par jean | Mai 6, 2019 | ARTICLES |
Une vision spirituelle, dans et pour le monde
A certains moments dans lâhistoire, de grandes personnalitĂ©s Ă©mergent. Elles portent une cause et vivent un idĂ©al. Ce fut le cas de Mandela et de Gandhi (1). En France, ce fut le cas de Jean JaurĂšs. Eric Vinson et Sophie Viguier-Vinson ont Ă©crit Ă leur sujet. Et nous revenons ici sur un de leurs livres : « JaurĂšs le prophĂšte. Mystique et politique dâun combattant rĂ©publicain » (2). « Tout le monde croit connaĂźtre Jean JaurĂšs, icĂŽne rĂ©publicaine qui demeure encore dans les mĂ©moires, cent ans aprĂšs sa mort (en 1914), le pĂšre du socialisme français, le fondateur de « lâHumanité », lâhistorien de la RĂ©volution Française, lâinlassable combattant dreyfusard, le champion parlementaire de la sĂ©paration des Eglises et de lâEtat, le pacifiste assassinĂ© Ă la veille de la Grande Guerre (3). Mais dâoĂč lui venait ce souffle qui lâhabitait, quel Ă©tait le fondement de son Ă©lan humaniste et en quoi croyait-il ? » (2a). Eric et Sophie Vinson dĂ©crivent et analysent ici la pensĂ©e philosophique, mĂ©taphysique de Jean JaurĂšs dans le contexte de son Ă©poque.
VoilĂ une recherche qui nous concerne. A certains moments de lâhistoire, dans telle conjoncture, lâaccĂšs Ă une inspiration religieuse peut ĂȘtre entravĂ© parce que lâinstitution correspondante sâenferme, sâĂ©loigne de la vie, adopte une posture dominatrice . Au XIXĂš siĂšcle, lâEglise catholique sâĂ©rigea en pouvoir hostile aux acquis de la RĂ©volution Française. Ce fut « la guerre des deux France ». Mais alors comment le christianisme pouvait-il ĂȘtre vĂ©cu, lui, qui, en France, avait Ă©tĂ© associĂ©, pour une part importante, au catholicisme ? Comment lâinspiration Ă©vangĂ©lique allait elle contribuer Ă irriguer la sociĂ©tĂ© française ? Lorsque lâeau vive se heurte Ă un barrage, elle prend de nouveaux chemins. Dans notre humanitĂ©, il nous faut explorer et reconnaĂźtre les formes nouvelles qui viennent compenser un manque. Aujourdâhui, au cours des derniĂšres dĂ©cennies, un Ă©cart sâest creusĂ© entre les institutions religieuses, accusĂ© pour certaines, moindre pour dâautres, et une nouvelle maniĂšre de vivre et de penser. Aujourdâhui encore des scandales apparaissent qui tĂ©moignent de lâinadĂ©quation et de la faillite de tel systĂšme religieux Alors, pour que lâinspiration spirituelle, lâinspiration Ă©vangĂ©lique, puissent continuer Ă irriguer notre sociĂ©tĂ©, il est important que des pensĂ©e et des formes nouvelles apparaissent en apportant, dans toute sa diversitĂ©, une offre renouvelĂ©e. La question sâest posĂ©e Ă la fin du XIXĂš siĂšcle. Dans une autre contexte, elle se pose aujourdâhui.
VoilĂ pourquoi, le livre dâEric et de Sophie Vinson nous paraĂźt important, car il nous montre, entre autres, comment, Ă cette Ă©poque, Jean JaurĂšs a fondĂ© son action politique et sociale sur une vision spirituelle. Cette vision sâest exprimĂ©e dans une dimension philosophique.  « Jean JaurĂšs est non seulement un philosophe, normalien, agrĂ©gĂ©, un auteur rivalisant avec Bergson, mais aussi un authentique spirituel. Si lâon nĂ©glige sa thĂšse sur « la rĂ©alitĂ© du monde sensible », si lâon passe Ă cĂŽtĂ© de sa spiritualitĂ©- qui sâoppose au pouvoir temporel de lâEglise catholique, mais reconnaĂźt en lâhomme la prĂ©sence du divin-, on ignore les principes mĂȘmes qui ont guidĂ© toute son action » (2a).
La réalité du monde sensible
 Eric et Sophie Vinson nous exposent la pensĂ©e de JaurĂšs telle quâelle se dĂ©ploie dans sa thĂšse principale de philosophie : « De la rĂ©alitĂ© du monde sensible » Ă©ditĂ©e en 1891 et rĂ©Ă©ditĂ©e quasiment Ă lâidentique en 1902. « Nous voulons », disent-ils, « prĂ©senter cette philosophie en elle- mĂȘme, Ă partir de sa dimension spirituelle ». Dans ce bref article, nous ne pouvons suivre le fil du raisonnement qui nous est dĂ©crit dans ce livre auquel on se reportera. Nous nous bornerons Ă quelques notations.
En affirmant la « rĂ©alitĂ© du monde sensible », JaurĂšs sâoppose dâune part au « subjectivisme qui rĂ©duit le monde sensible, matĂ©riel, au sujet », et, dâautre part, « au matĂ©rialisme qui rĂ©duit le sujet au monde matĂ©riel » (p 68). Et il dĂ©passe « le divorce du sujet et de lâobjet, grĂące Ă la notion dâĂȘtre, ce grand « englobant » mĂ©taphysique injustement oubliĂ© par les deux courants rivaux : subjectivisme et matĂ©rialisme (p 55).
Ce quâaffirme JaurĂšs, câest « lâunitĂ© dynamique de tout ce qui est » (p 64). « Nous constatons quâil y a dans toutes les consciences individuelles , une conscience absolue et indĂ©pendante de tout organisme Ă©troit et Ă©phĂ©mĂšre, quâelle est prĂ©sente partout sans ĂȘtre enchainĂ©e nulle part, quâelle nâa dâautre sens que lâinfini lui-mĂȘme, et quâainsi toutes les manifestations de lâinfini, lâespace, la lumiĂšre, le son, trouvent en elle, leur centre de ralliement et une garantie dâĂ©ternelle rĂ©alité » ( p 57). Et câest dans cette perspective que JaurĂšs envisage la divinitĂ©Â : « Dieu ne doit pas ĂȘtre pensĂ© sur notre modĂšle, seulement plus grand. Il est la rĂ©alitĂ© elle-mĂȘmeâŠÂ ». « La conscience absolue nâest pas un moi comme les autres, elle est le moi de tous les mois, la conscience de toutes les consciencesâŠÂ » ( p 65). Les auteurs nous expliquent les ressorts de cette pensĂ©e. « Ce Dieu-conscience absolue » semble ĂȘtre en quelque sorte lâ« intĂ©riorité » profonde – autrement dit le « cĆur » – des mois particuliers, des consciences individuelles comme des vĂ©ritĂ©s rationnelles. PrĂ©sent en eux au trĂ©fonds, Il ne se rĂ©duit pas Ă eux et les dĂ©passe qualitativement de maniĂšre infinie. Mais Il les rassemble aussi par Sa seule prĂ©sence, « unitĂ© de toutes les unitĂ©s ». Actif au cĆur de toutes les rĂ©alitĂ©s finies, Lui, lâinfini divin, il les contient ainsi toutes dâun certain point de vueâŠEt cela constitue lâ ordre ordinaire des choses simples, simplement incompris et mĂȘme inaperçu par la plupart ». A deux reprises, JaurĂšs cite textuellement le discours de Paul devant lâaĂ©ropage (Actes 17. 28) : « En la DivinitĂ©, nous avons la vie, le mouvement et lâĂȘtre » (p 64).
A la suite de ce raisonnement, la conclusion de la thĂšse vient nous Ă©clairer en rejoignant notre expĂ©rience quotidienne : « PrĂ©cisĂ©ment parce que câest la conscience absolue qui fait la rĂ©alitĂ© du monde, tous les individus, toutes les forces du monde gardent leur rĂ©alitĂ© familiĂšre et leurs devoirs familiers . Dieu, en se mĂȘlant au monde, nây rĂ©pand pas seulement la vie et la joie, mais aussi la modestie et le bon sens⊠Dans la conscience absolue et divine, ce nâest pas seulement le ciel grandiose et Ă©toilĂ© qui trouve sa justification, mais aussi la modeste maison oĂč, outre la table de famille et le foyer, lâhomme, avec ses humbles outils, gagne pour lui et les siens, le pain de chaque jour » (p 66) .
Dans un chapitre : « Du panthĂ©isme Ă la « Philosophia Perennis », les auteurs sâemploient Ă situer la pensĂ©e de JaurĂšs parmi les grandes tendances philosophiques. Nous retiendrons ceci : « Dieu et le monde sont un de point de vue de lâimmanence divine⊠mais du point de vue de la transcendance divine, Dieu et le monde sont Ă©galement distincts et dans un rapport « hiĂ©rarchique » puisque Dieu ne se limite pas au monde⊠Câest un point de vue qui peut ĂȘtre reconnu comme panenthĂ©iste » : Dieu est partout, en tout et tout est en Dieu⊠mais tout nâest pas Dieu au sens oĂč la rĂ©alitĂ© divine excĂšde infiniment la rĂ©alitĂ© perceptible quâil habite nĂ©anmoins intimement et qui ne saurait ĂȘtre sans Lui » (p 75). Dans le mouvement de la thĂ©ologie chrĂ©tienne, JĂŒrgen Moltmann vient aujourdâhui Ă©clairer cette dimension panenthĂ©iste dans sa thĂ©ologie de la crĂ©ation (4) .
Reliance spirituelle Ă travers lâhistoire
En cette fin du XIXĂš siĂšcle, lâinstitution catholique sâoppose au mouvement des idĂ©es et sâenferme dans la dĂ©fense dâun systĂšme dominateur . Et, Ă lâopposĂ©, sâaffirme une conception athĂ©e et matĂ©rialiste. Dans ce contexte, nous avons vu combien Jean JaurĂšs exprime une vision spirituelle. Eric et Sophie Vinson nous montre quâil nâest pas isolĂ©. Il sâinscrit dans un courant de pensĂ©e, vaste et diversifiĂ©. Câest dire que, face aux enfermements, il y a lĂ beaucoup de chercheurs qui oeuvrent pour une ouverture spirituelle. Lâinspiration chrĂ©tienne peut y trouver sa place.
« Comme lâa montrĂ© Paul BĂ©nichou, dans sa monumentale Ă©tude sur les « Romantismes français », lâintelligence et les lettres françaises sont travaillĂ©es par une question fondamentale : aprĂšs lâouragan de la RĂ©volution, le catholicisme peut-il encore incarner lâautoritĂ© spirituelle ? Au prix de quelles adaptations ? Et si lâEglise doit perdre le mandat du Ciel » en mĂȘme temps que la monarchie, par quoi, par qui et comment la remplacer ? » ( p 109) ?
Les auteurs Ă©voquent ensuite de nombreuses personnalitĂ©s, parmi lesquelles nous retiendrons ici : « Edgar Quinet qui espĂ©rait « protestantiser » la France pour Ă©tablir durablement la dĂ©mocratie, Alexis de Tocqueville qui initia une longue « tradition sociologique » de recherche sur lâimpact de la problĂ©matique religieuse en matiĂšre de transformation sociale et de transformation du lien social, Lamennais, Lacordaire et Ozanam, pionniers de la question sociale venus du catholicisme, Pierre Leroux et Philippe Buchez, porteurs dâun « socialisme chrĂ©tien ». Ils Ă©voquent de nombreux courants : « les effusions politico-religieuses de 1848, la montĂ©e des idĂ©aux dĂ©mocratiques et sociaux dans la franc-maçonnerie, le « socialisme utopique » français,  un Ă©sotĂ©risme, le courant occultiste, Victor Hugo, « le plus grand poĂšte français, conscience morale de la RĂ©publique naissante, prophĂšte dâun avenir dĂ©mocratique et social » sans compter presque tous les grands Ă©crivains français dâalors (Balzac, Stendhal, Flaubert, Georges Sand etc) chez lesquels on peut trouver des passages ou des livres entiers, en rapport avec le spirituel et lâĂ©sotĂ©risme » (p 103-105).
On ne doit pas seulement envisager le mouvement des idĂ©es Ă lâĂ©chelle française, mais plus largement Ă lâĂ©chelle europĂ©enne. Et, Ă cet Ă©gard, Jean JaurĂšs sâest Ă©galement inspirĂ© de la pensĂ©e germanique, en particulier de la « Naturphilosophie » (p 106). Les auteurs citent un article de JaurĂšs sur le poĂšme de Victor Hugo, intitulĂ© « Dieu » : « Si tout est nature, il faut comprendre la nature dans sa profondeur et dans son mystĂšre et, comprise Ă fond, elle rĂ©vĂšle Dieu, ou plutĂŽt, elle est lâexpression mĂȘme de Dieu⊠La nature est embrasĂ©e dâesprit et lâesprit, sans sortir de lâordre naturel et de ses lois, peut prĂ©tendre Ă de prodigieux dĂ©veloppements » ( p 107-108). Cette vision du monde se traduit en action. « Si Dieu est, câest Ă dire quâil y a un foyer idĂ©al et rĂ©el tout ensemble de nature et de la conscience, nous pouvons sans contradiction tenter dâĂ©lever la nature et toutes les consciences Ă lâunitĂ© Ă lâordre, Ă la justice, Ă la joie. En ce sens aussi, Dieu est agissant⊠Je vous assure quâil se fait en ce moment dans les esprits un travail immense pour retrouver Dieu dans la nature et lâidĂ©al dans le rĂ©el. En mĂȘme temps que les foules souffrantes aspirent vers le juste, les Ăąmes pensantes font effort vers le vrai et vers le divin. Il y a dans le socialisme aussi des ferments mystiques : les hommes qui ont le sens de lâĂ©ternel comme Hugo, sont les seuls qui aient vraiment le sens de leur temps » ( p 108-109). Si ce texte date de la fin du XIXĂš siĂšcle, on peut penser quâil Ă©veille un Ă©cho dans notre sociĂ©tĂ© en recherche de sens, dâun nouveau rapport avec la nature et dâune dimension Ă©cologique.
La spiritualitĂ© de JaurĂšs fut, Ă lâĂ©poque, mĂ©connue par ceux qui ne voulaient pas la voir. Et aujourdâhui, il en est de mĂȘme. Selon les auteurs, le terme de « Dieu » serait devenu « pesant et incongru Ă la fois, en tout cas hors dâun contexte confessionnel » . Cependant dans le mouvement Ă©cologique qui se dĂ©veloppe aujourdâhui, une vision nouvelle de la nature apparaĂźt . Certains y reconnaissent la prĂ©sence du divin . Une thĂ©ologie de la crĂ©ation se manifeste. Des articles parus sur ce blog tĂ©moignent de cette Ă©volution (5). En 1988, paraĂźt en France un livre pionnier de JĂŒrgen Moltmann : « Dieu dans la crĂ©ation », intitulĂ©, dĂšs cctte Ă©poque : TraitĂ© Ă©cologique de la crĂ©ation » (4). LâĆuvre de lâEsprit y est mise en Ă©vidence : « Le Dieu trinitaire inspire sans cesse toute sa crĂ©ation. Tout ce qui est, existe et vit grĂące Ă lâaffluence permanente des Ă©nergies et des possibilitĂ©s de lâEsprit cosmique. Câest pourquoi, il faut comprendre toute rĂ©alitĂ© crĂ©Ă©e de façon Ă©nergĂ©tique, comme possibilitĂ© rĂ©alisĂ©e de lâEsprit divin. GrĂące aux possibilitĂ©s et Ă©nergies de lâEsprit, le CrĂ©ateur lui-mĂȘme est prĂ©sent dans sa crĂ©ation . Il ne sâoppose pas Ă elle par sa transcendance, mais entre en elle et lui demeure en mĂȘme temps immanent » (p 22-23). En se reportant Ă la pensĂ©e de Jean JaurĂšs dans sa thĂšse : « De la rĂ©alitĂ© du monde sensible », il y a une proximitĂ© dans les deux approches.
Une inspiration pour notre temps
 Dans leur livre sur Jean JaurĂšs, Eric et Sophie Vinson expriment « lâurgence dĂ©mocratique actuelle de trouver une voie – dâentendre une voix â pour relier, dynamiser, concrĂ©tiser la quĂȘte de sens individuelle et collective, en pleine faillite du dĂ©sordre Ă©tabli » (p 24).  « Leur essai propose, textes sources Ă lâappui, un fil conducteur stimulant, original dans le dĂ©dale de cette existence remarquable. Ce fil conducteur ? Le spirituel suivi Ă travers les principales facettes â de faits insĂ©parables et quasi simultanĂ©s â de cet homme-fleuve. Un fil conducteur spirituel qui pourrait, en outre, avoir quelque utilitĂ© pour nous, qui errons dans un monde sans repĂšres en plein bouleversement. Revisiter lâouverture jaurĂ©sienne, câest se poser les questions des rapports entre spiritualitĂ© et dĂ©mocratie, entre mystique et politique, entre mĂ©taphysique et socialisme, entre Ă©thique et pouvoir, entre conviction et responsabilitĂ©âŠÂ » (p 25-26). On peut ajouter la pertinence de cette pensĂ©e dans notre avancĂ©e Ă©cologique.
Conscients de ce besoin de sens et dâinspiration, Eric et Sophie Vinson envisagent la personnalitĂ© de Jean JaurĂšs parmi dâautres figures historiques qui leur paraissent prĂ©senter des ressemblances. Câest ce quâils appellent « la famille des « spirituels engagĂ©s » ou des « mystiques militants » parmi lesquels ils rangent M K Gandhi, Nelson Mandela (1), Martin Luther King, le DalaĂŻ Lama pour ne citer que les plus connus. « Et si lâĂ©tude de ces spirituels engagĂ©s, Ă commencer par JaurĂšs si typiquement français, nous permettait dâentrevoir lâaube dâun nouvel humanisme en politiqueâŠÂ » ( p 26).
Cependant cette aspiration sâinscrit dans une durĂ©e historique. A travers le temps, nous voyons ainsi un fil conducteur dans la vision dâun monde qui nâest pas abandonnĂ© Ă une destinĂ©e aveugle, mais habitĂ© par la prĂ©sence du divin. Câest lâapproche de Jean JaurĂšs dans sa thĂšse sur « la rĂ©alitĂ© du monde sensible ».  Aujourdâhui, câest aussi celle de JĂŒrgen Moltmann dans sa thĂ©ologie de lâespĂ©rance. Une nouvelle vision de la crĂ©ation Ă©merge et accompagne la prise de conscience Ă©cologique. Ainsi, on peut redire avec Jean JaurĂšs : « Si Dieu est, câest Ă dire quâil y a un foyer idĂ©al et rĂ©el tout ensemble de la nature et de la conscience, nous pouvons sans contradiction tenter dâĂ©lever la nature et toutes les consciences Ă lâunitĂ©, Ă lâordre, Ă la justice, Ă la joie » ( p 108).
J H
- Eric Vinson. Sophie Viguier-Vison. Mandela et Gandhi. La sagesse peut-elle changer le monde ? Albin Michel, 2018 Mise en perspective : « Non violence. Une démarche spirituelle et politique » : https://vivreetesperer.com/non-violence-une-demarche-spirituelle-et-politique/
- Eric Vinson. Sophie Viguier-Vinson. JaurĂšs le prophĂšte. Mystique et politique dâun combattant rĂ©publicain, Albin Michel, 2014 2a quatriĂšme de couverture  Nous nâavons abordĂ© ici quâune partie limitĂ©e de ce livre remarquable qui couvre tous les aspects de la vie de Jean JaurĂšs, ce « prophĂšte ». Câest une lecture particuliĂšrement fructueuse.
- Un fait marquant dans la lutte de JaurĂšs pour la paix : « Un Ă©tĂ© pas comme les autres. Le dĂ©but de la grande guerre et lâassassinat de JaurĂšs. Un Ă©dito vidĂ©o dâAntoine Nouis dans RĂ©forme » : https://www.temoins.com/un-ete-pas-comme-les-autres-le-debut-de-la-grande-guerre-et-lassassinat-de-jean-jaures-un-edito-video-dantoine-nouis-dans-reforme/
- JĂŒrgen Moltmann. Dieu dans la crĂ©ation. TraitĂ© Ă©cologique de la crĂ©ation. Cerf, 1998 « Si on comprend le crĂ©ateur, la crĂ©ation et son but de façon trinitaire, alors le crĂ©ateur habite par son Esprit dans lâensemble de la crĂ©ation et dans chacune de ses crĂ©atures et il les maintient ensemble et en vie par la force de son Esprit » ( p 8)
- « Le Dieu vivant et la plĂ©nitude de vie » : https://vivreetesperer.com/le-dieu-vivant-et-la-plenitude-de-vie-2/ « Un Esprit sans frontiĂšres » : https://vivreetesperer.com/un-esprit-sans-frontieres/                   « Convergences Ă©cologiques : « Jean Bastaire, JĂŒrgen Moltmann, Pape François et Edgar Morin » : https://vivreetesperer.com/convergences-ecologiques-jean-bastaire-jurgen-moltmann-pape-francois-et-edgar-morin/        La publication de lâencyclique Laudato Siâ par le Pape François est un moment important dans la montĂ©e dâune thĂ©ologie Ă©cologique.
par jean | Fév 25, 2019 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Vision et sens |
Un Ă©clairage de Bertrand Vergely
Et si nous reconnaissions aujourdâhui tout ce que nous avons reçu des autres et qui fait que nous sommes vivant
Et si nous exprimions cette reconnaissance dans un mouvement de vie bienfaisante Ă la fois pour ceux Ă qui nous lâexprimons, mais aussi pour nous-mĂȘme.
Car, au cĆur de ce mouvement, il y a une dynamique Ă la fois personnelle et collective oĂč nous pouvons percevoir lâinspiration de lâEsprit
Câest dire comme il est bon dâentendre parler de gratitude, et dâen dĂ©couvrir la portĂ©e et les effets.
Ainsi avons nous accueilli avec reconnaissance une intervention de Florence Servan-Schreiber Ă Ted X Paris sur « le pouvoir de la gratitude » (1). Cet exposĂ© est remarquable parce quâil allie une compĂ©tence de psychologue ayant accĂšs aux meilleures sources et une dĂ©marche personnelle exprimĂ©e dans un esprit de recherche, de dialogue, de conviction et dâauthenticitĂ©. Dans son livre : « Retour Ă lâĂ©merveillement » (2), Bertrand Vergely aborde le mĂȘme sujet dans une approche complĂ©mentaire, une approche philosophique, spirituelle, thĂ©ologique (3). Il nous donne Ă voir le sens profond de ce mouvement.
Merci
Quoi de plus naturel que de dire : « merci » ! Et  si on peut le dire souvent, il y a comme une joie qui sâĂ©panche, un Ă©lan de reconnaissance et de sympathie. Câest une expression de la vie quotidienne. Et câest effectivement dans ce contexte que Bertrand Vergely nous en montre lâimportance. Ce nâest pas seulement une expression du cĆur, câest aussi un mouvement qui sâinscrit dans la vie sociale, lâembellit et la pacifie. « Il est beau de dire merci. Cela permet de clore quelque chose et dâouvrir autre chose. Dans le monde de la violence, on ne dit pas merci. Pire, on ne se fait grĂące de rien, on est « sans merci ». On se poursuit sans rĂ©pit, on se persĂ©cute, on ne sâĂ©pargne rien. Cela rĂ©vĂšle la profondeur du merci. Prononcer ce mot, câest passer de la guerre Ă la paix, de la haine Ă la rĂ©conciliation, de lâinimitiĂ© Ă la relation. On pourrait poursuivre la lutte, la haine, la persĂ©cution. On dĂ©cide de ne pas le faire et de revenir Ă la logique des Ă©changes et du don ».
Les « mercis » ponctuent une vie quotidienne dans laquelle on reçoit et on donne, on donne et on reçoit. Câest en quelque sorte un marqueur de civilitĂ©, une expression de vie civilisĂ©e. « Logique dans laquelle on se salue rĂ©ciproquement. On donne et on reçoit. On offre et on dit merci. Il sâagit lĂ dâune rĂ©volution obĂ©issant Ă un constat lucide. Ou lâon persiste Ă vivre dans la violence, ou on y renonce et on vitâŠÂ ».
Dire merci sâinscrit ainsi dans une vie sociale ou le partage se rĂ©alise dans une relation rĂ©ciproque. « Câest le « pacte de rĂ©ciprocité » insĂ©parable dâun pacte de non violence ainsi que le rappelle Marcel Mauss dans son « Essai sur le don ». « La relation rĂ©ciproque annule la violence. Personne ne prenant sans donner et ne donnant sans prendre. Il nây a ni dominant, ni dominĂ©. Le remerciement prend sa source dans une telle logique et donne la logique de lâinvitation sue laquelle repose la vie sociale. On a Ă©tĂ© invitĂ©. On invite Ă son tour⊠Cette politesse fait en sorte que personne ne sacrifie lâautre ou ne soit sacrifiĂ© par lui⊠Profondeur du merci. Il raconte ce qui perd lâhumanitĂ©. Il raconte ce qui la sauve. Nous mourrons de ne jamais dire « merci », nous ressuscitons en le disant ».
Gratitude
Mais lâexpression de notre reconnaissance dĂ©passe de beaucoup lâordinaire de la vie quotidienne.
« La gratitude va plus loin que le merci. Comme montre lâexpĂ©rience, on est dans la gratitude quand on fait plus que remercier quelquâun. On est dans un tel Ă©tat parce que lâon a reçu quelque chose dâexceptionnel. Quand quelquâun nous a sauvĂ© la vie, nous Ă©prouvons de la gratitude, une profonde, une extrĂȘme gratitude. On se situe lĂ dans la plus grande profondeur qui soit⊠Notre cĆur est rempli de gratitude. Nous rendons grĂące. Nous avons conscience du miracle en nous sentant petit devant lâimmense⊠Lâexistence est un miracle permanent. Nous ne nous en rendons pas assez compte ».
Cette gratitude a une portĂ©e sociale. Elle a aussi une dimension spirituelle. « Quand il nâest pas dĂ©primĂ©, lâhomme moderne rouspĂšte. Il est mĂ©content, indignĂ©, rĂ©voltĂ© et il le fait savoir. Jamais il ne dit merci. Il pense que tout lui est du ». Bertrand Vergely voit lĂ un manque profond, jusquâĂ un drame spirituel. « Il y a une ingratitude profonde dans le cĆur humain. Au lieu de remercier, lâingrat proteste. Il poursuit Dieu de sa vindicte en lui reprochant non seulement dâavoir ratĂ©, mais crĂ©Ă© le monde. Lâexistence de lâhumanitĂ© est pour lui un crime de lĂšse-humanitĂ©.
On va loin quand on a un moment de gratitude en remerciant le Ciel dâexister. On touche au drame inconscient de lâhumanitĂ©. Celle-ci a un compte Ă rĂ©gler avec Dieu comme avec elle-mĂȘme. Elle nâest pas heureuse dâexister. On sort de cette logique meurtriĂšre en ayant un peu de gratitude et en ouvrant les yeux. Oui, il est miraculeux de vivre (4). Lâunivers, la vie, lâhumanitĂ© sont des miracles permanents. Nous-mĂȘmes, nous sommes des miracles vivants. Nous devrions ĂȘtre morts cent fois, nous sommes encore lĂ . Nous sommes des miraculĂ©s. Sans que nous le sachions, sans nous en rendre compte, nous avons Ă©tĂ© sauvĂ©s cent fois ».
Bertrand Vergely nous entraine plus loin encore dans une dimension mĂ©taphysique. « Si le mot « merci » permet de mettre fin Ă la guerre qui fait rage entre les hommes sur terre, le mot « gratitude » permet de mettre fin Ă celle qui fait rage entre les hommes et le Ciel. Il est courant de penser que la mĂ©taphysique est inutile et que nous nâen avons pas besoin pour vivre. Il sâagit dâune erreur profonde : elle est indispensable et lâon vit mal quand on sâen passe . LâĂȘtre humain est un arbre qui relie le Ciel et la Terre. Privons-le de la Terre, il sâĂ©croule. Privons-le du Ciel, il Ă©touffe.
La gratitude est vitale. Elle signifie la paix avec le Ciel. et avec celle-ci, la libertĂ©. Il est beau de voir le monde avec gratitude⊠Tout Ă©tant un miracle, tout vit. Tout se met Ă vivre. On a alors envie de vivre et de se rĂ©jouir de lâexistence de lâhumanité ».
Dire merci, exprimer de la gratitude tĂ©moignent du mĂȘme esprit, de la mĂȘme sensibilitĂ© et sâinscrivent dans une dĂ©marche commune. Si Bertrand Vergely les distingue, ce nâest pas seulement en fonction de lâintensitĂ© de ces deux expressions, câest parce quâil les situe dans un contexte plus large. Nous sommes de plus en plus nombreux Ă partager une vision de la sociĂ©tĂ© comme un tissu de relations. « Si lâEsprit est rĂ©pandu sur toute la crĂ©ation, il fait de toutes les crĂ©atures avec Dieu et entres elles, cette communautĂ© de la crĂ©ation dans laquelle toutes les crĂ©atures communiquent, chacune Ă sa maniĂšre entre elles et avec Dieu » dĂ©clare le thĂ©ologien JĂŒrgen Moltmann qui cite Martin Buber : « Au commencement Ă©tait la relation » (5). Bertrand Vergely montre lâimportance de la gratitude dans le plein dĂ©roulement des relations. Et comme JĂŒrgen Moltmann, Richard Rohr (6) ou dâautres, il se fonde sur une thĂ©ologie trinitaire  et met en Ă©vidence le rĂŽle de lâincarnation. « La vie est relation⊠Cela veut dire que le Ciel et la Terre sont liĂ©s. Dieu a crĂ©e lâunivers et lâhomme pour sâunir Ă eux⊠il a crĂ©Ă© pour transmettre, pour rayonner, pour diffuser. Il a bĂąti un pont entre lui et son autre, en lâoccurrence lâunivers et lâhomme⊠Qui sâapplique, bĂątit des ponts, il reprend le geste divin de la crĂ©ation » ( p 253-254). La gratitude, comme la louange sur laquelle elle dĂ©bouche, participent Ă cette Ćuvre.
Il est temps maintenant dâapporter un tĂ©moignage concret de la maniĂšre dont la gratitude accompagne une vie pleine malgrĂ© les Ă©preuves. Câest le tĂ©moignage dâOdile Hassenforder dans son livre : « Sa prĂ©sence dans ma vie » (7) : « Que câest bon dâexister pour admirer, mâĂ©merveiller, adorer. Câest gratuit. Je nâai quâĂ recevoir, en profiter, goĂ»ter sans culpabilitĂ©, sans besoin de me justifier (Justifier quoi ? de vivre ?). Dâun sentiment de reconnaissance jaillit une louange joyeuse, une adoration au crĂ©ateur de lâunivers dont je fais partie, au Dieu qui veut le bonheur de ses crĂ©atures. Alors mon ego nâest plus au centre de ma vie. Il tient tout simplement sa place, reliĂ© Ă un « tout » sans prĂ©tention (Psaume 131). Je respire le courant de la vie qui me traverse et poursuit son chemin. Comme il est Ă©crit dans un psaume : « Cette journĂ©e est pour moi un sujet de joie⊠Une joie pleine en ta prĂ©sence, un plaisir Ă©ternel auprĂšs de toi, mon Dieu⊠Louez lâEternel, car il est bon. Son amour est infini (Psaume 16.118) ». Expression personnelle, la gratitude nous invite au dĂ©passement, Ă une participation à  plus grand que nous, Ă la reconnaissance de la prĂ©sence divine.  Comme lâĂ©crit Bertrand Vergely : « Il est beau de voir le monde avec gratitude. Tout Ă©tant miracle, tout vit, tout se met Ă vivre. On a alors envie de vivre et de se rĂ©jouir de lâexistence de lâhumanité ».
Jean Hassenforder
par jean | Déc 3, 2022 | ARTICLES, Société et culture en mouvement |
De lâĂąge mythique du progrĂšs incarnĂ© par lâĂšre industrielle Ă un Ăąge de la rĂ©silience.
LâĂąge de la rĂ©silience selon JĂ©rĂ©mie Rifkin
« JĂ©rĂ©mie Rifkin est lâun des penseurs de la sociĂ©tĂ© les plus populaires de notre temps. Il est lâauteur dâune vingtaine de best-sellers ». On peut ajouter Ă cette prĂ©sentation du livre de JĂ©rĂ©mie Rifkin : « LâĂąge de la rĂ©silience» (1) que lâauteur nâest pas seulement un chercheur qui ouvre des voies nouvelles, mais un conseiller influent qui intervient auprĂšs de nombreuses instances de dĂ©cision. Ses livres nous font entrer dans de nouvelles maniĂšres de voir et de penser. Ainsi, sur ce blog, nous avons prĂ©sentĂ© « La troisiĂšme rĂ©volution industrielle » (2) et le « New Deal vert mondial » (3). JĂ©rĂ©mie Rifkin est Ă©galement lâauteur de grandes synthĂšses qui Ă©clairent notre marche. Ainsi, sur le site de TĂ©moins, nous avons prĂ©sentĂ© son livre sur lâempathie (4), une fresque historique trĂšs engageante. En gĂ©nĂ©ral, comme dans ce livre âlâĂąge de la rĂ©silienceâ, JĂ©rĂ©mie Rifkin dĂ©veloppe son regard prospectif Ă partir dâune analyse et dâun bilan du passĂ©. Il nous a habituĂ© Ă une dĂ©marche dynamique. Câest avec dâautant plus dâattention que nous entendons ici son cri dâalarme sur lâhĂ©ritage du passĂ© et la menace du prĂ©sent. Tout est Ă repenser. « Il ne sâagit plus de courir aprĂšs lâefficacitĂ©, mais de faire grandir notre capacitĂ© de rĂ©silience. Nous devons tout repenser : notre vision du monde, notre comprĂ©hension de lâĂ©conomie, nos formes de gouvernement, nos conception de lâespace et du temps, nos pulsions les plus fondamentales et, bien sĂ»r, notre relation Ă la planĂšte » (page de couverture).
Un chemin pour changer de vision et de paradigme
 Dans lâintroduction du livre, JĂ©rĂ©mie Rifkin esquisse un chemin pour dĂ©passer lâhĂ©ritage du passĂ© et nous engager dans une nouvelle maniĂšre de vivre.
Lâauteur nous invite donc Ă revisiter notre histoire. Il commence par remettre en cause le mythe du progrĂšs. Ainsi rappelle-t-il les propos du philosophe Condorcet guillotinĂ© en 1794 : « La perfectibilitĂ© de lâhomme est rĂ©ellement indĂ©finie. Les progrĂšs de cette perfectibilitĂ©, dĂ©sormais indĂ©pendante de toutes puissances qui voudrait les arrĂȘter, nâont dâautres termes que la durĂ©e du globe oĂč la nature nous a jetĂ© » (p 10). « Aujourdâhui, sa conception du futur nous semble naĂŻve. Pourtant le concept de progrĂšs nâest que la derniĂšre itĂ©ration dâune vieille croyance : les humains seraient fondamentalement diffĂ©rents des autres ĂȘtres vivants avec qui ils se partagent la terre » (p 10). Aujourdâhui, lâhumanitĂ© est assaillie de menaces et de peurs. En regard, un peu partout, le terme de rĂ©silience est Ă©voquĂ©. « LâĂąge du progrĂšs cĂšde la place Ă lâĂąge de la rĂ©silience ». « Ce grand basculement de lâĂąge du progrĂšs Ă lâĂąge de la rĂ©silience requiert un vaste ajustement philosophique et psychologique dans la perception quâa lâhumanitĂ© du monde qui lâentoure. A la racine de la transition, il y a un changement total de notre rapport Ă lâespace et au temps » (p 11).
JĂ©rĂ©mie Rifkin raconte comment la vie ordonnĂ©e des moines bĂ©nĂ©dictins au Moyen Age a suscitĂ© une nouvelle apprĂ©hension du temps ponctuĂ© par leurs activitĂ©s. Câest la naissance de lâhorloge mĂ©canique qui sâest rĂ©pandue ensuite dans la civilisation urbaine. Finalement, le temps va « ĂȘtre perçu comme une suite dâunitĂ©s standard mesurables, fonctionnant dans un univers parallĂšle, qui ne doit plus rien aux rythmes de la terre » (p 84). Cette nouvelle temporalitĂ© va dĂ©boucher sur une recherche dâefficacitĂ© accrue dans le temps disponible. Cette temporalitĂ© a rĂ©gi de bout en bout lâĂąge du progrĂšs et sa conception de lâefficience. Lâefficience a cherchĂ© à « optimiser lâexpropriation, la consommation et la mise au rebut des ressources naturelles, et, ce faisant, Ă accroitre lâopulence matĂ©rielle de la sociĂ©tĂ© dans des temps toujours plus courts, mais au prix de lâĂ©puisement de la nature. Notre temporalitĂ© personnelle et le pouls temporel de notre sociĂ©tĂ© obĂ©issent Ă lâimpĂ©ratif de lâefficience » (p 12).
« Dans cet ouvrage, le terme « efficiency » employĂ© dans lâĂ©dition originale, ne signifie pas « efficacitĂ© (capacitĂ© dâatteindre un objectif), mais « efficience » (capacitĂ© dâobtenir les rĂ©sultats ou les profits maximaux avec le minimum de moyens et de frais dans le minimum de temps) » (p 12). « LâĂąge du progrĂšs marchait au pas de lâefficience ». « Passer du temps de lâefficience Ă celui de lâadaptativitĂ©Â : tel est le visa de rĂ©adaptation qui permettra Ă lâespĂšce humaine de sortir dâun rapport de sĂ©paration et dâexploitation avec le monde naturel pour ĂȘtre rapatriĂ© parmi la multitude des forces environnementales qui animent la Terre » (p 12)⊠Remplacer lâefficience par lâadaptativitĂ© implique des changements radicaux dans lâĂ©conomie et dans la sociĂ©tĂ©Â : elles vont passer de la productivitĂ© Ă la rĂ©gĂ©nĂ©rativitĂ©, de la croissance Ă lâĂ©panouissement, de la propriĂ©tĂ© Ă lâaccĂšs, des marchĂ©s avec leurs vendeurs et leurs acheteurs aux rĂ©seaux avec leurs fournisseurs et leurs utilisateurs, des processus linĂ©aires aux processus cybernĂ©tiques, des Ă©conomies dâĂ©chelle de lâintĂ©gration verticale Ă celles de lâintĂ©gration latĂ©rale⊠des conglomĂ©rats capitalistes aux petites et moyennes coopĂ©ratives opĂ©rant en blockchain sur des communs fluides⊠de la globalisation Ă la glocalisation, du consumĂ©risme Ă lâintendance des Ă©cosystĂšmes, du produit national brut (PNB) aux indicateurs de qualitĂ© de vie⊠(p 12-13). DĂ©jĂ expert de la « troisiĂšme rĂ©volution industrielle », JĂ©rĂ©mie Rifkin voit lĂ un mouvement en voie de « rĂ©insĂ©rer lâhumanitĂ© dans les infrastructures indigĂšnes de la planĂšte : lâhydrosphĂšre, la lithosphĂ©re, lâatmosphĂšre et la biosphĂšre. La nouvelle infrastructure emporte lâhumanitĂ© au delĂ de lâĂšre industrielleâŠÂ » (p 13).
« Sans surprise, la nouvelle temporalitĂ© sâaccompagne dâune rĂ©orientation fondamentale Ă lâĂ©gard de lâespace ». Notre apprĂ©hension de lâespace varie dans le temps, comme lâauteur nous le fait remarquer en mettant en lumiĂšre lâavĂšnement de la perspective dans la peinture de la Renaissance italienne et ses incidences rĂ©volutionnaires (p 86-87). Bien sĂ»r, dans lâĂąge qui vient, les ressources naturelles seront perçues et gĂ©rĂ©es autrement. Mais le changement de mentalitĂ© va plus loin encore. Nous prenons conscience dâappartenir Ă un ensemble vivant et nous ne nous regardons plus comme des ĂȘtres Ă part sĂ©parĂ©s de lâextĂ©rieur. Lâauteur nous fait part de dĂ©couvertes importantes qui nous situent en interaction avec le vivant. « Nous commençons Ă comprendre que notre vie et celle des autres ĂȘtres vivants est faite de processus, de modĂšles et de flux⊠Tous les ĂȘtres vivants sont des extensions des sphĂšres terrestres. Les minĂ©raux et les nutriments de la lithosphĂšre, lâeau de lâhydrosphĂšre, lâair de lâatmosphĂšre nous parcourent continuellement sous forme dâatomes et de molĂ©cules, sâinstallent dans nos cellules⊠et y sont remplacĂ©es rĂ©guliĂšrement, Ă diffĂ©rents intervalles, au cours de notre vie. La majoritĂ© des tissus et organes qui constituent notre corps se renouvellent sans cesse au fil de nos existencesâŠÂ ». Et, par ailleurs, « Notre corps nâest pas uniquement Ă nous. Nous le partageons avec de nombreuses autres formes de vie â des bactĂ©ries, des virus, des protĂ©ines, des archĂ©es et des champignons⊠Plus de la moitiĂ© des cellules de notre corps ne sont pas humaines⊠elles appartiennent aux autre ĂȘtres qui vivent dans chaque coin de notre anatomie (p 179-190)⊠Ainsi, nous sommes tous des Ă©cosytĂšmes… Et, de plus, nous sommes faits de multiples horloges biologiques qui adaptent continuellement nos rythmes corporels internes Ă ceux que marquent les rotations de la terre⊠rythmes circadien et lunaire, rythme des saisons, rythmes annuelsâŠÂ » (p 13-14).
Ainsi, « nous faisons partie de la terre, au plus profond de notre ĂȘtreâŠÂ » Lâauteur en dĂ©duit que « cela nous inspire des idĂ©es neuves sur la nature de la gouvernance et sur notre fonctionnement en tant quâorganisme social. A lâĂąge de la rĂ©silience, gouverner, câest assurer lâintendance de Ă©cosystĂšmes rĂ©gionaux. Et cette gouvernance biorĂ©gionale est beaucoup plus partagĂ©e, distribuĂ©eâŠÂ » (p 15)
Cependant, on ne peut manquer de se poser une question fondamentale. Quel est le sens de ce parcours ? « Que cherche lâhumanitĂ©Â ? Pas seulement sa simple subsistance. Quelque chose de plus profond, de plus tourmentĂ© bouillonne en nous â un sentiment quâaucun autre ĂȘtre vivant ne possĂšde⊠Nous sommes en quĂȘte continuelle du sens de nos existences. » (p 16). Câest lĂ que JĂ©rĂ©mie Rifkin en revient Ă mettre en Ă©vidence la vertu quâil a dĂ©jĂ apprĂ©ciĂ©e dans lâhumanitĂ©Â : son potentiel dâempathie (4). « Cet atout rare et prĂ©cieux croit, dĂ©croit et ne cesse de rĂ©apparaitre ». « Ces derniĂšres annĂ©es, la nouvelle gĂ©nĂ©ration a commencĂ© Ă Ă©tendre son empathie au delĂ de notre espĂšce pour y inclure les autres vivants qui font tous partie de notre famille Ă©volutionnaire. Câest ce que les biologistes appellent la « conscience biophile ». VoilĂ un signe encourageant ».
Lâapproche de la rĂ©silience
Dans son livre, JĂ©rĂ©mie Rifkin nous introduit dans une histoire, celle qui analyse le pesant hĂ©ritage du passĂ© pour baliser ensuite les voies dâun avenir viable, plus prĂ©cisĂ©ment dâun Ăąge de la rĂ©silience. Ce parcours sâopĂšre en quatre parties : « Efficience contre entropie. La dialectique de la modernitĂ©Â ; Lâappropriation de la Terre et la paupĂ©risation des travailleurs ; Comment nous en sommes arrivĂ©s lĂ . Repenser lâĂ©volution sur Terre ; LâĂąge de la rĂ©silience : la fin de lâĂšre industrielle ». Aujourdâhui, le regard scientifique est en train de changer, une nouvelle maniĂšre dâapprocher les rĂ©alitĂ©s en terme de « socio-Ă©cosystĂšmes adaptatifs complexes » (p 217).
AprĂšs avoir rappelĂ© les principes de la science classique dans la foulĂ©e de Francis Bacon, lâauteur met en lumiĂšre une nouvelle approche, lâapport dâun Ă©cologue canadien : Crawford Stanley Holling. En 1973, dans un article intitulĂ©Â : « RĂ©silience et stabilitĂ© des systĂšmes Ă©cologiques », il a exposĂ© une nouvelle thĂ©orie sur lâĂ©mergence et les modes de fonctionnement de lâenvironnement naturel. Holling a introduit les concepts de gestion « adaptative » et de « rĂ©silience » dans la thĂ©orie des systĂšmes Ă©cologiques ; avec dâautres pionniers, il a posĂ© les bases dâune mĂ©thode scientifique radicalement neuve qui, en fusionnant lâĂ©cologique et le social, allait dĂ©fier les principes directeurs, tant thĂ©oriques que pratiques de lâĂ©conomie admise. Il sâagit de la thĂ©orie des « socio- Ă©cosystĂšmes adaptatifs complexes » (p 217).
Pour Holling, « le comportement des systĂšmes Ă©cologiques pourrait ĂȘtre dĂ©fini par deux propriĂ©tĂ©s distinctes : la rĂ©silience et la stabilité »⊠La thĂ©orie de la rĂ©silience de Holling a ensuite Ă©tĂ© importĂ©e dans la quasi-totalitĂ© des disciplines : la psychologie, la sociologie, les sciences politiques, lâanthropologie, la physique, la chimie, la biologie et les sciences de lâingĂ©nieur. DiffĂ©rents secteurs Ă©conomiques ont commencĂ© Ă sây intĂ©resser⊠Mais le plus important est que lâĂ©picentre de la nouvelle Grande Disruption se trouve Ă lâintersection de lâĂ©conomie et de lâĂ©cologie. Holling prĂ©cise : la rĂ©silience est la propriĂ©tĂ© du systĂšme et la persistance ou la probabilitĂ© dâextinction est le rĂ©sultat. Une des principales stratĂ©gies retenues par la sĂ©lection nâa donc pas pour but de maximiser lâefficience ou un avantage particulier, mais de permettre la persistance en maintenant dâabord et avant tout la flexibilité » (p 217-218). En ce sens, la diversitĂ© est un atout. « Une mĂ©thode de gestion fondĂ©e sur la rĂ©silience⊠insistera sur la nĂ©cessitĂ© de garder une multiplicitĂ© dâoptions ouvertes, dâobserver les Ă©vĂšnements dans le contexte rĂ©gional et non local et de privilĂ©gier lâhĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©ité » (p 218). Et, dans la mĂȘme perspective, il nous faut reconnaĂźtre notre ignorance et accepter lâimprĂ©visibilitĂ©. « Dans les trente ans qui ont suivi, Holling a vu sa premiĂšre esquisse de thĂ©orie de la rĂ©silience et de lâadaptation modifiĂ©e, amĂ©liorĂ©e et nuancĂ©e par dâautres et ces apports nâont cessĂ© dâaffiner et dâenrichir sa thĂšse. En 2004, il a coĂ©crit un nouvelle version de la rĂ©silience et des cycles adaptatifs ». Ici, on y exprime que « le systĂšme peut ĂȘtre incapable de se maintenir, ce qui lâoblige de se transformer en un nouveau systĂšme auto-organisé » (p 218-219).
Lâauteur met lâaccent sur les transformations qui adviennent ainsi. « Quand des forces interagissent dans la nature, la sociĂ©tĂ© et lâunivers, elles ne reviennent jamais Ă leur point de dĂ©part, car leurs interactions, si minimes soient–elles, changent la dynamique (p 220). Et donc, « rĂ©silience nâa jamais voulu dire des restaurations parfaites du statu quo ante⊠On ne doit jamais considĂ©rer la rĂ©silience comme un Ă©tat, une maniĂšre dâĂȘtre dans le monde, mais comme une maniĂšre dâagir sur le monde » (p 221).
Et, si on envisage la rĂ©silience en terme de dĂ©marche thĂ©rapeutique, « elle nâest jamais un retour. On ne peut jamais revenir en arriĂšre, mais seulement aller de lâavant vers un sens nouveau de sa capacitĂ© dâaction » (p 221).
La science Ă©conomique actuelle est remise en cause par la mutation en cours. « La rĂ©novation imposera une rĂ©Ă©valuation partielle de certains de ses fondements : la thĂ©orie de lâĂ©quilibre gĂ©nĂ©ral, les analyses coĂ»ts-avantages, la dĂ©finitions Ă©troite des externalitĂ©s et les concepts trompeurs de productivitĂ© et de PIB. Et dâabord, il faudra modĂ©rer et mĂȘme remettre en cause lâobsession de lâefficience. Par dessus tout, les milieux dâaffaires vont devoir renoncer complĂštement Ă leur conception du monde naturel et Ă leur rapport avec lui» (p 222). « Pour commencer Ă remodeler la thĂ©orie Ă©conomique, le mieux nâest-il pas de suivre la dĂ©marche de lâĂąge de la rĂ©silience ? Celle qui est en train de sortir les autres discipline acadĂ©miques du marasme de la recherche scientifique traditionnelle essentielle Ă lâĂąge du progrĂšs ? ». Lâauteur prĂ©conise donc lâapproche des Ă©co-systĂšmes adaptatifs complexes qui « conçoit la recherche de façon fondamentalement diffĂ©rente de la mĂ©thode scientifique traditionnelle. PremiĂšrement, parce que cette derniĂšre procĂšde souvent en isolant un seul et unique phĂ©nomĂšne⊠DeuxiĂšmement, parce que la conception admise de la recherche scientifique est⊠en fait complĂštement biaisĂ©e⊠Le prĂ©jugĂ© implicite, câest dâexaminer le monde comme sâil Ă©tait fait dâun assortiment dâobjets passifs et mĂȘme inertes par nature, dont la capacitĂ© dâaction est faible ou nulle. TroisiĂšmement, la nature est souvent perçue comme un ensemble de « ressources » Ă exploiter au profit de la sociĂ©té » (p 223-224). A la diffĂ©rence de la recherche classique, dans la recherche sur les socio-systĂšmes adaptatifs, on passe : « des caractĂ©ristiques des parties aux propriĂ©tĂ©s systĂ©miques ; de systĂšmes fermĂ©s aux systĂšmes ouverts ; de la mesure Ă la dĂ©tection et Ă lâĂ©valuation de la complexitĂ©Â ; de lâobservation Ă lâintervention » (p 225). « Pour avancer, il faut que la visĂ©e de la recherche scientifique passe, du moins en partie, de la prĂ©diction Ă lâadaptation » (p 227).
Lâauteur Ă©voque la pensĂ©e du philosophe amĂ©ricain : John Dewey, fondateur du pragmatisme. Il fut « lâun des premiers penseurs Ă attirer lâattention sur les mĂ©rites de lâadaptativitĂ© en tant que mĂ©thode de recherche scientifique et de rĂ©solution de problĂšmes⊠Pour Dewey, celui ou celle qui veut comprendre une situation commence toujours son enquĂȘte en y participant activement, en faisant expĂ©rience directe du problĂšme quâelle pose et en subissant personnellement ses effets » (p 227). « LâadaptativitĂ© acquit un certaine influence au dĂ©but du XXe siĂšcle, mais elle a ensuite Ă©tĂ© submergĂ© par la croisade pour lâefficience » (p 228). Mais aujourdâhui, cette obsession de lâefficience est remise en cause. « Sur cette terre qui se rĂ©ensauvage, il nâest plus question de profiter (opportunitĂ©s infinies) mais de limiter les risques, et lâefficience commence Ă cĂ©der sa place Ă lâadaptativité » (p 228). Lâauteur examine ensuite les manifestations de ce courant visant Ă lâadaptativitĂ©. Câest un nouvel Ă©tat dâesprit. « La science Ă©conomique traditionnelle et les mĂ©canismes du capitalisme, en thĂ©orie comme en pratique, ne survivront pas sous leur forme actuelle Ă la transformation induite par le passage Ă la pensĂ©e des systĂšmes adaptatifs complexes⊠La pensĂ©e des systĂšmes adaptatifs complexes va Ă©galement nĂ©cessiter une rĂ©forme du monde universitaire⊠Il nâexiste quâune seule façon de comprendre ce qui se passe : adopter une approche interdisciplinaire du savoirâŠÂ » (p 231-232). Lâesprit humain se prĂȘte Ă ce changement. Câest ici que lâauteur met en Ă©vidence une dĂ©couverte rĂ©cente des anthropologues : « De nouvelles sĂ©ries de donnĂ©es environnementales indiquent quâhomo a Ă©voluĂ© sur fond de longues pĂ©riodes dâimprĂ©visibilitĂ© de son habitatâŠÂ ». Et ils prĂ©cisent : « Les facteurs essentiels au succĂšs et Ă lâexpansion du genre homo ont eu pour fondement la flexibilitĂ© de son systĂšme alimentaire dans des environnements imprĂ©visibles, car câest elle, avec la reproduction alimentaire et la flexibilitĂ© du dĂ©veloppement, qui a permis lâĂ©largissement gĂ©ographique et rĂ©duit les risques de mortalité ». Ainsi, un de ces chercheurs a pu Ă©crire : « Lâorigine du genre humain se caractĂ©rise par des formes dâadaptabilité » (p 253-254). On peut parler « dâingĂ©niositĂ© de lâespĂšce humaine ». JĂ©rĂ©mie Rifkin voit lĂ un encouragement. Comment faire face au rĂ©chauffement climatique ? « Câest la question fondamentale de notre Ă©poque. LâadaptabilitĂ© humaine aux changements brutaux du rĂ©gime climatique est notre point fort. Câest ce qui a fait de nous une des espĂšces les plus rĂ©silientes de la planĂšte. Au seuil de lâĂąge de la rĂ©silience, voilĂ peut-ĂȘtre la nouvelle la plus encourageante du moment » (p 235).
LâĂąge de la rĂ©silience : la fin de lâĂšre industrielle
JĂ©rĂ©mie Rifkin consacre la quatriĂšme partie du livre aux grands axes de changement qui forment la trame du nouvel Ăąge : lâinfrastructure de la rĂ©volution rĂ©siliente ; la montĂ©e en puissance de la gouvernance biorĂ©gionale ; une place croissante de la pairocratie distribuĂ©e dans la dĂ©mocratie reprĂ©sentative ; lâessor de la conscience biophile. Ces chapitres, Ă nouveau, sont riches et denses en informations et idĂ©es. Chacun de nous a conscience de ces grands mouvements. Câest pourquoi nous nous bornerons ici Ă un bref aperçu en renvoyant Ă une lecture approfondie du livre.
Une nouvelle infrastructure. Un nouveau paradigme Ă©conomique
JĂ©rĂ©mie Rifkin nous a dĂ©jĂ entretenu dans un livre prĂ©cĂ©dent âLe New Deal vert mondialâ, des transformations structurelles en train de se prĂ©parer (3). Il met ici lâaccent sur lâimportance des infrastructures. Elles sont « bien plus quâun simple Ă©chafaudage qui sert Ă rĂ©unir un grand nombre dâĂȘtres humains au sein dâune vie collective ». Elles associent en effet trois facteurs majeurs : « de nouvelles formes de communication, de nouvelles sources dâĂ©nergie et de nouveaux moyens de transport et de logistique ». « Quand ces trois avancĂ©es techniques apparaissent et fusionnent en une seule et mĂȘme dynamique, elles changent radicalement la façon dont on communique » (p 239). Et lâauteur ajoute quâelles ont elles-mĂȘmes une influence sur lâensemble de la vie collective. « On assimile trĂšs justement ces structures Ă de vastes « organismes sociaux ». Ce sont des systĂšmes auto-organisĂ©s qui agissent comme une totalitĂ© unique ».  « Les grandes rĂ©volutions infrastructurelles changent la nature de lâactivitĂ© Ă©conomique, la vie sociale, et les formes de gouvernementâŠÂ » (p 240). Ainsi aprĂšs les infrastructure du XIXe siĂšcle (charbon, machine Ă vapeur, rĂ©seau ferrĂ©, tĂ©lĂ©graphe), puis du XXe siĂšcle (rĂ©seau Ă©lectrique centralisĂ©, tĂ©lĂ©phone, radio et tĂ©lĂ©vision, voitures, avions, rĂ©seaux routiers, aĂ©rodromes), « aujourdâhui, nous sommes au cĆur dâune troisiĂšme rĂ©volution industrielle. LâInternet numĂ©risĂ© de communication haut dĂ©bit converge avec un Internet numĂ©risĂ© continental de lâĂ©lectricitĂ©, alimentĂ© par les Ă©nergies solaire et Ă©olienne ». Une Ă©nergie verte est revendue Ă lâinternet continental. « Actuellement, ces deux internets numĂ©risĂ©s convergent avec un troisiĂšme : lâInternet numĂ©risĂ© de la mobilitĂ© et de la logistique ». Câest la part des vĂ©hicules Ă©lectriques. « Ces trois Internets vont progressivement partager un flux continu de donnĂ©es et dâanalyses de ces donnĂ©es⊠A lâĂšre qui vient, on va rĂ©nover les immeubles Ă des fins dâĂ©nergie et de rĂ©silience climatiqueâŠÂ ». Ce seront des « immeubles intelligents » (p 241-242).
« Les infrastructures des deux premiĂšres rĂ©volutions industrielles ont Ă©tĂ© conçues pour opĂ©rer en pyramide, de haut en bas, et pour fonctionner au mieux lorsquâelles Ă©taient enveloppĂ©es par plusieurs couches de droits de propriĂ©tĂ© matĂ©rielle et intellectuelle ». Les infrastructures des deux premiĂšres rĂ©volutions industrielles ont Ă©tĂ© propulsĂ©es, pour lâessentiel, par des Ă©nergies fossiles. Elles ont donnĂ© lieu Ă des engagements militaires. Au contraire, lâinfrastructure de la nouvelle rĂ©volution industrielle est conçue pour ĂȘtre distribuĂ©e et non centralisĂ©e. Elle fonctionne mieux quand elle reste ouverte et transparenteâŠÂ ». « Elle est conçue pour sâĂ©tendre latĂ©ralement et non verticalement ». (p 244). Lâauteur reconnait la prĂ©sence actuelle dâoligopoles mondiaux dans ce champ. Cependant il estime que lâĂ©volution Ă venir ne va pas dans le sens de la centralisation (p 245).
Des transformations majeures adviennent. « Bien quâelle soit encore dans sa petite enfance, lâĂ©conomie du partage distribuĂ©e et interconnectĂ©e par le numĂ©rique constitue un nouveau systĂšme Ă©conomique. Câest le premier Ă entrer en scĂšne depuis le capitalisme au XVIIIe siĂšcle et le socialisme au XIXe siĂšcle – encore un signe qui montre Ă quel point le nouvel ordre Ă©conomique Ă©mergent se distingue de ce que nous avons connu sous le capitalisme industriel » (p 250). Le PIB, par exemple, perd de plus en plus son rĂŽle dâindicateur de la performance Ă©conomique. Le monde entier est concernĂ©. « En 2020, des milliards dâĂȘtres humains avaient un smartphone, et chacun de ses appareils possĂ©dait une puissance de calcul supĂ©rieure Ă celle qui avait envoyĂ© des astronomes sur la Lune⊠LâhumanitĂ© se connecte Ă un multitude de plateformes pour jouer, travailler, entretenir des relations » (p 251).
Dans ce chapitre, JĂ©rĂ©mie Rifkin nous ouvre sans cesse de nouveaux horizons. Nous entrons dans un nouvel univers Ă©conomique et social. « Quand nous dressons la liste de tous les changements induits par le passage Ă une infrastructure numĂ©rique intelligente de troisiĂšme rĂ©volution industrielle, lâĂ©normitĂ© de ce qui se profile suggĂšre une transformation radicale de notre idĂ©e de la vie Ă©conomique. Elle va passer de la propriĂ©tĂ© Ă lâaccĂšs, des marchĂ©s « acheteurs-vendeurs » aux rĂ©seaux « fournisseurs-utilisateurs » ; des bureaucraties analogiques aux plateformes numĂ©riquesâŠÂ ; du capital financier au capital naturel ; de la productivitĂ© Ă la rĂ©gĂ©nĂ©rativitĂ©Â ; de processus linĂ©aires aux processus cybernĂ©tiques ; des externalitĂ©s nĂ©gatives Ă la circularitĂ©Â ; des Ă©conomies dâĂ©chelle de lâintĂ©gration verticale Ă celles de lâintĂ©gration latĂ©rale ; des chaines de valeur centralisĂ©es aux chaines de valeurs distribuĂ©es ; du produit intĂ©rieur brut aux indicateurs de qualitĂ© de vie ; de la globalisation Ă la glocalisation ; des conglomĂ©rats de sociĂ©tĂ©s transnationales aux agiles PME opĂ©rant sur de simples rĂ©seaux blockchains glocaux et de la gĂ©opolitique Ă la politique de la biosphĂšre ». Ces rĂ©alitĂ©s nouvelles sâexpriment souvent dans des termes techniques, un nouveau langage et une nouvelle rĂ©alitĂ© Ă dĂ©couvrir dans ce chapitre.
Dans une conjoncture qui nous paraßt si menaçante, Jérémy Rifkin introduit un nouveau regard : « Nous assistons à un saut extraordinaire dans un nouveau paradigme économique. Au début de la décennie 2040, il ne sera probablement plus perçu comme une troisiÚme révolution industrielle fonctionnant sur un modÚle économique strictement capitaliste. Notre société mondiale commence à sortir des deux cent cinquante années de révolution industrielle et à se tourner vers une Úre nouvelle. Le mieux est de la nommer : « révolution résiliente » » (p 255).
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Nouvelles formes de gouvernance
Les transformations nĂ©cessitĂ©es par la politique Ă©cologique requiert Ă©galement de nouvelles formes de gouvernance. Lâauteur envisage ainsi la montĂ©e en puissance dâune gouvernance biorĂ©gionale. Les accidents climatiques appellent des « mobilisations en terme de âgouvernance des communsâ oĂč lâinvestissement personnel est bien plus fort » (p 267). Certes des fractures apparaissent actuellement dans les sociĂ©tĂ©s. Mais lâauteur dĂ©veloppe une approche prospective.
Les rĂ©gions rurales longtemps dĂ©valorisĂ©es vont rĂ©-Ă©merger. Elles ont souvent des atouts en termes de potentiel solaire et Ă©olien. Mais surtout, elles sont Ă mĂȘme dâaccueillir la nouvelle Ă©conomie de partage distribuĂ©e et interconnectĂ©e par le numĂ©rique. « Les start up technologiques intelligentes peuvent opĂ©rer dans les bourgs et petites villes des zones rurales oĂč les prix de lâimmobilier et les frais gĂ©nĂ©raux sont moins Ă©levĂ©s, tout en restant compĂ©titives sur les marchĂ©s « glocaux » (p 270). On observe par ailleurs une migration dans laquelle certains quittent les grandes villes pour sâinstaller dans les campagnes dans un mode de vie plus naturel ».
RĂ©cemment, « la communautĂ© scientifique a posĂ© le cadre dâune gouvernance biorĂ©gionale en appelant à « rĂ©ensauvager » ou « reruraliser » la moitiĂ© de la terre » (p 276) en vue notamment de lutter contre la disparition des espĂšces et des Ă©cosytĂšmes. Lâaccent est mis sur lâimportance des forĂȘts naturelles dans le maintien de la biodiversitĂ© et la rĂ©tention et le stockage du carbone. Lâauteur identifie des « bio rĂ©gions » quâon peut envisager « en termes sociaux, psychologiques et biologiques », avec lâidĂ©e de « vivre en un lieu » et en entendant par lĂ Â : « une sociĂ©tĂ© vivant en Ă©quilibre avec la rĂ©gion qui la soutient Ă travers les liens entre les vies humaines, les autres ĂȘtres vivants et les processus de la planĂšte â les saisons, le climat, les cycles de lâeau » (p 280). Lâauteur en donne des exemples aux Etats-Unis et il met en lumiĂšre lâavĂšnement dâune « gouvernance biorĂ©gionale » (p 176).
Participation et association
Nous observons aujourdâhui un « dĂ©litement de la cohĂ©sion sociale » (p 295). Le mĂ©contentement monte et la mĂ©fiance sâaccroĂźt . Une enquĂȘte menĂ©e en 2020 dans 28 pays constate que 66% de citoyens nâont pas confiance dans leur gouvernement actuel (p 295). Des remous, de grands changements mal interprĂ©tĂ©s suscitent lâinquiĂ©tude. La violence monte. Ces menaces appellent un renouvellement de la gouvernance Ă travers une participation accrue des citoyens. Ainsi un chapitre est intitulĂ©Â : « La dĂ©mocratie reprĂ©sentative fait une place Ă la pairocratie (le rĂŽle des pairs) dans la dĂ©mocratie reprĂ©sentative » (p 289). « Une jeune gĂ©nĂ©ration commence Ă tempĂ©rer la dĂ©mocratie reprĂ©sentative avec ses succĂšs, ses espoirs déçus et ses insuffisances en y mĂȘlant une forme dâaction politique horizontale, latĂ©rale, plus large, plus inclusive, qui insĂšre les communautĂ©s locales au sein des Ă©cosystĂšmesâŠÂ ». « Cette nouvelle identitĂ© politique Ă©mergente sâaccompagne dâun engagement militant direct dans la gouvernance⊠Chaque citoyen devient partie intĂ©grante du processus de gouvernement⊠Des assemblĂ©es citoyennes apparaissent. Leurs membres se rĂ©unissent entre Ă©gaux, entre pairs, travaillant parallĂšlement aux autoritĂ©s en donnant des avis, conseils et recommandations⊠Ces assemblĂ©es de pairs horizontalisent la prise de dĂ©cision en assurant lâengagement actif des citoyens dans la gouvernance. La dĂ©mocratie reprĂ©sentative fait une place Ă une « pairocratie » distribuĂ©e comme la gouvernance locale fait une place Ă une gouvernance biorĂ©gionale en ces temps oĂč les citoyens se regroupent pour rĂ©agir aux dĂ©fis comme aux opportunitĂ©s de sauvegarde de leur biorĂ©gion » (p 289-290). De nombreuses expĂ©riences apparaissent : budget participatif, contrĂŽle local sur les Ă©coles ou sur la police ».
JĂ©rĂ©mie Rifkin inscrit son Ă©tude dans une rĂ©flexion historique sur la conception et la pratique de la libertĂ© dans la pĂ©riode moderne en Occident et la vision de nouvelles gĂ©nĂ©rations pour lesquelles « la libertĂ© est affaire dâaccĂšs et dâinclusivitĂ© et non dâautonomie et dâexclusivitĂ©. Ils mesurent leur libertĂ© au degrĂ© auquel ils peuvent accĂ©der et participer aux plateformes qui prolifĂšrent sur toute la planĂšte. LâinclusivitĂ© quâils ont Ă lâesprit est latĂ©rale et trĂšs Ă©tendue : elle englobe souvent le genre, lâethnie, lâorientation sexuelle et mĂȘme le lien avec les autres ĂȘtres vivants sur une planĂšte en vie » (p 292). Lâauteur note « lâarrivĂ©e Ă maturitĂ© des organisations de la sociĂ©tĂ© civile⊠Ces organisations sont des mouvements sociaux, des entreprise Ă©conomiques et aussi de nouvelles formes de proto-gouvernance qui font entrer les citoyens sur la scĂšne politique » (p 300-301).
Conscience biophileÂ
Selon JĂ©rĂ©my Rifkin, la grande dynamique Ă lâĆuvre pour promouvoir lâĂąge de la rĂ©silience sâinscrit dans le dĂ©veloppement dâune « conscience biophile ». Ce chapitre mĂ©riterait une analyse spĂ©cifique qui ne peut ĂȘtre engagĂ©e dans le cadre de cette prĂ©sentation.
Lâauteur commence par exposer les recherches de John Bowlby sur lâattachement. PrivĂ©s de tendresse, de jeunes enfants dĂ©pĂ©rissent. Depuis lâintuition initiale de Bowlby sur le rĂŽle que joue le comportement dâattachement, des chercheurs ont examinĂ© de plus prĂšs notre constitution biologique en cherchant Ă comprendre les mĂ©canismes de la pulsion empathique profondĂ©ment intĂ©grĂ©s Ă nos circuits neuronaux. Ils ont ainsi dĂ©couvert quâau cĆur mĂȘme de notre ĂȘtre â et câest ce qui rend notre espĂšce si spĂ©ciale â un Ă©lan biologique innĂ© nous pousse Ă avoir de lâempathie pour « lâautre » (p 322). Comme il lâa dĂ©jĂ Ă©tudiĂ© dans un livre prĂ©cĂ©dent sur lâempathie (4), lâauteur revient ici sur ce thĂšme. Dans une rĂ©trospective historique, il inscrit lâempathie dans une dimension sociale. « LâĂ©lan empathique nâest pas seulement liĂ© aux pratiques Ă©ducatives vĂ©cues par lâenfant,⊠lâempathie change aussi au cours de lâhistoire, elle est Ă©troitement mĂȘlĂ©e Ă lâĂ©volution de la sociĂ©té ». « Lâinfrastructure de chaque civilisation apporte un paradigme Ă©conomique qui lui est propre, un nouvel ordre social. Elle sâaccompagne aussi dâune vision du monde, dâun grand rĂ©cit auquel la population peut prĂȘter allĂ©geance. Elle permet, Ă chaque fois, dâĂ©largir la solidaritĂ© empathique, qui peut englober et unir Ă©motionnellement les diverses populationsâŠÂ » (p 326). Lâauteur Ă©voque ainsi des civilisations successives. Il y voit des « expansions de lâempathie » sans mĂ©connaitre « les reculs et les retours au passĂ©, ce grand flĂ©au de lâhistoire de lâhumanité » (p 331).
Il perçoit aujourdâhui lâapparition dans la jeune gĂ©nĂ©ration dâ« une nouvelle famille biologique plus inclusive. La conscience biophile Ă©merge Ă peine. Elle sera probablement le grand rĂ©cit qui va dĂ©finir lâAge de la rĂ©silience en un temps oĂč dĂ©bute lâentrĂ©e de lâhumanitĂ© en empathie avec les autres vivants » (p 332). Aujourdâhui, lâhumanitĂ© a besoin de se « rĂ©affilier Ă la nature » (p 332). Les urbains ont besoin de se reconnecter avec le vivant de telle maniĂšre que Anne-Sophie Novel nous en indique le chemin (5). Et lâauteur dĂ©crit les initiatives pour permettre aux enfants de se familiariser avec le monde naturel, comme, par exemple, les classes de nature. Au total, nous sommes appelĂ©s Ă un changement de perspective ; « Lâuniversalisation de la biophilie fait passer le rĂ©cit humain dâune obsession de lâautonomie Ă un attachement au relationnel. La formule classique de RenĂ© Descartes, « Je pense, donc je suis », est dĂ©jĂ du passĂ©, car la jeune gĂ©nĂ©ration qui grandit dans des mondes virtuels… structurĂ©s par des couches dâinterconnexion horizontale lui prĂ©fĂšre une autre maxime : « Je participe, donc jâexiste » (p 352). « LâinterprĂ©tation interactive de la nature, comme de celle de la nature humaine, impose de repenser radicalement le discours philosophique et politique qui a fondĂ© lâĂąge du progrĂšs » (p 353). « Deux siĂšcles avant que le concept de conscience biophile soit introduit par E O Wilson, le grand philosophe et savant allemand Johan Wolfgang von Goethe propose de faire de la conscience biophile un contre-rĂ©cit opposable Ă lâunivers mort, rationnel, mĂ©canique que dĂ©crit la vision stĂ©rile de Newton. Goethe est persuadĂ© que la personnalitĂ© de chacun, de chacune â et sa rĂ©silience â est un matĂ©riau composite, fait des relations qui la tissent ou le tissent Ă lâintĂ©rieur mĂȘme de lâĂ©toffe de la vie ». Il envisage la nature comme « toujours changeante, en flux continuel. » (p 355). « Goethe ressent et vit lâexpĂ©rience empathique avant que ce sentiment reçoive un nom. « Me mettre dans la situation des autres, comprendre toute espĂšce dâindividualitĂ© humaine et mây intĂ©resser, Ă©crit-il, câest affirmer lâunitĂ© de la vie. Ătre « dans lâensemble » : pour Goethe, cet Ă©lan ne sâarrĂȘtait pas aux limites de notre espĂšce, mais sâĂ©tendait Ă la totalitĂ© de la nature » (p 356).
Face aux menaces qui nous inquiĂštent et nous embrouillent, dans une rĂ©alitĂ© complexe qui rend difficile notre discernement, nous recherchons Ă©clairages et chemins. La vision de JĂ©rĂ©mie Rifkin nous apporte un Ă©clairage auquel nous ajouterons pour notre part une dimension spirituelle telle que nous la dĂ©couvrons dans le livre de Michel Maxime Egger : « Ecospiritualité » (6). JĂ©rĂ©mie Rifkin nous propose aussi un chemin. La prise de conscience des mĂ©faits de lâhĂ©ritage de lâĂąge du progrĂšs dĂ©bouche sur la mise en Ćuvre de nouveaux atouts en terme de nouveaux savoirs, de nouvelles pratiques et de nouvelles valeurs. Dans ce livre comme dans ses prĂ©cĂ©dents, JĂ©rĂ©my Rifkin nous ouvre une nouvelle maniĂšre de voir.
J H
- JĂ©rĂ©my Rifkin. LâĂąge de la rĂ©silience. La terre se rĂ©ensauvage. Il faut nous rĂ©inventer. Les liens qui libĂšrent, 2022
- La TroisiÚme révolution industrielle : https://vivreetesperer.com/face-a-la-crise-un-avenir-pour-l%e2%80%99economie/
- Le New Deal Vert : https://vivreetesperer.com/le-new-deal-vert/
- Vers une civilisation de lâempathie : https://www.temoins.com/vers-une-civilisation-de-lempathie-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkinapports-questionnements-et-enjeux/
- Comment nous reconnecter au vivant, à la nature ? : https://vivreetesperer.com/comment-nous-reconnecter-au-vivant-a-la-nature/
- Ecospiritualité : https://vivreetesperer.com/ecospiritualite/
par jean | Août 4, 2020 | ARTICLES, Expérience de vie et relation |
A travers un service du courrier, Obama, président, dialogue avec les citoyens américains.
pour rĂ©pondre aux besoins, encore faut-il Ă©couter leur expression. Cette Ă©coute est nĂ©cessaire pour identifier les besoins dans toute la complexitĂ© humaine dans laquelle elle se manifeste. Câest bien lĂ la tache essentielle des Ă©lus et Ă©videmment du premier dâentre eux, le prĂ©sident. Certes, il y a diffĂ©rentes maniĂšres dâidentifier et dâanalyser les besoins, par exemple une enquĂȘte, une expression des mĂ©dia, mais rien ne remplace une Ă©coute directe des gens. Et plus gĂ©nĂ©ralement, la participation appelle le dialogue. Cette expression des citoyens peut prendre diffĂ©rentes formes. Un livre rĂ©cent (1) vient aujourdâhui nous prĂ©senter une expĂ©rience : le service du courrier qui recevait des milliers de lettres adressĂ©es au prĂ©sident Obama par des citoyens amĂ©ricains.
Le service du courrier
 Tout au long de lâhistoire amĂ©ricaine, il y a toujours eu des citoyens qui ont Ă©crit au prĂ©sident . Mais cette correspondance sâest considĂ©rablement amplifiĂ©e au cours du temps. Et le service a pris un importance majeure avec lâarrivĂ©e dâObama Ă la prĂ©sidence . Ce dĂ©veloppement sâinscrit dans la vague militante qui a portĂ© et accompagnĂ© lâĂ©lection. Ainsi, la participation Ă cette entreprise tĂ©moigne dâune forte mobilisation, dâun engagement comme celui de Fiona devenue responsable de ce service.
« Au total, le service de la correspondance prĂ©sidentielle ou OPC comme tout le monde lâappelait, requĂ©rait lâaction coordonnĂ©e de 50 employĂ©s, de 36 stagiaires et dâune armĂ©e de 300 volontaires se relayant pour faire face Ă la dizaine de millier de lettres et de messages quotidiens. Il appartenait Ă Fiona en tant que directrice de lâopĂ©ration de faire tourner la boutique » (p 86). Ces lettres parlent des rĂ©alitĂ©s de la vie qui interpellent le prĂ©sident. Ces messages sont lus attentivement et cotĂ©s selon le sujet choisi en vue dây apporter une rĂ©ponse. Cependant la grande affaire, câest de choisir chaque jour dix lettres auxquelles le prĂ©sident rĂ©pondra.
Si la crĂ©ation du service a Ă©tĂ© prĂ©cĂ©dĂ©e par une lente Ă©volution, si elle est advenue dans un grand moment politique, elle est dâabord la rĂ©sultante dâune volontĂ© personnelle, celle du prĂ©sident Barack Obama. Le service a Ă©tĂ© organisĂ© par des hommes qui lâont accompagnĂ© dans sa dĂ©marche politique. Et sa dĂ©cision de lire chaque jour dix lettres et dây rĂ©pondre, a Ă©tĂ© emblĂ©matique.
Barack Obama
Barack Obama a surgi dans lâhistoire amĂ©ricaine comme la rĂ©ponse Ă une espĂ©rance que puissent hommes et femmes ĂȘtre respectĂ©s dans leur originalitĂ© personnelle et leur existence sociale et politique. Dans son accession Ă la prĂ©sidence, Barack Obama a apportĂ© une rĂ©ponse : « Yes, we can ». Oui , nous pouvons. Son Ă©lection nous est apparue comme un tournant dans lâhistoire des Etats-Unis (2), une ouverture pour le monde. Aussi, Ă plusieurs reprises, avons-nous Ă©voquĂ©, sur ce blog, les activitĂ©s et les expressions de ce prĂ©sident (3). Lâattention quâObama a portĂ© au courrier lors de sa prĂ©sidence est une manifestation de son empathie et de son engagement au service de lâhumain. Câest une facultĂ© dâĂ©coute permettant une meilleure identification des besoins et, donc, une capacitĂ© dây rĂ©pondre. Ainsi, nous dit-il, « Ce serait un exercice intĂ©ressant dâidentifier le nombre dâinitiatives⊠dont la plupart Ă©taient de portĂ©e limitĂ©eâŠ. qui aboutirent Ă une modification ou qui provoquĂšrent au moins une discussion sur la maniĂšre dont nous fonctionnons. Un nombre non nĂ©gligeable , je pense » (p 196). Certaines lettres ont suscitĂ© des rĂ©actions visibles. « Je me rappelle une rencontre. Une merveilleuse famille. Un pĂšre et une mĂšre relativement jeunes avec deux enfants, et, au moment oĂč je suis arrivĂ©, la mĂšre a fondu en larmes. Elle mâa serrĂ© dans ses bras et dit : « Si on est ici, câest grĂące Ă vous ». Jâai rĂ©pondu : « Comment ça ? ». « Mon mari ici prĂ©sent a servi dans lâarmĂ©e et souffrait dâun syndrome post-traumatique assez grave et je craignais quâil nâen sorte pas, mais vous avez demandĂ© Ă lâadministration des vĂ©tĂ©rans de nous appeler directement et câest ce qui lâa conduit Ă se faire soigner ». Câest le genre dâoccasions qui nous rappelle que cette fonction a quelque chose de spĂ©cial » (p 196). « Quand les gens reçoivent une rĂ©ponse, ils ont le sentiment que leurs vies et leurs prĂ©occupations ont de lâimportance. Et ça, ça peut changer dans une faible mesure, et parfois plus largement, le regard quâils portent sur la vie » (p 196). Parce quâObama portent un profond respect aux gens, les gens le ressentent, et lui expriment une considĂ©ration qui va jusquâĂ lui faire part de leur Ă©volution personnelle. « Parfois les gens me font part  dâune forme de transformation quâils ont vĂ©cu. Il y a plusieurs lettres de personnes me confiant avoir grandi dans des familles se mĂ©fiant des personnes dâune origine diffĂ©rente, dâun autre milieu. Les lettres me relatent lâĂ©volution que leurs auteurs ou leurs proches ont connue aprĂšs avoir constatĂ© que lâimage dâeux quâon leur renvoyait nâĂ©tait pas celle quâils imaginaient » (p197).
Parce quâObama respecte profondĂ©ment les gens et que ceux-ci peuvent lui manifester du respect en retour, il peut se crĂ©er une forme de communautĂ© en retour. Ainsi Ă©crit Obama : « Les lettres qui me tiennent Ă cĆur sont, je crois, celles qui opĂšrent des liens, qui parlent de la vie des gens, de leurs valeurs, de ce qui leur importe » (p 197). Cette attention tĂ©moigne dâune confiance et dâune bienveillance dont fait preuve le prĂ©sident : « Ces lettres disent que les gens sont pleins de bontĂ© et de sagesse. Il suffit dây faire attention. Ce qui est parfois difficile de faire quand on est Ă lâintĂ©rieur dâune bulle, mais cette petite porte me lâaura rappelĂ© chaque jour » (p 207).
Les lettres : une expression de la vie américaine dans toute sa diversité
Ce livre publie ainsi un grand nombre de lettres par pĂ©riodes chronologiques. Si elles comportent telle interprĂ©tation ou telle louange, elles sâappuient gĂ©nĂ©ralement sur une expression de la vie de ceux qui Ă©crivent. Câest un recueil de rĂ©cits de vie qui tĂ©moignent de la diversitĂ© des situations. Certes, il y a des inflexions dans les contenus. Lorsque Obama accĂšde Ă la prĂ©sidence, il doit faire face Ă une grave rĂ©cession. Il y a du chĂŽmage. Beaucoup de gens souffrent dans leurs conditions de vie. Et comme le redressement ne peut ĂȘtre immĂ©diat, on entend une plainte et parfois une dĂ©ception.
Cependant, il y a aussi ds demandes plus classiques. « Il y a des lettres rĂ©currents comme celles des anciens combattants demandant de lâaide, celles des jeunes accablĂ©s par des dettes rĂ©currentes essayant de savoir sâils sont Ă©ligibles Ă une aide ou une autre, des militaires ou des familles de militaires aux prises avec une dĂ©cision du dĂ©partement de la dĂ©fense⊠» (p 195). « La loi sur la protection de patients et des soins abordables » surnommĂ©e « Obamacare », a suscitĂ© un courrier abondant. Des vies ont Ă©tĂ© sauvĂ©es.
Bien souvent, ces lettres tĂ©moignent dâune expĂ©rience de vie originale. Elles expriment des prises de conscience auxquelles le prĂ©sident est associĂ© parce quâelles soutiennent des causes quâil soutient ou des pistes quâil ouvre . Ces lettres couvrent un champ trĂšs vaste. Des valeurs sây expriment, le meilleur de lâidĂ©al amĂ©ricain tel que Barack Obama en tĂ©moigne. En voici quelques exemples.
Des récits de vie
Ces lettres en grand nombre portent toutes un message. Et, pour chacune dâelle, lâauteure nous permet de la situer dans son contexte et de percevoir le dialogue qui sâĂ©tablit entre les personnes et le prĂ©sident. Ce livre nous apporte un ensemble de rĂ©cits de vie qui nous rapportent les problĂšmes, Ă©conomiques, sociaux er culturels vĂ©cus par des amĂ©ricains et les idĂ©aux qui les animent.
Marnie Hazelton
Marnie Hazelton, mĂšre cĂ©libataire, quinquagĂ©naire, a derriĂšre elle une tradition familiale qui lâengage dans « une vie de service », des parents et des grands-parents afro-amĂ©ricains, « Elle Ă©tait la derniĂšre reprĂ©sentante dâune histoire marquĂ©e par le courage et la lutte » (p 165). Puis, elle devient enseignante dans des Ă©coles dĂ©favorisĂ©es Ă New-York. Câest un idĂ©al qui la pousse. En 2011, elle Ă©coute attentivement le dernier discours dâObama sur lâĂ©tat de lâUnion : « Ce qui aura le plus dâimpact sur la rĂ©ussite dâun enfant, câest lâhomme ou la femme qui se tient devant lui dans la salle de classe. A lâattention de tous les jeunes gens qui Ă©coutent ce soir et qui hĂ©sitent pour leur carriĂšre professionnelle, si vous voulez influer sur la vie dâun enfant, devenez enseignant. Votre pays a besoin de vous » (p 164). « Une bĂątisseuse de nation, une patriote, voilĂ ce quâelle Ă©tait » (p 164). HĂ©las la rĂ©cession avait frappĂ© les Etats-Unis et il fallait du temps pour que la politique dâObama porte tous ses fruits. A lâĂ©chelon local, il y a encore des coupes budgĂ©taires. Elle perd son emploi et entre alors dans une pĂ©riode difficile .
Câest alors quâelle dĂ©cide dâĂ©crire au PrĂ©sident Obama.
« Cher monsieur le Président
Mes parents reprĂ©sentent le meilleur de lâAmĂ©rique .
Mon pĂšre a servi. Ma mĂšre a rĂ©pondu Ă lâappel de John F Kennedy Ă servir ». Plusieurs des mes aĂŻeux ont combattu pour les Etats-Unis. « Jâai marchĂ© dans les pas de ma mĂšre et suis devenu enseignante. « Une bĂątisseuse de nation ».
Monsieur le PrĂ©sident, vous devez recevoir des milliers de lettres narrant les malheurs des chĂŽmeurs et il nây a pas grand chose que vous puissiez faire Ă lâĂ©chelle individuelle. Jâai perdu mon emploi parce que les fonds de relance attribuĂ©s aux Ă©coles sont Ă©puisĂ©s.
Jâaimerais que vous me disiez ce que je dois faire maintenant pour subvenir aux besoins de ma famille alors que le marchĂ© de lâemploi dans lâĂ©ducation est inondĂ© de milliers dâenseignants licenciĂ©s Ă cause des coupes budgĂ©taires et que jâai consacrĂ© les onze derniĂšres annĂ©es de ma vie Ă bĂątir la nation et Ă Ă©duquer les enfants de lâAmĂ©rique » (p 167). Elle fut trĂšs surprise de recevoir une rĂ©ponse personnelle du prĂ©sident : « Merci de votre dĂ©vouement Ă lâĂ©ducation. Je sais que la situation actuelle peut paraĂźtre dĂ©courageante, mais la demande pour des enseignantes et des personnes avec vos compĂ©tences grandira au fur et Ă mesure que la conjoncture et le financement des Ă©tats rebondiront. En attendant, je suis de tout cĆur avec vous » (p 170).
Cette phrase : « je suis de tout cĆur avec vous » alla droit au coeur de Marnie. La lettre du prĂ©sident lui redonna courage et lâaccompagna dans les Ă©pisodes qui ont suivi jusquâĂ la prĂ©senter dans un jeu tĂ©lĂ©visĂ©. Treize mois aprĂšs avoir Ă©tĂ© congĂ©diĂ©e, elle reçut la demande dâun district scolaire dans lequel elle avait dĂ©jĂ travaillĂ©. « RevigorĂ©e, rĂ©inventĂ©e, quand elle revint dans la salle de classe, elle montra Ă ses Ă©lĂšves le mot du prĂ©sident Obama. CâĂ©tait une occasion de leur apprendre quelque chose. Elle dit aux enfants : « Je suis de tout coeur avec vous ». Et elle lâa rĂ©pĂ©tĂ© Ă tout le monde autour dâelle. Finalement, elle devint directrice du district qui lâavait autrefois mise Ă pied.
Marjorie McKinney
MariĂ© Ă un gĂ©ologue de lâUniversitĂ© de Caroline du Nord, Marjorie avait aidĂ© son mari pendant toute sa carriĂšre. Cette association avait toujours reposĂ© sur un consentement mutuel.
« Ce jour, elle sâĂ©tait rendu Ă Albany pour collecter des images de fossile Ă la demande de Ken ». Pour regagner sa voiture, elle commença Ă sâengager dans une immense place devant le musĂ©e. « Il y avait une personne au loin qui se dirigea vers elle. Il avait lâair jeune. Il Ă©tait noir. Il portait un sweat Ă capuche . Dâun geste brusque, il rabattit la capuche masquant son visage ». Marjorie eut trĂšs peur avec une immense envie de fuir » . En arrivant en mĂȘme temps Ă la cage dâescalier, il la regarda. « DĂ©sagrĂ©able le vent, hein ! » dit-il, avant dâajouter quâil y avait un passage souterrain pour piĂ©tons qui reliait le musĂ©e au parking au cas oĂč elle ne le saurait pas. La prochaine fois quâil ferait froid, elle gagnerait peut-ĂȘtre Ă le prendre, suggĂ©ra-t-il. CâĂ©tait tout. Il Ă©tait parti. Un truc qui pouvait sembler anodin. Un truc banal ». Mais pour Marjorie, cela marqua une rupture dans sa reprĂ©sentation dâelle-mĂȘme. « Pourquoi avais-je eu peur de ce charmant jeune homme ? ». Tout simplement parce quâil Ă©tait noir . Je nâavais aucune raison dâavoir peur de lui. JâĂ©tais atterrĂ©e. Ce nâĂ©tait pas quelque chose que jâaurais cru ressentir un jour. Ce fut un tournant dans ma vie parce que je me suis rendu compte que jâĂ©tais raciste. Et il fallait que je trouve le moyen de mâen dĂ©barrasser » (p 209).
Une bonne partie du problĂšme pour Marjorie, câest quâelle pensait sâen ĂȘtre dĂ©barrassĂ©e (p 210). Et elle avait dĂ©jĂ parcouru un chemin en ce sens. En effet, elle avait vĂ©cu son enfance dans le sud profond, Birmingham Ă une Ă©poque oĂč le monde Ă©tait divisĂ© en deux : blanc ou noir. Cela paraissait naturel. Elle prit conscience de lâinjustice en rencontrant Ă lâuniversitĂ© un ami, un Ă©tudiant allemand beaucoup plus ĂągĂ© quâelle. Elle venait dâune ville oĂč rĂ©gnait une sĂ©grĂ©gation trĂšs dure. Son ami allemand lui expliqua le racisme, lâintolĂ©rance, la haine, lui parla de son pays, de sa vie, des jeunesses hitlĂ©riennes⊠« Elle le remercia pour tout ce quâil lui avait expliquĂ© Ă la cantine ce jour-lĂ et pour avoir donnĂ© une nouvelle orientation Ă sa vie. « Tu en avais besoin » lui dit-il » (p 218). DĂšs lors, « Marjorie sâengagea dans le mouvement des droits civiques. Toute sa vie, elle chercha Ă voir au delĂ de la race. Et, parmi ses enfants adoptĂ©s, deux dâentre eux Ă©taient mĂ©tis (p 212). « Imaginez un peu. Avec tout ce bagage, tout ce chemin parcouru avec Ken et les enfants. Et puis, elle est Ă Albany. Il fait froid. Et elle a dĂ©couvert ce puits de laideur installĂ© en en elle, tel un vers qui sâĂ©veille Ă la vie ». Ă la suite dâun fait divers mettant en Ă©vidence la persistance des sentiments racistes et dâun discours trĂšs digne dâObama Ă ce sujet. Elle dĂ©cida de lui Ă©crire. Elle lui raconta son parcours et lâincident quâelle avait vĂ©cu.
Monsieur le PrĂ©sident. JâespĂšre que dâautres personnes qui auront entendu vos paroles auront davantage conscience de la peur qui se tapit chez beaucoup dâentre nous. Elle est irrationnelle, mais elle est lĂ . JâespĂšre que jâaurais oubliĂ© cette course Ă Albany et le jeune homme rencontrĂ© par cette froide journĂ©e. Vos franches paroles de la semaine derniĂšre comptent beaucoup pour moi. Merci » (p 215).
La rĂ©ponse dâObama vint en ces termes : « Merci pour cette lettre murement rĂ©flĂ©chie. Votre histoire illustre ce qui me rend optimiste pour le pays ».
Yolanda
Aider les gens en dĂ©tresse Ă revenir dans une vie vivable et sociable, tel peut ĂȘtre un objectif bienfaisant de lâaction politique. Et il peut en rĂ©sulter une expression de gratitude. Yolanda fait partie de ceux qui ont luttĂ© pour vivre et savent reconnaĂźtre lâaide quâils ont reçue .
Yolanda « avait dĂ©jĂ Ă©crit il y a quelques annĂ©es pour parler au prĂ©sident de sa situation dâancienne combattante handicapĂ©e du fait quâelle vivait dans sa voiture et quâelle faisait constamment des cauchemars liĂ©s aux traumatismes sexuels subis pendant quâelle Ă©tait dans la marine. « Monsieur le prĂ©sident, vous et votre cabinet avez fait une dĂ©claration nationale pour que les Ă©tats travaillent Ă mettre fin au problĂšme des sans-abris. Je vous avais fait part de ma priĂšre silencieuse de vouloir devenir un membre productif de notre sociĂ©tĂ©, dâĂȘtre capable de vivre, dây payer un loyer, bref dây prendre part » (p 236). Or ce dĂ©sir a Ă©tĂ© exaucĂ©. « Câest avec des larmes de reconnaissance que je peux vous dire que jâai signĂ© aujourdâhui un bail au Veteranâs village pour deux piĂšcesâŠ.Aujourdâhui jâai pleurĂ© des larmes de joie. JâĂ©tais si fiĂšre de pouvoir leur donner le mandat postal pour le loyer⊠Tout ça, câest grĂące Ă vous et Ă votre administration. Je ne suis pas un numĂ©ro. Je ne suis pas une saletĂ© sur laquelle des gens crachent. Je ne suis pas oubliĂ©eâŠ. Jâai maintenant un endroit oĂč vivre, un chez moi. Je vais me montrer Ă la hauteur de ce don gracieux qui mâa Ă©tĂ© fait. Merci ! » (p 236). Une expression de dignitĂ© dans la gratitude et la confiance.
« Barack Obama et les citoyens américains en toutes lettres » (1), ce livre de Jeanne Marie Laskas, nous permet de partager à travers la publication de cette vaste correspondance, des centaines de lettres, une expression constructive et encourageante.
Si Obama rencontre des oppositions, il est en gĂ©nĂ©ral respectĂ©. Ces lettres manifestent un grand respect . Ainsi sâĂ©tablit une confiance rĂ©ciproque . Courage, dignitĂ© et confiance se manifestent dans ces rĂ©cits de vie. Cette lecture nâest pas seulement agrĂ©able. Elle communique la bienveillance qui sây exprime.
J H
par jean | Mar 18, 2018 | ARTICLES, Vision et sens |
 ReconnaĂźtre la prĂ©sence et lâĆuvre de lâEsprit
Si on reconnaĂźt de plus en plus lâinterconnexion qui caractĂ©rise notre univers et Ă laquelle nous participons, il y a dans cette prise de conscience un potentiel dâouverture par rapport Ă la perception dâune force transcendante, Ă lâĂ©coute dâune voix dâamour. Câest pourquoi, dans la sociĂ©tĂ© dâaujourdâhui, la prĂ©sence de lâEsprit peut davantage ĂȘtre reconnue.
En christianisme, en terme dâEsprit saint, lâEsprit est reconnu comme un acteur personnel de la communion divine et comme catalyseur et inspiration de lâEglise. Mais si ces termes sont approximatifs avec lâintention de parler Ă tous, nâest-ce pas dire ainsi combien nous avons besoin de mieux connaĂźtre et reconnaĂźtre lâEsprit divin. Nous trouvons cet Ă©clairage dans un livre que JĂŒrgen Moltmann, le thĂ©ologien de lâespĂ©rance, a consacrĂ© Ă lâEsprit saint sous un titre significatif : « LâEsprit qui donne la vie » (1).
Ce livre est pour nous une source dâinspiration qui Ă©claire notre existence. Comme lâĆuvre de JĂŒrgen Moltmann dans son ensemble, cet ouvrage ouvre des horizons multiples. Dans ce texte et selon Moltmann, nous nous interrogeons sur les barriĂšres qui ont fait obstacle Ă la reconnaissance de la place et de lâĆuvre de lâEsprit. DĂ©couvrons ces barriĂšres pour les dĂ©passer et entrer dans un processus bienfaisant. « Lâauteur cherche Ă Ă©laborer une thĂ©ologie de lâEsprit susceptible de dĂ©passer la fausse alternative, souvent rĂ©itĂ©rĂ©e dans les Eglises entre la RĂ©vĂ©lation divine quâelles ont pour mission de sauvegarder et les expĂ©riences humaines de lâEsprit. Il entend ainsi mettre en valeur les dimensions cosmiques et culturelles de lâEsprit « crĂ©ateur et recrĂ©ateur » qui transgresse toutes les frontiĂšres Ă©tablies » (page de couverture).
Par delĂ les barriĂšres
LâEsprit de Dieu est Ă lâĆuvre dans lâexpĂ©rience humaine par delĂ les exclusivismes institutionnels. Il nâest pas seulement lâEsprit de la rĂ©demption, mais aussi lâEsprit de la crĂ©ation. Il se dĂ©ploie malgrĂ© les limites Ă©rigĂ©es par des institutions inquiĂštes. Lâhistoire rĂ©cente nous montre cette tension. « Il ne peut ĂȘtre question dâun « oubli » de lâEsprit aux Temps modernes ; au contraire, le rationalisme et le piĂ©tisme des LumiĂšres furent tout aussi enthousiastes que le christianisme pentecĂŽtiste aujourdâhui. Ce furent les craintes des Eglises Ă©tablies Ă lâĂ©gard de « lâesprit de liberté » religieux aussi bien quâirrĂ©ligieux, du monde moderne qui conduisirent Ă une rĂ©serve de plus en plus grande en matiĂšre de doctrine de lâEsprit saintâŠSeul fut dĂ©clarĂ© « saint » cet Esprit qui est liĂ© Ă la mĂ©diation ecclĂ©siale et institutionnelleâŠÂ » (p 17). Encore aujourdâhui, dans certains cercles, on peut observer cet exclusivisme. « Dans la thĂ©ologie et la piĂ©tĂ© protestante, comme dans la thĂ©ologie et la piĂ©tĂ© catholique, il existe une tendance qui consiste Ă concevoir lâEsprit Saint uniquement comme lâEsprit de la rĂ©demption dont le lieu est lâEglise et qui donne aux hommes la certitude de la bĂ©atitude Ă©ternelle de leur Ăąme. Cet Esprit sauveur est mis Ă lâĂ©cart de la vie corporelle comme de la vie naturelle » (p 25).
Esprit de rédemption. Esprit de création
LâEsprit Saint nâest pas seulement rĂ©dempteur, mais aussi crĂ©ateur. « Si lâEsprit Saint Ă©tait seulement lâEsprit de lâEglise et de la foi, cela restreindrait « la communion de lâEsprit Saint » et aurait pour consĂ©quence que, dans son expĂ©rience de lâEsprit, lâEglise deviendrait incapable de communiquer avec le monde ».
Pourquoi cette conception rĂ©duite de lâĆuvre de lâEsprit ? Elle tient Ă©galement Ă une focalisation sur les expĂ©riences intĂ©rieures de lâĂąme dans une attitude marquĂ©e par lâinfluence de la philosophie platonicienne. Câest la perspective, non pas chrĂ©tienne, mais gnostique dâune Ăąme, Ă la mort, « libĂ©rĂ©e de cette vallĂ©e de larmes et de cette enveloppe corporelle caduque, et introduite dans le ciel des bienheureux ». En regard, lâEglise ancienne a adoptĂ© la rĂ©surrection de la chair. « Or, si la rĂ©demption est la rĂ©surrection de la chair et la crĂ©ation nouvelle de toutes choses, alors lâEsprit du Christ qui sauve ne peut ĂȘtre un autre esprit que lâEsprit crĂ©ateur quâest la « Ruah Yahweh » selon une expression hĂ©braĂŻque »⊠Il y a une unitĂ© entre lâagir de Dieu dans la crĂ©ation, la rĂ©demption et la sanctification de toutes chosesâŠLâEsprit rĂ©dempteur est aussi lâEsprit de la rĂ©surrection et de la crĂ©ation nouvelle de toutes chosesâŠÂ ».
Ainsi, « lâexpĂ©rience de la rĂ©surrection et la relation Ă la puissance divine ne conduisent pas Ă une spiritualitĂ© qui exclut les sens, qui est tournĂ©e vers lâintĂ©rieur, hostile au corps et sĂ©parĂ©e du monde, mais Ă une vitalitĂ© nouvelle de lâamour de la vie » (p 27).
Transcendance et immanence
Les reprĂ©sentations de Dieu ont naturellement une grande influence. Certaines reprĂ©sentations peuvent avoir une influence trĂšs nĂ©gative. Et on peut sâinterroger en se souvenant de la personne de JĂ©sus : «On reconnaĂźt lâarbre Ă ses fruits ». Ainsi, si on croit en un Dieu si transcendant quâil en devient inaccessible, on ne peut percevoir lâEsprit de Dieu dans lâexpĂ©rience humaine. Dans un contexte de dĂ©bat thĂ©ologique, pour le thĂ©ologien Karl Barth, « II nây avait pas de continuitĂ©Â entre la crĂ©ature et le crĂ©ateur, pas mĂȘme dans le souvenir quâa lâĂąme humaine de son origine, comme le disait Augustin » (p 22). La rĂ©vĂ©lation vient dâen haut et sâimpose Ă lâhomme. JĂŒrgen Moltmann sâinterroge sur cette discontinuitĂ© entre lâEsprit de Dieu et lâesprit de lâhomme. « Je ne parviens pas Ă percevoir dâalternative de principe entre la rĂ©vĂ©lation de Dieu Ă des hommes et lâexpĂ©rience de Dieu faite par des hommes. Comment un homme pourrait-il parler dâun Dieu si Dieu ne se rĂ©vĂšle pas ? Comment un homme pourrait-il parler dâun Dieu dont il nâexiste aucune expĂ©rience humaine ? » (p 22). Et il nous invite Ă percevoir la prĂ©sence de Dieu en terme dâimmanence et de transcendance. « Câest voir lâimmanence de Dieu dans lâexpĂ©rience humaine et la transcendance de lâhomme en Dieu. Parce que lâEsprit de Dieu est en lâhomme, lâesprit de lâhomme dans son autotranscendance est orientĂ© vers Dieu. Celui qui schĂ©matise rĂ©vĂ©lation et expĂ©rience en en faisant une alternative aboutit Ă des rĂ©vĂ©lations qui ne peuvent faire lâobjet dâune expĂ©rience et Ă des expĂ©riences dĂ©pourvues de rĂ©vĂ©lation » (p 24).
Pour une thĂ©ologie de lâexpĂ©rience
Lâaffirmation constante du lien de lâEsprit Ă lâinstitution ecclĂ©siale « a conduit Ă lâappauvrissement des communautĂ©s, Ă la dĂ©sertion des Eglise et Ă lâĂ©migration de lâEsprit vers les groupes spontanĂ©s et vers les expĂ©riences personnelles âŠLes hommes ne font pas lâexpĂ©rience de lâEsprit de façon extĂ©rieure seulement dans leur communautĂ© ecclĂ©siale, mais de façon intĂ©rieure dans lâexpĂ©rience quâils font dâeux-mĂȘmes Ă savoir dans le fait que « lâamour de Dieu a Ă©tĂ© rĂ©pandu dans nos cĆurs par lâEsprit saint⊠(Romains 5.5). Cette expĂ©rience personnelle de lâEsprit, beaucoup de personnes lâexpriment par de simples mots : « Dieu mâaime ». Ainsi JĂŒrgen Moltmann est amenĂ© Ă dĂ©velopper une thĂ©ologie de lâexpĂ©rience (p 37).
« Il nây a pas de paroles de Dieu sans expĂ©riences humaines de lâEsprit. Câest pourquoi les paroles de la Bible et les paroles de la prĂ©dication de lâEglise doivent ĂȘtre rĂ©fĂ©rĂ©s Ă©galement aux expĂ©riences des hommes dâaujourdâhui pour que ceux-ci ne soient pas seulement des auditeurs de la Parole (K Rahner), mais deviennent eux-mĂȘmes des locuteurs de la Parole⊠Mais cela nâest possible que si lâon voit la Parole et lâEsprit dans leur rapport mutuel et non pas comme une voie Ă sens unique » (p 18).
Une dimension cosmique
« Les recherches nouvelles conduisant Ă une « thĂ©ologie Ă©cologique », Ă une « christologie cosmique », et Ă la redĂ©couverte du corps ont pour point de dĂ©part la comprĂ©hension hĂ©braĂŻque de lâEsprit de DieuâŠ. LâexpĂ©rience de Dieu qui donne vie et qui est faite dans la foi du cĆur et dans la communion de lâamour conduit dâelle-mĂȘme au delĂ des frontiĂšres de lâEglise vers la redĂ©couverte de ce mĂȘme Esprit dans la nature, les plantes, les animaux et dans les Ă©cosystĂšmes de la terre ». Ainsi notre vision sâĂ©largit jusquâĂ une dimension cosmique. «LâexpĂ©rience de la communautĂ© de lâEsprit conduit nĂ©cessairement la chrĂ©tientĂ© par delĂ dâelle-mĂȘme, vers la communautĂ© plus grande de toutes les crĂ©atures de Dieu. La communion de la crĂ©ation, dans laquelle toutes les crĂ©ations existent les unes avec les autres, les unes pour les autres, les unes par les autre set les unes dans les autres, est la communion de lâEsprit saint » » (2). Câest une interpellation pour les Eglises. « Face Ă la menace dâune « fin de la nature », les Eglise dĂ©couvriront la signification cosmique du Christ et de lâEsprit ou bien se feront complices de la destruction de la crĂ©ation terrestre de Dieu. » . Câest un nouveau regard. « La dĂ©couverte de lâampleur cosmique de lâEsprit conduit au respect de la dignitĂ© de toutes les crĂ©atures dans lesquelles Dieu est prĂ©sent par son Esprit » (p 28).
La personnalitĂ© de lâEsprit
Bien entendu, nous nous posons la question : comment lâEsprit saint sâinscrit-il dans la rĂ©alitĂ© divine ? Câest une question qui a suscitĂ© de grands dĂ©bats thĂ©ologiques. Elle ne peut ĂȘtre exprimĂ©e ici en quelques lignes dâautant que nous sommes dĂ©pourvus dâexpertise thĂ©ologique. On se reportera donc au chapitre de JĂŒrgen Moltmann consacrĂ© Ă lâexpĂ©rience trinitaire de lâEsprit (p 90-113).
Dans son livre le plus rĂ©cent : « The living God and the fullness of life » (3), Moltmann dĂ©crit ainsi cette expĂ©rience trinitaire de Dieu : « La foi chrĂ©tienne est une vie en communion avec Christ. JĂ©sus, le fils de Dieu, appelle Dieu : Abba, cher pĂšre ». Dâautre part, en communion avec Christ, nous ressentons un encouragement Ă vivre, une puissance de guĂ©rison. Nous savons que nous sommes consolĂ©s et nous sommes en phase avec le grand oui de Dieu Ă la vie. Nous recevons ainsi les Ă©nergies de lâEsprit de Dieu. LâEsprit qui donne la vie « entre Ă flots dans nos cĆurs » (Rom 5.5)⊠(p 61). Nous faisons ainsi lâexpĂ©rience de ces trois dimensions dans la communion avec Christ. Nous vivons avec JĂ©sus, le Fils de Dieu et avec Dieu, le PĂšre de JĂ©sus-Christ et avec Dieu, lâEsprit de vie. Ainsi, nous ne croyons pas seulement en Dieu, nous vivons en Dieu, câest Ă dire dans lâhistoire trinitaire de Dieu avec nous » ( p 62).
Mais oĂč voyons-nous lâunitĂ© de Dieu ? « Elle Ă©merge de la relation interne entre Dieu le Fils, Dieu le PĂšre et lâEsprit de Dieu ». En chaque personne divine, nous voyons la prĂ©sence des autres. Elles sont ainsi tellement interreliĂ©es quâelles ne peuvent ĂȘtre sĂ©parĂ©es. Cette vĂ©ritĂ© est exprimĂ©e par JĂ©sus lorsquâil dit : « Le PĂšre et moi, nous sommes un » (Jean 16-30). Ce nâest pas seulement une unitĂ© de vouloir, câest aussi une interrelation : « Afin quâils puissent ĂȘtre un. Comme toi, PĂšre, est en moi, et moi en toi » (Jean 17-20). Câest une inhabitation rĂ©ciproque, un don mutuel. « LâidĂ©e israĂ©lite de la « Shekinah » et le concept patristique de la « perichoresis » sont des reprĂ©sentations de ces inhabitations rĂ©ciproques ». Cette communion sâĂ©tend Ă nous. « Lâamour est la vraie force qui dĂ©passe les frontiĂšres. Celui qui vit dans lâEsprit de Dieu vit en Dieu et Dieu en lui ou elle » (p 63). Au total, si on perçoit lâEsprit saint Ă travers ce quâil opĂšre, sa personnalitĂ© ne se comprend quâĂ partir de ses relations au PĂšre et au Fils. « Car lâĂȘtre-personne est toujours ĂȘtre-en-relation. Les relations qui constituent lâĂȘtre-personne de lâEsprit doivent ĂȘtre cherchĂ©es dans la Trinité » (LâEsprit qui donne la vie p 30).
Vers un monde nouveau
Les prophĂštes dâIsraĂ«l, EzĂ©chiel et JĂ©rĂ©mie, mettent en Ă©vidence lâaction transformatrice de lâEsprit. Ainsi JĂ©rĂ©mie Ă©crit : « Des jours viennent oĂč je conclurai avec la communautĂ© dâIsraĂ«l et la communautĂ© de Juda, une nouvelle alliance⊠Je dĂ©poserai la loi au fond dâeux-mĂȘmes lâinscrivant dans leur ĂȘtre. Je deviendrai Dieu pour eux et eux, ils deviendront mon peuple. Ils ne sâinstruiront plus entre eux, rĂ©pĂ©tant : « Apprenez Ă connaĂźtre le Seigneur », car ils me connaitront tous, petits et grands » (JĂ©rĂ©mie 31.31-33). « Ici la connaissance mĂ©diatisĂ©e cĂšde la place Ă la connaissance immĂ©diate, et le vouloir de Dieu mĂ©diatisĂ© cĂšde la place au vouloir qui va de soi. Cela suppose un avenir dans lequel Dieu lui-mĂȘme est manifestĂ© de façon immĂ©diate et universelle et dans lequel lâEsprit de Dieu pĂ©nĂštre Ă©galement les profondeurs du cĆur de lâhomme et leur donne vie » (p 87-88). Cette vision se rĂ©alise dans lâexpĂ©rience de la PentecĂŽte (4). « Les dons de lâEsprit sont rĂ©pandus sur le peuple entier si bien que sont abolis les privilĂšges traditionnels des hommes par rapport aux femmes, des maitres par rapport aux serviteurs et des adultes par rapport aux enfants »⊠« Quand Dieu deviendra dĂ©finitivement prĂ©sent par lâEsprit, le peuple tout entier deviendra un peuple prophĂ©tique ». Et, comme il est aussi Ă©crit, « Je rĂ©pandrai mon Esprit sur toute chair », cette expression « toute chair » va au delĂ du genre humain et induit tout ce qui est vivant âŠLâeffusion de lâEsprit de Dieu conduit par consĂ©quent Ă la nouvelle naissance de toute vie et de la communautĂ© de tout ce qui est vivant sur la terre » (p 88) .
Câest ainsi que JĂŒrgen Moltmann peut nous ouvrir un horizon qui nous transporte dans un espace oĂč les barriĂšres sâeffacent et ou une communion universelle apparaĂźt.
« LâexpĂ©rience de Dieu qui est attendue de la venue de lâEsprit est
1 Universelle. Elle nâest pas particuliĂšre, mais se rapporte Ă toute chair selon les dimensions de la crĂ©ation.
2 Totale. Elle nâest plus partielle, mais opĂšre dans le cĆur de lâhomme, dans les profondeurs de lâexistence humaine
3 Permanente. Elle nâest plus historique et passagĂšre, mais Ă©voquĂ©e comme le « repos » et « lâhabitation » de Dieu
4 ImmĂ©diate. Elle nâest plus mĂ©diatisĂ©e par la rĂ©vĂ©lation et la tradition, mais fondĂ©e sur la rĂ©vĂ©lation de Dieu et sa gloire » ( p 88).
Au terme de ce parcours, nous pouvons demander comment il sera reçu non seulement par les lecteurs croyants, mais aussi par les lecteurs en attente. En effet, chez certains de nos contemporains, nous pouvons observer un dĂ©sir de communion et dâunitĂ©, une recherche de transformation intĂ©rieure dans lâamour allant de pair avec une reconnaissance du vivant dans la nature.
Dans ce texte, nous voyons comment la pensĂ©e thĂ©ologique de JĂŒrgen Moltmann dĂ©passe un hĂ©ritage de divisions pour relier des rĂ©alitĂ©s jusque lĂ sĂ©parĂ©es, dans une perspective dâunification Ă la lumiĂšre dâun Dieu, communion dâamour et puissance de vie. LâEsprit saint est un Esprit qui donne la vie. Il Ă©chappe Ă tout exclusivisme clĂ©rical. En tant quâEsprit de crĂ©ation, il est Ă lâĆuvre dans tous les ĂȘtres vivants, dans tous les humains. Dieu nâest pas lointain et inaccessible. LâEsprit de Dieu se manifeste dans lâexpĂ©rience humaine. Il ne nous dĂ©tourne pas de notre vie humaine, mais il nous encourage Ă vivre pleinement. Dans la relation avec le Christ, il nous invite Ă entrer dans une vie nouvelle et dans la dimension de la rĂ©surrection. Câest une spiritualitĂ© qui induit les sens et conduit Ă la vitalitĂ© nouvelle de lâamour de la vie. A une Ă©poque oĂč lâon prend conscience de la menace qui pĂšse sur la nature. JĂŒrgen Moltmann pointe sur la prĂ©sence de lâEsprit dans les animaux, les plantes, les Ă©cosystĂšmes de la terre. Câest une invitation Ă vivre en harmonie avec les ĂȘtres vivants et Ă respecter leur dignitĂ©. La vision de lâEsprit saint, telle que nous la propose JĂŒrgen Moltmann, est celle dâun Esprit qui communique la vie. Câest une vision qui rĂ©pond Ă nos profondes aspirations. Câest une vision qui porte une dynamique en Ă©cho Ă ce chant prĂ©sent dans notre mĂ©moire : « Dans le monde entier, le Saint Esprit agit⊠Au fond de mon cĆur, le Saint Esprit agitâŠÂ » (5)
Jean Hassenforder
(1)           JĂŒrgen Moltmann. LâEsprit qui donne la vie Une pneumatologie intĂ©grale. Cerf, 1999
(2)           « Convergences Ă©cologiques : Jean Bastaire, JĂŒrgen Moltmann, Pape François et Edgar Morin » : https://vivreetesperer.com/?p=2151
(3)           JĂŒrgen Moltmann. The living God and the fullness of life. World Council of Churches, 2016. PrĂ©sentation : https://vivreetesperer.com/?p=2697
(4)           « La PentecÎte : une communauté qui fait tomber les barriÚres » : https://vivreetesperer.com/?p=2390
(5)           « Dans le monde entier, le Saint Esprit agitâŠÂ » https://www.conducteurdelouange.com/chants/consulter/70
Voir aussi ce tĂ©moignage dâOdile Hassenforder, paru dans « Sa prĂ©sence dans ma vie » : « Dieu, puissance de vie » : https://vivreetesperer.com/?p=1405