Le visage de l’autre

 Dans ses activités professionnelles, engagée au fil des années pour la promotion d’une bibliothèque pour enfants innovante (1), Geneviève Patte a vécu et vit constamment dans la relation et la rencontre. Nous avons recueilli auprès d’elle des propos sur la manière dont elle vit également la relation dans son environnement quotidien

J H

 

Tous les jours, lorsque je suis dans le métro, je pense aux gens qui m’entourent. Certains ont peut-être appris qu’ils avaient une maladie grave.  D’autres, au contraire, sont tout heureux d’être ensemble. Mais, selon des sondages, il y a aussi toutes ces personnes, parmi les plus modestes, qui n’ont pas l’occasion d’échanger avec d’autres personnes. Face à l’isolement, il y a des rencontres qui se font tout naturellement si on ose sortir de soi même.

Je me rappelle cet ouvrier marocain assis près de moi dans le métro avec qui je suis amené à parler et qui me dit combien il est heureux d’être en France, mais qui ne cache pas sa souffrance de la solitude. Il préfère la semaine où il travaille sur le chantier au week-end où il se sent très seul. Et nous parlons ensemble de la beauté de son pays, le Maroc. Je lui ai dit que j’étais invité à un mariage au Maroc et il m’a dit combien les mariages au Maroc sont beaux. Effectivement, dans ces pays-là, ils savent faire la fête.

Dans le métro où je passe en général un moment à lire, je regarde aussi la lecture de ceux qui me côtoient et je leur demande s’ils me recommanderaient les livres qu’ils sont en train de lire et ainsi s’engage toute une conversation sur leur expérience de lecture.  C’est ainsi que j’ai beaucoup parlé, avec une voisine qui était assise dans le métro, d’un livre de Véronique Olmi : Bakhita, une femme qui fut esclave en Afrique

Je pense aussi à cet homme qui m’a aidé à porter mes bagages à Roissy. C’était un Malien. il se trouve que j’ai travaillé avec le Mali. Il me demande pourquoi je voyage vers l’Amérique Latine et je lui répond que c’est pour une forme de travail avec les enfants autour de la lecture. Il me raconte toutes les difficultés qu’il a eues à l’école en France. Sa famille était trop nombreuse, trop d’enfants et personne pour s’occuper de lui. Il a été obligé de repasser trois fois le cours préparatoire sans succès. Il  a été mis dans un centre d’apprentissage et il a décidé de s’en échapper pour aller au Québec. Et là, il découvre la poésie qui change sa vie. Il est devenu un lecteur passionné, fréquente les bibliothèques et souhaite devenir instituteur.

Dans un voyage à New York en avion, j’engage une conversation avec mon voisin qui fait une recherche sur Pascal et Port-Royal. Il me demande de l’aider à trouver une bibliothèque spécialisée sur cette question à Paris. Depuis quinze ans maintenant, nous sommes devenus d’excellents amis.

Je pense aussi à certains commerçants dans mon quartier. Là où je vais m’approvisionner en vin, je parle beaucoup à la femme qui dirige cette petite boutique appelée Nicolas. Je la trouve tellement ouverte que je lui donne le livre que je viens d’écrire : « Mais qu’est ce qui les fait lire comme ça ? ». Elle est enthousiaste et le fait connaître autour d’elle. Tout récemment, se trouve dans la même boutique un homme auquel elle me présente. Il me parle d’un film d’animation qui l’a enthousiasmé : « Persépolis ». Il se propose tout de suite de me prêter ce DVD, et, quelques jours après, la vendeuse du magasin me remet ce DVD pour que nous en parlions ensemble.

Je pense toujours aux enquêtes qui ont eu lieu sur l’isolement social. Pour moi, j’ai toujours extrêmement de plaisir à entrer en relation avec les gens qui se trouvent sur mon chemin, car je vois la richesse de leur personnalité. J’aime cette relation avec l’autre qui toujours m’enrichit.

Propos de Geneviève Patte

 

(1)            Présentation du dernier livre de Geneviève : « Mais qu’est ce qui les fait lire comme ça ? » : « De rencontre en rencontre. L’histoire de la femme qui a fait lire des millions d’enfants » : https://vivreetesperer.com/?p=2234

Pour une conscience Ă©cologique

Une expérience de terrain

 

J’ai poursuivi mes Ă©tudes universitaires jusqu’au doctorat en Ă©cologie. J’ai menĂ© mon travail de thèse dans un laboratoire du CNRS, dans le cadre d’un programme europĂ©en de recherche sur la biodiversitĂ© des plaines inondables, avec des Ă©quipes de recherche d’Umea en Suède, de Cambridge au Royaume-Uni et de Grenoble.

Cette thèse a Ă©tĂ© un rĂ©el voyage initiatique. J’ai Ă©tĂ© confrontĂ©e Ă  l’immense complexitĂ© de la nature, Ă  l’impossibilitĂ© de l’apprĂ©hender dans sa globalitĂ© et au constat, que « plus on sait… moins on sait« … car on prend conscience de l’immensitĂ© des connaissances qui nous Ă©chappent. Chaque question Ă  laquelle on parvient Ă  rĂ©pondre, mĂŞme partiellement, ouvre vers un horizon de milliers d’autres…

A cette époque, certains de mes collègues chercheurs participaient à des projets avec des non-chercheurs, notamment des techniciens de collectivités. Ils relataient souvent la difficulté de transmettre les connaissances scientifiques à des gens étrangers au monde de la recherche.

C’est ce qui m’a motivĂ©e Ă  entreprendre un DESS en communication scientifique alors que je terminais ma thèse en parallèle. Après avoir obtenu ces deux diplĂ´mes, j’ai trouvĂ© un premier poste comme directrice d’une association en charge de la gestion d’un espace naturel en bordure d’un grand fleuve.

 

Préserver la biodiversité.

 

Cette expĂ©rience a Ă©tĂ© difficile, mais très formatrice. J’ai notamment eu l’occasion de m’impliquer dans des projets de dĂ©veloppement du territoire, avec les collectivitĂ©s territoriales locales. Cette dĂ©couverte a confirmĂ© l’envie de m’orienter vers un travail dans la fonction publique territoriale. Après avoir quittĂ© mon poste de directrice, j’ai donc passĂ© le concours d’ingĂ©nieur territorial puis obtenu un poste comme chargĂ©e de mission patrimoine naturel dans une importante collectivitĂ©. Au sein d’une Ă©quipe d’une douzaine de personnes, je suis chargĂ©e de mettre en oeuvre la politique dĂ©cidĂ©e par les Ă©lus en matière de biodiversitĂ©. Je travaille sur de nombreux projets en lien avec la restauration et la protection des milieux naturels, de la faune et de la flore. Mon travail consiste Ă  financer et accompagner le montage des projets menĂ©s par diffĂ©rentes types de structures, principalement des associations ou d’autres collectivitĂ©s (communes, communautĂ©s de communes,…).

 

BiodiversitĂ©… au bord d’une route ardĂ©choise

 

J’ai aussi la chance de mener certains projets en direct, notamment ceux qui concernent la trame verte et bleue. Ce terme traduit en fait une nouvelle stratĂ©gie qui Ă©merge pour prĂ©server la biodiversitĂ©. Jusqu’Ă  il y a quelques annĂ©es, les actions Ă©taient surtout focalisĂ©es sur la protection de milieux naturels dits « remarquables », car constituĂ©s d’espèces ou d’habitats naturels rares ou menacĂ©s. Mais le constat mondial de l’Ă©rosion de la biodiversitĂ©, combinĂ© aux avancĂ©es des connaissances scientifiques notamment de l’Ă©cologie du paysage, ont montrĂ© que les causes principales de cette Ă©rosion de la biodiversitĂ© Ă©tait la disparition des milieux naturels, et leur fragmentation, rĂ©sultant des activitĂ©s humaines (infrastructures toujours plus nombreuses, urbanisation galopante, modification des pratiques agricoles et notamment intensification des cultures,…). Aujourd’hui, on change de stratĂ©gie en cherchant Ă  reconnecter les milieux naturels entre eux, ou en prĂ©servant les connexions qui subsistent, afin de permettre aux espèces de se dĂ©placer, ce qui leur est nĂ©cessaire pour accomplir les diffĂ©rentes phases de leur cycle de vie.

 

L’homme et la nature.

 

Mon travail est passionnant Ă  de nombreux titres. Si l’on y rĂ©flĂ©chit bien, il concerne en premier lieu les relations.

 

        Les activités humaines fragmentent les milieux naturels

 

La nature : un milieu interactif

 

Avant d’ĂŞtre un mouvement politique, l’Ă©cologie est la science qui Ă©tudie les interactions entre les diffĂ©rents compartiments du vivant. La nature qui nous entoure est caractĂ©risĂ© par un grand nombre d’interactions complexes, entre les espèces entre elles, entre les espèces et le monde physique… Beaucoup de choses sont reliĂ©es, et perturber ou supprimer un maillon de la chaĂ®ne affecte l’ensemble…

Le fonctionnement de la nature est dynamique… une dynamique dans l’espace et dans le temps. Les espèces se dĂ©placent pour s’alimenter, se reproduire, migrer ; sous nos climats, les saisons s’enchaĂ®nent et chacune d’entre elles correspond Ă  des processus du vivant particuliers ; les gĂ©nĂ©rations d’individus se succèdent Ă  des Ă©chelles de temps très diffĂ©rentes selon les espèces (de la bactĂ©rie, Ă  l’Ă©lĂ©phant !). Bien que l’homme aime comprendre, acquĂ©rir de nouvelles connaissances, le fonctionnement de la nature nous reste encore bien mystĂ©rieux, et surtout Ă©chappe Ă  notre contrĂ´le.

 

       Des plantes carnivores en France… oui, ça existe ! (Drosera rotundifolia)

 

Des limites au contrôle de l’homme.

 

La nature rappelle Ă  l’homme son incapacitĂ© Ă  tout contrĂ´ler…. ce qu’il a parfois bien du mal Ă  accepter. Nous avons essayĂ© de « domestiquer » la nature. Nous avons canalisĂ© les fleuves, construit des digues, mais les inondations continuent… car elles sont normales, et font partie des processus naturels qui crĂ©ent la vie en transportant des sĂ©diments, en crĂ©ant de nouveaux milieux,… Mais nous avons essayĂ© de contrĂ´ler ce processus, nous avons construit nos habitations en zones inondables, nous avons crĂ©Ă© de nombreux barrages pour crĂ©er de l’Ă©lectricité… Intentions louables et lĂ©gitimes, mais dĂ©cisions souvent excessives que nous avons prises sans en mesurer suffisamment les impacts… Par exemple, les nombreux barrages ont perturbĂ© le transport des sĂ©diments qui se trouvent piĂ©gĂ©s derrière… Comme consĂ©quence, on a constatĂ© des phĂ©nomènes d’Ă©rosion en aval des barrages, les rivières « s’enfoncent » et les niveaux de nappe phrĂ©atique en font de mĂŞme… du coup, plus de sĂ©cheresse, besoin de plus d’irrigation, cercle vicieux…

 

       Les tourbières… des milieux fragiles mais essentiels

 

L’homme contrĂ´le, domine, veut exercer un pouvoir sans limite, et quand le fonctionnement de la nature se rappelle Ă  lui, sous forme catastrophique bien souvent, l’homme considère la nature comme « hostile »…. Il oublie sa responsabilitĂ© dans ces phĂ©nomènes.

Je trouve que ces constats, que je rapporte ici de manière rapide et caricaturale, peuvent amener des rĂ©flexions d’ordre plus spirituel… Soigner les relations, plus que la domination… Quand nous contrĂ´lons les autres, de manière consciente ou inconsciente, nous sommes souvent confrontĂ©s Ă  des retours de bâtons parfois violents…

La recherche de l’harmonie, entre humains, ou entre l’homme et la nature, demande un Ă©tat d’esprit particulier : persĂ©vĂ©rance, humilitĂ©…

 

Au delà de l’immédiat, penser dans la durée.

 

Dans l’exercice de mon mĂ©tier, je suis parfois dĂ©couragĂ©e en me disant que ce je fais, c’est une goutte d’eau dans l’ocĂ©an… Il faut dĂ©ployer tellement d’Ă©nergie pour protĂ©ger quelques hectares ! On se heurte Ă  tellement d’obstacles, un pas en avant, quatre en arrière… MalgrĂ© sa conscience de l’avenir, j’ai parfois l’impression que l’ĂŞtre humain ne se comporte pas plus intelligemment (voire moins) que les animaux. Il « consomme » les ressources Ă  sa disposition, sans se prĂ©occuper ou si peu, de ce qui va se produire lorsque ces ressources deviendront insuffisantes.

 

        Les rivières, une écologie dynamique !

 

Je crois qu’on touche lĂ  Ă  une question un peu existentielle… Les processus Ă©cologiques se dĂ©roulent bien souvent Ă  des Ă©chelles de temps qui dĂ©passent la durĂ©e d’une vie humaine. Penser Ă  l’avenir de notre planète (donc Ă  celui de l’espèce humaine), c’est intĂ©grer l’idĂ©e de sa propre mort et agir en sachant qu’on ne verra sans doute pas le rĂ©sultat de son action. On touche Ă  l’idĂ©e du temps, de l’Ă©ternitĂ©…

 

CĂ©leste

 

Merci à Céleste, qui, à partir de son expérience, nous fait entrer dans une prise de conscience écologique. Les titres et l’accentuation de certains passages en caractères gras relèvent de la rédaction.

Les photos ont été prises par Céleste.
On peut la joindre Ă  l’adresse mail suivante: despiedsetdesailes@gmail.com

Cheval de guerre

Un fil conducteur : l’épopée d’un cheval témoigne de la puissance de la bonté et de la vie face  au déchaînement du mal.

 

Cheval de guerre : c’est un des nombreux romans de Michael Morpurgo traduits en français dans la collection folio junior (1). Lorsqu’un auteur qui a du cœur et du talent écrit pour la jeunesse, son œuvre atteint également les adultes. C’est le cas pour Michael Morpurgo et cela apparaît dans la reprise de cet ouvrage en terme d’un film destiné à un grand public.

Dans les livres de Michael Morpurgo, la communion en la vie se manifeste fréquemment à travers la présence d’un animal et ses relations avec les hommes. Dans des situations très diverses, et en particulier la confrontation à des épreuves collectives comme la guerre, on y voit la force de l’amitié et une noblesse d’humanité. Face au mal, quelque part une lumière brille. Et lorsque la bonté se révèle ainsi dans les épreuves, elle appelle une émotion qui peut se manifester jusqu’aux larmes. On se réjouit que le grand cinéaste qu’est Steven Spielberg ait décidé de réaliser un film à partir d’un roman de Michael Morpurgo (2). Il a su reconnaître la beauté et la grandeur de cette œuvre.

 

 

« Cheval de guerre », c’est une histoire. A la veille de la première guerre mondiale, le jeune Albert mène une existence paisible dans une ferme anglaise avec son cheval Joey. Mais le père d’Albert décide de vendre Joey à la cavalerie britannique et le cheval aboutit bientôt sur le front français. L’officier britannique qui le monte est tué dans une charge de cavalerie et le cheval se retrouve employé dans l’armée allemande. Dans un épisode meurtrier, il s’échappe et échoue entre les deux lignes de front. Une trêve s’instaure brièvement et il est récupéré par un jeune soldat britannique et retrouve ensuite Albert, son ancien maître et ami qui s’est engagé avec l’arrière pensée de rencontrer à nouveau ce cheval tant aimé.

En comparant un film à l’œuvre écrite qui lui a donné naissance, on éprouve parfois un malaise. Personnellement, dans ce cas, je n’éprouve pas du tout cette impression, car l’image sobre et belle enrichit la trame, et les aménagements dans l’intrigue vont de pair avec une puissance d’évocation. Il y a bien sûr dans ce film un déroulement qui tient en haleine, mais à travers le héros qui est ici le cheval Joey, il y a de  plus, quelque part, un souffle épique.

 

Cependant, pour nous, ce qui fait la profondeur de ce film tel qu’il nous émeut et se grave dans notre mémoire, c’est la relation entre l’animal et les êtres humains nombreux et divers avec lesquels il va se trouver en relation.

Bien sûr, une puissance de vie se manifeste dans ce cheval. C’est un cheval qui suscite l’admiration des connaisseurs et l’estime qu’on lui porte, s’accompagne d’une affection. Il y a un courant qui passe entre l’homme et l’animal.

Ce cheval met en évidence la diversité des comportements humains à son égard. Il est parfois soumis à des brimades, à des maltraitances ou tout simplement à l’indifférence humaine. Mais, en regard, combien il suscite chez beaucoup d’hommes, empathie, bonté, et on pourrait ajouter parfois un sentiment d’amitié. Son jeune maître et compagnon, Albert, a su l’apprivoiser à travers une communication intuitive. Et, par la suite, il va rencontrer des hommes de cœur dans les différents milieux où ils va évoluer depuis l’officier britannique qui le monte au départ jusqu’à des soldats anglais et allemands qui se détachent du lot en prenant soin de lui, jusqu’à un grand-père et sa petite-fille qui l’accueillent un moment dans une ferme française.

L’épisode dans lequel Joey se retrouve prisonnier des barbelés entre deux lignes de front est lui-même particulièrement émouvant. Car il montre, de part et d’autre chez les allemands et chez les britanniques, un sentiment d’humanité qui s’éveille à la vue de ce cheval perdu, une forme de tendresse qui apparaît dans la barbarie ambiante. La conscience humaine se manifeste à travers deux hommes qui se lèvent et vont à sa rencontre malgré tous les dangers. On sait aujourd’hui que cet épisode est plausible parce qu’il y a eut, dans cette guerre, des essais de fraternisation (3). Oui, cette grande guerre a été un massacre collectif, un enfer. Dans plusieurs de ses livres, Michael Morpurgo a dénoncé les horreurs de ce conflit. Dans le film, une scène symbolise la puissance du mal : l’énorme canon hissé sur une colline au prix de la souffrance de nombreux chevaux et qui envoie à l’horizon le feu de la mort. En regard, il y a tout ce que Joey révèle en éveillant des sentiments d’humanité dans cet enfer, et, en fin de parcours, la solidarité qui porte des soldats britanniques à venir à son aide.

 

Le film témoigne de ces vertus que sont l’empathie, la bonté, l’humanité, la solidarité en contraste avec le déchaînement des forces du mal. Quelque part, il révèle la puissance du bien. Nous avons besoin de ce message et la manière dont il nous est proposé suscite une émotion profonde. Merci à Michael Morpurgo et à Steven Spielberg !

 

JH

 

(1)            Morpurgo Michael). Cheval de guerre. Gallimard Jeunesse (Folio junior). Edition originale : War horse (1982)

 

 

(2)            Le film : « Cheval de guerre » est d’abord sorti en anglais : « War horse ». On peut aujourd’hui l’acheter en dvd

 

 

En évoquant la bonté que beaucoup ont manifesté vis à vis du cheval Joey, ce film peut éveiller le désir de lire le livre de Jacques Lecomte sur la bonté humaine. On y trouve une description de la fraternité dans les tranchées durant la guerre 1914-1918 (La fraternité dans les tranchées p 97-101. Lecomte (Jacques). La bonté humaine. Altruisme, empathie, générosité. Odile Jacob, mars 2012. Mise en perspective sur ce blog : « La bonté humaine. Est-ce possible ? » https://vivreetesperer.com/?p=674

MĂ©diter avec Moltmann

Une vision d’espérance mise à la disposition de tous.

Au fil des années, nous avons pu constater combien la théologie de Jürgen Moltmann répondait aux aspirations et aux questionnements d’un vaste public. Ce recueil : Méditer avec Moltmann (1) s’inscrit dans cette approche. Par son accessibilité, il met la théologie de Moltmann à la portée de tous. Et pour quoi donc? L’avertissement en quatrième de couverture nous le dit :

« Dans l’histoire dont nous faisons l’expérience, il nous est plus facile de désigner le négatif dont nous voulons nous libérer que d’exprimer le positif en vue duquel nous espérons devenir libre. Mais c’est l’expérience d’un avenir plus grand qui nous mène vers des expériences  toujours nouvelles ».

Le secret de la force mobilisatrice de la pensée de Moltmann se trouve dans la profondeur des réflexions existentielles qu’il nous propose. Mais, pour que cette force nous rejoigne et nous transforme à notre tour, elle doit être méditée, digérée, expérimentée, confrontée aux joie et aux peines de notre existence. L’incarnation de l’espérance s’inscrira alors dans notre parcours de vie ».

Les textes rassemblés ici (2) proviennent du blog : « L’Esprit qui donne la vie », créé en 2011, pour communiquer la pensée de Moltmann à tous ceux qui sont à la recherche d’un Dieu, communion d’amour et puissance de vie. Il n’est pas anodin que l’éditeur ait, de lui-même choisi comme titre : « Le sourire de Dieu ».

Ce livre nous ouvre à une nouveauté de vie. Dans son adresse aux étudiants de Prétoria, qui introduit le recueil, Jürgen Moltmann déclare : « Celui qui croit au « Dieu vivant », voit le monde non seulement selon la réalité… mais aussi selon les possibilités. « Tout est possible à celui qui croit », parce que « tout est possible avec Dieu » . Toute la réalité est une possibilité réalisée. La possibilité vient en premier, la réalité vient après » (p 13). Ce livre regarde à la promesse de Dieu et nous ouvre un avenir. Dans le témoignage sur lequel s’achève ce recueil, homme de foi et d’action engagé dans de grandes causes humanitaire, Guy Aurenche nous confie une notation personnelle : « En refermant provisoirement ce livre de méditation, me vient l’appétit d’un commencement caché » ( p 156).

Au fil des années, nous avons pu constater combien la théologie de Jürgen Moltmann était libératrice, féconde et éveillait des échos chez des amis de formations et de cultures très différentes. La théologie de Moltmann est un continent. Chacun vient y chercher une réponse à ses questionnements. C’est un dialogue à partager.

J H

  1. Jean Hassenforder. Méditer avec Moltmann. Le sourire de Dieu. Préface : Discours de Jürgen Moltmann aux étudiants de Pretoria, traduit par David Gonzalez. Postface par Guy Aurenche. Empreinte Temps présent. 2019 (Collection : l’art de méditer dirigé par David Gonzalez).
  2. Issus du blog : « L’Esprit qui donne la vie », les textes sont entrés ensuite dans un processus d’édition, dans lequel, à notre regret, le référencement initial n’a pas été retranscrit. A ce sujet, on se reportera donc au blog originel : https://lire-moltmann.com

La pensée espérante est la pensée des possibles

Le mouvement de l’utopie

Selon JĂĽrgen Moltmann

Apparue dans les années 1960, la théologie de l’espérance de Jürgen Moltmann a répondu à une grande aspiration et suscité une dynamique qui s’est poursuivie à travers le temps (1). Cette dynamique se poursuit et garde toute son actualité comme en témoigne un petit livre publié chez Labor et Fides et intitulé : « Utopie » (2). Cet ouvrage reprend quelques textes fondateurs de Moltmann en les introduisant par un avant-propos de Marion Muller-Colard et en les accompagnant des éclairages de quelques théologiens. Nous présentons ici le premier des trois chapitres de Moltmann : « Utopie et pensée utopique ». La tonalité du chapitre nous apparaît dans cette profonde pensée : « La pensée espérante est la pensée des possibles » (p 17).

Du passé, du présent et du futur

Jürgen Moltmann nous appelle à réfléchir sur notre rapport avec le passé et avec le futur en passant par notre vécu du temps présent.

« La vie humaine est le temps de l’histoire. Elle est en tension entre le futur et le passé. Le futur est le domaine du possible, le passé, celui du réel ; quant au présent, c’est la ligne de front sur laquelle des possibilités peuvent être réalisées ».

Mais comment entrons-nous en rapport avec notre passé ? Comment notre mémoire s’exerce-t-elle et quel est son rôle ?

«  Par le souvenir, nous rendons présentes les expériences passées, et par la mémoire, nous relions la réalité présente à la réalité passée » (p 13) ; Ainsi s’établit une « continuité rétrospective ». C’est la mémoire qui engendre également l’identité. « Aussi bien individuellement que collectivement, nous trouvons et confirmons notre identité grâce à une identification remémorant notre passé » (p 13). Notre ressenti de ces souvenirs peut être bien différent. Cependant, « ce passé peut influencer notre présent et notre futur, de telle façon que nous revenons toujours à ces évènements dont nous reconnaissons qu’ils font partie de notre histoire ».

Notre regard sur le futur est moins contraint. « Au regard de l’avenir, nous rendons présentes des expériences futures possibles par l’attente » (p 14). Là aussi, notre regard peut être différent. Ainsi la peur nous rend inquiet, mais peut-être aussi pré-voyant. « Nous devenons « pré-voyant » ». Autrement, « dans nos espoirs, nous anticipons également le futur et nous imaginons ce que serait le devenir des choses si nos désirs et nos attentes étaient exaucés. Par l’espérance, nous nous figurons un avenir désirable et concevons plans et projets pour le réaliser. Sans espoirs, ni plans, ni projets, nous passerions, aussi bien individuellement que collectivement, à coté de nos meilleures possibilités, pour la simple raison que nous ne les percevrions même pas » (p 15).

 

En mouvement

« Selon la forme que prend l’anticipation d’une expérience future possible, nous la nommons rêve, vision, utopie, projet ou planification ». C’est une ouverture. « Aux modes temporels du passé et du futur, correspondent les modes d’être du réel et du possible ». Certes, il n’est facile de prendre du large par rapport à des situations bien installées et à leurs effets, mais il y a des marges : « A la différence du passé, ces possibilités ne sont pas fixées ; en tant que possibilités futures, elles comportent toujours un facteur de hasard, de contingence, de surprise ou de déception.

« Pour l’expérience du présent comme tel, il est tout aussi important de se représenter un futur que de se souvenir du passé. Les attentes futures marquent l’expérience du présent autant que l’agir actuel… Qui envisage le futur avec sérénité y investira… Pour la vie dans l’histoire, l’orientation vers le futur est d’importance vitale. C’est la raison pour laquelle nous connaissons une grande variété de modalités selon lesquelles nous regardons vers le futur : de la peur à l’espoir, de l’attente à la planification » (p 16-17). Nous dépendons de cet horizon. « Si il ne se passe « rien de neuf sous le soleil, nous n’avons plus qu’à nous résigner ». Alors dans quelles conditions et comment pouvons nous embrasser l’espérance ? « Tant que les systèmes politiques et économiques dans lesquels nous vivons sont « des systèmes ouverts », l’espérance nous fait vivre. Dans des « systèmes clos », il ne reste que la mort. Notre espérance subjective dépend de l’ouverture du monde objectif pour lequel elle s’engage en prenant soin. La pensée espérante est une pensée des possibles » (p 17).

 

L’approche planificatrice

« Nous pratiquons la pensée des possibles par la planification et par l’utopie ». Jürgen Moltmann décrit et analyse l’activité planificatrice courante et parfois centrale dans nos sociétés. « Sous le terme de « planification », nous comprenons une disposition anticipante pour l’avenir. La croissance de la masse des possibilités dans la société scientifique et technique ainsi que le nombre croissant des changements sociaux en jeu rendent plus signifiante une planification à moyen et long terme, destinée à éviter « les mauvaises surprises » (p 17). On entend procéder à partir des causes et de leurs effets.

« Mais si des prévisions causales sont effectivement possibles pour des phénomènes isolés, elles ne peuvent être appliquées à des « systèmes ouverts » dont le futur est encore partiellement indéterminé. Pour intervenir dans les systèmes ouverts, on doit faire appel aux calculs des probabilités. Par ailleurs, « référées à des réalités plus complexes et à des possibilités multiples, les planifications se trouvent toujours dans un rapport dialectique avec l’histoire faite et vécue » (p 19). Elles interfèrent avec le cours des évènements.

La planification implique et engage un choix de valeurs. « D’année en année, nous sommes mieux équipés pour atteindre ce que nous voulons, mais que voulons-nous au juste ? Il n’existe pas de planification indépendante de choix de valeurs » (p 20).

La planification est mise en œuvre par ceux qui disposent du pouvoir de l’entreprendre. « Dans notre société, les planifications d’envergure présupposent le pouvoir économique et politique, et servent à élargir et consolider le pouvoir. Le futur doit être réalisé comme progrès du présent… Ces planifications sont au service d’une image du futur dégagée à partir des tendances et des faits, du statu quo. La mentalité planificatrice est de part en part articulée à la conservation du pouvoir. Elle ne perçoit pas le futur comme l’arrivée de nouvelles possibilités, mais comme la continuation du présent. Il ne s’agit pas de rendre réel le futur, mais d’étendre le présent » (p 20).

 

La pensée utopique

« Par le terme « utopie », nous désignons des images d’un avenir souhaitable qui n’a pas encore trouvé d’autres lieux de réalisation que les rêves ou les désirs des hommes ». Jürgen Moltmann évoque des œuvres écrites dans le passé et décrivant des sociétés imaginées idéales comme « La Cité de Dieu » de Saint Augustin, « l’Utopie » de Thomas More ; « L’Abbaye de Thélème » de François Rabelais, « La Cité du soleil » de Tommaso Campanelle. « On peut enfin dire que la «  Réforme Radicale » vit foncièrement d’une pensée ou d’une quête utopique ». « Depuis la Révolution française et par delà les Lumières européennes, l’Utopie… apparaît dans le futur de l’histoire dans un avenir à accomplir » (p 21-22). Dans les criss actuelles, « la pensée utopique est devenue pertinente pour l’avenir, prenant la forme d’un rapport révolutionnaire au statu quo… On projette ses espoirs sur une vie dans l’avenir et on les confronte à un présent porteur de mort ou lourd d’aliénations. Les utopies du bonheur et de la liberté deviennent l’espoir d’avenir de ceux qui souffrent et sont prisonniers ; elles les mobilisent dans la réalisation de leurs buts » (p 22).

« On peut distinguer les buts réellement possibles et les facteurs d’espérance qui nécessairement les dépassent ». Jürgen Moltmann rappelle de grandes luttes où l’espérance a joué un grand rôle. « Sans le « rêve » de liberté et d’égalité, les noirs opprimés des Etats-Unis ne seraient pas descendus dans la rue avec le Mouvement pour les droits civiques de Martin Luther King. Sans le rêve d’une dignité propre, bien des peuples ne se seraient pas soulevés contre la dictature qui les opprimait, ni Nelson Mandela contre le régime d’apartheid de l’Afrique du Sud ».

Dans les Temps modernes européens, les utopies se sont mobilisées, soit pour l’égalité, soit pour la liberté, utopies socialistes ou utopies démocratiques. Mais l’un ne va pas sans l’autre. « Pas de liberté sans justice, pas de justice sans égalité » (p 24). Ainsi, l’utopie socialiste de l’Union soviétique s’est effondrée. Aujourd’hui, « l’utopie capitaliste de la marchandisation globale de toutes choses et de la démocratie libérale a pris sa place. Selon Francis Fukuyama, la société du marché global doit être « la fin de l’histoire ». Mais tant que le libre marché récompensera les forts et pénalisera les faibles, il y aura des utopies opposées qui maintiendrons vivante l’espérance du peuple. Car cette « utopie universelle du statu quo » n’est souhaitable que pour le premier monde. A long terme, elle détruit l’humanité et la planète » (p 25).

 

Le Royaume de Dieu : nouvel avenir de l’humanité

Jusqu’ici, ce sont des utopies partielles qui ont Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©es. « La forme ultime du dĂ©sir humain a toujours Ă©tĂ© appelĂ©e le « Bien SuprĂŞme » et identifiĂ©e Ă  une rĂ©alitĂ© totalement nouvelle qui supprimerait cette rĂ©alitĂ© temporelle infirme et endommagĂ©e. Ce furent les religions, et, parmi elles, avant tout les religions d’espĂ©rance abrahamiques – judaĂŻsme, christianisme, islam – qui attendent de l’avenir de l’histoire cette alternative totale ». LĂ  oĂą il y a espĂ©rance, elle tient lieu de religion, et la vĂ©ritĂ© de la religion est la lumière de cette utopie alternative et totale, « espĂ©rance en finalitĂ© et totalité » (p 25).

Au chapitre suivant, Jürgen Molmann abordera la pensée eschatologique. En christianisme, le Royaume de Dieu est une réalité primordiale. « L’utopie totale du « Royaume de Dieu » n’apporte pas un nouvel avenir historiquement situé, mais un nouvel avenir de l’histoire toute entière. Avec lui prend fin le temps historique et s’ouvre l’éternité. C’est pourquoi, dans ce « Royaume de Dieu », non seulement prennent fin famine et esclavage, mais avec eux disparaît tout le « schème » de ce monde à l’envers : péché, mort et diable ». (p 26). Cette nouvelle réalité est appelée à s’étendre au monde entier. « Cet accomplissement n’est pas seulement attendu par le monde humain n’ayant pas encore été racheté, mais également par « la création gémissant dans les douleurs de l’enfantement » (Rom 8.19). Il figure le dépassement de toute détresse et l’exaucement de tous les désirs. Puisque tout agir humain produit de nouvelles détresses, cette utopie totale a été liée à l’expérience religieuse et rapportée à la présence de la transcendance, c’est-à-dire à Dieu » (p 26-27).

Dans un avant-propos, l’écrivaine et théologienne protestante Marion Muller-Colard nous dit « l’actualité » du texte de Jürgen Moltmann qui date pourtant des années 1990 (p 7). Avec elle, nous pouvons considérer l’utopie en terme de « dynamique » et « c’est dans cette perspective que Jürgen Moltmann nous offre une perspective inspirante ». Nous retrouvons ici quelques paroles décisives de Moltmann comme : « Pour la vie dans l’histoire, l’orientation vers le futur est d’importance capitale ». Et, dans cette démarche, elle aussi reprend l’affirmation : « La pensée espérante est la pensée des possibles » (p 8).

J H

 

  1. Quelle vision de Dieu, du monde et de l’humanité en phase avec les aspirations et les questionnements de notre époque ? : https://vivreetesperer.com/quelle-vision-de-dieu-du-monde-de-lhumanite-en-phase-avec-les-aspirations-et-les-questionnements-de-notre-epoque/
  2. Jürgen Moltmann. L’Utopie. Avant-propos de Marion Muller-Colard. Labor et Fides, 2023 (Dossier de l’encyclopédie du protestantisme N° 10)