Quel est le sens biblique de la solidarité ? La question est posée à Renny Golden qui , dans les années 1980, s’est engagé en faveur de l’accueil aux Etats-Unis, des réfugiés d’Amérique Centrale fuyant la violence.
« Le mot : solidarité n’apparaît pas tel quel dans la Bible. Cependant, comme pratique de foi, il capte l’essence des traditions juives et chrétiennes. La Bible est l’histoire multimillénaire des israélites essayant de maintenir une solidarité avec leur Dieu et avec les pauvres ». Quel est l’esprit de cette solidarité, « Lorsque au début, Dieu appelle Moïse à sortir le peuple de l’esclavage, celui-ci rechigne et cherche des excuses ( Exode 3.13, 4.1, 10). Mais Dieu promet : « Je serai avec toi » Ce n’est pas du paternalisme ou de la pitié. C’est travailler épaule contre épaule dans une œuvre de libération ».
Dieu manifeste sa solidarité avec l’humanité en Jésus. « La naissance de Jésus, l’incarnation de Dieu dans le monde est l’acteparadigmatique de la solidarité. Dieu a tellement aimé le monde qu’il a pris une forme humaine. C’est une identification complète avec la condition humaine, une solidarité totale avec l’histoire humaine. Jésus a du fuir les excès du pouvoir impérial. Il a été une menace pour l’ordre établi et il a du fuir les escadrons de la mort du gouvernement romain ( Matt 2.13-14). Jésus a commencé sa vie non pas comme membre d’une élite, mais comme un réfugié, un sans abri. Ainsi, l’amour de Dieu pour le monde se manifeste très particulièrement pour les persécutés, les rejetés, les fugitifs ».
Comme le montre Robert Chao Romero, le ministère de Jésus a manifesté la solidarité. « Dieu est devenu chair et a lancé son mouvement parmi ceux qui étaient méprisés et rejetés à la fois par les romains et par l’élite du peuple. Jésus n’est pas allé vers la grande ville en cherchant à recruter parmi l’élite religieuse, politique et économique. Pour changer le système, Jésus devait commencer avec ceux qui étaient exclus du système. Bien que la bonne nouvelle de Jésus était pour l’ensemble de la famille humaine, elle va d’abord aux pauvres et à ceux qui sont marginalisés. Comme un père aimant (ou une mère), Dieu aime tous ses enfants également, mais se préoccupe particulièrement de ceux ou celles qui souffrent le plus ».
Les gens, qui souffraient du double fardeau du colonialisme romain et de l’oppression spirituelle et économique des élites, attendaient de Dieu une libération ». Effectivement, les plus faibles ont été considérés comme indispensables. « Bien qu’ils aient été considérés comme les moins honorables, Jésus leur a porté le plus grand honneur. Jésus a accordé le plus grand honneur à ceux qui en manquaient ( 1 Corinthiens 12. 22-25).
Un esprit de solidarité et pas de jugement (2)
Richard Rohr envisage le cœur du christianisme comme la solidarité aimante de Dieu avec tous le gens. « A travers Jésus, la propre vision du monde de Dieu, vaste, profonde et entièrement inclusive est rendue accessible à tous. En fait, j’irai jusqu’à dire que la marque de la vie chrétienne et de se tenir en solidarité radicale avectout autre. C’est l’effet final et intentionnel – symbolisé par la croix, qui est le grand acte de solidarité de Dieu à la place du jugement. Voilà comment nous sommes appelés à imiter Jésus, cet homme juif bon qui voyait et appelait le divin dans les « gentils », comme la femme syro-phénicienne et les centurions romains qui l’ont suivi, dans les collecteurs d’impôt juifs qui collaboraient avec l’Empire, dans les zélotes qui s’y opposaient, et tous ceux « en dehors de la loi ». Jésus n’avait pas de problème quelque il soit avec l’altérité ».
Jésus a inclus. Il n’a pas exclu. « La seule chose que Jésus a exclus, c’est l’exclusion elle-même ».
A cet égard, comment envisager aujourd’hui notre attitude vis–à-vis de personnes pratiquent d‘autres modes de sexualité que celui qui dérive directement de notre interprétation des écritures. Ici, la parole est donnée à Shannon Kearns, prêtre transgenre. Il nous apporte « un exemple de la solidarité inclusive de Dieu avec les eunuques, minorités sexuelles à l’époque du prophète Esaïe. En Esaïe ( 56. 3b-5), le prophète déclare : « Et ne laissez pas les eunuques dire : « Je ne suis qu’un arbre sec ». Le Seigneur déclare : « Aux eunuques qui gardent mes sabbats, choisissent ce qui m’est agréable et qui persévéreront dans à mon alliance, je donnerai dans ma maison et dans mes murs une place et un nom préférables à mes fils et à mes filles. Je leur donnerai un nom éternel qui ne périra pas ». C’est une parole de réconfort et d’espérance. C’est une parole de guérison ». En commentaire, Shannon Kearns nous dit comment ces paroles bibliques « résonnent fortement pour beaucoup de gens transgenre et non-binaire ». « Ils résonnent aussi fortement pour les nombreuses personnes qui se sont senties exclues et rejetées d’une entrée dans un espace religieux à cause de leur diversité de genre ».
Nous sommes donc invités à regarder autour de nous et à nous poser des questions : « Qui est en train d’être exclu ? Qui n’est pas bienvenu ? Pour qui il n’y a pas de place ? Le message est en Esaïe 56 et dans le récit de l’eunuque éthiopien en Acte 8 : « Il y a une place aussi pour eux dans le Royaume de Dieu. Ils n’ont pas besoin de changer pour être inclus. Ils sont rendus dignes d’être inclus en désirant l’être ».
La spiritualité de la solidarité (3)
Barbara Holmes, à qui on a fait appel dans cette séquence, nous invite, à la suite de Jésus, « à discerner les signes des temps et à être un baume toujours présent dans ce monde troublé ». « Le physicien Neill de Grasse Tyson nous rappelle que notre solidarité n’est pas un choix, c’est une réalité. Nous sommes tous connectés les uns aux autres, biologiquement, à la terre chimiquement, et, au reste de l’univers atomiquement. Notre solidarité est un fait scientifique aussi bien que l’acte de salut d’un Sauveur aimant et un Saint Esprit sage et guidant. Et même cet appel à la solidarité est incarné par le Divin. Parce que Jésus est venu et a vaincu et renversé les systèmes de ce monde, il nous appelle à faire de même ».
Mais est-ce bien possible ? « Les systèmes disent que les changements ne peuvent pas arriver, que la gravité gagne, que la religion n’a pas d’utilité excepté de calmer les gens, que vous faites mieux de mettre votre confiance dans des fonds communs de croissance. Mais Jésus déclare qu’il y a une autre voie la – voie prophétique – et même maintenant, il nous appelle à nous avancer sur la parole, à nous rassembler en un, et à exercer nos dons. Alors seulement, nous pourrons faire la paix avec nos voisins, mettre fin à la violence du canon et arrêter notre addiction à la division. La solidarité et la compassion, c’est l’amour en action ».
Mais comment envisager une spiritualité de la solidarité ? Selon l’écrivaine Margaret Swedish, cette spiritualité commence à se manifester « en honorant la présence divine en chaque être humain ».
« Je crois que Dieu nous a donné le plus grand exemple de solidarité lorsque Dieu a envoyé son fils Jésus vivre avec nous » (réfugié salvadorien). Nous sommes appelés à un état d’esprit dans lequel nous sommes persuadés que les autres ont une valeur égale à la notre. « Ma vie n’est pas plus valable ou digne, de plus grande ou de moindre signification que celle d’un autre être humain. Je ne suis pas plus ou moins méritant. Mes droits ne sont pas plus importants que ceux de cette autre personne. Cette spiritualité commence à un endroit douloureux – avec l’acceptation du fait que le monde est brisé et que nous sommes brisés. Dans cela, nous cherchons des liens profonds avec les personnes blessées de notre monde. Et en cette place vulnérables, nous cherchons le cœur de la solidarité : la compassion ».
La séquence sur la solidarité présentée sur le site : « Center for action and contemplation » se poursuit ensuite dans d’autres éléments, notamment par une méditation de Richard Rohr sur la solidarité divine avec la souffrance. Ce texte, tant par la densité émotionnelle du propos que par les questions qu’il soulève requiert un traitement particulier. Nous nous bornerons ici à cette première évocation de la solidarité, un thème qui correspond bien à notre conscience actuelle et qui en met la signification chrétienne en valeur.
Une campagne du mouvement Colibris pour une (r)évolution intérieure.
Face aux dysfonctionnements de notre société, le mouvement Colibris, qui puise son inspiration tout particulièrement chez PierreRabhi, appelle ses membres à des voies alternatives de reconstruction. « Soyons le changement ! ». Et « si la plus importante révolution à mener était votre (r)évolution intérieure ! ». Le mouvement Colibris vient donc de lancer une nouvelle campagne citoyenne dans ce sens. « Dans la continuité du travail réalisé autour des principaux leviers de la société : économie, agriculture, démocratie, énergie, Colibris souhaite passer un message fort et montrer que la vraie (r)évolution est celle qui nous amène à nous transformer nous mêmes pour transformer le monde » (1). Le mouvement Colibris a donc suscité une rencontre où une douzaine de participants ont apporté leur témoignage sur leur évolution intérieure. Ces messages ont été enregistrés sur de courtes vidéos que nous pouvons regarder avec respect et reconnaissance (2).
On trouvera parmi ces témoignages une intervention de Thomas d’Ansembourg. Sur ce blog, à deux reprises, nous avons fait connaître des vidéos de Thomas d’Ansembourg particulièrement éclairantes (3). Thomas sait nous parler de son expérience de vie et des clés de compréhension et de transformation dont il fait usage en psychothérapie. On trouvera ces mêmes qualités dans la vidéo que nous présentons ici, et qui, en quelques minutes, nous ouvre un chemin (4).
L’itinéraire de Thomas d’Ansembourg est rappelé au préalable en ces termes : « Thomas d’Ansembourg a exercé la profession d’avocat. Parallèlement, il s’est engagé dans une association d’aide concrète aux jeunes qui connaissent des problèmes de délinquance, violence, prostitution et dépendances de toutes sortes. Par cette double approche juridique et sociale, il s’est impliqué dans la gestion des conflits et la recherche de sens. Dans le souhait de comprendre la difficulté d’être en général et particulièrement la violence, Thomas a entrepris une psychothérapie. Il découvre alors la liberté de prendre du champ sur l’inconscient et mesure qu’il aurait pu passer sa vie, se croyant libre, alors qu’il était pris au piège de ses conditionnements éducatifs, habitudes de pensée et systèmes de croyances. Il décide de devenir psychothérapeute pour partager ces prises de conscience et accompagner d’autres personnes dans ces processus de cœur et de conscience. Il se forme à différentes approches et particulièrement à la méthode de communication non violente (CNV) avec son fondateur Marshall Rosenberg.
Quel est le message de cette vidéo ? Nous présentons ici quelques citations qui en sont extraites pour qu’elles nous accompagnent dans le chemin de réflexion ouvert par Thomas d’Ansembourg.
Evoquant son expérience d’avocat, Thomas d’Ansembourg évoque un manque de formation pour l’exercice de cette profession : « Nous éviterions bien des conflits si nous avions quelques clés de connaissance de soi, de compréhension des émotions, de capacité à mieux les gérer et les exprimer sans agresser, à exprimer ses besoins et à être à l’écoute des besoins des autres d’une façon ouverte et empathique et que cela faisait très clairement défaut dans nos éducations. Moi-même comme avocat, je n’ai pas reçu une clé d’écoute, pas une clé de compréhension de la mécanique relationnelle, pas une clé de gestion des émotions. J’étais éduqué pour faire des contrats, des plaidoiries, mais pas pour être à l’écoute d’un humain en difficulté ».
En s’orientant, parallèlement à son travail d’avocat, vers l’accompagnement de jeunes en difficultés, il s’est « vite rendu compte que quelques clés de connaissance de soi faciliteraient la vie collective : Apprendre à connaître ses émotions, à les démélanger les unes des autres, à identifier nos besoins, à leur donner des priorités, à ne pas les confondre avec nos envies, nos désirs qui sont changeants, multiples et dispersants, à être capables d’exprimer cela par des demandes tout en étant en empathie avec le besoin de l’autre dans la capacité d’écouter ce besoin même si il est différent, tolérer le désaccord et la différence et chercher ensemble des solutions négociées qui seraient satisfaisantes pour chacun ».
Thomas s’est alors engagé dans une psychothérapie. Il a senti « un pivotement intérieur » en prenant du champ sur l’inconscient : « J’aurais pu passer ma vie dans des enfermements » avec la prise de conscience que le mot : « enfer » peut s’appliquer à ceux-ci. Thomas d’Ansembourg est maintenant psychothérapeute depuis plus de vingt ans. Il encourage le développement d’une « intériorité citoyenne », une vie intérieure qui peut s’exprimer au service de la vie communautaire. « Je fais le lien avec ce que la plupart des spiritualités nous disent de façon concordante : si nous prenons du temps d’écoute intérieure, de discernement et d’entrer dans un puits de connaissance universelle qui est, semble-t-il, au cœur de chacun de nous, nous nous relions, nous appartenons ». « Et voilà, il m’est donc apparu qu’un citoyen pacifié devient un citoyen pacifiant (5). Il s’implique. Il laisse un sillage de bienveillance, de bienfaisance, de douceur, de générosité, de collaboration, de synergie. Il donne envie qu’on aille avec lui. En se sentant pacifié, il donne envie d’être pacifiant à notre tour ».
J’ai la conviction que cette vie intérieure peut se nourrir de multiples façons. Bien sûr, je recommande de porter régulièrement des moments de gratitude (6). Toutes les personnes qui pratiquent régulièrement des moments de gratitude sentent une énergie, une vitalité, une joie d’être au monde ». Cela ne vient pas nécessairement immédiatement, mais cela « ne manque pas de venir si on jardine cette vie intérieure avec suffisamment de bienveillance et d’attention ».
Dans ce travail, je propose également un exercice, c’est de se poser cette simple petite question que l’on pose autour de soi une dizaine de fois par jour : Comment cela va ? Comment te sens-tu ? Se poser à soi cette question : Comment vas-tu ? Comment te sens-tu ? Qu’est-ce qui est heureux dans ton cœur ? Célébrer ce qui va bien. Commencer par ce qui va bien. Il y a des chose qui vont bien même si nos vies sont tragiques ». Repérons ce qui correspond à nos aspirations profondes et qui nous procurent du contentement. Quand ces aspirations sont nourries en moi, je vais bien. « Je tend donc vers cela. Si ce qui me correspond, c’est « le partage, l’écoute et la sincérité », je vais chercher à créer ces conditions. « Ainsi nous apprenons à nous centrer. Il y a les choses joyeuses qui vont bien dans mon cœur. Je les honore, les célèbre et j’oriente ma vie dans ce sens. Et puis il y a les choses moins joyeuses, plus difficiles, plus éprouvantes. Je les accueille, je les écoute et j’essaie de les comprendre. Petit à petit, j’oriente ma vie pour ne plus retomber dans les circonstances dont je sais par expérience qu’elles ne m’apportent pas de bien-être. Et ainsi, je récupère les manettes de mon existence.
Qu’est ce qui arrive à la plupart de nos contemporains ? Ils n’ont pas les manettes pour orienter leur vie. Or ce n’est pas compliqué. Cela demande juste un peu de jardinage intérieur ».
Ce message est porteur car il se développe à partir d’une expérience et il s’exprime sur un ton qui suscite la sympathie. Il aide à mieux interpréter nos situations de vie et à y faire face. Il nous encourage. Un changement est possible. Oui, nous pouvons !
Bien sûr, dans ce court message, Thomas d’Ansembourg n’a pas le temps d’aborder des situations critiques ou d’entrer dans une réflexion approfondie sur la manière dont nous percevons le sens profond de nos existences, lequel a tant d’importance dans la dynamique de notre vie.
Il s’exprime cependant sur le rapport entre psychologie et spiritualité.
« Je fais le lien avec ce que la plupart des spiritualités nous disent de façon concordante. Si nous prenons un temps d’écoute intérieure, de discernement et d’entrer dans un puits de connaissance universelle qui est, semble-t-il, au cœur de chacun de nous, nous nous relions, nous appartenons ».
Cette conscience d’une relation, d’une appartenance à plus grand que soi, nous paraît essentielle. Et il en est de même du fil conducteur que nous pouvons suivre dans le monde. Sommes-nous inspirés par la sympathie et l’amour ? A certains moments et dans certaines conditions, certains milieux religieux ont pu être pollués par des représentations négatives. Mais aujourd’hui ce n’est pas le courant principal. Thomas d’Ansembourg évoque les bienfaits de la gratitude. A ce sujet, un remarquable article est paru dans Wikipedia. Free encyclopedia (anglophone) (6). « L’étude systématique de la gratitude à l’intérieur de la psychologie a commencé seulement autour des années 2000, peut-être parce ce que la psychologie traditionnellement se focalisait sur les situations de détresses… ». Des études récentes suggèrent que les gens reconnaissants sont aussi plus altruistes et vivent dans un état de bien être subjectif plus élevé. Cependant cet article met également l’accent sur la manière dont la gratitude et la reconnaissance sont au cœur des pratiques de vie chrétiennes et juives. « Dans le judaïsme, la gratitude est une part essentielle de l’acte d’adoration et de la vie du croyant. De même l’expression de la gratitude modèle et donne sa forme à la pratique de vie chrétienne ». Ainsi, sur des registres différents, l’expression de la gratitude est bien une démarche fondamentale. Elle éclaire la relation positive et débouche sur une harmonie.
Dans la gratitude comme dans la démarche de prendre soin de nous-même, il y a un mouvement commun qui est la bienveillance. Dans son livre : « Oser la bienveillance », Lytta Basset a mis en valeur cette dimension essentielle de notre existence : « Bienveillance humaine, bienveillance divine » (7).
Cette vidéo de Thomas d’Ansembourg nous invite à fréquenter ses autres enseignements et notamment les deux autres vidéos rapportées sur ce blog (3). Dans ce monde où nous pouvons être tenté par le pessimisme, l’agressivité ou le repli, cette vidéo contribue à la campagne du mouvement Colibris : « Faisons notre part ! Soyons le changement ! Engageons-nous dans une (r)évolution intérieure ». Thomas d’Ansembourg nous apporte un message tonique. Oui, cette évolution positive est possible. Il y a de l’espoir !
Sur ce blog, un regard sur le mouvement Colibris : « une jeunesse engagée pour une société plus humaine et plus durable » : https://vivreetesperer.com/?p=1780
(5) Dans son livre : « la guérison du monde», Frédéric Lenoir met en évidence le développement d’un courant spirituel qui allie intériorité et engagement collectif. Sur ce blog : « Un chemin de guérison pour l’humanité » : https://vivreetesperer.com/?p=1048
(7) Sur ce blog : Lytta Basset. « Oser la bienveillance ». « Bienveillance humaine. Bienveillance divine. Une harmonie qui se répand » : https://vivreetesperer.com/?p=1842
Au départ, dans les années 1970, N T Wright (1) est un exégète innovant qui prend en compte le milieu et la culture de l’époque où Jésus a vécu et où l’Évangile s’est propagé. Son parcours s’est poursuivi dans des fonctions pastorales. De 2003 à 2010, il est évêque anglican de Durham. N T Wright a écrit de nombreux livres. Il présente dans leur contexte les livres du Nouveau Testament pour le grand public. Théologien, il met l’accent sur le rôle majeur de Paul (2). Il proclame la réalité fondamentale de la résurrection. Il présente la foi chrétienne à un grand public dans une vision dynamique. Ainsi, dans un livre bien accueilli : « Surprisedby Hope », Wright met en avant l’accent sur la Résurrection comme un fondement de l’espérance partagée par tous les chrétiens. Il critique la polarisation sur une conception du salut comme « aller au ciel quand vous mourrez ». Il s’élève contre la doctrine de « l’enlèvement de l’Église », prisée par certains milieux aux Etats-Unis.
Or, en 2019, NT Wright, avec Michaël F Bird vient de réaliser une grande œuvre, un livre de près de mille pages, une « introduction à l’histoire, à la littérature et à la théologie des premiers chrétiens » : « The New Testament and its world » (le Nouveau Testament et son monde » (3). Ce livre est « votre chemin de passage du XXIè siècle à l’ère de Jésus et des premiers chrétiens ». Il « replace le Nouveau Testament et le premier christianisme dans son contexte original ». « Rassemblant plusieurs décennies de la recherche innovante de NT Wright, cet ouvrage présente les livres du Nouveau Testament comme un phénomène historique, littéraire et social localisé dans le monde du judaïsme du Second Temple au milieu de l’univers politique et culturel gréco-romain et à l’intérieur du premier christianisme ». (Page de couverture). Un commentateur peut écrire : « « La grande et hardie interprétation du Nouveau Testament construite par NT Wright parait ici dans un volume accessible ». Cet ouvrage est donc destiné à nous permettre de lire intelligemment le Nouveau Testament, mais son auteur NT Wright désire également que cette lecture compte pour nous aujourd’hui : « Making the New Testament matter for today » (p 878). Ainsi, le dernier chapitre s’intitule : « Bringing it all together ». En quoi tout ceci nous concerne et importe pour nous ? Nous débouchons ici sur une vision du monde.
Rendre le Nouveau Testament pertinent pour aujourd’hui
« Naturellement, le Nouveau Testament porte une foi à confesser ». Cependant, « la vérité dont parle le Nouveau Testament est toujours profondément personnelle. C’est une personne, Jésus, le Messie d’Israël et le Seigneur du monde, Celui dans lequel la vérité de Dieu est incarnée et son projet accompli. En dernière analyse, la vérité biblique n’est pas une série de propositions à mettre dans leur ordre logique. C’est une l’histoire, une histoire qui culmine dans le Messie d’Israël, Jésus, et trouve son issue ultime dans la nouvelle créationfinale » (p 879). NT Wright situe le Nouveau Testament par rapport à l’Ancien. Les citations de ce dernier ne sont pas tant un mode de preuve. « Les premiers chrétiens se virent eux-mêmes comme s’inscrivant dans des récits de création, l’exil d’Israël et l’espoir d’un nouvel exode dans le récit de l’évangile de l’église »… Ainsi, « Abraham s’inscrit dans une grande histoire, celle d’Israël de telle manière qu’Abraham est le point de départ de l’opération divine de sauvetage, le Messie étant la conclusion dramatique et inattendue en charge de mettre le tout en pratique. La communauté croyante est le peuple à la dimension du monde sous la conduite de l’Esprit ». L’auteur s’interroge sur les résistances de certains vis-à-vis de ce narratif, soit qu’il leur apparaisse comme réduisant la grâce à un simple surplus d’un progrès historique immanent, soit qu’il soit confondu avec une pensée Hégélienne. Mais « quand nous saisissons le monde de la pensée et particulièrement le monde narratif du Second Temple, des juifs, tels que Paul, Pierre et Jean…. nous voyons comment, pour eux, la bonne nouvelle de Jésus le Messie, crucifié et ressuscité faisait sens dans ce monde. Leurs allusions à Adam, Abraham et Israël n’étaient pas des preuves auxquelles ils faisaient appel. Ils savaient plutôt qu’ils puisaient dans une histoire singulière, linéaire. Par exemple, Abraham était perçu comme le commencement de la réponse divine à Adam nécessitant une pleine réponse dans l’accomplissement ultérieur du Messie. De surcroit, il y a une étroite connexion entre Abraham et la maison de David »… « il y a le sens qu’Esaïe 40-55 est maintenant devenu vrai en Jésus et est maintenant en train de devenir vrai dans l’église conduite par l’Esprit. L’œuvre du « serviteur » a accompli le projet divin de mettre fin au long exil d’Israël et de restaurer la création elle-même ». NT Wright met en évidence les oublis qui ont longtemps affecté l’exégèse occidentale et engendré une perte de sens : on avait perdu de vue que « le projet de Dieu à travers Abraham était de sauver la race humaine » et que, pour ce sauvetage, Dieu travaillait à l’intérieur de la création à travers ses « porteurs d’image (« image-bearers ») si bien que sauver les humains du péché et de la mort n’était pas accompli pour leurs seuls bénéfices, mais, de telle manière qu’à travers des humains renouvelés, Dieu sauve la création elle-même ». A la suite des exils d’Israël et des souffrances engendrées, le nouvel exode est le sauvetage d’Israël – dans la personne du Messie qui a vaincu la puissance des ténèbres et est ressuscité des morts – et, avec cela, le sauvetage de la race humaine dans son ensemble » (p 880).
Quelle vision du monde ?
« La théologie chrétienne est une théologie narrative (storied theology). Elle parle d’un grand narratif au sujet de Dieu et de la relation de Dieu avec le monde de la création à la nouvelle création avec Jésus au milieu… le narratif concerne un créateur et sa création : des humains faits à l’image du créateur et appelés à réaliser certaines tâches ». Le créateur a agi pour remédier à la rébellion des humains, à travers Israël et à l’extrême à travers Jésus. L’histoire continu : « Le créateur agit par son Esprit dans le monde pour y apporter sa restauration et une nouvelle floraison, ce qui est son but ».
Cependant, « ce narratif constitue également une vision du monde, une manière de comprendre les réalités et les relations dans le monde comme nous les percevons ». « Une vision du monde n’est pas ce que nous regardons, mais ce à travers quoi nous regardons. Elle génère une représentation de la manière dont nous devrions vivre dans le monde et, par-dessus tout, le sens de l’identité et de la place qui permet à des êtres humains d’être ce qu’ils sont. Les visions du monde procurent des réponses généralement non définies et implicites, mais d’autant plus puissantes pour des questions qui commencent avec : « qui ? », « où ? », et « quoi ? », « comment ? », et « quand ? ». Des croyances et des actions émergent de cette combinaison sous-jacente de récits, de symboles, de pratiques, et de questions qui constituent la vision du monde » (p 881).
NT Wright présente alors les réponses apportées par la théologie chrétienne à ces cinq questions qui fondent une vision du monde.
° Qui sommes-nous ? « Nous sommes des humains faits à l’image du créateur. Nous avons des responsabilités vocationnelles qui correspondent à ce statut. Fondamentalement, nous ne sommes pas déterminés par la race, le genre, la classe sociale, la localisation géographique, et nous ne sommes pas de simples pions dans un jeu déterministe ».
° Où sommes-nous ? « Nous sommes dans un monde bon et beau bien que passager, la création de Dieu dans l’image duquel nous sommes faits. Nous ne sommes pas dans un monde étranger et hostile (comme les gnostiques l’imaginent), ni dans un cosmos auquel nous devons allégeance comme à un être divin (comme les panthéistes le suggéreraient) et non plus dans un monde dépourvu de sens (comme l’épicurianisme, ancien et moderne, le suggère) ».
° Qu’est ce qui est mauvais ? « L’humanité s’est rebellée contre le créateur. Cette rébellion reflète une dislocation cosmique entre le créateur et la création et le monde est en conséquence désaccordée avec son intention créatrice. Une vision chrétienne du monde rejette le dualisme qui associe le mal à la création et à la nature physique. Elle rejette également le monisme qui analyse le mal simplement en terme de quelques humains en partie désaccordés avec leur environnement. Son analyse du mal est plus subtile et va plus loin… » Elle refuse également d’ériger en vérité des analyses partielles comme celles de Marx et de Freud.
° Comment ceci peut être mis à l’endroit ? « Le créateur a agi, est agissant et agira à l’intérieur de sa création pour traiter avec le poids du mal amené par la rébellion humaine et ainsi ramener le monde à la finalité pour laquelle il a été fait, c’est-à-dire qu’il résonne pleinement avec sa présence et sa gloire. Naturellement, cette action trouve son centre, son moteur en Jésus et dans l’esprit du créateur ». Les solutions partielles sont écartées.
° Quelle heure est-il ? « De l’ancien Israël aux juifs du second Temple et jusque dans le premier christianisme, il y a toujours eu un sens de là où nous sommes dans l’histoire. Du point de vue chrétien, nous sommes dans le temps de l’accomplissement, le temps où le royaume de Dieu a déjà été lancé d’une façon décisive sur terre comme au ciel à travers l’œuvre de Jésus lui-même. Toutes choses, y compris la mort, sont soumises à son règne. C’est le cinquième acte de la scène cosmique de cinq actes qui commença avec la création, continue avec la rébellion humaine, a vu l’appel d’Abraham et de sa famille, et puis a vu cela porter le fruit ultime en Jésus. L’église menée par l’esprit est appelée à vivre la vie humaine authentique anticipant dans le présent la vie de « l’âge à venir », dans la libération de la puissance du mal qui a été lancée par la mort et la résurrection de Jésus » (p 882).
N T Wright nous montre en quoi la vision du monde chrétienne induit un genre de vie.
« La vision du monde chrétienne engendre un mode particulier d’être au monde ». Et là, l’auteur cite l’épitre à Diognète, écrite par un auteur chrétien de la fin du IIe siècle. Il y est dit que « ce que l’âme est dans le corps, c’est ainsi ce que sont les chrétiens dans le monde, c’est-à-dire : moyens de vie, préservation, guérison et amour répandus dans le monde ».
En fait, dans le cas du christianisme, on pourrait mieux l’exprimer comme étant « pour » lemonde puisque, fondamentalement, dans la vision du monde chrétienne, l’humanité s’inscrit dans le dispositif du créateur de prendre soin dumonde, et les chrétiens, en particulier, sont en charge d’apporte la guérison dans le monde » (p 882-883). Naturellement, comme pour d’autres visions du monde, ceux qui y adhèrent ne sont pas forcément à la hauteur, mais, en principe, la vision chrétienne du monde incite à la guérison du monde et à l’anticipation de l’accomplissement final.
Quelle sont les croyances de base ? s’interroge NT Wright. Il passe en revue les affirmations de base des premiers siècles. « Inspiré directement par le Nouveau Testament lui-même, le IIe siècle a insisté sur le fait que la rédemption signifiait la réaffirmation de la bonté de la création originelle. Les IIIe et le IVe siècles, faisant à nouveau écho au Nouveau Testament, ont insisté sur le fait que Jésus était et doit être identifié comme incarnant dans une forme humaine le Dieu unique d’Israël. Les IVe et Ve siècle, s’appuyant sur les écrits bibliques ont insisté sur le fait que la vie chrétienne, œuvre et témoignage, était et est elle-même l’œuvre du même Dieu vivant en la personne de son esprit… Le Nouveau Testament fournit ainsi la base pour une théologie et une vision du monde que nous pouvons expliquer et énoncer dans la guidance de l’Esprit, quelques réalités universelles dans l’expérience humaine : la justice, la spiritualité, la relation, la beauté, la liberté, la véritéet la puissance. Une vision chrétienne du monde nous dit ce que ces réalités signifient, qu’en faire, comment nous en réjouir et comment ne pas en abuser. Une vision chrétienne du monde centrée sur ces réalités nous rend capable de nous engager dans une adoration authentique, d’accomplir la vocation chrétienne et de promouvoir l’épanouissement des humains, individuellement et collectivement » (p 884).
Une vision du monde qui ouvre un chemin
Ce chapitre se poursuit par deux développements, l’un sur « la mission » et l’autre sur « une manière de vivre chrétien ». Nous y renvoyons le lecteur. Cependant, en lien avec la perspective de NT Wright sur la vision du monde chrétienne, nous l’entendons préciser sa manière d’envisager la mission de l’Église.
« La mission de l’église – ou plus justement la mission de Dieu à travers l’église, la tâche en cours pour laquelle le Dieu vivant envoie et équipe l’église – peut être justement comprise seulement à la lumière d’une eschatologie pleinement biblique. Cela veut dire adopter fermement la vision biblique de la nouvelle création, du nouveau ciel et de la nouvelle terre, inaugurée quand Jésus a annoncé le royaume de Dieu et a ressuscité des morts après avoir vaincu les puissances des ténèbres et appelée à être consommée à son retour en gloire quand il rendra toute chose nouvelle. La mission de l’église dérive de cette inauguration, dynamisée par le même esprit par le pouvoir duquel Jésus est ressuscité et elle pointe en avant vers cette consommation, l’anticipant, démontrant sa vie transformant la réalité même dans le moment présent, et appelant les hommes, les femmes et les enfants à prendre part à la vie nouvelle commune et personnelle qui est déjà une réalité et qui sera pleinement réalisée à la fin… Dans cette perspective, le rôle de l’église est de proclamer le seigneur Jésus, d’appeler les gens à le suivre avec foi, à nourrir les croyants de manière à ce qu’ils deviennent de saint disciples et pratiquent la miséricorde et la justice dans chaque contexte et chaque environnement… » (p 884).
En espérance
Ce chapitre s’achève par une grande évocation de l’espérance qui vient nous éclairer au milieu des ombres que nous rencontrons en chemin et dans l’écart que nous ressentons parfois ente la vision et le vécu quotidien. « En Romains 15.4, Paul nous indique que le but de l’écriture est de nous permettre d’avoir une espérance. Il parlait naturellement des écritures d’Israël, mais le même rôle est dévolu aux premiers écrits chrétiens. Si il en est ainsi, alors, un but éminent de l’étude du nouveau Testament est d’expliquer et d’éclairer la substance de cette espérance. En fait, nous pourrions même dire que la mission de l’église est de partager et de refléter l’espérance future telle que le Nouveau Testament la présente ». Cette espérance n’est-elle pas à porter dans un monde plus ou moins désespéré, là où on voit « les effets du chaos financier global », là où il y a « du chômage et des familles brisées », là où « les réfugiés se sentent étrangers et méprisés », là où « l’injustice raciale parait hideusement naturelle et où la xénophobie fait partie de la rhétorique politique habituelle ». Et NT Wright continue d’énumérer les situations marquées par la souffrance sociale,… « un monde dans lequel les riches ne cessent de devenir plus riches et les pauvres ne cessent de devenir plus pauvres ». « L’église dans la puissance de l’esprit doit marquer dans sa vie et son enseignement qu’il y a plus pour être humain que la simple survie, plus que l’hédonisme et le pouvoir, plus que l’ambition et la distraction… Il y a quelque chose de plus puissant que l’économie et les bombes ». « Il y a une manière différente d’être humain et elle a été lancée, d’une façon décisive par Jésus. Il y a un nouveau monde et il a déjà commencé et il œuvre par la guérison et le pardon, et se manifeste à travers de nouveaux départs et une fraiche énergie ».
« L’église, parce qu’elle est la famille qui croit en la nouvelle création, une croyance constamment réaffirmée dans le Nouveau Testament, devrait se manifester dans chaque ville et chaque village comme l’espace où l’espérance éclate. Non pas seulement l’espérance qu’il y a quelque chose de meilleur dans l’au-delà : plutôt, une croyance que le nouveau monde de Dieu a été semé, comme des graines dans un champ et qu’il est déjà en train de produire des fruits surprenants. La vie du nouveau monde a déjà été déchargée dans le temps présent. Et ce que nous faisons comme résultat de cette vie, cette énergie et cette direction données par l’esprit, est déjà en soi, une partie du nouveau monde que Dieu est en train de créer. Quand cette espérance prend racine, l’histoire racontée par l’ensemble du Nouveau Testament prend vie à nouveau et à nouveau, à travers Jésus et par son esprit. Le nouveau monde est né ». (p 889).
Inspiré par une connaissance intime du Nouveau Testament, NT Wright développe une théologie qui va de pair avec une vision chrétienne du monde et l’espérance qui l’accompagne. Dans la perspective de NT Wright, à partir de la mort et de la résurrection de Jésus, en réponse aux attentes prophétiques, nous sommes engagés dans une nouvelle création et appelés à participer à « un nouveau monde ». Certes, dans notre actualité si brutale, ce « nouveau monde » est parfois difficile à reconnaitre. A nous d’en faire l’expérience et de le découvrir. Cette dynamique théologique vient bousculer une piété repliée sur elle-même et exclusivement tournée vers un salut individualiste. Ainsi l’auteur émet un reproche : « Nous avons Platonisé (suivant la philosophie de Platon) notre eschatologie, substituant les âmes allant au paradis à la nouvelle création promise » (p 878). Cette théologie se fonde sur une histoire et accorde une grande importance à l’église. On peut envisager l’œuvre du Saint Esprit, au-delà. Engagée dans le monde, cette théologie a été bien reçue dans les milieux de l’Église émergente, comme il en a été de même pour la théologie de Jürgen Moltmann, théologie elle aussi à dimension eschatologique. Ce fut dans sa « théologie de l’espérance » que Jürgen Moltmann rencontra une vaste audience (4) et le texte de NT Wright sur la vision chrétienne du monde s’achève par un accent sur l’espérance.
N T Wright. Michaël Bird. The New Testament in its world. An introduction to the history, literature and theology of the first Christians. Zondervan, 2019
Comment l’expérience d’une communion dans l’Esprit permet de surmonter la pression de l’avidité collective et de générer un genre de vie communautaire
Une méditation sur « le communisme chrétien originel » Par Jürgen Moltmann
Dans le Livre des Actes (4.32-34), Luc nous décrit un élan de partage dans la première église. « La multitude de ceux qui avaient cru n’était qu’un cœur et qu’une âme. Nul ne disait que ses biens lui appartenaient en propre, mais tout était commun entre eux… Il n’y avait parmi eux aucun indigent… ». Ce texte inspirant est bien connu, mais peut-on en tirer des enseignements pour aujourd’hui ?
Dans un livre, écrit dans la foulée de « The Spirit of Life » (1991), « The Source of Life » (La Source de Vie) (1), paru en 1997, se voulant accessible à un grand public, mais n’ayant jamais été traduit en français, Jürgen Moltmann a écrit un texte intitulé : « Une méditation sur le communisme chrétien originel » (2). Alors qu’on s’inquiète aujourd’hui des ravages entrainés par le productivisme et le consumérisme, et des inégalités résultant de la concentration des richesses, ce texte écrit il y vingt-cinq ans, nous paraît étonnamment actuel. Dans un société où le manque de sens engendre une fuite dans une avidité collective, la dynamique de l’Esprit, présente aux origines de l’Eglise et toujours disponible, se présente à nous pour nous inspirer une fraternité active, une vie pleine, une société apaisée.
L’exemple de la toute première Église
Le texte des Actes nous décrit un mouvement de solidaritéinédit : « Il n’y avait pas de personnes nécessiteuses parmi eux. Car ceux qui possédaient des terres et des maisons les vendaient et en apportaient la recette aux apôtres. Et l’on faisait distribution à chacun selon qu’il en avait besoin » (Actes 4.35). « Il y avait assez pour chacun ! Tel est l’incroyable message de cette histoire » commente Jürgen Moltmann. Certes, il y bien des historiens pour dire que cela n’a pas duré longtemps. Mais si ce récit rapporte un âge d’or, on peut y voir également « une révélation du réel, des possibles genres de vie pour nous aujourd’hui. Nous pouvons avoir cette expérience nous-mêmes : l’expérience de la communauté de l’Esprit Saint » (p 102).
Jürgen Moltmann évoque les enjeux. « Il y a assez pour chacun. Mais aujourd’hui, des millions d’hommes et de femmes sont incapables de trouver du travail. Les ressources minières deviennent de plus en plus rares. Les sources d’énergie sont en train de s’épuiser. Les prix sont en train de monter. Les besoins s’étendent dans tous les domaines de la vie. Quelle contradiction ! » (p 103). Il est vrai que le manque et l’anxiété, qui en résultent, remontent loin dans l’histoire. « Il n’y a jamais eu assez, il n’y a encore pas assez et il n’y aura jamaisassez… Mais où est la vérité ? ». « L’histoire de la Pentecôte n’est pas une nouvelle théorie sociologique. Elle parle d’une expérience de Dieu. C’est une expériencede l’Esprit qui descend sur des hommes et des femmes, les imprègnent, âme et corps, et les amènent à former les uns avec les autres une communauté et un fraternité nouvelle. Dans cette expérience, les gens ont ressenti qu’ils avaient été remplis d’énergies nouvelles dont ils n’avaient pas imaginé qu’elles puissent exister et ils y ont trouvé du courage pour un nouveau genre de vie » (p 104).
Un monde déchiré en manque spirituel
En regardant le monde, et notamment son propre pays, l’Allemagne, Jürgen Moltmann y voit un désir insatiable. Dans tous les domaines de la vie, le principe dominant est : « pas assez ». L’économie est basée sur l’exacerbation des besoins : « Nous assumons qu’il y a des besoins partout, des besoins qui peuvent être satisfaits seulement par du travail, et toujours plus de travail en accélérant la production et en réalisant de plus en plus de produits de masse… Il n’y a jamais assez pour chacun. Et c’est pourquoi nous luttons pour davantage de pétrole, davantage de minerais, davantage de marchés mondiaux… Une chasse permanente à la recherche d’argent et de plaisir » (p 106).
Cependant, n’avons-nous pas réellement besoin de ce que nous consommons ? « Evidemment, il y a des besoins naturels, des besoins de base qui doivent être satisfaits, pour vivre dans des conditions humaines et décentes. Mais notre économie a laissé ces besoins de base loin derrière. Ce ne sont pas ces requêtes naturelles qui dominent nos vies et fournissent le moteur de notre économie. C’est une demandequi a été stimulée etaugmentée artificiellement. Dans notre société moderne, les êtres humains ont apparemment été transformés en monstres voraces. Ils sont tourmentés par une soif de vivre insatiable Ils sont possédés par un appétit de pouvoir insatiable. Plus ils ont, plus ils ont besoin et ainsi leur appétit est sans fin et ne peut être apaisé ». Le diagnostic est sévère, mais lorsqu’on regarde la publicité aujourd’hui, on le reconnait.
Mais pourquoi cette situation ? C’est ici que Moltmann vient esquisser une explication. Ce qui est en cause, c’est une peur commune de la mort. « Consciemment ou inconsciemment, les humains sont dominés par la peur de la mort. Leur avidité de vivre est réellement leur peur de la mort et leur peur de la mort trouve son expression dans un appétit de pouvoir débridé. « Vous vivezseulement une fois », nous dit-on. « Vous pourriez manquer quelque chose ». Cette faim de plaisir, de possession, de pouvoir, cette soif de reconnaissance à travers le succès et l’admiration – voilà la perversion des hommes et des femmes modernes. Voilà leur dévotion. La personne qui perd Dieu fait un dieu d’elle-même. Et, de cette façon, un être humain en vient à devenir un mini-dieu orgueilleux et malheureux ».
Jürgen Moltmann poursuit sa critique à une échelle sociale. « Il n’y en a jamais assez pour chacun. Alors prenez maintenant et servez-vous ! C’est ce que la mort nous dit – la mort qui nous avale après que nous ayons avalé tout le reste. Notre économie moderne est fondée sur le besoin. Notre idéologie moderne de la croissance, et notre obsession moderne de l’expansion sont des pactes avec la mort » (p 107). La peur du manque, engendrée par une inquiétude existentielle suscite des conflits. « « Il n’y a pas assez pour chacun » : ce slogan ébranle chaque communauté humaine et dresse une nation contre une autre et finalement dresse chacun contre quelqu’un d’autre et chacun contre lui-même. C’est un slogan de peur qui rend les gens solitaires et les entraine dans un monde en principe hostile. « Chacunpour soi » dit on. Cela débouche sur un monde qui est réellement sans cœur et sans âme… » (p 107-108). A ce stade, on peut s’interroger sur l’état du monde. Moltmann rappelle la pauvreté qui affecte une part de la population des pays riches, mais aussi celle qui règne dans des pays du TiersMonde. Ces pays ont eux-mêmes souffert d’une oppression extérieure. « Ils ne souffrent pas à cause d’une déficience naturelle. Ils souffrent de l’injustice exercée par d’autres, de la répartition inégale des richesses, de prix injustes et d’une inégalité des opportunités de la vie » (p 108). La pauvreté est insupportable lorsqu’elle est ressentie comme la résultante d’une injustice.
En revenir à la source divine
Si nous désirons la vraie vie et échapper à la mort universelle du monde, « si nous désirons les vraies richesses de la vie et échapper à la pauvreté et au besoin, alors nous devons faire demi-tour et commencer au point où la perte la plus sévère de toute est celle de Dieu. Une absence de Dieu mène à un sentiment de confusion (Godlessness leads to the feeling of godforsakenness). La confusion mène à la peur de la mort et à une convoitise dévorante. Et alors, il n’y en a « jamais assez ».
Mais si Dieu n’est pas loin, si Dieu est proche, si Dieu est présent parmi nous, à travers l’Esprit, alors nous trouvons une nouvelle et indescriptible joie en vivant. Nous sommes gardés en sécurité (safe keeping), nous sommes chez nous (at home), on nous fait confiance et nous pouvons nous faire confiance ainsi qu’aux autres. Notre besoin le plus profond, le besoin de Dieu a été satisfait. Notre aspiration au bonheur a été comblée. Dieu est présent, présent dans son Esprit… Dieu est vivant dans nos vies comme le Dieu vivant. Nos vies limitées, vulnérables et mortelles, sont pénétrées et soutenues de part en part par la vie de Dieu qui est illimitée, glorieuse et éternelle. Avec toutes les perceptions de notre mental, les mouvements de notre âme, les besoins et impulsions de notre corps, nous participons à la vie éternelle. Dieu est présent par son Esprit… « En Lui, nous avonsla vie, le mouvement et l’être ». Les gens qui en font l’expérience et en prennent conscience, découvrent combien ils deviennent calmes et relaxés, parce que ils ont cessé d’avoir peur et sont envahis par une grande paix » (p 108-109).
Une vie en abondance
« Il est remarquable que lorsque dans le Nouveau Testament, les gens parlent de leur expérience de Dieu dans l’Esprit de vie qui nous fait vivre, ils deviennent radieux et emploient des superlatifs. Ils parlent de « l’abondance de l’Esprit », de la « grâce débordante », et de « richesses de vie » sans limites. Chacun a assez, plusqu’assez, et alors, il n’a pas besoin de davantage ou d’une autre manière. C’est une expérience de vie unanime dans l’Esprit divin créateur qui donne la vie ».
Mais n’est-ce là qu’une belle histoire dans un moment passager ? Est-ce une réalité accessible, et accessible encore aujourd’hui ? Et si cette réalité change les comportements, dans quelle mesure, elle permet de comprendre ce qui changerait si cette réalité s’étendait ? Jürgen Moltmann expose en trois points les différentes manières d’envisager les changements que l’influx de l’Esprit peut entrainer.
1° « Les apôtres donnaient avec une grande puissance leur témoignage à propos de la résurrection du Seigneur Jésus et une grande grâce était avec eux tous ». Voilà le commencement. C’est la résurrection du Christ crucifié qui ouvre la voie à la plénitude de vie, une vie éternellement vivante. Le pouvoir de la mort a été retiré. Les menaces de la mort ont déjà cessé d’être effectives. Être dans le besoin signifie être coupé des plaisirs de la vie. Être dans le besoin signifie ne pas avoir assez à manger et à boire. Être dans le besoin signifie être malade et seul. En dernier ressort, être dans le besoin, c’est perdre la vie elle-même. Le plus grand besoin de tous, la plus grande perte, c’est la mort. Tous les autres besoins et les autres souffrances que nous ressentons dans la vie sont connectés avec la mort. Ils ont tous quelque chose que la mort enlève à la vie. Parce que nous savons que nous devons mourir, nous ne trouvons jamais assez dans la vie. Mais parce que Christ est ressuscité, une espérance se lève en faveur de la vie, une vie qu’aucune mort ne peut tuer, une vie où on trouve qu’il y a toujours assez, plus qu’assez, pas seulement pour ceux qui sont vivant, mais aussi bienpour lesmorts » (p 105).
2° Mais il y a également un autre facteur de cette libération du besoin. « Maintenant, la communauté de ceux qui croyaient, vivaient d’un seul cœur et une seuleâme ». Un ensemble de gens, inconnus les uns des autres, forment une communauté et ils partagent « un seul cœur et une seule âme ».Voici ce que l’Esprit de communion (Spirit of fellowship) signifie. L’Esprit de communion, l’Esprit qui engendre la fraternité est parmi nous. En Lui, les divisions entre les gens sont surmontées. L’oppression des uns par les autres est arrêtée. L’humiliation des gens par d’autres cesse… les maîtres et les serviteurs deviennent amis. Les privilèges et les discriminations disparaissent. Nous devenons « un seul cœur et une seule âme ». Ce qui arrive, ce dont on fait l’expérience, n’est rien moins que Dieu lui-même. Quel Dieu ? Le Dieu qui fait l’entre-deux, le Dieu médiateur, « The go-between God », comme l’évêque John Taylor l’a appelé, le Dieu qui est communion et communauté, le Saint Esprit. Nous sortons de la solitude pour entrer dans une vie commune. Notre peur les uns des autres devient ridicule parce qu’il y a assez pour chacun. Dieu lui-même est là pour chacun… » (p 105).
3° Dans cette ambiance nouvelle, l’esprit de propriété disparait. « Personne ne disait que quoi qui lui appartenait était à lui, car ils avaient tout en commun ». C’est le troisième facteur et tout le reste débouche là-dessus. Dans l’Esprit de résurrection et l’expérience d’un Dieu communion, personne n’a besoin de s’accrocher à ses biens plus longtemps… Alors toutes les propriétés sont là pour être à la disposition des gens qui en ont besoin. Voilà pourquoi « ils avaient tout en commun ». Et c’est pourquoi « il n’y avait pas de personnes nécessiteuses parmi eux »… » (p 106).
Que pouvons-nous faire ? Réaliser des communautés.
Aujourd’hui, face à la crise qui prévaut à grande échelle : les tensions engendrées par lesinégalités et la menace pressante suscitée par le réchauffement climatique suite à l’emballement de la production et de la consommation, le remède réside dans « la sobriété heureuse » selon l’expression de Pierre Rabhi et dans une répartition plus égalitaire des revenus. Mais ce changement requiert une transformation conjuguée des politiques et des mentalités. Ici, on peut se rappeler la devise de Gandhi : « Pour changer le monde, il faut commencer par nous changer nous-même ». Cet appel est relayé aujourd’hui à travers le développement d’exigences spirituelles, tout particulièrement dans la militance écologique (3). Jürgen Moltmann a montré que l’œuvre de l’Esprit ne se limitait pas au champs de l’Église, mais s’exerçait dans le monde et dans toute l’humanité (4). Dans ce chapitre, il s’interroge : « Que devrionsnous faire ? » : « Je suggère que la meilleure chose que nous puissions faire, c’est de réaliser des communautés d’une dimension gérable et de renforcer le sens de la vie que nous partageons les uns avec les autres et les uns pour les autres. L’idéologie du « Il n’y a jamais assez pour chacun » rend les gens solitaires. Elle les isole et les ravit de leurs relations. L’opposé de la pauvreté n’est pas la propriété. L’opposé à la fois de la pauvreté et de la propriété, c’est la communauté. Car, dans la communauté, nous devenons riches : riches en amis, riches en voisins, riches en collègues, riches en camarades, riches en frères et en sœurs… Dans une communauté, il y a suffisamment de gens, suffisamment d’idées, suffisamment de capacités et d’énergies pour faire face… Alors découvrons notre richesse, découvrons notre solidarité, réalisons des communautés, prenons nos vies en main, et, à la longue, échappons aux gens qui veulent nous dominer et nous exploiter ».
De fait, on s’aperçoit que ces communautés peuvent être très efficaces. « Tous les projets d’aide vraiment efficaces proviennent de communautés spontanées à un niveau de base, et non d’en haut… ». Moltmann remarque que, si on peut considérer que l’œuvre de ces communautés s’inscrit dans la royaume de Dieu, les églises n’en sont pas toujours conscientes. « Dans les grandes organisations bureaucratiques de la société, l’état et les partis, les églises et l’université, il y a toujours du besoin. Mais dans la rencontre volontaire d’hommes et de femmes à un niveau de base, une vraie richesse de vie est expérimentée » (p 110).
Chercher et proclamer la justice
Quand y a-t-il assez pour chacun ? « Quand la justice s’ajoute à la plénitude de vie, aux puissances de vie et aux moyens de vivre, la justice s’assure que chacun reçoit ce dont chacun a besoin – pas moins, pas plus ». De plus, nous dit Jürgen Moltmann, dans l’inspiration divine, nous avons soif de justice. « De différentes manières, l’Esprit de vie nous rend assoiffés, insatiablement assoiffés… Bénis ceux qui ont faim etsoif de droiture (rigtneousness). Voici le domaine où nous allons trouver nos tâches dans l’avenir : dans le mouvement pour la justice dans notre propre pays et dans la mise en œuvre de la justice entre les pays pauvres et les pays riches du monde… La faim de justice est un faim sacrée. La soif de droiture est une soif sacrée. C’est la faim et la soif du Saint Esprit lui-même. Puisse l’Esprit nous en remplir entièrement » (p 110).
Un texte pour notre temps
Ce chapitre d’un livre de Jürgen Moltmann publié en 1997, a donc été écrit il y a vingt-cinq ans. Or il nous paraît correspondre aux problèmes de notre temps. Nous en percevons l’actualité à plusieurs titres : quant à l’analyse, quant au diagnostic, quant à la recommandation. Et plus encore, ce texte nous montre la pertinence et la portée de l’approche évangélique.
La course à la consommation entretenue par la publicité est accompagnée par une course à la production qui épuise et pille les ressources naturelles. Le consumérisme accompagne le productivisme. Nous assistons à une accélération perturbatrice comme l’observe le sociologue, Harmut Rosa (5). C’est aussi la recherche du profit dans une société et dans un monde inégalitaires. Parallèlement, il y a bien une recherche de pouvoir. La philosophe Corinne Pelluchon pointe des effets de domination dévastateurs (6). Ces phénomènes sont incompatibles avec une entrée dans « l’âge du vivant ». A cet égard, on sait combien Jürgen Moltmann s’est engagé très tôt dans une théologie écologique (7).
Nombreux sont aujourd’hui les analystes et les commentateurs qui perçoivent une crise spirituelle à l’origine de la grande crise écologique. Ainsi appelle-t-on au changement personnel comme condition au changement de la société et du monde. Ici, Jürgen Moltmann met l’accent sur la « perte de Dieu ». « L’absence de Dieu mène à un sentiment de confusion (Godlessness leads to the feeling of godforskenness). La confusion mène à la peur de la mort et à une convoitise dévorante ». Moltmann pointe les effets de cette peur de la mort qui entraine l’anxiété, la fuite, une recherche de compensation provisoire dans les plaisirs, les honneurs, la recherche et l’exercice du pouvoir. Cette fuite est bien exprimée par Paul dans l’épitre aux Corinthiens (15.32) : « Si les morts ne ressuscitent pas, mangeons et buvons, car demain, nous mourrons ». Si les attitudes ne paraissent pas toujours aussi tranchées, on peut estimer que la crainte est plus ou moins présente dans l’inconscient.
La recommandation de Moltmann nous paraît tout aussi actuelle parce qu’il sait percevoir les bienfaits d’une vie communautaire, tels que la première église en a fait l’expérience et tels qu’on peut les apprécier aujourd’hui ; Jürgen Moltmann est conscient de l’agilité dont peuvent faire preuve des communautés à dimension humaine et c’est pourquoi il les inscrit au premier rang de l’action sociale. Elles sont également souvent porteuses de la dimension fraternelle à laquelle tant de gens aspirent (8). Aujourd’hui encore, des associations jouent un rôle essentiel dans la mise en œuvre du changement social et de la prise de conscience écologique.
Si Moltmann expose les conséquences malheureuses de la perte de Dieu, et notamment des incidences sociales néfastes, il a également conscience du processus à travers lequel cet éloignement de Dieu est intervenu. Une perception mécaniste de l’univers a joué un rôle, mais également, pour une part, la conception religieuse d’un Dieu perçu comme oppressif. Dans un livre ultérieur : « The livingGod and the fullness of life » (2016) (Le Dieu vivant et la plénitude de vie) (9), Jürgen Moltmann démonte cette conception et esquisse le visage d’un Dieu, communion d’amour et puissance de vie. « Si une forme de christianisme a pu apparaître comme un renoncement au monde, Moltmann nous présente au contraire un Dieu vivant qui suscite une plénitude de vie. « Avec Christ, le Dieu vivant est venu sur cette terre pour que les humains puissent avoir la vie et l’avoir en abondance » (Jean 10.10)… Ce que je désire, écrit Moltmann, c’est de présenter une transcendance qui ne supprime, ni n’aliène notre vie présente, mais qui libère et donne vie, une transcendance par rapport à laquelle nous ne ressentions pas l’envie de lui tourner le dos, mais qui nousremplisse d’une joie devivre (p X.XI). C’est cette même image de Dieu que Moltmann évoque dans son texte paru en 1997 : « Mais si Dieu n’est pas loin, si Dieu est proche, si Dieu est présent parmi nous, à travers l’Esprit, alors nous trouvons une nouvelle et indescriptible joie en vivant. Nous sommes gardés en sécurité (safe keeping), nous sommes chez nous (at home), on nous fait confiance et nous pouvons nous faire confiance ainsi qu’aux autres. Notre besoin le plus profond, le besoin de Dieu a été satisfait. Notre aspiration au bonheur a été comblée. Dieu est présent, présent dans son Esprit… Dieu est vivant dans nos vies comme le Dieu vivant. Nos vies limitées, vulnérables et mortelles, sont pénétrées et soutenues de part en part par la vie de Dieu qui est illimitée, glorieuse et éternelle… » (p 108-109). Cependant, la présence de Dieu n’a pas seulement un effet individuel. Jürgen Moltmann rappelle que l’Esprit se manifeste également dans une dimension collective : « La communauté de ceux qui croyaient vivait d’un seul cœur et une seule âme ». L’Esprit de communion, l’Esprit qui engendre la fraternité est parmi nous. En Lui, les divisions entre les gens sont surmontées. L’oppression des uns par les autres est arrêtée. L’humiliation des gens par d’autres cesse… les maitres et les serviteurs deviennent amis. Les privilèges et les discriminations disparaissent… Si cette description correspond à une expérience passée, l’œuvre de l’Esprit se poursuit aujourd’hui dans des formes nouvelles. Jürgen Moltmann évoque un Dieu qui fait l’entre-deux, un Dieu médiateur, un Dieu qui est communion et communauté, le Saint Esprit. Nous sortons de la solitude pour entrer dans une vie commune.
Si l’œuvre de l’Esprit atteint des sommets lorsque les conditions d’un climat de foi sont assurées, l’Esprit œuvre en permanence dans l’humanité et dans le monde. A nous de le reconnaître. Lorsque Jürgen Motmann évoque l’expérience de la première église, il stimule notre imagination et il nous aide à inventer des possibles. C’est en ce sens que nous pouvons lire le titre de ce texte : « Il y en a assez pour chacun ». Oui, à certaines conditions, ce serait possible. C’est là une utopie créatrice. Certes, en terme familier, on peut dire : « demain, ce n’est pas la veille ». Et cependant, à une autre échelle de temps, « Rien n’est impossible à Dieu » (Luc 1.37).
J H
The source of life. The Holy Spirit and the theology of life. Fortress Press, 1997
There is enough for everyone. A meditation on « Original Christian Communism » p 103-110 ; dans : The source of life
Jürgen Moltmann est l’auteur du livre : Dieu dans la création. Traité de théologie écologique de la création, 1988. voir : Dieu dans la création : https://lire-moltmann.com/dieu-dans-la-creation/
Aujourd’hui, la recherche spirituelle s’accompagne d’un besoin de partager parce qu’on a besoin d’admirer et de s’émerveiller avec d’autres, de mettre en commun nos découvertes, et de vérifier la pertinence de notre orientation. En analysant la manière dont la quêtespirituelle s’exerce dans la société d’aujourd’hui, la sociologue Danièle Hervieu-Léger met en évidence l’importance des échanges : « Pour construire un récit, les gens ont besoin de rencontrer des personnes qui leur disent : « Cela fait sens pour toi. Cela fait sens aussi pour moi ». Ils ont besoin d’une relation de reconnaissance. D’ailleurs, n’est ce pas à travers la reconnaissance que l’on peut se construire comme être humain ? » (1).
Dans le partage de la bonne nouvelle de l’Evangile, le Nouveau Testament nous apprend le rôle majeur de petites communautés. Et, par exemple, la rencontre d’Emmaüs ne peut-elle pas être envisagée dans ce même processus de recherche et de reconnaissance partagée, décrite par Danièle Hervieu-Léger. Clairement, Jésus met en valeur les petits groupes lorsqu’il déclare : « Là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux » (Matthieu 18.20).
On peut entendre que, dans les petits groupes, les effets de pouvoir sont plus réduits et que la confiance peut s’établir dans une relation interpersonnelle. Dans son livre : « the divine dance », Richard Rohr nous introduit dans la vie du Dieu Trinitaire qui est communion. Lorsque trois s’entendent, il en résulte une vraie communauté. « Il faut une personne pour être un individu. Il faut deux personnes pour faire un couple. il faut au moins trois personnes pour faire une communauté. Trois (« trey ») crée la possibilité pour les gens d’aller au delà de leur intérêt personnel. C’est le commencement d’un bien commun, d’un projet commun au delà de ce qui correspond aux intérêts personnels. Parce que la réalité ultime de l’univers révélée dans la Trinité est une communauté de personnes en relation les unes avec les autres, nous savons que trois (« trey ») est la seule possibilité pour les gens de se relier les uns aux autre avec l’individualité de chacun, la réciprocité de deux, lastabilité, objectivité et subjectivité de trois » (2).
Il y a vingt ans déjà, la sociologue Danièle Hervieu-Léger évoquait la crise des grandes institutions religieuses : « Les grandes églises ne sont (plus) en mesure de fournir des canaux, des dispositifs d’organisation des croyances…. Fondamentalement, ce qui est jugé important, c’est l’engagement personnel du croyant, c’est la manière dont il met en œuvre une quête de sens spirituel… » (1). En 2016, une journée d’étude organisée par Témoins a porté sur « les parcours de foi en marge des cadres institutionnels » (3).
Cette crise des institutions religieuses engendre un recours croissant à de nouvelles formes de vie spirituelle. Ce peut être des rassemblements épisodiques dans des lieux hospitaliers (4). Aujourd’hui, Taizé en est sans doute la meilleure illustration. C’est aussi, et depuis longtemps un tissu de petits groupes. En voici un témoignage personnel qui date des années 1970, mais reste significatif. Dans ces années là, certains commençaient à ne plus se reconnaître dans ce qui était perçu au niveau des paroisses comme des formes imposées, répétitives et impersonnelles. Déjà, les réunions en petit groupe était le mode de rencontre privilégié dans les mouvements. A l’époque, quelques amis ont donc décidé de se réunir chaque mois pour partager leurs joies, leurs problèmes et leurs questions en s’appuyant sur une lecture biblique et sur la prière. Ils trouvèrent un lieu hospitalier auprès d’une petite communauté religieuse dans la Beauce. Diversifié dans ses origines, ce petit groupe découvrit de nouvelles sources de vie spirituelle, en l’occurrence différents courants charismatiques. Ce fut la source d’une grande bénédiction qui est rapportée dans le livre d’Odile Hassenforder : « Sa présence dans ma vie », très présente sur ce blog (5). Et, par ailleurs, ce petit groupe garda son indépendance et déboucha sur un groupe de prière chrétien et interconfessionnel. Ce fut ensuite la rencontre avec un autre petit groupe chrétien né dans un lycée : le Comité d’Action Chrétienne qui aboutit à la création de l’association : Témoins.
Ce n’est là qu’une histoire parmi beaucoup d’autres. Parce qu’elle entretient l’entraide fraternelle et un partage authentique, la rencontre en petit groupe est une forme spirituelle privilégiée qui apparaît dans des cadres très divers depuis les groupes de maison organisés par certaines églises jusqu’à des formes très informelles. C’est là que la recherche spirituelle se déploie et qu’une recomposition chrétienne peut s’esquisser.
Aujourd’hui, le changement spectaculaire introduit par internet dans la communication permet une extension des rencontres en petits groupes, leur développement dans un tissu interconnecté en réseau. Bornons-nous ici à évoquer le potentiel de skype qui permet une rencontre visuelle des personnes à travers l’écran
Nous pouvons rapporter ici deux expériences récentes.
La première nous est racontée par Hélène dans un article sur le site de Témoins : « L’apport de la culture numérique à un parcours de foi en marge des cadres institutionnels » (6). Avec de chers amis, Hélène, « à partir de l’automne 2014, a initié un rendez-vous hebdomadaire qui perdure encore aujourd’hui. Chaque mercredi, Timothée depuis Londres, Emilie et Clément depuis Toulouse, et moi depuis Lyon, nous nous retrouvons sur skype. Nous partageons nos joies, nos peines, nos questionnements, nous prions, nous louons Dieu ensemble. Il n’y pas de schéma établi, de contenu décidé à l’avance….. Il faudrait un article dédié pour raconter tout ce que nous avons découvert, vécu et expérimenté ensemble et avec Dieu au cours de ces quatre dernières années …».
Tout récemment, Michel, nous a raconté la vie d’un petit groupe de prière qui se réunit sur skype. « Aujourd’hui, on se réunit tous les lundi soir à 20h 30 par l’intermédiaire de skype et aussi du téléphone. Nous sommes quatre couples et une célibataire ayant en commun une relation familiale. Les participants se connaissent bien. C’est une réunion de prière-intercession. A tour de rôle, on donne des sujets de reconnaissance et de prière. Puis on prie et on termine par un chant commun. Ce groupe a été créé à l’initiative des participants en octobre 2017. C’est un groupe de maison qui permet d’avoir un suivi. Comme on se connaît bien en même temps, appartenant à une grande famille (parents et enfants), nous pouvons partager ensemble des sujets très personnels. Nous sommes reconnaissants pour les exaucements. Il se trouve que nous avons également la possibilité un autre jour de regarder un culte sur internet. La nouveauté de skype : être rassemblés malgré la distance : Antony, La Ferrière aux champs, La Rochelle, Thann, et, en même temps, très présents les uns avec les autres ».
Nous savons bien combien les formes du passé, et notamment, des rassemblements imposés et répétitifs s’effritent aujourd’hui. Nous savons combien l’individualisme peut engendrer l’isolement et l’égocentrisme. En regard, il est important d’entrevoir les voies nouvelles qui s’esquissent aujourd’hui et les potentialités qui les favorisent. Les petits groupes sont aujourd’hui un mode de rencontre privilégié. Un outil nouveau est à leur disposition : la communication par internet, et entre autres, par skype. C’est une opportunité pour la vie spirituelle, un bienfait pour la vie chrétienne.