par jean | Déc 3, 2022 | ARTICLES, Société et culture en mouvement |
De lâĂąge mythique du progrĂšs incarnĂ© par lâĂšre industrielle Ă un Ăąge de la rĂ©silience.
LâĂąge de la rĂ©silience selon JĂ©rĂ©mie Rifkin
« JĂ©rĂ©mie Rifkin est lâun des penseurs de la sociĂ©tĂ© les plus populaires de notre temps. Il est lâauteur dâune vingtaine de best-sellers ». On peut ajouter Ă cette prĂ©sentation du livre de JĂ©rĂ©mie Rifkin : « LâĂąge de la rĂ©silience» (1) que lâauteur nâest pas seulement un chercheur qui ouvre des voies nouvelles, mais un conseiller influent qui intervient auprĂšs de nombreuses instances de dĂ©cision. Ses livres nous font entrer dans de nouvelles maniĂšres de voir et de penser. Ainsi, sur ce blog, nous avons prĂ©sentĂ© « La troisiĂšme rĂ©volution industrielle » (2) et le « New Deal vert mondial » (3). JĂ©rĂ©mie Rifkin est Ă©galement lâauteur de grandes synthĂšses qui Ă©clairent notre marche. Ainsi, sur le site de TĂ©moins, nous avons prĂ©sentĂ© son livre sur lâempathie (4), une fresque historique trĂšs engageante. En gĂ©nĂ©ral, comme dans ce livre âlâĂąge de la rĂ©silienceâ, JĂ©rĂ©mie Rifkin dĂ©veloppe son regard prospectif Ă partir dâune analyse et dâun bilan du passĂ©. Il nous a habituĂ© Ă une dĂ©marche dynamique. Câest avec dâautant plus dâattention que nous entendons ici son cri dâalarme sur lâhĂ©ritage du passĂ© et la menace du prĂ©sent. Tout est Ă repenser. « Il ne sâagit plus de courir aprĂšs lâefficacitĂ©, mais de faire grandir notre capacitĂ© de rĂ©silience. Nous devons tout repenser : notre vision du monde, notre comprĂ©hension de lâĂ©conomie, nos formes de gouvernement, nos conception de lâespace et du temps, nos pulsions les plus fondamentales et, bien sĂ»r, notre relation Ă la planĂšte » (page de couverture).
Un chemin pour changer de vision et de paradigme
 Dans lâintroduction du livre, JĂ©rĂ©mie Rifkin esquisse un chemin pour dĂ©passer lâhĂ©ritage du passĂ© et nous engager dans une nouvelle maniĂšre de vivre.
Lâauteur nous invite donc Ă revisiter notre histoire. Il commence par remettre en cause le mythe du progrĂšs. Ainsi rappelle-t-il les propos du philosophe Condorcet guillotinĂ© en 1794 : « La perfectibilitĂ© de lâhomme est rĂ©ellement indĂ©finie. Les progrĂšs de cette perfectibilitĂ©, dĂ©sormais indĂ©pendante de toutes puissances qui voudrait les arrĂȘter, nâont dâautres termes que la durĂ©e du globe oĂč la nature nous a jetĂ© » (p 10). « Aujourdâhui, sa conception du futur nous semble naĂŻve. Pourtant le concept de progrĂšs nâest que la derniĂšre itĂ©ration dâune vieille croyance : les humains seraient fondamentalement diffĂ©rents des autres ĂȘtres vivants avec qui ils se partagent la terre » (p 10). Aujourdâhui, lâhumanitĂ© est assaillie de menaces et de peurs. En regard, un peu partout, le terme de rĂ©silience est Ă©voquĂ©. « LâĂąge du progrĂšs cĂšde la place Ă lâĂąge de la rĂ©silience ». « Ce grand basculement de lâĂąge du progrĂšs Ă lâĂąge de la rĂ©silience requiert un vaste ajustement philosophique et psychologique dans la perception quâa lâhumanitĂ© du monde qui lâentoure. A la racine de la transition, il y a un changement total de notre rapport Ă lâespace et au temps » (p 11).
JĂ©rĂ©mie Rifkin raconte comment la vie ordonnĂ©e des moines bĂ©nĂ©dictins au Moyen Age a suscitĂ© une nouvelle apprĂ©hension du temps ponctuĂ© par leurs activitĂ©s. Câest la naissance de lâhorloge mĂ©canique qui sâest rĂ©pandue ensuite dans la civilisation urbaine. Finalement, le temps va « ĂȘtre perçu comme une suite dâunitĂ©s standard mesurables, fonctionnant dans un univers parallĂšle, qui ne doit plus rien aux rythmes de la terre » (p 84). Cette nouvelle temporalitĂ© va dĂ©boucher sur une recherche dâefficacitĂ© accrue dans le temps disponible. Cette temporalitĂ© a rĂ©gi de bout en bout lâĂąge du progrĂšs et sa conception de lâefficience. Lâefficience a cherchĂ© à « optimiser lâexpropriation, la consommation et la mise au rebut des ressources naturelles, et, ce faisant, Ă accroitre lâopulence matĂ©rielle de la sociĂ©tĂ© dans des temps toujours plus courts, mais au prix de lâĂ©puisement de la nature. Notre temporalitĂ© personnelle et le pouls temporel de notre sociĂ©tĂ© obĂ©issent Ă lâimpĂ©ratif de lâefficience » (p 12).
« Dans cet ouvrage, le terme « efficiency » employĂ© dans lâĂ©dition originale, ne signifie pas « efficacitĂ© (capacitĂ© dâatteindre un objectif), mais « efficience » (capacitĂ© dâobtenir les rĂ©sultats ou les profits maximaux avec le minimum de moyens et de frais dans le minimum de temps) » (p 12). « LâĂąge du progrĂšs marchait au pas de lâefficience ». « Passer du temps de lâefficience Ă celui de lâadaptativitĂ©Â : tel est le visa de rĂ©adaptation qui permettra Ă lâespĂšce humaine de sortir dâun rapport de sĂ©paration et dâexploitation avec le monde naturel pour ĂȘtre rapatriĂ© parmi la multitude des forces environnementales qui animent la Terre » (p 12)⊠Remplacer lâefficience par lâadaptativitĂ© implique des changements radicaux dans lâĂ©conomie et dans la sociĂ©tĂ©Â : elles vont passer de la productivitĂ© Ă la rĂ©gĂ©nĂ©rativitĂ©, de la croissance Ă lâĂ©panouissement, de la propriĂ©tĂ© Ă lâaccĂšs, des marchĂ©s avec leurs vendeurs et leurs acheteurs aux rĂ©seaux avec leurs fournisseurs et leurs utilisateurs, des processus linĂ©aires aux processus cybernĂ©tiques, des Ă©conomies dâĂ©chelle de lâintĂ©gration verticale Ă celles de lâintĂ©gration latĂ©rale⊠des conglomĂ©rats capitalistes aux petites et moyennes coopĂ©ratives opĂ©rant en blockchain sur des communs fluides⊠de la globalisation Ă la glocalisation, du consumĂ©risme Ă lâintendance des Ă©cosystĂšmes, du produit national brut (PNB) aux indicateurs de qualitĂ© de vie⊠(p 12-13). DĂ©jĂ expert de la « troisiĂšme rĂ©volution industrielle », JĂ©rĂ©mie Rifkin voit lĂ un mouvement en voie de « rĂ©insĂ©rer lâhumanitĂ© dans les infrastructures indigĂšnes de la planĂšte : lâhydrosphĂšre, la lithosphĂ©re, lâatmosphĂšre et la biosphĂšre. La nouvelle infrastructure emporte lâhumanitĂ© au delĂ de lâĂšre industrielleâŠÂ » (p 13).
« Sans surprise, la nouvelle temporalitĂ© sâaccompagne dâune rĂ©orientation fondamentale Ă lâĂ©gard de lâespace ». Notre apprĂ©hension de lâespace varie dans le temps, comme lâauteur nous le fait remarquer en mettant en lumiĂšre lâavĂšnement de la perspective dans la peinture de la Renaissance italienne et ses incidences rĂ©volutionnaires (p 86-87). Bien sĂ»r, dans lâĂąge qui vient, les ressources naturelles seront perçues et gĂ©rĂ©es autrement. Mais le changement de mentalitĂ© va plus loin encore. Nous prenons conscience dâappartenir Ă un ensemble vivant et nous ne nous regardons plus comme des ĂȘtres Ă part sĂ©parĂ©s de lâextĂ©rieur. Lâauteur nous fait part de dĂ©couvertes importantes qui nous situent en interaction avec le vivant. « Nous commençons Ă comprendre que notre vie et celle des autres ĂȘtres vivants est faite de processus, de modĂšles et de flux⊠Tous les ĂȘtres vivants sont des extensions des sphĂšres terrestres. Les minĂ©raux et les nutriments de la lithosphĂšre, lâeau de lâhydrosphĂšre, lâair de lâatmosphĂšre nous parcourent continuellement sous forme dâatomes et de molĂ©cules, sâinstallent dans nos cellules⊠et y sont remplacĂ©es rĂ©guliĂšrement, Ă diffĂ©rents intervalles, au cours de notre vie. La majoritĂ© des tissus et organes qui constituent notre corps se renouvellent sans cesse au fil de nos existencesâŠÂ ». Et, par ailleurs, « Notre corps nâest pas uniquement Ă nous. Nous le partageons avec de nombreuses autres formes de vie â des bactĂ©ries, des virus, des protĂ©ines, des archĂ©es et des champignons⊠Plus de la moitiĂ© des cellules de notre corps ne sont pas humaines⊠elles appartiennent aux autre ĂȘtres qui vivent dans chaque coin de notre anatomie (p 179-190)⊠Ainsi, nous sommes tous des Ă©cosytĂšmes… Et, de plus, nous sommes faits de multiples horloges biologiques qui adaptent continuellement nos rythmes corporels internes Ă ceux que marquent les rotations de la terre⊠rythmes circadien et lunaire, rythme des saisons, rythmes annuelsâŠÂ » (p 13-14).
Ainsi, « nous faisons partie de la terre, au plus profond de notre ĂȘtreâŠÂ » Lâauteur en dĂ©duit que « cela nous inspire des idĂ©es neuves sur la nature de la gouvernance et sur notre fonctionnement en tant quâorganisme social. A lâĂąge de la rĂ©silience, gouverner, câest assurer lâintendance de Ă©cosystĂšmes rĂ©gionaux. Et cette gouvernance biorĂ©gionale est beaucoup plus partagĂ©e, distribuĂ©eâŠÂ » (p 15)
Cependant, on ne peut manquer de se poser une question fondamentale. Quel est le sens de ce parcours ? « Que cherche lâhumanitĂ©Â ? Pas seulement sa simple subsistance. Quelque chose de plus profond, de plus tourmentĂ© bouillonne en nous â un sentiment quâaucun autre ĂȘtre vivant ne possĂšde⊠Nous sommes en quĂȘte continuelle du sens de nos existences. » (p 16). Câest lĂ que JĂ©rĂ©mie Rifkin en revient Ă mettre en Ă©vidence la vertu quâil a dĂ©jĂ apprĂ©ciĂ©e dans lâhumanitĂ©Â : son potentiel dâempathie (4). « Cet atout rare et prĂ©cieux croit, dĂ©croit et ne cesse de rĂ©apparaitre ». « Ces derniĂšres annĂ©es, la nouvelle gĂ©nĂ©ration a commencĂ© Ă Ă©tendre son empathie au delĂ de notre espĂšce pour y inclure les autres vivants qui font tous partie de notre famille Ă©volutionnaire. Câest ce que les biologistes appellent la « conscience biophile ». VoilĂ un signe encourageant ».
Lâapproche de la rĂ©silience
Dans son livre, JĂ©rĂ©mie Rifkin nous introduit dans une histoire, celle qui analyse le pesant hĂ©ritage du passĂ© pour baliser ensuite les voies dâun avenir viable, plus prĂ©cisĂ©ment dâun Ăąge de la rĂ©silience. Ce parcours sâopĂšre en quatre parties : « Efficience contre entropie. La dialectique de la modernitĂ©Â ; Lâappropriation de la Terre et la paupĂ©risation des travailleurs ; Comment nous en sommes arrivĂ©s lĂ . Repenser lâĂ©volution sur Terre ; LâĂąge de la rĂ©silience : la fin de lâĂšre industrielle ». Aujourdâhui, le regard scientifique est en train de changer, une nouvelle maniĂšre dâapprocher les rĂ©alitĂ©s en terme de « socio-Ă©cosystĂšmes adaptatifs complexes » (p 217).
AprĂšs avoir rappelĂ© les principes de la science classique dans la foulĂ©e de Francis Bacon, lâauteur met en lumiĂšre une nouvelle approche, lâapport dâun Ă©cologue canadien : Crawford Stanley Holling. En 1973, dans un article intitulĂ©Â : « RĂ©silience et stabilitĂ© des systĂšmes Ă©cologiques », il a exposĂ© une nouvelle thĂ©orie sur lâĂ©mergence et les modes de fonctionnement de lâenvironnement naturel. Holling a introduit les concepts de gestion « adaptative » et de « rĂ©silience » dans la thĂ©orie des systĂšmes Ă©cologiques ; avec dâautres pionniers, il a posĂ© les bases dâune mĂ©thode scientifique radicalement neuve qui, en fusionnant lâĂ©cologique et le social, allait dĂ©fier les principes directeurs, tant thĂ©oriques que pratiques de lâĂ©conomie admise. Il sâagit de la thĂ©orie des « socio- Ă©cosystĂšmes adaptatifs complexes » (p 217).
Pour Holling, « le comportement des systĂšmes Ă©cologiques pourrait ĂȘtre dĂ©fini par deux propriĂ©tĂ©s distinctes : la rĂ©silience et la stabilité »⊠La thĂ©orie de la rĂ©silience de Holling a ensuite Ă©tĂ© importĂ©e dans la quasi-totalitĂ© des disciplines : la psychologie, la sociologie, les sciences politiques, lâanthropologie, la physique, la chimie, la biologie et les sciences de lâingĂ©nieur. DiffĂ©rents secteurs Ă©conomiques ont commencĂ© Ă sây intĂ©resser⊠Mais le plus important est que lâĂ©picentre de la nouvelle Grande Disruption se trouve Ă lâintersection de lâĂ©conomie et de lâĂ©cologie. Holling prĂ©cise : la rĂ©silience est la propriĂ©tĂ© du systĂšme et la persistance ou la probabilitĂ© dâextinction est le rĂ©sultat. Une des principales stratĂ©gies retenues par la sĂ©lection nâa donc pas pour but de maximiser lâefficience ou un avantage particulier, mais de permettre la persistance en maintenant dâabord et avant tout la flexibilité » (p 217-218). En ce sens, la diversitĂ© est un atout. « Une mĂ©thode de gestion fondĂ©e sur la rĂ©silience⊠insistera sur la nĂ©cessitĂ© de garder une multiplicitĂ© dâoptions ouvertes, dâobserver les Ă©vĂšnements dans le contexte rĂ©gional et non local et de privilĂ©gier lâhĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©ité » (p 218). Et, dans la mĂȘme perspective, il nous faut reconnaĂźtre notre ignorance et accepter lâimprĂ©visibilitĂ©. « Dans les trente ans qui ont suivi, Holling a vu sa premiĂšre esquisse de thĂ©orie de la rĂ©silience et de lâadaptation modifiĂ©e, amĂ©liorĂ©e et nuancĂ©e par dâautres et ces apports nâont cessĂ© dâaffiner et dâenrichir sa thĂšse. En 2004, il a coĂ©crit un nouvelle version de la rĂ©silience et des cycles adaptatifs ». Ici, on y exprime que « le systĂšme peut ĂȘtre incapable de se maintenir, ce qui lâoblige de se transformer en un nouveau systĂšme auto-organisé » (p 218-219).
Lâauteur met lâaccent sur les transformations qui adviennent ainsi. « Quand des forces interagissent dans la nature, la sociĂ©tĂ© et lâunivers, elles ne reviennent jamais Ă leur point de dĂ©part, car leurs interactions, si minimes soient–elles, changent la dynamique (p 220). Et donc, « rĂ©silience nâa jamais voulu dire des restaurations parfaites du statu quo ante⊠On ne doit jamais considĂ©rer la rĂ©silience comme un Ă©tat, une maniĂšre dâĂȘtre dans le monde, mais comme une maniĂšre dâagir sur le monde » (p 221).
Et, si on envisage la rĂ©silience en terme de dĂ©marche thĂ©rapeutique, « elle nâest jamais un retour. On ne peut jamais revenir en arriĂšre, mais seulement aller de lâavant vers un sens nouveau de sa capacitĂ© dâaction » (p 221).
La science Ă©conomique actuelle est remise en cause par la mutation en cours. « La rĂ©novation imposera une rĂ©Ă©valuation partielle de certains de ses fondements : la thĂ©orie de lâĂ©quilibre gĂ©nĂ©ral, les analyses coĂ»ts-avantages, la dĂ©finitions Ă©troite des externalitĂ©s et les concepts trompeurs de productivitĂ© et de PIB. Et dâabord, il faudra modĂ©rer et mĂȘme remettre en cause lâobsession de lâefficience. Par dessus tout, les milieux dâaffaires vont devoir renoncer complĂštement Ă leur conception du monde naturel et Ă leur rapport avec lui» (p 222). « Pour commencer Ă remodeler la thĂ©orie Ă©conomique, le mieux nâest-il pas de suivre la dĂ©marche de lâĂąge de la rĂ©silience ? Celle qui est en train de sortir les autres discipline acadĂ©miques du marasme de la recherche scientifique traditionnelle essentielle Ă lâĂąge du progrĂšs ? ». Lâauteur prĂ©conise donc lâapproche des Ă©co-systĂšmes adaptatifs complexes qui « conçoit la recherche de façon fondamentalement diffĂ©rente de la mĂ©thode scientifique traditionnelle. PremiĂšrement, parce que cette derniĂšre procĂšde souvent en isolant un seul et unique phĂ©nomĂšne⊠DeuxiĂšmement, parce que la conception admise de la recherche scientifique est⊠en fait complĂštement biaisĂ©e⊠Le prĂ©jugĂ© implicite, câest dâexaminer le monde comme sâil Ă©tait fait dâun assortiment dâobjets passifs et mĂȘme inertes par nature, dont la capacitĂ© dâaction est faible ou nulle. TroisiĂšmement, la nature est souvent perçue comme un ensemble de « ressources » Ă exploiter au profit de la sociĂ©té » (p 223-224). A la diffĂ©rence de la recherche classique, dans la recherche sur les socio-systĂšmes adaptatifs, on passe : « des caractĂ©ristiques des parties aux propriĂ©tĂ©s systĂ©miques ; de systĂšmes fermĂ©s aux systĂšmes ouverts ; de la mesure Ă la dĂ©tection et Ă lâĂ©valuation de la complexitĂ©Â ; de lâobservation Ă lâintervention » (p 225). « Pour avancer, il faut que la visĂ©e de la recherche scientifique passe, du moins en partie, de la prĂ©diction Ă lâadaptation » (p 227).
Lâauteur Ă©voque la pensĂ©e du philosophe amĂ©ricain : John Dewey, fondateur du pragmatisme. Il fut « lâun des premiers penseurs Ă attirer lâattention sur les mĂ©rites de lâadaptativitĂ© en tant que mĂ©thode de recherche scientifique et de rĂ©solution de problĂšmes⊠Pour Dewey, celui ou celle qui veut comprendre une situation commence toujours son enquĂȘte en y participant activement, en faisant expĂ©rience directe du problĂšme quâelle pose et en subissant personnellement ses effets » (p 227). « LâadaptativitĂ© acquit un certaine influence au dĂ©but du XXe siĂšcle, mais elle a ensuite Ă©tĂ© submergĂ© par la croisade pour lâefficience » (p 228). Mais aujourdâhui, cette obsession de lâefficience est remise en cause. « Sur cette terre qui se rĂ©ensauvage, il nâest plus question de profiter (opportunitĂ©s infinies) mais de limiter les risques, et lâefficience commence Ă cĂ©der sa place Ă lâadaptativité » (p 228). Lâauteur examine ensuite les manifestations de ce courant visant Ă lâadaptativitĂ©. Câest un nouvel Ă©tat dâesprit. « La science Ă©conomique traditionnelle et les mĂ©canismes du capitalisme, en thĂ©orie comme en pratique, ne survivront pas sous leur forme actuelle Ă la transformation induite par le passage Ă la pensĂ©e des systĂšmes adaptatifs complexes⊠La pensĂ©e des systĂšmes adaptatifs complexes va Ă©galement nĂ©cessiter une rĂ©forme du monde universitaire⊠Il nâexiste quâune seule façon de comprendre ce qui se passe : adopter une approche interdisciplinaire du savoirâŠÂ » (p 231-232). Lâesprit humain se prĂȘte Ă ce changement. Câest ici que lâauteur met en Ă©vidence une dĂ©couverte rĂ©cente des anthropologues : « De nouvelles sĂ©ries de donnĂ©es environnementales indiquent quâhomo a Ă©voluĂ© sur fond de longues pĂ©riodes dâimprĂ©visibilitĂ© de son habitatâŠÂ ». Et ils prĂ©cisent : « Les facteurs essentiels au succĂšs et Ă lâexpansion du genre homo ont eu pour fondement la flexibilitĂ© de son systĂšme alimentaire dans des environnements imprĂ©visibles, car câest elle, avec la reproduction alimentaire et la flexibilitĂ© du dĂ©veloppement, qui a permis lâĂ©largissement gĂ©ographique et rĂ©duit les risques de mortalité ». Ainsi, un de ces chercheurs a pu Ă©crire : « Lâorigine du genre humain se caractĂ©rise par des formes dâadaptabilité » (p 253-254). On peut parler « dâingĂ©niositĂ© de lâespĂšce humaine ». JĂ©rĂ©mie Rifkin voit lĂ un encouragement. Comment faire face au rĂ©chauffement climatique ? « Câest la question fondamentale de notre Ă©poque. LâadaptabilitĂ© humaine aux changements brutaux du rĂ©gime climatique est notre point fort. Câest ce qui a fait de nous une des espĂšces les plus rĂ©silientes de la planĂšte. Au seuil de lâĂąge de la rĂ©silience, voilĂ peut-ĂȘtre la nouvelle la plus encourageante du moment » (p 235).
LâĂąge de la rĂ©silience : la fin de lâĂšre industrielle
JĂ©rĂ©mie Rifkin consacre la quatriĂšme partie du livre aux grands axes de changement qui forment la trame du nouvel Ăąge : lâinfrastructure de la rĂ©volution rĂ©siliente ; la montĂ©e en puissance de la gouvernance biorĂ©gionale ; une place croissante de la pairocratie distribuĂ©e dans la dĂ©mocratie reprĂ©sentative ; lâessor de la conscience biophile. Ces chapitres, Ă nouveau, sont riches et denses en informations et idĂ©es. Chacun de nous a conscience de ces grands mouvements. Câest pourquoi nous nous bornerons ici Ă un bref aperçu en renvoyant Ă une lecture approfondie du livre.
Une nouvelle infrastructure. Un nouveau paradigme Ă©conomique
JĂ©rĂ©mie Rifkin nous a dĂ©jĂ entretenu dans un livre prĂ©cĂ©dent âLe New Deal vert mondialâ, des transformations structurelles en train de se prĂ©parer (3). Il met ici lâaccent sur lâimportance des infrastructures. Elles sont « bien plus quâun simple Ă©chafaudage qui sert Ă rĂ©unir un grand nombre dâĂȘtres humains au sein dâune vie collective ». Elles associent en effet trois facteurs majeurs : « de nouvelles formes de communication, de nouvelles sources dâĂ©nergie et de nouveaux moyens de transport et de logistique ». « Quand ces trois avancĂ©es techniques apparaissent et fusionnent en une seule et mĂȘme dynamique, elles changent radicalement la façon dont on communique » (p 239). Et lâauteur ajoute quâelles ont elles-mĂȘmes une influence sur lâensemble de la vie collective. « On assimile trĂšs justement ces structures Ă de vastes « organismes sociaux ». Ce sont des systĂšmes auto-organisĂ©s qui agissent comme une totalitĂ© unique ».  « Les grandes rĂ©volutions infrastructurelles changent la nature de lâactivitĂ© Ă©conomique, la vie sociale, et les formes de gouvernementâŠÂ » (p 240). Ainsi aprĂšs les infrastructure du XIXe siĂšcle (charbon, machine Ă vapeur, rĂ©seau ferrĂ©, tĂ©lĂ©graphe), puis du XXe siĂšcle (rĂ©seau Ă©lectrique centralisĂ©, tĂ©lĂ©phone, radio et tĂ©lĂ©vision, voitures, avions, rĂ©seaux routiers, aĂ©rodromes), « aujourdâhui, nous sommes au cĆur dâune troisiĂšme rĂ©volution industrielle. LâInternet numĂ©risĂ© de communication haut dĂ©bit converge avec un Internet numĂ©risĂ© continental de lâĂ©lectricitĂ©, alimentĂ© par les Ă©nergies solaire et Ă©olienne ». Une Ă©nergie verte est revendue Ă lâinternet continental. « Actuellement, ces deux internets numĂ©risĂ©s convergent avec un troisiĂšme : lâInternet numĂ©risĂ© de la mobilitĂ© et de la logistique ». Câest la part des vĂ©hicules Ă©lectriques. « Ces trois Internets vont progressivement partager un flux continu de donnĂ©es et dâanalyses de ces donnĂ©es⊠A lâĂšre qui vient, on va rĂ©nover les immeubles Ă des fins dâĂ©nergie et de rĂ©silience climatiqueâŠÂ ». Ce seront des « immeubles intelligents » (p 241-242).
« Les infrastructures des deux premiĂšres rĂ©volutions industrielles ont Ă©tĂ© conçues pour opĂ©rer en pyramide, de haut en bas, et pour fonctionner au mieux lorsquâelles Ă©taient enveloppĂ©es par plusieurs couches de droits de propriĂ©tĂ© matĂ©rielle et intellectuelle ». Les infrastructures des deux premiĂšres rĂ©volutions industrielles ont Ă©tĂ© propulsĂ©es, pour lâessentiel, par des Ă©nergies fossiles. Elles ont donnĂ© lieu Ă des engagements militaires. Au contraire, lâinfrastructure de la nouvelle rĂ©volution industrielle est conçue pour ĂȘtre distribuĂ©e et non centralisĂ©e. Elle fonctionne mieux quand elle reste ouverte et transparenteâŠÂ ». « Elle est conçue pour sâĂ©tendre latĂ©ralement et non verticalement ». (p 244). Lâauteur reconnait la prĂ©sence actuelle dâoligopoles mondiaux dans ce champ. Cependant il estime que lâĂ©volution Ă venir ne va pas dans le sens de la centralisation (p 245).
Des transformations majeures adviennent. « Bien quâelle soit encore dans sa petite enfance, lâĂ©conomie du partage distribuĂ©e et interconnectĂ©e par le numĂ©rique constitue un nouveau systĂšme Ă©conomique. Câest le premier Ă entrer en scĂšne depuis le capitalisme au XVIIIe siĂšcle et le socialisme au XIXe siĂšcle – encore un signe qui montre Ă quel point le nouvel ordre Ă©conomique Ă©mergent se distingue de ce que nous avons connu sous le capitalisme industriel » (p 250). Le PIB, par exemple, perd de plus en plus son rĂŽle dâindicateur de la performance Ă©conomique. Le monde entier est concernĂ©. « En 2020, des milliards dâĂȘtres humains avaient un smartphone, et chacun de ses appareils possĂ©dait une puissance de calcul supĂ©rieure Ă celle qui avait envoyĂ© des astronomes sur la Lune⊠LâhumanitĂ© se connecte Ă un multitude de plateformes pour jouer, travailler, entretenir des relations » (p 251).
Dans ce chapitre, JĂ©rĂ©mie Rifkin nous ouvre sans cesse de nouveaux horizons. Nous entrons dans un nouvel univers Ă©conomique et social. « Quand nous dressons la liste de tous les changements induits par le passage Ă une infrastructure numĂ©rique intelligente de troisiĂšme rĂ©volution industrielle, lâĂ©normitĂ© de ce qui se profile suggĂšre une transformation radicale de notre idĂ©e de la vie Ă©conomique. Elle va passer de la propriĂ©tĂ© Ă lâaccĂšs, des marchĂ©s « acheteurs-vendeurs » aux rĂ©seaux « fournisseurs-utilisateurs » ; des bureaucraties analogiques aux plateformes numĂ©riquesâŠÂ ; du capital financier au capital naturel ; de la productivitĂ© Ă la rĂ©gĂ©nĂ©rativitĂ©Â ; de processus linĂ©aires aux processus cybernĂ©tiques ; des externalitĂ©s nĂ©gatives Ă la circularitĂ©Â ; des Ă©conomies dâĂ©chelle de lâintĂ©gration verticale Ă celles de lâintĂ©gration latĂ©rale ; des chaines de valeur centralisĂ©es aux chaines de valeurs distribuĂ©es ; du produit intĂ©rieur brut aux indicateurs de qualitĂ© de vie ; de la globalisation Ă la glocalisation ; des conglomĂ©rats de sociĂ©tĂ©s transnationales aux agiles PME opĂ©rant sur de simples rĂ©seaux blockchains glocaux et de la gĂ©opolitique Ă la politique de la biosphĂšre ». Ces rĂ©alitĂ©s nouvelles sâexpriment souvent dans des termes techniques, un nouveau langage et une nouvelle rĂ©alitĂ© Ă dĂ©couvrir dans ce chapitre.
Dans une conjoncture qui nous paraßt si menaçante, Jérémy Rifkin introduit un nouveau regard : « Nous assistons à un saut extraordinaire dans un nouveau paradigme économique. Au début de la décennie 2040, il ne sera probablement plus perçu comme une troisiÚme révolution industrielle fonctionnant sur un modÚle économique strictement capitaliste. Notre société mondiale commence à sortir des deux cent cinquante années de révolution industrielle et à se tourner vers une Úre nouvelle. Le mieux est de la nommer : « révolution résiliente » » (p 255).
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Nouvelles formes de gouvernance
Les transformations nĂ©cessitĂ©es par la politique Ă©cologique requiert Ă©galement de nouvelles formes de gouvernance. Lâauteur envisage ainsi la montĂ©e en puissance dâune gouvernance biorĂ©gionale. Les accidents climatiques appellent des « mobilisations en terme de âgouvernance des communsâ oĂč lâinvestissement personnel est bien plus fort » (p 267). Certes des fractures apparaissent actuellement dans les sociĂ©tĂ©s. Mais lâauteur dĂ©veloppe une approche prospective.
Les rĂ©gions rurales longtemps dĂ©valorisĂ©es vont rĂ©-Ă©merger. Elles ont souvent des atouts en termes de potentiel solaire et Ă©olien. Mais surtout, elles sont Ă mĂȘme dâaccueillir la nouvelle Ă©conomie de partage distribuĂ©e et interconnectĂ©e par le numĂ©rique. « Les start up technologiques intelligentes peuvent opĂ©rer dans les bourgs et petites villes des zones rurales oĂč les prix de lâimmobilier et les frais gĂ©nĂ©raux sont moins Ă©levĂ©s, tout en restant compĂ©titives sur les marchĂ©s « glocaux » (p 270). On observe par ailleurs une migration dans laquelle certains quittent les grandes villes pour sâinstaller dans les campagnes dans un mode de vie plus naturel ».
RĂ©cemment, « la communautĂ© scientifique a posĂ© le cadre dâune gouvernance biorĂ©gionale en appelant à « rĂ©ensauvager » ou « reruraliser » la moitiĂ© de la terre » (p 276) en vue notamment de lutter contre la disparition des espĂšces et des Ă©cosytĂšmes. Lâaccent est mis sur lâimportance des forĂȘts naturelles dans le maintien de la biodiversitĂ© et la rĂ©tention et le stockage du carbone. Lâauteur identifie des « bio rĂ©gions » quâon peut envisager « en termes sociaux, psychologiques et biologiques », avec lâidĂ©e de « vivre en un lieu » et en entendant par lĂ Â : « une sociĂ©tĂ© vivant en Ă©quilibre avec la rĂ©gion qui la soutient Ă travers les liens entre les vies humaines, les autres ĂȘtres vivants et les processus de la planĂšte â les saisons, le climat, les cycles de lâeau » (p 280). Lâauteur en donne des exemples aux Etats-Unis et il met en lumiĂšre lâavĂšnement dâune « gouvernance biorĂ©gionale » (p 176).
Participation et association
Nous observons aujourdâhui un « dĂ©litement de la cohĂ©sion sociale » (p 295). Le mĂ©contentement monte et la mĂ©fiance sâaccroĂźt . Une enquĂȘte menĂ©e en 2020 dans 28 pays constate que 66% de citoyens nâont pas confiance dans leur gouvernement actuel (p 295). Des remous, de grands changements mal interprĂ©tĂ©s suscitent lâinquiĂ©tude. La violence monte. Ces menaces appellent un renouvellement de la gouvernance Ă travers une participation accrue des citoyens. Ainsi un chapitre est intitulĂ©Â : « La dĂ©mocratie reprĂ©sentative fait une place Ă la pairocratie (le rĂŽle des pairs) dans la dĂ©mocratie reprĂ©sentative » (p 289). « Une jeune gĂ©nĂ©ration commence Ă tempĂ©rer la dĂ©mocratie reprĂ©sentative avec ses succĂšs, ses espoirs déçus et ses insuffisances en y mĂȘlant une forme dâaction politique horizontale, latĂ©rale, plus large, plus inclusive, qui insĂšre les communautĂ©s locales au sein des Ă©cosystĂšmesâŠÂ ». « Cette nouvelle identitĂ© politique Ă©mergente sâaccompagne dâun engagement militant direct dans la gouvernance⊠Chaque citoyen devient partie intĂ©grante du processus de gouvernement⊠Des assemblĂ©es citoyennes apparaissent. Leurs membres se rĂ©unissent entre Ă©gaux, entre pairs, travaillant parallĂšlement aux autoritĂ©s en donnant des avis, conseils et recommandations⊠Ces assemblĂ©es de pairs horizontalisent la prise de dĂ©cision en assurant lâengagement actif des citoyens dans la gouvernance. La dĂ©mocratie reprĂ©sentative fait une place Ă une « pairocratie » distribuĂ©e comme la gouvernance locale fait une place Ă une gouvernance biorĂ©gionale en ces temps oĂč les citoyens se regroupent pour rĂ©agir aux dĂ©fis comme aux opportunitĂ©s de sauvegarde de leur biorĂ©gion » (p 289-290). De nombreuses expĂ©riences apparaissent : budget participatif, contrĂŽle local sur les Ă©coles ou sur la police ».
JĂ©rĂ©mie Rifkin inscrit son Ă©tude dans une rĂ©flexion historique sur la conception et la pratique de la libertĂ© dans la pĂ©riode moderne en Occident et la vision de nouvelles gĂ©nĂ©rations pour lesquelles « la libertĂ© est affaire dâaccĂšs et dâinclusivitĂ© et non dâautonomie et dâexclusivitĂ©. Ils mesurent leur libertĂ© au degrĂ© auquel ils peuvent accĂ©der et participer aux plateformes qui prolifĂšrent sur toute la planĂšte. LâinclusivitĂ© quâils ont Ă lâesprit est latĂ©rale et trĂšs Ă©tendue : elle englobe souvent le genre, lâethnie, lâorientation sexuelle et mĂȘme le lien avec les autres ĂȘtres vivants sur une planĂšte en vie » (p 292). Lâauteur note « lâarrivĂ©e Ă maturitĂ© des organisations de la sociĂ©tĂ© civile⊠Ces organisations sont des mouvements sociaux, des entreprise Ă©conomiques et aussi de nouvelles formes de proto-gouvernance qui font entrer les citoyens sur la scĂšne politique » (p 300-301).
Conscience biophileÂ
Selon JĂ©rĂ©my Rifkin, la grande dynamique Ă lâĆuvre pour promouvoir lâĂąge de la rĂ©silience sâinscrit dans le dĂ©veloppement dâune « conscience biophile ». Ce chapitre mĂ©riterait une analyse spĂ©cifique qui ne peut ĂȘtre engagĂ©e dans le cadre de cette prĂ©sentation.
Lâauteur commence par exposer les recherches de John Bowlby sur lâattachement. PrivĂ©s de tendresse, de jeunes enfants dĂ©pĂ©rissent. Depuis lâintuition initiale de Bowlby sur le rĂŽle que joue le comportement dâattachement, des chercheurs ont examinĂ© de plus prĂšs notre constitution biologique en cherchant Ă comprendre les mĂ©canismes de la pulsion empathique profondĂ©ment intĂ©grĂ©s Ă nos circuits neuronaux. Ils ont ainsi dĂ©couvert quâau cĆur mĂȘme de notre ĂȘtre â et câest ce qui rend notre espĂšce si spĂ©ciale â un Ă©lan biologique innĂ© nous pousse Ă avoir de lâempathie pour « lâautre » (p 322). Comme il lâa dĂ©jĂ Ă©tudiĂ© dans un livre prĂ©cĂ©dent sur lâempathie (4), lâauteur revient ici sur ce thĂšme. Dans une rĂ©trospective historique, il inscrit lâempathie dans une dimension sociale. « LâĂ©lan empathique nâest pas seulement liĂ© aux pratiques Ă©ducatives vĂ©cues par lâenfant,⊠lâempathie change aussi au cours de lâhistoire, elle est Ă©troitement mĂȘlĂ©e Ă lâĂ©volution de la sociĂ©té ». « Lâinfrastructure de chaque civilisation apporte un paradigme Ă©conomique qui lui est propre, un nouvel ordre social. Elle sâaccompagne aussi dâune vision du monde, dâun grand rĂ©cit auquel la population peut prĂȘter allĂ©geance. Elle permet, Ă chaque fois, dâĂ©largir la solidaritĂ© empathique, qui peut englober et unir Ă©motionnellement les diverses populationsâŠÂ » (p 326). Lâauteur Ă©voque ainsi des civilisations successives. Il y voit des « expansions de lâempathie » sans mĂ©connaitre « les reculs et les retours au passĂ©, ce grand flĂ©au de lâhistoire de lâhumanité » (p 331).
Il perçoit aujourdâhui lâapparition dans la jeune gĂ©nĂ©ration dâ« une nouvelle famille biologique plus inclusive. La conscience biophile Ă©merge Ă peine. Elle sera probablement le grand rĂ©cit qui va dĂ©finir lâAge de la rĂ©silience en un temps oĂč dĂ©bute lâentrĂ©e de lâhumanitĂ© en empathie avec les autres vivants » (p 332). Aujourdâhui, lâhumanitĂ© a besoin de se « rĂ©affilier Ă la nature » (p 332). Les urbains ont besoin de se reconnecter avec le vivant de telle maniĂšre que Anne-Sophie Novel nous en indique le chemin (5). Et lâauteur dĂ©crit les initiatives pour permettre aux enfants de se familiariser avec le monde naturel, comme, par exemple, les classes de nature. Au total, nous sommes appelĂ©s Ă un changement de perspective ; « Lâuniversalisation de la biophilie fait passer le rĂ©cit humain dâune obsession de lâautonomie Ă un attachement au relationnel. La formule classique de RenĂ© Descartes, « Je pense, donc je suis », est dĂ©jĂ du passĂ©, car la jeune gĂ©nĂ©ration qui grandit dans des mondes virtuels… structurĂ©s par des couches dâinterconnexion horizontale lui prĂ©fĂšre une autre maxime : « Je participe, donc jâexiste » (p 352). « LâinterprĂ©tation interactive de la nature, comme de celle de la nature humaine, impose de repenser radicalement le discours philosophique et politique qui a fondĂ© lâĂąge du progrĂšs » (p 353). « Deux siĂšcles avant que le concept de conscience biophile soit introduit par E O Wilson, le grand philosophe et savant allemand Johan Wolfgang von Goethe propose de faire de la conscience biophile un contre-rĂ©cit opposable Ă lâunivers mort, rationnel, mĂ©canique que dĂ©crit la vision stĂ©rile de Newton. Goethe est persuadĂ© que la personnalitĂ© de chacun, de chacune â et sa rĂ©silience â est un matĂ©riau composite, fait des relations qui la tissent ou le tissent Ă lâintĂ©rieur mĂȘme de lâĂ©toffe de la vie ». Il envisage la nature comme « toujours changeante, en flux continuel. » (p 355). « Goethe ressent et vit lâexpĂ©rience empathique avant que ce sentiment reçoive un nom. « Me mettre dans la situation des autres, comprendre toute espĂšce dâindividualitĂ© humaine et mây intĂ©resser, Ă©crit-il, câest affirmer lâunitĂ© de la vie. Ătre « dans lâensemble » : pour Goethe, cet Ă©lan ne sâarrĂȘtait pas aux limites de notre espĂšce, mais sâĂ©tendait Ă la totalitĂ© de la nature » (p 356).
Face aux menaces qui nous inquiĂštent et nous embrouillent, dans une rĂ©alitĂ© complexe qui rend difficile notre discernement, nous recherchons Ă©clairages et chemins. La vision de JĂ©rĂ©mie Rifkin nous apporte un Ă©clairage auquel nous ajouterons pour notre part une dimension spirituelle telle que nous la dĂ©couvrons dans le livre de Michel Maxime Egger : « Ecospiritualité » (6). JĂ©rĂ©mie Rifkin nous propose aussi un chemin. La prise de conscience des mĂ©faits de lâhĂ©ritage de lâĂąge du progrĂšs dĂ©bouche sur la mise en Ćuvre de nouveaux atouts en terme de nouveaux savoirs, de nouvelles pratiques et de nouvelles valeurs. Dans ce livre comme dans ses prĂ©cĂ©dents, JĂ©rĂ©my Rifkin nous ouvre une nouvelle maniĂšre de voir.
J H
- JĂ©rĂ©my Rifkin. LâĂąge de la rĂ©silience. La terre se rĂ©ensauvage. Il faut nous rĂ©inventer. Les liens qui libĂšrent, 2022
- La TroisiÚme révolution industrielle : https://vivreetesperer.com/face-a-la-crise-un-avenir-pour-l%e2%80%99economie/
- Le New Deal Vert : https://vivreetesperer.com/le-new-deal-vert/
- Vers une civilisation de lâempathie : https://www.temoins.com/vers-une-civilisation-de-lempathie-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkinapports-questionnements-et-enjeux/
- Comment nous reconnecter au vivant, à la nature ? : https://vivreetesperer.com/comment-nous-reconnecter-au-vivant-a-la-nature/
- Ecospiritualité : https://vivreetesperer.com/ecospiritualite/
par jean | Août 4, 2020 | ARTICLES, Expérience de vie et relation |
A travers un service du courrier, Obama, président, dialogue avec les citoyens américains.
pour rĂ©pondre aux besoins, encore faut-il Ă©couter leur expression. Cette Ă©coute est nĂ©cessaire pour identifier les besoins dans toute la complexitĂ© humaine dans laquelle elle se manifeste. Câest bien lĂ la tache essentielle des Ă©lus et Ă©videmment du premier dâentre eux, le prĂ©sident. Certes, il y a diffĂ©rentes maniĂšres dâidentifier et dâanalyser les besoins, par exemple une enquĂȘte, une expression des mĂ©dia, mais rien ne remplace une Ă©coute directe des gens. Et plus gĂ©nĂ©ralement, la participation appelle le dialogue. Cette expression des citoyens peut prendre diffĂ©rentes formes. Un livre rĂ©cent (1) vient aujourdâhui nous prĂ©senter une expĂ©rience : le service du courrier qui recevait des milliers de lettres adressĂ©es au prĂ©sident Obama par des citoyens amĂ©ricains.
Le service du courrier
 Tout au long de lâhistoire amĂ©ricaine, il y a toujours eu des citoyens qui ont Ă©crit au prĂ©sident . Mais cette correspondance sâest considĂ©rablement amplifiĂ©e au cours du temps. Et le service a pris un importance majeure avec lâarrivĂ©e dâObama Ă la prĂ©sidence . Ce dĂ©veloppement sâinscrit dans la vague militante qui a portĂ© et accompagnĂ© lâĂ©lection. Ainsi, la participation Ă cette entreprise tĂ©moigne dâune forte mobilisation, dâun engagement comme celui de Fiona devenue responsable de ce service.
« Au total, le service de la correspondance prĂ©sidentielle ou OPC comme tout le monde lâappelait, requĂ©rait lâaction coordonnĂ©e de 50 employĂ©s, de 36 stagiaires et dâune armĂ©e de 300 volontaires se relayant pour faire face Ă la dizaine de millier de lettres et de messages quotidiens. Il appartenait Ă Fiona en tant que directrice de lâopĂ©ration de faire tourner la boutique » (p 86). Ces lettres parlent des rĂ©alitĂ©s de la vie qui interpellent le prĂ©sident. Ces messages sont lus attentivement et cotĂ©s selon le sujet choisi en vue dây apporter une rĂ©ponse. Cependant la grande affaire, câest de choisir chaque jour dix lettres auxquelles le prĂ©sident rĂ©pondra.
Si la crĂ©ation du service a Ă©tĂ© prĂ©cĂ©dĂ©e par une lente Ă©volution, si elle est advenue dans un grand moment politique, elle est dâabord la rĂ©sultante dâune volontĂ© personnelle, celle du prĂ©sident Barack Obama. Le service a Ă©tĂ© organisĂ© par des hommes qui lâont accompagnĂ© dans sa dĂ©marche politique. Et sa dĂ©cision de lire chaque jour dix lettres et dây rĂ©pondre, a Ă©tĂ© emblĂ©matique.
Barack Obama
Barack Obama a surgi dans lâhistoire amĂ©ricaine comme la rĂ©ponse Ă une espĂ©rance que puissent hommes et femmes ĂȘtre respectĂ©s dans leur originalitĂ© personnelle et leur existence sociale et politique. Dans son accession Ă la prĂ©sidence, Barack Obama a apportĂ© une rĂ©ponse : « Yes, we can ». Oui , nous pouvons. Son Ă©lection nous est apparue comme un tournant dans lâhistoire des Etats-Unis (2), une ouverture pour le monde. Aussi, Ă plusieurs reprises, avons-nous Ă©voquĂ©, sur ce blog, les activitĂ©s et les expressions de ce prĂ©sident (3). Lâattention quâObama a portĂ© au courrier lors de sa prĂ©sidence est une manifestation de son empathie et de son engagement au service de lâhumain. Câest une facultĂ© dâĂ©coute permettant une meilleure identification des besoins et, donc, une capacitĂ© dây rĂ©pondre. Ainsi, nous dit-il, « Ce serait un exercice intĂ©ressant dâidentifier le nombre dâinitiatives⊠dont la plupart Ă©taient de portĂ©e limitĂ©eâŠ. qui aboutirent Ă une modification ou qui provoquĂšrent au moins une discussion sur la maniĂšre dont nous fonctionnons. Un nombre non nĂ©gligeable , je pense » (p 196). Certaines lettres ont suscitĂ© des rĂ©actions visibles. « Je me rappelle une rencontre. Une merveilleuse famille. Un pĂšre et une mĂšre relativement jeunes avec deux enfants, et, au moment oĂč je suis arrivĂ©, la mĂšre a fondu en larmes. Elle mâa serrĂ© dans ses bras et dit : « Si on est ici, câest grĂące Ă vous ». Jâai rĂ©pondu : « Comment ça ? ». « Mon mari ici prĂ©sent a servi dans lâarmĂ©e et souffrait dâun syndrome post-traumatique assez grave et je craignais quâil nâen sorte pas, mais vous avez demandĂ© Ă lâadministration des vĂ©tĂ©rans de nous appeler directement et câest ce qui lâa conduit Ă se faire soigner ». Câest le genre dâoccasions qui nous rappelle que cette fonction a quelque chose de spĂ©cial » (p 196). « Quand les gens reçoivent une rĂ©ponse, ils ont le sentiment que leurs vies et leurs prĂ©occupations ont de lâimportance. Et ça, ça peut changer dans une faible mesure, et parfois plus largement, le regard quâils portent sur la vie » (p 196). Parce quâObama portent un profond respect aux gens, les gens le ressentent, et lui expriment une considĂ©ration qui va jusquâĂ lui faire part de leur Ă©volution personnelle. « Parfois les gens me font part  dâune forme de transformation quâils ont vĂ©cu. Il y a plusieurs lettres de personnes me confiant avoir grandi dans des familles se mĂ©fiant des personnes dâune origine diffĂ©rente, dâun autre milieu. Les lettres me relatent lâĂ©volution que leurs auteurs ou leurs proches ont connue aprĂšs avoir constatĂ© que lâimage dâeux quâon leur renvoyait nâĂ©tait pas celle quâils imaginaient » (p197).
Parce quâObama respecte profondĂ©ment les gens et que ceux-ci peuvent lui manifester du respect en retour, il peut se crĂ©er une forme de communautĂ© en retour. Ainsi Ă©crit Obama : « Les lettres qui me tiennent Ă cĆur sont, je crois, celles qui opĂšrent des liens, qui parlent de la vie des gens, de leurs valeurs, de ce qui leur importe » (p 197). Cette attention tĂ©moigne dâune confiance et dâune bienveillance dont fait preuve le prĂ©sident : « Ces lettres disent que les gens sont pleins de bontĂ© et de sagesse. Il suffit dây faire attention. Ce qui est parfois difficile de faire quand on est Ă lâintĂ©rieur dâune bulle, mais cette petite porte me lâaura rappelĂ© chaque jour » (p 207).
Les lettres : une expression de la vie américaine dans toute sa diversité
Ce livre publie ainsi un grand nombre de lettres par pĂ©riodes chronologiques. Si elles comportent telle interprĂ©tation ou telle louange, elles sâappuient gĂ©nĂ©ralement sur une expression de la vie de ceux qui Ă©crivent. Câest un recueil de rĂ©cits de vie qui tĂ©moignent de la diversitĂ© des situations. Certes, il y a des inflexions dans les contenus. Lorsque Obama accĂšde Ă la prĂ©sidence, il doit faire face Ă une grave rĂ©cession. Il y a du chĂŽmage. Beaucoup de gens souffrent dans leurs conditions de vie. Et comme le redressement ne peut ĂȘtre immĂ©diat, on entend une plainte et parfois une dĂ©ception.
Cependant, il y a aussi ds demandes plus classiques. « Il y a des lettres rĂ©currents comme celles des anciens combattants demandant de lâaide, celles des jeunes accablĂ©s par des dettes rĂ©currentes essayant de savoir sâils sont Ă©ligibles Ă une aide ou une autre, des militaires ou des familles de militaires aux prises avec une dĂ©cision du dĂ©partement de la dĂ©fense⊠» (p 195). « La loi sur la protection de patients et des soins abordables » surnommĂ©e « Obamacare », a suscitĂ© un courrier abondant. Des vies ont Ă©tĂ© sauvĂ©es.
Bien souvent, ces lettres tĂ©moignent dâune expĂ©rience de vie originale. Elles expriment des prises de conscience auxquelles le prĂ©sident est associĂ© parce quâelles soutiennent des causes quâil soutient ou des pistes quâil ouvre . Ces lettres couvrent un champ trĂšs vaste. Des valeurs sây expriment, le meilleur de lâidĂ©al amĂ©ricain tel que Barack Obama en tĂ©moigne. En voici quelques exemples.
Des récits de vie
Ces lettres en grand nombre portent toutes un message. Et, pour chacune dâelle, lâauteure nous permet de la situer dans son contexte et de percevoir le dialogue qui sâĂ©tablit entre les personnes et le prĂ©sident. Ce livre nous apporte un ensemble de rĂ©cits de vie qui nous rapportent les problĂšmes, Ă©conomiques, sociaux er culturels vĂ©cus par des amĂ©ricains et les idĂ©aux qui les animent.
Marnie Hazelton
Marnie Hazelton, mĂšre cĂ©libataire, quinquagĂ©naire, a derriĂšre elle une tradition familiale qui lâengage dans « une vie de service », des parents et des grands-parents afro-amĂ©ricains, « Elle Ă©tait la derniĂšre reprĂ©sentante dâune histoire marquĂ©e par le courage et la lutte » (p 165). Puis, elle devient enseignante dans des Ă©coles dĂ©favorisĂ©es Ă New-York. Câest un idĂ©al qui la pousse. En 2011, elle Ă©coute attentivement le dernier discours dâObama sur lâĂ©tat de lâUnion : « Ce qui aura le plus dâimpact sur la rĂ©ussite dâun enfant, câest lâhomme ou la femme qui se tient devant lui dans la salle de classe. A lâattention de tous les jeunes gens qui Ă©coutent ce soir et qui hĂ©sitent pour leur carriĂšre professionnelle, si vous voulez influer sur la vie dâun enfant, devenez enseignant. Votre pays a besoin de vous » (p 164). « Une bĂątisseuse de nation, une patriote, voilĂ ce quâelle Ă©tait » (p 164). HĂ©las la rĂ©cession avait frappĂ© les Etats-Unis et il fallait du temps pour que la politique dâObama porte tous ses fruits. A lâĂ©chelon local, il y a encore des coupes budgĂ©taires. Elle perd son emploi et entre alors dans une pĂ©riode difficile .
Câest alors quâelle dĂ©cide dâĂ©crire au PrĂ©sident Obama.
« Cher monsieur le Président
Mes parents reprĂ©sentent le meilleur de lâAmĂ©rique .
Mon pĂšre a servi. Ma mĂšre a rĂ©pondu Ă lâappel de John F Kennedy Ă servir ». Plusieurs des mes aĂŻeux ont combattu pour les Etats-Unis. « Jâai marchĂ© dans les pas de ma mĂšre et suis devenu enseignante. « Une bĂątisseuse de nation ».
Monsieur le PrĂ©sident, vous devez recevoir des milliers de lettres narrant les malheurs des chĂŽmeurs et il nây a pas grand chose que vous puissiez faire Ă lâĂ©chelle individuelle. Jâai perdu mon emploi parce que les fonds de relance attribuĂ©s aux Ă©coles sont Ă©puisĂ©s.
Jâaimerais que vous me disiez ce que je dois faire maintenant pour subvenir aux besoins de ma famille alors que le marchĂ© de lâemploi dans lâĂ©ducation est inondĂ© de milliers dâenseignants licenciĂ©s Ă cause des coupes budgĂ©taires et que jâai consacrĂ© les onze derniĂšres annĂ©es de ma vie Ă bĂątir la nation et Ă Ă©duquer les enfants de lâAmĂ©rique » (p 167). Elle fut trĂšs surprise de recevoir une rĂ©ponse personnelle du prĂ©sident : « Merci de votre dĂ©vouement Ă lâĂ©ducation. Je sais que la situation actuelle peut paraĂźtre dĂ©courageante, mais la demande pour des enseignantes et des personnes avec vos compĂ©tences grandira au fur et Ă mesure que la conjoncture et le financement des Ă©tats rebondiront. En attendant, je suis de tout cĆur avec vous » (p 170).
Cette phrase : « je suis de tout cĆur avec vous » alla droit au coeur de Marnie. La lettre du prĂ©sident lui redonna courage et lâaccompagna dans les Ă©pisodes qui ont suivi jusquâĂ la prĂ©senter dans un jeu tĂ©lĂ©visĂ©. Treize mois aprĂšs avoir Ă©tĂ© congĂ©diĂ©e, elle reçut la demande dâun district scolaire dans lequel elle avait dĂ©jĂ travaillĂ©. « RevigorĂ©e, rĂ©inventĂ©e, quand elle revint dans la salle de classe, elle montra Ă ses Ă©lĂšves le mot du prĂ©sident Obama. CâĂ©tait une occasion de leur apprendre quelque chose. Elle dit aux enfants : « Je suis de tout coeur avec vous ». Et elle lâa rĂ©pĂ©tĂ© Ă tout le monde autour dâelle. Finalement, elle devint directrice du district qui lâavait autrefois mise Ă pied.
Marjorie McKinney
MariĂ© Ă un gĂ©ologue de lâUniversitĂ© de Caroline du Nord, Marjorie avait aidĂ© son mari pendant toute sa carriĂšre. Cette association avait toujours reposĂ© sur un consentement mutuel.
« Ce jour, elle sâĂ©tait rendu Ă Albany pour collecter des images de fossile Ă la demande de Ken ». Pour regagner sa voiture, elle commença Ă sâengager dans une immense place devant le musĂ©e. « Il y avait une personne au loin qui se dirigea vers elle. Il avait lâair jeune. Il Ă©tait noir. Il portait un sweat Ă capuche . Dâun geste brusque, il rabattit la capuche masquant son visage ». Marjorie eut trĂšs peur avec une immense envie de fuir » . En arrivant en mĂȘme temps Ă la cage dâescalier, il la regarda. « DĂ©sagrĂ©able le vent, hein ! » dit-il, avant dâajouter quâil y avait un passage souterrain pour piĂ©tons qui reliait le musĂ©e au parking au cas oĂč elle ne le saurait pas. La prochaine fois quâil ferait froid, elle gagnerait peut-ĂȘtre Ă le prendre, suggĂ©ra-t-il. CâĂ©tait tout. Il Ă©tait parti. Un truc qui pouvait sembler anodin. Un truc banal ». Mais pour Marjorie, cela marqua une rupture dans sa reprĂ©sentation dâelle-mĂȘme. « Pourquoi avais-je eu peur de ce charmant jeune homme ? ». Tout simplement parce quâil Ă©tait noir . Je nâavais aucune raison dâavoir peur de lui. JâĂ©tais atterrĂ©e. Ce nâĂ©tait pas quelque chose que jâaurais cru ressentir un jour. Ce fut un tournant dans ma vie parce que je me suis rendu compte que jâĂ©tais raciste. Et il fallait que je trouve le moyen de mâen dĂ©barrasser » (p 209).
Une bonne partie du problĂšme pour Marjorie, câest quâelle pensait sâen ĂȘtre dĂ©barrassĂ©e (p 210). Et elle avait dĂ©jĂ parcouru un chemin en ce sens. En effet, elle avait vĂ©cu son enfance dans le sud profond, Birmingham Ă une Ă©poque oĂč le monde Ă©tait divisĂ© en deux : blanc ou noir. Cela paraissait naturel. Elle prit conscience de lâinjustice en rencontrant Ă lâuniversitĂ© un ami, un Ă©tudiant allemand beaucoup plus ĂągĂ© quâelle. Elle venait dâune ville oĂč rĂ©gnait une sĂ©grĂ©gation trĂšs dure. Son ami allemand lui expliqua le racisme, lâintolĂ©rance, la haine, lui parla de son pays, de sa vie, des jeunesses hitlĂ©riennes⊠« Elle le remercia pour tout ce quâil lui avait expliquĂ© Ă la cantine ce jour-lĂ et pour avoir donnĂ© une nouvelle orientation Ă sa vie. « Tu en avais besoin » lui dit-il » (p 218). DĂšs lors, « Marjorie sâengagea dans le mouvement des droits civiques. Toute sa vie, elle chercha Ă voir au delĂ de la race. Et, parmi ses enfants adoptĂ©s, deux dâentre eux Ă©taient mĂ©tis (p 212). « Imaginez un peu. Avec tout ce bagage, tout ce chemin parcouru avec Ken et les enfants. Et puis, elle est Ă Albany. Il fait froid. Et elle a dĂ©couvert ce puits de laideur installĂ© en en elle, tel un vers qui sâĂ©veille Ă la vie ». Ă la suite dâun fait divers mettant en Ă©vidence la persistance des sentiments racistes et dâun discours trĂšs digne dâObama Ă ce sujet. Elle dĂ©cida de lui Ă©crire. Elle lui raconta son parcours et lâincident quâelle avait vĂ©cu.
Monsieur le PrĂ©sident. JâespĂšre que dâautres personnes qui auront entendu vos paroles auront davantage conscience de la peur qui se tapit chez beaucoup dâentre nous. Elle est irrationnelle, mais elle est lĂ . JâespĂšre que jâaurais oubliĂ© cette course Ă Albany et le jeune homme rencontrĂ© par cette froide journĂ©e. Vos franches paroles de la semaine derniĂšre comptent beaucoup pour moi. Merci » (p 215).
La rĂ©ponse dâObama vint en ces termes : « Merci pour cette lettre murement rĂ©flĂ©chie. Votre histoire illustre ce qui me rend optimiste pour le pays ».
Yolanda
Aider les gens en dĂ©tresse Ă revenir dans une vie vivable et sociable, tel peut ĂȘtre un objectif bienfaisant de lâaction politique. Et il peut en rĂ©sulter une expression de gratitude. Yolanda fait partie de ceux qui ont luttĂ© pour vivre et savent reconnaĂźtre lâaide quâils ont reçue .
Yolanda « avait dĂ©jĂ Ă©crit il y a quelques annĂ©es pour parler au prĂ©sident de sa situation dâancienne combattante handicapĂ©e du fait quâelle vivait dans sa voiture et quâelle faisait constamment des cauchemars liĂ©s aux traumatismes sexuels subis pendant quâelle Ă©tait dans la marine. « Monsieur le prĂ©sident, vous et votre cabinet avez fait une dĂ©claration nationale pour que les Ă©tats travaillent Ă mettre fin au problĂšme des sans-abris. Je vous avais fait part de ma priĂšre silencieuse de vouloir devenir un membre productif de notre sociĂ©tĂ©, dâĂȘtre capable de vivre, dây payer un loyer, bref dây prendre part » (p 236). Or ce dĂ©sir a Ă©tĂ© exaucĂ©. « Câest avec des larmes de reconnaissance que je peux vous dire que jâai signĂ© aujourdâhui un bail au Veteranâs village pour deux piĂšcesâŠ.Aujourdâhui jâai pleurĂ© des larmes de joie. JâĂ©tais si fiĂšre de pouvoir leur donner le mandat postal pour le loyer⊠Tout ça, câest grĂące Ă vous et Ă votre administration. Je ne suis pas un numĂ©ro. Je ne suis pas une saletĂ© sur laquelle des gens crachent. Je ne suis pas oubliĂ©eâŠ. Jâai maintenant un endroit oĂč vivre, un chez moi. Je vais me montrer Ă la hauteur de ce don gracieux qui mâa Ă©tĂ© fait. Merci ! » (p 236). Une expression de dignitĂ© dans la gratitude et la confiance.
« Barack Obama et les citoyens américains en toutes lettres » (1), ce livre de Jeanne Marie Laskas, nous permet de partager à travers la publication de cette vaste correspondance, des centaines de lettres, une expression constructive et encourageante.
Si Obama rencontre des oppositions, il est en gĂ©nĂ©ral respectĂ©. Ces lettres manifestent un grand respect . Ainsi sâĂ©tablit une confiance rĂ©ciproque . Courage, dignitĂ© et confiance se manifestent dans ces rĂ©cits de vie. Cette lecture nâest pas seulement agrĂ©able. Elle communique la bienveillance qui sây exprime.
J H
par jean | Mar 18, 2018 | ARTICLES, Vision et sens |
 ReconnaĂźtre la prĂ©sence et lâĆuvre de lâEsprit
Si on reconnaĂźt de plus en plus lâinterconnexion qui caractĂ©rise notre univers et Ă laquelle nous participons, il y a dans cette prise de conscience un potentiel dâouverture par rapport Ă la perception dâune force transcendante, Ă lâĂ©coute dâune voix dâamour. Câest pourquoi, dans la sociĂ©tĂ© dâaujourdâhui, la prĂ©sence de lâEsprit peut davantage ĂȘtre reconnue.
En christianisme, en terme dâEsprit saint, lâEsprit est reconnu comme un acteur personnel de la communion divine et comme catalyseur et inspiration de lâEglise. Mais si ces termes sont approximatifs avec lâintention de parler Ă tous, nâest-ce pas dire ainsi combien nous avons besoin de mieux connaĂźtre et reconnaĂźtre lâEsprit divin. Nous trouvons cet Ă©clairage dans un livre que JĂŒrgen Moltmann, le thĂ©ologien de lâespĂ©rance, a consacrĂ© Ă lâEsprit saint sous un titre significatif : « LâEsprit qui donne la vie » (1).
Ce livre est pour nous une source dâinspiration qui Ă©claire notre existence. Comme lâĆuvre de JĂŒrgen Moltmann dans son ensemble, cet ouvrage ouvre des horizons multiples. Dans ce texte et selon Moltmann, nous nous interrogeons sur les barriĂšres qui ont fait obstacle Ă la reconnaissance de la place et de lâĆuvre de lâEsprit. DĂ©couvrons ces barriĂšres pour les dĂ©passer et entrer dans un processus bienfaisant. « Lâauteur cherche Ă Ă©laborer une thĂ©ologie de lâEsprit susceptible de dĂ©passer la fausse alternative, souvent rĂ©itĂ©rĂ©e dans les Eglises entre la RĂ©vĂ©lation divine quâelles ont pour mission de sauvegarder et les expĂ©riences humaines de lâEsprit. Il entend ainsi mettre en valeur les dimensions cosmiques et culturelles de lâEsprit « crĂ©ateur et recrĂ©ateur » qui transgresse toutes les frontiĂšres Ă©tablies » (page de couverture).
Par delĂ les barriĂšres
LâEsprit de Dieu est Ă lâĆuvre dans lâexpĂ©rience humaine par delĂ les exclusivismes institutionnels. Il nâest pas seulement lâEsprit de la rĂ©demption, mais aussi lâEsprit de la crĂ©ation. Il se dĂ©ploie malgrĂ© les limites Ă©rigĂ©es par des institutions inquiĂštes. Lâhistoire rĂ©cente nous montre cette tension. « Il ne peut ĂȘtre question dâun « oubli » de lâEsprit aux Temps modernes ; au contraire, le rationalisme et le piĂ©tisme des LumiĂšres furent tout aussi enthousiastes que le christianisme pentecĂŽtiste aujourdâhui. Ce furent les craintes des Eglises Ă©tablies Ă lâĂ©gard de « lâesprit de liberté » religieux aussi bien quâirrĂ©ligieux, du monde moderne qui conduisirent Ă une rĂ©serve de plus en plus grande en matiĂšre de doctrine de lâEsprit saintâŠSeul fut dĂ©clarĂ© « saint » cet Esprit qui est liĂ© Ă la mĂ©diation ecclĂ©siale et institutionnelleâŠÂ » (p 17). Encore aujourdâhui, dans certains cercles, on peut observer cet exclusivisme. « Dans la thĂ©ologie et la piĂ©tĂ© protestante, comme dans la thĂ©ologie et la piĂ©tĂ© catholique, il existe une tendance qui consiste Ă concevoir lâEsprit Saint uniquement comme lâEsprit de la rĂ©demption dont le lieu est lâEglise et qui donne aux hommes la certitude de la bĂ©atitude Ă©ternelle de leur Ăąme. Cet Esprit sauveur est mis Ă lâĂ©cart de la vie corporelle comme de la vie naturelle » (p 25).
Esprit de rédemption. Esprit de création
LâEsprit Saint nâest pas seulement rĂ©dempteur, mais aussi crĂ©ateur. « Si lâEsprit Saint Ă©tait seulement lâEsprit de lâEglise et de la foi, cela restreindrait « la communion de lâEsprit Saint » et aurait pour consĂ©quence que, dans son expĂ©rience de lâEsprit, lâEglise deviendrait incapable de communiquer avec le monde ».
Pourquoi cette conception rĂ©duite de lâĆuvre de lâEsprit ? Elle tient Ă©galement Ă une focalisation sur les expĂ©riences intĂ©rieures de lâĂąme dans une attitude marquĂ©e par lâinfluence de la philosophie platonicienne. Câest la perspective, non pas chrĂ©tienne, mais gnostique dâune Ăąme, Ă la mort, « libĂ©rĂ©e de cette vallĂ©e de larmes et de cette enveloppe corporelle caduque, et introduite dans le ciel des bienheureux ». En regard, lâEglise ancienne a adoptĂ© la rĂ©surrection de la chair. « Or, si la rĂ©demption est la rĂ©surrection de la chair et la crĂ©ation nouvelle de toutes choses, alors lâEsprit du Christ qui sauve ne peut ĂȘtre un autre esprit que lâEsprit crĂ©ateur quâest la « Ruah Yahweh » selon une expression hĂ©braĂŻque »⊠Il y a une unitĂ© entre lâagir de Dieu dans la crĂ©ation, la rĂ©demption et la sanctification de toutes chosesâŠLâEsprit rĂ©dempteur est aussi lâEsprit de la rĂ©surrection et de la crĂ©ation nouvelle de toutes chosesâŠÂ ».
Ainsi, « lâexpĂ©rience de la rĂ©surrection et la relation Ă la puissance divine ne conduisent pas Ă une spiritualitĂ© qui exclut les sens, qui est tournĂ©e vers lâintĂ©rieur, hostile au corps et sĂ©parĂ©e du monde, mais Ă une vitalitĂ© nouvelle de lâamour de la vie » (p 27).
Transcendance et immanence
Les reprĂ©sentations de Dieu ont naturellement une grande influence. Certaines reprĂ©sentations peuvent avoir une influence trĂšs nĂ©gative. Et on peut sâinterroger en se souvenant de la personne de JĂ©sus : «On reconnaĂźt lâarbre Ă ses fruits ». Ainsi, si on croit en un Dieu si transcendant quâil en devient inaccessible, on ne peut percevoir lâEsprit de Dieu dans lâexpĂ©rience humaine. Dans un contexte de dĂ©bat thĂ©ologique, pour le thĂ©ologien Karl Barth, « II nây avait pas de continuitĂ©Â entre la crĂ©ature et le crĂ©ateur, pas mĂȘme dans le souvenir quâa lâĂąme humaine de son origine, comme le disait Augustin » (p 22). La rĂ©vĂ©lation vient dâen haut et sâimpose Ă lâhomme. JĂŒrgen Moltmann sâinterroge sur cette discontinuitĂ© entre lâEsprit de Dieu et lâesprit de lâhomme. « Je ne parviens pas Ă percevoir dâalternative de principe entre la rĂ©vĂ©lation de Dieu Ă des hommes et lâexpĂ©rience de Dieu faite par des hommes. Comment un homme pourrait-il parler dâun Dieu si Dieu ne se rĂ©vĂšle pas ? Comment un homme pourrait-il parler dâun Dieu dont il nâexiste aucune expĂ©rience humaine ? » (p 22). Et il nous invite Ă percevoir la prĂ©sence de Dieu en terme dâimmanence et de transcendance. « Câest voir lâimmanence de Dieu dans lâexpĂ©rience humaine et la transcendance de lâhomme en Dieu. Parce que lâEsprit de Dieu est en lâhomme, lâesprit de lâhomme dans son autotranscendance est orientĂ© vers Dieu. Celui qui schĂ©matise rĂ©vĂ©lation et expĂ©rience en en faisant une alternative aboutit Ă des rĂ©vĂ©lations qui ne peuvent faire lâobjet dâune expĂ©rience et Ă des expĂ©riences dĂ©pourvues de rĂ©vĂ©lation » (p 24).
Pour une thĂ©ologie de lâexpĂ©rience
Lâaffirmation constante du lien de lâEsprit Ă lâinstitution ecclĂ©siale « a conduit Ă lâappauvrissement des communautĂ©s, Ă la dĂ©sertion des Eglise et Ă lâĂ©migration de lâEsprit vers les groupes spontanĂ©s et vers les expĂ©riences personnelles âŠLes hommes ne font pas lâexpĂ©rience de lâEsprit de façon extĂ©rieure seulement dans leur communautĂ© ecclĂ©siale, mais de façon intĂ©rieure dans lâexpĂ©rience quâils font dâeux-mĂȘmes Ă savoir dans le fait que « lâamour de Dieu a Ă©tĂ© rĂ©pandu dans nos cĆurs par lâEsprit saint⊠(Romains 5.5). Cette expĂ©rience personnelle de lâEsprit, beaucoup de personnes lâexpriment par de simples mots : « Dieu mâaime ». Ainsi JĂŒrgen Moltmann est amenĂ© Ă dĂ©velopper une thĂ©ologie de lâexpĂ©rience (p 37).
« Il nây a pas de paroles de Dieu sans expĂ©riences humaines de lâEsprit. Câest pourquoi les paroles de la Bible et les paroles de la prĂ©dication de lâEglise doivent ĂȘtre rĂ©fĂ©rĂ©s Ă©galement aux expĂ©riences des hommes dâaujourdâhui pour que ceux-ci ne soient pas seulement des auditeurs de la Parole (K Rahner), mais deviennent eux-mĂȘmes des locuteurs de la Parole⊠Mais cela nâest possible que si lâon voit la Parole et lâEsprit dans leur rapport mutuel et non pas comme une voie Ă sens unique » (p 18).
Une dimension cosmique
« Les recherches nouvelles conduisant Ă une « thĂ©ologie Ă©cologique », Ă une « christologie cosmique », et Ă la redĂ©couverte du corps ont pour point de dĂ©part la comprĂ©hension hĂ©braĂŻque de lâEsprit de DieuâŠ. LâexpĂ©rience de Dieu qui donne vie et qui est faite dans la foi du cĆur et dans la communion de lâamour conduit dâelle-mĂȘme au delĂ des frontiĂšres de lâEglise vers la redĂ©couverte de ce mĂȘme Esprit dans la nature, les plantes, les animaux et dans les Ă©cosystĂšmes de la terre ». Ainsi notre vision sâĂ©largit jusquâĂ une dimension cosmique. «LâexpĂ©rience de la communautĂ© de lâEsprit conduit nĂ©cessairement la chrĂ©tientĂ© par delĂ dâelle-mĂȘme, vers la communautĂ© plus grande de toutes les crĂ©atures de Dieu. La communion de la crĂ©ation, dans laquelle toutes les crĂ©ations existent les unes avec les autres, les unes pour les autres, les unes par les autre set les unes dans les autres, est la communion de lâEsprit saint » » (2). Câest une interpellation pour les Eglises. « Face Ă la menace dâune « fin de la nature », les Eglise dĂ©couvriront la signification cosmique du Christ et de lâEsprit ou bien se feront complices de la destruction de la crĂ©ation terrestre de Dieu. » . Câest un nouveau regard. « La dĂ©couverte de lâampleur cosmique de lâEsprit conduit au respect de la dignitĂ© de toutes les crĂ©atures dans lesquelles Dieu est prĂ©sent par son Esprit » (p 28).
La personnalitĂ© de lâEsprit
Bien entendu, nous nous posons la question : comment lâEsprit saint sâinscrit-il dans la rĂ©alitĂ© divine ? Câest une question qui a suscitĂ© de grands dĂ©bats thĂ©ologiques. Elle ne peut ĂȘtre exprimĂ©e ici en quelques lignes dâautant que nous sommes dĂ©pourvus dâexpertise thĂ©ologique. On se reportera donc au chapitre de JĂŒrgen Moltmann consacrĂ© Ă lâexpĂ©rience trinitaire de lâEsprit (p 90-113).
Dans son livre le plus rĂ©cent : « The living God and the fullness of life » (3), Moltmann dĂ©crit ainsi cette expĂ©rience trinitaire de Dieu : « La foi chrĂ©tienne est une vie en communion avec Christ. JĂ©sus, le fils de Dieu, appelle Dieu : Abba, cher pĂšre ». Dâautre part, en communion avec Christ, nous ressentons un encouragement Ă vivre, une puissance de guĂ©rison. Nous savons que nous sommes consolĂ©s et nous sommes en phase avec le grand oui de Dieu Ă la vie. Nous recevons ainsi les Ă©nergies de lâEsprit de Dieu. LâEsprit qui donne la vie « entre Ă flots dans nos cĆurs » (Rom 5.5)⊠(p 61). Nous faisons ainsi lâexpĂ©rience de ces trois dimensions dans la communion avec Christ. Nous vivons avec JĂ©sus, le Fils de Dieu et avec Dieu, le PĂšre de JĂ©sus-Christ et avec Dieu, lâEsprit de vie. Ainsi, nous ne croyons pas seulement en Dieu, nous vivons en Dieu, câest Ă dire dans lâhistoire trinitaire de Dieu avec nous » ( p 62).
Mais oĂč voyons-nous lâunitĂ© de Dieu ? « Elle Ă©merge de la relation interne entre Dieu le Fils, Dieu le PĂšre et lâEsprit de Dieu ». En chaque personne divine, nous voyons la prĂ©sence des autres. Elles sont ainsi tellement interreliĂ©es quâelles ne peuvent ĂȘtre sĂ©parĂ©es. Cette vĂ©ritĂ© est exprimĂ©e par JĂ©sus lorsquâil dit : « Le PĂšre et moi, nous sommes un » (Jean 16-30). Ce nâest pas seulement une unitĂ© de vouloir, câest aussi une interrelation : « Afin quâils puissent ĂȘtre un. Comme toi, PĂšre, est en moi, et moi en toi » (Jean 17-20). Câest une inhabitation rĂ©ciproque, un don mutuel. « LâidĂ©e israĂ©lite de la « Shekinah » et le concept patristique de la « perichoresis » sont des reprĂ©sentations de ces inhabitations rĂ©ciproques ». Cette communion sâĂ©tend Ă nous. « Lâamour est la vraie force qui dĂ©passe les frontiĂšres. Celui qui vit dans lâEsprit de Dieu vit en Dieu et Dieu en lui ou elle » (p 63). Au total, si on perçoit lâEsprit saint Ă travers ce quâil opĂšre, sa personnalitĂ© ne se comprend quâĂ partir de ses relations au PĂšre et au Fils. « Car lâĂȘtre-personne est toujours ĂȘtre-en-relation. Les relations qui constituent lâĂȘtre-personne de lâEsprit doivent ĂȘtre cherchĂ©es dans la Trinité » (LâEsprit qui donne la vie p 30).
Vers un monde nouveau
Les prophĂštes dâIsraĂ«l, EzĂ©chiel et JĂ©rĂ©mie, mettent en Ă©vidence lâaction transformatrice de lâEsprit. Ainsi JĂ©rĂ©mie Ă©crit : « Des jours viennent oĂč je conclurai avec la communautĂ© dâIsraĂ«l et la communautĂ© de Juda, une nouvelle alliance⊠Je dĂ©poserai la loi au fond dâeux-mĂȘmes lâinscrivant dans leur ĂȘtre. Je deviendrai Dieu pour eux et eux, ils deviendront mon peuple. Ils ne sâinstruiront plus entre eux, rĂ©pĂ©tant : « Apprenez Ă connaĂźtre le Seigneur », car ils me connaitront tous, petits et grands » (JĂ©rĂ©mie 31.31-33). « Ici la connaissance mĂ©diatisĂ©e cĂšde la place Ă la connaissance immĂ©diate, et le vouloir de Dieu mĂ©diatisĂ© cĂšde la place au vouloir qui va de soi. Cela suppose un avenir dans lequel Dieu lui-mĂȘme est manifestĂ© de façon immĂ©diate et universelle et dans lequel lâEsprit de Dieu pĂ©nĂštre Ă©galement les profondeurs du cĆur de lâhomme et leur donne vie » (p 87-88). Cette vision se rĂ©alise dans lâexpĂ©rience de la PentecĂŽte (4). « Les dons de lâEsprit sont rĂ©pandus sur le peuple entier si bien que sont abolis les privilĂšges traditionnels des hommes par rapport aux femmes, des maitres par rapport aux serviteurs et des adultes par rapport aux enfants »⊠« Quand Dieu deviendra dĂ©finitivement prĂ©sent par lâEsprit, le peuple tout entier deviendra un peuple prophĂ©tique ». Et, comme il est aussi Ă©crit, « Je rĂ©pandrai mon Esprit sur toute chair », cette expression « toute chair » va au delĂ du genre humain et induit tout ce qui est vivant âŠLâeffusion de lâEsprit de Dieu conduit par consĂ©quent Ă la nouvelle naissance de toute vie et de la communautĂ© de tout ce qui est vivant sur la terre » (p 88) .
Câest ainsi que JĂŒrgen Moltmann peut nous ouvrir un horizon qui nous transporte dans un espace oĂč les barriĂšres sâeffacent et ou une communion universelle apparaĂźt.
« LâexpĂ©rience de Dieu qui est attendue de la venue de lâEsprit est
1 Universelle. Elle nâest pas particuliĂšre, mais se rapporte Ă toute chair selon les dimensions de la crĂ©ation.
2 Totale. Elle nâest plus partielle, mais opĂšre dans le cĆur de lâhomme, dans les profondeurs de lâexistence humaine
3 Permanente. Elle nâest plus historique et passagĂšre, mais Ă©voquĂ©e comme le « repos » et « lâhabitation » de Dieu
4 ImmĂ©diate. Elle nâest plus mĂ©diatisĂ©e par la rĂ©vĂ©lation et la tradition, mais fondĂ©e sur la rĂ©vĂ©lation de Dieu et sa gloire » ( p 88).
Au terme de ce parcours, nous pouvons demander comment il sera reçu non seulement par les lecteurs croyants, mais aussi par les lecteurs en attente. En effet, chez certains de nos contemporains, nous pouvons observer un dĂ©sir de communion et dâunitĂ©, une recherche de transformation intĂ©rieure dans lâamour allant de pair avec une reconnaissance du vivant dans la nature.
Dans ce texte, nous voyons comment la pensĂ©e thĂ©ologique de JĂŒrgen Moltmann dĂ©passe un hĂ©ritage de divisions pour relier des rĂ©alitĂ©s jusque lĂ sĂ©parĂ©es, dans une perspective dâunification Ă la lumiĂšre dâun Dieu, communion dâamour et puissance de vie. LâEsprit saint est un Esprit qui donne la vie. Il Ă©chappe Ă tout exclusivisme clĂ©rical. En tant quâEsprit de crĂ©ation, il est Ă lâĆuvre dans tous les ĂȘtres vivants, dans tous les humains. Dieu nâest pas lointain et inaccessible. LâEsprit de Dieu se manifeste dans lâexpĂ©rience humaine. Il ne nous dĂ©tourne pas de notre vie humaine, mais il nous encourage Ă vivre pleinement. Dans la relation avec le Christ, il nous invite Ă entrer dans une vie nouvelle et dans la dimension de la rĂ©surrection. Câest une spiritualitĂ© qui induit les sens et conduit Ă la vitalitĂ© nouvelle de lâamour de la vie. A une Ă©poque oĂč lâon prend conscience de la menace qui pĂšse sur la nature. JĂŒrgen Moltmann pointe sur la prĂ©sence de lâEsprit dans les animaux, les plantes, les Ă©cosystĂšmes de la terre. Câest une invitation Ă vivre en harmonie avec les ĂȘtres vivants et Ă respecter leur dignitĂ©. La vision de lâEsprit saint, telle que nous la propose JĂŒrgen Moltmann, est celle dâun Esprit qui communique la vie. Câest une vision qui rĂ©pond Ă nos profondes aspirations. Câest une vision qui porte une dynamique en Ă©cho Ă ce chant prĂ©sent dans notre mĂ©moire : « Dans le monde entier, le Saint Esprit agit⊠Au fond de mon cĆur, le Saint Esprit agitâŠÂ » (5)
Jean Hassenforder
(1)           JĂŒrgen Moltmann. LâEsprit qui donne la vie Une pneumatologie intĂ©grale. Cerf, 1999
(2)           « Convergences Ă©cologiques : Jean Bastaire, JĂŒrgen Moltmann, Pape François et Edgar Morin » : https://vivreetesperer.com/?p=2151
(3)           JĂŒrgen Moltmann. The living God and the fullness of life. World Council of Churches, 2016. PrĂ©sentation : https://vivreetesperer.com/?p=2697
(4)           « La PentecÎte : une communauté qui fait tomber les barriÚres » : https://vivreetesperer.com/?p=2390
(5)           « Dans le monde entier, le Saint Esprit agitâŠÂ » https://www.conducteurdelouange.com/chants/consulter/70
Voir aussi ce tĂ©moignage dâOdile Hassenforder, paru dans « Sa prĂ©sence dans ma vie » : « Dieu, puissance de vie » : https://vivreetesperer.com/?p=1405
par jean | Déc 22, 2014 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Société et culture en mouvement |
Le covoiturage : un lieu de rencontre et de solidarité, une respiration
 David habite Dreux. Il est souvent appelé à se déplacer. David nous raconte ici comment il a découvert et expérimenté BlaBlaCar.
« Une amie mâen avait parlĂ© et proposĂ© de limiter ainsi les frais de voyage des grandes vacances. Je nâai pas acceptĂ© croyant ainsi prĂ©servĂ© ma libertĂ©. Câest, il y a quelques mois, que jâai expĂ©rimentĂ© BlablaCar, car, pour de bon, Ă©tant privĂ© de voiture.
BlaBlaCar, câest un site internet (1) qui propose des petits et longs trajets dans toute la France et mĂȘme au delĂ . Il prĂ©sente de petites annonces avec le nom, lâĂąge, des Ă©lĂ©ments biographiques des conducteurs comme des passagers. Il suffit de sâinscrire Ă une annonce proposant un trajet et comme conducteur, il suffit de proposer un trajet et dâattendre que des passagers sâinscrivent. Le trajet coĂ»te au passager et rapporte au conducteur environ la moitiĂ© du coĂ»t rĂ©el pour une personne, ce qui fait moins dâun quart des prix des billets de train.
Le site modĂšre lui mĂȘme les prix en indiquant si les prix sont verts, oranges ou rouges, câest-Ă -dire sâils sont bon marchĂ©, moyens ou un peu chers. Lorsquâon est passager, on paie par carte bleue auprĂšs du site qui reverse la somme au conducteur en y ajoutant une commission.
 BlaBlaCar existe dĂ©jĂ depuis quelques annĂ©es et, il y a quelque temps, le service de mise en relation et de gestion des trajets se faisait sans facturer des commissions. A cet Ăąge dâor de BlaBlaCar selon les anciens utilisateurs de BlablaCar, appelĂ©s « ambassadeurs » ou « experts », il nây avait pas au dĂ©part de frais de commission, et lâargent se donnait de la main Ă la main au dĂ©but ou Ă la fin du trajet. Pour ceux qui dĂ©butent ou les habituĂ©s plus rĂ©cents, la commission fait partie du systĂšme. Depuis quelques annĂ©es, lâentreprise française BlaBlaCar a maintenant 60 salariĂ©s et a professionnalisĂ© et sĂ©curisĂ© le systĂšme Ă la fois au niveau de la sĂ©curitĂ© des membres du rĂ©seau en obligeant Ă lâidentification complĂšte, aussi en mettant en place une Ă©valuation des conducteurs et des passagers les uns par les autres, en amĂ©liorant le systĂšme de rĂ©servation qui est opĂ©rationnel Ă 100%. Ce service est une partie de la commission facturĂ©e. Lâautre partie de la commission, et câest lĂ un dĂ©bat de sociĂ©tĂ©, sert Ă provisionner la TVA. Câest lĂ oĂč les chauffeurs de taxi, les voitures avec chauffeurs et la SNCF sont concernĂ©s et « indignĂ©s » parce que le trajet en BlaBlaCar, câest un constat, sont de 2 Ă 6 fois moins chers, mais ne sont pas soumis Ă la mĂȘme TVA. Il y a actuellement un vide juridique en France sur ce point de fiscalitĂ©. Donc, en attendant que lâĂ©tat adopte une position fiscale par rapport Ă ce nouveau type dâentreprise, BlablaCar provisionne par cette commission un Ă©ventuel coup de frein quâobtiendrait la SNCF par exemple contre ce nouveau concurrent qui lui prend un nombre de passagers suffisamment important pour quâelle rĂ©agisse auprĂšs de lâĂ©tat dâune part, et que, dâautre part, elle crĂ©e sur son propre site de rĂ©servation et de billet un service de covoiturage. Câest dire si la tendance est dâactualité ».
Peut-on aller au travail en Blablacar ? « Personnellement jây suis allĂ© plusieurs fois avec des conducteurs qui allaient au travail eux aussi. Cela mâa permis de rencontrer un employĂ© de la SNCF, une contrĂŽleuse de la RATP, un restaurateur, un expert comptable, un informaticien du ministĂšre de la dĂ©fense qui se rendait Ă Balard, un professeur de mĂ©canique, un chef dâentreprise, des Ă©tudiants en Ă©conomie, en Ă©cole vĂ©tĂ©rinaire. Jâai aussi rencontrĂ© des personnalitĂ© surprenantes comme cette retraitĂ©e de 80 ans repartant dâun colloque Ă Paris pour la Bretagne et conduisant dâune façon hĂ©sitante dans lâagglomĂ©ration et, bien sĂ»r, avec une vieille voiture. Elle mâa parlĂ© longuement de son colloque sur « le dĂ©veloppement personnel et les neurosciences ». Jâajoute que jâai Ă©tĂ© aussi covoiturĂ© par un quinquagĂ©naire dâĂ©ducation protestante libĂ©rale qui mâa entretenu des bienfaits du chamanisme et des rites tantriques pendant une heure et demie.
Habitant Dreux, je constate que la liaison Bretagne, Normandie, Ile de France est particuliĂšrement peuplĂ©e et animĂ©e. Plusieurs trajets par jour sont proposĂ©s. Jâai pu constater aussi cet Ă©tĂ© en allant en vacances dans le sud en BlaBlaCar quâil Ă©tait extrĂȘmement facile et Ă©conomique de dĂ©cider en trois heures de monter dans une voiture pour Nice, Montpellier, NĂźmes, Perpignan. Jâai mĂȘme hĂ©sitĂ© Ă aller en Espagne.
Ce qui mâa le plus frappĂ©, câest que la plupart de temps passĂ© dans ce covoiturage est lâoccasion dâune vraie rencontre interpersonnelle, ce qui nâest pas rien, dans notre sociĂ©tĂ© et nâarrive pas dans les transports en commun. Quelques utilisateurs, dont moi parfois, sont dans le pragmatisme, mais la plupart du temps, et câest indiquĂ© dans lâannonce, des covoitureurs sont prĂȘts Ă faire un dĂ©tour de 15 Ă 30 minutes pour raccompagner le passager Ă son domicile ou Ă son lieu de travail, sont prĂȘts Ă Ă©couter de la musique ou pas, Ă parler un peu, beaucoup ou pas, et de fumer ou pas dans la voiture, tout cela Ă©tant prĂ©cisĂ© par de petites icĂŽnes appropriĂ©es sur le site. Il mâest arrivĂ© cet Ă©tĂ© sur la route de retour des vacances, revenant du pont de Millau, de faire route avec un couple qui circulait en deux voitures ; Jâai circulĂ© avec le monsieur (kinĂ©). Nous nous sommes arrĂȘtĂ©s au restaurant avec sa compagne. Surpris que son compagnon discute autant avec son passager BlaBlaCar, elle mâa demandĂ© si je voulais bien poursuivre le trajet dans sa voiture pour discuter avec elle aprĂšs avoir discutĂ© avec lui. Et câest comme cela quâun couple donne du travail dâaccompagnement pastoral et un magnifique retour de vacances Ă un pasteur heureux de reprendre son rĂŽle dâencouragement en retournant Ă sa paroisse. Comme souvent on se demande les uns les autres « ce quâon fait dans la vie » et que lâon en vient Ă parler de « ce que lâon fait dans la vie », lorsque je dis que je suis pasteur, il y a, en gĂ©nĂ©ral , soit un mouvement dâĂ©vitement, soit un regain dâintĂ©rĂȘt. Si câest lâĂ©vitement, je reparle dâautre chose. Si câest lâintĂ©rĂȘt, la conversation sâengage. Le plus frĂ©quent est un mĂ©lange des deux attitudes. Câest le mĂȘme phĂ©nomĂšne que lorsquâon dit tout de go quâon est chrĂ©tien. Ce que je trouve intĂ©ressant de mon cĂŽtĂ©, câest de voir quelquefois les gens sâouvrir dâeux-mĂȘme dâune maniĂšre familiĂšre et simple sur ce qui est au cĆur de leur vie, et câest fou la libertĂ© de parole et de questionnement lorsquâon parle Ă un inconnu. Câest alors quâon fait connaissance. Des gens mâont parlĂ© de Dieu, mais rarement. La grand-mĂšre retraitĂ©e mâa parlĂ© du besoin de libĂ©ration de lâhumain. Cependant, il ne mâest pas arrivĂ© jusquâici de rencontrer des chrĂ©tiens engagĂ©s. Je trouve Ă©tonnant de nâavoir rencontrĂ© aucun chrĂ©tien, mĂȘme sociologique, aprĂšs une quarantaine de voyages. En tout cas, la rĂ©flexion Ă©thique, la bonne rĂ©flexion morale est une constante sur ce rĂ©seau. Et les dialogues sont trĂšs respectueux.
Ayant le besoin de me dĂ©placer, jâai fait le constat que BlaBlaCar est non seulement un moyen de faire des Ă©conomies, mais aussi un lieu de solidaritĂ©. Jâai pris conscience de quelque chose que je voudrais mentionner presque comme une confession ou un aveu. Lorsque mon amie mâavait parlĂ© la toute premiĂšre fois de prendre des passagers dans ma voiture pour partir en vacances et allĂ©ger mes propres frais de route, jâavais dit non. Je nâai dĂ©couvert BlaBlaCar que 6 mois plus tard en nâayant plus de voiture. Or, cette dĂ©couverte de BlaBlaCar, le cĂŽtĂ© pratique, lâesprit de serviabilitĂ© du conducteur qui vous dĂ©pose jusquâĂ chez vous, lâintĂ©rĂȘt des Ă©changes humains, les contacts pris et les voyages agrĂ©ables Ă plusieurs mâont amenĂ© Ă me dire que globalement ces six derniers mois en Blablacar ont Ă©tĂ© bien plus agrĂ©ables que les six mois prĂ©cĂ©dents tout seul dans ma voiture. Jâavais voulu rester « tout seul dans ma voiture » croyant protĂ©ger mon confort, ma libertĂ© et ma vie privĂ©e. Je me demande aujourdâhui tout en disposant Ă nouveau dâune voiture, si je ne vais pas continuer de pratiquer BlaBlaCar une fois sur deux, sinon plus souvent. Proposer une Ă trois places Ă bord ne prend que trois minutes, me rapporterait pour chaque passager de ÂŒ Ă la Âœ du prix du trajet. Aller de Dreux Ă Paris pour un prix entre 5 et 8 euros pour 100 km en Ă©tant dĂ©posĂ© Ă une bouche de mĂ©tro ou de RER, restera trĂšs pratique.
Si je pousse un peu plus loin ma rĂ©flexion, je me demande si je nâai pas Ă©tĂ© victime dâun phĂ©nomĂšne qui finalement nâexiste pas quâen AmĂ©rique : le phĂ©nomĂšne du tout voiture. Jâavais un peu oubliĂ© la marche Ă pied, le vĂ©lo et la possibilitĂ© de lire. LâexpĂ©rience BlaBlaCar mâa permis un retour Ă ces fondamentaux pour la bonne santĂ© et de constater quâils avaient disparu avec le tout voiture. Je conserverai de cette expĂ©rience ma discipline quotidienne de la marche Ă pied. Quant Ă la possibilitĂ© de partager un trajet en covoiturage, câest une respiration. Des contraintes et un espace de convivialitĂ© sont partagĂ©s. Jâai bien peur que, sous couvert de confort et de libertĂ© avec le tout voiture, on se choisisse en fait une situation dâisolement, de repli de soi dans une relation peut-ĂȘtre fusionnelle, voire idolĂątre avec sa chĂšre voiture. En passant, et ce nâest pas rien, BlaBlaCar, câest un mode de vie Ă©cologique, plutĂŽt responsable ».
 Contribution de David Gonzalez
(1) BlaBlaCar : http://www.covoiturage.fr/
Sur ce blog, autre contribution de David Gonzalez : « Chagall, Dieu et lâamour » : https://vivreetesperer.com/?p=1260
Sur ce blog, voir aussi :
« Une rĂ©volution de lâĂȘtre ensemble » PrĂ©sentation du livre dâAnne-Sophie Novel et StĂ©phane Riot : « Vive la co-rĂ©volution. Pour une sociĂ©tĂ© collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1394
« Pour une société collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1534
« Anne-Sophie Novel, militante Ă©cologiste et pionniĂšre de lâĂ©conomie collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1975
« OuiShare, communautĂ© leader dans le champ de lâĂ©conomie collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1866
par jean | Oct 2, 2024 | ARTICLES, Société et culture en mouvement |
Si lâindividualisme est une caractĂ©ristique marquante de notre sociĂ©tĂ©, une prise de conscience de ses effets nĂ©gatifs est en cours. Le lien social est affectĂ©. Les Ă©quilibres naturels sont menacĂ©s. En rĂ©action, apparait la prise de conscience grandissante dâune vision relationnelle du monde (1). Dans cette perspective, on peut dâautant plus sâinterroger sur la place de la coopĂ©ration dans la vie sociale et le rĂŽle quâelle devrait y jouer. Câest dire combien la parution rĂ©cente dâun livre intitulĂ©Â : « CoopĂ©rer et se faire confiance » (2) nous parait importante. Cette approche nous est apportĂ©e par un Ă©conomiste critique et innovant, Eloi Laurent, auteur de « Une Ă©conomie pour le XXIe siĂšcle. Manuel des transitions justes » (3). Ce rappel des vertus de la coopĂ©ration intervient Ă une Ă©poque oĂč le besoin de celle-ci se fait dâautant plus sentir : « A lâheure oĂč la sociĂ©tĂ© se fragmente, Il ne semble plus possible de dĂ©battre, de se parler et dâĂȘtre dâaccord. ĂpidĂ©mie de solitude, monĂ©tisation Ă outrance de la santĂ©, emprise numĂ©rique sur les relations humaines, dislocation du sens du travail etc. La crise de la coopĂ©ration adopte des formes multiples ». Or, câest bien Ă travers un renouveau de coopĂ©ration que nous pouvons faire face aux maux qui nous assaillent et en attendre les bases dâune sociĂ©tĂ© plus juste. « Afin de faire face aux enjeux dĂ©mocratiques et Ă©cologiques actuels, il est urgent dâimaginer de nouvelles formes de vie sociale, dĂ©gagĂ©es de lâemprise de lâĂ©conomisme et du tout-numĂ©rique⊠Alors que la coopĂ©ration humaine a Ă©tĂ© enfermĂ©e dans une acception trop restrictive et assimilĂ©e Ă la collaboration, Eloi Laurent dĂ©taille les leviers Ă activer pour rĂ©gĂ©nĂ©rer nos liens sociaux et vitaux â condition indispensable pour fonder les bases dâune sociĂ©tĂ© qui prendrait soin des Ă©cosystĂšmes, comme des humains » (page de couverture).
Apprendre à coopérer. Savoir se faire confiance
Aujourdâhui, la coopĂ©ration et en crise dans les trois sphĂšres distinguĂ©es par Eloi Laurent : les liens intimes, les liens sociaux, les liens vitaux. Comment en sommes-nous arrivĂ©s lĂ Â ? Comment repenser la collaboration ?
« Il est trĂšs largement admis que lâĂȘtre humain se distingue dans le monde vivant par son appartenance Ă une espĂšce collaborative, voire hypercollaborative » (p 12). Mais « la littĂ©rature savante prĂ©fĂšre concentrer ses efforts de comprĂ©hension sur le « comment » de la coopĂ©ration⊠Ce faisant, ces travaux nĂ©gligent les « pourquoi » de la coopĂ©ration. Pourquoi cherchons-nous sans cesse Ă nous associer Ă dâautres ? Quelle est alors notre motivation ? Quels sont les avantages espĂ©rĂ©s ? Questions existentielles et passionnantes ! ». (p 12).
Eloi Laurent analyse les dĂ©finitions de la coopĂ©ration par deux disciplines fondamentales : la biologie et la psychologie sociale. Et il en critique lâinspiration. En tant quâĂ©conomiste, il reconnait, dans leurs dĂ©finitions, lâapproche et les concepts Ă©conomiques les plus simplistes et les plus naĂŻfs concernant les comportements humains collectifs qui font de lâindividu un calculateur rationnel qui ne peut ĂȘtre animĂ© que par des motivations autres quâimmĂ©diatement Ă©goĂŻstes » (p 13). Lâauteur sâinterroge sur la matrice de cet « économisme ». Et son regard se tourne vers la thĂ©orie darwinienne. « Il est frappant de constater Ă quel point le cadre conceptuel et le champ sĂ©mantique de la thĂ©orie darwinienne sont marquĂ©s par lâĂ©conomisme : on y voit des âvariations profitablesâ, du âtravailâ de la sĂ©lection naturelle, de valeurs sĂ©lectives (âfitnessâ) et enfin trĂšs directement de âlâĂ©conomie de la natureâ (âTous les ĂȘtres vivants luttent pour sâemparer des places de âlâĂ©conomie de la natureâ) ». (p 15). Cependant, aux yeux dâEloi Laurent, « le problĂšme nâest pas, comme on le croit parfois, que les lois darwiniennes ne font aucune place Ă la coopĂ©ration entre les ĂȘtres vivants, ni que ces lois ont Ă©tĂ© ultĂ©rieurement perverties par un âdarwinisme socialâ, le problĂšme est que les lois de lâĂ©volution comme leur perfectionnement contemporain portent le sceau de lâutilitarisme Ă©conomique. Autrement dit⊠Darwin a forgĂ© et diffusĂ© lâidĂ©e dâune « coopĂ©ration calculatoire du vivant ». Lâauteur perçoit lĂ une influence de Malthus sur Darwin. A travers Malthus, Darwin adopte un cadre dâĂ©conomie politique. « InfluencĂ© par lâĂ©conomisme de son temps, Darwin a modelĂ© les lois de la vie sur celles du marché » (p 17-18). Or, nous dit Eloi Laurent, il y a bien des mĂ©prises qui demeurent dans la maniĂšre de considĂ©rer la coopĂ©ration. Encore aujourdâhui, « elle est comprise et prĂ©sentĂ©e comme un calcul social (rĂ©alisĂ© au moyen dâune analyse coĂ»t-bĂ©nĂ©fice). On reconnait quâau niveau des groupes, la stratĂ©gie de la coopĂ©ration se rĂ©vĂšle efficace. « CoopĂ©rer, dans cette perspective, consiste essentiellement Ă rĂ©soudre un problĂšme avec efficacitĂ©. Or, comme le dit justement le pape François, dans lâencyclique Laudato siâ, âle monde est plus quâun problĂšme Ă© rĂ©soudre, câest un mystĂšre joyeux Ă explorerâ ».
Eloi Laurent nous prĂ©sente une nouvelle approche : coopĂ©rer par amour et pour savoir. « La question principale qui mâintĂ©resse ici est de savoir pourquoi lâon coopĂšre et comment lâacte de coopĂ©rer sâarticule au choix dâaccorder sa confiance ». Lâauteur rappelle sa dĂ©finition de la capacitĂ© de coopĂ©rer comme « lâaptitude proprement humaine Ă une intelligence collective sans borne. On coopĂšre parce que le commerce de lâintelligence humaine est un jeu Ă somme infinie dont les bĂ©nĂ©fices sont incalculables. Je propose dâajouter Ă la finalitĂ© de la coopĂ©ration sa motivation profonde : on coopĂšre pour savoir et par amour » (p 19).
Certes, « faire de lâamour la matrice de la coopĂ©ration est pĂ©rilleux Ă plus dâun titre » : risque de ramener la coopĂ©ration Ă un sentimentalisme collectif, relative raretĂ© de lâamour vĂ©ritable. « Ces critiques sont lĂ©gitimes, mais elles nâont rien dâinsurmontables. On peut dâabord affirmer que rien nâest plus sĂ©rieux que lâamour, Ă la racine de tous les comportements humains⊠En second lieu, loin dâĂȘtre un idĂ©al inatteignable, lâamour est une expĂ©rience familiĂšre et plurielle et câest prĂ©cisĂ©ment sur la diversitĂ© des sentiments amoureux ancrĂ©s dans la vie quotidienne que repose la coopĂ©ration humaine, de lâamour charnel Ă lâamour de la justice, de lâamour de la terre Ă lâamour de la planĂšte, de lâamour de son mĂ©tier Ă lâamour de ses enfants. Lâamour, plus encore que la raison, est la chose au monde la mieux partagĂ©e : les humains dĂ©pourvus de la facultĂ© de calculer sont douĂ©s de la capacitĂ© dâaimer » (p21).
Lâauteur Ă©largit sa dĂ©finition de lâamour. : « lâamour est un Ă©lan affectif qui pousse Ă vouloir sâunir Ă autre que soi⊠Amour et connaissance ont partie liĂ©e sur plusieurs plans⊠Aimer, câest vouloir connaitre intimement et connaitre suppose de partager ses sentiments » (p 21). Eloi Laurent conclut : « Mon hypothĂšse est que la coopĂ©ration humaine ne repose pas sur un calcul plus ou moins rationnel en vue dâobtenir un gain identifiĂ© et circonscrit, mais sur un Ă©lan amoureux dont le but, la connaissance, est incertain au moment de sâengager. Lâamour pluriel, qui est Ă mes yeux le ressort profond de la coopĂ©ration nâexclut pas au demeurant le recours au calcul intĂ©ressĂ©. Mais il est erronĂ© de faire de lâamour une motivation subalterne dans les conduites coopĂ©ratives, ou pire, de le rĂ©duire au rang dâinstrument de lâintĂ©rĂȘt Ă©conomique ». Eloi Laurent appuie son propos en se rĂ©fĂ©rant Ă une figure pionniĂšre de lâĂ©conomie, Adam Smith. « Dans sa âThĂ©orie de sentiments morauxâ (1759), Adam Smith â Ă rebours de la reprĂ©sentation courante que lâon se fait de lui – dĂ©fend la centralitĂ© du concept de âsympathieâ. Smith Ă©crit : « LâintĂ©rĂȘt propre nâest pas le seul principe qui gouverne les hommes â il y en a dâautres tels que la pitiĂ© ou la compassion par lesquels nous sommes sensibles au malheur dâautrui ». « Câest par lâexercice des facultĂ©s sympathiques dont tous les humains sont dotĂ©s que nous pouvons espĂ©rer atteindre collectivement une forme de consensus nĂ©cessaire Ă la vie sociale⊠De mĂȘme, la confiance, y compris dans sa dimension la plus politique, prend avec Smith sa source dans lâaffection » (p 23).
Eloi Laurent nous propose donc une maniĂšre de « concevoir plus concrĂštement une continuitĂ© entre lâamour, la confiance et la coopĂ©ration ». Selon une distinction de Martin Luther King, il Ă©voque les trois univers amoureux du Nouveau Testament : « Ă©ros, lâamour esthĂ©tique et romantique, âlâaspiration de lâĂąme au royaume du divinâ ; philia, lâamour intime et rĂ©ciproque entre amis ; agapĂš dĂ©fini comme une bienveillance comprĂ©hensive. Si lâon tente dâordonner ces trois amours du proche au lointain pour cartographier lâamour pluriel, philia devient lâamour de proximitĂ©, Ă©ros, lâamour social et agapĂš, lâamour universel On peut alors vouloir dĂ©finir trois sphĂšres de coopĂ©ration fondĂ©es sur ce tryptique amoureux :
° la sphÚre des « liens intimes » incluant les liens romantiques, les liens amicaux et les attaches familiales
° la sphĂšre des « liens sociaux » incluant lâĂ©cole, le travail, lâĂ©conomie politiqueâŠ
° la sphĂšre des « liens vitaux », incluant les animaux, les plantes, les territoires et finalement la biosphĂšre tout entiĂšre qui contient lâhumanité » (p 24).
Câest bien une mĂȘme force qui anime les trois sphĂšres : « Câest lâamour qui est lâAtlas et lâHermĂšs de notre monde de liens » (p 25). Ainsi « les principes coopĂ©ratifs appris dans le cadre de lâĂ©ducation familiale peuvent dĂ©border dans dâautres sphĂšres de la coopĂ©ration (notamment celle des liens sociaux), de sorte quâil y a une matrice commune aux comportements coopĂ©ratifs, mĂȘme sâils sâexpriment et sont reconnus et sanctionnĂ©s de maniĂšre diffĂ©rente ». Ainsi peut-on reconnaitre de la coopĂ©ration Ă tous les Ăąges de la vie. Lâauteur Ă©voque « un vĂ©ritable cycle de vie de la coopĂ©ration ».
La coopération en crise
On peut dĂ©crire la vie sociale en terme de coopĂ©ration. « La vie humaine est une existence en commun â une vie coopĂ©rative – Ă la source de laquelle expĂ©riences et institutions se mĂȘlent. Parce quâelle est valorisĂ©e par les individus qui en font lâexpĂ©rience, la coopĂ©ration se cristallise dans des institutions qui, Ă leur tour, favorisent son extension et son intensitĂ©. Les comportements coopĂ©ratifs engendrent et propagent des attitudes coopĂ©ratives qui façonnent des normes coopĂ©ratives, se consolident en institutions coopĂ©ratives, lesquelles encouragent et entretiennent en retour des comportements coopĂ©ratifs ». Cependant ce cycle peut se dĂ©rĂ©gler. « Quand les institutions se dĂ©rĂšglent (par exemple, sous lâeffet de la fraude fiscale, les violences policiĂšres ou de lâaustĂ©ritĂ© imposĂ©e aux services publics), lâexpĂ©rience amĂšre de la dĂ©fection alimente la dĂ©fiance et peut aboutir, Ă lâextrĂȘme, Ă la sĂ©cession gĂ©nĂ©ralisĂ©e » (p 37). Lâauteur considĂšre quâĂ la lumiĂšre des travaux existants, « lâhumanitĂ© dans son ensemble et dans le temps long a Ă©voluĂ© vers une coopĂ©ration institutionnalisĂ©e. Mais il est tout aussi assurĂ© que ces institutions de la coopĂ©ration ne sont ni immuables, ni Ă©ternelles ». Ainsi assiste-t-on aujourdâhui dans certains pays Ă de profondes dĂ©gradations de ces institutions. Plus gĂ©nĂ©ralement, lâauteur estime que « nous faisons face actuellement « à une crise profonde de la coopĂ©ration dont la particularitĂ© est dâĂȘtre nourrie en mĂȘme temps que masquĂ©e par des pratiques collaboratives de plus en plus rĂ©pandues, sans cesse accĂ©lĂ©rĂ©es par les outils et les rĂ©seaux numĂ©riques » (p 38).
Lâauteur distingue coopĂ©ration et collaboration y voyant des Ă©tats dâesprit trĂšs diffĂ©rents. « La collaboration, selon son Ă©tymologie, vise à « faire ensemble », Ă partager le plus efficacement possible le travail dans le but dâaccroitre la production tout en libĂ©rant du temps de loisir⊠la coopĂ©ration dĂ©signe Ă©tymologiquement une entreprise commune plus large et plus dense qui consiste Ă Ćuvrer ensemble » (p 28).
Lâauteur Ă©tablit cinq « diffĂ©rences dĂ©cisives » entre coopĂ©ration et collaboration.
« – La collaboration sâexerce au moyen du seul travail alors que la coopĂ©ration sollicite lâensemble des capacitĂ©s humaines. Collaborer, câest travailler ensemble tandis que coopĂ©rer peut signifier rĂ©flĂ©chir ensemble, contempler ensemble, rĂȘver ensembleâŠ
– la collaboration est Ă durĂ©e dĂ©terminĂ©e tandis que la coopĂ©ration nâa pas dâhorizon fini. Collaborer, câest mettre en commun son travail pour un temps donnĂ©. CoopĂ©rer, câest se donner le temps plutĂŽt que de compter et dĂ©compter le temps.
– La collaboration est une association Ă objet dĂ©terminĂ©, tandis que la coopĂ©ration est un processus libre de dĂ©couverte mutuelle. Collaborer, câest rĂ©aliser en un temps dĂ©terminĂ© une tĂąche spĂ©cifique.
– La collaboration est verticale, la coopĂ©ration est horizontale. CoopĂ©rer, câest au contraire sâassocier de maniĂšre volontaire dans une forme de respect mutuel.
– La collaboration vise Ă produire en divisant le travail tandis que la coopĂ©ration vise Ă partage et Ă innover, y compris pour ne pas produire » (p 35-36).
Lâauteur poursuit son propos en dĂ©veloppant un portrait de la coopĂ©ration Ă partir des cinq qualitĂ©s prĂ©cĂ©demment dĂ©crites. « ces qualitĂ©s Ă©tant interdĂ©pendantes et reliĂ©es entre elles. Ces qualitĂ©s sont chacune et ensemble reliĂ©es Ă la confiance qui est Ă la coopĂ©ration, ce que le bras est Ă la main ».
Cependant, coopĂ©ration et collaboration ne sont pas exclusives. : « entre elles, se dĂ©ploient toute une palette dâattitudes relationnelles⊠On peut, dans le cadre dâune mĂȘme journĂ©e de travail, alterner des phases de collaboration et de coopĂ©ration mais, si la collaboration prĂ©domine, lâutilitarisme rĂ©ciproque finira par sâappauvrir, puis gripper les interactions humaines » (p 31). Lâauteur estime que cette distinction permet de comprendre que « la coopĂ©ration et non la collaboration, est la vĂ©ritable source de la prospĂ©ritĂ© humaine (la seconde est un moyen et un produit de la premiĂšre) ».
On y voit aussi que le rĂšgne contemporain de la collaboration nâest pas sans entrainer des incidences nĂ©gatives, notamment en masquent la crise de la coopĂ©ration. Or « le temps de la coopĂ©ration est la plus grande richesse des sociĂ©tĂ©s humaines⊠L’auteur mentionne lâenquĂȘte dâHarvard : « Ce sont les relations sociales qui expliquent le mieux la santĂ© des participants sur la durĂ©e, en terme de longĂ©vitĂ© constatĂ©e comme de fĂ©licitĂ© dĂ©clarĂ©e » (p 33) (4).
Or, selon Eloi Laurent, « Ă partir de la fin du XVIIIe siĂšcle, lâempire de la collaboration sâĂ©tend et celui de la coopĂ©ration se racornit ». Câest lâallongement considĂ©rable du temps de travail. « On peut comprendre les grandes conquĂȘtes sociales du XIXe et du XXe siĂšcle comme autant de tentatives de regagner du temps libre, incluant le temps de coopĂ©ration, sur le temps de collaboration… Mais lâavĂšnement de lâemprise numĂ©rique voilĂ environ quinze ans sâest accompagnĂ© dâune rĂ©traction importante de la coopĂ©ration ». Eloi Laurent examine les incidences nĂ©gatives de cette emprise numĂ©rique.
La crise actuelle de la coopĂ©ration apparait dans la sphĂšre des liens intimes, dans celle des liens sociaux, et dans celle des liens vitaux. On se reportera Ă cette analyse courte, mais dense. Notons, entre autres, une montĂ©e de lâisolement social avec de graves consĂ©quences en matiĂšre de santĂ© (p 43-46), la dĂ©rive de lâenseignement dans une « frĂ©nĂ©sie Ă©valuatrice », une dĂ©gradation de la santĂ© mentale, un constat que « lâhyper collaboration numĂ©rique nâa pas fait progresser les connaissances de maniĂšre dĂ©cisive au cours des trois derniĂšres dĂ©cennies » (p 51) et, bien sĂ»r, « lâinstrumentalisation du monde vivant »
Régénérer la coopération
« LâĂ©lan amoureux et la soif de connaissances sont des instincts humains, mais leur traduction en modes coopĂ©ratifs dĂ©pend de la qualitĂ© des institutions et de la justesse des principes qui les rĂ©gissent.
Surgissent alors deux questions essentielles : Peut-on pratiquement mener une politique de coopĂ©ration ? Et, si oui, est-il Ă©thique de sâengager dans cette voie ? » (p 55). Eloi Laurent rĂ©pond Ă ces deux questions par lâaffirmative. Il met lâaccent sur une libĂ©ration du temps, du « temps pour la coopĂ©ration ». « Le premier motif invoquĂ© par les français pour expliquer la dĂ©gradation de leurs liens sociaux nâest-il pas le manque de temps ? » et il Ă©voque le cas amĂ©ricain : « Dans les milieux de la santĂ© publique aux Etats-Unis, pays en proie Ă une crise aiguĂ« de dĂ©socialisation, un mot dâordre a rĂ©cemment Ă©mergĂ©Â : âdes liens dans toutes les politiquesâ » (p 56).
Dans ce chapitre, Eloi Laurent Ă©voque des pistes de rĂ©gĂ©nĂ©ration dans les trois sphĂšres de la coopĂ©ration ; câest un texte dense, aussi, dans cette prĂ©sentation, nâen Ă©voquerons-nous que quelques points.
Dans le domaine de lâĂ©ducation, lâauteur Ă©voque les mĂ©faits dâune « ingĂ©nierie Ă©ducative qui promeut une standardisation des modes dâĂȘtre au monde au service de la « performance sociale » des nations, autrement dit de la croissance Ă©conomique » (p 59). En contre- exemple, il cite lâĂ©cole maternelle française.
Dans le domaine de la santĂ©, lâauteur nous fait part dâ« une notion de santĂ© coopĂ©rative qui est intuitive, tant les relations sociales agissent comme des amortisseurs de stress : tandis que le corps est soumis Ă des chocs Ă la fois physiques et psychiques, les relations sociales jouent le rĂŽle dâanti-inflammatoires . Pouvoir parler de ses traumatismes anciens et rĂ©cents avec quelquâun, prendre conseil auprĂšs dâautrui, partager ses tourments, sont autant dâadjuvants sociaux. A lâinverse, la solitude imprime le stress dans le corps et lâesprit, lesquels se dĂ©gradent progressivement quand lâisolement devient un enfermement. Indirectement, les relations sociales contribuent Ă former une chaine de santĂ© humaine, car ĂȘtre aimĂ© et aimer implique de prendre soin de sa santĂ© et de celle des autres ». On dĂ©bouche ici sur une autre conception de la mĂ©decine. « Câest pourquoi, face aux limites dâun systĂšme de soin exclusivement tournĂ© vers le curatif, se dĂ©veloppent des approches de santĂ© communautaire (qui sâapparentent Ă des approches de santĂ© coopĂ©rative) oĂč les causes des pathologies et leur prĂ©vention, occupent une place essentielle ».
Si on en vient au travail, lĂ aussi on fera appel Ă une approche coopĂ©rative. Sur un mode dĂ©fensif, en contenant juridiquement lâemprise numĂ©rique (il sâagit par exemple dâappliquer de maniĂšre stricte le droit Ă la dĂ©connexion) et en relĂąchant la pression des indicateurs de performance. Sur un mode offensif, en ouvrant de nouveaux horizons de coopĂ©ration sur le lieu de travail. Lâauteur Ă©voque le vaste champ de lâ âĂ©conomie sociale et solidaireâ. Rappelons Ă©galement ici lâĂ©mergence dâ âentreprises humanistes et convivialesâ (5).
Ăvidemment, lâauteur aborde la pressante nĂ©cessitĂ© dâune approche coopĂ©rative dans le champ politique. Câest la question de la « revitalisation dâune dĂ©mocratie en souffrance partout dans le monde, de la France Ă lâInde, de lâItalie aux Etats-Unis » (p 65). Câest un texte dense auquel on se reportera. Nous avons apprĂ©ciĂ© lâattention de lâauteur concernant la vie des territoires : « Faire vivre des territoires de pleine santé ». Ainsi, la communautĂ© des pays dâUzes, dans le Gard, sâest engagĂ©e en septembre 2021 dans une dĂ©marche de « territoire de pleine santé »⊠La pleine santĂ© peut ĂȘtre dĂ©finie comme « un Ă©tat continu de bien-ĂȘtre physique et psychologique, individuel et social, humain et Ă©cologique ». Lâimportance de cette dĂ©finition est de bien souligner le caractĂšre holistique de lâapproche de la santĂ©Â ; « de la santĂ© mentale Ă la santĂ© physiologique, de la santĂ© individuelle Ă la santĂ© collective, et de la santĂ© de lâhumanitĂ© Ă la santĂ© planĂ©taire. La pleine santĂ© est donc une santĂ© dâinterfaces, de synergies, de solidaritĂ©s » (p 69). Eloi Laurent propose Ă©galement de « construire des coopĂ©rations territoriales Ă©cosystĂ©miques. « Les frontiĂšres des territoires français qui se distinguent par leur nombre, leur diversitĂ© et la complexitĂ© de lâenchevĂȘtrement de leurs compĂ©tences administratives, sont aujourdâhui juridiques et politiques. Or, les crises Ă©cologiques redessinent les logiques territoriales autour dâenjeux qui dĂ©passent les attributions fonctionnelles⊠Les coopĂ©rations territoriales Ă©cosystĂ©miques visent Ă rendre visibles et opĂ©ratoires des espaces vivantsâŠÂ » (p 70).
Dans la âsphĂšre des liens vitauxâ, Eloi Laurent donne des exemples de situation oĂč la coopĂ©ration sâest imposĂ©e comme la prĂ©servation de la chouette tachetĂ©e dans les forĂȘts du nord-ouest des Etats-Unis, des lois de protection ayant dĂ©bouchĂ© sur une meilleure exploitation de la forĂȘt (p 71-72)
Tant en ce qui concerne la transition Ă©cologique quâen raison du prĂ©sent systĂšme Ă©conomique qui engendre une montĂ©e des inĂ©galitĂ©s, dĂ©sĂ©quilibrant ainsi la sociĂ©tĂ©, nous aspirons Ă une transformation profonde de la vie Ă©conomique et sociale. Mais comment cette transformation peut-elle advenir ? Quelles sont les pistes de changement. Dans son livre : « Une Ă©conomie pour le XXIe siĂšcle », Eloi Laurent Ă©claire la voie dâune approche âsociale-Ă©cologiqueâ pour une transition juste (3). Cependant, conscient du dĂ©sarroi social, nous nous interrogeons Ă©galement sur la maniĂšre de faire sociĂ©tĂ©. Câest lĂ quâun autre livre dâEloi Laurent vient Ă©clairer un phĂ©nomĂšne majeur : la coopĂ©ration (2). Il nous apporte des analyses et des diagnostics. Si parfois nous pouvons nous interroger, ainsi sur lâattitude vis-Ă -vis du bilan dâinternet, cette recherche est particuliĂšrement Ă©clairante. Bonne nouvelle ! Eloi Laurent nous dĂ©montre que la coopĂ©ration est la rĂ©sultante dâune dynamique humaine, une dynamique qui ne tient pas Ă un « calcul social », mais Ă une motivation profonde : recherche du savoir et manifestation de lâamour. Ainsi, si la coopĂ©ration est un processus qui permet de remĂ©dier Ă des maux actuels et dâouvrir des voies nouvelles, câest aussi un Ă©tat dâesprit en phase avec la confiance. Ce livre dâEloi Laurent sâouvre par une citation de Martin Luther King : « La haine paralyse la vie., lâamour la libĂšre ».
J H
- Tout se tient : https://vivreetesperer.com/tout-se-tient/ Dieu vivant, Dieu prĂ©sent, Dieu avec nous dans un monde oĂč tout se tient : https://vivreetesperer.com/dieu-vivant-dieu-present-dieu-avec-nous-dans-un-univers-interrelationnel-holistique-anime/
- Eloi Laurent. CoopĂ©rer et se faire confiance par tous les temps. Rue de lâĂ©chiquier, 2024
- Eloi Laurent. Ăconomie pour le XXIe siĂšcle. Manuel des transitions justes. La DĂ©couverte,2023
- The good life. Ce que nous apprend la plus longue étude scientifique sur le bonheur et la santé : https://vivreetesperer.com/the-good-life/
- Vers un nouveau climat de travail dans des entreprises humanistes et conviviales : Un parcours de recherche avec Jacques Lecomte : https://vivreetesperer.com/vers-un-nouveau-climat-de-travail-dans-des-entreprises-humanistes-et-conviviales-un-parcours-de-recherche-avec-jacques-lecomte/
- Eloi Laurent. Coopérer et se faire confiance
Voir aussi :
Face Ă la violence, lâentraide, puissance de vie dans la nature et dans lâhumanitĂ©Â : https://vivreetesperer.com/face-a-la-violence-lentraide-puissance-de-vie-dans-la-nature-et-dans-lhumanite/
La bonté humaine. Est-ce possible ? : https://vivreetesperer.com/la-bonte-humaine/