Pour une vision holistique de l’Esprit

Avec JĂŒrgen Moltmann et Kirsteen Kim

Selon les chemins que nous avons parcouru, le mot Esprit peut Ă©voquer une rĂ©sonance diffĂ©rente. Ce peut ĂȘtre l’évocation d’un groupe de priĂšre oĂč l’Esprit porte le dĂ©sir de vivre en harmonie avec JĂ©sus, avec Dieu et d’entrer dans un mouvement de louange. Pour d’autres, c’est ce qui est dit du Saint Esprit dans la vie d’une Ă©glise. Et puis, pour ceux qui se disent « spirituels et pas religieux », ce peut ĂȘtre reconnaitre une prĂ©sence au delĂ  de la surface des choses, une expĂ©rience de vie. Quoiqu’il en soit, dans une perspective chrĂ©tienne, il y aujourd’hui une attention croissante portĂ©e Ă  l’Esprit Saint. Et on sort des sentiers battus. L’Esprit Saint n’est plus seulement  observĂ© dans l’Eglise. On le voit Ă  l’Ɠuvre dans l’humanitĂ©, dans la nature, dans toute la crĂ©ation.

Partager le mouvement actuel de la thĂ©ologie qui dĂ©passe les cloisonnements et les barriĂšres et met en Ă©vidence l’Ɠuvre de l’Esprit, c’est nous aider Ă  reconnaĂźtre la prĂ©sence divine dans le monde, dans l’univers, porteuse d’amour, de vie, de libĂ©ration. Cette prise de conscience d’une prĂ©sence active de l’Esprit, bien au delĂ  des frontiĂšres des Ă©glises est relativement rĂ©cente. Dans cette transformation du regard, un rĂŽle majeur a Ă©tĂ© exercĂ© par le thĂ©ologien, JĂŒrgen Moltmann, Ă  travers la publication de son livre : « L’Esprit qui donne la vie » (1). Sa pensĂ©e est prĂ©sente sur ce blog (2). Pourquoi donc revenir ici sur ce thĂšme ? De fait, Moltmann ayant ouvert la porte d’une thĂ©ologie de l’Esprit (3). Celle-ci se dĂ©veloppe aujourd’hui Ă  l’échelle mondiale. Un livre vient Ă  nous informer Ă  ce sujet en mettant en valeur des mouvements significatifs. LĂ  aussi, c’est un dĂ©passement des frontiĂšres. Ce livre : « Holy Spirit in the world. Global conversation » (4) est Ă©crit par Kirsteen Kim ; une thĂ©ologienne dont l’itinĂ©raire est lui-mĂȘme international puisqu’elle-mĂȘme, anglaise, s’est mariĂ©e Ă  un corĂ©en, a enseignĂ© en CorĂ©e et en Inde, et, de retour en Angleterre, a Ă©tĂ© invitĂ©e Ă  enseigner Ă  la facultĂ© Fuller aux Etats-Unis.

Le livre de Moltmann sur l’Esprit est paru d’abord en allemand en 1991 : « Das Geist des lebens. Eine Ganzheiliche pneumatologie », puis en anglais : « Spirit of life. An universal affirmation » (1992), enfin en 1999 en français : « L’Esprit qui donne la vie. Une pneumatologie intĂ©grale » (1). Le terme : pneumatologie, bizarre Ă  priori pour le non spĂ©cialiste, est issu de « pneuma », en grec, esprit. Les diffĂ©rents titres, dans leur spĂ©cificitĂ© linguistique rendent compte du contenu de l’ouvrage. Nous retenons ici le terme : « ganzheitlich » qui peut ĂȘtre traduit en terme de : « holistique », une approche globale, unifiante. Cette dĂ©marche est mise en valeur par Kirsteen Kim lorsqu’elle Ă©crit : « Moltmann Ă©largit la thĂ©ologie de l’Esprit lorsqu’il associe l’Esprit avec la vie, non pas « la vie contre le corps », mais « la vie qui apporte la libĂ©ration et la transfiguration du corps » et en considĂ©rant le rĂŽle de l’Esprit dans toutes ses dimensions de salut : libĂ©ration, justification, renaissance, sanctification, puissance charismatique, expĂ©rience mystique et fraternitĂ©. En reliant tout ceci au politique aussi bien qu’au personnel, au matĂ©riel aussi bien qu’au spirituel, il essaie de montrer le caractĂšre holistique de la thĂ©ologie de l’Esprit, un point qui est mis en valeur par le sous-titre de l’édition allemande originale » (p 61).

 

L’Esprit qui donne la vie

https://m.media-amazon.com/images/I/41Y7SDSBMGL.jpg De fait, cette dimension holistique est Ă©galement exprimĂ©e dans le descriptif du livre : « L’Esprit qui donne la vie ». La pensĂ©e de Moltmann est une pensĂ©e qui relie. « Se plaçant dans une perspective oecumĂ©nique, Moltmann intĂšgre les apports de la thĂ©ologie orthodoxe, mais Ă©galement les expĂ©riences « pentecostales » des jeunes Ă©glises. Il entend honorer l’expĂ©rience du sujet et de son expĂ©rience Ă  l’époque moderne ainsi que les prĂ©occupations Ă©cologiques d’aujourd’hui
 L’auteur cherche Ă  Ă©laborer une thĂ©ologie de l’Esprit Saint susceptible de dĂ©passer la fausse alternative souvent rĂ©itĂ©rĂ©e dans les Eglises, entre la RĂ©vĂ©lation divine qu’elles ont pour mission de sauvegarder et les expĂ©riences humaines de l’Esprit. Il entend mettre ainsi en valeur les dimensions cosmiques et corporelles de l’Esprit « crĂ©ateur et recrĂ©ateur » qui transgresse toutes les frontiĂšres prĂ©Ă©tablies ».

DĂ©jĂ  dans la « ThĂ©ologie de l’espĂ©rance », Moltmann avait rĂ©alisĂ© une Ɠuvre pionniĂšre en mettant en phase plusieurs courants de pensĂ©e. A nouveau, dans « L’Esprit qui donne la vie », il abaisse des frontiĂšres et permet de nouvelles synthĂšses. Ce mouvement est dĂ©crit et mis en valeur par D. Lyle Dabney dans un remarquable article : « L’avĂšnement de l’Esprit. Le tournant vers la thĂ©ologie de l’Esprit dans la ThĂ©ologie de JĂŒrgen Moltmann » (3). Lyle Dabney nous permet de comprendre le chemin de libĂ©ration suivi par Moltmann. JĂŒrgen Moltmann a pris progressivement conscience que la thĂ©ologie occidentale, catholique et protestante, Ă©tait dans une impasse historique par la mĂ©connaissance de la personnalitĂ© propre de l’Esprit. Celui-ci Ă©tait envisagĂ© en situation de subordination par rapport au PĂšre et au Fils. Dans son livre sur la TrinitĂ© et le Royaume (paru en 1980 dans sa version anglophone), Moltmann fait mouvement pour sortir de cette subordination. « Nous voyons une thĂ©ologie qui s’éloigne de la subordination illĂ©gitime de la pneumatologie Ă  la christologie qui a marquĂ© la tradition occidentale » et il en rĂ©sulte que, pour la premiĂšre fois, la thĂ©ologie peut sĂ©rieusement considĂ©rer l’Esprit comme « un sujet de l’activitĂ© divine Ă  cotĂ© du PĂšre et du Fils ce qui permet une comprĂ©hension nouvelle ». « L’histoire de JĂ©sus est aussi incomprĂ©hensible sans l’action de l’Esprit qu’elle ne le serait sans le Dieu qu’il appelle mon PĂšre ». On entre ainsi dans une vraie thĂ©ologie trinitaire. Cinq ans plus tard dans « La thĂ©ologie de la crĂ©ation », Moltmann parle de l’Esprit de Dieu prĂ©sent dans toute la crĂ©ation. Il sort d’une thĂ©ologie qui met en contradiction Dieu et le monde et oppose la rĂ©demption et la crĂ©ation. « L’Esprit de Dieu n’est pas actif seulement dans la rĂ©demption, mais dans la crĂ©ation ». « Si l’Esprit cosmique est l’Esprit de Dieu, alors l’univers ne peut ĂȘtre conçu comme un systĂšme fermĂ©. Il doit ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un systĂšme ouvert, ouvert Ă  Dieu et Ă  son futur ». Dans son livre suivant, « Le chemin de JĂ©sus-Christ », Moltmann met en Ă©vidence combien la vie de JĂ©sus-Christ est interconnectĂ©e au PĂšre et Ă  l’Esprit. Finalement Moltmann Ă©crit « L’Esprit qui donne la vie », consacrant ainsi un livre entier Ă  la thĂ©ologie de l’Esprit. C’est une exploration qui rĂ©capitule Ă©galement tous les acquis de l’évolution antĂ©rieure.

 

Le Saint Esprit dans le monde

 Si Moltmann a ainsi ouvert la voie Ă  la fin du XXe siĂšcle, le livre de Kirsteen Kim : « The Holy Spirit in the world » (4) paru au dĂ©but du XXIe tĂ©moigne d’une expansion rapide de la thĂ©ologie de l’Esprit Ă  travers une « conversation » internationale comme le suggĂšre le sous-titre : « A global conversation ». Mais Ă  quoi tient donc l’engagement de Kirsteen Kim ? Elle nous le dit dans sa prĂ©face. L’inspiration initiale provient de son expĂ©rience du renouveau charismatique dans sa jeunesse : « La premiĂšre chose que j’ai compris de la thĂ©ologie de l’Esprit a Ă©tĂ© celle-ci : quand Dieu nous appelle Ă  suivre JĂ©sus, il n’est pas seulement attendu de nous que nous reproduisions la conduite d’une figure historique lointaine en « étant bon », mais il nous est donnĂ© le pouvoir de devenir comme JĂ©sus. L’Esprit me semblait une Ă©nergie invisible et un genre de moyen surnaturel qui me connectait Ă  Dieu et Ă  mes amis chrĂ©tiens » (p V). Cependant, son entourage a gĂ©nĂ©ralement Ă©tĂ© rĂ©fractaire Ă  cette vision. Plus tard, Kirsteen a entendu diffĂ©rentes interprĂ©tations de l’Esprit. Puis elle s’est mariĂ©e Ă  un corĂ©en, et en CorĂ©e dans son Ă©glise, elle a dĂ©couvert une grande confiance dans la puissance de l’Esprit. Au cours de son sĂ©jour en Inde, elle a rencontrĂ© un grand intĂ©rĂȘt pour la spiritualitĂ© et a pu se rĂ©fĂ©rer Ă  des thĂ©ologiens indiens dont la pensĂ©e sur l’Esprit est en phase avec la culture indienne. Puis, de retour en Angleterre, elle a constatĂ© une ouverture nouvelle aux expĂ©riences spirituelles de tous genres. Mais, dans l’universitĂ©, le monde semblait se rĂ©duire Ă  la matiĂšre et Ă  l’humain. « Ce livre est donc une consĂ©quence de mon effort pour faire apparaĂźtre le sens de ces expĂ©riences variĂ©es de l’Esprit et la signification du concept correspondant. C’est aussi l’expression du dĂ©sir que, dans l’Occident actuel, nous puissions ĂȘtre capables de porter le message de l’Evangile d’une façon plus significative en nous appuyant sur l’Esprit
 N’est-ce pas le rĂŽle de l’Esprit de prĂ©parer le monde pour recevoir Christ ?» (p VI).

Ce livre nous entraine donc dans une prĂ©sentation de la thĂ©ologie de l’Esprit et de son dĂ©veloppement durant la prĂ©cĂ©dente quinzaine d’annĂ©es. Il expose les fondements exĂ©gĂ©tiques, la pensĂ©e des thĂ©ologiens, la conversation sur l’Esprit dans le mouvement ƓcumĂ©nique, la maniĂšre d’envisager l’Esprit dans la Mission, la thĂ©ologie de l’Esprit telle qu’elle s’est dĂ©veloppĂ©e dans deux pays d’Asie, l’Inde et la CorĂ©e, en phase avec leur culture. Kirsteen Kim nous invite Ă  une rĂ©flexion thĂ©ologique internationale. A cet Ă©gard, la contribution de l’Inde et de la CorĂ©e est particuliĂšrement instructive.

 

La thĂ©ologie de l’Esprit en CorĂ©e : diversitĂ© et ouverture

 Lorsqu’on apprend Ă  connaitre la thĂ©ologie en CorĂ©e, on en perçoit une grande originalitĂ©. Elle apporte des rĂ©ponses aux questions que nous pouvons nous poser sur la maniĂšre dont nous envisageons de rĂŽle du Saint Esprit. Nous avons dĂ©couvert la thĂ©ologie corĂ©enne Ă  travers des publications de Kirsteen Kim accessibles sur internet, telle que : « Le passĂ©, le prĂ©sent, le futur de la thĂ©ologie corĂ©enne. Perspectives pneumatologiques » (5). Nous nous sommes ensuite reportĂ© Ă  son livre sur « le Saint Esprit dans le monde » et au chapitre correspondant sur la CorĂ©e. Ces textes trĂšs informĂ©s et trĂšs denses ne peuvent ĂȘtre rĂ©sumĂ©s ici. Nous chercherons simplement Ă  rĂ©pondre aux questions suivantes : Quel est le contexte de cette thĂ©ologie ? Quelle en est l’originalité ? En quoi, nous pouvons y trouver des enseignements fondamentaux ?

Le christianisme a commencĂ© Ă  prendre son essor en CorĂ©e au dĂ©but du XXe siĂšcle. Cependant, le paysage religieux corĂ©en est marquĂ© par des influences historiques. En arriĂšre plan, il y a le chamanisme et sa relation avec les esprits. Venues Ă  travers la Chine, il y a deux grandes civilisations religieuses : le bouddhisme et le confucianisme. On peut reconnaĂźtre des influences culturelles de ces pratiques religieuses dans des courants du christianisme corĂ©en. Ainsi on pourra dire que tel courant a un mode paternel parce qu’il se meut socialement et culturellement dans une dimension patriarcale issue du confucianisme et que telle autre a un aspect maternel et fĂ©minin en y percevant un hĂ©ritage du chamanisme. La thĂ©ologie reflĂšte Ă©galement ces influences.

Le christianisme corĂ©en s’inscrit dans l’histoire politique et Ă©conomique de la CorĂ©e. Pendant les premiĂšres dĂ©cennies du XXe siĂšcle, la CorĂ©e a subi la tutelle dominatrice du Japon. Les chrĂ©tiens corĂ©ens ont participĂ© activement Ă  la lutte pour l’indĂ©pendance nationale. Ce fut le cas lors du « rĂ©veil », du mouvement dans l’Esprit en 1907. Aujourd’hui le grand problĂšme est celui de la division entre les deux CorĂ©es, la CorĂ©e du Nord Ă©tant sous une domination communiste totalitaire. Les chrĂ©tiens corĂ©ens participent activement aux tentatives de dialogue et de rĂ©conciliation. Aujourd’hui, la CorĂ©e du sud est un des pays du monde les plus dĂ©veloppĂ©s technologiquement et Ă©conomiquement. Ce remarquable essor est intervenu dans la seconde moitiĂ© du XXe siĂšcle. Tout au long de ce dernier siĂšcle, l’image des chrĂ©tiens a Ă©tĂ© associĂ©e Ă  la modernisation.

Il y a eu également une participation importante des chrétiens dans les luttes pour le progrÚs social, ce dont témoigne la théologie Minjung.

En 2005, 30% de la population corĂ©enne est chrĂ©tienne, dans une version protestante ou catholique, la version protestante Ă©tant quelque peu majoritaire. Au dĂ©but du XXe siĂšcle, les chrĂ©tiens Ă©taient trĂšs peu nombreux. Cet essor rapide du christianisme, exceptionnel en Asie, est donc remarquable. Dans la premiĂšre moitiĂ© du siĂšcle, il s’est opĂ©rĂ© Ă  travers de grands mouvements dans l’Esprit, des « rĂ©veils ». L’histoire du christianisme corĂ©en est marquĂ©e par l’inspiration de l’Esprit et une dimension pentecĂŽtisante. Aujourd’hui, une des plus grandes Ă©glises en CorĂ©e se rĂ©clame directement du pentecĂŽtisme : l’Église Yoido Full Gospel, dont la figure rĂ©putĂ©e est celle de David Yonggi Cho, une megachurch avec plusieurs centaines de milliers de membres. Mais ce n’est lĂ  qu’une des manifestations, dans une expression spĂ©cifique, du dynamisme suscitĂ© en CorĂ©e par l’inspiration de l’Esprit.

Dans ce contexte, la thĂ©ologie tĂ©moigne d’une rĂ©flexion riche et diverse qui s’est dĂ©veloppĂ©e tout au long du XXe siĂšcle. En fonction du rĂŽle jouĂ© par l’inspiration de l’Esprit dans la vie des Ă©glises en CorĂ©e, « la ‘ pneumatologie ’ est centrale dans la thĂ©ologie corĂ©enne ». C’est ce que nous dĂ©crit Kirsteen Kim : « C’est parce que le rĂ©veil corĂ©en de 1907, qui est gĂ©nĂ©ralement considĂ©rĂ© comme le point oĂč le protestantisme est devenu une religion corĂ©enne, est presque toujours interprĂ©tĂ© comme l’Ɠuvre du Saint Esprit qui a Ă©tĂ© dĂ©versĂ© sur la CorĂ©e, une PentecĂŽte corĂ©enne. Le rĂ©veil a dotĂ© le protestantisme corĂ©en d’un sens profond du mouvement dynamique de l’Esprit dans l’histoire et le monde matĂ©riel qui constitue une matrice pour la rĂ©flexion thĂ©ologique en CorĂ©e. Bien plus, les thĂ©ologiens corĂ©ens ont, dans beaucoup de cas, rĂ©flĂ©chi au delĂ  des restrictions portant sur l’Ɠuvre de l’Esprit chez leurs homologues occidentaux. Ils ont vu l’importance du dĂ©veloppement de la thĂ©ologie de l’Esprit dans le contexte de la reconnaissance des nombreux esprits des diffĂ©rentes religions et de l’expĂ©rience de vivre dans le troisiĂšme Ăąge de l’Esprit. Ils apprĂ©cient l’importance du discernement de l’Esprit et la pertinence de la pneumatologie dans la vie politique, la subsistance, la culture et le genre » (5) (p 9-10).

Kirsteen Kim nous expose les courants actuels de la thĂ©ologie en CorĂ©e dans une description qui en montre la richesse et la profondeur ; Nous rapportons ici son exposĂ© introductif. «A partir des annĂ©es 1960, la thĂ©ologie corĂ©enne a commencĂ© Ă  s’épanouir comme une fleur de lotus et s’est dĂ©veloppĂ©e en plusieurs courants. Cela incluait une aile conservatrice qui peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme la continuation d’un Ă©vangĂ©lisme « mainstream ». Les nouveaux mouvements ont Ă©tĂ© une thĂ©ologie progressiste mettant l’accent sur la libĂ©ration politique et centrĂ©e sur les problĂšmes socio-historiques qui s’est fait connaĂźtre sous l’appellation de la thĂ©ologie Minjung ; un courant pentecĂŽtiste connu comme le mouvement du plein Évangile ; un courant libĂ©ral qui pense chercher Ă  inculturer l’Évangile en CorĂ©e en dialogue avec les autres traditions religieuses de la nation ; et une combinaison radicale de thĂ©ologie fĂ©ministe et d’éco-thĂ©ologie ». Kirsteen Kim nous montre comment ces diffĂ©rentes thĂ©ologies sont fondamentalement pneumatologiques. Chacune d’elles s’appuient sur les diffĂ©rentes significations bibliques de l’Esprit dans la tradition corĂ©enne. Suh a dans l’esprit « Ki », la force de vie (GenĂšse 1.2) ; Cho est centrĂ© sur « shin », Dieu, le Grand Esprit (Actes 2 ; Mathieu 12.28) ; Ryu pense à « ol », l’ñme primordiale du peuple (GenĂšse 2.7) et Chung traite avec le monde de « kuishin », les esprits (Romains 8.19-23)(5) (p 12).

En regardant vers l’avenir, Kirsteen Kim s’interroge sur les apports potentiels de la thĂ©ologie corĂ©enne Ă  la conversation thĂ©ologique internationale. Elle identifie quatre domaines dans lesquels la contribution des thĂ©ologiens corĂ©ens serait importante : « la rĂ©conciliation, la cyberthĂ©ologie, la thĂ©ologie de la puissance et la thĂ©ologie du pluralisme » (p 15). On se reportera Ă  ses analyses. A partir de ce qu’on sait maintenant de l’Ɠuvre de l’Esprit en CorĂ©e, on imagine combien l’expĂ©rience chrĂ©tienne corĂ©enne dans une sociĂ©tĂ© plurielle et les tensions qu’elle comporte peut nous Ă©clairer dans les voies de la rĂ©conciliation. DiffĂ©rents approches se manifestent : humanisation, guĂ©rison, harmonisation
 C’est un esprit de paix qui se manifeste aussi dans le discernement des esprits, une reconnaissance de ceux-ci qui ne dĂ©bouche pas sur les confrontations brutales qui sont, un moment, apparues en Occident, dans les proclamations de Peter Wagner et John Wimber. Ici le discernement s’allie Ă  un esprit de paix et Ă  une approche thĂ©rapeutique (5) (p 19-20).

Grace Ă  la recherche et Ă  la rĂ©flexion de JĂŒrgen Moltmann dans « L’Esprit qui donne la vie », et de Kirsteen Kim dans ses nombreuses publications et particuliĂšrement celles sur la CorĂ©e, nous avons maintenant accĂšs Ă  une thĂ©ologie de l’Esprit. Cette thĂ©ologie a le grand mĂ©rite de nous prĂ©munir contre les tendances sectaires, les enfermements dans un individualisme spirituel, les idĂ©ologies fondamentalistes que l’on peut observer dans certains milieux. Mais, plus encore, elle nous ouvre un horizon non seulement par la confiance nourrie en nous par la prĂ©sence active de l’Esprit, mais aussi par une vision holistique en phase avec une thĂ©ologie de l’espĂ©rance.

J H

  1. JĂŒrgen Moltmann. L’Esprit qui donne la vie. Seuil, 1999
  2. « Un Esprit sans frontiÚres » : https://vivreetesperer.com/un-esprit-sans-frontieres/
  3. « D Lyle Dabney. The advent of the Spirit. The turn to pneumatology in the theology of JĂŒrgen Moltmann (The Ashbury theological journal. Spring 1993) : https://place.asburyseminary.edu/cgi/viewcontent.cgi?referer=https://www.google.fr/&httpsredir=1&article=1474&context=asburyjournal
  4. Kirsteen Kim. The Holy Spirit in the world. A global conversation. SPCK, 2007. Kirsteen Kim est Ă©galement l’auteure avec son mari, Sebastian Kim du livre : « Christianity as a world religion. Bloomsbury, 2016 (2e Ă©d).
  5. Kitsteen Kim. The Past, Present and Future of Korean Theology. Pneumatological perspectives. 2010 (Kirsten Kim a Ă©tĂ© coordinatrice de la recherche Ă  la confĂ©rence d’Edinbourg, en centiĂšme anniversaire de la premiĂšre confĂ©rence mondiale missionnaire en 1910) : http://www.pcts.ac.kr/pctsrss/js_rss/zupload/학술발표3-컀슀틎êč€(영얎).pdf

Devenir plus humain

 

Une culture de l’amour, de l’accueil de l’autre, d’acceptation de la diffĂ©rence.

 

Jean Vanier (1), le fondateur de « l’Arche » (2), un ensemble de communautĂ©s qui accueillent des personnes handicapĂ©es mentales dans des lieux de vie partagĂ©e, a reçu le prix de la fondation Templeton (3), une organisation qui Ɠuvre pour le dĂ©veloppement spirituel dans la reconnaissance conjuguĂ©e de l’apport des sciences et des religions. A cette occasion, dans une interview en vidĂ©o (4) ; « Jean Vanier parle sur les grandes questions » et il nous communique sa vision d’une sociĂ©tĂ© plus humaine oĂč chacun est reconnu, respectĂ©, aimĂ©, et oĂč l’on peut  trouver dans une petite voix intĂ©rieure l’inspiration pour Ɠuvrer en ce sens. « La vision de Dieu, c’est que nous nous aimions les uns les autres, que nous nous respections les uns et les autre, qu’on voit chez l’autre, diffĂ©rent, le trĂ©sor de son ĂȘtre ». Cette interview ouvre notre cƓur et notre regard. Ces quelques notations recueillies lors de son audition pourront contribuer Ă  baliser notre rĂ©flexion et notre mĂ©ditation.

 

Devenir pleinement humain

 

Etre pleinement humain, c’est reconnaĂźtre notre condition humaine dans ses limitations : « Nous sommes des ĂȘtres qui n’existaient pas, il y a quelques annĂ©es et nous n’existerons pas, de la mĂȘme façon, dans quelques annĂ©es. Devenir pleinement humain, c’est accepter la rĂ©alité : je suis nĂ© un tout petit enfant. Je vais mourir, pauvre. Nous sommes tous des ĂȘtres vulnĂ©rables »

Mais l’ĂȘtre humain est aussi porteur d’un grand potentiel, car il est dotĂ© Ă  la fois d’une tĂȘte et d’un cƓur. « La tĂȘte, qui a besoin de savoir, de connaĂźtre, de rechercher, de chercher. C’est une intelligence extraordinaire pour faire des choses et prendre notre place. Et aussi le cƓur, une capacitĂ© d’apprĂ©cier l’autre, diffĂ©rent ». Face Ă  un monde marquĂ© par les rivalitĂ©s, « la question est de dĂ©couvrir ce qui est le plus intime dans l’ĂȘtre humain, c’est Ă  dire le cƓur, la capacitĂ© d’aimer, la capacitĂ© de voir dans l’autre, diffĂ©rent, ce qui est bon : « Tu es beau. Tu as des choses Ă  donner ».

« Il y a besoin d’une unitĂ© entre la tĂȘte et le cƓur « pour que j’utilise mon intelligence non pas pour avoir plus de pouvoir, mais pour faire de belles choses, pour aller vers un monde oĂč il y a plus de paix, plus d’accueil des gens, plus d’amour »

Dans le cƓur de l’homme, il y a le dĂ©sir constant de l’infini ». On cherche Ă  avoir plus d’argent, plus de pouvoir, mais aussi « à dĂ©couvrir que dans l’approche de l’infini, il y a une recherche de Dieu ».

 

Quel est le rĂȘve de Dieu pour l’humanité ?

 

« Le rĂȘve de Dieu pour l’humanitĂ©, c’est l’unité »

Mais d’oĂč venons-nous ? Il fut un temps oĂč il y a eu l’esclavage, l’horreur de l’esclavage »…il fut un temps oĂč on parlait des gens d’Afrique oĂč des premiĂšres nations du Canada comme des sauvages. Heureusement aujourd’hui, on les reconnaĂźt comme des ĂȘtres humains et on considĂšre leurs traditions comme des traditions importantes, profondĂ©ment humaines
De la mĂȘme façon, les personnes avec un handicap Ă©taient longtemps considĂ©rĂ©es comme une honte pour les familles et mĂȘme comme une punition de Dieu pour des pĂ©chĂ©s ou des mĂ©faits des ancĂȘtres
 On est en train de dĂ©couvrir que chaque personne (quelque soit son statut) est vraiment une personne »

Nous avons vĂ©cu une prise de conscience : « Avec la fin de la guerre 39-45, on a dĂ©couvert Auschwitz. On a dĂ©couvert aussi l’horreur de la bombe atomique. On peut connaĂźtre le suicide. Il faut qu’il y ait un changement »

Jean Vanier nous parle de la vision de Dieu : « La vision de Dieu, c’est une Ă©volution progressive de l’humanitĂ©. C’est que nous nous aimions les uns les autres, que nous nous respections les uns les autres, qu’on voit chez l’autre diffĂ©rent le trĂ©sor de son ĂȘtre. Chaque personne est importante
 Alors, c’est lĂ  la vision de Dieu. C’est que, petit Ă  petit, dans la terrible lutte entre l’injustice et la justice, que progressivement de plus en plus de personnes prennent conscience que notre Dieu est le Dieu de la paix, le Dieu de la communion et le Dieu de l’unitĂ©. La vision de Dieu est que je change, que nous changions, pour que nous devenions plus juste et plus humain ».

 

Une expérience personnelle et collective : la rencontre avec les personnes ayant un handicap mental 

 

Jean Vanier nous parle de l’expĂ©rience personnelle qu’il a vĂ©cu et qui a Ă©tĂ© le point de dĂ©part du dĂ©veloppement des communautĂ©s de l’Arche.

« Je vais vous parler  un petit peu de mon expĂ©rience. J’étais officier dans la marine. J’ai quittĂ© la marine pour suivre JĂ©sus. J’ai fait des Ă©tudes. Et, en 1964, j’ai dĂ©couvert les personnes ayant une dĂ©ficience intellectuelle. Je peux dire que je ne pouvais pas imaginer ce que j’ai vu, combien ces hommes et ces femmes sont humiliĂ©s, mis dans de grandes institutions, enfermĂ©s, mis de cĂŽtĂ©. Les parents ont honte d’avoir un enfant comme cela. Ils sont perçus comme dĂ©biles, idiots et, Ă  l’école, on se moque d’eux ».

Un  jour, Jean Vanier a Ă©tĂ© confrontĂ© personnellement Ă  cette situation. « J’ai dĂ©couvert des hommes dans une institution trĂšs violente et trĂšs fermĂ©e. Je sentais que je ne pouvais pas faire quelque chose dans cette institution, mais comme je voulais ĂȘtre disciple de JĂ©sus, j’avais envie de faire quelque chose. Et la seule chose que j’ai fait, c’est de commencer Ă  vivre ensemble avec RaphaĂ«l qui avait eu une mĂ©ningite, qui Ă©tait fragile, avec Philippe qui avait eu une encĂ©phalite, qui parlait beaucoup. Ils n’avaient pas de famille. Et je ne pouvais pas imaginer qu’ils restent en institution toute leur vie. C’était donc pour moi Ă©vident : on allait vivre ensemble.

Et c’était extraordinaire parce qu’on s’amusait. Les personnes qui ont un handicap mental ne sont pas des gens qui vont parler d’économie, de philosophie, de politique.  Ce qu’ils ont envie, c’est de rigoler, d’avoir de la joie, de vivre.  Donc, il y a un langage : le langage de l’affectivitĂ©, le langage de la joie, le langage de la cĂ©lĂ©bration. Et, parce qu’évidemment, ces hommes ont changĂ©, ils ont dĂ©couvert qui ils Ă©taient.

A partir de lĂ , un processus  a commencĂ© et s’est poursuivi dans la communautĂ© de l’Arche.  L’Arche a grandi et aujourd’hui on compte 147 communautĂ©s Ă  travers le monde dans des pays aussi diffĂ©rents que le Bangladesh, le Japon, HaĂŻti. Il y a lĂ  un mĂȘme esprit. « L’amour, ce n’est pas faire des choses pour des gens, c’est rĂ©vĂ©ler Ă  chacun : « Tu as une valeur, tu as les dons que tu as, tu as les difficultĂ©s que tu as, et derriĂšre tout cela, il y a toi ».

Jean Vanier nous rapporte comment une transformation des mentalitĂ©s s’est opĂ©rĂ©e Ă  l’Arche, non seulement chez les aidĂ©s, mais chez les aidants. « Au commencement de l’Arche, dans les annĂ©es 60, les jeunes voulaient un changement dans les universitĂ©s. Il y avait de la turbulence. Les jeunes ne voulaient pas ĂȘtre coincĂ©s par l’autoritĂ©, ils voulaient vivre. Alors beaucoup de jeunes sont venus. Mais ils venaient avec la culture (dominante), une culture du succĂšs, du pouvoir. Ils venaient pour faire le bien aux personnes avec un handicap. Mais, ce qui est Ă©tonnant, ce sont les personnes avec un handicap qui ont touchĂ© le cƓur de ces jeunes assistants et assistantes, elles dont le cƓur du cƓur est leur capacitĂ©, leur beautĂ© dans la relation et dans l’amour
 Au lieu de vouloir ĂȘtre dans une culture du succĂšs, une culture du pouvoir, ils ont dĂ©couvert qu’il y avait une autre culture qui est la culture de l’amour, de l’accueil de l’autre, diffĂ©rent. Accepter la diffĂ©rence, accepter que l’autre, avec ses fragilitĂ©s, avec ses capacitĂ©s aussi, est une personne. Ce sont les personnes avec un handicap qui changeaient ces jeunes assistants et les rendaient plus humains. Donc, il y a quelque chose de trĂšs beau que nous avons dĂ©couvert : ces jeunes gens, merveilleux en gĂ©nĂ©rositĂ©, pouvaient devenir des hommes et des femmes exceptionnels capables d’aimer et de mettre leur intelligence au service de l’autre ».

 

 

La petite voix intérieure

 

« Si la grande question humaine est celle de la libertĂ©, cela nous amĂšne Ă  parler de la petite voix intĂ©rieure. Il y a un document de l’Eglise catholique, au Concile Vatican II, qui dĂ©finit la conscience personnelle. La conscience personnelle, c’est ce qui est le plus important. C’est ce qui donne sa dignitĂ© Ă  l’ĂȘtre humain. La conscience personnelle est le sanctuaire sacrĂ© oĂč chaque ĂȘtre humain entend la voix de Dieu qui l’oriente vers ce qui est juste, vrai et bon et qui le dĂ©tourne de la haine et de l’injustice.

Le Mahatma Gandhi a beaucoup parlĂ© de cette petite voix intĂ©rieure. Comme beaucoup d’autres hommes, il s’est opposĂ© Ă  la tyrannie de la normalitĂ© parce qu’ils voulaient faire ce qui est juste, ce qui est vrai, ce qui est aimant. La petite voix intĂ©rieure est comme une attraction vers la justice, comme une fleur qui est attirĂ©e vers la lumiĂšre, vers le soleil. La petite voix intĂ©rieure, qui est le cƓur du cƓur de l’ĂȘtre humain, c’est la capacitĂ© de lutter pour la justice, pour la vĂ©ritĂ©, pas seulement de lutter, mais de constamment chercher ce qui est vrai, ce qui est juste, pour que nous soyons des hommes et des femmes de paix. Gandhi, Martin Luther King et Mandela, et de grands hommes comme ceux-lĂ , sont tous des hommes qui ont cru qu’ils Ă©taient des ĂȘtres uniques et qu’ils Ă©taient libres, libres de ne pas faire comme tout le monde, de ne pas chercher Ă  ĂȘtre acclamĂ©s, mais libres comme un ĂȘtre humain ».

« Cette petite voix intĂ©rieure, qui est le plus profond de l’ĂȘtre humain, doit ĂȘtre cultivĂ©e ». Cette petite voix me permet « d’ĂȘtre libre pour suivre ma conscience, pour Ɠuvrer pour la justice, l’amour et la vĂ©ritĂ© dans un monde oĂč il y a tellement d’injustice et tellement de peur ».

 

J H

 

(1)            Jean Vanier, fondateur de la communautĂ© de l’Arche, a Ă©galement Ă©crit de nombreux livres : http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Vanier

(2)            Le parcours de « l’Arche » : http://fr.wikipedia.org/wiki/CommunautĂ©s_de_l’Arche_(de_Jean_Vanier)

(3)            Par ses prix annuels, la fondation Templeton a mis en valeur des personnalités oeuvrant pour le développement spirituel : http://www.templetonprize.org

(4)            Vidéo sur You Tube : « Jean Vanier parle des grandes questions » : https://www.youtube.com/watch?v=zjga7L82AgM

 

BLEU, BLEU, BLEU !

Bleu du ciel
Bleu de la mer
Bleu de l’eau
..

Vacances !      Vacances !      Vacances !

Vraiment !?


.    Est-ce le cadre idyllique pour des vacances ? 
.
ou encore, ces vacances seraient-elles des espaces pour vivre les nuances vibrantes de  notre ĂȘtre ?
des inspirations larges et amples du souffle de vie ?
des circulations multiples et colorées dans nos relations ?

Variété de ces bleus tout en nuances !

Je vous souhaite quiétude, en vos découvertes intérieures, relationnelles et géographiques.

Je vous souhaite de chercher et de trouver de l’eau vive pour Ă©tancher vos soifs profondes !

Et si vous dĂ©sirez partager ce que cette peinture  vous inspire, c’est avec joie  que je vous lirai !

Valérie BITZ
Formatrice agréée PRH

 

Vous pouvez utiliser le support de l’expression crĂ©ative pour explorer votre monde intĂ©rieur en ses richesses :

Sur ce blog, voir aussi :
Au cƓur de nous, il y a un espace : https://vivreetesperer.com/au-coeur-de-nous-il-y-a-un-espace/

 

 

Cette lumiĂšre qui est en nous

Selon Michelle Obama

Dans ce monde difficile et incertain, nous avons besoin de points de repĂšre. Ce sont des personnalitĂ©s dont nous sentons qu’elles peuvent nous inspirer Ă  travers leur honnĂȘtetĂ©, leur bienveillance, leur gĂ©nĂ©rositĂ©. Parfois de telles personnalitĂ©s sont particuliĂšrement visibles Ă  travers un rĂŽle Ă©minent dans la vie sociale et politique. Nous pensons Ă  Barack Obama dont nous avons rapportĂ© ici l’autobiographie (1). Mais sa femme, Michelle, qui l’a accompagnĂ© lors de sa prĂ©sidence des États-Unis, apparaĂźt Ă©galement comme une personnalitĂ© remarquable. Elle a dĂ©jĂ  relatĂ© son parcours dans un livre : « Devenir » (2), mais dans son nouvel ouvrage : « Cette lumiĂšre en nous. S’accomplir en des temps incertains » (3), elle nous invite Ă  une rĂ©flexion Ă  partir de son expĂ©rience pour nous aider Ă  affronter les obstacles, Ă  grandir et Ă  poursuivre un chemin de vie.

Et elle peut s’adresser Ă  nous Ă  partir de son parcours. (4). NĂ©e en 1964 Ă  Chicago, elle grandit avec ses parents et son grand frĂšre dans un quartier afro-amĂ©ricain de la ville. Elle est portĂ©e par un climat familial chaleureux et respectueux. « DĂšs son plus jeune Ăąge, ses parents lui apprennent Ă  faire entendre sa voix ». A 24 ans, elle est diplĂŽmĂ©e de la prestigieuse facultĂ© de droit d’Harvard. Elle entre dans un cabinet d’avocat oĂč elle reçoit, comme stagiaire, Barack Obama. Cette rencontre dĂ©bouche sur leur mariage en 1992. Ensemble, ils auront deux filles. Le 4 novembre 2008, Barack Obama est Ă©lu prĂ©sident des États-Unis et elle est la premiĂšre afro-amĂ©ricaine « premiĂšre dame » des États-Unis.

Comme jeune fille noire, elle a du faire face Ă  de nombreuses humiliations. De plus, elle Ă©voque sa grande taille qui ne la servait pas. A partir de cette expĂ©rience, elle est qualifiĂ©e pour nous apprendre Ă  faire face aux rebuffades et Ă  dĂ©velopper persĂ©vĂ©rance et confiance. « Au fil des ces pages », nous dit-elle, « il sera question de trouver son pouvoir personnel, un pouvoir collectif et le pouvoir de surmonter les sentiments de doute et d’impuissance. Je ne dis pas que tout ça est facile
 J’ai passĂ© des dĂ©cennies Ă  apprendre de mes erreurs, Ă  faire des ajustements et Ă  modifier mon cap en cours de route » (p 27). Elle nous apprend Ă  nous accepter et Ă  reconnaitre notre potentiel. « J’ai appris que l’estime de soi et la vulnĂ©rabilitĂ© n’étaient pas incompatibles, bien au contraire, et que les ĂȘtres humains avaient tous au moins une chose en commun : nous aspirons Ă  mieux, en toute circonstances et Ă  tout prix. On devient plus audacieux dans la lumiĂšre. ConnaĂźtre sa lumiĂšre, c’est se connaĂźtre soi-mĂȘme ; c’est porter un regard lucide sur sa propre histoire. La connaissance de soi engendre la confiance en soi, qui nous permet d’ĂȘtre plus sereins et de prendre du recul. C’est ainsi que nous pouvons nouer des relations authentiques avec les autres
 La lumiĂšre se transmet. Une famille forte donne de la force Ă  d’autres familles. Une communautĂ© engagĂ©e Ă©veille chez les autres le dĂ©sir de s’impliquer. Tel est le pouvoir de la lumiĂšre qui est en nous » (p 28).

Ainsi, le partage de cette expĂ©rience peut ĂȘtre bienfaisant et inspirant pour beaucoup, d’autant qu’aujourd’hui, en ces temps de crise, l’inquiĂ©tude s’est rĂ©pandue et le questionnement s’est gĂ©nĂ©ralisĂ©. « A l’origine, j’avais conçu ce livre pour proposer un accompagnement aux lecteurs qui traversaient de grands bouleversements, un ouvrage que j’espĂ©rais utile et rĂ©confortant pour quiconque entamait une nouvelle phase de sa vie, qu’il s’agisse de la fin des Ă©tudes, d’un divorce, d’un changement de carriĂšre ou d’un diagnostic mĂ©dical, de la naissance d’un enfant ou de la mort d’un proche  » (p 29). Cependant, aujourd’hui, nous sommes tous entrĂ©s dans une pĂ©riode de tempĂȘte en percevant les Ă©chos de l’épidĂ©mie, de la guerre, des troubles politiques. Alors, Michelle Obama nous invite Ă  nous poser « des questions plus pragmatiques sur la façon de rester debout au milieu des dĂ©fis et des changements : Comment s’adapter ? Comment se sentir plus Ă  l’aise, moins paralysĂ©s face Ă  l’incertitude ? Quels outils avons-nous pour nous aider ? OĂč trouver des soutiens ? Comment crĂ©er de la sĂ©curitĂ© et de la stabilité ? Et, si nous unissions nos forces, que pourrions-nous rĂ©ussir Ă  surmonter ensemble ? » (p 31).

Comment donc ce livre est-il conçu ? « Il n’existe pas de formule. Ce que je peux vous proposer, c’est de vous offrir ma propre boite Ă  outils
 Certains de mes outils sont des habitudes et des pratiques, d’autres sont vĂ©ritablement des objets physiques ; et le reste consiste en une panoplie d’attitudes et de convictions issues de mon parcours et de mes expĂ©riences personnelles, de mon propre « devenir » toujours en cours. Ce livre ne prĂ©tend pas ĂȘtre un mode d’emploi. Vous y trouverez plutĂŽt une sĂ©rie de rĂ©flexions honnĂȘtes sur ce que la vie m’a enseignĂ© jusqu’ici, sur les bĂ©quilles qui m’aident Ă  tenir. Je vous prĂ©senterai certaines des personnes qui me maintiennent debout et partagerai avec vous les leçons que j’ai apprises auprĂšs de femmes exceptionnelles pour faire face Ă  l’injustice et Ă  l’incertitude. Je vous parlerai des choses qui continuent Ă  me mettre par terre et de celles sur lesquelles je m’appuie pour me relever. Je vous confierai aussi certaines attitudes dont je me suis dĂ©barrassĂ©e avec le temps ayant fini par comprendre qu’il fallait faire le tri entre outils et dĂ©fenses, les premiers Ă©tant bien plus utiles que les secondes » (p 26).

« Ce livre se dĂ©roule en trois parties : la premiĂšre Ă©voque le processus qui permet de puiser de la force et de la lumiĂšre en soi ; la seconde Ă©voque notre relation aux autres et la notion de bien-ĂȘtre affectif ; la troisiĂšme a pour but d’ouvrir une discussion sur les maniĂšres de mieux nous approprier, protĂ©ger et renforcer notre lumiĂšre, notamment dans les pĂ©riodes difficiles » (p 27).

 

Manifester sa présence

Ce livre foisonne en de multiples propos et se prĂȘte peu Ă  une analyse mĂ©thodique. A titre d’exemple, nous choisissons donc ici un des chapitres : « Suis-je visible ? », pour tĂ©moigner de l’actualitĂ© et de la pertinence du sujet et de l’authenticitĂ© de l’expĂ©rience ainsi rapportĂ©e.

Si on est confrontĂ© Ă  des attitudes de domination et Ă  la pression du conformisme, on hĂ©site bien sĂ»r Ă  apparaĂźtre. On se tient prudemment en retrait. On comprend ainsi la question : « Suis-je visible ? ». De par son parcours, Michelle Obama est bien placĂ©e pour en parler. « Partout oĂč je vais, je rencontre des gens qui me confient avoir du mal Ă  ĂȘtre acceptĂ©s en tant qu’individus Ă  part entiĂšre, que ce soit Ă  l’école, au travail, ou au sein d’un groupe plus large. C’est un sentiment que j’ai connu et avec lequel j’ai du composer pendant la majeure partie de ma vie » (p 105).

Les motifs du ressenti de non acceptation peuvent ĂȘtre trĂšs divers. Ainsi, dans son enfance et dans son adolescence, ce fut pour Michelle, l’impression que sa grande taille physique la mettait Ă  part. « Dans mon quartier, ĂȘtre noir n’avait rien de remarquable. A l’école, je frĂ©quentais des enfants de tous milieux et cette diversitĂ© crĂ©ait un environnement oĂč nous pouvions ĂȘtre pleinement nous-mĂȘme. En revanche, j’étais grande. Et il a fallu que j’apprenne Ă  m’en accommoder. On ne voyait que ça. On m’a collĂ© cette Ă©tiquette trĂšs tĂŽt et je n’ai jamais pu m’en dĂ©barrasser  » (p 106). Elles ressent par exemple les appels Ă  l’école oĂč on classe les enfants : « les petits derriĂšre, les grands devant ». Cela lui donne « l’impression d’ĂȘtre publiquement relĂ©guĂ©e Ă  la marge ». « Cette apparente disgrĂące a crĂ©Ă© en moi une blessure infime, une petite graine de dĂ©testation de soi qui m’empĂȘchait de voir mes atouts » (p 106). « RĂ©trospectivement, j’ai compris que je m’adressais deux messages simultanĂ©s particuliĂšrement toxiques lorsqu’ils sont associĂ©s : « Je ne suis pas comme les autres » et « Je ne compte pas » (p 107). A l’époque, le sport fĂ©minin n’était pas aussi dĂ©veloppĂ© qu’aujourd’hui et ne lui offrait pas une voie d’affirmation.

Cependant, le ressenti de la diffĂ©rence comme source de rejet s’inscrit gĂ©nĂ©ralement dans une dimension sociale. Aux États-Unis, la discrimination vis-Ă -vis de la communautĂ© afro-amĂ©ricaine prend des formes diverses. Michelle Obama Ă©voque le cas « d’un certain nombre d’amies qui ont grandi dans des banlieues blanches aisĂ©es
 La plupart racontent que leurs parents ont fait le choix de les Ă©lever dans des quartiers oĂč les Ă©coles publiques Ă©taient bien dotĂ©es
 ». Mais, il y avait alors une contrepartie. Ces enfants pouvaient se ressentir comme une exception. L’auteure nous raconte ici le cas d’Andrea. Comme fillette noire, « Elle a commencĂ© Ă  ressentir des flottements autour d’elle, dĂšs son plus jeune Ăąge
 Cela n’a pas empĂȘchĂ© Andrea de se faire des amis qui l’aimaient pour elle-mĂȘme et d’avoir une enfance heureuse, simplement elle a Ă©tĂ© consciente de sa diffĂ©rence trĂšs tĂŽt. Et elle a vite appris Ă  dĂ©crypter les signaux lui rabĂąchant qu’elle n’était pas Ă  sa place, Ă  dĂ©celer les non-dits lui indiquant qu’elle Ă©tait une intruse dans sa propre ville » (p 117). Ce sont lĂ  des blessures qui ont laissĂ© des traces.

Michelle Obama a grandi dans un quartier oĂč elle se sentait chez elle. « De ce fait, jusqu’à mes 17 ans, je n’ai jamais Ă©tĂ© « l’exception ». C’est Ă  l’universitĂ© que j’ai dĂ©couvert cette forme d’invisibilitĂ© paradoxale ». Princeton est une prestigieuse universitĂ© amĂ©ricaine dans un site magnifique. Mais Michelle s’y retrouvait dans un « environnement peuplĂ© majoritairement de jeunes hommes blancs ». Elle a pu cependant trouver un lieu convivial dans un « centre multiculturel oĂč se rĂ©unissaient les Ă©tudiants non blancs ». Dans ce milieu, il Ă©tait possible d’exprimer des expĂ©riences de discrimination, de les comparer. « Nous n’étions pas fous. Ce n’était pas simplement dans notre tĂȘte. Le sentiment d’exclusion et d’isolement
 n’était pas une vue de l’esprit. Et ce n’était pas non plus la consĂ©quence d’une dĂ©ficience ou d’un manque d’effort de notre part. Nous n’imaginions pas les prĂ©jugĂ©s qui nous rejetaient aux marges. C’était rĂ©el » (p 123). Ce sentiment Ă©tant prĂ©sent et rĂ©pandu, une question apparaĂźt : « Qu’en faire ? ».

«  Notre pĂšre dont les tremblements et la claudication attiraient parfois l’attention des passants dans la rue, nous disait toujours avec un haussement d’épaules : « Aucune critique ne peut vous atteindre si vous ĂȘtes en accord avec vous-mĂȘme » (p 123). Michelle nous fait un portrait de son pĂšre. « Mon pĂšre ne se souciait pas du regard des autres. Il Ă©tait bien dans sa peau. Il connaissait sa propre valeur et il Ă©tait Ă©quilibrĂ© mentalement Ă  dĂ©faut de l’ĂȘtre physiquement » (p 123). Le pĂšre de Michelle avait Ă©tĂ© lui aussi confrontĂ© Ă  l’arbitraire. « Il n’avait jamais eu les moyens de faire des Ă©tudes supĂ©rieures. Il avait subi les politiques discriminatoires du logement et de l’éducation ». Mais il a refusĂ© de s’engager dans l’amertume. « Il avait appris que, dans certaines circonstances, savoir ignorer les vexations et laisser couler Ă©tait une force. Il Ă©tait conscient de l’injustice, mais ne voulait pas cĂ©der au dĂ©sespoir
 Il a prĂ©fĂ©rĂ© nous inciter, mon frĂšre et moi, Ă  nous intĂ©resser au fonctionnement du monde, et nous parler d’égalitĂ© et de justice » (p 124). Il savait mesurer sa valeur sur ce qu’il avait et non sur ce qu’il n’avait pas. « Le regard qu’on porte sur soi est dĂ©terminant. C’est la base, le point de dĂ©part pour changer le monde autour de soi. VoilĂ  ce qu’il m’a appris. L’équilibre de mon pĂšre m’a aidĂ©e Ă  trouvĂ© le mien » (p 125).

« Aucune critique ne peut vous vous atteindre si vous ĂȘtes en accord avec vous-mĂȘme ». Michelle nous raconte comment elle a Ă©voluĂ© dans sa maniĂšre de penser et de se comporter. « On pourrait dire que tout a commencĂ© par l’acceptation
 Peu Ă  peu, j’ai compris que si je voulais changer la dynamique des lieux que je frĂ©quentais, pour moi-mĂȘme et ceux qui me suivraient, si je voulais qu’ils accueillent plus largement la diffĂ©rence, que chacun s’y sente Ă  sa place, je devais d’abord trouver en moi la fiertĂ© et l’aplomb nĂ©cessaires. Au lieu de cacher qui j’étais, j’ai appris Ă  le revendiquer
 Je devais m’entrainer Ă  ĂȘtre Ă  l’aise avec ma peur. C’était ça ou renoncer. La vie de mon pĂšre m’avait enseignĂ© une chose : on fait avec ce qu’on a. On se forge des outils, on s’adapte et on avance. On persĂ©vĂšre, en dĂ©pit de  » (p 106).

L’auteure nous rapporte des incidents rĂ©vĂ©lateurs de mentalitĂ©s imprĂ©gnĂ©es par une pensĂ©e d’exclusion. Ainsi Stacey Abrams, aujourd’hui femme politique, rapporte que major de sa promotion de lycĂ©e en 1991, elle fut invitĂ©e Ă  une rĂ©ception du gouverneur de GĂ©orgie, et que s’y rendant avec ses parents, elle fut l’objet d’un rejet par un agent de sĂ©curitĂ©. Elle parvint Ă  passer parce que ses parents avaient parlementĂ©, mais ce fut lĂ  un souvenir cuisant. « De tels messages ont un pouvoir annihilateur, surtout s’ils s’adressent Ă  un sujet jeune dont l’identitĂ© se construit  » (p 132). L’auteure rapporte Ă©galement « la lĂ©gĂšretĂ© avec laquelle une conseillĂšre d’orientation, au lycĂ©e, a balayĂ© ses ambitions au bout de dix minutes d’entretien, insinuant qu’il Ă©tait inutile que je postule Ă  Princeton, car, Ă  ses yeux, je n’avais pas « le profil » adĂ©quat » (p 132). « On ne perçoit pas toujours la portĂ©e de ce genre de message, c’est pourquoi il faut ĂȘtre attentif Ă  la maniĂšre dont ils sont formulĂ©s et reçus. Les enfants et les adolescents dĂ©sirent qu’on reconnaisse la lumiĂšre qui est en eux. Ils en ont besoin. C’est ce qui les aide Ă  grandir. Et si on leur fait sentir qu’ils sont invisibles, alors ils trouveront d’autres moyens moins productifs de se faire remarquer » (p 133). Michelle Obama revient sur ceux qui ont fait barrage. Elle les perçoit comme « des figurants dans les rĂ©cits plus vastes et plus intĂ©ressants qui tĂ©moignent de notre place dans ce monde. Leur seul pouvoir, au bout du compte, est de nous rappeler pourquoi nous persĂ©vĂ©rons » (p 135).

 

Pourquoi ce livre ? Les intentions de MichÚle Obama

Quelles Ă©taient les intentions de Michelle Obama en Ă©crivant ce livre ? Elle nous rĂ©pond dans une interview exclusive sur Brut oĂč elle Ă©change avec l’autrice LeĂŻla Slimani (5).

Comme l’intervieweuse remarque que, dans son livre, elle n’hĂ©site pas Ă  exprimer combien elle a pu connaitre des angoisses et des doutes, et Ă  montrer « la femme derriĂšre l’icĂŽne », Michelle Obama rĂ©pond que c’est lĂ  une manifestation « d’authenticitĂ© et de vulnĂ©rabilité ». « Parfois, il est facile de se dire que quand on est perçu comme un modĂšle, on doit avoir toutes les rĂ©ponses, on ne doit montrer aucune faiblesse, mais je crois que c’est placer la barre trop haut Ă  un niveau impossible Ă  atteindre pour les personnes qui vous admirent et en fait ce n’est pas vrai. Nous souffrons tous de la peur. Nous traversons tous ces Ă©pisodes dĂ©pressifs. Nous nous demandons tous si nous sommes Ă  la hauteur. Dans mon cas, le fait de l’admettre, c’est le « code source » de ma puissance. Comment mes diffĂ©rences et ma singularitĂ© ont fait de moi celle que je suis, plutĂŽt que de chercher Ă  les cacher, plutĂŽt que de porter un masque de la perfection ».

Cependant que penser d’un rĂŽle modĂšle ? Comment envisager cette notion de modĂšle ? Michelle Obama rĂ©pond que les femmes qui sont prĂ©sentes sur la scĂšne publique ont une responsabilitĂ©. Comme femme noire, elle est singuliĂšre. Elle fait partie de femmes qui se sentent marginalisĂ©es comme si elles n’avaient pas de chemin bien dĂ©fini Ă  suivre parce qu’elles n’ont pas de modĂšles
 Elle veut donc contribuer Ă  « rĂ©Ă©crire l’histoire qui est laissĂ©e de cĂŽtĂ© pour imposer notre image ». C’est permettre Ă  des jeunes de se dire : moi aussi, je peux y arriver.

Des questions sur diffĂ©rents thĂšmes lui sont ensuite adressĂ©es. Et, comme elle a Ă©crit un chapitre sur l’amitiĂ©, et que l’amitiĂ© tient une grande place dans sa vie, Leila Slimani lui demande d’en parler. Michelle Obama rĂ©pond qu’elle a Ă©tĂ© surprise par le nombre de lecteurs qui ont rĂ©agi Ă  ce chapitre «parce que beaucoup d’entre eux disaient qu’ils n’avaient pas d’amis ». Ainsi, en parlant Ă  des femmes sur-occupĂ©es par leur activitĂ© professionnelle et leur responsabilitĂ© familiale, elle a constatĂ© qu’elles n’avaient pas pu donner une prioritĂ© Ă  l’amitiĂ©, et alors, « on se rĂ©veille un jour sans amis ». « Ma communautĂ© de soutien a toujours Ă©tĂ© essentielle pour moi. Je la dĂ©cris comme ma « table de cuisine ». J’ai choisi cette mĂ©taphore parce que, quand j’étais petite et que je vivais dans les quartiers sud de Chicago, la table de cuisine Ă©tait l’endroit oĂč tout le monde se rĂ©unissait dans notre petit appartement. C’est lĂ  qu’on rĂ©glait tous nos problĂšmes pendant que ma mĂšre prĂ©parait le diner. C’est lĂ  que mes amies venaient pendant la pause dĂ©jeuner pour parler des soucis de la journĂ©e. C’est un endroit oĂč on pouvait retirer son masque et ĂȘtre complĂštement soi-mĂȘme
 C’était un espace de confiance oĂč on pouvait partager ses expĂ©riences, baisser le masque et ĂȘtre relevĂ©e, guĂ©rir des blessures du monde
 C’est fondamental
 Je pense qu’on ne peut pas tenir pour acquise cette communautĂ©, qu’il faut la construire. On ne doit pas perdre cette habitude pas seulement de tisser des amitiĂ©s, mais de les entretenir dans la durĂ©e ».

L’intervieweuse pose une derniĂšre question sur la devise proclamĂ©e par Michelle Obama Ă  la convention dĂ©mocrate de Philadelphie en 2016 : « Quand ils s’abaissent, nous nous Ă©levons ». C’est un appel Ă  la dignitĂ© et au courage, mais certains s’impatientent et se radicalisent. « Comment continuer Ă  nous battre dans la dignitĂ© ? ». Michelle Obama rĂ©pond qu’elle s’en est expliquĂ©e dans un chapitre. « Une devise n’est rien sans action. S’élever ne veut pas dire ĂȘtre complaisant
 Pour moi, s’élever, c’est passer de la rage Ă  l’action
 Je cite John Lewis
 « La libertĂ©, ce n’est pas un Ă©tat, mais un acte. Ce n’est pas un jardin enchanté  Il faut travailler intelligemment et prĂ©voir stratĂ©giquement. C’est comme cela que le mouvement des droits civiques a fonctionnĂ©. On parle toujours de la marche de Washington, mais la marche de Washington n’était que la cerise sur le gĂąteau. Il y avait des projets pour changer les lois. Il y avait des boycotts qui ont durĂ© des annĂ©es  ». Michelle Obama parle d’« une action Ă  long terme oĂč on cherche Ă  savoir quel sera le rĂ©sultat final de nos actions. Vont-elles ouvrir l’esprit des gens, les amener Ă  mieux me comprendre ou vont-elles les amener Ă  me craindre davantage ? J’explore cela d’une façon trĂšs dĂ©taillĂ©e ». Les gĂ©nĂ©rations actuelles peuvent s’interroger sur la vitesse du changement. « Mais, au final, je crois que l’intĂ©gritĂ©, la dignitĂ©, la patience, la dĂ©termination, la prĂ©paration sont les clĂ©s et qu’elles ne passeront jamais de mode ».

Notre condition sociale comme les circonstances de la vie peuvent nous avoir courbĂ©, Ă©touffĂ©, humiliĂ©. Une prise de conscience se gĂ©nĂ©ralise aujourd’hui. Cette situation n’est pas inĂ©luctable. Il y en nous un potentiel qui peut se mobiliser. Michelle Obama nous appelle Ă  dĂ©couvrir cette force latente, en dĂ©couvrant « la lumiĂšre en nous ».

Parce qu’elle-mĂȘme a connu des situations dans lesquelles elle a Ă©tĂ© mĂ©connue, et, en particulier, celle d’une jeune fille noire confrontĂ©e aux prĂ©jugĂ©s ambiants, elle peut Ă©crire Ă  partir de son expĂ©rience. Son expression authentique, sincĂšre, contraste avec des approches plus convenues. Ainsi s’opĂšre une rencontre avec lectrices et lecteurs. Un courant passe qui engendre la confiance. Ce livre suscite une prise de conscience libĂ©ratrice. La parole de Michelle Obama porte d’autant plus qu’avec ses deux filles, elle a partagĂ© la vie de Barack Obama Ă  la prĂ©sidence des Etats-Unis.

Sur ce blog, nous avons suivi diffĂ©rents Ă©pisodes de cette prĂ©sidence (1). Dans une histoire longue, la prĂ©sidence de Barack Obama s’inscrit dans un mouvement d’émancipation et de solidaritĂ© qui a connu des Ă©tapes marquantes comme la lutte pour les droits civiques menĂ©es par Martin Luther King. On peut y voir une inspiration chrĂ©tienne telle qu’on peut la percevoir notamment dans le titre des mĂ©moires de Barack Obama : « Terre promise » (1). En s’adressant Ă  un grand public, la tonalitĂ© du livre de Michelle Obama nous paraĂźt plus psychologique dans une forme oĂč s’allie l’expĂ©rience et le bon sens et oĂč s’exprime une dynamique de vie.

J H

 

 

  1. Barack Obama. Une Terre promise. Fayard, 2020. Compte-rendu avec un rappel des liens à différents articles sur ce blog portant sur différents épisodes et différentes facettes de cette présidence.
  2. Michelle Obama. Devenir. Fayard, 2018
  3. Michelle Obama. Cette lumiùre en nous. S’accomplir en des temps incertains. Flammarion, 2022
  4. Michelle Obama. Une vie. Brut You Tube : https://www.google.fr/search?hl=fr&as_q=Michelle+Obama++Brut&as_epq=&as_oq=&as_eq=&as_nlo=&as_nhi=&lr=&cr=&as_qdr=all&as_sitesearch=&as_occt=any&safe=images&as_filetype=&tbs=#fpstate=ive&vld=cid:deef07ed,vid:3ttPTHXihrQ
  5. Interview exclusive de Michelle Obama sur Brut : https://www.youtube.com/watch?v=cv7tEPpJk9o