par jean | Mai 5, 2018 | ARTICLES, Vision et sens |
A la rencontre de Dieu en dedans et en dehors de nous
Notre manière de prier dépend pour une part de nos représentations de Dieu, mais aussi de la relation qu’il a avec nous et avec le monde. De plus en plus, nous percevons aujourd’hui la réalité dans une perspective d’interrelation, d’interconnection. Cette perspective s’appuie sur des convergences scientifiques (1). Elle se manifeste sur le plan spirituel. Tout se tient (2). Et aujourd’hui, par rapport à d’anciens clivages, elle s’inscrit dans une pensée théologique comme celle de Jürgen Moltmann qui développe une pensée holistique, particulièrement dans son livre : « L’Esprit qui donne la vie » (3). Tout simplement, « En Dieu, nous avons la vie, le mouvement et l’Etre » (Actes 17.27).
Très tôt, dès la fin de la première moitié du XXè siècle, puisque son livre le plus diffusé : « The Healing Light » date de 1957, Agnès Sanford (4), pionnière de la prière de guérison, a anticipé cette perspective holistique. Ce livre nous montre comment l’énergie divine suscite la guérison dans tout notre être si nous nous ouvrons à Dieu et faisons appel à lui. Cependant, ce n’est pas ce thème qui retient ici notre attention. Nous voulons seulement mettre en évidence comment Agnès Sanford reconnaît la présence de Dieu et en quoi cette reconnaissance oriente sa prière. Pour cela, nous avons extrait de son livre deux textes significatifs (5
« Nous vivons en Dieu, c’est en lui que nous respirons. Que nous le voulions ou non, il en est ainsi. Mais nous absorbons plus ou moins de sa force de vie selon que nos âmes sont plus ou moins réceptives. Trop souvent, nous fermons nos ouïes spirituelles, sans les laisser, ou si peu, pénétrer par cette force, et notre chair demeure sans vie et semble comme se rétracter…. ». Ce processus d’affaiblissement et de rigidification a des conséquences pour notre santé.
« Le remède à tout cela, c’est plus de vie, plus de lumière. Et c’est là précisément ce que nous apportent nos prières pour la santé et nos actes de pardon, un afflux de lumière et de vie. Cette vie spirituelle stimule la circulation, libère dans le corps l’énergie naturelle. Elle accroit aussi la vigueur de notre pensée, elle la rend plus calme, forte de cette paix qui naît d’une activité non pas ralentie, mais augmentée. Et elle accroît aussi notre réceptivité spirituelle, en nous rendant sensible à l’action divine, non seulement au dedans de notre corps, mais dans le monde qui nous entoure ».
« A mesure que nos prières, jointes à notre discipline mentale et à nos actes de pardon, créent en nous le sentiment toujours plus vivant et plus assuré de la présence de Dieu en nous, nous sommes toujours plus sûrs de posséder une source intérieure où nous pouvons puiser à volonté et nous sommes toujours plus conscient aussi qu’il existe en dehors de nous une source de puissance ; c’est une influence qui nous protège et nous guide, qui enveloppe de sa bénédiction notre travail de chaque jour et qui conduit nos pas sur le chemin de la paix.
Comme on l’a dit : Dieu est à la fois transcendant et immanent. Et son immanence est la clé de sa transcendance. En d’autres termes, la lumière de Dieu brille en nous et hors de nous et c’est en apprenant à la recevoir en nous que nous commençons à l’apercevoir hors de nous.
Puisqu’il en est ainsi, cherchons le avec joie en dehors et au dedans. Comme chaque matin, nous sommes inondés de sa lumière, remplissons de même nos journées de sa suprême direction, de son secours, de sa protection. Rendons grâce de ce que sa puissance est à l’œuvre non seulement en nous, mais dans le monde qui nous entoure. Soyons reconnaissant pour la journée qui est devant nous et plaçons-la d’avance dans la lumière de l’amour divin… ».
Ainsi, pour Agnès Sanford, il y a interrelation entre Dieu et l’homme, et, en l’être humain, entre l’esprit et le corps. Quelques décennies plus tard, cette vision intégrée est éclairée par l’approche théologique de Jürgen Moltmann.. Dieu n’est pas éloigné et distant de notre expérience. Il est proche de nous, actif en nous et dans le monde. « Il y a immanence de Dieu dans l’expérience humaine et transcendance de l’homme en Dieu ». Dans le christianisme, « L’Esprit de Dieu est la puissance de vie de la résurrection qui, à partir de Pâques, est répandue sur toute chair pour la rendre vivante à jamais… le corps devient « le temple de l’Esprit Saint ». Comme Agnès Sanford, Jürgen Moltmann voit en Dieu une force agissante, une force de vie. « L’expérience de l’Esprit de Dieu est comme l’inspiration de l’air. L’Esprit de Dieu est le champ vibrant et vivifiant des énergies de la vie. Nous sommes en Dieu et Dieu est en nous. Les mouvements de notre vie sont ressentis par Dieu et nous ressentons les énergies vitales de Dieu »
Ainsi, lorsque nous prenons conscience de la présence de Dieu dans tout notre être, Christ en nous, nous pouvons prier non seulement en regardant à Dieu au delà de nous–même, mais aussi à partir de sa présence transformatrice en nous. Comme l’écrit, Agnès Sanford, « nous cherchons Dieu en dehors et en dedans ». Et nous recevons de Lui une vie abondante.
J H
(1 Dans une préface au livre majeur de Jean Staune : Staune (Jean). Notre existence a-t-elle un sens ? Presses de la Renaissance, 2007, l’astrophysicien, Trinh Xuan Thuanh, écrit : « En physique, après avoir dominé la pensée occidentale pendant trois cent ans, la vision newtonienne d’un monde fragmenté, mécaniste, déterministe a fait place à celle d’un monde holistique, indéterminé et débordant de créativité ». On pourra voir, entre autres : « La dynamique de la conscience et de l’esprit humain. Un nouvel horizon scientifique. D’après le livre de Mario Beauregard : « Brain wars », traduit en français : « les pouvoirs de la conscience » (2013) : http://www.temoins.com/la-dynamique-de-la-conscience-et-de-lesprit-humain-un-nouvel-horizon-scientifique-dapres-le-livre-de-mario-beauregard-l-brain-wars-r/
« Vers une nouvelle médecine du corps et de l’esprit. Guérir autrement : Thierry Janssen. La solution intérieure. Fayard, 2006) :
http://www.temoins.com/vers-une-nouvelle-medecine-du-corps-et-de-lespritguerir-autrement/
(2) « Assez curieusement, ma foi en notre Dieu, qui est puissance de vie, s’est développée à travers la découverte des nouvelles approches scientifiques qui transforment notre représentation du monde. Dans cette nouvelle perspective, j’ai compris que tout se relie à tout et que chaque chose influence l’ensemble. Tout se tient. Tout se relie. Pour moi, l’action de Dieu s’exerce dans une interrelation. Dans cette représentation, Dieu reste le même toujours présent et agissant à travers le temps (Odile Hassenforder. Sa présence dans ma vie »). Voir : « Dieu, puissance de vie » : https://vivreetesperer.com/?p=1405
(3) Moltmann (Jürgen). L’Esprit qui donne la vie. Cerf , 1999. Citations présentées dans cet article : p 24 et 123. Introduction à la pensée théologique de Jürgen Moltmann sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : https://lire-moltmann.com
(4) Dans la dernière édition du livre : « The Healing Light », Agnès Sanford est présentée en ces termes : « Agnès Sanford apparaît comme une enseignante et une praticienne majeure du ministère de guérison au sein de l’Eglise. Son message est même encore plus actuel aujourd’hui comme le don de guérison a gagné une large reconnaissance dans la communauté chrétienne toute entière. Ses écrits ont eu une grande influence sur le développement de ministères de guérison tels que ceux de Francis MacNutt et Ruth Carter Stapleton… ». On a pu la considérer comme « la grand-mère du mouvement de guérison ». On pourra consulter le site qui lui est dédié : http://heyjoi.tripod.com
(5) Sanford (Agnès). The Healing Light. Ballantine, 1983. Quelques années après sa première parution en 1947, le livre a été traduit en français : Sanford (Agnès). La lumière qui guérit. Delachaux et Niestlé, 1955 (Cette édition est épuisée , mais parfois accessible en occasion). Les deux citations : p 62 et 66 dans « The Healing light » ; p 66 et 70 dans « La lumière qui guérit » (Nous avons repris cette traduction).
Sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie », on pourra voir aussi :
« Quelle est notre représentation de l’être humain » :
https://lire-moltmann.com/quelle-est-notre-representation-de-letre-humain/
« Vivre l’expérience de la présence de Dieu » :
https://lire-moltmann.com/vivre-lexperience-de-la-presence-de-dieu/
par jean | Juil 31, 2015 | ARTICLES, Emergence écologique, Société et culture en mouvement, Vision et sens |
Une nouvelle civilisation en gestation
La prise de conscience écologique est devenue un enjeu vital pour l’humanité. Manifestement, la menace actuelle n’est pas liée seulement à un dysfonctionnement des comportements. Elle dépend également d’une représentation du monde dans laquelle l’humanité manque de respect pour la nature en s’érigeant en maîtresse et dominatrice. C’est une invitation à nous interroger sur la manière dont nous envisageons la création, le projet de Dieu pour la nature et l’humanité. Comment concevoir le rapport entre notre humanité et la nature ?
Ces questions apparaissent aujourd’hui sur le devant de la scène. Nous voudrions mettre en évidence la convergence de trois approches : celle d’un théologien pionnier en ce domaine : Jürgen Moltmann, celle d’un homme d’église ouvert et courageusement novateur, le pape François, celle d’un sociologue qui a développé une prise en compte de la complexité dans une démarche holistique : Edgar Morin. Dans les trois cas, ils ouvrent de voies nouvelles par rapport à des mentalités où l’homme se perçoit comme dominant par rapport à la nature : un christianisme triomphaliste et conservateur ou un scientisme enfermé dans un exclusivisme humain.
Jürgen Moltmann
L’originalité de la pensée de Jürgen Moltmann est mise en évidence en France par un recueil réalisé par Jean Bastaire et publié en 2004 : « Le rire de l’univers. Traité de christianisme écologique » (1). C’est une remarquable anthologie de textes de Moltmann sur cette question. Dans sa recherche pour relier écologie et christianisme, Jean Bastaire nous montre qu’au début du XXIè siècle, cette synthèse était encore loin de s’être réalisée dans le catholicisme français et que la pensée de Moltmann lui a permis d’accomplir un pas décisif : « Je n’ai connu Jürgen Moltmann que ces toutes dernières années après avoir écrit et publié avec mon épouse plusieurs ouvrages sur l’écologie chrétienne et la dimension cosmique du Christ… Cette mystique de la terre de Dieu a profondément inspiré le combat que mène notre couple en compatissant à la souffrance de toute créature et en travaillant à réaliser la Pâque de l’univers… Nous ne soulevons pourtant guère d’écho dans les milieux chrétiens dont les membres sont très peu nombreux à établir un lien entre des besoins anthropocentriques devenus impérieux en matière d’écologie et des exigences théocentriques de tout temps évidentes au niveau de la fraternité cosmique. L’enseignement de Saint Paul et de Saint Jean est escamoté et l’exemple de François d’Assise sert généralement de poétique cache-misère à la trahison permanente du Petit Pauvre… ». C’est alors que Jean Bastaire a trouvé un apport décisif dans un aspect de l’œuvre de Moltmann : sa théologie de la création : « Jürgen Moltmann me procure un enrichissement décisif dans un domaine : le messianisme eschatologique dont il ne suffit pas de dire qu’il constitue le couronnement de la révélation biblique et chrétienne, mais qu’il en récapitule toute l’étendue depuis la Genèse jusqu’à la Parousie… Il n’est pas indifférent que Moltmann, théologien réformé réalise à ce sujet un étonnant rassemblement entre protestants, orthodoxes et catholiques qu’il reconduit à leur commune racine juive ».
Très tôt, dès 1985 (1988 dans la traduction française), Jürgen Moltmann publie un livre pionnier : « Dieu dans la création », accompagné d’un sous-titre qui en indique la visée : « Traité écologique de la création » (2). « Que signifie croire au Dieu créateur, croire que ce monde est sa création, face à l’accroissement de l’exploitation industrielle et de l’irréparable destruction de la nature ? Ce qu’on appelle : « crise de l’environnement » n’est pas seulement une crise de l’environnement naturel de l’homme, mais rien de moins qu’une crise de l’homme lui-même ».
Moltmann propose une vision du processus de la création en phase avec une approche holistique : « Dans mon titre : « Dieu dans la création », j’ai en vue Dieu, l’Esprit Saint. Dieu est « Celui qui aime la vie » et son esprit est dans toutes les créatures… Cette doctrine de la création qui part de l’Esprit créateur divin, inhabitant, est aussi en mesure de fournir des points de départ pour un dialogue avec les philosophies anciennes et nouvelles de la nature, non mécanistes, mais intégrales ».
Le respect de la nature passe par la conscience de la présence de Dieu dans l’ensemble de la création à laquelle nous participons. « Selon le sens du mot grec, écologie signifie « la science de la maison » (oikos). Que peut avoir à faire la doctrine chrétienne de la création avec la « science de la maison » ? Absolument rien si on ne voit qu’un créateur et son œuvre. Mais si on comprend le créateur, sa création et son but de façon trinitaire, alors le créateur habite par son Esprit dans l’ensemble de la création et dans chacune de ses créatures et il les maintient ensemble et en vie par la force de son Esprit ».
Mais la nature actuelle est encore souffrante, contrainte, exposée à des forces contraires. Ainsi Moltmann l’envisage dans un mouvement de libération et de recréation : « Cette doctrine chrétienne de la création prend au sérieux le temps messianique qui a commencé avec Jésus et qui tend vers la libération des hommes, la pacification de la nature et la délivrance de notre environnement à l’égard des puissances du négatif et de la mort ».
Le pape François
La lettre encyclique du pape François : « Laudato Si’ » (Loué sois-tu !) sur la sauvegarde de la maison commune (3) a eu un grand retentissement. Un commentaire d’Edgar Morin, sociologue et philosophe éminent, et se situant par ailleurs en dehors du champ de la croyance, témoigne de cette audience. Répondant à une interview du journal « La Croix » (4), Edgar Morin écrit ainsi : « Nous vivons dans une époque du désert de la pensée, une pensée morcelée où les partis qui se prétendent écologistes n’ont aucune vraie vision de l’ampleur et de la complexité du problème, où ils perdent de vue l’intérêt de ce que la pape François dans une merveilleuse formule reprise de Gorbatchev appelle « la maison commune ». Or, cette même préoccupation d’une vue complexe globale au sens où il faut traiter les rapports entre chaque partie m’a toujours animé. Dans ce « désert » actuel, donc voilà que surgit un texte que je trouve tellement bien et qui répond à cette complexité. François définit « l’écologie intégrale » qui n’est surtout pas cette écologie profonde qui prétend convertir au culte de la terre et tout lui subordonner. Il montre que l’écologie touche en profondeur nos vies, notre civilisation, nos modes d’agir, nos pensées. Plus profondément, Il critique un « paradigme techno-économique », cette façon de penser qui ordonne tous nos discours et qui les rend obligatoirement fidèles aux postulats techniques et économiques pour tout résoudre. Avec ce texte, il y a à la fois une demande de prise de conscience, une incitation à repenser notre société et à agir. C’est bien le sens de providentiel : un texte inattendu et qui montre la voie ».
On sait que les propos du pape François tranchent avec un milieu conservateur, hiérarchisé et formaliste avec lequel il se trouve confronté au centre de l’Eglise catholique. Ainsi est-il particulièrement attentif aux dimensions sociales et économiques du monde dans lequel nous vivons. Dans une profonde humanité et une attention au vécu des gens, il témoigne de la spontanéité bienfaisante de l’Evangile. Et dans cette encyclique, il y a également un souffle qui passe. En se référant à Saint François, le pape communique une vision mystique de « l’harmonie avec Dieu, avec les autres, avec la nature et avec soi-même ». « Si nous nous nous approchons de la nature et de l’environnement, sans cette ouverture à l’étonnement et à l’émerveillement, si nous ne parlons plus le langage de la fraternité et de la beauté dans notre relation au monde, nos attitudes seront celles du dominateur, du consommateur ou du pur exploiteur de ressources incapables de fixer des limites à ses intérêts immédiats. Le monde est plus qu’un problème à résoudre. Il est un mystère joyeux que nous contemplons dans la joie et la louange… ». Dans cette dynamique positive, le pape François appelle à « la sauvegarde de notre maison commune », ce qui requiert « l’union de toute la famille humaine dans la recherche d’un développement durable et intégral ». Cette encyclique énonce et analyse les maux qui affectent la nature et l’humanité. Elle expose la racine humaine de la crise écologique dans un usage effréné et irréfléchi de la technologie. Elle propose une « écologie intégrale » dans un esprit de justice et de solidarité. Cette dynamique est éclairée par le message biblique et la foi évangélique. Elle requiert et appelle « une éducation et une spiritualité écologique ».
Cette encyclique s’achève sur une vision de la nouvelle création et de la vie éternelle : « A la fin, nous nous retrouverons face à face avec la beauté infinie de Dieu (cf Co 13,12) et nous pourrons lire, avec une heureuse admiration, le mystère de l’univers qui participera avec nous à la plénitude sans fin. Oui, nous voyageons vers le sabbat de l’éternité, vers la nouvelle Jérusalem, vers la maison commune du ciel. Jésus nous dit : « Voici, je fais l’univers nouveau » (Ap 21.5). La vie éternelle sera un émerveillement partagé, où chaque créature, transformée d’une manière lumineuse, occupera sa place… Entre temps, nous nous unissons pour prendre en charge cette maison qui nous a été confiée, en sachant que tout ce qui est bon en elle sera assumé dans la fête céleste. Ensemble, avec toutes les créatures, nous marchons sur cette terre en cherchant Dieu, parce que « si le monde a un principe et a été créé, il cherche celui qui l’a créé, il cherche celui qui lui a donné un commencement, celui qui est son créateur »… Que nos luttes et notre préoccupation pour cette planète ne nous enlèvent pas la joie de l’espérance ».
Cette encyclique mérite d’être lue attentivement d’un bout à l’autre. Ecrite à partir d’un univers catholique, mais s’élevant au delà pour aller à la rencontre de tous les hommes, elle a un potentiel de conscientisation considérable, notamment dans le vaste milieu dont elle est issue. C’est un message, mais c’est aussi un événement.
Edgar Morin
Sociologue et philosophe de renommée internationale, Edgar Morin a réalisé une œuvre très riche et très diversifiée (5).
Au cours d’un séjour en Californie de 1969 à 1970, il prend conscience de la question écologique. Dès lors, il va poursuivre une réflexion dans ce domaine. Ainsi, avec « Le paradigme perdu : la nature humaine » publié en 1973, il explique que l’homme n’est pas le maître de la nature, mais son partenaire et que c’est autant la nature qui en impose à l’homme que l’inverse. En 1993, Edgar Morin écrit avec Anne-Brigitte Kern un livre : « Terre patrie » qui marque une prise de conscience de la communauté du destin terrestre. Cependant, l’apport majeur d’Edgar Morin, c’est une réflexion de long terme sur « la méthode » dans le travail de la connaissance qui est jalonnée par plusieurs ouvrages. Edgar Morin y porte un nouveau paradigme, celui de la complexité qui implique la prise en compte des liens entre les différentes composantes du savoir et un point de vue transdisciplinaire. Ce paradigme va se développer dans les sciences humaines et il est particulièrement en phase avec l’approche écologique.
Comme nous en avons déjà fait part, dans son interview à « La Croix », Edgar Morin a mis l’accent sur des convergences fondamentales avec le texte : « Laudato Si’ », tout en marquant sa différence dans l’interprétation des textes bibliques. Relevons ici tout simplement quelques convictions de fond exprimées par Edgar Morin :
« Nous savons aujourd’hui que nous avons en nous des cellules qui se sont multipliées depuis les origines de la vie, qu’elles nous constituent encore comme tout être vivant. Si nous remontons ainsi à l’histoire de l’univers, nous portons ainsi en nous tout le cosmos et d’une façon singulière. Il y a une solidarité profonde avec la nature, même si, bien entendu, nous sommes différents par la conscience, la culture. Mais tout en étant différents, nous sommes tous des enfants du Soleil. Le vrai problème, c’est non pas de nous réduire à l’état de nature, mais de nous séparer de l’état de nature…
Il existe un humanisme anthropocentriste qui met l’homme au centre de l’univers, qui fait de l’homme le seul sujet de l’univers. En somme où l’homme se situe à la place de Dieu. Je ne suis pas croyant, mais je pense que ce rôle divin que s’attribue parfois l’homme, est absolument insensé. Et une fois qu’on se situe dans ce paradigme anthropocentriste, la mission de l’homme très clairement formulée par Descartes, c’est conquérir la nature et la dominer. Le monde de la nature est devenu un monde d’objets. Le véritable humanisme, c’est au contraire celui qui va dire que je reconnais dans tout être vivant à la fois un être semblable et différent de moi ».
Convergence et dialogue
Les grandes voix que nous venons d’entendre se rejoignent sur bien des points et peuvent entrer dans un dialogue constructif. Ainsi l’accueil enthousiaste de l’encyclique « Laudato Si’ » par Edgar Morin, sociologue et philosophe, pionnier dans une nouvelle approche des sciences humaines, est particulièrement significative et d’autant plus que celui-ci se dit non croyant.
On peut imaginer un dialogue constructif entre Jürgen Moltmann et Edgar Morin. Rappelons l’intention de Moltmann dans sa doctrine de la création : En « partant de l’Esprit créateur, inhabitant », son approche se veut « en mesure de fournir des points de départ pour un dialogue avec les philosophies anciennes et nouvelles de la nature, non mécanistes, mais intégrales ».
Jürgen Moltmann montre comment à partir de la Renaissance, en Europe Occidentale, Dieu a été envisagé de plus en plus comme le « Tout puissant ». L’omnipotence est devenue un attribut de la divinité. Ce changement dans la représentation dominante de Dieu a engendré une transformation de la représentation de la nature. Comme image de Dieu sur la terre, l’être humain a été amené à se voir lui même en correspondance comme maître et Seigneur, à s’élever du monde comme objet passif et à le subjuguer (6). La Genèse a été interprétée en ce sens. Ainsi Moltmann entend la critique d’Edgar selon lequel la Bible raconte une création de l’homme complètement séparée de celle des animaux et a suscité une pensée anthropocentriste, mais il la resitue historiquement et présente une autre interprétation de la Genèse. Il rejoint Edgar Morin dans sa critique de l’humanisme anthropocentriste. La question posée est celle de la représentation de Dieu. Dieu, nous dit Moltmann, « n’est pas un Dieu solitaire et dominateur qui assujettit toute chose. C’est un Dieu relationnel et capable d’entrer en relation. C’est un Dieu en communion ».
Comme Edgar Morin, Moltmann critique les excès de la pensée analytique. « La pensée moderne s’est développée en un processus d’objectivisation, d’analyse, de particularisation et de réduction. L’intérêt et les méthodes de cette pensée sont orientés vers la maitrise des objets et des états de chose. L’antique règle romaine de gouvernement : « Divide et impera » imprègne ainsi les méthodes modernes de domination de la nature… A l’opposé, certaines sciences modernes, notamment la physique nucléaire et la biologie, ont prouvé à présent que ces formes et méthodes de pensée ne rendent pas compte de la réalité et ne font plus guère progresser la connaissance. On comprend au contraire beaucoup mieux les objets et les états de chose quand on les perçoit dans leurs relations avec leur milieu et leur monde environnant… La perception intégrale est nécessairement moins précise que la connaissance fragmentaire, mais plus riche en relations… Si donc on veut comprendre le réel comme réel et le vivant comme vivant, on doit le connaître dans sa communauté originale et propre, dans ses relations, ses rapports, son entourage… Une pensée intégrante et totalisante s’oriente dans cette direction sociale vers la synthèse, d’abord multiple puis enfin totale… ». Ces quelques notations permettent un dialogue constructif entre Jürgen Moltmann et Edgar Morin, ce sociologue et philosophe qui a développé un « paradigme de la complexité ».
Et, parallèlement, sur un autre registre, on perçoit également les convergences qui s’établissent entre Jürgen Moltmann et le pape François. Comme Jean Bastaire l’a montré, il y a un mouvement de fond qui se développe aujourd’hui en ce domaine. Un bel exemple est la correspondance entre la méditation du pape François sur la vie éternelle à la fin de son encyclique et le texte visionnaire de Jürgen Moltmann sur « la fête de la vie éternelle » comme dernier chapitre du recueil « Le rire de l’univers ». « Le rire de l’univers est le ravissement de Dieu » (7).
En route
Il y a des moments où l’apparition et le développement d’idées nouvelles en phase avec une évolution des mentalités suscitent à terme un changement du cours de l’histoire. A cet égard, l’exemple du XVIIIè siècle est particulièrement significatif. On peut penser qu’il en est de même aujourd’hui. Voilà pourquoi la mise en correspondance de la pensée de Jürgen Moltmann, du pape François et d’Edgar Morin nous paraît heuristique à travers les convergences dont elle témoigne.
Le 21 juillet 2015, un « sommet des consciences » (8) s’est réuni à Paris en rassemblant des personnalités influentes sur le plan religieux, moral et spirituel pour appeler à une prise de conscience écologique débouchant sur un engagement commun conjuguant action collective et changement personnel. Tous les aspects de notre être sont concernés (9) et la transformation de nos comportements est étroitement liée à celle de nos représentations. Chacun à leur manière, Jürgen Moltmann, le pape François et Edgar Morin éveillent notre compréhension et induisent un changement de notre regard
Jean Hassenforder
(1) Moltmann (Jürgen). Le rire de l’univers. Traité de christianisme écologique. Anthologie réalisée et présentée par Jean Bastaire. Cerf, 2004. Les textes de Jean Bastaire mentionnés dans cet article sont issus de la préface écrite par celui-ci.
(2) Moltmann (Jürgen). Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1988. Les textes cités sont issus de la préface, de la page de couverture, et en fin de parcours du texte : « la connaissance de la nature comme création de Dieu » (p 14-16). Un aperçu sur le livre : « Dieu dans la création » sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=766
(3) Pape François. Loué sois-tu. Lettre encyclique Laudato Si’ du Saint-Père François sur la sauvegarde de la maison commune. Artège, 2015
(4) Interview d’Edgar Morin par « La Croix » : « Edgar Morin. « L’encyclique Laudato Si’ est peut-être l’acte 1 d’un appel pour une nouvelle civilisation » : Site de « La Croix » le 21 juin 2015 : http://www.la-croix.com/Religion/Actualite/Edgar-Morin-L-encyclique-Laudato-Si-est-peut-etre-l-acte-1-d-un-appel-pour-une-nouvelle-civilisation-2015-06-21-1326175?utm_medium=Social&utm_source=Facebook&utm_campaign=Echobox&utm_term=Autofeed
(5) Biographie d’Edgar Morin sur Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Edgar_Morin
(6) Sur ce blog : « Vivre en harmonie avec la nature » : https://vivreetesperer.com/?p=757
(7) « Réflexion : Pâques manifeste la plénitude de Dieu » : http://www.temoins.com/ressourcement/vie-et-spiritualite/ressourcement/reflexion-paques-manifeste-la-plenitude-de-dieu
(8) « Le sommet des consciences » : https://www.whydoicare.org/fr
(9) « Un Chemin de guérison pour l’humanité…(Frédéric Lenoir) » : https://vivreetesperer.com/?p=1048
Voir aussi : « Anne-Sophie Novel : Militante écologiste et pionnière de l’économie collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1975
par jean | Août 10, 2024 | Beauté et émerveillement |
Une vision nouvelle. Un chemin
Au cours des dernières décennies, dans le contexte du déclin de la « religion organisée » et du reflux de la mentalité matérialiste et scientiste, la spiritualité s’ est imposée comme une vision nouvelle. Une recherche historique, sociologique et psychologique particulièrement développée en milieu anglophone nous instruit sur ce phénomène. Comment la spiritualité s’inscrit-elle dans une pratique de vie ?
Certes, la réponse à cette question varie selon chacun. Mais, à partir de leur expérience et de leur culture, certains peuvent nous apporter un éclairage fructueux. C’est le cas d’Alexandra Puppinck Bortoli dans son livre : » Invitation à la spiritualité » (1). « Elle nous propose ‘éclairer le sens de la spiritualité en explorant cette part intime de nous- même à partir des expériences sensibles que nous offrent la poésie, la musique, la beauté, l’art, le sacré, le souffle, la lumière. Elle nous entraine ainsi dans une déambulation à la rencontre de notre sensibilité. Elle nous appelle à prendre conscience de cette dimension déjà présente en nous, à mesurer la portée spirituelle des choses qui nous entourent. A ouvrir les yeux. Notre existence prend alors une autre signification, une autre saveur. Plus réceptif à sa beauté, nous découvrons alors qu’elle est bien plus vaste que nous le pensions » ( page de couverture).
La montée d’une nouvelle vision de la vie
Au cours des dernières décennies, de pair avec le déclin de la religion organisée, la spiritualité est devenue une réalité visible et reconnue. C’est ce que montre une récente enquête effectuée aux Etats-Unis, en 2023. (2). 70% des américains adultes se considèrent comme spirituels ou disent que la spiritualité est très importante dans leur vie. Dans ce contexte, 48% se déclarent également religieux, 22% spirituels, mais pas religieux. Interrogés à partir d’une liste d’items, la plupart des américains spirituels déclarent que « être connectés avec quelqu’un plus grand que soi » est essentiel pour se dire étant spirituels. Effectivement, « être connecté avec quelqu’un de plus grand que moi » remporte 74% des suffrages : être connecté avec Dieu : 70% ; être connecté avec mon vrai moi : 64% ; être ouvert d’esprit : 53% ; être connecté avec la nature : 43%….
La spiritualité prospère aujourd’hui dans l’âge écologique en devenir. C’est ainsi qu’un « Manuel de transition intérieure » publié sous le titre significatif de « Reliance » (3) consacre un chapitre à la spiritualité. Les auteurs mettent en évidence « un regain de spiritualité en lien en particulier avec des engagements écologiques et sociétaux ». « Ce n’est pas qu’un effet de mode. Il constitue une tendance de fond dans le monde occidental ». Mais qu’est-ce la spiritualité ?
« En fait, le mot renvoie à des expériences plurielles qui ressortent notamment dans une large enquête menée en 2013 auprès de personnes fréquentant le forum 104, carrefour parisien entre spiritualité et transition. A la question : qu’est-ce que la spiritualité ?, on peut lire des réponses très diverses : la rencontre de l’être humain avec son âme ; la quête de ce que nous sommes au-delà des apparences ; ce qui donne sens à ma vie ; être relié au divin qui est en chacun de nous…. Une réalité invisible mais qui existe, porteuse d’idéaux et de valeurs pour l’humanité ; un chemin de connaissance de soi et un éveil à l’au-delà ». Les auteurs avancent cette proposition : « La spiritualité désigne la relation à un autre plan du réel de la vie et de la conscience : « le plus grand que soi ». Comme l’étymologie renvoie à « l’esprit », dans notre perspective, ce n’est pas seulement la vie de l’esprit (avec une minuscule), mais la vie de ou dans l’Esprit (avec une majuscule), comme expression justement du « plus grand que soi ».
Sociologue de la religion en Pologne, Dominika Motak nous décrit la montée de la spiritualité dans une culture postmoderne caractérisée par l’individualisme (4). A la fin du XXè siècle et au début du XXI è, on observe par exemple les progrès du nouvel Age en Grande Bretagne (Heelas and Woodhead 2005). Plus généralement, Charles Taylor diagnostique « un tournant massif de la culture moderne vers la subjectivité ». Un nouvel univers religieux se dessine. La vision nouvelle comprend une croyance en une unité entre l’homme et la nature, une conception holistique du rapport entre l’esprit et le corps, et une conscience des limitations entre le corps et la rationalité ( Hunt 2002). Dominika Motta met l’accent sur l’individualisation. C’est le primat de l’expérience.
Cependant, un livre « Something there. The biology of the human spirit “(2006) (5) nous parait essentiel pour caractériser la prise de conscience de la dimension spirituelle. On peut entendre ce titre comme « Quelque chose est là » ou « il y a bien quelque chose ». Effectivement, à partir de nombreuses recherches et d’une culture encyclopédique, l’auteur, David Hay, montre l’existence d’une réalité spirituelle qui n’apparait pas immédiatement au premier abord. Il s’appuie sur la recherche engagée par Alister Hardy dans « une unité de recherche sur l’expérience religieuse » où il a constitué une banque de données rassemblant plusieurs milliers de récits d’expériences correspondant à la question : « Vous est-il arrivé d’avoir conscience d’une présence ou d’une puissance (ou d’être influencé par elle), que vous l’appeliez Dieu ou non, et qui est différentes de votre perception habituelle ? ». Or, ces expériences sont particulièrement impressionnantes. Elles suscitent notamment le sentiment d’une présence porteuse d’amour et de paix. Elles peuvent induire également admiration et émerveillement, une « awe » pour reprendre le terme anglais, phénomène qui a été étudié récemment par un chercheur américain, Dacher Keltner (6). David Hay a mené également une enquête sur la vie spirituelle des gens ordinaires. D’autre part, en collaboration avec Rebecca Nye, David Hay a conduit une recherche qui a mis en évidence la présence d’une vie spirituelle vive et fraiche chez les enfants. A partir des résultats de cette recherche montrant comment les enfants se sentaient reliés à la nature, aux autres personnes, à eux-mêmes et à Dieu, David Hay en est venu à se représenter la spiritualité enterme de « conscience relationnelle ». Dans une proximité avec Alister Hardy, David Hay rappelle la position de celui-ci, c’est-à-dire un ancrage biologique de la spiritualité. Selon Alister Hardy, « tous les hommes, membres de l’espèce Homo Sapiens, ont un potentiel de conscience spirituelle ». Hardy perçoit cette conscience comme un véritable sens. « Ce sens a naturellement été sélectionné dans le processus de l’évolution parce qu’il nous aide à survivre ».
Chercheuse américaine en psychologie et en neurosciences, Lisa Miller a publié récemment un livre intitulé : « The awakened brain. The new science of spirituality and our quest for an inspired life » (le cerveau éveillé. La nouvelle science de la spiritualité et notre quête pour une vie inspirée). Comme psychologue, Lisa Miller a perçu les insuffisances de la psychothérapie classique. Elle s’est donc engagée dans une pratique prenant en compte le besoin de sens et la dimension spirituelle. Finalement, elle a réussi à obtenir les moyens pour réaliser une recherche concernant le rapport entre la dépression et l’expérience spirituelle. Un collègue a entrepris une recherche dans le même sens. Au total, il s’est avéré qu’un bas niveau de symptômes dépressifs était associé à un haut niveau de spiritualité.
« Cette recherche révolutionnaire a suggéré que la spiritualité n’est pas juste une croyance, mais quelque chose avec lequel chacun de nous est né avec la capacité d’en faire l’expérience ». Lisa Miller a poursuivi sa recherche et, en 2012, un projet de recherche, mettent en œuvre l’imagerie à résonance magnétique, a abouti en apportant des conclusions spectaculaires. Il y avait une différence éclatante entre le cerveau associé à une faible spiritualité et le cerveau associé à une spiritualité élevée.
C’est une avancée révolutionnaire. « Le livre de Lisa Miller révèle que les humains sont universellement équipés d’une capacité pour la spiritualité et qu’en résultat, nos cerveaux deviennent plus robustes et plus résilients. Le « Awakened brain » combine une science en pointe (de l’imagerie par résonance magnétique à l’épidémiologie) à une application sur le terrain pour des gens de tous les âges et de tous les genres de vie, en éclairant la science surprenante de la spiritualité et comment mettre celle-ci en œuvre dans nos propres vies ».
Comme le montre ce panorama en quelques dizaines d’années, notre perception de la spiritualité a complètement changé. La spiritualité s’est imposée. D’une part, la pratique spirituelle est maintenant répandue, mais elle est aussi reconnue à travers les recherches des historiens, des sociologues et des psychologues. La capacité pour la spiritualité apparait comme ancrée dans la nature humaine.
La montée de la spiritualité au cours des dernières décennies entraine un changement profond dans les mentalités qui n’a pas échappé à Fritz Lienhard, théologien à Heidelberg, auteur d’un livre sur « l’avenir des Eglises protestantes » (8).
« La crise des églises a des causes précises et ne relève pas de la fatalité. Certains indices montrent plutôt que la spiritualité prend des formes plus individuelles liées à l’expérience intérieure. Cette situation représente un défi pour la théologie et les Eglises. Dans la tradition chrétienne, c’est le Saint Esprit qui suscite l’expérience religieuse, tout en renvoyant à la parole instituée par le Christ ». Fritz Lienhard évoque le développement des nouvelles religiosités. « Les nouvelles religiosités refusent de distinguer ce qui relève de la religion et ce qui n’en relève pas. La spiritualité qui lui est liée se retrouve dans tous les domaines de l’existence, s’adressant à l’être humain en entier ». Un des chapitres de ce livre est intitulé : « Humanisme et énergie cosmique ».
« Au centre des nouvelles religiosités, il y a la transformation de l’individu grâce à la conscience qui confère de nouvelles forces, ouvre à de nouvelles dimensions de l’esprit et de la nature ». Cette conception du monde contribue à une modification de la perception de Dieu : « Dieu, le monde et l’être humain constitue un ensemble. Une énergie circule entre l’être humain, la nature et le cosmos. La notion d’expérience spirituelle devient première… ». Dès lors, Fritz Lienhard met en évidence l’importance et la fréquence des expériences religieuses et spirituelles, lesquelles ont été ici déjà évoquées dans notre présentation des recherches d’Alister Hardy et de David Hay. « Les sociologues observent l’accroissement d’une expérience qu’ils qualifient de religieuses En 2013, 24% des personnes interrogées en Europe disent qu’elles expérimentent souvent ou très souvent une intervention de Dieu ou du divin. 17% parlent d’expérience de communion avec le divin… ».
Un chemin à la découverte de la vie spirituelle
A travers la recherche, nous avons découvert qu’à notre époque, la spiritualité est un phénomène essentiel.
Dans ce contexte, chacun suit son chemin. Dans son livre : « Invitation à la spiritualité », Alexandra Puppinck Bortoli, en personne sensible et cultivée, nous fait part de ses expériences et ainsi elle nous suggère un chemin. « Cet essai poétique et philosophique nous propose d’explorer cette part intime et mystérieuse de nous-même à partir d’expériences sensibles que nous offrent la poésie, la beauté, l’art, le sacré, la religion, le souffle, la vie… autant de chemins foisonnants qui laissent entrevoir un horizon spirituel ». L’auteur reprend le constat sur l’ancrage de la spiritualité dans la nature humaine. « Tout semble déjà là ! La conscience spirituelle est enracinée dans la nature humaine. Il nous suffit de nous tourner vers elle et de nous mettre à l’écoute de la vie. Plus réceptif à sa beauté, nous découvrirons alors que la vie est bien plus vaste et plus belle que nous le pensions ; nous pressentirons la présence d’une vie derrière la vie qui ne demande qu’à être dévoilée et vécue. Ce rapport spirituel à la vie pleinement vivante est une source inépuisable d’émerveillement et de joie » ( p 11-12). Ce livre nous parait particulièrement dense parce qu’il entremêle expérience, réflexion et d’abondantes références à de grands penseurs et à de grandes œuvres, aussi envisagerons-nous ici deux chapitre seulement en vue de faire entrevoir la démarche de l’auteure : l’art et l’arrière-monde.
Une ouverture spirituelle à travers l’art
Le chapitre sur l’art est introduit par une citation de Paul Valery : « Ce que nous appelons une œuvre d’art est le résultat dont le but fini est de provoquer chez quelqu’un des développements infinis ». L’auteure voit dans la transformation de la matière à travers l’art une signification spirituelle. « Obstinément, les artistes – dont les sculpteurs bien sûr – se confrontent à la matière pour en faire jaillir une forme ou une âme, la vie visible et invisible qui l’anime – travail de spiritualisation de la matière. Démarche qui tâtonne, qui cherche et qui se sait toujours inachevée. Démarche amoureuse et féconde, jamais épuisée » ( p 63). L’expérience artistique nous transforme. « La contemplation d’une œuvre nous entraîne dans un double mouvement : un mouvement d’intériorisation tissé d’émotion, de méditation et de questionnement, et un mouvement d’élévation au-delà de soi-même et de ses représentations. En ouvrant de nouveaux espaces, ce cheminement spirituel nous transforme ».
L’auteure aborde une forme d’art originale : l’art asiatique. « L’art asiatique nous fait pénétrer dans des espaces éminemment spirituels. Des peintes comme Zao Wou-KU ou Fabienne Verdier captent l’impalpable du monde : le souffle primordial, la vitalité et le dynamisme des éléments » ( p 64). Le commentaire se poursuit : « A n’en pas douter, leurs oeuvres sont le fruit d’une éducation des sens, d’une écoute, d’une ouverture, d’un abandon dans une longue contemplation de l’essence des éléments. Ces artistes se laissent habiter par les forces fondamentales du cosmos ; ils absorbent ls puissances énergétiques de la nature pour nourrir leurs corps et leurs esprits et nous en offrir une quintessence. Leurs oeuvres colorées rendent visibles l’énergie invisible du vivant sur la toile…. Le spectateur vient se nourrir en contemplant ces œuvres, il ressent l’énergie vitale – sorte d’éveil – qui lui rappelle qu’il est d’une même essence et d’une même famille du vivant – appartenant au grand tout, nous dit Fabienne Verdier » ( p 65).
L’auteure nous fait entrer également dans l’apport de l’art abstrait. « La démarche très dépouillée des Asiatiques s’apparente sur certains points à celle de l’art abstrait et de l’un de ses initiateurs Vassily Kandinsky, peinte de la couleur et des formes. Cet artiste, à la charnière du XiXè et du XXè siècle, est contemporain du philosophe Edmund Husserl, le fondateur de la phénoménologie. Ce courant de pensée a pour ambition de décrire les phénomènes, c’est-à-dire ce qui se présente à la conscience » ( p 67). « Retourner à l’expérience pure et intacte d’aller à la chose même ! ». Tel est le mot d’ordre de la phénoménologie portée par Husserl. Cette approche prône une manière d’être en relation avec le monde tout autre que l’attitude scientifique t matérialiste qui s’impose à cette époque, attitude qui observe le monde de manière extérieure et matérielle et qui dicte s propre lecture du réel en négligeant l’expérience intérieure d la conscience » ( p 68). C’est dans ce contexte que l’auteure envisage l’apport de l’art abstrait et, tout particulièrement l’œuvre de Kandinsky. « L’art abstrait entre en connivence avec la phénoménologie. Il illustre artistiquement ce mouvement phénoménologique qui observent les choses telles qu’elles se donnent à voir à notre conscience, dans leur pureté et leur essence, dans leur être même. Kandinsky, peintre russe orthodoxe, pratique l’abstraction…. L’artiste est en quête de l’âme cachée des choses. Chacun « me montrait son visage, son être intérieur, l’âme secrète qui se tait plus souvent qu’elle ne parle » dit-il. Kandinsky reconnait cette même aptitude chez Cézanne, pourtant figuratif » ( p 69).
L’auteure évoque la manière dont Kandinsky envisage son œuvre. « Une œuvre est bonne lorsqu’elle est apte à provoquer des vibrations dans l’âme, car l’art est le langage de l’âme » ( p 70). Alexandra Puppinck Bortoli décrit la fonction spirituelle de l’art : « Côtoyer l’art est essentiel pour l’homme. Chaque couleur, chaque note de musique provoquent une vibration qui enrichit notre vie spirituelle. Et plus l’âme flirte avec l’art, plus elle l’aime et le désire. « l’art existe là où il y a une soif insatiable pour le spirituel, l’idéal. Une soif qui rassemble tous les êtres humains, affirme ainsi le cinéaste Andréï Tarkovski » ( p 71).
Alexandra Puppinck Bortoli nous explique ensuite comment la musique correspond à son aspiration spirituelle. « Lorsque les mots nous manquent, « la musique élève la voix et dit des choses qu’on ne peut pas exprimer ». Elle tente d’exprimer l’ineffable et l’impalpable, ce je-ne-sais-quoi, « invisible présence spirituelle » qui nous enveloppe et se laisse découvrir comme fondement de la beauté de l’existence. Telle est la tâche de la musique nous dit Jankélévitch, poète de l’ineffable ». L’auteure précise en quoi la musique a une dimension spirituelle. « Les qualités spirituelles des chefs-d’oeuvre en musique tiennent à l’expérience de l’harmonie, de la pureté, et de la beauté ; elles sont liées à la perception de profondeur, de verticalité, d’immensité, d’intensité et parfois même au sentiment d’éternité qu’elles provoquent en nous – vibration ressentie comme originelle et universelle – sentiment d’élévation qui ouvre à bien plus grand que celui qui a composé ou interprété l’œuvre » ( p 74). On retrouve dans les effets un potentiel d’expérience spirituelle tel que nous l’avons précédemment rapporté dans notre présentation de la recherche sur la « awe » (6). « Chacun de nous peut en faire l’expérience à condition de se mettre, de tout son être, à l’écoute. Se vit alors « une expérience mystique », une « augmentation des sens », un « accroissement d’être » pour reprendre les termes du compositeur Liszt. Sensation qui nous fait passer d’une expérience purement émotionnelle à une expérience spirituelle. Dilatation du cœur et élévation de l’âme. « La musique est la médiatrice entre les mondes sensoriel et spirituel », écrivait Gaston Bachelard ».
Une réalité autre : l’arrière monde
De la poésie au religieux, Alexandra Puppinck Bortoli poursuit son parcours en un chapitre récapitulatif : L’arrière-monde. Au départ, elle s’y exprime à travers un chant d’allégresse dans la découverte des merveilles qui nourrissent une vie spirituelle : « passer de la vie à la vie spirituelle, c’est se mettre à l’écoute du « chant du monde » (expression empruntée au titre d’un livre de Jean Giono) et se laisser séduire par son charme irrésistible. Sa mélodie est une épiphanie, une manifestation de la beauté et de la vérité, de la vie derrière toute chose. Sentir l’esprit de vie – qui est une réalité vivante, une valeur absolue et un infini présent dans la vie – nous fait aimer la nature, les êtres humains et le divin » ( p 132). Comme nous l’avons déjà évoqué à travers les recherches sur la spiritualité (5), l’émerveillement peut déboucher sur une expérience spirituelle. Prendre le temps de contempler la nature est la porte ouverte à l’émerveillement. Il se peut parfois que nous vivions un accord parfait avec elle, une unité, des « noces » nous disait Albert Camus, qui peuvent mener à un basculement des sens, une immersion sensible, une fusion et une dissolution dans les éléments » ( p 133) L’auteure évoque l’extase cosmique appelée aussi « sentiment océanique ». Aujourd’hui, une recherche recueille et décrit ces expériences spirituelles qui participent à la conscience écologique (9). « Cette expérience de révélation, de transcendance et d’incarnation intime dans l’immanence du monde est celle de l’infini qui se manifeste dans le fini. Ce sentiment de pleine existence peut tous nous saisir – selon différentes intensités – à la faveur d’une promenade en forêt, d’un coucher de soleil ou encore lors d’une nuit d’orage… Cette rencontre avec la vie derrière la vie ou, dit autrement, avec l’esprit de la vie qui nous saute aux yeux et nous saisit, nous dit combien notre existence mérite d’être vécue » ( p 135). Oui, on peut être « ébloui par l’émerveillement » (10). L’auteure poursuit en tournant son regard vers l’humain. « L’esprit de la vie se révèle également dans les relations amicales et amoureuses…. Selon le philosophe Emmanuel Levinas, le visage de l’autre est une altérité qui ouvre au-delà… Nous sommes chacun un infini et une éternité qui s’ouvre à l’autre… » ( p 136-137) ;
Alexandra Puppinck Bortoli nous fait part enfin de sa vision du divin qui s’exprime et se révèle à tracer le chant du monde. « Lorsque l’esprit de la vie se fond à l’esprit divin, nous sommes invités à vivre une expérience spirituelle, métaphysique et mystique. On découvre alors qu’au-delà de soi-même, de l’autre et de la nature, il existe « autre chose » : un ineffable qui nous dépasse et vient d’ailleurs. On pressent un mystère, un je-ne-sais-quoi,, une Présence au cœur de la vie, une mélodie de grande beauté qui chante l’Amour, l’Absolu et l’Infini. Le divin par son Esprit anime, et le monde, et les êtres et la vie elle-même (11)…. Le divin, pour l(homme de foi, est cette Vie derrière la vie…La foi nait de l’intuition d’une présence, elle se concrétise par l’expérience de la rencontre avec cette Présence à la fois intime et infinie : « C’est le cœur qui sent Dieu et non la raison. Voilà ce que c’est la foi. Dieu sensible au cœur et non à la raison (Blaise Pascal) » (p 139). Si « L’arrière monde » est envisagé par Friedrich Nietzche comme « un concept désignant les mondes supérieurs qui auraient pour vocation de dévaloriser l’ici-bas », l’auteure, dans la foulée de sa découverte expérientielle, l’envisage au contraire comme une résultante du coeur et de la conscience spirituelle ( p 140-145). L’auteure débouche sur une réflexion portant sur la « conscience spirituelle ». « Au-delà de l’intelligence, par une écoute et une présence intime au monde, la vie spirituelle naît de la découverte qu’il existe au cœur de la vie une cohérence interne qui nous échappe et nous dépasse : l’esprit de la vie, autrement dit la beauté et la vérité de la vie qui s’y révèlent… Avoir foi en l’ineffable de la transcendance – quelqu’en soit la nature – c’est s’abandonner à croire, et habiter l’ignorance avec confiance et émerveillement … Dans son rapport au monde visible et invisible, la spiritualité, au sens de la vie de l’esprit, pousse à développer un lien intime au réel, à la « chair du monde », nous dit Merleau–Ponty. Par une attention particulière aux êtres et aux choses, elle nous ouvre à l’invisible…. » ( p 147-148).
Nous assistons aujourd’hui à une profonde transformations des mentalités qui se manifeste notamment dans l’expansion de la spiritualité. Une historienne américaine, Diana Butler Bass, met en évidence une évolution profonde dans la manière de croire : « Ce qui apparait comme un déclin de la religion organisée indique en fait une transformation majeure dans la manière dont les gens comprennent Dieu, en font l’expérience. Le Dieu distant de la religion conventionnelle cède la place à un sens plus intime du sacré qui irrigue le monde. Ce glissement d’un Dieu vertical vers un Dieu qui se trouve à travers la nature et la communauté humaine est le cœur de la révolution spirituelle qui nous environne et interpelle non seulement les institutions religieuses, mais aussi les institutions politiques et sociales ». Face à l’écart qui se creuse entre la religion organisée et une un foi en phase avec l’expérience, le théologien Jürgen Moltmann apporte une réponse théologique : Si « une forme de christianisme a pu apparaitre comme un renoncement à une vie pleinement vécue dans le monde », Molmann nous présente au contraire « un Dieu vivant qui suscite la plénitude de vie ». Dieu n’est pas lointain. Il est présent et agissant… Moltmann nous présente une spiritualité dans laquelle « la vie terrestre est sanctifiée et qui se fonde sur la résurrection de Jésus-Christ » (12). Et Jürgen Moltmann nous présente une théologie de l’Esprit saint qui va de pair avec une théologie de l’expérience : « L’expérience de Dieu qui donne vie et qui est faite dans la foi du cœur et dans la communion de l’amour, conduit d’elle-même au-delà des frontières de l’Eglise vers la redécouverte de ce même Esprit dans la nature, les plantes, les animaux et dans les écosystémes de la nature » (13)
Aujourd’hui, l’expansion de l’expérience spirituelle requiert effectivement l’éclairage d’une théologie de l’Esprit. C’est également la conclusion de Fritz Lienhard dans son livre sur l’avenir des Eglises protestantes (8).
Dans son « invitation à la spiritualité », Alexandra Puppinck Bortoli a également abordé le thème de l’expérience dans le cadre de la religion et du sacré, elle rapporte une expérience spirituelle dans sa présence lors d’une liturgie orientale à l’église Saint-Julien-le-Pauvre ( p 77-81) et, dans son interview sur le site Zeteo (1), elle exprime sa foi chrétienne. Manifestement dans son livre, elle sait reconnaitre l’expérience spirituelle dans une vaste gamme de contextes de la poésie à l’art jusqu’à l’émerveillement en pleine nature. A travers son expérience et une culture francophone, elle balise un chemin pour éclairer notre démarche spirituelle.
J H
- Alexandra Poppinck Bortoli. Invitation à la spiritualité. Un pas de plus. Cerf, 2024. L’auteure est interviewée au sujet de son livre sur le site Zeteo : https://www.youtube.com/watch?v=eFTQUfetDT8
- La spiritualité parmi les américains : https://www.temoins.com/la-spiritualite-parmi-les-americains/
- Reliance : une vision spirituelle pour un nouvel âge : https://vivreetesperer.com/reliance-une-vision-spirituelle-pour-un-nouvel-age/
- Spiritualité post-moderne et culture de l’individualisme. Une transformation des mentalités : https://www.temoins.com/spiritualite-postmoderne-culture-de-lindividualisme-transformation-mentalites/
- La vie spirituelle comme une « conscience relationnelle ». Une recherche de David Hay sur la spiritualité d’aujourd’hui » : https://www.temoins.com/la-vie-spirituelle-comme-une-l-conscience-relationnelle-r/
- Comment la reconnaissance et la manifestation de l’admiration et l’émerveillement exprimées par le terme « awe » peut transformer nos vies ? : https://vivreetesperer.com/comment-la-reconnaissance-et-la-manifestation-de-ladmiration-et-de-lemerveillement-exprimees-par-le-terme-awe-peut-transformer-nos-vies/
- Comment une pratique spirituelle fait barrage à la dépression, apparait positivement dans l’activité du cerveau et engendre une vie pleine : https://vivreetesperer.com/the-awakened-brain/
- Dans le contexte d’une nouvelle culture, quel avenir pour les églises protestantes ? : https://www.temoins.com/dans-le-contexte-dune-nouvelle-culture-quel-avenir-pour-les-eglises-protestantes/
- La participation des expériences spirituelles à la conscience écologique : https://vivreetesperer.com/la-participation-des-experiences-spirituelles-a-la-conscience-ecologique/
- Ebloui par l’émerveillement : https://vivreetesperer.com/ebloui-par-lemerveillement/
- Contempler la création : https://vivreetesperer.com/contempler-la-creation/
- Dieu vivant, Dieu présent, Dieu avec nous dans un monde où tout se tient : https://vivreetesperer.com/dieu-vivant-dieu-present-dieu-avec-nous-dans-un-univers-interrelationnel-holistique-anime/
- Un Esprit sans frontières : https://vivreetesperer.com/un-esprit-sans-frontieres/
par jean | Avr 6, 2022 | Vision et sens |
Si Dieu ne se laisse pas enfermer dans une représentation. S’il échappe à nos catégories humaines, êtres humains, nous avons besoin pour nous adresser à lui, d’une image guide en lien avec notre affectivité et notre intelligence. Ainsi, dans le « Notre Père », Jésus nous invite à accéder à Dieu en terme de Père et, plus précisément, de Abba, papa, notre bon père céleste. Dieu nous appelle à l’amour, et, s’il est lui-même amour, il entend que son évocation puisse éveiller en nous l’amour. Une prière qui s’adresse à Dieu, en terme d’ami, mobilise tout ce que ce mot éveille en nous.
Le grand Ami
Dans le message qui nous est communiqué dans le livre : « Dieu appelle » (1), une voix se fait entendre en ce sens (p 180-181). « Ce que l’on entend par « conversion », n’est souvent que la découverte d’un Grand Ami. Ce que l’on entend par « religion » est la connaissance de ce Grand Ami. Ce que l’on entend par la « sainteté » est l’imitation de ce Grand Ami… La perfection, cette perfection à laquelle j’ai appelé tous les hommes : « Soyez parfaits comme votre Père est parfait (Math 5-48), consiste en somme à être comme votre Grand Ami, afin de devenir à votre tour un ami semblable pour les autres ». « Je suis votre Ami. Songez un peu à tout ce que signifient les termes d’Ami et de Sauveur. Un ami est toujours disposé à venir en aide. Il prévient vos besoins, s’avance la main tendue pour soutenir et encourager, ou pour écarter le danger. Sa voix est celle de la tendresse… Pensez à ce qu’est pour vous un tel ami et tachez de vous représenter ce que doit être l’Ami Parfait, celui que rien ne décourage, qui se donne sans réserve, qui a triomphé de tout et qui peut tout. Je suis pour vous cet Ami. Je le suis même au delà de ce que peut attendre votre cœur » (p 180-181).
Méditation biblique
Dans les méditations publiées journellement sur le site : « Center for action and contemplation », Richard Rohr nous apporte un message qui s’étend bien au delà de l’expression franciscaine qui l’accompagne. Richard Rohr récemment consacré une séquence hebdomadaire au thème de « la rencontre de Dieu à travers la Bible » (Encountering God through the Bible). Et une des méditations inscrites dans ce cycle s’intitule : « Pouvons-nous être amis avec Dieu ? » (2). Cette méditation est un texte de Diana Butler Bass issu de son livre : « Freeing Jesus. Rediscovering Jesus as Friend, Teacher, Savior, Lord, Way and Presence » (3). L’auteure se réfère à différentes images de Jésus et, entre autres, elle s’inspire de celle où prévaut l’amitié. Ainsi, « l’auteure et la chercheuse Diana Butler Bass décrit quelque chose qui est la marque d’une foi mure, échappant ainsi à des préjugés populaires. « Effectivement, l’amitié avec Dieu est au cœur de l’histoire biblique ».
L’amitié avec Dieu au cœur de l’histoire biblique
« La Bible nous raconte une histoire originale sur l’amitié avec Dieu, particulièrement dans les écritures hébraïques. L’amitié n’a rien d’une immaturité ; elle est un don de sagesse. « Dans chaque génération, la sagesse passe dans les âmes saintes et elle les rend amies de Dieu et des prophètes (Sagesse de Salomon 7.27). Deux des plus grands héros d’Israël, Abraham, le père de la foi, et Moïse, le prophète libérateur, sont appelés spécifiquement amis de Dieu. En Esaïe (41.8), Dieu envisage Abraham comme « mon ami », une tradition qui entre dans le Nouveau Testament (Jacques 2.23). De Moïse, l’Exode déclare : « Le Seigneur avait l’habitude de parler à Moïse face à face, comme on parle à un ami (31.11), une intimité très rare, car une telle proximité divine impliquait d’habitude la mort (33.20).
Le point essentiel est que l’amitié avec Dieu fonde l’alliance et qu’Israël est libéré de l’asservissement pour entrer dans une famille nouvelle à travers la loi donnée par Moïse. L’amitié avec Dieu n’est pas une histoire biblique secondaire. Plutôt, elle est centrale dans les promesses et la foi d’être un peuple appelé, dans lequel tous sont amis, compagnons, intimes, frères et sœurs et être aimés.
Les premiers chrétiens qui étaient pour la plupart des juifs, savaient tout cela et ont étendu à Jésus cette idée d’une amitié divine. Le Nouveau Testament rappelle intensément la proximité régnant dans le cercle d’amis de Jésus, hommes et femmes transformés à travers leur relation avec lui.
Le Notre Père
Diana Butler Bass comprend la prière du Notre Père apportée par Jésus comme conduisant à une amitié mutuelle avec Dieu.
« Jésus enseigne à ses amis de prier Abba (comme nous assumons qu’il priait lui-même), un terme le plus souvent traduit en anglais par père, mais qui contient des notes de sens indiquant l’intimité et la familiarité, incluant celle d’une relation fraternelle comme « frère » et « compagnon ». Ce terme est relié au mot hébreu désignant un ami (ahab), utilisé pour décrire Abraham ».
Ainsi Jésus présente ses amis (les disciples) à son autre ami (Dieu) dans la prière quotidienne connue comme le « notre Père », peut-être dans ce qui peut être le mieux compris comme « Notre Père-Ami » ou simplement « notre Ami ». Cette idée de « Notre Ami a était une idée révolutionnaire comme Jésus intervenant comme médiateur du compagnonnage divin, abolissait une distance sacrée entre Dieu et nous ».
L’amitié est lié à l’amour, un amour vrai : compassion, empathie, aide, aller au delà de ce qu’on estime possible. C’est le commandement de l’amour. Si nous nous rejoignons dans l’amour, l’amitié est le résultat, même l’amitié avec Dieu. L’amitié est mutuelle… C’est un rapprochement incessant l’un de l’autre qui nous fortifie et nous donne la joie.
Une amitié ouverte
Théologien, dans « L’Esprit qui donne la vie », Jürgen Moltmann nous fait entrer dans une amitié ouverte (4). « Tout simplement, un ami, c’est quelqu’un qui t’aime bien ». « De cette amitié ouverte qui partage et qui libère, Jésus nous donne l’exemple. Son attitude tranche avec celle des religieux de son temps. « Il a été dit de lui : Il est l’ami des pécheurs et des publicains » (Luc 7.34). « La raison profonde en était sa joie débordante en raison de la proximité du Royaume de Dieu. C’est pourquoi, il célébrait le repas messianique avec ces exclus… ». L’amitié est présente dans le témoignage de Jésus. « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis… Je ne vous appelle plus serviteur, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maitre, mais je vous ai appelé ami parce que je vous ai fait connaître tout ce que j’ai appris de mon Père » (Jean 15. 13-15). Le don que Jésus fait de lui-même est présenté comme amour pour ses amis. Les disciples sont les amis de Jésus… « Dans le don que Jésus fait de lui même, Dieu devient l’ami des hommes, de même ceux qui croient deviennent par-là amis de Dieu. Déjà Abraham dans son chemin de foi avait été appelé lui aussi : ami de Dieu » (Jacques 2.23).
Ressentir l’amitié de Dieu, « c’est participer également à une amitié divine et cosmique qui précède l’amitié personnelle et qui nous y invite. Dans une communauté de la création ressentie comme amicale, nous nouons une amitié ouverte. Celui qui croit en la communauté de la création dans l’Esprit de Dieu qui donne la vie, découvre la « sympathie de toutes choses » et s’y inscrit de façon consciente ».
J H
(1) Dieu appelle. A la Baconnière. « A l’écoute d’une voix bienfaisante » : https://vivreetesperer.com/a-lecoute-dune-voix-bienfaisante/
(2) « Can we be « Friends » with God ? » : https://cac.org/can-we-be-friends-with-god-2022-02-02/
(3) Diana Butler Bass. Freing Jesus ; Recovering Jesus as Friend, Teacher, Savior, Lord, Way and Presence. Harper one, 2021
(4) Jürgen Moltmann. L’Esprit qui donne la vie. Seuil, 1999.
« Vivre une amitié ouverte » : https://lire-moltmann.com/vivre-une-amitie-ouverte/
par jean | Avr 8, 2012 | ARTICLES, Vision et sens |
Dans son livre : « Sa présence dans ma vie », Odile Hassenforder aime se rappeler et nous rappeler que la vie n’est pas dépourvue de sens. Ainsi, le dernier chapitre du livre est intitulé : « Tout se tient. Unité et harmonie en Dieu ». Elle écrit : « Qui suis-je pour être « collaboratrice » du créateur ? (Psaume 8). Dieu continue à créer avec chacun de nous et avec moi. « Le Père céleste agit sans cesse », dit Jésus, et il m’invite à participer à la nouvelle création mise en route dans sa résurrection » (p. 209). Extrait de ses écrits personnels et jusqu’ici non publié, dans une forme suggestive, ce texte est court, mais accompagné par des versets bibliques auxquels elle nous renvoie, il nous invite à aller au delà de nos impressions immédiates. JH
Comprendre la sagesse de Dieu.
Dieu a construit sa création
selon des règles de vie.
A nous de les observer
Admirer … adorer le Créateur.
A nous de rentrer dans ses places
Et de collaborer
Car il nous donne la force : toutes qualités : don, vie…intelligence.
Tout le long de la Vie.
Les refus, les obstacles opposés par les hommes sont utilisés par Dieu. Car les hommes enfermés dans leurs erreurs sont l’occasion d’une ouverture pour d’autres.
Chercher le positif que Dieu tire des déviations, épreuves.
Car Il poursuit son œuvre.
Et donne sa grâce, son pardon à tous les hommes
toutes les nations
qui reconnaîtront
Le Dieu de l’Univers
Manifesté à chacun.
Odile Hassenforder
15.10.2006
Textes bibliques en regard
Esaïe 28.23-29
Ecoutez ma parole attentivement.
Quel laboureur laboure la terre en tout temps pour y semer ?..
C’est son Dieu qui l’instruit des règles à suivre
l’enseigne
Car on ne foule pas l’aneth à l’aide d’un rouleau…
Tout cela vient de l’Eternel le Seigneur (de l’Univers).
Son plan est merveilleux
Sa sagesse est immense.
Proverbe 22.19
Pour que tu mettes ta confiance en l’Eternel,
Je vais t’instruire.
Psaume 92
versets 5-7
Ce que tu fais, Seigneur, me remplit de joie
L’ouvrage de tes mains, j’acclamerai
Tes pensées sont grandioses
Tes pensées sont profondes.
L’insensé n’y connaît rien
Le sot ne peut les comprendre.
verset 9
Eternel, tu es souverain pour l’éternité…
Voici. Tes ennemis périssent.
Romains 11
verset 33
Combien profondes sont les richesses de Dieu, sa sagesse et sa science
verset 28-32
Si on considère comment les juifs ont refusé l’Evangile,
Devenus ennemis de Dieu, c’est pour votre bien.
Si on considère le choix de Dieu, ils sont ceux que Dieu aime à cause de leurs ancêtres, car Dieu ne change pas d’idées.
Vous connaissez Dieu parce que les juifs ont désobéi.
Eux aussi connaissent son pardon.
Car Dieu a emprisonné les hommes dans leur désobéissance afin de faire grâce à tous…
Les écrits d’Odile Hassenforder sont une ressource à laquelle nous faisons appel dans ce blog : Voir : « La grâce d’exister » (septembre 2011), « Lorsque Dieu nous parle de bonheur » (octobre 2011), « Accueillir la vie » (décembre 2011), « Horizon de vie » (février 2012).