La société jardiniÚre

La société jardiniÚre

La société jardiniÚre

La sociĂ©tĂ© jardiniĂšre : c’est le titre du livre de Damien Deville, un gĂ©ographe et anthropologue, qui y rapporte sa dĂ©couverte des jardins potagers implantĂ©s dans la ville d’Ales, un exemple des jardins urbains qui, en France et dans le monde, rĂ©pondent Ă  un besoin de subsistance dans diffĂ©rents contextes. On peut situer cette activitĂ© jardiniĂšre dans une histoire qui dĂ©bute Ă  la fin du XIXe siĂšcle dans l’Ɠuvre de l’abbĂ© Lemire pour le dĂ©veloppement des jardins familiaux. Plus gĂ©nĂ©ralement, cette activitĂ© jardiniĂšre en milieu urbain a connu dans les derniĂšres dĂ©cennies une remarquable impulsion dans le mouvement qui s’est rĂ©pandu en France sous le vocable : ‘Les Incroyables comestibles’ (1) Et aujourd’hui, Ă  travers diverses initiatives, certaines villes sont Ă  la recherche de la rĂ©alisation d’une autonomie alimentaire (2).

Certes, Ă©voquer une sociĂ©tĂ© jardiniĂšre Ă©veille en nous le rĂȘve d’une sociĂ©tĂ© pacifiĂ©e, mais ce n’est pas une pure utopie puisqu’il y aujourd’hui des expĂ©riences concrĂštes d’activitĂ©s jardiniĂšres en milieu urbain. Dans son livre : ‘La sociĂ©tĂ© jardiniĂšre’ (3), Damien Deville nous dĂ©crit l’une d’entre elle, dans une ville profondĂ©ment perturbĂ©e par la dĂ©sindustrialisation, Ales Ă  la porte de CĂ©vennes. « LĂ , pour les anciennes populations ouvriĂšres, se vit une façon de retour Ă  la terre. LĂ , chacun plante, bĂȘche ; tout le monde Ă©change outils, semences, et savoir-faire. Si bien qu’à la motivation Ă©conomique, forcĂ©ment premiĂšre, viennent se mĂȘler des prĂ©occupations d’ordre social, Ă©cologique, ou paysager. Cernant les contours d’une Ă©cologie de la prĂ©caritĂ©, l’auteur souligne comment de simples lopins de terre deviennent d’authentiques lieux d’émancipation. Partant, il Ă©bauche le modĂšle de ce que pourrait ĂȘtre la sociĂ©tĂ© si elle Ă©tait jardiniĂšre » (page de couverture).

 

Parcours d’une innovation sociale

L’apparition de jardins familiaux en milieu urbain remonte à la fin du XIXe siùcle.

« C’est Ă  Hazebrook, capitale de Flandre intĂ©rieure, que nait au milieu du XIXe siĂšcle celui qui restera dans les mĂ©moires comme le pĂšre fondateur des jardins familiaux : l’abbĂ© Lemire ». L’auteur esquisse sa biographie. Jeune prĂȘtre Ă  Hazebrook, « touchĂ© par la misĂšre de la commune, par les besoins des uns et les rĂȘves des autres, l’abbĂ© Lemire s’attacha rapidement aux besoins des habitants » En retour, il reçut un soutien populaire. Élu dĂ©putĂ© en 1893, il mena une carriĂšre politique indĂ©pendante par rapport Ă  l’Église. Élu maire d’Hazebrook en 1914, il fit face aux pĂ©rils de la guerre et mena une politique sociale trĂšs active si bien qu’il devint ‘un hĂ©ros local’. « AttachĂ© Ă  la dignitĂ© des ouvriers, et persuadĂ© que le lien Ă  la terre est un besoin fondamental des humains, l’abbĂ© cultiva une politique dont lui seul se faisait le gardien. Et c’est dans cette perspective que l’abbĂ© fonda en 1896, le mouvement : La Ligue française du coin de terre et du foyer. Ce mouvement existe toujours. Il a survĂ©cu Ă  l’abbĂ© et continue de tracer une partie des territoires français. Il se nomme dĂ©sormais FĂ©dĂ©ration nationale des jardins familiaux et collectifs » (p 29). L’auteur rapporte comment son influence s’est rĂ©pandue au dĂ©but du XXe siĂšcle, atteignant la ville d’Ales. LĂ , se conjuguant Ă  l’époque avec la sociĂ©tĂ© Sant-Vincent-de- Paul, la Ligue suscite, en 1916, de premiers jardins. « A destination d’abord des femmes et des excusĂ©s du front, les jardins devinrent rapidement un soutien, une Ă©paule, un guide. Greniers Ă  fruits et lĂ©gumes, ils participĂšrent Ă  la rĂ©silience alimentaire des familles s’implantant dans plusieurs quartiers ». Puis, « les ouvriers de la mine en devinrent les premiers bĂ©nĂ©ficiaires. Jusque dans les annĂ©es 1950, la surface jardinĂ©e Ă  Ales s’étendit, annĂ©e aprĂšs annĂ©e, pour atteindre un point d’orbite avec plus de 400 jardins cultivĂ©s sur la commune » (p 34).

Cependant, la situation des jardins familiaux Ă  AlĂšs participe Ă  une conjoncture nationale. « Les temps changĂšrent. Les Trente Glorieuses et le faste des projets urbains dont elles se firent l’étendard sonnĂšrent le glas de l’aventure jardiniĂšre. Les champs, les pĂątures et les vergers furent recouverts de chapes de bĂ©ton
 Les jardins familiaux ont rapidement perdu force et espace dans un flot rĂ©pĂ©tĂ© d’urbanisation qui dura jusque dans les annĂ©es 2000 » (p 35). Cependant, Ă  la fin du XXe siĂšcle, toute la France a Ă©tĂ© impactĂ©e par la dĂ©sindustrialisation et le choc a Ă©tĂ© particuliĂšrement violent Ă  Ales. « En 1986, aprĂšs plusieurs annĂ©es de licenciements massifs, le dernier puits de mine d’AlĂšs cessa dĂ©finitivement ses activitĂ©s. La mĂ©tallurgie, autre fleuron, connut le mĂȘme dĂ©clin  » (p 37)

Comme pour d’autres villes françaises, Ales doit chercher une autre voie. « Ales dut se rĂ©inventer et, au tournant des annĂ©es 1990, la ville dĂ©cide de s’orienter vers de nouvelles filiĂšres, vers une Ă©conomie de services diversifiĂ©s. ParallĂšlement, Ales cherche Ă  s’enraciner de nouveau dans le paysage cĂ©venol » (p 38). Elle cherche Ă  ancrer de nouveau la ville dans le paysage. « Ces politiques d’embellissement ne sont pas sans effet sur l’histoire des jardins
 Elles ont permis Ă  de nouveaux potagers d’émerger dans des quartiers populaires : des fleurs et des choux ont poussĂ© lĂ  oĂč il n’y avait que du bĂ©ton  » (p 39). L’auteur dĂ©crit les diffĂ©rentes logiques Ă  l’Ɠuvre dans la politique locale. La vie des jardins s’inscrit dans une histoire locale.

 

Jardins et jardiniers Ă  Ales

Damien Deville a observĂ© ces jardins et la maniĂšre dont ils tĂ©moignent d’une grande crĂ©ativitĂ©. Il a parlĂ© avec ces hommes et entendu leurs parcours dans la diversitĂ© des histoires de vie. Il met en lumiĂšre les nouvelles relations qui s’établissent ainsi.

Le jardinage Ă  Ales se dĂ©roule en plusieurs lieux. « les jardins du Chemin des Sports » sont issus d’une autre histoire que les jardins de la fĂ©dĂ©ration des jardins familiaux, portant une image de marque. BricolĂ©s sur des terrains oubliĂ©s, Ă©pousant la forme de rĂ©seaux souterrains, s’échangeant de maniĂšre informelle d’un jardinier Ă  l’autre par un bouche-Ă -oreille judicieusemant maintenu dans des cercles restreints, arpentĂ©s par des personnes venant, pour l’essentiel, des quartiers populaires de la ville, ils correspondent Ă  ce qu’Ananya Roy dĂ©signe par « urbanisme subalterne ». Ce sont des espaces urbains oubliĂ©s des grandes annales de la gĂ©ographie et des politiques de la commune oĂč s’invente la vie quotidienne des dĂ©possĂ©dĂ©s  » (p 49). A la diffĂ©rence d’autres jardins potagers, bien reconnus, « se donnant Ă  voir et s’offrant Ă  la reconnaissance des habitants, les jardins du chemin des Sports, relĂšvent plutĂŽt de bastions enfouis dans la verdure
 Ils s’effacent derriĂšre une image austĂšre et prĂ©caire » (p 50). Lorsqu’on entre dans ces jardins, on y dĂ©couvre un paysage colorĂ© et une vĂ©gĂ©tation luxuriante abondamment dĂ©crite par l’auteur « Tomates bronzĂ©es au soleil, plants de haricots parcourant des fils nouĂ©s Ă  des tuteurs, des framboisiers le long des murs dansent de leurs ombres, tandis que des plantes aromatiques, tantĂŽt cultivĂ©es en pot, tantĂŽt laissĂ©es en pleine terre parsĂšment le jardin  » (52). « Ce qui saute aux yeux, c’est une quĂȘte centrale de productivitĂ©. L’espace consacrĂ© aux fruits et aux lĂ©gumes est agencĂ© de maniĂšre Ă  produire le plus possible. Lorsque la parcelle se fait Ă©troite, les jardiniers rivalisent d’ingĂ©niositĂ© pour gagner quelques centimĂštres et conquĂ©rir les hauteurs » (p 53). L’auteur dĂ©crit des dispositifs ingĂ©nieux comme « une immense pyramide entrelacĂ©e de fils et de barres de fer
 au service des plantes : fĂšves, haricots, courges grimpantes  » (p 54). Ici, le peuple des jardiniers a une origine caractĂ©risĂ©e. « La plupart sont retournĂ©s Ă  la terre pour se doter d’une certaine autonomie alimentaire. Les jardiniers du chemin des Sports sont des marquĂ©s. Ce sont d’anciens serruriers et ouvriers des aciĂ©ries, des employĂ©s du public ou des retraitĂ©s Ă  petits revenus. Leurs trajectoires familiales ont Ă©tĂ© percutĂ©es par la fermeture des industries alĂ©siennes, par la sĂ©rie d’emplois prĂ©caires qui s’en est suivie, puis, plus rĂ©cemment par la fuite des offres d’emploi et de services vers les grandes mĂ©tropoles » (p 55). Ainsi s’est dĂ©veloppĂ© un genre de vie Ă  vocation utilitaire. « La dĂ©brouille est devenu un art de vivre
 Toutes les personnes rencontrĂ©es au fil de notre enquĂȘte l’ont partagĂ© sans s’en cacher : devenir jardinier fut une adaptation nĂ©cessaire Ă  diffĂ©rentes formes de prĂ©carité  L’agencement spatial du chemin des Sports autant que le choix des matĂ©riaux s’entendent ainsi, en premier lieu, au regard de conditions matĂ©rielles d’existence » (p 57). Cependant, tout ne rĂ©sume pas Ă  une recherche de subsistance. Les jardins tĂ©moignent aussi d’une inventivitĂ© artistique. « Les planches de culture sont parĂ©es d’objets de toutes sortes : des pots richement dĂ©corĂ©s, des Ă©pouvantails faits main, des souvenirs s’intĂšgrent aux cultures potagĂšres
 Les jardins rĂ©pondent autant aux besoins quotidiens de qui les arpente et les façonne qu’à ses aspirations, son savoir-faire, sa crĂ©ativitĂ©. Car, dans sa maniĂšre d’agencer l’espace, le jardinier cherche Ă  le rendre agrĂ©able Ă  regarder et Ă  vivre
 C’est que les ‘espaces subalternes’ ne sont pas seulement des zones de dĂ©brouillardise et d‘adaptation, ils sont encore des agencements populaires traversĂ©s par tout ce qui fait la crĂ©ativitĂ©, les joies et les envies des Ăąmes humaines » (p 60).

Ces jardins engendrent une vie sociale et ils en sont l’expression. Ainsi Damien Deville nous prĂ©sente des portraits de jardiniers. Il fait aussi Ă©cho Ă  une mĂ©moire collective : « Le jardin de Max, au cƓur de l’association des jardins familiaux, dans le quartier de la Prairie, est un bel exemple de cette mĂ©moire collective. Du haut de ses 70 ans, Max est un ancien de la FĂ©dĂ©ration des jardins familiaux d’Ales. Ici tout le monde le connait. Son papa Ă©tait un jardinier trĂšs actif dans la communautĂ©. Max Ă©prouve pour lui une grande admiration : « son travail, son parcours de vie, le pilier qu’il Ă©tait dans les jardins familiaux d’Ales » le ramĂšne Ă  sa propre enfance autant qu’aux heures de gloire qu’a connues la ville ». L’auteur rappelle ces souvenirs. « Ils se lisent Ă  mĂȘme le jardin de Max, dĂ©montrant combien les jardins sont des outils de rĂ©appropriation de rĂ©cits urbains
 Son jardin est Ă©galement un mĂ©morial Ă  la figure de son pĂšre, Henri
 FĂ©ru de bons conseils, son pĂšre Ă©tait le premier Ă  organiser des barbecues collectifs, Ă  donner des coups de main aux voisins, Ă  diffuser de bonnes pratiques et Ă  Ă©changer quelques lĂ©gumes. Tant et si bien que le nom du papa revient souvent, indĂ©lĂ©bile dans les mĂ©moires collectives » (p 76-77).

Damien Deville dĂ©crit la gĂ©ographie sociale de la rĂ©gion : « Les zones de relĂ©gation sont en centre-ville, tandis que les espaces de gentrification se situent dans les quartiers pĂ©riphĂ©riques, caractĂ©risĂ©s par des villas cosy ou dans les villages au charme d’antan. Face Ă  cette campagne qui se ferme aux personnes les plus pauvres, les jardins sont ces lieux oĂč se forge une nouvelle rĂ©ciprocitĂ©. Et lĂ  encore, c’est un jardinier, d’origine maghrĂ©bine, qui m’a mis la puce Ă  l’oreille ». L’auteur nous dĂ©crit le parcours de Moustapha. « Moustapha est arrivĂ© sur le tard dans les jardins familiaux privĂ©s du quartier de la Prairie, sur le chemin des sports. Il a repris la parcelle d’un voisin devenu trop ĂągĂ© pour s’en occuper. Les CĂ©vennes, l’homme ne les a jamais connues auparavant. Il a menĂ© l’intĂ©gralitĂ© de s vie professionnelle en AlgĂ©rie avant de rejoindre ses enfants Ă  Ales pour sa retraite. RestĂ© pendant longtemps sans allocation, Moustapha a dĂ» se dĂ©brouiller pour arrondir ses fins de mois que sa petite retraite affiliĂ©e au rĂ©gime algĂ©rien ne lui permettait pas de combler. Le jardin est arrivĂ© dans sa vie Ă  point nommé » (p 85). C’est, avec lui, que l’auteur dĂ©couvre une ouverture de ce milieu urbain vers les campagnes voisines. « C’est en Ă©changeant avec les autres jardiniers que Moustapha s’est rendu compte que les montagnes qui l’entouraient regorgeaient de trĂ©sors : d’aiguilles de pin pour amender ses cultures, de champignons Ă  vendre auprĂšs de sa communautĂ©, d’éleveurs oĂč aller chercher le mouton pour l’AĂŻd Ă  des prix rĂ©duits. Moustapha s’est mis, par lui-mĂȘme, Ă  dĂ©couvrir les coins cachĂ©s des campagnes avoisinantes » (p 86). Cependant, la relation de Moustapha avec les CĂ©vennes s’étend au-delĂ  puisqu’en fin de semaine, il frĂ©quente en famille « des lieux de baignade oĂč ses petits-enfants jouent maintenant l’été ». « Son jardin a Ă©tĂ© une fenĂȘtre sur le monde, un livre pour rĂ©apprendre le milieu dans lequel il Ă©volue au quotidien, et en faire naitre des usages Ă  des fins d’émancipation personnelle ou familiale » (p 86). Mais l’auteur perçoit ce mĂȘme attrait pour les CĂ©vennes chez d’autres jardiniers. « Le jardinier algĂ©rien n’est d’ailleurs pas un cas isolĂ©. Tous, d’une maniĂšre ou d’une autre, pratiquent la campagne avoisinante. Pour certains, cela est liĂ© Ă  un hĂ©ritage familial. Pour d’autres jardiniers rĂ©cemment arrivĂ©s, c’est toujours le jardin qui nourrit les perspectives des montagnes et des villages alentour. Les usages qu’en font les jardiniers sont pluriels en fonction des envies et de la personnalitĂ© de chacun, mais ils participent dans tous les cas Ă  une rĂ©appropriation spatiale et collective d’un territoire qui devient, enfin, de nouveau partagé » (p 86). Ainsi les jardiniers interviennent dans la vie collective. « Les CĂ©vennes s’ouvrent Ă  nouveau aux classes populaires. De cette rĂ©conciliation, dont la ville d’Ales a tellement besoin, les jardins en sont le premiers Ă©tendards
 C’est une invitation Ă  penser le territoire autrement » (p 87).

 

La société jardiniÚre

La sociĂ©tĂ© jardiniĂšre : quelle expression Ă©vocatrice ! Il y a tant de formes de sociĂ©tĂ© que l’on dĂ©plore et que l’on redoute ! Une sociĂ©tĂ© jardiniĂšre, cela Ă©voque pour le moins un respect et un amour de la nature et un Ă©tat d’esprit constructif par le genre mĂȘme de la tĂąche entreprise. Une sociĂ©tĂ© jardiniĂšre, c’est aussi une sociĂ©tĂ© nourriciĂšre et on peut imaginer qu’elle requiert et engendre la coopĂ©ration.

GĂ©ographe, Damien Deville pense Ă©galement en sociologue et en historien. Ainsi, si sa recherche a pour objet la ville d’Ales, il inscrit les jardins potagers en milieu urbain dans une histoire qui remonte Ă  la fin du XIXe siĂšcle. Mais, concentrĂ© sur son objet, il n’aborde pas la vague toute rĂ©cente, celle des « incroyables comestibles » Ă  travers laquelle la culture de fruits et de lĂ©gumes s’est rĂ©pandue Ă  l’intĂ©rieur mĂȘme d’un grand nombre d’agglomĂ©rations (1). Et aujourd’hui, des villes et des territoires s’engagent dans la recherche d’une autonomie alimentaire. Ainsi François Rouillay et Sabine Becker prĂ©conisent le dĂ©veloppement de « paysages nourriciers », y incluant la « vĂ©gĂ©talisation des villes » (3) ;

A partir de l’étude des jardins potagers dans la ville d’Ales, Damien Deville nous montre, lui aussi, comment on peut « penser autrement la ville et l’urbain ». C’est bien de ‘vivre autrement’ (p 117-118) qu’il s’agit.

DĂ©jĂ , dans un monde qui nous bouscule, la vie jardiniĂšre permet un enracinement. Ainsi, « les jardins alĂ©siens sont cultivĂ©s par des personnes peu diplĂŽmĂ©es, laissĂ©es Ă  l’arriĂšre-plan des grands rĂ©cits de l’histoire. La plupart ont quittĂ© l’école tĂŽt pour tenter leurs chances dans les grandes industries du territoire. Certaines ont Ă©tĂ© percutĂ©es par des Ă©vĂšnements traumatisants. D’autres encore, arrivĂ©es sur le tard Ă  Ales, parlent mal le français et s’intĂšgrent avec peine. Pourtant, ce sont ces mĂȘmes personnes qui ont su, face aux crises urbaines, s’adapter et construire des interfaces inĂ©dits ave la ville. Leurs jardins sont fleuris ; ils remettent des couleurs dans les rues. Ils sont poreux aux autres rĂ©seaux urbains, catalysant relations et occasions. Ils sont ces espaces oĂč se rĂ©inventent une certaine idĂ©e de prestance et de prĂ©sence Ă  soi, des oasis dessinant un autre bien vivre » (p 119).

Dans les jardins se rĂ©alise Ă©galement une rencontre entre le monde vĂ©gĂ©tal et ceux qui en prennent soin. « Ces jardins sont avant tout des mondes vĂ©gĂ©taux ». L’auteur fait l’éloge du dĂ©ploiement des plantes et de leur vitalitĂ©. Elles s’agencent comme en une danse. Or, « le jardinier accompagne cette danse. Ses choix sont primordiaux et conditionnent le dĂ©veloppement des plantes. Finalement, c’est bien cette rencontre inĂ©dite entre les plantes d’un cĂŽtĂ©, et le caractĂšre du jardinier de l’autre, qui traduit l’évolution des lieux et des rĂ©cits qui s’y Ă©crivent. L’humain devient ici un ĂȘtre hybride, inondĂ© et inspirĂ© par les plantes qu’il a vu naitre, ou qui sont revenues naturellement dans son jardin » (p 121-123).

Damien Deville voit lĂ  se dĂ©velopper une dynamique de relation. « A l’image de ce lien unique au vĂ©gĂ©tal, les jardins participent Ă  l’émancipation globale des jardiniers par leur capacitĂ© Ă  catalyser sans cesse les relations qui composent les individus » (p 123). L’auteur voit dans cette activitĂ© jardiniĂšre un potentiel de relation. « Les jardins guident d’autres possibles urbains quand ils permettent Ă  chaque ville de devenir une terre de relations » (p 123). L’auteur dĂ©crit les terres des CĂ©vennes abandonnĂ©es. « La seule solution pour sauver le vivant, c’est de retourner y habiter et de faire de la relation une Ɠuvre » (p 125). Dans le mĂȘme esprit, Damien Deville sort des limites de l’hexagone et Ă©voque un paysan du Burkina Fasso qui a rĂ©sistĂ© Ă  la dĂ©sertification et arrĂȘtĂ© le dĂ©sert en plantant des arbres, Yacouba Sawadogo, Ă  l’histoire duquel il a consacrĂ© un livre (4).

« Si Yacuba Ă©tait parti comme les autres, habitants dans les annĂ©es 1980, le dĂ©sert aurait cassĂ© la porte et continuĂ© vers le village voisin. C’est parce qu’il est restĂ©, tout en tissant autrement sa relation avec le territoire, qu’il a pu sauver le vivant  ».

Ainsi, « Ales et les CĂ©vennes, autant que le Burkina Fasso, invitent Ă  un nouveau front scientifique et politique. Trouver les Ă©gards que l’on doit au vivant, pour reprendre l’expression du philosophe Baptiste Morizot, demande, non pas de fuir certains territoires, pour se concentrer sur d’autres, mais bien de rĂ©flĂ©chir aux maniĂšres de vivre dans chaque territoire pour en respecter les grands Ă©quilibres Ă©cosystĂ©miques. L’humain a Ă©tĂ© une machine Ă  dĂ©truire, mais les initiatives se multiplient  ». Damien Deville en Ă©voque certaines dans la DrĂŽme, dans les CĂ©vennes, en Bretagne. « Tous ces exemples forgent au quotidien une nouvelle maniĂšre de faire lien, et reconstruisent des filiĂšres d’activitĂ© dans l’environnement local. Ils permettent aussi aux citoyens et citoyennes de se rĂ©approprier le territoire et de participer aux dĂ©cisions locales. En un mot, ils façonnent un droit pour toutes et tous Ă  habiter le territoire et Ă  le coconstruire au quotidien » (p 128).

En considĂ©rant l’activitĂ© jardiniĂšre, Damien Deville y perçoit un « monde ordinaire » dans une fĂ©conditĂ© mĂ©connue. Il met en valeur la maniĂšre dont les jardins gĂ©nĂšrent des relations quotidiennes. « Les Ă©conomistes CĂ©cile Renouard et GaĂ«l Giraud ont crĂ©Ă© un indicateur qui pourrait bien inspirer les territoires d’ici et d’ailleurs, ‘l’indicateur de capacitĂ© relationnelle’. Ce dernier mesure la qualitĂ© des relations qu’entretiennent les personnes entre elles, et leur capacitĂ© de s’autonomiser Ă  partir de ces mĂȘmes relations  ». « PensĂ© dans le cadre ouest-africain, cet indicateur insiste sur la qualitĂ© du tissu social et sur les relations interpersonnelles comme autant de dimensions du dĂ©veloppement humain ». Ainsi, des pauvres ‘financiĂšrement’ peuvent ĂȘtre nĂ©anmoins tellement entourĂ©s qu’ils ne manquent de rien, et inversement. « La relation est finalement plus importante que le seul revenu. Penser en ces termes le dĂ©veloppement permet d’accorder de nouveau de l’importance Ă  ce qui est invisibilisĂ© dans les grands rĂ©cits de dĂ©veloppement. Les jardins d’Ales changent le visage d’un quartier et les dynamiques sociales et Ă©cologiques d’une ville ». Dans son analyse, Damien Deville se rĂ©fĂšre Ă  Michel de Certeau. « Dans son livre maĂźtre : « L’invention du quotidien », l’historien et sociologue Michel de Certeau analysait dĂ©jĂ  les actes ordinaires comme une production permanente de culture et de partage. Selon lui, les citadins ne se contentent pas de consommer : ils produisent et inventent le quotidien par d’innombrables mĂ©canismes de crĂ©ativitĂ© et par des politiques sociales originales. Pour emprunter l’expression de Claude Levi-Strauss, les citadins « bricolent » avec les espaces qu’ils frĂ©quentent et les contraintes d’un modĂšle sociĂ©tal pour s’inventer un parcours de vie qui participe de leur Ă©mancipation. Ils crĂ©ent de la relation » (p 131).

 

Un mouvement innovant

« Qu’elle favorise le retour des oiseaux et des hĂ©rissons, protĂšge les villes des vagues caniculaires offrant de l’ombre et refroidissant l’air, l’agriculture urbaine a, en nos temps assombris de l’AnthropocĂšne, le vent en poupe » (p 7). En s’inscrivant dans un courant de recherche en plein dĂ©veloppement, Damien Deville analyse les fonctions et les configurations de l’agriculture urbaine.

« Laboratoires d’un monde possible, les jardins potagers des grandes mĂ©tropoles europĂ©ennes – qui produisent assez peu et se dĂ©ploient sur des espaces restreints – s’offrent comme des lieux oĂč s’expĂ©rimente une Ă©ducation renouvelĂ©e, plus douce, plus responsable, aux techniques de jardinage et aux arts de la table » (p 8). Cependant, la plupart des jardins rĂ©pondent Ă  une fonction plus Ă©lĂ©mentaire, celle de ressource alimentaire. « La Havane, Bobo-Dioulasso, HanoĂŻ ou encore Rabat, autant de villes pour lesquelles les jardins potagers demeurent des greniers participant de l’autonomie alimentaire des familles » (p 8). « Dans les villes du sud de l’Europe, telles qu’AthĂšnes ou Porto, frappĂ©es par la crise Ă©conomique de 2008, des familles ayant subi des pertes Ă©conomiques importantes ont mobilisĂ© les jardins comme des espaces d’adaptation » (p 14). RĂ©cemment, sous l’impulsion de l’association A9 prĂ©sidĂ© par Rodolphe Gozegba de Bombembe, thĂ©ologien, des lopins de terre autour des habitations sont mobilisĂ©s en jardin potager dans la ville de Bangui, en RĂ©publique Centre-Africaine (5). Dans son livre, Damien Deville Ă©tudie particuliĂšrement le rĂŽle des jardins potagers dans des villes moyennes appauvries par la dĂ©sindustrialisation, en concentrant sa recherche sur l’exemple de la ville d’AlĂšs. A cette occasion, il milite pour « une dĂ©centralisation guidĂ©e par la diversitĂ© des territoires et la qualitĂ© des relations que nouent les uns et les autres » (p 135). Si on ajoute le mouvement pour l’agriculture urbaine en vue d’une autonomie alimentaire dans une perspective Ă©cologique, on comprendra que le dĂ©veloppement des jardins en ville n’est pas un phĂ©nomĂšne mineur, mais qu’il s’inscrit dans une recomposition de grande ampleur.

Damien Deville a bien choisi le titre de son livre : la sociĂ©tĂ© jardiniĂšre, non seulement parce qu’il y Ă©tudie, sous toutes ses coutures, le dĂ©veloppement des jardins en ville, mais parce que il prĂ©sente, sous cette appellation, un phĂ©nomĂšne de sociĂ©tĂ© en y percevant un potentiel d’exemplaritĂ© humaine. Oui, la sociĂ©tĂ© jardiniĂšre, n’est-ce pas une vision d’avenir ?

J H

 

  1. Comment les « Incroyables comestibles se sont développés en France ? : https://vivreetesperer.com/incroyable-mais-vrai-comment-les-incroyables-comestibles-se-sont-developpes-en-france/
  2. En route pour l’autonomie alimentaire : https://vivreetesperer.com/en-route-pour-lautonomie-alimentaire/
  3. Damien Deville. La société jardiniÚre. Le Pommier, 2023
  4. Yacouba Sawadogo. Damien Deville. L’homme qui arrĂȘta le dĂ©sert. Tana Ă©ditions, 2022 (Le temps des imaginaires)
  5. Centre-Afrique : l’agriculture urbaine pour lutter contre la faim : https://www.temoins.com/centrafrique-lagriculture-urbaine-pour-lutter-contre-la-faim/

Le souci de l’autre et le soin au fondement de la vie humaine

…https://vivreetesperer.com/une-voix-differente/ Théïa Lab : https://theialab.fr La société canadienne d’anthropologie : https://www.cas-sca.ca/fr/a-propos-d-anthropologie/qu-est-ce-que-l-anthropologie De la vulnérabilité à la sollicitude et au soin : https://vivreetesperer.com/de-la-vulnerabilite-a-la-sollicitude-et-au-soin/ Les Lumières à l’âge du vivant : https://vivreetesperer.com/des-lumieres-a-lage-du-vivant/…

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L’effondrement est-il fatal, ou bien, au contraire, rien n’est jouĂ©.
La science contre les thĂ©ories de l’effondrement.

Aujourd’hui, face aux menaces du dĂ©rĂšglement des Ă©quilibres naturels engendrĂ© par un accroissement effrĂ©nĂ© de la production industrielle, la prise de conscience Ă©cologique se dĂ©veloppe et elle s’accompagne de la mise en Ă©vidence des dangers encourus. Certes, une mobilisation est en cours pour dĂ©velopper de nouvelles pratiques Ă©conomiques et un nouveau genre de vie. Cependant, autant l’alarme est nĂ©cessaire pour favoriser cette mobilisation, autant elle peut se prĂȘter Ă  des excĂšs qui engendrent la peur au point que celle-ci dĂ©bouche sur le dĂ©sespoir, le fatalisme, la rĂ©signation. C’est ainsi qu’au cours des derniĂšres annĂ©es, s’est dĂ©veloppĂ© un courant de pensĂ©e influant qui envisage l’avenir en terme d’effondrement. Dans un livre : « « Comment tout peut s’effondrer », des chercheurs, par ailleurs reconnus, Pablo Servigne et RaphaĂ«l Stevens se proposent d’aborder dans une perspective scientifique l’effondrement systĂ©mique global de la civilisation industrielle et des grands Ă©quilibres des Ă©cosytĂšmes, en dĂ©signant cette approche sous le vocable de « collapsologie ». Si l’alarme nĂ©cessaire vis-Ă -vis des menaces de dĂ©rĂšglement des Ă©quilibres naturels, peut susciter une eco-anxiĂ©tĂ© et, en rĂ©ponse, un nouveau mode de pensĂ©e (1), elle peut dĂ©gĂ©nĂ©rer en se focalisant sur la crainte d’un effondrement, car une telle fascination engendre le fatalisme. C’est pourquoi, un chercheur, bien connu sur ce blog, Jacques Lecomte, vient d’écrire un livre oĂč il s’élĂšve contre ‘l’effondrisme’ : « La science contre les thĂ©ories de l’effondrement ». Le titre principal, ‘Rien n’est joué’ (2) manifeste son refus du fatalisme. Expert français en psychologie positive, Jacques Lecomte a appris comment la focalisation sur le nĂ©gatif entrainait un enfermement dans ce registre. Et Ă  l’inverse, il y a une dynamique du bien. C’est pourquoi Jacques Lecomte a Ă©crit un beau livre sur « la bontĂ© humaine » (3). Par la suite, il a mis en Ă©vidence les expĂ©riences positives des « entreprises humanistes » (4 ). Et enfin, dĂ©sirant encourager la confiance, il a publiĂ© en 2017,un livre visant Ă  enrayer le pessimisme collectif : ‘Le monde va beaucoup mieux que vous ne croyez’ (5). On comprend donc pourquoi aujourd’hui Jacques Lecomte s’attelle Ă  la tĂąche de rĂ©futer les thĂšses de « l’effondrisme ».

Jacques Lecomte partage notre souci de sauvegarder la Terre. Il n’est pas climatosceptique. Au contraire, « c’est prĂ©cisĂ©ment parce que l’état de notre environnement me prĂ©occupe fortement que je m’intĂ©resse aux solutions dĂ©jĂ  existantes. Car il y a urgence face au rĂ©chauffement climatique d’origine humaine, Ă  la destruction de la nature et Ă  de nouvelles formes de pollution ». Mais, selon l’auteur, « les effondristes contemporains affirment au contraire qu’il n’y a pas de solutions aux problĂšmes, que les seules actions envisageables consiste Ă  s’adapter Ă  une situation environnementale insoluble » (p 10). « L’objectif de ce livre est d’évaluer la qualitĂ© scientifique de ce courant de pensĂ©e ». Pour Jacques Lecomte, cette intervention n’allait pas de soi. « J’ai pour habitude, dans mes Ă©crits, confĂ©rences et formations de valoriser des informations positives, non de critiquer. De plus, en commençant l’écriture de ce livre, j’étais embarrassĂ© de contester les propos de personnes dont je partage la prĂ©occupation environnementale et l’aspiration Ă  une sociĂ©tĂ© plus fraternelle. Mes lectures m’ont cependant amenĂ© progressivement Ă  cette conviction : le discours effondriste est non seulement scientifiquement faux, mais il a de plus des effets nĂ©fastes psychologiques, politiquement et environnementalement. Comprendre cela a Ă©tĂ© pour moi l’argument dĂ©cisif. S’il pouvait limiter la vague actuelle d’éco-anxiĂ©tĂ© et redonner de l’espoir et l’envie d’agir fortement pour amĂ©liorer notre monde, j’en serais ravi. La premiĂšre raison d’ĂȘtre de ce livre est donc de montrer Ă  celles et ceux qui le liront que rien n’est jouĂ©, qu’il est encore possible d’agir efficacement » (p 11).

Jacques Lecomte a donc entrepris un travail considĂ©rable d’analyse des textes en les confrontant avec d’autres recherches et avec les donnĂ©es pouvant ĂȘtre mises en Ă©vidence. Et par exemple, la prĂ©diction de telle pĂ©nurie de matiĂšres premiĂšres Ă  telle date s’est-elle rĂ©alisĂ©e ?

Le livre se compose de deux parties : la critique des points fondamentaux de l’approche effondriste ; une analyse des modes de pensĂ©e entrainant des dĂ©rives dans les conclusions. Nous nous limiterons ici Ă  une courte prĂ©sentation de la remise en cause de conclusions effondristes.

 

Les pionniers de l’effondrisme. ProphĂ©ties ratĂ©es et cruautĂ© politique
Quels sont les auteurs  auxquels les penseurs de l’effondrisme se rĂ©fĂ©rent et dont ils s’inspirent ? En quoi leurs thĂ©ories sont-elles profondĂ©ment critiquables ?

« Nous ne pouvons comprendre les effondristes contemporains que si nous analysons en premier lieu les pensĂ©es et les actes des prĂ©curseurs dont ils se disent hĂ©ritiers. Ces auteurs sont gĂ©nĂ©ralement prĂ©sentĂ©s par les effondristes comme des sources scientifiquement et moralement fiables. Il s’agit principalement de Thomas Malthus, Paul Ehrlich, Garrett Hardin, Denis Meadow et ses collĂšgues, Jared Diamond » (p 21). Jacques Lecomte nous montre Ă  travers des citations de personnalitĂ©s effondristes combien ils sont influencĂ©s par la pensĂ©e Malthusienne. Le livre majeur de Malthus, publiĂ© en 1798, est intitulé : « Essai sur le principe de population ». L’idĂ©e centrale de ce livre est que « la population humaine augmente Ă  un rythme bien plus rapide que notre capacitĂ© Ă  produire l’alimentation nĂ©cessaire ». Jacques Lecomte rappelle les incidences cruelles de la pensĂ©e malthusienne qui impute leur sort aux pauvres et n’hĂ©site pas Ă  considĂ©rer la mortalitĂ© comme un moyen de limiter la population. Sa thĂ©orie a inspirĂ© des mesures grossiĂšrement antisociales dans l’Angleterre du XIXe siĂšcle. A partir des donnĂ©es existantes, Jacques Lecomte rĂ©fute les thĂšses de Malthus : « Il n’y a pas augmentation exponentielle de la population
 La production alimentaire suffit Ă  nourrir la population mondiale
 Les famines ne rĂ©sultent pas des pĂ©nuries alimentaires, mais de choix politiques
 C’est la pauvretĂ© qui entraine la croissance dĂ©mographique, non l’inverse
 L’aide sociale n’incite pas les pauvres Ă  se reproduire  » (p 26-28). L’auteur dĂ©crit « les terribles consĂ©quences des pratiques malthusiennes » comme la grand famine en Irlande (1845-1850) et la grande famine en Inde (1876-1875) (p 30-31).

Ce tableau est si sombre qu’on peut se demander comment des auteurs peuvent aujourd’hui Ă©voquer son inspiration « Malthus a Ă©tĂ© le premier auteur Ă  introduire la notion de raretĂ© en Ă©conomie. C’est surtout Ă  ce titre qu’il est suivi par des auteurs contemporains qui s’affirment malthusiens ou nĂ©o-malthusiens  » Les emprunts Ă  sa pensĂ©e varient Ă©galement. « Malthus se prĂ©occupait surtout de la production alimentaire tandis que les continuateurs actuels soulignent que les ressources naturelles sont limitĂ©es. C’est l’interprĂ©tations que soulignent Pablo Servigne et RaphaĂ«l Stevens
 en nous rappelant que nous ne pouvons pas croĂźtre indĂ©finiment dans un monde fini ». Mais, nous dit Jacques Lecomte : « On ne peut prĂ©senter Malthus comme un Ă©cologiste avant l’heure, alors que sa prĂ©occupation Ă©tait toute autre, et ses propositions particuliĂšrement brutales » (p 24).

Lorsqu’on s’oppose Ă  une croissance sans frein gĂ©nĂ©ratrice du dĂ©sordre naturel, on considĂšre souvent le rapport Meadows, le rapport du Club de Rome publiĂ© en 1972 ; les ‘limites de la croissance’ comme un avertissement prĂ©curseur. Jacques Lecomte nous montre en quoi le rapport Meadows est cependant critiquable. « Certes les auteurs du rapport Meadows dĂ©crivent des impacts nĂ©fastes de l’action humaine (dĂ©chets nuclĂ©aires, pollution de l’eau et de l’air, pesticides), mais cela reste secondaire dans l’ouvrage. L’alerte environnementale constitue moins d’un dixiĂšme du propos. Comme beaucoup d’autres Ă©crits effondristes contemporains, ce document met essentiellement en garde contre le risque de proche effondrement de notre sociĂ©tĂ© industrielle par manque de matiĂšres premiĂšres  » (p 47). Cependant, on constate maintenant que les prĂ©visions du rapport ne se sont pas rĂ©alisĂ©es. « Les dates prĂ©vues de pĂ©nurie de matiĂšres premiĂšres devant conduire Ă  l’effondrement se sont toutes rĂ©vĂ©lĂ©es fausses » (p 49). De fait, on peut voir de ‘multiples biais mĂ©thodologiques’ dans ce rapport (p 60-55). Les erreurs de prĂ©vision ne sont pas sans consĂ©quences. « Le fondement malthusien du rapport conduisait Ă  dire qu’il y a sur terre trop de personnes, comparĂ© aux ressources restreintes de la planĂšte ». Un chercheur chinois a propagĂ© cette vision en Chine et « la politique de l’enfant unique » en a Ă©tĂ© une « tragique application » (p 62-63).

Jacques Lecomte Ă©voque un autre auteur qui est maintenant renommĂ© et exerce une influence auprĂšs des auteurs effondristes. Jared Diamond est devenu cĂ©lĂšbre en publiant en 2005 un ouvrage intitulĂ©Â â€˜Effondrement’ dans lequel il affirme que « plusieurs facteurs expliquent la disparition ou la fragilisation de certaines civilisations telles que les Incas, les habitants de l’Ile de PĂąques, les Vikings
 Ces causes sont principalement des dommages environnementaux, des changements climatiques, des voisins hostiles, des rapports de dĂ©pendance avec des partenaires commerciaux et les rĂ©ponses apportĂ©es par chaque sociĂ©tĂ© Ă  ces problĂšmes. Le sous-titre ‘Comment les sociĂ©tĂ© dĂ©cident de leur disparition  ou de leur survie’ prĂ©cise bien les intentions de l’auteur » (p 64). Ce livre a rencontrĂ© un grand succĂšs. « Il est devenu un best-seller mondial trĂšs souvent citĂ© par les auteurs catastrophistes qui insistent sur les dommages environnementaux comme source d’effondrement ». Or, ces explications sont maintenant contestĂ©es. « Des dizaines d’experts, des centaines de pages ont remis en question l’ensemble de l’édifice Ă©laborĂ© par Diamond. En 2010, un groupe d‘universitaires s’est rĂ©uni Ă  l’universitĂ© de Cambridge pour analyser le concept d’effondrement en histoire et en archĂ©ologie. Un consensus a Ă©mergĂ© selon lequel l’effondrement sociĂ©tal est un concept fuyant qui rĂ©siste Ă  tout tentative de dĂ©finition simple et les vrais effondrements sociaux sont rares. Ce que constatent les spĂ©cialistes, ce sont plus des dĂ©clins et des transformations que des chutes brusques. Certes, ces chercheurs ne nient pas que des dĂ©sastres surviennent, mais ils notent une considĂ©rable rĂ©silience des peuples en rĂ©ponse Ă  toutes sortes de difficultĂ©s et changements environnementaux » (p 64). « La rĂ©silience est la rĂšgle plutĂŽt que l’exception lorsque ces sociĂ©tĂ©s ont dĂ» faire face Ă  des problĂšmes extrĂȘmes » (p 65). Jacques Lecomte Ă©tudie ensuite le cas emblĂ©matique de l’Ile de PĂąques dans le Pacifique. « Diamond affirme que les habitants de l’üle ont pratiquĂ© un « écocide » en dĂ©truisant leur forĂȘt ce qui a conduit Ă  leur propre destruction » (p 66). Or, d’autres chercheurs ont contestĂ© les arguments de Diamond. Ainsi, ce n’est pas le transport des grandes statues de l’Ile de PĂąques qui a nĂ©cessitĂ© et entrainĂ© la dĂ©forestation. Et l’effondrement de la population n’a pas eu lieu avant l’arrivĂ©e des europĂ©ens. Ces critiques sont trop souvent ignorĂ©es par les medias qui continuent Ă  faire l’apologie du livre de Diamond (p 66-70).

En conclusion de ce chapitre, Jacques Lecomte rĂ©itĂšre sa critique du rapport Meadows en s’inspirant d’un autre modĂšle, celui du rapport Bariloche, qui, Ă  l’encontre d‘une croissance zĂ©ro, met en Ă©vidence les besoins des pays non occidentaux. « Les problĂšmes les plus importants que le monde moderne doit affronter ne sont pas d’ordre physique, mais sociopolitique et proviennent d‘une distribution inĂ©gale du pouvoir tant sur le plan international qu’au sein des pays eux-mĂȘmes » (p 72). « Une autre vision – humaniste – du monde est possible » conclut Jacques Lecomte (p 71).

 

Une autre composante de l’effondrisme :  une annonce de la pĂ©nurie de matiĂšres premiĂšres

Jacques Lecomte consacre un chapitre Ă  rĂ©futer la thĂšse d’une pĂ©nurie imminente de matiĂšres premiĂšres : « La pĂ©nurie imminente de matiĂšres premiĂšres constitue la piĂšce maĂźtresse de l’effondrisme. Enlevez pĂ©trole, charbon, gaz, mĂ©taux et minerais, et notre civilisation moderne s’effondre
 Le pic de matiĂšres premiĂšres, c’est-Ă -dire le moment oĂč la production mondiale atteint son maximum, puis dĂ©cline, est donc au cƓur de ce discours. Or affirmer que nous sommes au bord d’une pĂ©nurie mondiale de matiĂšres premiĂšres rĂ©sulte d’une lecture biaisĂ©e des donnĂ©es scientifiques existantes ». L’auteur peut ainsi relever un grand nombre de prĂ©dictions alarmistes qui se sont rĂ©vĂ©lĂ©es fausses. « Depuis 1860, on observe de multiples alertes sans fondement ». Bien plus, Jacques Lecomte renverse cette perspective : une gestion Ă©conome des ressources est un moyen de lutter contre une croissance effrĂ©nĂ©e. « Le vrai problĂšme n’est pas que nous allons manquer de pĂ©trole et de minerais, mais que nous en avons beaucoup trop Ă  disposition. L’enjeu majeur n’est dons pas l’imminence de la pĂ©nurie de matiĂšres premiĂšres, mais la dĂ©cision de laisser dans le sol des quantitĂ©s considĂ©rables de ces produits » (p 75-76). Les nombreuses analyses de ce chapitre se fondent sur des Ă©tudes de cas particuliĂšrement documentĂ©es. L’approche est logique : «  Croire ou se faire croire Ă  la pĂ©nurie imminente de matiĂšres premiĂšres, c’est perpĂ©tuer le systĂšme actuel. Un monde reposant essentiellement sur une Ă©nergie carbonĂ©e et c’est inacceptable d’un point de vue environnemental » (p 102). « La transition Ă©nergĂ©tique par contrainte liĂ©e au pic des matiĂšres premiĂšres est un mythe. En revanche, l’essor de cette transition par dĂ©cision est possible  » (p 103).

 

Le climat. « Comment les effondristes maltraitent les rapports du GIEC et se trompent sur les peuples du sud ».

Nous voici en prĂ©sence du problĂšme majeur : la menace d’un bouleversement climatique. Sur ce point, nous avons tous besoin d’un Ă©clairage objectif et porteur d’un espoir mobilisateur. L’apport de Jacque Lecomte va se rĂ©vĂ©ler prĂ©cieux.

« Le changement climatique est le problĂšme environnemental majeur. Nous sommes alertĂ©s depuis plus de trente ans par les rapports successifs du CIEC (groupe intergouvernemental sur l’évolution de climat), ce rĂ©seau international d’experts, dont la mission est d’évaluer et de diffuser l’état des connaissances sur le rĂ©chauffement climatique et ses consĂ©quences » (p 105). Les travaux du GIEC sont devenus de plus en plus prĂ©cis et assurĂ©s. « Le consensus scientifique sur l’origine humaine du rĂ©chauffement climatique est aujourd’hui impressionnant ». On peut constater que la plupart de ses prĂ©dictions climatiques se rĂ©vĂšlent exactes (p 106). Jacques Lecomte remarque alors que les messages du GIEC peuvent ĂȘtre dĂ©formĂ©s aussi bien par les effondristes que par les climatosceptiques. Il sait critiquer certains articles envisageant «une terre bientĂŽt inhabitable » (p 111-117) en montrant combien leurs rĂ©fĂ©rences sont peu fiables et en mentionnant les oppositions qui leur sont faites. Dans certains cas, Jacques Lecomte redresse quelques images catastrophiques qui viennent alimenter notre eco-anxiĂ©tĂ© telles qu’un probable engloutissement du Bangladesh ou des Ăźles des ocĂ©ans Indien et Pacifique sous les eaux.

« Le Bangladesh est l’un des pays les plus sujets aux catastrophes naturelles, indĂ©pendamment mĂȘme du changement climatique. Environ 80% du Bangladesh est composĂ© de l’immense delta du Bengale alimentĂ© par trois fleuves
 Chaque annĂ©e, entre un cinquiĂšme et un tiers du pays est inondĂ© et ce taux peut s’élever jusqu’à 70%. Il s’agit d’inondations temporaires. La plus grande partie du pays est situĂ©e Ă  moins de 10 mĂštres au-dessus du niveau de la mer et les vastes zones cĂŽtiĂšres Ă  moins de 1 mĂštre  » (p 118). Toutefois, ces inondations sont Ă  la fois destructrices et productrices en dĂ©pĂŽt d’alluvions. Selon le GIEC, la mer s’élĂšvera de 26 cm Ă  98 cm en 2100. Mais les consĂ©quences sont Ă©valuĂ©es diffĂ©remment selon les auteurs. Jacques Lecomte rĂ©fute un scĂ©nario dramatique. Il se rĂ©fĂšre Ă  un gĂ©ographe anglais expert du Bengale, Hugh Brammer. « Selon lui, la gĂ©ographie physique et la zone cĂŽtiĂšre du Bangladesh sont plus diverses et dynamiques qu’on ne le pense gĂ©nĂ©ralement. C’est une erreur de penser que cette Ă©lĂ©vation va submerger la cĂŽte » (p 119). Et, en raison des alluvions apportĂ©s par les fleuves, on note mĂȘme des gains de terre au long des annĂ©es. Par ailleurs, les habitants de ce pays ne sont pas passifs. On peut constater de nombreuses innovations. Et, par exemple, « de vastes bĂątiments sur pilotis en bĂ©ton ont Ă©tĂ© construits ». Ils servent de refuge en cas d’inondation. En mĂȘme temps, les services d’alerte sont perfectionnĂ©s. On observe dans ce pays une grande ingĂ©niositĂ©. On y compte, par exemple, de multiples innovations agricoles comme des variĂ©tĂ©s de riz rĂ©sistantes Ă  la salinité  Una attention particuliĂšre est portĂ©e aux « charlands », ces iles qui se forment grĂące Ă  l’accumulation des sĂ©diments. « Lorsque le « charland » est stabilisĂ©, l’État met en place un systĂšme permettant Ă  des familles de devenir propriĂ©taires du lieu qu’elles occupent. La gestion des ressources naturelles est communautaire ». A la lecture de cette description, notre reprĂ©sentation change. « En parlant de 60 millions de Bangladais privĂ©s de terre, les effondristes nous les prĂ©sentent comme une masse indiffĂ©renciĂ©e et impuissante, alors qu’il s’agit de personnes actives et efficaces, gĂ©nĂ©ralement structurĂ©es en communautĂ©s solidaires. ConfrontĂ©s Ă  l’adversitĂ© depuis toujours, les Bangladais ont su faire preuve de crĂ©ativitĂ© et obtiennent de remarquables rĂ©sultats » (p 124).

Jacques Lecomte nous permet Ă©galement de reconnaitre le potentiel de rĂ©sistance des Ăźles du Pacifique menacĂ©es par la montĂ©e du niveau de la mer. De fait, les phĂ©nomĂšnes naturels ne comportent pas uniquement des aspects nĂ©gatifs. Ainsi « les vagues transportent, puis dĂ©posent sur la cĂŽte du sable, du gravier, et des parties de coraux  ». D’autre part, les coraux sont des organismes rĂ©actifs. Un expert peut Ă©crire : « L’accumulation de donnĂ©es scientifiques montre que les Ăźles rĂ©agissent Ă  l’élĂ©vation du niveau de la mer. De nombreuses possibilitĂ©s d’adaptation permettent aux habitants des Ăźles de continuer Ă  mener une bonne vie. Le dĂ©fi est de savoir comment y arriver, ce qui est politique  » (p 128). « On ne doit pas minimiser l’importance de la rĂ©silience et des actions des communautĂ©s locales » souligne Jacques Lecomte.

Au total, ce chapitre nous parait analyser en profondeur les problĂšmes en recherchant, en mĂȘme temps, les voies de solution. Ainsi, intitule-t-il son dernier texte ‘Face aux mythes dĂ©primants et stigmatisants, une rĂ©alitĂ© porteuse d’espĂ©rance’. LĂ  encore, il apporte un exemple positif. Face aux tensions et aux conflits suscitĂ©s par le problĂšme du partage de l’eau, il nous dĂ©crit « les frĂ©quents exemples de diplomatie de l’eau ». C’est par la nĂ©gociation et la coopĂ©ration que les problĂšmes partagĂ©s ont le plus de probabilitĂ©s d’ĂȘtre rĂ©glĂ©s » (p 150).

 

La biodiversité. Dramatiser la crise est aussi néfaste que la nier

« La nature est en danger. C’est incontestable ». « Une partie de la biodiversitĂ© est clairement en grande difficulté ». L’auteur en donne quelques exemples : « la rĂ©duction des Ă©cosystĂšmes sauvages » ; « l’effondrement de nombreuses espĂšces d’amphibiens » ; « le dĂ©clin des insectes » ; « le dĂ©clin des oiseaux communs d’Europe et d’AmĂ©rique du Nord ». Comment Jacques Lecomte envisage-t-il la situation ? « Tout cela est prĂ©occupant. Il n’y a donc nul besoin de noircir le tableau pour en percevoir la gravitĂ©. C’est malheureusement ce qui est souvent fait, que ce soit par des experts, des militants, ou des journalistes. J’analyse dans les pages qui suivent des arguments frĂ©quemment mis en avant par des partisans d’une vision catastrophique. L’information objective sur les problĂšmes diffĂšre nettement de l’extrĂ©misme catastrophique » (p 165). L’auteur critique notamment la prĂ©diction d’une prochaine « extinction ce masse ». Il y a un immense Ă©cart entre les prĂ©dictions catastrophiques d’espĂšces devant s’éteindre (jusqu’à un million) et la rĂ©alitĂ© (quelques centaines en plusieurs siĂšcles) (p 166). De fait il y a des espĂšces perdantes, mais aussi des gagnantes grĂące Ă  l’action militante » (p 169). Ainsi, si il y a une perte massive de certains oiseaux familiers en Europe ( alouette, Ă©tourneau, moineau domestique), il y aussi des espĂšces rares et menacĂ©es qui se portent mieux. « Par exemple, la population des grues cendrĂ©es a Ă©tĂ© multipliĂ©e par 5. Les oiseaux rares europĂ©ens sont en pleine renaissance. De forts progrĂšs qui consacrent des annĂ©es d’efforts des naturalistes et des politiques de protection » (p 171). Au total, « il n’y a donc pas un effondrement gĂ©nĂ©ralisĂ© de la biodiversitĂ©, mais plutĂŽt trois situations. Une majoritĂ© d’espĂšces sont stables. Il y a le groupe minoritaire des espĂšces perdantes et les espĂšces gagnantes » (p 170). L’auteur fait apparaitre des biais dans l’examen des espĂšces menacĂ©es. Ainsi, « lorsqu’une espĂšce entre dans la catĂ©gorie ‘prĂ©occupation mineure’, elle ne peut plus jamais s’amĂ©liorer, mĂȘme si sa population augmente considĂ©rablement » (p 184). En France, de nombreux mammifĂšres sont en grande augmentation, tels les chevreuils, les cerfs, les chamois, les castors, les sangliers. Les castors se sont multipliĂ©s par 100 en un siĂšcle (p 185). Sur de nombreuses pages, l’auteur procĂšde Ă  un examen dĂ©taillĂ© des informations sur des pertes jugĂ©es catastrophiques. Par un travail minutieux, la confrontation de recensements, il met en Ă©vidence des abus de dramatisation. Il montre notamment les rĂ©ussites des lĂ©gislations protectrices, par exemple dans le cas des rhinocĂ©ros d’Afrique et des loutres de mer (p 204-208).

Ainsi apparait un tableau moins sombre que celui qui nous est présenté par les médias.

On peut se demander si cette moindre dramatisation ne risque pas d’engendrer une dĂ©mobilisation. Jacques Lecomte s’est posĂ© cette question et il y rĂ©pond. « Pour ma part, en Ă©crivant ce chapitre, ne serais-je pas en train de tirer contre mon propre camp, celui des amoureux de la nature ? Je ne le pense pas pour trois raisons ; d’objectivitĂ© et de crĂ©dibilitĂ©, d’efficacité ; de vision existentielle. » (p 211). « Si on nous donne l’impression que la situation est dĂ©sespĂ©rĂ©e, on pensera qu’il est trop tard pour changer de cours. Ce qui est faux. Quand on prend des mesures Ă©nergiques, on obtient des rĂ©sultats
 Les recherches en sciences humaines montrent que la communication par les expĂ©riences positives et l’espoir est plus efficace que la communication par la catastrophe. Informer prioritairement sur la baisse de la biodiversitĂ©, voire sur les risques d’extinction d’espĂšces, Ă©tait certainement utile, il y a une cinquantaine d’annĂ©es, et cette dĂ©marche a conduit Ă  prendre des mesures, dont certaines se sont rĂ©vĂ©lĂ©es trĂšs efficaces. Mais la situation n’est plus la mĂȘme aujourd’hui, car, Ă  cĂŽtĂ© des menaces pesant sur la nature, nous disposons d’une histoire riche de multiples succĂšs, qu’il est nĂ©cessaire de faire connaitre pour les multiplier » (p 211). « Une derniĂšre raison pour laquelle j’assume pleinement l’orientation de ce chapitre est existentielle. Je considĂšre que s’émerveiller de la renaissance de la nature est une source de sens Ă  la vie bien plus puissante que d’ĂȘtre obnubilĂ© par sa destruction » (p 213). Le chapitre se conclut par une rĂ©flexion stratĂ©gique. Comment amĂ©liorer la conservation de la nature et la protection de la biodiversité ? De plus en plus, en partageant les expĂ©riences de rĂ©ussite des actions entreprises.

 

Comment se produisent les dĂ©formations dans l’apprĂ©hension du rĂ©el qui abondent dans la pensĂ©e effondriste ?

Jacques Lecomte consacre la seconde partie de son livre Ă  une confrontation avec la pensĂ©e effondriste et, en d’autres termes, avec la collapsologie. On se reportera particuliĂšrement au chapitre sur les biais cognitifs. Une citation de Karl Popper exprime bien les intentions qui instruisent ce chapitre : « Si nous ne prenons pas une attitude critique, nous trouverons toujours ce que nous dĂ©sirons ; nous rechercherons, et nous trouverons la confirmation ; nous Ă©viterons et nous ne verrons pas tout ce qui peut ĂȘtre dangereux pour nos thĂ©ories favorites. De cette façon, il n’est que trop aisĂ© d’obtenir ce qui semble une preuve irrĂ©sistible en faveur d’une thĂ©orie qui, si on l’avait approchĂ© d’une façon critique, aurait Ă©tĂ© rĂ©futĂ©e ».

Ce livre porte sur des questions fondamentales. Comment faire face aux menaces vis-Ă -vis de la poursuite de notre humanité dans son environnement naturel ? Et donc comment Ă©valuer cette menace et dĂ©velopper de bonnes stratĂ©gies ? Dans cette recherche, ce livre est trĂšs original dans sa quĂȘte d’objectivitĂ© et son approche positive. En s’affrontant Ă  la collapsologie et Ă  la pensĂ©e effondriste, il nous prĂ©munit vis-Ă -vis de la tentation du dĂ©faitisme, il vient nous encourager dans l’espĂ©rance. Oui, « s’émerveiller de la renaissance de la nature est une source de sens Ă  la vie ».

Cependant, ce livre se caractĂ©rise par un travail considĂ©rable dans la confrontation des donnĂ©es et la recherche des sources. il nous apprend Ă  Ă©valuer l’information dans un monde oĂč cette dĂ©marche est difficile. Et, Ă  cette intention, il mobilise une immense documentation. A cet Ă©gard, c’est un outil de travail pour tous ceux qui travaillent dans les mĂ©dias. Il y a trop d’idĂ©es toutes faites dans une fascination de la dramatisation. Cet ouvrage est donc un livre de rĂ©fĂ©rence. Ici, Jacques Lecomte poursuit son Ɠuvre qui est de nous Ă©clairer dans une approche positive.

J H

 

  1. L’espĂ©rance en mouvement : https://vivreetesperer.com/lesperance-en-mouvement/
  2. Jacques Lecomte. Rien n’est joué ; La science contre les thĂ©ories de l’effondrement. Les ArĂšnes, 2023
  3. La bonté humaine : https://vivreetesperer.com/la-bonte-humaine/
  4. Vers un nouveau climat de travail dans des entreprises humanistes et conviviales : https://vivreetesperer.com/vers-un-nouveau-climat-de-travail-dans-des-entreprises-humanistes-et-conviviales-un-parcours-de-recherche-avec-jacques-lecomte/
  5. En 2017, Jacques Lecomte avait dĂ©jĂ  publiĂ© un livre visant Ă  introduire un regard positif dans l’observation des rĂ©alitĂ©s contemporaines : « Le monde va beaucoup mieux que vous ne le croyez » : https://vivreetesperer.com/et-si-tout-nallait-pas-si-mal/

Agir et espérer. Espérer et agir

L’espĂ©rance comme motivation et accompagnement de l’action.

Nos activitĂ©s, nos engagements dĂ©pendent de notre motivation. Et notre motivation elle-mĂȘme requiert la capacitĂ© de regarder en avant, un horizon de vie, une dynamique d’espĂ©rance. Quel rapport entre espĂ©rance et action ? Cette question concerne tous les registres de notre existence. JĂŒrgen Moltmann apporte une rĂ©ponse thĂ©ologique Ă  cette question dans l’introduction Ă  son dernier ouvrage qui porte sur l’éthique de l’espĂ©rance (Ethics of hope ») (1)

 

Qu’est-ce que nous pouvons espĂ©rer ? Que pouvons-nous faire ? Un espace pour l’action.

L’espĂ©rance, nous dit Moltmann, suscite notre motivation. Peut-on agir si nous avons l’impression de nous heurter Ă  un mur ? A un certain point, le volontarisme trouve sa limite. Dans l’histoire, on a vu des groupes se dĂ©liter parce qu’ils avaient perdu une vision de l’avenir. Pour agir, nous avons besoin de croire que notre action peut s’exercer avec profit. « Nous devenons actif pour autant que nous espĂ©rions », Ă©crit Moltmann. « Nous espĂ©rons pour autant que nous puissions entrevoir des possibilitĂ©s futures. Nous entreprenons ce que nous pensons ĂȘtre possible ».

Ce regard inspire nos comportements sur diffĂ©rents registres, dans la vie quotidienne, mais aussi dans la vie en sociĂ©tĂ©. « Si, par exemple, nous espĂ©rons que le monde va continuer comme maintenant, nous garderons les choses telles qu’elles sont. Si, par contre, nous espĂ©rons en un avenir alternatif, alors nous essaierons dĂšs maintenant de changer les choses autant que faire se peut ».

 

Que dois-je craindre ? Qu’est-ce que je peux faire ? L’action : une nĂ©cessitĂ©.

 « Nous pensons Ă  l’avenir, non seulement en fonction d’un monde meilleur, mais aussi, et peut-ĂȘtre plus encore, en fonction de nos anxiĂ©tĂ©s et de nos peurs ». Il est important et nĂ©cessaire de percevoir les dangers. Nos peurs interviennent alors comme une alerte.

La peur affecte Ă©galement nos comportements. L’anxiĂ©tĂ© attire notre attention sur les menaces. Nous faisons face au danger avec d’autant plus d’énergie que nous percevons l’efficacitĂ© de notre action. « Une Ă©thique de la crainte nous rend conscient des crises. Une Ă©thique de l’espĂ©rance perçoit les chances dans les crises ».

 

EspĂ©rance chrĂ©tienne.  D’un monde ancien Ă  un monde nouveau.

Dans les textes apocalyptiques juifs et chrĂ©tiens, la fin des temps est Ă©voquĂ©e dans des scĂ©narios catastrophiques, « mais, en mĂȘme temps, la dĂ©livrance Ă  travers un nouveau commencement divin est proclamĂ© avec d’autant plus de vigueur ». Ainsi, « rien de moins que l’Esprit de Dieu sera rĂ©pandu pour que tout ce qui est mortel puisse vivre ». (JoĂ«l 2. 28-32. Actes 2 16-21). PortĂ© par l’Esprit divin, la nouvelle crĂ©ation de toutes choses commence lorsque le monde ancien s’efface . Motmann cite le poĂšte Friedrich Hölderlin : « LĂ  oĂč est le danger, la dĂ©livrance croit aussi ». « L’éthique chrĂ©tienne de l’espĂ©rance apparaĂźt dans la mĂ©moire de la rĂ©surrection du Christ crucifiĂ© et attend donc l’aube du nouveau monde suscitĂ© par Dieu dans l’effacement de l’ancien ». C’est une forme de mĂ©tamorphose. La transformation est dĂ©jĂ  en cours. « L’espĂ©rance chrĂ©tienne est fondĂ©e sur la rĂ©surrection du Christ et s’ouvre Ă  une vie Ă  la lumiĂšre du nouveau monde suscitĂ© par Dieu. L’éthique chrĂ©tienne anticipe,  dans les potentialitĂ©s de l’histoire, la venue (« coming » universelle de Dieu ».

 

Prier et observer.

Si l’on espĂšre, la priĂšre s’inscrit dans une attente et, en consĂ©quence, elle s’accompagne d’une observation de ce qui se passe et va se passer : prier et observer. « En observant, nous ouvrons nos yeux et reconnaissons le Christ cachĂ© qui nous attend dans les pauvres et les malades (Matthieu 25. 37)
 L’attention Ă  l’éveil messianique se manifeste Ă  travers les signes des temps dans lesquels le futur de Dieu est annoncĂ© de telle façon que l’action chrĂ©tienne inspirĂ©e par l’espĂ©rance, devienne anticipation du royaume qui vient, dans lequel justice et paix s’embrassent mutuellement ».

 

Attendre et se hĂąter.

« Dans l’espĂ©rance de l’avenir divin, tous les thĂ©ologiens de ComĂ©nius Ă  Blumhardt ont mis l’accent sur ces deux attitudes : attendre et se hĂąter ». Attendre ne veut pas dire adopter une attitude passive, mais au contraire regarder en avant : « La nuit est avancĂ©e. Le jour est proche » (Romains 15.12). Attendre, c’est aussi s’attendre. « La venue de Dieu, Dieu qui vient, engendre une puissance de transformation dans le prĂ©sent ». « Dans la tension de l’attente, nous nous prĂ©parons Ă  l’avenir divin et cet avenir gagne en force dans notre prĂ©sent ».

Et aussi, nous ne nous rĂ©signons pas Ă  l’injustice et Ă  la violence. Les gens qui attendent la justice de Dieu ne peuvent plus supporter la rĂ©alitĂ© actuelle comme un fait obligĂ© « parce qu’ils savent qu’un monde meilleur est possible et que des changements sont aujourd’hui nĂ©cessaires ».

L’attente s’exerce dans une foi fidĂšle : « L’espĂ©rance ne donne pas seulement des ailes Ă  la foi.  Elle donne aussi Ă  cette foi le pouvoir de tenir ferme et de persĂ©vĂ©rer jusqu’au bout ».

Il y a aussi un double mouvement : attendre et se hĂąter. « Se hĂąter dans le temps signifie traverser la frontiĂšre entre la rĂ©alitĂ© prĂ©sente et la sphĂšre de ce qui est possible dans l’avenir ». En traversant cette frontiĂšre, nous anticipons l’avenir que nous espĂ©rons. « Ne pas prendre les choses comme elles sont, mais les voir comme elles peuvent ĂȘtre dans l’avenir  et amener dans le prĂ©sent cette potentialitĂ©, ce pouvoir ĂȘtre, c’est nous ouvrir Ă  l’avenir ». Le prĂ©sent apparaĂźt comme une transition entre ce qui a Ă©tĂ© et ce qui sera.

« Regarder en avant, percevoir les possibilitĂ©s et anticiper ce que sera demain, tels sont les concepts fondamentaux d’une Ă©thique de l’espĂ©rance. Aujourd’hui, attendre et se hĂąter dans la perspective du futur signifient rĂ©sister et anticiper ».

Jean Hassenforder

 

(1)            Moltmann (JĂŒrgen). Ethics of Hope. Fortress Press, 2012. Ce livre a Ă©tĂ© traduit par Margaret Kohl Ă  partir de la premiĂšre Ă©dition publiĂ©e en allemand en 2010 : Ethik der Hoffnung. Dans cet ouvrage, JĂŒrgen Moltmann fait le point sur sa pensĂ©e aprĂšs plusieurs dĂ©cennies de rĂ©flexion thĂ©ologique. Ce texte est Ă©crit Ă  partir de l’introduction Ă  laquelle les citations sont empruntĂ©es (p 3-8).

 

 

Sur ce blog , d’autres articles sur la pensĂ©e de JĂŒrgen Moltmann :

« Le Dieu vivant et la plénitude de vie » : https://vivreetesperer.com/?p=2697

https://vivreetesperer.com/?p=2413

« Dieu vivant, Dieu prĂ©sent, Dieu avec nous dans un monde oĂč tout se tient » https://vivreetesperer.com/?p=2267

« L’avenir inachevĂ© de Dieu. Pourquoi c’est important pour nous !  » : https://vivreetesperer.com/?p=1884

RĂ©inventer les aurores (1)

https://images2.medimops.eu/product/4124ad/M02213713006-large.jpgSelon HaĂŻm Korsia

« C’est par la faille que jaillit la lumiĂšre ». Cette phrase fut prononcĂ©e par, HaĂŻm Korsia, grand rabbin de France, au cours d’une Ă©mission de grande Ă©coute, qui Ă©numĂ©rait les innombrables Ă©preuves que la France traverse en cette pĂ©riode de pandĂ©mie. L’incurie de nos gouvernants Ă©tait fortement Ă©voquĂ©e.

Sa parole lumineuse et forte fait Ă©cho Ă  toute une tradition judĂ©o-chrĂ©tienne qui porte en elle cette certitude multisĂ©culaire : la crise que nous traversons rĂ©vĂšle notre faiblesse mais c’est peut-ĂȘtre lĂ  que se trouve la source d’une eau vive et d’une croissance intĂ©rieure inattendue.  Pour Albert Camus aussi, la souffrance est un trou et la lumiĂšre vient de ce trou.

C’est aussi ce que dit, en chantant, le grand Leonard Cohen : « There is a crack in everything. That’s how the light gets in » De mĂȘme, c’est ce qu’exprime Pierre Soulages avec l’outrenoir, ses grands tableaux couverts d’aplats de noirs qui jouent avec la lumiĂšre. À 100 ans, il offre la couverture de ce livre Ă  son ami HaĂŻm.

Il suffit parfois d’un angle de vue pour changer de monde et le monde. C’est Ă  cela que nous invite HaĂŻm Korsia. Il s’agit, nous dit-il, de reconstituer, maille aprĂšs maille, le tissu de la sociĂ©tĂ© menacĂ©e par tout ce qui la dĂ©lite, de la peur Ă  la haine. Il nous invite Ă  faire appel aux forces de l’imaginaire alliĂ©es Ă  celles de la raison pour rĂ©inventer une sociĂ©tĂ© plus juste, rĂ©inventer les aurores. Il y a lĂ , comme un manifeste contre l’indiffĂ©rence, un plaidoyer pour la fraternitĂ©. En des termes simples et forts, il nous aide Ă  penser une politique de la jubilation et du bonheur retrouvĂ©.

Son projet politique pour aujourd’hui, est bien celui du retour Ă  l’espĂ©rance. Nous y avons notre place : l’État ne peut pas tout. Il ne peut que ce que les citoyens sont prĂȘts Ă  faire. Le rĂȘve d’une sociĂ©tĂ© heureuse implique des efforts collectifs et individuels.

RĂ©inventer les aurores de la RĂ©publique.  C’est bien de cela qu’il s’agit dans cet ouvrage qu’on a plaisir Ă  lire. La langue est belle, simple et lumineuse. Ses propos reposent sur une connaissance fine, prĂ©cise et lucide de la France d’aujourd’hui, celle qui souffre de la pandĂ©mie et du confinement, celle des Gilets jaunes et autres Ă©vĂ©nements qui marquent notre quotidien aujourd’hui. Car, on se doit de « penser ce moment pour ce qu’il dit. Il y a lĂ , un immense questionnement sur notre sociĂ©tĂ©, sur notre modĂšle, sur notre rapport Ă  l’étranger, au pauvre, au rĂ©fugiĂ©, sur la violence des impĂ©ratifs de performance et de rentabilitĂ© qui s’exercent sur nous et sur les autres au quotidien, sur le sens de notre existence. »

Si l’on refuse la passivitĂ©,  au cƓur de la nuit, il y a une espĂ©rance, une ouverture. C’est alors que des personnes diffĂ©rentes, d’horizons et de cultures diffĂ©rents, se sentent invitĂ©es Ă  participer Ă  une intelligence collective, enrichie de toutes ses pĂ©pites uniques et ainsi de refaire sociĂ©tĂ©. Il s’agit, en effet, d’échanger pour retrouver notre capacitĂ© Ă  inventer de nouveaux possibles.

Son idĂ©e de la RĂ©publique est Ă©clairĂ©e par son judaĂŻsme profondĂ©ment ouvert aux autres formes de spiritualitĂ© et de cultures. « Ce n’est pas le livre d’un Juif pour les Juifs, dit-il, mais la rĂ©flexion que peut offrir un homme porteur de la part juive de la France, s’adressant Ă  l’ensemble de ses concitoyens. » Il nous donne, ainsi, sa vision de textes fondamentaux qui ouvrent sur une espĂ©rance active pour aujourd’hui. GrĂące Ă  lui, l’Exode, les HĂ©breux dans le dĂ©sert, MoĂŻse, prennent vie et nous Ă©clairent.

Le rĂȘve est au cƓur du judaĂŻsme, nous dit-il. Juif ou non juif, nous nous retrouvons tous Ă  Ă©couter sa parole, parce qu’elle repose sur un regard lucide, exigeant sur notre actualitĂ©. Son espĂ©rance nous incite Ă  partir Ă  sa suite, pour retrouver notre capacitĂ© Ă  inventer de nouveaux possibles, notre rĂȘve commun, un socle et un idĂ©al, grĂące auxquels, chacun accepte de rogner un tout petit peu sur ses propres privilĂšges – les farouches critiques de l’État diraient sur les libertĂ©s – au profit du bien commun.

L’erreur souvent est de ne voir que notre passĂ©. « Il y a lĂ , comme un vieillissement de l’ñme, un manque de confiance d’une sociĂ©tĂ© dans son avenir. Ouvrons-nous aux nouvelles idĂ©es, aux nouveaux possibles. Car, il s’agit bien de trouver le souffle des premiers matins de la RĂ©publique. L’essentiel se joue dans la dĂ©finition de notre dĂ©sir commun de faire sociĂ©tĂ©. »

Le seul combat qui vaille est celui qui vise Ă  un monde plus juste, plus ouvert sur l’altĂ©ritĂ©, en faisant appel aux forces de l’imaginaire alliĂ©es Ă  celles de la raison pour rĂ©inventer une telle sociĂ©tĂ©. Il faut pour cela, «  rassembler les Ă©tincelles de lumiĂšre de tous les peuples. » Il s’agit de permettre Ă  des personnes diffĂ©rentes, d’horizons et de cultures diffĂ©rents de participer. Il est vital de multiplier les opinions, d’encourager une pensĂ©e divergente qui tourne le dos au nivellement par le bas de l’opinion publique.

Il faut oser imaginer un autre monde que celui qui nous est imposĂ©. Le vĂ©ritable enjeu de notre prĂ©sent, c’est la rĂ©appropriation, par chacun, de son pouvoir. « Tout ce qui descend du haut vers le bas, sans consentement ni participation, sans explication ni tendresse, apparaĂźt inacceptable. » HaĂŻm Korsia encourage alors des pensĂ©es divergentes, militantes, comme celles de ce merveilleux film documentaire « Demain » de Cyril Dion et MĂ©lanie qui prĂ©sente de nombreuses initiatives dans le monde, rĂ©pondant aux grandes questions sociales et Ă©cologiques du moment. « C’est local dans sa mondialitĂ©, optimiste, vivant, jouissif, parce que porteur d’espoir et de bonheur. »

GeneviĂšve Patte

  • HaĂŻm Korsia. RĂ©inventer les aurores. Fayard, 2020

 

Voir aussi :

« Le film demain » : https://vivreetesperer.com/le-film-demain/

« Pour des oasis de fraternité : https://vivreetesperer.com/pour-des-oasis-de-fraternite/

« Appel à la fraternité » :

https://vivreetesperer.com/appel-a-la-fraternite/

« Penser Ă  l’avenir, selon Jean Viard »

https://vivreetesperer.com/penser-a-lavenir-selon-jean-viard/