Dans la communion du  Saint Esprit

Dans la communion du  Saint Esprit

In the fellowship of the Holy Spirit

« In the fellowship of the Holy Spirit », c’est le titre d’un chapitre du livre de Jürgen Moltmann : « The source of life. The Holy Spirit and the theology of life » (1). A la suite d’un premier ouvrage de Moltmann : « The Spirit of life » (1992) traduit en français et publié en 1999 sous le titre : « L’Esprit qui donne la vie », ce livre, inédit en français, se propose d’apporter une théologie du Saint Esprit à l’intention d’un vaste public. Dans ce chapitre, Jürgen Moltmann nous introduit dans la personnalité du Saint Esprit à travers une caractéristique majeure : la « fellowship », ce terme évoquant par ailleurs le potentiel chaleureux de la vie associative, et pouvant dans ce cas, se traduire en français par toute une gamme de termes : amitié, fraternité, communion… « Dans la communion d’un Dieu trinitaire, Père, Fils et Saint Esprit, le Saint Esprit vient à notre rencontre et il communique avec nous, comme nous avec lui. De fait, il nous permet d’entrer en communion avec Dieu (« fellowship with God »). Avec lui, la vie divine nous est communiquée et Dieu participe à notre vie humaine. Ce qui advient ainsi dans la manifestation de l’Esprit, n’est rien moins qu’une communion avec Dieu (« fellowship with God ») (p 190). Cette lecture nous est précieuse parce qu’elle nous permet d’apprendre à vivre aves le Dieu vivant (« The living God ») en nous, pour nous, avec nous (2).

 

La communion : une caractéristique de l’Esprit

 « Que la grâce de Notre Seigneur Jésus-Christ et l’amour de Dieu et la communion (« fellowship ») de l’Esprit soient avec vous tous ». Ainsi s’énonce une ancienne bénédiction chrétienne (II Corinthiens 13.13). Jürgen Moltmann s’interroge. « Pourquoi le don particulier de l’Esprit est-il perçu comme la communion (fellowship), alors que la grâce est attribuée à Christ et l’amour à Dieu le Père ? ». Cette caractéristique a des conséquences considérables.  « Dans cette communion, l’Esprit est davantage qu’une force vitale neutre. L’Esprit est Dieu lui-même en personne. Il entre en communion avec les croyants et les attire en communion avec lui. Il est capable de communion et désire la communion » (p 89).

 

Les vertus de la communion fraternelle

 Le terme « fellowship » est difficile à traduire ici, car, dans la vie courante, il s’applique aussi à l’esprit associatif et on peut l’évoquer en terme de fraternité ; nous utiliserons ici le terme : communion fraternelle. « La communion fraternelle ne s’impose pas par la force et par la possession. Elle libère. Nous offrons une part de nous-même et nous partageons la vie d’une autre personne. La communion fraternelle se vit dans une participation réciproque et une acceptation mutuelle. La communion fraternelle surgit quand des gens qui sont différents, trouvent quelque chose en commun, et, que ce quelque chose en commun est partagé par différentes personnes… Il y a communion fraternelle dans une relation mutuelle : des fraternités engendrées par une vie partagée. Dans la plupart des fraternités humaines, les objectifs et les relations personnelles sont liés » (p 89). Et la communion fraternelle peut s’établir entre gens semblables, mais aussi entre gens différents.

 

La communion de Saint Esprit : un phénomène original

Si on considère ainsi la communion fraternelle, la fraternité dans le genre humain, qu’en est-il dans la communion fraternelle, telle qu’elle se manifeste à travers le Saint Esprit ? «  Si nous nous rappelons les différentes connotations et les différents significations de la fraternité humaines, alors la communion du Saint Esprit avec nous tous, devient un phénomène tout à fait étonnant. Dans l’Esprit, Dieu rentre en communion avec les hommes et les femmes : La vie divine nous est communiquée et Dieu participe à notre vie humaine. Dieu agit sur nous à travers sa proximité éveillante et vivifiante et nous agissons sur Dieu à travers nos vies, nos joies et nos souffrances. Ce qui advient en étant dans l’Esprit de vie n’est rien moins que la « fellowship », la communion fraternelle avec Dieu. Dieu est impliqué en nous, nous répond et nous lui répondons. C’est pourquoi l’Esprit peut porter de bons fruits en nous et c’est pourquoi nous pouvons aussi peiner et éteindre l’Esprit. En l’Esprit, Dieu est comme un mari, une épouse, un partenaire. Il nous accompagne et partage nos souffrances. Le Saint Esprit ne se comporte pas avec nous d’une manière dominatrice, mais avec tendresse et prévenance. De fait dans un esprit de communion fraternelle » (p 90).

 

Avec le Saint Esprit, entrer dans la communion de Dieu trinitaire.

Cependant, nous devons envisager la communion fraternelle de l’Esprit avec nous dans un paysage bien plus vaste. « Le Saint Esprit n’entre pas seulement en communion avec nous et ne nous attire pas simplement en communion avec lui. L’Esprit lui-même – elle-même – existe en communion avec le Père et le Fils, « d’éternité en éternité », et est adoré et glorifié ensemble avec le Père et le Fils comme le dit le credo de Nicée. Ainsi, la communion de l’Esprit avec nous se cache dans la communion éternelle avec Christ et le Père de Jésus – Christ. La communion du Saint Esprit avec nous correspond à sa communion divine éternelle. Elle ne correspond pas seulement à cette communion, elle est elle-même cette communion. Ainsi dans la communion de l’Esprit, nous sommes liés au Dieu trinitaire, pas seulement extérieurement, mais intérieurement. A travers l’Esprit, nous sommes attirés dans la symbiose éternelle ou la communion vivante du Père, du Fils et de l’Esprit, et nos vies humaines limitées participent au mouvement circulaire éternel de la vie divine. Ainsi, dans la communion du Saint Esprit avec nous tous, nous faisons l’expérience de la proximité de la vie divine et aussi l’expérience de notre vie mortelle comme une vie qui est éternelle. Nous sommes en Dieu et Dieu est en nous… Dans la communion du Saint Esprit, la Trinité divine est si grande ouverte que la création entière peut y demeurer. C’est une communion qui invite : « Qu’ils puissent tous être en nous », telle est la prière de Jésus dans l’Evangile de Jean ( Jean 17.21) » (p 90-91).

 

Une unité respectueuse de la diversité

Cette description de la place et du rôle du Saint Esprit dans la communion trinitaire peut-elle nous apprendre quelque chose sur le genre d’unité que les croyants vont développer dans la communion de l’Esprit ? Est-ce que l’Esprit se manifeste essentiellement dans l’animation de la communauté ou bien particulièrement dans la vie individuelle des croyants ? Jürgen Moltmann récuse cette alternative tranchée. « La communion du Saint Esprit ne renforce ni l’individualisme protestant dans la foi, ni le collectivisme ecclésial catholique. L’expérience de la riche variété des dons de l’Esprit est aussi primordiale que l’expérience de la communion dans l’Esprit. « Il y a une variété de dons, mais c’est le même Esprit » (I Cor 12.4)… L’expérience de la liberté qui donne à chacun ce qui lui est propre (I Cor 12.11) est inséparable de l’expérience de l’amour qui unit les gens ensemble dans l’Esprit. La vraie unité des croyants dans la communion de l’Esprit est une image et un reflet de la Trinité de Dieu et de la communion de Dieu dans des relations personnelles différentes. Ni une conscience collective qui réprime l’individualité des personnes, ni une conscience individuelle qui néglige ce qui est commun, ne peuvent exprimer cela. Dans l’Esprit, personnalité et socialité viennent ensemble et sont complémentaires » (p 92).

 

Le chapitre : « In the fellowship of th Spirit » se poursuit en deux autres séquences : « L’Église dans la communion de l’Esprit », et « La communion fraternelle entre les générations et les sexes ».

 La pensée théologique de Moltmann est entrée dans une nouvelle étape créative au début des années 1990 à travers sa théologie de la création, sa nouvelle théologie trinitaire et sa théologie de l’Esprit (2). Ce livre : « La source de vie » s’inscrit dans ce mouvement. Nous avons été inspiré par ce passage qui évoque pour nous la présence divine en terme de communion, dans un rapport à l’expérience de la communion fraternelle.

Rapporté par J H

  1. Jürgen Moltmann. The source of life. The Holy Spirit and the theology of life. Fortress Press, 1997
  2. Pour une vision holistique de l’Esprit : https://vivreetesperer.com/pour-une-vision-holistique-de-lesprit/

 

Face à une accélération et à une chosification de la société

Y remédier à travers une résonance : Le projet d’Hartmut Rosa

Notre inquiétude vis-à-vis de l’évolution actuelle de la société ne tient pas uniquement à une analyse. Elle se fonde sur un ressenti à partir d’indices précis. Et parmi ces indices, il y a l’impression que tout va de plus en plus vite, en consommant le temps disponible. Nous vivons sous la pression d’une accélération. Comme l’écrit le sociologue Hartmut Rosa : « Nous vivons à une époque qui exige de notre part que nous nous adaptions rapidement à de nouvelles techniques et à de nouvelles pratiques sociales. Nous faisons l’expérience qu’avoir du temps est devenu une chose rare. C’est la raison pour laquelle nous inventons des technologies de plus en plus rapides pour nous permettre de gagner du temps. Mais ce que nous avons à apprendre aujourd’hui, c’est que ce projet ne fonctionne pas » (p 20).

Et comme le rappelle le chercheur qui vient l’interviewer, Nathanaël Wallenhorst, nous sommes en présence d’un phénomène puissant : « La période contemporaine est marquée par une triple accélération : l’accélération technique, l’accélération du changement, social et l’accélération du rythme de vie ; Il faut y ajouter la Grande Accélération que constitue l’entrée dans l’Anthropocène » (p 43).

A partir des années 1950, une consommation exponentielle, doublée d’une augmentation de la population humaine, emportent l’ensemble du système Terre dans une course folle et pour un horizon impropre à la vie humaine en société » (p 8).

Que faire ? Bien sûr, cette accélération est « inhérente au capitalisme rentier et spéculatif qui gangrène nos sociétés ». Mais ce système s’inscrit dans une culture qui nous influence de bout en bout.

Bienvenue est la démarche de Harmut Rosa qui « se risque à dessiner les contours d’un remédiation dans le terme d’une « Résonance » (p73). La résonance est à l’œuvre lorsqu’il y a une vraie rencontre « entre le sujet et le monde ». « A une époque où chacun est seul dans la constitution de ses réseaux et dans leur fructification et où l’individu apparaît toujours comme le centre de gravité de l’autonomie » (p 33), c’est mettre l’accent sur la relation. « La forme réussie de l’interaction résonante, c’est lorsque nous sommes prêts à écouter la voix de l’autre et à rendre la nôtre plus perceptible pour que cette résonance soit horizontale » (p 34). Harmut Rosa présente ainsi sa vision : « Un monde meilleur est possible. Une transition devrait avoir lieu entre cette relation au monde qui vise le pouvoir de disposer des choses et de les mettre sous contrôle et une attitude au monde dont la caractéristique principale est l’écoute. Nous devons apprendre à écouter le monde, à le percevoir nouvellement et à lui répondre. C’est tout autre chose que d’en disposer » (p 53).

Ce livre, dans lequel Hartmut Rosa répond aux questions de Nathanaël Wallenhorst est intitulé : « Accélérons la résonance. Pour une éducation en Anthropocène » (1). Cet entretien nous ouvre l’accès à l’œuvre d’Harmut Rosa, un sociologue et philosophe allemand de renommée internationale. « Dans ses deux précédents ouvrages, « Accélération », puis « Aliénation et accélération », il avait su mettre à jour combien nos sociétés ne parviennent à se stabiliser que de façon dynamique. Elles ont besoin de croissance, en somme, alors même que celle-ci est la principale aliénation du temps présent. Dans « Résonance », Rosa se risquait à dessiner les contours d’une remédiation à cette accélération hégémonique et réifiante… ». Ce livret nous parait essentiel, car les lecteurs y trouveront un écho à leur ressenti et une réponse à des questions fondamentales pour l’avenir du monde.

 

Une vie confrontée à l’accélération

Harmut Rosa nous montre en quoi et pourquoi les êtres humains sont amenés à participer à une accélération grandissante. « Qu’est-ce qu’une vie bonne ? Nous ne savons pas répondre à cette question » (p 16). En attendant, dans un sentiment d’insécurité, nous cherchons à accumuler des biens pour garantir l’avenir. « Comme nous ne savons pas très bien ce qu’est une vie bonne, nous nous disons que nous allons voir si nous y parvenons, mais avant il est important que nous ayons acquis un certain nombre de biens… Ainsi, il serait d’abord important d’obtenir un capital économique. Mais il faudrait également construire un capital culturel. Je dois avant tout disposer d’un certain nombre de savoirs et de savoir-faire nécessitant d’être réactualisés en permanence… Mais j’ai également absolument besoin d’un capital social : je dois avoir des relations, des connexions et des réseaux… Enfin, le plus important, c’est le capital physique… Nous sommes continuellement affairés à améliorer notre base de ressources : assurer nos revenus, entretenir nos connaissances, entretenir nos relations, soigner notre corps » (p 17-18). La société elle-même se développe d’une manière où tout s’accélère. « Notre société ne se stabilise pas, elle doit accélérer toujours plus pour continuer à exister et elle exige en permanence des nouvelles formes de connaissance… » Ainsi envisage-t-on un apprentissage tout au long de la vie. Au total, « nous faisons l’expérience qu’avoir du temps est devenu une chose rare. C’est la raison pour laquelle nous inventons des technologies de plus en plus rapides qui nous permettent de gagner du temps. Mais ce que nous avons à apprendre désormais, c’est que ce projet ne fonctionne pas » (p 20).

 

Accélération ou décélération

Face à une accélération dommageable, comment réagir ? Peut-on accélérer en mieux ? Peut-on décélérer ?

Harmut Rosa évoque l’idéologie du « slow » : « manger lentement, penser lentement, vivre lentement » et il en fait la critique. « La lenteur n’est pas une vertu en soi. Elle n’est pas souhaitable », mais peut-être cette idéologie traduit-elle le souhait d’une relation différente avec le monde.

Cependant Harmut Rosa critique l’idéologie de l’accélération. « Cette affirmation accélérationniste comporte au moins deux erreurs. La première, c’est l’acceptation sans réserve de la technique et de toutes ses possibilité de réalisation d’une meilleure vie et d’une meilleure société, sans aucune conception de ce qu’est une vie bonne. Nous avons besoin d’une boussole permettant d’identifier ce qu’est une vie meilleure et une communauté réussie » (p 24). Harmut Rosa poursuit ensuite sa critique en réponse à une relance de son interlocuteur ; « le courant accélérationniste s’inscrit dans le registre du possible et de l’impossible. Ce qui est possible doit être réalisé pour la seule raison qu’il est possible » (p 24). « Oui, d’où une utopie aveugle du faisable… Cette quête du faisable est un réel problème, une façon exclusivement prométhéenne d’aborder le monde » (p 25). De même, le transhumanisme est dangereux (p 27). Nous assistons aujourd’hui à une recherche infinie de pouvoir et de contrôle. Cependant aujourd’hui une prise de conscience s’opère. « L’idée de progrès est devenue plus terne » (p 30).

 

La visée d’une vie bonne et l’importance de la relation

De fait, l’humanité manque d’une boussole.

Sur le plan culturel, nous ne savons plus précisément ce qu’est une vie bonne. Qu’est-ce qu’une vie bonne ? Nous ne savons pas répondre à cette question… » (p 16). Ici, Harmut Rosa nous invite à nous demander : « Quand ai-je fait l’expérience d’une vie réussie ? ». « Nous ne répondons pas en racontant les moments où nous avons augmenté la quantité de nos ressources, mais plutôt en évoquant les moments où nous sommes entrés en contact avec quelqu’un ou quelque chose qui a été important pour nous » (p 32). « Nous pensons aux personnes qui ont été déterminantes pour nous », à un livre, à un paysage, à une musique… ». « C’est dire que nous percevons une forme de réussite liée à la façon d’entrer en relation avec quelqu’un » (p 33).

Ici, Harmut Rosa nous ouvre une vision du monde.

« Le sous-titre de mon livre est : « Sociologie de la relation au monde ». Voilà ce qui m’importe : la relation entre le sujet et le monde, car il n’y a pas de sujet totalement fini, ni de monde totalement fini ; et les deux entrent en contact. La résonance est à l’œuvre lorsqu’il y une rencontre avec un autre » (p 33).

« La relation est la base. Le sujet comme le monde sont déjà le résultat d’une relation… La forme réussie d’interaction résonante, c’est lorsque nous sommes prêts à écouter la voix de l’autre, et à rendre la nôtre plus perceptible pour que cette résonance soit horizontale. En ce sens, la politique et la démocratie sont aussi des formes de résonance. Tout comme le travail. La résonance a partie liée avec ce qui est un fondement de notre existence » (p 34).

Une question concernant l’éducation est alors posée. Il y a une différence entre appropriation des connaissances et assimilation qui conduit à une transformation. « Je peux acquérir des connaissances, apprendre à utiliser des machines et des programmes. Lorsque je m’approprie les choses, j’arrive à les contrôler. L’assimilation est tout autre chose. Elle conduit à une transformation » (p 36). Par exemple, lire un poème peut être une expérience. « Je me laisse transformer et je suis en partie quelqu’un d’autre ». « Dans les processus d’assimilation, j’entre en contact avec le monde. Tout se passe comme si je m’entretenais avec lui. Il a des répercussions sur moi. Il me touche et me transforme ».

 

Nous avons besoin de l’autre

 Y a-t-il des obstacles au développement de vraies relations ? « Effectivement, une logique d’instrumentalisation ou de chosification est très présente dans nos interactions avec les autres ou avec les choses. La façon dont elles ont lieu est régulièrement instrumentale ou causale » (p 39) ». Se rencontrer en tant qu’êtres humains prend beaucoup de temps. Souvent nous ratons cette expérience… ».

« Cependant,  je pense que les humains sont depuis toujours doués pour la résonance. Tous ont fait cette expérience et savent en quoi le monde apporte des réponses et rend possible une vraie rencontre. Nous pouvons disposer de toutes les ressources du monde, être en bonne santé, riches, avoir beaucoup de connaissances et de relations, et, malgré cela, avoir l’impression que quelque chose nous manque. Dans notre époque de l’accélération, nous avons besoin de l’autre ». (p 41).

Comment apprendre la résonance ? « Nous n’avons pas besoin d’apprendre la résonnance, parce que nous avons déjà en nous les capacités. En revanche, nous les éloignons, nous apprenons à évoluer dans un monde chosifié et à ne plus laisser les choses parvenir à nous » (p 41).

 

Une réponse au défi écologique

 Notre époque est marquée par « une triple accélération : accélération technique, accélération du changement social et accélération du rythme de vie ». Mais ajoute Nathanaël Wallenhorst, il y en a une quatrième : la Grande Accélération » que constitue l’entrée dans l’Anthropocène. « Cette Grande Accélération signe l’entrée dans une nouvelle époque géologique caractérisée par les effets anthropiques sur le climat et la biosphère dans son ensemble ». (p 44). En regard Harmut Rosa s’intéresse à notre relation à la nature. « Effectivement, nous avons actuellement à faire à un réchauffement climatique de nature anthropique. Nous avons contribué à ce réchauffement » (p 44). Cependant, on peut ouvrir le questionnement. « Ma thèse serait la suivante : la modernité a besoin de la nature pas seulement comme d’une ressource ou d’un souterrain du monde, mais également comme d’une sphère de résonance, comme quelque chose qui entretient une sorte de relation avec nous. Je crois que les mouvements écologiques sont liés à une perception de la perte possible de la nature comme sphère de résonance, comme espace d’action environnemental dans l’espoir d’inverser le cours des choses » (p 45). « Dans notre façon brutale d’aborder la nature, nous percevons bien les mécanismes de chosification et d’aliénation de notre société. Notre rapport aux animaux est à cet égard très significatif… ». « Nous chosifions la nature à bien des égards sans toujours percevoir combien nous en avons besoin pour notre propre compréhension, comme quelque chose qui entretient une relation organique de résonnance avec nous » (p 46).

 

Que pouvons-nous faire ?

 Dans la société capitaliste, on suscite et on amplifie les besoins. Et, par exemple, dans presque toutes les cultures du monde, si mon pantalon est abimé, je vais le réparer. « L’idée que je pourrais avoir un nouveau pantalon plus beau, meilleur, est typique de la modernité. Elle n’est pas intrinsèquement liée à la nature de l’homme ». « Le capitalisme pourtant vit de ce programme d’augmentation. Il doit se modifier sur le long terme » (p 58). De même, nous sommes responsables des personnes qui cousent un T-shirt à l’autre bout du monde… Mais notre responsabilité n’est pas celle d’un individu atomisé. Elle s’inscrit dans un lien, elle renvoie à une coresponsabilitéNous devons retrouver cette inexorable relation qui nous unit les uns aux autres » (p 59).

L’auteur propose également un revenu de base, sans condition comme « filet de sécurité pour tous ». « Nous n’aurions plus une peur existentielle et matérielle. Une telle mesure contribuerait à créer les conditions pour être autrement dans le monde et pour s’impliquer autrement dans les relations aux autres » (p 55).

« Nous pouvons façonner ensemble le monde et agir sur lui. Cela est possible à la hauteur de nos relations les uns avec les autres ». Ici Harmut Rosa met l’accent sur la dynamique culturelle. « Le dernier grand mouvement qui a eu un effet sur le vivre-ensemble est la révolution de 1968. Ce n’est pas un hasard s’il s’agissait aussi d’une grande révolution musicale… L’expérience musicale et les chants communs étaient des éléments liants… Tout cela s’est passé sur le mode de la résonance… » (p 60).

Harmut Rosa nous appelle à une attitude moins focalisée, plus libre, plus à l’écoute ; « un monde meilleur est possible. Une transition devrait avoir lieu entre cette relation au monde qui vise le pouvoir de disposer des choses et de les mettre sous contrôle et une attitude au monde dont la caractéristique principale est l’écoute. Nous devons apprendre à écouter le monde, à le percevoir nouvellement et à lui répondre. C’est une toute autre chose que d’en disposer » (p 53).

Face au dérèglement de la société humaine, Harmut Rosa propose de nous tourner vers le cœur de la vie sociale, une juste relation. Face à un individualisme exacerbé, entrer dans une résonance.

« La relation est la base. Le sujet comme le monde sont déjà le résultat d’une relation… La forme réussie d’interaction résonante, c’est lorsque nous sommes prêts à écouter la voix de l’autre, et à rendre la nôtre plus perceptible pour que cette résonance soit horizontale… La résonance a partie liée avec ce qui est un fondement de notre existence » (p 34).

Cet accent sur la relation rejoint un courant de pensée qui s’affirme aujourd’hui tant dans les sciences humaines que dans la réflexion théologique « Aujourd’hui, face au malaise engendré par la division, la séparation dans la vie sociale comme dans la vie intellectuelle, des mouvement se dessinent pour une nouvelle reliance. Ainsi est paru un livre avec le titre significatif : « Relions-nous » (2). Les appels à la convivialité et à la fraternité (3) se multiplient et témoignent du grand mouvement communautaire en cours aujourd’hui.

Depuis ses origines, la foi chrétienne manifeste le message d’amour de l’Évangile, mais dans la foulée des empires et d’une société patriarcale, la « religion organisée » s’est souvent écartée de l’inspiration originelle. Et même, Dieu a pu être présenté comme un souverain sur son trône. En regard, s’affirme aujourd’hui un Dieu communion dans sa dimension trinitaire, Dieu Vivant, Dieu présent, Dieu avec nous dans un monde où tout se tient (4). Selon Jürgen Moltmann (5), la vie éternelle s’inscrit dans un univers interrelationnel. « L’être humain n’est pas un individu, mais un être social. Il meurt socialement lorsqu’il n’a pas de relations ». Jürgen Moltmann envisage la création en terme de relations : « Si l’Esprit Saint est répandu sur toute la création, il fait de la communauté entre toutes les créatures avec Dieu et entre elles, cette communauté de le création dans laquelle toutes les créatures communiquent chacune à sa manière entre elles et avec Dieu ».

Dans l’origine du trouble contemporain, Harmut Rosa perçoit une incertitude sur ce qu’est une vie bonne. Jürgen Moltmann répond à cette question en envisageant une vie pleine (full life) de l’homme en communion avec le Dieu Vivant (5). Et Richard Rohr envisage la vie bonne dans la même perspective (6) : « Une vie bonne, c’est une vie en relation. Lorsqu’une personne est isolée, séparée, seule, la maladie menace. La voie de Jésus, c’est une invitation à une vision trinitaire de la vie, de l’amour, et de la relation sur la terre comme au sein de la Divinité. Nous sommes faits pour l’amour et, en dehors de cela, nous mourrons très rapidement ».

Lorsque Harmut vient fonder l’équilibre social en terme de saines relations, une résonance qui vient recomposer un monde en errance, il exprime sa pensée à partir d’une observation et d’une analyse sociologique et philosophique en recourant aux ressources du même registre. La réflexion théologique présentée dans ce commentaire nous paraît rejoindre l’approche de Harmut Rosa en mettant l’accent sur la réalité vitale de la relation.

 

J H

 

  1. Harmut Rosa : Accélérons la résonance ! Entretiens avec Nathanaël Wallenhorst. Pour une éducation en Anthropocène. Le Pommier, 2022
  2. Tout se tient. Relions-nous : Un livre et un mouvement de pensée : https://vivreetesperer.com/tout-se-tient/
  3. Pour des oasis de fraternité. Pourquoi la fraternité ? Selon Edgar Morin : https://vivreetesperer.com/pour-des-oasis-de-fraternite/
  4. Dieu vivant, Dieu présent, Dieu avec nous dans un monde où tout se tient : https://vivreetesperer.com/dieu-vivant-dieu-present-dieu-avec-nous-dans-un-univers-interrelationnel-holistique-anime/
  5. Le Dieu vivant et la plénitude de vie : https://vivreetesperer.com/le-dieu-vivant-et-la-plenitude-de-vie-2/
  6. Reconnaître et vivre la présence d’un Dieu relationnel : https://vivreetesperer.com/reconnaitre-et-vivre-la-presence-dun-dieu-relationnel/
Un amour universel du proche au lointain

Un amour universel du proche au lointain

Une géographie de l’amour d’après la parabole de bon samaritain

La parabole du bon samaritain est sans doute une des plus marquantes de l’Évangile. Mais, en a-t-on saisi tout le sens ? Une philosophe Marie Grand veut élargir notre compréhension la plus habituelle à partir d’une peinture de Rembrandt et d’une réflexion prenant en compte la lecture de la Bible comme la philosophie de Paul Ricoeur. Dans son livre : « Géographie de l’amour. Une autre histoire du bon samaritain » (1), Marie Grand s’interroge sur l’étendue du déploiement de l’amour.

 

Le bon Samaritain et l’hôtelier

Son point de départ est l’examen d’un tableau de Rembrandt qui, au lieu de mettre l’accent sur la rencontre initiale entre le bon Samaritain et la victime des brigands, décrit « la fin de l’histoire en faisant entrer dans son cadre un personnage habituellement tapi dans l’hors-champ des tableaux et des commentaires bibliques : l’hôtelier » (p 14). Dans le dialogue entre le bon Samaritain et l’hôtelier à qui il confie le blessé, l’auteure perçoit un autre mode d’exercice de la charité. Et elle y trouve une occasion de distinguer les différentes formes selon lesquelles l’amour se déploie, « une géographie de l’amour ». « Vouloir aimer tout le monde, c’est en réalité vouloir deux choses très différentes que l’on peine d’ordinaire à bien distinguer. C’est en même temps ‘aimer tout un chacun indifféremment et tout le monde simultanément’… Généralement, seule la première question nous intéresse, car elle appelle les réponses les plus spectaculaires et les plus télégéniques… Les plateaux de télévision mettent régulièrement sous les projecteurs les Abbé Pierre, Cédric Villani, et autres bons samaritains. Chez ces aventuriers de l’amour, tout est à égale distance, car ils savent personnellement s’approcher de chacun. Mais ils ne sauraient avoir le monopole du cœur. On ne peut quadriller intégralement le monde par des rapports insulaires, des rapports de personne à personne. Il faut aussi se demander ce que devient l’amour quand les demandes et les sollicitations augmentent » (p 17-18).

Marie Grand en vient à souligner que l’action collective en vue d’aider les malheureux est une autre manifestation d’amour. « Devant le vertige des grands nombres, l’amour ne se contente pas d’improviser, il doit s’organiser. Ce visage-là est plus ingrat : c’est celui de l’Hôpital, de l’Éducation Nationale, de l’Ehpad, de la justice, de l’État, de la division du travail et du monde économique en général. C’est le visage de l’hôtelier ». L’auteure veut nous apprendre à voir dans des pratiques sociales une manifestation de l’amour au quotidien. « Signer, instruire, nourrir, loger, protéger et accueillir tout le monde : la tâche n’est plus de la même nature et pourtant c’est encore de l’amour. En effet, dans chacun de ces actes nous nous entretenons mutuellement dans la vie, ce qui est peut-être l’unique vocation de l’amour. Pour se faire, l’amour mobilise nos forces quotidiennes, s’inscrit dans l’épaisseur du tissu social, fait de nous les partenaires anonymes et interchangeables d’un système de services réciproques » (p 18). Certes, Marie Grand voit bien où réside l’écueil : « Nécessairement, en s’organisant, l’amour court le risque de profondément s’altérer, voire de disparaître dans les rouages de ce que nous appelons le « système » (p 19).

L’auteure met en lumière l’ampleur des besoins qui requièrent attention et soin en évoquant un autre passage de l’Évangile : « Les Évangiles nous racontent l’histoire d’une brebis perdue et retrouvée pour laquelle le berger délaisse son troupeau. On est en droit de s’interroger : qui veille sur les quatre-vingt-dix-neuf autres brebis quand il se porte au secours de la malheureuse ? Car, contrairement à ce que l’on croit, elles ne se trouvent pas en sécurité dans la bergerie, mais dans la montagne ou au désert » (p 19).

Marie Grand nous fait alors part du message qu’elle veut communiquer : « La conviction principale de ce livre est simple. On ne peut donner à l’amour son envergure et sa géographie maximale sans toujours tenir ensemble ces deux voies : celle du bon Samaritain et celle de l’hôtelier, celle de la rencontre interpersonnelle par laquelle nous tâchons de nous faire proches de quiconque et celle du service impersonnel par lequel nous allons à tous. Aimer tout homme, aller loin à la rencontre des territoires perdus de l’amour pour sauver la brebis égarée, tel est le défi du bon Samaritain. Aimer tous les hommes, les servir partout en même temps, veiller sur les quatre-vingt-dix-neuf autres brebis, tel est le défi de l’hôtelier. Il arrive que ces deux dimensions ne s’harmonisent pas ; pourtant elles se conditionnent et se corrigent réciproquement » (p 20).

Le livre se déroule ensuite en deux parties : ‘Aimer tout homme. Le bon Samaritain’ ; ‘Aimer tous les hommes. L’hôtelier’. Marie Grand soulève beaucoup de questions et y apporte de nombreuses analyses auxquelles on se reportera.

 

Aimer tout homme.

Le bon Samaritain

Marie Grant commente la demande : ‘Qui est mon prochain ?’. ‘Pourquoi as-tu besoin de savoir au préalable à qui s’adresse ton amour ?’… Aimer authentiquement, n’est-ce pas refuser de faire de la réponse à cette question un préalable de l’amour. Car c’est en aimant que l’on y répond… « (p 28). La réponse appelle à nous conduire en prochain. « Le prochain, c’est la conduite même de se rendre présent » commente Paul Ricoeur. « On n’a pas un prochain, on se fait le prochain » (p 30).

L’auteure introduit alors une analyse subtile de nos comportements oblatifs Notre amour peut s’adresser à différentes personnes et un conflit peut apparaitre entre ces différentes conduites. « Aimer tout le monde serait si simple si nous n’avions pas sans cesse à articuler des loyautés et des allégeances contradictoires, celles du lévite, du prêtre et du bon Samaritain. Il se peut que nous ayons de bonnes raisons de passer notre chemin : un enfant, un parent, un proche à secourir ou encore une responsabilité à exercer. Peut-on nier qu’il existe un ordre légitime et naturel de l’affection ? Il n’est pas honteux de commencer par s’aimer soi-même, c’est même un impératif vital. Ne dit-on pas d’ailleurs qu’il faut aimer le prochain comme soi-même ? » (p 35). Cependant, nos attachements ne sont-ils pas souvent trop exclusifs ? « Au sein de nos interactions, le sentiment aménage des zones d’extrême intensité, de hautes fréquences et de contrée froides et lointaines… Les différentes formes de l’affection devraient nous rapprocher les uns des autres mais elles produisent aussi des écarts et des différences… » (p 37-38). L’auteure explique le processus de nos attitudes différenciées.

« Paradoxalement, le défaut d’ouverture n’est pas le contraire de l’amour mais son ombre portée. Ce n’est pas faute d’aimer que nous sommes indifférents, voire inamicaux mais parce que nous aimons. Tel le soleil, nos sentiments investissent, éclairent et réchauffent certaines zones de l’espace social et en délaissent d’autres » (p 38). « L’amour doit se battre afin de parvenir à aimer tout le monde et faire triompher sa géographie rêvée (celle du bon Samaritain) sur sa géographie réelle (celle du lévite et du prêtre) » (p 40).

Marie Grand revisite l’épisode fratricide de Caïn et Abel. Caïn, l’enfant préféré de sa mère rejette son cadet et le tue. Elle remarque qu’il y a des familles enfermantes. « L’affection naturelle peut devenir une prison » (p 43). « En plaçant un fratricide à l’orée de sa grande saga, la Bible part d’un constat et indique une direction : c’est en s’étendant au dehors que nos liens se purifient. » (p 44). « Et sur un registre anthropologique, la prohibition de l’inceste est une première loi de civilisation qui nous prescrit de ne pas nous lier les uns aux autres, n‘importe comment. Elle nous invite à dépasser le cercle de la proximité… » (p 43). La société humaine se caractérise par son hypersociabilité. « En nouant de multiples contacts, les êtres humains tissent une solidarité d’un nouveau type qui préfigure progressivement le lien politique ». La devise : ‘Liberté, égalité, fraternité’ fait place à la fraternité qui évoque un sentiment familial. Marie Grand estime que « c’est parce que les liens de la famille ont vocation à s’universaliser. Le contrat social a besoin de puiser en eux une partie de sa force…. Pour vouloir l’égalité et la justice… le libre jeu des intérêts ne suffit pas… » (p 48). L’auteure estime que la parabole du bon Samaritain n’entraine pas un ‘universalisme abstrait’. C’est un récit qui renvoie à une réalité très concrète où des frontières existent et comptent.

Au total, Marie Grand met l’accent sur l’importance de l’attention. « L’exclusion est souvent le résultat d’un processus d’inattention passive, voire d’invisibilisation active » (p 54). Pendant que notre attention se porte sur certains sujets, elle se détache d’autres aspects de la réalité. « Un tri met en jeu des filtres qui reflètent nos à priori et nos intérêts » (p 58). Une juste attention est nécessaire. Elle n’est pas aisée el l’auteure rajoute une autre exigence. « Prêter attention ne suffit pas. Prêter attention, ce n’est pas encore être attentionnéL’attention doit se faire passive et patiente… » (p 61-62). Ainsi l’attention apparaît comme une priorité. « L’extension du domaine de l’amour est étroitement corrélée à l’extension de domaine de l’attention » (p 62).

 

Aimer tous les hommes. L’hôtelier

Marie Grand rappelle la formule de Michel Rocard : « On ne peut accueillir toute la misère du monde ». Si cette phrase peut paraitre abrupte, elle n’en exprime pas moins une part de la réalité. L’auteure commente en ce sens : « L’amour n’est pas seulement un sentiment, c’est une aptitude : ce qui suppose de s’enquérir des moyens par lesquels il s’incarne dans la réalité. C’est manifestement le cas du bon Samaritain qui a non seulement la compétence, mais aussi les ressources nécessaires pour dispenser les premiers secours » (p 66). Dans ce livre, Marie Grand apporte une vision originale en mettant l’accent sur un aspect le plus souvent négligé ou ignoré : la tractation du bon Samaritain avec l’hôtelier en le rémunérant pour lui confier le blessé. Elle trouve dans la peinture de Rembrandt le même regard. « La parabole ne suit pas une pente romantique. Le bon Samaritain ne fait pas l’impossible. Il fait ce qu’il sait faire avec ce dont il dispose. Il délègue la suite à celui qui a fait de l’hospitalité un métier. Rembrandt a choisi de nous montrer le moment précis où l’hôtelier prend le relai du bon Samaritain, où l’acte de charité se continue tout en se métamorphosant » (p 67).

L’auteure aborde la dimension collective de l’amour. « La fraternité universelle s’adresse à quiconque indifféremment, mais aussi à tous simultanément. Aimer ce ‘quiconque’, ce n’est pas encore aimer tous ces « quiconque ». (p 71). Telle exigence ne doit pas faire oublier l’autre. « Si l’on ne doit pas sacrifier l’individu à la communauté comme le font le lévite et le prêtre, on ne peut pas davantage sacrifier la communauté à l’individu comme certains bons Samaritains bien intentionnés pourraient être tentés de le faire » (p 73). L’auteure aborde la question du changement d’échelle. C’est un problème courant dans la vie économique. Ces changements appellent un changement de mentalité et d’organisation. Étendre l’œuvre de l’amour implique de même une approche nouvelle. « Plutôt que de réclamer une multitude de bons Samaritains, ne serait-il pas plus rationnel d’exiger que les routes de Palestine et du monde entier soient sûres ? Car on oublie souvent que l’histoire s’ouvre sur une scène de brigandage » (p 77). A partir de la parabole du bon Samaritain, l’auteure met l’accent sur une exigence sociale souvent méconnue. « Tant que nous ne remontons pas aux racines économiques et politiques de la difficulté, notre amour reste à la surface de la réalité. Pire, il procède en ordre dispersé de manière aléatoire et sélective » (p 80).

Le concept de justice apparait ici : « Pour prendre en charge de manière ordonnée l’augmentation exponentielle des besoins, l’amour se fait justice. Seule cette métamorphose lui permet de changer d’échelle et d’atteindre le niveau de généralité auquel il veut prétendre. La justice construit patiemment et rationnellement des équilibres. Elle répartit l’amour selon la règle de l’équivalence et de la réciprocité afin d’éviter toute forme de privilège… Exercice difficile… Inévitablement, en devenant justice, l’amour accepte des compromis imparfaits moins spectaculaires que ses élans spontanés » (p 83).

Aux côtés du bon Samaritain, l’hôtelier mérite sa place au cœur du récit de la fraternité universelle. « N’incarne-t-il pas une autre facette du lien social et un visage possible de l’amour ? ». Dans cette perspective, Marie Grand recourt à un article de Paul Ricoeur : ‘Le socius et le prochain’. « Le philosophe remarque que la société nous place toujours à l’entrecroisement de deux types de relations : des ‘relations courtes’ et des ‘relations longues’. Les premières sont immédiates et intimes. Elles rendent présentes une personne à une personne… Les secondes sont distantes et impersonnelles, car intermédiées par des circuits complexes et collectifs où l’argent jouent un rôle central » (p 85). Dans les ‘relations longues’, « nous jouons un rôle social… nous nous appréhendons en tant que nous sommes hôtelier, boulanger… Nous prenons place d’une manière plus ou moins anonyme dans une organisation sociale… le socius selon Paul Ricoeur, désigne la relation longue, celle par laquelle nous devenons réciproquement partenaires d’un vaste système de services » (p 86). On peut opposer ces deux relations, mais l’auteure met l’accent sur leur complémentarité. « C’est en réalité par la voie longue de nos rôles sociaux et même de nos interactions politiques et économiques que l’amour chemine le plus loin, et atteint justement ceux que nous ne choisissons pasPar cette voie, l’amour rayonne au-delà du cercle de la proximité et de la connivence » (p 87). A partir de là, nous envisageons notre activité professionnelle sous un jour nouveau. « Prendre conscience qu’elle est à sa manière un lieu d’amour exige de questionner nos priorités… Quels hôteliers nous voulons être, quelle société nous souhaitons soutenir chaque jour par notre énergie et notre talent… » (p 91).

Marie Grand ajoute un autre registre de relation : ‘le tiers’ (p 91). C’est ‘aller à la rencontre de ceux qu’aucune interaction sociale ne placera jamais sur notre chemin’. « L’amour doit aussi s’engager dans cet extrême bord du lien social qui est l’au-delà de la présence, l’au-delà même du partenaire. Aimer, c’est se soucier de ceux que je ne vois pas mais pourrais voir si j’étais né ou si je vivais ailleurs » (p 94). Emmanuel Levinas évoque ‘le tiers’. ‘Il laisse entendre qu’il est potentiellement un tiers exclu’. Il y a là encore un sujet d’attention, mais nous dit Marie Grand, « garder à l’esprit ce tiers invisible ne suppose pas seulement un effort d’attention mais d’abstraction » (p 94). C’est donc « s’enquérir en chaque situation de ce que je dois à tous, à cette pluralité abstraite qui avoisine mes relations effectives… ». Cette attention va jusqu’à remettre en cause « des manières de vivre qui reposent structurellement sur l’asservissement d’un tiers que l’on ne voit pas » (p 95).

L’auteure élargit constamment le champ de sa réflexion. Ainsi, elle nous appelle à envisager l’institution comme une garante de la durabilité d’un lien d’amour. « Par l’institution, les êtres humains édifient un univers plus durable que leurs élans spontanés » (p 97). L’auteur dresse un bilan nuancé, mais globalement positif du rôle des institutions (p 97-105). C’est encore une invitation à réfléchir au-delà de nos impressions immédiates. « Nous avons tendance à ne plus faire confiance aux institutions… Nous les contournons en privilégiant tantôt les relations très courtes, le monde chaleureux de la communion où chacun se sent intimement lié à chacun ; tantôt les relations très longues, le monde flexible et fluide de la connexion où chacun peut s’engager et se désengager quand bon lui semble. L’institution a un tout autre style : ni communion, ni connexion mais communauté. Elle organise la coexistence humaine la plus large possible autour de pratiques communes et de significations partagées qui sont toujours les fruits d’une histoire » (p 104).

Cependant, l’auteure sait nous montrer comment les institutions peuvent dériver. En ce sens, elle procède à une interprétation originale du récit évangélique racontant l’accueil de Jésus par Marthe et Marie. « En s’affairant, en suivant à la lettre le protocole de l’hospitalité et les tâches qu’elle s’est fixée à l’avance, Marthe fait fonctionner la maison, tourner son organisation mais entre-t-elle en relation avec celui qu’elle sert ? … Marie a choisi la meilleure part selon le texte. Mais quelle est cette part ? C’est tout d’abord celle de l’attention. Elle écoute la parole de son hôte, nous rappelant qu’avant de servir, il faut connaitre celui qu’on sert. Il faut ajuster son service aux besoins qui sont les siens… La part de Marie est aussi celle de la relation. Marthe s’apprête à couvrir ses hôtes de présents, mais est-elle présente ? Les conditions matérielles de l’accueil prennent le pas sur l’accueil lui-même » (p 209-110).

A partir de là, l’auteure met l’accent sur ‘la dualité intime de l’accueil comme du soin’. « Le philosophe Frédéric Worms remarque que l’on soigne indissociablement quelque chose et quelqu’un » (p 110). Or, ces deux aspects peuvent être dissociés, la part essentielle de la relation étant méconnue. On en vient à comprendre les possibles dérives des institutions. « L’opposition des deux sœurs illustre une tension : la logique de l’institution est en partie contraire à celle de l’attention… Dans l’avalanche des procédures et des protocoles, il est difficile de prêter attention à la singularité des situations. La généralité des rôles ou le respect scrupuleux des règles peuvent nous conduire à ne plus être attentionnés, à nous absenter de ce que nous faisons en exécutant notre fonction de manière mécanique et désengagée » (p 111).

Presque tout le monde connait la parabole du bon Samaritain. Elle est répétée dans les églises, mais, bien au-delà, elle est devenue un texte emblématique pour tous ceux qui accordent priorité au souci de l’autre.

Ainsi, dans son livre : « Une philosophie de l’histoire. Darwin, Bonaparte et le Samaritain », le philosophe Michel Serres voit dans le bon Samaritain la figure d’un monde nouveau, un âge plus doux en voie d’advenir (2). En lui, Michel Serres célèbre la figure du médecin : « Celle qui se penche sur les blessés ; celle qui écoute les plaintes de l’agonie ; celle qui s’incline ; l’attentive qui cherche à comprendre et peut-être guérir… Non, il n’est pas seulement le héros de ce temps, mais sans doute celle et celui de toute l’histoire ».

Emblématique, ce texte s’ouvre à de nombreuses lectures. L’interprétation à laquelle il donne lieu dans le livre de Marie Grand, ‘La géographie de l’amour’, est particulièrement riche et originale. Elle tranche avec ce qu’on entend et lit couramment : une admiration, un appel à la ressemblance du seul samaritain et un regard critique pour ceux qui ont passé leur chemin sans prendre soin. Marie Grand a découvert un tableau de Rembrandt représentant cette scène d’une manière originale et elle peut s’appuyer sur cette peinture pour développer un commentaire particulièrement riche et avisé. C’est une réflexion sur les exigences de l’amour et la manière de les considérer et d’y répondre en évoquant les tensions et les ambiguïtés. Cependant, la grande originalité réside dans la mise en valeur du rôle de l’hôtelier dans son accord avec le bon Samaritain pour poursuivre son œuvre de sauvetage. Marie Grand met là en évidence que l’œuvre de l’amour ne peut se suffire de belles actions individuelles. Elle requiert également une action plus collective et plus continue. D’autant qu’il ne peut s’agir seulement de sauver tel ou tel, mais de venir à l’aide de tous les hommes sans exception. Marie Grand expose ainsi la conviction principale de son livre : « On ne peut donner à l’amour son envergure et sa géographie maximales sans toujours tenir ensemble ces deux voies : celle du bon Samaritain et celle de l’hôtelier, celle de la rencontre interpersonnelle par laquelle nous tâchons de nous faire proches de quiconque et celle du service impersonnel par lequel nous allons à tous » (p 20). Ce livre a ainsi le grand mérite de susciter une prise de conscience que des métiers ordinaires, en répondant aux besoins humains, participent à une œuvre d’amour en les valorisant ainsi à nos yeux.

Jean Hassenforder

 

  1. Marie Grand. Une autre histoire du bon samaritain. Cerf, 2024

Interview de Marie Grand sur son livre : « Voyage au pays de l’amour » sur Regards Protestants : https://www.google.fr/search?hl=fr&as_q=Marie+Grand+bon+Samaritain+you+tube+&as_epq=&as_oq=&as_eq=&as_nlo=&as_nhi=&lr=&cr=&as_qdr=all&as_sitesearch=&as_occt=any&as_filetype=&tbs=#fpstate=ive&vld=cid:2ede7e11,vid:0bDdb8Ydk_8,st:0

  1. Une philosophie de l’histoire, par Michel Serres : https://vivreetesperer.com/une-philosophie-de-lhistoire-par-michel-serres/

 

Playing for change

Une musique qui porte à travers le monde une aspiration à l’amour et à la beauté

Playing for change

Et si il y avait chez tous les humains une aspiration à l’amour et à la fraternité
Et si ils pouvaient se reconnaître semblables dans un besoin de solidarité et de fraternité
Et si un chant, une musique exprimant cette aspiration et ce besoin pouvait faire écho et se propager à travers le monde
Et si ce chant, cette musique tissait un lien entre tous ceux qui l’accueillent et qui y participent
Et si ce chant, cette musique suscitait un nouveau regard, une transformation des esprits…

Il y a bien une réponse à ces souhaits :

C’est le mouvement « Playing for Change » qui s’exprime à travers un site (1) et des vidéos sur You Tube. Ici, le chant, la musique se manifestent conjointement à travers de multiples expressions dans le monde, dans de nombreux pays, en Amérique, en Afrique, en Asie. Ces expressions proviennent de gens différents : en lien avec leurs compatriotes, des musiciens dans un style très divers, parfois même des groupes d’enfants. Ainsi, de relai en relai, la mélodie circule d’un bout du monde à l’autre.

Les origines et le développement de Playing for Change

D’ou vient cette belle innovation ? L’histoire en est bien couverte par Wikipedia (2). Nous reprendrons ici le récit qui en est fait sur la RTBF (radio télévision belge francophone) (3). « Playing for Change » est un mouvement qui souhaite inspirer et connecter le monde au travers de la musique… « Playing for Change » est né en 2002 sous l’impulsion de Mark Johnson et de Whitney Kroenke, deux artistes et voyageurs qui sillonnaient à l’époque les rues des États-Unis à bord d’un studio mobile en quête de rencontres musicales inspirantes. « En 2005, Mark Johnson, alors qu’il marche dans les rues de Santa Monica en Californie entend la voix de Roger Rigley chanter « Stand by me » et décide, touché par cette voix unique, de lui proposer d’être le premier à enregistrer sur une version : « Autour du monde » de cette chanson.

Chaque vidéo fonctionne sur le même principe de rassembler des dizaines de musiciens et de chanteurs, issus de pays et de cultures différents, autour d’un même morceau. « Playing for Change » partage à travers leurs vidéos des messages d’amour, de partage et de respect, tout en mettant en avant des artistes et musiciens de très grande qualité… ». « Ce sont des artistes des rues dotés d’un grand talent. On y retrouve par exemple celui qu’on appelle Grandpa Elliott, un chanteur qui ne paie pas de mine avec sa salopette, son galurin, sa barbe blanche en bataille, son harmonica, sa gouaille et pourtant il vous séduira en quelques notes à peine ».

« Au vu du succès des différentes vidéos sur Youtube, les fondateurs de « Playing for Change » ont décidé de lancer une organisation à but non lucratif qui se consacre à la création d’écoles de musique et de programmes éducatifs aux quatre coins du monde… ».

 

Un message

« Playing for Change » puise ses chants dans le courant de l’expression musicale américaine et d’autres expressions connexes dans la seconde moitié du XXè siècle où s’y manifeste une extrême créativité. Cette musique s’exprime en différents genres musicaux qui s’enchainent, coexistent et peuvent se rejoindre. Elle est irriguée par différentes sources, mais tout particulièrement par la veine créatrice de la musique afro-américaine dans ses différentes composantes. « Playing for Change » peut ainsi reprendre des chansons très appréciées dans les années 1960 et 1970 et plus tard… A coté des chansons produites aux Etats-Unis, il met en valeur d’autre chants comme « Imagine » de John Lennon et « Redemption song » de Bob Marley. Et puis, au cours des années, le mouvement étant ancré internationalement, le répertoire a pu s’étendre culturellement. Toutes ces chansons viennent nous inspirer et nous encourager en prenant pour thème : l’amour, l’entraide, le respect, la fraternité, la paix, la libération…

A titre d’exemple, voici quelques chants mis en évidence par « Playing for change ».

« Lean on me » ( 4) est un chant emblématique de « Playing for change » puisque c’est l’écoute de ce chant qui a inspiré le fondateur de « Playing for change ». Créé 1972, ce chant nous invite à ne pas hésiter à demander un soutien, à pouvoir nous appuyer sur quelqu’un et à pouvoir compter sur lui. C’est un chant qui exalte l’amitié, l’entraide, l’espérance…
« Nous avons tous de la peine. Nous avons tous du chagrin. Si nous sommes sages, nous savons qu’il y a toujours un lendemain…
Appuies toi sur moi. Quand tu ne seras pas fort, je serai ton ami. Je t’aiderai à avancer.
Bientôt, j’aurais besoin de quelqu’un sur qui me reposer à mon tour. S’il te plait, ravale ta fierté si tu as besoin d’emprunter quelque chose. Car personne ne peut répondre à ton besoin si tu ne le montres pas.
Tu peux compter sur moi, mon frère quand tu as besoin d’aide
Nous avons tous besoin de quelqu’un sur qui nous reposer… ».
Ce sont des paroles qui portent. Ce sont des paroles qui réconfortent. Ce sont des paroles qui donnent espoir.
Lean on me : https://www.youtube.com/watch?v=LiouJsnYytI

« Everyday people » est sorti en 1969 (5). C’est un message qui proclame que les gens sont pareils quelque soit leur race et leur milieu social. C’est une protestation concrète contre les préjugés de tous genres. C’est un plaidoyer pour la paix et l’égalité : https://www.youtube.com/watch?v=-g4UWvcZn5U

« United » est un chant qui proclame l’unité de l’humanité. « Apprenons à vivre comme si nous étions un »… « Nous avons à rassembler le monde et apprendre à vivre comme si nous étions un ». C’est un chant diffusé en 2011 dans une collaboration avec les Nations Unies :
« United » : https://www.youtube.com/watch?v=6vT_7AX06UQ

« Love is all » (6) est un chant pop apparu en 1974.
Il proclame combien l’amour est une exigence :
« Chacun de nous est appelé à vivre avec d’autres et à les comprendre Aussi aime ton voisin comme tu aimes ton frère…
Tout ce dont vous avez besoin, c’est d’amour et de compréhension… Venez et montrez vos sentiments
L’amour est tout. L’amour est tout. »
La version de « Love is all » dans « playing for change » est admirable et émouvante parce qu’elle manifeste l’expression de nombreux enfants à travers le monde.
« Love is all » : https://playingforchange.com/videos/love-is-all/?fbclid=IwAR3VnVW5Lm3mXjRW6R9v-mM4FH9PnrtR_HtwWBK1FNCBOZncsMLxXqUcIis

En ces temps tourmentés, l’expression musicale de « Playing for change » vient nous rafraichir et nous encourager. Oui, à travers le monde, il y a des gens qui croient à l’amour et à la paix. Il y a dix ans, nous avions déjà présenté « Playing for Change » sur ce blog (7). C’est donc une nouvelle visite. Aujourd’hui, Playing for Change » poursuit son chemin, et, très présent sur internet, se manifeste dans une diversité internationale. Dans un contexte où on peut remonter au Gospel, « Playing for Change » évoque l’amour et la paix. Dans un regard éveillé à la présence de l’Esprit, on y voit ici son œuvre.

J H

  1. Playing for Change Re-imagine a world connected by music : https://playingforchange.com
  2. Playing for Change : wikipedia (francophone) : https://fr.wikipedia.org/wiki/Playing_for_Change Wikipedia (anglophone) : https://fr.wikipedia.org/wiki/Playing_for_Change
  3. RTBF Marin Jaumotte. Playing for Change, inspirer et connecter le monde à travers la musique : https://www.rtbf.be/culture/pop-up/detail_playing-for-change-des-chansons-pour-inspirer-et-connecter-le-monde-a-travers-la-musique-marion-jaumotte?id=10317571
  4. Lean on Me. (chanson de Bill Withers). Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Lean_on_Me_(chanson_de_Bill_Withers)
  5. Everyday people . Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Everyday_People
  6. Love is all (Roger Glover song) . Wikipedia : https://en.wikipedia.org/wiki/Love_Is_All_(Roger_Glover_song)
  7. Un hymne à l’unité. Playing for change. : https://vivreetesperer.com/un-hymne-a-l%E2%80%99unite-%C2%AB-playing-for-change-%C2%BB/

 

 

Tout se tient

https://images-na.ssl-images-amazon.com/images/I/41konamFXZS._SX327_BO1,204,203,200_.jpgRelions-nous ! : un livre et un mouvement de pensée

 Les temps modernes se caractérisent par l’émancipation et l’autonomie de l’individu. Mais aujourd’hui, on ressent également les excès de l’individualisme. C’est ainsi qu’on appelle à plus de convivialité et plus de fraternité (1). Et de même, on prend conscience des méfaits de la domination de l’homme sur la nature à la suite de l’affirmation cartésienne. L’homme s’est extrait de la nature pour la dominer. Cette séparation produit aujourd’hui des fruits amers. Elle s’inscrit dans le développement d’une civilisation mécaniste. Mais aujourd’hui apparaît un mouvement en faveur d’un changement de paradigme. Face à une approche purement analytique qui débouche, en fin de compte sur un éclatement et un compartimentage des savoirs, une approche holistique se développe et on cherche actuellement une intégration dans la reconnaissance des interrelations. C’est l’avènement de l’écologie. Il y a aujourd’hui une nouvelle manière de connaître bien mise en évidence par de grands penseurs comme Michel Serres (2) et Edgar Morin (3). C’est la prise en compte de la complexité (3). Aujourd’hui, face au malaise engendré par la division, la séparation dans la vie sociale comme dans la vie intellectuelle, des mouvements se dessinent pour une nouvelle reliance. Ainsi un livre vient de paraître avec un titre significatif : « Relions nous ! » (4).

Ce livre se présente ainsi :

« Nous vivons une vraie crise de la représentation et donc une crise politique. Nous continuons à interpréter le monde selon des concepts dépassés… Aujourd’hui, le cœur des savoirs n’est plus la séparabilité, mais à l’inverse, les liens, les interdépendances, les cohabitations.

Cinquante des plus éminents philosophes, scientifiques, économistes, historiens, anthropologues, médecins, juristes, écrivains… chacun dans leur domaine, éclairent magistralement cette transition à l’œuvre et émettent des propositions pour mieux la conforter ou l’émanciper. Cette constitution dessine, à la lumière des liens, un nouveau paysage de la pensée et donc, d’une certaine manière, un nouveau corps politique… » (page de couverture).

 

En transition vers une nouvelle vision du monde

Cofondateurs des éditions : « Les liens qui libèrent », Henri Trubert et Sophie Marinopoulos, dans le prologue de cet ouvrage, nous disent comment ils envisagent le changement profond qui est en voie de transformer notre vision du monde et de susciter l’émergence d’un nouveau paradigme : « Nous continuons à penser le monde selon des conceptions dépassées issues des temps modernes. Aujourd’hui, le cœur des savoirs, son mouvement infus n’est plus la séparabilité et ses différents attributs : séparation homme/nature, homme considéré comme maitre et possesseur de lui-même ; les diverses notions de propriété, temps linéaire, objectivité, chosification, causalité locale, identité, déterminisme, verticalité… ainsi que leurs conséquences sociales et politiques, à savoir l’imaginaire du progrès infini, l’économisme, le réductionnisme, le rationalisme, l’individualisme, le productivisme… Ce serait plutôt l’interdépendance ou mieux la transdépendance (chaque domaine étant lui-même traversé par un dehors) (p7-8). En termes plus accessibles, les auteurs décrivent ainsi la transition : « Nous passons d’une société constituée d’objets distincts gouvernés par des forces extérieures à une société de relations, de compositions ou d’interactions » (p 8). Ce mouvement ne date pas d’hier. « Il est un long processus, mais qui n’a pas encore réellement infusé notre société… autant que nos manières d’éprouver et d’habiter le monde » (p 8).

 

Un milieu émergent

Comment le courant de pensée qui a pris conscience de la nécessité de cette transition se manifeste-t-il aujourd’hui ?

Ce recueil de textes s’accompagne d’une initiative de rencontre entre les participants. Les propositions des uns et des autres pour une nouvelle civilisation sont appelées à se présenter dans un «  parlement » pour faire une « constitution des liens ». « La « constitution des liens »… a pour ambition de partager un nouveau paysage… » « Il s’agit d’ouvrir un nouvel horizon »… « Cette constitution est une matière vive à délibérer, amender ou enrichir… Il est urgent collectivement d’expérimenter, de faire vivre cette transition qui touche à la fois nos savoirs, mais également nos perceptions et nos émotions » (p 9). Il y a aussi un effort de diffusion vers le grand public. Début juin 2021, les participants ont été appelés à participer à une conversation au Centre Beaubourg.

Les auteurs de ce recueil sont cofondateurs des éditions : Les liens que libèrent. Ce mouvement s’inscrit dans l’orientation engagée de longue date par cette maison d’édition telle qu’elle se présente sur son site (5) : « La maison d’édition LLL, Les Liens qui Libèrent, créée en association avec Actes Sud, se propose d’interroger la question de la crise des liens dans les sociétés occidentales. Depuis la fin du XIXè siècle, les liens sont reconnus constitutifs de toute expression de la réalité. Toute entité ou système se construit, se développe, se diversifie par les interactions qu’il entretient avec son milieu… Que ce soit en biologie… en physique… en psychologie… en ethnologie, dans les domaines de l’économie, sociaux… ou bien entendu environnementaux. Or nos sociétés occidentales sont marquées du sceau de la déliaison… C’est cette véritable crise de la déliaison de nos sociétés que nous nous efforcerons de questionner… ». Si nous envisageons différemment les auteurs de catalogue des éditions LLB, nous apprécions particulièrement les livres de deux d’entre eux : Jérémy Rifkin (6) et Pablo Servigne (7).

 

Des intervenants nombreux et bienvenus

Ce livre aborde un champ très vaste puisqu’il traite de plus de trente domaines de savoir. On passe de l’agriculture à l’architecture, de l’art à la biologie, de la croissance et du bien être à la démocratie, de l’éducation à la langue et aux médias. Rien n’échappe à cette table des matières où apparaissent le monde végétal et le monde animal, les sciences du vivant, les neurosciences et la physique quantique, l’économie, la santé mais aussi la religion…

Parmi les intervenants, on découvre des personnalité reconnues comme Patrick Viveret, acteur pour le développement de la convivialité, Pablo Servigne, auteur d’un livre pionnier sur l’entraide (7), Philippe Meirieu, réputé pour son œuvre en éducation, Baptiste Morizot, inventeur d’une nouvelle manière de communiquer avec le monde animal, Delphine Horvilleur, une femme rabbin à la parole qui porte, Abdennour Bidar, connaisseur de l’Islam et artisan d’une spiritualité ouverte et relationnelle. Il y a au total 54 intervenants.

Les contributions sont courtes et denses et s’accompagnent de propositions. Pour certaines, elles s’expriment dans un vocabulaire spécialisé et requièrent un effort du lecteur. C’est une observation qui a été également formulée par un(e) des journalistes en discussion avec Abdennour Bidar dans un dialogue sur France Inter à propos d’un colloque organisé à Beaubourg sur ce livre (8). Au total, nous dit Abdennour Bidar, il y a là un effort pour mettre en dialogue les uns et les autres. Si les participants participent à une culture commune, il peut y avoir également des différends entre eux. Le but de la conversation est de « construire des désaccords » et de « trouver des terrains d’entente ». Comment développer une espérance commune ? Il nous faut « construire une manière commune de résister au risque de l’effondrement intérieur lorsqu’on ressent la menace d’un effondrement de civilisation ». Cet appel au dialogue est au cœur du chapitre écrit par Abdennour Bidar et Delphine Horvilleur sur la religion. Comment favoriser le dialogue  entre athées, agnostiques, croyants ?

 

En regard de ce changement civilisationnel, une transformation spirituelle

Ce livre : « Relions-nous » témoigne d’une transformation profonde, intellectuelle et sociale. C’est un processus qui s’amplifie.

En regard, nous pouvons voir aussi une transformation spirituelle en cours aujourd’hui. Il y a dix ans déjà, dans son livre : « La guérison du monde » (2012) (9), Frédéric Lenoir évoquait une contestation de la vision « mécaniste » du monde, en faveur d’une vision « organique ». Et il observait une évolution dans les attitudes. « Si l’affirmation de l’individu est au cœur de la société moderne, il décrit trois phases successives dans la manifestation de l’autonomie : « L’individu émancipé, l’individu narcissique et l’individu global ». Dans cette troisième phase, un formidable besoin de sens se manifeste.

Cette montée de la spiritualité s’exprime en termes relationnels. Ainsi, au terme d’une remarquable enquête, dans son livre : « Something there » (10), David Hay définit la spiritualité, comme « une conscience relationnelle dans une relation avec soi-même, avec les autres , avec la nature et avec la présence divine ».

 

En regard, une théologie renouvelée

En regard de cette civilisation émergente, apparait une théologie émergente. La théologie pionnière de Jürgen Moltmann ouvre des horizons en phase avec cette civilisation émergente (11). Et justement, elle joue un rôle d’avant garde parce que elle relie les apports de traditions séparées et trop souvent étanches les unes aux autres. C’est le cas dans la théologie de l’espérance qui prend en compte la tradition juive du prophétisme ou la nouvelle théologie trinitaire et la théologie de la création qui accueille une dimension de la tradition orthodoxe (12). En affirmant sa veine écologique et l’œuvre de l’Esprit, Jürgen Moltmann associe sa voix à celles que nous venons d’entendre.

« La pensée moderne s’est développée en un processus d’objectivisation, d’analyse, de particularisation et de réduction. L’intérêt et les méthodes de cette pensée sont orientés vers la maitrise des objets et des états de chose. L’antique règle romaine de gouvernement : « Divide et impera » imprègne ainsi les méthodes modernes de domination de la natureA l’opposé, certaines sciences modernes, notamment la physique nucléaire et la biologie, ont prouvé à présent que ces formes et méthodes de pensée ne rendent pas compte de la réalité et ne font plus guère progresser la connaissance. On comprend au contraire beaucoup mieux les objets et les états de chose quand on les perçoit dans leurs relations avec leur milieu et leur monde environnant… La perception intégrale est nécessairement moins précise que la connaissance fragmentaire, mais plus riche en relations… Si donc on veut comprendre le réel comme réel et le vivant comme vivant, on doit le connaître dans sa communauté originale et propre, dans ses relations, ses rapports, son entourage… Une pensée intégrante et totalisante s’oriente dans cette direction sociale vers la synthèse, d’abord multiple, puis enfin totale… » (13).

Cette approche relationnelle inspire la nouvelle théologie trinitaire. « Dans le passé, on pensait en terme de « substances » plutôt qu’en terme de relations. Dans le nouveau mode de pensée, la Trinité est envisagée en terme de relations et de mouvements… Le renouveau de la pensée trinitaire s’inscrit dans une inspiration profondément biblique et en continuité avec les premiers siècles de l’Eglise… Les personnes divines habitent l’une dans l’autre. Dans cette interrelation, Dieu invite les êtres humains à entrer dans une unité ouverte… Dieu n’est pas un « Dieu solitaire qui soumet ses sujets comme des despotes terrestres l’on fait en son nom ». C’est un Dieu vivant, relationnel dans son être même et dans son rapport avec les créatures » (14).

Et de même, Dieu n’est pas un Dieu lointain qui a créé le monde une fois pour toute et le considère de l’extérieur… « Dieu n’est pas seulement le créateur du monde, mais l’Esprit de l’univers. Grace aux forces et aux possibilités de l’Esprit, le Créateur demeure auprès de ses créatures, les vivifient, les maintient dans l’existence et les mènent dans son royaume futur »… « L’Esprit saint suscite une communauté de la création dans laquelle toutes les créatures communiquent chacune à sa manière entre elles et avec Dieu » (15).

La même approche relationnelle apparaît chez d’autres théologiens présents sur ce site. Ainsi Richard Rohr, franciscain américain, a écrit un livre inspirant : « la Danse Divine » (16) en évocation du Dieu trinitaire. Rappelant qu’Aristote mettait la « substance » » tout en haut de l’échelle et que cette conception a influencé la théologie occidentale, Richard Rohr écrit : « Maintenant nous voyons bien que Dieu n’a pas besoin d’être une « substance », Dieu lui-même est relation… Comme la Trinité, nous vivons intrinsèquement dans la relation. Nous appelons cela l’amour. En dehors de cela, nous mourrons rapidement ».

Bertrand Vergely, philosophe de culture orthodoxe, appelle à la conscience de la Vie dans tout ce qu’elle requiert et entraine. « Quand on vit, il n’y a pas que nous qui vivons. Il y a la Vie qui vit en nous et nous veut vivant. Il y a quelque chose à la base de l’existence… Quand nous rentrons en nous-même, nous découvrons un moi profond porté par la vie avec un grand V » (17).

Aujourd’hui, dans cette nouvelle conscience relationnelle, monte une nouvelle manière de croire.

C’est ce qu’exprime une historienne et théologienne américaine, Diana Butler Bass : « Ce qui apparaît comme un déclin de la religion organisée, indique en réalité une transformation majeure dans la manière dont les gens se représentent Dieu et en font l’expérience. Du Dieu distant de la religion conventionnelle, on passe à un sens plus intime du sacré qui emplit le monde. Ce mouvement d’un Dieu vertical à un Dieu qui s’inscrit dans la nature et dans la communauté humaine, est au cœur de la révolution spirituelle qui nous environne » (18). Nous voyons des convergences entre la pensée de Diana Butler Bass et de Jürgen Moltmann que nous exprimons dans le titre d’un article : « Dieu vivant, Dieu présent, Dieu avec nous dans un monde où tout se tient » (19).

La prise de conscience écologique requiert et suscite une nouvelle approche théologique où la relation est première, une écothéologie. A cet égard, l’œuvre de Michel Maxime Egger nous paraît particulièrement éclairante. Depuis la publication d’un livre fondateur : « La Terre comme soi-même » (Labor et Fides, 2012), Michel Maxime Egger poursuit son engagement comme auteur et militant, comme sociologue, théologien et acteur spirituel (20).

Comment ce changement dans les représentations se manifeste-t-il dans le vécu quotidien ? A ce sujet, le témoignage écrit par Odile Hassenforder en 2008 nous paraît particulièrement significatif : « Assez curieusement, ma foi en notre Dieu qui est puissance de vie s’est développée à travers la découverte de nouvelles approches scientifiques qui transforment notre représentation du monde. Dans une nouvelle perspective, j’ai compris que tout se relie à tout et que chaque chose influence l’ensemble. Tout se tient. Tout se relie. Pour moi, l’action de Dieu s’exerce dans ces interrelations. Dans cette représentation, Dieu reste le même, toujours présent, agissant à travers le temps. Je fais partie de l’univers. Je me sens reliée à toute la création. Alors, dans un tel contexte, je conçois facilement que Jésus- Christ ressuscité relie l’humanité comme l’univers au Dieu Trinitaire… » (21).

Voici un parcours qui nous a mené de la prise de conscience par un milieu d’experts, de l’importance des relations dans tous les domaines de la pensée, des sciences à la philosophie et dans toutes les pratiques humaines, de l’agriculture à l’éducation et à la santé, à un mouvement spirituel et théologique. « Relions nous ! » Cependant le recueil, qui porte ce titre, aborde la religion sous un angle particulier : favoriser le dialogue entre différents interlocuteurs. Et pourtant, il y a bien plus à dire. La prise de conscience des interrelations est un mouvement qui nous concerne tous jusque dans l’essentiel de nos vies. C’est un mouvement qui monte et s’amplifie dans le registre spirituel et dans le champ religieux. « Tout se tient. Tout se relie ». Relions-nous…

J H

 

(1) Appel à la fraternité : https://vivreetesperer.com/appel-a-la-fraternite/ Pour des oasis de fraternité : https://vivreetesperer.com/pour-des-oasis-de-fraternite/

(2) Michel Serres. Petite Poucette : https://vivreetesperer.com/une-nouvelle-maniere-detre-et-de-connaitre-3-vers-un-nouvel-usage-et-un-nouveau-visage-du-savoir/

(3) Convergences écologiques : https://vivreetesperer.com/convergences-ecologiques-jean-bastaire-jurgen-moltmann-pape-francois-et-edgar-morin/

(4) Relions nous. La constitution des liens. L’an1. Les liens qui libèrent, 2021

(5) Les liens qui libèrent : http://www.editionslesliensquiliberent.fr/unepage-presentation-presentation-1-1-0-1.html

(6) Vers une civilisation de l’empathie (Jérémie Rifkin) : https://www.temoins.com/vers-une-civilisation-de-lempathie-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkinapports-questionnements-et-enjeux/

Un avenir pour l’économie : La troisième civilisation industrielle (Jérémie Rifkin) : https://vivreetesperer.com/face-a-la-crise-un-avenir-pour-l’economie/

Le New Deal Vert (Jérémie Rifkin) : https://vivreetesperer.com/face-a-la-crise-un-avenir-pour-l’economie/

(7) L’entraide. L’autre loi de la jungle. Pablo Servigne : https://vivreetesperer.com/?s=Entraide&et_pb_searchform_submit=et_search_proccess&et_pb_include_posts=yes&et_pb_include_pages=yes

(8) Comment recréer du lien. Un grand face à face sur France inter : https://www.youtube.com/watch?v=E7_eZ-5QMys

(9) Frédéric Lenoir . La guérison du monde : https://vivreetesperer.com/un-chemin-de-guerison-pour-lhumanite-la-fin-dun-monde-laube-dune-renaissance/

(10) David Hay . Something there. La vie spirituelle comme une « conscience relationnelle » : https://www.temoins.com/la-vie-spirituelle-comme-une-l-conscience-relationnelle-r/

(11) Une théologie pour notre temps. L’autobiographie de Jürgen Moltmann : https://www.temoins.com/une-theologie-pour-notre-temps-lautobiographie-de-juergen-moltmann/

(12) L’évolution de la théologie de Moltmann. Une théologie qui relie : D Lyle Dabney : The turn to pneumatology in the theology of Moltmann https://place.asburyseminary.edu/cgi/viewcontent.cgi?referer=https://www.google.fr/&httpsredir=1&article=1474&context=asburyjournal

(13) Voir : Convergences écologiques : https://vivreetesperer.com/convergences-ecologiques-jean-bastaire-jurgen-moltmann-pape-francois-et-edgar-morin/

(14) Dieu, communion d’amour : https://lire-moltmann.com/dieu-communion-damour/

(15) Dieu dans la création : https://lire-moltmann.com/dieu-dans-la-creation/

(16) Richard Rohr. La danse divine. https://vivreetesperer.com/?s=La+danse+divine&et_pb_searchform_submit=et_search_proccess&et_pb_include_posts=yes&et_pb_include_pages=yes

(17) Bertrand Vergely Prier. Un philosophie https://vivreetesperer.com/dieu-vivant-rencontrer-une-presence/

(18) Une nouvelle manière de croire : https://vivreetesperer.com/une-nouvelle-maniere-de-croire/

(19) Dieu vivant. Dieu présent. Dieu avec nous dans un monde où tout se tient : https://vivreetesperer.com/dieu-vivant-dieu-present-dieu-avec-nous-dans-un-univers-interrelationnel-holistique-anime/

(20) L’espérance en mouvement : https://vivreetesperer.com/lesperance-en-mouvement/

Un chemin spirituel vers un nouveau monde :  https://vivreetesperer.com/un-chemin-spirituel-vers-un-nouveau-monde/

(21) Odile Hassenforder. Dieu, puissance de vie : https://vivreetesperer.com/dieu-puissance-de-vie/