L’Ɠuvre de l’Esprit – Un universalisme rĂ©volutionnaire

https://www.fuller.edu/wp-content/uploads/2018/01/Prof_AmosYong.jpgDans ce monde en voie de globalisation, en voie d’unification, il y a de violentes rĂ©sistances, de violentes oppositions, de violents conflits. En fait, les forces techniques et Ă©conomiques qui sont Ă  l’Ɠuvre sont, Ă  elles seules, incapables d’engendrer une unitĂ©. L’unitĂ© ne peut rĂ©sulter d’une violence impĂ©riale ou de la pression des intĂ©rĂȘts. On pourrait penser qu’elle requiert une harmonisation spirituelle. Et c’est ainsi qu’on peut considĂ©rer l’exemple des premiĂšres communautĂ©s chrĂ©tiennes apparues au premier siĂšcle oĂč nous pouvons entrevoir l’émergence d’un universalisme rĂ©volutionnaire (1). Le Saint Esprit y est puissance de rĂ©conciliation et d’unification.

C’est le mouvement que dĂ©crit Amos Yong (2) dans une sĂ©quence sur le Saint Esprit rĂ©alisĂ©e par Richard Rohr sur le site du Center for action and contemplation. ThĂ©ologien pentecĂŽtiste amĂ©ricain, d’origine malaisienne, Amos Yong est l’auteur d’une Ɠuvre originale et abondante qui se dĂ©cline dans de nombreux livres (3). Amos Yong propose ainsi une thĂ©ologie pionniĂšre oĂč les ressources du pentecĂŽtisme s’inscrivent dans une pensĂ©e chrĂ©tienne ouverte Ă  une dimension ƓcumĂ©nique et interreligieuse, comme Ă  la culture d’aujourd’hui, notamment scientifique. Amos Yong est professeur Ă  la Faculté  ÉvangĂ©lique californienne Fuller oĂč il dirige l’École des Ă©tudes interculturelles, un centre de recherche missiologique. Son Ɠuvre mĂ©rite d’ĂȘtre mieux connue au delĂ  de l’univers anglophone.

La dynamique de la PentecĂŽte

« La vie palestinienne du premier siĂšcle, de beaucoup de maniĂšres, semblable Ă  notre village global d’aujourd’hui, Ă©tait marquĂ©e par des suspicions vis Ă  vis de ceux qui parlaient d’autres langues oĂč qui incarnaient d’étranges genres de vie. Ce fut l’Ɠuvre de l’Esprit de rassembler ceux qui Ă©taient Ă©trangers les uns aux autres et de rĂ©concilier ceux qui auraient pu autrement demeurer Ă  l’écart de ceux qui leur Ă©taient dissemblables ».

La PentecĂŽte ouvre un horizon nouveau. « Elle inaugure un IsraĂ«l restaurĂ© et le royaume de Dieu en Ă©tablissant de nouvelles structures et de nouvelles relations sociales. A noter que le don de l’Esprit n’est pas rĂ©servĂ© aux 120 hommes et femmes qui sont rassemblĂ©s dans la chambre haute (Actes 1. 14-15) : Les langues de feu qui se sont divisĂ©es, se sont posĂ©es sur chacun et ont permis Ă  chacun, soit de parler, soit d’entendre dans des langues Ă©trangĂšres (Actes 2.3-4).

Pour expliquer ce phénomÚne, Pierre cite le prophÚte Joël :

« Vos fils et vos filles prophétiseront
Vos jeunes hommes auront des visions
Vos anciens auront des songes
Et sur mes esclaves, hommes et femmes
Je déverserais mon Esprit
En ces jours, ils prophétiseront »  (Actes 2. 17-18)

 

Un changement de société

Amos Yong Ă©largit la rĂ©ception habituelle. « Les dons de l’Esprit ne sont pas destinĂ©s seulement aux individus.  Ils ont des effets sociaux en mettant en cause les pouvoirs en place, « the powers that be ».

Pierre comprenait bien que, tandis que l’ancienne Ăšre juive avait un caractĂšre patriarcal, la restauration d’IsraĂ«l manifesterait l’égalitĂ© de l’homme et de la femme.  Les deux prophĂ©tiseraient dans la puissance de l’Esprit. Tandis que l’ancienne alliance manifestait la direction des anciens, le royaume restaurĂ© impliquera la responsabilisation (empowerment) d’hommes et de femmes de tous les Ăąges.  En tout ceci, l’Ɠuvre de l’Esprit Ă©tait annoncĂ©e en des langues Ă©tranges, et pas dans les langues conventionnelles du statu quo.

En effet, la restauration du royaume de Dieu par la puissance de l’Esprit renversait effectivement le statut quo. Comme il avait Ă©tĂ© prĂ©dit Ă  Marie et Zacharie, ceux qui Ă©taient au bas de l’échelle sociale, les femmes, les jeunes et les esclaves, Ă©taient les rĂ©cepteurs de l’Esprit et les vĂ©hicules d’un revĂȘtement de puissance (empowerment) de l’Esprit (Luc 1.46-55, 1.67-79). Les gens, autrefois divisĂ©s par la langue, l’ethnie, la culture, la nationalitĂ©, le genre et la classe seraient rĂ©conciliĂ©s par cette nouvelle version du royaume.

Potentiellement, « toute chair » serait incluse .

Une interpellation

Dans cette vision inspirante, Amos Yong interpelle.

Est-ce que ces caractĂ©ristiques continuent Ă  marquer l’église comme une fraternitĂ© inspirĂ©e par l’Esprit ? Est-ce que l’église parle encore les langues de l’Esprit ? Ou bien restons-nous prisonniers d’une division portĂ©e par les langages, les structures et les conventions des empires de ce monde ? (4). Notre priĂšre  devrait ĂȘtre : « Viens Saint Esprit » de telle maniĂšre Ă  ce que la proclamation de l’épanchement de l’Esprit sur toute chair puisse vraiment encore trouver son accomplissement Ă  notre Ă©poque.

Amos Yong

Rapporté en français par J H

  1. « Paul : Sa vie et son oeuvre selon NT Wright » : https://vivreetesperer.com/paul-sa-vie-et-son-oeuvre-selon-nt-wright/
  2. A reconciling power : https://cac.org/daily-meditations/a-reconciling-power-2022-06-09/
  3. Amos Yong . Fuller Seminary : https://www.fuller.edu/faculty/amos-yong/
  4. L’Esprit Saint Ă  l’Ɠuvre dans les sociĂ©tĂ©s et pas seulement Ă  l’échelle individuelle : « Pour une vision holistique de l’Esprit. Avec JĂŒrgen Moltmann et Kisteen Kim » : https://vivreetesperer.com/pour-une-vision-holistique-de-lesprit/

 

 

 

Solidaires Ă  l’Ă©chelle du monde

Le microcrédit à la portée de tous : Babyloan

 

Aujourd’hui en Europe, nous sommes entrĂ© dans un temps de crise Ă©conomique et financiĂšre qui affecte les conditions d’existence de beaucoup de gens et suscite en consĂ©quence des craintes et des agressivitĂ©s. Le monde change. Des Ă©conomies Ă©mergentes apparaissent et modifient le paysage international. Cependant, si la pauvretĂ© qui rĂ©gnait autrefois dans la majoritĂ© des pays du monde a rĂ©gressĂ©, elle est toujours lĂ  et pĂšse encore sur une multitude d’existences. La lutte pour une vie meilleure continue et un grand nombre d’organisations non gouvernementales sont mobilisĂ©es Ă  cette fin. Cependant on perçoit de plus en plus l’implication des « pauvres » eux-mĂȘmes dans les efforts engagĂ©s pour amĂ©liorer leurs conditions de vie. Une des formes de cet engagement est la multiplication des initiatives soutenues par le microcrĂ©dit. Tout rĂ©cemment, un « appel de Paris pour une microfinance responsable » tĂ©moigne du caractĂšre international de ce mouvement dont l’initiateur, Mohammad Yunus a reçu en 2006 le prix Nobel de la paix.

 

Aujourd’hui, grĂące Ă  internet, nous sommes tous concernĂ©s. Notre « prochain » n’est plus seulement celui qui vit dans notre environnement immĂ©diat. À travers le web, nous rejoignons les hommes et les femmes de la terre entiĂšre. Connaissez-vous le site : « Sept milliards d’autres » ? http://www.6milliardsdautres.org/index.php

C’est un site particuliĂšrement impressionnant, car, Ă  travers 6 000 portraits vidĂ©os, nous y rencontrons l’humanitĂ© dans toute sa diversitĂ©, du pĂȘcheur brĂ©silien Ă  l’avocate australienne, de l’artiste allemand Ă  l’agriculteur afghan, et pouvons y entendre les prĂ©occupations, les aspirations, les questionnements des ĂȘtres humains en rĂ©ponses Ă  des questions simples comme : « Qu’avez vous appris de vos parents ? Que souhaitez-vous transmettre Ă  vos enfants ? Quelles Ă©preuves avez-vous traversé ? Que reprĂ©sente pour vous l’amour ?… ».

 

Aujourd’hui, on le sait, l’attention Ă  l’autre peut s’exercer de bien des maniĂšres. C’est le cas dans les sites qui nous permettent de connaĂźtre les conditions d’existence et les besoins de beaucoup de gens qui font appel au microcrĂ©dit et Ă  qui on peut apporter ainsi « un coup de main ». Comment ne pas nous rendre compte que, dans nos sociĂ©tĂ©s occidentales, nous sommes, malgrĂ© tout, relativement privilĂ©giĂ©s et ne pas participer Ă  un moyen trĂšs simple et accessible Ă  tous : « Parce que notre prĂȘt solidaire permet Ă  un micro entrepreneur de dĂ©velopper ses activitĂ©s, prĂȘtez ! ».

J’ai dĂ©couvert les sites de microcrĂ©dit : Babyloan et Microworld http://www.microworld.org/fr (1) en Ă©coutant la radio, en l’occurrence BFM, et c’est vraiment une satisfaction de participer Ă  cette activitĂ©.

 

Quelques mots sur le site : Babyloan qui met l’accent dans son fonctionnement sur la convivialité : http://www.babyloan.org/fr/

Toute une Ă©quipe est Ă  l’Ɠuvre. Fondateur et prĂ©sident de Babyloan, Arnaud Poissonnier, tĂ©moigne d’un itinĂ©raire qui caractĂ©rise bien ce mouvement. De banquier de gestion de fortune, il est devenu le responsable d’une « entreprise sociale ». Babyloan n’est pas une association, mais une des premiĂšres entreprises sociales françaises, crĂ©Ă©e en fĂ©vrier 2008. L’entreprise sociale a une caractĂ©ristique commune avec les autres entreprises : elle doit atteindre l’équilibre Ă©conomique. Mais elle s’en distingue en se consacrant Ă  la rĂ©solution d’un problĂšme, par exemple l’amĂ©lioration du sort de plus dĂ©munis, et ne cherchant pas le profit pour ses actionnaires.

Entrons donc dans le site deBabyloan. Nous y dĂ©couvrons une grande diversitĂ© de projets qui font appel au microcrĂ©dit. Ces projets sont prĂ©sentĂ©s dans le contexte humain de ceux qui font appel Ă  nous : leur existence familiale, leurs conditions de vie, leurs motivations. On entre ainsi en contact virtuel avec  des personnes et on peut devenir leur « prochain », celui qui va Ă  la rencontre de l’autre dans un  mouvement de sympathie.

Et ensuite le processus est trĂšs simple : « Je choisis un  projet. Je fais un  prĂȘt solidaire Ă  partir de 20 euros qui participe au financement du microcrĂ©dit de l’entrepreneur choisi. Celui-ci dĂ©veloppe son activitĂ© et me rembourse sans intĂ©rĂȘt »  C’est un acte de solidarité : « En proposant de prĂȘter et non de donner, Babyloan reprĂ©sente une nouvelle forme de solidaritĂ© respectueuse de la dignitĂ© du bĂ©nĂ©ficiaire et qui rompt avec la logique le l’assistanat ».

Babyloan est devenu leader europĂ©en dans ce secteur. Aujourd’hui, plus de 13 000 personnes participent Ă  son activité : « En 2011, vous avez prĂȘtĂ© 1 500 000 euros Ă  plus de 3 500 projets. Vous avez soutenu ainsi 20 000 personnes ».

 

Et voici, comme exemples, quelques projets auxquels nous nous intéressons :

« Les uniformes de Carmen » à Lima. Pérou

Sanchez Carmen, ùgée de 62 ans, mÚre de 6 enfants, passionnée de couture, fait appel au microcrédit pour développer un atelier de confection qui fabrique des uniformes et des tenues de sport pour plusieurs écoles.

http://www.babyloan.org/fr/projects/carmen-sanchez-erazo-de-espinoza/les-uniformes-de-carmen/6107

« Les agrumes d’Amani ». Gaza

Amani, 31 ans, mÚre de 5 enfants, cultive une parcelle de terre et vend ses oranges pour gagner sa vie ; elle fait appel au microcrédit pour louer une autre terre et y installer une serre pour cultiver des légumes. http://www.babyloan.org/fr/projects/amani-hamduna/les-agrumes-damani/8558

« Les canards d’Essi ». Togo

Essi, agée de 53 ans, mÚre de 3 enfants, participe à un petit groupe de quatre femmes solidaires. Elle fait appel au microcrédit pour développer un élevage de canards ;

http://www.babyloan.org/fr/projects/essi-novissi-kitikpo/groupe-les-canards-dessi/8385

« TĂȘtĂȘ. Elevage de poules ». Togo 

MariĂ© et pĂšre de 2 enfants, 30 ans, TĂ©tĂ© Ă©lĂšve des poules pondeuses et vend les Ɠufs. Il sollicite un  prĂȘt pour acheter 300 poussins et de la nourriture pour ses poules. http://www.babyloan.org/fr/projects/tete-mensah/tete-elevage-de-poules/8207

« Les cacaoyers et le maĂŻs d’Agustina ». Equateur

Agustina, 72 ans, travaille avec passion dans ses plantations de cacaoyers et de maĂŻs. Elle vit avec son Ă©poux dans une modeste maison. Elle fait appel au microcrĂ©dit pour un achat d’engrais et de graines. http://www.babyloan.org/fr/projects/agustina-de-la-cruz-mora-mendoza-/les-cacaoyers-et-le-mais-dagustina/8528

 

La solidaritĂ© dans la convivialité ! Participer ainsi au microcrĂ©dit, c’est un  bonheur !

 

JH

 

(1) Microworld , autre site de microcrĂ©dit, est un projet du groupe Planet Finance, organisation de grande envergure dont la compĂ©tence et l’efficacitĂ© sont signifiĂ©es notamment par la personnalitĂ© de son prĂ©sident Jacques Attali.

Accéder au fondement de son existence

 

Dispersion, lĂącher prise, ressourcement et rayonnement.

Propos de Jean-Claude Schwab  recueillis au fil d’une conversation.

 

 

Quelles sont les prĂ©occupations auxquelles les gens sont confrontĂ©s aujourd’hui ?

 

 « Aujourd’hui, beaucoup de gens ont de la peine Ă  vivre, Ă  se poser dans la vie. Cela vient du fait que le contexte social ou professionnel dans lequel nous vivons se dĂ©lite et que les institutions qui nous emploient ne nous apportent plus le mĂȘme soutien. Il arrive mĂȘme que certains professionnels (mĂȘme des ecclĂ©siastiques) ne sont plus portĂ©s par leur institution. Ils ne trouvent plus de reconnaissance sociale non plus. Du coup, cela fait porter un immense fardeau sur leurs Ă©paules, tant sur le plan professionnel que sur le plan personnel. On se sent Ă  la limite du supportable, du possible. Ce matin, j’étais avec un collĂšgue, en formation continue. Rien ne le soutient.   »C’est toi qui dois te promouvoir personnellement ». C’est un  immense fardeau. D’oĂč l’importance de plus en plus grande d’avoir accĂšs Ă  d’autres appuis, Ă  ses ressources personnelles d’une part et d’autre part aux autres ressources qui peuvent ĂȘtre disponibles.

 

Face aux manques d’appuis et de repùres, quelle forme de ressourcement personnel proposes-tu aux gens ?

 

Pour moi, les ressources personnelles, c’est l’espace qu’on se donne pour recevoir son ĂȘtre de Dieu. Quand tu fais silence devant Dieu, il se passe quelque chose que tu ne peux pas produire par toi-mĂȘme. Quand tu te prĂ©sentes devant le Dieu de misĂ©ricorde, pour moi, c’est le Dieu de JĂ©sus-Christ, il se passe quelque chose de mystĂ©rieux. C’est le sentiment fort d’exister, ce noyau indestructible de mon ĂȘtre qui n’est pas seulement une ressource, mais une source qui se renouvelle. Je suis alors dans le non-faire et non plus dans « tout ce qu’il y a Ă  faire » et qui me dĂ©passe. Je suis dans le sabbat. Je renonce Ă  toutes les raisons d’exister autres que « d’ĂȘtre là ». Et alors il m’est redonnĂ© le sentiment de cette rĂ©alitĂ© du fondement de mon existence. C’est comme si je me laissais couler au fond de la piscine pour aller y toucher le fond et remonter ensuite.

 

Sur quoi se fonde cette expérience spirituelle et comment les gens la vivent-ils ?

 

En vivant cela avec certains de mes vis-Ă -vis, et en communiquant avec eux Ă  ce sujet, je vois qu’ils font cette expĂ©rience et qu’ils trouvent un positionnement par rapport au tourbillon de la vie. Je travaille surtout avec des chrĂ©tiens, mais dans les sessions que j’organise, il y a aussi des gens hors cadre, hors milieu chrĂ©tien. Mon langage s’inspire de la Bible, mais il est accessible Ă  tous. Parmi les paroles bibliques qui m’inspirent, il y a ce texte que je trouve tout Ă  fait central, et qui parle Ă  chacun. Paul dit : « Je suis qui je suis, par la grĂące de Dieu », 1 Corinthiens  15.10. C’est tout un chemin : Paul se compare d’abord aux autres apĂŽtres plus grands que lui, pour ensuite ne plus se comparer du tout et se situer dans son ĂȘtre profond fondĂ© dans l’ĂȘtre du Christ: « Je suis qui je suis ». On trouve dans l’Evangile une approche analogue lorsque JĂ©sus dĂ©clare : « Avant qu’Abraham fut, Je suis » (Jean 8.58). Il affirme une rĂ©alitĂ© centrale de son ĂȘtre, indestructible. L’appel du psaume 46 (verset 11), lorsque Dieu dit : « ArrĂȘtez et sachez que je suis Dieu », je le  vis comme une invitation Ă  cette mĂȘme dĂ©marche : s’arrĂȘter, faire le Shabbat, c’est Ă  dire : renoncer Ă  tout ce qui semble justifier mon existence pour en retrouver le fondement. Dans l’expĂ©rience mĂȘme qu’on peut faire lorsqu’on s’arrĂȘte, et qu’on laisse passer les distractions, on reçoit un sentiment fort d’exister. Cette perception-lĂ  redonne un courage de vivre. Ceux qui entrent dans cette dĂ©marche en font l’expĂ©rience.

 

Parmi les ressources disponibles, quelle est la place donnée aux relations humaines ?

 

Parmi les ressources qui sont mises Ă  notre disposition, certaines viennent directement de Dieu et d’autres viennent de nos relations humaines. Je m’inspire beaucoup du texte d’EsaĂŻe 50.4 : « Le Seigneur Ă©veille mon oreille pour que j’Ă©coute comme les « appreneurs »; il m’a donnĂ© une langue exercĂ©e, pour que je puisse soutenir par la parole celui qui est abattu  ». Ce texte met en lien une attitude profonde en Dieu avec la relation aux autres. Dans cette posture dĂ©pouillĂ©e devant Dieu, de l’arrĂȘt, du silence et de l’Ă©coute intĂ©rieure, je trouve ce noyau vital personnel, qui permet ensuite d’ĂȘtre un soutien pour les autres. Evidemment, quand on fait cela, il y a un retour Ă  l’expĂ©diteur. Lorsque tu entres dans une telle relation avec les autres, tu es nourri toi-mĂȘme, sans pour autant que cela devienne ta raison de vivre ».

 

Propos de Jean-Claude Schwab recueillis au fil d’une conversation.

 

Jean-Claude Schwab est pasteur. Il participe activement au réseau : Expérience et théologie et a la responsabilité du site correspondant : http://www.experience-theologie.ch/accueil/

 

On pourra lire deux articles de Jean-Claude Schwab sur le site de Témoins :

« Au cƓur du cyclone » : http://www.temoins.com/parole-ouverte/au-coeur-du-cyclone.html

« Voici une bonne nouvelle : habiter mon corps » : http://www.temoins.com/developpement-personnel/voici-une-bonne-nouvelle-habiter-mon-corps.html

 

Nous vous invitons Ă  visiter Ă©galement l’article : « Paix et joie en Dieu. Approche pour une mĂ©ditation. La vision de JĂŒrgen Moltmann dans « Ethics of Hope » sur le site : « L’Esprit qui donne la vie »

http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=880

L’enfant : un ĂȘtre spirituel

 

 

 

 

 

 

Souvenir personnel et sans doute souvenir de beaucoup d’autres : lorsqu’il vient au monde, le petit enfant engendre une dynamique d’amour chez ceux qui l’accueillent. Quelle merveille !

Tout rĂ©cemment, dans une enquĂȘte, en rĂ©ponse Ă  la question : « Quel Ă©vĂ©nement Ă  venir pourrait susciter un Ă©merveillement de votre part ? », la naissance arrive en tĂȘte (38%), suivie d’assez prĂšs par la joie d’un  enfant (33%) (1).

Cependant, d’aprĂšs le travail des historiens, on sait que l’attention et le respect portĂ©s Ă  l’enfant n’allaient pas de soi autrefois. Loin de lĂ . Cette attention et ce respect se sont dĂ©veloppĂ©es Ă  partir du moment oĂč les sociĂ©tĂ©s sont peu Ă  peu sorties de l’oppression engendrĂ©e par la mortalitĂ© infantile, la sous nutrition, une violence latente
Pendant longtemps, en regard des adultes, le statut des enfants a Ă©tĂ© nĂ©gligeable. Au dĂ©but du XXĂš siĂšcle encore, les mentalitĂ©s ne sont pas prĂȘtes Ă  reconnaĂźtre le potentiel du petit enfant. A travers une Ɠuvre pionniĂšre, la doctoresse italienne, Maria Montessori, met en valeur ce potentiel, et, dans un livre rayonnant : « L’enfant » (2), elle parle de celui-ci en terme d’ « embryon spirituel ». Aujourd’hui oĂč le concept de spiritualitĂ© est dĂ©sormais reconnu et jouit d’une large audience, des recherches rĂ©centes viennent de mettre en Ă©vidence les dispositions spirituelles prĂ©sentes chez l’enfant. Une recherche, rĂ©alisĂ©e par Rebecca Nye et David Hay, auprĂšs d’enfants britanniques de 6 Ă  10 ans, a mis en Ă©vidence leurs aptitudes spirituelles en terme de « conscience relationnelle » (3).

Rebecca Nye nous décrit ainsi la spiritualité des enfants (4).

« La spiritualitĂ© des enfants est une capacitĂ© initialement naturelle pour une conscience de ce qui est sacrĂ© dans les expĂ©riences de vie. Cette conscience peut ĂȘtre ressentie ou pas, mais dans les deux cas, elle influe sur les actions, les sentiments et les pensĂ©es. Dans l’enfance, la spiritualitĂ© porte particuliĂšrement sur le fait d’ĂȘtre en relation, de rĂ©pondre Ă  un appel, de se relier Ă  plus que moi seul, c’est Ă  dire aux autres, Ă  Dieu, Ă  la crĂ©ation ou Ă  un profond sens de l’ĂȘtre intĂ©rieur (inner sense of self). Cette rencontre avec la transcendance peut advenir dans des expĂ©riences ou des moments spĂ©cifiques aussi bien qu’à travers une activitĂ© imaginative ou rĂ©flexive » (p.6).

Beaucoup d’expĂ©riences quotidiennes dans la vie de l’enfant se prĂȘtent Ă  un vĂ©cu spirituel. Aussi comprendre l’enfance est fondamental pour une comprĂ©hension plus gĂ©nĂ©rale de la spiritualitĂ©. Comprendre l’enfance, c’est percevoir entre autres, les rĂ©alitĂ©s suivantes :

« ° Les enfants ont une façon plus holistique de voir les choses. Ils ne les analysent pas autant si bien que leur perception a un caractÚre plus mystique.

° Les enfants sont particuliĂšrement ouverts et curieux. Aussi ont-ils une capacitĂ© naturelle d’émerveillement.

° La vie Ă©motionnelle des enfants est au moins aussi forte que leur vie intellectuelle. Aussi savent-ils ce que c’est de s’abandonner Ă  des forces qui transcendent leur contrĂŽle.

° Les enfants manquent de connaissances sur beaucoup de choses. Pour eux, le mystÚre est une réalité profonde, généralement non menaçante, amicale et ils y répondent par un respect et une recherche de sens dans tous leurs jeux quotidiens.

° Les enfants acceptent que leurs mots ne suffisent pas Ă  dĂ©crire pensĂ©es et sentiments. Aussi savent-ils que la valeur et l’importance rĂ©elle dĂ©passent ce qui peut ĂȘtre dit. Ils se sentent Ă  l’aise dans l’ineffable, l’indicible » (p.8)

« La dĂ©couverte majeure de toutes ces Ă©tudes est que la spiritualitĂ© est une caractĂ©ristique commune naturelle, chez la plupart des enfants, probablement tous. Certainement aucune Ă©tude ne fait apparaĂźtre un type d’enfant qui ne possĂšde pas des aptitudes spirituelles actives. D’un point de vue chrĂ©tien, cela fait sens, puisqu’on comprendrait difficilement pourquoi certaines personnes seraient crĂ©Ă©es sans une capacitĂ© instinctive de rĂ©pondre Ă  notre CrĂ©ateur » (p.9). Les Ă©tudes sur la spiritualitĂ© des enfants Ă©clairent notre comprĂ©hension de la spiritualitĂ© des adultes . « Un nombre surprenant d’adultes citent un souvenir d’enfance comme leur expĂ©rience spirituelle la plus importante  ». Au total, on constate que « la spiritualitĂ© des enfants est plus naturelle qu’apprise, que peut-ĂȘtre le terrain le plus fertile pour la spiritualitĂ© se situe dans l’enfance , que la spiritualitĂ© de l’enfance se rĂ©percute sur l’ñge adulte, et que la spiritualitĂ© est profondĂ©ment relationnelle » (p.11).

 Ces recherches viennent apporter une confirmation de ce que nous ressentions plus ou moins clairement. Oui, l’enfant est un ĂȘtre spirituel. Pendant des siĂšcles, cette rĂ©alitĂ© a Ă©tĂ© largement mĂ©connue. Ainsi les paroles de JĂ©sus concernant les enfants Ă©taient Ă  contre courant. Aujourd’hui, elles retentissent avec une force inĂ©galĂ©e. Maintenant, elle inspire les thĂ©ologiens (5) et, pour nous, elles Ă©clairent notre cƓur et notre entendement. JĂ©sus dit : « Laissez les petits enfants, et ne les empĂȘchez pas de venir Ă  moi ; car le Royaume des Cieux est pour ceux qui leur ressemblent » (Matthieu 19.14). « Quiconque reçoit en mon nom un de ces petits enfants me reçoit moi-mĂȘme
( Marc 9. 37) ». Le commentaire de Rebecca Nye est Ă©clairant : l’approche de JĂ©sus vis Ă  vis des enfants paraĂźt appuyer l’idĂ©e que leur spiritualitĂ© reflĂšte un Ă©tat d’ĂȘtre quotidien. Les enfants sont accueillis et bĂ©nis et c’est au hasard que JĂ©sus met un enfant en Ă©vidence. Cette rĂ©flexion nous Ă©claire sur la portĂ©e des recherches sur la spiritualitĂ© des enfants. De la mĂȘme façon, JĂ©sus s’est rĂ©fĂ©rĂ© aux enfants (sans spĂ©cifier leur Ăąge) comme « ceux dont les anges dans le ciel voient constamment la face de mon PĂšre dans les cieux » (Matthieu 18.10). Cela suggĂšre que les enfants jouissent d’une perception toute particuliĂšre.

C’est une forte invitation Ă  penser que les adultes ont des choses Ă  apprendre de la maniĂšre des enfants d’ĂȘtre simplement eux-mĂȘmes et sur la relation pouvoir autoritĂ© entre les adultes et les enfants.

La dĂ©couverte actuelle de la spiritualitĂ© des enfants s’inscrit dans le tournant culturel et religieux en cours durant les vingt derniĂšres annĂ©es (6). Mais, en mĂȘme temps, ce phĂ©nomĂšne est l’aboutissement de tendances Ă  plus long terme. Ainsi le courant de l’éducation nouvelle se manifeste tout au long du XXĂš siĂšcle. De mĂȘme, le thĂšme de la spiritualitĂ© a pris une importance croissante dans les derniĂšres dĂ©cennies.

La prise de conscience de la dimension spirituelle des enfants marque Ă©galement une rupture avec les sĂ©quelles d’idĂ©es et de reprĂ©sentations installĂ©es en Occident pendant des siĂšcles. Ainsi l’enfant Ă©tait perçu comme entachĂ©e par une corruption issue du pĂ©chĂ© originel avec toute la reprĂ©sentation nĂ©gative qui en rĂ©sultait. On frĂ©mit Ă  la maniĂšre dont certains envisageaient le sort des enfants dĂ©cĂ©dĂ©s sans avoir Ă©tĂ© baptisĂ©s. Et par ailleurs, en mettant l’accent sur la petitesse et l’humilitĂ© des enfants et non sur leur potentiel de vie, la perception traditionnelle Ă©tait aussi empreinte de nĂ©gatif. Mais, en mĂȘme temps, la reconnaissance croissante de la spiritualitĂ© des enfants s’affirme aujourd’hui Ă  l’encontre d’une idĂ©ologie scientiste, rationaliste qui a occupĂ© une place importante dans le paysage culturel du siĂšcle dernier. Bien sĂ»r, on doit Ă©galement se garder d’une idĂ©alisation excessive de l’enfant. Celui-ci participe Ă  notre humanitĂ© avec ses travers et ses dĂ©rives, mais une vision nouvelle est apparue.

Aujourd’hui, nous assistons au dĂ©veloppement d’une reprĂ©sentation nouvelle de la vie humaine. « BĂ©nir, signifie littĂ©ralement : appeler le bien Ă  se manifester », nous dit Rebecca Nye. Ainsi avons-nous besoin de reconnaĂźtre le bien lĂ  oĂč il est pour l’encourager Ă  s’épanouir. VoilĂ  une approche souhaitable dans notre reprĂ©sentation de l’homme bien au delĂ  de l’enfance.

L’enfant : un ĂȘtre spirituel. C’est un regard nouveau. Nous dĂ©couvrons ce que nous pressentions. Quelle merveille !

 

JH

 

(1)            Sur ce blog : Ce qui nous Ă©merveille. Sur le site de TĂ©moins : « ReconnaĂźtre le fait spirituel : un sondage sur l’émerveillement » http://www.temoins.com/enqu-tes/reconnaitre-le-fait-spirituel.-un-sondage-sur-l-emerveillement.html

(2)            Montessori (Maria). L’enfant. DesclĂ©e de Brouwer (Ă©dition originale : 1936)

(3)            Hay (David). Something there. The biology of human spirit. Darton, Longman and Todd, 2006. Sur le site de Témoins : La vie spirituelle comme « conscience relationnelle ». http://www.temoins.com/etudes/la-vie-spirituelle-comme-une-conscience-relationnelle.html

(4)            Nye (Rebecca). Children’s spirituality. What it is and why it matters. Church House Publishing, 2009

(5)            Sur le site de TĂ©moins : « DĂ©couvrir la spiritualitĂ© des enfants. Un signe des temps ». Un chapitre sur la thĂ©ologie de l’enfant. http://www.temoins.com/etudes/decouvrir-la-spiritualite-des-enfants.-un-signe-des-temps/toutes-les-pages.html

(6)             Sur le site : expĂ©rience et thĂ©ologie : Ursula Tissot. Comment le Dieu qui s’est fait enfant rejoint notre enfant intĂ©rieur. http://www.experience-theologie.ch/reflexions/ressourcement/comment-ce-dieu-qui-s’est-fait-enfant-rejoint-notre-enfant-interieur/

Un horizon pour l’humanitĂ© ? La NoosphĂšre

https://images2.medimops.eu/product/90b9f0/M02226440550-large.jpgSelon Patrice Van Eersel

 Les crises se succĂšdent. Les menaces grandissent. L’horizon parait bouchĂ©. Nous voyons le climat se dĂ©grader, la diversitĂ© des espĂšces se rĂ©duire. Nos repĂšres se fragilisent. Il semble que l’ordre naturel est Ă©branlĂ©. Le ciel va-t-il nous tomber sur la tĂȘte ?

L’humanitĂ© elle-mĂȘme nous paraĂźt de plus en plus instable. Le rythme de la vie sociale s’accĂ©lĂšre, s’emballe. Dans cette ambiance prĂ©occupante, la solidaritĂ© vacille. Des forces s’entrechoquent. Des monstres, bien rĂ©els ou imaginaires apparaissent. Dans ce tohu-bohu, certains se dĂ©sespĂšrent et envisagent la fin du monde, un grand effondrement. Ce catastrophisme est dĂ©vastateur. Il sape les Ă©lans de vie.

C’est dans ce contexte que Patrice Van Eersel, journaliste et Ă©crivain (1), connu pour ses Ă©tudes pionniĂšres dans la dĂ©couverte de rĂ©alitĂ©s hors du commun, d’expĂ©riences transcendentales, a dĂ©cidĂ© de rĂ©pondre au pessimisme ambiant en Ă©crivant un livre intitulé : « NoosphĂšre » (2). Il trace une piste dĂ©crivant le processus intellectuel qui a commencĂ© au dĂ©but du XXĂš siĂšcle et a mis en Ă©vidence la perspective de l’émergence d’une conscience collective.

Ce livre est présenté ainsi dan la page de couverture.

«  Comment croire en l’avenir quand on a trente ans et la conviction de vivre l’effondrement de la planĂšte – rĂ©chauffement global, dĂ©gradation de la biodiversitĂ©, pollution gĂ©nĂ©ralisĂ©e, le tout aggravĂ© par une crise sanitaire mondiale ?

En remontant le temps, rĂ©pond l’auteur de ce rĂ©cit Ă  son jeune interlocuteur, Sacha, en s’inspirant du concept de NoosphĂšre, forgĂ© dans les annĂ©es 1920 par deux hommes, le français Teilhard de Chardin et le russe Vladimir Vernadski qui dĂ©signaient ainsi la conscience collective planĂ©taire. Ayant compris le rĂŽle crucial de l’action humaine sur la biosphĂšre – ce que l’on appelle aujourd’hui l’anthropocĂšne – ces visionnaires, convaincus du caractĂšre « cosmique » de la vie biologique, considĂ©raient le triomphe de la « NoosphĂšre » comme la prochaine et irrĂ©sistible Ă©tape de l’Évolution, condition sine qua non de notre survie sur la terre ».

L’auteur a agencĂ© son rĂ©cit en fonction d’interlocuteurs imaginĂ©s : le fils d’un ami dĂ©cĂ©dĂ©, Sacha, un jeune homme en pleine dĂ©pression parce qu’il s’attend Ă  un effondrement de la sociĂ©tĂ© et, en consĂ©quence, s’est rĂ©fugiĂ© dans un refus du travail, et, autour de lui, une constellation familiale, sa mĂšre, sa compagne, mĂšre d’une petite fille, sĂ©parĂ©e de lui et elle aussi, portĂ©e Ă  des idĂ©es extrĂȘmes. Et donc, le rĂ©cit se dĂ©veloppe en phase avec des questionnements et des ressentis. Dans cette disposition de l’ouvrage, l’auteur engage un dialogue avec toute une jeunesse en recherche. Et, en mĂȘme temps, l’auteur nous prĂ©sente une rĂ©flexion complexe au carrefour de considĂ©rations scientifiques, philosophiques et mĂȘme thĂ©ologiques. Dans un dĂ©roulĂ© historique, attentif Ă  la vie des personnalitĂ©s Ă©voquĂ©es, le rĂ©cit suscite une attention soutenue. Patrice Van Eersel a Ă©crit lĂ  un livre fondĂ© sur de nombreuses enquĂȘtes et lectures. C’est un ouvrage important, en 400 pages. Il ne peut donc ĂȘtre question ici d’en rĂ©sumer le contenu. Nous chercherons simplement Ă  en prĂ©senter quelques Ă©tapes, quelques parties saillantes.

 

Une approche de l’effondrement : la collapsologie

Puisque son jeune ami, Sacha, est obsĂ©dĂ© par la menace de l’effondrement, Patrice Van Eersel va lui mĂ©nager un contact avec ceux qui, eux aussi, se focalisent sur cette question de l’effondrement. Ainsi, il entre en contact avec des scientifiques innovants qui, en fin de compte, se sont engagĂ©s dans l’exploration de cette hypothĂšse. Depuis quelques annĂ©es, Patrice connaissait un chercheur belge, Gauthier Chapelle, spĂ©cialiste de biomimĂ©tisme : comment reconnaĂźtre les inventions de la nature et en tirer parti ? Avec un autre chercheur, Pablo Servigne, Cauthier Chapelle avait participĂ© Ă  la rĂ©daction d’un livre particuliĂšrement innovant : « L’entraide. L’autre loi de la jungle » (3). Cependant, les annĂ©es passant, Gauthier Chapelle avait rejoint son collĂšge et ami, Pablo Servigne dans son regard pessimiste sur l’avenir de l’humanitĂ©. Ce dernier avait Ă©crit un livre : « Pourquoi tout peut s’effondrer ». Pablo Servigne et un petit groupe de chercheurs avec lui s’étaient engagĂ©s dans un recherche sur l’effondrement en adoptant le terme de : collapsologie. « Ce que ces jeunes chercheurs s’escrimaient Ă  Ă©tudier en dĂ©tail, c’était le « processus systĂ©mique » par lequel une sociĂ©tĂ© s’emballe dans une sĂ©rie de spirales devenant folles et qui, tendant vers l’infini Ă  partir de certains seuils, rĂ©sonnent si bien les unes avec les autres qu’elles font exploser l’ensemble » (p 18). Gauthier Chapelle ayant donc facilitĂ© une rencontre entre Patrice van Eersel et Pablo Servigne, celle-ci dĂ©boucha sur une discussion concernant la perspective de l’effondrement. Pablo Servigne suggĂ©ra Ă  Patrice de faire bĂ©nĂ©ficier son groupe de son expĂ©rience sur l’approche de la mort apprise d’« Elisabeth Kubler Ross, psychiatre amĂ©ricano-suisse, initiĂ©e au feu de l’ouverture des camps de concentration en Pologne, puis projetĂ©e dans l’univers des grands hĂŽpitaux amĂ©ricains » (p 23). Dans son pessimisme, Pablo Servigne a choisi nĂ©anmoins de « rester humain quoiqu’il arrive » et il s’est installĂ© avec ses enfants dans la campagne de la Drome (p 24-25). En emmenant Sacha avec lui, Patrice Van Eersel lui rend visite dans son nouveau lieu de vie. La conversation s’oriente vers la puissance de l’entraide qui « concerne tous les ĂȘtres vivants depuis quatre milliards d’annĂ©es ». « Les groupes qui s’entraident survivent beaucoup plus longtemps ». Cette puissance de l’entraide a Ă©tĂ© mise en valeur par la pensĂ©e pionniĂšre de Kropotkine, gĂ©ographe et anarchiste, et le courant russe de l’anarchisme mystique. « On dĂ©bouche sur un engagement social d’essence Ă©thique et, mĂȘme, finalement sur une voie philosophique Ă©troitement spirituelle » (p 135-136). Tout en envisageant le pire, Pablo Servigne  poursuit sa recherche sur les maniĂšres de l’affronter. « Les humains ont besoin de grands rĂ©cits. Or ceux qui ont nourri le monde moderne depuis la Renaissance, en particulier le rĂ©cit de la libertĂ© individuelle ou de la technoscience, sont maintenant Ă©puisĂ©s. Et Pablo Ă©nonce des pistes d’action : « SchĂ©matiquement, je vois trois possibilitĂ©s : bĂątir des rĂ©seaux d’entraide, motivĂ©s par le bien commun ; s’entrainer Ă  recevoir l’imprĂ©visible, le pire et le meilleur
 et puis ouvrir des horizons, rĂȘver ensemble, tisser de grands rĂ©cits ! » (p 140).

 

Chercheurs artistes américains

Éclaireurs pour une nouvelle vision du monde

 L’auteur a rĂ©alisĂ© de nombreuses enquĂȘtes aux Etats-Unis. « L’AmĂ©rique est un pays si contradictoire qu’il peut vous dĂ©gouter autant que vous inspirer. Du nord au sud et de la cĂŽte ouest Ă  la cĂŽte est, j’y avais rencontrĂ© des dizaines de chercheurs artistes et de scientifiques ouvreurs de voies » (p 32). Dans ces rencontres, il a mesurĂ© la dimension historique de l’anthropocĂšne. « Tout d’abord, ces gens, bien qu’en gĂ©nĂ©ral d’idĂ©ologie libertaire, m’ont lavĂ© d’une premiĂšre grande illusion. Ce n’est pas la finance digitalisĂ©e, ni le capitalisme, ni la rĂ©volution industrielle qui ont commencĂ© Ă  foutre en l’air la biosphĂšre terrestre. Le mal a dĂ©butĂ© bien plus tĂŽt, au minimum au NĂ©olithique c’est Ă  dire Ă  l’ñge oĂč les humains se sont peu Ă  peu sĂ©dentarisĂ©s, Ă©levant des animaux domestiques et cultivant des plantes » (p 32-33). Et, dĂšs cette Ă©poque, ces scientifiques « prĂ©tendaient inventer des façons concrĂštes de pacifier ce qu’on s’entend Ă  appeler ‘anthropocĂšne’ aujourd’hui ». Ainsi Patrice Van Eersel a rencontrĂ© la microbiologiste Lynn Margulis. « Cette grande spĂ©cialiste des bactĂ©ries, qui Ă©tait aussi une artiste visionnaire, fut Ă  l’origine, avec le climatologue James Lovelock, de « l’hypothĂšse GaĂŻa » selon laquelle la biosphĂšre qui enveloppe notre planĂšte se comporterait comme un seul gigantesque ĂȘtre vivant » (p 34).

Lynn Margulis a Ă©crit un essai magistral : « L’univers bactĂ©riel ». Les bactĂ©ries ont jouĂ© un rĂŽle majeur dans le dĂ©veloppement de la vie. « Elles ont fait de cette planĂšte non seulement leur nid, mais leur chose, leur production, leur crĂ©ation collective » (p 34). Les bactĂ©ries ont traversĂ© ainsi plusieurs Ă©pisodes trĂšs difficiles de la vie terrestre. Aujourd’hui, Ă  nouveau, une crise a Ă©clatĂ©. « L’humanitĂ© et ses langages ont secrĂ©tĂ© une technosphĂšre constituĂ©e de toutes nos techniques
 Quand est survenue la rĂ©volution industrielle, le processus mortifĂšre s’est accentuĂ©e dans des proportions dĂ©mentes  » (p 36-37). Ici Lynn Marjulis a ouvert un nouvel horizon Ă  Patrice Van Eersel : « le dĂ©fi est colossal , mais clair. Si nous voulons que la technosphĂšre humaine cesse d’agresser la biosphĂšre qui l’a engendrĂ©e et constitue sa matrice, il faut que s’impose une sphĂšre nouvelle. Il faut d’urgence renforcer la NoosphĂšre » (p 37). La NoosphĂšre, « c’est la sphĂšre de la conscience. En grec, « noos » signifie « esprit, conscience ». L’intelligence collective des humains est impressionnante, mais elle n’est encore que trĂšs partiellement consciente
 Seul un colossal saut collectif dans la conscience, donc dans la responsabilitĂ©, peut rendre les techniques humaines biophiles et non plus antibiotiques ». (p 38). Lynn Margulis va orienter Patrice Van Eersel vers les pionniers de cette vision. Ce sont «  deux grands chercheurs du dĂ©but du XXĂš siĂšcle
 deux savants prophĂ©tiques sans exagĂ©ration : le plus vieux Ă©tait russe et s’appelait Vladimir Ivanovitch Vernadski. L’autre Ă©tait français et s’appelait Pierre Teilhard de Chardin. Venant de philosophies trĂšs diffĂ©rentes – immanentiste pour le russe et transcendantaliste pour le français – ils tombĂšrent d’accord pour dire deux choses. D’une part que la NoosphĂšre Ă©mergeait de la nature mĂȘme du monde matĂ©riel, d’autre part que l’on pouvait voir en elle l’avenir mĂȘme de l’univers ». Lynn Margulis encouragea Patrice Ă  enquĂȘter sur ces deux hommes.

Pierre Teilhard de Chardin

Une vision Ă©mergente

Patrice Van Eersel est donc parti Ă  la dĂ©couverte de Teilhard de Chardin. Celui-ci est aujourd’hui une personnalitĂ© cĂ©lĂšbre, qui a donnĂ© lieu Ă  des biographies et dont l’abondante production est maintenant Ă©ditĂ©e (4). Il existe mĂȘme une association des Amis de Teilhard de Chardin (5). Dans plusieurs chapitres successifs et en fonction de son auditoire imaginaire, Patrice Van Eersel poursuit un rĂ©cit du parcours de Teilhard de Chardin. Il retrace les grands moments de sa vie, c’est Ă  dire le contexte dans lequel sa vision a grandi depuis les affres de la grande guerre jusqu’à son intense recherche palĂ©ontologique. PrĂȘtre jĂ©suite, sa vision s’est heurtĂ©e au pouvoir de la hiĂ©rarchie catholique et s’est diffusĂ©e sous le manteau Ă  travers un rĂ©seau d’amis et grĂące Ă  des amitiĂ©s fĂ©minines. Cette vision a fait irruption aprĂšs sa mort avec la publication d’un livre clĂ© : « le PhĂ©nomĂšne Humain ».

L’auteur nous relate la vie de Pierre Teilhard de Chardin tout au long de la grande guerre comme brancardier et « dans la fureur et le sang » (p 41-54). TrĂšs particuliĂšrement exposĂ© en fonction du courage qu’il manifeste au secours des blessĂ©s et en fonction de sa haute taille, il Ă©chappe Ă  la mort quasi miraculeusement. A travers les massacres qui l’environnent, il garde le cap et dans les moments de rĂ©pit, il Ă©crit passionnĂ©ment. « Profitant de la moindre accalmie, hantĂ© par une recherche de sens d’autant plus dĂ©raisonnable que le contexte est fou, le prĂȘtre palĂ©ontologue Ă©crit des centaines de pages » (p 86) qu’il envoie ensuite Ă  sa cousine Marguerite.

La vision de Teilhard se dĂ©veloppe en tension avec le malheur ambiant. « Sous la pression de sa mission assumĂ©e de caporal brancardier Ɠuvrant dans les tranchĂ©es, le docteur en palĂ©ontologie voit un ordre supĂ©rieur jaillir du chaos  » (p 95). Il Ă©crit : « L’effet du sĂ©jour dans le danger est de purifier le goĂ»t de spĂ©culations
 L’ñme est sensibilisĂ©e par l’effort moral, bandĂ©e aussi dans toutes ses Ă©nergies spĂ©culatives, longtemps comprimĂ©es. SitĂŽt qu’une Ă©claircie se fait dans l’existence des tranchĂ©es, l’homme se retrouve lui-mĂȘme et au dessus de lui-mĂȘme, parce que dĂ©sintĂ©ressĂ© dans ses vues et agrandi dans ses facultĂ©s (aiguisĂ©es et affamĂ©es) » (p 101). La dynamique du chercheur se poursuit et s’intensifie ; L’évolution lui apparaĂźt de plus en plus comme « une rĂ©alitĂ© omniprĂ©sente et universelle ».

AprĂšs la guerre, Teilhard va pouvoir s’engager dans la recherche. « A partir du printemps 1923, la Chine va devenir la destination favorite de Teilhard, sa « seconde patrie » oĂč il va creuser la piste du Sinanthrope ou homme de PĂ©kin, l’ancĂȘtre chinois d’Homo Sapiens ». En Chine, son regard s’élargit. Sa vision est « de plus en plus globale ».Dans une lettre, il Ă©crit : « Je rĂȘve d’une espĂšce de Livre de la Terre oĂč je me laisserais parler non comme Français, ni comme Ă©lĂ©ment d’un compartiment quelconque, mais simplement comme homme ou comme ‘Terrestre’ » (p 167).

Dans ses allĂ©es et venues qui vont se poursuivre toute sa vie, Teilhard rentre de Chine Ă  la fin de l’étĂ© 1924 avec plusieurs tonnes de fossiles et d’échantillons de toutes sortes destinĂ©s au MusĂ©um. Et lĂ , il va rencontrer un autre palĂ©ontologue l’abbĂ© Breuil et un philosophe Edouard Le Roy qui vient d’ĂȘtre choisi par Henri Bergson pour lui succĂ©der Ă  la chaire de philosophie grecque et latine du CollĂšge de France. (p 177). « Catholique convaincu , mais trĂšs attachĂ© Ă  la laĂŻcitĂ©, Edouard Le Roy, ce mathĂ©maticien philosophe n’a pas hĂ©sitĂ© Ă  rĂ©sister au Vatican. Les conversations entre Teilhard et Le Roy vont ĂȘtre trĂšs constructives. Le Roy est un Ă©lĂšve et un ami de Bergson, auteur de « l’Evolution crĂ©atrice » et de « L’Energie spirituelle ». Et les intuitions de Teilhard et de Bergson vont pouvoir se rejoindre sur un point essentiel : «Toutes deux saisissent dans un mĂȘme mouvement l’Être et le Devenir – et l’idĂ©e d’évolution irrĂ©versible constitue une clĂ© majeure pour l’un comme pour l’autre. L’Être se rĂ©vĂšle dans le devenir parce que l’évolution est crĂ©ation » (p 181).

UltĂ©rieurement, Teilhard de Chardin va passer une bonne partie de sa vie en Chine. L’auteur nous fait part du dĂ©veloppement de sa rĂ©flexion sur la NoosphĂšre qui va de pair avec un idĂ©al de vie exigeant. « Seule vaut l’action fidĂšle, pour le Monde, en Dieu. Pour arriver Ă  voir cela et Ă  en vivre, il y a une sorte de pas Ă  franchir ou de retournement Ă  faire subir Ă  ce qui paraĂźt l’habitude gĂ©nĂ©rale des hommes. Mais, ce geste un fois exĂ©cutĂ©, quelle libertĂ© pour travailler et pour aimer » (p 321).

Dans son livre emblĂ©matique : « Le PhĂ©nomĂšne Humain », Teilhard envisage le processus qui dĂ©bouche sur l’éclosion de la NoosphĂšre.

« Besoin d’une religion Ă  la mesure de la terre nouvelle », de fait le christianisme renouvelĂ©. Et il envisage « un processus de recherche, de tentatives et de tĂątonnements multiples ». Et il Ă©crit : « Ce n’est que par le libre choix, la dĂ©couverte et le dĂ©veloppement, par chaque segment national et culturel de l’humanitĂ© de sa forme singuliĂšre de libertĂ©, que pourront ĂȘtre assurĂ©es la convergence et la structuration de cette multitude dans un systĂšme planĂ©taire uni » (p 223). Et il appelle Ă  une « poussĂ©e du tous ensemble ».

L’auteur dĂ©roule la pensĂ©e de Teilhard de Chardin telle qu’elle s’exprime dans le PhĂ©nomĂšne Humain. C’est « la vision spatiotemporelle d’un monde fibreux (chaque nouvelle Ă©mergence constituant un fibre Ă  l’intĂ©rieur d’une nappe Ă©volutive) et toute la techtonique psycho-matĂ©rielle de l’univers s’enroulant sur lui-mĂȘme suivant la loi de la complexitĂ©-conscience. Une complexitĂ©-conscience croissante qui ayant abouti Ă  l’avĂšnement de l’humain
 a engendrĂ© ipso facto une NoosphĂšre : une conscience rĂ©flĂ©chie de plus en plus socialisĂ©e, prise dans un tissage de plus en plus collectif » (p 348).

 

Le parcours d’un gĂ©ologue russe : le professeur Vernadski

La chercheuse amĂ©ricaine Lynn Margulis avait Ă©galement orientĂ© l’auteur vers un gĂ©ologue russe : le professeur Vernadski. Le parcours de celui-ci s’est dĂ©veloppĂ© dans un tout autre contexte : un milieu scientifique russe qui va ĂȘtre entrainĂ© au XXĂš siĂšcle dans une grande tourmente politique. Vernadski est l’élĂšve de grands savants russes ; En 1884, il est appelĂ© Ă  dĂ©crypter l’histoire du sol ukrainien, le tchernozium, au fil de l’évolution gĂ©ologique. « En observant la terre mĂšre d’Ukraine, coupe de sol aprĂšs coupe de sol, il avait observĂ© un mĂ©lange unique d’humus et d’argile
 Et il n’avait pu faire autrement que d’admirer l’inextricable tissage de vie recelĂ© par ce sol. Un rĂ©seau d’une densitĂ© et d’une variĂ©tĂ© inouĂŻes oĂč se mĂȘlait dans un enchevĂȘtrement et un grouillement Ă©blouissants tout ce que la vie biologique avait pu inventer depuis les champignons jusqu’aux mammifĂšres
 sans parler des bactĂ©ries
 CamouflĂ©e sous le silence apparent de la terre, s’offrait Ă  ses yeux une vĂ©ritable frĂ©nĂ©sie
 admirablement organisĂ©e, telle une Ă©toffe relationnelle ultracomplexe. (p 61-62). « De lĂ , l’énorme hypothĂšse qui avait peu Ă  peu Ă©mergĂ© dans son esprit : la vie biologique ne mettrait-elle pas en branle, par son intelligence propre des flux de matiĂšre et d’énergie infiniment supĂ©rieurs Ă  ceux engendrĂ©s par la seule gĂ©ologie minĂ©rale ? Dit plus abrupt, la biologie n’accĂ©lĂ©rait-elle pas tous les processus terrestres dans des proportions extravagantes constituant de la sorte la force biologique numĂ©ro un de la surface de notre planĂšte ? » p 62). « En quelques annĂ©es, sa propre intuition l’amena Ă  se poser une question encore plus folle pour un scientifique rigoureux comme lui : ne fallait-il pas considĂ©rer la vie biologique comme une entitĂ© en soi impossible Ă  rĂ©duire Ă  ses Ă©lĂ©ments chimiques inertes ? Ne fallait-il pas, peut-ĂȘtre, parler d’elle comme d’une force cosmique spĂ©cifique, dont la physique ne tenait pour l’instant aucun compte ? » (p 63). Vernaski en vint Ă  se demander si la richesse minĂ©rale faramineuse de la terre n’était Ă  mettre en relation avec l’existence de la biosphĂšre
 c’est Ă  dire avec la matiĂšre vivante, prĂ©monition que les recherches scientifiques n’allaient cesser de valider jusqu’au XXIĂš siĂšcle » (p 65).

A partir des annĂ©es 1990, Vernaski grimpa rapidement dans la hiĂ©rarchie universitaire et acadĂ©mique russe et multiplia les voyages auprĂšs de chercheurs de premier plan en Europe. Il introduisit dans le corpus de son enseignement, l’idĂ©e totalement nouvelle et transdisciplinaire d’une « biogĂ©ochimie ». « Tous les ĂȘtres vivants, avançait-il, forment une sorte d’entitĂ© gĂ©ante qui, nourrie des corps chimique inertes, sculpte, malaxe, cristallise et fait transmuter la surface de la terre Ă  sa guise » (p 65).

Patrice Van Eersel dĂ©roule la biographie de Vladimir Ivanovitch Vernadski dans plusieurs chapitres de son livre. Vernadski ne fut pas seulement un grand savant visionnaire, mais aussi un homme engagĂ© socialement et politiquement. Ainsi, dans les annĂ©es prĂ©rĂ©volutionnaires, il a participĂ© Ă  « une organisation apte Ă  accueillir les idĂ©aux humanistes et dĂ©mocratiques et Ă  en permettre la mise en Ɠuvre ». « Avec plusieurs camarades, ils avaient donc crĂ©Ă© une fraternitĂ© comme c’était alors la coutume » (p 69). FonciĂšrement dĂ©mocrate, il se heurte Ă  la dictature issue de la RĂ©volution d’Octobre, mais sa rĂ©putation scientifique l’aide Ă  traverser cette tourmente. Et elle va l’aider Ă  composer avec le rĂ©gime soviĂ©tique.

Sa rĂ©flexion philosophique assise sur sa recherche scientifique va donc se poursuivre. RĂ©fugiĂ© en Ukraine, puis en CrimĂ©e juste aprĂšs la RĂ©volution d’octobre, dĂ©jĂ  atteint par la tuberculose, fin 1919, il tombe gravement malade du typhus. Or, dans cet Ă©tat, il va connaĂźtre un genre d’expĂ©rience mystique. « HospitalisĂ© et mis sous perfusion, le savant se retrouve pendant plusieurs semaines dans « un Ă©tat de conscience modifiĂ©e », une forme de dĂ©lire qui, peu Ă  peu, va se transformer en visualisation claire et limpide
 Vision de la suite Ă  donner Ă  ses recherches jusque dans ses dĂ©tails thĂ©oriques les plus abstraits et les conditions expĂ©rimentales correspondantes (p 121). « J’ai clairement vu de quelle façon il faudrait m’y prendre pour faire progresser et aboutir en particulier mon idĂ©e de « matiĂšre vivante ». Il est profondĂ©ment impressionnĂ© par « l’esthĂ©tique des choses et des ĂȘtres. La faramineuse beautĂ© de la nature, son harmonie, sa prodigalitĂ©, mais aussi la beautĂ© des ĂȘtres humains et de leurs trouvailles, m’ont fait atteindre une extase que j’aurais du mal Ă  dĂ©crire avec des mots » (p 123). Il projette la crĂ©ation d’un « Institut de la matiĂšre vivante ». PatriceVan Eersel nous relate dans le dĂ©tail la maturation de la pensĂ©e de Vernadski, son hommage aux naturalistes anglais et australiens du XIXĂš siĂšcle (p 125) et un approfondissement de sa conception de l’émergence du vivant. « Depuis son avĂšnement il y a des centaines de millions d’annĂ©es, la vie biologique a constituĂ© la force biologique et atmosphĂ©rique numĂ©ro 1 de la surface de notre planĂšte. Cependant, depuis beaucoup moins longtemps, c’est l’humanitĂ© qui, de tous les ĂȘtres vivants, constitue la force de transformation matĂ©rielle la plus puissante
 AprĂšs la biosphĂšre, nous nous trouvons donc en prĂ©sence d’une « humanosphĂšre » (p 128).

 

La NoosphĂšre : Le concept Ă©mergeant d’une grande rencontre : Olivier Le Roy, Pierre Teilhard de Chardin et Vladimir Vernadski

En 1922 le professeur Vernadski arrive en France et y poursuit son activitĂ© scientifique. En automne 1924, un dialogue s’engage entre lui, Olivier Le Roy, disciple de Bergson et Pierre Teilhard de Chardin. A partir de textes existants, Patrice Van Eersel reconstitue et restitue leur conversation oĂč se manifeste une reconnaissance commune de la NoosphĂšre. Olivier le Roy dĂ©clare ainsi : « Je vous propose l’hypothĂšse de travail suivante qui dĂ©coule directement de vos travaux respectifs. Ne pourrait-on pas dire que la biosphĂšre, ayant atteint l’ùre anthropozoĂŻque dont nous parle de façon trĂšs immanentiste le professeur Vernadski (le concept de cĂ©phalisation, p 215), et « se retournant sur elle-mĂȘme », comme le propose dans une perspective transcendentale, le pĂšre Teilhard, qui me parlait rĂ©cemment « d’une incarnation planĂ©taire de l’esprit », doit Ă  prĂ©sent accoucher d’une NoosphĂšre pleine et entiĂšre, c’est Ă  dire d’une conscience collective intĂ©grale ». Ainsi l’évolution cosmique pourrait passer au stade suivant » (p 222). PatriceVan Eersel prĂ©cise que Teilhard et Vernadski ont Ă©tĂ© aussi portĂ©s, aussi bien l’un que, Ă  utiliser le terme de noosphĂšre et que Vernadski en attribue l’expression Ă  Olivier Le Roy. (p 224).

Vernadski aussi bien que Teilhard ont Ă©tĂ© confrontĂ©s aux massacres guerriers. Ils ont conscience des dangers encourus par l’humanitĂ©. Il y a cent ans dĂ©jĂ , l’humanitĂ© se sentait menacĂ©e.

Face aux rĂ©gimes totalitaires, Teilhard voit dans la noosphĂšre un espace de personnalisation. « Si, sous la pression considĂ©rable du processus de complexification cosmique appelĂ©e « évolution », les consciences individuelles se rapprochent les une des autres, les individualitĂ©s ne disparaissent pas. Elles transcendent leurs limites et resplendissent » (p 217). Et de mĂȘme, dans cette conversation, diffĂ©rents obstacles sont Ă©voquĂ©s : l’individualisme exacerbĂ©, la tentation de faire machine arriĂšre, la peur de la mort
 A chaque fois, des rĂ©ponses apparaissent. Selon Teilhard, nous devons ĂȘtre spirituellement amoureux de la matiĂšre. « L’idĂ©al noosphĂ©rique contredit en tous points aussi bien l’isolationnisme du spiritualiste coupĂ© du monde dans l’attente d’un au delĂ  que l’idĂ©al du petit-bourgeois claquemurĂ© derriĂšre son confort » (p 228). Vernadski Ă©voque le refus d’aller de l’avant. « Cela ne nous est pas possible ou alors seulement en disparaissant. Si l’humanitĂ© veut continuer d’exister, elle est contrainte de chercher Ă  transformer le monde et Ă  se mĂ©tamorphoser elle-mĂȘme. Sinon elle disparaĂźt purement et simplement » (p 229). Face Ă  la mort, Teilhard pense qu’à travers nous, se manifeste une prĂ©sence que rien ne peut Ă©teindre. La biologie seule, mĂȘme si elle rĂ©siste, finirait dispersĂ©e par l’entropie. Seule l’émergence de l’humain change dĂ©finitivement la donne : pour moi, ce qui sera dĂ©finitivement conservĂ©, c’est l’énergie humaine, c’est-Ă -dire la Personne » (p 234). Il y a des forces qui interviennent face au totalitarisme oppresseur. Vernadski Ă©voque la puissante forte de l’entraide Ă  l’Ɠuvre dans le monde vivant et mise en Ă©vidence par le savant russe, de conviction anarchiste, Kropotkine (p 236) et Teilhard, dans une inspiration chrĂ©tienne, Ă©voque « une conspiration d’amour » animĂ©e par les forces de la sympathie » (p 235).

 

La NoosphÚre : quelle actualité ?

La vision de la noosphĂšre a Ă©mergĂ© il y a un centaine d’annĂ©es dans un contexte oĂč l’humanitĂ© Ă©tait dĂ©jĂ  confrontĂ©e Ă  de grands maux. Aujourd’hui, cette vision est toujours Ă©clairante et des rĂ©alitĂ©s nouvelles comme l’expansion du web viennent l’illustrer.

Comme d’autres chercheurs, Patrice Van Eersel Ă©voque le besoin d’un grand rĂ©cit fĂ©dĂ©rateur rĂ©pondant aux questionnements de beaucoup de nos contemporains. Ainsi Ă©voque-t-il « l’utilitĂ© vitale, reconnue par tous, d’inventer de nouveaux grands rĂ©cits pour tirer en avant l’humanitĂ© menacĂ©e de dĂ©sespĂ©rance » (p 291).

Dans plusieurs chapitres, l’auteur dialogue avec la jeune gĂ©nĂ©ration telle qu’il la reprĂ©sente dans quelques personnages. Il Ă©voque ainsi des rĂ©alitĂ©s bien documentĂ©es, mais aujourd’hui largement mĂ©connues. Ainsi, il apparaĂźt qu’à long terme, dans la vie quotidienne, la violence recule. Et il fait appel Ă  de nombreuses recherches qui montrent l’influence potentielle de la pensĂ©e et de la mĂ©ditation sur des rĂ©alitĂ©s sociales. Des interrelations nouvelles apparaissent. On dĂ©couvre ainsi que «  nos volontĂ©s et nos actions influent sur nos corps
 Nos cerveaux sont beaucoup plus mallĂ©ables que l’on ne croyait. Nos rĂ©seaux neuronaux se reconstruisent en permanence. Et mĂȘme, mis en relation avec quelqu’un, nous fonctionnons littĂ©ralement en wifi. Et cela nous transforme. Nous nous transformons physiquement les uns les autres en fonction de nos interactions
 » (p 267). Sur un autre registre, le concept d’imaginal est avancĂ©. « Ce sont des mondes et des niveaux de conscience diffĂ©rents, mais bien rĂ©els » ; certains disent mĂȘme plus rĂ©els que le rĂ©el
 Pour les mystiques de toutes les traditions, on pourrait dire que l’imaginal reprĂ©sente le monde intermĂ©diaire entre le rĂ©el physique et l’Être ineffable et absolu » (p 271).

Un des interlocuteurs prĂ©sents dans ce livre s’exprime ainsi : « Je suis persuadĂ© que Vernadski et Teilhard visualisaient la NoosphĂšre comme une dimension bien rĂ©elle, mais habitĂ©e par des humains ayant suffisamment cultivĂ© leurs mondes intĂ©rieurs – et rĂ©solu leurs nĂ©vroses – pour pouvoir s’échapper Ă  volontĂ© dans l’imaginal » (p 272). Patrice Van Eersel se rend compte que pendant longtemps il a rĂ©flĂ©chi Ă  la NoosphĂšre «  en terme d’extĂ©rioritĂ©, beaucoup plus rarement en terme de vie intĂ©rieure – qui est bien autre chose que le flux psychologique des images et des pensĂ©es qui nous traversent Ă  chaque instant
 Pourtant, chacun Ă  sa façon, les personnages de mon rĂ©cit, Teilhard de Chardin comme Vernadski ou Le Roy, n’avaient jamais cessĂ© d’insister sur le va-et-vient indissoluble entre le dehors et le dedans » (p 273)


« Pourrait-on donc imaginer que l’évolution d’Homo Sapiens ait atteint un stade limite oĂč s’ouvrirait soudain en nous l’urgence vitale d’ouvrir une porte inĂ©dite vers un « ailleurs » ? Ou plutĂŽt une porte aussi ancienne que l’ĂȘtre humain des origines, mais oubliĂ©e depuis des siĂšcles par quasiment toute l’humanitĂ© Ă  l’exception de minuscules minoritĂ©s d’initiĂ©s, une porte qui signalerait une transition vers un ĂȘtre humain non pas « augmenté », mais « mĂ©tamorphosé » ? (p 274).

Cet ouvrage volumineux de Patrice Van Eersel se lit de bout en bout, car il y a un dynamisme dans ce rĂ©cit et un appel constant Ă  la dĂ©couverte. C’est un univers tant il est vaste dans le thĂšme abordĂ© et l’approche empruntĂ©e. Ce livre est Ă©galement constamment orientĂ© vers une recherche de sens. La vision suggĂ©rĂ©e et proposĂ©e de la NoosphĂšre est envisagĂ©e non seulement dans son Ă©mergence, mais dans sa rĂ©ception. Une piste est tracĂ©e et elle est accueillie dans un dialogue incessant entre l’auteur et des interlocuteurs imaginĂ©s exprimant les angoisses, les interpellations et les attentes d’une nouvelle gĂ©nĂ©ration. Ce livre est un univers. Il ne rapporte pas seulement la vie et l’apport de grands chercheurs, mais il aborde Ă©galement des recherches et des innovations plus rĂ©centes. Une abondante bibliographie en tĂ©moigne. Nous avons essayĂ© de proposer quelques aperçus de ce livre, sachant que nous ne pouvions rendre compte de toute sa diversitĂ©. Il y a, dans ce livre, une dynamique Ă  la fois intellectuelle et humaine. C’est aussi un ouvrage qui met, Ă  la portĂ©e de tous, une ouverture de sens pour nos contemporains. Une incitation Ă  la lecture.

J H

  1. Biographie de Patrice Van Eersel : https://fr.wikipedia.org/wiki/Patrice_Van_Eersel
  2. Patrice Van Eersel. NoosphĂšre. ElĂ©ments d’un grand rĂ©cit pour le XXIĂš siĂšcle. Albin Michel, 2021

Interview de Patrice Van Eersel sur son livre : NoosphÚre : https://www.youtube.com/watch?v=WCV7TOnoScA

  1. Face Ă  la violence, l’entraide dans la nature et dans l’humanité : https://vivreetesperer.com/face-a-la-violence-lentraide-puissance-de-vie-dans-la-nature-et-dans-lhumanite/
  2. Il existe de nombreuses Ă©tudes sur la vie et l’Ɠuvre de Pierre Teilhard de Chardin. Ici : Patrice Boudignon. Teilhard de Chardin. Sa biographie par sa correspondance : https://www.canalacademies.com/emissions/au-fil-des-pages/teilhard-de-chardin-sa-biographie-par-sa-correspondance Plus prĂ©cisĂ©ment, en rapport avec le sujet de cet article : NoosphĂšre podcast : de la conscience individuelle Ă  la conscience collective, par François Euvé : https://www.youtube.com/watch?v=09WRgOQAc24
  3. Association des amis de Teilhard de Chardin : https://teilhard.fr/