par jean | DĂ©c 26, 2016 | ARTICLES, Vision et sens |
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« Chaque enfant apporte avec lui un nouveau commencement de vie dans le monde et se développe dans l’aurore de la plénitude à venir. S’ils sont des créatures de Dieu, ils sont créés pour cet avenir de sa création. Il faut donc considérer et accepter les enfants dans cette dimension transcendante où ils peuvent être eux-mêmes et se développer par eux-mêmes…Chaque enfant apporte avec lui quelque chose de nouveau dans le monde et ce renouvellement de la vie nous permet d’espérer quelque chose du royaume de paix promis avec sa plénitude de vie. « Les enfants sont différents », déclare à juste titre Maria Montessori en faisant référence à Emerson : « L’enfant est l’éternel Messie qui revient sans cesse dans l’humanité déchue pour la conduire vers le royaume des cieux » (1)
Dans son livre : « De commencements en recommencements », Jürgen Moltmann consacre ainsi son premier chapitre à « La promesse de l’enfant » (1) La reconnaissance du potentiel spirituel de l’enfant est une des découvertes de notre époque (2). La parole de Jésus, longtemps méconnue, est à nouveau entendue (3). Une bonne nouvelle à évoquer en ce temps de Noël que l’on aime recevoir comme un temps de nouveauté et de promesse.
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(1)           Jürgen Moltmann. De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance. Empreinte temps présent, 2012 (Citation : p 28) https://vivreetesperer.com/?p=572
(2)           « L’enfant, un être spirituel » : https://vivreetesperer.com/?p=340                                Le livre de Rebecca Nye est maintenant traduit en français et publié sous le titre : « La spiritualité de l’enfant » : http://www.temoins.com/lenfant-est-un-etre-spirituel/
(3)           « Découvrir la spiritualité des enfants. Un signe des temps ? » http://www.temoins.com/decouvrir-la-spiritualite-des-enfants-un-signe-des-temps/
par jean | Sep 11, 2013 | ARTICLES, Vision et sens |
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« A la recherche du désir de Dieu au plus profond et au plus vivant de mon désir ».
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        Aujourd’hui, les croyances, qui prĂ©dominaient jusqu’ici, ne sont plus fondĂ©es sur une Ă©vidence sociale. Les uns et les autres nous sommes appelĂ©s Ă nous interroger personnellement sur le sens de notre existence. Et, en rĂ©ponse Ă cette recherche, si la foi chrĂ©tienne garde toute sa pertinence, les formes dans lesquelles elle s’exprime, sont Ă rĂ©examiner, car elles sont parfois marquĂ©es par des reprĂ©sentations perturbantes issues d’un hĂ©ritage social et culturel, elles-mĂŞmes en dĂ©calage ou en contradiction par rapport Ă la dynamique originelle de cette foi.Â
        Ainsi, une analyse de nos représentations s’impose. « Notre vie spirituelle, notre mode de relation avec Dieu, dépendent pour une part de nos représentations, et, évidemment, en premier lieu de notre représentation de Dieu. Et à cet égard, un discernement s’impose… Selon les milieux, selon les époques, des représentations collectives circulent. Elles viennent parfois d’un passé lointain et sont issues de la culture correspondante. Elles sont codées, reproduites, diffusées à travers des systèmes de pensées. Les historiens peuvent nous dire que certaines de ces croyances ont eu pour effet la peur, la domination, et, en retour, par opposition, des réactions parfois excessives jusqu’à l’incrédulité et à l’athéisme » (1a). Sur ce blog, nous cherchons à répondre aux questions correspondantes en ayant recours à différentes ressources, comme la pensée théologique de Jürgen Moltmann (1).
        Nous avons découvert dans le blog : « Au bonheur de Dieu » réalisé par Sœur Michèle (2), une prise en compte analogue de l’importance des représentations dans la vie spirituelle et une recherche pour développer des représentations à même d’engendrer la joie et la paix, les bons fruits à travers lesquels on reconnaît le bon arbre. Dans un article publié sur son blog (3), Sœur Michèle nous rapporte une rencontre organisée au Centre Spirituel du Cénacle qui met en évidence combien il est indispensable de développer une bonne image de Dieu. Nos inconscients sont souvent imprégnés à leur insu par des représentations négatives issues du passé et qui s’expriment jusque dans notre interprétation des textes bibliques. Ainsi, les propos de Sœur Michèle sont particulièrement bienvenus et ils touchent notre cœur parce qu’ils répondent à nos aspirations profondes dans lesquelles l’Esprit de Dieu se manifeste.
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J.H.
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Soirée avec Thierry Bizot.
( aubonheurdedieu-soeurmichele. Jeudi 16 févier 2012)
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        Vendredi dernier, au Centre Spirituel du Cénacle de Versailles, nous avons proposé une soirée pour des étudiants et des jeunes pro, pour écouter le témoignage de Thierry Bizot. Il est l’auteur du livre : « Catholique anonyme » d’où a été tiré le film : « Qui a envie d’être aimé ? » (4)
        Ce fut une superbe soirée. J’ai été particulièrement intéressée par une de ses réflexions, car elle rejoint ma propre expérience. Thierry Bizot pose la question suivante : le succès du livre et du film montre bien que beaucoup sont travaillé-es par la question de Dieu. Pourquoi si peu font-ils le pas de la conversion ? A cette question, il répond : « Parce que les gens ont peur de Dieu. ». Peur d’un Dieu qui demanderait forcément des choses à l’opposé de leurs désirs. Donc, on reste à distance pour ne pas entrer dans cette opposition.
        Thyerry Bizot répond que cette image est fausse. Dieu est au contraire celui qui nous aide à découvrir et à réaliser nos vrais désirs. Je signe mille fois cette réponse.
C’est cela que j’ai découvert en faisant les Exercices spirituels de St Ignace de Loyola. Cette expérience m’a permis de libérer mon désir profond. Ensuite, je n’ai pas cessé d’aider les gens que j’accompagne dans des retraites ou dans la vie, à découvrir cela.
        Cela rejoint la question de la fausse compréhension de la volonté de Dieu. Elle n’est pas à rechercher en dehors de soi. Comme si Dieu aurait écrit dans un grand livre ce que je dois faire. C’est terrible cette image, car comment découvrir ce qui y serait écrit ? Mais aussi quelle image de Dieu cela véhicule !: Un tyran qui décide à notre place.
        Non, l’expérience de Dieu m’aide à aller au plus profond de moi pour découvrir ce qui me fera le plus vivre à plein, libère les désirs les plus profonds, les plus humains, les plus vivants qui vont me permettre de bâtir ma vie.
Ce n’est donc pas un conflit entre mon désir et le désir de Dieu, mais la recherche du désir de Dieu au plus profond, au plus fort et au plus vivant de mon désir.
Un épisode de l’Evangile le montre très bien. C’est en Marc au chapitre 1 verset 40 à 45. Un lépreux vient vers Jésus et lui dit : « Si tu le veux, tu peux me guérir » et Jésus répond : « Je le veux, sois guéri ». Le désir de Jésus est le même que le désir de cet homme.
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Sœur Michèle
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(1)           Un blog permettant d’accéder à la pensée théologique de Jürgen Moltmann : L’Esprit qui donne la vie http://www.lespritquidonnelavie.com/ . La citation est empruntée à la présentation de ce blog : http://www.lespritquidonnelavie.com/?page_id=641  Dans le même sens, nous faisons également appel au témoignage et à la réflexion d’Odile Hassenforder dans son livre : « Sa présence dans ma vie » (Empreinte, 2011. Voir sur ce blog : « Confiance ! Le message est passé » : https://vivreetesperer.com/?p=1246
(2)           aubonheurdedieu-soeurmichele http://aubonheurdedieu-soeurmichele.over-blog.com/ En présentant des pistes de lecture et des commentaires à propos de textes évangélique, souvent utilisés pour une animation de retraites, ce blog nous apparaît comme un lieu de ressourcement dans une dynamique de Vie. Ainsi, commentant la parole de Marthe à Jésus, Sœur Michèle écrit : « L’écouter, le regarder pour qu’il nous soit donné de quitter nos fausses images de nous-même et de Dieu et pouvoir confesser que Dieu est Seigneur de vie et de liberté »
        (3)           sur le blog aubonheurdedieu-soeurmichele : jeudi 16 février 2012
Le Journal 7. Soirée avec Thierry Bizot
par jean | Mai 6, 2019 | ARTICLES, Société et culture en mouvement, Vision et sens |
Une vision spirituelle, dans et pour le monde
 A certains moments dans l’histoire, de grandes personnalités émergent. Elles portent une cause et vivent un idéal. Ce fut le cas de Mandela et de Gandhi (1). En France, ce fut le cas de Jean Jaurès. Eric Vinson et Sophie Viguier-Vinson ont écrit à leur sujet. Et nous revenons ici sur un de leurs livres : « Jaurès le prophète. Mystique et politique d’un combattant républicain » (2). « Tout le monde croit connaître Jean Jaurès, icône républicaine qui demeure encore dans les mémoires, cent ans après sa mort (en 1914), le père du socialisme français, le fondateur de « l’Humanité », l’historien de la Révolution Française, l’inlassable combattant dreyfusard, le champion parlementaire de la séparation des Eglises et de l’Etat, le pacifiste assassiné à la veille de la Grande Guerre (3). Mais d’où lui venait ce souffle qui l’habitait, quel était le fondement de son élan humaniste et en quoi croyait-il ? » (2a). Eric et Sophie Vinson décrivent et analysent ici la pensée philosophique, métaphysique de Jean Jaurès dans le contexte de son époque.
Voilà une recherche qui nous concerne. A certains moments de l’histoire, dans telle conjoncture, l’accès à une inspiration religieuse peut être entravé parce que l’institution correspondante s’enferme, s’éloigne de la vie, adopte une posture dominatrice . Au XIXè siècle, l’Eglise catholique s’érigea en pouvoir hostile aux acquis de la Révolution Française. Ce fut « la guerre des deux France ». Mais alors comment le christianisme pouvait-il être vécu, lui, qui, en France, avait été associé, pour une part importante, au catholicisme ? Comment l’inspiration évangélique allait elle contribuer à irriguer la société française ? Lorsque l’eau vive se heurte à un barrage, elle prend de nouveaux chemins. Dans notre humanité, il nous faut explorer et reconnaître les formes nouvelles qui viennent compenser un manque. Aujourd’hui, au cours des dernières décennies, un écart s’est creusé entre les institutions religieuses, accusé pour certaines, moindre pour d’autres, et une nouvelle manière de vivre et de penser. Aujourd’hui encore des scandales apparaissent qui témoignent de l’inadéquation et de la faillite de tel système religieux Alors, pour que l’inspiration spirituelle, l’inspiration évangélique, puissent continuer à irriguer notre société, il est important que des pensée et des formes nouvelles apparaissent en apportant, dans toute sa diversité, une offre renouvelée. La question s’est posée à la fin du XIXè siècle. Dans une autre contexte, elle se pose aujourd’hui.
Voilà pourquoi, le livre d’Eric et de Sophie Vinson nous paraît important, car il nous montre, entre autres, comment, à cette époque, Jean Jaurès a fondé son action politique et sociale sur une vision spirituelle. Cette vision s’est exprimée dans une dimension philosophique.  « Jean Jaurès est non seulement un philosophe, normalien, agrégé, un auteur rivalisant avec Bergson, mais aussi un authentique spirituel. Si l’on néglige sa thèse sur « la réalité du monde sensible », si l’on passe à côté de sa spiritualité- qui s’oppose au pouvoir temporel de l’Eglise catholique, mais reconnaît en l’homme la présence du divin-, on ignore les principes mêmes qui ont guidé toute son action » (2a).
La réalité du monde sensible
 Eric et Sophie Vinson nous exposent la pensée de Jaurès telle qu’elle se déploie dans sa thèse principale de philosophie : « De la réalité du monde sensible » éditée en 1891 et rééditée quasiment à l’identique en 1902. « Nous voulons », disent-ils, « présenter cette philosophie en elle- même, à partir de sa dimension spirituelle ». Dans ce bref article, nous ne pouvons suivre le fil du raisonnement qui nous est décrit dans ce livre auquel on se reportera. Nous nous bornerons à quelques notations.
En affirmant la « réalité du monde sensible », Jaurès s’oppose d’une part au « subjectivisme qui réduit le monde sensible, matériel, au sujet », et, d’autre part, « au matérialisme qui réduit le sujet au monde matériel » (p 68). Et il dépasse « le divorce du sujet et de l’objet, grâce à la notion d’être, ce grand « englobant » métaphysique injustement oublié par les deux courants rivaux : subjectivisme et matérialisme (p 55).
Ce qu’affirme Jaurès, c’est « l’unitĂ© dynamique de tout ce qui est » (p 64). « Nous constatons qu’il y a dans toutes les consciences individuelles , une conscience absolue et indĂ©pendante de tout organisme Ă©troit et Ă©phĂ©mère, qu’elle est prĂ©sente partout sans ĂŞtre enchainĂ©e nulle part, qu’elle n’a d’autre sens que l’infini lui-mĂŞme, et qu’ainsi toutes les manifestations de l’infini, l’espace, la lumière, le son, trouvent en elle, leur centre de ralliement et une garantie d’éternelle rĂ©alité » ( p 57). Et c’est dans cette perspective que Jaurès envisage la divinitĂ©Â : « Dieu ne doit pas ĂŞtre pensĂ© sur notre modèle, seulement plus grand. Il est la rĂ©alitĂ© elle-mĂŞme… ». « La conscience absolue n’est pas un moi comme les autres, elle est le moi de tous les mois, la conscience de toutes les consciences… » ( p 65). Les auteurs nous expliquent les ressorts de cette pensĂ©e. « Ce Dieu-conscience absolue » semble ĂŞtre en quelque sorte l’« intĂ©riorité » profonde – autrement dit le « cĹ“ur » – des mois particuliers, des consciences individuelles comme des vĂ©ritĂ©s rationnelles. PrĂ©sent en eux au trĂ©fonds, Il ne se rĂ©duit pas Ă eux et les dĂ©passe qualitativement de manière infinie. Mais Il les rassemble aussi par Sa seule prĂ©sence, « unitĂ© de toutes les unitĂ©s ». Actif au cĹ“ur de toutes les rĂ©alitĂ©s finies, Lui, l’infini divin, il les contient ainsi toutes d’un certain point de vue…Et cela constitue l’ ordre ordinaire des choses simples, simplement incompris et mĂŞme inaperçu par la plupart ». A deux reprises, Jaurès cite textuellement le discours de Paul devant l’aĂ©ropage (Actes 17. 28) : « En la DivinitĂ©, nous avons la vie, le mouvement et l’être » (p 64).
A la suite de ce raisonnement, la conclusion de la thèse vient nous éclairer en rejoignant notre expérience quotidienne : « Précisément parce que c’est la conscience absolue qui fait la réalité du monde, tous les individus, toutes les forces du monde gardent leur réalité familière et leurs devoirs familiers . Dieu, en se mêlant au monde, n’y répand pas seulement la vie et la joie, mais aussi la modestie et le bon sens… Dans la conscience absolue et divine, ce n’est pas seulement le ciel grandiose et étoilé qui trouve sa justification, mais aussi la modeste maison où, outre la table de famille et le foyer, l’homme, avec ses humbles outils, gagne pour lui et les siens, le pain de chaque jour » (p 66) .
Dans un chapitre : « Du panthéisme à la « Philosophia Perennis », les auteurs s’emploient à situer la pensée de Jaurès parmi les grandes tendances philosophiques. Nous retiendrons ceci : « Dieu et le monde sont un de point de vue de l’immanence divine… mais du point de vue de la transcendance divine, Dieu et le monde sont également distincts et dans un rapport « hiérarchique » puisque Dieu ne se limite pas au monde… C’est un point de vue qui peut être reconnu comme panenthéiste » : Dieu est partout, en tout et tout est en Dieu… mais tout n’est pas Dieu au sens où la réalité divine excède infiniment la réalité perceptible qu’il habite néanmoins intimement et qui ne saurait être sans Lui » (p 75). Dans le mouvement de la théologie chrétienne, Jürgen Moltmann vient aujourd’hui éclairer cette dimension panenthéiste dans sa théologie de la création (4) .
Reliance spirituelle à travers l’histoire
 En cette fin du XIXè siècle, l’institution catholique s’oppose au mouvement des idées et s’enferme dans la défense d’un système dominateur . Et, à l’opposé, s’affirme une conception athée et matérialiste. Dans ce contexte, nous avons vu combien Jean Jaurès exprime une vision spirituelle. Eric et Sophie Vinson nous montre qu’il n’est pas isolé. Il s’inscrit dans un courant de pensée, vaste et diversifié. C’est dire que, face aux enfermements, il y a là beaucoup de chercheurs qui oeuvrent pour une ouverture spirituelle. L’inspiration chrétienne peut y trouver sa place.
« Comme l’a montré Paul Bénichou, dans sa monumentale étude sur les « Romantismes français », l’intelligence et les lettres françaises sont travaillées par une question fondamentale : après l’ouragan de la Révolution, le catholicisme peut-il encore incarner l’autorité spirituelle ? Au prix de quelles adaptations ? Et si l’Eglise doit perdre le mandat du Ciel » en même temps que la monarchie, par quoi, par qui et comment la remplacer ? » ( p 109) ?
Les auteurs évoquent ensuite de nombreuses personnalités, parmi lesquelles nous retiendrons ici : « Edgar Quinet qui espérait « protestantiser » la France pour établir durablement la démocratie, Alexis de Tocqueville qui initia une longue « tradition sociologique » de recherche sur l’impact de la problématique religieuse en matière de transformation sociale et de transformation du lien social, Lamennais, Lacordaire et Ozanam, pionniers de la question sociale venus du catholicisme, Pierre Leroux et Philippe Buchez, porteurs d’un « socialisme chrétien ». Ils évoquent de nombreux courants : « les effusions politico-religieuses de 1848, la montée des idéaux démocratiques et sociaux dans la franc-maçonnerie, le « socialisme utopique » français,  un ésotérisme, le courant occultiste, Victor Hugo, « le plus grand poète français, conscience morale de la République naissante, prophète d’un avenir démocratique et social » sans compter presque tous les grands écrivains français d’alors (Balzac, Stendhal, Flaubert, Georges Sand etc) chez lesquels on peut trouver des passages ou des livres entiers, en rapport avec le spirituel et l’ésotérisme » (p 103-105).
On ne doit pas seulement envisager le mouvement des idées à l’échelle française, mais plus largement à l’échelle européenne. Et, à cet égard, Jean Jaurès s’est également inspiré de la pensée germanique, en particulier de la « Naturphilosophie » (p 106). Les auteurs citent un article de Jaurès sur le poème de Victor Hugo, intitulé « Dieu » : « Si tout est nature, il faut comprendre la nature dans sa profondeur et dans son mystère et, comprise à fond, elle révèle Dieu, ou plutôt, elle est l’expression même de Dieu… La nature est embrasée d’esprit et l’esprit, sans sortir de l’ordre naturel et de ses lois, peut prétendre à de prodigieux développements » ( p 107-108). Cette vision du monde se traduit en action. « Si Dieu est, c’est à dire qu’il y a un foyer idéal et réel tout ensemble de nature et de la conscience, nous pouvons sans contradiction tenter d’élever la nature et toutes les consciences à l’unité à l’ordre, à la justice, à la joie. En ce sens aussi, Dieu est agissant… Je vous assure qu’il se fait en ce moment dans les esprits un travail immense pour retrouver Dieu dans la nature et l’idéal dans le réel. En même temps que les foules souffrantes aspirent vers le juste, les âmes pensantes font effort vers le vrai et vers le divin. Il y a dans le socialisme aussi des ferments mystiques : les hommes qui ont le sens de l’éternel comme Hugo, sont les seuls qui aient vraiment le sens de leur temps » ( p 108-109). Si ce texte date de la fin du XIXè siècle, on peut penser qu’il éveille un écho dans notre société en recherche de sens, d’un nouveau rapport avec la nature et d’une dimension écologique.
La spiritualité de Jaurès fut, à l’époque, méconnue par ceux qui ne voulaient pas la voir. Et aujourd’hui, il en est de même. Selon les auteurs, le terme de « Dieu » serait devenu « pesant et incongru à la fois, en tout cas hors d’un contexte confessionnel » . Cependant dans le mouvement écologique qui se développe aujourd’hui, une vision nouvelle de la nature apparaît . Certains y reconnaissent la présence du divin . Une théologie de la création se manifeste. Des articles parus sur ce blog témoignent de cette évolution (5). En 1988, paraît en France un livre pionnier de Jürgen Moltmann : « Dieu dans la création », intitulé, dès cctte époque : Traité écologique de la création » (4). L’œuvre de l’Esprit y est mise en évidence : « Le Dieu trinitaire inspire sans cesse toute sa création. Tout ce qui est, existe et vit grâce à l’affluence permanente des énergies et des possibilités de l’Esprit cosmique. C’est pourquoi, il faut comprendre toute réalité créée de façon énergétique, comme possibilité réalisée de l’Esprit divin. Grâce aux possibilités et énergies de l’Esprit, le Créateur lui-même est présent dans sa création . Il ne s’oppose pas à elle par sa transcendance, mais entre en elle et lui demeure en même temps immanent » (p 22-23). En se reportant à la pensée de Jean Jaurès dans sa thèse : « De la réalité du monde sensible », il y a une proximité dans les deux approches.
Une inspiration pour notre temps
 Dans leur livre sur Jean Jaurès, Eric et Sophie Vinson expriment « l’urgence dĂ©mocratique actuelle de trouver une voie – d’entendre une voix – pour relier, dynamiser, concrĂ©tiser la quĂŞte de sens individuelle et collective, en pleine faillite du dĂ©sordre Ă©tabli » (p 24).  « Leur essai propose, textes sources Ă l’appui, un fil conducteur stimulant, original dans le dĂ©dale de cette existence remarquable. Ce fil conducteur ? Le spirituel suivi Ă travers les principales facettes – de faits insĂ©parables et quasi simultanĂ©s – de cet homme-fleuve. Un fil conducteur spirituel qui pourrait, en outre, avoir quelque utilitĂ© pour nous, qui errons dans un monde sans repères en plein bouleversement. Revisiter l’ouverture jaurĂ©sienne, c’est se poser les questions des rapports entre spiritualitĂ© et dĂ©mocratie, entre mystique et politique, entre mĂ©taphysique et socialisme, entre Ă©thique et pouvoir, entre conviction et responsabilité… » (p 25-26). On peut ajouter la pertinence de cette pensĂ©e dans notre avancĂ©e Ă©cologique.
Conscients de ce besoin de sens et d’inspiration, Eric et Sophie Vinson envisagent la personnalité de Jean Jaurès parmi d’autres figures historiques qui leur paraissent présenter des ressemblances. C’est ce qu’ils appellent « la famille des « spirituels engagés » ou des « mystiques militants » parmi lesquels ils rangent M K Gandhi, Nelson Mandela (1), Martin Luther King, le Dalaï Lama pour ne citer que les plus connus. « Et si l’étude de ces spirituels engagés, à commencer par Jaurès si typiquement français, nous permettait d’entrevoir l’aube d’un nouvel humanisme en politique… » ( p 26).
Cependant cette aspiration s’inscrit dans une durée historique. A travers le temps, nous voyons ainsi un fil conducteur dans la vision d’un monde qui n’est pas abandonné à une destinée aveugle, mais habité par la présence du divin. C’est l’approche de Jean Jaurès dans sa thèse sur « la réalité du monde sensible ».  Aujourd’hui, c’est aussi celle de Jürgen Moltmann dans sa théologie de l’espérance. Une nouvelle vision de la création émerge et accompagne la prise de conscience écologique. Ainsi, on peut redire avec Jean Jaurès : « Si Dieu est, c’est à dire qu’il y a un foyer idéal et réel tout ensemble de la nature et de la conscience, nous pouvons sans contradiction tenter d’élever la nature et toutes les consciences à l’unité, à l’ordre, à la justice, à la joie » ( p 108).
J H
- Eric Vinson. Sophie Viguier-Vison. Mandela et Gandhi. La sagesse peut-elle changer le monde ? Albin Michel, 2018 Mise en perspective : « Non violence. Une démarche spirituelle et politique » : https://vivreetesperer.com/non-violence-une-demarche-spirituelle-et-politique/
- Eric Vinson. Sophie Viguier-Vinson. Jaurès le prophète. Mystique et politique d’un combattant républicain, Albin Michel, 2014 2a quatrième de couverture  Nous n’avons abordé ici qu’une partie limitée de ce livre remarquable qui couvre tous les aspects de la vie de Jean Jaurès, ce « prophète ». C’est une lecture particulièrement fructueuse.
- Un fait marquant dans la lutte de Jaurès pour la paix : « Un été pas comme les autres. Le début de la grande guerre et l’assassinat de Jaurès. Un édito vidéo d’Antoine Nouis dans Réforme » : https://www.temoins.com/un-ete-pas-comme-les-autres-le-debut-de-la-grande-guerre-et-lassassinat-de-jean-jaures-un-edito-video-dantoine-nouis-dans-reforme/
- Jürgen Moltmann. Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1998 « Si on comprend le créateur, la création et son but de façon trinitaire, alors le créateur habite par son Esprit dans l’ensemble de la création et dans chacune de ses créatures et il les maintient ensemble et en vie par la force de son Esprit » ( p 8)
- « Le Dieu vivant et la plénitude de vie » : https://vivreetesperer.com/le-dieu-vivant-et-la-plenitude-de-vie-2/ « Un Esprit sans frontières » : https://vivreetesperer.com/un-esprit-sans-frontieres/                   « Convergences écologiques : « Jean Bastaire, Jürgen Moltmann, Pape François et Edgar Morin » : https://vivreetesperer.com/convergences-ecologiques-jean-bastaire-jurgen-moltmann-pape-francois-et-edgar-morin/        La publication de l’encyclique Laudato Si’ par le Pape François est un moment important dans la montée d’une théologie écologique.
par jean | Mai 6, 2019 | ARTICLES |
Une vision spirituelle, dans et pour le monde
A certains moments dans l’histoire, de grandes personnalités émergent. Elles portent une cause et vivent un idéal. Ce fut le cas de Mandela et de Gandhi (1). En France, ce fut le cas de Jean Jaurès. Eric Vinson et Sophie Viguier-Vinson ont écrit à leur sujet. Et nous revenons ici sur un de leurs livres : « Jaurès le prophète. Mystique et politique d’un combattant républicain » (2). « Tout le monde croit connaître Jean Jaurès, icône républicaine qui demeure encore dans les mémoires, cent ans après sa mort (en 1914), le père du socialisme français, le fondateur de « l’Humanité », l’historien de la Révolution Française, l’inlassable combattant dreyfusard, le champion parlementaire de la séparation des Eglises et de l’Etat, le pacifiste assassiné à la veille de la Grande Guerre (3). Mais d’où lui venait ce souffle qui l’habitait, quel était le fondement de son élan humaniste et en quoi croyait-il ? » (2a). Eric et Sophie Vinson décrivent et analysent ici la pensée philosophique, métaphysique de Jean Jaurès dans le contexte de son époque.
Voilà une recherche qui nous concerne. A certains moments de l’histoire, dans telle conjoncture, l’accès à une inspiration religieuse peut être entravé parce que l’institution correspondante s’enferme, s’éloigne de la vie, adopte une posture dominatrice . Au XIXè siècle, l’Eglise catholique s’érigea en pouvoir hostile aux acquis de la Révolution Française. Ce fut « la guerre des deux France ». Mais alors comment le christianisme pouvait-il être vécu, lui, qui, en France, avait été associé, pour une part importante, au catholicisme ? Comment l’inspiration évangélique allait elle contribuer à irriguer la société française ? Lorsque l’eau vive se heurte à un barrage, elle prend de nouveaux chemins. Dans notre humanité, il nous faut explorer et reconnaître les formes nouvelles qui viennent compenser un manque. Aujourd’hui, au cours des dernières décennies, un écart s’est creusé entre les institutions religieuses, accusé pour certaines, moindre pour d’autres, et une nouvelle manière de vivre et de penser. Aujourd’hui encore des scandales apparaissent qui témoignent de l’inadéquation et de la faillite de tel système religieux Alors, pour que l’inspiration spirituelle, l’inspiration évangélique, puissent continuer à irriguer notre société, il est important que des pensée et des formes nouvelles apparaissent en apportant, dans toute sa diversité, une offre renouvelée. La question s’est posée à la fin du XIXè siècle. Dans une autre contexte, elle se pose aujourd’hui.
Voilà pourquoi, le livre d’Eric et de Sophie Vinson nous paraît important, car il nous montre, entre autres, comment, à cette époque, Jean Jaurès a fondé son action politique et sociale sur une vision spirituelle. Cette vision s’est exprimée dans une dimension philosophique.  « Jean Jaurès est non seulement un philosophe, normalien, agrégé, un auteur rivalisant avec Bergson, mais aussi un authentique spirituel. Si l’on néglige sa thèse sur « la réalité du monde sensible », si l’on passe à côté de sa spiritualité- qui s’oppose au pouvoir temporel de l’Eglise catholique, mais reconnaît en l’homme la présence du divin-, on ignore les principes mêmes qui ont guidé toute son action » (2a).
La réalité du monde sensible
 Eric et Sophie Vinson nous exposent la pensée de Jaurès telle qu’elle se déploie dans sa thèse principale de philosophie : « De la réalité du monde sensible » éditée en 1891 et rééditée quasiment à l’identique en 1902. « Nous voulons », disent-ils, « présenter cette philosophie en elle- même, à partir de sa dimension spirituelle ». Dans ce bref article, nous ne pouvons suivre le fil du raisonnement qui nous est décrit dans ce livre auquel on se reportera. Nous nous bornerons à quelques notations.
En affirmant la « réalité du monde sensible », Jaurès s’oppose d’une part au « subjectivisme qui réduit le monde sensible, matériel, au sujet », et, d’autre part, « au matérialisme qui réduit le sujet au monde matériel » (p 68). Et il dépasse « le divorce du sujet et de l’objet, grâce à la notion d’être, ce grand « englobant » métaphysique injustement oublié par les deux courants rivaux : subjectivisme et matérialisme (p 55).
Ce qu’affirme Jaurès, c’est « l’unitĂ© dynamique de tout ce qui est » (p 64). « Nous constatons qu’il y a dans toutes les consciences individuelles , une conscience absolue et indĂ©pendante de tout organisme Ă©troit et Ă©phĂ©mère, qu’elle est prĂ©sente partout sans ĂŞtre enchainĂ©e nulle part, qu’elle n’a d’autre sens que l’infini lui-mĂŞme, et qu’ainsi toutes les manifestations de l’infini, l’espace, la lumière, le son, trouvent en elle, leur centre de ralliement et une garantie d’éternelle rĂ©alité » ( p 57). Et c’est dans cette perspective que Jaurès envisage la divinitĂ©Â : « Dieu ne doit pas ĂŞtre pensĂ© sur notre modèle, seulement plus grand. Il est la rĂ©alitĂ© elle-mĂŞme… ». « La conscience absolue n’est pas un moi comme les autres, elle est le moi de tous les mois, la conscience de toutes les consciences… » ( p 65). Les auteurs nous expliquent les ressorts de cette pensĂ©e. « Ce Dieu-conscience absolue » semble ĂŞtre en quelque sorte l’« intĂ©riorité » profonde – autrement dit le « cĹ“ur » – des mois particuliers, des consciences individuelles comme des vĂ©ritĂ©s rationnelles. PrĂ©sent en eux au trĂ©fonds, Il ne se rĂ©duit pas Ă eux et les dĂ©passe qualitativement de manière infinie. Mais Il les rassemble aussi par Sa seule prĂ©sence, « unitĂ© de toutes les unitĂ©s ». Actif au cĹ“ur de toutes les rĂ©alitĂ©s finies, Lui, l’infini divin, il les contient ainsi toutes d’un certain point de vue…Et cela constitue l’ ordre ordinaire des choses simples, simplement incompris et mĂŞme inaperçu par la plupart ». A deux reprises, Jaurès cite textuellement le discours de Paul devant l’aĂ©ropage (Actes 17. 28) : « En la DivinitĂ©, nous avons la vie, le mouvement et l’être » (p 64).
A la suite de ce raisonnement, la conclusion de la thèse vient nous éclairer en rejoignant notre expérience quotidienne : « Précisément parce que c’est la conscience absolue qui fait la réalité du monde, tous les individus, toutes les forces du monde gardent leur réalité familière et leurs devoirs familiers . Dieu, en se mêlant au monde, n’y répand pas seulement la vie et la joie, mais aussi la modestie et le bon sens… Dans la conscience absolue et divine, ce n’est pas seulement le ciel grandiose et étoilé qui trouve sa justification, mais aussi la modeste maison où, outre la table de famille et le foyer, l’homme, avec ses humbles outils, gagne pour lui et les siens, le pain de chaque jour » (p 66) .
Dans un chapitre : « Du panthéisme à la « Philosophia Perennis », les auteurs s’emploient à situer la pensée de Jaurès parmi les grandes tendances philosophiques. Nous retiendrons ceci : « Dieu et le monde sont un de point de vue de l’immanence divine… mais du point de vue de la transcendance divine, Dieu et le monde sont également distincts et dans un rapport « hiérarchique » puisque Dieu ne se limite pas au monde… C’est un point de vue qui peut être reconnu comme panenthéiste » : Dieu est partout, en tout et tout est en Dieu… mais tout n’est pas Dieu au sens où la réalité divine excède infiniment la réalité perceptible qu’il habite néanmoins intimement et qui ne saurait être sans Lui » (p 75). Dans le mouvement de la théologie chrétienne, Jürgen Moltmann vient aujourd’hui éclairer cette dimension panenthéiste dans sa théologie de la création (4) .
Reliance spirituelle à travers l’histoire
En cette fin du XIXè siècle, l’institution catholique s’oppose au mouvement des idées et s’enferme dans la défense d’un système dominateur . Et, à l’opposé, s’affirme une conception athée et matérialiste. Dans ce contexte, nous avons vu combien Jean Jaurès exprime une vision spirituelle. Eric et Sophie Vinson nous montre qu’il n’est pas isolé. Il s’inscrit dans un courant de pensée, vaste et diversifié. C’est dire que, face aux enfermements, il y a là beaucoup de chercheurs qui oeuvrent pour une ouverture spirituelle. L’inspiration chrétienne peut y trouver sa place.
« Comme l’a montré Paul Bénichou, dans sa monumentale étude sur les « Romantismes français », l’intelligence et les lettres françaises sont travaillées par une question fondamentale : après l’ouragan de la Révolution, le catholicisme peut-il encore incarner l’autorité spirituelle ? Au prix de quelles adaptations ? Et si l’Eglise doit perdre le mandat du Ciel » en même temps que la monarchie, par quoi, par qui et comment la remplacer ? » ( p 109) ?
Les auteurs évoquent ensuite de nombreuses personnalités, parmi lesquelles nous retiendrons ici : « Edgar Quinet qui espérait « protestantiser » la France pour établir durablement la démocratie, Alexis de Tocqueville qui initia une longue « tradition sociologique » de recherche sur l’impact de la problématique religieuse en matière de transformation sociale et de transformation du lien social, Lamennais, Lacordaire et Ozanam, pionniers de la question sociale venus du catholicisme, Pierre Leroux et Philippe Buchez, porteurs d’un « socialisme chrétien ». Ils évoquent de nombreux courants : « les effusions politico-religieuses de 1848, la montée des idéaux démocratiques et sociaux dans la franc-maçonnerie, le « socialisme utopique » français,  un ésotérisme, le courant occultiste, Victor Hugo, « le plus grand poète français, conscience morale de la République naissante, prophète d’un avenir démocratique et social » sans compter presque tous les grands écrivains français d’alors (Balzac, Stendhal, Flaubert, Georges Sand etc) chez lesquels on peut trouver des passages ou des livres entiers, en rapport avec le spirituel et l’ésotérisme » (p 103-105).
On ne doit pas seulement envisager le mouvement des idées à l’échelle française, mais plus largement à l’échelle européenne. Et, à cet égard, Jean Jaurès s’est également inspiré de la pensée germanique, en particulier de la « Naturphilosophie » (p 106). Les auteurs citent un article de Jaurès sur le poème de Victor Hugo, intitulé « Dieu » : « Si tout est nature, il faut comprendre la nature dans sa profondeur et dans son mystère et, comprise à fond, elle révèle Dieu, ou plutôt, elle est l’expression même de Dieu… La nature est embrasée d’esprit et l’esprit, sans sortir de l’ordre naturel et de ses lois, peut prétendre à de prodigieux développements » ( p 107-108). Cette vision du monde se traduit en action. « Si Dieu est, c’est à dire qu’il y a un foyer idéal et réel tout ensemble de nature et de la conscience, nous pouvons sans contradiction tenter d’élever la nature et toutes les consciences à l’unité à l’ordre, à la justice, à la joie. En ce sens aussi, Dieu est agissant… Je vous assure qu’il se fait en ce moment dans les esprits un travail immense pour retrouver Dieu dans la nature et l’idéal dans le réel. En même temps que les foules souffrantes aspirent vers le juste, les âmes pensantes font effort vers le vrai et vers le divin. Il y a dans le socialisme aussi des ferments mystiques : les hommes qui ont le sens de l’éternel comme Hugo, sont les seuls qui aient vraiment le sens de leur temps » ( p 108-109). Si ce texte date de la fin du XIXè siècle, on peut penser qu’il éveille un écho dans notre société en recherche de sens, d’un nouveau rapport avec la nature et d’une dimension écologique.
La spiritualité de Jaurès fut, à l’époque, méconnue par ceux qui ne voulaient pas la voir. Et aujourd’hui, il en est de même. Selon les auteurs, le terme de « Dieu » serait devenu « pesant et incongru à la fois, en tout cas hors d’un contexte confessionnel » . Cependant dans le mouvement écologique qui se développe aujourd’hui, une vision nouvelle de la nature apparaît . Certains y reconnaissent la présence du divin . Une théologie de la création se manifeste. Des articles parus sur ce blog témoignent de cette évolution (5). En 1988, paraît en France un livre pionnier de Jürgen Moltmann : « Dieu dans la création », intitulé, dès cctte époque : Traité écologique de la création » (4). L’œuvre de l’Esprit y est mise en évidence : « Le Dieu trinitaire inspire sans cesse toute sa création. Tout ce qui est, existe et vit grâce à l’affluence permanente des énergies et des possibilités de l’Esprit cosmique. C’est pourquoi, il faut comprendre toute réalité créée de façon énergétique, comme possibilité réalisée de l’Esprit divin. Grâce aux possibilités et énergies de l’Esprit, le Créateur lui-même est présent dans sa création . Il ne s’oppose pas à elle par sa transcendance, mais entre en elle et lui demeure en même temps immanent » (p 22-23). En se reportant à la pensée de Jean Jaurès dans sa thèse : « De la réalité du monde sensible », il y a une proximité dans les deux approches.
Une inspiration pour notre temps
 Dans leur livre sur Jean Jaurès, Eric et Sophie Vinson expriment « l’urgence dĂ©mocratique actuelle de trouver une voie – d’entendre une voix – pour relier, dynamiser, concrĂ©tiser la quĂŞte de sens individuelle et collective, en pleine faillite du dĂ©sordre Ă©tabli » (p 24).  « Leur essai propose, textes sources Ă l’appui, un fil conducteur stimulant, original dans le dĂ©dale de cette existence remarquable. Ce fil conducteur ? Le spirituel suivi Ă travers les principales facettes – de faits insĂ©parables et quasi simultanĂ©s – de cet homme-fleuve. Un fil conducteur spirituel qui pourrait, en outre, avoir quelque utilitĂ© pour nous, qui errons dans un monde sans repères en plein bouleversement. Revisiter l’ouverture jaurĂ©sienne, c’est se poser les questions des rapports entre spiritualitĂ© et dĂ©mocratie, entre mystique et politique, entre mĂ©taphysique et socialisme, entre Ă©thique et pouvoir, entre conviction et responsabilité… » (p 25-26). On peut ajouter la pertinence de cette pensĂ©e dans notre avancĂ©e Ă©cologique.
Conscients de ce besoin de sens et d’inspiration, Eric et Sophie Vinson envisagent la personnalité de Jean Jaurès parmi d’autres figures historiques qui leur paraissent présenter des ressemblances. C’est ce qu’ils appellent « la famille des « spirituels engagés » ou des « mystiques militants » parmi lesquels ils rangent M K Gandhi, Nelson Mandela (1), Martin Luther King, le Dalaï Lama pour ne citer que les plus connus. « Et si l’étude de ces spirituels engagés, à commencer par Jaurès si typiquement français, nous permettait d’entrevoir l’aube d’un nouvel humanisme en politique… » ( p 26).
Cependant cette aspiration s’inscrit dans une durée historique. A travers le temps, nous voyons ainsi un fil conducteur dans la vision d’un monde qui n’est pas abandonné à une destinée aveugle, mais habité par la présence du divin. C’est l’approche de Jean Jaurès dans sa thèse sur « la réalité du monde sensible ».  Aujourd’hui, c’est aussi celle de Jürgen Moltmann dans sa théologie de l’espérance. Une nouvelle vision de la création émerge et accompagne la prise de conscience écologique. Ainsi, on peut redire avec Jean Jaurès : « Si Dieu est, c’est à dire qu’il y a un foyer idéal et réel tout ensemble de la nature et de la conscience, nous pouvons sans contradiction tenter d’élever la nature et toutes les consciences à l’unité, à l’ordre, à la justice, à la joie » ( p 108).
J H
- Eric Vinson. Sophie Viguier-Vison. Mandela et Gandhi. La sagesse peut-elle changer le monde ? Albin Michel, 2018 Mise en perspective : « Non violence. Une démarche spirituelle et politique » : https://vivreetesperer.com/non-violence-une-demarche-spirituelle-et-politique/
- Eric Vinson. Sophie Viguier-Vinson. Jaurès le prophète. Mystique et politique d’un combattant républicain, Albin Michel, 2014 2a quatrième de couverture  Nous n’avons abordé ici qu’une partie limitée de ce livre remarquable qui couvre tous les aspects de la vie de Jean Jaurès, ce « prophète ». C’est une lecture particulièrement fructueuse.
- Un fait marquant dans la lutte de Jaurès pour la paix : « Un été pas comme les autres. Le début de la grande guerre et l’assassinat de Jaurès. Un édito vidéo d’Antoine Nouis dans Réforme » : https://www.temoins.com/un-ete-pas-comme-les-autres-le-debut-de-la-grande-guerre-et-lassassinat-de-jean-jaures-un-edito-video-dantoine-nouis-dans-reforme/
- Jürgen Moltmann. Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1998 « Si on comprend le créateur, la création et son but de façon trinitaire, alors le créateur habite par son Esprit dans l’ensemble de la création et dans chacune de ses créatures et il les maintient ensemble et en vie par la force de son Esprit » ( p 8)
- « Le Dieu vivant et la plénitude de vie » : https://vivreetesperer.com/le-dieu-vivant-et-la-plenitude-de-vie-2/ « Un Esprit sans frontières » : https://vivreetesperer.com/un-esprit-sans-frontieres/                   « Convergences écologiques : « Jean Bastaire, Jürgen Moltmann, Pape François et Edgar Morin » : https://vivreetesperer.com/convergences-ecologiques-jean-bastaire-jurgen-moltmann-pape-francois-et-edgar-morin/        La publication de l’encyclique Laudato Si’ par le Pape François est un moment important dans la montée d’une théologie écologique.
par jean | Fév 25, 2019 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Vision et sens |
Un Ă©clairage de Bertrand Vergely
Et si nous reconnaissions aujourd’hui tout ce que nous avons reçu des autres et qui fait que nous sommes vivant
Et si nous exprimions cette reconnaissance dans un mouvement de vie bienfaisante à la fois pour ceux à qui nous l’exprimons, mais aussi pour nous-même.
Car, au cœur de ce mouvement, il y a une dynamique à la fois personnelle et collective où nous pouvons percevoir l’inspiration de l’Esprit
C’est dire comme il est bon d’entendre parler de gratitude, et d’en découvrir la portée et les effets.
Ainsi avons nous accueilli avec reconnaissance une intervention de Florence Servan-Schreiber à Ted X Paris sur « le pouvoir de la gratitude » (1). Cet exposé est remarquable parce qu’il allie une compétence de psychologue ayant accès aux meilleures sources et une démarche personnelle exprimée dans un esprit de recherche, de dialogue, de conviction et d’authenticité. Dans son livre : « Retour à l’émerveillement » (2), Bertrand Vergely aborde le même sujet dans une approche complémentaire, une approche philosophique, spirituelle, théologique (3). Il nous donne à voir le sens profond de ce mouvement.
Merci
Quoi de plus naturel que de dire : « merci » ! Et  si on peut le dire souvent, il y a comme une joie qui s’épanche, un élan de reconnaissance et de sympathie. C’est une expression de la vie quotidienne. Et c’est effectivement dans ce contexte que Bertrand Vergely nous en montre l’importance. Ce n’est pas seulement une expression du cœur, c’est aussi un mouvement qui s’inscrit dans la vie sociale, l’embellit et la pacifie. « Il est beau de dire merci. Cela permet de clore quelque chose et d’ouvrir autre chose. Dans le monde de la violence, on ne dit pas merci. Pire, on ne se fait grâce de rien, on est « sans merci ». On se poursuit sans répit, on se persécute, on ne s’épargne rien. Cela révèle la profondeur du merci. Prononcer ce mot, c’est passer de la guerre à la paix, de la haine à la réconciliation, de l’inimitié à la relation. On pourrait poursuivre la lutte, la haine, la persécution. On décide de ne pas le faire et de revenir à la logique des échanges et du don ».
Les « mercis » ponctuent une vie quotidienne dans laquelle on reçoit et on donne, on donne et on reçoit. C’est en quelque sorte un marqueur de civilité, une expression de vie civilisée. « Logique dans laquelle on se salue réciproquement. On donne et on reçoit. On offre et on dit merci. Il s’agit là d’une révolution obéissant à un constat lucide. Ou l’on persiste à vivre dans la violence, ou on y renonce et on vit… ».
Dire merci s’inscrit ainsi dans une vie sociale ou le partage se réalise dans une relation réciproque. « C’est le « pacte de réciprocité » inséparable d’un pacte de non violence ainsi que le rappelle Marcel Mauss dans son « Essai sur le don ». « La relation réciproque annule la violence. Personne ne prenant sans donner et ne donnant sans prendre. Il n’y a ni dominant, ni dominé. Le remerciement prend sa source dans une telle logique et donne la logique de l’invitation sue laquelle repose la vie sociale. On a été invité. On invite à son tour… Cette politesse fait en sorte que personne ne sacrifie l’autre ou ne soit sacrifié par lui… Profondeur du merci. Il raconte ce qui perd l’humanité. Il raconte ce qui la sauve. Nous mourrons de ne jamais dire « merci », nous ressuscitons en le disant ».
Gratitude
Mais l’expression de notre reconnaissance dépasse de beaucoup l’ordinaire de la vie quotidienne.
« La gratitude va plus loin que le merci. Comme montre l’expérience, on est dans la gratitude quand on fait plus que remercier quelqu’un. On est dans un tel état parce que l’on a reçu quelque chose d’exceptionnel. Quand quelqu’un nous a sauvé la vie, nous éprouvons de la gratitude, une profonde, une extrême gratitude. On se situe là dans la plus grande profondeur qui soit… Notre cœur est rempli de gratitude. Nous rendons grâce. Nous avons conscience du miracle en nous sentant petit devant l’immense… L’existence est un miracle permanent. Nous ne nous en rendons pas assez compte ».
Cette gratitude a une portée sociale. Elle a aussi une dimension spirituelle. « Quand il n’est pas déprimé, l’homme moderne rouspète. Il est mécontent, indigné, révolté et il le fait savoir. Jamais il ne dit merci. Il pense que tout lui est du ». Bertrand Vergely voit là un manque profond, jusqu’à un drame spirituel. « Il y a une ingratitude profonde dans le cœur humain. Au lieu de remercier, l’ingrat proteste. Il poursuit Dieu de sa vindicte en lui reprochant non seulement d’avoir raté, mais créé le monde. L’existence de l’humanité est pour lui un crime de lèse-humanité.
On va loin quand on a un moment de gratitude en remerciant le Ciel d’exister. On touche au drame inconscient de l’humanité. Celle-ci a un compte à régler avec Dieu comme avec elle-même. Elle n’est pas heureuse d’exister. On sort de cette logique meurtrière en ayant un peu de gratitude et en ouvrant les yeux. Oui, il est miraculeux de vivre (4). L’univers, la vie, l’humanité sont des miracles permanents. Nous-mêmes, nous sommes des miracles vivants. Nous devrions être morts cent fois, nous sommes encore là . Nous sommes des miraculés. Sans que nous le sachions, sans nous en rendre compte, nous avons été sauvés cent fois ».
Bertrand Vergely nous entraine plus loin encore dans une dimension métaphysique. « Si le mot « merci » permet de mettre fin à la guerre qui fait rage entre les hommes sur terre, le mot « gratitude » permet de mettre fin à celle qui fait rage entre les hommes et le Ciel. Il est courant de penser que la métaphysique est inutile et que nous n’en avons pas besoin pour vivre. Il s’agit d’une erreur profonde : elle est indispensable et l’on vit mal quand on s’en passe . L’être humain est un arbre qui relie le Ciel et la Terre. Privons-le de la Terre, il s’écroule. Privons-le du Ciel, il étouffe.
La gratitude est vitale. Elle signifie la paix avec le Ciel. et avec celle-ci, la liberté. Il est beau de voir le monde avec gratitude… Tout étant un miracle, tout vit. Tout se met à vivre. On a alors envie de vivre et de se réjouir de l’existence de l’humanité ».
Dire merci, exprimer de la gratitude témoignent du même esprit, de la même sensibilité et s’inscrivent dans une démarche commune. Si Bertrand Vergely les distingue, ce n’est pas seulement en fonction de l’intensité de ces deux expressions, c’est parce qu’il les situe dans un contexte plus large. Nous sommes de plus en plus nombreux à partager une vision de la société comme un tissu de relations. « Si l’Esprit est répandu sur toute la création, il fait de toutes les créatures avec Dieu et entres elles, cette communauté de la création dans laquelle toutes les créatures communiquent, chacune à sa manière entre elles et avec Dieu » déclare le théologien Jürgen Moltmann qui cite Martin Buber : « Au commencement était la relation » (5). Bertrand Vergely montre l’importance de la gratitude dans le plein déroulement des relations. Et comme Jürgen Moltmann, Richard Rohr (6) ou d’autres, il se fonde sur une théologie trinitaire  et met en évidence le rôle de l’incarnation. « La vie est relation… Cela veut dire que le Ciel et la Terre sont liés. Dieu a crée l’univers et l’homme pour s’unir à eux… il a créé pour transmettre, pour rayonner, pour diffuser. Il a bâti un pont entre lui et son autre, en l’occurrence l’univers et l’homme… Qui s’applique, bâtit des ponts, il reprend le geste divin de la création » ( p 253-254). La gratitude, comme la louange sur laquelle elle débouche, participent à cette œuvre.
Il est temps maintenant d’apporter un témoignage concret de la manière dont la gratitude accompagne une vie pleine malgré les épreuves. C’est le témoignage d’Odile Hassenforder dans son livre : « Sa présence dans ma vie » (7) : « Que c’est bon d’exister pour admirer, m’émerveiller, adorer. C’est gratuit. Je n’ai qu’à recevoir, en profiter, goûter sans culpabilité, sans besoin de me justifier (Justifier quoi ? de vivre ?). D’un sentiment de reconnaissance jaillit une louange joyeuse, une adoration au créateur de l’univers dont je fais partie, au Dieu qui veut le bonheur de ses créatures. Alors mon ego n’est plus au centre de ma vie. Il tient tout simplement sa place, relié à un « tout » sans prétention (Psaume 131). Je respire le courant de la vie qui me traverse et poursuit son chemin. Comme il est écrit dans un psaume : « Cette journée est pour moi un sujet de joie… Une joie pleine en ta présence, un plaisir éternel auprès de toi, mon Dieu… Louez l’Eternel, car il est bon. Son amour est infini (Psaume 16.118) ». Expression personnelle, la gratitude nous invite au dépassement, à une participation à  plus grand que nous, à la reconnaissance de la présence divine.  Comme l’écrit Bertrand Vergely : « Il est beau de voir le monde avec gratitude. Tout étant miracle, tout vit, tout se met à vivre. On a alors envie de vivre et de se réjouir de l’existence de l’humanité ».
Jean Hassenforder