Communiquer dans l’authenticitĂ©

Ethique, communication et potentiel humain

 

Myriam est coach marketing. Elle conseille des entrepreneurs, des coachs, des consultants  dans leur démarche marketing.

 

         Sur son site : MonCoachMarketing.com (1), Myriam présente ainsi son approche de travail :

« Ma passion, c’est de collaborer avec mes clients pour les aider Ă  libĂ©rer leur potentiel ;

C’est de leur dĂ©voiler comment identifier et communiquer sur leur cƓur d’expertise, sur ce qui fait qu’ils sont uniques ;

Ce qui me motive : transmettre cette passion pour communiquer au delĂ  de leurs produits, sur les bĂ©nĂ©fices qu’ils ont et ce que perçoivent leurs clients.

C’est de les aider Ă  se connecter de façon crĂ©dible, authentique et impactante avec leurs futurs clients et partenaires


De plus, je m’engage Ă  mettre Ă  votre service, avec excellence, mon propre potentiel, mes dons, mes talents et Ă  toujours agir dans un respect rĂ©ciproque et en cohĂ©rence avec mes valeurs.

Je vous accompagne dans votre dĂ©marche marketing. Alliant professionnalisme et valeurs humaines, ma mĂ©thode se base sur la capitalisation de vos acquis (tant professionnels que personnels), sur l’identification de vos freins et la dĂ©finition d’actions concrĂštes qui nous conduisent sur le chemin de la rĂ©ussite ».

 

Les témoignages qui figurent sur le site de Myriam, montrent comment sa démarche est reçue et correspond aux désirs de certains de ses clients :

 

« Myriam m’a fait rĂ©aliser que le marketing, c’est un Ă©tat d’esprit :

VoilĂ  comment je le rĂ©sume : Viser la cohĂ©rence entre l’identitĂ© et l’image que l’on veut envoyer ou encore ĂȘtre au dedans ce que l’on prĂ©tend ĂȘtre au dehors. De quoi mĂ©diter, n’est-ce pas ?

Le marketing est une étape primordiale. Ce qui, pour moi, était au départ brouillon et confus, est devenu clair et précis en trois rendez-vous.

Sans l’accompagnement marketing, il est Ă©vident que j’aurais certainement mis plus de temps Ă  y arriver, voire pas du tout ! »

Oly Auger

 

« Je croyais rĂ©flĂ©chir et faire sĂ©rieusement le tour de mes problĂšmes. J’avais l’impression parfois de tourner en rond, de rĂ©soudre un problĂšme pour le voir rĂ©apparaĂźtre un peu plus tard. J’aurais du me douter que je n’allais pas au fond de certaines choses, mais je ne m’étais pas rendu compte Ă  quel point cela impactait ma maniĂšre de faire, donc mes rĂ©sultats.

Myriam m’a montrĂ© comment j’escamotais certaines questions, comment j’évacuais certains problĂšmes en pensant les avoir traitĂ©s. Elle ne me l’a jamais dit aussi directement, mais sa façon de revenir Ă  l’essentiel, de toujours me ramener au cƓur du sujet, m’a fait voir Ă  quel point il est difficile de se poser Ă  soi mĂȘme les bonnes questions
 et d’y rĂ©pondre.

MĂȘme si j’étais parfois agacĂ©, j’ai beaucoup apprĂ©ciĂ© son savoir-faire. Elle comprend votre problĂ©matique, mais surtout elle sait vous relancer jusqu’à ce que vous vous soyez posĂ© la bonne question et jusqu’ ce que vous ayez apportĂ© la rĂ©ponse qui vous satisfait (vous, pas elle). Avec Myriam, mon niveau d’exigence est montĂ© de plusieurs crans et grĂące Ă  cela, mes rĂ©sultats se sont nettement amĂ©liorĂ©s. »

Etienne

 

Myriam nous dit comment elle s’est acheminĂ© vers ce travail qui la passionne

 

Petite, dĂ©jĂ , j’aimais aider les autres. Écouter, aider Ă  trouver des solutions, transmettre… Lorsque j’ai fait mes Ă©tudes aux États Unis, ce qui me passionnait c’Ă©tait ce qui touchait Ă  l’enseignement et au  »counseling » (la relation d’aide). De retour en France, je ne souhaitais pas entrer Ă  l’Ă©ducation nationale, et je ne connaissais pas de formation, en 1984, pour continu mes Ă©tudes en relation d’aide…

 

Je me suis donc dirigĂ©e vers une filiĂšre plus “traditionnelle” en entreprise. Assistante de direction puis administration des ventes. Au bout de quelques annĂ©es, je me suis retrouvĂ©e dans une entreprise de l’industrie papetiĂšre ou j’ai appris le marketing et la communication. J’y suis restĂ©e prĂšs de 20 ans, et mes expĂ©riences de responsable communication et de chef de produit sont aujourd’hui trĂšs prĂ©cieuses pour moi. J’ai Ă©galement pu suivre une formation longue de formateur.

 

Lorsque j’ai bĂ©nĂ©ficiĂ© d’un plan social, l’annĂ©e de mes 40 ans, c’Ă©tait le bon moment pour faire le point et savoir ce que je voulais vraiment dans la vie… De rassembler ce que je savais faire, ce que j’aimais faire, et surtout de voir comment je pouvais donner un sens a ma vie professionnelle afin qu’elle soit en cohĂ©rence avec mes valeurs chrĂ©tiennes, mon besoin de servir, mon besoin profond de travailler avec des personnes pour qui l’authenticitĂ© est Ă©galement important. J’avais besoin de sentir que ma contribution faisait une diffĂ©rence dans la vie d’autrui.

 

La formation, oui, ça en faisait partie. Mais quoi d’autre ? Ca n’Ă©tait pas suffisant pour moi. J’ai suivi la formation de relation d’aide de Jacques Poujol, pendant 3 ans. Cela m’a beaucoup apportĂ© au niveau personnel, d’autant plus qu’Ă  40 ans, on n’a pas la mĂȘme approche de la vie qu’Ă  20 ans.

Je sentais que je commençais Ă  m’aligner avec moi-mĂȘme…

Et pendant la 3Ăšme annĂ©e de cette formation, j’ai Ă©galement suivi une formation certifiante de coach… Cela m’a permis encore plus de m’aligner avec mes valeurs profondĂ©ment ancrĂ©es dans ma foi en Dieu, dans ce besoin d’aider et me mettre au service d’autrui…

 

Mais comment faire concrĂštement ? Comment capitaliser sur 20 ans d’expĂ©rience tout en restant cohĂ©rente avec ma mission de vie, mes valeurs, le service, la crĂ©ativitĂ©, l’efficacitĂ©, l’authenticitĂ© ?

 

Comment donc allier le marketing et le coaching ?

 

 

Telle qu’elle prĂ©sente son travail et telle qu’elle le vit, l’approche de Myriam s’inspire d’un ensemble de valeurs.  Comment cette « alchimie » s’est-elle opĂ©rĂ©e ? Quelle en est la dynamique ?

 

“Comme le dit Oly dans son tĂ©moignage ci-dessus, je l’ai aidĂ©e Ă  comprendre que le marketing est un Ă©tat d’esprit, une attitude qui met le Client au centre. Et si on remplace le mot  »client » par  »autrui » ??

C’est lĂ  ou se trouve l’un des secrets de cette alchimie.

C’est pourquoi j’ai commencĂ© Ă  dĂ©velopper le programme de  »marketing de soi ». Je sais, le mot  »marketing » est souvent perçu avec un connotation nĂ©gative. Or tout dĂ©pend ce que l’on en fait…

L’approche est justement d’ĂȘtre Ă  l’Ă©coute, d’aller au devant du client (d’autrui :), de connaĂźtre ses frustrations et de lui montrer qu’il existe une solution…  C’est ce marketing authentique qui me passionne.

 

Dans  »le marketing de soi », que j’ai ensuite dĂ©clinĂ© en  »marketing de l’entrepreneur »,  »marketing du coach »,  »marketing du consultant », la dĂ©marche est la mĂȘme : identifier son cƓur rĂ©el d’expertise, ses valeurs profondes, sa  »mission ». Et le communiquer clairement, avec authenticitĂ©. Être vrai, rayonner son message…

LibĂ©rer son potentiel…

 

Et communiquer de façon crĂ©dible et authentique… “

 

Contribution de Myriam Vandenbroucque

 

(1)            http://moncoachmarketing.com/

ReconnaĂźtre et vivre la prĂ©sence d’un Dieu relationnel

 

indexExtraits du livre de Richard Rohr : The divine dance

Dans un article prĂ©cĂ©dent (1), nous avons prĂ©sentĂ© le livre de Richard Rohr : « The divine dance. The Trinity and your transformation ». (La danse divine. Dieu trinitaire et votre transformation). Il nous parle d’un Dieu qui est communion d’amour et prĂ©sence relationnelle. De nombreux commentateurs convergent  pour voir dans ce livre, un ouvrage original qui ouvre un nouvel horizon.

En attendant une traduction de ce livre en français, en voici quelques extraits dans une traduction en français qui ne relĂšve pas d’une compĂ©tence professionnelle, mais qui s’efforce de rapporter une pensĂ©e vive et profonde.

Ces extraits suscitent notre réflexion. Ils nous questionnent et ils nous interpellent. Ils éveillent notre méditation. Ils nous invitent à lire le livre de Richard Rohr pour poursuivre notre découverte et notre recherche.

 

La présence unifiante de Dieu est déjà là

Au cƓur de l’expĂ©rience spirituelle, «  accepter que nous sommes acceptĂ©s et vivre en consĂ©quence ».

Mais tant d’obstacles au sein mĂȘme de l’univers religieux : «  Nous vivons dans l’autoaccusation
. nous sommes convaincus que nous sommes indignes
 nous avons Ă©tĂ© tellement anesthĂ©siĂ©s Ă  la bonne nouvelle de l’Evangile que la question de notre union Ă  Dieu a Ă©tĂ© rĂ©solue une fois pour toute »  Il y a aussi la rĂ©sistance d’un ego et d’une autosuffisance.

Mais la grĂące est lĂ . « Vous ne pouvez pas crĂ©er votre union Ă  Dieu. Elle vous est dĂ©jĂ  donnĂ©e. La diffĂ©rence n’est pas entre ceux qui sont unis Ă  Dieu et ceux qui ne le sont pas. Nous sommes tous unis Ă  Dieu, mais seulement certains d’entre nous le savent ».

(p 109)

Une vie bonne, c’est une vie en relation

Lorsqu’une personne est sĂ©parĂ©e, isolĂ©e, seule, la maladie menace.

« La voie de JĂ©sus, c’est une invitation Ă  une vision trinitaire de la vie, de l’amour, et de la relation sur la terre comme au sein de la DivinitĂ©. Comme la TrinitĂ©, notre nature, c’est de vivre en pleine relation. Nous appelons cela l’amour. Nous sommes faits pour l’amour et, en dehors de cela, nous mourons trĂšs rapidement ».

« Dieu est entiĂšrement relation », nous dit Richard Rohr. « Je dĂ©crirai le salut comme Ă©tant simplement le dĂ©sir et la capacitĂ© d’ĂȘtre en relation »

(p 46-47)

 

Etre ensemble

Richard Rohr nous rapporte une affirmation qui est prĂ©sente dans les quatre Ă©vangiles Ă  la fois : « Quiconque vous accueille m’accueille, et quiconque m’accueille, accueille celui qui m’a envoyé »  (1).

« Si vous avez grandi dans le christianisme, vous avez entendu souvent ce verset. Mais vous ĂȘtes vous arrĂȘtĂš pour rĂ©flĂ©chir Ă  ce qui  vraiment arrivait là ? JĂ©sus dit qu’il y a une Ă©quivalence morale entre vous, votre prochain, le Christ et Dieu. C’est une chaine Ă©tonnante entre les ĂȘtres qui n’est pas Ă©vidente pour un observateur occasionnel.

Cette nouvelle ontologie, cette nouvelle maniĂšre de parcourir la rĂ©alitĂ©, est le cƓur et le fondement de toute la rĂ©vĂ©lation, de toute la rĂ©volution chrĂ©tienne. Cela vient profondĂ©ment remodeler notre comprĂ©hension de qui Dieu est et ou il se trouve. Et aussi de qui nous sommes et oĂč nous sommes.

Est-ce que vous allez recevoir cette vision ? Dieu n’est pas lĂ  bas Ă  l’extĂ©rieur, ce que la religion a envisagĂ© depuis le dĂ©but. On doit se demander : quelle est l’expĂ©rience nouvelle qui a permis Ă  tous les quatre Ă©vangiles de parler d’une maniĂšre si peu conforme et cependant si assurĂ©e ? ».

(1) Matthieu 10.40 Marc 9.37 Luc 10.16 Jean 13.20

(p 164)

 

ReconnaĂźtre le champ de la force divine.

« Comme nous accordons nos cƓurs Ă  une vision plus vaste, nous commençons Ă  faire l’expĂ©rience de Dieu presque comme un champ de force pour emprunter une mĂ©taphore Ă  la physique
. Et nous sommes tous dĂ©jĂ  dans ce champ de force, que nous le sachions ou pas, de la mĂȘme façon que des hindous, des bouddhistes, des gens de toute race et de toute nationalité . Dieu ne commence pas et ne s’arrĂȘte pas Ă  une frontiĂšre.

Quand vous vous ouvrez au flux de la rĂ©alitĂ© fondamentale Ă  travers votre vie, vous ĂȘtes une personne universelle qui vit au delĂ  de ces frontiĂšres que les ĂȘtres humains aiment crĂ©er. Paul l’exprime joliment : «  Notre citoyennetĂ© est dans les cieux ».

En devenant plus ĂągĂ©, je suis devenu prĂȘt quotidiennement Ă  accepter et Ă  faire confiance au champ de force en sachant qu’il est bon, qu’il est totalement de notre cĂŽtĂ© et que je suis dĂ©jĂ  Ă  l’intĂ©rieur. Comment pourrions-nous ĂȘtre en paix autrement ?

C’est seulement dans cette acceptation et cette confiance de base que je puis cesser de me polariser sur telle ou telle chose dans mon mental ou mĂȘme de me crĂ©er des problĂšmes mentaux.

( p 111)

 

A l’encontre d’un pouvoir dominateur, une puissance partagĂ©e

  « La TrinitĂ© nous dit que le pouvoir de Dieu n’est pas domination, menace, coercition. A la place, il est d’une nature totalement diffĂ©rente, ce Ă  quoi les disciples de JĂ©sus ne se sont pas encore ajustĂ©s. Si le PĂšre ne domine pas le Fils,, si le Fils ne domine pas le Saint Esprit et si l’Esprit ne domine pas le PĂšre et le Fils, alors, il n’y a pas de domination en Dieu. Toute puissance divine est une puissance partagĂ©e, ce qui devrait avoir complĂštement changĂ© la politique et la relation chrĂ©tienne. Dans la TrinitĂ©, il n’y a pas de recherche de pouvoir sur,  mais seulement un pouvoir avec,  un don sans retenue, un partage, un lĂącher prise et, ainsi, une confiance et une rĂ©ciprocitĂ© infinie. Il y a lĂ  une puissance pour changer nos relations dans le mariage, la culture et mĂȘme les relations internationales  »

(p 95-96)

 

Trois

« Il faut une personne pour ĂȘtre un individu. Il faut deux personnes pour faire un couple. Et il faut au moins trois personnes pour faire une communauté  Trois (« trey ») crĂ©e la possibilitĂ© pour les gens d’aller au delĂ  de leur intĂ©rĂȘt personnel. C’est le commencement d’un sens du bien commun, d’un projet commun au delĂ  de ce qui correspond aux intĂ©rĂȘts personnels. Trois crĂ©e de la stabilitĂ© et de la sĂ©curitĂ© qui est essentielle pour une communautĂ©.

Parce que la rĂ©alitĂ© ultime de l’univers rĂ©vĂ©lĂ©e dans la TrinitĂ© est une communautĂ© de personnes en relation les unes avec les autres, nous savons que trois (« trey ») est le seul moyen possible pour les gens de se relier les uns aux autres avec l’individualitĂ© de chacun, la rĂ©ciprocitĂ© de deux, la stabilitĂ©, objectivitĂ© et subjectivitĂ© de trois »   (d’aprĂšs Dave Andrews)

(p 101)

 

Une confiance naturelle à l’exemple de l’enfant

« Tournons-nous vers l’exemple de l’enfant pour rĂ©aliser la vertu naturelle de l’espĂ©rance. Les experts en marketing nous disent que les enfants (et les chiens) sont encore plus efficaces que le sexe dans la publicitĂ©. Pourquoi ? Parce que les enfants et les chiens sont encore remplis par une espĂ©rance naturelle et l’attente qu’on rĂ©pondra Ă  leur sourire. Ils tendent Ă  Ă©tablir un contact direct Ă  travers leur regard
 C’est l’ĂȘtre pur, c’est le flux sans inhibition.

C’est pourquoi JĂ©sus nous a dit d’ĂȘtre comme des enfants. Il n’y a rien qui arrĂȘte le pur flux qui s’exprime dans un enfant ou dans un chien. Et c’est pourquoi quiconque a une once d’humanitĂ© et d’amour en lui est sans dĂ©fense vis Ă  vis d’une telle prĂ©sence »

C’est une Ă©vocation de la prĂ©sence de Dieu. « Nous voyons dans ce flux toute attirance pour la beautĂ©, toute admiration, toute extase,  toute la solidaritĂ© avec la souffrance. Quiconque qui s’ouvre pleinement au flux verra l’image divine mĂȘme dans des lieux qui sont devenus laids ou dĂ©faits. C’est la vision universelle de la Trinité »

( p 81-82)

 

Tous solidaires

« Nous ne pouvons sĂ©parer JĂ©sus du Dieu trinitaire. Cependant, le pratiquant moyen n’a jamais eu la chance d’accĂ©der Ă  une Ă©conomie de la grĂące bien plus vaste » 

Nous pensons dans une perspective de raretĂ©. Elargissons notre horizon. L’espĂ©rance elle-mĂȘme s’applique en premier au collectif. Nous avons cherchĂ© Ă  susciter de l’espĂ©rance chez un individu isolĂ© dans un cosmos, une sociĂ©tĂ© et une humanitĂ© vouĂ©s Ă  la dĂ©sespĂ©rance et Ă  la punition. Il est trĂšs difficile pour des individus de jouir de la foi, de l’espĂ©rance et de l’amour, et mĂȘme de prĂȘcher la foi, l’espĂ©rance et l’amour, qui seuls Ă©lĂšvent, si la sociĂ©tĂ© elle-mĂȘme ne jouit pas de cette foi, de cette espĂ©rance et de cet amour. C’est une bonne partie de notre problĂšme aujourd’hui. Nous n’avons pas donnĂ© au monde un message Ă  la dimension  cosmique


Dieu, en tant que Dieu trinitaire, donne de l’espĂ©rance Ă  la sociĂ©tĂ© dans son ensemble parce que cela dĂ©coule de la nature mĂȘme de son existence et non sur les conduites fluctuantes et instables des individus ».

(p 81)

 

Louange de la création

 Dans une Ɠuvre crĂ©atrice, L’Esprit Saint tend Ă  multiplier continuellement des formes toujours nouvelles de crĂ©ativitĂ© et de vie. On dit que 2/3 des formes de vie existent sous les mers. Et un tiers d’entre elles n’ont jamais Ă©tĂ© entrevues par un Ɠil humain . « Qu’est-ce qu’une forme de vie en dehors de nous pour le voir ? » peuvent s’imaginer des humains autocentrĂ©s. Leur valeur ne dĂ©pend pas de notre reconnaissance Ă  leur sujet. Comme les psaumes le disent de nombreuses maniĂšres, « les cieux proclament la gloire de Dieu » (Psaume 19.1).

De fait, la grande majoritĂ© des animaux et des fleurs qui ont existĂ©, n’ont jamais Ă©tĂ© observĂ©s par l’Ɠil humain. Ils forment le cercle universel de la louange. Simplement en existant, en ne faisant rien, toute chose rend grĂące Ă  Dieu. Toute chose. En existant, simplement en existant. C’est le fondement. Si vous dĂ©sirez ĂȘtre un contemplatif, c’est tout ce que vous avez besoin de savoir. Toute chose, en Ă©tant elle-mĂȘme, donne pure gloire Ă  Dieu
. »

Richard Rohr cite ensuite une Ă©crivaine apprĂ©ciĂ©e : Annie Dillard. « Nous sommes lĂ  pour tĂ©moigner de la crĂ©ation et pour l’encourager. Nous sommes lĂ  pour remarquer chaque chose de telle maniĂšre Ă  ce que chaque chose se trouve remarquĂ©e. Ensemble nous remarquons chaque ombre d’une montagne,  chaque pierre sur la plage, mais tout particuliĂšrement, les beaux visages et natures complexes des uns et des autres
Autrement, la crĂ©ation serait en train de jouer dans une maison vide ».

(p 187-188)

 

L’Ecriture en mouvement

« L’Ecriture est Ă  la fois pleinement humaine et pleinement divine. Elle est toujours Ă©crite par des humains dans une perspective humaine. Nous l’appelons « Parole de Dieu », mais la seule « Parole de Dieu » endossĂ©e sans Ă©quivoque dans les pages de la Bible, c’est JĂ©sus, le Logos Ă©ternel.

Dans mon livre : « Des choses cachĂ©es. L’Ecriture comme spiritualité », j’ai dĂ©crit la Bible comme une progression graduelle allant de l’avant. Le narratif est en mouvement vers une thĂ©ologie toujours plus dĂ©veloppĂ©e de la grĂące, jusqu’à ce que JĂ©sus devienne la grĂące personnifiĂ©e. Mais c’est un concept que le psychisme humain n’est jamais complĂštement prĂȘt Ă  accepter. Nous rĂ©sistons et vous verrez aussi dans la majoritĂ© des textes bibliques ce que l’anthropologue RenĂ© Girard appelle « un texte en travail », un texte souffrant
.

C’est encore vrai dans le Nouveau Testament, oĂč mĂȘme les dĂ©clarations de Jean sur l’amour inconditionnel sont encore accompagnĂ©es de lignes qui semblent impliquer un amour conditionnel, ainsi : « Si vous obĂ©issez Ă  mes commandements » est formulĂ© Ă  plusieurs reprises
Psychologiquement, les humains ont rĂ©ellement encore besoin de quelque amour conditionnel pour aller vers la reconnaissance et le besoin d’un amour inconditionnel.  Nous avons reçu la promesse d’un plein amour (grĂące) ici et maintenant, mais c’est toujours trop Ă  croire pour l’esprit et pour le cƓur
.

Le texte biblique reflĂšte Ă  la fois la croissance et la rĂ©sistance de l’ñme. L’Ecriture est une symphonie polyphonique,  une conversation avec elle-mĂȘme oĂč elle joue des mĂ©lodies et des dissonances, trois pas en avant, deux pas en arriĂšre. Progressivement et finalement, les trois pas l’emporteront. Le texte se dĂ©place inexorablement vers l’inclusivitĂ©, la grĂące, l’amour inconditionnel et le pardon. J’appelle cela « l’hermĂ©neutique de JĂ©sus ». InterprĂ©tez les Ecritures de la maniĂšre dont JĂ©sus l’a fait. Il ignore, dĂ©nie ou s’oppose ouvertement Ă  ses propres Ecritures, quand elles sont impĂ©rialistes, punitives, exclusivistes ou tribales. VĂ©rifiez par vous-mĂȘme
. »

( p 136-137)

 

Ouvrir notre horizon

Faut-il redouter les apports d’autres traditions religieuses ?

« Dans notre climat fortement polarisĂ©, je sais que certains chrĂ©tiens ont appris pendant des gĂ©nĂ©rations Ă  redouter tout ce qui ne vient pas « purement » de « nos » sources ». Cependant, « notre propre Ecriture  contient des exemples d’apports apprĂ©ciĂ©s dÂ â€˜Ă©lĂ©ments de fois environnantes
 Nous sommes peureux. Dieu, apparemment, est sans peur
Si la vĂ©ritĂ© est la vĂ©ritĂ©, si Dieu est un, alors il y a une rĂ©alitĂ© et il y a une vĂ©rité  Ne pourrait-on pas ĂȘtre heureux quand d’autres religions dĂ©duisent approximativement la mĂȘme chose ?… »

Richard Rohr a vĂ©cu en Inde, berceau d’une tradition religieuse trĂšs ancienne. « Dans la thĂ©ologie et dans le langage hindou, il y a trois qualitĂ©s de Dieu et donc de toute rĂ©alitĂ©. J’ai entendu frĂ©quemment ces mots : « sat, chit, ananda ».

Sat est le mot correspondant Ă  l’Etre (Being). Dieu est l’Etre lui-mĂȘme. L’Etre universel, la source de tout ĂȘtre, nous l’appelons le PĂšre.

Chat est le mot pour conscience et connaissance. Dieu est conscience et esprit. Est-ce que cela ne rappelle pas le Logos ? Naturellement, notre concept biblique de Logos a Ă©tĂ© empruntĂ© Ă  la philosophie grecque. L’auteur de l’Evangile de Jean a dĂ©jĂ  fait ce que je fais maintenant :  emprunter Ă  une sagesse extra-biblique, extra-judaĂŻque.

Et finalement, Ananda. Cela signifie : bonheur, bĂ©atitude. Est-ce que cela ne rĂ©sonne pas comme la joie de l’Esprit Saint, le bonheur que vous pouvez expĂ©rimenter lorsque vous vivez sans rĂ©sistance dans le flux. Vous ne savez pas d’oĂč Il vient, ce que JĂ©sus dit Ă  propos de l’Esprit . Comme la grĂące elle-mĂȘme, ananda est un don qui vient de nulle part » 

Je n’ai pas à travailler dur pour reconnaütre ici la dimension trinitaire :

Sat-Chit-Ananda.

Etre, connaissance, bonheur

PĂšre, Fils, Esprit.

La vérité est une et universelle

(p 140-141)

 

S’ouvrir au mystùre

« C’est seulement Dieu en nous qui comprend les choses de Dieu. Nous devons prendre cela trĂšs au sĂ©rieux et savoir comment il opĂšre en nous, avec nous, pour nous, comme nous. L’échec dans l’accĂšs Ă  notre propre systĂšme de fonctionnement a rendu une part du christianisme trĂšs immature et superficiel avec des clichĂ©s de seconde main au lieu d’une expĂ©rience calme, claire et immĂ©diate de la rĂ©alitĂ©. Cela nous a laissĂ© du cĂŽtĂ© de l’argumentation plutĂŽt que de l’apprĂ©ciation
 ainsi, tout ce qui reflĂšte un mystĂšre reste statique dans la forme de dogmes et de doctrines, hautement abstrait, densĂ©ment mĂ©taphysique et largement non pertinent.

Pourquoi l’athĂ©isme occidental se dĂ©veloppe-t-il ? Pourquoi les chrĂ©tiens occidentaux produisent-ils le plus grand nombre d’athĂ©es ? Ce que crois, et j’ai dĂ©diĂ© ma vie Ă  renverser la tendance, c’est que nous n’avons pas portĂ© le dogme et la doctrine au niveau de l’expĂ©rience intĂ©rieure. Aussi longtemps que l’enseignement reçu ne devient pas une connaissance expĂ©rientielle, nous continuons Ă  crĂ©er une grande quantitĂ© de croyants dĂ©sabusĂ©s ».

(p 123-124)

 

Guidance

« La vie de foi, c’est un chemin vigilant pour apprendre comment demeurer paisiblement dans un Amour ultime et dans une Source infinie. D’une façon trĂšs pratique, vous serez alors capables de dĂ©couvrir avec confiance que vous ĂȘtes gardĂ©s et guidĂ©s. De fait, aprĂšs quelque temps, vous pourrez avoir confiance que presque tout est en forme de guidance, absolument tout. Votre capacitĂ© Ă  faire confiance Ă  la rĂ©alitĂ© d’une guidance, va lui permettre de se rĂ©vĂ©ler. Etonnante logique, mais ne l’écartez pas jusqu’à ce que vous ayez sincĂšrement essayĂ©. J’ai confiance que vous en viendrez Ă  voir que c’est vrai dans l’économie divine des choses


Certes, votre jugement calculateur pourra douter. Quand vous doutez de la possibilitĂ© de telles choses, vous arrĂȘtez le flux. Mais si vous demeurez dans la disposition de permettre et de faire confiance, l’Esprit en vous, vous permettra de lĂącher prise avec confiance. Il y a une raison pour cela.  Je suis en train de vivre comme le fleuve s’écoule, portĂ© par la surprise de son/mon dĂ©roulement. Je suis conduit. C’est bon


S’il vous plait, n’entendez pas que j’adopte une approche fataliste, comme si vous ne pouviez travailler pour amĂ©liorer et changer la situation. En fait, c’est tout le contraire. Vous pouvez.

Mais ce que je suis en train de vous dire, c’est ce qui doit venir en premier Ă  votre cƓur et Ă  votre Ăąme doit ĂȘtre un oui et non un non, la confiance au lieu de la rĂ©sistance. Et quand vous pourrez avancer avec vos ouis et vous permettre de voir Dieu dans tous les moments de votre vie, vous reconnaitrez qu’une telle Ă©nergie n’est jamais gaspillĂ©e, mais gĂ©nĂšre toujours de la vie et de la lumiĂšre »

(p 97-98)

Ces passages du livre de Richard Rohr et de Mike Morrell : « The divine dance » ouvrent des avenues pour notre réflexion et des pistes pour notre méditation. Si cette lecture suscite des échos, elle pourra inciter un éditeur à entreprendre une traduction en français.

(1)            Richard Rohr with Mike Morrell. The divine dance. The Trinity and your transformation. SPCK, 2016.  Mise en perspective sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=2758

 

Sur ce blog, dans le mĂȘme esprit de stimulation et d’incitation, nous avons Ă©galement prĂ©sentĂ© des extraits du dernier livre de JĂŒrgen Moltmann : The living God and the fullness of life (Le Dieu vivant et la plĂ©nitude de vie) : https://vivreetesperer.com/?p=2758

 

 

Comment la puissance technologique n’engendre pas nĂ©cessairement le progrĂšs

Comment la puissance technologique n’engendre pas nĂ©cessairement le progrĂšs

Des exemples de l’histoire aux menaces actuelles.

 Power and progress
Par Daron Acemoglu et Simon Johnson

Il n’y a pas trĂšs longtemps, tout ce qui paraissait un progrĂšs technologique excitait l’enthousiasme comme la promesse d’une abondance dans une sociĂ©tĂ© prospĂšre d’oĂč disparaitrait la pauvretĂ© et la misĂšre. Aujourd’hui, on se rend compte qu’au cours des quatre derniĂšres dĂ©cennies, les sociĂ©tĂ©s occidentales et particuliĂšrement la sociĂ©tĂ© amĂ©ricaine, ont pris le chemin inverse, en devenant beaucoup plus inĂ©galitaires. Et on prend Ă©galement conscience que la course au dĂ©veloppement Ă©conomique bouleverse notre Ă©cosystĂšme planĂ©taire et dĂ©rĂ©gule le climat par un usage forcenĂ© des Ă©nergies fossiles. Aujourd’hui, la conscience Ă©cologique suscite une rĂ©action Ă  l’échelle planĂ©taire. Face Ă  des ambitions dĂ©mesurĂ©es, la prudence s’impose et on en appelle mĂȘme aux mĂ©rites de la sobriĂ©tĂ©.

Deux chercheurs amĂ©ricains au MIT, Daron Acemoglu et Simon Johnson, directement confrontĂ©s Ă  la course effrĂ©nĂ©e Ă  l’automatisation qui bouleverse les Ă©quilibres de l’économie amĂ©ricaine, viennent d’écrire un livre qui situe nos problĂšmes actuels dans une histoire longue oĂč l’on constate qu’en maintes pĂ©riodes, les acquis du progrĂšs technologique ont Ă©tĂ© confisquĂ©s par un groupe dominant aux dĂ©pens des travailleurs ayant portĂ© cette innovation. Les auteurs nous apportent cependant une bonne nouvelle : Ă  d’autres pĂ©riodes, des forces sociales se sont Ă©levĂ©es dans la sociĂ©tĂ© et ont permis un dĂ©veloppement Ă©quilibrĂ© au bĂ©nĂ©fice de tous. Ce livre : « Power and Progress. Our Thousand-year struggle over technology and prosperity” (1) nous montre comment garder notre autonomie par rapport aux dĂ©voiements de processus Ă©conomiques contrĂŽlĂ©s Ă  leur profit par des Ă©lites Ă©goĂŻstes ». « Le progrĂšs n’est pas automatique, mais il dĂ©pend des choix que nous faisons en matiĂšre de technologie. De nouvelles maniĂšres d’organiser la production et la communication peuvent, soit servir les intĂ©rĂȘts Ă©troits d’une Ă©lite, soit devenir le fondement d’une prospĂ©ritĂ© Ă©tendue ». Ce problĂšme est d’actualitĂ© « à un Ă©poque oĂč les technologies digitales et l’intelligence artificielle accroissent l’inĂ©galitĂ© et minent la dĂ©mocratie Ă  travers une automatisation excessive, une collecte massive des donnĂ©es et une surveillance intrusive ». « Il n’est pas obligĂ© qu’il en soit ainsi. ‘Power and Progress’ dĂ©montre que la voie de la technologie peut ĂȘtre mise sous contrĂŽle. Les formidables avancĂ©es informatique du dernier demi-siĂšcle peuvent devenir des outils d’autonomisation et de dĂ©mocratisation, mais pas si les dĂ©cisions majeures demeurent dans les mains de quelques leaders technologiques animĂ©s par une hubris » (page de couverture). Ce livre, jusqu’à prĂ©sent non traduit en français, est prĂ©sentĂ© en cette langue par un expert. On pourra se reporter Ă  son article : « La chaire» a lu pour vous : https://www.chaireeconomieduclimat.org/points-de-vue/la-chaire-a-lu-pour-vous-power-and-progress-our-thousand-year-struggle-over-technology-and-prosperity-de-daron-acemoglu-et-simon-johnson/

Aussi, nous nous bornerons ici à présenter quelques aperçus significatifs de ce livre.

 

Comment des bénéfices de progrÚs technologiques substantiels ont été captés par une élite politique ou religieuse

Les auteurs remontent loin dans le passĂ© pour mettre en Ă©vidence, la maniĂšre dont des progrĂšs technologiques majeurs ont Ă©tĂ© captĂ©s par des Ă©lites politiques ou religieuses. Il y a environ douze mille ans, est apparu un processus menant Ă  une agriculture installĂ©e, permanente, fondĂ©e sur des plantes et des espĂšces domestiquĂ©es. Des genres diffĂ©rents de sociĂ©tĂ© apparurent. Mais il y a 7000 ans, un rĂ©gime particulier se dĂ©veloppa dans le Croissant fertile. Le fondement Ă©tait une agriculture avec une seule rĂ©colte. Les inĂ©galitĂ©s Ă©conomiques s’intensifiĂšrent et une haute hiĂ©rarchie sociale apparut, consommant beaucoup. En Égypte, pyramides et tombes se dĂ©veloppĂšrent dans le cadre d’une Ă©lite comparable. C’est lĂ  que les auteurs mettent en Ă©vidence l’introduction des grains de cĂ©rĂ©ales comme « un exemple d’innovation technologique ». Or, sous les auspices d’états centralisĂ©s, la condition des paysans semble avoir Ă©tĂ© pire que celle de leurs ancĂȘtres. De fait, « les choix technologiques dans les premiĂšres civilisations ont favorisĂ© les Ă©lites et appauvri la plupart des gens ». Les auteurs dĂ©criront une situation comparable au Moyen Ăąge anglais. « Dans les deux cas, le systĂšme politique plaçait un pouvoir disproportionnĂ© dans les mains d’une Ă©lite. La coercition jouait un rĂŽle bien sĂ»r, mais le pouvoir de persuasion de la religion et les leaders politiques Ă©taient souvent un facteur dĂ©cisif » (p 115-120).

« Cependant, ni la monoculture du grain, ni l’organisation hautement hiĂ©rarchisĂ©e qui extorquait le surplus aux fermiers, n’a Ă©tĂ© ordonnĂ©e ou dictĂ©e par la nature des rĂ©coltes correspondantes. MĂȘme la culture de cĂ©rĂ©ales n’a pas toujours produit l’inĂ©galitĂ© et la hiĂ©rarchie comme l’illustrent les plus Ă©galitaires vallĂ©es de l’Indus et la civilisation mĂ©soamĂ©ricaine. La culture du riz dans l’Asie du Sud-est a pris place dans le contexte de sociĂ©tĂ©s moins hiĂ©rarchiques
 (p 122).

« Contrairement Ă  une opinion rĂ©pandue, il y a eu un changement et une amĂ©lioration technologique significative dans la productivitĂ© Ă©conomique de l’Europe au Moyen Age
 Cependant, il y a quelque chose de tout Ă  fait sombre Ă  cette Ă©poque. La vie des gens travaillant la terre resta dure et le niveau de vie des paysans peut mĂȘme avoir dĂ©clinĂ© dans certaines parties de l’Europe. La technologie et l’économie ont progressĂ© d’une maniĂšre qui s‘est rĂ©vĂ©lĂ©e nuisible pour la plus grande part de la population » (p 100-101). En Angleterre, le dĂ©veloppement des moulins a Ă©tĂ© une innovation dĂ©cisive. A la fin du XIe siĂšcle, il y a environ 6000 moulins Ă  eau en Angleterre et ce nombre a doublĂ© durant les deux siĂšcles suivants et leur productivitĂ© s’est accrue. La productivitĂ© agricole s’est Ă©galement accrue. Malheureusement, il n’y a pas eu une Ă©lĂ©vation correspondante des revenus chez les paysans. Le surplus a Ă©tĂ©, de fait, majoritairement consommĂ© par « la hiĂ©rarchie religieuse qui a construit des cathĂ©drales, des monastĂšres et des Ă©glises » (p 103). Cette construction a Ă©tĂ© couteuse. Le contrĂŽle fĂ©odal a exercĂ© une coercition : « Comme les nouvelles machines se dĂ©ployaient et que la productivitĂ© augmentait, les seigneurs fĂ©odaux ont exploitĂ© plus intensĂ©ment la paysannerie ».

Les auteurs nous rapportent ensuite comment s’est dĂ©roulĂ©e, au XVIIIe siĂšcle en Angleterre, la pression en faveur de la clĂŽture des terres, les « enclosures ». « Cette histoire a montrĂ© clairement que cette rĂ©organisation technologique de la production, mĂȘme lorsqu’elle Ă©tait proclamĂ©e dans l’intĂ©rĂȘt du progrĂšs et du bien commun, avait pour consĂ©quence de mettre davantage Ă  bas ceux qui Ă©taient dĂ©jĂ  dĂ©pourvus de pouvoir ».

Les auteurs envisagent ensuite deux moments de l’histoire trĂšs diffĂ©rents oĂč le progrĂšs technologique n’a pas profitĂ© aux travailleurs, mais a participĂ© Ă  leur asservissement : l’introduction de l’égraineuse de grains de coton dans les plantations amĂ©ricaines Ă  la fin du XVIIIe siĂšcle ; le dĂ©veloppement du machinisme agricole dans les annĂ©es 1920 en Union soviĂ©tique. « Le secteur cotonnier a fleuri Etats-Unis grĂące aux nouvelles connaissances comme l’égraineuse de coton et d’autres innovations aux dĂ©pens des esclaves noirs travaillant dans les grandes plantations. L’économie soviĂ©tique a grandi rapidement dans les annĂ©es 1920 en utilisant le machinisme, tel que les tracteurs et les moissonneuses batteuses, appliquĂ© aux champs de cĂ©rĂ©ales. Cependant, la croissance s’est produite au dĂ©triment de millions de petits paysans » (p 133).

 

Lorsque la prospérité accompagne le progrÚs technologique

Les auteurs nous prĂ©sentent dans ce livre une histoire du progrĂšs technologique. Ils consacrent ainsi le chapitre 5 Ă  la grande rĂ©volution industrielle qui a mĂ©tamorphosĂ© le visage Ă©conomique de la Grande-Bretagne au XVIIIe et XIXe siĂšcle. Ce fut l’invention bouleversante de la machine Ă  vapeur. Ce livre nous rapporte cette Ă©popĂ©e industrielle, le dĂ©veloppement des mines de charbon, la fulgurante expansion des chemins de fer et une dynamique d’invention et de rĂ©alisation de nouvelles machines.

Un changement technologique et Ă©conomique aussi consĂ©quent et radical apparait dans l’histoire comme un phĂ©nomĂšne original. Les auteurs s’interrogent donc sur les facteurs originaux de cette irruption. Ils mettent l’accent sur un facteur « souvent sous-estimé » : « l’émergence d’une classe moyenne nouvellement enhardis : entrepreneurs et hommes d’affaires. Leurs vies et leurs aspirations Ă©taient enracinĂ©s dans les changements institutionnels qui avaient commencĂ© Ă  donner du pouvoir Ă  ce milieu social depuis le XVIe et le XVIIe siĂšcle. La RĂ©volution industrielle peut avoir Ă©tĂ© propulsĂ©e par les ambitions de gens nouveaux essayant d’amĂ©liorer leur richesse et leur standing social, ce qui Ă©tait loin d’une vision inclusive » (p 45-46).

En effet, au dĂ©but de la RĂ©volution industrielle, si des hommes ont participĂ© Ă  un enthousiasme innovant, « la premiĂšre phase de cette RĂ©volution a Ă©tĂ© appauvrissante et affaiblissante pour la plupart des gens. C’était la consĂ©quence d’un fort parti pris d’automatisation et dans le manque de voix ouvriĂšre en regard de la fixation des salaires. Ce ne sont pas seulement les moyens de subsistance qui ont Ă©tĂ© affectĂ©s nĂ©gativement par l’industrialisation mais aussi la santĂ© et l’autonomie d’une bonne part de la population.

Cette affreuse image a commencĂ© Ă  changer dans la seconde partie du XIXe siĂšcle quand des gens ordinaires se sont organisĂ©s et ont provoquĂ© des rĂ©formes politiques et Ă©conomiques. Les changements sociaux ont modifiĂ© l’orientation de la technologie et fait monter les salaires. Ce fut seulement une petite victoire pour une prospĂ©ritĂ© partagĂ©e et les pays occidentaux auront Ă  cheminer plus longuement sur un chemin contestĂ©, technologique et institutionnel, pour rĂ©aliser une prospĂ©ritĂ© partagĂ©e » (p 56).

Selon les auteurs, l’emploi dĂ©pend des modes d‘industrialisation. Au dĂ©but de la rĂ©volution industrielle, l’automatisation de la filature et du tissage a nui Ă  l’emploi. Au contraire, dans la pĂ©riode ultĂ©rieure, le dĂ©veloppement des chemins de fer a suscitĂ© toute une gamme d’emploi.

« Les avancĂ©es dans les chemins de fer suscitĂšrent beaucoup de nouvelles tĂąches dans l’industrie des transports et les emplois requĂ©raient toute une gamme de capacitĂ©s de la construction Ă  la vente de tickets, maintenance, ingĂ©nierie, et management » (p 196). Des contrepoids sont apparus permettant le partage des bĂ©nĂ©fices du progrĂšs technologique. « Un machinisme et des mĂ©thodes de production se sont dĂ©veloppĂ©s et ont accru la productivitĂ© de l’industrie britannique, en mĂȘme qu’elle Ă©tendait aussi la gamme de tĂąches et d’opportunitĂ©s pour les travailleurs. Mais le progrĂšs technologique n’est jamais suffisant en lui-mĂȘme pour Ă©lever les salaires. Les travailleurs ont besoin de dĂ©velopper un plus grand pouvoir de nĂ©gociation vis-Ă -vis des employeurs ». C’est en 1871 que les syndicats devinrent pleinement lĂ©gaux en Grande-Bretagne (p 202).

Il y a d’autres pĂ©riodes oĂč le progrĂšs technologique a contribuĂ© Ă  une diversification et Ă  une multiplication des emplois. Les auteurs Ă©tudient en ce sens le dĂ©veloppement de l’électrification et celui de la production d’automobiles aux EtatsUnis. Ils envisagent la grande pĂ©riode de progrĂšs technologique, de croissance Ă©conomique et de bien-ĂȘtre social qu’ont Ă©tĂ© les trois dĂ©cennies qui ont suivi la seconde guerre mondiale. « Les Etats-Unis et les nations industrielles ont fait l’expĂ©rience d’une croissance Ă©conomique rapide qui a Ă©tĂ© largement partagĂ©e par la plupart des groupes dĂ©mographiques. Ces tendances Ă©conomiques ont Ă©tĂ© de pair avec d’autres amĂ©liorations sociales, incluant l’expansion de l’éducation, les soins de santĂ© et l’augmentation de l’espĂ©rance de vie. Ce changement technologique n’a pas seulement automatisĂ© le travail mais il a aussi crĂ©Ă© de nouvelles opportunitĂ©s pour les travailleurs et ceci s’est inscrit dans un cadre institutionnel qui a renforcĂ© les contre-pouvoirs » (p 36).

« Quelle a Ă©tĂ© la sauce secrĂšte de la prospĂ©ritĂ© partagĂ©e dans les dĂ©cennies ayant suivi la seconde guerre mondiale ? La rĂ©ponse rĂ©side en deux Ă©lĂ©ments : une direction de la technologie qui a crĂ©Ă© de nouvelles tĂąches et emplois pour des travailleurs de tous les niveaux de qualification et un cadre institutionnel permettant aux travailleurs de partager les gains de productivitĂ© entre employĂ©s et employeurs » (p 240). Les auteurs traitent de cette histoire aux Etats-Unis en montrant comment elle a notamment bĂ©nĂ©ficiĂ© des rĂ©formes du New Deal et il aborde cette histoire Ă©quivalente de progrĂšs en Europe dans le contexte de la reconstruction aprĂšs la guerre et un esprit social tel qu’il a Ă©tĂ© exprimĂ© en Angleterre dans le Rapport Beveridge qui proclame « l’abolition du besoin » (p 249).

 

Faire face aujourd’hui Ă  la nouvelle crise Ă©conomique qui est venue s’inscrire dans la rĂ©volution digitale Ă  travers un accroissement des inĂ©galitĂ©s et la menace d’une automatisation dĂ©vastatrice.

NĂ©e aux Etats-Unis et portant d’extraordinaires promesses, la rĂ©volution digitale y a Ă©tĂ© dĂ©tournĂ©e Ă  la fin du XXe siĂšcle. « Les technologies digitales sont devenues le cimetiĂšre de la prospĂ©ritĂ© collective. L’augmentation des salaires a baissĂ©, la part du travail dans le revenu national a diminuĂ© fortement et l’inĂ©galitĂ© des salaires a surgi autour de 1980. Bien que de nombreux facteurs, incluant la globalisation et l’affaiblissement du mouvement syndical, aient contribuĂ© Ă  cette transformation, le changement opĂ©rĂ© dans la technologie est le plus important. Les technologies digitales ont automatisĂ© le travail et dĂ©savantagĂ© le travail par rapport au capital et les travailleurs peu qualifiĂ©s par rapport aux diplĂŽmĂ©s universitaires » (p 257). Dans la plupart des Ă©conomies industrialisĂ©es, la part du travail a diminuĂ©. Aux Etats-Unis, la rĂ©gression a pris un tour particuliĂšrement dĂ©favorable. Un fossĂ© s’est Ă  nouveau accru entre les salaires des blancs et des noirs. L’inĂ©galitĂ© s’est considĂ©rablement accrue.

Les auteurs en imputent la cause principale Ă  un automatisation massive. Dans les dĂ©cennies prĂ©cĂ©dant la seconde guerre mondiale, l’automatisation est Ă©galement rapide, « mais elle Ă©tait contrebalancĂ©e par d’autres changements technologiques qui augmentaient la demande de travail.

La recherche rĂ©cente montre que depuis 1980, l’automatisation s’est accĂ©lĂ©rĂ©e significativement et qu’il y a moins de tĂąches et de technologies nouvelles qui crĂ©ent des opportunitĂ©s pour les gens. Ces changements entrent pour beaucoup dans la dĂ©tĂ©rioration de la position des travailleurs dans l’économie


L’automatisation a Ă©tĂ© aussi un accĂ©lĂ©rateur majeur de l’inĂ©galitĂ© en affectant des tĂąches remplies particuliĂšrement par des travailleurs peu ou moyennement qualifiĂ©s » (p 261).

Les auteurs soulignent qu’il n’y a pas lĂ  une fatalitĂ©. « La technologie a accru les inĂ©galitĂ©s Ă  cause des choix que des entreprises ou de puissants acteurs ont effectuĂ©. La globalisation n’est pas sĂ©parĂ©e de cette question
 De fait, il y a eu une synergie entre automatisation et globalisation avec le mĂȘme souci de rĂ©duire les coĂ»ts du travail et le nombre de travailleurs moins qualifiĂ©s. Ce processus a Ă©tĂ© facilitĂ© Ă  la fois par le manque de contre-pouvoirs dans le milieu du travail et par l’évolution politique depuis 1980 (p 263). Les auteurs dressent un tableau des pressions exercĂ©es par les grandes entreprises et les milieux d’affaire et ils mettent en Ă©vidence les idĂ©ologies correspondantes telles que la « doctrine Friedman ». Dans d’autres pays, les dĂ©rives ont Ă©tĂ© moins marquĂ©es. Les auteurs mentionnent les cas de l’Allemagne et du Japon oĂč on a combinĂ© l’automatisation et la crĂ©ation de tĂąches nouvelles (p 286).

Les auteurs critiquent une nouvelle ‘utopie digitale’ : « la transformation de l’éthique des hackers en une utopie digitale corporative est largement liĂ©e Ă  une poursuite de l’argent et du pouvoir social » (p 289). C’est une idĂ©ologie de la ‘disruption’, une forme sauvage d’innovation qui dĂ©truit les anciens Ă©quilibres. « Ce biais technologique est trĂšs largement un choix, et un choix construit socialement. Alors les choses ont commencĂ© Ă  devenir bien pires Ă©conomiquement, politiquement et socialement, alors que les nouveaux visionnaires trouvent un nouvel outil pour refaire la sociĂ©té : l’intelligence artificielle » (p 296).

 

Pourquoi considĂ©rer l’intelligence artificielle avec rĂ©serve et avec prudence

Dans la perspective de l’histoire rĂ©cente de l’usage d’internet, l’emballement de certains vis-Ă -vis de la promotion de l’intelligence artificielle parait suspect.

Les auteurs consacrent un chapitre Ă  l’intelligence artificielle en en montrant les usages potentiels, les apports, les risques et aussi les limites. Nous renvoyons Ă  ce chapitre Ă©crit avec maitrise et expertise ; ‘Artificial struggle’ (p 297-338). Nous en rendrons compte ici par une courte prĂ©sentation des auteurs. « Ce chapitre explique que la vision d’internet post-1980 qui nous a Ă©garĂ©s, en est venue aussi Ă  dĂ©finir comment concevoir la nouvelle phase des technologies digitales, ‘l’intelligence artificielle’ et comment l’intelligence artificielle exacerbe les tendances vers l’inĂ©galitĂ© Ă©conomique.

En contraste des proclamations effectuĂ©es par beaucoup de leaders de la tech, nous verrons aussi que dans la plupart des tĂąches humaines, les technologies actuelles de l’intelligence artificielle apportent seulement des bĂ©nĂ©fices limitĂ©s. De plus, l’utilisation de l’intelligence artificielle pour la surveillance au lieu de travail ne propulse pas seulement l’inĂ©galitĂ©, mais elle prive Ă©galement les travailleurs de leur pouvoir d’action (disempower). Pire, un usage courant de l’intelligence artificielle risque de renverser des dĂ©cennies de gain Ă©conomique dans les pays en dĂ©veloppement en exportant globalement l’automatisation. De tout cela, rien n’est inĂ©vitable. Ce chapitre dĂ©veloppe une argumentation selon laquelle l’intelligence artificielle, et mĂȘme l’accent sur l’intelligence de la machine, reflĂšte une approche trĂšs spĂ©cifique du dĂ©veloppement des technologies digitales, une approche qui a de profonds effets dans la rĂ©partition des richesses, en bĂ©nĂ©ficiant Ă  quelques personnes et en laissant le reste derriĂšre.

PlutĂŽt que de se focaliser sur l’intelligence des machines, il serait plus profitable de lutter pour une utilitĂ© des machines (‘machine usefulness’) en envisageant combien les machines peuvent ĂȘtre trĂšs utiles aux humains, par exemple en complĂ©tant les capacitĂ©s des travailleurs. Comme elle s’est mise en Ɠuvre dans le passĂ©, l’utilitĂ© des machines conduit Ă  quelques-unes des applications les plus importantes et les plus productives des technologies digitales, mais qui ont Ă©tĂ© de plus en plus mises de cĂŽtĂ© par l’intelligence de la machine et l’automatisation » (p 37).

Cependant l’intelligence artificielle se dĂ©ploie Ă  un autre niveau, au niveau de la sociĂ©tĂ© elle-mĂȘme. Et elle y pose problĂšme, car « la collecte et la moisson massive de donnĂ©es utilisant l’intelligence artificielle sont en voie d’intensifier la surveillance des citoyens par les gouvernements et les entreprises. En mĂȘme temps, les modĂšles d’affaire fondĂ©s sur la publicitĂ© s’appuyant sur la puissance de l’intelligence artificielle propagent la dĂ©sinformation et amplifient l’extrĂ©misme ». Les auteurs nous mettent ainsi en garde vis-Ă -vis de l’intelligence artificielle. « Son utilisation courante n’est bonne ni pour l’économie, ni pour la dĂ©mocratie et ces deux problĂšmes malheureusement se renforcent l’un l’autre ». (p 37)

 

Dans la situation critique dans laquelle nous nous trouvons, comment réorienter la technologie ?

Les auteurs ne se bornent pas Ă  un diagnostic critique de la situation. DĂ©jĂ , Ă  travers l’examen de l’histoire longue auquel ils ont procĂ©dĂ©, nous avons compris que le progrĂšs technologique n’est pas une panacĂ©e, que ses effets dĂ©pendent d’un contexte plus gĂ©nĂ©ral, des orientations qui sont prises, d’un choix de sociĂ©tĂ©. Bref, le progrĂšs technologique n’est pas la rĂ©ponse Ă  tous nos problĂšmes. Et on peut, on doit ne pas considĂ©rer son orientation prĂ©sente comme une fatalitĂ©.

Dans le dernier chapitre du livre, les auteurs nous apprennent et nous invitent à rediriger le changement technologique (‘redirecting technology’).

Aujourd’hui rediriger le changement technologique, c’est en premier, faire face Ă  la menace existentielle du changement climatique. Or, Ă  cet Ă©gard, il y a eu « de remarquables avancĂ©es dans les technologies de l’énergie renouvelable ».

Finalement, « Aujourd’hui, les Ă©nergies du soleil et du vent sont produites Ă  meilleur marchĂ© que les Ă©nergies fossiles » (p 389). La diffĂ©rence est devenue significative. Comment ce changement a-t-il pu intervenir ? Les auteurs mettent l’accent sur le rĂŽle du ‘changement de narratif’ ; du dĂ©veloppement du mouvement Ă©cologique qui s’en est suivi et l’a accompagnĂ©, et des mesures qui en sont rĂ©sultĂ©es.

« Du point de vue du dĂ©fi posĂ© par les technologies digitales, on peut apprendre beaucoup de la maniĂšre dont la technologie est redirigĂ©e dans le secteur de l’énergie. La mĂȘme combinaison – changer le narratif, dĂ©velopper des pouvoirs faisant contrepoids et dĂ©velopper et mettre en Ɠuvre des politiques spĂ©cifiques – voilĂ  ce qui peut Ă©galement marcher pour rediriger la technologie digitale» (p 392). Les auteurs posent les problĂšmes de la technologie digitale en ces termes : « La puissance concentrĂ©e des entreprises digitales nuit Ă  la prospĂ©ritĂ© parce qu’elle limite le partage des gains rĂ©alisĂ©s grĂące au changement technologique. Mais son effet le plus pernicieux se manifeste dans l’orientation de la technologie qui se dirige excessivement vers l’automatisation, la surveillance, la collecte des donnĂ©es et la publicitĂ©. Pour regagner une prospĂ©ritĂ© partagĂ©e, nous devons rediriger la technologie et cela signifie une version de la mĂȘme approche que celle qui a fonctionnĂ© pour les progressistes, il y a plus d’un siĂšcle » (p 393). « Cela doit commencer par changer le narratif et les normes ». On retrouve dans ce chapitre les mises en garde et les orientations qui parcourent cet ouvrage avec comme grandes recommandations : changer le narratif, bĂątir des pouvoirs faisant contre-poids et dĂ©velopper des techniques, des rĂ©gulations et des politiques pour traiter des aspects spĂ©cifiques du biais social de la technologie » (p 38). VoilĂ  un ouvrage auquel nous pouvons nous rĂ©fĂ©rer pour mieux comprendre les enjeux actuels de la technologie digitale et faire face aux menaces prĂ©sentes.

J H

  1. Daron Acemoglu, Simon Johnson. Power and Progress. One thousand-year struggle over technology and prosperity. London, Basic Books, 2023.

« Nous, on n’est pas des intellos »

La traversĂ©e en voiture de la grande banlieue parisienne nous a prĂ©parĂ©es peu Ă  peu au changement de paysage culturel dont nous faisons l’expĂ©rience en approchant du collĂšge oĂč nous devons intervenir.  ArrivĂ©es en avance, nous avons le temps de faire une halte dans un petit cafĂ© tout proche. Pas une femme Ă  l’intĂ©rieur. Nous amadouons le patron en lui disant que nous  venons prendre un rĂ©confort avant d’attaquer notre tĂąche dĂ©licate dans le collĂšge voisin : il nous fait apporter deux  tasses de cafĂ©,  dĂ©posĂ©es sur le comptoir Ă  cĂŽtĂ© d’un tronc marquĂ© « Pour l’entretien de la mosquĂ©e ». « Vous ĂȘtes enseignantes ? », nous demande-t-il – Non, nous animons des sĂ©ances d’éducation Ă  la paix – Ah mesdames, il faut venir nombreuses, » rĂ©pond-il, une expression soudainement triste sur le visage, «  ici on est dĂ©passĂ© par nos jeunes ! »

 

Quelques instants plus tard Marie Lou et moi traversons la cour du collĂšge, surplombĂ©e par des barres d’immeubles oĂč logent la plupart des Ă©lĂšves avec leur famille. Trois jeunes garçons, d’une douzaine d’annĂ©es, nous sont amenĂ©s par l’éducatrice spĂ©cialisĂ©e. Nous sommes bientĂŽt rejoints par Myriam, qui fait aussi partie du groupe, mais qui finissait juste de tresser les cheveux d’une amie !

 

Nous sommes conduits dans une salle accueillante, de taille rĂ©duite, rĂ©servĂ©e au travail de l’éducatrice qui, dans le cadre d’un Dispositif Nouvelle Chance agrĂ©Ă© par l’Education nationale, accompagne des petits groupes d’élĂšves ayant dĂ©crochĂ©, pour motifs divers, de la scolaritĂ© courante.

Depuis quelques mois deux d’entre nous, engagĂ©es avec le programme Education Ă  la paix, viennent une fois par semaine  pour contribuer Ă  ce processus, avec nos propres activitĂ©s.

Nous consacrons trois heures d’affilĂ©e Ă  quatre de ces jeunes, diffĂ©rents d’une fois sur l’autre.

En dĂ©but de sĂ©ance, nous nous prĂ©sentons puis nous invitons les enfants Ă  visionner une courte vidĂ©o, intitulĂ©e CamĂ©ra cafĂ©, qui se veut drĂŽle mais induit des situations de tensions entre les protagonistes de l’histoire. Nous remettons ensuite Ă  chacun le texte imprimĂ© du scĂ©nario pour le relire ensemble, ayant distribuĂ© les rĂŽles. Nous constatons chez les jeunes de rĂ©els talents d’interprĂ©tation. Ils seront prompts, ensuite, Ă  identifier les situations qui gĂ©nĂšrent sentiments de violence ou d’injustice.

 

On en vient Ă  parler de la vie au collĂšge. Les jeunes nous font vite sentir qu’il y a un grand dĂ©calage entre les idĂ©es de notre programme et ce qu’ils vivent ici. Myriam prend respectueusement la parole ; elle s’exprime dans un français qui m’impressionne pour une fillette de onze ans « en difficultĂ© scolaire » : « Vous savez, la plupart des jeunes ici n’ont pas ce langage que vous tenez. D’ailleurs c’est pas bien d’ĂȘtre ici, nous dit-elle, il y a beaucoup de grossiĂšretĂ©. Et puis, il n’y a pas de solidaritĂ©. » « Oui, ajoute un garçon, sur le mur d’entrĂ©e on voit libertĂ© Ă©galitĂ© fraternitĂ©, mais ici on vit pas ça. Et pour se dĂ©fendre il faut savoir se battre. » Marie Lou acquiesce Ă  l’idĂ©e qu’il faut se dĂ©fendre, que c’est important, mais se dĂ©fendre veut-il dire nĂ©cessairement frapper ?  « On  se voit pas faisant autrement, Madame, sinon on se ferait traiter de tapettes. Et puis il y a les grands frĂšres qui s’en mĂȘlent quelques fois. » Marie Lou demande : « Est-ce que vous ĂȘtes contents que ça marche comme ça ici, qu’on ne crĂ©e des relations que par la peur, et que ça devienne une habitude ? » Silence. « Vous voudriez d’un monde oĂč c’est partout comme ça ? – Ben non bien sĂ»r 
 –  Et bien, reprend Marie Lou, je vous assure que pour rĂ©gler des conflits, il faut ĂȘtre hyper crĂ©atifs, hyper intelligents. – Oui mais justement nous on n’est pas vraiment 
 intelligents. – Qu’est ce que c’est ĂȘtre intelligent ? – C’est 
 ĂȘtre des intellos. » Et Myriam de nous expliquer que, par exemple, elle n’a pas de bons rĂ©sultats scolaires. Marie Lou rĂ©torque qu’il y a bien d’autres signes d’intelligence que les rĂ©sultats scolaires.

 

Et nos quatre jeunes en seront bien la preuve. Lors d’une sĂ©quence de l’animation, une trentaine de photos, reprĂ©sentant des situations ou des objets les plus divers, seront Ă©talĂ©es sous leurs yeux. Il leur sera demandĂ© d’en choisir en silence deux chacun : une reprĂ©sentant un objet ou une situation qu’ils aiment, la seconde au contraire quelque chose qui leur dĂ©plait.

Les deux choix de Myriam et Kevin seront les mĂȘmes, mais pour des raisons opposĂ©es ! Une photo reprĂ©sente quatre vieilles femmes parlant ensemble sur un banc au soleil : Myriam aime cette photo qui lui fait penser Ă  ses conversations avec sa grand-mĂšre, au Maroc. Cette grand-mĂšre qui dit Ă  sa petite fille que mĂȘme si elle n’aime pas l’école, elle a de la chance d’apprendre Ă  lire et Ă©crire. « J’aime parler avec les vieilles personnes, on apprend toujours des choses intĂ©ressantes », insiste Myriam malgrĂ© les moqueries de ses camarades que cette scĂšne de vieillards rĂ©vulse franchement. Ce n’est pas pour rien que Kevin l’a choisie comme le dernier endroit oĂč il voudrait ĂȘtre. « C’est vrai que quelquefois les vieux disent des choses pas intĂ©ressantes, dit Myriam, mais ça m’est Ă©gal, et dans ce cas lĂ  je m’endors Ă  cĂŽtĂ© d’eux, je me sens en sĂ©curitĂ©. »  Quant Ă  la scĂšne des amoureux, c’est celle-lĂ  qui la rĂ©vulse : « C’est dĂ©goĂ»tant, c’est violent, j’aurais honte qu’un membre de ma famille me voit dans cette position !  – Ouais, tu dis ça, mais dans quelques annĂ©es tu changeras d’avis »,  s’esclaffent les garçons. Et d’ailleurs Kevin ne cache pas du tout que lui rĂȘverait de vivre dĂ©jĂ  une histoire amoureuse, c’est pour cela qu’il a choisi cette photo comme sa prĂ©fĂ©rĂ©e ! Les choix des autres jeunes seront aussi des occasions d’échanges animĂ©s,  les images interpellant vivement leurs imaginaires et leur univers Ă©motionnel.

 

La fin de la sĂ©ance approche. On distribue Ă  chacun une feuille de papier qui prĂ©figure une lettre qu’il va s’écrire Ă  lui-mĂȘme. Celle-ci sera ensuite glissĂ©e dans une enveloppe sur laquelle sera inscrite l’adresse de l’auteur. Dans un mois nous expĂ©dierons les lettres.  Marie Lou va d’un garçon Ă  l’autre pour les aider Ă  entrer dans le jeu. La dĂ©marche est prise au sĂ©rieux. Chacun se concentre dans son coin. Quant Ă  Myriam, elle me confie qu’elle n’est « pas bonne Ă  l’écrit » et me demande si je peux Ă©crire ce qu’elle va me dire. « Mais c’est personnel, c’est secret », lui dis-je. « Je n’ai rien Ă  cacher », rĂ©torque la fillette.  Puis elle regarde droit devant elle et aprĂšs un petit silence me dicte les rĂ©ponses qu’elle veut donner aux trois questions prĂ© imprimĂ©es sur sa feuille : ChĂšre Myriam,  
     VoilĂ  ce que tu as retenu de l’animation Ă  laquelle tu as participĂ© le 
 juin au collĂšge : (RĂ©ponse de Myriam)  ce que je pense de moi-mĂȘme est plus important que ce que les autres pensent de moi. Je peux rĂ©gler mes problĂšmes autrement que par la bagarre.

Voici ce que tu aimerais voir changer dans le collĂšge : (RĂ©ponse de Myriam) qu’il y ait moins de grossiĂšretĂ©, plus de respect et que les gens arrĂȘtent d’avoir des prĂ©jugĂ©s les uns sur les autres d’aprĂšs les vĂȘtements qu’on porte ou comme on parle.

Voici ce que tu es prĂȘte Ă  faire pour aider les choses Ă  changer : (RĂ©ponse de Myriam) plutĂŽt que de taper, je parlerai avec les autres pour comprendre la cause du problĂšme. Je serai plus coopĂ©rante pour les aider  Je ferai comme je sens qui est bien au fond de moi et qui m’apporte la paix. Je devrais ĂȘtre plus concentrĂ©e en classe. »

 

Pardon Myriam de divulguer ainsi tes pensĂ©es : j’ai changĂ© ton nom pour prĂ©server  l’anonymat. J’ai  une grande excuse : faire savoir que dans des milieux difficiles grandissent des enfants comme toi qui ont plein de pĂ©pites au fond du cƓur et dont l’intelligence vibre dĂ©jĂ  trĂšs fort Ă  l’interpellation de valeurs qui ne sont pas celles du milieu ambiant. Ton rĂ©pondant  Ă  notre animation justifie tous les efforts entrepris pour mettre au point des programmes d’éducation Ă  la paix dans tous les milieux. Et il constitue un grand message d’espoir!

 

Nathalie CHAVANNE

 

 

Le Programme Education Ă  la Paix, est un des programmes portĂ©s par l’Association Initiatives et Changement.

Il met au point des espaces structurĂ©s de rĂ©flexion et d’expression, oĂč, dans des contextes divers, les jeunes peuvent dĂ©velopper leurs compĂ©tences sociales en faveur d’un meilleur vivre ensemble et d’une ouverture Ă  l’initiative citoyenne.

 

Programme : Education à la paix

Dialoguer, apprendre Ă  vivre ensemble, agir en citoyen.

7 bis, rue des Acacias

92130 Issy-les-Moulineaux

http://www.fr.iofc.org/

Jésus le guérisseur

Selon Tobie Nathan, ethnopsychiatre

A travers une pratique pionniĂšre, Tobie Nathan est devenue une figure majeure de l’ethnopsychiatrie en France. L’ethnopsychiatrie est psychologie transculturelle qui associe psychologie clinique et anthropologie culturelle. Tobie Nathan a notamment mis en Ă©vidence la part des croyances dans la prise en charge des maladies mentales.        En relation avec des personnes venant de tous les continents, Tobie Nathan a Ă©tĂ© amenĂ© par l’une d’entre elles, Ă  reconnaĂźtre la pratique de guĂ©rison exercĂ©e au nom de JĂ©sus. En consĂ©quence, il a donc entrepris une recherche sur JĂ©sus qui a dĂ©bouchĂ© sur l’écriture d’un petit livre : JĂ©sus le guĂ©risseur (1). « Jusqu’à la rencontre avec Gabriela, personne ne m’avait incitĂ© Ă  examiner au plus prĂšs JĂ©sus, l’homme donc et non la religion qui a dĂ©coulĂ© de son enseignement » (p 13). « Si l’on examine son parcours, JĂ©sus a essentiellement parlĂ©, rĂ©uni et guĂ©ri. C’est donc Ă  l’analyse de ce personnage politique et thĂ©rapeute que j’ai voulu consacrer ces pages » (p 13).

L’auteur nous dit dans quel esprit, il a entrepris cette recherche.

« Je voudrais d’abord retracer le parcours personnel de JĂ©sus, pour lequel je ressens une sympathie particuliĂšre – un personnage omniprĂ©sent dans notre monde alors qu’on sait assez peu sur lui

JĂ©sus imprĂšgne notre vie quotidienne par des paroles, des expressions, des maximes, par une morale aussi, et une certaine vision politique. Il est partout dans les expressions de notre langue, dans nos proverbes, nos habitudes mentales, mais Ă©galement dans l’art et la musique » (p 17). JĂ©sus apparaĂźt mĂȘme dans des troubles psychiatriques. « JĂ©sus est un interlocuteur : on l’appelle, on l’invoque, on le prie. Il est le compagnon des laissĂ©s-pour-compte, des dĂ©munis, des malades. Ici en France, en Europe, mais aussi trĂšs loin d’ici en Afrique, en AmĂ©rique du sud et de plus en plus en Chine  » (p 18).

Dans sa recherche historique, l’auteur estime que les sources historiques fiables sont peu nombreuses. « Pour Ă©laborer cet exposĂ©, je suis allĂ© puiser dans les ressources historiques, celles qui reconstituent l’époque, l’atmosphĂšre oĂč JĂ©sus a vĂ©cu : j’ai eu trĂšs peu recours aux exĂ©gĂšses thĂ©ologiques. Il va de soi que JĂ©sus, c’est aussi le Christ, le

sauveur, Ă  la fois homme et dieu. Je n’aborderai ici que sa part d’histoire et dans une double perspective qui me questionne – et, je l’avoue, me fascine : JĂ©sus le politique et JĂ©sus le guĂ©risseur. J’espĂšre ne froisser personne en ne discutant que sa part d’histoire. Mais l’honnĂȘtetĂ© exige que l’on n’outrepasse pas la frontiĂšre de ses compĂ©tences » (p 19).

 

Jésus, leader politique et guérisseur

Si ce livre, dans son sous-titre, met l’accent sur le rĂŽle de JĂ©sus comme guĂ©risseur, l’ouvrage lui-mĂȘme traite pour une bonne part d’un autre rĂŽle, cher Ă  l’auteur, celui de leader politique contre l’occupant romain. Tobie Nathan se montre ici connaisseur de la civilisation et de l’histoire juive. Et c’est dans cette connaissance que s’égrainent des chapitres comme : Son nom d’abord, parce que le nom, c’est la personne ; Le contexte, le lieu et les choses ; Les forces politiques ; Des mouvements contre l’occupant ; les actes politiques de JĂ©sus ; le Royaume de Dieu


« En JĂ©sus, dominent deux dimensions Ă  la source de mes rĂ©flexions » affirme l’auteur ». « Il y a d’abord la part politique de JĂ©sus, un rĂ©volutionnaire juif, un militant en rĂ©volte radicale contre l’occupation romaine de la JudĂ©e, « le pays des juifs », poursuivant de sa vindicte les collabos du Temple et ceux du Palais, acclamĂ© par une partie du peuple comme « Roi des juifs » avant d’ĂȘtre crucifiĂ© comme la plupart des agitateurs politiques de l’époque » (p23).

L’auteur met ensuite en exergue une autre dimension. « La seconde dimension tient dans son activitĂ© clinique
 Son Ɠuvre a principalement Ă©tĂ© de soigner les malades. Il rendait la vue aux aveugles, leurs jambes aux paralytiques ; il nettoyait les lĂ©preux de leurs plaies et dĂ©barrassait les agitĂ©s des dĂ©mons » (p24). Cette activitĂ© suscite l’éloge de l’expert qu’est pour nous Tobie Nathan : « Un thĂ©rapeute, et de la plus pure espĂšce
 Et comme tous les thĂ©rapeutes, il parlait des « paroles Ă  l’envers », dirait mon collĂšgue yoruba du BĂ©nin, dont chacune a pĂ©nĂ©trĂ© notre univers. Par lĂ , je veux dire qu’il s’agit de paroles surprenantes exigeant un arrĂȘt, une interprĂ©tation, des paroles paradoxales, des admonestations souvent qui fracturent des Ă©vidences
 Un thĂ©rapeute, un vrai ! » (p 24).

Mais quel lien entre ces deux activités ?

«  Si l’on examine le travail du thĂ©rapeute, on se demande ce qu’il a Ă  voir avec la politique. » Dans la rĂ©ponse, Tobie Nathan s’engage : « Mon hypothĂšse est prĂ©cisĂ©ment que les deux dimensions sont imbriquĂ©es ou plutĂŽt que JĂ©sus les a nouĂ©es ensemble, que c’est prĂ©cisĂ©ment lĂ  son originalitĂ© fondamentale, son « invention » (p 24-25).

En commentaire, pour notre part, la focalisation sur le rĂŽle politique de JĂ©sus tĂ©moigne de la diversitĂ© des points de vue selon les parcours et les sources, mais, tout en reconnaissant l’importance du contexte politique, elle ne correspond pas Ă  notre interprĂ©tation personnelle. Citons, entre autres : « Mon Royaume n’est pas de ce monde, rĂ©pondit JĂ©sus. Si mon Royaume Ă©tait de ce monde, mes serviteurs auraient combattu pour moi afin que je ne fusse pas livré  » (Jean 18.36). Notre propos ici est de recevoir l’éclairage que l’auteur apporte sur le rĂŽle de JĂ©sus comme thĂ©rapeute et guĂ©risseur.

 

Tobie Nathan : histoire d’une vie

La dĂ©marche de Tobie Nathan s’inscrit dans une histoire de vie. Une interview oubliĂ©e sur le site du Monde nous en dit beaucoup Ă  cet Ă©gard (2).

NĂ© au Caire en 1948, il en est brutalement chassĂ© en 1957 en mĂȘme temps que 25 000 juifs d’Égypte. Ses parents immigrent en France. Leur vie est difficile. « Dans la citĂ© de Gennevilliers oĂč j’ai grandi au nord-ouest de Paris, la vie Ă  la maison n’est pas trĂšs facile. Il y avait une douleur, un poids. D’abord parce qu’on Ă©tait pauvre. Mais surtout en raison de la sĂ©paration avec le reste de la famille ». De plus, Tobie ne se sent pas Ă  l’aise Ă  l’école française. «  DĂšs l’école communale, j’ai toujours exĂ©crĂ© l’école française, Ă  cause de l’uniformisation obligatoire que comporte cette institution ».          Tobie Nathan a donc mal vĂ©cu sa condition d’immigrĂ©. Le souvenir de cette expĂ©rience va l’accompagner et l’aider Ă  comprendre les problĂšme des migrants.

En 1969, Ă©tudiant en psychologie et ethnologie, il rencontre pour la premiĂšre fois le professeur Georges Devereux, le fondateur de l’ethnopsychiatrie en France. C’est avec lui qu’il rĂ©alisera sa thĂšse et, si, par la suite, ils se sĂ©parent, il donne son nom au centre qu’il crĂ©e en 1993. « Le centre Georges-Devereux s’est ouvert en 1993 dans le cadre de l’UniversitĂ© Paris VIII Ă  Saint-Denis. Ce fut une pĂ©riode extraordinaire. Enfin on allait faire de la vraie psychologie en France. C’est Ă  dire un endroit universitaire oĂč on reçoit des patients, oĂč l’on forme les Ă©tudiants en thĂšse et oĂč l’on enseigne. Personnellement, c’est lĂ  que j’ai tout appris. De nos patients, bien sĂ»r. Mais aussi de nos Ă©tudiants Ă©trangers qui appartenaient souvent aux mĂȘmes ethnies que les patients que nous recevions ».

Comment Tobie Nathan dĂ©finit-il l’ethnopsychiatrie ? « Cela consiste Ă  apprendre des autres peuples les connaissances qu’ils ont des troubles psychiques et de leur traitement, Ă  tenir compte de leurs rites ancestraux pour les soigner ».

En 2003, Tobie Nathan abandonne le Centre Devereux pour partir Ă  l’étranger. Il dirige le bureau de l’Agence française pour la francophonie pour l’Afrique des grands lacs au Burundi, puis le service culturel de l’ambassade française en IsraĂ«l et en GuinĂ©e-Conakry. « Ce qui m’a changĂ©, c’est de vivre en Afrique ».

De retour en France, il dirige le Centre d’aide psychologique qu’il a crĂ©Ă©. Et il reçoit les jeune gens signalĂ©s par leur famille comme Ă©tant en danger de radicalisation islamique. « J’ai rencontrĂ© des gamins d’un bon niveau qui se posent des questions importantes me rappelant celles que je me posais Ă  leur Ăąge
 Cela m’a incitĂ© Ă  me questionner sur eux, mais aussi sur moi-mĂȘme. En France, on ne sait pas penser l’étranger
 On va ĂȘtre obligĂ© d’admettre qu’il y a des gens qui ne pensent pas comme nous, qui ont des dieux qui ne sont pas les nĂŽtres et qu’il va falloir nĂ©gocier avec eux une coexistence ».Tobie Nathan constate que de nombreux jeunes qui se radicalisent comblent un vide engendrĂ© par une perte de continuitĂ© culturelle. Dans son livre : « Les Ăąmes errantes », il rapporte des histoires rĂ©vĂ©latrices.

Issu d’une famille rabbinique, Tobie Nathan se dĂ©clare juif comme « ayant des ancĂȘtres, de gens auxquels on se rĂ©fĂšre comme Ă©tant un dĂ©but de lignĂ©e ». Il espĂšre croire en Dieu un jour. « Chez les juifs, croire c’est l’aboutissement d’un travail, ce n’est pas le dĂ©but. La croyance est un cadeau, et c’est un cadeau que je n’ai pas encore reçu ».

 

Une rencontre révélatrice : Gabriela

Dans sa pratique, Tobie Nathan se trouve constamment en rapport avec un vĂ©cu international. C’est une source de connaissance et d’ouverture. Et c’est ainsi que la rencontre avec Gabriela lui a ouvert une nouvelle piste : la guĂ©rison au nom de JĂ©sus.

« Je l’appellerai Gabriela. Elle m’a montrĂ© des photos d’elle Ă  vingt ans sur une plage brĂ©silienne. A 22 ans, elle a Ă©pousĂ© un Guyanais, chercheur d’or de passage au BrĂ©sil. AprĂšs des revers de fortune et plusieurs Ă©migrations, elle s’était retrouvĂ©e dans une citĂ© HLM d’une commune de Seine-Saint-Denis. Voici des annĂ©es que son mari l’avait quittĂ©e, parti chercher de l’or en Angola, la laissant seule avec ses trois garçons
 Il y a quelques annĂ©es, lorsque son ainĂ© a atteint 16 ans, Gabriel a appris par un ami revenu d’Afrique que son mari Ă©tait mort  ». C’est alors que s’est dĂ©clenchĂ©e la dĂ©linquance des enfants.

Gabriela s’est effondrĂ©e.

AprĂšs une grave dĂ©pression et plusieurs hospitalisations en milieu psychiatrique, elle a trouvĂ© refuge et consolation au sein d’une Eglise Ă©vangĂ©lique. Peu Ă  peu, elle s’est rapprochĂ© du berger, l’a secondĂ© dans son travail auprĂšs des fidĂšles » (p 11-12). Tobie Nathan commente alors : « Sa facilitĂ© Ă  communiquer avec les esprits ou les anges qu’elle tenait peut-ĂȘtre de ses ancĂȘtres, s’est bientĂŽt manifestĂ©e dans l’église en de vĂ©ritables transes. RĂ©guliĂšrement, il lui arrive de « parler en langues ». Quelquefois, lorsqu’elle est dans cet Ă©tat, elle opĂšre des « dĂ©livrances », c’est-Ă -dire des thĂ©rapies de personnes en dĂ©tresse. Et c’est toujours au nom de « JĂ©sus ». Gabriela dit qu’elle chasse les « mauvaises influences » qu’elle qualifie parfois de dĂ©mons ou de diables. Elle m’assure que les fidĂšles s’en portent mieux. Je la crois ». (p 12-13).

Tobie Nathan nous rapporte comment la relation avec elle s’est Ă©tablie et comment elle a portĂ© du fruit. « Psychologue, je l’ai reçue durant des annĂ©es. Nous parlions le plus souvent de ses problĂšmes de famille, puis, au fur Ă  mesure que son Ă©tat psychologique s’amĂ©liorait, de politique, de l’impasse sociale que constituaient les quartiers, mais aussi de JĂ©sus, – de JĂ©sus surtout ! JĂ©sus, la matrice de son « don de guĂ©rison », son protecteur, son guide et son modĂšle » (p 25).

De fait, Tobie Nathan avait dĂ©jĂ  entendu parler de la guĂ©rison divine. « Bien d’autres avaient attirĂ© mon attention sur la fonction thĂ©rapeutique de JĂ©sus, sur la puissance que confĂ©rait son ĂȘtre mĂȘme. J’avais autrefois fait une enquĂȘte dans des Eglises Ă©vangĂ©liques au BĂ©nin. Par la suite, j’ai dĂ©couvert celles du Burundi et du Ruanda. Je me suis insurgĂ© contre les abus commis dans celles du Congo. Mais personne ne m’avait comme Gabriela, incitĂ© Ă  examiner de plus prĂšs JĂ©sus, sa personne… Selon ses adeptes, c’est en l’homme, JĂ©sus, que rĂ©side la puissance de guĂ©rir » (p 15).

 

Jésus guérit

Le livre de Tobie Nathan dĂ©bouche ainsi sur une description et une analyse de l’Ɠuvre de JĂ©sus comme thĂ©rapeute et guĂ©risseur.

JĂ©sus parlait. Il agit aussi. « La plupart de ses actions – peut-ĂȘtre mĂȘme la totalitĂ© – furent des guĂ©risons
 Des guĂ©risons, on en compte 37 dans ce qu’on appelle le Nouveau Testament et 14 dans le seul Evangile de Marc. C’est dire ! » (p 98 ). « Plus encore, et alors mĂȘme que le dĂ©bat Ă©tait Ă  son plus fort au sein de l’Église primitive sur la nature de JĂ©sus – il n’y eut jamais aucune controverse, ni chez ses disciples, ni chez ses dĂ©tracteurs, quant Ă  ses dons de thaumaturge et d’exorciste. Quelle que fut sa nature, tout le monde lui reconnaissait ce don-lĂ , le don de guĂ©rison. Dans les rĂ©cits, tels qu’ils nous sont rapportĂ©s dans les Ecritures, JĂ©sus ne refusait jamais la guĂ©rison Ă  qui lui demandait » (p 99). « Et, Ă  chaque fois, JĂ©sus choisissait les dĂ©monstrations publiques, bien loin des intimitĂ©s psychologiques de nos contemporains. Il se risquait aux guĂ©risons les plus difficiles devant une foule rassemblĂ©e qu’il prenait Ă  tĂ©moin, guĂ©rison Ă  chaque fois plus inattendue, plus invraisemblable » (p 100).

Dans ce chapitre, Tobie Nathan va dĂ©crire, analyser et chercher la signification de quelques guĂ©risons de JĂ©sus. Et il commente ainsi la guĂ©rison du sourd-muet dans une ville de la DĂ©capole. « Il lĂšve le regard vers le ciel et gĂ©mit en aramĂ©en : ephatah ! – « Ouvre-toi » et voilĂ  que la parole du bĂšgue se dĂ©lie  ». De fait, « cette parole est chargĂ©e
 elle dĂ©signe le commencement de la priĂšre. Le livre qui introduit Ă  Dieu s’appelle en hĂ©breu le Pata’h, « l’ouverture », que l’on retrouvera dans la premiĂšre sourate de l’islam Al fati’ha qui signifie aussi : « ouverture ». Une fois encore, JĂ©sus fait et dit. C’est l’un de ses secrets thĂ©rapeutiques : faire un acte et dire en mĂȘme temps la parole qui le dĂ©signe. Il faut alors que cette parole colle Ă  l’acte, mais Ă©galement qu’elle s’envole vers une signification plus profonde, qui engage toute la communauté » (p 101).

La nouvelle des guĂ©risons se rĂ©pand. « Les malades ne guĂ©rissent pas parce qu’ils croient ; ils croient parce qu’ils on Ă©tĂ© guĂ©ris » (p 102). Ces guĂ©risons participent Ă  un mouvement de rassemblement autour de JĂ©sus.

« On a inventoriĂ© trois types de malades guĂ©ris par JĂ©sus : les aveugles, les sourds-muets et les paralytiques
 Tous ont la perception et l’action entravĂ©e. C’est ainsi qu’il dĂ©finit par ses gestes thĂ©rapeutiques la nature de la maladie : l’impossibilitĂ© de la connaissance de Dieu. Il faut donc voir dans ces malades des Ă©veillĂ©s – les plus vaillants de la communautĂ© – des ĂȘtres qui ont conscience dans leur corps des entraves au cheminement vers Dieu » (p 103 ).

Tobie Nathan inscrit l’Ɠuvre de guĂ©rison de JĂ©sus dans une dimension communautaire. « On doit se rendre Ă  l’évidence : l’action de guĂ©rir, que JĂ©sus maitrisait Ă  la perfection, sans effort, en douceur, n’était pas le but ultime. Il voulait agir non sur la nĂ©gativitĂ© qui affligeait un seul, mais sur l’inhibition qui paralysait sa communautĂ© » (p 110). D’un bout Ă  l’autre de son livre, Tobie Nathan met l’accent sur la vocation politique qu’il attribue Ă  JĂ©sus.

 

Une interpellation

 « A cette Ă©poque, les thĂ©rapeutes, les devins, les magiciens, les sorciers Ă©taient si nombreux
 il y en avait tant et plus encore. Ils pullulaient en JudĂ©e et en GalilĂ©e. Il en existait parmi les grecs
 » (p 115 ). Certains Ă©taient renommĂ©s. Les techniques de JĂ©sus ressemblaient Ă  celles des guĂ©risseurs de son temps, mais elles diffĂ©raient par un dĂ©tail d’importance : JĂ©sus soignait gratuitement et exigeait de ses disciples qu’ils agissent de mĂȘme » (Matthieu 10.7-10) (p 115-116). Tobie Nathan Ă©voque ensuite une « longue lignĂ©e de rebelles politiques cherchant Ă  dĂ©livrer IsraĂ«l de l’oppression romaine » et le passĂ© insurrectionnel Ă  cette Ă©poque. Finalement « ce fut l’éradication du Temple et la domination de l’Empire romain ».Tobie Nathan conclut ainsi : « RĂ©volutionnaire et thĂ©rapeute, c’est ainsi que j’ai compris JĂ©sus Ă  travers les Ă©vĂšnements de la vie » (p 123). Il en apprĂ©cie les talents. « Cet homme aurait pu jouir d’une reconnaissance passagĂšre ou disparaĂźtre dans les oubliettes de l’histoire comme d’autres dont nous ne savons rien ». Alors, il s’interroge sur la prĂ©sence de JĂ©sus dans la vie contemporaine et le mystĂšre qu’on peut y voir :

«  Mais son destin fut différent.

Qui en a décidé ainsi ?

Dieu, peut-ĂȘtre ? » (p 124).

Dans le brassage mondial des populations, Tobie Nathan apparaĂźt comme une vigie. Ethnopsychiatre, il observe les phĂ©nomĂšnes psychosociaux de notre Ă©poque. A ce titre, la rĂ©alitĂ© de la « guĂ©rison divine » ne lui paraĂźt pas extravagante. Son regard croise celui des chrĂ©tiens Ă©vangĂ©liques qui croient en la guĂ©rison au nom de JĂ©sus. Tobie Nathan s’est engagĂ© dans une recherche historique pour mieux connaĂźtre ce JĂ©sus pour lequel il Ă©prouve de la sympathie. Dans ce livre, selon sa culture, il nous fait part de son interprĂ©tation et de son questionnement. JĂ©sus est bien source de guĂ©rison.

J H

 

(1) Tobie Nathan. Jésus le Guérisseur. Flammarion, 2017

(2) Tobie Nathan : la croyance est un cadeau que je n’ai pas encore reçu : https://www.lemonde.fr/la-matinale/article/2017/10/15/tobie-nathan-la-croyance-est-un-cadeau-que-je-n-ai-pas-encore-recu_5201182_4866763.html

(3) Tobie Nathan. Les Ăąmes errantes. L’iconoclaste, 2017 (Livre de Poche) « Dans le secret de son cabinet, le psychologue Tobie Nathan accueille des jeunes en danger de radicalisation. Il Ă©coute. Leurs histoires, leurs mĂšres,  leurs pĂšres perdus. Et tout ce qu’ils ont Ă  nous apprendre sur le monde tel qu’il est. Aucun penseur ne les a connu de si prĂšs. Aucun n’a osĂ© dire qu’il leur ressemblait. Se raconter, se mettre Ă  nu pour faire revenir « les Ăąmes errantes » est un pari risquĂ©. Le seul qui semble valoir la peine d’ĂȘtre tenté ».

Tobie Nathan, ethnopsychiatre