par jean | Déc 22, 2014 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Société et culture en mouvement |
Le covoiturage : un lieu de rencontre et de solidarité, une respiration
 David habite Dreux. Il est souvent appelé à se déplacer. David nous raconte ici comment il a découvert et expérimenté BlaBlaCar.
« Une amie mâen avait parlĂ© et proposĂ© de limiter ainsi les frais de voyage des grandes vacances. Je nâai pas acceptĂ© croyant ainsi prĂ©servĂ© ma libertĂ©. Câest, il y a quelques mois, que jâai expĂ©rimentĂ© BlablaCar, car, pour de bon, Ă©tant privĂ© de voiture.
BlaBlaCar, câest un site internet (1) qui propose des petits et longs trajets dans toute la France et mĂȘme au delĂ . Il prĂ©sente de petites annonces avec le nom, lâĂąge, des Ă©lĂ©ments biographiques des conducteurs comme des passagers. Il suffit de sâinscrire Ă une annonce proposant un trajet et comme conducteur, il suffit de proposer un trajet et dâattendre que des passagers sâinscrivent. Le trajet coĂ»te au passager et rapporte au conducteur environ la moitiĂ© du coĂ»t rĂ©el pour une personne, ce qui fait moins dâun quart des prix des billets de train.
Le site modĂšre lui mĂȘme les prix en indiquant si les prix sont verts, oranges ou rouges, câest-Ă -dire sâils sont bon marchĂ©, moyens ou un peu chers. Lorsquâon est passager, on paie par carte bleue auprĂšs du site qui reverse la somme au conducteur en y ajoutant une commission.
 BlaBlaCar existe dĂ©jĂ depuis quelques annĂ©es et, il y a quelque temps, le service de mise en relation et de gestion des trajets se faisait sans facturer des commissions. A cet Ăąge dâor de BlaBlaCar selon les anciens utilisateurs de BlablaCar, appelĂ©s « ambassadeurs » ou « experts », il nây avait pas au dĂ©part de frais de commission, et lâargent se donnait de la main Ă la main au dĂ©but ou Ă la fin du trajet. Pour ceux qui dĂ©butent ou les habituĂ©s plus rĂ©cents, la commission fait partie du systĂšme. Depuis quelques annĂ©es, lâentreprise française BlaBlaCar a maintenant 60 salariĂ©s et a professionnalisĂ© et sĂ©curisĂ© le systĂšme Ă la fois au niveau de la sĂ©curitĂ© des membres du rĂ©seau en obligeant Ă lâidentification complĂšte, aussi en mettant en place une Ă©valuation des conducteurs et des passagers les uns par les autres, en amĂ©liorant le systĂšme de rĂ©servation qui est opĂ©rationnel Ă 100%. Ce service est une partie de la commission facturĂ©e. Lâautre partie de la commission, et câest lĂ un dĂ©bat de sociĂ©tĂ©, sert Ă provisionner la TVA. Câest lĂ oĂč les chauffeurs de taxi, les voitures avec chauffeurs et la SNCF sont concernĂ©s et « indignĂ©s » parce que le trajet en BlaBlaCar, câest un constat, sont de 2 Ă 6 fois moins chers, mais ne sont pas soumis Ă la mĂȘme TVA. Il y a actuellement un vide juridique en France sur ce point de fiscalitĂ©. Donc, en attendant que lâĂ©tat adopte une position fiscale par rapport Ă ce nouveau type dâentreprise, BlablaCar provisionne par cette commission un Ă©ventuel coup de frein quâobtiendrait la SNCF par exemple contre ce nouveau concurrent qui lui prend un nombre de passagers suffisamment important pour quâelle rĂ©agisse auprĂšs de lâĂ©tat dâune part, et que, dâautre part, elle crĂ©e sur son propre site de rĂ©servation et de billet un service de covoiturage. Câest dire si la tendance est dâactualité ».
Peut-on aller au travail en Blablacar ? « Personnellement jây suis allĂ© plusieurs fois avec des conducteurs qui allaient au travail eux aussi. Cela mâa permis de rencontrer un employĂ© de la SNCF, une contrĂŽleuse de la RATP, un restaurateur, un expert comptable, un informaticien du ministĂšre de la dĂ©fense qui se rendait Ă Balard, un professeur de mĂ©canique, un chef dâentreprise, des Ă©tudiants en Ă©conomie, en Ă©cole vĂ©tĂ©rinaire. Jâai aussi rencontrĂ© des personnalitĂ© surprenantes comme cette retraitĂ©e de 80 ans repartant dâun colloque Ă Paris pour la Bretagne et conduisant dâune façon hĂ©sitante dans lâagglomĂ©ration et, bien sĂ»r, avec une vieille voiture. Elle mâa parlĂ© longuement de son colloque sur « le dĂ©veloppement personnel et les neurosciences ». Jâajoute que jâai Ă©tĂ© aussi covoiturĂ© par un quinquagĂ©naire dâĂ©ducation protestante libĂ©rale qui mâa entretenu des bienfaits du chamanisme et des rites tantriques pendant une heure et demie.
Habitant Dreux, je constate que la liaison Bretagne, Normandie, Ile de France est particuliĂšrement peuplĂ©e et animĂ©e. Plusieurs trajets par jour sont proposĂ©s. Jâai pu constater aussi cet Ă©tĂ© en allant en vacances dans le sud en BlaBlaCar quâil Ă©tait extrĂȘmement facile et Ă©conomique de dĂ©cider en trois heures de monter dans une voiture pour Nice, Montpellier, NĂźmes, Perpignan. Jâai mĂȘme hĂ©sitĂ© Ă aller en Espagne.
Ce qui mâa le plus frappĂ©, câest que la plupart de temps passĂ© dans ce covoiturage est lâoccasion dâune vraie rencontre interpersonnelle, ce qui nâest pas rien, dans notre sociĂ©tĂ© et nâarrive pas dans les transports en commun. Quelques utilisateurs, dont moi parfois, sont dans le pragmatisme, mais la plupart du temps, et câest indiquĂ© dans lâannonce, des covoitureurs sont prĂȘts Ă faire un dĂ©tour de 15 Ă 30 minutes pour raccompagner le passager Ă son domicile ou Ă son lieu de travail, sont prĂȘts Ă Ă©couter de la musique ou pas, Ă parler un peu, beaucoup ou pas, et de fumer ou pas dans la voiture, tout cela Ă©tant prĂ©cisĂ© par de petites icĂŽnes appropriĂ©es sur le site. Il mâest arrivĂ© cet Ă©tĂ© sur la route de retour des vacances, revenant du pont de Millau, de faire route avec un couple qui circulait en deux voitures ; Jâai circulĂ© avec le monsieur (kinĂ©). Nous nous sommes arrĂȘtĂ©s au restaurant avec sa compagne. Surpris que son compagnon discute autant avec son passager BlaBlaCar, elle mâa demandĂ© si je voulais bien poursuivre le trajet dans sa voiture pour discuter avec elle aprĂšs avoir discutĂ© avec lui. Et câest comme cela quâun couple donne du travail dâaccompagnement pastoral et un magnifique retour de vacances Ă un pasteur heureux de reprendre son rĂŽle dâencouragement en retournant Ă sa paroisse. Comme souvent on se demande les uns les autres « ce quâon fait dans la vie » et que lâon en vient Ă parler de « ce que lâon fait dans la vie », lorsque je dis que je suis pasteur, il y a, en gĂ©nĂ©ral , soit un mouvement dâĂ©vitement, soit un regain dâintĂ©rĂȘt. Si câest lâĂ©vitement, je reparle dâautre chose. Si câest lâintĂ©rĂȘt, la conversation sâengage. Le plus frĂ©quent est un mĂ©lange des deux attitudes. Câest le mĂȘme phĂ©nomĂšne que lorsquâon dit tout de go quâon est chrĂ©tien. Ce que je trouve intĂ©ressant de mon cĂŽtĂ©, câest de voir quelquefois les gens sâouvrir dâeux-mĂȘme dâune maniĂšre familiĂšre et simple sur ce qui est au cĆur de leur vie, et câest fou la libertĂ© de parole et de questionnement lorsquâon parle Ă un inconnu. Câest alors quâon fait connaissance. Des gens mâont parlĂ© de Dieu, mais rarement. La grand-mĂšre retraitĂ©e mâa parlĂ© du besoin de libĂ©ration de lâhumain. Cependant, il ne mâest pas arrivĂ© jusquâici de rencontrer des chrĂ©tiens engagĂ©s. Je trouve Ă©tonnant de nâavoir rencontrĂ© aucun chrĂ©tien, mĂȘme sociologique, aprĂšs une quarantaine de voyages. En tout cas, la rĂ©flexion Ă©thique, la bonne rĂ©flexion morale est une constante sur ce rĂ©seau. Et les dialogues sont trĂšs respectueux.
Ayant le besoin de me dĂ©placer, jâai fait le constat que BlaBlaCar est non seulement un moyen de faire des Ă©conomies, mais aussi un lieu de solidaritĂ©. Jâai pris conscience de quelque chose que je voudrais mentionner presque comme une confession ou un aveu. Lorsque mon amie mâavait parlĂ© la toute premiĂšre fois de prendre des passagers dans ma voiture pour partir en vacances et allĂ©ger mes propres frais de route, jâavais dit non. Je nâai dĂ©couvert BlaBlaCar que 6 mois plus tard en nâayant plus de voiture. Or, cette dĂ©couverte de BlaBlaCar, le cĂŽtĂ© pratique, lâesprit de serviabilitĂ© du conducteur qui vous dĂ©pose jusquâĂ chez vous, lâintĂ©rĂȘt des Ă©changes humains, les contacts pris et les voyages agrĂ©ables Ă plusieurs mâont amenĂ© Ă me dire que globalement ces six derniers mois en Blablacar ont Ă©tĂ© bien plus agrĂ©ables que les six mois prĂ©cĂ©dents tout seul dans ma voiture. Jâavais voulu rester « tout seul dans ma voiture » croyant protĂ©ger mon confort, ma libertĂ© et ma vie privĂ©e. Je me demande aujourdâhui tout en disposant Ă nouveau dâune voiture, si je ne vais pas continuer de pratiquer BlaBlaCar une fois sur deux, sinon plus souvent. Proposer une Ă trois places Ă bord ne prend que trois minutes, me rapporterait pour chaque passager de ÂŒ Ă la Âœ du prix du trajet. Aller de Dreux Ă Paris pour un prix entre 5 et 8 euros pour 100 km en Ă©tant dĂ©posĂ© Ă une bouche de mĂ©tro ou de RER, restera trĂšs pratique.
Si je pousse un peu plus loin ma rĂ©flexion, je me demande si je nâai pas Ă©tĂ© victime dâun phĂ©nomĂšne qui finalement nâexiste pas quâen AmĂ©rique : le phĂ©nomĂšne du tout voiture. Jâavais un peu oubliĂ© la marche Ă pied, le vĂ©lo et la possibilitĂ© de lire. LâexpĂ©rience BlaBlaCar mâa permis un retour Ă ces fondamentaux pour la bonne santĂ© et de constater quâils avaient disparu avec le tout voiture. Je conserverai de cette expĂ©rience ma discipline quotidienne de la marche Ă pied. Quant Ă la possibilitĂ© de partager un trajet en covoiturage, câest une respiration. Des contraintes et un espace de convivialitĂ© sont partagĂ©s. Jâai bien peur que, sous couvert de confort et de libertĂ© avec le tout voiture, on se choisisse en fait une situation dâisolement, de repli de soi dans une relation peut-ĂȘtre fusionnelle, voire idolĂątre avec sa chĂšre voiture. En passant, et ce nâest pas rien, BlaBlaCar, câest un mode de vie Ă©cologique, plutĂŽt responsable ».
 Contribution de David Gonzalez
(1) BlaBlaCar : http://www.covoiturage.fr/
Sur ce blog, autre contribution de David Gonzalez : « Chagall, Dieu et lâamour » : https://vivreetesperer.com/?p=1260
Sur ce blog, voir aussi :
« Une rĂ©volution de lâĂȘtre ensemble » PrĂ©sentation du livre dâAnne-Sophie Novel et StĂ©phane Riot : « Vive la co-rĂ©volution. Pour une sociĂ©tĂ© collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1394
« Pour une société collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1534
« Anne-Sophie Novel, militante Ă©cologiste et pionniĂšre de lâĂ©conomie collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1975
« OuiShare, communautĂ© leader dans le champ de lâĂ©conomie collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1866
par jean | Oct 2, 2024 | ARTICLES, Société et culture en mouvement |
Si lâindividualisme est une caractĂ©ristique marquante de notre sociĂ©tĂ©, une prise de conscience de ses effets nĂ©gatifs est en cours. Le lien social est affectĂ©. Les Ă©quilibres naturels sont menacĂ©s. En rĂ©action, apparait la prise de conscience grandissante dâune vision relationnelle du monde (1). Dans cette perspective, on peut dâautant plus sâinterroger sur la place de la coopĂ©ration dans la vie sociale et le rĂŽle quâelle devrait y jouer. Câest dire combien la parution rĂ©cente dâun livre intitulĂ©Â : « CoopĂ©rer et se faire confiance » (2) nous parait importante. Cette approche nous est apportĂ©e par un Ă©conomiste critique et innovant, Eloi Laurent, auteur de « Une Ă©conomie pour le XXIe siĂšcle. Manuel des transitions justes » (3). Ce rappel des vertus de la coopĂ©ration intervient Ă une Ă©poque oĂč le besoin de celle-ci se fait dâautant plus sentir : « A lâheure oĂč la sociĂ©tĂ© se fragmente, Il ne semble plus possible de dĂ©battre, de se parler et dâĂȘtre dâaccord. ĂpidĂ©mie de solitude, monĂ©tisation Ă outrance de la santĂ©, emprise numĂ©rique sur les relations humaines, dislocation du sens du travail etc. La crise de la coopĂ©ration adopte des formes multiples ». Or, câest bien Ă travers un renouveau de coopĂ©ration que nous pouvons faire face aux maux qui nous assaillent et en attendre les bases dâune sociĂ©tĂ© plus juste. « Afin de faire face aux enjeux dĂ©mocratiques et Ă©cologiques actuels, il est urgent dâimaginer de nouvelles formes de vie sociale, dĂ©gagĂ©es de lâemprise de lâĂ©conomisme et du tout-numĂ©rique⊠Alors que la coopĂ©ration humaine a Ă©tĂ© enfermĂ©e dans une acception trop restrictive et assimilĂ©e Ă la collaboration, Eloi Laurent dĂ©taille les leviers Ă activer pour rĂ©gĂ©nĂ©rer nos liens sociaux et vitaux â condition indispensable pour fonder les bases dâune sociĂ©tĂ© qui prendrait soin des Ă©cosystĂšmes, comme des humains » (page de couverture).
Apprendre à coopérer. Savoir se faire confiance
Aujourdâhui, la coopĂ©ration et en crise dans les trois sphĂšres distinguĂ©es par Eloi Laurent : les liens intimes, les liens sociaux, les liens vitaux. Comment en sommes-nous arrivĂ©s lĂ Â ? Comment repenser la collaboration ?
« Il est trĂšs largement admis que lâĂȘtre humain se distingue dans le monde vivant par son appartenance Ă une espĂšce collaborative, voire hypercollaborative » (p 12). Mais « la littĂ©rature savante prĂ©fĂšre concentrer ses efforts de comprĂ©hension sur le « comment » de la coopĂ©ration⊠Ce faisant, ces travaux nĂ©gligent les « pourquoi » de la coopĂ©ration. Pourquoi cherchons-nous sans cesse Ă nous associer Ă dâautres ? Quelle est alors notre motivation ? Quels sont les avantages espĂ©rĂ©s ? Questions existentielles et passionnantes ! ». (p 12).
Eloi Laurent analyse les dĂ©finitions de la coopĂ©ration par deux disciplines fondamentales : la biologie et la psychologie sociale. Et il en critique lâinspiration. En tant quâĂ©conomiste, il reconnait, dans leurs dĂ©finitions, lâapproche et les concepts Ă©conomiques les plus simplistes et les plus naĂŻfs concernant les comportements humains collectifs qui font de lâindividu un calculateur rationnel qui ne peut ĂȘtre animĂ© que par des motivations autres quâimmĂ©diatement Ă©goĂŻstes » (p 13). Lâauteur sâinterroge sur la matrice de cet « économisme ». Et son regard se tourne vers la thĂ©orie darwinienne. « Il est frappant de constater Ă quel point le cadre conceptuel et le champ sĂ©mantique de la thĂ©orie darwinienne sont marquĂ©s par lâĂ©conomisme : on y voit des âvariations profitablesâ, du âtravailâ de la sĂ©lection naturelle, de valeurs sĂ©lectives (âfitnessâ) et enfin trĂšs directement de âlâĂ©conomie de la natureâ (âTous les ĂȘtres vivants luttent pour sâemparer des places de âlâĂ©conomie de la natureâ) ». (p 15). Cependant, aux yeux dâEloi Laurent, « le problĂšme nâest pas, comme on le croit parfois, que les lois darwiniennes ne font aucune place Ă la coopĂ©ration entre les ĂȘtres vivants, ni que ces lois ont Ă©tĂ© ultĂ©rieurement perverties par un âdarwinisme socialâ, le problĂšme est que les lois de lâĂ©volution comme leur perfectionnement contemporain portent le sceau de lâutilitarisme Ă©conomique. Autrement dit⊠Darwin a forgĂ© et diffusĂ© lâidĂ©e dâune « coopĂ©ration calculatoire du vivant ». Lâauteur perçoit lĂ une influence de Malthus sur Darwin. A travers Malthus, Darwin adopte un cadre dâĂ©conomie politique. « InfluencĂ© par lâĂ©conomisme de son temps, Darwin a modelĂ© les lois de la vie sur celles du marché » (p 17-18). Or, nous dit Eloi Laurent, il y a bien des mĂ©prises qui demeurent dans la maniĂšre de considĂ©rer la coopĂ©ration. Encore aujourdâhui, « elle est comprise et prĂ©sentĂ©e comme un calcul social (rĂ©alisĂ© au moyen dâune analyse coĂ»t-bĂ©nĂ©fice). On reconnait quâau niveau des groupes, la stratĂ©gie de la coopĂ©ration se rĂ©vĂšle efficace. « CoopĂ©rer, dans cette perspective, consiste essentiellement Ă rĂ©soudre un problĂšme avec efficacitĂ©. Or, comme le dit justement le pape François, dans lâencyclique Laudato siâ, âle monde est plus quâun problĂšme Ă© rĂ©soudre, câest un mystĂšre joyeux Ă explorerâ ».
Eloi Laurent nous prĂ©sente une nouvelle approche : coopĂ©rer par amour et pour savoir. « La question principale qui mâintĂ©resse ici est de savoir pourquoi lâon coopĂšre et comment lâacte de coopĂ©rer sâarticule au choix dâaccorder sa confiance ». Lâauteur rappelle sa dĂ©finition de la capacitĂ© de coopĂ©rer comme « lâaptitude proprement humaine Ă une intelligence collective sans borne. On coopĂšre parce que le commerce de lâintelligence humaine est un jeu Ă somme infinie dont les bĂ©nĂ©fices sont incalculables. Je propose dâajouter Ă la finalitĂ© de la coopĂ©ration sa motivation profonde : on coopĂšre pour savoir et par amour » (p 19).
Certes, « faire de lâamour la matrice de la coopĂ©ration est pĂ©rilleux Ă plus dâun titre » : risque de ramener la coopĂ©ration Ă un sentimentalisme collectif, relative raretĂ© de lâamour vĂ©ritable. « Ces critiques sont lĂ©gitimes, mais elles nâont rien dâinsurmontables. On peut dâabord affirmer que rien nâest plus sĂ©rieux que lâamour, Ă la racine de tous les comportements humains⊠En second lieu, loin dâĂȘtre un idĂ©al inatteignable, lâamour est une expĂ©rience familiĂšre et plurielle et câest prĂ©cisĂ©ment sur la diversitĂ© des sentiments amoureux ancrĂ©s dans la vie quotidienne que repose la coopĂ©ration humaine, de lâamour charnel Ă lâamour de la justice, de lâamour de la terre Ă lâamour de la planĂšte, de lâamour de son mĂ©tier Ă lâamour de ses enfants. Lâamour, plus encore que la raison, est la chose au monde la mieux partagĂ©e : les humains dĂ©pourvus de la facultĂ© de calculer sont douĂ©s de la capacitĂ© dâaimer » (p21).
Lâauteur Ă©largit sa dĂ©finition de lâamour. : « lâamour est un Ă©lan affectif qui pousse Ă vouloir sâunir Ă autre que soi⊠Amour et connaissance ont partie liĂ©e sur plusieurs plans⊠Aimer, câest vouloir connaitre intimement et connaitre suppose de partager ses sentiments » (p 21). Eloi Laurent conclut : « Mon hypothĂšse est que la coopĂ©ration humaine ne repose pas sur un calcul plus ou moins rationnel en vue dâobtenir un gain identifiĂ© et circonscrit, mais sur un Ă©lan amoureux dont le but, la connaissance, est incertain au moment de sâengager. Lâamour pluriel, qui est Ă mes yeux le ressort profond de la coopĂ©ration nâexclut pas au demeurant le recours au calcul intĂ©ressĂ©. Mais il est erronĂ© de faire de lâamour une motivation subalterne dans les conduites coopĂ©ratives, ou pire, de le rĂ©duire au rang dâinstrument de lâintĂ©rĂȘt Ă©conomique ». Eloi Laurent appuie son propos en se rĂ©fĂ©rant Ă une figure pionniĂšre de lâĂ©conomie, Adam Smith. « Dans sa âThĂ©orie de sentiments morauxâ (1759), Adam Smith â Ă rebours de la reprĂ©sentation courante que lâon se fait de lui – dĂ©fend la centralitĂ© du concept de âsympathieâ. Smith Ă©crit : « LâintĂ©rĂȘt propre nâest pas le seul principe qui gouverne les hommes â il y en a dâautres tels que la pitiĂ© ou la compassion par lesquels nous sommes sensibles au malheur dâautrui ». « Câest par lâexercice des facultĂ©s sympathiques dont tous les humains sont dotĂ©s que nous pouvons espĂ©rer atteindre collectivement une forme de consensus nĂ©cessaire Ă la vie sociale⊠De mĂȘme, la confiance, y compris dans sa dimension la plus politique, prend avec Smith sa source dans lâaffection » (p 23).
Eloi Laurent nous propose donc une maniĂšre de « concevoir plus concrĂštement une continuitĂ© entre lâamour, la confiance et la coopĂ©ration ». Selon une distinction de Martin Luther King, il Ă©voque les trois univers amoureux du Nouveau Testament : « Ă©ros, lâamour esthĂ©tique et romantique, âlâaspiration de lâĂąme au royaume du divinâ ; philia, lâamour intime et rĂ©ciproque entre amis ; agapĂš dĂ©fini comme une bienveillance comprĂ©hensive. Si lâon tente dâordonner ces trois amours du proche au lointain pour cartographier lâamour pluriel, philia devient lâamour de proximitĂ©, Ă©ros, lâamour social et agapĂš, lâamour universel On peut alors vouloir dĂ©finir trois sphĂšres de coopĂ©ration fondĂ©es sur ce tryptique amoureux :
° la sphÚre des « liens intimes » incluant les liens romantiques, les liens amicaux et les attaches familiales
° la sphĂšre des « liens sociaux » incluant lâĂ©cole, le travail, lâĂ©conomie politiqueâŠ
° la sphĂšre des « liens vitaux », incluant les animaux, les plantes, les territoires et finalement la biosphĂšre tout entiĂšre qui contient lâhumanité » (p 24).
Câest bien une mĂȘme force qui anime les trois sphĂšres : « Câest lâamour qui est lâAtlas et lâHermĂšs de notre monde de liens » (p 25). Ainsi « les principes coopĂ©ratifs appris dans le cadre de lâĂ©ducation familiale peuvent dĂ©border dans dâautres sphĂšres de la coopĂ©ration (notamment celle des liens sociaux), de sorte quâil y a une matrice commune aux comportements coopĂ©ratifs, mĂȘme sâils sâexpriment et sont reconnus et sanctionnĂ©s de maniĂšre diffĂ©rente ». Ainsi peut-on reconnaitre de la coopĂ©ration Ă tous les Ăąges de la vie. Lâauteur Ă©voque « un vĂ©ritable cycle de vie de la coopĂ©ration ».
La coopération en crise
On peut dĂ©crire la vie sociale en terme de coopĂ©ration. « La vie humaine est une existence en commun â une vie coopĂ©rative – Ă la source de laquelle expĂ©riences et institutions se mĂȘlent. Parce quâelle est valorisĂ©e par les individus qui en font lâexpĂ©rience, la coopĂ©ration se cristallise dans des institutions qui, Ă leur tour, favorisent son extension et son intensitĂ©. Les comportements coopĂ©ratifs engendrent et propagent des attitudes coopĂ©ratives qui façonnent des normes coopĂ©ratives, se consolident en institutions coopĂ©ratives, lesquelles encouragent et entretiennent en retour des comportements coopĂ©ratifs ». Cependant ce cycle peut se dĂ©rĂ©gler. « Quand les institutions se dĂ©rĂšglent (par exemple, sous lâeffet de la fraude fiscale, les violences policiĂšres ou de lâaustĂ©ritĂ© imposĂ©e aux services publics), lâexpĂ©rience amĂšre de la dĂ©fection alimente la dĂ©fiance et peut aboutir, Ă lâextrĂȘme, Ă la sĂ©cession gĂ©nĂ©ralisĂ©e » (p 37). Lâauteur considĂšre quâĂ la lumiĂšre des travaux existants, « lâhumanitĂ© dans son ensemble et dans le temps long a Ă©voluĂ© vers une coopĂ©ration institutionnalisĂ©e. Mais il est tout aussi assurĂ© que ces institutions de la coopĂ©ration ne sont ni immuables, ni Ă©ternelles ». Ainsi assiste-t-on aujourdâhui dans certains pays Ă de profondes dĂ©gradations de ces institutions. Plus gĂ©nĂ©ralement, lâauteur estime que « nous faisons face actuellement « à une crise profonde de la coopĂ©ration dont la particularitĂ© est dâĂȘtre nourrie en mĂȘme temps que masquĂ©e par des pratiques collaboratives de plus en plus rĂ©pandues, sans cesse accĂ©lĂ©rĂ©es par les outils et les rĂ©seaux numĂ©riques » (p 38).
Lâauteur distingue coopĂ©ration et collaboration y voyant des Ă©tats dâesprit trĂšs diffĂ©rents. « La collaboration, selon son Ă©tymologie, vise à « faire ensemble », Ă partager le plus efficacement possible le travail dans le but dâaccroitre la production tout en libĂ©rant du temps de loisir⊠la coopĂ©ration dĂ©signe Ă©tymologiquement une entreprise commune plus large et plus dense qui consiste Ă Ćuvrer ensemble » (p 28).
Lâauteur Ă©tablit cinq « diffĂ©rences dĂ©cisives » entre coopĂ©ration et collaboration.
« – La collaboration sâexerce au moyen du seul travail alors que la coopĂ©ration sollicite lâensemble des capacitĂ©s humaines. Collaborer, câest travailler ensemble tandis que coopĂ©rer peut signifier rĂ©flĂ©chir ensemble, contempler ensemble, rĂȘver ensembleâŠ
– la collaboration est Ă durĂ©e dĂ©terminĂ©e tandis que la coopĂ©ration nâa pas dâhorizon fini. Collaborer, câest mettre en commun son travail pour un temps donnĂ©. CoopĂ©rer, câest se donner le temps plutĂŽt que de compter et dĂ©compter le temps.
– La collaboration est une association Ă objet dĂ©terminĂ©, tandis que la coopĂ©ration est un processus libre de dĂ©couverte mutuelle. Collaborer, câest rĂ©aliser en un temps dĂ©terminĂ© une tĂąche spĂ©cifique.
– La collaboration est verticale, la coopĂ©ration est horizontale. CoopĂ©rer, câest au contraire sâassocier de maniĂšre volontaire dans une forme de respect mutuel.
– La collaboration vise Ă produire en divisant le travail tandis que la coopĂ©ration vise Ă partage et Ă innover, y compris pour ne pas produire » (p 35-36).
Lâauteur poursuit son propos en dĂ©veloppant un portrait de la coopĂ©ration Ă partir des cinq qualitĂ©s prĂ©cĂ©demment dĂ©crites. « ces qualitĂ©s Ă©tant interdĂ©pendantes et reliĂ©es entre elles. Ces qualitĂ©s sont chacune et ensemble reliĂ©es Ă la confiance qui est Ă la coopĂ©ration, ce que le bras est Ă la main ».
Cependant, coopĂ©ration et collaboration ne sont pas exclusives. : « entre elles, se dĂ©ploient toute une palette dâattitudes relationnelles⊠On peut, dans le cadre dâune mĂȘme journĂ©e de travail, alterner des phases de collaboration et de coopĂ©ration mais, si la collaboration prĂ©domine, lâutilitarisme rĂ©ciproque finira par sâappauvrir, puis gripper les interactions humaines » (p 31). Lâauteur estime que cette distinction permet de comprendre que « la coopĂ©ration et non la collaboration, est la vĂ©ritable source de la prospĂ©ritĂ© humaine (la seconde est un moyen et un produit de la premiĂšre) ».
On y voit aussi que le rĂšgne contemporain de la collaboration nâest pas sans entrainer des incidences nĂ©gatives, notamment en masquent la crise de la coopĂ©ration. Or « le temps de la coopĂ©ration est la plus grande richesse des sociĂ©tĂ©s humaines⊠L’auteur mentionne lâenquĂȘte dâHarvard : « Ce sont les relations sociales qui expliquent le mieux la santĂ© des participants sur la durĂ©e, en terme de longĂ©vitĂ© constatĂ©e comme de fĂ©licitĂ© dĂ©clarĂ©e » (p 33) (4).
Or, selon Eloi Laurent, « Ă partir de la fin du XVIIIe siĂšcle, lâempire de la collaboration sâĂ©tend et celui de la coopĂ©ration se racornit ». Câest lâallongement considĂ©rable du temps de travail. « On peut comprendre les grandes conquĂȘtes sociales du XIXe et du XXe siĂšcle comme autant de tentatives de regagner du temps libre, incluant le temps de coopĂ©ration, sur le temps de collaboration… Mais lâavĂšnement de lâemprise numĂ©rique voilĂ environ quinze ans sâest accompagnĂ© dâune rĂ©traction importante de la coopĂ©ration ». Eloi Laurent examine les incidences nĂ©gatives de cette emprise numĂ©rique.
La crise actuelle de la coopĂ©ration apparait dans la sphĂšre des liens intimes, dans celle des liens sociaux, et dans celle des liens vitaux. On se reportera Ă cette analyse courte, mais dense. Notons, entre autres, une montĂ©e de lâisolement social avec de graves consĂ©quences en matiĂšre de santĂ© (p 43-46), la dĂ©rive de lâenseignement dans une « frĂ©nĂ©sie Ă©valuatrice », une dĂ©gradation de la santĂ© mentale, un constat que « lâhyper collaboration numĂ©rique nâa pas fait progresser les connaissances de maniĂšre dĂ©cisive au cours des trois derniĂšres dĂ©cennies » (p 51) et, bien sĂ»r, « lâinstrumentalisation du monde vivant »
Régénérer la coopération
« LâĂ©lan amoureux et la soif de connaissances sont des instincts humains, mais leur traduction en modes coopĂ©ratifs dĂ©pend de la qualitĂ© des institutions et de la justesse des principes qui les rĂ©gissent.
Surgissent alors deux questions essentielles : Peut-on pratiquement mener une politique de coopĂ©ration ? Et, si oui, est-il Ă©thique de sâengager dans cette voie ? » (p 55). Eloi Laurent rĂ©pond Ă ces deux questions par lâaffirmative. Il met lâaccent sur une libĂ©ration du temps, du « temps pour la coopĂ©ration ». « Le premier motif invoquĂ© par les français pour expliquer la dĂ©gradation de leurs liens sociaux nâest-il pas le manque de temps ? » et il Ă©voque le cas amĂ©ricain : « Dans les milieux de la santĂ© publique aux Etats-Unis, pays en proie Ă une crise aiguĂ« de dĂ©socialisation, un mot dâordre a rĂ©cemment Ă©mergĂ©Â : âdes liens dans toutes les politiquesâ » (p 56).
Dans ce chapitre, Eloi Laurent Ă©voque des pistes de rĂ©gĂ©nĂ©ration dans les trois sphĂšres de la coopĂ©ration ; câest un texte dense, aussi, dans cette prĂ©sentation, nâen Ă©voquerons-nous que quelques points.
Dans le domaine de lâĂ©ducation, lâauteur Ă©voque les mĂ©faits dâune « ingĂ©nierie Ă©ducative qui promeut une standardisation des modes dâĂȘtre au monde au service de la « performance sociale » des nations, autrement dit de la croissance Ă©conomique » (p 59). En contre- exemple, il cite lâĂ©cole maternelle française.
Dans le domaine de la santĂ©, lâauteur nous fait part dâ« une notion de santĂ© coopĂ©rative qui est intuitive, tant les relations sociales agissent comme des amortisseurs de stress : tandis que le corps est soumis Ă des chocs Ă la fois physiques et psychiques, les relations sociales jouent le rĂŽle dâanti-inflammatoires . Pouvoir parler de ses traumatismes anciens et rĂ©cents avec quelquâun, prendre conseil auprĂšs dâautrui, partager ses tourments, sont autant dâadjuvants sociaux. A lâinverse, la solitude imprime le stress dans le corps et lâesprit, lesquels se dĂ©gradent progressivement quand lâisolement devient un enfermement. Indirectement, les relations sociales contribuent Ă former une chaine de santĂ© humaine, car ĂȘtre aimĂ© et aimer implique de prendre soin de sa santĂ© et de celle des autres ». On dĂ©bouche ici sur une autre conception de la mĂ©decine. « Câest pourquoi, face aux limites dâun systĂšme de soin exclusivement tournĂ© vers le curatif, se dĂ©veloppent des approches de santĂ© communautaire (qui sâapparentent Ă des approches de santĂ© coopĂ©rative) oĂč les causes des pathologies et leur prĂ©vention, occupent une place essentielle ».
Si on en vient au travail, lĂ aussi on fera appel Ă une approche coopĂ©rative. Sur un mode dĂ©fensif, en contenant juridiquement lâemprise numĂ©rique (il sâagit par exemple dâappliquer de maniĂšre stricte le droit Ă la dĂ©connexion) et en relĂąchant la pression des indicateurs de performance. Sur un mode offensif, en ouvrant de nouveaux horizons de coopĂ©ration sur le lieu de travail. Lâauteur Ă©voque le vaste champ de lâ âĂ©conomie sociale et solidaireâ. Rappelons Ă©galement ici lâĂ©mergence dâ âentreprises humanistes et convivialesâ (5).
Ăvidemment, lâauteur aborde la pressante nĂ©cessitĂ© dâune approche coopĂ©rative dans le champ politique. Câest la question de la « revitalisation dâune dĂ©mocratie en souffrance partout dans le monde, de la France Ă lâInde, de lâItalie aux Etats-Unis » (p 65). Câest un texte dense auquel on se reportera. Nous avons apprĂ©ciĂ© lâattention de lâauteur concernant la vie des territoires : « Faire vivre des territoires de pleine santé ». Ainsi, la communautĂ© des pays dâUzes, dans le Gard, sâest engagĂ©e en septembre 2021 dans une dĂ©marche de « territoire de pleine santé »⊠La pleine santĂ© peut ĂȘtre dĂ©finie comme « un Ă©tat continu de bien-ĂȘtre physique et psychologique, individuel et social, humain et Ă©cologique ». Lâimportance de cette dĂ©finition est de bien souligner le caractĂšre holistique de lâapproche de la santĂ©Â ; « de la santĂ© mentale Ă la santĂ© physiologique, de la santĂ© individuelle Ă la santĂ© collective, et de la santĂ© de lâhumanitĂ© Ă la santĂ© planĂ©taire. La pleine santĂ© est donc une santĂ© dâinterfaces, de synergies, de solidaritĂ©s » (p 69). Eloi Laurent propose Ă©galement de « construire des coopĂ©rations territoriales Ă©cosystĂ©miques. « Les frontiĂšres des territoires français qui se distinguent par leur nombre, leur diversitĂ© et la complexitĂ© de lâenchevĂȘtrement de leurs compĂ©tences administratives, sont aujourdâhui juridiques et politiques. Or, les crises Ă©cologiques redessinent les logiques territoriales autour dâenjeux qui dĂ©passent les attributions fonctionnelles⊠Les coopĂ©rations territoriales Ă©cosystĂ©miques visent Ă rendre visibles et opĂ©ratoires des espaces vivantsâŠÂ » (p 70).
Dans la âsphĂšre des liens vitauxâ, Eloi Laurent donne des exemples de situation oĂč la coopĂ©ration sâest imposĂ©e comme la prĂ©servation de la chouette tachetĂ©e dans les forĂȘts du nord-ouest des Etats-Unis, des lois de protection ayant dĂ©bouchĂ© sur une meilleure exploitation de la forĂȘt (p 71-72)
Tant en ce qui concerne la transition Ă©cologique quâen raison du prĂ©sent systĂšme Ă©conomique qui engendre une montĂ©e des inĂ©galitĂ©s, dĂ©sĂ©quilibrant ainsi la sociĂ©tĂ©, nous aspirons Ă une transformation profonde de la vie Ă©conomique et sociale. Mais comment cette transformation peut-elle advenir ? Quelles sont les pistes de changement. Dans son livre : « Une Ă©conomie pour le XXIe siĂšcle », Eloi Laurent Ă©claire la voie dâune approche âsociale-Ă©cologiqueâ pour une transition juste (3). Cependant, conscient du dĂ©sarroi social, nous nous interrogeons Ă©galement sur la maniĂšre de faire sociĂ©tĂ©. Câest lĂ quâun autre livre dâEloi Laurent vient Ă©clairer un phĂ©nomĂšne majeur : la coopĂ©ration (2). Il nous apporte des analyses et des diagnostics. Si parfois nous pouvons nous interroger, ainsi sur lâattitude vis-Ă -vis du bilan dâinternet, cette recherche est particuliĂšrement Ă©clairante. Bonne nouvelle ! Eloi Laurent nous dĂ©montre que la coopĂ©ration est la rĂ©sultante dâune dynamique humaine, une dynamique qui ne tient pas Ă un « calcul social », mais Ă une motivation profonde : recherche du savoir et manifestation de lâamour. Ainsi, si la coopĂ©ration est un processus qui permet de remĂ©dier Ă des maux actuels et dâouvrir des voies nouvelles, câest aussi un Ă©tat dâesprit en phase avec la confiance. Ce livre dâEloi Laurent sâouvre par une citation de Martin Luther King : « La haine paralyse la vie., lâamour la libĂšre ».
J H
- Tout se tient : https://vivreetesperer.com/tout-se-tient/ Dieu vivant, Dieu prĂ©sent, Dieu avec nous dans un monde oĂč tout se tient : https://vivreetesperer.com/dieu-vivant-dieu-present-dieu-avec-nous-dans-un-univers-interrelationnel-holistique-anime/
- Eloi Laurent. CoopĂ©rer et se faire confiance par tous les temps. Rue de lâĂ©chiquier, 2024
- Eloi Laurent. Ăconomie pour le XXIe siĂšcle. Manuel des transitions justes. La DĂ©couverte,2023
- The good life. Ce que nous apprend la plus longue étude scientifique sur le bonheur et la santé : https://vivreetesperer.com/the-good-life/
- Vers un nouveau climat de travail dans des entreprises humanistes et conviviales : Un parcours de recherche avec Jacques Lecomte : https://vivreetesperer.com/vers-un-nouveau-climat-de-travail-dans-des-entreprises-humanistes-et-conviviales-un-parcours-de-recherche-avec-jacques-lecomte/
- Eloi Laurent. Coopérer et se faire confiance
Voir aussi :
Face Ă la violence, lâentraide, puissance de vie dans la nature et dans lâhumanitĂ©Â : https://vivreetesperer.com/face-a-la-violence-lentraide-puissance-de-vie-dans-la-nature-et-dans-lhumanite/
La bonté humaine. Est-ce possible ? : https://vivreetesperer.com/la-bonte-humaine/
par jean | Fév 15, 2012 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Vision et sens |
La mort dâun proche nous atteint au plus profond de nous-mĂȘme. Notre relation avec lui est suspendue. Lâexpression de son amour Ă travers sa personne physique nous est ĂŽtĂ©e. Et la manifestation de notre amour pour lui est dĂ©sormais sans rĂ©ponse. Alors se pose Ă nous une question cruciale : Quâest-il advenu de cet ĂȘtre cher ? Dans le dĂ©sert du doute engendrĂ© par la mĂ©connaissance dâune conscience supĂ©rieure, beaucoup de gens souffrent de ce qui leur apparaĂźt une chute dans le nĂ©ant. La foi chrĂ©tienne nous apporte une rĂ©ponse. Cependant, on constate des diffĂ©rences importantes dans la formulation de cette rĂ©ponse, parfois des absences et des contradictions. Il y a bien des embĂ»ches comme la peur engendrĂ©e par lâimage dâun Dieu redoutable ou la perspective dâune barriĂšre qui sâĂ©lĂšverait entre les vivants et les morts. Face Ă la confusion, il y un grand besoin dâĂ©clairage. Nous prĂ©sentons ici un tĂ©moignage, celui dâune recherche de sens et la rĂ©ponse qui a Ă©tĂ© trouvĂ©e.
« Partie ! Elle Ă©tait partie. Il savait quâelle Ă©tait partie vers la plĂ©nitude de la communion avec un Dieu, communion dâamour. Le souffle de lâEsprit sâĂ©tait manifestĂ© dans les tĂ©moignages au cours de la cĂ©lĂ©bration. Ce dĂ©part Ă©tait donc Ă©clairĂ© par une conviction pacifiante. Dans les derniers mois, il avait menĂ© la lutte avec elle au coude Ă coude. En grĂące, sa force et sa joie de vivre lâavait encouragĂ© et Ă©clairĂ©Â . Ce lien dâamour Ă©tait-il rompu ? Des discours, des propos laissaient entendre quâil devrait attendre sa propre mort pour renouer avec sa prĂ©sence. Et, jusque lĂ , un grand vide. Alors plusieurs mois de dĂ©chirement sâen suivirent. Au carrefour de plusieurs cultures chrĂ©tiennes, il entendait des propos diffĂ©rents. Les avis Ă©taient partagĂ©s. Certains de ses amis, sous lâemprise de doctrines rigides, Ă©taient embarrassĂ©s. Leurs marques dâaffection sâaccompagnaient dâun grand silence. Et dâailleurs, pour rĂ©pondre aux attentes, il est bien utile de sâĂȘtre dĂ©jĂ posĂ© de vraies questions. LâexpĂ©rience manquait. Dans dâautres cercles, en dâautres influences thĂ©ologiques, la bontĂ© se traduisait en encouragements qui le touchait : « Elle tâaccompagne ». Mais lui, en dĂ©sir dâhonnĂȘtetĂ©, il voulait ne pas cĂ©der Ă la facilitĂ© et pouvoir fonder son jugement sur une vraie comprĂ©hension biblique et thĂ©ologique. Câest alors que la lecture du livre de JĂŒrgen Moltmann : « In the end.. the beginning »(1) intervint providentiellement. Elle lui donnait la rĂ©ponse. La prĂ©sence demeurait sur un certain registre. Non pas une fixation fusionnelle, une communication prĂ©cise, et non plus une priĂšre Ă elle directement adressĂ©e. Non, tout simplement une seconde prĂ©sence dans la communion en Christ. Pouvoir adorer et louer Dieu en communion avec elle..et beaucoup dâautres. Et puis, il retrouva un texte dâelle oĂč sâadressant au mari dâune amie dĂ©cĂ©dĂ©e, elle parlait de celle-ci en terme de transfiguration dans la communion des saints. Dans les derniĂšres annĂ©es, elle avait croisĂ© la pensĂ©e de Moltmann et, dans ses Ă©crits personnels, il y avait bien des affinitĂ©s avec cette pensĂ©e : une anticipation de la vie, une force et une joie de vivre⊠Peu Ă peu, il remontait la pente. Lâaffection reçue comptait. Et cependant, en dehors de quelques amis, proches et ouverts, il trouvait peu dâinterlocuteurs pour partager sa rĂ©flexion. Pourtant, Ă lâĂ©poque, le seul Ă©clairage des textes ne lui suffisait pas. Un jour, providentiellement, il reçut un soutien fondĂ© sur une expĂ©rience analogue. Ce soutien lui donna de lâassurance. Ce fut un tournant dĂ©cisif ».
Ce tĂ©moignage dĂ©bouche sur une mĂ©ditation Ă partir de la thĂ©ologie de JĂŒrgen Moltmann (2) dont nous prĂ©senterons par la suite quelques aspects, car elle apporte une vision Ă la fois cohĂ©rente et pacifiante fondĂ©e sur la parole biblique et inspirĂ©e par la puissance de lâamour de Dieu en Christ.
« Dieu si grand, si bon, si puissant dans son amour ! Christ mort et ressuscitĂ© a remportĂ© la victoire sur la mort. LâEsprit qui donne la vie remplit tout lâunivers et renverse les barriĂšres. La vie circule. La communion dans lâamour qui se manifeste dans un Dieu trinitaire se rĂ©pand au delĂ et irrigue la rĂ©alitĂ© spirituelle. Il nây a point de mur de sĂ©paration entre les vivants et les morts, mais une communion en Dieu, en Christ. La grĂące de Dieu est plus forte que le mal et elle lâemportera dans la seconde crĂ©ation oĂč « Dieu sera tout en tous ».  Dans les Ă©preuves et les souffrances engendrĂ©es par le deuil, quel rĂ©confort et quelle espĂ©rance ! »
JH
Sources
(1)           Moltmann (JĂŒrgen). In the end, the beginning. The life of hope. Fortress press, 2004 (Ce livre est en cours de traduction aux Ă©ditions Empreinte ) . PrĂ©sentation du livre sur le site de TĂ©moins : « Vivre dans lâespoir. Dans la finâŠun commencement » http://www.temoins.com/ressourcement/vivre-dans-l-espoir-dans-la-fin-un-commencement.html
(2)           « La vie par delĂ la mort », sur le blog prĂ©sentant la pensĂ©e de JĂŒrgen Moltmann : LâEsprit qui donne la Vie http://www.lespritquidonnelavie.com/
Autres ressources
° On pourra lire aussi un article Ă©clairant de Jean-Claude Schwab sur le site : expĂ©rience et thĂ©ologie : « LâĂȘtre intime. En quĂȘte de lâ « ĂȘtre intime » et du « corps spirituel ». ExpĂ©riences actuelles Ă la lumiĂšre de la transfiguration, la rĂ©surrection et lâascension de JĂ©sus ». http://www.experience-theologie.ch/reflexions/ressourcement/letre-intime/
° Un livre Ă©mouvant rendant compte dâun cheminement spirituel Ă©crit par la thĂ©ologienne, Lytta Basset : Basset (Lytta). Ce lien qui ne meurt jamais. Albin Michel, 2007
par jean | Sep 11, 2012 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Société et culture en mouvement |
Un regard nouveau pour un monde nouveau
« Petite Poucette » de Michel Serres.
On mesure, Ă la lecture de ce compte-rendu lâimportance que nous accordons Ă ce livre. En effet, en prĂ©sence dâune rĂ©alitĂ© qui change, il nous aide Ă changer notre regard. Mais il ne sâagit pas dâun changement limitĂ©. De fait, nous sommes engagĂ© dans une mutation qui induit et requiert une rĂ©volution mentale. Michel Serres est un bon guide, car il nâest pas seulement un bon observateur, mais aussi un Ă©pistĂ©mologue, connaisseur des mĂ©thodes et des rĂ©sultats de la science. Ce livre est aussi le fruit dâune aptitude Ă la sympathie. Il sait voir avec le cĆur. Et câest pourquoi, en communion avec Petite Poucette, il est capable de regarder vers lâavenir et donc dâen percevoir la venue. Certes, on peut sâinterroger sur telle ou telle proposition, mais il y a dans ce livre une dimension Ă©pique qui suscite lâĂ©merveillement. Aussi, cette pensĂ©e interpelle les acteurs dans diffĂ©rents champs dâactivitĂ©.
Dans bien des domaines, nous sommes confrontĂ©s aux blocages et aux rĂ©sistances des mentalitĂ©s. Combien le monde de lâĂ©cole est encore loin aujourdâhui de lâhorizon qui s dĂ©couvre Ă travers le livre de Michel Serres. En politique, il y a bien quelques figures pionniĂšres qui Ă©voquent la dĂ©mocratie participative et lâintelligence collective. On pense, par exemple, Ă SĂ©golĂšne Royal. Il y a un long chemin Ă parcourir.
Et, dans le domaine religieux, combien les institutions sont encore, pour la plupart, modelĂ©es par lâhĂ©ritage du passĂ©Â : hiĂ©rarchie descendante de haut en bas, sacralisation des formulations, communication asymĂ©trique. La mentalitĂ© patriarcale est encore prĂ©gnante. Alors, lĂ aussi des voix sâĂ©lĂšvent pour libĂ©rer le message de vie portĂ© par lâEvangile, de la gangue religieuse dans lequel il est trop souvent enfermĂ©. On entend bien Michel Serres lorsquâil Ă©voque : « lâintuition novatrice et efficace » (p 25) par delĂ lâencombrement des connaissances. Les formulations rigides, rĂ©pĂ©titives, impĂ©ratives, sans lien avec la vie et enfermĂ©es sur elles-mĂȘmes sont de plus en plus contestĂ©es. Un nouvel entendement apparaĂźt et se rĂ©pand. Ainsi, aux Etats-Unis, Diane Butler Bass vient de publier un livre sur « Le christianisme aprĂšs la religion » (1). Elle met en Ă©vidence les effets pervers des dogmatismes et elle met en Ă©vidence le dĂ©veloppement dâune « foi expĂ©rientielle » Cette valorisation de lâexpĂ©rience ne rejoint elle pas celle de lâintuition ? On peut Ă©voquer ici la dĂ©marche pionniĂšre du thĂ©ologien JĂŒrgen Moltmann. DĂšs les annĂ©es 1970, il a Ă©crit un livre intitulĂ© « Le Seigneur de la danse » (2). Ce livre nous parle de jeu et de libertĂ©. Il Ă©voque la Sagesse de Dieu qui dĂ©clare : « Je faisais ses dĂ©lices, jour aprĂšs jour et je jouais sans cesse devant lui » (Proverbes 8.30) . Moltmann mentionne le philosophe grec HĂ©raclite : « La cours du monde est un enfant qui joue et qui place les pions ça et lĂ . Câest un royaume de lâenfant ». Cet Ă©loge du jeu rappelle une des intuitions de Michel Serres qui est rejoint par Moltmann dans sa critique des excĂšs de la pensĂ©e analytique.
ThĂ©ologien de lâespĂ©rance, JĂŒrgen Moltmann nous permet de regarder vers lâavenir en voyant lâoeuvre de Dieu qui vient vers nous et nous invite Ă aller de lâavant (3). Dans son livre, « Petite Poucette », Michel Serres nous dĂ©crit lâĂ©mergence dâune « nouvelle maniĂšre dâĂȘtre et de connaĂźtre » . Câest un phĂ©nomĂšne nouveau et de grande ampleur. « LibĂ©rĂ©e des relations asymĂ©triques, une circulation nouvelle fait entendre les notes, quasi musicales, de sa voix (p 52). Tout le monde communique avec tout le monde en rĂ©seaux innombrables. Ce tissu de voix sâaccorde Ă celui de la Toile, les deux bruissent en phase » (p 59). La pensĂ©e de JĂŒrgen Moltmann nous apporte en Ă©cho un Ă©clairage thĂ©ologique. « Lâessence de la crĂ©ation dans lâEsprit est par consĂ©quent la « collaboration » et les structures manifestent la prĂ©sence de lâEsprit dans la mesure oĂč elle font connaĂźtre « lâaccord gĂ©nĂ©ral »⊠Etre vivant, signifie exister en relation avec les autres. Vivre, câest la communication dans la communion ». (4)
Bien sĂ»r, il y a aujourdâhui des menaces, des tensions, des peurs. Dâailleurs, Michel Serres a Ă©crit Ă©galement un livre sur « Le Temps des crises » (5) : « Mais que rĂ©vĂšle le sĂ©isme financier et boursier qui nous secoue aujourdâhui ? Si nous vivons une crise, aucun retour en arriĂšre nâest possible. Il faut donc inventer de nouveau » (6). « Petite Poucette » nous montre un vieux monde en train de dĂ©pĂ©rir et un nouveau monde en train de naĂźtre. Comme les institutions censĂ©es nous apporter du sens sont elles-mĂȘmes engoncĂ©es dans lâhĂ©ritage du passĂ©, câest le message initial qui se rappelle Ă nous en Ă©cho Ă la rĂ©volution mentale en cours aujourdâhui. Et quel est ce message ? Câest la figure de la PentecĂŽte. « Ils furent tous remplis de lâEsprit et se mirent Ă parler dans diffĂ©rentes langues selon que lâEsprit leur donnait de sâexprimer » (Livre des Actes 2.4). Et leurs paroles furent entendues et comprises par des gens du monde entier. Pour nous, il y a une analogie entre cette expĂ©rience initiale de lâEsprit et lâeffervescence qui se manifeste aujourdâhui et que Michel Serres dĂ©crit en ces termes : « Pour la premiĂšre fois de lâhistoire, on peut entendre la voix de tous. La parole humaine bruit dans lâespace et le temps » (p 58).
J H
(1)           Christianity after religion. The end of the church and the birth of a new spiritual awakening. Harper One, 2012. Mise en perspective sur le site de TĂ©moins : « La montĂ©e dâune nouvelle conscience spirituelle ». .http://www.temoins.com/etudes/la-montee-d-une-nouvelle-conscience-spirituelle.-d-apres-le-livre-de-diana-butler-bass-christianity-after-religion.html
(2)            Moltmann (JĂŒrgen). Le Seigneur de la danse. Essai sur la joie dâĂȘtre libre. Le Cerf, 1972 (Foi Vivante). RĂ©Ă©ditĂ©Â .
(3)           Vie et Ćuvre de JĂŒrgen Moltmann dâaprĂšs son autobiographie : « A broad place » : « Une thĂ©ologie pour notre temps » sur le site : « LâEsprit qui donne la vie » http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=695
(4)            JĂŒrgen Moltmann est lâauteur de plusieurs livres en rapport avec le thĂšme de cet article : « LâEsprit qui donne la vie » et « Dieu dans la crĂ©ation » (Editions du Cerf). Les citations sont empruntĂ©es au livre : Dieu dans la crĂ©ation (p 25 et p 15)
(5)Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Serres (Michel). Le temps des crises. Le Pommier, 2009. (Manifestes)
(6)           Cette recherche de nouveautĂ© est en cours selon les compĂ©tences des uns et des autres . Ainsi lâĂ©conomiste, Daniel Cohen vient de publier un livre : « Homo economicusâŠÂ », oĂč il met lâaccent sur les dĂ©gradations et les menaces, et notamment sur les incidences nĂ©fastes de la montĂ©e des inĂ©galitĂ©s au cours des derniĂšres dĂ©cennies. Son apprĂ©ciation dâinternet est mitigĂ©e (p 157-161). A raison, Daniel Cohen montre les consĂ©quences fĂącheuses de la prĂ©dominance du modĂšle de « lâhomo economicus » : « Dans lâĂ©quilibre entre compĂ©tition et coopĂ©ration, il faut redonner vie Ă la seconde en rĂ©enchantant le travail, en remettant Ă plat les frontiĂšres du gratuit et du payant, en repensant la coopĂ©ration internationale, Ă commencer par celle de lâEurope » (p 206): Cohen (Daniel). Homo economicus, prophĂšte (Ă©garĂ©) des temps nouveaux. Albin Michel, 2012. Nous renvoyons Ă©galement ici Ă la vision prospective et dynamique de JĂ©rĂ©mie Rifkin dans son livre : « La TroisiĂšme RĂ©volution industrielle » . Sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=354    Michel Serres, bien au fait de la conjoncture actuelle, ne mĂ©connaĂźt pas les menaces actuelles, mais, dans la prise en compte Ă la fois dâune histoire de longue durĂ©e et de la mutation technologique et culturelle actuelle, il choisit de proposer une vision positive, prospective et mobilisatrice.
Suite et fin des trois contributions précédentes : La grande mutation dans la transmission des savoirs. Vers une société participative . Vers un nouvel usage et un nouveau visage du savoir.
par jean | Juin 6, 2014 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Société et culture en mouvement |
communautĂ© leader dans le champ de lâĂ©conomie collaborative
En considĂ©rant le monde dâaujourdâhui, les prĂ©occupations ne manquent pas. Les menaces abondent. Et, en France mĂȘme, on perçoit crainte et dĂ©sarroi. Les rĂ©centes Ă©lections europĂ©ennes ont manifestĂ© une poussĂ©e de crispations identitaires. Mais lâorientation de notre rĂ©flexion dĂ©pend beaucoup de notre regard. Si nous sommes inspirĂ©s par une espĂ©rance qui va au delĂ des turbulences et des orages marquant notre immĂ©diat, alors nous pourrons ĂȘtre attentifs aux Ă©mergences qui prĂ©parent un avenir meilleur. Nous prĂȘterons attention aux tendances positives. Le dĂ©veloppement de lâĂ©conomie collaborative en France paraĂźt ainsi exprimer un changement prometteur dans les reprĂ©sentations et les comportements. Ă cet Ă©gard, lâapparition, puis la croissance rapide de la communautĂ© « OuiShare » est un phĂ©nomĂšne particuliĂšrement significatif.
En 2012, Anne-Sophie Novel et StĂ©phane Riot publient un livre qui, Ă partir de lâapparition de nouveaux comportements, exprime la vision dâune sociĂ©tĂ© collaborative : « Vive la Co-rĂ©volution. Pour une sociĂ©tĂ© collaborative » (1). Ils mettent en Ă©vidence lâĂ©closion de nombreuses entreprises qui dĂ©veloppent des pratiques de partage. Cette rĂ©volution tranquille traduit la montĂ©e dâune maniĂšre nouvelle dâenvisager la vie. Ainsi, avons- nous prĂ©sentĂ© ce livre dans ce blog sous le titre : « Une rĂ©volution de lâĂȘtre ensemble » (2), expression elle-mĂȘme empruntĂ©e Ă cet ouvrage innovant et visionnaire. En 2013, Anne-Sophie Novel publie un second livre : « Le vie share. Mode dâemploi » (3). Elle dĂ©finit son livre comme « un espace dâexploration et de discussions sur les alternatives qui sâoffrent Ă nous pour vivre autrement et sâadapter aux crises ». « Cet ouvrage prolonge et complĂšte sous un angle pratique le premier livre : « Vive la Co-rĂ©volution ». Et elle note que ce travail est soutenu par « OuiShare », la communautĂ© internationale de lâĂ©conomie collaborative. Effectivement, le groupe « OuiShare », crĂ©Ă© en janvier 2012, a grandi rapidement. Anne-Sophie Novel continue Ă analyser et Ă commenter le dĂ©veloppement de lâĂ©conomie collaborative sur un blog qui sâinscrit dans lâespace du journal « Le Monde » : « MĂȘme pas mal ! Partage dâalternatives pour mode de vie en temps de crise » (4).
Ouishare : une communauté émergente qui prend forme
Oui au partage. Oui, nous partageons. Cette affirmation se traduit sous le terme franco-anglais : Ouishare. Ă lâautomne 2011, un petit groupe se rĂ©unit chaque mois. Ce sont « des amis qui se sont rencontrĂ©s Ă travers Antonin qui a lancĂ© le premier blog français sur lâĂ©conomie collaborative ». Et, en janvier 2012, la communautĂ© « OuiShare » est crĂ©Ă© Ă Paris. La croissance va ĂȘtre extrĂȘmement rapide, puisquâen deux ans, OuiShare est devenue « un leader international dans le champ de lâĂ©conomie collaborative qui a rapidement Ă©voluĂ©, passant dâune poignĂ©e de personnes enthousiastes, Ă un mouvement global dans 25 pays en Europe, AmĂ©rique Latine et Moyen Orient avec un rĂ©seau des 50 experts connecteurs engagĂ©s avec 2000 membres et contributeurs Ă travers le monde » (5).
        Comment la communautĂ© OuiShare se prĂ©sente-t-elle aujourdâhui ?
        « OuiShare a pour mission dâapporter aux citoyens, aux institutions publiques et aux entreprises la capacitĂ© de dĂ©velopper une Ă©conomie collaborative fondĂ©e sur le partage, la collaboration et lâouverture en sâappuyant sur des communautĂ©s et des rĂ©seaux horizontaux. Nous croyons que cette Ă©conomie peut rĂ©soudre une bonne part des dĂ©fis complexes auxquels le monde fait face et permettre Ă chacun dâaccĂ©der aux ressources et aux opportunitĂ©s dont il a besoin pour vivre.
        Comme communautĂ© globale, non tournĂ©e vers la recherche du profit, les activitĂ©s de OuiShare consistent Ă construire une communautĂ©, produire de la connaissance, discuter de projets en rapport avec la communautĂ© et avec lâĂ©conomie collaborative, offrir un soutien aux individus et aux organisations Ă travers une formation et des services professionnels ».
        OuiShare trouve son identité dans un ensemble de valeurs qui inspirent comportements et orientations.
« Voici les principes qui nous unissent. Ces principes ne sont pas apparus en un jour, mais ils sont le produit dâun long processus qui a commencĂ© au second sommet de OuiShare Ă Rome en novembre 2012. Cette liste exprime un mouvement et elle continuera Ă Ă©voluer. Ces valeurs se dĂ©clinent autour des termes suivants :
° Transparence
° Ouverture : organisation non hiérarchique à laquelle chacun peut se joindre et participer. Un processus qui est fondé sur le gouvernement des pairs
° Rencontre avec les gens de la vie rĂ©elle : lâinternet ne peut remplacer le contact avec la vie rĂ©elle
° InventivitĂ© « Permanent Beta » : Ouishare est une expĂ©rience avec une approche de start up. Avec curiositĂ© et ouverture, nous nous efforçons dâentreprendre continuellement des choses nouvelles
° Inclusion : Ouishare bénéficie de contributions trÚs variées
° Indépendance : refus de toute dépendance ; pas de partenariats exclusifs
° Action : agir sans attendre
° Jeu : le travail ne doit pas ĂȘtre ennuyeux
° Feedback : contribue à la participation
° Impact : accélérer le mouvement vers une économie plus participative
Cette liste exprime bien un accent sur le partage, lâouverture et la crĂ©ativitĂ©.
On peut observer dans OuiShare une dynamique dâassociation et de participation. Cette dynamique est facilitĂ©e par lâengagement de membres plus engagĂ©s dans un travail dâanimation et de mise en contact : une cinquantaine de « connecteurs ». Le terme : connection est lui-mĂȘme significatif. Cette communautĂ© se dĂ©veloppe dans une connection en rĂ©seau. Mais le processus ne repose pas seulement sur internet. Les organisateurs insistent sur lâimportance des rencontres et ils organisent des Ă©vĂšnements qui permettent aux membres de faire connaissance et de partager leurs expĂ©riences et leurs projets.
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FĂȘte 2014 de OuiShare : lâĂąge des communautĂ©s
Et câest ainsi que, du 5 au 7 mai 2014, Ă Paris, au Cabaret Sauvage, a eu lieu la fĂȘte 2014 de OuiShare : « LâĂąge des communautĂ©s ». Venant de 50 pays, 1000 participants sây sont retrouvĂ©s. Un moment trĂšs dense avec 120 sessions et 140 contributeurs, mais aussi des espaces oĂč la convivialitĂ© et la crĂ©ativitĂ© ont pu sâexprimer en tĂ©moignant de la vitalitĂ© dâune jeune gĂ©nĂ©ration (6). On pourra accĂ©der Ă cette rĂ©flexion commune Ă travers une remarquable politique de communication associant diffĂ©rents apports : vidĂ©os, e books, mais aussi graphismes sur des registres diffĂ©rents oĂč lâexpression personnelle est bien prĂ©sente (7). OuiShare publie Ă©galement un magazine. La crĂ©ativitĂ© se dĂ©ploie.
Dans la reconfiguration actuelle du rapport entre individus et entitĂ©s sociales, on assiste aujourdâhui Ă la montĂ©e dâaspirations nouvelles comme un dĂ©sir de convivialitĂ© et une recherche de sens (8). Le dĂ©veloppement de la communautĂ© OuiShare tĂ©moigne dâun changement en profondeur dans les reprĂ©sentations et les comportements. Cette Ă©mergence se rĂ©alise Ă travers la convergence dâacteurs agissant dans des champs diffĂ©rents. OuiShare est une communautĂ© connectĂ©e qui favorise et suscite la crĂ©ativitĂ© et lâesprit dâinitiative chez les participants. On pourra interprĂ©ter ce phĂ©nomĂšne sur diffĂ©rents registres (9). Et le processus Ă lâĆuvre dans cette communautĂ© peut faire Ă©cole dans dâautres champs. Dans le climat français actuel, oĂč morositĂ© et manque de confiance se font sentir, lâĂ©mergence de OuiShare est une bonne nouvelle.
J H
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(1)           Novel (Anne-Sophie), Riot (Stéphane). Vive la CO-révolution. Pour une société collaborative. Alternatives, 2012 (ManifestÎ)
(2)           Sur ce blog : PrĂ©sentation du livre : Vive la Co-rĂ©volution » « Une rĂ©volution de « lâĂȘtre ensemble » : https://vivreetesperer.com/?p=1394
Egalement sur ce blog, une interview de Pippa Soundy Ă propos du livre : « Vive la Co-rĂ©volution » : « Pour une sociĂ©tĂ© collaborative. Un avenir pour lâhumanitĂ© dans lâinspiration de lâEsprit » : https://vivreetesperer.com/?p=1534
(3)Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Novel (Anne-Sophie). La vie share. Mode dâemploi. Consommation, partage et modes de vie collaboratifs. Alternatives, 2013 (ManifestĂŽ)
(4)           Blog de Anne-Sophie Novel (M blog) : « MĂȘme pas mal ! Partage dâalternatives pour mode de vie en temps de crise » : http://alternatives.blog.lemonde.fr/
(5)           Site de Ouishare : http://ouishare.net/en
(6)           Présentation du festival 2014 de OuiShare dans sa dynamique et sa diversité sur le site : We demain (Une revue. Un site. Une communauté) : http://www.wedemain.fr/La-generation-co-prepare-l-avenir-au-OuiShare-Fest_a512.html
La revue : We Demain promeut lâĂ©conomie collaborative, les recherches innovantes et les causes Ă©cologiques.
(7)           Une politique de communication pour transmettre tout lâapport du festival : http://magazine.ouishare.net/2014/05/ouishare-fest-collaborative-economy/
(8)           « Emergence dâespaces conviviaux et aspirations contemporaines », sur le site de TĂ©moins : http://www.temoins.com/parcourir-le-site/recherche-et-innovation/etudes/1012–emergence-despaces-conviviaux-et-aspirations-contemporaines-troisieme-lieu-l-third-place-r-et-nouveaux-modes-de-vie.html
(9)           Sur ce blog, nous trouvons inspiration dans la pensĂ©e thĂ©ologique de JĂŒrgen Moltmann. Dans le livre : « Dieu dans la crĂ©ation » (Cerf, 1988), Moltmann reconnaĂźt lâEsprit de Dieu Ă lâĆuvre dans la crĂ©ation, dans le monde et dans lâhumanitĂ©. Il Ă©crit : « Tout existe, vit et se meut dans lâautre, lâun dans lâautre, lâun avec lâautre, lâun pour lâautre, dans les structures cosmiques de lâEsprit divin⊠Lâ« essence » de la crĂ©ation dans lâEsprit est par consĂ©quent la « collaboration », et les structures manifestent la prĂ©sence de lâEsprit, dans la mesure oĂč elles font reconnaĂźtre lâ« accord gĂ©nĂ©ral ». « Au commencement Ă©tait la relation » (M Buber) (p 25). Câest dire lâimportance de tout mouvement qui tend vers la collaboration et le partage.