Jean JaurĂšs : mystique et politique d’un combattant rĂ©publicain, selon Eric Vinson et Sophie Viguier-Vinson

Jean JaurĂšs le prophĂšte - Albin MichelUne vision spirituelle, dans et pour le monde

A certains moments dans l’histoire, de grandes personnalitĂ©s Ă©mergent. Elles portent une cause et vivent un idĂ©al. Ce fut le cas de Mandela et de Gandhi (1). En France, ce fut le cas de Jean JaurĂšs. Eric Vinson et Sophie Viguier-Vinson ont Ă©crit Ă  leur sujet. Et nous revenons ici sur un de leurs livres : «  JaurĂšs le prophĂšte. Mystique et politique d’un combattant rĂ©publicain » (2). « Tout le monde croit connaĂźtre Jean JaurĂšs, icĂŽne rĂ©publicaine qui demeure encore dans les mĂ©moires, cent ans aprĂšs sa mort (en 1914), le pĂšre du socialisme français, le fondateur de « l’Humanité », l’historien de la RĂ©volution Française, l’inlassable combattant dreyfusard, le champion parlementaire de la sĂ©paration des Eglises et de l’Etat, le pacifiste assassinĂ© Ă  la veille de la Grande Guerre (3).  Mais d’oĂč lui venait ce souffle qui l’habitait, quel Ă©tait le fondement de son Ă©lan humaniste et en quoi croyait-il ? » (2a). Eric et Sophie Vinson dĂ©crivent et analysent ici la pensĂ©e philosophique, mĂ©taphysique de Jean JaurĂšs dans le contexte de son Ă©poque.

VoilĂ  une recherche qui nous concerne. A certains moments de l’histoire, dans telle conjoncture, l’accĂšs Ă  une inspiration religieuse peut ĂȘtre entravĂ© parce que l’institution correspondante s’enferme, s’éloigne de la vie, adopte une posture dominatrice . Au XIXĂš siĂšcle, l’Eglise catholique s’érigea en pouvoir hostile aux acquis de la RĂ©volution Française. Ce fut « la guerre des deux France ». Mais alors comment le christianisme pouvait-il ĂȘtre vĂ©cu, lui, qui, en France, avait Ă©tĂ© associĂ©, pour une part importante, au catholicisme ? Comment l’inspiration Ă©vangĂ©lique allait elle contribuer Ă  irriguer la sociĂ©tĂ© française ? Lorsque l’eau vive se heurte Ă  un barrage, elle prend de nouveaux chemins. Dans  notre humanitĂ©, il nous faut explorer et reconnaĂźtre les formes nouvelles qui viennent compenser un manque. Aujourd’hui, au cours des derniĂšres dĂ©cennies, un Ă©cart s’est creusĂ© entre les institutions religieuses, accusĂ© pour certaines, moindre pour d’autres, et une nouvelle maniĂšre de vivre et de penser. Aujourd’hui encore des scandales apparaissent qui tĂ©moignent de l’inadĂ©quation et de la faillite de tel systĂšme religieux Alors, pour que l’inspiration spirituelle, l’inspiration Ă©vangĂ©lique, puissent continuer Ă  irriguer notre sociĂ©tĂ©, il est important que des pensĂ©e et des formes nouvelles apparaissent en apportant, dans toute sa diversitĂ©, une offre renouvelĂ©e. La question s’est posĂ©e Ă  la fin du XIXĂš siĂšcle. Dans une autre contexte, elle se pose aujourd’hui.

VoilĂ  pourquoi, le livre d’Eric et de Sophie Vinson nous paraĂźt important, car il nous montre, entre autres, comment, Ă  cette Ă©poque, Jean JaurĂšs a fondĂ© son action politique et sociale sur une vision spirituelle. Cette vision s’est exprimĂ©e dans une dimension philosophique.  « Jean JaurĂšs est non seulement un philosophe, normalien, agrĂ©gĂ©, un auteur rivalisant avec Bergson, mais aussi un authentique spirituel. Si l’on nĂ©glige sa thĂšse sur « la rĂ©alitĂ© du monde sensible », si l’on passe Ă  cĂŽtĂ© de sa spiritualitĂ©- qui s’oppose au pouvoir temporel de l’Eglise catholique, mais reconnaĂźt en l’homme la prĂ©sence du divin-, on ignore les principes mĂȘmes qui ont guidĂ© toute son action » (2a).

 

La réalité du monde sensible

 Eric et Sophie Vinson nous exposent la pensĂ©e de JaurĂšs telle qu’elle se dĂ©ploie dans sa thĂšse principale de philosophie : « De la rĂ©alitĂ© du monde sensible » Ă©ditĂ©e en 1891 et rĂ©Ă©ditĂ©e quasiment Ă  l’identique en 1902. « Nous voulons », disent-ils, « prĂ©senter cette philosophie en elle- mĂȘme, Ă  partir de sa dimension spirituelle ». Dans ce bref article, nous ne pouvons suivre le fil du raisonnement qui nous est dĂ©crit dans ce livre auquel on se reportera. Nous nous bornerons Ă  quelques notations.

En affirmant la « rĂ©alitĂ© du monde sensible », JaurĂšs s’oppose d’une part au « subjectivisme qui rĂ©duit le monde sensible, matĂ©riel, au sujet », et, d’autre part, « au matĂ©rialisme qui rĂ©duit le sujet au monde matĂ©riel » (p 68). Et il dĂ©passe « le divorce du sujet et de l’objet, grĂące Ă  la notion d’ĂȘtre, ce grand « englobant » mĂ©taphysique injustement oubliĂ© par les deux courants rivaux : subjectivisme et matĂ©rialisme (p 55).

Ce qu’affirme JaurĂšs, c’est « l’unitĂ© dynamique de tout ce qui est » (p 64). « Nous constatons qu’il y a  dans toutes les consciences individuelles , une conscience absolue et indĂ©pendante de tout organisme Ă©troit et Ă©phĂ©mĂšre, qu’elle est prĂ©sente partout sans ĂȘtre enchainĂ©e nulle part, qu’elle n’a d’autre sens que l’infini lui-mĂȘme, et qu’ainsi toutes les manifestations de l’infini, l’espace, la lumiĂšre, le son, trouvent en elle, leur centre de ralliement et une garantie d’éternelle rĂ©alité »  ( p 57). Et c’est dans cette perspective que JaurĂšs envisage la divinité : « Dieu ne doit pas ĂȘtre pensĂ© sur notre modĂšle, seulement plus grand. Il est la rĂ©alitĂ© elle-mĂȘme  ». « La conscience absolue n’est pas un moi comme les autres, elle est le moi de tous les mois, la conscience de toutes les consciences  » ( p 65). Les auteurs nous expliquent les ressorts de cette pensĂ©e. « Ce Dieu-conscience absolue » semble ĂȘtre en quelque sorte l’« intĂ©riorité » profonde  – autrement dit le « cƓur » – des mois particuliers, des consciences individuelles comme des vĂ©ritĂ©s rationnelles. PrĂ©sent en eux au trĂ©fonds, Il ne se rĂ©duit pas Ă  eux et les dĂ©passe qualitativement de maniĂšre infinie. Mais Il les rassemble aussi par Sa seule prĂ©sence, « unitĂ© de toutes les unitĂ©s ». Actif au cƓur de toutes les rĂ©alitĂ©s finies, Lui, l’infini divin, il les contient ainsi toutes d’un certain point de vue
Et cela constitue l’ ordre ordinaire des choses simples, simplement incompris et mĂȘme inaperçu par la plupart ». A deux reprises, JaurĂšs cite textuellement le discours de Paul devant l’aĂ©ropage (Actes 17. 28) : « En la DivinitĂ©, nous avons la vie, le mouvement et l’ĂȘtre » (p 64).

A la suite de ce raisonnement, la conclusion de la thĂšse vient nous Ă©clairer en rejoignant notre expĂ©rience quotidienne : « PrĂ©cisĂ©ment parce que c’est la conscience  absolue qui fait la rĂ©alitĂ© du monde, tous les individus, toutes les forces du monde gardent leur rĂ©alitĂ© familiĂšre et leurs devoirs familiers . Dieu, en se mĂȘlant au monde, n’y rĂ©pand pas seulement la vie et la joie, mais aussi la modestie et le bon sens
 Dans la conscience absolue et divine, ce n’est pas seulement le ciel grandiose et Ă©toilĂ© qui trouve sa justification, mais aussi la modeste maison oĂč, outre la table de famille et le foyer, l’homme, avec ses humbles  outils, gagne pour lui et les siens, le pain de chaque jour » (p 66) .

Dans un chapitre : « Du panthĂ©isme Ă  la « Philosophia Perennis », les auteurs s’emploient Ă  situer la pensĂ©e de JaurĂšs parmi les grandes tendances philosophiques. Nous retiendrons ceci : « Dieu et le monde sont un de point de vue de l’immanence divine
 mais du point de vue de la transcendance divine, Dieu et le monde sont Ă©galement distincts et dans un rapport « hiĂ©rarchique » puisque Dieu ne se limite pas au monde
 C’est un point de vue qui peut ĂȘtre reconnu comme panenthĂ©iste » : Dieu est partout, en tout et tout est en Dieu
 mais tout n’est pas Dieu au sens oĂč la rĂ©alitĂ© divine excĂšde infiniment la rĂ©alitĂ© perceptible qu’il habite nĂ©anmoins intimement et qui ne saurait ĂȘtre sans Lui » (p 75). Dans le mouvement de la thĂ©ologie chrĂ©tienne, JĂŒrgen Moltmann vient aujourd’hui Ă©clairer cette dimension panenthĂ©iste dans sa thĂ©ologie de la crĂ©ation (4) .

 

Reliance spirituelle à travers l’histoire

En cette fin du XIXĂš siĂšcle, l’institution catholique s’oppose au mouvement des idĂ©es et s’enferme dans la dĂ©fense d’un systĂšme dominateur . Et, Ă  l’opposĂ©, s’affirme une conception athĂ©e et matĂ©rialiste. Dans ce contexte, nous avons vu combien Jean JaurĂšs exprime une vision spirituelle. Eric et Sophie Vinson nous montre qu’il n’est pas isolĂ©. Il s’inscrit dans un courant de pensĂ©e, vaste et diversifiĂ©. C’est dire que, face aux enfermements, il y a lĂ  beaucoup de chercheurs qui oeuvrent pour une ouverture spirituelle. L’inspiration chrĂ©tienne peut y trouver sa place.

« Comme l’a montrĂ© Paul BĂ©nichou, dans sa monumentale Ă©tude sur les « Romantismes français », l’intelligence et les lettres françaises sont travaillĂ©es par une question fondamentale : aprĂšs l’ouragan de la RĂ©volution, le catholicisme peut-il encore incarner l’autoritĂ© spirituelle ? Au prix de quelles adaptations ?  Et si l’Eglise doit perdre le mandat du Ciel » en mĂȘme temps que la monarchie, par quoi, par qui et comment la remplacer ? » ( p 109) ?

Les auteurs Ă©voquent ensuite de nombreuses personnalitĂ©s, parmi lesquelles nous retiendrons ici : « Edgar Quinet qui espĂ©rait « protestantiser » la France pour Ă©tablir durablement la dĂ©mocratie, Alexis de Tocqueville qui initia une longue « tradition sociologique » de recherche sur l’impact de la problĂ©matique religieuse en matiĂšre de transformation sociale et de transformation du lien social, Lamennais, Lacordaire et Ozanam, pionniers de la question sociale venus du catholicisme, Pierre Leroux et Philippe Buchez, porteurs d’un « socialisme chrĂ©tien ». Ils Ă©voquent de nombreux courants : «  les effusions politico-religieuses de 1848, la montĂ©e des idĂ©aux dĂ©mocratiques et sociaux dans la franc-maçonnerie, le « socialisme utopique » français,  un Ă©sotĂ©risme, le courant occultiste, Victor Hugo, « le plus grand poĂšte français, conscience morale de la RĂ©publique naissante, prophĂšte d’un avenir dĂ©mocratique et social » sans compter presque tous les grands Ă©crivains français d’alors (Balzac, Stendhal, Flaubert, Georges Sand etc) chez lesquels on peut trouver des passages ou des livres entiers, en rapport avec le spirituel et l’ésotĂ©risme » (p 103-105).

On ne doit pas seulement envisager le mouvement des idĂ©es Ă  l’échelle française, mais plus largement Ă  l’échelle europĂ©enne. Et, Ă  cet Ă©gard, Jean JaurĂšs s’est Ă©galement inspirĂ© de la pensĂ©e germanique, en particulier de la « Naturphilosophie » (p 106). Les auteurs citent un article de JaurĂšs sur le poĂšme de Victor Hugo, intitulĂ© « Dieu » : « Si tout est nature, il faut comprendre la nature dans sa profondeur et dans son mystĂšre et, comprise Ă  fond, elle rĂ©vĂšle Dieu, ou plutĂŽt, elle est l’expression mĂȘme de Dieu
 La nature est embrasĂ©e d’esprit et l’esprit, sans sortir de l’ordre naturel et de ses lois, peut prĂ©tendre Ă  de prodigieux dĂ©veloppements » ( p 107-108). Cette vision du monde se traduit en action. « Si Dieu est, c’est Ă  dire qu’il y a un foyer idĂ©al et rĂ©el tout ensemble de nature et de la conscience, nous pouvons sans contradiction tenter d’élever la nature et toutes les consciences Ă  l’unitĂ© Ă  l’ordre, Ă  la justice, Ă  la joie.  En ce sens aussi, Dieu est agissant
 Je vous assure qu’il se fait en ce moment dans les esprits un travail immense pour retrouver Dieu dans la nature et l’idĂ©al dans le rĂ©el. En mĂȘme temps que les foules souffrantes aspirent vers le juste, les Ăąmes pensantes font effort vers le vrai et vers le divin. Il y a dans le socialisme aussi des ferments mystiques : les hommes qui ont le sens de l’éternel comme Hugo, sont les seuls qui aient vraiment le sens de leur temps » ( p 108-109). Si ce texte date de la fin du XIXĂš siĂšcle, on peut penser qu’il Ă©veille un Ă©cho dans  notre sociĂ©tĂ© en recherche de sens, d’un nouveau rapport avec la nature et d’une dimension Ă©cologique.

La spiritualitĂ© de JaurĂšs fut, Ă  l’époque, mĂ©connue par ceux qui ne voulaient pas la voir. Et aujourd’hui, il en est de mĂȘme. Selon les auteurs, le terme de « Dieu » serait devenu « pesant et incongru Ă  la fois, en tout cas hors d’un contexte confessionnel » . Cependant dans le mouvement Ă©cologique qui se dĂ©veloppe aujourd’hui, une vision nouvelle de la nature apparaĂźt . Certains  y reconnaissent la prĂ©sence du divin . Une thĂ©ologie de la crĂ©ation se manifeste. Des articles parus sur ce blog tĂ©moignent de cette Ă©volution (5). En 1988, paraĂźt en France un livre pionnier de JĂŒrgen Moltmann : « Dieu dans la crĂ©ation », intitulĂ©, dĂšs cctte Ă©poque : TraitĂ© Ă©cologique de la crĂ©ation » (4). L’Ɠuvre de l’Esprit y est mise en Ă©vidence : « Le Dieu trinitaire inspire sans cesse toute sa crĂ©ation. Tout ce qui est, existe et vit grĂące Ă  l’affluence permanente des Ă©nergies et des possibilitĂ©s de l’Esprit cosmique. C’est pourquoi, il faut comprendre toute rĂ©alitĂ© crĂ©Ă©e de façon Ă©nergĂ©tique, comme possibilitĂ© rĂ©alisĂ©e de l’Esprit divin. GrĂące aux possibilitĂ©s et Ă©nergies de l’Esprit, le CrĂ©ateur lui-mĂȘme est prĂ©sent dans sa crĂ©ation . Il ne s’oppose pas Ă  elle par sa transcendance, mais entre en elle et lui demeure en mĂȘme temps immanent » (p 22-23). En se reportant Ă  la pensĂ©e de Jean JaurĂšs dans sa thĂšse : « De la rĂ©alitĂ© du monde sensible », il y a une proximitĂ© dans les deux approches.

 

Une inspiration pour notre temps

 Dans leur livre sur Jean JaurĂšs, Eric et Sophie Vinson expriment  « l’urgence dĂ©mocratique actuelle de trouver une voie – d’entendre une voix – pour relier, dynamiser, concrĂ©tiser la quĂȘte de sens individuelle et collective, en pleine faillite du dĂ©sordre Ă©tabli » (p 24).  « Leur essai propose, textes sources Ă  l’appui, un fil conducteur stimulant, original dans le dĂ©dale de cette existence remarquable. Ce fil conducteur ? Le spirituel suivi Ă  travers les principales facettes – de faits insĂ©parables et quasi simultanĂ©s – de cet homme-fleuve. Un fil conducteur spirituel qui pourrait, en outre, avoir quelque utilitĂ© pour nous,  qui errons dans un monde sans repĂšres en plein bouleversement. Revisiter l’ouverture jaurĂ©sienne, c’est se poser les questions des rapports entre spiritualitĂ© et dĂ©mocratie, entre mystique et politique, entre mĂ©taphysique et socialisme, entre Ă©thique et pouvoir, entre conviction et responsabilité  » (p 25-26). On peut ajouter la pertinence de cette pensĂ©e dans notre  avancĂ©e Ă©cologique.

Conscients de ce besoin de sens et d’inspiration, Eric et Sophie Vinson  envisagent la personnalitĂ© de Jean JaurĂšs parmi d’autres figures historiques qui leur paraissent prĂ©senter des ressemblances. C’est ce qu’ils appellent « la famille des « spirituels engagĂ©s » ou des « mystiques militants » parmi lesquels ils rangent M K Gandhi, Nelson Mandela (1), Martin Luther King, le DalaĂŻ Lama pour ne citer que les plus connus. « Et si l’étude de ces spirituels engagĂ©s, Ă  commencer par JaurĂšs si typiquement français, nous permettait d’entrevoir l’aube d’un nouvel humanisme en politique  » ( p 26).

Cependant cette aspiration s’inscrit dans une durĂ©e historique. A travers le temps, nous voyons ainsi un fil conducteur dans la vision d’un monde qui n’est pas abandonnĂ© Ă  une destinĂ©e aveugle, mais habitĂ© par la prĂ©sence du divin. C’est l’approche de Jean JaurĂšs dans sa thĂšse sur « la rĂ©alitĂ© du monde sensible ».   Aujourd’hui, c’est aussi celle de JĂŒrgen Moltmann dans sa thĂ©ologie de l’espĂ©rance. Une nouvelle vision de la crĂ©ation Ă©merge et accompagne la prise de conscience Ă©cologique. Ainsi, on peut redire avec Jean JaurĂšs : « Si Dieu est, c’est Ă  dire qu’il y a un foyer idĂ©al et rĂ©el tout ensemble de la nature et de la conscience, nous pouvons sans contradiction tenter d’élever la nature et toutes les consciences Ă  l’unitĂ©, Ă  l’ordre, Ă  la justice, Ă  la joie » ( p 108).

J H

 

  1. Eric Vinson. Sophie Viguier-Vison. Mandela et Gandhi. La sagesse peut-elle changer le monde ? Albin Michel, 2018 Mise en perspective : « Non violence. Une démarche spirituelle et politique » : https://vivreetesperer.com/non-violence-une-demarche-spirituelle-et-politique/
  2. Eric Vinson. Sophie Viguier-Vinson. JaurĂšs le prophĂšte. Mystique et politique d’un combattant rĂ©publicain, Albin Michel, 2014 2a quatriĂšme de couverture   Nous n’avons abordĂ© ici qu’une partie limitĂ©e de ce livre remarquable qui couvre tous les aspects de la vie de Jean JaurĂšs, ce « prophĂšte ». C’est une lecture particuliĂšrement fructueuse.
  3. Un fait marquant dans la lutte de JaurĂšs pour la paix : « Un Ă©tĂ© pas comme les autres. Le dĂ©but de la grande guerre et l’assassinat de JaurĂšs. Un Ă©dito vidĂ©o d’Antoine Nouis dans RĂ©forme » : https://www.temoins.com/un-ete-pas-comme-les-autres-le-debut-de-la-grande-guerre-et-lassassinat-de-jean-jaures-un-edito-video-dantoine-nouis-dans-reforme/
  4. JĂŒrgen Moltmann. Dieu dans la crĂ©ation. TraitĂ© Ă©cologique de la crĂ©ation. Cerf, 1998 « Si on comprend le crĂ©ateur, la crĂ©ation et son but de façon trinitaire, alors le crĂ©ateur habite par son Esprit dans l’ensemble de la crĂ©ation et dans chacune de ses crĂ©atures et il les maintient ensemble et en vie par la force de son Esprit » ( p 8)
  5. « Le Dieu vivant et la plĂ©nitude de vie » : https://vivreetesperer.com/le-dieu-vivant-et-la-plenitude-de-vie-2/ « Un Esprit sans frontiĂšres » : https://vivreetesperer.com/un-esprit-sans-frontieres/                    « Convergences Ă©cologiques : « Jean Bastaire, JĂŒrgen Moltmann, Pape François et Edgar Morin » :  https://vivreetesperer.com/convergences-ecologiques-jean-bastaire-jurgen-moltmann-pape-francois-et-edgar-morin/         La publication de l’encyclique Laudato Si’ par le Pape François est un moment important dans la montĂ©e d’une thĂ©ologie Ă©cologique.

Avoir de la gratitude

https://images-na.ssl-images-amazon.com/images/I/41J8pTpvz9L._SX303_BO1,204,203,200_.jpgUn Ă©clairage de Bertrand Vergely

Et si nous reconnaissions aujourd’hui tout ce que nous avons reçu des autres et qui fait que nous sommes vivant

Et si nous exprimions cette reconnaissance dans un mouvement de vie bienfaisante Ă  la fois pour ceux Ă  qui nous l’exprimons, mais aussi pour nous-mĂȘme.

Car, au cƓur de ce mouvement, il y a une dynamique Ă  la fois personnelle et collective oĂč nous pouvons percevoir l’inspiration de l’Esprit

C’est dire comme il est bon d’entendre parler de gratitude, et d’en dĂ©couvrir la portĂ©e et les effets.

Ainsi avons nous accueilli avec reconnaissance une intervention de Florence Servan-Schreiber Ă  Ted X Paris sur « le pouvoir de la gratitude » (1). Cet exposĂ© est remarquable parce qu’il allie une compĂ©tence de psychologue ayant accĂšs aux meilleures sources et une dĂ©marche personnelle exprimĂ©e dans un esprit de recherche, de dialogue, de conviction et d’authenticitĂ©. Dans son livre : « Retour Ă  l’émerveillement » (2), Bertrand Vergely aborde le mĂȘme sujet dans une approche complĂ©mentaire, une approche philosophique, spirituelle, thĂ©ologique (3). Il nous donne Ă  voir le sens profond de ce mouvement.

Merci

Quoi de plus naturel que de dire : « merci » ! Et  si on peut le dire souvent, il y a comme une joie qui s’épanche, un Ă©lan de reconnaissance et de sympathie. C’est une expression de la vie quotidienne. Et c’est effectivement dans ce contexte que Bertrand Vergely nous en montre l’importance. Ce n’est pas seulement une expression du cƓur, c’est aussi un mouvement qui s’inscrit dans la vie sociale, l’embellit et la pacifie. « Il est beau de dire merci. Cela permet de clore quelque chose et d’ouvrir autre chose. Dans le monde de la violence, on ne dit pas merci. Pire, on ne se fait grĂące de rien, on est « sans merci ». On se poursuit sans rĂ©pit, on se persĂ©cute, on ne s’épargne rien. Cela rĂ©vĂšle la profondeur du merci. Prononcer ce mot, c’est passer de la guerre Ă  la paix, de la haine Ă  la rĂ©conciliation, de l’inimitiĂ© Ă  la relation. On pourrait poursuivre la lutte, la haine, la persĂ©cution. On dĂ©cide de ne pas le faire et de revenir Ă  la logique des Ă©changes et du don ».

Les « mercis » ponctuent une vie quotidienne dans laquelle on reçoit et on donne, on donne et on reçoit. C’est en quelque sorte un marqueur de civilitĂ©, une expression de vie civilisĂ©e. « Logique dans laquelle on se salue rĂ©ciproquement. On donne et on reçoit. On offre et on dit merci. Il s’agit lĂ  d’une rĂ©volution obĂ©issant Ă  un constat lucide. Ou l’on persiste Ă  vivre dans la violence, ou on y renonce et on vit  ».

Dire merci s’inscrit ainsi dans une vie sociale ou le partage se rĂ©alise dans une relation rĂ©ciproque. «  C’est le « pacte de rĂ©ciprocité » insĂ©parable d’un pacte de non violence ainsi que le rappelle Marcel Mauss dans son « Essai sur le don ». « La relation rĂ©ciproque annule la violence. Personne ne prenant sans donner et ne donnant sans prendre. Il n’y a ni dominant, ni dominĂ©. Le remerciement prend sa source dans une telle logique et donne la logique de l’invitation sue laquelle repose la vie sociale. On a Ă©tĂ© invitĂ©. On invite Ă  son tour
 Cette politesse fait en sorte que personne ne sacrifie l’autre ou ne soit sacrifiĂ© par lui
 Profondeur du merci. Il raconte ce qui perd l’humanitĂ©. Il raconte ce qui la sauve. Nous mourrons de ne jamais dire « merci », nous ressuscitons en le disant ».

Gratitude

Mais l’expression de notre reconnaissance dĂ©passe de beaucoup l’ordinaire de la vie quotidienne.

« La gratitude va plus loin que le merci. Comme montre l’expĂ©rience, on est dans la gratitude quand on fait plus que remercier quelqu’un. On est dans un tel Ă©tat parce que l’on a reçu quelque chose d’exceptionnel. Quand quelqu’un nous a sauvĂ© la vie, nous Ă©prouvons de la gratitude, une profonde, une extrĂȘme gratitude. On se situe lĂ  dans la plus grande profondeur qui soit
 Notre cƓur est rempli de gratitude. Nous rendons grĂące. Nous avons conscience du miracle en nous sentant petit devant l’immense
 L’existence est un miracle permanent. Nous ne nous en rendons pas assez compte ».

Cette gratitude a une portĂ©e sociale. Elle a aussi une dimension spirituelle. « Quand il n’est pas dĂ©primĂ©, l’homme moderne rouspĂšte. Il est mĂ©content, indignĂ©, rĂ©voltĂ© et il le fait savoir. Jamais il ne dit merci. Il pense que tout lui est du ». Bertrand Vergely voit lĂ  un manque profond, jusqu’à un drame spirituel. « Il y a une ingratitude profonde dans le cƓur humain. Au lieu de remercier, l’ingrat proteste. Il poursuit Dieu de sa vindicte en lui reprochant non seulement d’avoir ratĂ©, mais crĂ©Ă© le monde. L’existence de l’humanitĂ© est pour lui un crime de lĂšse-humanitĂ©.

On va loin quand on a un moment de gratitude en remerciant le Ciel d’exister. On touche au drame inconscient de l’humanitĂ©. Celle-ci a un compte Ă  rĂ©gler avec Dieu comme avec elle-mĂȘme. Elle n’est pas heureuse d’exister. On sort de cette logique meurtriĂšre en ayant un peu de gratitude et en ouvrant les yeux. Oui, il est miraculeux de vivre (4). L’univers, la vie, l’humanitĂ© sont des miracles permanents. Nous-mĂȘmes, nous sommes des miracles vivants. Nous devrions ĂȘtre morts cent fois, nous sommes encore lĂ . Nous sommes des miraculĂ©s. Sans que nous le sachions, sans nous en rendre compte, nous avons Ă©tĂ© sauvĂ©s cent fois ».

Bertrand Vergely nous entraine plus loin encore dans une dimension mĂ©taphysique. « Si le mot « merci » permet de mettre fin Ă  la guerre qui fait rage entre les hommes sur terre, le mot « gratitude » permet de mettre fin Ă  celle qui fait rage entre les hommes et le Ciel. Il est courant de penser que la mĂ©taphysique est inutile et que nous n’en avons pas besoin pour vivre. Il s’agit d’une erreur profonde : elle est indispensable et l’on vit mal quand on s’en passe . L’ĂȘtre humain est un arbre qui relie le Ciel et la Terre. Privons-le de la Terre, il s’écroule. Privons-le du Ciel, il Ă©touffe.

La  gratitude est vitale. Elle signifie la paix avec le Ciel. et avec celle-ci, la libertĂ©. Il est beau de voir le monde avec gratitude
 Tout Ă©tant un miracle, tout vit. Tout se met Ă  vivre. On a alors envie de vivre et de se rĂ©jouir de l’existence de l’humanité ».

Dire merci, exprimer de la gratitude tĂ©moignent du mĂȘme esprit, de la mĂȘme sensibilitĂ© et s’inscrivent dans une dĂ©marche commune. Si Bertrand Vergely les distingue, ce n’est pas seulement en fonction de l’intensitĂ© de ces deux expressions, c’est parce qu’il les situe dans un contexte plus large.  Nous sommes de plus en plus nombreux Ă  partager une vision de la sociĂ©tĂ© comme un tissu de relations.  « Si l’Esprit est rĂ©pandu sur toute la crĂ©ation, il fait de toutes les crĂ©atures avec Dieu et entres elles, cette communautĂ© de la crĂ©ation dans laquelle toutes les crĂ©atures communiquent, chacune Ă  sa maniĂšre entre elles et avec Dieu » dĂ©clare le thĂ©ologien JĂŒrgen Moltmann qui cite Martin Buber : « Au commencement Ă©tait la relation » (5). Bertrand Vergely montre l’importance de la gratitude dans le plein dĂ©roulement des relations. Et comme JĂŒrgen Moltmann, Richard Rohr (6) ou d’autres, il se fonde sur une thĂ©ologie trinitaire  et met en Ă©vidence le rĂŽle de l’incarnation. « La vie est relation
 Cela veut dire que le Ciel et la Terre sont liĂ©s. Dieu a crĂ©e l’univers et l’homme pour s’unir Ă  eux
 il a crĂ©Ă© pour transmettre, pour rayonner, pour diffuser. Il a bĂąti un pont entre lui et son autre, en l’occurrence l’univers et l’homme
 Qui s’applique, bĂątit des ponts, il reprend le geste divin de la crĂ©ation » ( p 253-254). La gratitude, comme la louange sur laquelle elle dĂ©bouche, participent Ă  cette Ɠuvre.

Il est temps maintenant d’apporter un tĂ©moignage concret de la maniĂšre dont la gratitude accompagne une vie pleine malgrĂ© les Ă©preuves. C’est le tĂ©moignage d’Odile Hassenforder dans son livre : « Sa prĂ©sence dans ma vie » (7) : « Que c’est bon d’exister pour admirer, m’émerveiller, adorer. C’est gratuit. Je n’ai qu’à recevoir, en profiter, goĂ»ter sans culpabilitĂ©, sans besoin de me justifier (Justifier quoi ? de vivre ?). D’un sentiment de reconnaissance jaillit une louange joyeuse, une adoration au crĂ©ateur de l’univers dont je fais partie, au Dieu qui veut le bonheur de ses crĂ©atures. Alors mon ego n’est plus au centre de ma vie. Il tient tout simplement sa place, reliĂ© Ă  un « tout » sans prĂ©tention  (Psaume 131). Je respire le courant de la vie qui me traverse et poursuit son chemin. Comme il est Ă©crit dans un psaume : « Cette journĂ©e est pour moi un sujet de joie
 Une joie pleine en ta prĂ©sence, un plaisir Ă©ternel auprĂšs de toi, mon Dieu
 Louez l’Eternel, car il est bon. Son amour est infini (Psaume 16.118) ». Expression personnelle, la gratitude nous invite au dĂ©passement, Ă  une participation  à  plus grand que nous, Ă  la reconnaissance de la prĂ©sence divine.  Comme l’écrit Bertrand Vergely : « Il est beau de voir le monde avec gratitude. Tout Ă©tant miracle, tout vit, tout se met Ă  vivre. On a alors envie de vivre et de se rĂ©jouir de l’existence de l’humanité ».

Jean Hassenforder

 

Sortir de l’obsession de l’efficience pour entrer dans un nouveau rapport avec la nature.

De l’ñge mythique du progrĂšs incarnĂ© par l’ùre industrielle Ă  un Ăąge de la rĂ©silience.

L’ñge de la rĂ©silience selon JĂ©rĂ©mie Rifkin

« JĂ©rĂ©mie Rifkin est l’un des penseurs de la sociĂ©tĂ© les plus populaires de notre temps. Il est l’auteur d’une vingtaine de best-sellers ». On peut ajouter Ă  cette prĂ©sentation du livre de JĂ©rĂ©mie Rifkin : « L’ñge de la rĂ©silience» (1) que l’auteur n’est pas seulement un chercheur qui ouvre des voies nouvelles, mais un conseiller influent qui intervient auprĂšs de nombreuses instances de dĂ©cision. Ses livres nous font entrer dans de nouvelles maniĂšres de voir et de penser. Ainsi, sur ce blog, nous avons prĂ©sentĂ© « La troisiĂšme rĂ©volution industrielle » (2) et le « New Deal vert mondial » (3). JĂ©rĂ©mie Rifkin est Ă©galement l’auteur de grandes synthĂšses qui Ă©clairent notre marche. Ainsi, sur le site de TĂ©moins, nous avons prĂ©sentĂ© son livre sur l’empathie (4), une fresque historique trĂšs engageante. En gĂ©nĂ©ral, comme dans ce livre ‘l’ñge de la rĂ©silience’, JĂ©rĂ©mie Rifkin dĂ©veloppe son regard prospectif Ă  partir d’une analyse et d’un bilan du passĂ©. Il nous a habituĂ© Ă  une dĂ©marche dynamique. C’est avec d’autant plus d’attention que nous entendons ici son cri d’alarme sur l’hĂ©ritage du passĂ© et la menace du prĂ©sent. Tout est Ă  repenser. « Il ne s’agit plus de courir aprĂšs l’efficacitĂ©, mais de faire grandir notre capacitĂ© de rĂ©silience. Nous devons tout repenser : notre vision du monde, notre comprĂ©hension de l’économie, nos formes de gouvernement, nos conception de l’espace et du temps, nos pulsions les plus fondamentales et, bien sĂ»r, notre relation Ă  la planĂšte » (page de couverture).

 

Un chemin pour changer de vision et de paradigme

 Dans l’introduction du livre, JĂ©rĂ©mie Rifkin esquisse un chemin pour dĂ©passer l’hĂ©ritage du passĂ© et nous engager dans une nouvelle maniĂšre de vivre.

L’auteur nous invite donc Ă  revisiter notre histoire. Il commence par remettre en cause le mythe du progrĂšs. Ainsi rappelle-t-il les propos du philosophe Condorcet guillotinĂ© en 1794 : « La perfectibilitĂ© de l’homme est rĂ©ellement indĂ©finie. Les progrĂšs de cette perfectibilitĂ©, dĂ©sormais indĂ©pendante de toutes puissances qui voudrait les arrĂȘter, n’ont d’autres termes que la durĂ©e du globe oĂč la nature nous a jetĂ© » (p 10). « Aujourd’hui, sa conception du futur nous semble naĂŻve. Pourtant le concept de progrĂšs n’est que la derniĂšre itĂ©ration d’une vieille croyance : les humains seraient fondamentalement diffĂ©rents des autres ĂȘtres vivants avec qui ils se partagent la terre » (p 10). Aujourd’hui, l’humanitĂ© est assaillie de menaces et de peurs. En regard, un peu partout, le terme de rĂ©silience est Ă©voquĂ©. « L’ñge du progrĂšs cĂšde la place Ă  l’ñge de la rĂ©silience ». « Ce grand basculement de l’ñge du progrĂšs Ă  l’ñge de la rĂ©silience requiert un vaste ajustement philosophique et psychologique dans la perception qu’a l’humanitĂ© du monde qui l’entoure. A la racine de la transition, il y a un changement total de notre rapport Ă  l’espace et au temps » (p 11).

JĂ©rĂ©mie Rifkin raconte comment la vie ordonnĂ©e des moines bĂ©nĂ©dictins au Moyen Age a suscitĂ© une nouvelle apprĂ©hension du temps ponctuĂ© par leurs activitĂ©s. C’est la naissance de l’horloge mĂ©canique qui s’est rĂ©pandue ensuite dans la civilisation urbaine. Finalement, le temps va « ĂȘtre perçu comme une suite d’unitĂ©s standard mesurables, fonctionnant dans un univers parallĂšle, qui ne doit plus rien aux rythmes de la terre » (p 84). Cette nouvelle temporalitĂ© va dĂ©boucher sur une recherche d’efficacitĂ© accrue dans le temps disponible. Cette temporalitĂ© a rĂ©gi de bout en bout l’ñge du progrĂšs et sa conception de l’efficience. L’efficience a cherchĂ© Ă  « optimiser l’expropriation, la consommation et la mise au rebut des ressources naturelles, et, ce faisant, Ă  accroitre l’opulence matĂ©rielle de la sociĂ©tĂ© dans des temps toujours plus courts, mais au prix de l’épuisement de la nature. Notre temporalitĂ© personnelle et le pouls temporel de notre sociĂ©tĂ© obĂ©issent Ă  l’impĂ©ratif de l’efficience » (p 12).

« Dans cet ouvrage, le terme « efficiency » employĂ© dans l’édition originale, ne signifie pas « efficacitĂ© (capacitĂ© d’atteindre un objectif), mais « efficience » (capacitĂ© d’obtenir les rĂ©sultats ou les profits maximaux avec le minimum de moyens et de frais dans le minimum de temps) » (p 12). « L’ñge du progrĂšs marchait au pas de l’efficience ». « Passer du temps de l’efficience Ă  celui de l’adaptativité : tel est le visa de rĂ©adaptation qui permettra Ă  l’espĂšce humaine de sortir d’un rapport de sĂ©paration et d’exploitation avec le monde naturel pour ĂȘtre rapatriĂ© parmi la multitude des forces environnementales qui animent la Terre » (p 12)
 Remplacer l’efficience par l’adaptativitĂ© implique des changements radicaux dans l’économie et dans la sociĂ©té : elles vont passer de la productivitĂ© Ă  la rĂ©gĂ©nĂ©rativitĂ©, de la croissance Ă  l’épanouissement, de la propriĂ©tĂ© Ă  l’accĂšs, des marchĂ©s avec leurs vendeurs et leurs acheteurs aux rĂ©seaux avec leurs fournisseurs et leurs utilisateurs, des processus linĂ©aires aux processus cybernĂ©tiques, des Ă©conomies d’échelle de l’intĂ©gration verticale Ă  celles de l’intĂ©gration latĂ©rale
 des conglomĂ©rats capitalistes aux petites et moyennes coopĂ©ratives opĂ©rant en blockchain sur des communs fluides
 de la globalisation Ă  la glocalisation, du consumĂ©risme Ă  l’intendance des Ă©cosystĂšmes, du produit national brut (PNB) aux indicateurs de qualitĂ© de vie
 (p 12-13). DĂ©jĂ  expert de la « troisiĂšme rĂ©volution industrielle », JĂ©rĂ©mie Rifkin voit lĂ  un mouvement en voie de « rĂ©insĂ©rer l’humanitĂ© dans les infrastructures indigĂšnes de la planĂšte : l’hydrosphĂšre, la lithosphĂ©re, l’atmosphĂšre et la biosphĂšre. La nouvelle infrastructure emporte l’humanitĂ© au delĂ  de l’ùre industrielle  » (p 13).

« Sans surprise, la nouvelle temporalitĂ© s’accompagne d’une rĂ©orientation fondamentale Ă  l’égard de l’espace ». Notre apprĂ©hension de l’espace varie dans le temps, comme l’auteur nous le fait remarquer en mettant en lumiĂšre l’avĂšnement de la perspective dans la peinture de la Renaissance italienne et ses incidences rĂ©volutionnaires (p 86-87). Bien sĂ»r, dans l’ñge qui vient, les ressources naturelles seront perçues et gĂ©rĂ©es autrement. Mais le changement de mentalitĂ© va plus loin encore. Nous prenons conscience d’appartenir Ă  un ensemble vivant et nous ne nous regardons plus comme des ĂȘtres Ă  part sĂ©parĂ©s de l’extĂ©rieur. L’auteur nous fait part de dĂ©couvertes importantes qui nous situent en interaction avec le vivant. « Nous commençons Ă  comprendre que notre vie et celle des autres ĂȘtres vivants est faite de processus, de modĂšles et de flux
 Tous les ĂȘtres vivants sont des extensions des sphĂšres terrestres. Les minĂ©raux et les nutriments de la lithosphĂšre, l’eau de l’hydrosphĂšre, l’air de l’atmosphĂšre nous parcourent continuellement sous forme d’atomes et de molĂ©cules, s’installent dans nos cellules
 et y sont remplacĂ©es rĂ©guliĂšrement, Ă  diffĂ©rents intervalles, au cours de notre vie. La majoritĂ© des tissus et organes qui constituent notre corps se renouvellent sans cesse au fil de nos existences  ». Et, par ailleurs, « Notre corps n’est pas uniquement Ă  nous. Nous le partageons avec de nombreuses autres formes de vie – des bactĂ©ries, des virus, des protĂ©ines, des archĂ©es et des champignons
 Plus de la moitiĂ© des cellules de notre corps ne sont pas humaines
 elles appartiennent aux autre ĂȘtres qui vivent dans chaque coin de notre anatomie (p 179-190)
 Ainsi, nous sommes tous des Ă©cosytĂšmes… Et, de plus, nous sommes faits de multiples horloges biologiques qui adaptent continuellement nos rythmes corporels internes Ă  ceux que marquent les rotations de la terre
 rythmes circadien et lunaire, rythme des saisons, rythmes annuels  » (p 13-14).

Ainsi, « nous faisons partie de la terre, au plus profond de notre ĂȘtre  » L’auteur en dĂ©duit que « cela nous inspire des idĂ©es neuves sur la nature de la gouvernance et sur notre fonctionnement en tant qu’organisme social. A l’ñge de la rĂ©silience, gouverner, c’est assurer l’intendance de Ă©cosystĂšmes rĂ©gionaux. Et cette gouvernance biorĂ©gionale est beaucoup plus partagĂ©e, distribuĂ©e  » (p 15)

Cependant, on ne peut manquer de se poser une question fondamentale. Quel est le sens de ce parcours ? « Que cherche l’humanité ? Pas seulement sa simple subsistance. Quelque chose de plus profond, de plus tourmentĂ© bouillonne en nous – un sentiment qu’aucun autre ĂȘtre vivant ne possĂšde
 Nous sommes en quĂȘte continuelle du sens de nos existences. » (p 16). C’est lĂ  que JĂ©rĂ©mie Rifkin en revient Ă  mettre en Ă©vidence la vertu qu’il a dĂ©jĂ  apprĂ©ciĂ©e dans l’humanité : son potentiel d’empathie (4). « Cet atout rare et prĂ©cieux croit, dĂ©croit et ne cesse de rĂ©apparaitre ». « Ces derniĂšres annĂ©es, la nouvelle gĂ©nĂ©ration a commencĂ© Ă  Ă©tendre son empathie au delĂ  de notre espĂšce pour y inclure les autres vivants qui font tous partie de notre famille Ă©volutionnaire. C’est ce que les biologistes appellent la « conscience biophile ». VoilĂ  un signe encourageant ».

 

L’approche de la rĂ©silience

Dans son livre, JĂ©rĂ©mie Rifkin nous introduit dans une histoire, celle qui analyse le pesant hĂ©ritage du passĂ© pour baliser ensuite les voies d’un avenir viable, plus prĂ©cisĂ©ment d’un Ăąge de la rĂ©silience. Ce parcours s’opĂšre en quatre parties : « Efficience contre entropie. La dialectique de la modernité ; L’appropriation de la Terre et la paupĂ©risation des travailleurs ; Comment nous en sommes arrivĂ©s lĂ . Repenser l’évolution sur Terre ; L’ñge de la rĂ©silience : la fin de l’ùre industrielle ». Aujourd’hui, le regard scientifique est en train de changer, une nouvelle maniĂšre d’approcher les rĂ©alitĂ©s en terme de « socio-Ă©cosystĂšmes adaptatifs complexes » (p 217).

AprĂšs avoir rappelĂ© les principes de la science classique dans la foulĂ©e de Francis Bacon, l’auteur met en lumiĂšre une nouvelle approche, l’apport d’un Ă©cologue canadien : Crawford Stanley Holling. En 1973, dans un article intitulé : « RĂ©silience et stabilitĂ© des systĂšmes Ă©cologiques », il a exposĂ© une nouvelle thĂ©orie sur l’émergence et les modes de fonctionnement de l’environnement naturel. Holling a introduit les concepts de gestion « adaptative » et de « rĂ©silience » dans la thĂ©orie des systĂšmes Ă©cologiques ; avec d’autres pionniers, il a posĂ© les bases d’une mĂ©thode scientifique radicalement neuve qui, en fusionnant l’écologique et le social, allait dĂ©fier les principes directeurs, tant thĂ©oriques que pratiques de l’économie admise. Il s’agit de la thĂ©orie des « socio- Ă©cosystĂšmes adaptatifs complexes » (p 217).

Pour Holling, « le comportement des systĂšmes Ă©cologiques pourrait ĂȘtre dĂ©fini par deux propriĂ©tĂ©s distinctes : la rĂ©silience et la stabilité »  La thĂ©orie de la rĂ©silience de Holling a ensuite Ă©tĂ© importĂ©e dans la quasi-totalitĂ© des disciplines : la psychologie, la sociologie, les sciences politiques, l’anthropologie, la physique, la chimie, la biologie et les sciences de l’ingĂ©nieur. DiffĂ©rents secteurs Ă©conomiques ont commencĂ© Ă  s’y intĂ©resser
 Mais le plus important est que l’épicentre de la nouvelle Grande Disruption se trouve Ă  l’intersection de l’économie et de l’écologie. Holling prĂ©cise : la rĂ©silience est la propriĂ©tĂ© du systĂšme et la persistance ou la probabilitĂ© d’extinction est le rĂ©sultat. Une des principales stratĂ©gies retenues par la sĂ©lection n’a donc pas pour but de maximiser l’efficience ou un avantage particulier, mais de permettre la persistance en maintenant d’abord et avant tout la flexibilité » (p 217-218). En ce sens, la diversitĂ© est un atout. « Une mĂ©thode de gestion fondĂ©e sur la rĂ©silience
 insistera sur la nĂ©cessitĂ© de garder une multiplicitĂ© d’options ouvertes, d’observer les Ă©vĂšnements dans le contexte rĂ©gional et non local et de privilĂ©gier l’hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©ité » (p 218). Et, dans la mĂȘme perspective, il nous faut reconnaĂźtre notre ignorance et accepter l’imprĂ©visibilitĂ©. « Dans les trente ans qui ont suivi, Holling a vu sa premiĂšre esquisse de thĂ©orie de la rĂ©silience et de l’adaptation modifiĂ©e, amĂ©liorĂ©e et nuancĂ©e par d’autres et ces apports n’ont cessĂ© d’affiner et d’enrichir sa thĂšse. En 2004, il a coĂ©crit un nouvelle version de la rĂ©silience et des cycles adaptatifs ». Ici, on y exprime que « le systĂšme peut ĂȘtre incapable de se maintenir, ce qui l’oblige de se transformer en un nouveau systĂšme auto-organisé » (p 218-219).

L’auteur met l’accent sur les transformations qui adviennent ainsi. « Quand des forces interagissent  dans la nature, la sociĂ©tĂ© et l’univers, elles ne reviennent jamais Ă  leur point de dĂ©part, car leurs interactions, si minimes soientelles, changent la dynamique (p 220). Et donc, « rĂ©silience n’a jamais voulu dire des restaurations parfaites du statu quo ante
 On ne doit jamais considĂ©rer la rĂ©silience comme un Ă©tat, une maniĂšre d’ĂȘtre dans le monde, mais comme une maniĂšre d’agir sur le monde » (p 221).

Et, si on envisage la rĂ©silience en terme de dĂ©marche thĂ©rapeutique, « elle n’est jamais un retour. On ne peut jamais revenir en arriĂšre, mais seulement aller de l’avant vers un sens nouveau de sa capacitĂ© d’action » (p 221).

La science Ă©conomique actuelle est remise en cause par la mutation en cours. « La rĂ©novation imposera une rĂ©Ă©valuation partielle de certains de ses fondements : la thĂ©orie de l’équilibre gĂ©nĂ©ral, les analyses coĂ»ts-avantages, la dĂ©finitions Ă©troite des externalitĂ©s et les concepts trompeurs de productivitĂ© et de PIB. Et d’abord, il faudra modĂ©rer et mĂȘme remettre en cause l’obsession de l’efficience. Par dessus tout, les milieux d’affaires vont devoir renoncer complĂštement Ă  leur conception du monde naturel et Ă  leur rapport avec lui» (p 222). « Pour commencer Ă  remodeler la thĂ©orie Ă©conomique, le mieux n’est-il pas de suivre la dĂ©marche de l’ñge de la rĂ©silience ? Celle qui est en train de sortir les autres discipline acadĂ©miques du marasme de la recherche scientifique traditionnelle essentielle Ă  l’ñge du progrĂšs ? ». L’auteur prĂ©conise donc l’approche des Ă©co-systĂšmes adaptatifs complexes qui «  conçoit la recherche de façon fondamentalement diffĂ©rente de la mĂ©thode scientifique traditionnelle. PremiĂšrement, parce que cette derniĂšre procĂšde souvent en isolant un seul et unique phĂ©nomĂšne
 DeuxiĂšmement, parce que la conception admise de la recherche scientifique est
 en fait complĂštement biaisĂ©e
 Le prĂ©jugĂ© implicite, c’est d’examiner le monde comme s’il Ă©tait fait d’un assortiment d’objets passifs et mĂȘme inertes par nature, dont la capacitĂ© d’action est faible ou nulle. TroisiĂšmement, la nature est souvent perçue comme un ensemble de « ressources » Ă  exploiter au profit de la sociĂ©té » (p 223-224). A la diffĂ©rence de la recherche classique, dans la recherche sur les socio-systĂšmes adaptatifs, on passe : « des caractĂ©ristiques des parties aux propriĂ©tĂ©s systĂ©miques ; de systĂšmes fermĂ©s aux systĂšmes ouverts ; de la mesure Ă  la dĂ©tection et Ă  l’évaluation de la complexité ; de l’observation Ă  l’intervention » (p 225). « Pour avancer, il faut que la visĂ©e de la recherche scientifique passe, du moins en partie, de la prĂ©diction Ă  l’adaptation » (p 227).

L’auteur Ă©voque la pensĂ©e du philosophe amĂ©ricain : John Dewey, fondateur du pragmatisme. Il fut « l’un des premiers penseurs Ă  attirer l’attention sur les mĂ©rites de l’adaptativitĂ© en tant que mĂ©thode de recherche scientifique et de rĂ©solution de problĂšmes
 Pour Dewey, celui ou celle qui veut comprendre une situation commence toujours son enquĂȘte en y participant activement, en faisant expĂ©rience directe du problĂšme qu’elle pose et en subissant personnellement ses effets » (p 227). « L’adaptativitĂ© acquit un certaine influence au dĂ©but du XXe siĂšcle, mais elle a ensuite Ă©tĂ© submergĂ© par la croisade pour l’efficience » (p 228). Mais aujourd’hui, cette obsession de l’efficience est remise en cause. « Sur cette terre qui se rĂ©ensauvage, il n’est plus question de profiter (opportunitĂ©s infinies) mais de limiter les risques, et l’efficience commence Ă  cĂ©der sa place Ă  l’adaptativité » (p 228). L’auteur examine ensuite les manifestations de ce courant visant Ă  l’adaptativitĂ©. C’est un nouvel Ă©tat d’esprit. « La science Ă©conomique traditionnelle et les mĂ©canismes du capitalisme, en thĂ©orie comme en pratique, ne survivront pas sous leur forme actuelle Ă  la transformation induite par le passage Ă  la pensĂ©e des systĂšmes adaptatifs complexes
 La pensĂ©e des systĂšmes adaptatifs complexes va Ă©galement nĂ©cessiter une rĂ©forme du monde universitaire
 Il n’existe qu’une seule façon de comprendre ce qui se passe : adopter une approche interdisciplinaire du savoir  » (p 231-232). L’esprit humain se prĂȘte Ă  ce changement. C’est ici que l’auteur met en Ă©vidence une dĂ©couverte rĂ©cente des anthropologues : « De nouvelles sĂ©ries de donnĂ©es environnementales indiquent qu’homo a Ă©voluĂ© sur fond de longues pĂ©riodes d’imprĂ©visibilitĂ© de son habitat  ». Et ils prĂ©cisent : « Les facteurs essentiels au succĂšs et Ă  l’expansion du genre homo ont eu pour fondement la flexibilitĂ© de son systĂšme alimentaire dans des environnements imprĂ©visibles, car c’est elle, avec la reproduction alimentaire et la flexibilitĂ© du dĂ©veloppement, qui a permis l’élargissement gĂ©ographique et rĂ©duit les risques de mortalité ». Ainsi, un de ces chercheurs a pu Ă©crire : « L’origine du genre humain se caractĂ©rise par des formes d’adaptabilité » (p 253-254). On peut parler « d’ingĂ©niositĂ© de l’espĂšce humaine ». JĂ©rĂ©mie Rifkin voit lĂ  un encouragement. Comment faire face au rĂ©chauffement climatique ? « C’est la question fondamentale de notre Ă©poque. L’adaptabilitĂ© humaine aux changements brutaux du rĂ©gime climatique est notre point fort. C’est ce qui a fait de nous une des espĂšces les plus rĂ©silientes de la planĂšte. Au seuil de l’ñge de la rĂ©silience, voilĂ  peut-ĂȘtre la nouvelle la plus encourageante du moment » (p 235).

 

L’ñge de la rĂ©silience : la fin de l’ùre industrielle

JĂ©rĂ©mie Rifkin consacre la quatriĂšme partie du livre aux grands axes de changement qui forment la trame du nouvel Ăąge : l’infrastructure de la rĂ©volution rĂ©siliente ; la montĂ©e en puissance de la gouvernance biorĂ©gionale ; une place croissante de la pairocratie distribuĂ©e dans la dĂ©mocratie reprĂ©sentative ; l’essor de la conscience biophile. Ces chapitres, Ă  nouveau, sont riches et denses en informations et idĂ©es. Chacun de nous a conscience de ces grands mouvements. C’est pourquoi nous nous bornerons ici Ă  un bref aperçu en renvoyant Ă  une lecture approfondie du livre.

 

Une nouvelle infrastructure. Un nouveau paradigme Ă©conomique

JĂ©rĂ©mie Rifkin nous a dĂ©jĂ  entretenu dans un livre prĂ©cĂ©dent ‘Le New Deal vert mondial’, des transformations structurelles en train de se prĂ©parer (3). Il met ici l’accent sur l’importance des infrastructures. Elles sont « bien plus qu’un simple Ă©chafaudage qui sert Ă  rĂ©unir un grand nombre d’ĂȘtres humains au sein d’une vie collective ». Elles associent en effet trois facteurs majeurs : « de nouvelles formes de communication, de nouvelles sources d’énergie et de nouveaux moyens de transport et de logistique ». « Quand ces trois avancĂ©es techniques apparaissent et fusionnent en une seule et mĂȘme dynamique, elles changent radicalement la façon dont on communique » (p 239). Et l’auteur ajoute qu’elles ont elles-mĂȘmes une influence sur l’ensemble de la vie collective. « On assimile trĂšs justement ces structures Ă  de vastes « organismes sociaux ». Ce sont des systĂšmes auto-organisĂ©s qui agissent comme une totalitĂ© unique ».   « Les grandes rĂ©volutions infrastructurelles changent la nature de l’activitĂ© Ă©conomique, la vie sociale, et les formes de gouvernement  » (p 240). Ainsi aprĂšs les infrastructure du XIXe siĂšcle (charbon, machine Ă  vapeur, rĂ©seau ferrĂ©, tĂ©lĂ©graphe), puis du XXe siĂšcle (rĂ©seau Ă©lectrique centralisĂ©, tĂ©lĂ©phone, radio et tĂ©lĂ©vision, voitures, avions, rĂ©seaux routiers, aĂ©rodromes), « aujourd’hui, nous sommes au cƓur d’une troisiĂšme rĂ©volution industrielle. L’Internet numĂ©risĂ© de communication haut dĂ©bit converge avec un Internet numĂ©risĂ© continental de l’électricitĂ©, alimentĂ© par les Ă©nergies solaire et Ă©olienne ». Une Ă©nergie verte est revendue Ă  l’internet continental. « Actuellement, ces deux internets numĂ©risĂ©s convergent avec un troisiĂšme : l’Internet numĂ©risĂ© de la mobilitĂ© et de la logistique ». C’est la part des vĂ©hicules Ă©lectriques. « Ces trois Internets vont progressivement partager un flux continu de donnĂ©es et d’analyses de ces donnĂ©es
 A l’ùre qui vient, on va rĂ©nover les immeubles Ă  des fins d’énergie et de rĂ©silience climatique  ». Ce seront des « immeubles intelligents » (p 241-242).

« Les infrastructures des deux premiĂšres rĂ©volutions industrielles ont Ă©tĂ© conçues pour opĂ©rer en pyramide, de haut en bas, et pour fonctionner au mieux lorsqu’elles Ă©taient enveloppĂ©es par plusieurs couches de droits de propriĂ©tĂ© matĂ©rielle et intellectuelle ». Les infrastructures des deux premiĂšres rĂ©volutions industrielles ont Ă©tĂ© propulsĂ©es, pour l’essentiel, par des Ă©nergies fossiles. Elles ont donnĂ© lieu Ă  des engagements militaires. Au contraire, l’infrastructure de la nouvelle rĂ©volution industrielle est conçue pour ĂȘtre distribuĂ©e et non centralisĂ©e. Elle fonctionne mieux quand elle reste ouverte et transparente  ». « Elle est conçue pour s’étendre latĂ©ralement et non verticalement ». (p 244). L’auteur reconnait la prĂ©sence actuelle d’oligopoles mondiaux dans ce champ. Cependant il estime que l’évolution Ă  venir ne va pas dans le sens de la centralisation (p 245).

Des transformations majeures adviennent. « Bien qu’elle soit encore dans sa petite enfance, l’économie du partage distribuĂ©e et interconnectĂ©e par le numĂ©rique constitue un nouveau systĂšme Ă©conomique. C’est le premier Ă  entrer en scĂšne depuis le capitalisme au XVIIIe siĂšcle et le socialisme au XIXe siĂšcle – encore un signe qui montre Ă  quel point le nouvel ordre Ă©conomique Ă©mergent se distingue de ce que nous avons connu sous le capitalisme industriel » (p 250). Le PIB, par exemple, perd de plus en plus son rĂŽle d’indicateur de la performance Ă©conomique. Le monde entier est concernĂ©. « En 2020, des milliards d’ĂȘtres humains avaient un smartphone, et chacun de ses appareils possĂ©dait une puissance de calcul supĂ©rieure Ă  celle qui avait envoyĂ© des astronomes sur la Lune
 L’humanitĂ© se connecte Ă  un multitude de plateformes pour jouer, travailler, entretenir des relations » (p 251).

Dans ce chapitre, JĂ©rĂ©mie Rifkin nous ouvre sans cesse de nouveaux horizons. Nous entrons dans un nouvel univers Ă©conomique et social. « Quand nous dressons la liste de tous les changements induits par le passage Ă  une infrastructure numĂ©rique intelligente de troisiĂšme rĂ©volution industrielle, l’énormitĂ© de ce qui se profile suggĂšre une transformation radicale de notre idĂ©e de la vie Ă©conomique. Elle va passer de la propriĂ©tĂ© Ă  l’accĂšs, des marchĂ©s « acheteurs-vendeurs » aux rĂ©seaux « fournisseurs-utilisateurs » ; des bureaucraties analogiques aux plateformes numĂ©riques
 ; du capital financier au capital naturel ; de la productivitĂ© Ă  la rĂ©gĂ©nĂ©rativité ; de processus linĂ©aires aux processus cybernĂ©tiques ; des externalitĂ©s nĂ©gatives Ă  la circularité ; des Ă©conomies d’échelle de l’intĂ©gration verticale Ă  celles de l’intĂ©gration latĂ©rale ; des chaines de valeur centralisĂ©es aux chaines de valeurs distribuĂ©es ; du produit intĂ©rieur brut aux indicateurs de qualitĂ© de vie ; de la globalisation Ă  la glocalisation ; des conglomĂ©rats de sociĂ©tĂ©s transnationales aux agiles PME opĂ©rant sur de simples rĂ©seaux blockchains glocaux et de la gĂ©opolitique Ă  la politique de la biosphĂšre ». Ces rĂ©alitĂ©s nouvelles s’expriment souvent dans des termes techniques, un nouveau langage et une nouvelle rĂ©alitĂ© Ă  dĂ©couvrir dans ce chapitre.

Dans une conjoncture qui nous paraßt si menaçante, Jérémy Rifkin introduit un nouveau regard : « Nous assistons à un saut extraordinaire dans un nouveau paradigme économique. Au début de la décennie 2040, il ne sera probablement plus perçu comme une troisiÚme révolution industrielle fonctionnant sur un modÚle économique strictement capitaliste. Notre société mondiale commence à sortir des deux cent cinquante années de révolution industrielle et à se tourner vers une Úre nouvelle. Le mieux est de la nommer : « révolution résiliente » » (p 255).

 

Nouvelles formes de gouvernance

Les transformations nĂ©cessitĂ©es par la politique Ă©cologique requiert Ă©galement de nouvelles formes de gouvernance. L’auteur envisage ainsi la montĂ©e en puissance d’une gouvernance biorĂ©gionale. Les accidents climatiques appellent des « mobilisations en terme de ‘gouvernance des communs’ oĂč l’investissement personnel est bien plus fort » (p 267). Certes des fractures apparaissent actuellement dans les sociĂ©tĂ©s. Mais l’auteur dĂ©veloppe une approche prospective.

Les rĂ©gions rurales longtemps dĂ©valorisĂ©es vont rĂ©-Ă©merger. Elles ont souvent des atouts en termes de potentiel solaire et Ă©olien. Mais surtout, elles sont Ă  mĂȘme d’accueillir la nouvelle Ă©conomie de partage distribuĂ©e et interconnectĂ©e par le numĂ©rique. « Les start up technologiques intelligentes peuvent opĂ©rer dans les bourgs et petites villes des zones rurales oĂč les prix de l’immobilier et les frais gĂ©nĂ©raux sont moins Ă©levĂ©s, tout en restant compĂ©titives sur les marchĂ©s « glocaux » (p 270). On observe par ailleurs une migration dans laquelle certains quittent les grandes villes pour s’installer dans les campagnes dans un mode de vie plus naturel ».

RĂ©cemment, « la communautĂ© scientifique a posĂ© le cadre d’une gouvernance biorĂ©gionale en appelant Ă  « rĂ©ensauvager » ou « reruraliser » la moitiĂ© de la terre » (p 276) en vue notamment de lutter contre la disparition des espĂšces et des Ă©cosytĂšmes. L’accent est mis sur l’importance des forĂȘts naturelles dans le maintien de la biodiversitĂ© et la rĂ©tention et le stockage du carbone. L’auteur identifie des « bio rĂ©gions » qu’on peut envisager « en termes sociaux, psychologiques et biologiques », avec l’idĂ©e de « vivre en un lieu » et en entendant par là : « une sociĂ©tĂ© vivant en Ă©quilibre avec la rĂ©gion qui la soutient Ă  travers les liens entre les vies humaines, les autres ĂȘtres vivants et les processus de la planĂšte – les saisons, le climat, les cycles de l’eau » (p 280). L’auteur en donne des exemples aux Etats-Unis et il met en lumiĂšre l’avĂšnement d’une « gouvernance biorĂ©gionale » (p 176).

 

Participation et association

Nous observons aujourd’hui un « dĂ©litement de la cohĂ©sion sociale » (p 295). Le mĂ©contentement monte et la mĂ©fiance s’accroĂźt . Une enquĂȘte menĂ©e en 2020 dans 28 pays constate que 66% de citoyens n’ont pas confiance dans leur gouvernement actuel (p 295). Des remous, de grands changements mal interprĂ©tĂ©s suscitent l’inquiĂ©tude. La violence monte. Ces menaces appellent un renouvellement de la gouvernance Ă  travers une participation accrue des citoyens. Ainsi un chapitre est intitulé : « La dĂ©mocratie reprĂ©sentative fait une place Ă  la pairocratie (le rĂŽle des pairs) dans la dĂ©mocratie reprĂ©sentative » (p 289). « Une jeune gĂ©nĂ©ration commence Ă  tempĂ©rer la dĂ©mocratie reprĂ©sentative avec ses succĂšs, ses espoirs déçus et ses insuffisances en y mĂȘlant une forme d’action politique horizontale, latĂ©rale, plus large, plus inclusive, qui insĂšre les communautĂ©s locales au sein des Ă©cosystĂšmes  ». « Cette nouvelle identitĂ© politique Ă©mergente s’accompagne d’un engagement militant direct dans la gouvernance
 Chaque citoyen devient partie intĂ©grante du processus de gouvernement
 Des assemblĂ©es citoyennes apparaissent. Leurs membres se rĂ©unissent entre Ă©gaux, entre pairs, travaillant parallĂšlement aux autoritĂ©s en donnant des avis, conseils et recommandations
 Ces assemblĂ©es de pairs horizontalisent la prise de dĂ©cision en assurant l’engagement actif des citoyens dans la gouvernance. La dĂ©mocratie reprĂ©sentative fait une place Ă  une « pairocratie » distribuĂ©e comme la gouvernance locale fait une place Ă  une gouvernance biorĂ©gionale en ces temps oĂč les citoyens se regroupent pour rĂ©agir aux dĂ©fis comme aux opportunitĂ©s de sauvegarde de leur biorĂ©gion » (p 289-290). De nombreuses expĂ©riences apparaissent : budget participatif, contrĂŽle local sur les Ă©coles ou sur la police ».

JĂ©rĂ©mie Rifkin inscrit son Ă©tude dans une rĂ©flexion historique sur la conception et la pratique de la libertĂ© dans la pĂ©riode moderne en Occident et la vision de nouvelles gĂ©nĂ©rations pour lesquelles «  la libertĂ© est affaire d’accĂšs et d’inclusivitĂ© et non d’autonomie et d’exclusivitĂ©. Ils mesurent leur libertĂ© au degrĂ© auquel ils peuvent accĂ©der et participer aux plateformes qui prolifĂšrent sur toute la planĂšte. L’inclusivitĂ© qu’ils ont Ă  l’esprit est latĂ©rale et trĂšs Ă©tendue : elle englobe souvent le genre, l’ethnie, l’orientation sexuelle et mĂȘme le lien avec les autres ĂȘtres vivants sur une planĂšte en vie » (p 292). L’auteur note « l’arrivĂ©e Ă  maturitĂ© des organisations de la sociĂ©tĂ© civile
 Ces organisations sont des mouvements sociaux, des entreprise Ă©conomiques et aussi de nouvelles formes de proto-gouvernance qui font entrer les citoyens sur la scĂšne politique » (p 300-301).

 

Conscience biophile 

Selon JĂ©rĂ©my Rifkin, la grande dynamique Ă  l’Ɠuvre pour promouvoir l’ñge de la rĂ©silience s’inscrit dans le dĂ©veloppement d’une « conscience biophile ». Ce chapitre mĂ©riterait une analyse spĂ©cifique qui ne peut ĂȘtre engagĂ©e dans le cadre de cette prĂ©sentation.

L’auteur commence par exposer les recherches de John Bowlby sur l’attachement. PrivĂ©s de tendresse, de jeunes enfants dĂ©pĂ©rissent. Depuis l’intuition initiale de Bowlby sur le rĂŽle que joue le comportement d’attachement, des  chercheurs ont examinĂ© de plus prĂšs notre constitution biologique en cherchant Ă  comprendre les mĂ©canismes de la pulsion empathique profondĂ©ment intĂ©grĂ©s Ă  nos circuits neuronaux. Ils ont ainsi dĂ©couvert qu’au cƓur mĂȘme de notre ĂȘtre – et c’est ce qui rend notre espĂšce si spĂ©ciale – un Ă©lan biologique innĂ© nous pousse Ă  avoir de l’empathie pour « l’autre » (p 322). Comme il l’a dĂ©jĂ  Ă©tudiĂ© dans un livre prĂ©cĂ©dent sur l’empathie (4), l’auteur revient ici sur ce thĂšme. Dans une rĂ©trospective historique, il inscrit l’empathie dans une dimension sociale. « L’élan empathique n’est pas seulement liĂ© aux pratiques Ă©ducatives vĂ©cues par l’enfant,
 l’empathie change aussi au cours de l’histoire, elle est Ă©troitement mĂȘlĂ©e Ă  l’évolution de la sociĂ©té ». « L’infrastructure de chaque civilisation apporte un paradigme Ă©conomique qui lui est propre, un nouvel ordre social. Elle s’accompagne aussi d’une vision du monde, d’un grand rĂ©cit auquel la population peut prĂȘter allĂ©geance. Elle permet, Ă  chaque fois, d’élargir la solidaritĂ© empathique, qui peut englober et unir Ă©motionnellement les diverses populations  » (p 326). L’auteur Ă©voque ainsi des civilisations successives. Il y voit des « expansions de l’empathie » sans mĂ©connaitre « les reculs et les retours au passĂ©, ce grand flĂ©au de l’histoire de l’humanité » (p 331).

Il perçoit aujourd’hui l’apparition dans la jeune gĂ©nĂ©ration d’« une nouvelle famille biologique plus inclusive. La conscience biophile Ă©merge Ă  peine. Elle sera probablement le grand rĂ©cit qui va dĂ©finir l’Age de la rĂ©silience en un temps oĂč dĂ©bute l’entrĂ©e de l’humanitĂ© en empathie avec les autres vivants » (p 332). Aujourd’hui, l’humanitĂ© a besoin de se « rĂ©affilier Ă  la nature » (p 332). Les urbains ont besoin de se reconnecter avec le vivant de telle maniĂšre que Anne-Sophie Novel nous en indique le chemin (5). Et l’auteur dĂ©crit les initiatives pour permettre aux enfants de se familiariser avec le monde naturel, comme, par exemple, les classes de nature. Au total, nous sommes appelĂ©s Ă  un changement de perspective ; « L’universalisation de la biophilie fait passer le rĂ©cit humain d’une obsession de l’autonomie Ă  un attachement au relationnel. La formule classique de RenĂ© Descartes, « Je pense, donc je suis », est dĂ©jĂ  du passĂ©, car la jeune gĂ©nĂ©ration qui grandit dans des mondes virtuels… structurĂ©s par des couches d’interconnexion horizontale lui prĂ©fĂšre une autre maxime : « Je participe, donc j’existe » (p 352). « L’interprĂ©tation interactive de la nature, comme de celle de la nature humaine, impose de repenser radicalement le discours philosophique et politique qui a fondĂ© l’ñge du progrĂšs » (p 353). « Deux siĂšcles avant que le concept de conscience biophile soit introduit par E O Wilson, le grand philosophe et savant allemand Johan Wolfgang von Goethe propose de faire de la conscience biophile un contre-rĂ©cit opposable Ă  l’univers mort, rationnel, mĂ©canique que dĂ©crit la vision stĂ©rile de Newton. Goethe est persuadĂ© que la personnalitĂ© de chacun, de chacune – et sa rĂ©silience – est un matĂ©riau composite, fait des relations qui la tissent ou le tissent Ă  l’intĂ©rieur mĂȘme de l’étoffe de la vie ». Il envisage la nature comme « toujours changeante, en flux continuel. » (p 355). « Goethe ressent et vit l’expĂ©rience empathique avant que ce sentiment reçoive un nom. « Me mettre dans la situation des autres, comprendre toute espĂšce d’individualitĂ© humaine et m’y intĂ©resser, Ă©crit-il, c’est affirmer l’unitĂ© de la vie. Être « dans l’ensemble » : pour Goethe, cet Ă©lan ne s’arrĂȘtait pas aux limites de notre espĂšce, mais s’étendait Ă  la totalitĂ© de la nature » (p 356).

Face aux menaces qui nous inquiĂštent et nous embrouillent, dans une rĂ©alitĂ© complexe qui rend difficile notre discernement, nous recherchons Ă©clairages et chemins. La vision de JĂ©rĂ©mie Rifkin nous apporte un Ă©clairage auquel nous ajouterons pour notre part une dimension spirituelle telle que nous la dĂ©couvrons dans le livre de Michel Maxime Egger : « Ecospiritualité » (6). JĂ©rĂ©mie Rifkin nous propose aussi un chemin. La prise de conscience des mĂ©faits de l’hĂ©ritage de l’ñge du progrĂšs dĂ©bouche sur la mise en Ɠuvre de nouveaux atouts en terme de nouveaux savoirs, de nouvelles pratiques et de nouvelles valeurs. Dans ce livre comme dans ses prĂ©cĂ©dents, JĂ©rĂ©my Rifkin nous ouvre une nouvelle maniĂšre de voir.

J H

 

  1. JĂ©rĂ©my Rifkin. L’ñge de la rĂ©silience. La terre se rĂ©ensauvage. Il faut nous rĂ©inventer. Les liens qui libĂšrent, 2022
  2. La TroisiÚme révolution industrielle : https://vivreetesperer.com/face-a-la-crise-un-avenir-pour-l%e2%80%99economie/
  3. Le New Deal Vert : https://vivreetesperer.com/le-new-deal-vert/
  4. Vers une civilisation de l’empathie : https://www.temoins.com/vers-une-civilisation-de-lempathie-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkinapports-questionnements-et-enjeux/
  5. Comment nous reconnecter au vivant, à la nature ? : https://vivreetesperer.com/comment-nous-reconnecter-au-vivant-a-la-nature/
  6. Ecospiritualité : https://vivreetesperer.com/ecospiritualite/

RĂ©cits de vie et gouvernance participative

A travers un service du courrier, Obama, président, dialogue avec les citoyens américains.

pour rĂ©pondre aux besoins, encore faut-il Ă©couter leur expression. Cette Ă©coute est nĂ©cessaire pour identifier les besoins dans toute la complexitĂ© humaine dans laquelle elle se manifeste. C’est bien lĂ  la tache essentielle des Ă©lus et Ă©videmment du premier d’entre eux, le prĂ©sident. Certes, il y a diffĂ©rentes maniĂšres d’identifier et d’analyser les besoins, par exemple une enquĂȘte, une expression des mĂ©dia, mais rien ne remplace une Ă©coute directe des gens. Et plus gĂ©nĂ©ralement, la participation appelle le dialogue. Cette expression des citoyens peut prendre diffĂ©rentes formes. Un livre rĂ©cent (1) vient aujourd’hui nous prĂ©senter une expĂ©rience : le service du courrier qui recevait des milliers de lettres adressĂ©es au prĂ©sident Obama par des  citoyens amĂ©ricains.

Le service du courrier

 Tout au long de l’histoire amĂ©ricaine, il y a toujours eu des citoyens qui ont Ă©crit au prĂ©sident . Mais cette correspondance s’est considĂ©rablement amplifiĂ©e au cours du temps. Et le service a pris un importance majeure avec l’arrivĂ©e d’Obama Ă  la prĂ©sidence . Ce dĂ©veloppement s’inscrit dans la vague militante qui a portĂ© et accompagnĂ© l’élection. Ainsi, la participation Ă  cette entreprise tĂ©moigne d’une forte mobilisation, d’un engagement comme celui de Fiona devenue responsable de ce service.

« Au total, le service de la correspondance prĂ©sidentielle ou OPC comme tout le monde l’appelait, requĂ©rait l’action coordonnĂ©e de 50 employĂ©s, de 36 stagiaires et d’une armĂ©e de 300 volontaires se relayant pour faire face Ă  la dizaine de millier de lettres et de messages quotidiens. Il appartenait Ă  Fiona en tant que directrice de l’opĂ©ration de faire tourner la boutique » (p 86). Ces lettres parlent des rĂ©alitĂ©s de la vie qui interpellent le prĂ©sident. Ces messages sont lus attentivement et cotĂ©s selon le sujet choisi en vue d’y apporter une rĂ©ponse. Cependant la grande affaire, c’est de choisir chaque jour dix lettres auxquelles le prĂ©sident rĂ©pondra.

Si la crĂ©ation du service a Ă©tĂ© prĂ©cĂ©dĂ©e par une lente Ă©volution, si elle est advenue dans un grand moment politique, elle est d’abord la rĂ©sultante d’une volontĂ© personnelle, celle du prĂ©sident Barack Obama. Le service a Ă©tĂ© organisĂ© par des hommes qui l’ont accompagnĂ© dans sa dĂ©marche politique. Et sa dĂ©cision de lire chaque jour dix lettres et d’y rĂ©pondre, a Ă©tĂ© emblĂ©matique.

Barack Obama

Barack Obama a surgi dans l’histoire amĂ©ricaine comme la rĂ©ponse Ă  une espĂ©rance que puissent hommes et femmes ĂȘtre respectĂ©s dans leur originalitĂ© personnelle et leur existence sociale et politique. Dans son accession Ă  la prĂ©sidence, Barack Obama a apportĂ© une rĂ©ponse : « Yes, we can ». Oui , nous pouvons. Son Ă©lection nous est apparue comme un tournant dans l’histoire des Etats-Unis (2), une ouverture pour le monde. Aussi, Ă  plusieurs reprises, avons-nous Ă©voquĂ©, sur ce blog, les activitĂ©s et les expressions de ce prĂ©sident (3). L’attention qu’Obama a portĂ© au courrier lors de sa prĂ©sidence est une manifestation de son empathie et de son engagement au service de l’humain. C’est une facultĂ© d’écoute permettant une meilleure identification des besoins et, donc, une capacitĂ© d’y rĂ©pondre. Ainsi, nous dit-il, « Ce serait un exercice intĂ©ressant d’identifier le nombre d’initiatives
 dont la plupart Ă©taient de portĂ©e limitĂ©e
. qui aboutirent Ă  une modification ou qui provoquĂšrent au moins une discussion sur la maniĂšre dont nous fonctionnons. Un nombre non nĂ©gligeable , je pense » (p 196). Certaines lettres ont suscitĂ© des rĂ©actions visibles. « Je me rappelle une rencontre. Une merveilleuse famille. Un pĂšre et une mĂšre relativement jeunes avec deux enfants, et, au moment oĂč je suis arrivĂ©, la mĂšre a fondu en larmes. Elle m’a serrĂ© dans ses bras et dit : « Si on est ici, c’est grĂące Ă  vous ». J’ai rĂ©pondu : « Comment ça ? ». « Mon mari ici prĂ©sent a servi dans l’armĂ©e et souffrait d’un syndrome post-traumatique assez grave et je craignais qu’il n’en sorte pas, mais vous avez demandĂ© Ă  l’administration des vĂ©tĂ©rans de nous appeler directement et c’est ce qui l’a conduit Ă  se faire soigner ». C’est le genre d’occasions qui nous rappelle que cette fonction a quelque chose de spĂ©cial » (p 196). « Quand les gens reçoivent une rĂ©ponse, ils ont le sentiment que leurs vies et leurs prĂ©occupations ont de l’importance. Et ça, ça peut changer dans une faible mesure, et parfois plus largement, le regard qu’ils portent sur la vie » (p 196). Parce qu’Obama portent un profond respect aux gens, les gens le ressentent, et lui expriment une considĂ©ration qui va jusqu’à lui faire part de leur Ă©volution personnelle. « Parfois les gens me font part  d’une forme de transformation qu’ils ont vĂ©cu. Il y a plusieurs lettres de personnes me confiant avoir grandi dans des familles se mĂ©fiant des personnes d’une origine diffĂ©rente, d’un autre milieu. Les lettres me relatent l’évolution que leurs auteurs ou leurs proches ont connue aprĂšs avoir constatĂ© que l’image d’eux qu’on leur renvoyait n’était pas celle qu’ils imaginaient » (p197).

Parce qu’Obama respecte profondĂ©ment les gens et que ceux-ci peuvent lui manifester du respect en retour, il peut se crĂ©er une forme de communautĂ© en retour. Ainsi Ă©crit Obama : « Les lettres qui me tiennent Ă  cƓur sont, je crois, celles qui opĂšrent des liens, qui parlent de la vie des gens, de leurs valeurs, de ce qui leur importe » (p 197). Cette attention tĂ©moigne d’une confiance et d’une bienveillance dont fait preuve le prĂ©sident : « Ces lettres disent que les gens sont pleins de bontĂ© et de sagesse. Il suffit d’y faire attention. Ce qui est parfois difficile de faire quand on est Ă  l’intĂ©rieur d’une bulle, mais cette petite porte me l’aura rappelĂ© chaque jour » (p 207).

 

Les lettres : une expression de la vie américaine dans toute sa diversité

Ce livre publie ainsi un grand nombre de lettres par pĂ©riodes chronologiques. Si elles comportent telle interprĂ©tation ou telle louange, elles s’appuient gĂ©nĂ©ralement sur une expression de la vie de ceux qui Ă©crivent. C’est un recueil de rĂ©cits de vie qui tĂ©moignent de la diversitĂ© des situations. Certes, il y a des inflexions dans les contenus. Lorsque Obama accĂšde Ă  la prĂ©sidence, il doit faire face Ă  une grave rĂ©cession. Il y a du chĂŽmage. Beaucoup de gens souffrent dans leurs conditions de vie. Et comme le redressement ne peut ĂȘtre immĂ©diat, on entend une plainte et parfois une dĂ©ception.

Cependant, il y a aussi ds demandes plus classiques. « Il y a des lettres rĂ©currents comme celles des anciens combattants demandant de l’aide, celles des jeunes accablĂ©s par des dettes rĂ©currentes essayant de savoir s’ils sont Ă©ligibles Ă  une aide ou une autre, des militaires ou des familles de militaires aux prises avec une dĂ©cision du dĂ©partement de la dĂ©fense
 » (p 195). « La loi sur la protection de patients et des soins abordables » surnommĂ©e « Obamacare », a suscitĂ© un courrier abondant. Des vies ont Ă©tĂ© sauvĂ©es.

Bien souvent, ces lettres tĂ©moignent d’une expĂ©rience de vie originale. Elles expriment des prises de conscience auxquelles le prĂ©sident est associĂ© parce qu’elles soutiennent des causes qu’il soutient ou des pistes qu’il ouvre . Ces lettres couvrent un champ trĂšs vaste. Des valeurs s’y expriment, le meilleur de l’idĂ©al amĂ©ricain tel que Barack Obama en tĂ©moigne. En voici quelques exemples.

 

Des récits de vie

Ces lettres en grand nombre portent toutes un message. Et, pour chacune d’elle, l’auteure nous permet de la situer dans son contexte et de percevoir le dialogue qui s’établit entre les personnes et le prĂ©sident. Ce livre nous apporte un ensemble de rĂ©cits de vie qui nous rapportent les problĂšmes, Ă©conomiques, sociaux er culturels vĂ©cus par des amĂ©ricains et les idĂ©aux qui les animent.

Marnie Hazelton

Marnie Hazelton, mĂšre cĂ©libataire, quinquagĂ©naire, a derriĂšre elle une tradition familiale qui l’engage dans « une vie de service », des parents et des grands-parents afro-amĂ©ricains, « Elle Ă©tait la derniĂšre reprĂ©sentante d’une histoire marquĂ©e par le courage et la lutte » (p 165). Puis, elle devient enseignante dans des Ă©coles dĂ©favorisĂ©es Ă  New-York. C’est un idĂ©al qui la pousse. En 2011, elle Ă©coute attentivement le dernier discours d’Obama sur l’état de l’Union : «  Ce qui aura le plus d’impact sur la rĂ©ussite d’un enfant, c’est l’homme ou la femme qui se tient devant lui dans la salle de classe. A l’attention de tous les jeunes gens qui Ă©coutent ce soir et qui  hĂ©sitent pour leur carriĂšre professionnelle, si vous voulez influer sur la vie d’un enfant, devenez enseignant. Votre pays a besoin de vous » (p 164). « Une bĂątisseuse de nation, une patriote, voilĂ  ce qu’elle Ă©tait » (p 164). HĂ©las la rĂ©cession avait frappĂ© les Etats-Unis et il fallait du temps pour que la politique d’Obama porte tous ses fruits. A l’échelon local, il y a encore des coupes budgĂ©taires. Elle perd son emploi et entre alors dans une pĂ©riode difficile .

C’est alors qu’elle dĂ©cide d’écrire au PrĂ©sident Obama.

« Cher monsieur le Président

Mes parents reprĂ©sentent le meilleur de l’AmĂ©rique .

Mon pĂšre a servi. Ma mĂšre a rĂ©pondu Ă  l’appel de John F Kennedy Ă  servir ». Plusieurs des mes aĂŻeux ont combattu pour les Etats-Unis. « J’ai marchĂ© dans les pas de ma mĂšre et suis devenu enseignante. « Une bĂątisseuse de nation ».

Monsieur le PrĂ©sident, vous devez recevoir des milliers de lettres narrant les malheurs des chĂŽmeurs et il n’y a pas grand chose que vous puissiez faire Ă  l’échelle individuelle. J’ai perdu mon emploi parce que les fonds de relance attribuĂ©s aux Ă©coles sont Ă©puisĂ©s.

J’aimerais que vous me disiez ce que je dois faire maintenant pour subvenir aux besoins de ma famille alors que le marchĂ© de l’emploi dans l’éducation est inondĂ© de milliers d’enseignants licenciĂ©s Ă  cause des coupes budgĂ©taires et que j’ai  consacrĂ© les onze derniĂšres annĂ©es de ma vie Ă  bĂątir la nation et Ă  Ă©duquer les enfants de l’AmĂ©rique » (p 167). Elle fut trĂšs surprise de recevoir une rĂ©ponse personnelle du prĂ©sident : « Merci de votre dĂ©vouement Ă  l’éducation. Je sais que la situation actuelle peut paraĂźtre dĂ©courageante, mais la demande pour des enseignantes et des personnes avec vos compĂ©tences grandira au fur et Ă  mesure que la conjoncture et le financement des Ă©tats rebondiront. En attendant, je suis de tout cƓur avec vous » (p 170).

Cette phrase : « je suis de tout cƓur avec vous » alla droit au coeur de Marnie. La lettre du prĂ©sident lui redonna courage et l’accompagna dans les Ă©pisodes qui ont suivi jusqu’à la prĂ©senter dans un jeu tĂ©lĂ©visĂ©. Treize mois aprĂšs avoir Ă©tĂ© congĂ©diĂ©e, elle reçut la demande d’un district scolaire dans lequel elle avait dĂ©jĂ  travaillĂ©. « RevigorĂ©e, rĂ©inventĂ©e, quand elle revint dans la salle de classe, elle montra Ă  ses Ă©lĂšves le mot du prĂ©sident Obama. C’était une occasion de leur apprendre quelque chose. Elle dit aux enfants : « Je suis de tout coeur avec vous ». Et elle l’a rĂ©pĂ©tĂ© Ă  tout le monde autour d’elle. Finalement, elle devint directrice du district qui l’avait autrefois mise Ă  pied.

Marjorie McKinney

MariĂ© Ă  un gĂ©ologue de l’UniversitĂ© de Caroline du Nord, Marjorie avait aidĂ© son mari pendant toute sa carriĂšre. Cette association avait toujours reposĂ© sur un consentement mutuel.

« Ce jour, elle s’était rendu Ă  Albany pour collecter des images de fossile Ă  la demande de Ken ». Pour regagner sa voiture, elle commença Ă  s’engager dans une immense place devant le musĂ©e. « Il y avait une personne au loin qui se dirigea vers elle. Il avait l’air jeune. Il Ă©tait noir. Il portait un sweat Ă  capuche . D’un geste brusque, il rabattit la capuche masquant son visage ». Marjorie eut trĂšs peur avec une immense envie de fuir » . En arrivant en mĂȘme temps Ă  la cage d’escalier, il la regarda. « DĂ©sagrĂ©able le vent, hein ! » dit-il, avant d’ajouter qu’il y avait un passage souterrain pour piĂ©tons qui reliait le musĂ©e au parking au cas oĂč elle ne le saurait pas. La prochaine fois qu’il ferait froid, elle gagnerait peut-ĂȘtre Ă  le prendre, suggĂ©ra-t-il. C’était  tout. Il Ă©tait parti. Un truc qui pouvait sembler anodin. Un truc banal ». Mais pour Marjorie, cela marqua une rupture dans sa reprĂ©sentation d’elle-mĂȘme. « Pourquoi avais-je eu peur de ce charmant jeune homme ? ». Tout simplement parce qu’il Ă©tait noir . Je n’avais aucune raison d’avoir peur de lui. J’étais atterrĂ©e. Ce n’était pas quelque chose que j’aurais cru ressentir un jour. Ce fut un tournant dans ma vie parce que je me suis rendu compte que j’étais raciste. Et il fallait que je trouve le moyen de m’en dĂ©barrasser » (p 209).

Une bonne partie du problĂšme pour Marjorie, c’est qu’elle pensait s’en ĂȘtre dĂ©barrassĂ©e (p 210). Et elle avait dĂ©jĂ  parcouru un chemin en ce sens. En effet, elle avait vĂ©cu son enfance dans le sud profond, Birmingham Ă  une Ă©poque oĂč le monde Ă©tait divisĂ© en deux : blanc ou noir. Cela paraissait naturel. Elle prit conscience de l’injustice en rencontrant Ă  l’universitĂ© un ami, un Ă©tudiant allemand beaucoup plus ĂągĂ© qu’elle. Elle venait d’une ville oĂč rĂ©gnait une sĂ©grĂ©gation trĂšs dure. Son ami allemand lui expliqua le racisme, l’intolĂ©rance, la haine, lui parla de son pays, de sa vie, des jeunesses hitlĂ©riennes
 « Elle le remercia pour tout ce qu’il lui avait expliquĂ© Ă  la cantine ce jour-lĂ  et pour avoir donnĂ© une nouvelle orientation Ă  sa vie. « Tu en avais besoin » lui dit-il » (p 218). DĂšs lors, « Marjorie s’engagea dans le mouvement des droits civiques. Toute sa vie, elle chercha Ă  voir au delĂ  de la race. Et, parmi ses enfants adoptĂ©s, deux d’entre eux Ă©taient mĂ©tis (p 212). « Imaginez un peu. Avec tout ce bagage, tout ce chemin parcouru avec Ken et les enfants. Et puis, elle est Ă  Albany. Il fait froid. Et elle a dĂ©couvert ce puits de laideur installĂ© en en elle, tel un vers qui s’éveille Ă  la vie ». Ă  la suite d’un fait divers mettant en Ă©vidence la persistance des sentiments racistes et d’un discours trĂšs digne d’Obama Ă  ce sujet. Elle dĂ©cida de lui Ă©crire. Elle lui raconta son parcours et l’incident qu’elle avait vĂ©cu.

Monsieur le PrĂ©sident. J’espĂšre que d’autres personnes qui auront entendu vos paroles auront davantage conscience de la peur qui se tapit chez beaucoup d’entre nous. Elle est irrationnelle, mais elle est lĂ . J’espĂšre que j’aurais oubliĂ© cette course Ă  Albany et le jeune homme rencontrĂ© par cette froide journĂ©e. Vos franches paroles de la semaine derniĂšre comptent beaucoup pour moi. Merci » (p 215).

La rĂ©ponse d’Obama vint en ces termes : « Merci pour cette lettre murement rĂ©flĂ©chie. Votre histoire illustre ce qui me rend optimiste pour le pays ».

 

Yolanda

Aider les gens en dĂ©tresse Ă  revenir dans une vie vivable et sociable, tel peut ĂȘtre un objectif bienfaisant de l’action politique. Et il peut en rĂ©sulter une expression de gratitude. Yolanda fait partie de ceux qui ont luttĂ© pour vivre et savent reconnaĂźtre l’aide qu’ils ont reçue .

Yolanda « avait dĂ©jĂ  Ă©crit il y a quelques annĂ©es pour parler au prĂ©sident de sa situation d’ancienne combattante handicapĂ©e du fait qu’elle vivait dans sa voiture et qu’elle faisait constamment des cauchemars liĂ©s aux traumatismes sexuels subis pendant qu’elle Ă©tait dans la marine. « Monsieur le prĂ©sident, vous et votre cabinet avez fait une dĂ©claration nationale pour que les Ă©tats travaillent Ă  mettre fin au problĂšme des sans-abris. Je vous avais fait part de ma priĂšre silencieuse de vouloir devenir un membre productif de notre sociĂ©tĂ©, d’ĂȘtre capable de vivre, d’y payer un loyer, bref d’y prendre part » (p 236). Or ce dĂ©sir a Ă©tĂ© exaucĂ©. « C’est avec des larmes de reconnaissance que je peux vous dire que j’ai signĂ© aujourd’hui un bail au Veteran’s village pour deux piĂšces
.Aujourd’hui j’ai pleurĂ© des larmes de joie. J’étais si fiĂšre de pouvoir leur donner le mandat postal pour le loyer
 Tout ça, c’est grĂące Ă  vous et Ă  votre administration. Je ne suis pas un numĂ©ro. Je ne suis pas une saletĂ© sur laquelle des gens crachent. Je ne suis pas oubliĂ©e
. J’ai maintenant un endroit oĂč vivre, un chez moi. Je vais me montrer Ă  la hauteur de ce don gracieux qui m’a Ă©tĂ© fait. Merci ! » (p 236). Une expression de dignitĂ© dans la gratitude et la confiance.

« Barack Obama et les citoyens américains en toutes lettres » (1), ce livre de Jeanne Marie Laskas, nous permet de partager à travers la publication de cette vaste correspondance, des centaines de lettres, une expression constructive et encourageante.

Si Obama rencontre des oppositions, il est en gĂ©nĂ©ral respectĂ©. Ces lettres manifestent un grand respect . Ainsi s’établit une confiance rĂ©ciproque . Courage, dignitĂ© et confiance se manifestent dans ces rĂ©cits de vie. Cette lecture n’est pas seulement agrĂ©able. Elle communique la bienveillance qui s’y exprime.

J H

 

 

 

Un Esprit sans frontiĂšres

 ReconnaĂźtre la prĂ©sence et l’Ɠuvre de l’Esprit

Si on reconnaĂźt de plus en plus l’interconnexion qui caractĂ©rise notre univers et Ă  laquelle nous participons, il y a dans cette prise de conscience un potentiel d’ouverture par rapport Ă  la perception d’une force transcendante, Ă  l’écoute d’une voix d’amour. C’est pourquoi, dans la sociĂ©tĂ© d’aujourd’hui, la prĂ©sence de l’Esprit peut davantage ĂȘtre reconnue.

En christianisme, en terme d’Esprit saint, l’Esprit est reconnu  comme un acteur personnel de la communion divine et comme catalyseur et inspiration de l’Eglise. Mais si ces termes sont approximatifs avec l’intention de parler Ă  tous, n’est-ce pas dire ainsi combien nous avons besoin de mieux connaĂźtre et reconnaĂźtre l’Esprit divin. Nous trouvons cet Ă©clairage dans un livre que JĂŒrgen Moltmann, le thĂ©ologien de l’espĂ©rance, a consacrĂ© Ă  l’Esprit saint sous un titre significatif : « L’Esprit qui donne la vie » (1).

Ce livre est pour nous une source d’inspiration qui Ă©claire notre existence. Comme l’Ɠuvre de JĂŒrgen Moltmann dans son ensemble, cet ouvrage ouvre des horizons multiples. Dans ce texte et selon Moltmann, nous nous interrogeons sur les barriĂšres qui ont fait obstacle Ă  la reconnaissance de la place et de l’Ɠuvre de l’Esprit. DĂ©couvrons ces barriĂšres pour les dĂ©passer et entrer dans un processus bienfaisant. « L’auteur cherche Ă  Ă©laborer une thĂ©ologie de l’Esprit susceptible de dĂ©passer la fausse alternative, souvent rĂ©itĂ©rĂ©e dans les Eglises entre la RĂ©vĂ©lation divine qu’elles ont pour mission de sauvegarder et les expĂ©riences humaines de l’Esprit. Il entend ainsi mettre en valeur les dimensions cosmiques et culturelles de l’Esprit « crĂ©ateur et recrĂ©ateur » qui transgresse toutes les frontiĂšres Ă©tablies » (page de couverture).

 

Par delĂ  les barriĂšres

L’Esprit de Dieu est Ă  l’Ɠuvre dans l’expĂ©rience humaine par delĂ  les exclusivismes institutionnels. Il n’est pas seulement l’Esprit de la rĂ©demption, mais aussi l’Esprit de la crĂ©ation. Il se dĂ©ploie malgrĂ© les limites Ă©rigĂ©es par des institutions inquiĂštes. L’histoire rĂ©cente nous montre cette tension. « Il ne peut ĂȘtre question d’un « oubli » de l’Esprit aux Temps modernes ; au contraire, le rationalisme et le piĂ©tisme des LumiĂšres furent tout aussi enthousiastes que le christianisme pentecĂŽtiste aujourd’hui. Ce furent les craintes des Eglises Ă©tablies Ă  l’égard de « l’esprit de liberté » religieux aussi bien qu’irrĂ©ligieux, du monde moderne qui conduisirent Ă  une rĂ©serve de plus en plus grande en matiĂšre de doctrine de l’Esprit saint
Seul fut dĂ©clarĂ© « saint » cet Esprit qui est liĂ© Ă  la mĂ©diation ecclĂ©siale et institutionnelle  » (p 17). Encore aujourd’hui, dans certains cercles, on peut observer cet exclusivisme. « Dans la thĂ©ologie et la piĂ©tĂ© protestante, comme dans la thĂ©ologie et la piĂ©tĂ© catholique, il existe une tendance qui consiste Ă  concevoir l’Esprit Saint uniquement comme l’Esprit de la rĂ©demption  dont le lieu est l’Eglise et qui donne aux hommes la certitude de la bĂ©atitude Ă©ternelle de leur Ăąme. Cet Esprit sauveur est mis Ă  l’écart de la vie corporelle comme de la vie naturelle » (p 25).

 

Esprit de rédemption. Esprit de création

L’Esprit Saint n’est pas seulement rĂ©dempteur, mais aussi crĂ©ateur. « Si l’Esprit Saint Ă©tait seulement l’Esprit de l’Eglise et de la foi, cela restreindrait « la communion de l’Esprit Saint » et aurait pour consĂ©quence que, dans son expĂ©rience de l’Esprit, l’Eglise deviendrait incapable de communiquer avec le monde ».

Pourquoi cette conception rĂ©duite de l’Ɠuvre de l’Esprit ? Elle tient Ă©galement Ă  une focalisation sur les expĂ©riences intĂ©rieures de l’ñme dans une attitude marquĂ©e par l’influence de la philosophie platonicienne. C’est la perspective, non pas chrĂ©tienne, mais gnostique d’une Ăąme, Ă  la mort, « libĂ©rĂ©e de cette vallĂ©e de larmes et de cette enveloppe corporelle caduque, et introduite dans le ciel des bienheureux ». En regard, l’Eglise ancienne a adoptĂ© la rĂ©surrection de la chair. « Or, si la rĂ©demption est la rĂ©surrection de la chair  et la crĂ©ation nouvelle de toutes choses, alors l’Esprit du Christ qui sauve ne peut ĂȘtre un autre esprit que l’Esprit crĂ©ateur qu’est la « Ruah Yahweh » selon une expression hĂ©braĂŻque »  Il y a une unitĂ© entre l’agir de Dieu dans la crĂ©ation, la rĂ©demption et la sanctification de toutes choses
L’Esprit rĂ©dempteur est aussi l’Esprit de la rĂ©surrection et de la crĂ©ation nouvelle de toutes choses  ».

Ainsi, « l’expĂ©rience de la rĂ©surrection et la relation Ă  la puissance divine ne conduisent pas Ă  une spiritualitĂ© qui exclut les sens, qui est tournĂ©e vers l’intĂ©rieur, hostile au corps et sĂ©parĂ©e du monde, mais Ă  une vitalitĂ© nouvelle de l’amour de la vie » (p 27).

 

Transcendance et immanence

Les reprĂ©sentations de Dieu ont naturellement une grande influence. Certaines reprĂ©sentations peuvent avoir une influence  trĂšs nĂ©gative. Et on peut s’interroger en se souvenant de la personne de JĂ©sus : «On reconnaĂźt l’arbre Ă  ses fruits ». Ainsi, si on croit en un Dieu si transcendant qu’il en devient inaccessible, on ne peut percevoir l’Esprit de Dieu dans l’expĂ©rience humaine. Dans un contexte de dĂ©bat thĂ©ologique, pour le thĂ©ologien Karl Barth, « II n’y avait pas de continuité  entre la crĂ©ature et le crĂ©ateur, pas mĂȘme dans le souvenir qu’a l’ñme humaine de son origine, comme le disait Augustin » (p 22). La rĂ©vĂ©lation vient d’en haut et s’impose Ă  l’homme. JĂŒrgen Moltmann s’interroge sur cette discontinuitĂ© entre l’Esprit de Dieu et l’esprit de l’homme. « Je ne parviens pas Ă  percevoir d’alternative de principe entre la rĂ©vĂ©lation de Dieu Ă  des hommes et l’expĂ©rience de Dieu faite par des hommes. Comment un homme pourrait-il parler d’un Dieu si Dieu ne se rĂ©vĂšle pas ? Comment un homme pourrait-il parler d’un Dieu dont il n’existe aucune expĂ©rience humaine ? » (p 22). Et il nous invite Ă  percevoir la prĂ©sence de Dieu en terme d’immanence et de transcendance. « C’est voir l’immanence de Dieu dans l’expĂ©rience humaine et la transcendance de l’homme en Dieu. Parce que l’Esprit de Dieu est en l’homme, l’esprit de l’homme dans son autotranscendance est orientĂ© vers Dieu. Celui qui schĂ©matise rĂ©vĂ©lation et expĂ©rience en en faisant une alternative aboutit Ă  des rĂ©vĂ©lations qui ne peuvent faire l’objet d’une expĂ©rience et Ă  des expĂ©riences dĂ©pourvues de rĂ©vĂ©lation » (p 24).

 

Pour une thĂ©ologie de l’expĂ©rience

L’affirmation constante du lien de l’Esprit Ă  l’institution ecclĂ©siale « a conduit Ă  l’appauvrissement des communautĂ©s, Ă  la dĂ©sertion des Eglise et Ă  l’émigration de l’Esprit vers les groupes spontanĂ©s et vers les expĂ©riences personnelles 
Les hommes ne font pas l’expĂ©rience de l’Esprit de façon extĂ©rieure  seulement dans leur communautĂ© ecclĂ©siale, mais de façon intĂ©rieure dans l’expĂ©rience qu’ils font d’eux-mĂȘmes Ă  savoir dans le fait que « l’amour de Dieu a Ă©tĂ© rĂ©pandu dans nos cƓurs par l’Esprit saint
 (Romains 5.5). Cette expĂ©rience personnelle de l’Esprit, beaucoup de personnes l’expriment par de simples mots : « Dieu m’aime ». Ainsi JĂŒrgen Moltmann est amenĂ© Ă  dĂ©velopper une thĂ©ologie de l’expĂ©rience (p 37).

« Il n’y a pas de paroles de Dieu sans expĂ©riences humaines de l’Esprit. C’est pourquoi les paroles de la Bible et les paroles de la prĂ©dication de l’Eglise doivent ĂȘtre rĂ©fĂ©rĂ©s Ă©galement aux expĂ©riences des hommes d’aujourd’hui pour que ceux-ci ne soient pas seulement des auditeurs de la Parole (K Rahner), mais deviennent eux-mĂȘmes des locuteurs de la Parole
 Mais cela n’est possible que si l’on voit la Parole et l’Esprit dans leur rapport mutuel et non pas comme une voie Ă  sens unique » (p 18).

 

Une dimension cosmique

« Les recherches nouvelles conduisant Ă  une « thĂ©ologie Ă©cologique », Ă  une « christologie cosmique », et Ă  la redĂ©couverte du corps ont pour point de dĂ©part la comprĂ©hension hĂ©braĂŻque de l’Esprit de Dieu
. L’expĂ©rience de Dieu qui donne vie et qui est faite dans la foi du cƓur et dans la communion  de l’amour conduit d’elle-mĂȘme au delĂ  des frontiĂšres de l’Eglise vers la redĂ©couverte de ce mĂȘme Esprit dans la nature, les plantes, les animaux et dans les Ă©cosystĂšmes de la terre ».  Ainsi notre vision s’élargit jusqu‘à une dimension cosmique. «L’expĂ©rience de la communautĂ© de l’Esprit conduit nĂ©cessairement la chrĂ©tientĂ© par delĂ  d’elle-mĂȘme, vers la communautĂ© plus grande de toutes les crĂ©atures de Dieu. La communion de la crĂ©ation, dans laquelle toutes les crĂ©ations existent les unes avec les autres, les unes pour les autres,  les unes par les autre set les unes dans les autres,  est la communion de l’Esprit saint » » (2). C’est une interpellation pour les Eglises. « Face Ă  la menace d’une « fin de la nature », les Eglise dĂ©couvriront la signification cosmique du Christ et de l’Esprit ou bien  se feront complices de la destruction  de la crĂ©ation terrestre de Dieu. » . C’est un nouveau regard. « La dĂ©couverte de l’ampleur cosmique de l’Esprit conduit au respect de la dignitĂ© de toutes les crĂ©atures dans lesquelles Dieu est prĂ©sent par son Esprit » (p 28).

 

La personnalitĂ© de l’Esprit

Bien entendu, nous nous posons la question : comment l’Esprit saint s’inscrit-il dans la rĂ©alitĂ© divine ? C’est une question qui a suscitĂ© de grands dĂ©bats thĂ©ologiques. Elle ne peut ĂȘtre exprimĂ©e ici en quelques lignes d’autant que nous sommes dĂ©pourvus d’expertise thĂ©ologique. On se reportera donc au chapitre de JĂŒrgen Moltmann consacrĂ© Ă  l’expĂ©rience trinitaire de l’Esprit  (p 90-113).

Dans son livre le plus rĂ©cent : « The living God and the fullness of life » (3), Moltmann dĂ©crit ainsi cette expĂ©rience trinitaire de Dieu : « La foi chrĂ©tienne est une vie en communion avec Christ. JĂ©sus, le fils de Dieu, appelle Dieu : Abba, cher pĂšre ». D’autre part, en communion avec Christ, nous ressentons un encouragement Ă  vivre, une puissance de guĂ©rison. Nous savons que nous sommes consolĂ©s et nous sommes en phase avec le grand oui de Dieu Ă  la vie. Nous recevons ainsi les Ă©nergies de l’Esprit de Dieu. L’Esprit qui donne la vie « entre Ă  flots dans nos cƓurs » (Rom 5.5)
 (p 61). Nous faisons ainsi l’expĂ©rience de ces trois dimensions dans la communion avec Christ. Nous vivons avec JĂ©sus, le Fils de Dieu et avec Dieu, le PĂšre de JĂ©sus-Christ et avec Dieu, l’Esprit de vie. Ainsi, nous ne croyons pas seulement en Dieu, nous vivons en Dieu, c’est Ă  dire dans l’histoire trinitaire de Dieu avec nous » ( p 62).

Mais oĂč voyons-nous l’unitĂ© de Dieu ? « Elle Ă©merge de la relation interne entre Dieu le Fils, Dieu le PĂšre et l’Esprit de Dieu ». En chaque personne divine, nous voyons la prĂ©sence des autres. Elles sont ainsi tellement interreliĂ©es qu’elles ne peuvent ĂȘtre sĂ©parĂ©es.  Cette vĂ©ritĂ© est exprimĂ©e par JĂ©sus lorsqu’il dit : « Le PĂšre et moi, nous sommes un » (Jean 16-30). Ce n’est pas seulement une unitĂ© de vouloir, c’est aussi une interrelation : « Afin qu’ils puissent ĂȘtre un. Comme toi, PĂšre, est en moi, et moi en  toi » (Jean 17-20). C’est une inhabitation rĂ©ciproque, un don mutuel. « L’idĂ©e israĂ©lite de la « Shekinah » et le concept patristique de la « perichoresis » sont des reprĂ©sentations de ces inhabitations rĂ©ciproques ». Cette communion s’étend Ă  nous. « L’amour est la vraie force qui dĂ©passe les frontiĂšres. Celui qui vit dans l’Esprit de Dieu vit en Dieu et Dieu en lui ou elle » (p 63). Au total, si on perçoit l’Esprit saint Ă  travers ce qu’il opĂšre, sa personnalitĂ© ne se comprend qu’à partir de ses relations au PĂšre et au Fils. « Car l’ĂȘtre-personne est toujours ĂȘtre-en-relation. Les relations qui constituent l’ĂȘtre-personne de l’Esprit doivent ĂȘtre cherchĂ©es dans la Trinité » (L’Esprit qui donne la vie p 30).

 

Vers un monde nouveau

Les prophĂštes d’IsraĂ«l, EzĂ©chiel et JĂ©rĂ©mie, mettent en Ă©vidence l’action transformatrice de l’Esprit. Ainsi JĂ©rĂ©mie Ă©crit : « Des jours viennent oĂč je conclurai avec la communautĂ© d’IsraĂ«l et la communautĂ© de Juda, une nouvelle alliance
 Je dĂ©poserai la loi au fond d’eux-mĂȘmes l’inscrivant dans leur ĂȘtre. Je deviendrai Dieu pour eux et eux, ils deviendront mon peuple. Ils ne s’instruiront plus entre eux, rĂ©pĂ©tant : « Apprenez Ă  connaĂźtre le Seigneur », car ils me connaitront tous, petits et grands » (JĂ©rĂ©mie 31.31-33). « Ici la connaissance mĂ©diatisĂ©e cĂšde la place Ă  la connaissance immĂ©diate, et le vouloir de Dieu mĂ©diatisĂ© cĂšde la place au vouloir qui va de soi. Cela suppose un avenir dans lequel Dieu lui-mĂȘme est manifestĂ© de façon immĂ©diate et universelle et dans lequel l’Esprit de Dieu pĂ©nĂštre Ă©galement les profondeurs du cƓur de l’homme et leur donne vie » (p 87-88). Cette vision se rĂ©alise dans l’expĂ©rience de la PentecĂŽte (4). « Les dons de l’Esprit sont rĂ©pandus sur le peuple entier si bien que sont abolis les privilĂšges traditionnels des hommes par rapport aux femmes, des maitres par rapport aux serviteurs et des adultes par rapport aux enfants »  « Quand Dieu deviendra dĂ©finitivement prĂ©sent par l’Esprit, le peuple tout entier deviendra un peuple prophĂ©tique ». Et, comme il est aussi Ă©crit, « Je rĂ©pandrai mon Esprit sur toute chair », cette expression « toute chair » va au delĂ  du genre humain et induit tout ce qui est vivant 
L’effusion de l’Esprit de Dieu conduit par consĂ©quent Ă  la nouvelle naissance de toute vie et de la communautĂ© de tout ce qui est vivant sur la terre » (p 88) .

C’est ainsi que JĂŒrgen Moltmann peut nous ouvrir un horizon qui nous transporte dans un espace oĂč les barriĂšres s’effacent et ou une communion universelle apparaĂźt.

« L’expĂ©rience de Dieu qui est attendue de la venue de l’Esprit est

1 Universelle. Elle n’est pas particuliĂšre, mais se rapporte Ă  toute chair selon les dimensions de la crĂ©ation.

2 Totale. Elle n’est plus partielle, mais opùre dans le cƓur de l’homme, dans les profondeurs de l’existence humaine

3 Permanente. Elle n’est plus historique et passagĂšre,  mais Ă©voquĂ©e comme le « repos » et « l’habitation » de Dieu

4 ImmĂ©diate. Elle n’est plus mĂ©diatisĂ©e par la rĂ©vĂ©lation et la tradition, mais fondĂ©e sur la rĂ©vĂ©lation de Dieu et sa gloire » ( p 88).

Au terme de ce parcours, nous pouvons demander comment il sera reçu non  seulement par les lecteurs croyants, mais aussi par les lecteurs en attente. En effet, chez certains de nos contemporains, nous pouvons observer un  dĂ©sir de communion et d’unitĂ©, une recherche de transformation intĂ©rieure dans l’amour allant de pair avec une reconnaissance du vivant dans la nature.

Dans ce texte, nous voyons comment la pensĂ©e thĂ©ologique de JĂŒrgen Moltmann dĂ©passe un hĂ©ritage de divisions pour relier des rĂ©alitĂ©s jusque lĂ  sĂ©parĂ©es, dans une perspective d’unification Ă  la lumiĂšre d’un Dieu, communion d’amour et puissance de vie. L’Esprit saint est un Esprit qui donne la vie. Il Ă©chappe Ă  tout exclusivisme clĂ©rical. En tant qu’Esprit de crĂ©ation, il est Ă  l’Ɠuvre dans tous les ĂȘtres vivants,  dans tous les humains. Dieu n’est pas lointain et inaccessible. L’Esprit de Dieu se manifeste dans l’expĂ©rience humaine. Il ne nous dĂ©tourne pas de notre vie humaine, mais il nous encourage Ă  vivre pleinement. Dans la relation avec le Christ, il nous invite Ă  entrer dans une vie nouvelle et dans la dimension de la rĂ©surrection. C’est une spiritualitĂ© qui induit les sens et conduit Ă  la vitalitĂ© nouvelle de l’amour de la vie. A une Ă©poque oĂč l’on prend conscience de la menace qui pĂšse sur la nature. JĂŒrgen Moltmann pointe sur la prĂ©sence de l’Esprit dans les animaux, les plantes, les Ă©cosystĂšmes de la terre. C’est une invitation Ă  vivre en harmonie avec les ĂȘtres vivants et Ă  respecter leur dignitĂ©. La vision de l’Esprit saint, telle que nous la propose JĂŒrgen Moltmann, est celle d’un Esprit qui communique la vie. C’est une vision qui rĂ©pond Ă  nos profondes aspirations. C’est une vision qui porte une dynamique en Ă©cho Ă  ce chant prĂ©sent dans notre mĂ©moire : « Dans le monde entier, le Saint Esprit agit
 Au fond de mon cƓur, le Saint Esprit agit  » (5)

Jean Hassenforder

 

(1)            JĂŒrgen Moltmann. L’Esprit qui donne la vie Une pneumatologie intĂ©grale. Cerf, 1999

(2)            « Convergences Ă©cologiques : Jean Bastaire, JĂŒrgen Moltmann, Pape François et Edgar Morin » : https://vivreetesperer.com/?p=2151

(3)            JĂŒrgen Moltmann. The living God and the fullness of life. World Council of Churches, 2016.  PrĂ©sentation : https://vivreetesperer.com/?p=2697

(4)            « La PentecÎte : une communauté qui fait tomber les barriÚres » : https://vivreetesperer.com/?p=2390

(5)            « Dans le monde entier, le Saint Esprit agit  » https://www.conducteurdelouange.com/chants/consulter/70

 

Voir aussi ce tĂ©moignage d’Odile Hassenforder, paru dans « Sa prĂ©sence dans ma vie » : « Dieu, puissance de vie » : https://vivreetesperer.com/?p=1405