BlaBlaCar. Un nouveau mode de vie

Le covoiturage : un lieu de rencontre et de solidarité, une respiration

 David habite Dreux. Il est souvent appelé à se déplacer. David nous raconte ici comment il a découvert et expérimenté BlaBlaCar.

« Une amie m’en avait parlĂ© et proposĂ© de limiter ainsi les frais de voyage des grandes vacances. Je n’ai pas acceptĂ© croyant ainsi prĂ©servĂ© ma libertĂ©. C’est, il y a quelques mois, que j’ai expĂ©rimentĂ© BlablaCar, car, pour de bon, Ă©tant privĂ© de voiture.

BlaBlaCar, c’est un site internet (1) qui propose des petits et longs trajets dans toute la France et mĂȘme au delĂ . Il prĂ©sente de petites annonces avec le nom, l’ñge, des Ă©lĂ©ments biographiques des conducteurs comme des passagers. Il suffit de s’inscrire Ă  une annonce proposant un trajet et comme conducteur, il suffit de proposer un trajet et d’attendre que des passagers s’inscrivent. Le trajet coĂ»te au passager et rapporte au conducteur environ la moitiĂ© du coĂ»t rĂ©el pour une personne, ce qui fait moins d’un quart des prix des billets de train.

Le site modĂšre lui mĂȘme les prix en indiquant si les prix sont verts, oranges ou rouges, c’est-Ă -dire s’ils sont bon marchĂ©, moyens ou un peu chers. Lorsqu’on est passager, on paie par carte bleue auprĂšs du site qui reverse la somme au conducteur en y ajoutant une commission.

 BlaBlaCar existe dĂ©jĂ  depuis quelques annĂ©es et, il y a quelque temps, le service de mise en relation et de gestion des trajets se faisait sans facturer des commissions. A cet Ăąge d’or de BlaBlaCar selon les anciens utilisateurs de BlablaCar, appelĂ©s « ambassadeurs » ou « experts », il n’y avait pas au dĂ©part de frais de commission, et l’argent se donnait de la main Ă  la main au dĂ©but ou Ă  la fin du trajet. Pour ceux qui dĂ©butent ou les habituĂ©s plus rĂ©cents, la commission fait partie du systĂšme. Depuis quelques annĂ©es, l’entreprise française BlaBlaCar a maintenant 60 salariĂ©s et a professionnalisĂ© et sĂ©curisĂ© le systĂšme Ă  la fois au niveau de la sĂ©curitĂ© des membres du rĂ©seau en obligeant Ă  l’identification complĂšte, aussi en mettant en place une Ă©valuation des conducteurs et des passagers les uns par les autres, en amĂ©liorant le systĂšme de rĂ©servation qui est opĂ©rationnel Ă  100%. Ce service est une partie de la commission facturĂ©e. L’autre partie de la commission, et c’est lĂ  un dĂ©bat de sociĂ©tĂ©, sert Ă  provisionner la TVA. C’est lĂ  oĂč les chauffeurs de taxi, les voitures avec chauffeurs et la SNCF sont concernĂ©s et « indignĂ©s » parce que le trajet en BlaBlaCar, c’est un constat, sont de 2 Ă  6 fois moins chers, mais ne sont pas soumis Ă  la mĂȘme TVA. Il y a actuellement un vide juridique en France sur ce point de fiscalitĂ©. Donc, en attendant que l’état adopte une position fiscale par rapport Ă  ce nouveau type d’entreprise, BlablaCar provisionne par cette commission un Ă©ventuel coup de frein qu’obtiendrait la SNCF par exemple contre ce nouveau concurrent qui lui prend un nombre de passagers suffisamment important pour qu’elle rĂ©agisse auprĂšs de l’état d’une part, et que, d’autre part, elle crĂ©e sur son propre site de rĂ©servation et de billet un service de covoiturage. C’est dire si la tendance est d’actualité ».

Peut-on aller au travail en Blablacar ? « Personnellement j’y suis allĂ© plusieurs fois avec des conducteurs qui allaient au travail eux aussi. Cela m’a permis de rencontrer un employĂ© de la SNCF, une contrĂŽleuse de la RATP, un restaurateur, un expert comptable, un informaticien du ministĂšre de la dĂ©fense qui se rendait Ă  Balard, un professeur de mĂ©canique, un chef d’entreprise, des Ă©tudiants en Ă©conomie, en Ă©cole vĂ©tĂ©rinaire. J’ai aussi rencontrĂ© des personnalitĂ© surprenantes comme cette retraitĂ©e de 80 ans repartant d’un colloque Ă  Paris pour la Bretagne et conduisant d’une façon  hĂ©sitante dans l’agglomĂ©ration et, bien sĂ»r, avec une vieille voiture. Elle m’a parlĂ© longuement de son colloque sur « le dĂ©veloppement personnel et les neurosciences ». J’ajoute que j’ai Ă©tĂ© aussi covoiturĂ© par un quinquagĂ©naire d’éducation protestante libĂ©rale qui m’a entretenu des bienfaits du chamanisme et des rites tantriques pendant une heure et demie.

Habitant Dreux, je constate que la liaison Bretagne, Normandie, Ile de France est particuliĂšrement peuplĂ©e et animĂ©e. Plusieurs trajets par jour sont proposĂ©s. J’ai pu constater aussi cet Ă©tĂ© en allant en vacances dans le sud en BlaBlaCar qu’il Ă©tait extrĂȘmement facile et Ă©conomique de dĂ©cider en trois heures de monter dans une voiture pour Nice, Montpellier, NĂźmes, Perpignan. J’ai mĂȘme hĂ©sitĂ© Ă  aller en Espagne.

Ce qui m’a le plus frappĂ©, c’est que la plupart de temps passĂ© dans ce covoiturage est l’occasion d’une vraie rencontre interpersonnelle, ce qui n’est pas rien, dans notre sociĂ©tĂ© et n’arrive pas dans les transports en commun. Quelques utilisateurs, dont moi parfois, sont dans le pragmatisme, mais la plupart du temps, et c’est indiquĂ© dans l’annonce, des covoitureurs sont prĂȘts Ă  faire un dĂ©tour de 15 Ă  30 minutes pour raccompagner le passager Ă  son domicile ou Ă  son lieu de travail, sont prĂȘts Ă  Ă©couter de la musique ou pas, Ă  parler un peu, beaucoup ou pas, et de fumer ou pas dans la voiture, tout cela Ă©tant prĂ©cisĂ© par de petites icĂŽnes appropriĂ©es sur le site. Il m’est arrivĂ© cet Ă©tĂ© sur la route de retour des vacances, revenant du pont de Millau,  de faire route avec un couple qui circulait en deux voitures ; J’ai circulĂ© avec le monsieur (kinĂ©). Nous nous sommes arrĂȘtĂ©s au restaurant avec sa compagne. Surpris que son compagnon discute autant avec son passager BlaBlaCar, elle m’a demandĂ© si je voulais bien poursuivre le trajet dans sa voiture pour discuter avec elle aprĂšs avoir discutĂ© avec lui.  Et c’est comme cela qu’un couple donne du travail d’accompagnement pastoral et un magnifique retour de vacances Ă  un pasteur heureux de reprendre son rĂŽle d’encouragement en retournant Ă  sa paroisse. Comme souvent on se demande les uns les autres « ce qu’on fait dans la vie » et que l’on en vient Ă  parler de « ce que l’on fait dans la vie », lorsque je dis que je suis pasteur, il y a, en gĂ©nĂ©ral , soit un mouvement d’évitement, soit un regain d’intĂ©rĂȘt. Si c’est l’évitement, je reparle d’autre chose. Si c’est l’intĂ©rĂȘt, la conversation s’engage. Le plus frĂ©quent est un mĂ©lange des deux attitudes. C’est le mĂȘme phĂ©nomĂšne que lorsqu’on dit tout de go qu’on est chrĂ©tien. Ce que je trouve intĂ©ressant de mon cĂŽtĂ©, c’est de voir quelquefois les gens s’ouvrir d’eux-mĂȘme d’une maniĂšre familiĂšre et simple sur ce qui est au cƓur de leur vie, et c’est fou la libertĂ© de parole et de questionnement lorsqu’on parle Ă  un inconnu. C’est alors qu’on fait connaissance. Des gens m’ont parlĂ© de Dieu, mais rarement. La grand-mĂšre retraitĂ©e m’a parlĂ© du besoin de libĂ©ration de l’humain. Cependant, il ne m’est pas arrivĂ© jusqu’ici de rencontrer des chrĂ©tiens engagĂ©s. Je trouve Ă©tonnant de n’avoir rencontrĂ© aucun chrĂ©tien, mĂȘme sociologique, aprĂšs une quarantaine de voyages. En tout cas, la rĂ©flexion Ă©thique, la bonne rĂ©flexion morale est une constante sur ce rĂ©seau. Et les dialogues sont trĂšs respectueux.

Ayant le besoin de me dĂ©placer, j’ai fait le constat  que BlaBlaCar est non seulement un moyen de faire des Ă©conomies, mais aussi un lieu de solidaritĂ©. J’ai pris conscience de quelque chose que je voudrais mentionner presque comme une confession ou un aveu. Lorsque mon amie m’avait parlĂ© la toute premiĂšre fois de prendre des passagers dans ma voiture pour partir en vacances et allĂ©ger mes propres frais de route, j’avais dit non. Je n’ai dĂ©couvert BlaBlaCar que 6 mois plus tard en n’ayant plus de voiture. Or, cette dĂ©couverte de BlaBlaCar, le cĂŽtĂ© pratique, l’esprit de serviabilitĂ© du conducteur qui vous dĂ©pose jusqu’à chez vous, l’intĂ©rĂȘt des Ă©changes humains, les contacts pris et les voyages agrĂ©ables Ă  plusieurs m’ont amenĂ© Ă  me dire que globalement ces six derniers mois en Blablacar ont Ă©tĂ© bien plus agrĂ©ables que les six mois prĂ©cĂ©dents tout seul dans ma voiture. J’avais voulu rester « tout seul dans ma voiture » croyant protĂ©ger mon confort, ma libertĂ© et ma vie privĂ©e. Je me demande aujourd’hui tout en disposant Ă  nouveau d’une voiture, si je ne vais pas continuer de pratiquer BlaBlaCar une fois sur deux, sinon plus souvent. Proposer une Ă  trois places Ă  bord ne prend que trois minutes, me rapporterait pour chaque passager de ÂŒ Ă  la Âœ du prix du trajet. Aller de Dreux Ă  Paris  pour un prix entre 5 et 8 euros pour 100 km en Ă©tant dĂ©posĂ© Ă  une bouche de mĂ©tro ou de RER, restera trĂšs pratique.

Si je pousse un peu plus loin ma rĂ©flexion, je me demande si je n’ai pas Ă©tĂ© victime d’un phĂ©nomĂšne qui finalement n’existe pas qu’en AmĂ©rique : le phĂ©nomĂšne du tout voiture. J’avais un peu oubliĂ© la marche Ă  pied, le vĂ©lo et la possibilitĂ© de lire. L’expĂ©rience BlaBlaCar m’a permis un retour Ă  ces fondamentaux pour la bonne santĂ© et de constater qu’ils avaient disparu avec le tout voiture. Je conserverai de cette expĂ©rience ma discipline quotidienne de la marche Ă  pied. Quant Ă  la possibilitĂ© de partager un trajet en covoiturage, c’est une respiration. Des contraintes et un espace de convivialitĂ© sont partagĂ©s. J’ai bien peur que, sous couvert de confort et de libertĂ© avec le tout voiture, on se choisisse en fait une situation d’isolement, de repli de soi dans une relation peut-ĂȘtre fusionnelle, voire idolĂątre avec sa chĂšre voiture. En passant, et ce n’est pas rien, BlaBlaCar, c’est un mode de vie Ă©cologique, plutĂŽt responsable ».

 Contribution de David Gonzalez

(1) BlaBlaCar : http://www.covoiturage.fr/

Sur ce blog, autre contribution de David Gonzalez : « Chagall, Dieu et l’amour » : https://vivreetesperer.com/?p=1260

Sur ce blog, voir aussi :

« Une rĂ©volution de l’ĂȘtre ensemble »  PrĂ©sentation du livre d’Anne-Sophie Novel et StĂ©phane Riot : « Vive la co-rĂ©volution. Pour une sociĂ©tĂ© collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1394

« Pour une société collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1534

« Anne-Sophie Novel, militante Ă©cologiste et pionniĂšre de l’économie collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1975

« OuiShare, communautĂ© leader dans le champ de l’économie collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1866

 

Coopérer et se faire confiance

Coopérer et se faire confiance

Si l’individualisme est une caractĂ©ristique marquante de notre sociĂ©tĂ©, une prise de conscience de ses effets nĂ©gatifs est en cours. Le lien social est affectĂ©. Les Ă©quilibres naturels sont menacĂ©s. En rĂ©action, apparait la prise de conscience grandissante d’une vision relationnelle du monde (1). Dans cette perspective, on peut d’autant plus s’interroger sur la place de la coopĂ©ration dans la vie sociale et le rĂŽle qu’elle devrait y jouer. C’est dire combien la parution rĂ©cente d’un livre intitulé : « CoopĂ©rer et se faire confiance » (2) nous parait importante. Cette approche nous est apportĂ©e par un Ă©conomiste critique et innovant, Eloi Laurent, auteur de « Une Ă©conomie pour le XXIe siĂšcle. Manuel des transitions justes » (3). Ce rappel des vertus de la coopĂ©ration intervient Ă  une Ă©poque oĂč le besoin de celle-ci se fait d’autant plus sentir : « A l’heure oĂč la sociĂ©tĂ© se fragmente, Il ne semble plus possible de dĂ©battre, de se parler et d’ĂȘtre d’accord. ÉpidĂ©mie de solitude, monĂ©tisation Ă  outrance de la santĂ©, emprise numĂ©rique sur les relations humaines, dislocation du sens du travail etc. La crise de la coopĂ©ration adopte des formes multiples ». Or, c’est bien Ă  travers un renouveau de coopĂ©ration que nous pouvons faire face aux maux qui nous assaillent et en attendre les bases d’une sociĂ©tĂ© plus juste. « Afin de faire face aux enjeux dĂ©mocratiques et Ă©cologiques actuels, il est urgent d’imaginer de nouvelles formes de vie sociale, dĂ©gagĂ©es de l’emprise de l’économisme et du tout-numĂ©rique
 Alors que la coopĂ©ration humaine a Ă©tĂ© enfermĂ©e dans une acception trop restrictive et assimilĂ©e Ă  la collaboration, Eloi Laurent dĂ©taille les leviers Ă  activer pour rĂ©gĂ©nĂ©rer nos liens sociaux et vitaux – condition indispensable pour fonder les bases d’une sociĂ©tĂ© qui prendrait soin des Ă©cosystĂšmes, comme des humains » (page de couverture).

 

Apprendre à coopérer. Savoir se faire confiance

Aujourd’hui, la coopĂ©ration et en crise dans les trois sphĂšres distinguĂ©es par Eloi Laurent : les liens intimes, les liens sociaux, les liens vitaux. Comment en sommes-nous arrivĂ©s là ? Comment repenser la collaboration ?

« Il est trĂšs largement admis que l’ĂȘtre humain se distingue dans le monde vivant par son appartenance Ă  une espĂšce collaborative, voire hypercollaborative » (p 12). Mais « la littĂ©rature savante prĂ©fĂšre concentrer ses efforts de comprĂ©hension sur le « comment » de la coopĂ©ration
 Ce faisant, ces travaux nĂ©gligent les « pourquoi » de la coopĂ©ration. Pourquoi cherchons-nous sans cesse Ă  nous associer Ă  d’autres ? Quelle est alors notre motivation ?  Quels sont les avantages espĂ©rĂ©s ? Questions existentielles et passionnantes ! ». (p 12).

Eloi Laurent analyse les dĂ©finitions de la coopĂ©ration par deux disciplines fondamentales : la biologie et la psychologie sociale. Et il en critique l’inspiration. En tant qu’économiste, il reconnait, dans leurs dĂ©finitions, l’approche et les concepts Ă©conomiques les plus simplistes et les plus naĂŻfs concernant les comportements humains collectifs qui font de l’individu un calculateur rationnel qui ne peut ĂȘtre animĂ© que par des motivations autres qu’immĂ©diatement Ă©goĂŻstes » (p 13). L’auteur s’interroge sur la matrice de cet « économisme ». Et son regard se tourne vers la thĂ©orie darwinienne. « Il est frappant de constater Ă  quel point le cadre conceptuel et le champ sĂ©mantique de la thĂ©orie darwinienne sont marquĂ©s par l’économisme : on y voit des ‘variations profitables’, du ‘travail’ de la sĂ©lection naturelle, de valeurs sĂ©lectives (‘fitness’) et enfin trĂšs directement de ‘l’économie de la nature’ (‘Tous les ĂȘtres vivants luttent pour s’emparer des places de ‘l’économie de la nature’) ». (p 15). Cependant, aux yeux d’Eloi Laurent, « le problĂšme n’est pas, comme on le croit parfois, que les lois darwiniennes ne font aucune place Ă  la coopĂ©ration entre les ĂȘtres vivants, ni que ces lois ont Ă©tĂ© ultĂ©rieurement perverties par un ‘darwinisme social’, le problĂšme est que les lois de l’évolution comme leur perfectionnement contemporain portent le sceau de l’utilitarisme Ă©conomique. Autrement dit
 Darwin a forgĂ© et diffusĂ© l’idĂ©e d’une « coopĂ©ration calculatoire du vivant ». L’auteur perçoit lĂ  une influence de Malthus sur Darwin. A travers Malthus, Darwin adopte un cadre d’économie politique. « InfluencĂ© par l’économisme de son temps, Darwin a modelĂ© les lois de la vie sur celles du marché » (p 17-18). Or, nous dit Eloi Laurent, il y a bien des mĂ©prises qui demeurent dans la maniĂšre de considĂ©rer la coopĂ©ration. Encore aujourd’hui, « elle est comprise et prĂ©sentĂ©e comme un calcul social (rĂ©alisĂ© au moyen d’une analyse coĂ»t-bĂ©nĂ©fice). On reconnait qu’au niveau des groupes, la stratĂ©gie de la coopĂ©ration se rĂ©vĂšle efficace. « CoopĂ©rer, dans cette perspective, consiste essentiellement Ă  rĂ©soudre un problĂšme avec efficacitĂ©. Or, comme le dit justement le pape François, dans l’encyclique Laudato si’, ‘le monde est plus qu’un problĂšme Ă© rĂ©soudre, c’est un mystĂšre joyeux Ă  explorer’ ».

Eloi Laurent nous prĂ©sente une nouvelle approche : coopĂ©rer par amour et pour savoir. « La question principale qui m’intĂ©resse ici est de savoir pourquoi l’on coopĂšre et comment l’acte de coopĂ©rer s’articule au choix d’accorder sa confiance ». L’auteur rappelle sa dĂ©finition de la capacitĂ© de coopĂ©rer comme « l’aptitude proprement humaine Ă  une intelligence collective sans borne. On coopĂšre parce que le commerce de l’intelligence humaine est un jeu Ă  somme infinie dont les bĂ©nĂ©fices sont incalculables. Je propose d’ajouter Ă  la finalitĂ© de la coopĂ©ration sa motivation profonde : on coopĂšre pour savoir et par amour » (p 19).

Certes, « faire de l’amour la matrice de la coopĂ©ration est pĂ©rilleux Ă  plus d’un titre » : risque de ramener la coopĂ©ration Ă  un sentimentalisme collectif, relative raretĂ© de l’amour vĂ©ritable. « Ces critiques sont lĂ©gitimes, mais elles n’ont rien d’insurmontables. On peut d’abord affirmer que rien n’est plus sĂ©rieux que l’amour, Ă  la racine de tous les comportements humains
 En second lieu, loin d’ĂȘtre un idĂ©al inatteignable, l’amour est une expĂ©rience familiĂšre et plurielle et c’est prĂ©cisĂ©ment sur la diversitĂ© des sentiments amoureux ancrĂ©s dans la vie quotidienne que repose la coopĂ©ration humaine, de l’amour charnel Ă  l’amour de la justice, de l’amour de la terre Ă  l’amour de la planĂšte, de l’amour de son mĂ©tier Ă  l’amour de ses enfants. L’amour, plus encore que la raison, est la chose au monde la mieux partagĂ©e : les humains dĂ©pourvus de la facultĂ© de calculer sont douĂ©s de la capacitĂ© d’aimer » (p21).

L’auteur Ă©largit sa dĂ©finition de l’amour. : « l’amour est un Ă©lan affectif qui pousse Ă  vouloir s’unir Ă  autre que soi
 Amour et connaissance ont partie liĂ©e sur plusieurs plans
 Aimer, c’est vouloir connaitre intimement et connaitre suppose de partager ses sentiments » (p 21). Eloi Laurent conclut : « Mon hypothĂšse est que la coopĂ©ration humaine ne repose pas sur un calcul plus ou moins rationnel en vue d’obtenir un gain identifiĂ© et circonscrit, mais sur un Ă©lan amoureux dont le but, la connaissance, est incertain au moment de s’engager. L’amour pluriel, qui est Ă  mes yeux le ressort profond de la coopĂ©ration n’exclut pas au demeurant le recours au calcul intĂ©ressĂ©. Mais il est erronĂ© de faire de l’amour une motivation subalterne dans les conduites coopĂ©ratives, ou pire, de le rĂ©duire au rang d’instrument de l’intĂ©rĂȘt Ă©conomique ». Eloi Laurent appuie son propos en se rĂ©fĂ©rant Ă  une figure pionniĂšre de l’économie, Adam Smith. « Dans sa ‘ThĂ©orie de sentiments moraux’ (1759), Adam Smith – Ă  rebours de la reprĂ©sentation courante que l’on se fait de lui – dĂ©fend la centralitĂ© du concept de ‘sympathie’. Smith Ă©crit : « L’intĂ©rĂȘt propre n’est pas le seul principe qui gouverne les hommes – il y en a d’autres tels que la pitiĂ© ou la compassion par lesquels nous sommes sensibles au malheur d’autrui ». « C’est par l’exercice des facultĂ©s sympathiques dont tous les humains sont dotĂ©s que nous pouvons espĂ©rer atteindre collectivement une forme de consensus nĂ©cessaire Ă  la vie sociale
 De mĂȘme, la confiance, y compris dans sa dimension la plus politique, prend avec Smith sa source dans l’affection » (p 23).

Eloi Laurent nous propose donc une maniĂšre de « concevoir plus concrĂštement une continuitĂ© entre l’amour, la confiance et la coopĂ©ration ». Selon une distinction de Martin Luther King, il Ă©voque les trois univers amoureux du Nouveau Testament : « Ă©ros, l’amour esthĂ©tique et romantique, ‘l’aspiration de l’ñme au royaume du divin’ ; philia, l’amour intime et rĂ©ciproque entre amis ; agapĂš dĂ©fini comme une bienveillance comprĂ©hensive. Si l’on tente d’ordonner ces trois amours du proche au lointain pour cartographier l’amour pluriel, philia devient l’amour de proximitĂ©, Ă©ros, l’amour social et agapĂš, l’amour universel On peut alors vouloir dĂ©finir trois sphĂšres de coopĂ©ration fondĂ©es sur ce tryptique amoureux :

° la sphÚre des « liens intimes » incluant les liens romantiques, les liens amicaux et les attaches familiales

° la sphĂšre des « liens sociaux » incluant l’école, le travail, l’économie politique


° la sphĂšre des « liens vitaux », incluant les animaux, les plantes, les territoires et finalement la biosphĂšre tout entiĂšre qui contient l’humanité » (p 24).

C’est bien une mĂȘme force qui anime les trois sphĂšres : « C’est l’amour qui est l’Atlas et l’HermĂšs de notre monde de liens » (p 25). Ainsi « les principes coopĂ©ratifs appris dans le cadre de l’éducation familiale peuvent dĂ©border dans d’autres sphĂšres de la coopĂ©ration (notamment celle des liens sociaux), de sorte qu’il y a une matrice commune aux comportements coopĂ©ratifs, mĂȘme s’ils s‘expriment et sont reconnus et sanctionnĂ©s de maniĂšre diffĂ©rente ». Ainsi peut-on reconnaitre de la coopĂ©ration Ă  tous les Ăąges de la vie. L’auteur Ă©voque « un vĂ©ritable cycle de vie de la coopĂ©ration ».

 

La coopération en crise

On peut dĂ©crire la vie sociale en terme de coopĂ©ration. « La vie humaine est une existence en commun – une vie coopĂ©rative – Ă  la source de laquelle expĂ©riences et institutions se mĂȘlent. Parce qu’elle est valorisĂ©e par les individus qui en font l’expĂ©rience, la coopĂ©ration se cristallise dans des institutions qui, Ă  leur tour, favorisent son extension et son intensitĂ©. Les comportements coopĂ©ratifs engendrent et propagent des attitudes coopĂ©ratives qui façonnent des normes coopĂ©ratives, se consolident en institutions coopĂ©ratives, lesquelles encouragent et entretiennent en retour des comportements coopĂ©ratifs ». Cependant ce cycle peut se dĂ©rĂ©gler. « Quand les institutions se dĂ©rĂšglent (par exemple, sous l’effet de la fraude fiscale, les violences policiĂšres ou de l’austĂ©ritĂ© imposĂ©e aux services publics), l’expĂ©rience amĂšre de la dĂ©fection alimente la dĂ©fiance et peut aboutir, Ă  l’extrĂȘme, Ă  la sĂ©cession gĂ©nĂ©ralisĂ©e » (p 37). L’auteur considĂšre qu’à la lumiĂšre des travaux existants, « l’humanitĂ© dans son ensemble et dans le temps long a Ă©voluĂ© vers une coopĂ©ration institutionnalisĂ©e. Mais il est tout aussi assurĂ© que ces institutions de la coopĂ©ration ne sont ni immuables, ni Ă©ternelles ». Ainsi assiste-t-on aujourd’hui dans certains pays Ă  de profondes dĂ©gradations de ces institutions. Plus gĂ©nĂ©ralement, l’auteur estime que « nous faisons face actuellement « à une crise profonde de la coopĂ©ration dont la particularitĂ© est d’ĂȘtre nourrie en mĂȘme temps que masquĂ©e par des pratiques collaboratives de plus en plus rĂ©pandues, sans cesse accĂ©lĂ©rĂ©es par les outils et les rĂ©seaux numĂ©riques » (p 38).

L’auteur distingue coopĂ©ration et collaboration y voyant des Ă©tats d’esprit trĂšs diffĂ©rents. « La collaboration, selon son Ă©tymologie, vise Ă  « faire ensemble », Ă  partager le plus efficacement possible le travail dans le but d’accroitre la production tout en libĂ©rant du temps de loisir
 la coopĂ©ration dĂ©signe Ă©tymologiquement une entreprise commune plus large et plus dense qui consiste Ă  Ɠuvrer ensemble » (p 28).

L’auteur Ă©tablit cinq « diffĂ©rences dĂ©cisives » entre coopĂ©ration et collaboration.

« – La collaboration s’exerce au moyen du seul travail alors que la coopĂ©ration sollicite l’ensemble des capacitĂ©s humaines. Collaborer, c’est travailler ensemble tandis que coopĂ©rer peut signifier rĂ©flĂ©chir ensemble, contempler ensemble, rĂȘver ensemble


– la collaboration est Ă  durĂ©e dĂ©terminĂ©e tandis que la coopĂ©ration n’a pas d’horizon fini. Collaborer, c’est mettre en commun son travail pour un temps donnĂ©. CoopĂ©rer, c’est se donner le temps plutĂŽt que de compter et dĂ©compter le temps.

– La collaboration est une association Ă  objet dĂ©terminĂ©, tandis que la coopĂ©ration est un processus libre de dĂ©couverte mutuelle. Collaborer, c’est rĂ©aliser en un temps dĂ©terminĂ© une tĂąche spĂ©cifique.

– La collaboration est verticale, la coopĂ©ration est horizontale. CoopĂ©rer, c’est au contraire s’associer de maniĂšre volontaire dans une forme de respect mutuel.

– La collaboration vise Ă  produire en divisant le travail tandis que la coopĂ©ration vise Ă  partage et Ă  innover, y compris pour ne pas produire » (p 35-36).

L’auteur poursuit son propos en dĂ©veloppant un portrait de la coopĂ©ration Ă  partir des cinq qualitĂ©s prĂ©cĂ©demment dĂ©crites. « ces qualitĂ©s Ă©tant interdĂ©pendantes et reliĂ©es entre elles. Ces qualitĂ©s sont chacune et ensemble reliĂ©es Ă  la confiance qui est Ă  la coopĂ©ration, ce que le bras est Ă  la main ».

Cependant, coopĂ©ration et collaboration ne sont pas exclusives. : « entre elles, se dĂ©ploient toute une palette d’attitudes relationnelles
 On peut, dans le cadre d’une mĂȘme journĂ©e de travail, alterner des phases de collaboration et de coopĂ©ration mais, si la collaboration prĂ©domine, l’utilitarisme rĂ©ciproque finira par s’appauvrir, puis gripper les interactions humaines » (p 31). L’auteur estime que cette distinction permet de comprendre que « la coopĂ©ration et non la collaboration, est la vĂ©ritable source de la prospĂ©ritĂ© humaine (la seconde est un moyen et un produit de la premiĂšre) ».

On y voit aussi que le rĂšgne contemporain de la collaboration n’est pas sans entrainer des incidences nĂ©gatives, notamment en masquent la crise de la coopĂ©ration. Or « le temps de la coopĂ©ration est la plus grande richesse des sociĂ©tĂ©s humaines
 L’auteur mentionne l’enquĂȘte d’Harvard : « Ce sont les relations sociales qui expliquent le mieux la santĂ© des participants sur la durĂ©e, en terme de longĂ©vitĂ© constatĂ©e comme de fĂ©licitĂ© dĂ©clarĂ©e » (p 33) (4).

Or, selon Eloi Laurent, « Ă  partir de la fin du XVIIIe siĂšcle, l’empire de la collaboration s’étend et celui de la coopĂ©ration se racornit ». C’est l’allongement considĂ©rable du temps de travail. « On peut comprendre les grandes conquĂȘtes sociales du XIXe et du XXe siĂšcle comme autant de tentatives de regagner du temps libre, incluant le temps de coopĂ©ration, sur le temps de collaboration… Mais l’avĂšnement de l’emprise numĂ©rique voilĂ  environ quinze ans s’est accompagnĂ© d’une rĂ©traction importante de la coopĂ©ration ». Eloi Laurent examine les incidences nĂ©gatives de cette emprise numĂ©rique.

La crise actuelle de la coopĂ©ration apparait dans la sphĂšre des liens intimes, dans celle des liens sociaux, et dans celle des liens vitaux. On se reportera Ă  cette analyse courte, mais dense. Notons, entre autres, une montĂ©e de l’isolement social avec de graves consĂ©quences en matiĂšre de santĂ© (p 43-46), la dĂ©rive de l’enseignement dans une « frĂ©nĂ©sie Ă©valuatrice », une dĂ©gradation de la santĂ© mentale, un constat que  « l’hyper collaboration numĂ©rique n’a pas fait progresser les connaissances de maniĂšre dĂ©cisive au cours des trois derniĂšres dĂ©cennies » (p 51) et, bien sĂ»r, « l’instrumentalisation du monde vivant »

 

Régénérer la coopération

« L’élan amoureux et la soif de connaissances sont des instincts humains, mais leur traduction en modes coopĂ©ratifs dĂ©pend de la qualitĂ© des institutions et de la justesse des principes qui les rĂ©gissent.

Surgissent alors deux questions essentielles : Peut-on pratiquement mener une politique de coopĂ©ration ? Et, si oui, est-il Ă©thique de s’engager dans cette voie ? » (p 55). Eloi Laurent rĂ©pond Ă  ces deux questions par l’affirmative. Il met l’accent sur une libĂ©ration du temps, du « temps pour la coopĂ©ration ». « Le premier motif invoquĂ© par les français pour expliquer la dĂ©gradation de leurs liens sociaux n’est-il pas le manque de temps ? » et il Ă©voque le cas amĂ©ricain : « Dans les milieux de la santĂ© publique aux Etats-Unis, pays en proie Ă  une crise aiguĂ« de dĂ©socialisation, un mot d’ordre a rĂ©cemment Ă©mergé : ‘des liens dans toutes les politiques’ » (p 56).

Dans ce chapitre, Eloi Laurent Ă©voque des pistes de rĂ©gĂ©nĂ©ration dans les trois sphĂšres de la coopĂ©ration ; c’est un texte dense, aussi, dans cette prĂ©sentation, n’en Ă©voquerons-nous que quelques points.

Dans le domaine de l’éducation, l’auteur Ă©voque les mĂ©faits d’une « ingĂ©nierie Ă©ducative qui promeut une standardisation des modes d’ĂȘtre au monde au service de la « performance sociale » des nations, autrement dit de la croissance Ă©conomique » (p 59). En contre- exemple, il cite l’école maternelle française.

Dans le domaine de la santĂ©, l’auteur nous fait part d’« une notion de santĂ© coopĂ©rative qui est intuitive, tant les relations sociales agissent comme des amortisseurs de stress : tandis que le corps est soumis Ă  des chocs Ă  la fois physiques et psychiques, les relations sociales jouent le rĂŽle d’anti-inflammatoires . Pouvoir parler de ses traumatismes anciens et rĂ©cents avec quelqu’un, prendre conseil auprĂšs d’autrui, partager ses tourments, sont autant d’adjuvants sociaux. A l’inverse, la solitude imprime le stress dans le corps et l’esprit, lesquels se dĂ©gradent progressivement quand l’isolement devient un enfermement. Indirectement, les relations sociales contribuent Ă  former une chaine de santĂ© humaine, car ĂȘtre aimĂ© et aimer implique de prendre soin de sa santĂ© et de celle des autres ». On dĂ©bouche ici sur une autre conception de la mĂ©decine. « C’est pourquoi, face aux limites d’un systĂšme de soin exclusivement tournĂ© vers le curatif, se dĂ©veloppent des approches de santĂ© communautaire (qui s’apparentent Ă  des approches de santĂ© coopĂ©rative) oĂč les causes des pathologies et leur prĂ©vention, occupent une place essentielle ».

Si on en vient au travail, lĂ  aussi on fera appel Ă  une approche coopĂ©rative. Sur un mode dĂ©fensif, en contenant juridiquement l’emprise numĂ©rique (il s‘agit par exemple d’appliquer de maniĂšre stricte le droit Ă  la dĂ©connexion) et en relĂąchant la pression des indicateurs de performance. Sur un mode offensif, en ouvrant de nouveaux horizons de coopĂ©ration sur le lieu de travail. L’auteur Ă©voque le vaste champ de l’ â€˜Ă©conomie sociale et solidaire’. Rappelons Ă©galement ici l’émergence d’ ‘entreprises humanistes et conviviales’ (5).

Évidemment, l’auteur aborde la pressante nĂ©cessitĂ© d’une approche coopĂ©rative dans le champ politique. C’est la question de la « revitalisation d’une dĂ©mocratie en souffrance partout dans le monde, de la France Ă  l’Inde, de l’Italie aux Etats-Unis » (p 65). C’est un texte dense auquel on se reportera. Nous avons apprĂ©ciĂ© l’attention de l’auteur concernant la vie des territoires : « Faire vivre des territoires de pleine santé ». Ainsi, la communautĂ© des pays d’Uzes, dans le Gard, s’est engagĂ©e en septembre 2021 dans une dĂ©marche de « territoire de pleine santé »  La pleine santĂ© peut ĂȘtre dĂ©finie comme « un Ă©tat continu de bien-ĂȘtre physique et psychologique, individuel et social, humain et Ă©cologique ». L’importance de cette dĂ©finition est de bien souligner le caractĂšre holistique de l’approche de la santé ; « de la santĂ© mentale Ă  la santĂ© physiologique, de la santĂ© individuelle Ă  la santĂ© collective, et de la santĂ© de l’humanitĂ© Ă  la santĂ© planĂ©taire. La pleine santĂ© est donc une santĂ© d’interfaces, de synergies, de solidaritĂ©s » (p 69). Eloi Laurent propose Ă©galement de « construire des coopĂ©rations territoriales Ă©cosystĂ©miques. « Les frontiĂšres des territoires français qui se distinguent par leur nombre, leur diversitĂ© et la complexitĂ© de l’enchevĂȘtrement de leurs compĂ©tences administratives, sont aujourd’hui juridiques et politiques. Or, les crises Ă©cologiques redessinent les logiques territoriales autour d’enjeux qui dĂ©passent les attributions fonctionnelles
 Les coopĂ©rations territoriales Ă©cosystĂ©miques visent Ă  rendre visibles et opĂ©ratoires des espaces vivants  » (p 70).

Dans la ‘sphĂšre des liens vitaux’, Eloi Laurent donne des exemples de situation oĂč la coopĂ©ration s’est imposĂ©e comme la prĂ©servation de la chouette tachetĂ©e dans les forĂȘts du nord-ouest des Etats-Unis, des lois de protection ayant dĂ©bouchĂ© sur une meilleure exploitation de la forĂȘt (p 71-72)

Tant en ce qui concerne la transition Ă©cologique qu’en raison du prĂ©sent systĂšme Ă©conomique qui engendre une montĂ©e des inĂ©galitĂ©s, dĂ©sĂ©quilibrant ainsi la sociĂ©tĂ©, nous aspirons Ă  une transformation profonde de la vie Ă©conomique et sociale. Mais comment cette transformation peut-elle advenir ? Quelles sont les pistes de changement. Dans son livre : « Une Ă©conomie pour le XXIe siĂšcle », Eloi Laurent Ă©claire la voie d’une approche ‘sociale-Ă©cologique’ pour une transition juste (3). Cependant, conscient du dĂ©sarroi social, nous nous interrogeons Ă©galement sur la maniĂšre de faire sociĂ©tĂ©. C’est lĂ  qu’un autre livre d’Eloi Laurent vient Ă©clairer un phĂ©nomĂšne majeur : la coopĂ©ration (2). Il nous apporte des analyses et des diagnostics. Si parfois nous pouvons nous interroger, ainsi sur l’attitude vis-Ă -vis du bilan d’internet, cette recherche est particuliĂšrement Ă©clairante. Bonne nouvelle ! Eloi Laurent nous dĂ©montre que la coopĂ©ration est la rĂ©sultante d’une dynamique humaine, une dynamique qui ne tient pas Ă  un « calcul social », mais Ă  une motivation profonde : recherche du savoir et manifestation de l’amour. Ainsi, si la coopĂ©ration est un processus qui permet de remĂ©dier Ă  des maux actuels et d’ouvrir des voies nouvelles, c’est aussi un Ă©tat d’esprit en phase avec la confiance. Ce livre d’Eloi Laurent s’ouvre par une citation de Martin Luther King : « La haine paralyse la vie., l’amour la libĂšre ».

J H

 

  1. Tout se tient : https://vivreetesperer.com/tout-se-tient/ Dieu vivant, Dieu prĂ©sent, Dieu avec nous dans un monde oĂč tout se tient : https://vivreetesperer.com/dieu-vivant-dieu-present-dieu-avec-nous-dans-un-univers-interrelationnel-holistique-anime/
  2. Eloi Laurent. CoopĂ©rer et se faire confiance par tous les temps. Rue de l’échiquier, 2024
  3. Eloi Laurent. Économie pour le XXIe siĂšcle. Manuel des transitions justes. La DĂ©couverte,2023
  4. The good life. Ce que nous apprend la plus longue étude scientifique sur le bonheur et la santé : https://vivreetesperer.com/the-good-life/
  5. Vers un nouveau climat de travail dans des entreprises humanistes et conviviales : Un parcours de recherche avec Jacques Lecomte : https://vivreetesperer.com/vers-un-nouveau-climat-de-travail-dans-des-entreprises-humanistes-et-conviviales-un-parcours-de-recherche-avec-jacques-lecomte/
  6. Eloi Laurent. Coopérer et se faire confiance

Voir aussi :
Face Ă  la violence, l’entraide, puissance de vie dans la nature et dans l’humanité : https://vivreetesperer.com/face-a-la-violence-lentraide-puissance-de-vie-dans-la-nature-et-dans-lhumanite/
La bonté humaine. Est-ce possible ? : https://vivreetesperer.com/la-bonte-humaine/

Une vie qui ne disparait pas !

La mort d’un proche nous atteint au plus profond de nous-mĂȘme. Notre relation avec lui est suspendue. L’expression de son amour Ă  travers sa personne physique nous est ĂŽtĂ©e. Et la manifestation de notre amour pour lui est dĂ©sormais sans rĂ©ponse. Alors se pose Ă  nous une question cruciale : Qu’est-il advenu de cet ĂȘtre cher ? Dans le dĂ©sert du doute engendrĂ© par la mĂ©connaissance d’une conscience supĂ©rieure, beaucoup de gens souffrent de ce qui leur apparaĂźt une chute dans le nĂ©ant. La foi chrĂ©tienne nous apporte une rĂ©ponse. Cependant, on constate des diffĂ©rences importantes dans la formulation de cette rĂ©ponse, parfois des absences et des contradictions. Il y a bien des embĂ»ches comme la peur engendrĂ©e par l’image d’un Dieu redoutable ou la perspective d’une barriĂšre qui s’élĂšverait entre les vivants et les morts. Face Ă  la confusion, il y un grand besoin d’éclairage. Nous prĂ©sentons ici un tĂ©moignage, celui d’une recherche de sens et la rĂ©ponse qui a Ă©tĂ© trouvĂ©e.

 

« Partie ! Elle Ă©tait partie. Il savait qu’elle Ă©tait partie vers la plĂ©nitude de la communion avec un Dieu, communion d’amour.  Le souffle de l’Esprit s’était manifestĂ© dans les tĂ©moignages au cours de la cĂ©lĂ©bration.  Ce dĂ©part Ă©tait donc Ă©clairĂ© par une conviction pacifiante. Dans les derniers mois, il avait menĂ© la lutte avec elle au coude Ă  coude.  En grĂące, sa force et sa joie de vivre l’avait encouragĂ© et Ă©clairé . Ce lien d’amour Ă©tait-il rompu ? Des discours, des propos laissaient entendre qu’il devrait attendre sa propre mort pour renouer avec sa prĂ©sence. Et, jusque lĂ , un grand vide. Alors plusieurs mois de dĂ©chirement s’en suivirent. Au carrefour de plusieurs cultures chrĂ©tiennes, il entendait des propos diffĂ©rents. Les avis Ă©taient partagĂ©s. Certains de ses amis, sous l’emprise de doctrines rigides, Ă©taient embarrassĂ©s. Leurs marques d’affection s’accompagnaient d’un grand silence. Et d’ailleurs, pour rĂ©pondre aux attentes, il est bien utile de s’ĂȘtre dĂ©jĂ  posĂ© de vraies questions. L’expĂ©rience manquait. Dans d’autres cercles, en d’autres influences thĂ©ologiques, la bontĂ© se traduisait en encouragements qui le touchait : « Elle t’accompagne ». Mais lui, en dĂ©sir d’honnĂȘtetĂ©, il voulait ne pas cĂ©der Ă  la facilitĂ© et pouvoir fonder son jugement sur une vraie comprĂ©hension biblique et thĂ©ologique. C’est alors que la lecture du livre de JĂŒrgen Moltmann : « In the end.. the beginning »(1) intervint providentiellement. Elle lui donnait la rĂ©ponse. La prĂ©sence demeurait sur un certain registre. Non pas une fixation fusionnelle, une communication prĂ©cise, et non plus une priĂšre Ă  elle directement adressĂ©e. Non, tout simplement une seconde prĂ©sence dans la communion en Christ. Pouvoir adorer et louer  Dieu en communion avec elle..et beaucoup d’autres. Et puis, il retrouva un texte d’elle oĂč s’adressant au mari d’une amie dĂ©cĂ©dĂ©e, elle parlait de celle-ci en terme de transfiguration dans la communion des saints. Dans les derniĂšres annĂ©es, elle avait croisĂ© la pensĂ©e de Moltmann et, dans ses Ă©crits personnels, il y avait bien des affinitĂ©s avec cette pensĂ©e : une anticipation de la vie, une force et une joie de vivre
 Peu Ă  peu, il remontait la pente. L’affection reçue comptait. Et cependant, en dehors de quelques amis, proches et ouverts, il trouvait peu d’interlocuteurs pour partager sa rĂ©flexion. Pourtant, Ă  l’époque, le seul Ă©clairage des textes ne lui suffisait pas. Un jour, providentiellement, il reçut un soutien fondĂ© sur une expĂ©rience analogue. Ce soutien lui donna de l’assurance. Ce fut un tournant dĂ©cisif ».

 

Ce tĂ©moignage dĂ©bouche sur une mĂ©ditation Ă  partir de la thĂ©ologie de JĂŒrgen Moltmann (2) dont nous prĂ©senterons par la suite quelques aspects, car elle apporte une vision Ă  la fois cohĂ©rente et pacifiante fondĂ©e sur la parole biblique et inspirĂ©e par la puissance de l’amour de Dieu en Christ.

« Dieu si grand, si bon, si puissant dans son amour ! Christ mort et ressuscitĂ© a remportĂ© la victoire sur la mort. L’Esprit qui donne la vie remplit tout l’univers et renverse les barriĂšres.  La vie circule. La communion dans l’amour qui se manifeste dans un Dieu trinitaire se rĂ©pand au delĂ  et irrigue la rĂ©alitĂ© spirituelle. Il n’y a point de mur de sĂ©paration entre les vivants et les morts, mais une communion en Dieu, en Christ. La grĂące de Dieu est plus forte que le mal et elle l’emportera dans la seconde crĂ©ation oĂč « Dieu sera tout en tous ».   Dans les Ă©preuves et les souffrances engendrĂ©es par le deuil, quel rĂ©confort et quelle espĂ©rance ! »

 

JH

 

Sources

(1)            Moltmann  (JĂŒrgen). In the end, the beginning. The life of hope. Fortress press, 2004 (Ce livre est en cours de traduction aux Ă©ditions Empreinte ) . PrĂ©sentation du livre sur le site de TĂ©moins : « Vivre dans l’espoir. Dans la fin
un commencement » http://www.temoins.com/ressourcement/vivre-dans-l-espoir-dans-la-fin-un-commencement.html

(2)            « La vie par delĂ  la mort », sur le blog prĂ©sentant la pensĂ©e de JĂŒrgen Moltmann : L’Esprit qui donne la Vie http://www.lespritquidonnelavie.com/

 

Autres ressources

° On pourra lire aussi un article Ă©clairant de Jean-Claude Schwab sur le site : expĂ©rience et thĂ©ologie : « L’ĂȘtre intime. En quĂȘte de l’ « ĂȘtre intime » et du « corps spirituel ». ExpĂ©riences actuelles Ă  la lumiĂšre de la transfiguration, la rĂ©surrection et l’ascension de JĂ©sus ». http://www.experience-theologie.ch/reflexions/ressourcement/letre-intime/

° Un livre Ă©mouvant rendant compte d’un cheminement spirituel Ă©crit par la thĂ©ologienne, Lytta Basset : Basset (Lytta). Ce lien qui ne meurt jamais. Albin Michel, 2007

Une nouvelle maniĂšre d’ĂȘtre et de connaĂźtre / 4

Un regard nouveau pour un monde nouveau

« Petite Poucette » de Michel Serres.

On mesure, Ă  la lecture de ce compte-rendu l’importance que nous accordons Ă  ce livre. En effet, en prĂ©sence d’une rĂ©alitĂ© qui change, il nous aide Ă  changer notre regard. Mais il ne s’agit pas d’un  changement limitĂ©. De fait, nous sommes engagĂ© dans une mutation qui induit et requiert une rĂ©volution mentale. Michel Serres est un bon guide, car il n’est pas seulement un bon observateur, mais aussi un Ă©pistĂ©mologue, connaisseur des mĂ©thodes et des rĂ©sultats de la science. Ce livre est aussi le fruit d’une aptitude Ă  la sympathie. Il sait voir avec le cƓur. Et c’est pourquoi, en communion avec Petite Poucette, il est capable de regarder vers l’avenir et donc d’en percevoir la venue. Certes, on peut s’interroger sur telle ou telle proposition, mais il y a dans ce livre une dimension Ă©pique qui suscite l’émerveillement. Aussi, cette pensĂ©e interpelle les acteurs dans diffĂ©rents champs d’activitĂ©.

Dans bien des domaines, nous sommes confrontĂ©s aux blocages et aux rĂ©sistances des mentalitĂ©s. Combien le monde de l’école est encore loin aujourd’hui de l’horizon qui s dĂ©couvre Ă  travers le livre de Michel Serres.  En politique, il y a bien quelques figures pionniĂšres qui Ă©voquent la dĂ©mocratie participative et l’intelligence collective.  On pense, par exemple, Ă  SĂ©golĂšne Royal. Il y a un long chemin Ă  parcourir.

Et, dans le domaine religieux, combien les institutions sont encore, pour la plupart, modelĂ©es par l’hĂ©ritage du passé : hiĂ©rarchie descendante de haut en bas, sacralisation des formulations, communication asymĂ©trique. La mentalitĂ© patriarcale est encore prĂ©gnante. Alors, lĂ  aussi des voix  s’élĂšvent pour libĂ©rer le message  de vie portĂ© par l’Evangile, de la gangue religieuse dans lequel il est trop souvent enfermĂ©. On entend bien Michel Serres lorsqu’il Ă©voque : « l’intuition novatrice et efficace » (p 25) par delĂ  l’encombrement des connaissances. Les formulations rigides, rĂ©pĂ©titives, impĂ©ratives, sans lien avec la vie et enfermĂ©es sur elles-mĂȘmes sont de plus en plus contestĂ©es. Un nouvel entendement apparaĂźt et se rĂ©pand. Ainsi, aux Etats-Unis, Diane Butler Bass vient de publier un livre sur « Le christianisme aprĂšs la religion » (1). Elle met en Ă©vidence les effets pervers des dogmatismes et elle met en Ă©vidence le dĂ©veloppement d’une « foi expĂ©rientielle »  Cette valorisation de l’expĂ©rience ne rejoint elle pas celle de l’intuition ? On peut Ă©voquer ici la dĂ©marche pionniĂšre du thĂ©ologien JĂŒrgen Moltmann. DĂšs les annĂ©es 1970, il a Ă©crit un livre intitulĂ© « Le Seigneur de la danse » (2). Ce livre nous parle de jeu et de libertĂ©. Il Ă©voque la Sagesse de Dieu qui dĂ©clare : « Je faisais ses dĂ©lices, jour aprĂšs jour et je jouais sans cesse devant lui » (Proverbes 8.30) . Moltmann mentionne le philosophe grec HĂ©raclite : « La cours du monde est un enfant qui joue et qui place les pions ça et lĂ . C’est un royaume de l’enfant ». Cet Ă©loge du jeu rappelle une des intuitions de Michel Serres qui est rejoint par Moltmann dans sa critique des excĂšs de la pensĂ©e analytique.

ThĂ©ologien de l’espĂ©rance, JĂŒrgen Moltmann nous permet de regarder vers l’avenir en voyant l’oeuvre de Dieu qui vient vers nous et nous invite Ă  aller de l’avant (3). Dans son livre, « Petite Poucette », Michel Serres nous dĂ©crit l’émergence d’une « nouvelle maniĂšre d’ĂȘtre et de connaĂźtre » . C’est un phĂ©nomĂšne nouveau et de grande ampleur. « LibĂ©rĂ©e des relations asymĂ©triques, une circulation nouvelle fait entendre les notes, quasi musicales, de sa voix (p 52). Tout le monde communique avec tout le monde en rĂ©seaux innombrables. Ce tissu de voix s’accorde Ă  celui de la Toile, les deux bruissent en phase » (p 59). La pensĂ©e de JĂŒrgen Moltmann nous apporte en Ă©cho un Ă©clairage thĂ©ologique. « L’essence de la crĂ©ation dans l’Esprit est par consĂ©quent la « collaboration » et les structures manifestent la prĂ©sence de l’Esprit dans la mesure oĂč elle font connaĂźtre « l’accord gĂ©nĂ©ral »  Etre vivant, signifie exister en relation avec les autres. Vivre, c’est la communication dans la communion ». (4)

Bien sĂ»r, il y a aujourd’hui des menaces, des tensions, des peurs. D’ailleurs, Michel Serres a Ă©crit Ă©galement un livre sur « Le Temps des crises » (5) : « Mais que rĂ©vĂšle le sĂ©isme financier et boursier qui nous secoue aujourd’hui ? Si nous vivons une crise, aucun retour en arriĂšre n’est possible. Il faut donc inventer de nouveau » (6). « Petite Poucette » nous montre un vieux monde en train de dĂ©pĂ©rir et un nouveau monde en train de naĂźtre. Comme les institutions censĂ©es nous apporter du sens sont elles-mĂȘmes engoncĂ©es dans l’hĂ©ritage du passĂ©, c’est le message initial qui se rappelle Ă  nous en Ă©cho Ă  la rĂ©volution mentale en cours aujourd’hui. Et quel est ce message ? C’est la figure de la PentecĂŽte. « Ils furent tous remplis de l’Esprit et se mirent Ă  parler dans diffĂ©rentes langues selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer » (Livre des Actes 2.4). Et leurs paroles furent entendues et comprises par des gens du monde entier.  Pour nous, il y a une analogie entre cette expĂ©rience initiale de l’Esprit et l’effervescence qui se manifeste aujourd’hui et que Michel Serres dĂ©crit en ces termes : « Pour la premiĂšre fois de l’histoire, on peut entendre la voix de tous. La parole humaine bruit dans l’espace et le temps » (p 58).

J H

(1)            Christianity after religion. The end of the church and the birth of a new spiritual awakening. Harper One, 2012. Mise en perspective sur le site de TĂ©moins : « La montĂ©e d’une nouvelle conscience spirituelle ». .http://www.temoins.com/etudes/la-montee-d-une-nouvelle-conscience-spirituelle.-d-apres-le-livre-de-diana-butler-bass-christianity-after-religion.html

(2)             Moltmann (JĂŒrgen). Le Seigneur de la danse. Essai sur la joie d’ĂȘtre libre. Le Cerf, 1972 (Foi Vivante). RĂ©Ă©dité .

(3)            Vie et Ɠuvre de JĂŒrgen Moltmann  d’aprĂšs son autobiographie : « A broad place » : « Une thĂ©ologie pour notre temps » sur le site : « L’Esprit qui donne la vie » http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=695

(4)             JĂŒrgen Moltmann est l’auteur de plusieurs livres en rapport avec le thĂšme de cet article : « L’Esprit qui donne la vie » et « Dieu dans la crĂ©ation » (Editions du Cerf). Les citations sont empruntĂ©es au livre : Dieu dans la crĂ©ation  (p 25 et p 15)

(5)            Serres (Michel). Le temps des crises. Le Pommier, 2009. (Manifestes)

(6)            Cette recherche de nouveautĂ© est en cours selon les compĂ©tences des uns et des autres . Ainsi l’économiste, Daniel Cohen vient de publier un livre : « Homo economicus  », oĂč il met l’accent sur les dĂ©gradations et les menaces, et notamment sur les incidences nĂ©fastes de la montĂ©e des inĂ©galitĂ©s au cours des derniĂšres dĂ©cennies. Son apprĂ©ciation d’internet est mitigĂ©e (p 157-161). A raison, Daniel Cohen montre les consĂ©quences fĂącheuses de la prĂ©dominance du modĂšle de « l’homo economicus » : « Dans l’équilibre entre compĂ©tition et coopĂ©ration, il faut redonner vie Ă  la seconde en rĂ©enchantant le travail, en remettant Ă  plat les frontiĂšres du gratuit et du payant, en repensant la coopĂ©ration internationale, Ă  commencer par celle de l’Europe » (p 206): Cohen (Daniel). Homo economicus, prophĂšte (Ă©garĂ©) des temps nouveaux. Albin Michel, 2012.  Nous renvoyons Ă©galement ici Ă  la vision prospective et dynamique de JĂ©rĂ©mie Rifkin  dans son livre : « La TroisiĂšme RĂ©volution industrielle » . Sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=354     Michel Serres, bien au fait de la conjoncture actuelle, ne mĂ©connaĂźt pas les menaces actuelles, mais, dans la prise en compte Ă  la fois d’une histoire de longue durĂ©e et de la mutation technologique et culturelle actuelle, il choisit de proposer une vision positive, prospective et mobilisatrice.

Suite et fin des trois contributions précédentes : La grande mutation dans la transmission des savoirs. Vers une société participative . Vers un nouvel usage et un nouveau visage du savoir.

Un mouvement Ă©mergent pour le partage, la collaboration et l’ouverture : OuiShare

communautĂ© leader dans le champ de l’économie collaborative

En considĂ©rant le monde d’aujourd’hui, les prĂ©occupations ne manquent pas. Les menaces abondent. Et, en France mĂȘme, on  perçoit crainte et dĂ©sarroi. Les rĂ©centes Ă©lections europĂ©ennes ont manifestĂ© une poussĂ©e de crispations identitaires. Mais l’orientation de notre rĂ©flexion dĂ©pend beaucoup de notre regard. Si nous sommes inspirĂ©s par une espĂ©rance qui va au delĂ  des turbulences et des orages marquant notre immĂ©diat, alors nous pourrons ĂȘtre attentifs aux Ă©mergences qui prĂ©parent un avenir meilleur. Nous prĂȘterons attention aux tendances positives. Le dĂ©veloppement de l’économie collaborative en France paraĂźt ainsi exprimer un changement prometteur dans les reprĂ©sentations et les comportements. À cet Ă©gard, l’apparition, puis la croissance rapide de la communautĂ© « OuiShare » est un phĂ©nomĂšne particuliĂšrement significatif.

En 2012, Anne-Sophie Novel et StĂ©phane Riot publient un livre qui, Ă  partir de l’apparition de nouveaux comportements, exprime la vision d’une sociĂ©tĂ© collaborative : « Vive la Co-rĂ©volution. Pour une sociĂ©tĂ© collaborative » (1). Ils mettent en Ă©vidence l’éclosion de nombreuses entreprises qui dĂ©veloppent des pratiques de partage. Cette rĂ©volution tranquille traduit la montĂ©e d’une maniĂšre nouvelle d’envisager la vie. Ainsi, avons- nous prĂ©sentĂ© ce livre dans ce blog sous le titre : « Une rĂ©volution de l’ĂȘtre ensemble » (2), expression elle-mĂȘme empruntĂ©e Ă  cet ouvrage innovant et visionnaire. En 2013, Anne-Sophie Novel publie un second livre : « Le vie share. Mode d’emploi » (3). Elle dĂ©finit son livre comme « un espace d’exploration et de discussions sur les alternatives qui s’offrent Ă  nous pour vivre autrement et s’adapter aux crises ». « Cet ouvrage prolonge et complĂšte sous un angle pratique le premier livre : « Vive la Co-rĂ©volution ». Et elle note que ce travail est soutenu par « OuiShare », la communautĂ© internationale de l’économie collaborative. Effectivement, le groupe « OuiShare », crĂ©Ă© en janvier 2012, a grandi rapidement. Anne-Sophie Novel continue Ă  analyser et Ă  commenter le dĂ©veloppement de l’économie collaborative sur un blog qui s’inscrit dans l’espace du journal « Le Monde » : « MĂȘme pas mal ! Partage d’alternatives pour mode de vie en temps de crise » (4).

Ouishare : une communauté émergente qui prend forme

Oui au partage. Oui, nous partageons. Cette affirmation se traduit sous le terme franco-anglais : Ouishare. À l’automne 2011, un petit groupe se rĂ©unit chaque mois. Ce sont « des amis qui se sont rencontrĂ©s Ă  travers Antonin qui a lancĂ© le premier blog français sur l’économie collaborative ». Et, en janvier 2012, la communautĂ© « OuiShare » est crĂ©Ă© Ă  Paris. La croissance va ĂȘtre extrĂȘmement rapide, puisqu’en deux ans, OuiShare est devenue « un leader international dans le champ de l’économie collaborative qui a rapidement Ă©voluĂ©, passant d’une poignĂ©e de personnes enthousiastes, Ă  un mouvement global dans 25 pays en Europe, AmĂ©rique Latine et Moyen Orient avec un rĂ©seau des 50 experts connecteurs engagĂ©s avec 2000 membres et contributeurs Ă  travers le monde » (5).

         Comment la communautĂ© OuiShare se prĂ©sente-t-elle aujourd’hui ?

         « OuiShare a pour mission d’apporter aux citoyens, aux institutions publiques et aux entreprises la capacitĂ© de dĂ©velopper une Ă©conomie collaborative fondĂ©e sur le partage, la collaboration et l’ouverture en s’appuyant sur des communautĂ©s et des rĂ©seaux horizontaux. Nous croyons que cette Ă©conomie peut rĂ©soudre une bonne part des dĂ©fis complexes auxquels le monde fait face et permettre Ă  chacun d’accĂ©der aux ressources et aux opportunitĂ©s dont il a besoin pour vivre.

         Comme communautĂ© globale, non tournĂ©e vers la recherche du profit, les activitĂ©s de OuiShare consistent Ă  construire une communautĂ©, produire de la connaissance, discuter de projets en rapport avec la communautĂ© et avec l’économie collaborative, offrir un soutien aux individus et aux organisations Ă  travers une formation et des services professionnels ».

         OuiShare trouve son identité dans un ensemble de valeurs qui inspirent comportements et orientations.

« Voici les principes qui nous unissent. Ces principes ne sont pas apparus en un jour, mais ils sont le produit d’un long processus qui a commencĂ© au second  sommet de OuiShare Ă  Rome en novembre 2012. Cette liste exprime un mouvement et elle continuera Ă  Ă©voluer. Ces valeurs se dĂ©clinent autour des termes suivants :

° Transparence

° Ouverture : organisation non hiérarchique à laquelle chacun peut se joindre et participer. Un processus qui est fondé sur le gouvernement des pairs

° Rencontre avec les gens de la vie rĂ©elle : l’internet ne peut remplacer le contact avec la vie rĂ©elle

° InventivitĂ© « Permanent Beta » : Ouishare est une expĂ©rience avec une approche de start up. Avec curiositĂ© et ouverture, nous nous efforçons d’entreprendre continuellement des choses nouvelles

° Inclusion : Ouishare bénéficie de contributions trÚs variées

° Indépendance : refus de toute dépendance ; pas de partenariats exclusifs

° Action : agir sans attendre

° Jeu : le travail ne doit pas ĂȘtre ennuyeux

° Feedback : contribue à la participation

° Impact : accélérer le mouvement vers une économie plus participative

Cette liste exprime bien un accent sur le partage, l’ouverture et la crĂ©ativitĂ©.

On peut observer dans OuiShare une dynamique d’association et de participation. Cette dynamique est facilitĂ©e par l’engagement  de membres plus engagĂ©s dans un travail d’animation et de mise en contact : une cinquantaine de « connecteurs ». Le terme : connection est lui-mĂȘme significatif. Cette communautĂ© se dĂ©veloppe dans une connection en rĂ©seau. Mais le processus ne repose pas seulement sur internet. Les organisateurs insistent sur l’importance des rencontres et ils organisent des Ă©vĂšnements qui permettent aux membres de faire connaissance et de partager leurs expĂ©riences et leurs projets.

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FĂȘte 2014 de OuiShare : l’ñge des communautĂ©s

Et c’est ainsi que, du 5 au 7 mai 2014, Ă  Paris, au Cabaret Sauvage, a eu lieu la fĂȘte 2014 de OuiShare : « L’ñge des communautĂ©s ». Venant de 50 pays, 1000 participants s’y sont retrouvĂ©s. Un moment trĂšs dense avec 120 sessions et 140 contributeurs, mais aussi des espaces oĂč la convivialitĂ© et la crĂ©ativitĂ© ont pu s’exprimer en tĂ©moignant de la vitalitĂ© d’une jeune gĂ©nĂ©ration (6). On pourra accĂ©der Ă  cette rĂ©flexion commune Ă  travers une remarquable politique de communication associant diffĂ©rents apports : vidĂ©os, e books, mais aussi graphismes sur des registres diffĂ©rents oĂč l’expression personnelle est bien prĂ©sente (7). OuiShare publie Ă©galement un magazine. La crĂ©ativitĂ© se dĂ©ploie.

Dans la reconfiguration actuelle du rapport entre individus et entitĂ©s sociales, on assiste aujourd’hui Ă  la montĂ©e d’aspirations nouvelles comme un dĂ©sir de convivialitĂ© et une recherche de sens (8). Le dĂ©veloppement de la communautĂ© OuiShare tĂ©moigne d’un changement en profondeur dans les reprĂ©sentations et les comportements. Cette Ă©mergence se rĂ©alise Ă  travers la convergence d’acteurs agissant dans des champs diffĂ©rents. OuiShare est une communautĂ© connectĂ©e qui favorise et suscite la crĂ©ativitĂ© et l’esprit d’initiative chez les participants. On pourra interprĂ©ter ce phĂ©nomĂšne sur diffĂ©rents registres (9). Et le processus Ă  l’Ɠuvre dans cette communautĂ© peut faire Ă©cole dans d’autres champs. Dans le climat français actuel, oĂč morositĂ© et manque de confiance se font sentir, l’émergence de OuiShare est une bonne nouvelle.

J H

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(1)            Novel (Anne-Sophie), Riot (Stéphane). Vive la CO-révolution. Pour une société collaborative. Alternatives, 2012 (ManifestÎ)

(2)            Sur ce blog : PrĂ©sentation du livre : Vive la Co-rĂ©volution » « Une rĂ©volution de « l’ĂȘtre ensemble » : https://vivreetesperer.com/?p=1394

Egalement sur ce blog, une interview de Pippa Soundy Ă  propos du livre : « Vive la Co-rĂ©volution » : « Pour une sociĂ©tĂ© collaborative. Un avenir pour l’humanitĂ© dans l’inspiration de l’Esprit » : https://vivreetesperer.com/?p=1534

(3)            Novel (Anne-Sophie). La vie share. Mode d’emploi. Consommation, partage et modes de vie collaboratifs. Alternatives, 2013 (Manifestî)

(4)            Blog de Anne-Sophie Novel (M blog) : « MĂȘme pas mal ! Partage d’alternatives pour mode de vie en temps de crise » : http://alternatives.blog.lemonde.fr/

(5)            Site de Ouishare : http://ouishare.net/en

(6)            Présentation du festival 2014 de OuiShare dans sa dynamique et sa diversité sur le site : We demain (Une revue. Un site. Une communauté) : http://www.wedemain.fr/La-generation-co-prepare-l-avenir-au-OuiShare-Fest_a512.html

La revue : We Demain promeut l’économie collaborative, les recherches innovantes et les causes Ă©cologiques.

(7)            Une politique de communication pour transmettre tout l’apport du festival : http://magazine.ouishare.net/2014/05/ouishare-fest-collaborative-economy/

(8)            « Emergence d’espaces conviviaux et aspirations contemporaines », sur le site de TĂ©moins : http://www.temoins.com/parcourir-le-site/recherche-et-innovation/etudes/1012–emergence-despaces-conviviaux-et-aspirations-contemporaines-troisieme-lieu-l-third-place-r-et-nouveaux-modes-de-vie.html

(9)            Sur ce blog, nous trouvons inspiration dans la pensĂ©e thĂ©ologique de JĂŒrgen Moltmann. Dans le livre : « Dieu dans la crĂ©ation » (Cerf, 1988), Moltmann reconnaĂźt l’Esprit de Dieu Ă  l’Ɠuvre dans la crĂ©ation, dans le monde et dans l’humanitĂ©. Il Ă©crit : « Tout existe, vit et se meut dans l’autre, l’un dans l’autre, l’un avec l’autre, l’un pour l’autre, dans les structures cosmiques de l’Esprit divin
 L’« essence » de la crĂ©ation dans l’Esprit est par consĂ©quent la « collaboration », et les structures manifestent la prĂ©sence de l’Esprit, dans la mesure oĂč elles font reconnaĂźtre l’« accord gĂ©nĂ©ral ». « Au commencement Ă©tait la relation » (M Buber) (p 25). C’est dire l’importance de tout mouvement qui tend vers la collaboration et le partage.