Une belle vie se construit avec de belles relations

 

Un message de Robert Waldinger, directeur de la « Harvard study of adult development »

 

Qu’est ce qui contribue le plus Ă  notre bonheur ? C’est une question qui se pose Ă  tout Ăąge, et aussi dans les jeunes gĂ©nĂ©rations qui s’interrogent sur leur devenir. On peut entendre parfois un dĂ©sir de richesse, de cĂ©lĂ©britĂ© ou bien l’éloge d’un travail acharnĂ©. Une recherche menĂ©e Ă  l’UniversitĂ© de Harvard Ă©claire singuliĂšrement notre rĂ©ponse Ă  ces questions. Directeur du projet » Harvard study of adult development », dans un exposĂ© Ă  Ted X (1), Robert Waldinger nous dĂ©crit une enquĂȘte exceptionnelle parce qu’elle s’effectue dans une longue durĂ©e. « Pendant 75 ans, nous avons suivi les vies de 724 hommes, annĂ©e aprĂšs annĂ©e », en les interrogeant sur toutes les dimensions de leur vie : travail, vie de famille, santé . Ainsi, depuis 1938, les chercheurs enquĂȘtent auprĂšs de deux groupes initiaux : « Le premier est entrĂ© dans l’étude alors que les jeunes gens Ă©taient dans la deuxiĂšme annĂ©e d’Harvard. Le deuxiĂšme Ă©tait un groupe de garçons d’un des quartiers les plus pauvres de Boston ». Aujourd’hui, 60 de ces 724 hommes sont encore vivants. Les trajectoires de ces personnes sont extrĂȘmement diverses. « Ils ont grimpĂ© toutes les marches de la vie. Ils sont devenus ouvriers, avocats, maçons, docteurs
 Certains ont grimpĂ© l’échelle sociale du bas jusqu’au sommet et d’autres ont fait le chemin dans l’autre sens ». RĂ©pĂ©tĂ©e tous les deux ans, la recherche menĂ©e auprĂšs d’eux a permis de collecter un ensemble de donnĂ©es approfondies et variĂ©es depuis des interviews en profondeur jusqu’à des informations mĂ©dicales.

 

 

Quelles sont les donnĂ©es qui rĂ©sultent des dizaines de milliers de pages d’information qui ont Ă©tĂ© ainsi recueillies ? A partir de lĂ , Robert Waldinger peut rĂ©pondre Ă  la question portant sur les conditions qui favorisent le bonheur. « Le message le plus Ă©vident est celui-ci : les bonnes relations nous rendent plus heureux et en meilleure forme. C’est tout ». Ainsi, « les connexions sociales sont vraiment trĂšs bonnes pour nous et la solitude tue. Les gens qui sont les plus connectĂ©s Ă  leur famille, Ă  leurs amis, Ă  leur communautĂ©, sont plus heureux, physiquement en meilleure santĂ© et ils vivent plus longtemps que les gens moins bien connectĂ©s ». L’isolement est vraiment un flĂ©au.

Mais on peut aller plus loin. « Il y a une deuxiĂšme leçon que nous avons apprise. On peut se sentir seul dans une foule ou dans un mariage. Ainsi, ce n’est pas le nombre d’amis que vous avez ou que vous soyez engagĂ© ou non dans une relation, mais c’est la qualitĂ© de vos relations proches qui importe ». Cette qualitĂ© de la relation ressort Ă©galement d’une autre dĂ©marche de la recherche. « Une fois que nous avons suivi les hommes jusqu’à leur quatre-vingtiĂšme annĂ©e, nous avons voulu revenir vers le milieu de leur vie, vers la cinquantaine » et voir si nous pouvions prĂ©dire ce qu’ils deviendraient plus tard. « Nous avons rassemblĂ© tout ce que nous savions sur eux Ă  cinquante ans. De fait, ce n’est pas le taux de cholestĂ©rol qui prĂ©dit comment ils allaient vieillir. C’est le niveau de qualitĂ© de leurs relations ». « Les gens qui Ă©taient les plus satisfaits de leurs relations Ă  cinquante ans Ă©taient Ă©galement ceux qui Ă©taient en meilleure santĂ© Ă  quatre vingt ans ». Robert Waldinger ajoute un troisiĂšme observation. « les bonnes relations ne prolongent pas seulement la santĂ©, mais aussi l’état du cerveau. La mĂ©moire de ces gens restent en forme plus longtemps. »

Cependant, en conclusion, Robert Waldinger commente ainsi sa recherche. Ne recherchons pas le spectaculaire. C’est tout un processus qui est en cause, une attitude « tout au long de la vie ». « Cela ne finit jamais ». « Les gens de notre Ă©tude qui Ă©taient les plus heureux dans leur retraite, Ă©taient ceux qui ont activement remplacĂ© leurs collĂšgues de travail par de nouveaux amis ». « Les possibilitĂ© sont pratiquement sans fin. Ce peut ĂȘtre quelque chose d’aussi simple que de remplacer le temps d’écran par du temps vĂ©cu avec des gens, ou raviver une vieille relation en faisant quelque chose de nouveau ensemble, ou rappeler ce membre de la famille Ă  qui vous n’avez pas parlĂ© depuis des annĂ©es..  »

Le bienfait des bonnes relations ; c’est « une sagesse qui est vieille comme le monde ». « Une belle vie se construit avec de belles relations ».

 

Cette recherche nous apprend beaucoup sur les fondements d’une vie humaine accomplie. Dans la conscience croissante de l’interconnection qui prĂ©vaut dans l’univers, c’est seulement dans la relation que l’ĂȘtre humain peut s’épanouir. Et d’ailleurs, la spiritualitĂ© a pu ĂȘtre dĂ©finie comme une « conscience relationnelle » (2) avec soi, avec les autres, avec la nature et avec Dieu. L’emploi croissant du terme « reliance » (3) est Ă©galement significatif.

Cependant, cette importance primordiale de la relation telle qu’on peut la constater dans cette recherche, nous paraĂźt s’inscrire dans une dimension plus vaste. Nous nous rĂ©fĂ©rons ici Ă  JĂŒrgen Moltmann, un thĂ©ologien qui nous invite Ă  reconnaĂźtre l’Ɠuvre de l’Esprit dans la communautĂ© de la crĂ©ation. « L’ « essence » de la crĂ©ation dans l’Esprit est  « la collaboration » et les structures manifestent la prĂ©sence de l’Esprit dans la mesure oĂč elles font connaĂźtre l’ « accord gĂ©nĂ©ral ». « Au commencement Ă©tait la relation »   (Martin Buber) (4). A la fin de son exposĂ©, « Robert Waldinger Ă©voque « une sagesse qui est vieille comme le monde ». Dans l’Evangile, JĂ©sus nous invite Ă  nous aimer les uns les autres.

A une Ă©poque oĂč se manifeste Ă  la fois un progrĂšs de l’individualisation et un dĂ©sir de relation, JĂŒrgen Moltmann Ă©voque « la multiplicitĂ© dans l’unité ». « Les crĂ©atures font l’expĂ©rience de la « communion de l’Esprit Saint » aussi bien sous la forme de l’amour qui nous unit que sous celle de la libertĂ© qui permet Ă  chacune d’advenir Ă  elle-mĂȘme selon son individualitĂ© propre ». Il y a en nous, les humains, un besoin profond de relation et la recherche menĂ©e Ă  Harvard  confirme l’importance vitale de ce besoin. JĂŒrgen Moltmann exprime bien cette rĂ©alitĂ© et l’inscrit dans une perspective plus vaste.

« Il n’y a pas de vie sans relations
.  Une vie isolĂ©e et sans relations, c’est Ă  dire individuelle au sens littĂ©ral du terme et qui ne peut pas ĂȘtre partagĂ©e, est une rĂ©alitĂ© contradictoire en elle-mĂȘme. Elle n’est pas viable et elle meurt
 La vie naĂźt de la communautĂ©, et lĂ  oĂč naissent des communautĂ©s qui rendent la vie possible et la promeuvent, l’Esprit de Dieu est Ă  l’Ɠuvre. Instaurer la communautĂ© et la communion est manifestement le but de l’Esprit de Dieu qui donne la vie dans le monde de la nature et dans celui des hommes » (5).

La recherche menĂ©e Ă  Harvard nous montre le bienfaits d’un vĂ©cu en relation. Bien sĂ»r, ce vĂ©cu dĂ©pend de plusieurs variables. Certains peuvent le dĂ©sirer et ne pas y parvenir pour diverses raisons. Mais l’objectif est pertinent.

Dans certains contextes, pour vivre pleinement en relation, il y a des obstacles Ă  surmonter (6). C’est pourquoi nous sommes appelĂ©s Ă  susciter des environnements propices Ă  cette dimension essentielle de la vie (7). Les conclusions que Richard Waldinger tire de la « Harvard study of adult development » sont pour nous un Ă©clairage et un encouragement.

 

J H

 

(1)            What makes a good life ? Lessons from the longest study on happiness. Sur You Tube : https://www.youtube.com/watch?v=8w9QwRAumBA         Sur Ted. Ideas worth spreading : https://www.ted.com/talks/robert_waldinger_what_makes_a_good_life_lessons_from_the_longest_study_on_happiness

(2)            « La vie spirituelle comme « une conscience relationnelle ». Une recherche de David Hay sur la spiritualitĂ© d’aujourd’hui » : http://www.temoins.com/la-vie-spirituelle-comme-une-l-conscience-relationnelle-r/

(3)            Origine et Ă©volution du terme sur Wiktionnaire : https://fr.wiktionary.org/wiki/reliance  CĂ©line Alvarez, dans un remarquable livre sur « Les lois naturelles de l’enfant » (Les ArĂšnes, 2016) consacre un chapitre entier sur les bienfaits de la reliance dans une classe d’école maternelle mettant en Ɠuvre une pĂ©dagogie d’inspiration montessorienne confirmĂ©e scientifiquement : « La puissance de la reliance » (p 353-374)

(4)            JĂŒrgen Moltmann . Dieu dans la crĂ©ation. TraitĂ© Ă©cologique  de la crĂ©ation . Cerf, 1988 (p 25)

(5)            JĂŒrgen Moltmann. L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999 ( p 298)

(6)            « Solidaires face à la solitude » : https://vivreetesperer.com/?p=561

(7)            Rappelons ici le chapitre du livre de Céline Alvarez sur la reliance qui se réfÚre également à la recherche que nous venons de présenter.                                                                       Sur ce blog, voir aussi : « Un environnement pour la vie » : https://vivreetesperer.com/?p=2041 et une méditation de Guy Aurenche : « Briser la solitude » . https://vivreetesperer.com/?p=716

Partager une communion spirituelle en petit groupe Skype : un nouveau moyen de communication

Partager une communion spirituelle en petit groupe Skype Aujourd’hui, la recherche spirituelle s’accompagne d’un besoin de partager parce qu’on a besoin d’admirer et de s’émerveiller avec d’autres, de mettre en commun nos dĂ©couvertes,  et de vĂ©rifier la pertinence de notre orientation.  En analysant la maniĂšre dont la quĂȘte spirituelle s’exerce dans la sociĂ©tĂ© d’aujourd’hui, la sociologue DaniĂšle Hervieu-LĂ©ger met en Ă©vidence l’importance des Ă©changes : « Pour construire un rĂ©cit, les gens ont besoin de rencontrer des personnes qui leur disent : « Cela fait sens pour toi. Cela fait sens aussi pour moi ». Ils ont besoin d’une relation de reconnaissance. D’ailleurs, n’est ce pas Ă  travers la reconnaissance que l’on peut se construire comme ĂȘtre humain ? » (1).

Dans le partage de la bonne nouvelle de l’Evangile, le Nouveau Testament nous apprend le rĂŽle majeur de petites communautĂ©s. Et, par exemple, la rencontre d’EmmaĂŒs ne peut-elle pas ĂȘtre envisagĂ©e dans ce mĂȘme processus de recherche et de reconnaissance partagĂ©e, dĂ©crite par DaniĂšle Hervieu-LĂ©ger. Clairement, JĂ©sus met en valeur les petits groupes lorsqu’il dĂ©clare : « LĂ  oĂč deux ou trois sont assemblĂ©s en mon nom, je suis au milieu d’eux » (Matthieu  18.20).

On peut entendre que, dans les petits groupes, les effets de pouvoir sont plus rĂ©duits et que la confiance peut s’établir dans une relation interpersonnelle.  Dans son livre : « the divine dance », Richard Rohr nous introduit dans la vie du Dieu Trinitaire qui est communion. Lorsque trois s’entendent,  il en rĂ©sulte une vraie communautĂ©. « Il faut une personne pour ĂȘtre un individu. Il faut deux personnes pour faire un couple. il faut au moins trois personnes pour faire une communautĂ©. Trois (« trey ») crĂ©e la possibilitĂ© pour les gens d’aller au delĂ  de leur intĂ©rĂȘt personnel. C’est le commencement d’un bien commun, d’un projet commun au delĂ  de ce qui correspond aux intĂ©rĂȘts personnels. Parce que la rĂ©alitĂ© ultime de l’univers rĂ©vĂ©lĂ©e dans la TrinitĂ© est une communautĂ© de personnes en relation les unes avec les autres, nous savons que trois (« trey ») est la seule possibilitĂ© pour les gens de se relier les uns aux autre avec l’individualitĂ© de chacun, la rĂ©ciprocitĂ© de deux,  la stabilitĂ©, objectivitĂ© et subjectivitĂ© de trois » (2).

Il y a vingt ans dĂ©jĂ , la sociologue DaniĂšle Hervieu-LĂ©ger Ă©voquait la crise des grandes institutions religieuses : « Les grandes Ă©glises ne sont (plus) en mesure de fournir des canaux, des dispositifs d’organisation des croyances
. Fondamentalement, ce qui est jugĂ© important, c’est l’engagement personnel du croyant, c’est la maniĂšre dont il met en Ɠuvre une quĂȘte de sens spirituel  » (1). En 2016, une journĂ©e d’étude organisĂ©e par TĂ©moins a portĂ© sur « les parcours de foi en marge des cadres institutionnels » (3).

Cette crise des institutions religieuses engendre un recours croissant Ă  de nouvelles formes de vie spirituelle.  Ce peut ĂȘtre des rassemblements Ă©pisodiques dans des lieux hospitaliers  (4). Aujourd’hui, TaizĂ© en est sans doute la meilleure illustration. C’est aussi, et depuis longtemps un tissu de petits groupes. En voici un tĂ©moignage personnel qui date des annĂ©es 1970, mais reste significatif. Dans ces annĂ©es lĂ , certains commençaient Ă  ne plus se reconnaĂźtre dans ce qui Ă©tait perçu au niveau des paroisses comme des formes imposĂ©es, rĂ©pĂ©titives et impersonnelles. DĂ©jĂ , les rĂ©unions en petit groupe Ă©tait le mode de rencontre privilĂ©giĂ© dans les mouvements. A l’époque, quelques amis ont donc dĂ©cidĂ© de se rĂ©unir chaque mois pour partager leurs joies, leurs problĂšmes et leurs questions  en s’appuyant sur une lecture biblique et sur la priĂšre. Ils trouvĂšrent un lieu hospitalier auprĂšs d’une petite communautĂ© religieuse dans la Beauce. DiversifiĂ© dans ses origines, ce petit groupe dĂ©couvrit de nouvelles sources de vie spirituelle, en l’occurrence diffĂ©rents courants charismatiques. Ce fut la source d’une grande bĂ©nĂ©diction qui est rapportĂ©e dans le livre d’Odile Hassenforder : « Sa prĂ©sence dans ma vie », trĂšs prĂ©sente sur ce blog (5). Et, par ailleurs, ce petit groupe garda son indĂ©pendance et dĂ©boucha sur un groupe de priĂšre chrĂ©tien et interconfessionnel. Ce fut ensuite la rencontre avec un autre petit groupe chrĂ©tien nĂ© dans un lycĂ©e : le ComitĂ© d’Action ChrĂ©tienne qui aboutit Ă  la crĂ©ation de l’association : TĂ©moins.

Ce n’est lĂ  qu’une histoire parmi beaucoup d’autres.  Parce qu’elle entretient l’entraide fraternelle et un partage authentique, la rencontre en petit groupe est une forme spirituelle privilĂ©giĂ©e qui apparaĂźt dans des cadres trĂšs divers depuis les groupes de maison organisĂ©s par certaines Ă©glises jusqu’à des formes trĂšs informelles. C’est lĂ  que la recherche spirituelle se dĂ©ploie et qu’une recomposition chrĂ©tienne peut s’esquisser.

Aujourd’hui, le changement spectaculaire introduit par internet dans la communication permet une extension des rencontres en petits groupes, leur dĂ©veloppement dans un tissu interconnectĂ© en rĂ©seau.  Bornons-nous ici Ă  Ă©voquer le potentiel de skype qui permet une rencontre visuelle des personnes Ă  travers l’écran

Nous pouvons rapporter ici deux expériences récentes.

La premiĂšre nous est racontĂ©e par HĂ©lĂšne dans un article sur le site de TĂ©moins : « L’apport de la culture numĂ©rique Ă  un parcours de foi en marge des cadres institutionnels » (6).  Avec de chers amis, HĂ©lĂšne, « à partir de l’automne 2014, a initiĂ© un rendez-vous hebdomadaire qui perdure encore aujourd’hui. Chaque mercredi, TimothĂ©e depuis Londres, Emilie et ClĂ©ment depuis Toulouse, et moi depuis Lyon, nous nous retrouvons sur skype. Nous partageons nos joies, nos peines, nos questionnements, nous prions, nous louons Dieu ensemble. Il n’y pas de schĂ©ma Ă©tabli, de contenu dĂ©cidĂ© Ă  l’avance
.. Il faudrait un article dĂ©diĂ© pour raconter tout ce que nous avons dĂ©couvert, vĂ©cu et expĂ©rimentĂ© ensemble et avec Dieu au cours de ces quatre derniĂšres annĂ©es  ».

Tout rĂ©cemment, Michel, nous a racontĂ© la vie d’un petit groupe de priĂšre qui se rĂ©unit sur skype. « Aujourd’hui, on se rĂ©unit tous les lundi soir Ă  20h 30 par l’intermĂ©diaire de skype et aussi du tĂ©lĂ©phone. Nous sommes quatre couples et une cĂ©libataire ayant en commun une relation familiale. Les participants se connaissent bien. C’est une rĂ©union de priĂšre-intercession. A tour de rĂŽle, on donne des sujets de reconnaissance et de priĂšre. Puis on prie et on termine par un chant commun. Ce groupe a Ă©tĂ© crĂ©Ă© Ă  l’initiative des participants en octobre 2017. C’est un groupe de maison qui permet d’avoir un suivi. Comme on se connaĂźt bien en mĂȘme temps, appartenant Ă  une grande famille (parents et enfants), nous pouvons partager ensemble des sujets trĂšs personnels. Nous sommes reconnaissants pour les exaucements. Il se trouve que nous avons Ă©galement la possibilitĂ© un autre jour de regarder un culte sur internet. La nouveautĂ© de skype : ĂȘtre rassemblĂ©s malgrĂ© la distance : Antony, La FerriĂšre aux champs, La Rochelle, Thann, et, en mĂȘme temps, trĂšs prĂ©sents les uns avec les autres ».

Nous savons bien combien les formes du passĂ©, et notamment, des rassemblements imposĂ©s  et rĂ©pĂ©titifs s’effritent aujourd’hui. Nous savons combien l’individualisme peut engendrer l’isolement et l’égocentrisme.  En regard, il est important d’entrevoir les voies nouvelles qui s’esquissent aujourd’hui et les potentialitĂ©s qui les favorisent.  Les petits groupes sont aujourd’hui un mode de rencontre privilĂ©giĂ©.  Un outil nouveau est Ă  leur disposition : la communication par internet, et entre autres, par skype. C’est une opportunitĂ© pour la vie spirituelle, un bienfait pour la vie chrĂ©tienne.

 

J H

  1. « L’autonomie croyante. Questions pour les Eglises » : http://www.temoins.com/jean-hassenforder-lautonomie-croyante-questions-pour-les-eglises/
  2. ReconnaĂźtre et vivre la prĂ©sence d’un Dieu relationnel. Extraits du livre de Richard Rohr : The divine dance : https://vivreetesperer.com/reconnaitre-et-vivre-la-presence-dun-dieu-relationnel/
  3. http://www.temoins.com/26-novembre-2016-rencontre-temoins-theme-parcours-de-foi-aux-marges-cadres-institutionnels/
  4. DaniÚle Hervieu-Léger. Mutations de la société catholique en France. Etudes, février 2019, p 67-78
  5. Odile Hassenforder : « Sa présence dans ma vie ». Un témoignage vivant : https://vivreetesperer.com/odile-hassenforder-sa-presence-dans-ma-vie-un-temoignage-vivant/
  6. TĂ©moignage. L’apport de la culture numĂ©rique en marge des cadres institutionnels : http://www.temoins.com/lapport-de-la-culture-numerique-a-un-parcours-de-foi-en-marge-des-cadres-instituptionnels/

 

Voir aussi

« Partager le bon et le beau » : https://vivreetesperer.com/partager-le-bon-et-le-beau/

 

Dynamique culturelle et vivre ensemble dans un monde globalisé

 « La guerre des civilisations n’aura pas lieu » de RaphaĂ«l Liogier

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Dans son nouveau livre : « La guerre des civilisations n’aura pas lieu. Coexistence et violence au XXIĂš siĂšcle » (1), RaphaĂ«l Liogier, sociologue et philosophe, poursuit son exploration du nouveau monde en voie d’émergence, recherche qui a dĂ©jĂ  donnĂ© lieu Ă  d’autres ouvrages de sa part, comme : « Souci de soi, conscience du monde. Vers une religion globale ? » (2). Dans cet essai, l’auteur traite des conflits internationaux actuellement au devant de la scĂšne. A travers la mise en Ă©vidence de tendances de fond, il nous permet de les situer et aussi d’en comprendre les limites. Notre monde est en mutation. Des transformations profondes sont en cours. Et bien sur, la crise actuelle appelle des changements majeurs dans la gouvernance mondiale.

Si certains, inquiets des mĂ©faits du terrorisme djihadiste, sont tentĂ©s de valider la thĂšse d’un conflit inĂ©luctable entre les civilisations, RaphaĂ«l Liogier nous met en garde contre ce piĂšge. Tout d’abord, il met en Ă©vidence l’unification croissante du monde qui va Ă  l’encontre d’un Ă©clatement de celui-ci. Aujourd’hui, il y a de plus en plus de ressemblances dans les modes de vie. « Dans le monde global, aucune sociĂ©tĂ© ne peut plus se reprĂ©senter comme le centre du monde. La figure de l’autre ne se profile plus au delĂ  des frontiĂšres qui, dĂ©sormais, ne sont plus Ă©tanches. L’Autre circule partout, se mĂȘle Ă  nous : immigrĂ© ou touriste. Il n’est plus dĂšs lors totalement autre. Dans cette situation nouvelle, se configure un systĂšme global rĂ©gi par de nouvelles logiques au delĂ  des apparences du chaos : un systĂšme auquel participent intensĂ©ment des forces religieuses, pourtant rĂ©putĂ©es discordantes » (p 7).

 

Rapport entre les civilisations

 

Certes, la violence qui s’exerce aujourd’hui au Moyen Orient, le terrorisme djihadiste, suscite une crainte qui se nourrit Ă©galement d’incomprĂ©hension. En regard, RaphaĂ«l Liogier dĂ©veloppe une analyse des ressorts de cette situation qui nous paraĂźt particuliĂšrement Ă©clairante. Remontant Ă  l’épisode de la crise dite du canal de Suez, il nous montre Ă  la fois les frustrations engendrĂ©es par une longue pĂ©riode de domination europĂ©enne dans les pays arabo-musulmans et les craintes suscitĂ©es encore aujourd’hui dans les nations europĂ©ennes par la perte de leur positionnement privilĂ©giĂ©. Il en rĂ©sulte une crise d’identitĂ© qui peut se traduire dans une fixation sur une Ă©ventuelle menace de l’Islam.

L’insĂ©curitĂ© est un terrain favorable pour la rĂ©ception des idĂ©es de Samuel Huntington sur le choc des civilisations. RaphaĂ«l Liogier retrace l’histoire des idĂ©es qui, depuis le XIXĂš siĂšcle, appuient cette option conflictuelle. C’est « le courant du « diffĂ©rencialisme », qui postule l’existence de diffĂ©rences infranchissables entre certains groupes humains » (p 8). La thĂšse de Samuel Huntington aboutit effectivement Ă  « un retranchement sur son monde propre, y compris et surtout pour l’Occident qui, pour sa sauvegarde, « doit passer par le renouveau de son identitĂ© occidentale » (p 53). ParallĂšlement, certaines formes d’immigration sont considĂ©rĂ©es avec mĂ©fiance.

 

Importance et transformation du religieux dans la civilisation planétaire

 

La deuxiĂšme partie de ce livre porte sur « le religieux dans la civilisation planĂ©taire ». L’auteur met en Ă©vidence l’importance du religieux dans la vie sociale et politique. Il nous apprend Ă  percevoir une transformation profonde de la vie religieuse dans le monde : « Il existe aujourd’hui une nouvelle dynamique mythique gĂ©nĂ©rale, un mĂ©tarĂ©cit Ă©mergent en phase avec la globalisation, « l’individuo-globalisme », qui allie « souci de soi et conscience du monde » et refond progressivement les traditions religieuses dans son moule imaginaire » (p 89).

Dans le cadre de cette dynamique, l’auteur distingue trois phĂ©nomĂšnes religieux majeurs : spiritualisme, charismatisme, fondamentalisme.

Le courant spiritualiste renvoie Ă  un ensemble diversifiĂ© de pratiques et de croyances qui visent au dĂ©veloppement de l’intĂ©rioritĂ©, Ă  une unification psychocorporelle, Ă  une harmonie avec la nature, Ă  une ouverture Ă  plus grand que soi. Cette culture, nourrie pour une part, par des apports des pays d’Asie (yoga, reiki, qi gong), s’est rĂ©pandue dans les sociĂ©tĂ©s industrielles avancĂ©es. Elle est bien prĂ©sente aussi en France comme le montre Jean-François Barbier- Bouvet dans son enquĂȘte sur les « chercheurs spirituels » (3). L’auteur la perçoit comme un « spiritualisme rationnel ». Elle prospĂšre dans les milieux dotĂ©s d’un « capital global Ă  la fois Ă©conomique et symbolique ».

Le courant charismatique se caractérise par une dynamique collective tournée vers le transcendant avec une forte tonalité émotionnelle. Présent dans différentes variantes confessionnelles, ce courant est particuliÚrement actif dans le pentecÎtisme latino-américain, africain et coréen. Il prospÚre particuliÚrement dans des milieux à faible capital économique.

Comme tous les mouvements rĂ©actionnaires, le fondamentalisme vise Ă  protĂ©ger « la tradition contre un mal omniprĂ©sent » (p 98). « Le fondamentalisme se dĂ©ploie chez des fidĂšles en dĂ©ficit de capital symbolique, chez ceux, autrement dit, qui sont en manque de reconnaissance, que ce manque caractĂ©rise des sociĂ©tĂ©s entiĂšres comme celles qui composent le monde arabe, ou qu’il caractĂ©rise des communautĂ©s minoritaires vivant au milieu de cultures dont elles se sentent exclues » (p 99). LĂ  oĂč il prospĂšre, le fondamentalisme engendre l’exclusion et la violence.

« Les frontiĂšres religieuses classiques sont brouillĂ©es par ces nouvelles tendances qui, non seulement sont transnationales, mais aussi transconfessionnelles. Ces forces croyantes
 traversent les religions traditionnelles qui ne peuvent que leur rĂ©sister ou les amplifier » (p 95). « Il ne s’agit pas de nier qu’il existe des catholiques français, des luthĂ©riens suĂ©dois ou des orthodoxes russes attachĂ©s Ă  leur foi traditionnelle. Mais ces populations, numĂ©riquement en baisse constante, ne sont plus au coeur des dynamiques religieuses contemporaines  » (p 142). Cependant, « si les postures sont multiples, le schĂ©ma croyant varie peu. Il n’y a donc pas de dĂ©rĂ©gulation, mais configuration de nouvelles rĂ©gulations, de nouvelles rĂšgles du jeu Ă  l’échelle planĂ©taire
 Les spĂ©cificitĂ©s traditionnelles des grandes religions s’en trouvent attĂ©nuĂ©es » (p 143). Les trois courants : spiritualisme, charismatisme, fondamentalisme se retrouvent dans les diffĂ©rentes religions, mais aussi elles les traversent. Par exemple, « un nĂ©o-soufi musulman sera souvent plus proche d’un bouddhiste occidentalisĂ© que d’un musulman salafiste » (fondamentaliste) (p 13).  L’auteur nous dĂ©crit la vitalitĂ© du religieux qui se dĂ©ploient Ă  l’échelle mondiale Ă  travers de nombreuses organisations internationales. Des solidaritĂ©s nouvelles apparaissent.

Face au dĂ©ni du religieux qu’on peut observer dans certains milieux en France (4), RaphaĂ«l Liogier nous permet d’en percevoir toute l’importance dans le monde actuel.  Il nous ouvre Ă  la comprĂ©hension de son apport pour la vie des hommes d’aujourd’hui et nous permet d’en analyser les perversions avec plus de pertinence (5).

 

Pour une compréhension mutuelle

 

La troisiĂšme partie du livre  porte sur «  Guerres et paix dans la civilisation globale ». RaphaĂ«l Liogier nous dĂ©crit Ă  grands traits, la nouvelle culture qui se vit  Ă  travers le monde global. Vivre ensemble dans ce nouveau monde, c’est refuser l’esprit d’exclusion, si nĂ©faste dans l’histoire de l’humanitĂ©. A cet Ă©gard, « le diffĂ©rencialisme » est bien un pas en arriĂšre. Quelles logiques permettent d’aller vers plus de comprĂ©hension mutuelle ? L’auteur en mentionne deux : celle du « dĂ©calage », traitant les diffĂ©rences non comme des diffĂ©rences de nature, mais comme des diffĂ©rences de degré » et la logique du « fondement » qui va plus loin en postulant que les rĂ©gimes de vĂ©ritĂ© humains, aussi divers soient-ils, ont les mĂȘmes fondements » (p 211). Cette seconde approche implique nĂ©cessairement « un accord sur des principes universels permettant de lire ensuite nos diffĂ©rences comme des variations et non comme des oppositions » (p 212).

Dans l’introduction du livre, RaphaĂ«l Liogier nous a dit comment une comprĂ©hension mutuelle peut advenir dans ce nouveau monde : « Il est urgent de penser la permĂ©abilitĂ© des frontiĂšres et ainsi, la disparition de la figure de l’Autre radical, l’étranger, le barbare qui se situait jadis au delĂ  de notre horizon existentiel, sĂ©parĂ© de notre espace de vie. Comment les identitĂ©s individuelles et collectives peuvent-elles se dĂ©finir et coexister dans un monde sans frontiĂšres ? Lorsqu’aucun autre, n’est complĂštement autre. Lorsque les attentes sont forcĂ©ment relatives » (p 17).

 

Pour une gouvernance mondiale

 

Pour parvenir Ă  ce nouveau vivre ensemble, des changements institutionnels profonds sont Ă©galement nĂ©cessaires. « Alors que les problĂšmes Ă  rĂ©soudre ainsi que les grands dĂ©fis sont aujourd’hui mondiaux, les centres de dĂ©cisions majeurs restent nationaux » (p 217) et, dans ce nouveau monde, la logique de l’Etat-nation ne correspond plus au mouvement qui dĂ©borde un cadre devenu trop Ă©troit. « L’Etat-nation  alimente des logiques contradictoires, se balançant dangereusement entre la logique identitaire exclusive et la logique utilitariste inclusive, nourrissant alternativement l’une, puis l’autre, jouant l’une contre l’autre et inversement. Seule la perspective universaliste, s’appuyant sur la logique du fondement humain commun, est positive et capable de contrebalancer Ă  la fois les tendances identitaristes et utilitaristes  » (p 220). RaphaĂ«l Liogier nous dit « l’urgence d’un gouvernement global » et il nous propose une approche pour y parvenir.

 

Appel à une compréhension renouvelée

 

Si nous sommes en prĂ©sence aujourd’hui d’une grande mutation comme beaucoup s’entendent pour le dire (6), comment avancer dans l’étape actuelle ? DiffĂ©rentes disciplines peuvent contribuer Ă  notre rĂ©flexion. Les sciences Ă©conomiques, par exemple, sont souvent sollicitĂ©es, car l’économie est un aspect majeur de notre vie commune. RaphaĂ«l Liogier a choisi une autre approche qui s’appuie principalement sur la sociologie de la culture. Dans un champ aussi vaste, l’information ne peut pas ĂȘtre Ă©gale et quelques unes des schĂ©matisations peuvent prĂȘter Ă  discussion. Mais ce livre nous paraĂźt tout Ă  fait remarquable Ă  la fois par l’esprit de synthĂšse qui nous permet d’apprĂ©cier les mouvements en cours et par l’originalitĂ© de la pensĂ©e qui ouvre des horizons. C’est un livre qui nous offre une carte pour aller de l’avant en traversant des tempĂȘtes. Cet ouvrage affine notre comprĂ©hension du monde. Comprendre la dynamique culturelle du monde globalisĂ©, percevoir les courants porteurs autant que les blocages Ă  dĂ©passer, c’est crĂ©er les conditions pour un vivre ensemble de l’humanitĂ©.

 

J H

 

(1)            Liogier (RaphaĂ«l). La guerre de civilisation n’aura pas lieu. Coexistence et violence au XXIĂšme siĂšcle. CNRS Ă©ditions, 2016

(2)            Liogier (Raphaël). Souci de soi, conscience du monde. Vers une religion globale ? Armand Colin, 2012

(3)            Barbier-Bouvet (Jean-François). Les nouveaux aventuriers de la vie spirituelle. EnquĂȘte sur une soif spirituelle. Mediaspaul, 2015. Sur le site de TĂ©moins : « La quĂȘte spirituelle en France » : http://www.temoins.com/enquetes/recherche-et-innovation/enquetes/la-quete-spirituelle-en-france.html

(4)            Sur ce blog : « Un silence religieux. En regard d’un manque qui engendre le pire, quelle dynamique d’espĂ©rance ? » : https://vivreetesperer.com/?p=2290

(5)            A ce sujet, le site de Témoins : www.temoins.com et la page facebook de Témoins : https://www.facebook.com/Temoinsdelactualite/?fref=ts

(6)            Un monde en mutation. Sur ce blog : « Quel avenir pour la France et pour le monde ? Jean-Claude Guillebaud. Une autre vie est possible » : https://vivreetesperer.com/?p=937                                                                                                            « Un chemin de guĂ©rison pour l’humanitĂ©. La fin d’un monde. L’aube d’une renaissance. La guĂ©rison du monde selon FrĂ©dĂ©ric Lenoir » : https://vivreetesperer.com/?p=1048

 

L’invention montessorienne

Maria Montessori. La femme qui nous a appris Ă  faire confiance aux enfants.

« Maria Montessori. La femme qui nous a appris Ă  faire confiance aux enfants » (1), c’est le livre de Christina de Stefano.

« C’est une biographie fascinante d’une pionniĂšre du fĂ©minisme, des pĂ©dagogies nouvelles et des recherches sur le cerveau de l’enfant » (page de couverture).

Aujourd’hui, Ă  un moment oĂč l’humanitĂ© est confrontĂ©e Ă  de graves menaces, il est bon de penser au mouvement de fond qui se poursuit depuis plus d’un siĂšcle : une reconnaissance grandissante de la conscience des ĂȘtres humains et des ĂȘtres vivants jusque lĂ  mĂ©connue par l’égocentrisme patriarcal, des femmes, des enfants et, Ă  la limite, du rĂšgne animal. Mais, il n’y a pas de doute, la prise de conscience du potentiel du petit enfant, l’accompagnement respectueux de son dĂ©veloppement, constitue une Ă©mergence de paradigme, une vĂ©ritable rĂ©volution. A cet Ă©gard, Maria Montessori est la grande pionniĂšre, tout en s’inscrivant dans le vaste mouvement de l’éducation nouvelle tel qu’il est apparu et se manifeste encore aujourd’hui comme un « printemps de l’éducation » (2).

Maria Montessori est celle qui, au dĂ©but du XXe siĂšcle, a dĂ©passĂ© les obstacles des conditions et des mentalitĂ©s qui barraient la route Ă  la reconnaissance d’une voie nouvelle, en proclamant et en dĂ©montrant que « l’enfant n’est pas un vase que l’on remplit, mais une source que l’on laisse jaillir ». ReconnaĂźtre le potentiel de l’enfant, c’est ne pas lui imposer, d’en haut, une instruction stĂ©rĂ©otypĂ©e, des mĂ©thodes contraignantes, mais observer et accompagner son dĂ©veloppement, son mouvement dans une approche personnalisĂ©e et la proposition d’un environnement matĂ©riel et social appropriĂ©. ReconnaĂźtre la dimension de l’enfant, c’est apprĂ©cier Ă©galement sa dimension spirituelle. Le petit enfant est un « embryon spirituel ».

Si la pĂ©dagogie Montessori n’a pas occupĂ© tout le champ de l’éducation et reste pionniĂšre, sa prĂ©sence s’est Ă©tendue : 200 Ă©coles en France suite Ă  une forte croissance dans les derniĂšres dĂ©cennies, et 20 000 dans le monde. Maria Montessori a Ă©crit plusieurs livres. Son ouvrage : « l’enfant » fut pour nous une rĂ©vĂ©lation (3), et, sur le web, il y a maintenant de nombreux sites qui prĂ©sentent la pĂ©dagogie Montessori (4).

La pĂ©dagogie Montessori est toujours inspirante aujourd’hui. Dans le champ de l’éducation nouvelle, elle inspire des innovations comme celles de CĂ©line Alvarez (5) retracĂ©es sur ce blog. Des recherches rĂ©centes, impliquant les neurosciences rejoignent les constats de Maria Montessori sur la dimension spirituelle de l’enfant. « L’enfant est un ĂȘtre spirituel » (6). Depuis la fin du XXe siĂšcle, la pĂ©dagogie Montessori a mĂȘme inspirĂ© une nouvelle approche de la catĂ©chĂšse chrĂ©tienne : « Godly Play » (7). On peut ajouter que l’éducation Montessori, Ă  travers certaines de ses caractĂ©ristiques : l’attention Ă  la dimension sensorielle, l’écoute, le respect commencent Ă  inspirer aujourd’hui la communication entre adultes (8).

Ce livre de Christina de Stefano est un ouvrage de rĂ©fĂ©rence bien Ă©tayĂ©, appuyĂ© sur des notes et une bibliographie abondante. Et c’est aussi un livre trĂšs accessible rĂ©parti dans une centaine de courts chapitres et se dĂ©roulant en cinq parties : la construction de soi (1870-1900) ; la dĂ©couverte d’une mission (1901-1907) ; les premiers disciples (1908-1913) ; la gestion du succĂšs (1914-1934) ; l’éducation cosmique (1934-1952). En constant mouvement, dans des contextes diffĂ©rents d’un pays Ă  un autre, de l’Italie aux Etats-Unis, de l’Espagne aux Pays-Bas et jusqu’à un long sĂ©jour en Inde, la personnalitĂ© de Maria Montessori apparaĂźt dans sa complexitĂ©. Nous nous centrerons sur l’élaboration de « la mĂ©thode Montessori » fondĂ©e sur l’observation des enfants, ce que nous appellerons : l’invention montessorienne. Cette invention est la rĂ©sultante de la formation d’une personnalitĂ© originale, une forte personnalitĂ© qui tranche avec la sociĂ©tĂ© dominante de l’époque. Il y a eu lĂ  toute une pĂ©riode de prĂ©paration. L’invention montessorienne a ensuite suscitĂ© des Ă©chos, si plus particuliĂšrement dans certains pays, de fait dans le monde entier. Maria Montessori a communiquĂ© sa vision et rĂ©pandu son message en suscitant l’engagement et le dĂ©vouement d’un grand nombre de personnes. C’est une pĂ©riode de diffusion et d’expansion.

 

La préparation

NĂ©e en 1870, Maria Montessori a grandi comme fille unique dans une famille de la classe moyenne italienne, chĂ©rie par ses parents. « Son pĂšre travaille au ministĂšre des Finances, sa mĂšre se consacre Ă  son Ă©ducation. Elle lui inculque les valeurs de la solidaritĂ© et lui fait tricoter des habits chauds destinĂ©s Ă  des Ɠuvres de bienfaisance. Elle l’encourage Ă  s’occuper des pauvres et Ă  tenir compagnie Ă  une voisine handicapĂ©e par sa bosse. Peut-ĂȘtre, est-ce pour cela que la fillette caresse l’idĂ©e de devenir mĂ©decin » (13).

Maria supporte trĂšs mal l’école Ă©lĂ©mentaire. A cette Ă©poque, « immobile Ă  son pupitre, on Ă©coute la maitresse pendant des heures et on rĂ©pĂšte la leçon en chƓur » (p 11). « Cette fillette extravertie est, malgrĂ© son jeune Ăąge, dotĂ©e d’un grand charisme » (p 11). Elle poursuit ensuite ses Ă©tudes dans une Ă©cole technique oĂč elle rĂ©ussit sa scolaritĂ©. Son pĂšre voudrait qu’elle s’inscrive Ă  l’école normale pour devenir institutrice. Mais elle s’y refuse et dĂ©clare vouloir devenir ingĂ©nieur. « C’est un choix insolite, car les rares jeunes filles qui poursuivent leurs Ă©tudes le font pour enrichir leur culture avant de se marier ou, Ă  la rigueur, pour entrer dans l’enseignement » (p 17).

Mais, encore plus surprenant Ă  l’époque, elle voulut s’engager dans des Ă©tudes de mĂ©decine. Si l’esprit progressiste de sa mĂšre la soutient, son pĂšre y est dĂ©favorable. « A l’époque, dans les milieux bourgeois, on protĂšge jalousement les filles Ă  marier, qui ne sortent jamais de chez elles sans ĂȘtre accompagnĂ©es. Il est donc proprement inouĂŻ d’imaginer une fille assise seule au milieu d’étudiants de sexe masculin » (p 19). Cependant Maria Montessori parvient Ă  surmonter la barriĂšre sociale et culturelle et Ă  franchir les obstacles. AprĂšs avoir accompli des Ă©tudes prĂ©paratoires, en fĂ©vrier 1992, elle intĂšgre la facultĂ© de mĂ©decine. A l’époque, certains professeurs ont des personnalitĂ©s fortes et des idĂ©es avancĂ©es. Ils sont engagĂ©s dans une action mĂ©dicale en milieu populaire. Maria les accompagne dans ce bĂ©nĂ©volat. « Ayant grandi dans un environnement bourgeois et protĂ©gĂ©, Maria n’était pas prĂ©parĂ©e Ă  ce qu’elle dĂ©couvre
 C’est son « approche du peuple » (p 31). TrĂšs marquĂ©e par les cours d’un professeur sur la relation entre Ă©ducation et folie, elle dĂ©cide de faire une thĂšse en psychiatrie sous sa direction. « Entre les cours, l’internat, dans les hĂŽpitaux et l’étude des patients de la clinique psychiatrique en vue de sa thĂšse, la derniĂšre annĂ©e d’universitĂ© de Maria est trĂšs intense. Elle obtient son diplĂŽme en juillet 1896 » (p 34).

Maria Montessori va donc entrer dans un univers mĂ©dical. Elle est assistante dans un hĂŽpital. Et, tous les jours, en sortant de l’hĂŽpital, « elle continue Ă  faire du bĂ©nĂ©volat auprĂšs des dĂ©shĂ©ritĂ©s de la ville. C’est au contact des enfants pauvres, qui sont les derniers de la sociĂ©tĂ©, que nait son attention Ă  l’égard de l’enfance » (p 39).

Il lui arrive de frĂ©quenter l’asile d’aliĂ©nĂ©s de Rome. C’est un endroit oĂč rĂšgne la violence. Au cours de l’une de ses visites, elle dĂ©couvre les enfants de l’asile. « JugĂ©s incurables et donc enfermĂ©s Ă  vie, ces enfants reprĂ©sentent peut-ĂȘtre ce que ce lieu Ă©pouvantable a de plus terrible » (p 44). « Maria comprend qu’elle a trouvĂ© lĂ  une cause pour laquelle se battre ». Elle s’interroge Ă  partir de la rĂ©action d’une servante. « Si la rĂ©action des enfants ne dĂ©pendait pas tant de leur dĂ©sir de manger que celui d’interagir avec quelque chose » (p 44).

« Jusqu’alors, Maria a Ă©tĂ© une jeune femme mĂ©decin engagĂ©e dans les causes sociales et fĂ©ministes. A partir de lĂ , elle empruntera une voie qui la conduira trĂšs loin Ă  parcourir le monde et Ă  prĂȘcher une nouvelle approche de l’enfant. Dans cette salle d’asile de Rome, son intuition lui dit que les petits dĂ©ficients ont besoin d’un traitement spĂ©cifique qui les stimule et les Ă©lĂšve » (p 45). Elle demande Ă  en emmener quelques-uns hors de l’asile pour faire des expĂ©riences avec eux.

Elle s’intĂ©resse Ă  la pĂ©dagogie. « C’est ainsi quelle dĂ©couvre le travail d’ Edouard Seguin, un français qui, au milieu du XIXe siĂšcle, a mis au point une Ă©ducation particuliĂšre aux rĂ©sultats surprenants
 Seguin est le grand inspirateur de Maria Montessori et le crĂ©ateur du matĂ©riel didactique Ă  partir duquel elle a Ă©laborĂ© sa mĂ©thode » (p 45).

Edouard Seguin a Ă©tĂ© assistant du Docteur Itard devenu cĂ©lĂšbre pour sa tentative d’éduquer « l’enfant sauvage de l’Aveyron ». Itard a pris en charge cet enfant en mettant en Ɠuvre une mĂ©thode expĂ©rimentale, « faite de patience, d’observation et d’une grande crĂ©ativité » (p 47). Dans ce sillage, Seguin se voit confier en 1840, ce qui est sans doute la premiĂšre classe spĂ©cialisĂ©e de l’histoire, un groupe de jeunes dĂ©ficients internĂ©s Ă  l’asile de Paris. « DĂ©bordant d’enthousiasme, Seguin travaille, jour et nuit, pour essayer de communiquer avec eux. Il a dĂ©cidĂ© de bĂątir une Ă©ducation complĂšte, systĂ©matique, qui part de la sollicitation des sens pour ensuite s’étendre au dĂ©veloppement des idĂ©es et des concepts abstraits
 Pour ce faire, il invente tout un matĂ©riel Ă©ducatif  ». (p 48). En 1846, il publie un livre qui rapporte son travail. En raison de l’opposition manifestĂ©e par le milieu mĂ©dical français, il Ă©migre aux Etats-Unis.

A la fin des annĂ©es 1890, un tournant majeur intervient dans la vie de Maria Montessori. Ce fut une rencontre amoureuse avec un collĂšgue mĂ©decin Giuseppe Montesano. « Elle, socialiste, dans un sens, lui avec une Ă©thique juive, son important sens moral, sa rigueur
 elle trouva dans la douceur de Montesano l’élĂ©ment complĂ©mentaire Ă  son tempĂ©rament fort » (p 42). Ils travaillent ensemble. Mais Maria n’envisage pas un mariage. A cette Ă©poque, « la condition de la femme mariĂ©e est incompatible avec un travail hors du foyer » (p 52). Maria Montessori perçoit le mariage comme un assujettissement. Or elle tombe enceinte. La situation est critique. « A cette Ă©poque et dans son milieu, une grossesse hors mariage dĂ©truirait sa carriĂšre et sa rĂ©putation » (p 51). Finalement Ă  l’initiative de sa mĂšre, les deux familles s’entendent pour masquer l’incident. L’accouchement a lieu Ă  domicile le 31 mars 1898. L’acte de naissance indique que l’enfant est nĂ© de pĂšre et de mĂšre inconnus. Il est confiĂ© Ă  une nourrice Ă©loignĂ©e. Maria Montessori accepte donc de se sĂ©parer de son nouveau-nĂ©. Elle demande au pĂšre, Giuseppe Montesano de « prendre soin de leur enfant Ă  distance et de promettre de ne jamais se marier » (p 54 ). Ce dernier manifeste de la bonne volontĂ©, mais il subit les pressions de sa famille et la situation se dĂ©grade. « Tout a basculĂ© en l’espace de quelques semaines. Le 29 septembre 1901, Giuseppe reconnaĂźt lĂ©galement son fils. Le 6 octobre 1901, il Ă©pouse une autre femme » (p 74). Ce fut un grand chagrin pour Maria. « Ses proches Ă©voquent un moment terrible : elle reste couchĂ©e par terre, en pleurs, pendant des jours (p 75)… Elle met fin Ă  tout contact avec Montesano, notamment sur le plan professionnel. « Pour Maria Montessori, commence une longue traversĂ©e du dĂ©sert, au terme de laquelle sa mission lui apparaitra clairement. Celle-ci la conduira Ă  parcourir le monde en tant que thĂ©oricienne d’une nouvelle vision de l’enfant » (p 76).

En consĂ©quence de ce grand choc, la vie de Maria Montessori s’est profondĂ©ment transformĂ©e. Elle s’est abreuvĂ©e dans une foi intĂ©rieure. Cette intĂ©riorisation ne l’a pas dĂ©tournĂ©e de ses engagements les plus avancĂ©s, sa grande activitĂ© au service du fĂ©minisme. Et elle a patiemment reconstruit sa situation professionnelle. Ainsi, quelques annĂ©es plus tard, en 1907, elle a pu dĂ©velopper une grande expĂ©rience pĂ©dagogique qui va engendrer une nouvelle vision de l’éducation et de la pĂ©dagogie, « La Maison des enfants » Ă  San Lorenzo, un quartier dĂ©muni de Rome.

En 1901, « plongĂ©e dans un silence profond, Maria Montessori traverse un grand moment de crise » (p 79) : un grand chagrin et la perte d’un premier enracinement professionnel. C’est dans ce contexte que Maria Montessori dĂ©veloppe « une grande foi ». « La foi catholique, qui, jusque lĂ , faisait simplement partie de sa culture, devient un refuge et une nouvelle maniĂšre de regarder la vie, une dimension qui explique et Ă©claire tout, y compris la souffrance » (p 79). Maria fait de longues retraites spirituelles et frĂ©quente une congrĂ©gation religieuse. « Cette pĂ©riode de ferveur religieuse l’aide Ă  contenir sa peine et Ă  rassembler ses forces. Pendant un certain temps, elle mĂšne « une vie de recueillement absolu ». « J’étais animĂ©e par une grande foi, et bien qu’ignorant si je pourrais un jour expĂ©rimenter la vĂ©ritĂ© de mon idĂ©e, j’abandonnais toute autre activitĂ© comme si je me prĂ©parais pour une mission inconnue » se souviendra-t-elle par la suite (p 80). Si sa foi s’exprime dans un contexte catholique, elle garde un caractĂšre personnel. Elle inspire son engagement pĂ©dagogique et n’exclut pas une confrontation avec les idĂ©es conservatrices, tant sur le plan social que sur le plan religieux « En elle, coexistent un profond sentiment religieux, la conviction d’avoir une mission personnelle, le militantisme fĂ©ministe, un esprit progressiste et indignĂ©, ainsi que la curiositĂ© Ă  l’égard de toute idĂ©e nouvelle » (p 98).

Durant des annĂ©es, l’engagement fĂ©ministe de Maria Montessori ne s’est pas dĂ©menti. En 1906 dĂ©jĂ , elle est choisie comme dĂ©lĂ©guĂ©e italienne au CongrĂšs international des femmes Ă  Berlin. TrĂšs engagĂ©e dans l’action sociale, « Maria Montessori  Ă©tait devenue la secrĂ©taire de l’association : « Per la donna »(Pour la femme) crĂ©e par un groupe de militantes pour promouvoir un programme trĂšs radical : Ă©ducation populaire, suffrage fĂ©minin, loi pour la recherche de paternitĂ©, Ă©galitĂ© salariale entre les hommes et les femmes. Comme dĂ©lĂ©guĂ©, Maria a le profil idĂ©al : elle est jeune ; elle est une des premiĂšre femme mĂ©decin en Italie ; c’est une bonne oratrice » (p 35). En 1899, elle reprĂ©sente l’Italie au CongrĂšs international de femmes Ă  Londres. Cependant, aprĂšs le grand choc qu’elle a subi dans sa vie personnelle, son activitĂ© en ce domaine ne se tarit pas. « Elle est en premiĂšre ligne pour le droit de vote des femmes
 Maria dit toujours ce qu’elle pense, y compris quand elle est en dĂ©saccord avec les positions de l’Eglise » (p 95).

Au cours de ces annĂ©es, Maria Montessori reconstruit patiemment son insertion professionnelle. Ainsi, en septembre 1902, elle prĂ©sente sa candidature pour enseigner l’anthropologie Ă  l’universitĂ©. « Elle imagine un cours oĂč l’anthropologie serait appliquĂ©e Ă  l’éducation, dans le but de fonder une pĂ©dagogie rĂ©ellement scientifique. Au cƓur de son projet se trouve un projet rĂ©volutionnaire : la classe comme laboratoire d’observation » (p 82).

Elle entreprend de nouvelles Ă©tudes Ă  l’universitĂ©. Et, Ă  partir d’une nouvelle recherche, elle se qualifie pour enseigner l’anthropologie Ă  la facultĂ© des sciences (p 89). En 1906, elle est appelĂ©e Ă  enseigner Ă  la Scuola Pedagogica (École pĂ©dagogique) Ă  Rome. « Dans le cours qui lui est confiĂ©, intitulé : « anthropologie pĂ©dagogique », Maria continue d’expliquer ses idĂ©es novatrices sur l’école : la classe laboratoire, l’enfant au centre, l’enseignant comme un scientifique qui observe ». Son inspiration spirituelle apparaĂźt : « Ce qui fait vĂ©ritablement un enseignant, c’est son amour pour l’enfant. Car c’est l’amour qui transforme le devoir social de l’éducation en conscience plus Ă©levĂ©e d’une mission » (p 91).

 

L’invention montessorienne

Ainsi, Ă  travers les expĂ©riences, les rencontres, les rĂ©flexions, la pensĂ©e de Maria Montessori a muri. Elle va pouvoir l ’exercer dans une expĂ©rience fondatrice, la crĂ©ation d’une Ă©cole expĂ©rimentale dans un des quartiers les plus mal famĂ©s de Rome : San Lorenzo (p 101). En 1904, un organisme nouveau intervient dans ce quartier. Il fait assainir l’ensemble, achĂšve la construction des immeubles, installe des fontaines. Il attribue les appartements et suit leur entretien. Cependant, dans la journĂ©e, en l’absence des parents, les immeubles restent aux mains des tout jeunes. « AbandonnĂ©s Ă  eux-mĂȘmes, ces derniers se dĂ©placent en bandes et font des dĂ©gĂąts partout oĂč ils passent » (p 102). Talamo, le directeur du plan de rĂ©novation, « pense rĂ©soudre le problĂšme en crĂ©ant un rĂ©seau d’écoles maternelles oĂč les jeunes enfants seront accueillis jusqu’au retour de leurs parents, du travail, et de leurs frĂšres et sƓurs plus ĂągĂ©s, de l’école ». Il demande Ă  Maria Montessori de coordonner et de diriger ce projet. Elle accepte Ă  condition de disposer d’une libertĂ© totale. « Elle veut transformer le dĂ©fi de San Lorenzo en une occasion d’expĂ©rimenter ses idĂ©es sur des enfants qui n’ont encore jamais Ă©tĂ© en contact avec l’école
 En l’absence d’argent, l’école n’est pas organisĂ©e comme une Ă©cole traditionnelle. Pas d’estrade, pas de pupitres, pas d’institutrices qui appliquent les principes appris Ă  l’école normale. Cette Ă©cole sera d’une nouveautĂ© absolue, oĂč Maria pourra tout structurer Ă  sa maniĂšre. Elle dĂ©cide d’appliquer la leçon de Seguin aux enfants normaux et d’observer ce qui se passe » (p 104).

En l’espace de quelques semaines, elle met le projet sur pied en s’appuyant sur diffĂ©rents courants de la sociĂ©tĂ© romaine. Le 6 janvier 1907, Maria Montessori inaugure la premiĂšre Ă©cole qui accueille une cinquantaine d’enfants de deux Ă  six ans. C’est un grand jour. InspirĂ©e, Maria Ă©voque une parole biblique : « LĂšve-toi, sois Ă©clairĂ©e ; car ta lumiĂšre arrive, et la gloire de l’Eternel se lĂšve sur toi » (EsaĂŻe 60.1). L’école est au rez-de-chaussĂ©e de l’immeuble. Elle est formĂ©e d’une grande piĂšce, de sanitaires et d’une cour. Au dĂ©but, elle est amĂ©nagĂ©e avec des meubles de rĂ©cupĂ©ration
 TrĂšs vite, Maria fait fabriquer des meubles adaptĂ©s Ă  la taille des enfants. « Chaque dĂ©tail est pensĂ© pour leur autonomie ». « Une amie de Maria, invitĂ©e Ă  visiter l’établissement s’est Ă©criĂ© avec enthousiasme : « Mais c’est la maison des enfants ». Ainsi, nait le nom qui, en quelques annĂ©es, fera le tour du monde et Ă©voquera, Ă  tous, la mĂ©thode Montessori » (p 106).

« Maria choisit la fille de la concierge comme institutrice. Elle lui dit de se contenter d’observer et de lui rapporter chaque Ă©vĂ©nement. Elle veut que, dans ce laboratoire pĂ©dagogique, tout se rĂ©vĂšle de maniĂšre naturelle
 Les enfants doivent avoir une libertĂ© de mouvement totale
 ». « S’appuyant sur l’observation et sur son instinct, elle identifie chaque fois un nouvel Ă©lĂ©ment » (p 107). Ainsi, un jour prĂ©sentant aux enfants un nouveau nĂ© paisible et silencieux, elle les invite Ă  un exercice de silence qui devient un des rituels de la maison des enfants. « Maria Montessori n’élĂšve jamais la voix, elle n’impose pas son autoritĂ©. Elle s’assied et attend que les enfants viennent vers elle. Elle rĂ©pĂšte qu’il faut tout respecter chez eux, y compris le fait que leur corps leur appartient. (p 108). « Dans la Maison des enfants, le corps n’est pas seulement respectĂ©, mais valorisĂ©. Les enfants peuvent dĂ©placer les chaises et les tables tout seuls et aller et venir dans la classe comme bon leur semble. A l’époque, cette approche est rĂ©volutionnaire. Maria a l’intuition, confirmĂ©e un siĂšcle plus tard, que le mouvement fait partie du processus d’apprentissage » (p 109).

Pour reproduire le matĂ©riel de Seguin, Maria Montessori doit trouver les bons artisans. « C’est la premiĂšre fois qu’elle utilise le matĂ©riel didactique avec ces enfants normaux. Les enfants normaux, eux, travaillent seuls. Cette diffĂ©rence reprĂ©sente une premiĂšre innovation fondamentale vis-Ă -vis de Seguin » (p 110). « Elle adopte une position proche de celle d’une observatrice extĂ©rieure. Cela lui permet de revoir l’ensemble, de repenser la maniĂšre d’interagir avec les enfants. Cette Ă©tape cruciale la conduira trĂšs loin de Seguin, Ă  une nouvelle approche de l’esprit enfantin. Elle montre le matĂ©riel et son fonctionnement aux enfants, elle les laisse travailler, tout en les observant ou mieux, comme elle aime le dire, en mĂ©ditant
 Peu Ă  peu, les Ă©lĂ©ments de sa future mĂ©thode prennent forme
 deux Ă©lĂ©ments centraux apparaissent : la nature diffĂ©rente du maĂźtre, qui dirige sans s’imposer et la nature diffĂ©rente de l’enfant qui travaille sans se fatiguer (‘Étudier n’use pas, ne fatigue pas, au contraire cette activitĂ© nourrit et soutient’) » (p 111). Elle dĂ©couvre certains aspects de l’activitĂ© enfantine comme le rangement. La vie quotidienne entre dans la classe comme l’hygiĂšne et le repas.

Sans cesse, Maria Montessori observe les enfants. Une rĂ©alitĂ© lui apparaĂźt ; « Elle sent que les enfants recĂšlent une Ă©norme capacitĂ© d’attention qui se manifeste dĂšs qu’on lui place un cadre pensĂ© pour eux et non pour les adultes. Grace Ă  cet Ă©tat particulier de son esprit, l’enfant apprend de maniĂšre plus profonde et dĂ©finitive ». (p 115). DĂšs lors, « le pivot fondamental de l’éducation consiste Ă  aider l’enfant Ă  rĂ©vĂ©ler sa vĂ©ritable nature habituellement enfouie parce qu’elle est opprimĂ©e par une Ă©cole pensĂ©e pour les adultes » (p 115). De fait, les enfants travaillent naturellement pour apprendre. Cet apprentissage est actif et intense. Ainsi, lorsque les enfants sont placĂ©s dans un environnement adaptĂ©, « ils cessent en peu de temps d’ĂȘtre agitĂ©s et bruyants et se transforment en personnes paisibles, calmes, heureuses de travailler » (p 136). Un siĂšcle plus tard, nous dit l’auteur, les neurosciences « confirment ces observations en identifiant « des fonctions exĂ©cutives » : contrĂŽle inhibiteur, mĂ©moire de travail, flexibilitĂ© cognitive (p136). PlacĂ© dans de bonnes conditions, plus personne n’a besoin de forcer l’enfant Ă  se concentrer en classe. « Quand vous avez rĂ©solu le problĂšme de la concentration de l’enfant, vous avez rĂ©solu le problĂšme de l’éducation en entier » (p 136). C’est la voie d’une « auto-Ă©ducation ». L’auteure met en Ă©vidence la conjugaison d’une approche scientifique et d’une approche spirituelle chez Maria Montessori : « Sa conception mĂ©taphysique de la vie passe directement dans son approche de l’enfant, ĂȘtre spirituel par excellence, mais aussi dans son attitude en classe. Quand elle est avec les enfants, elle semble ĂȘtre en mĂ©ditation, observatrice attentive Ă  toutes les surprises
 » (p 137).

La rĂ©ussite de la Maison des enfants est saluĂ©e dans la presse. Maria Montessori poursuit le mouvement en crĂ©ant une deuxiĂšme Maison des enfants. Elle choisit une jeune maitresse Ă  laquelle elle donne le nom de directrice. Car elle demande Ă  celle-ci « d’enseigner peu, d’observer beaucoup, et, par dessus tout, de diriger les activitĂ©s psychiques des enfants et leur dĂ©veloppement physiologique » (p 119). Par ailleurs, ce mouvement pĂ©dagogique est aussi un mouvement social. Ces Ă©coles « participent Ă  la libĂ©ration des femmes qui travaillent ».

Dans les premiĂšres maisons des enfants, Maria Montessori ne s’est pas prĂ©occupĂ©e de la lecture et de l’écriture parce que ces enseignements ont lieu Ă  l’école Ă©lĂ©mentaire. « Ce sont les enfants de San Lorenzo qui, au bout de quelques mois passĂ©s Ă  travailler avec le matĂ©riel sensoriel, en demandent plus. Ayant grandi dans un environnement analphabĂšte, ils sentent que les mots Ă©crits sont une clĂ© pour leur avenir » (p 121). Maria dĂ©veloppe une initiative. Elle fabrique des lettres mobiles en papier Ă©meri. L’enfant peut suivre la lettre rugueuse du doigt, et ce faisant, il apprend le geste de l’écriture avant mĂȘme de savoir ce qu’il signifie » (p 122). Les enfants de San Lorenzo accueillent les lettres rugueuses avec enthousiasme. Ils aiment crier le nom de chaque lettre. Ils passent des journĂ©es entiĂšres sur les lettres en carton. « Ils y travaillent pensifs, concentrĂ©s, suivant de leur doigt les lignes rugueuses, murmurant les sons Ă  voix basses, mettant les lettres cĂŽte Ă  cĂŽte » (p 122). A NoĂ«l 1907, deux mois aprĂšs le dĂ©but du travail avec les lettres rugueuses, il advient Ă  San Lorenzo l’évĂ©nement que Maria Montessori baptisera « l’explosion de l’écriture ». Un enfant invitĂ© Ă  dessiner une cheminĂ©e avec une craie, poursuivit soudain en Ă©crivant un mot. Un grand enthousiasme personnel, puis collectif, accompagna cette prise de conscience. La lecture vint donc en second. Selon Maria Montessori, l’apprentissage prĂ©coce de l’écriture reprĂ©sente seulement la partie Ă©mergĂ©e d’un processus bien plus large : la mise en lumiĂšre de la capacitĂ© naturelle d’auto-Ă©ducation des enfants quand ils se trouvent dans l’environnement adapté ». « L’explosion de l’écriture attire l’attention du monde et transforme en quelques annĂ©es le systĂšme appliquĂ© dans un quartier pauvre de Rome en un phĂ©nomĂšne planĂ©taire » (p 126).

 

RĂ©ception et diffusion

Aujourd’hui, la pĂ©dagogie Montessori est largement connue. Encore relativement peu pratiquĂ©e, elle gagne du terrain et, pour beaucoup, elle est source d’inspiration. La biographie de Maria Montessori, rĂ©alisĂ©e par Christina de Stefano nous permet de comprendre comment cette pĂ©dagogie a pu Ă©merger dans une culture au dĂ©part peu propice, Ă  travers l’Ɠuvre pionniĂšre d’une personne qui a initiĂ© Ă  la fois une nouvelle pratique Ă©ducative et une nouvelle vision de l’enfant. Cette innovation, en rupture avec la culture dominante, constitue une « invention » sociale. C’est l’invention montessorienne. A partir de la crĂ©ation de la Maison des enfants de San Lorenzo, la diffusion de l’innovation va se poursuivre et s’étendre dans le monde entier Ă  travers la diffusion de la vision et de la mĂ©thode par Maria Montessori. Ce livre se poursuit en relatant la campagne engagĂ©e par Maria Montessori pendant des dĂ©cennies jusqu’à son dĂ©cĂšs en 1952.

AprĂšs un compte-rendu approfondi des chapitres montrant l’émergence de la pĂ©dagogie Montessori, nous nous bornerons Ă  donner un bref aperçu de la campagne pour sa promotion Ă  laquelle l’auteure consacre une bonne partie de ce livre.

Au cours des annĂ©es, Maria Montessori a rencontrĂ© et attirĂ© un grand nombre de personnes. Si bien que la troisiĂšme partie du livre est intitulĂ© : « Le premiers disciples ». Et ce fut le cas en Italie et trĂšs vite Ă  l’international. L’auteure nous dĂ©crit les Ă©ducatrices qui se sont engagĂ©es avec une passion militante. Maria anime un rĂ©seau. Elle y sera ensuite accompagnĂ©e par son fils Mario avec lequel elle a pu renouer une relation maternelle Ă  partir de 1913 (le fils retrouvĂ© : p 178-181). D’annĂ©e en annĂ©e, de pays en pays, les rencontres de Maria tĂ©moignent du potentiel d’attraction de l’idĂ©al montessorien. Maria Montessori dĂ©veloppe une Ɠuvre de formation. Elle suscite la production d’un matĂ©riel Ă©ducatif. Cette derniĂšre activitĂ© engendre parfois des conflits d’intĂ©rĂȘt. Selon l’auteur, la forte personnalitĂ© de Maria Montessori peut lui attirer des reproches d’autoritarisme.

Le livre retrace un parcours international. L’action de Maria Montessori s’est exercĂ©e en Italie, et, pendant un temps, en Catalogne. Sa vision se rĂ©pand dans le monde entier et elle est particuliĂšrement bien accueillie dans certains pays. Ce fut le cas aux Etats-Unis durant un long sĂ©jour en 1914-1915, et Ă  l’autre bout, en Inde, oĂč elle rĂ©side pendant plusieurs annĂ©es durant la seconde guerre mondiale.

Dans la poursuite de son action, Maria Montessori s’adapte aux diffĂ©rents terrains. Ainsi composa-t-elle avec le fascisme italien Ă  ses dĂ©buts. Elle s’est impliquĂ©e dans la religion catholique pendant des annĂ©es tout en gardant une distance vis-Ă -vis des conservatismes. Elle entretient des relations avec des personnalitĂ©s trĂšs variĂ©es quant Ă  leurs convictions philosophiques et religieuses. Dans certaines situations, elle recherche et conjugue les appuis de milieux diffĂ©rents, de congrĂ©gations catholiques Ă  une franc-maçonnerie progressiste. Son grand voyage en Inde a Ă©tĂ© sollicitĂ© par le courant thĂ©osophique.

« Avec le temps, la vision de Maria Montessori s’élargit de plus en plus. Il ne s’agit plus seulement de changer l’école, mais aussi la sociĂ©tĂ© et donc le monde » (p 295). « Pendant les annĂ©es 1930, Maria Montessori cesse d’ĂȘtre seulement une Ă©ducatrice, quoique gĂ©niale et trĂšs en avance sur son temps, pour devenir philosophe. » (p 297). « C’est Ă  cette Ă©poque qu’elle commence Ă  Ă©voquer le concept  d’éducation cosmique – Ă©duquer Ă  une vision d’ensemble grandiose, oĂč chaque homme est liĂ© aux autres et Ă  la planĂšte entiĂšre – qu’elle dĂ©veloppe dans la derniĂšre phase de sa vie » (p 295). « Son cĂŽtĂ© mystique n’a pas disparu, tant s’en faut, depuis qu’elle a renoncĂ© Ă  chercher le soutien des autoritĂ©s catholiques. Il trouve d’autres voies d’expression, plus personnelles et plus libres et converge toujours vers une vision extrĂȘmement respectueuse de l’enfant » (p 296). Sa foi chrĂ©tienne est toujours lĂ  : « Nous dĂ©pendons de l’enfant ; toute notre personnalitĂ© vient de lui. Plus que cela, il s’agit, pour ceux qui peuvent le comprendre, d’une rĂ©alisation chrĂ©tienne, car la supernature de l’enfant nous guide vers le Royaume de cieux. Premier citoyen de ce royaume, il le fut seulement dans les lignes de l’Evangile, sans que cela pĂ©nĂštre l’esprit, la conscience des chrĂ©tiens » (p 312).

Durant les derniĂšres annĂ©es, aprĂšs un long sĂ©jour en Inde oĂč elle fut accueillie comme « la Grande Âme », (p 302-304), elle s’établit aux Pays-Bas oĂč elle continue Ă  rĂ©pondre aux sollicitations en provenance du monde entier.

Jusqu’à son dĂ©part, Maria Montessori est toujours en mouvement. Sur tous les plans, elle traverse et dĂ©passe les frontiĂšres comme dans sa rĂ©ponse Ă  une question dans laquelle on lui demandait quelle Ă©tait sa patrie : «  Mon pays est une Ă©toile qui tourne autour du soleil et qui s’appelle la terre » (p 315).

Au terme de cette lecture, on constate combien l’auteure de cette biographie, Christina de Stefano a su nous restituer le parcours de Maria Montessori dans sa dynamique et sa complexitĂ©. Elle a bien tirĂ© parti « d’une correspondance inĂ©dite et de tĂ©moignages directs ». Elle nous rapporte une Ɠuvre gĂ©niale tout en gardant son esprit critique. Ce livre est ainsi un ouvrage de rĂ©fĂ©rence sur Maria Montessori. Et dans une succession de chapitres courts, il se lit d’un trait.

Cependant, ici, nous avons centrĂ© notre analyse : mieux comprendre l’émergence de la pĂ©dagogie montessorienne. Nous pouvons suivre effectivement une maturation. L’éclosion de la « Maison des enfants est prĂ©cĂ©dĂ©e par la redĂ©couverte de Seguin par Maria Montessori et par ses expĂ©riences auprĂšs d’enfants dĂ©ficients. Elle est la rĂ©sultante d’un engagement social prĂ©coce et constant. Elle tĂ©moigne d’un esprit d’observation qui s’inscrit dans un parcours scientifique.

Cependant la Maison des enfants est une innovation qui tranche avec la rĂ©alitĂ© Ă©ducative de l’époque. On y voit le surgissement d’une pratique Ă©ducative nouvelle. Cette pratique est la consĂ©quence directe d’une nouvelle reprĂ©sentation de l’enfant, le fruit d’un Ă©tat d’esprit propice Ă  l’émerveillement et empreint de bienveillance et de respect. Ainsi, dans ces premiĂšres annĂ©es, nous assistons Ă  une vĂ©ritable invention sociale.

On assiste lĂ  Ă  un changement de regard. Ce changement permet de dĂ©couvrir la vraie nature de l’enfant. C’est une vision psychologique et une vision spirituelle. Apprenons Ă  observer, apprenons Ă  regarder, apprenons Ă  nous Ă©merveiller.

J H

  1. Christina di Stefano. Maria Montessori. La femme qui nous a appris Ă  faire confiance aux enfants. Les ArĂšnes, 2022.
  2. Et si nous Ă©duquions nos enfants Ă  la joie ? Pour un Printemps de l’éducation. https://vivreetesperer.com/et-si-nous-eduquions-nos-enfants-a-la-joie-pour-un-printemps-de-leducation/
  3. Maria Montessori. L’enfant. Ce livre, frĂ©quemment rĂ©Ă©ditĂ© est une belle introduction Ă  la pensĂ©e de Maria Montessori. Il fut pour nous comme une rĂ©vĂ©lation
  4. La pédagogie Montessori : https://www.montessori-france.asso.fr/page/155447-la-pedagogie-montessori-une-aide-a-la-vie
  5. Pour une éducation nouvelle, vague aprÚs vague : https://vivreetesperer.com/pour-une-education-nouvelle-vague-apres-vague/ Libérer le potentiel du jeune enfant dans un environnement relationnel : https://vivreetesperer.com/liberer-le-potentiel-du-jeune-enfant-dans-un-environnement-relationnel/
  6. L’enfant : un ĂȘtre spirituel : https://vivreetesperer.com/lenfant-un-etre-spirituel/
  7. Éducation et spiritualité : https://vivreetesperer.com/education-et-spiritualite/
  8. Godly play : Une nouvelle approche de la catéchÚse : https://www.temoins.com/godly-play-une-nouvelle-approche-de-la-catechese/
  9. Welcome to DoBeDo. Re-enchanting life through stories, relationship, playfulness and openness to change : https://www.do-be-do.org/

Et si tout n’allait pas si mal !

 Le monde va beaucoup mieux que vous ne le croyez

selon Jacques Lecomte

 71mvkBrqYOLEn 2016, le ciel s’est assombri. Des Ă©vĂšnements inquiĂ©tants ont ponctuĂ© l’actualitĂ©. Et, en ce dĂ©but d’annĂ©e 2017, nous sommes en attente d’un horizon.  Il y a bien des signes contradictoires, mais choisir la vie, c’est discerner le positif pour tracer notre chemin.

Il y a le temps court et il y a le temps long. Dans l’immĂ©diat, tout s’enchevĂȘtre. Dans la durĂ©e, des tendances apparaissent. Il est bon de pouvoir distinguer ces tendances.

Comme le montre Yann Algan, dans son livre : « La fabrique de la dĂ©fiance » (1), on enregistre en France un manque de confiance bien plus Ă©levĂ© que dans beaucoup d‘autres pays. Dans le dĂ©sarroi actuel, cela se traduit en pessimisme, en cynisme, en rejet. Alors, on peut remercier ceux qui regardent au delĂ  et affrontent la morositĂ© ambiante pour mettre en Ă©vidence des Ă©volutions positives dans la durĂ©e. Ainsi, le livre publiĂ© tout rĂ©cemment par Jacques Lecomte vient exposer une rĂ©alitĂ© Ă  mĂȘme de nous encourager : « Le monde va beaucoup mieux que vous ne le croyez » (2). Cet ouvrage vient Ă  la suite d’une rĂ©flexion de fond que l’auteur a entreprise sur le potentiel de l’homme. Si les mĂ©faits de l’histoire humaine sont affichĂ©s (3), l’homme n’est pas nĂ©cessairement vouĂ© au mal. Il montre aussi une aptitude Ă  la bontĂ©, des dispositions Ă  l’altruisme, Ă  l’empathie et Ă  la gĂ©nĂ©rositĂ©. Jacques Lecomte a pu ainsi Ă©crire un livre sur « la bontĂ© humaine » (4). Et, dans un autre ouvrage, Ă  partir de l’analyse d’un grand nombre d’études, il met en Ă©vidence l’émergence d’attitudes et de pratiques nouvelles dans des « entreprises humanistes » oĂč se dĂ©veloppent un climat de travail plus collaboratif et plus convivial.

Dans une confĂ©rence rapportĂ©e en vidĂ©o sur le thĂšme : « Vers une sociĂ©tĂ© de la fraternité » (5), Jacques Lecomte, un des pionniers de la psychologie positive en France (6), prĂ©sente sa dĂ©marche en commençant par nous raconter son parcours personnel. BrisĂ© par le contexte familial de sa jeunesse, il en rĂ©chappĂ© en rencontrant un environnement bienveillant et convivial. Il a vĂ©cu lĂ  une conversion chrĂ©tienne « qui a radicalement changĂ© sa vie et oĂč il a surtout compris que les forces de l’amour et de la bontĂ© sont plus fortes que les forces de la violence et de la haine ». De cette expĂ©rience, il a compris que le meilleur peut sortir du pire et que le pire n’est pas une fatalitĂ©. A partir de lĂ , Jacques Lecomte a dĂ©veloppĂ© un optimisme rĂ©aliste, un « optirĂ©alisme ». C’est une disposition d’esprit qui permet de percevoir dans une situation, tout ce qu’elle porte de positif, en germe ou en activitĂ©, et, ainsi, de susciter une Ă©volution favorable. Dans son livre : « Le monde va beaucoup mieux que vous ne croyez », Jacques Lecomte met en Ɠuvre cette approche dans une Ă©valuation de l’évolution du monde.

 

 

Le monde va mieux que nous le croyons

« Comment le monde pourrait-il aller mieux quand le chĂŽmage, la guerre, les attentats, le rĂ©chauffement climatique et tant d’autres mauvaises nouvelles font la une des mĂ©dias ?… Pourtant les chiffres nous disent ceci : ces derniĂšres dĂ©cennies, sur l’ensemble du globe, la pauvretĂ©, la faim, l’analphabĂ©tisme et les maladies ont fortement reculĂ© comme jamais avant
 Quant Ă  la violence, elle connaĂźt, depuis plusieurs siĂšcles, un inexorable dĂ©clin
 En rĂ©sumĂ©, contrairement Ă  une opinion largement rĂ©pandue, l’humanitĂ© va mieux qu’il y a vingt ans, mĂȘme s’il reste encore malheureusement de fortes zones sombres
 Quant Ă  la planĂšte, elle est certes en moins bonne posture sur certains aspects, mais en meilleur Ă©tat sur d’autres
 «  (p 9-10). Chapitre aprĂšs chapitre, l’auteur analyse la situation Ă  partir des meilleures sources : « L’humanitĂ© vit mieux
 Et en meilleure santĂ©. Environnement : on avance
 Jamais aussi peu de violence » (p 209-210).

Bref, l’auteur rompt avec la vision catastrophiste du monde qui nous influence bien souvent. Cette vision est suscitĂ©e par l’attrait de nombreux mĂ©dias pour le sensationnel. Elle abonde lĂ  oĂč manque la culture nĂ©cessaire pour trier les informations et distinguer ce qui relĂšve du court terme et du moyen terme. Bien sur, nous souffrons personnellement de l’inquiĂ©tude qui nous atteint ainsi.

Certes, les responsables de l’information peuvent estimer qu’il est nĂ©cessaire d’alarmer pour sensibiliser. Mais cette attitude est bien souvent contre-productive. « Les prophĂštes de malheur nous dĂ©mobilisent. Ils mĂšnent souvent Ă  des mesures politiques autoritaires » (p 15). « Fournir des informations catastrophistes sans prĂ©senter des moyens d’agir, pousse Ă  l’immobilisme, voire au rejet des informations  » (p 31). La peur est mauvaise conseillĂšre. « De nombreuses Ă©tudes montrent que les pĂ©riodes d’anxiĂ©tĂ© sociale ont tendance Ă   accentuer le dĂ©sir de soumission Ă  l’autorité   Le ressenti de menace est une cause d’autoritarisme au sein de la population. Ainsi, aux Etats-Unis, pendant les pĂ©riodes menaçantes, les Eglises Ă  tendance autoritaire bĂ©nĂ©ficient d’un afflux de conversions, alors que ce sont les Eglises non autoritaire  qui vivent ce phĂ©nomĂšne pendant les pĂ©riodes non menaçantes » ( p 43).

A l’inverse, il y a une maniĂšre de partager l’information Ă  mĂȘme de produire des effets positifs. Et il y a des faits significatifs qui font exemple. Ainsi, aujourd’hui, en apprenant que le trou d’ozone est en train des se refermer grĂące Ă  la mise en Ɠuvre du protocole de MontrĂ©al (1987), nous voyons lĂ  « le premier succĂšs majeur face Ă  un problĂšme environnemental mondial » (p 107), Manifestement, cette victoire suscite l’espoir et contribue Ă  nous mobiliser dans la lutte contre le rĂ©chauffement climatique.

 

« Si nous voulons un monde meilleur, nous devons ĂȘtre conscient des progrĂšs accomplis, et inspirer plutĂŽt qu’accuser » (couverture). Ce livre est source d’encouragement. Il nous aide Ă  rĂ©flĂ©chir sur les modes de communication. Ainsi, l’ignorance des Ă©volutions positives tient pour une part Ă  une communication qui met en exergue les mauvaises nouvelles.

Cependant, ne doit pas aller plus loin dans l’analyse du catastrophisme. Comme le complotisme, cet Ă©tat d’esprit n’est-il pas liĂ© Ă  une agressivitĂ© qui se dĂ©ploie Ă  la fois contre soi-mĂȘme et contre les autres ? Et ne tĂ©moigne-t-il pas d’une absence d’espĂ©rance personnelle et collective ? Comme l’écrit le thĂ©ologien JĂŒrgen Moltmann, agir positivement dĂ©pend de notre degrĂ© d’espĂ©rance : « Nous devenons actif pour autant que nous espĂ©rions. Nous espĂ©rons pour autant que nous puissions entrevoir des possibilitĂ© futures. Nous entreprenons ce que nous pensons possible ». « Si une Ă©thique de la crainte nous rend conscient des crises, une Ă©thique de l’espĂ©rance perçoit les chances dans les crises ». Pour les chrĂ©tiens, « l’espĂ©rance est fondĂ©e sur la rĂ©surrection du Christ et s’ouvre Ă  une vie Ă  la lumiĂšre du nouveau monde suscitĂ© par Dieu » (7). Ainsi, quelque soit notre cheminement, notre comportement dĂ©pend de notre vision du monde. En ce sens, Jacques Lecomte ne se limite pas Ă  nous offrir des donnĂ©es positives concernant la situation du monde Ă  mĂȘme de nous encourager, il conclut son livre par la vision d’ « une grande rĂ©conciliation ». « Une sociĂ©tĂ© plus fraternelle et conviviale est possible (5), dĂšs lors que l’on y croit et que l’on s’engage Ă  la faire advenir » (p 197).

 

J H

 

(1)            Algan (Yann), Cahuc (Pierre), Zybergerg (André). La fabrique de la défiance, Grasset, 2012. Sur ce blog : « Promouvoir la confiance dans une société de défiance » : https://vivreetesperer.com/?p=1306

(2)            Lecomte (Jacques). Le monde va beaucoup mieux que vous ne le croyez ! Les ArÚnes, 2017

(3)            « Une philosophie de l’histoire, par Michel Serres. Au sortir de massacres sĂ©culaires, vers un Ăąge doux portant la vie contre la mort » : https://vivreetesperer.com/?p=1306

(4)            Lecomte (Jacques). La bonté humaine. Altruisme, empathie, générosité. Odile Jacob, 2012. Sur ce blog : « La bonté humaine, est-ce possible ? » : https://vivreetesperer.com/?p=674

(5)            ConfĂ©rence de Jacques Lecomte : « Vers une sociĂ©tĂ© de la fraternité », Ă  l’invitation,  le 8 juin 2016 du Pacte civique et de la TraversĂ©e. VidĂ©o sur You Tube : https://www.youtube.com/watch?v=KALjpMcwpWU&feature=youtu.be

(6)            http://www.psychologie-positive.net

(7)            Moltmann (JĂŒrgen). Ethics of life. Fortress Press, 2012 (p 3-8)

 

Voir aussi :  « Quel avenir est possible pour le monde et pour la France? (Jean-Claude Guillebaud. Une autre vie est possible) » : https://vivreetesperer.com/?p=937

https://vivreetesperer.com/?p=942

https://vivreetesperer.com/?p=945