par jean | Juil 10, 2012 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Hstoires et projets de vie |
Ethique, communication et potentiel humain
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Myriam est coach marketing. Elle conseille des entrepreneurs, des coachs, des consultants dans leur démarche marketing.
        Sur son site : MonCoachMarketing.com (1), Myriam présente ainsi son approche de travail :
« Ma passion, câest de collaborer avec mes clients pour les aider Ă libĂ©rer leur potentiel ;
Câest de leur dĂ©voiler comment identifier et communiquer sur leur cĆur dâexpertise, sur ce qui fait quâils sont uniques ;
Ce qui me motive : transmettre cette passion pour communiquer au delĂ de leurs produits, sur les bĂ©nĂ©fices quâils ont et ce que perçoivent leurs clients.
Câest de les aider Ă se connecter de façon crĂ©dible, authentique et impactante avec leurs futurs clients et partenairesâŠ
De plus, je mâengage Ă mettre Ă votre service, avec excellence, mon propre potentiel, mes dons, mes talents et Ă toujours agir dans un respect rĂ©ciproque et en cohĂ©rence avec mes valeurs.
Je vous accompagne dans votre dĂ©marche marketing. Alliant professionnalisme et valeurs humaines, ma mĂ©thode se base sur la capitalisation de vos acquis (tant professionnels que personnels), sur lâidentification de vos freins et la dĂ©finition dâactions concrĂštes qui nous conduisent sur le chemin de la rĂ©ussite ».
Les témoignages qui figurent sur le site de Myriam, montrent comment sa démarche est reçue et correspond aux désirs de certains de ses clients :
« Myriam mâa fait rĂ©aliser que le marketing, câest un Ă©tat dâesprit :
VoilĂ comment je le rĂ©sume : Viser la cohĂ©rence entre lâidentitĂ© et lâimage que lâon veut envoyer ou encore ĂȘtre au dedans ce que lâon prĂ©tend ĂȘtre au dehors. De quoi mĂ©diter, nâest-ce pas ?
Le marketing est une étape primordiale. Ce qui, pour moi, était au départ brouillon et confus, est devenu clair et précis en trois rendez-vous.
Sans lâaccompagnement marketing, il est Ă©vident que jâaurais certainement mis plus de temps Ă y arriver, voire pas du tout ! »
Oly Auger
« Je croyais rĂ©flĂ©chir et faire sĂ©rieusement le tour de mes problĂšmes. Jâavais lâimpression parfois de tourner en rond, de rĂ©soudre un problĂšme pour le voir rĂ©apparaĂźtre un peu plus tard. Jâaurais du me douter que je nâallais pas au fond de certaines choses, mais je ne mâĂ©tais pas rendu compte Ă quel point cela impactait ma maniĂšre de faire, donc mes rĂ©sultats.
Myriam mâa montrĂ© comment jâescamotais certaines questions, comment jâĂ©vacuais certains problĂšmes en pensant les avoir traitĂ©s. Elle ne me lâa jamais dit aussi directement, mais sa façon de revenir Ă lâessentiel, de toujours me ramener au cĆur du sujet, mâa fait voir Ă quel point il est difficile de se poser Ă soi mĂȘme les bonnes questions⊠et dây rĂ©pondre.
MĂȘme si jâĂ©tais parfois agacĂ©, jâai beaucoup apprĂ©ciĂ© son savoir-faire. Elle comprend votre problĂ©matique, mais surtout elle sait vous relancer jusquâĂ ce que vous vous soyez posĂ© la bonne question et jusquâ ce que vous ayez apportĂ© la rĂ©ponse qui vous satisfait (vous, pas elle). Avec Myriam, mon niveau dâexigence est montĂ© de plusieurs crans et grĂące Ă cela, mes rĂ©sultats se sont nettement amĂ©liorĂ©s. »
Etienne
Myriam nous dit comment elle sâest acheminĂ© vers ce travail qui la passionne…
Petite, dĂ©jĂ , j’aimais aider les autres. Ăcouter, aider Ă trouver des solutions, transmettre… Lorsque j’ai fait mes Ă©tudes aux Ătats Unis, ce qui me passionnait c’Ă©tait ce qui touchait Ă l’enseignement et au  »counseling » (la relation d’aide). De retour en France, je ne souhaitais pas entrer Ă l’Ă©ducation nationale, et je ne connaissais pas de formation, en 1984, pour continu mes Ă©tudes en relation d’aide…
Je me suis donc dirigĂ©e vers une filiĂšre plus âtraditionnelleâ en entreprise. Assistante de direction puis administration des ventes. Au bout de quelques annĂ©es, je me suis retrouvĂ©e dans une entreprise de l’industrie papetiĂšre ou j’ai appris le marketing et la communication. J’y suis restĂ©e prĂšs de 20 ans, et mes expĂ©riences de responsable communication et de chef de produit sont aujourd’hui trĂšs prĂ©cieuses pour moi. J’ai Ă©galement pu suivre une formation longue de formateur.
Lorsque j’ai bĂ©nĂ©ficiĂ© d’un plan social, l’annĂ©e de mes 40 ans, c’Ă©tait le bon moment pour faire le point et savoir ce que je voulais vraiment dans la vie… De rassembler ce que je savais faire, ce que j’aimais faire, et surtout de voir comment je pouvais donner un sens a ma vie professionnelle afin qu’elle soit en cohĂ©rence avec mes valeurs chrĂ©tiennes, mon besoin de servir, mon besoin profond de travailler avec des personnes pour qui l’authenticitĂ© est Ă©galement important. J’avais besoin de sentir que ma contribution faisait une diffĂ©rence dans la vie d’autrui.
La formation, oui, ça en faisait partie. Mais quoi d’autre ? Ca n’Ă©tait pas suffisant pour moi. J’ai suivi la formation de relation d’aide de Jacques Poujol, pendant 3 ans. Cela m’a beaucoup apportĂ© au niveau personnel, d’autant plus qu’Ă 40 ans, on n’a pas la mĂȘme approche de la vie qu’Ă 20 ans.
Je sentais que je commençais Ă m’aligner avec moi-mĂȘme…
Et pendant la 3Ăšme annĂ©e de cette formation, j’ai Ă©galement suivi une formation certifiante de coach… Cela m’a permis encore plus de m’aligner avec mes valeurs profondĂ©ment ancrĂ©es dans ma foi en Dieu, dans ce besoin d’aider et me mettre au service d’autrui…
Mais comment faire concrĂštement ? Comment capitaliser sur 20 ans d’expĂ©rience tout en restant cohĂ©rente avec ma mission de vie, mes valeurs, le service, la crĂ©ativitĂ©, l’efficacitĂ©, l’authenticitĂ© ?
Comment donc allier le marketing et le coaching ?
Telle quâelle prĂ©sente son travail et telle quâelle le vit, lâapproche de Myriam sâinspire dâun ensemble de valeurs. Comment cette « alchimie » sâest-elle opĂ©rĂ©e ? Quelle en est la dynamique ?
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âComme le dit Oly dans son tĂ©moignage ci-dessus, je l’ai aidĂ©e Ă comprendre que le marketing est un Ă©tat d’esprit, une attitude qui met le Client au centre. Et si on remplace le mot  »client » par  »autrui » ??
C’est lĂ ou se trouve l’un des secrets de cette alchimie.
C’est pourquoi j’ai commencĂ© Ă dĂ©velopper le programme de  »marketing de soi ». Je sais, le mot  »marketing » est souvent perçu avec un connotation nĂ©gative. Or tout dĂ©pend ce que l’on en fait…
L’approche est justement d’ĂȘtre Ă l’Ă©coute, d’aller au devant du client (d’autrui :), de connaĂźtre ses frustrations et de lui montrer qu’il existe une solution…Â C’est ce marketing authentique qui me passionne.
Dans  »le marketing de soi », que j’ai ensuite dĂ©clinĂ© en  »marketing de l’entrepreneur »,  »marketing du coach »,  »marketing du consultant », la dĂ©marche est la mĂȘme : identifier son cĆur rĂ©el d’expertise, ses valeurs profondes, sa  »mission ». Et le communiquer clairement, avec authenticitĂ©. Ătre vrai, rayonner son message…
LibĂ©rer son potentiel…
Et communiquer de façon crĂ©dible et authentique… â
Contribution de Myriam Vandenbroucque
(1)Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â http://moncoachmarketing.com/
par jean | Juil 9, 2018 | ARTICLES, Vision et sens |
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Extraits du livre de Richard Rohr : The divine dance
Dans un article prĂ©cĂ©dent (1), nous avons prĂ©sentĂ© le livre de Richard Rohr : « The divine dance. The Trinity and your transformation ». (La danse divine. Dieu trinitaire et votre transformation). Il nous parle dâun Dieu qui est communion dâamour et prĂ©sence relationnelle. De nombreux commentateurs convergent pour voir dans ce livre, un ouvrage original qui ouvre un nouvel horizon.
En attendant une traduction de ce livre en français, en voici quelques extraits dans une traduction en français qui ne relĂšve pas dâune compĂ©tence professionnelle, mais qui sâefforce de rapporter une pensĂ©e vive et profonde.
Ces extraits suscitent notre réflexion. Ils nous questionnent et ils nous interpellent. Ils éveillent notre méditation. Ils nous invitent à lire le livre de Richard Rohr pour poursuivre notre découverte et notre recherche.
La prĂ©sence unifiante de Dieu est dĂ©jĂ lĂ
Au cĆur de lâexpĂ©rience spirituelle, « accepter que nous sommes acceptĂ©s et vivre en consĂ©quence ».
Mais tant dâobstacles au sein mĂȘme de lâunivers religieux : « Nous vivons dans lâautoaccusationâŠ. nous sommes convaincus que nous sommes indignes⊠nous avons Ă©tĂ© tellement anesthĂ©siĂ©s Ă la bonne nouvelle de lâEvangile que la question de notre union Ă Dieu a Ă©tĂ© rĂ©solue une fois pour toute »⊠Il y a aussi la rĂ©sistance dâun ego et dâune autosuffisance.
Mais la grĂące est lĂ . « Vous ne pouvez pas crĂ©er votre union Ă Dieu. Elle vous est dĂ©jĂ donnĂ©e. La diffĂ©rence nâest pas entre ceux qui sont unis Ă Dieu et ceux qui ne le sont pas. Nous sommes tous unis Ă Dieu, mais seulement certains dâentre nous le savent ».
(p 109)
Une vie bonne, câest une vie en relation
Lorsquâune personne est sĂ©parĂ©e, isolĂ©e, seule, la maladie menace.
« La voie de JĂ©sus, câest une invitation Ă une vision trinitaire de la vie, de lâamour, et de la relation sur la terre comme au sein de la DivinitĂ©. Comme la TrinitĂ©, notre nature, câest de vivre en pleine relation. Nous appelons cela lâamour. Nous sommes faits pour lâamour et, en dehors de cela, nous mourons trĂšs rapidement ».
« Dieu est entiĂšrement relation », nous dit Richard Rohr. « Je dĂ©crirai le salut comme Ă©tant simplement le dĂ©sir et la capacitĂ© dâĂȘtre en relation »
(p 46-47)
Etre ensemble
Richard Rohr nous rapporte une affirmation qui est prĂ©sente dans les quatre Ă©vangiles Ă la fois : « Quiconque vous accueille mâaccueille, et quiconque mâaccueille, accueille celui qui mâa envoyé » (1).
« Si vous avez grandi dans le christianisme, vous avez entendu souvent ce verset. Mais vous ĂȘtes vous arrĂȘtĂš pour rĂ©flĂ©chir Ă ce qui vraiment arrivait lĂ Â ? JĂ©sus dit quâil y a une Ă©quivalence morale entre vous, votre prochain, le Christ et Dieu. Câest une chaine Ă©tonnante entre les ĂȘtres qui nâest pas Ă©vidente pour un observateur occasionnel.
Cette nouvelle ontologie, cette nouvelle maniĂšre de parcourir la rĂ©alitĂ©, est le cĆur et le fondement de toute la rĂ©vĂ©lation, de toute la rĂ©volution chrĂ©tienne. Cela vient profondĂ©ment remodeler notre comprĂ©hension de qui Dieu est et ou il se trouve. Et aussi de qui nous sommes et oĂč nous sommes.
Est-ce que vous allez recevoir cette vision ? Dieu nâest pas lĂ bas Ă lâextĂ©rieur, ce que la religion a envisagĂ© depuis le dĂ©but. On doit se demander : quelle est lâexpĂ©rience nouvelle qui a permis Ă tous les quatre Ă©vangiles de parler dâune maniĂšre si peu conforme et cependant si assurĂ©e ? ».
(1) Matthieu 10.40 Marc 9.37 Luc 10.16 Jean 13.20
(p 164)
ReconnaĂźtre le champ de la force divine.
« Comme nous accordons nos cĆurs Ă une vision plus vaste, nous commençons Ă faire lâexpĂ©rience de Dieu presque comme un champ de force pour emprunter une mĂ©taphore Ă la physiqueâŠ. Et nous sommes tous dĂ©jĂ dans ce champ de force, que nous le sachions ou pas, de la mĂȘme façon que des hindous, des bouddhistes, des gens de toute race et de toute nationalitĂ©Â . Dieu ne commence pas et ne sâarrĂȘte pas Ă une frontiĂšre.
Quand vous vous ouvrez au flux de la rĂ©alitĂ© fondamentale Ă travers votre vie, vous ĂȘtes une personne universelle qui vit au delĂ de ces frontiĂšres que les ĂȘtres humains aiment crĂ©er. Paul lâexprime joliment : « Notre citoyennetĂ© est dans les cieux ».
En devenant plus ĂągĂ©, je suis devenu prĂȘt quotidiennement Ă accepter et Ă faire confiance au champ de force en sachant quâil est bon, quâil est totalement de notre cĂŽtĂ© et que je suis dĂ©jĂ Ă lâintĂ©rieur. Comment pourrions-nous ĂȘtre en paix autrement ?
Câest seulement dans cette acceptation et cette confiance de base que je puis cesser de me polariser sur telle ou telle chose dans mon mental ou mĂȘme de me crĂ©er des problĂšmes mentaux.
( p 111)
A lâencontre dâun pouvoir dominateur, une puissance partagĂ©e
  « La TrinitĂ© nous dit que le pouvoir de Dieu nâest pas domination, menace, coercition. A la place, il est dâune nature totalement diffĂ©rente, ce Ă quoi les disciples de JĂ©sus ne se sont pas encore ajustĂ©s. Si le PĂšre ne domine pas le Fils,, si le Fils ne domine pas le Saint Esprit et si lâEsprit ne domine pas le PĂšre et le Fils, alors, il nây a pas de domination en Dieu. Toute puissance divine est une puissance partagĂ©e, ce qui devrait avoir complĂštement changĂ© la politique et la relation chrĂ©tienne. Dans la TrinitĂ©, il nây a pas de recherche de pouvoir sur,  mais seulement un pouvoir avec, un don sans retenue, un partage, un lĂącher prise et, ainsi, une confiance et une rĂ©ciprocitĂ© infinie. Il y a lĂ une puissance pour changer nos relations dans le mariage, la culture et mĂȘme les relations internationalesâŠÂ »
(p 95-96)
Trois
« Il faut une personne pour ĂȘtre un individu. Il faut deux personnes pour faire un couple. Et il faut au moins trois personnes pour faire une communauté⊠Trois (« trey ») crĂ©e la possibilitĂ© pour les gens dâaller au delĂ de leur intĂ©rĂȘt personnel. Câest le commencement dâun sens du bien commun, dâun projet commun au delĂ de ce qui correspond aux intĂ©rĂȘts personnels. Trois crĂ©e de la stabilitĂ© et de la sĂ©curitĂ© qui est essentielle pour une communautĂ©.
Parce que la rĂ©alitĂ© ultime de lâunivers rĂ©vĂ©lĂ©e dans la TrinitĂ© est une communautĂ© de personnes en relation les unes avec les autres, nous savons que trois (« trey ») est le seul moyen possible pour les gens de se relier les uns aux autres avec lâindividualitĂ© de chacun, la rĂ©ciprocitĂ© de deux, la stabilitĂ©, objectivitĂ© et subjectivitĂ© de trois »   (dâaprĂšs Dave Andrews)
(p 101)
Une confiance naturelle Ă lâexemple de lâenfant
« Tournons-nous vers lâexemple de lâenfant pour rĂ©aliser la vertu naturelle de lâespĂ©rance. Les experts en marketing nous disent que les enfants (et les chiens) sont encore plus efficaces que le sexe dans la publicitĂ©. Pourquoi ? Parce que les enfants et les chiens sont encore remplis par une espĂ©rance naturelle et lâattente quâon rĂ©pondra Ă leur sourire. Ils tendent Ă Ă©tablir un contact direct Ă travers leur regard⊠Câest lâĂȘtre pur, câest le flux sans inhibition.
Câest pourquoi JĂ©sus nous a dit dâĂȘtre comme des enfants. Il nây a rien qui arrĂȘte le pur flux qui sâexprime dans un enfant ou dans un chien. Et câest pourquoi quiconque a une once dâhumanitĂ© et dâamour en lui est sans dĂ©fense vis Ă vis dâune telle prĂ©sence »
Câest une Ă©vocation de la prĂ©sence de Dieu. « Nous voyons dans ce flux toute attirance pour la beautĂ©, toute admiration, toute extase, toute la solidaritĂ© avec la souffrance. Quiconque qui sâouvre pleinement au flux verra lâimage divine mĂȘme dans des lieux qui sont devenus laids ou dĂ©faits. Câest la vision universelle de la Trinité »
( p 81-82)
Tous solidaires
« Nous ne pouvons sĂ©parer JĂ©sus du Dieu trinitaire. Cependant, le pratiquant moyen nâa jamais eu la chance dâaccĂ©der Ă une Ă©conomie de la grĂące bien plus vaste »âŠ
Nous pensons dans une perspective de raretĂ©. Elargissons notre horizon. LâespĂ©rance elle-mĂȘme sâapplique en premier au collectif. Nous avons cherchĂ© Ă susciter de lâespĂ©rance chez un individu isolĂ© dans un cosmos, une sociĂ©tĂ© et une humanitĂ© vouĂ©s Ă la dĂ©sespĂ©rance et Ă la punition. Il est trĂšs difficile pour des individus de jouir de la foi, de lâespĂ©rance et de lâamour, et mĂȘme de prĂȘcher la foi, lâespĂ©rance et lâamour, qui seuls Ă©lĂšvent, si la sociĂ©tĂ© elle-mĂȘme ne jouit pas de cette foi, de cette espĂ©rance et de cet amour. Câest une bonne partie de notre problĂšme aujourdâhui. Nous nâavons pas donnĂ© au monde un message Ă la dimension cosmiqueâŠ
Dieu, en tant que Dieu trinitaire, donne de lâespĂ©rance Ă la sociĂ©tĂ© dans son ensemble parce que cela dĂ©coule de la nature mĂȘme de son existence et non sur les conduites fluctuantes et instables des individus ».
(p 81)
Louange de la création
 Dans une Ćuvre crĂ©atrice, LâEsprit Saint tend Ă multiplier continuellement des formes toujours nouvelles de crĂ©ativitĂ© et de vie. On dit que 2/3 des formes de vie existent sous les mers. Et un tiers dâentre elles nâont jamais Ă©tĂ© entrevues par un Ćil humain . « Quâest-ce quâune forme de vie en dehors de nous pour le voir ? » peuvent sâimaginer des humains autocentrĂ©s. Leur valeur ne dĂ©pend pas de notre reconnaissance Ă leur sujet. Comme les psaumes le disent de nombreuses maniĂšres, « les cieux proclament la gloire de Dieu » (Psaume 19.1).
De fait, la grande majoritĂ© des animaux et des fleurs qui ont existĂ©, nâont jamais Ă©tĂ© observĂ©s par lâĆil humain. Ils forment le cercle universel de la louange. Simplement en existant, en ne faisant rien, toute chose rend grĂące Ă Dieu. Toute chose. En existant, simplement en existant. Câest le fondement. Si vous dĂ©sirez ĂȘtre un contemplatif, câest tout ce que vous avez besoin de savoir. Toute chose, en Ă©tant elle-mĂȘme, donne pure gloire Ă DieuâŠ. »
Richard Rohr cite ensuite une Ă©crivaine apprĂ©ciĂ©e : Annie Dillard. « Nous sommes lĂ pour tĂ©moigner de la crĂ©ation et pour lâencourager. Nous sommes lĂ pour remarquer chaque chose de telle maniĂšre Ă ce que chaque chose se trouve remarquĂ©e. Ensemble nous remarquons chaque ombre dâune montagne, chaque pierre sur la plage, mais tout particuliĂšrement, les beaux visages et natures complexes des uns et des autresâŠAutrement, la crĂ©ation serait en train de jouer dans une maison vide ».
(p 187-188)
LâEcriture en mouvement
« LâEcriture est Ă la fois pleinement humaine et pleinement divine. Elle est toujours Ă©crite par des humains dans une perspective humaine. Nous lâappelons « Parole de Dieu », mais la seule « Parole de Dieu » endossĂ©e sans Ă©quivoque dans les pages de la Bible, câest JĂ©sus, le Logos Ă©ternel.
Dans mon livre : « Des choses cachĂ©es. LâEcriture comme spiritualité », jâai dĂ©crit la Bible comme une progression graduelle allant de lâavant. Le narratif est en mouvement vers une thĂ©ologie toujours plus dĂ©veloppĂ©e de la grĂące, jusquâĂ ce que JĂ©sus devienne la grĂące personnifiĂ©e. Mais câest un concept que le psychisme humain nâest jamais complĂštement prĂȘt Ă accepter. Nous rĂ©sistons et vous verrez aussi dans la majoritĂ© des textes bibliques ce que lâanthropologue RenĂ© Girard appelle « un texte en travail », un texte souffrantâŠ.
Câest encore vrai dans le Nouveau Testament, oĂč mĂȘme les dĂ©clarations de Jean sur lâamour inconditionnel sont encore accompagnĂ©es de lignes qui semblent impliquer un amour conditionnel, ainsi : « Si vous obĂ©issez Ă mes commandements » est formulĂ© Ă plusieurs reprisesâŠPsychologiquement, les humains ont rĂ©ellement encore besoin de quelque amour conditionnel pour aller vers la reconnaissance et le besoin dâun amour inconditionnel. Nous avons reçu la promesse dâun plein amour (grĂące) ici et maintenant, mais câest toujours trop Ă croire pour lâesprit et pour le cĆurâŠ.
Le texte biblique reflĂšte Ă la fois la croissance et la rĂ©sistance de lâĂąme. LâEcriture est une symphonie polyphonique, une conversation avec elle-mĂȘme oĂč elle joue des mĂ©lodies et des dissonances, trois pas en avant, deux pas en arriĂšre. Progressivement et finalement, les trois pas lâemporteront. Le texte se dĂ©place inexorablement vers lâinclusivitĂ©, la grĂące, lâamour inconditionnel et le pardon. Jâappelle cela « lâhermĂ©neutique de JĂ©sus ». InterprĂ©tez les Ecritures de la maniĂšre dont JĂ©sus lâa fait. Il ignore, dĂ©nie ou sâoppose ouvertement Ă ses propres Ecritures, quand elles sont impĂ©rialistes, punitives, exclusivistes ou tribales. VĂ©rifiez par vous-mĂȘmeâŠ. »
( p 136-137)
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Ouvrir notre horizon
Faut-il redouter les apports dâautres traditions religieuses ?
« Dans notre climat fortement polarisĂ©, je sais que certains chrĂ©tiens ont appris pendant des gĂ©nĂ©rations Ă redouter tout ce qui ne vient pas « purement » de « nos » sources ». Cependant, « notre propre Ecriture contient des exemples dâapports apprĂ©ciĂ©s d âĂ©lĂ©ments de fois environnantes⊠Nous sommes peureux. Dieu, apparemment, est sans peurâŠSi la vĂ©ritĂ© est la vĂ©ritĂ©, si Dieu est un, alors il y a une rĂ©alitĂ© et il y a une vĂ©rité⊠Ne pourrait-on pas ĂȘtre heureux quand dâautres religions dĂ©duisent approximativement la mĂȘme chose ?… »
Richard Rohr a vĂ©cu en Inde, berceau dâune tradition religieuse trĂšs ancienne. « Dans la thĂ©ologie et dans le langage hindou, il y a trois qualitĂ©s de Dieu et donc de toute rĂ©alitĂ©. Jâai entendu frĂ©quemment ces mots : « sat, chit, ananda ».
Sat est le mot correspondant Ă lâEtre (Being). Dieu est lâEtre lui-mĂȘme. LâEtre universel, la source de tout ĂȘtre, nous lâappelons le PĂšre.
Chat est le mot pour conscience et connaissance. Dieu est conscience et esprit. Est-ce que cela ne rappelle pas le Logos ? Naturellement, notre concept biblique de Logos a Ă©tĂ© empruntĂ© Ă la philosophie grecque. Lâauteur de lâEvangile de Jean a dĂ©jĂ fait ce que je fais maintenant : emprunter Ă une sagesse extra-biblique, extra-judaĂŻque.
Et finalement, Ananda. Cela signifie : bonheur, bĂ©atitude. Est-ce que cela ne rĂ©sonne pas comme la joie de lâEsprit Saint, le bonheur que vous pouvez expĂ©rimenter lorsque vous vivez sans rĂ©sistance dans le flux. Vous ne savez pas dâoĂč Il vient, ce que JĂ©sus dit Ă propos de lâEsprit . Comme la grĂące elle-mĂȘme, ananda est un don qui vient de nulle part »âŠ
Je nâai pas Ă travailler dur pour reconnaĂźtre ici la dimension trinitaire :
Sat-Chit-Ananda.
Etre, connaissance, bonheur
PĂšre, Fils, Esprit.
La vérité est une et universelle
(p 140-141)
Sâouvrir au mystĂšre
« Câest seulement Dieu en nous qui comprend les choses de Dieu. Nous devons prendre cela trĂšs au sĂ©rieux et savoir comment il opĂšre en nous, avec nous, pour nous, comme nous. LâĂ©chec dans lâaccĂšs Ă notre propre systĂšme de fonctionnement a rendu une part du christianisme trĂšs immature et superficiel avec des clichĂ©s de seconde main au lieu dâune expĂ©rience calme, claire et immĂ©diate de la rĂ©alitĂ©. Cela nous a laissĂ© du cĂŽtĂ© de lâargumentation plutĂŽt que de lâapprĂ©ciation⊠ainsi, tout ce qui reflĂšte un mystĂšre reste statique dans la forme de dogmes et de doctrines, hautement abstrait, densĂ©ment mĂ©taphysique et largement non pertinent.
Pourquoi lâathĂ©isme occidental se dĂ©veloppe-t-il ? Pourquoi les chrĂ©tiens occidentaux produisent-ils le plus grand nombre dâathĂ©es ? Ce que crois, et jâai dĂ©diĂ© ma vie Ă renverser la tendance, câest que nous nâavons pas portĂ© le dogme et la doctrine au niveau de lâexpĂ©rience intĂ©rieure. Aussi longtemps que lâenseignement reçu ne devient pas une connaissance expĂ©rientielle, nous continuons Ă crĂ©er une grande quantitĂ© de croyants dĂ©sabusĂ©s ».
(p 123-124)
Guidance
« La vie de foi, câest un chemin vigilant pour apprendre comment demeurer paisiblement dans un Amour ultime et dans une Source infinie. Dâune façon trĂšs pratique, vous serez alors capables de dĂ©couvrir avec confiance que vous ĂȘtes gardĂ©s et guidĂ©s. De fait, aprĂšs quelque temps, vous pourrez avoir confiance que presque tout est en forme de guidance, absolument tout. Votre capacitĂ© Ă faire confiance Ă la rĂ©alitĂ© dâune guidance, va lui permettre de se rĂ©vĂ©ler. Etonnante logique, mais ne lâĂ©cartez pas jusquâĂ ce que vous ayez sincĂšrement essayĂ©. Jâai confiance que vous en viendrez Ă voir que câest vrai dans lâĂ©conomie divine des chosesâŠ
Certes, votre jugement calculateur pourra douter. Quand vous doutez de la possibilitĂ© de telles choses, vous arrĂȘtez le flux. Mais si vous demeurez dans la disposition de permettre et de faire confiance, lâEsprit en vous, vous permettra de lĂącher prise avec confiance. Il y a une raison pour cela. Je suis en train de vivre comme le fleuve sâĂ©coule, portĂ© par la surprise de son/mon dĂ©roulement. Je suis conduit. Câest bonâŠ
Sâil vous plait, nâentendez pas que jâadopte une approche fataliste, comme si vous ne pouviez travailler pour amĂ©liorer et changer la situation. En fait, câest tout le contraire. Vous pouvez.
Mais ce que je suis en train de vous dire, câest ce qui doit venir en premier Ă votre cĆur et Ă votre Ăąme doit ĂȘtre un oui et non un non, la confiance au lieu de la rĂ©sistance. Et quand vous pourrez avancer avec vos ouis et vous permettre de voir Dieu dans tous les moments de votre vie, vous reconnaitrez quâune telle Ă©nergie nâest jamais gaspillĂ©e, mais gĂ©nĂšre toujours de la vie et de la lumiĂšre »
(p 97-98)
Ces passages du livre de Richard Rohr et de Mike Morrell : « The divine dance » ouvrent des avenues pour notre réflexion et des pistes pour notre méditation. Si cette lecture suscite des échos, elle pourra inciter un éditeur à entreprendre une traduction en français.
(1)           Richard Rohr with Mike Morrell. The divine dance. The Trinity and your transformation. SPCK, 2016. Mise en perspective sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=2758
Sur ce blog, dans le mĂȘme esprit de stimulation et dâincitation, nous avons Ă©galement prĂ©sentĂ© des extraits du dernier livre de JĂŒrgen Moltmann : The living God and the fullness of life (Le Dieu vivant et la plĂ©nitude de vie) : https://vivreetesperer.com/?p=2758
par jean | Déc 25, 2023 | Société et culture en mouvement |
Des exemples de lâhistoire aux menaces actuelles.
 Power and progress
Par Daron Acemoglu et Simon Johnson
Il nây a pas trĂšs longtemps, tout ce qui paraissait un progrĂšs technologique excitait lâenthousiasme comme la promesse dâune abondance dans une sociĂ©tĂ© prospĂšre dâoĂč disparaitrait la pauvretĂ© et la misĂšre. Aujourdâhui, on se rend compte quâau cours des quatre derniĂšres dĂ©cennies, les sociĂ©tĂ©s occidentales et particuliĂšrement la sociĂ©tĂ© amĂ©ricaine, ont pris le chemin inverse, en devenant beaucoup plus inĂ©galitaires. Et on prend Ă©galement conscience que la course au dĂ©veloppement Ă©conomique bouleverse notre Ă©cosystĂšme planĂ©taire et dĂ©rĂ©gule le climat par un usage forcenĂ© des Ă©nergies fossiles. Aujourdâhui, la conscience Ă©cologique suscite une rĂ©action Ă lâĂ©chelle planĂ©taire. Face Ă des ambitions dĂ©mesurĂ©es, la prudence sâimpose et on en appelle mĂȘme aux mĂ©rites de la sobriĂ©tĂ©.
Deux chercheurs amĂ©ricains au MIT, Daron Acemoglu et Simon Johnson, directement confrontĂ©s Ă la course effrĂ©nĂ©e Ă lâautomatisation qui bouleverse les Ă©quilibres de lâĂ©conomie amĂ©ricaine, viennent dâĂ©crire un livre qui situe nos problĂšmes actuels dans une histoire longue oĂč lâon constate quâen maintes pĂ©riodes, les acquis du progrĂšs technologique ont Ă©tĂ© confisquĂ©s par un groupe dominant aux dĂ©pens des travailleurs ayant portĂ© cette innovation. Les auteurs nous apportent cependant une bonne nouvelle : Ă dâautres pĂ©riodes, des forces sociales se sont Ă©levĂ©es dans la sociĂ©tĂ© et ont permis un dĂ©veloppement Ă©quilibrĂ© au bĂ©nĂ©fice de tous. Ce livre : « Power and Progress. Our Thousand-year struggle over technology and prosperityâ (1) nous montre comment garder notre autonomie par rapport aux dĂ©voiements de processus Ă©conomiques contrĂŽlĂ©s Ă leur profit par des Ă©lites Ă©goĂŻstes ». « Le progrĂšs nâest pas automatique, mais il dĂ©pend des choix que nous faisons en matiĂšre de technologie. De nouvelles maniĂšres dâorganiser la production et la communication peuvent, soit servir les intĂ©rĂȘts Ă©troits dâune Ă©lite, soit devenir le fondement dâune prospĂ©ritĂ© Ă©tendue ». Ce problĂšme est dâactualitĂ© « à un Ă©poque oĂč les technologies digitales et lâintelligence artificielle accroissent lâinĂ©galitĂ© et minent la dĂ©mocratie Ă travers une automatisation excessive, une collecte massive des donnĂ©es et une surveillance intrusive ». « Il nâest pas obligĂ© quâil en soit ainsi. âPower and Progressâ dĂ©montre que la voie de la technologie peut ĂȘtre mise sous contrĂŽle. Les formidables avancĂ©es informatique du dernier demi-siĂšcle peuvent devenir des outils dâautonomisation et de dĂ©mocratisation, mais pas si les dĂ©cisions majeures demeurent dans les mains de quelques leaders technologiques animĂ©s par une hubris » (page de couverture). Ce livre, jusquâĂ prĂ©sent non traduit en français, est prĂ©sentĂ© en cette langue par un expert. On pourra se reporter Ă son article : « La chaire» a lu pour vous : https://www.chaireeconomieduclimat.org/points-de-vue/la-chaire-a-lu-pour-vous-power-and-progress-our-thousand-year-struggle-over-technology-and-prosperity-de-daron-acemoglu-et-simon-johnson/
Aussi, nous nous bornerons ici à présenter quelques aperçus significatifs de ce livre.
Comment des bénéfices de progrÚs technologiques substantiels ont été captés par une élite politique ou religieuse
Les auteurs remontent loin dans le passĂ© pour mettre en Ă©vidence, la maniĂšre dont des progrĂšs technologiques majeurs ont Ă©tĂ© captĂ©s par des Ă©lites politiques ou religieuses. Il y a environ douze mille ans, est apparu un processus menant Ă une agriculture installĂ©e, permanente, fondĂ©e sur des plantes et des espĂšces domestiquĂ©es. Des genres diffĂ©rents de sociĂ©tĂ© apparurent. Mais il y a 7000 ans, un rĂ©gime particulier se dĂ©veloppa dans le Croissant fertile. Le fondement Ă©tait une agriculture avec une seule rĂ©colte. Les inĂ©galitĂ©s Ă©conomiques sâintensifiĂšrent et une haute hiĂ©rarchie sociale apparut, consommant beaucoup. En Ăgypte, pyramides et tombes se dĂ©veloppĂšrent dans le cadre dâune Ă©lite comparable. Câest lĂ que les auteurs mettent en Ă©vidence lâintroduction des grains de cĂ©rĂ©ales comme « un exemple dâinnovation technologique ». Or, sous les auspices dâĂ©tats centralisĂ©s, la condition des paysans semble avoir Ă©tĂ© pire que celle de leurs ancĂȘtres. De fait, « les choix technologiques dans les premiĂšres civilisations ont favorisĂ© les Ă©lites et appauvri la plupart des gens ». Les auteurs dĂ©criront une situation comparable au Moyen Ăąge anglais. « Dans les deux cas, le systĂšme politique plaçait un pouvoir disproportionnĂ© dans les mains dâune Ă©lite. La coercition jouait un rĂŽle bien sĂ»r, mais le pouvoir de persuasion de la religion et les leaders politiques Ă©taient souvent un facteur dĂ©cisif » (p 115-120).
« Cependant, ni la monoculture du grain, ni lâorganisation hautement hiĂ©rarchisĂ©e qui extorquait le surplus aux fermiers, nâa Ă©tĂ© ordonnĂ©e ou dictĂ©e par la nature des rĂ©coltes correspondantes. MĂȘme la culture de cĂ©rĂ©ales nâa pas toujours produit lâinĂ©galitĂ© et la hiĂ©rarchie comme lâillustrent les plus Ă©galitaires vallĂ©es de lâIndus et la civilisation mĂ©soamĂ©ricaine. La culture du riz dans lâAsie du Sud-est a pris place dans le contexte de sociĂ©tĂ©s moins hiĂ©rarchiques⊠(p 122).
« Contrairement Ă une opinion rĂ©pandue, il y a eu un changement et une amĂ©lioration technologique significative dans la productivitĂ© Ă©conomique de lâEurope au Moyen Age⊠Cependant, il y a quelque chose de tout Ă fait sombre Ă cette Ă©poque. La vie des gens travaillant la terre resta dure et le niveau de vie des paysans peut mĂȘme avoir dĂ©clinĂ© dans certaines parties de lâEurope. La technologie et lâĂ©conomie ont progressĂ© dâune maniĂšre qui sâest rĂ©vĂ©lĂ©e nuisible pour la plus grande part de la population » (p 100-101). En Angleterre, le dĂ©veloppement des moulins a Ă©tĂ© une innovation dĂ©cisive. A la fin du XIe siĂšcle, il y a environ 6000 moulins Ă eau en Angleterre et ce nombre a doublĂ© durant les deux siĂšcles suivants et leur productivitĂ© sâest accrue. La productivitĂ© agricole sâest Ă©galement accrue. Malheureusement, il nây a pas eu une Ă©lĂ©vation correspondante des revenus chez les paysans. Le surplus a Ă©tĂ©, de fait, majoritairement consommĂ© par « la hiĂ©rarchie religieuse qui a construit des cathĂ©drales, des monastĂšres et des Ă©glises » (p 103). Cette construction a Ă©tĂ© couteuse. Le contrĂŽle fĂ©odal a exercĂ© une coercition : « Comme les nouvelles machines se dĂ©ployaient et que la productivitĂ© augmentait, les seigneurs fĂ©odaux ont exploitĂ© plus intensĂ©ment la paysannerie ».
Les auteurs nous rapportent ensuite comment sâest dĂ©roulĂ©e, au XVIIIe siĂšcle en Angleterre, la pression en faveur de la clĂŽture des terres, les « enclosures ». « Cette histoire a montrĂ© clairement que cette rĂ©organisation technologique de la production, mĂȘme lorsquâelle Ă©tait proclamĂ©e dans lâintĂ©rĂȘt du progrĂšs et du bien commun, avait pour consĂ©quence de mettre davantage Ă bas ceux qui Ă©taient dĂ©jĂ dĂ©pourvus de pouvoir ».
Les auteurs envisagent ensuite deux moments de lâhistoire trĂšs diffĂ©rents oĂč le progrĂšs technologique nâa pas profitĂ© aux travailleurs, mais a participĂ© Ă leur asservissement : lâintroduction de lâĂ©graineuse de grains de coton dans les plantations amĂ©ricaines Ă la fin du XVIIIe siĂšcle ; le dĂ©veloppement du machinisme agricole dans les annĂ©es 1920 en Union soviĂ©tique. « Le secteur cotonnier a fleuri Etats-Unis grĂące aux nouvelles connaissances comme lâĂ©graineuse de coton et dâautres innovations aux dĂ©pens des esclaves noirs travaillant dans les grandes plantations. LâĂ©conomie soviĂ©tique a grandi rapidement dans les annĂ©es 1920 en utilisant le machinisme, tel que les tracteurs et les moissonneuses batteuses, appliquĂ© aux champs de cĂ©rĂ©ales. Cependant, la croissance sâest produite au dĂ©triment de millions de petits paysans » (p 133).
Lorsque la prospérité accompagne le progrÚs technologique
Les auteurs nous prĂ©sentent dans ce livre une histoire du progrĂšs technologique. Ils consacrent ainsi le chapitre 5 Ă la grande rĂ©volution industrielle qui a mĂ©tamorphosĂ© le visage Ă©conomique de la Grande-Bretagne au XVIIIe et XIXe siĂšcle. Ce fut lâinvention bouleversante de la machine Ă vapeur. Ce livre nous rapporte cette Ă©popĂ©e industrielle, le dĂ©veloppement des mines de charbon, la fulgurante expansion des chemins de fer et une dynamique dâinvention et de rĂ©alisation de nouvelles machines.
Un changement technologique et Ă©conomique aussi consĂ©quent et radical apparait dans lâhistoire comme un phĂ©nomĂšne original. Les auteurs sâinterrogent donc sur les facteurs originaux de cette irruption. Ils mettent lâaccent sur un facteur « souvent sous-estimé » : « lâĂ©mergence dâune classe moyenne nouvellement enhardis : entrepreneurs et hommes dâaffaires. Leurs vies et leurs aspirations Ă©taient enracinĂ©s dans les changements institutionnels qui avaient commencĂ© Ă donner du pouvoir Ă ce milieu social depuis le XVIe et le XVIIe siĂšcle. La RĂ©volution industrielle peut avoir Ă©tĂ© propulsĂ©e par les ambitions de gens nouveaux essayant dâamĂ©liorer leur richesse et leur standing social, ce qui Ă©tait loin dâune vision inclusive » (p 45-46).
En effet, au dĂ©but de la RĂ©volution industrielle, si des hommes ont participĂ© Ă un enthousiasme innovant, « la premiĂšre phase de cette RĂ©volution a Ă©tĂ© appauvrissante et affaiblissante pour la plupart des gens. CâĂ©tait la consĂ©quence dâun fort parti pris dâautomatisation et dans le manque de voix ouvriĂšre en regard de la fixation des salaires. Ce ne sont pas seulement les moyens de subsistance qui ont Ă©tĂ© affectĂ©s nĂ©gativement par lâindustrialisation mais aussi la santĂ© et lâautonomie dâune bonne part de la population.
Cette affreuse image a commencĂ© Ă changer dans la seconde partie du XIXe siĂšcle quand des gens ordinaires se sont organisĂ©s et ont provoquĂ© des rĂ©formes politiques et Ă©conomiques. Les changements sociaux ont modifiĂ© lâorientation de la technologie et fait monter les salaires. Ce fut seulement une petite victoire pour une prospĂ©ritĂ© partagĂ©e et les pays occidentaux auront Ă cheminer plus longuement sur un chemin contestĂ©, technologique et institutionnel, pour rĂ©aliser une prospĂ©ritĂ© partagĂ©e » (p 56).
Selon les auteurs, lâemploi dĂ©pend des modes dâindustrialisation. Au dĂ©but de la rĂ©volution industrielle, lâautomatisation de la filature et du tissage a nui Ă lâemploi. Au contraire, dans la pĂ©riode ultĂ©rieure, le dĂ©veloppement des chemins de fer a suscitĂ© toute une gamme dâemploi.
« Les avancĂ©es dans les chemins de fer suscitĂšrent beaucoup de nouvelles tĂąches dans lâindustrie des transports et les emplois requĂ©raient toute une gamme de capacitĂ©s de la construction Ă la vente de tickets, maintenance, ingĂ©nierie, et management » (p 196). Des contrepoids sont apparus permettant le partage des bĂ©nĂ©fices du progrĂšs technologique. « Un machinisme et des mĂ©thodes de production se sont dĂ©veloppĂ©s et ont accru la productivitĂ© de lâindustrie britannique, en mĂȘme quâelle Ă©tendait aussi la gamme de tĂąches et dâopportunitĂ©s pour les travailleurs. Mais le progrĂšs technologique nâest jamais suffisant en lui-mĂȘme pour Ă©lever les salaires. Les travailleurs ont besoin de dĂ©velopper un plus grand pouvoir de nĂ©gociation vis-Ă -vis des employeurs ». Câest en 1871 que les syndicats devinrent pleinement lĂ©gaux en Grande-Bretagne (p 202).
Il y a dâautres pĂ©riodes oĂč le progrĂšs technologique a contribuĂ© Ă une diversification et Ă une multiplication des emplois. Les auteurs Ă©tudient en ce sens le dĂ©veloppement de lâĂ©lectrification et celui de la production dâautomobiles aux Etats–Unis. Ils envisagent la grande pĂ©riode de progrĂšs technologique, de croissance Ă©conomique et de bien-ĂȘtre social quâont Ă©tĂ© les trois dĂ©cennies qui ont suivi la seconde guerre mondiale. « Les Etats-Unis et les nations industrielles ont fait lâexpĂ©rience dâune croissance Ă©conomique rapide qui a Ă©tĂ© largement partagĂ©e par la plupart des groupes dĂ©mographiques. Ces tendances Ă©conomiques ont Ă©tĂ© de pair avec dâautres amĂ©liorations sociales, incluant lâexpansion de lâĂ©ducation, les soins de santĂ© et lâaugmentation de lâespĂ©rance de vie. Ce changement technologique nâa pas seulement automatisĂ© le travail mais il a aussi crĂ©Ă© de nouvelles opportunitĂ©s pour les travailleurs et ceci sâest inscrit dans un cadre institutionnel qui a renforcĂ© les contre-pouvoirs » (p 36).
« Quelle a Ă©tĂ© la sauce secrĂšte de la prospĂ©ritĂ© partagĂ©e dans les dĂ©cennies ayant suivi la seconde guerre mondiale ? La rĂ©ponse rĂ©side en deux Ă©lĂ©ments : une direction de la technologie qui a crĂ©Ă© de nouvelles tĂąches et emplois pour des travailleurs de tous les niveaux de qualification et un cadre institutionnel permettant aux travailleurs de partager les gains de productivitĂ© entre employĂ©s et employeurs » (p 240). Les auteurs traitent de cette histoire aux Etats-Unis en montrant comment elle a notamment bĂ©nĂ©ficiĂ© des rĂ©formes du New Deal et il aborde cette histoire Ă©quivalente de progrĂšs en Europe dans le contexte de la reconstruction aprĂšs la guerre et un esprit social tel quâil a Ă©tĂ© exprimĂ© en Angleterre dans le Rapport Beveridge qui proclame « lâabolition du besoin » (p 249).
Faire face aujourdâhui Ă la nouvelle crise Ă©conomique qui est venue sâinscrire dans la rĂ©volution digitale Ă travers un accroissement des inĂ©galitĂ©s et la menace dâune automatisation dĂ©vastatrice.
NĂ©e aux Etats-Unis et portant dâextraordinaires promesses, la rĂ©volution digitale y a Ă©tĂ© dĂ©tournĂ©e Ă la fin du XXe siĂšcle. « Les technologies digitales sont devenues le cimetiĂšre de la prospĂ©ritĂ© collective. Lâaugmentation des salaires a baissĂ©, la part du travail dans le revenu national a diminuĂ© fortement et lâinĂ©galitĂ© des salaires a surgi autour de 1980. Bien que de nombreux facteurs, incluant la globalisation et lâaffaiblissement du mouvement syndical, aient contribuĂ© Ă cette transformation, le changement opĂ©rĂ© dans la technologie est le plus important. Les technologies digitales ont automatisĂ© le travail et dĂ©savantagĂ© le travail par rapport au capital et les travailleurs peu qualifiĂ©s par rapport aux diplĂŽmĂ©s universitaires » (p 257). Dans la plupart des Ă©conomies industrialisĂ©es, la part du travail a diminuĂ©. Aux Etats-Unis, la rĂ©gression a pris un tour particuliĂšrement dĂ©favorable. Un fossĂ© sâest Ă nouveau accru entre les salaires des blancs et des noirs. LâinĂ©galitĂ© sâest considĂ©rablement accrue.
Les auteurs en imputent la cause principale Ă un automatisation massive. Dans les dĂ©cennies prĂ©cĂ©dant la seconde guerre mondiale, lâautomatisation est Ă©galement rapide, « mais elle Ă©tait contrebalancĂ©e par dâautres changements technologiques qui augmentaient la demande de travail.
La recherche rĂ©cente montre que depuis 1980, lâautomatisation sâest accĂ©lĂ©rĂ©e significativement et quâil y a moins de tĂąches et de technologies nouvelles qui crĂ©ent des opportunitĂ©s pour les gens. Ces changements entrent pour beaucoup dans la dĂ©tĂ©rioration de la position des travailleurs dans lâĂ©conomieâŠ
Lâautomatisation a Ă©tĂ© aussi un accĂ©lĂ©rateur majeur de lâinĂ©galitĂ© en affectant des tĂąches remplies particuliĂšrement par des travailleurs peu ou moyennement qualifiĂ©s » (p 261).
Les auteurs soulignent quâil nây a pas lĂ une fatalitĂ©. « La technologie a accru les inĂ©galitĂ©s Ă cause des choix que des entreprises ou de puissants acteurs ont effectuĂ©. La globalisation nâest pas sĂ©parĂ©e de cette question⊠De fait, il y a eu une synergie entre automatisation et globalisation avec le mĂȘme souci de rĂ©duire les coĂ»ts du travail et le nombre de travailleurs moins qualifiĂ©s. Ce processus a Ă©tĂ© facilitĂ© Ă la fois par le manque de contre-pouvoirs dans le milieu du travail et par lâĂ©volution politique depuis 1980 (p 263). Les auteurs dressent un tableau des pressions exercĂ©es par les grandes entreprises et les milieux dâaffaire et ils mettent en Ă©vidence les idĂ©ologies correspondantes telles que la « doctrine Friedman ». Dans dâautres pays, les dĂ©rives ont Ă©tĂ© moins marquĂ©es. Les auteurs mentionnent les cas de lâAllemagne et du Japon oĂč on a combinĂ© lâautomatisation et la crĂ©ation de tĂąches nouvelles (p 286).
Les auteurs critiquent une nouvelle âutopie digitaleâ : « la transformation de lâĂ©thique des hackers en une utopie digitale corporative est largement liĂ©e Ă une poursuite de lâargent et du pouvoir social » (p 289). Câest une idĂ©ologie de la âdisruptionâ, une forme sauvage dâinnovation qui dĂ©truit les anciens Ă©quilibres. « Ce biais technologique est trĂšs largement un choix, et un choix construit socialement. Alors les choses ont commencĂ© Ă devenir bien pires Ă©conomiquement, politiquement et socialement, alors que les nouveaux visionnaires trouvent un nouvel outil pour refaire la sociĂ©tĂ©Â : lâintelligence artificielle » (p 296).
Pourquoi considĂ©rer lâintelligence artificielle avec rĂ©serve et avec prudence
Dans la perspective de lâhistoire rĂ©cente de lâusage dâinternet, lâemballement de certains vis-Ă -vis de la promotion de lâintelligence artificielle parait suspect.
Les auteurs consacrent un chapitre Ă lâintelligence artificielle en en montrant les usages potentiels, les apports, les risques et aussi les limites. Nous renvoyons Ă ce chapitre Ă©crit avec maitrise et expertise ; âArtificial struggleâ (p 297-338). Nous en rendrons compte ici par une courte prĂ©sentation des auteurs. « Ce chapitre explique que la vision dâinternet post-1980 qui nous a Ă©garĂ©s, en est venue aussi Ă dĂ©finir comment concevoir la nouvelle phase des technologies digitales, âlâintelligence artificielleâ et comment lâintelligence artificielle exacerbe les tendances vers lâinĂ©galitĂ© Ă©conomique.
En contraste des proclamations effectuĂ©es par beaucoup de leaders de la tech, nous verrons aussi que dans la plupart des tĂąches humaines, les technologies actuelles de lâintelligence artificielle apportent seulement des bĂ©nĂ©fices limitĂ©s. De plus, lâutilisation de lâintelligence artificielle pour la surveillance au lieu de travail ne propulse pas seulement lâinĂ©galitĂ©, mais elle prive Ă©galement les travailleurs de leur pouvoir dâaction (disempower). Pire, un usage courant de lâintelligence artificielle risque de renverser des dĂ©cennies de gain Ă©conomique dans les pays en dĂ©veloppement en exportant globalement lâautomatisation. De tout cela, rien nâest inĂ©vitable. Ce chapitre dĂ©veloppe une argumentation selon laquelle lâintelligence artificielle, et mĂȘme lâaccent sur lâintelligence de la machine, reflĂšte une approche trĂšs spĂ©cifique du dĂ©veloppement des technologies digitales, une approche qui a de profonds effets dans la rĂ©partition des richesses, en bĂ©nĂ©ficiant Ă quelques personnes et en laissant le reste derriĂšre.
PlutĂŽt que de se focaliser sur lâintelligence des machines, il serait plus profitable de lutter pour une utilitĂ© des machines (âmachine usefulnessâ) en envisageant combien les machines peuvent ĂȘtre trĂšs utiles aux humains, par exemple en complĂ©tant les capacitĂ©s des travailleurs. Comme elle sâest mise en Ćuvre dans le passĂ©, lâutilitĂ© des machines conduit Ă quelques-unes des applications les plus importantes et les plus productives des technologies digitales, mais qui ont Ă©tĂ© de plus en plus mises de cĂŽtĂ© par lâintelligence de la machine et lâautomatisation » (p 37).
Cependant lâintelligence artificielle se dĂ©ploie Ă un autre niveau, au niveau de la sociĂ©tĂ© elle-mĂȘme. Et elle y pose problĂšme, car « la collecte et la moisson massive de donnĂ©es utilisant lâintelligence artificielle sont en voie dâintensifier la surveillance des citoyens par les gouvernements et les entreprises. En mĂȘme temps, les modĂšles dâaffaire fondĂ©s sur la publicitĂ© sâappuyant sur la puissance de lâintelligence artificielle propagent la dĂ©sinformation et amplifient lâextrĂ©misme ». Les auteurs nous mettent ainsi en garde vis-Ă -vis de lâintelligence artificielle. « Son utilisation courante nâest bonne ni pour lâĂ©conomie, ni pour la dĂ©mocratie et ces deux problĂšmes malheureusement se renforcent lâun lâautre ». (p 37)
Dans la situation critique dans laquelle nous nous trouvons, comment réorienter la technologie ?
Les auteurs ne se bornent pas Ă un diagnostic critique de la situation. DĂ©jĂ , Ă travers lâexamen de lâhistoire longue auquel ils ont procĂ©dĂ©, nous avons compris que le progrĂšs technologique nâest pas une panacĂ©e, que ses effets dĂ©pendent dâun contexte plus gĂ©nĂ©ral, des orientations qui sont prises, dâun choix de sociĂ©tĂ©. Bref, le progrĂšs technologique nâest pas la rĂ©ponse Ă tous nos problĂšmes. Et on peut, on doit ne pas considĂ©rer son orientation prĂ©sente comme une fatalitĂ©.
Dans le dernier chapitre du livre, les auteurs nous apprennent et nous invitent Ă rediriger le changement technologique (âredirecting technologyâ).
Aujourdâhui rediriger le changement technologique, câest en premier, faire face Ă la menace existentielle du changement climatique. Or, Ă cet Ă©gard, il y a eu « de remarquables avancĂ©es dans les technologies de lâĂ©nergie renouvelable ».
Finalement, « Aujourdâhui, les Ă©nergies du soleil et du vent sont produites Ă meilleur marchĂ© que les Ă©nergies fossiles » (p 389). La diffĂ©rence est devenue significative. Comment ce changement a-t-il pu intervenir ? Les auteurs mettent lâaccent sur le rĂŽle du âchangement de narratifâ ; du dĂ©veloppement du mouvement Ă©cologique qui sâen est suivi et lâa accompagnĂ©, et des mesures qui en sont rĂ©sultĂ©es.
« Du point de vue du dĂ©fi posĂ© par les technologies digitales, on peut apprendre beaucoup de la maniĂšre dont la technologie est redirigĂ©e dans le secteur de lâĂ©nergie. La mĂȘme combinaison – changer le narratif, dĂ©velopper des pouvoirs faisant contrepoids et dĂ©velopper et mettre en Ćuvre des politiques spĂ©cifiques – voilĂ ce qui peut Ă©galement marcher pour rediriger la technologie digitale» (p 392). Les auteurs posent les problĂšmes de la technologie digitale en ces termes : « La puissance concentrĂ©e des entreprises digitales nuit Ă la prospĂ©ritĂ© parce quâelle limite le partage des gains rĂ©alisĂ©s grĂące au changement technologique. Mais son effet le plus pernicieux se manifeste dans lâorientation de la technologie qui se dirige excessivement vers lâautomatisation, la surveillance, la collecte des donnĂ©es et la publicitĂ©. Pour regagner une prospĂ©ritĂ© partagĂ©e, nous devons rediriger la technologie et cela signifie une version de la mĂȘme approche que celle qui a fonctionnĂ© pour les progressistes, il y a plus dâun siĂšcle » (p 393). « Cela doit commencer par changer le narratif et les normes ». On retrouve dans ce chapitre les mises en garde et les orientations qui parcourent cet ouvrage avec comme grandes recommandations : changer le narratif, bĂątir des pouvoirs faisant contre-poids et dĂ©velopper des techniques, des rĂ©gulations et des politiques pour traiter des aspects spĂ©cifiques du biais social de la technologie » (p 38). VoilĂ un ouvrage auquel nous pouvons nous rĂ©fĂ©rer pour mieux comprendre les enjeux actuels de la technologie digitale et faire face aux menaces prĂ©sentes.
J H
- Daron Acemoglu, Simon Johnson. Power and Progress. One thousand-year struggle over technology and prosperity. London, Basic Books, 2023.
par | Jan 23, 2013 | ARTICLES, Expérience de vie et relation |
La traversĂ©e en voiture de la grande banlieue parisienne nous a prĂ©parĂ©es peu Ă peu au changement de paysage culturel dont nous faisons lâexpĂ©rience en approchant du collĂšge oĂč nous devons intervenir. ArrivĂ©es en avance, nous avons le temps de faire une halte dans un petit cafĂ© tout proche. Pas une femme Ă lâintĂ©rieur. Nous amadouons le patron en lui disant que nous venons prendre un rĂ©confort avant dâattaquer notre tĂąche dĂ©licate dans le collĂšge voisin : il nous fait apporter deux tasses de cafĂ©, dĂ©posĂ©es sur le comptoir Ă cĂŽtĂ© dâun tronc marquĂ© « Pour lâentretien de la mosquĂ©e ». « Vous ĂȘtes enseignantes ? », nous demande-t-il â Non, nous animons des sĂ©ances dâĂ©ducation Ă la paix â Ah mesdames, il faut venir nombreuses, » rĂ©pond-il, une expression soudainement triste sur le visage, « ici on est dĂ©passĂ© par nos jeunes ! »
Quelques instants plus tard Marie Lou et moi traversons la cour du collĂšge, surplombĂ©e par des barres dâimmeubles oĂč logent la plupart des Ă©lĂšves avec leur famille. Trois jeunes garçons, dâune douzaine dâannĂ©es, nous sont amenĂ©s par lâĂ©ducatrice spĂ©cialisĂ©e. Nous sommes bientĂŽt rejoints par Myriam, qui fait aussi partie du groupe, mais qui finissait juste de tresser les cheveux dâune amie !
Nous sommes conduits dans une salle accueillante, de taille rĂ©duite, rĂ©servĂ©e au travail de lâĂ©ducatrice qui, dans le cadre dâun Dispositif Nouvelle Chance agrĂ©Ă© par lâEducation nationale, accompagne des petits groupes dâĂ©lĂšves ayant dĂ©crochĂ©, pour motifs divers, de la scolaritĂ© courante.
Depuis quelques mois deux dâentre nous, engagĂ©es avec le programme Education Ă la paix, viennent une fois par semaine pour contribuer Ă ce processus, avec nos propres activitĂ©s.
Nous consacrons trois heures dâaffilĂ©e Ă quatre de ces jeunes, diffĂ©rents dâune fois sur lâautre.
En dĂ©but de sĂ©ance, nous nous prĂ©sentons puis nous invitons les enfants Ă visionner une courte vidĂ©o, intitulĂ©e CamĂ©ra cafĂ©, qui se veut drĂŽle mais induit des situations de tensions entre les protagonistes de lâhistoire. Nous remettons ensuite Ă chacun le texte imprimĂ© du scĂ©nario pour le relire ensemble, ayant distribuĂ© les rĂŽles. Nous constatons chez les jeunes de rĂ©els talents dâinterprĂ©tation. Ils seront prompts, ensuite, Ă identifier les situations qui gĂ©nĂšrent sentiments de violence ou dâinjustice.
On en vient Ă parler de la vie au collĂšge. Les jeunes nous font vite sentir quâil y a un grand dĂ©calage entre les idĂ©es de notre programme et ce quâils vivent ici. Myriam prend respectueusement la parole ; elle sâexprime dans un français qui mâimpressionne pour une fillette de onze ans « en difficultĂ© scolaire » : « Vous savez, la plupart des jeunes ici nâont pas ce langage que vous tenez. Dâailleurs câest pas bien dâĂȘtre ici, nous dit-elle, il y a beaucoup de grossiĂšretĂ©. Et puis, il nây a pas de solidaritĂ©. » « Oui, ajoute un garçon, sur le mur dâentrĂ©e on voit libertĂ© Ă©galitĂ© fraternitĂ©, mais ici on vit pas ça. Et pour se dĂ©fendre il faut savoir se battre. » Marie Lou acquiesce Ă lâidĂ©e quâil faut se dĂ©fendre, que câest important, mais se dĂ©fendre veut-il dire nĂ©cessairement frapper ? « On se voit pas faisant autrement, Madame, sinon on se ferait traiter de tapettes. Et puis il y a les grands frĂšres qui sâen mĂȘlent quelques fois. » Marie Lou demande : « Est-ce que vous ĂȘtes contents que ça marche comme ça ici, quâon ne crĂ©e des relations que par la peur, et que ça devienne une habitude ? » Silence. « Vous voudriez dâun monde oĂč câest partout comme ça ? â Ben non bien sĂ»r ⊠– Et bien, reprend Marie Lou, je vous assure que pour rĂ©gler des conflits, il faut ĂȘtre hyper crĂ©atifs, hyper intelligents. – Oui mais justement nous on nâest pas vraiment ⊠intelligents. – Quâest ce que câest ĂȘtre intelligent ? – Câest ⊠ĂȘtre des intellos. » Et Myriam de nous expliquer que, par exemple, elle nâa pas de bons rĂ©sultats scolaires. Marie Lou rĂ©torque quâil y a bien dâautres signes dâintelligence que les rĂ©sultats scolaires.
Et nos quatre jeunes en seront bien la preuve. Lors dâune sĂ©quence de lâanimation, une trentaine de photos, reprĂ©sentant des situations ou des objets les plus divers, seront Ă©talĂ©es sous leurs yeux. Il leur sera demandĂ© dâen choisir en silence deux chacun : une reprĂ©sentant un objet ou une situation quâils aiment, la seconde au contraire quelque chose qui leur dĂ©plait.
Les deux choix de Myriam et Kevin seront les mĂȘmes, mais pour des raisons opposĂ©es ! Une photo reprĂ©sente quatre vieilles femmes parlant ensemble sur un banc au soleil : Myriam aime cette photo qui lui fait penser Ă ses conversations avec sa grand-mĂšre, au Maroc. Cette grand-mĂšre qui dit Ă sa petite fille que mĂȘme si elle nâaime pas lâĂ©cole, elle a de la chance dâapprendre Ă lire et Ă©crire. « Jâaime parler avec les vieilles personnes, on apprend toujours des choses intĂ©ressantes », insiste Myriam malgrĂ© les moqueries de ses camarades que cette scĂšne de vieillards rĂ©vulse franchement. Ce nâest pas pour rien que Kevin lâa choisie comme le dernier endroit oĂč il voudrait ĂȘtre. « Câest vrai que quelquefois les vieux disent des choses pas intĂ©ressantes, dit Myriam, mais ça mâest Ă©gal, et dans ce cas lĂ je mâendors Ă cĂŽtĂ© dâeux, je me sens en sĂ©curitĂ©. » Quant Ă la scĂšne des amoureux, câest celle-lĂ qui la rĂ©vulse : « Câest dĂ©goĂ»tant, câest violent, jâaurais honte quâun membre de ma famille me voit dans cette position ! – Ouais, tu dis ça, mais dans quelques annĂ©es tu changeras dâavis », sâesclaffent les garçons. Et dâailleurs Kevin ne cache pas du tout que lui rĂȘverait de vivre dĂ©jĂ une histoire amoureuse, câest pour cela quâil a choisi cette photo comme sa prĂ©fĂ©rĂ©e ! Les choix des autres jeunes seront aussi des occasions dâĂ©changes animĂ©s, les images interpellant vivement leurs imaginaires et leur univers Ă©motionnel.
La fin de la sĂ©ance approche. On distribue Ă chacun une feuille de papier qui prĂ©figure une lettre quâil va sâĂ©crire Ă lui-mĂȘme. Celle-ci sera ensuite glissĂ©e dans une enveloppe sur laquelle sera inscrite lâadresse de lâauteur. Dans un mois nous expĂ©dierons les lettres. Marie Lou va dâun garçon Ă lâautre pour les aider Ă entrer dans le jeu. La dĂ©marche est prise au sĂ©rieux. Chacun se concentre dans son coin. Quant Ă Myriam, elle me confie quâelle nâest « pas bonne Ă lâĂ©crit » et me demande si je peux Ă©crire ce quâelle va me dire. « Mais câest personnel, câest secret », lui dis-je. « Je nâai rien Ă cacher », rĂ©torque la fillette. Puis elle regarde droit devant elle et aprĂšs un petit silence me dicte les rĂ©ponses quâelle veut donner aux trois questions prĂ© imprimĂ©es sur sa feuille : ChĂšre Myriam, âŠÂ    VoilĂ ce que tu as retenu de lâanimation Ă laquelle tu as participĂ© le ⊠juin au collĂšge : (RĂ©ponse de Myriam) ce que je pense de moi-mĂȘme est plus important que ce que les autres pensent de moi. Je peux rĂ©gler mes problĂšmes autrement que par la bagarre.
Voici ce que tu aimerais voir changer dans le collĂšge : (RĂ©ponse de Myriam) quâil y ait moins de grossiĂšretĂ©, plus de respect et que les gens arrĂȘtent dâavoir des prĂ©jugĂ©s les uns sur les autres dâaprĂšs les vĂȘtements quâon porte ou comme on parle.
Voici ce que tu es prĂȘte Ă faire pour aider les choses Ă changer : (RĂ©ponse de Myriam) plutĂŽt que de taper, je parlerai avec les autres pour comprendre la cause du problĂšme. Je serai plus coopĂ©rante pour les aider Je ferai comme je sens qui est bien au fond de moi et qui mâapporte la paix. Je devrais ĂȘtre plus concentrĂ©e en classe. »
Pardon Myriam de divulguer ainsi tes pensĂ©es : jâai changĂ© ton nom pour prĂ©server lâanonymat. Jâai une grande excuse : faire savoir que dans des milieux difficiles grandissent des enfants comme toi qui ont plein de pĂ©pites au fond du cĆur et dont lâintelligence vibre dĂ©jĂ trĂšs fort Ă lâinterpellation de valeurs qui ne sont pas celles du milieu ambiant. Ton rĂ©pondant à notre animation justifie tous les efforts entrepris pour mettre au point des programmes dâĂ©ducation Ă la paix dans tous les milieux. Et il constitue un grand message dâespoir!
Nathalie CHAVANNE
Le Programme Education Ă la Paix, est un des programmes portĂ©s par lâAssociation Initiatives et Changement.
Il met au point des espaces structurĂ©s de rĂ©flexion et dâexpression, oĂč, dans des contextes divers, les jeunes peuvent dĂ©velopper leurs compĂ©tences sociales en faveur dâun meilleur vivre ensemble et dâune ouverture Ă lâinitiative citoyenne.
Programme : Education à la paix
Dialoguer, apprendre Ă vivre ensemble, agir en citoyen.
7 bis, rue des Acacias
92130 Issy-les-Moulineaux
http://www.fr.iofc.org/
par jean | Oct 3, 2022 | Vision et sens |
Selon Tobie Nathan, ethnopsychiatre
A travers une pratique pionniĂšre, Tobie Nathan est devenue une figure majeure de lâethnopsychiatrie en France. Lâethnopsychiatrie est psychologie transculturelle qui associe psychologie clinique et anthropologie culturelle. Tobie Nathan a notamment mis en Ă©vidence la part des croyances dans la prise en charge des maladies mentales.       En relation avec des personnes venant de tous les continents, Tobie Nathan a Ă©tĂ© amenĂ© par lâune dâentre elles, Ă reconnaĂźtre la pratique de guĂ©rison exercĂ©e au nom de JĂ©sus. En consĂ©quence, il a donc entrepris une recherche sur JĂ©sus qui a dĂ©bouchĂ© sur lâĂ©criture dâun petit livre : JĂ©sus le guĂ©risseur (1). « JusquâĂ la rencontre avec Gabriela, personne ne mâavait incitĂ© Ă examiner au plus prĂšs JĂ©sus, lâhomme donc et non la religion qui a dĂ©coulĂ© de son enseignement » (p 13). « Si lâon examine son parcours, JĂ©sus a essentiellement parlĂ©, rĂ©uni et guĂ©ri. Câest donc Ă lâanalyse de ce personnage politique et thĂ©rapeute que jâai voulu consacrer ces pages » (p 13).
Lâauteur nous dit dans quel esprit, il a entrepris cette recherche.
« Je voudrais dâabord retracer le parcours personnel de JĂ©sus, pour lequel je ressens une sympathie particuliĂšre â un personnage omniprĂ©sent dans notre monde alors quâon sait assez peu sur luiâŠ
JĂ©sus imprĂšgne notre vie quotidienne par des paroles, des expressions, des maximes, par une morale aussi, et une certaine vision politique. Il est partout dans les expressions de notre langue, dans nos proverbes, nos habitudes mentales, mais Ă©galement dans lâart et la musique » (p 17). JĂ©sus apparaĂźt mĂȘme dans des troubles psychiatriques. « JĂ©sus est un interlocuteur : on lâappelle, on lâinvoque, on le prie. Il est le compagnon des laissĂ©s-pour-compte, des dĂ©munis, des malades. Ici en France, en Europe, mais aussi trĂšs loin dâici en Afrique, en AmĂ©rique du sud et de plus en plus en ChineâŠÂ » (p 18).
Dans sa recherche historique, lâauteur estime que les sources historiques fiables sont peu nombreuses. « Pour Ă©laborer cet exposĂ©, je suis allĂ© puiser dans les ressources historiques, celles qui reconstituent lâĂ©poque, lâatmosphĂšre oĂč JĂ©sus a vĂ©cu : jâai eu trĂšs peu recours aux exĂ©gĂšses thĂ©ologiques. Il va de soi que JĂ©sus, câest aussi le Christ, le
sauveur, Ă la fois homme et dieu. Je nâaborderai ici que sa part dâhistoire et dans une double perspective qui me questionne – et, je lâavoue, me fascine : JĂ©sus le politique et JĂ©sus le guĂ©risseur. JâespĂšre ne froisser personne en ne discutant que sa part dâhistoire. Mais lâhonnĂȘtetĂ© exige que lâon nâoutrepasse pas la frontiĂšre de ses compĂ©tences » (p 19).
Jésus, leader politique et guérisseur
Si ce livre, dans son sous-titre, met lâaccent sur le rĂŽle de JĂ©sus comme guĂ©risseur, lâouvrage lui-mĂȘme traite pour une bonne part dâun autre rĂŽle, cher Ă lâauteur, celui de leader politique contre lâoccupant romain. Tobie Nathan se montre ici connaisseur de la civilisation et de lâhistoire juive. Et câest dans cette connaissance que sâĂ©grainent des chapitres comme : Son nom dâabord, parce que le nom, câest la personne ; Le contexte, le lieu et les choses ; Les forces politiques ; Des mouvements contre lâoccupant ; les actes politiques de JĂ©sus ; le Royaume de DieuâŠ
« En JĂ©sus, dominent deux dimensions Ă la source de mes rĂ©flexions » affirme lâauteur ». « Il y a dâabord la part politique de JĂ©sus, un rĂ©volutionnaire juif, un militant en rĂ©volte radicale contre lâoccupation romaine de la JudĂ©e, « le pays des juifs », poursuivant de sa vindicte les collabos du Temple et ceux du Palais, acclamĂ© par une partie du peuple comme « Roi des juifs » avant dâĂȘtre crucifiĂ© comme la plupart des agitateurs politiques de lâĂ©poque » (p23).
Lâauteur met ensuite en exergue une autre dimension. « La seconde dimension tient dans son activitĂ© clinique⊠Son Ćuvre a principalement Ă©tĂ© de soigner les malades. Il rendait la vue aux aveugles, leurs jambes aux paralytiques ; il nettoyait les lĂ©preux de leurs plaies et dĂ©barrassait les agitĂ©s des dĂ©mons » (p24). Cette activitĂ© suscite lâĂ©loge de lâexpert quâest pour nous Tobie Nathan : « Un thĂ©rapeute, et de la plus pure espĂšceâŠÂ Et comme tous les thĂ©rapeutes, il parlait des « paroles Ă lâenvers », dirait mon collĂšgue yoruba du BĂ©nin, dont chacune a pĂ©nĂ©trĂ© notre univers. Par lĂ , je veux dire quâil sâagit de paroles surprenantes exigeant un arrĂȘt, une interprĂ©tation, des paroles paradoxales, des admonestations souvent qui fracturent des Ă©vidences⊠Un thĂ©rapeute, un vrai ! » (p 24).
Mais quel lien entre ces deux activités ?
« Si lâon examine le travail du thĂ©rapeute, on se demande ce quâil a Ă voir avec la politique. » Dans la rĂ©ponse, Tobie Nathan sâengage : « Mon hypothĂšse est prĂ©cisĂ©ment que les deux dimensions sont imbriquĂ©es ou plutĂŽt que JĂ©sus les a nouĂ©es ensemble, que câest prĂ©cisĂ©ment lĂ son originalitĂ© fondamentale, son « invention » (p 24-25).
En commentaire, pour notre part, la focalisation sur le rĂŽle politique de JĂ©sus tĂ©moigne de la diversitĂ© des points de vue selon les parcours et les sources, mais, tout en reconnaissant lâimportance du contexte politique, elle ne correspond pas Ă notre interprĂ©tation personnelle. Citons, entre autres : « Mon Royaume nâest pas de ce monde, rĂ©pondit JĂ©sus. Si mon Royaume Ă©tait de ce monde, mes serviteurs auraient combattu pour moi afin que je ne fusse pas livré⊠» (Jean 18.36). Notre propos ici est de recevoir lâĂ©clairage que lâauteur apporte sur le rĂŽle de JĂ©sus comme thĂ©rapeute et guĂ©risseur.
Tobie Nathan : histoire dâune vie
La dĂ©marche de Tobie Nathan sâinscrit dans une histoire de vie. Une interview oubliĂ©e sur le site du Monde nous en dit beaucoup Ă cet Ă©gard (2).
NĂ© au Caire en 1948, il en est brutalement chassĂ© en 1957 en mĂȘme temps que 25 000 juifs dâĂgypte. Ses parents immigrent en France. Leur vie est difficile. « Dans la citĂ© de Gennevilliers oĂč jâai grandi au nord-ouest de Paris, la vie Ă la maison nâest pas trĂšs facile. Il y avait une douleur, un poids. Dâabord parce quâon Ă©tait pauvre. Mais surtout en raison de la sĂ©paration avec le reste de la famille ». De plus, Tobie ne se sent pas Ă lâaise Ă lâĂ©cole française. « DĂšs lâĂ©cole communale, jâai toujours exĂ©crĂ© lâĂ©cole française, Ă cause de lâuniformisation obligatoire que comporte cette institution ».         Tobie Nathan a donc mal vĂ©cu sa condition dâimmigrĂ©. Le souvenir de cette expĂ©rience va lâaccompagner et lâaider Ă comprendre les problĂšme des migrants.
En 1969, Ă©tudiant en psychologie et ethnologie, il rencontre pour la premiĂšre fois le professeur Georges Devereux, le fondateur de lâethnopsychiatrie en France. Câest avec lui quâil rĂ©alisera sa thĂšse et, si, par la suite, ils se sĂ©parent, il donne son nom au centre quâil crĂ©e en 1993. « Le centre Georges-Devereux sâest ouvert en 1993 dans le cadre de lâUniversitĂ© Paris VIII Ă Saint-Denis. Ce fut une pĂ©riode extraordinaire. Enfin on allait faire de la vraie psychologie en France. Câest Ă dire un endroit universitaire oĂč on reçoit des patients, oĂč lâon forme les Ă©tudiants en thĂšse et oĂč lâon enseigne. Personnellement, câest lĂ que jâai tout appris. De nos patients, bien sĂ»r. Mais aussi de nos Ă©tudiants Ă©trangers qui appartenaient souvent aux mĂȘmes ethnies que les patients que nous recevions ».
Comment Tobie Nathan dĂ©finit-il lâethnopsychiatrie ? « Cela consiste Ă apprendre des autres peuples les connaissances quâils ont des troubles psychiques et de leur traitement, Ă tenir compte de leurs rites ancestraux pour les soigner ».
En 2003, Tobie Nathan abandonne le Centre Devereux pour partir Ă lâĂ©tranger. Il dirige le bureau de lâAgence française pour la francophonie pour lâAfrique des grands lacs au Burundi, puis le service culturel de lâambassade française en IsraĂ«l et en GuinĂ©e-Conakry. « Ce qui mâa changĂ©, câest de vivre en Afrique ».
De retour en France, il dirige le Centre dâaide psychologique quâil a crĂ©Ă©. Et il reçoit les jeune gens signalĂ©s par leur famille comme Ă©tant en danger de radicalisation islamique. « Jâai rencontrĂ© des gamins dâun bon niveau qui se posent des questions importantes me rappelant celles que je me posais Ă leur Ăąge⊠Cela mâa incitĂ© Ă me questionner sur eux, mais aussi sur moi-mĂȘme. En France, on ne sait pas penser lâĂ©tranger⊠On va ĂȘtre obligĂ© dâadmettre quâil y a des gens qui ne pensent pas comme nous, qui ont des dieux qui ne sont pas les nĂŽtres et quâil va falloir nĂ©gocier avec eux une coexistence ».Tobie Nathan constate que de nombreux jeunes qui se radicalisent comblent un vide engendrĂ© par une perte de continuitĂ© culturelle. Dans son livre : « Les Ăąmes errantes », il rapporte des histoires rĂ©vĂ©latrices.
Issu dâune famille rabbinique, Tobie Nathan se dĂ©clare juif comme « ayant des ancĂȘtres, de gens auxquels on se rĂ©fĂšre comme Ă©tant un dĂ©but de lignĂ©e ». Il espĂšre croire en Dieu un jour. « Chez les juifs, croire câest lâaboutissement dâun travail, ce nâest pas le dĂ©but. La croyance est un cadeau, et câest un cadeau que je nâai pas encore reçu ».
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Une rencontre révélatrice : Gabriela
Dans sa pratique, Tobie Nathan se trouve constamment en rapport avec un vĂ©cu international. Câest une source de connaissance et dâouverture. Et câest ainsi que la rencontre avec Gabriela lui a ouvert une nouvelle piste : la guĂ©rison au nom de JĂ©sus.
« Je lâappellerai Gabriela. Elle mâa montrĂ© des photos dâelle Ă vingt ans sur une plage brĂ©silienne. A 22 ans, elle a Ă©pousĂ© un Guyanais, chercheur dâor de passage au BrĂ©sil. AprĂšs des revers de fortune et plusieurs Ă©migrations, elle sâĂ©tait retrouvĂ©e dans une citĂ© HLM dâune commune de Seine-Saint-Denis. Voici des annĂ©es que son mari lâavait quittĂ©e, parti chercher de lâor en Angola, la laissant seule avec ses trois garçons⊠Il y a quelques annĂ©es, lorsque son ainĂ© a atteint 16 ans, Gabriel a appris par un ami revenu dâAfrique que son mari Ă©tait mortâŠÂ ». Câest alors que sâest dĂ©clenchĂ©e la dĂ©linquance des enfants.
Gabriela sâest effondrĂ©e.
AprĂšs une grave dĂ©pression et plusieurs hospitalisations en milieu psychiatrique, elle a trouvĂ© refuge et consolation au sein dâune Eglise Ă©vangĂ©lique. Peu Ă peu, elle sâest rapprochĂ© du berger, lâa secondĂ© dans son travail auprĂšs des fidĂšles » (p 11-12). Tobie Nathan commente alors : « Sa facilitĂ© Ă communiquer avec les esprits ou les anges quâelle tenait peut-ĂȘtre de ses ancĂȘtres, sâest bientĂŽt manifestĂ©e dans lâĂ©glise en de vĂ©ritables transes. RĂ©guliĂšrement, il lui arrive de « parler en langues ». Quelquefois, lorsquâelle est dans cet Ă©tat, elle opĂšre des « dĂ©livrances », câest-Ă -dire des thĂ©rapies de personnes en dĂ©tresse. Et câest toujours au nom de « JĂ©sus ». Gabriela dit quâelle chasse les « mauvaises influences » quâelle qualifie parfois de dĂ©mons ou de diables. Elle mâassure que les fidĂšles sâen portent mieux. Je la crois ». (p 12-13).
Tobie Nathan nous rapporte comment la relation avec elle sâest Ă©tablie et comment elle a portĂ© du fruit. « Psychologue, je lâai reçue durant des annĂ©es. Nous parlions le plus souvent de ses problĂšmes de famille, puis, au fur Ă mesure que son Ă©tat psychologique sâamĂ©liorait, de politique, de lâimpasse sociale que constituaient les quartiers, mais aussi de JĂ©sus, – de JĂ©sus surtout ! JĂ©sus, la matrice de son « don de guĂ©rison », son protecteur, son guide et son modĂšle » (p 25).
De fait, Tobie Nathan avait dĂ©jĂ entendu parler de la guĂ©rison divine. « Bien dâautres avaient attirĂ© mon attention sur la fonction thĂ©rapeutique de JĂ©sus, sur la puissance que confĂ©rait son ĂȘtre mĂȘme. Jâavais autrefois fait une enquĂȘte dans des Eglises Ă©vangĂ©liques au BĂ©nin. Par la suite, jâai dĂ©couvert celles du Burundi et du Ruanda. Je me suis insurgĂ© contre les abus commis dans celles du Congo. Mais personne ne mâavait comme Gabriela, incitĂ© Ă examiner de plus prĂšs JĂ©sus, sa personne… Selon ses adeptes, câest en lâhomme, JĂ©sus, que rĂ©side la puissance de guĂ©rir » (p 15).
Jésus guérit
Le livre de Tobie Nathan dĂ©bouche ainsi sur une description et une analyse de lâĆuvre de JĂ©sus comme thĂ©rapeute et guĂ©risseur.
JĂ©sus parlait. Il agit aussi. « La plupart de ses actions – peut-ĂȘtre mĂȘme la totalitĂ© – furent des guĂ©risons⊠Des guĂ©risons, on en compte 37 dans ce quâon appelle le Nouveau Testament et 14 dans le seul Evangile de Marc. Câest dire ! » (p 98 ). « Plus encore, et alors mĂȘme que le dĂ©bat Ă©tait Ă son plus fort au sein de lâĂglise primitive sur la nature de JĂ©sus â il nây eut jamais aucune controverse, ni chez ses disciples, ni chez ses dĂ©tracteurs, quant Ă ses dons de thaumaturge et dâexorciste. Quelle que fut sa nature, tout le monde lui reconnaissait ce don-lĂ , le don de guĂ©rison. Dans les rĂ©cits, tels quâils nous sont rapportĂ©s dans les Ecritures, JĂ©sus ne refusait jamais la guĂ©rison Ă qui lui demandait » (p 99). « Et, Ă chaque fois, JĂ©sus choisissait les dĂ©monstrations publiques, bien loin des intimitĂ©s psychologiques de nos contemporains. Il se risquait aux guĂ©risons les plus difficiles devant une foule rassemblĂ©e quâil prenait Ă tĂ©moin, guĂ©rison Ă chaque fois plus inattendue, plus invraisemblable » (p 100).
Dans ce chapitre, Tobie Nathan va dĂ©crire, analyser et chercher la signification de quelques guĂ©risons de JĂ©sus. Et il commente ainsi la guĂ©rison du sourd-muet dans une ville de la DĂ©capole. « Il lĂšve le regard vers le ciel et gĂ©mit en aramĂ©en : ephatah ! â « Ouvre-toi » et voilĂ que la parole du bĂšgue se dĂ©lieâŠÂ ». De fait, « cette parole est chargĂ©e⊠elle dĂ©signe le commencement de la priĂšre. Le livre qui introduit Ă Dieu sâappelle en hĂ©breu le Pataâh, « lâouverture », que lâon retrouvera dans la premiĂšre sourate de lâislam Al fatiâha qui signifie aussi : « ouverture ». Une fois encore, JĂ©sus fait et dit. Câest lâun de ses secrets thĂ©rapeutiques : faire un acte et dire en mĂȘme temps la parole qui le dĂ©signe. Il faut alors que cette parole colle Ă lâacte, mais Ă©galement quâelle sâenvole vers une signification plus profonde, qui engage toute la communauté » (p 101).
La nouvelle des guĂ©risons se rĂ©pand. « Les malades ne guĂ©rissent pas parce quâils croient ; ils croient parce quâils on Ă©tĂ© guĂ©ris » (p 102). Ces guĂ©risons participent Ă un mouvement de rassemblement autour de JĂ©sus.
« On a inventoriĂ© trois types de malades guĂ©ris par JĂ©sus : les aveugles, les sourds-muets et les paralytiques⊠Tous ont la perception et lâaction entravĂ©e. Câest ainsi quâil dĂ©finit par ses gestes thĂ©rapeutiques la nature de la maladie : lâimpossibilitĂ© de la connaissance de Dieu. Il faut donc voir dans ces malades des Ă©veillĂ©s – les plus vaillants de la communautĂ© – des ĂȘtres qui ont conscience dans leur corps des entraves au cheminement vers Dieu » (p 103 ).
Tobie Nathan inscrit lâĆuvre de guĂ©rison de JĂ©sus dans une dimension communautaire. « On doit se rendre Ă lâĂ©vidence : lâaction de guĂ©rir, que JĂ©sus maitrisait Ă la perfection, sans effort, en douceur, nâĂ©tait pas le but ultime. Il voulait agir non sur la nĂ©gativitĂ© qui affligeait un seul, mais sur lâinhibition qui paralysait sa communautĂ© » (p 110). Dâun bout Ă lâautre de son livre, Tobie Nathan met lâaccent sur la vocation politique quâil attribue Ă JĂ©sus.
Une interpellation
 « A cette Ă©poque, les thĂ©rapeutes, les devins, les magiciens, les sorciers Ă©taient si nombreux⊠il y en avait tant et plus encore. Ils pullulaient en JudĂ©e et en GalilĂ©e. Il en existait parmi les grecs⊠» (p 115 ). Certains Ă©taient renommĂ©s. Les techniques de JĂ©sus ressemblaient Ă celles des guĂ©risseurs de son temps, mais elles diffĂ©raient par un dĂ©tail dâimportance : JĂ©sus soignait gratuitement et exigeait de ses disciples quâils agissent de mĂȘme » (Matthieu 10.7-10) (p 115-116). Tobie Nathan Ă©voque ensuite une « longue lignĂ©e de rebelles politiques cherchant Ă dĂ©livrer IsraĂ«l de lâoppression romaine » et le passĂ© insurrectionnel Ă cette Ă©poque. Finalement « ce fut lâĂ©radication du Temple et la domination de lâEmpire romain ».Tobie Nathan conclut ainsi : « RĂ©volutionnaire et thĂ©rapeute, câest ainsi que jâai compris JĂ©sus Ă travers les Ă©vĂšnements de la vie » (p 123). Il en apprĂ©cie les talents. « Cet homme aurait pu jouir dâune reconnaissance passagĂšre ou disparaĂźtre dans les oubliettes de lâhistoire comme dâautres dont nous ne savons rien ». Alors, il sâinterroge sur la prĂ©sence de JĂ©sus dans la vie contemporaine et le mystĂšre quâon peut y voir :
« Mais son destin fut différent.
Qui en a décidé ainsi ?
Dieu, peut-ĂȘtre ? » (p 124).
Dans le brassage mondial des populations, Tobie Nathan apparaĂźt comme une vigie. Ethnopsychiatre, il observe les phĂ©nomĂšnes psychosociaux de notre Ă©poque. A ce titre, la rĂ©alitĂ© de la « guĂ©rison divine » ne lui paraĂźt pas extravagante. Son regard croise celui des chrĂ©tiens Ă©vangĂ©liques qui croient en la guĂ©rison au nom de JĂ©sus. Tobie Nathan sâest engagĂ© dans une recherche historique pour mieux connaĂźtre ce JĂ©sus pour lequel il Ă©prouve de la sympathie. Dans ce livre, selon sa culture, il nous fait part de son interprĂ©tation et de son questionnement. JĂ©sus est bien source de guĂ©rison.
J H
(1) Tobie Nathan. Jésus le Guérisseur. Flammarion, 2017
(2) Tobie Nathan : la croyance est un cadeau que je nâai pas encore reçu : https://www.lemonde.fr/la-matinale/article/2017/10/15/tobie-nathan-la-croyance-est-un-cadeau-que-je-n-ai-pas-encore-recu_5201182_4866763.html
(3) Tobie Nathan. Les Ăąmes errantes. Lâiconoclaste, 2017 (Livre de Poche) « Dans le secret de son cabinet, le psychologue Tobie Nathan accueille des jeunes en danger de radicalisation. Il Ă©coute. Leurs histoires, leurs mĂšres, leurs pĂšres perdus. Et tout ce quâils ont Ă nous apprendre sur le monde tel quâil est. Aucun penseur ne les a connu de si prĂšs. Aucun nâa osĂ© dire quâil leur ressemblait. Se raconter, se mettre Ă nu pour faire revenir « les Ăąmes errantes » est un pari risquĂ©. Le seul qui semble valoir la peine dâĂȘtre tenté ».
Tobie Nathan, ethnopsychiatre