par jean | Déc 15, 2020 | ARTICLES, Société et culture en mouvement |
Sâil vous plait, un peu de communication dans une ambiance respirable lorsque les mĂ©dias se font rĂ©pĂ©titifs et amplifient lâĂ©cho des mauvaises nouvelles. Alors si parfois les contenus de facebook peut me paraĂźtre un peu superficiels, et si ma frĂ©quentation, dans un moment dâisolement oĂč le besoin de relation et dâinformation se fait sentir, peut comporter un danger dâaddiction, au total, câest finalement une ressource bĂ©nĂ©fique puisquâau fil du temps, un rĂ©seau assez divers a pu se dĂ©velopper. Et dâabord, lâĂ priori positif qui est privilĂ©giĂ© Ă travers le rĂŽle donnĂ© aux «like» Ă©duque mon regard et suscite une dĂ©marche dâapprĂ©ciation et de participation. Et puis, si les nouvelles importantes apparaissent immĂ©diatement, elles sont en quelque sorte filtrĂ©es par une rĂ©ception humaine . Alors, si « la pĂȘche » sur facebook me paraĂźt maigre assez souvent, il y des moments aussi oĂč jây trouve un texte, une vidĂ©o, une photo Ă partager et Ă rĂ©pandre. Et parfois, câest une piste, une ressource signifiante. Et puis, ne lâoublions pas, si je nâai pas rencontrĂ© physiquement la grande majoritĂ© de mes « amis » de facebook, une frĂ©quentation rĂ©guliĂšre de leurs messages me permet dâentrevoir leur vie et leur personnalitĂ©. Câest donc un regard amical que je porte. Jâai conscience que ce quâils communiquent peut ĂȘtre interprĂ©tĂ© comme un cadeau de leur part. Ils me font part de ce qui leur tient Ă cĆur.
Je suis venu Ă facebook individuellement, il y a une dĂ©cennie. A lâĂ©poque, je crĂ©ais les blogs : « Vivre et espĂ©rer » et « LâEsprit qui donne la Vie ». Je ressentais un besoin de partage et de relation. Jây suis arrivĂ© seul et, peu Ă peu, jây ai retrouvĂ© certains amis (C P) (1), certaines connaissances (D P), certains collĂšgues (L S C). Rencontres bienvenues, mais je ne suis pas arrivĂ© lĂ comme dâautres dans une situation de partage semi familial avec des amis qui forment « tribu ». Câest une diffĂ©rence avec dâautres. Jâai pu lire un point de vue sociologique qui distingue des rĂ©seaux oĂč on sâattache essentiellement Ă un objet partagĂ© et dâautres oĂč on partage non seulement des informations, mais les ressentis de la vie quotidienne, randonnĂ©es, vacances, questionnements et jusquâĂ lâĂ©vocation dâun bon repas. Ainsi Ă flickr.com, on partage et on commente des photos. A facebook, câest toute la vie sociale qui sâexprime. Mais on peut aussi garder une certaine discrĂ©tion. Câest mon cas. Ainsi, lâengagement dans facebook prend des formes diverses avec des ressentis et des retours diffĂ©rents. Cependant, quelque soit notre degrĂ© dâexpression, il y a des convictions fondamentales qui transparaissent. Sur ce blog, jâai dĂ©jĂ dĂ©jĂ prĂ©sentĂ© ma participation Ă facebook dans ses diffĂ©rentes dimensions (2). Dans cet article, je mâinterroge sur ma frĂ©quentation de facebook, aujourdâhui, au quotidien.
Un peu plus de 300 « amis » se sont enregistrĂ©s. Dans les quelques derniers jours, une cinquantaine dâentre eux se sont manifestĂ©. Il sây est ajoutĂ© lâapport substantiel de nombreux organismes qui diffusent leurs messages sur facebook. Les thĂšmes sont diffĂ©rents : Ă©cologique : Mondialisation, Reporterre, Colibris,
Brut, Forum Ă©conomique mondialâŠ.politique : Loopsider, Guardian, le Monde, PrĂ©sidence de la RĂ©publiqueâŠ.artistique : Aux amidonniers, RestaurArs et diffĂ©rentes galeriesâŠ. Ces contributions et celles des « amis » qui les relayent sont riches en contenus mĂ©ritant dâĂȘtre partagĂ©s.
Comment est-ce que je perçois les différents aspects de ma fréquentation ?
Une vie sociale
Il y a lâexpression de la vie de certains. Ils nous associent aux manifestations et aux ressentis de leur vie quotidienne. Si mon attitude personnelle Ă cet Ă©gard est la discrĂ©tion, jâapprĂ©cie ce partage comme une expression de confiance. Si des soucis et des deuils peuvent ĂȘtre exprimĂ©s, câest le plus souvent un bonheur partagĂ©. Une personnalitĂ© sâexprime en nous faisant part de sa vie familiale et personnelle. Et souvent, en mĂȘme temps, de ses convictions et de sa motivation profonde.
Ainsi L R nous rapporte les Ă©vĂšnements marquant de sa vie de couple et de sa vie de jeune maman. Dans les joies et les difficultĂ©s, elle manifeste une inspiration qui nous encourage dans lâamour et la persĂ©vĂ©rance.
D S rĂ©side en Provence. Il nous partage sa vie familiale dans ses vacances et ses dĂ©placements. Câest tout particuliĂšrement la vie de sa petite fille O, musicienne et amoureuse de la nature. A plusieurs reprises, D S sâest fortement engagĂ© pour la dĂ©fense des droits humains et la promotion dĂ©mocratique.
J C G ne nous entretient pas seulement avec ouverture et compĂ©tence de la culture actuelle. Pasteur, il est engagĂ© dans une expression de foi et dans la promotion des mĂ©dias protestants. Mais il nâhĂ©site pas Ă partager des Ă©chos de la saveur de sa vie personnelle.
M F R partage avec nous son amour de la nature dans la campagne française, sa pratique Ă©cologique et une expression discrĂšte de sa recherche du bon et du beau. De quoi Ă©veiller des affinitĂ©sâŠ
Il y a aussi des amis qui expriment leur existence dans une dimension internationale : V B partageant son annĂ©e entre la France et lâAustralie, P O et A O sur la cĂŽte Pacifique des Etats- Unis avec deux  enfants lumineux et un engagement chrĂ©tien.
Un Ă©cho Ă lâactualitĂ©
Facebook renvoie Ă©galement Ă lâactualitĂ© en faisant immĂ©diatement Ă©cho aux Ă©vĂ©nements Ă travers des voix nombreuses et diverses. Jâai pu y suivre la campagne prĂ©sidentielle. Aujourdâhui, je lis des commentaires ( B G D S). Comme mon public est divers, certaines rĂ©actions peuvent me dĂ©plaire, ainsi parfois des colĂšres qui se polarisent. Mais il est bon de pouvoir entendre des voix diffĂ©rentes Ă condition que lâagressivitĂ© ne prenne pas le pas. Emettre frontalement des avis contraires nâest souvent pas bien acceptĂ© dans ce contexte. Certains rĂ©ussissent Ă permettre un dialogue grĂące Ă une gestion Ă©clairĂ©e ( D P).
Le courant écologique est trÚs présent (F R) et nous pouvons y apprécier et y partager des ressources éclairantes.
La dimension spirituelle
Parmi les intervenants récents sur mon fil facebook, beaucoup ont une activité identifiable dans le champ chrétien. (Une vingtaine sur 50). Cela est sans doute une réponse à ma propre recherche spirituelle. A cet égard, à coté des expressions protestantes, je suis également le courant réformateur en milieu catholique (C P A S
C O M M J). JâĂ©vite les manifestations du fondamentalisme et du traditionalisme. Je nâentre pas dans les polĂ©miques suscitĂ©es par certaines interventions (H L). Je recherche avant tout une expression dâamour, de foi et de bienveillance  ce qui nâexclue pas un examen critique.
Depuis longtemps, jâ apprĂ©cie le blog dâune religieuse qui sait nous parler de lâamour de Dieu (Au bonheur de Dieu), trĂšs prĂ©sente sur facebook (M J). Et aujourdâhui une pasteure suisse (A C) sâexprime sur facebook dans une dynamique de vie et dâamour. Du QuĂ©bec, nous vient une contribution marquante. Câest le rĂ©seau Transcendarts animĂ© par P L. Jây trouve du sens et du bon sens, un message chrĂ©tien qui Ă©claire mon esprit. Il y a lĂ une connexion Ă laquelle participe Ă©galement un ami rencontrĂ© sur facebook, J C. Et puis est apparu Ă©galement un rĂ©seau au titre expressif : « En dehors de la boite religieuse » animĂ© par D F. Câest une heureuse critique du fondamentalisme, une critique intelligente et pertinente qui en montre les travers, les abus et les maux qui en rĂ©sultent. Mais câest aussi un trĂ©sor dâexpressions spirituelles et thĂ©ologiques. Pour la France, rappelons la page de TĂ©moins sur Facebook, carrefour dâune approche chrĂ©tienne interconfessionnelle. Une autre page exprime le mouvement de vie et dâespĂ©rance prĂ©sent dans Vivre et espĂ©rer.
Notre fil facebook manifeste Ă©galement une expression spirituelle qui sâexprime abondamment Ă travers de courtes expressions : parfois brĂšves expressions personnelles, mais surtout beaucoup de citations, et pour certains, des versets bibliques (C P). Certains expriment rĂ©guliĂšrement leur approche spirituelle (I I A). Ces affirmations portent les plus souvent une vĂ©ritĂ© expĂ©rientielle.  A certains moments, abondance et redondance de brĂšves affirmations peuvent lasser.
Sur un plan plus psychologique oĂč psychologie sâallie Ă spiritualitĂ©, notons lâapport du rĂ©seau gĂ©rĂ© par un remarquable psychothĂ©rapeute T A : « La paix, ça sâapprend ».
Dans ce vaste champ dâexpression sur facebook Ă©merge de temps Ă autre un élĂ©ment fondamental qui nous est rapportĂ© par tel ou tel et que nous diffusons Ă notre tour.
Généreuse beauté
 On ne se lasse pas de la beautĂ©. Elle est trĂšs prĂ©sente sur mon fil facebook , soit Ă travers des contributions personnelles, soit Ă travers des apports dĂ©diĂ©s. Ce sont des paysages. Et je recours Ă Flickr pour y participer. Il y a de belles photos personnelles qui traduisent lâamour de la nature (M F R V H P S..). Il y a aussi lâintervention dâoffices de tourisme. La France est si belle de la Provence Ă la Bretagne⊠Et puis des « amis » nous font part Ă©galement dâĆuvres artistiques (A S V B J EâŠ). De nombreuses galeries nous offrent des reproductions de peintures (Aux amidonniers etc..). Toute cette beautĂ© : photos de nature ou expressions artistiques, vient nous enchanter. Câest une contribution majeure de ma participation Ă facebook.
Voici donc ma pratique de facebook, une pratique parmi dâautres. Je reçois, mais jâai Ă cĆur Ă©galement de contribuer en partageant certains apports ou, en expression de mes convictions, des  textes de « Vivre et espĂ©rer », de « LâEsprit qui donne la vie » ou de « TĂ©moins » Je fais part aussi de superbes photos que je choisis sur Flick en pensant Ă©galement Ă leur apport symbolique.
Je vois sur facebook des interrelations dans le respect et dans la discrĂ©tion. Dans mon cheminement, ce qui me revient Ă ce sujet, câest la parole de Paul : « Que tout ce qui est vrai, tout ce qui est honorable, tout ce qui est juste, tout ce qui est aimable, tout ce qui mĂ©rite lâapprobation ⊠soit lâobjet de vos pensĂ©es » (Epitre aux Philippiens 4.8). Câest rechercher le bon, le bien et le beau. Le rechercher ensemble donne une force plus grande Ă ce mouvement.
Chacun dâentre nous ressent le besoin dâĂȘtre reconnu. Jây pense en Ă©tant gĂ©nĂ©reux dans mon attribution de « like » en poussant parfois, dans les bonnes occasions, jusquâĂ lâĂ©lan positif du petit cĆur rouge.
Au total,  il y a dans le partage de lâexpression sur Facebook une incitation Ă la gratitude et Ă la louange. Dâune certaine maniĂšre, facebook peut ĂȘtre une Ă©cole de bienveillance.  Puis-je y apprendre Ă manifester davantage attention, compassion, priĂšre. Si, pour moi, facebook est dâabord un espace de « bon voisinage » , il oriente mon regard au delĂ . Câest un chemin.
J H
- Nous mentionnons certains participants Facebook par leurs initiales
- Mon expérience de facebook : https://vivreetesperer.com/mon-experience-de-facebook/
par jean | Mai 5, 2021 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Vision et sens |
Une nouvelle vision du monde, une nouvelle maniÚre de croire à la suite de Jésus, mort et ressuscité
 Les grands penseurs du passĂ© nous inspirent encore aujourdâhui. Paul, au dĂ©part Saul de Tarse, puis souvent appelĂ© saint Paul ou lâapĂŽtre Paul fait partie de ces penseurs, bien quâil ait Ă©tĂ© aussi un homme dâaction, pionnier des premiĂšres communautĂ©s chrĂ©tiennes dans le monde grĂ©co-romain.
Mais pourquoi nous intĂ©resser Ă Paul aujourdâhui ? Dans un contexte ou le christianisme institutionnel dĂ©cline, non sans rapport avec un ordre patriarcal et hiĂ©rarchique, on regarde de plus en plus aujourdâhui vers la dynamique du christianisme dans les deux premiers siĂšcles, la pĂ©riode de lâ« invention du christianisme » selon le titre dâun ouvrage collectif consacrĂ© Ă ce thĂšme (1). On y remarque que la rĂ©fĂ©rence Ă JĂ©sus apparaĂźt trĂšs tĂŽt aprĂšs son dĂ©part, dĂšs le dĂ©but des annĂ©es 50 dans les Ă©pitres de Paul, bien avant la rĂ©daction des Ă©vangiles. Paul ne crĂ©e pas seulement des Ă©glises dans le monde grĂ©co-romain, il se fonde sur la mort et la rĂ©surrection de JĂ©sus et lâinterprĂšte comme un Ă©vĂ©nement dĂ©terminant dans lâhistoire du monde. Quelle signification pour nous aujourdâhui ? Or, un grand exĂ©gĂšte britannique et par ailleurs, auteur de nombreux livres, N T Wright vient dâĂ©crire une biographie de Paul (2) qui rĂ©pond Ă nos questions.
Un nouveau monde en gestation
Au dĂ©part N T Wright dissipe un malentendu. Dans le passĂ© et jusque dans la jeunesse de lâauteur, beaucoup de chrĂ©tiens percevaient le christianisme dans une perspective de salut individuel : « aller au ciel au moment de la mort » ; ĂȘtre « sauvé » et ĂȘtre « glorifié », pour reprendre les termes de Paul, signifiait « aller au ciel ». CâĂ©tait une attente en rapport avec des « questions mĂ©diĂ©vales ». « Le cadre de la terre et du ciel a Ă©tĂ© une construction du haut Moyen Age ». Or, « Les chrĂ©tiens du premier siĂšcle nâattendaient pas que leurs Ăąmes quittent le monde prĂ©sent matĂ©riel ». Ce qui Ă©tait premier pour Paul et les nouveaux chrĂ©tiens, câĂ©tait « la venue conjuguĂ©e du ciel et de la terre dans un grand acte de renouveau cosmique dans lequel les corps humains seraient renouvelĂ©s pour prendre leur place dans ce nouveau monde » (p 8). Paul a une vision nouvelle de lâhistoire. Il parlait de lâhistoire comme ce qui arrive dans le monde rĂ©el : le monde de lâespace, du temps et de la matiĂšre. Il Ă©tait un juif qui croyait dans la bontĂ© de la crĂ©ation originelle et Ă lâintention du CrĂ©ateur de renouveler ce monde. Son Ă©vangile de salut portait sur le Messie dâIsraĂ«l comme cela avait Ă©tĂ© promis dans les psaumes. Ce que Dieu avait fait en JĂ©sus et Ă travers lui câĂ©tait un mouvement « ciel et terre » et non dâoffrir un espace extra-terrestre.
Le message de Paul
N T Wright nous rapporte la vie de Paul dans un univers multiculturel. Mais le message de Paul nâest pas une synthĂšse philosophique. Il se fonde sur un Ă©vĂ©nement, la mort et la rĂ©surrection de JĂ©sus, et il sâenracine dans la culture juive, dans une histoire. Cette histoire est « lâhistoire dâIsraĂ«l comme enfants dâAbraham, IsraĂ«l choisi par Dieu, choisi dans le monde, mais Ă©galement IsraĂ«l choisi pour le monde, IsraĂ«l, le peuple de la PĂąques sauvĂ© de lâesclavage, le peuple avec lequel Dieu a fait alliance, le peuple Ă travers lequel toutes les nations seront bĂ©nies » (p 18). A lâĂ©poque, des signes donnent Ă penser que pour beaucoup de juifs, la Bible nâĂ©tait pas dâabord un ensemble de rĂšgles et de prescriptions, mais un grand rĂ©cit ancrĂ© dans la crĂ©ation et dans lâalliance et avançant dans lâombre de lâinconnu (p 18). Et cette histoire nâĂ©tait pas terminĂ©e. Elle Ă©tait accompagnĂ©e de promesses et dĂ©bouchait sur une espĂ©rance : un nouvel exode, une nouvelle restauration (p 19). Dans la rĂ©vĂ©lation de JĂ©sus, mort et ressuscitĂ©, Paul envisage cette histoire dans une perspective universaliste. Ainsi va-t-il appeler les juifs comme les non-juifs Ă entrer dans le mouvement de JĂ©sus. Ainsi les Ă©pitres nous proposent un message Ă la dimension du monde entier. N T Wright Ă©voque plusieurs textes de la Bible qui inspirent cette approche. Ainsi le psaume 2 : « Tu es mon fils. Aujourdâhui je tâai engendrĂ©. Demande-moi et je te donne les nations en hĂ©ritage, pour domaine, la terre toute entiĂšre ». Paul croit quâĂ travers JĂ©sus, sa mort et sa rĂ©surrection, le Dieu Un a vaincu toutes les puissances nĂ©fastes exerçant une emprise sur le monde. Et le pardon est accordĂ© Ă tous. Cela signifie que tous les hommes, et pas seulement les juifs, sont libres pour adorer le Dieu Un. « Il nây a plus de barriĂšres entre juifs et non juifs » (p 79) ;
Des communautés nouvelles. Un nouveau genre de vie
 Les nouvelles communautĂ©s qui apparaissent rassemblent des juifs et des non-juifs dans un nouveau genre de vie. Elles dĂ©passent et traversent les frontiĂšres de « la culture, du genre, de lâethnie, du milieu social », elles sont contre-culturelles, une rĂ©alisation unique Ă lâĂ©poque. (p 91). Ce mouvement est « profondĂ©ment dĂ©pendant de « la prĂ©sence et de lâinspiration puissante du Saint Esprit », dans le dĂ©ploiement dâune grande Ă©nergie (p 93). Le nouveau genre de vie, qui apparaĂźt ici, sera, dans le long terme, le point de dĂ©part dâun changement des mentalitĂ©s et dâune rĂ©volution sociale politique, telle que nous la dĂ©crit lâhistorien britannique, Tom Holland, dans son livre : « les chrĂ©tiens. Comment ils ont changĂ© le monde » (4). « La vision de Paul Ă©tait celle dâune sociĂ©tĂ© dans laquelle chacun travaille pour tous et tous pour chacun » (p 427).
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GenĂšse dâune thĂ©ologie
 Cependant lâapport principal de ce livre ne nous parait pas lĂ . Ce livre nâĂ©tudie pas seulement la vie de Paul dans les diffĂ©rente Ă©tapes de sa vie, la fondation des communautĂ©s et la rĂ©daction des lettres quâil leur adresse : les Ă©pitres, mais il analyse lâinspiration de ces Ă©pitres dans leur apport retentissant. Ce quâil nous dit, câest que la pensĂ©e de Paul se fonde sur lâĂ©vĂ©nement de la vie, de la mort et de la rĂ©surrection de JĂ©sus, quâelle sâappuie sur le rĂ©cit biblique en proclamant lâaccomplissement du plan divin Ă long terme (p 119). « Le CrĂ©ateur du monde a rĂ©alisĂ© en JĂ©sus la chose quâil avait promise, accomplissant le rĂ©cit ancien qui remonte Ă Abraham et Ă David⊠Les Ă©checs sont maintenant surmontĂ©s. La mort du Messie a vaincu les puissances qui asservissaient Ă la fois les juifs et les gentils et sa rĂ©surrection a lancĂ© un nouvel ordre du monde « sur terre comme au ciel ». Il y a maintenant un seul peuple, le peuple du Messie (p 130).
Si ce message a Ă©tĂ© Ă©crit dans un lointain passĂ©, il nous paraĂźt quâil demeure actuel aujourdâhui. Il peut ĂȘtre entendu par ceux qui gardent une mĂ©moire malheureuse dâune religion qui se dĂ©tournerait du monde et trierait les personnes dans leur destinĂ©e. Il peut ĂȘtre entendu par nous tous en quĂȘte de boussole dans un monde incertain. A partir de la mort de la rĂ©surrection de JĂ©sus, câest une dynamique de vie qui sâexprime lĂ . La thĂ©ologie de lâespĂ©rance que nous apporte par ailleurs JĂŒrgen Moltmann (4) sâappuie sur cette dynamique. Elle sâinscrit dans cette perspective « eschatologique ». Elle met en valeur la « nouvelle crĂ©ation » qui est en route en Christ. Et comme lâexprime JĂŒrgen Moltmann, câest une religion tournĂ©e vers lâavenir. On retrouve ici la vision de Paul : une dynamique de vie.
J H
- Sous la direction de Roselyne Dupont-Roc et Antoine Guggenheim. AprĂšs JĂ©sus. Lâinvention du christianisme. Albin Michel, 2020
- N T Wright. Paul. A biography. Harper One, 2018
- Comment lâesprit de lâEvangile a imprĂ©gnĂ© les mentalitĂ©s occidentales et quoiquâon dise, reste actif aujourdâhui : https://vivreetesperer.com/comment-lesprit-de-levangile-a-impregne-les-mentalites-occidentales-et-quoiquon-dise-reste-actif-aujourdhui/
- JĂŒrgen Moltmann est trĂšs prĂ©sent sur ce blog. Un blog : Vivre par lâEsprit, est spĂ©cialement dĂ©diĂ© Ă son Ćuvre thĂ©ologique : https://lire-moltmann.com
par jean | Juil 10, 2012 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Hstoires et projets de vie |
Ethique, communication et potentiel humain
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Myriam est coach marketing. Elle conseille des entrepreneurs, des coachs, des consultants dans leur démarche marketing.
        Sur son site : MonCoachMarketing.com (1), Myriam présente ainsi son approche de travail :
« Ma passion, câest de collaborer avec mes clients pour les aider Ă libĂ©rer leur potentiel ;
Câest de leur dĂ©voiler comment identifier et communiquer sur leur cĆur dâexpertise, sur ce qui fait quâils sont uniques ;
Ce qui me motive : transmettre cette passion pour communiquer au delĂ de leurs produits, sur les bĂ©nĂ©fices quâils ont et ce que perçoivent leurs clients.
Câest de les aider Ă se connecter de façon crĂ©dible, authentique et impactante avec leurs futurs clients et partenairesâŠ
De plus, je mâengage Ă mettre Ă votre service, avec excellence, mon propre potentiel, mes dons, mes talents et Ă toujours agir dans un respect rĂ©ciproque et en cohĂ©rence avec mes valeurs.
Je vous accompagne dans votre dĂ©marche marketing. Alliant professionnalisme et valeurs humaines, ma mĂ©thode se base sur la capitalisation de vos acquis (tant professionnels que personnels), sur lâidentification de vos freins et la dĂ©finition dâactions concrĂštes qui nous conduisent sur le chemin de la rĂ©ussite ».
Les témoignages qui figurent sur le site de Myriam, montrent comment sa démarche est reçue et correspond aux désirs de certains de ses clients :
« Myriam mâa fait rĂ©aliser que le marketing, câest un Ă©tat dâesprit :
VoilĂ comment je le rĂ©sume : Viser la cohĂ©rence entre lâidentitĂ© et lâimage que lâon veut envoyer ou encore ĂȘtre au dedans ce que lâon prĂ©tend ĂȘtre au dehors. De quoi mĂ©diter, nâest-ce pas ?
Le marketing est une étape primordiale. Ce qui, pour moi, était au départ brouillon et confus, est devenu clair et précis en trois rendez-vous.
Sans lâaccompagnement marketing, il est Ă©vident que jâaurais certainement mis plus de temps Ă y arriver, voire pas du tout ! »
Oly Auger
« Je croyais rĂ©flĂ©chir et faire sĂ©rieusement le tour de mes problĂšmes. Jâavais lâimpression parfois de tourner en rond, de rĂ©soudre un problĂšme pour le voir rĂ©apparaĂźtre un peu plus tard. Jâaurais du me douter que je nâallais pas au fond de certaines choses, mais je ne mâĂ©tais pas rendu compte Ă quel point cela impactait ma maniĂšre de faire, donc mes rĂ©sultats.
Myriam mâa montrĂ© comment jâescamotais certaines questions, comment jâĂ©vacuais certains problĂšmes en pensant les avoir traitĂ©s. Elle ne me lâa jamais dit aussi directement, mais sa façon de revenir Ă lâessentiel, de toujours me ramener au cĆur du sujet, mâa fait voir Ă quel point il est difficile de se poser Ă soi mĂȘme les bonnes questions⊠et dây rĂ©pondre.
MĂȘme si jâĂ©tais parfois agacĂ©, jâai beaucoup apprĂ©ciĂ© son savoir-faire. Elle comprend votre problĂ©matique, mais surtout elle sait vous relancer jusquâĂ ce que vous vous soyez posĂ© la bonne question et jusquâ ce que vous ayez apportĂ© la rĂ©ponse qui vous satisfait (vous, pas elle). Avec Myriam, mon niveau dâexigence est montĂ© de plusieurs crans et grĂące Ă cela, mes rĂ©sultats se sont nettement amĂ©liorĂ©s. »
Etienne
Myriam nous dit comment elle sâest acheminĂ© vers ce travail qui la passionne…
Petite, dĂ©jĂ , j’aimais aider les autres. Ăcouter, aider Ă trouver des solutions, transmettre… Lorsque j’ai fait mes Ă©tudes aux Ătats Unis, ce qui me passionnait c’Ă©tait ce qui touchait Ă l’enseignement et au  »counseling » (la relation d’aide). De retour en France, je ne souhaitais pas entrer Ă l’Ă©ducation nationale, et je ne connaissais pas de formation, en 1984, pour continu mes Ă©tudes en relation d’aide…
Je me suis donc dirigĂ©e vers une filiĂšre plus âtraditionnelleâ en entreprise. Assistante de direction puis administration des ventes. Au bout de quelques annĂ©es, je me suis retrouvĂ©e dans une entreprise de l’industrie papetiĂšre ou j’ai appris le marketing et la communication. J’y suis restĂ©e prĂšs de 20 ans, et mes expĂ©riences de responsable communication et de chef de produit sont aujourd’hui trĂšs prĂ©cieuses pour moi. J’ai Ă©galement pu suivre une formation longue de formateur.
Lorsque j’ai bĂ©nĂ©ficiĂ© d’un plan social, l’annĂ©e de mes 40 ans, c’Ă©tait le bon moment pour faire le point et savoir ce que je voulais vraiment dans la vie… De rassembler ce que je savais faire, ce que j’aimais faire, et surtout de voir comment je pouvais donner un sens a ma vie professionnelle afin qu’elle soit en cohĂ©rence avec mes valeurs chrĂ©tiennes, mon besoin de servir, mon besoin profond de travailler avec des personnes pour qui l’authenticitĂ© est Ă©galement important. J’avais besoin de sentir que ma contribution faisait une diffĂ©rence dans la vie d’autrui.
La formation, oui, ça en faisait partie. Mais quoi d’autre ? Ca n’Ă©tait pas suffisant pour moi. J’ai suivi la formation de relation d’aide de Jacques Poujol, pendant 3 ans. Cela m’a beaucoup apportĂ© au niveau personnel, d’autant plus qu’Ă 40 ans, on n’a pas la mĂȘme approche de la vie qu’Ă 20 ans.
Je sentais que je commençais Ă m’aligner avec moi-mĂȘme…
Et pendant la 3Ăšme annĂ©e de cette formation, j’ai Ă©galement suivi une formation certifiante de coach… Cela m’a permis encore plus de m’aligner avec mes valeurs profondĂ©ment ancrĂ©es dans ma foi en Dieu, dans ce besoin d’aider et me mettre au service d’autrui…
Mais comment faire concrĂštement ? Comment capitaliser sur 20 ans d’expĂ©rience tout en restant cohĂ©rente avec ma mission de vie, mes valeurs, le service, la crĂ©ativitĂ©, l’efficacitĂ©, l’authenticitĂ© ?
Comment donc allier le marketing et le coaching ?
Telle quâelle prĂ©sente son travail et telle quâelle le vit, lâapproche de Myriam sâinspire dâun ensemble de valeurs. Comment cette « alchimie » sâest-elle opĂ©rĂ©e ? Quelle en est la dynamique ?
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âComme le dit Oly dans son tĂ©moignage ci-dessus, je l’ai aidĂ©e Ă comprendre que le marketing est un Ă©tat d’esprit, une attitude qui met le Client au centre. Et si on remplace le mot  »client » par  »autrui » ??
C’est lĂ ou se trouve l’un des secrets de cette alchimie.
C’est pourquoi j’ai commencĂ© Ă dĂ©velopper le programme de  »marketing de soi ». Je sais, le mot  »marketing » est souvent perçu avec un connotation nĂ©gative. Or tout dĂ©pend ce que l’on en fait…
L’approche est justement d’ĂȘtre Ă l’Ă©coute, d’aller au devant du client (d’autrui :), de connaĂźtre ses frustrations et de lui montrer qu’il existe une solution…Â C’est ce marketing authentique qui me passionne.
Dans  »le marketing de soi », que j’ai ensuite dĂ©clinĂ© en  »marketing de l’entrepreneur »,  »marketing du coach »,  »marketing du consultant », la dĂ©marche est la mĂȘme : identifier son cĆur rĂ©el d’expertise, ses valeurs profondes, sa  »mission ». Et le communiquer clairement, avec authenticitĂ©. Ătre vrai, rayonner son message…
LibĂ©rer son potentiel…
Et communiquer de façon crĂ©dible et authentique… â
Contribution de Myriam Vandenbroucque
(1)Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â http://moncoachmarketing.com/
par jean | Juil 9, 2018 | ARTICLES, Vision et sens |
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Extraits du livre de Richard Rohr : The divine dance
Dans un article prĂ©cĂ©dent (1), nous avons prĂ©sentĂ© le livre de Richard Rohr : « The divine dance. The Trinity and your transformation ». (La danse divine. Dieu trinitaire et votre transformation). Il nous parle dâun Dieu qui est communion dâamour et prĂ©sence relationnelle. De nombreux commentateurs convergent pour voir dans ce livre, un ouvrage original qui ouvre un nouvel horizon.
En attendant une traduction de ce livre en français, en voici quelques extraits dans une traduction en français qui ne relĂšve pas dâune compĂ©tence professionnelle, mais qui sâefforce de rapporter une pensĂ©e vive et profonde.
Ces extraits suscitent notre réflexion. Ils nous questionnent et ils nous interpellent. Ils éveillent notre méditation. Ils nous invitent à lire le livre de Richard Rohr pour poursuivre notre découverte et notre recherche.
La prĂ©sence unifiante de Dieu est dĂ©jĂ lĂ
Au cĆur de lâexpĂ©rience spirituelle, « accepter que nous sommes acceptĂ©s et vivre en consĂ©quence ».
Mais tant dâobstacles au sein mĂȘme de lâunivers religieux : « Nous vivons dans lâautoaccusationâŠ. nous sommes convaincus que nous sommes indignes⊠nous avons Ă©tĂ© tellement anesthĂ©siĂ©s Ă la bonne nouvelle de lâEvangile que la question de notre union Ă Dieu a Ă©tĂ© rĂ©solue une fois pour toute »⊠Il y a aussi la rĂ©sistance dâun ego et dâune autosuffisance.
Mais la grĂące est lĂ . « Vous ne pouvez pas crĂ©er votre union Ă Dieu. Elle vous est dĂ©jĂ donnĂ©e. La diffĂ©rence nâest pas entre ceux qui sont unis Ă Dieu et ceux qui ne le sont pas. Nous sommes tous unis Ă Dieu, mais seulement certains dâentre nous le savent ».
(p 109)
Une vie bonne, câest une vie en relation
Lorsquâune personne est sĂ©parĂ©e, isolĂ©e, seule, la maladie menace.
« La voie de JĂ©sus, câest une invitation Ă une vision trinitaire de la vie, de lâamour, et de la relation sur la terre comme au sein de la DivinitĂ©. Comme la TrinitĂ©, notre nature, câest de vivre en pleine relation. Nous appelons cela lâamour. Nous sommes faits pour lâamour et, en dehors de cela, nous mourons trĂšs rapidement ».
« Dieu est entiĂšrement relation », nous dit Richard Rohr. « Je dĂ©crirai le salut comme Ă©tant simplement le dĂ©sir et la capacitĂ© dâĂȘtre en relation »
(p 46-47)
Etre ensemble
Richard Rohr nous rapporte une affirmation qui est prĂ©sente dans les quatre Ă©vangiles Ă la fois : « Quiconque vous accueille mâaccueille, et quiconque mâaccueille, accueille celui qui mâa envoyé » (1).
« Si vous avez grandi dans le christianisme, vous avez entendu souvent ce verset. Mais vous ĂȘtes vous arrĂȘtĂš pour rĂ©flĂ©chir Ă ce qui vraiment arrivait lĂ Â ? JĂ©sus dit quâil y a une Ă©quivalence morale entre vous, votre prochain, le Christ et Dieu. Câest une chaine Ă©tonnante entre les ĂȘtres qui nâest pas Ă©vidente pour un observateur occasionnel.
Cette nouvelle ontologie, cette nouvelle maniĂšre de parcourir la rĂ©alitĂ©, est le cĆur et le fondement de toute la rĂ©vĂ©lation, de toute la rĂ©volution chrĂ©tienne. Cela vient profondĂ©ment remodeler notre comprĂ©hension de qui Dieu est et ou il se trouve. Et aussi de qui nous sommes et oĂč nous sommes.
Est-ce que vous allez recevoir cette vision ? Dieu nâest pas lĂ bas Ă lâextĂ©rieur, ce que la religion a envisagĂ© depuis le dĂ©but. On doit se demander : quelle est lâexpĂ©rience nouvelle qui a permis Ă tous les quatre Ă©vangiles de parler dâune maniĂšre si peu conforme et cependant si assurĂ©e ? ».
(1) Matthieu 10.40 Marc 9.37 Luc 10.16 Jean 13.20
(p 164)
ReconnaĂźtre le champ de la force divine.
« Comme nous accordons nos cĆurs Ă une vision plus vaste, nous commençons Ă faire lâexpĂ©rience de Dieu presque comme un champ de force pour emprunter une mĂ©taphore Ă la physiqueâŠ. Et nous sommes tous dĂ©jĂ dans ce champ de force, que nous le sachions ou pas, de la mĂȘme façon que des hindous, des bouddhistes, des gens de toute race et de toute nationalitĂ©Â . Dieu ne commence pas et ne sâarrĂȘte pas Ă une frontiĂšre.
Quand vous vous ouvrez au flux de la rĂ©alitĂ© fondamentale Ă travers votre vie, vous ĂȘtes une personne universelle qui vit au delĂ de ces frontiĂšres que les ĂȘtres humains aiment crĂ©er. Paul lâexprime joliment : « Notre citoyennetĂ© est dans les cieux ».
En devenant plus ĂągĂ©, je suis devenu prĂȘt quotidiennement Ă accepter et Ă faire confiance au champ de force en sachant quâil est bon, quâil est totalement de notre cĂŽtĂ© et que je suis dĂ©jĂ Ă lâintĂ©rieur. Comment pourrions-nous ĂȘtre en paix autrement ?
Câest seulement dans cette acceptation et cette confiance de base que je puis cesser de me polariser sur telle ou telle chose dans mon mental ou mĂȘme de me crĂ©er des problĂšmes mentaux.
( p 111)
A lâencontre dâun pouvoir dominateur, une puissance partagĂ©e
  « La TrinitĂ© nous dit que le pouvoir de Dieu nâest pas domination, menace, coercition. A la place, il est dâune nature totalement diffĂ©rente, ce Ă quoi les disciples de JĂ©sus ne se sont pas encore ajustĂ©s. Si le PĂšre ne domine pas le Fils,, si le Fils ne domine pas le Saint Esprit et si lâEsprit ne domine pas le PĂšre et le Fils, alors, il nây a pas de domination en Dieu. Toute puissance divine est une puissance partagĂ©e, ce qui devrait avoir complĂštement changĂ© la politique et la relation chrĂ©tienne. Dans la TrinitĂ©, il nây a pas de recherche de pouvoir sur,  mais seulement un pouvoir avec, un don sans retenue, un partage, un lĂącher prise et, ainsi, une confiance et une rĂ©ciprocitĂ© infinie. Il y a lĂ une puissance pour changer nos relations dans le mariage, la culture et mĂȘme les relations internationalesâŠÂ »
(p 95-96)
Trois
« Il faut une personne pour ĂȘtre un individu. Il faut deux personnes pour faire un couple. Et il faut au moins trois personnes pour faire une communauté⊠Trois (« trey ») crĂ©e la possibilitĂ© pour les gens dâaller au delĂ de leur intĂ©rĂȘt personnel. Câest le commencement dâun sens du bien commun, dâun projet commun au delĂ de ce qui correspond aux intĂ©rĂȘts personnels. Trois crĂ©e de la stabilitĂ© et de la sĂ©curitĂ© qui est essentielle pour une communautĂ©.
Parce que la rĂ©alitĂ© ultime de lâunivers rĂ©vĂ©lĂ©e dans la TrinitĂ© est une communautĂ© de personnes en relation les unes avec les autres, nous savons que trois (« trey ») est le seul moyen possible pour les gens de se relier les uns aux autres avec lâindividualitĂ© de chacun, la rĂ©ciprocitĂ© de deux, la stabilitĂ©, objectivitĂ© et subjectivitĂ© de trois »   (dâaprĂšs Dave Andrews)
(p 101)
Une confiance naturelle Ă lâexemple de lâenfant
« Tournons-nous vers lâexemple de lâenfant pour rĂ©aliser la vertu naturelle de lâespĂ©rance. Les experts en marketing nous disent que les enfants (et les chiens) sont encore plus efficaces que le sexe dans la publicitĂ©. Pourquoi ? Parce que les enfants et les chiens sont encore remplis par une espĂ©rance naturelle et lâattente quâon rĂ©pondra Ă leur sourire. Ils tendent Ă Ă©tablir un contact direct Ă travers leur regard⊠Câest lâĂȘtre pur, câest le flux sans inhibition.
Câest pourquoi JĂ©sus nous a dit dâĂȘtre comme des enfants. Il nây a rien qui arrĂȘte le pur flux qui sâexprime dans un enfant ou dans un chien. Et câest pourquoi quiconque a une once dâhumanitĂ© et dâamour en lui est sans dĂ©fense vis Ă vis dâune telle prĂ©sence »
Câest une Ă©vocation de la prĂ©sence de Dieu. « Nous voyons dans ce flux toute attirance pour la beautĂ©, toute admiration, toute extase, toute la solidaritĂ© avec la souffrance. Quiconque qui sâouvre pleinement au flux verra lâimage divine mĂȘme dans des lieux qui sont devenus laids ou dĂ©faits. Câest la vision universelle de la Trinité »
( p 81-82)
Tous solidaires
« Nous ne pouvons sĂ©parer JĂ©sus du Dieu trinitaire. Cependant, le pratiquant moyen nâa jamais eu la chance dâaccĂ©der Ă une Ă©conomie de la grĂące bien plus vaste »âŠ
Nous pensons dans une perspective de raretĂ©. Elargissons notre horizon. LâespĂ©rance elle-mĂȘme sâapplique en premier au collectif. Nous avons cherchĂ© Ă susciter de lâespĂ©rance chez un individu isolĂ© dans un cosmos, une sociĂ©tĂ© et une humanitĂ© vouĂ©s Ă la dĂ©sespĂ©rance et Ă la punition. Il est trĂšs difficile pour des individus de jouir de la foi, de lâespĂ©rance et de lâamour, et mĂȘme de prĂȘcher la foi, lâespĂ©rance et lâamour, qui seuls Ă©lĂšvent, si la sociĂ©tĂ© elle-mĂȘme ne jouit pas de cette foi, de cette espĂ©rance et de cet amour. Câest une bonne partie de notre problĂšme aujourdâhui. Nous nâavons pas donnĂ© au monde un message Ă la dimension cosmiqueâŠ
Dieu, en tant que Dieu trinitaire, donne de lâespĂ©rance Ă la sociĂ©tĂ© dans son ensemble parce que cela dĂ©coule de la nature mĂȘme de son existence et non sur les conduites fluctuantes et instables des individus ».
(p 81)
Louange de la création
 Dans une Ćuvre crĂ©atrice, LâEsprit Saint tend Ă multiplier continuellement des formes toujours nouvelles de crĂ©ativitĂ© et de vie. On dit que 2/3 des formes de vie existent sous les mers. Et un tiers dâentre elles nâont jamais Ă©tĂ© entrevues par un Ćil humain . « Quâest-ce quâune forme de vie en dehors de nous pour le voir ? » peuvent sâimaginer des humains autocentrĂ©s. Leur valeur ne dĂ©pend pas de notre reconnaissance Ă leur sujet. Comme les psaumes le disent de nombreuses maniĂšres, « les cieux proclament la gloire de Dieu » (Psaume 19.1).
De fait, la grande majoritĂ© des animaux et des fleurs qui ont existĂ©, nâont jamais Ă©tĂ© observĂ©s par lâĆil humain. Ils forment le cercle universel de la louange. Simplement en existant, en ne faisant rien, toute chose rend grĂące Ă Dieu. Toute chose. En existant, simplement en existant. Câest le fondement. Si vous dĂ©sirez ĂȘtre un contemplatif, câest tout ce que vous avez besoin de savoir. Toute chose, en Ă©tant elle-mĂȘme, donne pure gloire Ă DieuâŠ. »
Richard Rohr cite ensuite une Ă©crivaine apprĂ©ciĂ©e : Annie Dillard. « Nous sommes lĂ pour tĂ©moigner de la crĂ©ation et pour lâencourager. Nous sommes lĂ pour remarquer chaque chose de telle maniĂšre Ă ce que chaque chose se trouve remarquĂ©e. Ensemble nous remarquons chaque ombre dâune montagne, chaque pierre sur la plage, mais tout particuliĂšrement, les beaux visages et natures complexes des uns et des autresâŠAutrement, la crĂ©ation serait en train de jouer dans une maison vide ».
(p 187-188)
LâEcriture en mouvement
« LâEcriture est Ă la fois pleinement humaine et pleinement divine. Elle est toujours Ă©crite par des humains dans une perspective humaine. Nous lâappelons « Parole de Dieu », mais la seule « Parole de Dieu » endossĂ©e sans Ă©quivoque dans les pages de la Bible, câest JĂ©sus, le Logos Ă©ternel.
Dans mon livre : « Des choses cachĂ©es. LâEcriture comme spiritualité », jâai dĂ©crit la Bible comme une progression graduelle allant de lâavant. Le narratif est en mouvement vers une thĂ©ologie toujours plus dĂ©veloppĂ©e de la grĂące, jusquâĂ ce que JĂ©sus devienne la grĂące personnifiĂ©e. Mais câest un concept que le psychisme humain nâest jamais complĂštement prĂȘt Ă accepter. Nous rĂ©sistons et vous verrez aussi dans la majoritĂ© des textes bibliques ce que lâanthropologue RenĂ© Girard appelle « un texte en travail », un texte souffrantâŠ.
Câest encore vrai dans le Nouveau Testament, oĂč mĂȘme les dĂ©clarations de Jean sur lâamour inconditionnel sont encore accompagnĂ©es de lignes qui semblent impliquer un amour conditionnel, ainsi : « Si vous obĂ©issez Ă mes commandements » est formulĂ© Ă plusieurs reprisesâŠPsychologiquement, les humains ont rĂ©ellement encore besoin de quelque amour conditionnel pour aller vers la reconnaissance et le besoin dâun amour inconditionnel. Nous avons reçu la promesse dâun plein amour (grĂące) ici et maintenant, mais câest toujours trop Ă croire pour lâesprit et pour le cĆurâŠ.
Le texte biblique reflĂšte Ă la fois la croissance et la rĂ©sistance de lâĂąme. LâEcriture est une symphonie polyphonique, une conversation avec elle-mĂȘme oĂč elle joue des mĂ©lodies et des dissonances, trois pas en avant, deux pas en arriĂšre. Progressivement et finalement, les trois pas lâemporteront. Le texte se dĂ©place inexorablement vers lâinclusivitĂ©, la grĂące, lâamour inconditionnel et le pardon. Jâappelle cela « lâhermĂ©neutique de JĂ©sus ». InterprĂ©tez les Ecritures de la maniĂšre dont JĂ©sus lâa fait. Il ignore, dĂ©nie ou sâoppose ouvertement Ă ses propres Ecritures, quand elles sont impĂ©rialistes, punitives, exclusivistes ou tribales. VĂ©rifiez par vous-mĂȘmeâŠ. »
( p 136-137)
Â
Ouvrir notre horizon
Faut-il redouter les apports dâautres traditions religieuses ?
« Dans notre climat fortement polarisĂ©, je sais que certains chrĂ©tiens ont appris pendant des gĂ©nĂ©rations Ă redouter tout ce qui ne vient pas « purement » de « nos » sources ». Cependant, « notre propre Ecriture contient des exemples dâapports apprĂ©ciĂ©s d âĂ©lĂ©ments de fois environnantes⊠Nous sommes peureux. Dieu, apparemment, est sans peurâŠSi la vĂ©ritĂ© est la vĂ©ritĂ©, si Dieu est un, alors il y a une rĂ©alitĂ© et il y a une vĂ©rité⊠Ne pourrait-on pas ĂȘtre heureux quand dâautres religions dĂ©duisent approximativement la mĂȘme chose ?… »
Richard Rohr a vĂ©cu en Inde, berceau dâune tradition religieuse trĂšs ancienne. « Dans la thĂ©ologie et dans le langage hindou, il y a trois qualitĂ©s de Dieu et donc de toute rĂ©alitĂ©. Jâai entendu frĂ©quemment ces mots : « sat, chit, ananda ».
Sat est le mot correspondant Ă lâEtre (Being). Dieu est lâEtre lui-mĂȘme. LâEtre universel, la source de tout ĂȘtre, nous lâappelons le PĂšre.
Chat est le mot pour conscience et connaissance. Dieu est conscience et esprit. Est-ce que cela ne rappelle pas le Logos ? Naturellement, notre concept biblique de Logos a Ă©tĂ© empruntĂ© Ă la philosophie grecque. Lâauteur de lâEvangile de Jean a dĂ©jĂ fait ce que je fais maintenant : emprunter Ă une sagesse extra-biblique, extra-judaĂŻque.
Et finalement, Ananda. Cela signifie : bonheur, bĂ©atitude. Est-ce que cela ne rĂ©sonne pas comme la joie de lâEsprit Saint, le bonheur que vous pouvez expĂ©rimenter lorsque vous vivez sans rĂ©sistance dans le flux. Vous ne savez pas dâoĂč Il vient, ce que JĂ©sus dit Ă propos de lâEsprit . Comme la grĂące elle-mĂȘme, ananda est un don qui vient de nulle part »âŠ
Je nâai pas Ă travailler dur pour reconnaĂźtre ici la dimension trinitaire :
Sat-Chit-Ananda.
Etre, connaissance, bonheur
PĂšre, Fils, Esprit.
La vérité est une et universelle
(p 140-141)
Sâouvrir au mystĂšre
« Câest seulement Dieu en nous qui comprend les choses de Dieu. Nous devons prendre cela trĂšs au sĂ©rieux et savoir comment il opĂšre en nous, avec nous, pour nous, comme nous. LâĂ©chec dans lâaccĂšs Ă notre propre systĂšme de fonctionnement a rendu une part du christianisme trĂšs immature et superficiel avec des clichĂ©s de seconde main au lieu dâune expĂ©rience calme, claire et immĂ©diate de la rĂ©alitĂ©. Cela nous a laissĂ© du cĂŽtĂ© de lâargumentation plutĂŽt que de lâapprĂ©ciation⊠ainsi, tout ce qui reflĂšte un mystĂšre reste statique dans la forme de dogmes et de doctrines, hautement abstrait, densĂ©ment mĂ©taphysique et largement non pertinent.
Pourquoi lâathĂ©isme occidental se dĂ©veloppe-t-il ? Pourquoi les chrĂ©tiens occidentaux produisent-ils le plus grand nombre dâathĂ©es ? Ce que crois, et jâai dĂ©diĂ© ma vie Ă renverser la tendance, câest que nous nâavons pas portĂ© le dogme et la doctrine au niveau de lâexpĂ©rience intĂ©rieure. Aussi longtemps que lâenseignement reçu ne devient pas une connaissance expĂ©rientielle, nous continuons Ă crĂ©er une grande quantitĂ© de croyants dĂ©sabusĂ©s ».
(p 123-124)
Guidance
« La vie de foi, câest un chemin vigilant pour apprendre comment demeurer paisiblement dans un Amour ultime et dans une Source infinie. Dâune façon trĂšs pratique, vous serez alors capables de dĂ©couvrir avec confiance que vous ĂȘtes gardĂ©s et guidĂ©s. De fait, aprĂšs quelque temps, vous pourrez avoir confiance que presque tout est en forme de guidance, absolument tout. Votre capacitĂ© Ă faire confiance Ă la rĂ©alitĂ© dâune guidance, va lui permettre de se rĂ©vĂ©ler. Etonnante logique, mais ne lâĂ©cartez pas jusquâĂ ce que vous ayez sincĂšrement essayĂ©. Jâai confiance que vous en viendrez Ă voir que câest vrai dans lâĂ©conomie divine des chosesâŠ
Certes, votre jugement calculateur pourra douter. Quand vous doutez de la possibilitĂ© de telles choses, vous arrĂȘtez le flux. Mais si vous demeurez dans la disposition de permettre et de faire confiance, lâEsprit en vous, vous permettra de lĂącher prise avec confiance. Il y a une raison pour cela. Je suis en train de vivre comme le fleuve sâĂ©coule, portĂ© par la surprise de son/mon dĂ©roulement. Je suis conduit. Câest bonâŠ
Sâil vous plait, nâentendez pas que jâadopte une approche fataliste, comme si vous ne pouviez travailler pour amĂ©liorer et changer la situation. En fait, câest tout le contraire. Vous pouvez.
Mais ce que je suis en train de vous dire, câest ce qui doit venir en premier Ă votre cĆur et Ă votre Ăąme doit ĂȘtre un oui et non un non, la confiance au lieu de la rĂ©sistance. Et quand vous pourrez avancer avec vos ouis et vous permettre de voir Dieu dans tous les moments de votre vie, vous reconnaitrez quâune telle Ă©nergie nâest jamais gaspillĂ©e, mais gĂ©nĂšre toujours de la vie et de la lumiĂšre »
(p 97-98)
Ces passages du livre de Richard Rohr et de Mike Morrell : « The divine dance » ouvrent des avenues pour notre réflexion et des pistes pour notre méditation. Si cette lecture suscite des échos, elle pourra inciter un éditeur à entreprendre une traduction en français.
(1)           Richard Rohr with Mike Morrell. The divine dance. The Trinity and your transformation. SPCK, 2016. Mise en perspective sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=2758
Sur ce blog, dans le mĂȘme esprit de stimulation et dâincitation, nous avons Ă©galement prĂ©sentĂ© des extraits du dernier livre de JĂŒrgen Moltmann : The living God and the fullness of life (Le Dieu vivant et la plĂ©nitude de vie) : https://vivreetesperer.com/?p=2758
par jean | Déc 25, 2023 | Société et culture en mouvement |
Des exemples de lâhistoire aux menaces actuelles.
 Power and progress
Par Daron Acemoglu et Simon Johnson
Il nây a pas trĂšs longtemps, tout ce qui paraissait un progrĂšs technologique excitait lâenthousiasme comme la promesse dâune abondance dans une sociĂ©tĂ© prospĂšre dâoĂč disparaitrait la pauvretĂ© et la misĂšre. Aujourdâhui, on se rend compte quâau cours des quatre derniĂšres dĂ©cennies, les sociĂ©tĂ©s occidentales et particuliĂšrement la sociĂ©tĂ© amĂ©ricaine, ont pris le chemin inverse, en devenant beaucoup plus inĂ©galitaires. Et on prend Ă©galement conscience que la course au dĂ©veloppement Ă©conomique bouleverse notre Ă©cosystĂšme planĂ©taire et dĂ©rĂ©gule le climat par un usage forcenĂ© des Ă©nergies fossiles. Aujourdâhui, la conscience Ă©cologique suscite une rĂ©action Ă lâĂ©chelle planĂ©taire. Face Ă des ambitions dĂ©mesurĂ©es, la prudence sâimpose et on en appelle mĂȘme aux mĂ©rites de la sobriĂ©tĂ©.
Deux chercheurs amĂ©ricains au MIT, Daron Acemoglu et Simon Johnson, directement confrontĂ©s Ă la course effrĂ©nĂ©e Ă lâautomatisation qui bouleverse les Ă©quilibres de lâĂ©conomie amĂ©ricaine, viennent dâĂ©crire un livre qui situe nos problĂšmes actuels dans une histoire longue oĂč lâon constate quâen maintes pĂ©riodes, les acquis du progrĂšs technologique ont Ă©tĂ© confisquĂ©s par un groupe dominant aux dĂ©pens des travailleurs ayant portĂ© cette innovation. Les auteurs nous apportent cependant une bonne nouvelle : Ă dâautres pĂ©riodes, des forces sociales se sont Ă©levĂ©es dans la sociĂ©tĂ© et ont permis un dĂ©veloppement Ă©quilibrĂ© au bĂ©nĂ©fice de tous. Ce livre : « Power and Progress. Our Thousand-year struggle over technology and prosperityâ (1) nous montre comment garder notre autonomie par rapport aux dĂ©voiements de processus Ă©conomiques contrĂŽlĂ©s Ă leur profit par des Ă©lites Ă©goĂŻstes ». « Le progrĂšs nâest pas automatique, mais il dĂ©pend des choix que nous faisons en matiĂšre de technologie. De nouvelles maniĂšres dâorganiser la production et la communication peuvent, soit servir les intĂ©rĂȘts Ă©troits dâune Ă©lite, soit devenir le fondement dâune prospĂ©ritĂ© Ă©tendue ». Ce problĂšme est dâactualitĂ© « à un Ă©poque oĂč les technologies digitales et lâintelligence artificielle accroissent lâinĂ©galitĂ© et minent la dĂ©mocratie Ă travers une automatisation excessive, une collecte massive des donnĂ©es et une surveillance intrusive ». « Il nâest pas obligĂ© quâil en soit ainsi. âPower and Progressâ dĂ©montre que la voie de la technologie peut ĂȘtre mise sous contrĂŽle. Les formidables avancĂ©es informatique du dernier demi-siĂšcle peuvent devenir des outils dâautonomisation et de dĂ©mocratisation, mais pas si les dĂ©cisions majeures demeurent dans les mains de quelques leaders technologiques animĂ©s par une hubris » (page de couverture). Ce livre, jusquâĂ prĂ©sent non traduit en français, est prĂ©sentĂ© en cette langue par un expert. On pourra se reporter Ă son article : « La chaire» a lu pour vous : https://www.chaireeconomieduclimat.org/points-de-vue/la-chaire-a-lu-pour-vous-power-and-progress-our-thousand-year-struggle-over-technology-and-prosperity-de-daron-acemoglu-et-simon-johnson/
Aussi, nous nous bornerons ici à présenter quelques aperçus significatifs de ce livre.
Comment des bénéfices de progrÚs technologiques substantiels ont été captés par une élite politique ou religieuse
Les auteurs remontent loin dans le passĂ© pour mettre en Ă©vidence, la maniĂšre dont des progrĂšs technologiques majeurs ont Ă©tĂ© captĂ©s par des Ă©lites politiques ou religieuses. Il y a environ douze mille ans, est apparu un processus menant Ă une agriculture installĂ©e, permanente, fondĂ©e sur des plantes et des espĂšces domestiquĂ©es. Des genres diffĂ©rents de sociĂ©tĂ© apparurent. Mais il y a 7000 ans, un rĂ©gime particulier se dĂ©veloppa dans le Croissant fertile. Le fondement Ă©tait une agriculture avec une seule rĂ©colte. Les inĂ©galitĂ©s Ă©conomiques sâintensifiĂšrent et une haute hiĂ©rarchie sociale apparut, consommant beaucoup. En Ăgypte, pyramides et tombes se dĂ©veloppĂšrent dans le cadre dâune Ă©lite comparable. Câest lĂ que les auteurs mettent en Ă©vidence lâintroduction des grains de cĂ©rĂ©ales comme « un exemple dâinnovation technologique ». Or, sous les auspices dâĂ©tats centralisĂ©s, la condition des paysans semble avoir Ă©tĂ© pire que celle de leurs ancĂȘtres. De fait, « les choix technologiques dans les premiĂšres civilisations ont favorisĂ© les Ă©lites et appauvri la plupart des gens ». Les auteurs dĂ©criront une situation comparable au Moyen Ăąge anglais. « Dans les deux cas, le systĂšme politique plaçait un pouvoir disproportionnĂ© dans les mains dâune Ă©lite. La coercition jouait un rĂŽle bien sĂ»r, mais le pouvoir de persuasion de la religion et les leaders politiques Ă©taient souvent un facteur dĂ©cisif » (p 115-120).
« Cependant, ni la monoculture du grain, ni lâorganisation hautement hiĂ©rarchisĂ©e qui extorquait le surplus aux fermiers, nâa Ă©tĂ© ordonnĂ©e ou dictĂ©e par la nature des rĂ©coltes correspondantes. MĂȘme la culture de cĂ©rĂ©ales nâa pas toujours produit lâinĂ©galitĂ© et la hiĂ©rarchie comme lâillustrent les plus Ă©galitaires vallĂ©es de lâIndus et la civilisation mĂ©soamĂ©ricaine. La culture du riz dans lâAsie du Sud-est a pris place dans le contexte de sociĂ©tĂ©s moins hiĂ©rarchiques⊠(p 122).
« Contrairement Ă une opinion rĂ©pandue, il y a eu un changement et une amĂ©lioration technologique significative dans la productivitĂ© Ă©conomique de lâEurope au Moyen Age⊠Cependant, il y a quelque chose de tout Ă fait sombre Ă cette Ă©poque. La vie des gens travaillant la terre resta dure et le niveau de vie des paysans peut mĂȘme avoir dĂ©clinĂ© dans certaines parties de lâEurope. La technologie et lâĂ©conomie ont progressĂ© dâune maniĂšre qui sâest rĂ©vĂ©lĂ©e nuisible pour la plus grande part de la population » (p 100-101). En Angleterre, le dĂ©veloppement des moulins a Ă©tĂ© une innovation dĂ©cisive. A la fin du XIe siĂšcle, il y a environ 6000 moulins Ă eau en Angleterre et ce nombre a doublĂ© durant les deux siĂšcles suivants et leur productivitĂ© sâest accrue. La productivitĂ© agricole sâest Ă©galement accrue. Malheureusement, il nây a pas eu une Ă©lĂ©vation correspondante des revenus chez les paysans. Le surplus a Ă©tĂ©, de fait, majoritairement consommĂ© par « la hiĂ©rarchie religieuse qui a construit des cathĂ©drales, des monastĂšres et des Ă©glises » (p 103). Cette construction a Ă©tĂ© couteuse. Le contrĂŽle fĂ©odal a exercĂ© une coercition : « Comme les nouvelles machines se dĂ©ployaient et que la productivitĂ© augmentait, les seigneurs fĂ©odaux ont exploitĂ© plus intensĂ©ment la paysannerie ».
Les auteurs nous rapportent ensuite comment sâest dĂ©roulĂ©e, au XVIIIe siĂšcle en Angleterre, la pression en faveur de la clĂŽture des terres, les « enclosures ». « Cette histoire a montrĂ© clairement que cette rĂ©organisation technologique de la production, mĂȘme lorsquâelle Ă©tait proclamĂ©e dans lâintĂ©rĂȘt du progrĂšs et du bien commun, avait pour consĂ©quence de mettre davantage Ă bas ceux qui Ă©taient dĂ©jĂ dĂ©pourvus de pouvoir ».
Les auteurs envisagent ensuite deux moments de lâhistoire trĂšs diffĂ©rents oĂč le progrĂšs technologique nâa pas profitĂ© aux travailleurs, mais a participĂ© Ă leur asservissement : lâintroduction de lâĂ©graineuse de grains de coton dans les plantations amĂ©ricaines Ă la fin du XVIIIe siĂšcle ; le dĂ©veloppement du machinisme agricole dans les annĂ©es 1920 en Union soviĂ©tique. « Le secteur cotonnier a fleuri Etats-Unis grĂące aux nouvelles connaissances comme lâĂ©graineuse de coton et dâautres innovations aux dĂ©pens des esclaves noirs travaillant dans les grandes plantations. LâĂ©conomie soviĂ©tique a grandi rapidement dans les annĂ©es 1920 en utilisant le machinisme, tel que les tracteurs et les moissonneuses batteuses, appliquĂ© aux champs de cĂ©rĂ©ales. Cependant, la croissance sâest produite au dĂ©triment de millions de petits paysans » (p 133).
Lorsque la prospérité accompagne le progrÚs technologique
Les auteurs nous prĂ©sentent dans ce livre une histoire du progrĂšs technologique. Ils consacrent ainsi le chapitre 5 Ă la grande rĂ©volution industrielle qui a mĂ©tamorphosĂ© le visage Ă©conomique de la Grande-Bretagne au XVIIIe et XIXe siĂšcle. Ce fut lâinvention bouleversante de la machine Ă vapeur. Ce livre nous rapporte cette Ă©popĂ©e industrielle, le dĂ©veloppement des mines de charbon, la fulgurante expansion des chemins de fer et une dynamique dâinvention et de rĂ©alisation de nouvelles machines.
Un changement technologique et Ă©conomique aussi consĂ©quent et radical apparait dans lâhistoire comme un phĂ©nomĂšne original. Les auteurs sâinterrogent donc sur les facteurs originaux de cette irruption. Ils mettent lâaccent sur un facteur « souvent sous-estimé » : « lâĂ©mergence dâune classe moyenne nouvellement enhardis : entrepreneurs et hommes dâaffaires. Leurs vies et leurs aspirations Ă©taient enracinĂ©s dans les changements institutionnels qui avaient commencĂ© Ă donner du pouvoir Ă ce milieu social depuis le XVIe et le XVIIe siĂšcle. La RĂ©volution industrielle peut avoir Ă©tĂ© propulsĂ©e par les ambitions de gens nouveaux essayant dâamĂ©liorer leur richesse et leur standing social, ce qui Ă©tait loin dâune vision inclusive » (p 45-46).
En effet, au dĂ©but de la RĂ©volution industrielle, si des hommes ont participĂ© Ă un enthousiasme innovant, « la premiĂšre phase de cette RĂ©volution a Ă©tĂ© appauvrissante et affaiblissante pour la plupart des gens. CâĂ©tait la consĂ©quence dâun fort parti pris dâautomatisation et dans le manque de voix ouvriĂšre en regard de la fixation des salaires. Ce ne sont pas seulement les moyens de subsistance qui ont Ă©tĂ© affectĂ©s nĂ©gativement par lâindustrialisation mais aussi la santĂ© et lâautonomie dâune bonne part de la population.
Cette affreuse image a commencĂ© Ă changer dans la seconde partie du XIXe siĂšcle quand des gens ordinaires se sont organisĂ©s et ont provoquĂ© des rĂ©formes politiques et Ă©conomiques. Les changements sociaux ont modifiĂ© lâorientation de la technologie et fait monter les salaires. Ce fut seulement une petite victoire pour une prospĂ©ritĂ© partagĂ©e et les pays occidentaux auront Ă cheminer plus longuement sur un chemin contestĂ©, technologique et institutionnel, pour rĂ©aliser une prospĂ©ritĂ© partagĂ©e » (p 56).
Selon les auteurs, lâemploi dĂ©pend des modes dâindustrialisation. Au dĂ©but de la rĂ©volution industrielle, lâautomatisation de la filature et du tissage a nui Ă lâemploi. Au contraire, dans la pĂ©riode ultĂ©rieure, le dĂ©veloppement des chemins de fer a suscitĂ© toute une gamme dâemploi.
« Les avancĂ©es dans les chemins de fer suscitĂšrent beaucoup de nouvelles tĂąches dans lâindustrie des transports et les emplois requĂ©raient toute une gamme de capacitĂ©s de la construction Ă la vente de tickets, maintenance, ingĂ©nierie, et management » (p 196). Des contrepoids sont apparus permettant le partage des bĂ©nĂ©fices du progrĂšs technologique. « Un machinisme et des mĂ©thodes de production se sont dĂ©veloppĂ©s et ont accru la productivitĂ© de lâindustrie britannique, en mĂȘme quâelle Ă©tendait aussi la gamme de tĂąches et dâopportunitĂ©s pour les travailleurs. Mais le progrĂšs technologique nâest jamais suffisant en lui-mĂȘme pour Ă©lever les salaires. Les travailleurs ont besoin de dĂ©velopper un plus grand pouvoir de nĂ©gociation vis-Ă -vis des employeurs ». Câest en 1871 que les syndicats devinrent pleinement lĂ©gaux en Grande-Bretagne (p 202).
Il y a dâautres pĂ©riodes oĂč le progrĂšs technologique a contribuĂ© Ă une diversification et Ă une multiplication des emplois. Les auteurs Ă©tudient en ce sens le dĂ©veloppement de lâĂ©lectrification et celui de la production dâautomobiles aux Etats–Unis. Ils envisagent la grande pĂ©riode de progrĂšs technologique, de croissance Ă©conomique et de bien-ĂȘtre social quâont Ă©tĂ© les trois dĂ©cennies qui ont suivi la seconde guerre mondiale. « Les Etats-Unis et les nations industrielles ont fait lâexpĂ©rience dâune croissance Ă©conomique rapide qui a Ă©tĂ© largement partagĂ©e par la plupart des groupes dĂ©mographiques. Ces tendances Ă©conomiques ont Ă©tĂ© de pair avec dâautres amĂ©liorations sociales, incluant lâexpansion de lâĂ©ducation, les soins de santĂ© et lâaugmentation de lâespĂ©rance de vie. Ce changement technologique nâa pas seulement automatisĂ© le travail mais il a aussi crĂ©Ă© de nouvelles opportunitĂ©s pour les travailleurs et ceci sâest inscrit dans un cadre institutionnel qui a renforcĂ© les contre-pouvoirs » (p 36).
« Quelle a Ă©tĂ© la sauce secrĂšte de la prospĂ©ritĂ© partagĂ©e dans les dĂ©cennies ayant suivi la seconde guerre mondiale ? La rĂ©ponse rĂ©side en deux Ă©lĂ©ments : une direction de la technologie qui a crĂ©Ă© de nouvelles tĂąches et emplois pour des travailleurs de tous les niveaux de qualification et un cadre institutionnel permettant aux travailleurs de partager les gains de productivitĂ© entre employĂ©s et employeurs » (p 240). Les auteurs traitent de cette histoire aux Etats-Unis en montrant comment elle a notamment bĂ©nĂ©ficiĂ© des rĂ©formes du New Deal et il aborde cette histoire Ă©quivalente de progrĂšs en Europe dans le contexte de la reconstruction aprĂšs la guerre et un esprit social tel quâil a Ă©tĂ© exprimĂ© en Angleterre dans le Rapport Beveridge qui proclame « lâabolition du besoin » (p 249).
Faire face aujourdâhui Ă la nouvelle crise Ă©conomique qui est venue sâinscrire dans la rĂ©volution digitale Ă travers un accroissement des inĂ©galitĂ©s et la menace dâune automatisation dĂ©vastatrice.
NĂ©e aux Etats-Unis et portant dâextraordinaires promesses, la rĂ©volution digitale y a Ă©tĂ© dĂ©tournĂ©e Ă la fin du XXe siĂšcle. « Les technologies digitales sont devenues le cimetiĂšre de la prospĂ©ritĂ© collective. Lâaugmentation des salaires a baissĂ©, la part du travail dans le revenu national a diminuĂ© fortement et lâinĂ©galitĂ© des salaires a surgi autour de 1980. Bien que de nombreux facteurs, incluant la globalisation et lâaffaiblissement du mouvement syndical, aient contribuĂ© Ă cette transformation, le changement opĂ©rĂ© dans la technologie est le plus important. Les technologies digitales ont automatisĂ© le travail et dĂ©savantagĂ© le travail par rapport au capital et les travailleurs peu qualifiĂ©s par rapport aux diplĂŽmĂ©s universitaires » (p 257). Dans la plupart des Ă©conomies industrialisĂ©es, la part du travail a diminuĂ©. Aux Etats-Unis, la rĂ©gression a pris un tour particuliĂšrement dĂ©favorable. Un fossĂ© sâest Ă nouveau accru entre les salaires des blancs et des noirs. LâinĂ©galitĂ© sâest considĂ©rablement accrue.
Les auteurs en imputent la cause principale Ă un automatisation massive. Dans les dĂ©cennies prĂ©cĂ©dant la seconde guerre mondiale, lâautomatisation est Ă©galement rapide, « mais elle Ă©tait contrebalancĂ©e par dâautres changements technologiques qui augmentaient la demande de travail.
La recherche rĂ©cente montre que depuis 1980, lâautomatisation sâest accĂ©lĂ©rĂ©e significativement et quâil y a moins de tĂąches et de technologies nouvelles qui crĂ©ent des opportunitĂ©s pour les gens. Ces changements entrent pour beaucoup dans la dĂ©tĂ©rioration de la position des travailleurs dans lâĂ©conomieâŠ
Lâautomatisation a Ă©tĂ© aussi un accĂ©lĂ©rateur majeur de lâinĂ©galitĂ© en affectant des tĂąches remplies particuliĂšrement par des travailleurs peu ou moyennement qualifiĂ©s » (p 261).
Les auteurs soulignent quâil nây a pas lĂ une fatalitĂ©. « La technologie a accru les inĂ©galitĂ©s Ă cause des choix que des entreprises ou de puissants acteurs ont effectuĂ©. La globalisation nâest pas sĂ©parĂ©e de cette question⊠De fait, il y a eu une synergie entre automatisation et globalisation avec le mĂȘme souci de rĂ©duire les coĂ»ts du travail et le nombre de travailleurs moins qualifiĂ©s. Ce processus a Ă©tĂ© facilitĂ© Ă la fois par le manque de contre-pouvoirs dans le milieu du travail et par lâĂ©volution politique depuis 1980 (p 263). Les auteurs dressent un tableau des pressions exercĂ©es par les grandes entreprises et les milieux dâaffaire et ils mettent en Ă©vidence les idĂ©ologies correspondantes telles que la « doctrine Friedman ». Dans dâautres pays, les dĂ©rives ont Ă©tĂ© moins marquĂ©es. Les auteurs mentionnent les cas de lâAllemagne et du Japon oĂč on a combinĂ© lâautomatisation et la crĂ©ation de tĂąches nouvelles (p 286).
Les auteurs critiquent une nouvelle âutopie digitaleâ : « la transformation de lâĂ©thique des hackers en une utopie digitale corporative est largement liĂ©e Ă une poursuite de lâargent et du pouvoir social » (p 289). Câest une idĂ©ologie de la âdisruptionâ, une forme sauvage dâinnovation qui dĂ©truit les anciens Ă©quilibres. « Ce biais technologique est trĂšs largement un choix, et un choix construit socialement. Alors les choses ont commencĂ© Ă devenir bien pires Ă©conomiquement, politiquement et socialement, alors que les nouveaux visionnaires trouvent un nouvel outil pour refaire la sociĂ©tĂ©Â : lâintelligence artificielle » (p 296).
Pourquoi considĂ©rer lâintelligence artificielle avec rĂ©serve et avec prudence
Dans la perspective de lâhistoire rĂ©cente de lâusage dâinternet, lâemballement de certains vis-Ă -vis de la promotion de lâintelligence artificielle parait suspect.
Les auteurs consacrent un chapitre Ă lâintelligence artificielle en en montrant les usages potentiels, les apports, les risques et aussi les limites. Nous renvoyons Ă ce chapitre Ă©crit avec maitrise et expertise ; âArtificial struggleâ (p 297-338). Nous en rendrons compte ici par une courte prĂ©sentation des auteurs. « Ce chapitre explique que la vision dâinternet post-1980 qui nous a Ă©garĂ©s, en est venue aussi Ă dĂ©finir comment concevoir la nouvelle phase des technologies digitales, âlâintelligence artificielleâ et comment lâintelligence artificielle exacerbe les tendances vers lâinĂ©galitĂ© Ă©conomique.
En contraste des proclamations effectuĂ©es par beaucoup de leaders de la tech, nous verrons aussi que dans la plupart des tĂąches humaines, les technologies actuelles de lâintelligence artificielle apportent seulement des bĂ©nĂ©fices limitĂ©s. De plus, lâutilisation de lâintelligence artificielle pour la surveillance au lieu de travail ne propulse pas seulement lâinĂ©galitĂ©, mais elle prive Ă©galement les travailleurs de leur pouvoir dâaction (disempower). Pire, un usage courant de lâintelligence artificielle risque de renverser des dĂ©cennies de gain Ă©conomique dans les pays en dĂ©veloppement en exportant globalement lâautomatisation. De tout cela, rien nâest inĂ©vitable. Ce chapitre dĂ©veloppe une argumentation selon laquelle lâintelligence artificielle, et mĂȘme lâaccent sur lâintelligence de la machine, reflĂšte une approche trĂšs spĂ©cifique du dĂ©veloppement des technologies digitales, une approche qui a de profonds effets dans la rĂ©partition des richesses, en bĂ©nĂ©ficiant Ă quelques personnes et en laissant le reste derriĂšre.
PlutĂŽt que de se focaliser sur lâintelligence des machines, il serait plus profitable de lutter pour une utilitĂ© des machines (âmachine usefulnessâ) en envisageant combien les machines peuvent ĂȘtre trĂšs utiles aux humains, par exemple en complĂ©tant les capacitĂ©s des travailleurs. Comme elle sâest mise en Ćuvre dans le passĂ©, lâutilitĂ© des machines conduit Ă quelques-unes des applications les plus importantes et les plus productives des technologies digitales, mais qui ont Ă©tĂ© de plus en plus mises de cĂŽtĂ© par lâintelligence de la machine et lâautomatisation » (p 37).
Cependant lâintelligence artificielle se dĂ©ploie Ă un autre niveau, au niveau de la sociĂ©tĂ© elle-mĂȘme. Et elle y pose problĂšme, car « la collecte et la moisson massive de donnĂ©es utilisant lâintelligence artificielle sont en voie dâintensifier la surveillance des citoyens par les gouvernements et les entreprises. En mĂȘme temps, les modĂšles dâaffaire fondĂ©s sur la publicitĂ© sâappuyant sur la puissance de lâintelligence artificielle propagent la dĂ©sinformation et amplifient lâextrĂ©misme ». Les auteurs nous mettent ainsi en garde vis-Ă -vis de lâintelligence artificielle. « Son utilisation courante nâest bonne ni pour lâĂ©conomie, ni pour la dĂ©mocratie et ces deux problĂšmes malheureusement se renforcent lâun lâautre ». (p 37)
Dans la situation critique dans laquelle nous nous trouvons, comment réorienter la technologie ?
Les auteurs ne se bornent pas Ă un diagnostic critique de la situation. DĂ©jĂ , Ă travers lâexamen de lâhistoire longue auquel ils ont procĂ©dĂ©, nous avons compris que le progrĂšs technologique nâest pas une panacĂ©e, que ses effets dĂ©pendent dâun contexte plus gĂ©nĂ©ral, des orientations qui sont prises, dâun choix de sociĂ©tĂ©. Bref, le progrĂšs technologique nâest pas la rĂ©ponse Ă tous nos problĂšmes. Et on peut, on doit ne pas considĂ©rer son orientation prĂ©sente comme une fatalitĂ©.
Dans le dernier chapitre du livre, les auteurs nous apprennent et nous invitent Ă rediriger le changement technologique (âredirecting technologyâ).
Aujourdâhui rediriger le changement technologique, câest en premier, faire face Ă la menace existentielle du changement climatique. Or, Ă cet Ă©gard, il y a eu « de remarquables avancĂ©es dans les technologies de lâĂ©nergie renouvelable ».
Finalement, « Aujourdâhui, les Ă©nergies du soleil et du vent sont produites Ă meilleur marchĂ© que les Ă©nergies fossiles » (p 389). La diffĂ©rence est devenue significative. Comment ce changement a-t-il pu intervenir ? Les auteurs mettent lâaccent sur le rĂŽle du âchangement de narratifâ ; du dĂ©veloppement du mouvement Ă©cologique qui sâen est suivi et lâa accompagnĂ©, et des mesures qui en sont rĂ©sultĂ©es.
« Du point de vue du dĂ©fi posĂ© par les technologies digitales, on peut apprendre beaucoup de la maniĂšre dont la technologie est redirigĂ©e dans le secteur de lâĂ©nergie. La mĂȘme combinaison – changer le narratif, dĂ©velopper des pouvoirs faisant contrepoids et dĂ©velopper et mettre en Ćuvre des politiques spĂ©cifiques – voilĂ ce qui peut Ă©galement marcher pour rediriger la technologie digitale» (p 392). Les auteurs posent les problĂšmes de la technologie digitale en ces termes : « La puissance concentrĂ©e des entreprises digitales nuit Ă la prospĂ©ritĂ© parce quâelle limite le partage des gains rĂ©alisĂ©s grĂące au changement technologique. Mais son effet le plus pernicieux se manifeste dans lâorientation de la technologie qui se dirige excessivement vers lâautomatisation, la surveillance, la collecte des donnĂ©es et la publicitĂ©. Pour regagner une prospĂ©ritĂ© partagĂ©e, nous devons rediriger la technologie et cela signifie une version de la mĂȘme approche que celle qui a fonctionnĂ© pour les progressistes, il y a plus dâun siĂšcle » (p 393). « Cela doit commencer par changer le narratif et les normes ». On retrouve dans ce chapitre les mises en garde et les orientations qui parcourent cet ouvrage avec comme grandes recommandations : changer le narratif, bĂątir des pouvoirs faisant contre-poids et dĂ©velopper des techniques, des rĂ©gulations et des politiques pour traiter des aspects spĂ©cifiques du biais social de la technologie » (p 38). VoilĂ un ouvrage auquel nous pouvons nous rĂ©fĂ©rer pour mieux comprendre les enjeux actuels de la technologie digitale et faire face aux menaces prĂ©sentes.
J H
- Daron Acemoglu, Simon Johnson. Power and Progress. One thousand-year struggle over technology and prosperity. London, Basic Books, 2023.