des enfants
« Biologiquement, nous sommes cablĂ©s pour une connection spirituelle. Le dĂ©veloppement spirituel est pour notre espĂšce, un impĂ©ratif biologique et psychologique depuis la naissance. Lâharmonisation spirituelle innĂ©e des jeunes enfants, Ă la diffĂ©rence dâautres lignes de dĂ©veloppement comme le langage et la cognition, commence entiĂšre et est mise en forme par la nature pour prĂ©parer lâenfance en vue des dĂ©cennies Ă venir, y compris le passage critique de lâadolescence » (p 3). Lisa Miller dĂ©crit ensuite lâĂ©volution du jeune enfant. « Dans la premiĂšre dĂ©cennie de sa vie, lâenfant avance Ă travers un processus dâintĂ©gration de sa « connaissance » spirituelle avec ses autres capacitĂ©s en dĂ©veloppement cognitif, physique, social, Ă©motionnel, tous ces dĂ©veloppements Ă©tant modelĂ©s Ă travers des interactions avec les parents, la famille, les pairs et la communauté » (p 3-4). Cependant, « si lâenfant manque de soutien et dâencouragement pour dĂ©velopper cette part de lui-mĂȘme, son branchement spirituel sâĂ©rode et en vient Ă se dĂ©sagrĂ©ger sous la pression dâune culture strictement matĂ©rielle » (p 4).
Convergence avec la recherche de Rebecca Nye sur la spiritualité des enfants
En 2009, une chercheuse anglais, Rebecca Nye a publiĂ© un livre : « Childrenâs spirituality. What it is and why it matters » (4) rapportant les conclusions de ses recherches avec David Hay. Rebecca Nye dĂ©crit ainsi la spiritualitĂ© des enfants : « La spiritualitĂ© des enfants est une capacitĂ© initialement naturelle pour une conscience de ce qui est sacrĂ© dans les expĂ©riences de vieâŠ. Dans lâenfance, la spiritualitĂ© porte particuliĂšrement sur le fait dâĂȘtre en relation, de rĂ©pondre Ă un appel, de se relier Ă plus que moi seul, câest Ă dire aux autres, Ă Dieu, Ă la crĂ©ation ou Ă un profond sens de lâĂȘtre intĂ©rieur (inner sense of being). Cette rencontre avec la transcendance peut advenir dans des moments ou des expĂ©riences spĂ©cifiques aussi bien quâĂ travers une activitĂ© imaginative ou rĂ©flexive ».
La recherche de Rebecca Nye converge avec celle de Lisa Miller : « la spiritualitĂ© des enfants est plus naturelle quâapprise. Peut-ĂȘtre, le terrain le plus fertile pour la spiritualitĂ© se situe dans lâenfance. La spiritualitĂ© de lâenfance se rĂ©percute sur lâĂąge adulte. La spiritualitĂ© est profondĂ©ment relationnelleâŠÂ ».
La spiritualitĂ©, un guide pour lâadolescence
Un dĂ©veloppement harmonieux de la spiritualitĂ©Â de lâenfant  va lui permettre de mieux affronter les difficultĂ©s de lâadolescence. « La conscience du dĂ©veloppement spirituel crĂ©e des opportunitĂ©s pour prĂ©parer les jeunes Ă un important travail intĂ©rieur dâintĂ©riorisation qui est nĂ©cessaire pour une individualisation, le dĂ©veloppement de lâidentitĂ©, une rĂ©silience Ă©motionnelle⊠et des relations saines. La spiritualitĂ© est un principe majeur dâorganisation de la vie intĂ©rieure dans la seconde dĂ©cennie de la vie, poussant les jeunes vers un Ăąge adulte porteur de sens, de projet, de conscience, dâaccomplissement » (p 3). En mĂȘme temps que les changements physiques et Ă©motionnels en cours dans lâadolescence, on y observe le surgissement dâun Ă©veil spirituel. Quelles rĂ©ponses les adultes apportent aux jeunes en ce domaine ? On sait par ailleurs les effets protecteurs dâune spiritualitĂ© harmonieuse par rapport Ă la dĂ©pression, aux conduites Ă risque et aux drogues.
Une vision nouvelle
Bien Ă©videmment, cette prĂ©sentation du livre de Lisa Miller nâest quâune premiĂšre esquisse . Dans ce livre de plus de 300 pages, Lisa Miller nous entraine dans la connaissance de ses dĂ©couvertes rĂ©volutionnaires qui appellent un ajustement ou un changement de notre regard sur lâenfance et sur lâadolescence et, en consĂ©quence, les exigences de celles-ci pour lâĂ©ducation parentale. En convergence avec les recherches engagĂ©es en Angleterre par David Hay et Rebecca Nye, Lisa Miller nous entraine dans la dĂ©couverte de la spiritualitĂ© comme une facultĂ© naturelle dont la prise en compte est particuliĂšrement cruciale pour lâenfance et pour lâadolescence. Câest une vision nouvelle dont nous savons bien quâelle doit encore se frayer un chemin, notamment en France. Cette vision nous concerne tous. « Nous pouvons laisser nos enfants nous toucher, nous changer en nous rappelant qui nous sommes rĂ©ellement. En tant que sociĂ©tĂ©, nous pouvons dĂ©velopper notre spiritualitĂ© collective en sachant que câest vraiment une rĂ©alitĂ© importante. En Ă©tant ouvert Ă ces idĂ©es, ces valeurs et en Ă©tant conscient de la maniĂšre dont nous les vivons, nous pouvons changer notre monde. Cela commence avec chaque enfant et son droit de naissance : lâenfant spirituel » (p 348). Câest « une culture de lâamour ». Ensemble, nous pouvons crĂ©er « une culture inspirĂ©e » (p 348).
J H
- Lisa Miller. The awakened brain. Random House, 2021 . Présentation : https://vivreetesperer.com/the-awakened-brain/
- Lisa Miller. The spiritual child. The new science on parenting for health and lifelong thriving. St Martinâs Press, 2015. 374p
- David Hay. Something there. The biology of the human spirit. Longman, Darton and Todd, 2006. PrĂ©sentation : « La vie spirituelle comme une conscience relationnelle. Une recherche de David Hay sur la spiritualitĂ© dâaujourdâhui » : https://www.temoins.com/la-vie-spirituelle-comme-une-l-conscience-relationnelle-r/
- Rebecca Nye. Childrenâs spirituality. What it is and why it matters. Church House publishing, 2009. Ce livre a Ă©tĂ© traduit et publiĂ© en français : Rebecca Nye. La spiritualitĂ© de lâenfant Empreinte, 2015. PrĂ©sentation : Lâenfant. Un ĂȘtre spirituel : https://vivreetesperer.com/lenfant-un-etre-spirituel/
par jean | Nov 2, 2019 | ARTICLES, Beauté et émerveillement, Emergence écologique |
« Un plan économique pour sauver la vie sur terre »
Selon Jeremy Rifkin
La menace du dĂ©rĂšglement climatique est aujourdâhui de plus en plus fortement ressentie. Elle engendre un grand dĂ©sarroi. En effet, le danger paraĂźt de plus en plus pressant. Alors la crainte commence Ă grandir. Lâhorizon se ferme. On envisage le pire. Câest le thĂšme de lâeffondrement. Sans aller jusquâĂ cette extrĂ©mitĂ©, lâavenir paraĂźt bien sombre. Cependant, lâalerte est donnĂ©e et les forces politiques, Ă©conomiques et sociales se mobilisent. Quel enjeu ! Le temps presse !.
Câest un problĂšme complexe. Pour lâaborder, il faut envisager lâĂ©volution de notre Ă©conomie dans son ensemble. Câest ainsi que procĂšde lâapproche de Jeremy Rifkin dans son nouveau livre : « Le New Deal Vert mondial » (1). Nous y voyons apparaitre une issue, un chemin.
Jeremy Rifkin nâest pas un inconnu (2). Câest un Ă©conomiste amĂ©ricain engagĂ© dans la prospective depuis trente ans. Ainsi est-il devenu un conseiller Ă©coutĂ© auprĂšs dâautoritĂ©s politiques ouvertes au changement. Il milite aux Etats-Unis. Il est entendu en Chine. Il est trĂšs prĂ©sent en Europe.
La troisiÚme révolution industrielle.
En 2012, il publie un livre intitulĂ© : « La TroisiĂšme RĂ©volution Industrielle » (3). A lâĂ©poque, on commence Ă sortir de la crise Ă©conomique qui a Ă©clatĂ© aux Etats-Unis et a bouleversĂ© lâĂ©conomie mondiale. Ce choc a entrainĂ© un grand dĂ©sarroi. Or, dans ce livre, Jeremy Rifkinnous apporte une vision dâensemble qui Ă©claire le phĂ©nomĂšne et ouvre un horizon. En nous y reportant, nous y voyons dĂ©jĂ une anticipation de la crise Ă©cologique actuelle et le dĂ©but dâune rĂ©ponse. En effet, Jeremy Rifkin analyse le phĂ©nomĂšne en terme de rĂ©volution industrielle. SuccĂ©dant Ă la grande Ă©mergence du XIXĂš siĂšcle, une seconde rĂ©volution industrielle apparaĂźt au XXĂš siĂšcle.
Dans la seconde moitiĂ© de ce siĂšcle, « la conjonction de lâĂ©lectricitĂ© centralisĂ©e, de lâĂšre du pĂ©trole, de lâautomobile et des banlieues pavillonnaires a dâabord suscitĂ© un grand essor Ă©conomique qui a pris fin dans les annĂ©es 80 ». Cet essor sâest ralenti. On sâest appuyĂ© alors sur lâĂ©pargne accumulĂ©e dans les dĂ©cennies prospĂšres et sur des pratiques de crĂ©dit facile. Cette ressource sâest Ă©puisĂ©e et la crise a Ă©clatĂ©. Cette crise est issue de la dĂ©cĂ©lĂ©ration de la deuxiĂšme rĂ©volution industrielle. PoussĂ© Ă lâexcĂšs, le mariage du pĂ©trole abondant et de lâautomobile a entrainĂ© une hausse du prix du pĂ©trole qui a provoquĂ© un effondrement financier.
A ce stade, Jeremy Rifkin peut ajouter : « La facture entropique des premiĂšre et deuxiĂšme rĂ©volutions industrielles arrive Ă Ă©chĂ©ance. Les consĂ©quences de la quantitĂ© de dioxyde de carbone envoyĂ©e dans lâatmosphĂšre terrestre se fait maintenant sentir et il en rĂ©sulte une grave menace de changement climatique ». Ainsi, dĂšs le dĂ©but de cette dĂ©cennie, lâauteur prĂ©voit la crise climatique qui sâaccĂ©lĂšre aujourdâhui. Et, ayant posĂ© le diagnostic, il commence Ă dessiner un avenir nouveau. « Au cours de mes investigations, jâai fini par comprendre que les grandes Ă©volutions Ă©conomiques de lâhistoire se produisent quand de nouvelles technologies de communication convergent avec de nouveaux systĂšmes dâĂ©nergie ». Or cette conjonction est en cours aujourdâhui. « Les technologies dâinternet et les Ă©nergies renouvelables sont en voie de fusionner pour crĂ©er une puissante infrastructure nouvelle, celle de la troisiĂšme rĂ©volution industrielle qui va changer le monde ». Ainsi aujourdâhui, le nouveau livre de Jeremy Rifkin nâapparait pas soudainement. Il prend la relĂšve dâune orientation dĂ©jĂ esquissĂ©e en accentuant la composante Ă©cologique.
Emergence dâune nouvelle Ă©conomie : une Ă©conomie verte numĂ©rique
« Les grandes transformations Ă©conomiques de lâhistoire ont un dĂ©nominateur commun. Elles reposent sur trois Ă©lĂ©ments dont chacun interagit avec lâautre pour que le systĂšme fonctionne comme un tout : un medium de communication, une source dâĂ©nergie, un mĂ©canisme de transport » (p 23). Il se forme ainsi une infrastructure commune. La nouvelle Ă©conomie du XXIĂš siĂšcle est en train dâĂ©merger. Câest « une Ă©conomie verte numĂ©rique ». Aujourdâhui, « la communication internet numĂ©rique converge avec lâĂ©nergie internet numĂ©rique renouvelable alimentĂ©e par une Ă©lectricitĂ© dâorigine solaire et Ă©olienne et lâinternet de mobilitĂ© et de logistique numĂ©rique composĂ© de vĂ©hicules autonomes Ă©lectriques Ă©quipĂ©s dâune pile Ă combustible, alimentĂ©e par une Ă©nergie verte, outre une plateforme IdO ( internet des objets) prĂ©sente dans le parc immobilier, commercial, rĂ©sidentiel et industriel, le tout Ă©tant destinĂ© Ă mĂ©tamorphoser lâĂ©conomie et la sociĂ©tĂ© du XXIĂš siĂšcle » (p 24).
Toutes les composantes se relient les unes avec les autres. Il en rĂ©sulte dâĂ©normes avantages Ă©conomiques. En appelant : « coĂ»t marginal de production », le coĂ»t de production dâune unitĂ© supplĂ©mentaire de biens ou de services, une fois que les frais fixes ont Ă©tĂ© absorbĂ©s (p 25), on va observer une baisse considĂ©rable de ces coĂ»ts. « Dans cette Ă©conomie verte numĂ©rique, le coĂ»t marginal de certains biens et services sera proche de zĂ©ro ce qui obligera Ă un changement radical du systĂšme capitaliste ». Lâauteur nous apporte de nombreux exemples. « la propriĂ©tĂ© cĂšde le pas Ă lâaccĂšs⊠Les marges de certains biens et de certains services sont tellement « proches de zĂ©ro » que les profits ne sont plus viables⊠Partout dans le monde, de plus en plus de gens produisent leur propre Ă©lectricitĂ© dâorigine solaire et Ă©olienne pour un usage hors rĂ©seau et/ou pour la vendre au rĂ©seau pour un coĂ»t marginal proche de zĂ©ro » (p 27).
De mĂȘme que les deux premiĂšres rĂ©volutions industrielles ont requis la mise en place de grandes infrastructures, il en va de mĂȘme pour la nouvelle Ă©conomie. Et cela vaut dans tous les secteurs : communication, Ă©nergie, transports. Dans le court terme, les deux ou trois prochaines dĂ©cennies, le travail va ĂȘtre considĂ©rable. Le dĂ©veloppement de ces infrastructures requiert un engagement des pouvoirs publics. « La mise en place de lâIdO â internet de la communication, internet de lâĂ©nergie, internet de la logistique – va donner naissance Ă une derniĂšre vague de travail qui durera une trentaine dâannĂ©es » (p 31). Par la suite, Ă moyen et long termes, une quantitĂ© croissante de jobs vont migrer du secteur du marchĂ© Ă lâĂ©conomie sociale et Ă lâĂ©conomie de partage (p 31). Le secteur non lucratif est dĂ©jĂ en forte croissance.
Victoire des Ă©nergies renouvelables et reflux du CO2
Dans un contexte oĂč la menace climatique se fait de plus en plus pressante, la question nâest pas seulement lâorientation suivie, mais la vitesse du processus. Or, sur ce point, Jeremy Rifkin nous apporte une bonne nouvelle, une nouvelle dĂ©cisive. Les Ă©nergies solaires et Ă©oliennes sont dĂ©sormais « meilleur marchĂ© que les raffineries Ă gaz, les centrales Ă charbon et les rĂ©acteurs nuclĂ©aires les plus efficaces » (p 162). Et cet avantage compĂ©titif va sâaccroitre rapidement. « La production dâĂ©nergie solaire et Ă©olienne suit une courbe de coĂ»t exponentielle nettement descendante, pas loin de la courbe exponentielle quâa rĂ©cemment connu lâindustrie informatique⊠En 1977, le coĂ»t fixe par watt des cellules photovoltaĂŻques par silicone utilisĂ©es pour les panneaux solaires Ă©taient Ă 76 dollars. Aujourdâhui, il a chutĂ© Ă moins de 50 centimes de dollarâŠÂ Lâimpact des ces Ă©nergies vertes est impressionnant » (p 69-70). Plus les Ă©nergies renouvelables seront moins couteuses, plus les investissements financiers vont se dĂ©tourner des Ă©nergies fossiles. Et les installations correspondant aux Ă©nergies traditionnelles vont se dĂ©valoriser. En perdant de leur valeur, elles deviennent des « actifs bloquĂ©s ». LâĂ©nergie nuclĂ©aire est elle aussi dĂ©passĂ©e (p 84).
« La rampe de sortie qui mĂšne dâun systĂšme fondĂ© sur les combustibles fossiles Ă un rĂ©seau fondĂ© sur le solaire et lâĂ©olien se manifeste quand ces derniers franchissent un cap de 14 Ă 16% de pĂ©nĂ©tration. Le cap a Ă©tĂ© franchi par lâUnion europĂ©enne en 2017 » (p 130). Nous approchons ainsi dâun mouvement de bascule. Et tout indique que ce mouvement va intervenir dans les prochaines annĂ©es. Ce sera un facteur majeur de rĂ©duction de CO2. Des analyses financiĂšres rĂ©centes montrent que lâeffondrement de la rĂ©volution industrielle fondĂ©e sur les combustibles fossiles est imminente. Il pourrait se produire entre 2023 et 2030 puisque ce sont des secteurs essentiels qui se sĂ©parent de ces combustibles et qui reposent de plus en plus sur des Ă©nergies moins onĂ©reuses, solaires, Ă©oliennes et autres Ă©nergies renouvelables et sur les technologies zĂ©ro carbone qui les accompagnent (p 17).
Dans la confrontation avec la dĂ©rĂ©gulation climatique, nous vivons une course contre la montre. Alors la vision du processus en cours nous encourage vivement. « Les forces du marchĂ© sont en train de venir Ă bout de la civilisation des Ă©nergies fossiles⊠Les principales filiĂšres de lâĂ©conomie – TIC/tĂ©lĂ©communications, internet, Ă©lectricitĂ©, transports, bĂątiment – abandonnent ces combustibles pour investir dans les Ă©nergies renouvelables et ouvrent la voie Ă lâĂ©mergence de la troisiĂšme rĂ©volution industrielle. Certaines Ă©tudes ont fixĂ© la date du point de bascule Ă 2023, dâautres Ă 2035. Si lâon compare les diffĂ©rents scĂ©narios et les diffĂ©rentes projections, lâinflexion devrait avoir lieu Ă mi-chemin et lâeffondrement de la civilisation des combustibles fossiles devrait se produire autour de 2028⊠En lâĂ©tat, les forces du marchĂ© sont plus puissantes que les manĆuvre des lobbies⊠Jâai toujours Ă©tĂ© critique vis Ă vis de certains aspects du capitalisme de marchĂ©. Sauf que, pour une fois, la disruption est elle que le marchĂ© fait figure dâange gardien de lâhumanité » (p 251). Mais cela ne suffira pas. « Construire une civilisation Ă©cologique Ă partir des cendres de la nĂŽtre est une entreprise collective qui implique de mobiliser le capital public, le capital de marchĂ© et le capital social Ă tous les niveaux de gouvernance Elle implique aussi la participation de tout le corps politique » (p 251).
Les forces agissantes pour une économie verte décarbonée
Non seulement JĂ©rĂ©my Rifkin nous montre un processus qui nous amĂšne Ă une rĂ©duction drastique de lâĂ©mission de CO2, mais il nous dĂ©crit les forces actuellement Ă lâĆuvre pour lâavĂšnement dâune nouvelle Ă©conomie. Si les autoritĂ©s politiques commencent Ă se mobiliser face Ă lâurgence de la menace climatique, on peut sâinquiĂ©ter de la lenteur de cette mobilisation, et pire du dĂ©ni de certains dirigeants comme le prĂ©sident actuel des Etats-Unis. Expert souvent consultĂ© Ă lâĂ©chelle mondiale, Jeremy Rifkin peut nous apporter un Ă©tat de la situation. Globalement, celle-ci nous paraĂźt meilleure quâescomptĂ©e. LâEurope est en marche. La Chine rĂ©agit avec puissance. Les Etats-Unis sont en retard, handicapĂ©s par un prĂ©sident dĂ©sastreux, mais en action vigoureuse dans certains Ă©tats et dans certaines villes. « Je sais, pour avoir conseillĂ© des dirigeants de lâUnion europĂ©enne et de la Chine, que ces deux gouvernements ont adoptĂ© des politiques comparables pour rĂ©agir au changement climatique. Ils savent quâils ont mission de sĂ©parer chaque filiĂšre et chaque industrie de lâinfrastructure de la derniĂšre rĂ©volution industrielle pour la rattacher Ă celle de la troisiĂšme rĂ©volution industrielle » (p 240). « LâUnion europĂ©enne est passĂ©e dâune longue liste de projets isolĂ©s Ă la volontĂ© explicite dâune transformation Ă©conomique et sociĂ©tale » (p 236). Et aujourdâhui, « la notion de civilisation Ă©cologique est au cĆur de la politique intĂ©rieure de la Chine » (p 242). « La Chine est dĂ©sormais le premier producteur de technologies solaires et Ă©oliennes efficaces et peu coĂ»teuses quâelle a commencĂ© Ă exporter dans le monde entier » (p 137).
Aux Etats-Unis, si le gouvernement fĂ©dĂ©ral est actuellement immobile, il y a des Ă©tats et des villes trĂšs dynamiques dans ce domaine. 29 Ă©tats ont adoptĂ© une lĂ©gislation nommĂ©e RPS (Renewable porfolio standards) qui veut quâun certain pourcentage dâĂ©lectricitĂ© soit issu dâĂ©nergies renouvelables. Certains gouverneurs sont en train de sâorganiser pour que 100%de lâĂ©lectricitĂ© soit issue de sources sans carbone (p 263). LâidĂ©e dâun New Deal vert gagne du terrain sur le plan politique.
Une nouvelle organisation politique
JĂ©remy Rifkin met lâaccent sur le rĂŽle dĂ©cisif du marchĂ© dans la chute des Ă©nergies fossiles et la montĂ©e des Ă©nergies renouvelables. Mais ensuite il y a nĂ©cessitĂ© de rĂ©aliser de nouvelles infrastructures dans tous les domaines, par exemple dans la circulation de lâĂ©nergie. Et, lĂ , les pouvoirs publics ont un rĂŽle majeur et spĂ©cifique Ă jouer. De mĂȘme que les Ă©nergies renouvelables se dĂ©veloppent et sont exploitĂ©es au niveau local, de mĂȘme, selon Jeremy Rifkin, la nouvelle Ă©conomie est en phase avec une gestion dĂ©centralisĂ©e dans les rĂ©gions. En Europe, Jeremy Rifkin conseille des expĂ©riences rĂ©gionales, par exemple dans les Hauts-de-France. Ainsi, on nâattend plus des pouvoirs publics une intervention centralisĂ©e, mais la mise en place dâinfrastructures permettant le dĂ©veloppement coordonnĂ© de rĂ©alisations locales. Le New deal vert « sera centrĂ© sur des Ă©nergies renouvelables exploitĂ©es localement et gĂ©rĂ©es par des infrastructures rĂ©gionales connectĂ©es entre elles au delĂ des frontiĂšres » (p 261). Ce sera une gestion participatives impliquant des « assemblĂ©es de pairs » constituĂ©es localement (p 266-267).
Pour une civilisation Ă©cologique
Dans ce livre, Jeremy Rifkin tĂ©moigne dâun immense savoir Ă©conomique, sociologique, politique, Ă lâĂ©chelle internationale. Mais, câest aussi, nous le savons par ailleurs, un homme de conviction qui affirme des valeurs. Ses convictions Ă©cologiques datent de loin (4), bien avant que cette question passe au devant de la scĂšne. Câest un homme qui croit en la communautĂ© humaine. Ainsi a-t-il Ă©crit un livre remarquable sur lâempathie (5).
Ainsi, si cet ouvrage sur le New Deal Vert entre dans la technicitĂ© des rouages de lâĂ©conomie, Jeremy Rifkin ne se rĂ©duit pas Ă une froide rationalitĂ©. Il participe Ă notre sensibilitĂ© Ă©cologique ; ainsi prend-il une distance critique par rapport Ă une apologie du progrĂšs par Condorcet dans son « Esquisse des progrĂšs de lâesprit humain ». « La vision de Condorcet est devenue emblĂ©matique dans ce quâon appellera lâĂšre du progrĂšs. HĂ©las aujourdâhui, nous savons ce quâelle implique⊠vu les ravages provoquĂ©s par la civilisation des Ă©nergies fossiles. Rares sont ceux qui osent parler tout haut dâ« Ăšre du progrĂšs » ou de perfectibilitĂ© de lâhomme. Nous vivons Ă lâĂšre de la rĂ©silience et lâinfrastructure du New Deal vert est conçue pour cette Ăšre⊠Cette infrastructure implique une subversion de la conscience autant quâune subversion de lâinfrastructure » (p 117).
Le changement requiert une Ă©thique personnelle et une Ă©thique sociale. Ainsi, Jeremy Rifkin lance un « appel en faveur dâune politique des pairs et dâune gouvernance des communaux qui donneront le pouvoir Ă des communautĂ©s prenant en charge leur avenir alors que nous traversons une pĂ©riode trĂšs sombre de lâhistoire de la terre. » (p 272).
« Nous avons cru que nous Ă©tions maitres de notre destin et que la terre Ă©tait Ă notre disposition. Nous nâavions pas compris que la facture de lâentropie se paye par tout ce qui attente Ă la planĂšte. Nous entrons dans une nouvelle Ăšre, un nouveau paysage. LâĂąge de la rĂ©silience nous attend. Lâacclimatation Ă cette nouvelle rĂ©alitĂ© planĂ©taire est dĂ©terminante pour notre futur en tant quâespĂšce. Il est temps de prendre conscience de la biosphĂšre. EspĂ©rons que nous y arriverons Ă temps. VoilĂ le New Deal Vert auquel le crois » (p 272).
Une proposition majeure
La lecture de ce livre nous parait indispensable. Câest un livre majeur, indispensable pour nous situer dans le monde dâaujourdâhui Ă un moment oĂč la question Ă©cologique est devenue centrale. Nous y apprenons Ă nous situer dans une histoire, Ă comprendre les processus en cours, et, conscient du pĂ©ril, Ă dĂ©couvrir un nouveau chemin. Câest dire combien ce livre est, Ă nous tous, nĂ©cessaire. Face Ă la peur, Ă la violence que celle-ci engendre, aux enfermements idĂ©ologiques quâelle suscite, ce livre ouvre des pistes constructives. Il Ă©carte le fatalisme, le catastrophisme aussi bien que le dĂ©ni et lâimmobilisme. On voit aussi combien lâintelligence permet dâĂ©viter les Ă©troitesses de vue et leurs consĂ©quences. Parce quâil ouvre lâespoir, ce livre permet et engendre la mobilisation. Aussi, Ă ce titre, Ă©voquons-nous une parole dâespĂ©rance citĂ©e par JĂŒrgen Moltmann Ă la fin dâun chapitre sur les catastrophes (6). Câest lâexpression dâun poĂšte allemand Friedrich Holderlin : « Au milieu du danger se dĂ©veloppe le salut ».
 J H
- Jeremy Rifkin. Le New Deal Vert Mondial. Pourquoi la civilisation fossile va sâeffondrer dâici 2028. Le plan Ă©conomique pour sauver la vie sur terre. Les liens qui libĂšrent, 2019 Interview vidĂ©o sur son livre : https://www.youtube.com/watch?v=d49ZHoClJf4
- Parcours de Jeremy Rifkin : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jeremy_Rifkin
- Jeremy Rifkin. La TroisiĂšme RĂ©volution Industrielle. Comment le pouvoir latĂ©ral va transformer lâĂ©nergie, lâĂ©conomie et le monde. Les Liens qui libĂšrent, 2012
- Mise en perspective : « Face Ă la crise : un avenir pour lâĂ©conomie » : https://vivreetesperer.com/face-a-la-crise-un-avenir-pour-lâeconomie/
- DĂšs 1988, Jeremy Rifkin fait se rencontrer des scientifiques du climat et des militants Ă©cologistes de 35 pays Ă Washington pour une premiĂšre rĂ©union du RĂ©seau mondial sur lâeffet de serre (Wikipedia)
- Jeremy Rifkin. Une nouvelle conscience pour un monde en crise. Vers une civilisation de lâempathie. Les liens qui libĂšrent. 2010 A propos du livre de Jeremy Rikfin : https://www.temoins.com/vers-une-civilisation-de-lempathie-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkinapports-questionnements-et-enjeux/
- JĂŒrgen Molttmann. De commencements en recommencements. Empreinte Temps prĂ©sent, 2012 (p 69)
Plusieurs livres à lire parallÚlement à ce livre :
Isabelle Delannoy. LâĂ©conomie symbiotique. RĂ©gĂ©nĂ©rer la planĂšte, lâĂ©conomie et la sociĂ©tĂ©. PrĂ©face de Dominique Bourg. Actes Sud, 2017 Un livre essentiel qui, dans son originalitĂ© mettant lâaccent sur les Ă©co-systĂšmes du vivant, peut ĂȘtre lu en convergence avec celui-ci. Mise en perspective : « Vers une Ă©conomie symbiotique » : https://vivreetesperer.com/vers-une-economie-symbiotique/
Jean Staune. Les clĂ©s du futur. RĂ©inventer ensemble lâĂ©conomie, la sociĂ©tĂ© et la science. PrĂ©face de Jacques Attali. Plon, 2015
Mise en perspective : « Comprendre la mutation actuelle de notre société requiert une vision nouvelle du monde » : https://vivreetesperer.com/comprendre-la-mutation-actuelle-de-notre-societe-requiert-une-vision-nouvelle-du-monde/
Thomas L Friedman. Thank you for being late. An optimistâs guide to thriving in the age of accelerations. Penguin Random House, 2015. Mise en perspective : « Un monde en changement accĂ©lĂ©ré » : https://vivreetesperer.com/un-monde-en-changement-accelere/
par jean | Oct 2, 2016 | ARTICLES, Société et culture en mouvement, Vision et sens |
Au sortir de massacres séculaires, vers un ùge doux portant la vie contre la mort.
 A travers une culture encyclopĂ©dique, Michel Serres a dĂ©veloppĂ© une pensĂ©e crĂ©ative et originale dans un style imagĂ©. Il ouvre de nouvelles comprĂ©hensions plus vastes, plus profondes. Les ouvrages de Michel Serres nous entraĂźnent dans une vision nouvelle du monde. Câest le cas dans son livre : « darwin, bonaparte et le Samaritain. Une philosophie de lâhistoire » (1).
En page de couverture, quelques lignes explicitent le titre concernant ce regard nouveau sur lâhistoire de lâhumanitĂ©.
« Darwin raconte lâouverture de Faune et de Flore. Devenu empereur, Bonaparte, parmi les cadavre sur le champ de bataille, prononça, dit-on, ces mots : « Une nuit de Paris rĂ©parera cela ». Quant au Samaritain, il ne cesse, depuis deux mille ans, de se pencher sur la dĂ©tresse du blessĂ©. VoilĂ trois personnages qui scandent sous mes yeux, trois Ăąges de lâhistoire.
Le premier Ăąge est plus long quâon ne croit, le deuxiĂšme est pire quâon ne pense, le dernier meilleur quâon ne dit.
Histoire ou utopie ? Il nây a pas de philosophie de lâhistoire sans un projet, rĂ©aliste et utopique. RĂ©aliste : contre toute attente, les statistiques montrent que les hommes pratiquent lâentraide plutĂŽt que la concurrence. Utopique : puisque la paix devint notre souci ainsi que la vie. Tentons de les partager avec le plus grand nombre. Voici un projet aussi rĂ©aliste et difficile quâutopique, possible et enthousiasmant ».
Le livre se rĂ©partit en trois parties : « Premier Ăąge, long : le Grand rĂ©cit. DeuxiĂšme Ăąge, dur : trois morts. TroisiĂšme Ăąge, doux : trois hĂ©ros. » et se termine par une rĂ©flexion sur « les sens de lâhistoire ». Le regard de Michel Serres renouvelle notre vision du passĂ© dans une approche si dense, si riche, si originale quâelle ne peut ĂȘtre rĂ©sumĂ©e. Nous mettrons lâaccent sur lâĂ©mergence actuelle dâun nouvel Ăąge, cet « ùge doux » Ă©voquĂ© par lâauteur. Et nous commenterons cette prise de conscience.
Le Grand RĂ©cit
Au dĂ©part, lâauteur montre comment les progrĂšs rĂ©cents de la science, Ă travers une capacitĂ© nouvelle de dater les phĂ©nomĂšnes, nous ouvrent Ă une mĂ©moire de lâunivers, Ă une mĂ©moire de la terre dans laquelle lâhistoire humaine vient sâinscrire. Une nouvelle synthĂšse peut ainsi sâĂ©laborer. Nous voici en prĂ©sence dâun « Grand RĂ©cit ».
Câest une situation nouvelle. Michel Serres dĂ©gage quelques caractĂ©ristiques fondamentales de ce temps long. « Le couple Ă©nergie-entropie rĂ©git le monde physique ; analogue, le couple vie-mort rĂ©git le monde vivant » (p 33). Ainsi, dans lâĂ©volution, pendant que la vie irrĂ©sistible perpĂ©tue son dĂ©veloppement, la mort frappe espĂšces et individus. Dans notre humanitĂ©, on observe une Ă©volution analogue. « Dâune part, lâĂ©nergie et la vie prennent des figures nouvelles comme lâinvention et la paix, dâautre part, lâentropie et la mort rĂ©apparaissent en guerres et rĂ©pĂ©titions » et menacent lâexistence de lâhumanitĂ© (p 33).
Cependant, en regard, lâauteur distingue deux formes, deux pratiques : les pratiques dures qui mobilisent des hautes Ă©nergies et les pratiques douces qui font appel Ă des basses Ă©nergies, Ă lâĂ©chelle informationnelle. ParallĂšlement, Michel Serres oppose deux Ăąges : un « ùge dur » caractĂ©risĂ© par la violence et par la guerre, et un « ùge doux » convivial et inventif en lutte contre la mort.
Un Ăąge dur
Dans son regard sur la plus grande part de lâhistoire humaine, Michel Serres fait ressortir les composantes dâun Ăąge dur. Câest la prĂ©pondĂ©rance de la guerre avec les massacres qui lâaccompagnent. Cette importance des conflits militaires ne nous avaient sans doute pas Ă©chappĂ©, mais lâauteur Ă©veille en nous une prise de conscience de cette rĂ©alitĂ© dĂ©vastatrice. « Toute notre culture baigne dans le sang versĂ© au cours de violences qui sâenchainent et nous enchainent Ă la guerre perpĂ©tuelle » (p 47). Ainsi a-t-on calculĂ© quâau cours des derniers millĂ©naires, moins de 10% des annĂ©es ont Ă©tĂ© consacrĂ©es Ă la paix, câest Ă dire Ă la vie (p 48). Et lâauteur Ă©voque les massacres tels quâils apparaissent dans des textes littĂ©raires comme lâIliade et se manifestent dans des donnĂ©es chiffrĂ©es que nous ignorons bien souvent. Sait-on par exemple que les guerres de la RĂ©volution Française et celles de NapolĂ©on ont engendrĂ© la mort dâun million cinq cent mille français plus que le million trois cent mille victimes provoquĂ©es par la PremiĂšre Guerre Mondiale entre 1914 et 1918⊠(p 79). Dans ce contexte, un culte a Ă©tĂ© vouĂ© Ă lâhĂ©roĂŻsme patriotique. « Chacun doit donner sa vie pour sa patrie » ( p 53). Les religions ont participĂ© Ă cette idĂ©ologie mortifĂšre. Michel Serres nous rappelle les analyses de RenĂ© Girard. La violence se manifeste jusque dans le sacrifice animal.
Lâauteur nous amĂšne Ă©galement Ă entrevoir les rapports entre Ă©conomie et violence. Et il nous invite Ă rĂ©flĂ©chir au phĂ©nomĂšne de la dette. « Avoir et Dû : voilĂ le titre de deux colonnes dans un bilan comptable. « Je dois » signifie Ă la fois une obligation morale et une dette Ă restituer » (p 64). Si la dette asservit les gens et les peuples, elle sâexprime aussi en termes religieux. Câest ici que Michel Serres met lâaccent sur le pouvoir libĂ©rateur de la Passion du Christ. « A partir du Vendredi saint, nous nâaurons plus jamais de vains devoirs, ni de dettes⊠Ces pĂ©chĂ©s nous sont remisâŠÂ » (p 67). Et plus encore, « le caractĂšre intĂ©gral de la remise de nos dettes sâefface devant lâannonce triomphale que cesse le rĂšgne mĂȘme de la dette, câest Ă dire de la mortâŠDe mĂȘme que la RĂ©surrection du Christ ne marque pas une vengeance sur ceux qui lâont tuĂ©, mais positivement une victoire sur la mort elle-mĂȘme » (p 67) ». Il y a lĂ un tournant. Mais, dans un monde dominĂ© par la violence et par la mort, le potentiel de la libĂ©ration se fraye difficilement un chemin.
Et, de mĂȘme, dans son inventaire des raisons dâespĂ©rer, lâauteur se refuse Ă croire Ă une mĂ©chancetĂ© irrĂ©mĂ©diable de lâhomme. Les recherches (2) vont Ă lâencontre des thĂ©ories et concepts abstraits prĂ©tendant lâhomme, en gĂ©nĂ©ral mauvais, en gĂ©nĂ©ral, Ă©goĂŻste et violent, incapable dâempathie⊠En la plupart dâentre nous, une maniĂšre dâamour lâemporte sur la haine⊠lâhumain est humain » (p 87).
Pendant des millĂ©naires, la « thanocratie » a prĂ©valu. « DĂ©clinĂ©e trois fois dans la religion, longtemps sacrificielle, les armes, lĂ©tales toujours, et lâĂ©conomie, exploitant les faibles et blessant le monde, la mort me paraĂźt le moteur de lâhistoire » ( p 72). Il a fallu la menace dâanĂ©antissement collectif Ă©veillĂ©e par lâusage de la bombe atomique en 1945 Ă Hiroshima et Nagasaki pour quâune prise de conscience sâeffectue. Mais dans la pĂ©riode sombre qui a prĂ©cĂ©dĂ©, on peut entrevoir un mouvement de libĂ©ration qui sâest frayĂ© un chemin. Ce mouvement dĂ©bouche aujourdâhui. Dans cette histoire, Michel Serres, Ă©voque la part du christianisme : « Sa leçon majeure nâenseigne-t-elle pas lâincarnation, lâallĂ©gorie vive de la Naissance, enfin la RĂ©surrection, soit une victoire non pas contre nos ennemis, comme pendant le rĂšgne de la Mort, mais contre la Mort elle-mĂȘme ? Par ce rĂ©Ă©quilibrage, un tout autre monde semble annoncĂ©, promis, espĂ©rĂ©âŠÂ » (p 77).
Un Ăąge doux
Nous voici aujourdâhui au dĂ©but dâun nouvel Ăąge : un Ăąge doux. Michel Serres y voit la mise en Ćuvre de la nĂ©guentropie, selon Wikipedia : « Une entropie nĂ©gative, un facteur dâorganisation des systĂšmes physiques et, Ă©ventuellement sociaux et humains, qui sâoppose Ă la tendance naturelle Ă la dĂ©sorganisation ». « Comme la vie produit des individus nouveaux, lâesprit inventif et novateur, effet de la nĂ©guentropie, devient source de nouveautĂ©s, produit Ă nouveau de la nĂ©guentropie. Puisque celle-lĂ se trouve dĂ©jĂ lĂ ensemencĂ©e dans lâUnivers et au sein du rĂ©seau Ă©volutif, lâĂąge de lâEsprit, doux par rapport aux hautes Ă©nergies, dites entropiques, perdure donc  en tous temps, travaillant Ă se libĂ©rer dâun Ă©tranglement mortel » (p 92). « LâĂąge doux, celui des esprits, advient dĂšs que ceux-ci se mettent Ă lutter contre la mort de maniĂšre efficace. Nous y sommes. De mĂȘme quâil y eut trois maniĂšres de sâentre Ă©gorger durement, armĂ©e, religieuse, Ă©conomique, de mĂȘme lâĂąge que jâappelle doux se dĂ©cline de trois maniĂšres, portant sur la vie et lâesprit : mĂ©dicale, pacifique et numĂ©rique » (p 93).
Un premier fait est le dĂ©veloppement de la mĂ©decine et son efficacitĂ© accrue. Câest un Ă©tat dâesprit. « En refusant les lois de la jungle, nos pratiques combattent lâĂ©volution, la sĂ©lection naturelle » (p 103). « Il y a deux Ăąges : assassin-victime ; malade-mĂ©decin » (p 104). Par sa faiblesse et le fait quâil dĂ©tienne, miraculeusement, parmi la violence usuelle, dâĂȘtre pansĂ© par et parmi les siens, le malade est un personnage emblĂ©matique dĂ©cisif, rare, faible, mourant mĂȘme, mais producteur dâhumanité » (p 103).
Dans cette perspective, la parabole du Samaritain rĂ©sonne avec une force particuliĂšre, comme une injonction rĂ©volutionnaire Ă lâencontre dâun univers de violence. LâĂ©motion nous gagne lorsque nous entendons ces paroles. Michel Serres cĂ©lĂšbre la figure du mĂ©decin : « Celle qui se penche sur les blessĂ©s ; celui qui Ă©coute les plaintes de lâagonie ; celle qui sâincline ; lâattentive qui cherche Ă comprendre et peut-ĂȘtre guĂ©riraâŠ. Non, il ou elle, nâest pas seulement le hĂ©ros de ce temps, mais sans doute, celle et celui de toute lâhistoire » (p 107).
TrĂšs concrĂštement, lâauteur met lâaccent sur lâespace de paix qui sâest crĂ©Ă© en Europe occidentale aprĂšs 1945 au sortir dâune guerre dĂ©vastatrice. « De 1945 Ă 2015, comptons soixante-dix ans de paix, laps de temps exceptionnel, inconnu en Europe depuis au moins la guerre de Troie ». Bien sĂ»r, il y a un abcĂšs au Moyen-Orient, mais au total dans le monde, homicides et violences ne cessent de reculer. Lâindustrie du tabac est bien plus meurtriĂšre que le terrorisme (p 122). On assiste Ă des changements profonds comme le recul de la peine de mort. « Sortant Ă peine de lâenfer, nous avons construit une sorte dâutopie dont nous ne pouvons connaĂźtre la nouveautĂ© que par comparaison avec ce qui se passe alentour qui ressemble trait pour trait Ă ce qui se passait chez nous avant cette Ăšre nouvelle ».
Cependant la paix est constamment Ă maintenir et Ă construire. Lâauteur Ă©voque une figure exemplaire, celle de François de CalliĂšres (1645-1717) qui publia un livre dĂ©cisif : « De la maniĂšre de nĂ©gocier avec les souverains ». Conseiller de Louis XIV, un roi qui ne cessa de faire la guerre â plus de trois cent mille morts- , François de CalliĂšres sait de quoi il parle. Il dĂ©finit le rĂŽle du nĂ©gociateur : Ă©viter au maximum les conflits. « Tout prince chrĂ©tien doit avoir pour maxime principale de nâemployer la voie des armes pour soutenir et faire valoir ses droits quâaprĂšs avoir tentĂ© et Ă©puisĂ© celle de la raison et de la persuasion (p 126). Promouvoir la paix, câest aussi construire un vivre ensemble. Michel Serres Ă©voque les rĂ©alisations coopĂ©ratives du « socialisme utopique » qui ont portĂ© du fruit alors que les thĂ©ories prĂ©tendument « scientifiques » du socialisme ont durement Ă©chouĂ©. « Pas un seul mort de leur fait, du concret, de la continuité » (p 134). Et aujourdâhui, on peut se rĂ©jouir de toutes les rĂ©alisations du mouvement associatif. Lâauteur nous appelle Ă prendre en compte, Ă prendre en charge : « le personnage commun, banal, minuscule, individuel, faible, malade, infirme, virtuel, oui, miraculeux, si dĂ©laissĂ© dans son fossĂ©, si oubliĂ© dans sa bontĂ©, si concret dans son humilitĂ© quâil passe pour inexistantâŠÂ » (p 135).
Ainsi, trois sens au terme « doux » : la vie prolongĂ©e par le biologiste et le mĂ©decin ; la paix nouvelle, mais qui dure, les basses Ă©nergies. Voici les trois composantes de lâĂąge doux » (p 138). Les nouvelles technologies qui ouvrent lâĂšre du virtuel sâinscrivent dans cet univers de basses Ă©nergies. Face aux puissants qui prĂ©dominent, face au dĂ©ploiement de la violence, un texte biblique « prophĂ©tise exactement le troisiĂšme Ăąge, celui lĂ mĂȘme que nous vivons aujourdâhui et qui, Ă lâĂ©cart du feu et des hautes Ă©nergies, destructrices, cultive les basses, lâinformation, les signaux, les signes, les paroles⊠que le tonnerre rend inaudible » : « Il y eut un grand ouragan, si fort quâil fendait les montagnes et brisait les rochers, en avant de YahvĂ©, mais YahvĂ© nâĂ©tait pas dans lâouraganâŠAprĂšs le feu, le bruit dâune brise lĂ©gĂšre. DĂšs quâElie lâentendit, il se voilĂ le visage avec son manteau, il sortit et se tint Ă lâentrĂ©e de la grotte. Alors une voix lui parvint qui ditâŠÂ » (I Rois 19, 11-13) (p 139).
En se rappelant les effets dĂ©mocratiques de lâimprimerie, lâĂ©mergence dâinternet peut nous Ă©merveiller. Câest lĂ que Michel Serres Ă©voque Petite Poucette, cette jeune fille emblĂ©matique des usages rĂ©volutionnaires dâinternet quâil a brillamment Ă©voquĂ©e dans un prĂ©cĂ©dent livre (3). « Face Ă lâaristocratie des puissants, des riches, des reprĂ©sentants, le portable dans la paume, Petite Poucette annonce : « Maintenant, tenant en main le mondeâŠÂ ». Elle a accĂšs Ă tout. Tout lui appartient. « TroisiĂšme hĂ©roĂŻne de lâĂąge doux, Petite Poucette monte ainsi sur la plus haute marche du podium, entre le mĂ©decin et le nĂ©gociateur. Elle incarne une nouvelle dĂ©mocratie du savoir dont lâutopie fait peur aux anciensâŠÂ » (p 142).
Le paysage de la communication change. Tout se lie, tout se relie. « Il me paraĂźt prĂ©visible que la main du marchĂ© devra un jour adapter sa puissance relationnelle Ă celle, concrĂšte, du monde et, sans doute, sâadapter, voire obĂ©ir Ă sa loi. Nous entrons dans un temps oĂč se joue un « mano a mano » dĂ©cisif pour notre survie entre lâhomme individuel ou global et la planĂšte entiĂšre » (p 147).
Quel avenir ?
Nous voyons bien aujourdâhui des menaces sâĂ©lever Ă lâencontre de la civilisation nouvelle en train de grandir (4). Michel Serres est bien conscient de ce danger. « Je ne suis ni sourd, ni aveugle aux forces atroces qui pendant cet Ăąge si court sâopposent Ă la prĂ©gnance neuve de la paix ». Pour faire face aux attitudes passĂ©es qui remontent parfois, « nous devons trouver des stratĂ©gies propres Ă notre temps et dĂ©laisser celles que nous venons de quitter. Secourir, soigner, partager, nĂ©gocier, dialoguer, suivre les trois modĂšles qui nous guident pour vivre dans notre ĂągeâŠÂ » (p 118).
Cependant, lorsquâon voit la violence se propager jusque sur internet, on peut sâinquiĂ©ter. Lâauteur est attentif Ă ce danger. « LibĂ©rer le nombre impose des risques⊠Combien de temps faut-il pour quâune multiplicitĂ© dĂ©sordonnĂ©e sâorganise et forme une communautĂ© dâautant plus nouvelle que ce type de libĂ©ration, inattendu, nâa aucun Ă©quivalent dans le passĂ©Â ? Peut-on Ă©viter une violence interminable avant de parvenir Ă une cohĂ©sion ? ConfirmĂ© par lâadvenue du troisiĂšme Ăąge oĂč le multiple se libĂšre vraiment, mon utopie espĂšre Ă©chapper Ă cet Ă©tau (p 145).
Ce livre ouvre pour nous une comprĂ©hension originale de lâhistoire humaine. Il met en Ă©vidence une dynamique qui suscite lâespĂ©rance. Ainsi, Michel Serres nous y parle de survie dans un triple sens :
« Survivre : laisser survivre ou conserver
Survivre : mettre lâaccent sur une nouvelle histoire, un nouveau sens de lâhistoire
Survivre : vivre mieux que la vie, accĂ©der avec joie Ă lâesprit.
CrĂ©er ces trois survies en compagnie du plus grand nombre possible, voilĂ le projet aussi rĂ©aliste, dangereux, difficile quâutopique, possible et enthousiasmant » (p 161).
Une vision prophétique
Ces derniĂšres annĂ©es, le ciel sâest assombri. Des orages Ă©clatent. Mais, comme en toute navigation, il importe de garder le cap. Dans ce temps de crise, on a besoin de ne pas perdre confiance, mais de discerner les courants porteurs, parfois peu visibles et souterrains. « Sans vision, le peuple meurt », nous dit un verset de la Bible (Proverbes 29.18). Le livre de Michel Serres nous communique une telle vision. Câest lâĂ©mergence dâun Ăąge doux oĂč la paix lâemporte sur la guerre et la vie sur la mort. Et, si on perçoit bien les menaces envers cette nouvelle maniĂšre de vivre, Michel Serres met en valeur la dynamique du processus.
Il se trouve que dâautres chercheurs mettent Ă©galement en Ă©vidence un changement positif intervenu au cours de ces derniĂšres dĂ©cennies. Ainsi, dâune certaine façon, le livre de JĂ©rĂ©mie Rifkin : « Une nouvelle conscience pour un monde en crise. Vers une civilisation de lâempathie » (5) converge avec le texte de Michel Serres. En effet, Ă partir dâune rĂ©trospective historique approfondie, JĂ©rĂ©mie Rifkin perçoit, dans ces derniĂšres dĂ©cennies, « la plus grande poussĂ©e empathique de lâhistoire de lâhumanité » . Et dâaprĂšs la recherche de Ronald Inglehart sur les valeurs dans le monde (World values survey) (6), on enregistre depuis 1981, une Ă©volution, certes diversifiĂ©e, mais rapide vers une valorisation de lâexpression personnelle et la recherche dâune qualitĂ© de vie. Une autre recherche a montrĂ© lâexpansion du courant des « culturels crĂ©atifs » (6) qui valorise ce quâon pourrait appeler une sobriĂ©tĂ© heureuse et conviviale.
JĂ©rĂ©mie Rifkin nous montre une Ă©volution vers une pacification des esprits. Ainsi rejoint-il Michel Serres sans encourir le reproche quâon peut parfois faire Ă celui-ci de prĂ©senter une catĂ©gorisation trop tranchĂ©e entre « ùge dur » et « ùge doux » . Il est Ă©galement trĂšs attentif au potentiel de changement Ă travers et dans lâĂ©conomie.
Dans son analyse, Ă plusieurs reprises, Michel Serres met en lumiĂšre lâincidence du rĂ©cit Ă©vangĂ©lique et de la foi qui sâen inspire sur lâĂ©volution des esprits Ces passages nous paraissent particuliĂšrement importants. Au cĆur de lâhistoire, nous percevons la singularitĂ©, lâoriginalitĂ©, le potentiel de vie et dâespĂ©rance de cette inspiration. Si, pendant les siĂšcles de lâĂąge dur, les institutions religieuses ont souvent pactisĂ© avec lâidĂ©ologie ambiante, on voit bien ici combien les textes Ă©vangĂ©liques ont jouĂ© le rĂŽle de ferment. Et, aujourdâhui dans ce livre, ils contribuent Ă interprĂ©ter lâhistoire.
Rappelons cette citation : « La leçon majeure du christianisme nâenseigne-t-elle pas lâincarnation, lâallĂ©gresse vive de la naissance, enfin la RĂ©surrection, soit une victoire non plus contre les ennemis comme pendant le rĂšgne de la Mort, mais contre la Mort elle-mĂȘme » (p 77).
Ici, Michel Serres est en phase avec JĂŒrgen Moltmann, le thĂ©ologien de lâespĂ©rance . Leurs pensĂ©es se rejoignent Ă plusieurs Ă©gards
EngagĂ© trĂšs tĂŽt dans une thĂ©ologie Ă©cologique (7), Moltmann inscrit lâhistoire de lâhumanitĂ© dans celle de la nature.
« La nouvelle vision du monde Ă©cologique part de lâidĂ©e que la terre est notre maison. LâhumanitĂ© fait partie dâun grand univers en Ă©volution. La terre, notre maison, est vivante avec une communautĂ© de vie singuliĂšreâŠÂ La protection de la vitalitĂ©, de la diversitĂ© et de la beautĂ© de la terre est une responsabilitĂ© sacrĂ©eâŠ. Cela rejoint la richesse des traditions bibliques concernant la terre » (8).
Cependant, câest aussi sur la question de lâattitude vis-Ă -vis de la mort que la pensĂ©e thĂ©ologique de Moltmann appuie la recherche de Michel Serres. En effet, dans une civilisation dominĂ©e par la guerre et par la mort, cet « ùge dur » qui nous a Ă©tĂ© dĂ©crit, la religion a pu se rĂ©signer dans une acceptation de la mort comme une fatalitĂ©, dĂ©tournĂ©e vers une Ă©migration de lâĂąme vers lâau delĂ . Au contraire, avec force, Moltmann proclame la lutte contre la mort. « La rĂ©surrection du Christ porte le « oui » de Dieu Ă la vie et son « non » Ă la mort et suscite nos Ă©nergies vitales. Les chrĂ©tiens sont des gens qui refusent la mort ( « Protest people against death »)âŠ.Lâorigine de la foi chrĂ©tienne est, une fois pour toutes, la victoire de la vie divine sur la mort. « La mort a Ă©tĂ© engloutie dans la victoire » (1 Corinthiens 15.54). Câest le cĆur de lâEvangile. Câest lâEvangile de la vie ».
Et JĂŒrgen Moltmann poursuit : « Cette thĂ©ologie de la vie doit ĂȘtre le cĆur du message chrĂ©tien en ce XXIĂš siĂšcle. JĂ©sus nâa pas fondĂ© une nouvelle religion. Il a apportĂ© une vie nouvelle dans le monde, aussi dans le monde moderne. Ce dont nous avons besoin, câest une lutte partagĂ©e pour la vie, la vie aimĂ©e et aimante qui se communique et est partagĂ©e, en bref la vie qui vaut dâĂȘtre vĂ©cue dans cet espace vivant et fĂ©cond de la terre » (9).
Comme Michel Serres, JĂŒrgen Moltmann porte Ă©galement attention aux Ă©mergences : « Lâhistoire prĂ©sente des situations qui contredisent le Royaume de Dieu et sa justice. Nous devons nous y opposer. Mais il existe Ă©galement des situations qui correspondent au Royaume de Dieu et Ă sa justice. Nous devons les soutenir et les crĂ©er lorsque câest possible. Il existe ensuite dans le temps prĂ©sent des paraboles du Royaume futur et nous y voyons ce qui arrivera au jour de Dieu. Nous entrevoyons dĂ©jĂ maintenant quelque chose de la guĂ©rison et de la nouvelle crĂ©ation de toutes chose que nous attendons. Nous le traduisons par une attente crĂ©atriceâŠÂ » (10).
Si la vision de Michel Serres est particuliĂšrement originale, elle est aussi en convergences avec la pensĂ©e de quelques autres penseurs contemporains. Son livre nous appelle Ă un regard nouveau. La pensĂ©e de Michel Serres nous ouvre Ă la reconnaissance dâune civilisation nouvelle en train dâapparaĂźtre et de sâĂ©tendre, cet « ùge doux » dĂ©jĂ suffisamment avancĂ© pour que Michel Serres puisse le dĂ©crire et le caractĂ©riser. Il y a dans ce discernement un aspect prophĂ©tique. Michel Serres nous invite Ă entrer dans une nouvelle maniĂšre de vivre.
J H
(1)           Serres (Michel). darwin, bonaparte et le samaritain. Une philosophie de lâhistoire. Le Pommier, 2016                                          Une conversation particuliĂšrement Ă©clairante avec Michel Serres sur cet ouvrage au Monde Festival en vidĂ©o : http://www.lemonde.fr/festival/video/2016/09/20/le-monde-festival-en-video-conversation-avec-michel-serres_5000685_4415198.html
(2)           Lecomte (Jacques). La bonté humaine. Altruisme, empathie, générosité. Odile Jacob, 2012. Mise en perspective sur ce blog :  https://vivreetesperer.com/?p=674
(3)           Serres (Michel). Petite Poucette. Le Pommier, 2012. Mise en perspective sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=820
(4)           Menaces multiples et mĂȘme, menaces de guerres, comme en traite Pierre Servent dans son livre : « Extension du domaine de la guerre » (Robert Laffont, 2016)
(5)           Rifkin (JĂ©rĂ©mie). Une nouvelle conscience pour le monde. Vers une civilisation de lâempathie. Les liens qui libĂ©rent, 2010.  Mise en perspective sur le site de TĂ©moins : http://www.temoins.com/vers-une-civilisation-de-lempathie-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkinapports-questionnements-et-enjeux/
(6)           « Emergence dâune nouvelle sensibilitĂ© spirituelle et religieuse », sur le site de TĂ©moins :  http://www.temoins.com/emergence-dune-nouvelle-sensibilite-spirituelle-et-religieuse-en-regard-du-livre-de-frederic-lenoir-l-la-guerison-du-monde-r/
(7)           « Convergences Ă©cologiques : Jean Bastaire, JĂŒrgen Moltmann, Pape François et Edgar Morin » : https://vivreetesperer.com/?p=2151
(8)           « In the fellowship of the earth », p 80-85, in : JĂŒrgen Moltmann. The Living God and the fullness of life. World Council of Churches, 2016.   PrĂ©sentation du livre sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=2413
(9)           Sur le blog : « LâEsprit qui donne la vie » : « la vie contre la mort » : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=841
(10)     Moltmann (JĂŒrgen) . De commencements en recommencements. Une dynamique dâespĂ©rance. Empreinte temps prĂ©sent, 2012 (p 115)                                              PrĂ©sentation sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=572
par jean | Avr 15, 2019 | ARTICLES, Hstoires et projets de vie |
Lâanniversaire de JĂŒrgen Moltmann cĂ©lĂ©brĂ© en Chine
Aujourdâhui, Ă travers les nouveaux moyens de communication, nous sommes de plus en plus proches les uns des autres. Ce rapprochement sâaccĂ©lĂšre. Câest une magnifique opportunitĂ© pour davantage de collaboration. Mais cela peut engendrer aussi confrontation et conflictualitĂ©. Ainsi, Ă lâĂ©chelle internationale, nous avons de plus en plus besoin de nous comprendre. A partir des diffĂ©rentes cultures, des diffĂ©rents contextes nationaux, les cheminements de pensĂ©e varient. Mais dans le grand brassage des hommes et des idĂ©es, face Ă des problĂšmes communs de plus en plus prĂ©gnants, ces cheminements sont de plus en plus appelĂ©s Ă se rapprocher. Et câest bien dĂ©jĂ le cas dans certains domaines, par exemple dans le champ des sciences.
Sur le plan religieux, si les grandes religions se sont longtemps installĂ©es dans telle ou telle aire gĂ©ographique, elles ont cependant Ă©tĂ©Â toujours en mouvement, dans des conjonctures dâexpansion. Aujourdâhui, des formes dâexpression et de pratique se manifestent dans des courants qui traversent les frontiĂšres des religions existantes (1). Et, par ailleurs, les diffĂ©rentes religions sont Ă©galement confrontĂ©es aux transformations culturelles et aux problĂšmes sociaux et politiques. Et, par exemple, elles sont toutes interpellĂ©es par la prise de conscience Ă©cologique (2). On peut observer ces divers mouvements dans le monde chrĂ©tien et dans ses divers composantes confessionnelles. Ici donc, la thĂ©ologie est appelĂ©e Ă Ă©clairer les questions nouvelles qui apparaissent en fonction des transformations de mentalitĂ© et des environnements culturels et sociaux qui forgent ces transformations. A cet Ă©gard, un thĂ©ologien, aujourdâhui reconnu parmi les plus grands et les plus innovants, JĂŒrgen Moltmann, nous paraĂźt apporter une contribution majeure. Ainsi, ce blog recourt-il frĂ©quemment Ă ses Ă©clairages (3).
JĂŒrgen Moltmann vient dâavoir 93 ans. Une vidĂ©o rĂ©alisĂ©e en Chine cĂ©lĂšbre son anniversaire. Câest un signe remarquable de la reconnaissance et de lâaudience de sa thĂ©ologie Ă lâĂ©chelle du monde.
Effectivement, si cette thĂ©ologie suscite un Ă©cho dans diffĂ©rentes parties du monde, de lâEurope dont elle est issue, jusquâaux AmĂ©riques et en Afrique, elle est particuliĂšrement apprĂ©ciĂ©e en ExtrĂȘme-Orient : CorĂ©e, Japon, Chine⊠Câest peut-ĂȘtre  parce que JĂŒrgen Moltmann apporte Ă la fois une double signification : une orientation dans le monde dâaujourdâhui Ă travers une thĂ©ologie de lâespĂ©rance (4) et, dans les civilisations dâExtrĂȘme-Orient attentive Ă lâunitĂ© de la crĂ©ation et aux Ă©nergies qui lâaniment, une reconnaissance de la prĂ©sence de Dieu dans lâimmanence Ă travers une thĂ©ologie de lâEsprit, cet « Esprit qui donne la vie » (5).
Dans cette Ă©mergence dâune culture mondiale, oĂč des questions apparaissent et convergent, la thĂ©ologie de Moltmann est une thĂ©ologie pour notre temps.
Cette vidĂ©o tĂ©moigne de la reconnaissance de la thĂ©ologie de Moltmann en Chine. En consultant les informations sur les institutions reprĂ©sentĂ©es par les intervenants, on en perçoit la diversitĂ© et donc la vaste dimension de lâaudience qui est accordĂ©e Ă cette pensĂ©e. Nous rapportons donc ici le message de la vidĂ©o (6).
https://www.youtube.com/watch?v=9z4nzf–7E0&fbclid=IwAR020hV7ceZZmGe2JhUNfdl_L_zw5fXSLROcYpq9G0Qv0b6juEcnQoFLYoY
Joyeux anniversaire au professeur Moltmann.
Bénédictions de Chine
Professeur Zhang Xu. Renmin China University. Pékin
JâespĂšre que je pourrais vous rencontrer dans lâavenir et Ă©couter votre enseignement
Professeur You Bin. Minzu university of China. Pékin
Quâil soit bĂ©ni ! Une vie pleine de vitalitĂ© et qui porte beaucoup de fruits. Son influence ne sâĂ©tend pas seulement Ă lâaspect acadĂ©mique du christianisme. Ses Ćuvres jaillissent de son cĆur dans la contemplation de la marche du monde. Alors elles touchent tous ceux qui cherchent la vĂ©ritĂ© honnĂȘtement. Je le fĂ©licite profondĂ©ment pour son oeuvre formidable et je lui souhaite une bonne santĂ© et une bonne longĂ©vitĂ©.
Professeure Song Xuhong Minzu University of China  Pékin
Dans une perspective chinoise, ĂȘtre ĂągĂ© de 93 ans, câest entrer dans un Ăąge de bonheur et de longĂ©vitĂ©, mais je prĂ©fĂšre lâenvisager selon la personnalitĂ© et le charme du professeur Moltmann.  Je souhaite que professeur Moltmann puisse rester jeune et actif pour quâil puisse toujours habiter dans ses pensĂ©es inspirĂ©es et nous guider par sa profonde sagesse
Professeur Hsuch Hsin Chow China Evangelical Seminary
Je bĂ©nis le professeur Moltmann, ce gĂ©ant qui est utilisĂ© constamment par Dieu comme une voix qui sâadresse aux Eglises partout dans le monde. Par une inspiration particuliĂšre, il peut continuer Ă aider les Ă©glises chinoises. Que Dieu le bĂ©nisse abondamment !
Docteur Wang Wenfeng Fondateur du Consensus dâOxford
Le docteur Wenfeng déploie une calligraphie qui exprime ses pensées de bénédiction pour la vie du professeur Moltmann
Docteure Yang Huaming Chinese Academy of Social science
Joyeux anniversaire et une vie toujours jeune
Cette vidĂ©o met en Ă©vidence lâimportance et la pertinence de la vision de Moltmann dans le contexte de la culture chinoise.  Mais elle est aussi un hommage du cĆur avec une Ă©mouvante dĂ©licatesse. Et, comme les intervenants sont issus de diffĂ©rentes institutions, câest le produit dâune belle collaboration. Elle exprime remarquablement lâamitiĂ© envers JĂŒrgen Moltmann avec une expression de tendresse et une grande justesse de ton. Elle tĂ©moigne dâune harmonie. Elle Ă©veille une Ă©motion. Dans cet anniversaire, lâEsprit divin se manifeste dans lâamour et la bĂ©nĂ©diction. Une lumiĂšre nous vient de Chine.
J H
- « Dynamique culturelle et vivre ensemble dans un monde globalisĂ©. « La guerre des civilisations nâaura pas lieu » de RaphaĂ«l Liogier » : https://vivreetesperer.com/dynamique-culturelle-et-vivre-ensemble-dans-un-monde-globalise/
- « Convergences Ă©cologiques : Jean Bastaire, JĂŒrgen Moltmann, Pape François et Edgar Morin » : https://vivreetesperer.com/convergences-ecologiques-jean-bastaire-jurgen-moltmann-pape-francois-et-edgar-morin/
- Pour une vue dâensemble sur la vie et la pensĂ©e de JĂŒrgen Moltmann : « Une thĂ©ologie pour notre temps. Lâautobiographie de JĂŒrgen Moltmann » : https://www.temoins.com/une-theologie-pour-notre-temps-lautobiographie-de-juergen-moltmann/ Quelques articles sur : Vivre et espĂ©rer : « Le Dieu Vivant et la plĂ©nitude de la vie » : https://vivreetesperer.com/le-dieu-vivant-et-la-plenitude-de-vie-2/  « Le Dieu vivant et la plĂ©nitude de vie. Eclairages apportĂ©s par la pensĂ©e de JĂŒrgen Moltmann » : https://vivreetesperer.com/le-dieu-vivant-et-la-plenitude-de-vie/
- La rĂ©ception de la thĂ©ologie de lâespĂ©rance Ă travers un colloque organisĂ© Ă New York en 1988 : https://vivreetesperer.com/quelle-vision-de-dieu-du-monde-de-lhumanite-en-phase-avec-les-aspirations-et-les-questionnements-de-notre-epoque/
- « Un Esprit sans frontiĂšres. ReconnaĂźtre la prĂ©sence et lâĆuvre de lâEsprit » : https://vivreetesperer.com/un-esprit-sans-frontieres/
- https://www.youtube.com/watch?v=9z4nzf–7E0&fbclid=IwAR020hV7ceZZmGe2JhUNfdl_L_zw5fXSLROcYpq9G0Qv0b6juEcnQoFLYoY
par jean | Mar 5, 2024 | ARTICLES, Vision et sens |
La vision spirituelle du mĂ©decin psychiatre, Jacques Besson dans la dĂ©couverte de nouveaux horizons : les neurosciences, les synchronicitĂ©s, la lutte contre les addictions, lâusage des psychĂ©dĂ©liques, le chamanismeâŠ
Auteur dâun livre sur : Addiction et spiritualitĂ© (1), Jacques Besson, mĂ©decin psychiatre, addictologue, ancien chef du dĂ©partement de psychiatrie communautaire du dĂ©partement de psychiatrie du centre hospitalier universitaire vaudois, professeur honoraire de lâUniversitĂ© de Lausanne, a Ă©tĂ© frĂ©quemment interviewĂ© dans des vidĂ©os sur You tube (2). Il y met en Ă©vidence des relations sensibles entre spiritualitĂ©, prĂ©sence dâune conscience, lutte contre les addictions, usage des psychĂ©dĂ©liques, expĂ©rience de mort imminente, expĂ©rience du chamanisme. En mĂȘme temps, Jacques Besson se prĂ©sente comme un croyant enracinĂ© dans une foi chrĂ©tienne dâinspiration protestante. En Ă©coutant Jacques Besson, nous dĂ©couvrons des rĂ©alitĂ©s qui se manifestent aujourdâhui et sur la signification desquelles nous nous interrogeons. A partir de son expĂ©rience et des connaissances, il nous apporte un Ă©clairage prĂ©cieux. Voici donc quelques aperçus Ă partir dâune interview de jacques Besson par Didier Reinach : « SpiritualitĂ© et crĂ©ativitĂ© de soi â lâesprit du bonheur » (3).
Cheminement professionnel et spirituel de Jacques Besson
Au dĂ©part, lâintervieweur rappelle les intĂ©rĂȘts de Jacques Besson : « la psychiatrie communautaire, la santĂ© mentale, les rapports entre la psychiatrie, la religion, la spiritualitĂ© et les neurosciences ». Il pose donc une premiĂšre question : « Pourquoi la spiritualitĂ© est-elle un chemin de guĂ©rison ? » Et il lâinterroge sur ses motivations : « Quâest-ce qui te pousse, quâest-ce qui te porte Ă introduire la dimension spirituelle ? ». La rĂ©ponse porte dâabord sur les racines : « Je viens dâune longue tradition protestante. Comme enfant, jâai eu des visions, des intuitions, des aspirations sur lâinvisible, sur la lumiĂšre du monde. Cela mâa toujours intriguĂ© et passionnĂ©. Depuis lâĂąge de cinq ans environ, je mâintĂ©resse Ă lâindividu, Ă la question de lâesprit ». Jacques Besson sâest donc dirigĂ© vers la mĂ©decine ; puis, il sâest intĂ©ressĂ© Ă la neurologie. Il est passĂ© ensuite Ă la psychiatrie, puis Ă la psychanalyse. Et de la psychanalyse, il sâest dĂ©vouĂ© pour des populations vulnĂ©rables, pour la mĂ©decine des pauvres au Centre Saint-Martin qui a accueilli des milliers toxicomanes. CâĂ©tait une mĂ©decine communautaire, gĂ©nĂ©reuse. De lĂ , Jacques Besson est devenu un expert en addictologie, une science interdisciplinaire qui rassemble un ensemble de savoirs pour faire face Ă la complexitĂ© du problĂšme de lâaddiction. Il sâest engagĂ© dans des psychothĂ©rapies et câest lĂ quâil sâest rendu compte petit Ă petit que « la question du sens Ă©tait centrale ». Jacques Besson a Ă©galement Ă©tĂ© mĂ©decin dans lâArmĂ©e du Salut. Il a vu lĂ un tĂ©moignage magnifique et il y a beaucoup appris. Câest lĂ quâil a rencontré « les alcooliques anonymes », un mouvement spirituel et non religieux qui a commencĂ© dans les annĂ©es 1930, oĂč les participants se remettent Ă une puissance supĂ©rieure, Ă plus grand quâeux-mĂȘmes, pour leur rĂ©tablissement. Les « alcooliques anonymes » ont actuellement plusieurs dizaines de millions dâadeptes en traitement qui vont bien. Jacques Besson, bien au fait de la biologie molĂ©culaire, a considĂ©rĂ© les bienfaits engendrĂ©s par lâapproche des alcooliques anonymes : les diffĂ©rentes Ă©tapes, le lĂącher-prise et la conscience dans lâunivers. Il sâest alors demandĂ©Â : est-ce quâil y aurait une neuroscience des alcooliques anonymes ? La rĂ©ponse est oui. Il y a eu beaucoup de recherches en imagerie sur lâimpact de la priĂšre, de la mĂ©ditation. Dans les annĂ©es 1990, au cours dâune annĂ©e sabbatique Ă Harvard, il a pu suivre les dĂ©buts de lâimagerie fonctionnelle cĂ©rĂ©brale et il a dĂ©couvert la puissance de lâinstrument. « Entre addiction et spiritualitĂ©, il y a un rapport trĂšs Ă©troit. Dâun cĂŽtĂ©, lâaddiction est une impasse de sens. De lâautre cĂŽtĂ©, la spiritualitĂ© est une ouverture Ă plus grand que soi. Donc la spiritualitĂ© est un instrument puissant pour la prĂ©vention et le rĂ©tablissement des addictions ». AprĂšs avoir fait une thĂšse sur la correspondance Ă©changĂ©e entre Freud et le pasteur Pfister oĂč les fondements du dialogue entre psychanalyse et religion Ă©taient posĂ©s, Jacques Besson sâest engagĂ© dans une Ă©tude de la pensĂ©e de Carl Jung et, pendant une dizaine dâannĂ©es, il sâest formĂ© Ă la psychanalyse jungienne en autodidacte, puisque celle-ci n’est pas agrĂ©Ă©e dans lâenseignement officiel. Il y a trouvĂ© les ingrĂ©dients dont il avait besoin pour Ă©tablir un lien entre science et spiritualitĂ©. « Il peut y avoir une science de lâesprit qui est plus grande que celle du cerveau ou de la psychologie, et la question de lâinconscient collectif, la question du Dieu inconscient, la question de ce qui nous transcende et de ce qui nous traverse sont des questions qui ont habitĂ© les humains depuis toujours et Jung a Ă©tĂ© un investigateur de gĂ©nie sur ces questions ». Par la suite, Jacques Besson sâest tournĂ© vers lâĆuvre du sociologue mĂ©dical, rescapĂ© dâAuschwitz, Aaron Antoniovsy. Il a observĂ© la vie dans les camps et « il en a tirĂ© la conclusion que les humains avaient besoin de sens et de cohĂ©rence, de cohĂ©rence permettant dâaligner le somatique, le psychique et le spirituel, et dâĂȘtre droit dans ses bottes, dâavoir un sens dans la vie. VoilĂ ce qui est gĂ©nĂ©rateur de ce quâil a appelĂ© lui-mĂȘme la salutogenĂšse. La salutogenĂšse, Ă travers ses origines latines entend le salut Ă la fois comme santĂ© et comme salut. La salutogenĂšse est le concept gĂ©nial qui crĂ©Ă© la promotion de la santĂ©. Les mĂ©decins obsĂ©dĂ©s par les causes des maladies sâintĂ©ressent beaucoup moins aux attracteurs de santĂ© et je me suis passionnĂ© pour le âsolutionnismeâ, câest Ă dire conjuguer toutes les approches disponibles dans un champ comme les addictions oĂč la mĂ©decine Ă©tait trĂšs pauvre et pouvoir venir ainsi Ă lâaide de populations vulnĂ©rables ».
Mais, si lâon peut distinguer des groupes vulnĂ©rables, « nous sommes tous aujourdâhui vulnĂ©rables dâune certaine maniĂšre⊠Nous avons tous des carences, nous avons tous des maltraitances⊠la condition humaine fait que la vie est imparfaite et que nous sommes sur un chemin entre lâinaccompli et lâaccompli. Câest une voie mystique qui ne me fait pas peur parce quâelle est compatible avec la vision scientifique dâun monde Ă©volutionnaire ».
Aujourdâhui, « lâhumanitĂ© est traumatisĂ©e et elle nâaccĂšde pas, pas encore, aux instruments de guĂ©rison, cet alignement entre le physique, le psychique et le spirituel, entre la science de la nature, la science humaine et, peut-ĂȘtre la science de lâesprit. Donc, jâai toujours cherchĂ© cette cohĂ©rence, cet alignement⊠Je nâai jamais quittĂ© cette ligne et je suis âle capitaine de mon Ăąmeâ » (cette expression en Ă©cho Ă celle du poĂšme rĂ©citĂ© en priant, par Nelson Mandela dans sa prison).
LâĂȘtre humain et la spiritualitĂ©
Lâentretien se poursuit au sujet de la nature humaine. Nous ressentons aujourdâhui les effets nocifs du matĂ©rialisme. « Ce matĂ©rialisme, dans lequel nous sommes dĂ©sespĂ©rĂ©ment plongĂ©s, nous coupe de ce que les peuples premiers savaient trĂšs bien⊠Câest que le monde est un. Nous sommes dans une totalité ». En demandant Ă ses Ă©tudiants en mĂ©decine : oĂč est lâesprit, Jacques Besson les amenait Ă penser quâil nâĂ©tait pas seulement dans le cerveau, dans le corps, mais que, pour vivre, lâĂȘtre humain avait besoin dâun langage, de relations, dâune culture ; « il faut une humanitĂ©, il faut une planĂšte, il faut un univers. Pour un seul ĂȘtre humain, il faut la totalitĂ© de lâunivers et le grand mystĂšre, câest que chaque ĂȘtre humain reprĂ©sente une singularité ». Mais cette singularitĂ© se vit en complĂ©mentaritĂ©, dans un ensemble. « Plus on va vers soi-mĂȘme, disent les sages du premier millĂ©naire chrĂ©tien, plus on sâapproche de Dieu, mais il sâagit de soi-mĂȘme, au sens de Jung, câest Ă dire dâune individuation. Il sâagit de bien comprendre le rapport entre le soi et la totalité ».
Câest un apport de la psychanalyse jungienne qui, elle-mĂȘme, peut ĂȘtre envisagĂ©e comme une Ă©tape pour aller plus haut. A partir dâun Ă©pisode vĂ©cu et rapportĂ© par Jung, du ârĂȘve dâun scarabĂ©e par un patient et lâapparition de cet insecte Ă la fenĂȘtreâ, la conversation sâengage sur le phĂ©nomĂšne des synchronicitĂ©s. Jacques Besson a vĂ©cu de nombreuses synchronicitĂ©s dans sa carriĂšre et « il est convaincu que ce phĂ©nomĂšne introduit une fenĂȘtre sur un rapport diffĂ©rent au temps, au temps qui nous dĂ©passe, au temps vertical, le grand temps, celui qui sâest dĂ©ployĂ© avec le big bangâŠÂ ». Lâaccueil des synchronicitĂ© requiert « une grande ouverture au monde, Ă lâunivers, Ă la conscience, qui est bien plus grande que ce quâon peut imaginer, et pour les scientifiques, beaucoup dâhumilité », vertu trop peu rĂ©pandueâŠÂ « Il faut ĂȘtre bien conscient des limites de la science pour accĂ©der Ă un monde plus grand⊠La foi et la science ne sâoppose pas. On peut ĂȘtre scientifique et mystique. La science sâoccupe des âcommentsâ. Elle propose des modĂšles. La mĂ©taphysique propose des intuitions, des visions ».
La conversation se poursuit sur les ressources du cerveau humain. « Le cerveau a de nombreuses fonctions⊠Le cerveau est un univers Ă lui tout seul. Câest un microcosme. Lâunivers du cerveau est un univers infiniment complexe ». Ainsi, sâil y a un infiniment petit et un infiniment grand, « comme lâa intuitivement prĂ©dit, le gĂ©nial Blaise Pascal, lâhomme est le milieu de toutes choses et lâĂȘtre humain est entre les deux infinis, le petit et le grand, et je suis arrivĂ© Ă la conclusion quâil dĂ©tient le troisiĂšme infini qui est lâinfiniment complexe⊠La science se prĂ©occupe dâobjectiver. La ligne de la science, câest bien lâobjectivitĂ©, mais nous autres, ĂȘtres humains, nous vivons aussi dâune subjectivitĂ© et la science du sujet est extrĂȘmement importante. Câest la science de la conscience prĂ©cisĂ©ment⊠La totalitĂ© implique dâavoir recours Ă la science et Ă la conscience, Ă la science et Ă la spiritualité ».
Spiritualité, soin, médecine
Une question de lâinterviewer : Est-ce que la spiritualitĂ© peut soigner des Ă©gos blessĂ©s, des Ă©gos malades ? Jacques Besson rĂ©pond en Ă©voquant « une nouvelle science qui a fait dâĂ©normes progrĂšs depuis une quinzaine dâannĂ©es : la psycho-traumatologie. La psycho-traumatologie est lâĂ©tude interdisciplinaire des traumatismes psychiques. Nous avons tous un certain capital de santĂ© mentale et nous pouvons supporter ainsi un certain nombre de souffrances. Mais sâil y a effraction, un abus trop fort, une agression trop violente, la blessure psychique qui en rĂ©sulte est un traumatisme. La question du traumatisme est trĂšs importante parce quâelle participe au diagnostic dâune vulnĂ©rabilitĂ© particuliĂšre chez certaines personnes qui peut ĂȘtre investiguĂ©e et surtout peut ĂȘtre traitĂ©e.
Puis, une grande question se pose : pourquoi moi ? Pourquoi Ă moi, mâest-il arrivĂ© tel accident, tel malheur ? Et le âpourquoi moiâ, est un grand mystĂšre. Câest une blessure parce que câest incomprĂ©hensible. Le monde est imparfait. LâarrivĂ©e dâun accident nous dĂ©passe et la spiritualitĂ© nous aide Ă redonner du sens, Ă recouvrir notre Ăąme⊠Câest la technique chamanique. C’est lâextraction dâesprit et le recouvrement dâĂąme. Les chamans sont spĂ©cialistes du trauma Ă leur maniĂšre. Lâextraction dâesprit, câest se dĂ©tourner de ce qui nous a blessĂ©, peut-ĂȘtre lâextraire ou tout au moins sâen dĂ©tacher. Le recouvrement dâĂąme, câest aller vers plus grand que soi. Et voilĂ un mouvement salutogĂ©nique. Et voilĂ , les peuples premiers ont cette intuition quâil y un rĂ©tablissement possible. La santĂ© mentale est le fruit dâune plasticitĂ©. Et cela, câest tout lâespoir que peut avoir un psychiatre, un psychiatre psychothĂ©rapeute en lâoccurrence. Le cerveau est plastique. Câest Ă dire que les connexions sâadaptent Ă lâenvironnement, Ă la culture. Les neurones dialoguent entre eux et se connectent. Et cela laisse de la trace.
Donc, du coup, lâexpĂ©rience spirituelle, cela laisse de la trace. Pour en donner un exemple, la mĂ©ditation en pleine conscience, qui sâest occidentalisĂ© rĂ©cemment, se rĂ©vĂšle modifier la connectivitĂ© cĂ©rĂ©brale, ainsi que montre les nouvelles techniques dâimagerie. On devient plus autonome affectivement et cognitivement, plus souple. Ce sont des encouragements trĂšs forts pour relier la mĂ©decine psychiatrique, la mĂ©decine somatique et la psychothĂ©rapie. Depuis plusieurs annĂ©es, jâai eu la chance dâintroduire la santĂ© spirituelle Ă la facultĂ© de mĂ©decine, notamment Ă la suite de la rencontre publique avec le DalaĂŻ Lama en 2013.
Je lui ai posĂ© la question des trois ordres de la mĂ©decine et il mâa rĂ©pondu avec beaucoup de chaleur que câĂ©tait une question quâil fallait absolument explorer en Occident, car, pour la mĂ©decine tibĂ©taine, il est Ă©vident que le premier rang de la santĂ© est la santĂ© spirituelle. En dĂ©coule la santĂ© psychique dont dĂ©coule la santĂ© physique. Or, en Occident, nous faisons trĂšs exactement le contraire. Nous avons jetĂ© les bases dâune santĂ© somatique, nous avons Ă©laborĂ© correctement une psychiatrie qui tient la route, mais nous somme encore trĂšs loin de la singularitĂ© du sujet, de la question du lien, de la question du sens qui sont les vraies questions qui mobilisent la salutogenĂšse et le rĂ©tablissement ».
Une crĂ©ation de sens ? suggĂšre lâinterviewer. Câest innĂ© ou cela se travaille ? demande-t-il. « Les deux Ă la fois » rĂ©pond Jacques Besson. « Je crois quâil y a du divin dans lâhomme, pour citer les PĂšres de lâĂglise ». En reprenant une expression latine, « lâhomme est capable de Dieu. Câest-Ă -dire, il a une intuition du beau, du bien, du vrai, du juste, et il peut suivre ce chemin. Câest un possible. Alors cela nĂ©cessite Ă©videmment un travail. Le Bouddha a dit : « Le bonheur est sur le chemin ». Alors, cheminons.
Psychédéliques, chamanisme, médecine ouverte
Jacques Besson envisage son approche de la guĂ©rison sous diffĂ©rents angles. Ainsi, dans un cadre psychiatrique, il participe à « la rĂ©habilitation des psychĂ©dĂ©liques (champignons hallucinogĂšnes, Lsd, certaines formes dâecstasy) », Ă des fins thĂ©rapeutiques. Historiquement, ces substances ont Ă©tĂ© stigmatisĂ©es aprĂšs le premier dĂ©veloppement de leur usage aux Etats-Unis, mais on observe aujourdâhui un retour parce quâon a compris que ce nâest pas le mĂȘme groupe de drogues que les opiacĂ©s, la cocaĂŻne ; un groupe diffĂ©rent qui a la capacitĂ© de perturber lâordre psychique, mais Ă petites dose, bien contrĂŽlĂ©es et dans un cadre thĂ©rapeutique, cela peut permettre de modifier un ordre Ă©tabli dans le sens dâouvrir certaines mĂ©moires qui Ă©taient dans des tiroirs. Lorsquâun traumatisme dĂ©sorganisateur infecte une existence, il vaut mieux le sortir, lâaĂ©rer. Et cela, câest lâextraction dâesprit et le recouvrement dâĂąme opĂ©rĂ©s par les chamans, câest ce que la psychanalyse essaie de faire laborieusement avec de longs processus, câest ce que lâhypnose essaie de faire par des conditionnements, mais les psychĂ©dĂ©liques sont aujourdâhui le moyen le plus prometteur pour accĂ©der aux souvenirs traumatiques dans un contexte sĂ©curisĂ© et Ă©largir la conscience⊠On pense que les psychĂ©dĂ©liques ont le pouvoir dâaccroitre la plasticitĂ© neuronale, et notamment les champignons, ce que les peuples premiers savaient trĂšs bien. Aujourdâhui les mĂ©dicaments les plus prometteurs en psychiatrie sont ceux qui ont Ă©tĂ© les plus ostracisĂ©s et maudits quand jâĂ©tais jeune. Le cannabis ouvre des perspectives intĂ©ressantes en mĂ©decine curative et les psychĂ©dĂ©liques ouvrent des pistes intĂ©ressantes pour la santĂ© mentale ».
Jacques Besson critique les prĂ©jugĂ©s engendrĂ©s par un matĂ©rialisme rĂ©ductionniste vis-Ă -vis des pratiques des peuples premiers. « Jâai eu la chance de rencontrer plusieurs personnes qui se sont intĂ©ressĂ©es scientifiquement au chamanisme. Ainsi le docteur Olivier Chambon en France qui a Ă©crit un texte de rĂ©fĂ©rence : « PsychothĂ©rapie et chamanisme ». Il Ă©voque la psychologie transpersonnelle, notamment StĂ©phane Gros. Ce sont des psychologues qui acceptent quâon puisse communiquer dâinconscient Ă inconscient et communiquer avec plus grand que soi. Le chamanisme, câest aussi une communication avec un monde plus grand. Le chamane et Ă la fois prĂȘtre et mĂ©decin. Aujourdâhui, nous avons rejetĂ© le prĂȘtre et garder le mĂ©decin.
Il est grand temps de rĂ©concilier le prĂȘtre et le mĂ©decin, le spirituel et le scientifique ». il y a un fossĂ© Ă combler. Cependant, en mĂ©decine scientifique, on enseigne la psychologie mĂ©dicale, les fondements de la relation mĂ©decin-malade, lâalliance thĂ©rapeutique et il y a maintenant une science Ă©tablie de lâeffet placebo. Le mĂ©decin revient au prĂȘtre par des voies dĂ©tournĂ©es. Et il utilise trĂšs largement, souvent inconsciemment, le chemin de la suggestion (suggestion que Freud nâaimait pas trop). Pour ma part, je pense que le mĂ©decin de famille est un homme de confiance. Il a le manteau du druide. Il fait de la suggestion. Et câest une bonne chose ! Les mĂ©dicaments parfois peuvent avoir un effet placebo sans le savoir ». Jacques Besson Ă©voque une recherche sur les antidĂ©presseurs qui montre quâil nây a que 5% de variance entre le placebo et le mĂ©dicament. « Cela rend modeste quand on pense quâon a dĂ©pensĂ© des milliards pour des antidĂ©presseurs.
« Je crois quâil faut ĂȘtre juste et humble. Il y a un ordre somatique de la mĂ©decine. Il y a des gĂšnes. Il y a des molĂ©cules. Il y a un dĂ©terminisme biologique. Il y a une gĂ©nĂ©tique. Mais il y a aussi une Ă©pigĂ©nĂ©tique. Les gĂšnes dialoguent avec lâenvironnement. Le sujet a une histoire dans sa nature, dans son contexte. Et câest toute la force de lâordre psychique. Nous avons une Ă©ducation, un environnement, une culture, des valeurs et cela produit de la plasticité ». Il y a des intuitions. Lâintuition est une dimension de lâappareil psychique qui nâest pas Ă©tudiĂ©e en psychothĂ©rapie. Elle est souvent destinĂ©e aux « bonnes femmes » alors que la femme a beaucoup plus dâintuition que lâhomme.
Câest probablement avec les femmes que lâon a eu les plus grandes dĂ©couvertes de la sacralitĂ©. Certes, il y a des diffĂ©rences biologiques entre les hommes et les femmes, mais ces diffĂ©rences ne sont pas absolues. « Il y a lâordre psychique, les apprentissages, les valeurs qui ont Ă©tĂ© transmises. Mais je pense que la rĂ©ponse la plus appropriĂ©e est dans la psychĂ©, les archĂ©types, lâanimus et lâanimaâŠÂ La santĂ© psychique, câest le dialogue, le mariage entre lâanimus et lâanima. Câest la rencontre des opposĂ©s. Pour atteindre la totalitĂ©, lâindividuation, il faut avoir mariĂ© lâanima et lâanimusâŠÂ ». Cette analyse se poursuit au niveau de lâunivers. « La rencontre du ciel et de la terre se fait pour que lâhomme puisse accĂ©der Ă plus grand que lui. Henri Bergson disait : « la terre est un incubateur de Dieu ». Tout se passe comme si la matiĂšre voulait ĂȘtre spiritualisĂ©eâŠÂ ». Câest une vision de rĂ©conciliation.
Puis, Jacques Besson Ă©voque lâamour des autres comme lâamour de soi. » Pour les bouddhistes, pas de sagesse sans compassion. Pour les chrĂ©tiens, pas de vĂ©ritĂ© sans charitĂ©. La conscience ne suffit pas⊠il faut passer par le don de soi ; par la crĂ©ativitĂ©, par le nouveau. Si nous sommes dans un univers Ă©volutionnaire, alors nous faisons partie de lâĂ©volution. Nous avons une responsabilitĂ©. Nous sommes des co-crĂ©ateurs ».
« La mĂ©ditation, la priĂšre, la sagesse des peuples premiers et la religion peuvent nous apporter quelque chose. La spiritualitĂ© nâa pas besoin dâĂȘtre religieuse ; mais je pense quâil y a des religions qui peuvent ĂȘtre spirituelles. Personnellement, jâai beaucoup dâadmiration pour le soufisme⊠Soyons humble. Gandhi a dit : « celui qui va au fond de sa religion, va au fond de toutes les religions ». Le noyau dur des religions, câest la spiritualitĂ©, câest la sacralitĂ©, câest le rapport entre la vĂ©ritĂ© et la charitĂ©. Câest cela le noyau dur ».
Quelles lectures éclairantes ? Une inspiration biblique
Lâintervieweur demande Ă Jacques Besson de nous conseiller. Et, entre autres, quelles lectures comptent pour lui ? La rĂ©ponse va Ă lâencontre de la mode. Câest « lire la Bible ». « Parce que câest, quand mĂȘme, un livre incroyable. Ce sont des centaines dâauteurs qui Ă©crivent ensemble dans des moments diffĂ©rents, dans des contextes diffĂ©rents, pour exprimer une forme de vĂ©ritĂ© profonde dont ils ont eu lâinspiration, la rĂ©vĂ©lation pour le bien de la communautĂ©. Il y a, bien sĂ»r, des chapitres plus difficiles, mais lire la Bible avec la psychologie des profondeurs, avec de lâĂ©veil, avec un regard chamanique, câest trĂšs riche de sens, de lien, dâexpĂ©rience dâautres humains, dâautres situations. Quand MoĂŻse va chercher les tables de la loi et quâil trouve les « couillons » avec le veau dâor, câest une modernitĂ© effrayante. Et le Christ sur sa croix qui est plus fort que la mort â aprĂšs, on peut lâinterprĂ©ter de plusieurs maniĂšres â câest actuel, je pense. Si on ne sâoccupe pas trop de la mort, on devient tellement plus vivant. Il faut vivre lâinstant ». Et donc, si la Bible nâest plus toujours apprĂ©ciĂ©e, Jacques Besson sâĂ©crie : « moi, je la lis ». Certains passages le touchent davantage ; « Ma petite prĂ©fĂ©rence va Ă lâĂvangile de Jean. Dans lâAncien Testament, jâaime beaucoup le Livre de Job, le malheur de lâinnocent⊠Il y a les psaumes qui sont merveilleux aussi et bien sĂ»r les Ăvangiles. Septante trois guĂ©risons du Christ. Le Christ est un exorciste. Câest un immense chaman. Le Saint-Esprit, vu par la spiritualitĂ© et les neurosciences, câest le Grand Esprit, câest lâĂąme du monde ». Paracelse est citĂ© en Ă©voquant âla lumiĂšre, lâĂąme du mondeâ. « Lisez Paracelse, lisez Jung, lisez la Bible, regardez la biographie de Gandhi ».
InterrogĂ© sur lâesprit qui lâanime, Jacque Besson revient Ă son enfance : « Quand jâavais quatre ans, mon grand-pĂšre est mort dans des conditions assez tristes et ma mĂšre a fait une assez grave dĂ©pression ; je me suis mis Ă avoir peur du noir. CâĂ©tait assez angoissant. Un jour que ma nourrice sâoccupait de moi, elle a remarquĂ© que jâavais peur du noir et elle sâest adressĂ©e Ă moi avec beaucoup de gentillesse et beaucoup dâhumanitĂ©, elle mâa dit : Jacques, il ne faut pas avoir peur du noir. Non, il ne faut pas avoir peur du noir parce que, dans le monde, il y a une lumiĂšre invisible. Oui, câest une lumiĂšre qui Ă©claire et qui rĂ©chauffe le cĆur des enfants. Câest un enfant aussi qui la donne. Il sâappelle JĂ©sus. Cela mâa intĂ©ressĂ©Â : il y aurait une lumiĂšre invisible et un autre enfant qui la donne. Et il est dâun autre ordre⊠Donc, Ă partir de quatre-cinq ans, je me suis intĂ©ressĂ© Ă cette figure. On mâa envoyĂ© Ă lâĂ©cole du dimanche. Je me suis passionnĂ© pour les personnages de la Bible : Abraham, Isaac, Jacob, Joseph et les pharaons, MoĂŻse, David, Goliath et puis, aprĂšs, le Christ. Jâai toujours eu cette intuition quâil y a du visible dans lâinvisible. Et plus tard, jâai dĂ©couvert, avec les PĂšres du premier millĂ©naire chrĂ©tien ce quâils appellent lâintelligible, non pas au sens de lâintelligence, mais au sens que dans lâinvisible, il y a des choses quâon peut comprendre, auxquelles on peut accĂ©der, câest une grĂące divine. Alors, toute ma vie a Ă©tĂ© Ă©clairĂ©e, dâun cĂŽtĂ© par mon intĂ©rĂȘt sincĂšre et rigoureux pour la science et mon intĂ©rĂȘt sincĂšre et rigoureux pour la spiritualitĂ©. Et, un jour jâai dĂ©couvert, je crois que câest Jean Calvin qui lâa dit, « la science permet lâĂ©merveillement ». Jâavais une passerelleâŠ.
Cette contribution de Jacques Besson nous parait particuliĂšrement Ă©clairante et innovante. Elle reconnait et prend en compte des rĂ©alitĂ©s Ă©mergentes comme par exemple les rĂ©sultats de lâimagerie cĂ©rĂ©brale, les synchronicitĂ©s et le chamanisme. Des courants de pensĂ©e et de recherche, encore minoritaires sont pris en compte. Un nouveau paysage apparait.
Cette contribution nous parait doublement prĂ©cieuse. A lâencontre dâun matĂ©rialisme encore puissant, elle instaure une nouvelle comprĂ©hension de la nature humaine et de lâordre du monde dâautant quâen plus des phĂ©nomĂšnes mentionnĂ©s dans cet interview, on peut en ajouter dâautres comme les expĂ©riences de mort imminente prĂ©sentĂ©es par lâauteur dans une autre vidĂ©o. En mĂȘme temps, elle installe la spiritualitĂ© dans la prĂ©servation et le recouvrement de la santĂ©.
On peut ajouter un autre apport qui nous parait prĂ©cieux dans la configuration religieuse actuelle oĂč certains courants fondamentalistes manifestent une Ă©troitesse dâesprit en considĂ©rant nĂ©gativement des phĂ©nomĂšnes Ă©mergeants jusquâĂ les condamner et Ă les rejeter avec violence au nom dâune interprĂ©tation littĂ©rale de la Bible. Or, ici, Jacques Besson conjugue la reconnaissance de ces phĂ©nomĂšnes avec un tĂ©moignage de foi chrĂ©tienne et une lecture de la Bible Ă la fois instruite et enthousiaste.
Ainsi, Ă tous Ă©gards, cette contribution nous parait appeler une particuliĂšre attention.
Rapporté par J H
1.Jacques Besson. Addiction et spiritualitĂ©. Spiritus contre spiritum. ErĂšs, 2017. « Lâauteur propose un voyage depuis lâaube de lâhumanitĂ© en compagnie des substances psycho-actives jusquâĂ lâĂ©pidĂ©mie addictive contemporaine. Il montre comment lâaddiction reprĂ©sente une pathologie du lien et du sens. Les relations entre addiction et spiritualitĂ© sont explorĂ©es par les derniĂšres recherches neuroscientifiques sur la mĂ©ditation et la priĂšre, dans ce qui est devenu une nouvelle science, la neurothĂ©ologie »
2. La CONSCIENCE , moteur de la prochaine REVOLUTION : https://www.youtube.com/watch?v=-bA52VG7wZg
Expériences de mort imminente : la science face à une énigme : https://www.youtube.com/watch?v=REoY0EwwnMM
3.SpiritualitĂ© et crĂ©ativitĂ© de soi. Lâesprit du bonheur : https://www.youtube.com/watch?v=M7C1FXvMzSA
Voir aussi :
The Awakened brain ( Cerveau et spiritualité) : https://vivreetesperer.com/the-awakened-brain/
La nouvelle science de la conscience : https://vivreetesperer.com/la-nouvelle-science-de-la-conscience/
Comment nos pensées influencent notre réalité : https://vivreetesperer.com/comment-nos-pensees-influencent-la-realite/
Les expériences spirituelles : https://vivreetesperer.com/les-experiences-spirituelles/
Une rĂ©volution spirituelle. Une approche nouvelle de lâau-delĂ (Lytta Basset) : https://vivreetesperer.com/une-revolution-spirituelle-une-approche-nouvelle-de-lau-dela/
Jésus le guérisseur (Tobie Nathan) : https://vivreetesperer.com/jesus-le-guerisseur/