Notre responsabilité pour le monde

 Barack Obama au Kirchentag

25 mai 2017

Sa présidence achevée, Barack Obama poursuit son engagement politique sous une autre forme. Ainsi, le 25 mai 2017, a-t-il répondu à l’invitation du Kirchentag, un grand rassemblement socio-religieux et socio-culturel organisé, tous les deux ans, à l’instigation de l’Eglise protestante allemande (1), cette année en rapport avec le 500 ème anniversaire du commencement de la Réforme sous l’impulsion de Martin Luther.

 

 

Très populaire en Allemagne, Barack Obama a été accueilli par une foule enthousiaste où les jeunes étaient très nombreux. Il s’est exprimé de pair avec Angela Merkel. Après l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis et tout ce que cela représente de régression politique et sociale, Barack Obama avait prononcé à Athènes un remarquable discours sur le sens de la démocratie (2), puis il avait rencontré à Berlin Angela Markel, une partenaire politique estimée comme si il voulait l’encourager à assurer la défense des valeurs démocratiques dans un monde perturbé par une vague de peur et d’enfermement. Le revoilà donc à Berlin ce mois de mai dans une Europe affermie dans son existence démocratique par l’élection présidentielle d’Emmanuel Macron (4) auquel Barack Obama avait fait part de son soutien.

Lors de ses déplacements comme président des Etats-Unis dans les grands ensembles continentaux (Asie, Amérique latine, Afrique….), Barack Obama s’adressait aux jeunes leaders de ces ensembles pour les encourager dans leur action pour le développement et la démocratie dans une ambiance simple et conviviale. On pouvait y apprécier une attitude quasi fraternelle (3). Aujourd’hui, à partir de son expérience politique, il veut poursuivre ces échanges pour encourager une jeune génération à prendre ses responsabilités. Lors de la rencontre au Kirchentag, il a rappelé son engagement à cette jeune génération particulièrement présente dans ce rassemblement.

Dans une vision chrétienne caractérisée par une tonalité d’espérance et d’ouverture (5), dans une analyse des problèmes d’un monde dont il connaît bien le fonctionnement, Barack Obama nous permet de mieux nous situer à l’échelle des grandes questions qui nous concernent tous aujourd’hui. Une vidéo nous rapporte son intervention en dialogue avec Angela Merkel et ses interlocuteurs allemands dans une ambiance chaleureuse qui se marque sur les visages des participants (6). Nous présentons ici des extraits de cette intervention.

 

Un idéal à partager

Barack Obama rappelle que sa vie publique a commencé en travaillant avec les églises dans les quartiers pauvres de Chicago. «  Lorsqu’on veut créer un monde meilleur, cela requiert de regarder vers un but et d’avancer avec foi (sense of purpose and sense of faith). Nous avons besoin de croire que nous pouvons entrer en relation avec les gens avec de la gentillesse et de la tolérance et que nous pouvons gérer les différences entre les nations, entre les religions. Nous trouvons une unité dans la croyance en Dieu. Ce sont ces convictions qui m’ont porté dans mon travail et dans ma vie et je suis très encouragé en voyant autant de jeunes aujourd’hui ».

La jeune génération est une force montante. « A une époque où le monde  est un lieu très compliqué, où nous sommes bouleversé par une violence terrible, telle qu’elle vient de se manifester à Manchester, nous savons que le terrorisme est un grand danger, car il y a des gens qui veulent faire du mal aux autres simplement parce qu’ils sont différents d’eux. Mais cette époque est aussi une période de grande opportunité. Maintenant que je ne suis plus président, mais néanmoins en situation d’influence, je pense être en capacité d’aider de plus en plus de jeunes à faire face à ces défis. Je veux encourager une nouvelle génération dans l’exercice d’un leadership de manière à marginaliser ceux qui veulent nous diviser et à rassembler de plus en plus de gens pour réaliser un bien commun.

 

Une tâche à poursuivre.

Pendant huit ans, Barack Obama a été président des Etats-Unis. Comment a-t-il exercé son action dans cette haute fonction ? « Je suis très fier du travail que j’ai effectué en étant président. Quand vous entrez dans la vie publique, vous devez reconnaître que vous ne réaliserez jamais 100%  de ce que vous souhaiteriez. Ce que vous devez essayer de faire, c’est travailler avec d’autres qui partagent les mêmes valeurs, la même vision, pour essayer de rendre les choses meilleures en sachant que vous n’atteindrez pas la perfection ». Barack Obama cite en exemple la  réforme de l’accès aus soins médicaux (« Obamacare »). 20 millions de personnes nouvelles ont bénéficié de cette réforme, mais nous n’avons pas réussi à couvrir 100% de la population et aujourd’hui. Après mon départ, la réforme est remise en question ».

Le progrès se réalise pas à pas, avec parfois des reculs provisoires. Au delà du court terme, il faut voir à plus long terme . Il y a des étapes. Barack Obama estime qu’après avoir accompli sa tâche, avec ses imperfections, il est bon de passer la relève à une génération plus jeune. « Chaque génération a une contribution à apporter. En considérant ce qui est arrivé pendant ma vie, malgré toutes les tragédies actuelles, le monde n’a jamais été plus riche, en meilleure santé, mieux éduqué. Les jeunes aujourd’hui ont accès à une information et à des opportunités qui étaient inconnues à l’époque où je suis né. Mais la poursuite du progrès dépend de la jeune génération. Je me donne pour but de l’aider ».

 

Quel ordre international ?

L’ordre international est à un tournant. C’est un moment important pour la communauté internationale. Je suis né en 1961. A l’époque, Berlin était divisé. Nous venions tout juste de sortir d’une guerre dévastatrice. Les dictatures régnaient dans une grande partie du monde.  Certains pays commençaient seulement à sortir du colonialisme. L’apartheid prévalait en Afrique du Sud. Pourtant, à cause d’un ensemble d’idéaux et de principes : le règne du droit, la dignité de l’individu, la liberté de religion, la liberté de la presse, une économie libérale basée sur le marché, à cause de ces principes qui ont prévalu en Europe et aux Etats-Unis et dans d’autres pays qui se sont joint à eux en ce sens, nous avons vu un progrès incroyable. En Europe, il n’y a jamais eu plus grande prospérité et plus grande paix que dans ces trois ou quatre dernières décennies. C’est une remarquable réalisation. Et parfois les jeunes la considèrent comme allant de soi. Mais aujourd’hui, nous devons reconnaître qu’à cause de la mondialisation et de la technologie, et de la disruption que cela entraine, à cause des inégalités qui existent entre les nations et à l’intérieur des pays, à cause de l’inquiétude en lien avec le rétrécissement du monde à l’ère de la communication internet, à cause de la crise des réfugiés, cet ordre international qui a été créé et existe aujourd’hui, devrait changer, être remis à jour, être renouvelé, parce que nous sommes confrontés aujourd’hui à un récit concurrent empreint de peur, de xénophobie, de nationalisme, d’intolérance, de tendances anti-démocratiques. Comme citoyen des Etats-Unis et membre de la communauté mondiale, je pense qu’il est très important que nous soutenions les valeurs et les idéaux qui sont les meilleurs et que nous repoussions les tendances qui violent les droits humains, suppriment la démocratie ou réduisent la liberté de conscience et la liberté religieuse. C’est une bataille significative que nous devons mener et elle n’est pas toujours facile ». Barack Obama cite alors l’exemple de la Syrie avec toute la désolation qui règne dans ce pays. On ne peut se désintéresser de ce qui arrive dans une autre partie du monde. « Nous devons reconnaître que ce qui arrive dans une autre partie du monde  ou dans des pays isolés, que ce soit en Afrique, en Asie, en Amérique latine, a un impact sur nous et que nous sommes appelés à nous engager pour aider ces pays à trouver la paix et la prospérité. Comme président des Etats-Unis, j’ai fait de mon mieux même si je n’ai pas toujours eu les outils pour le faire. Mais du moins j’ai essayé. Et lorsque nous persévérons, il peut arriver dans ces situations  ce que le président Abraham Lincoln a évoqué : « Les anges les meilleurs de notre nature peuvent s’éveiller »

 

Comment aider les réfugiés ?

L’Allemagne a été confronté récemment à un afflux de réfugiés et ce problème a été affronté avec beaucoup de courage par la chancelière Angela Merkel. Barack Obama a donc été interrogé sur cette question. « En fonction de la géographie, de la présence des océans, nous n’avons pas eu un aussi grand nombre de réfugiés venant de Syrie ou d’Afghanistan. Mais il y a aux Etats-Unis, une immigration importante venant du Mexique et, plus récemment, d’Amérique centrale et d’Amérique latine. Et comme président des Etats-Unis, j’ai été confronté à ce problème.

Aux yeux de Dieu, un enfant, de l’autre côté de la frontière, est aussi digne d’amour et de compassion que mon propre enfant. Nous ne pouvons les distinguer en terme de valeur et de dignité, et tous méritent amour, abri, éducation et opportunité . Mais lorsque nous sommes à la tête de grands états nationaux et  que nous avons une responsabilité  vis à vis de nos citoyens et des gens à l’intérieur de nos frontières, alors le travail du gouvernement est d’exprimer humanité, compassion et solidarité avec ceux qui sont dans le besoin, mais aussi de reconnaître que nous devons agir  dans le cadre de contraintes légales, de contraintes institutionnelles et des obligations vis à vis des citoyens des pays que nous servons. Et ce n’est pas toujours facile.  Un moyen de faire du meilleur travail est de créer plus d’opportunité pour les gens dans leur propre pays. C’est donc un défi de faire comprendre à nos concitoyens que lorsque nous suscitons du développement en Afrique, ou que nous sommes impliqués dans une résolution de conflits ou dans des endroits où il y a une guerre, lorsque nous faisons des investissements pour faire face au changement climatique et aux problèmes que ce changement entraîne pour les agriculteurs, nous ne faisons pas tout cela simplement par charité, parce que c’est une bonne chose d’agir avec gentillesse, mais aussi parce que si il y a une disruption dans ces pays, si il y a un conflit, si il y a une mauvaise gouvernance, si il y a une guerre, si il y a de la pauvreté, alors dans ce nouveau monde où nous vivons, nous ne pouvons pas nous isoler, nous cacher derrière un mur. Il est très important pour nous de voir que ces investissements contribuent à notre propre bien être et sécurité.

 

Les religions et la vie politique

Quel rapport entre les religions et la vie politique ? Barack Obama s’exprime à partir de l’exemple américain. « Les Etats-Unis sont un pays très religieux et je pense que c’est une grande source de force. Mais, pour une part, historiquement, ce dynamisme est lié à la séparation entre l’Etat et l’Eglise qui a été envisagée comme une protection des communautés de foi pour qu’elles puissent pratiquer librement ». Comment le rapport entre religions et vie politique peut-il s’exercer au mieux ? « Nous avons besoin de reconnaître que, dans toute démocratie, il y a des gens engagés dans des religions très différentes. Et la démocratie requiert des compromis. Quand nous évoquons la foi religieuse, par définition, il y a certains points où nous ne faisons pas de compromis. Et je pense que nous faisons parfois fausse route en introduisant ce refus de compromis dans le processus politique ».

Barack Obama appelle au respect et à la gestion de la diversité. « Si nous sommes probablement une nation chrétienne, nous sommes aussi une nation musulmane, une nation hindoue, une nation juive et une nation de non croyants. Mais nous pouvons trouver des conceptions et des principes moraux qui nous relient ensemble et nous rencontrer sur ce consensus qui nous permet de progresser ensemble.

Même dans notre propre famille religieuse, il y a certains points où nous pouvons être en désaccord. Parfois cela peut nous troubler. Personnellement, dans ma propre foi, je pense qu’il est utile d’accepter un petit bout de doute. Nous croyons en des réalités qui ne sont pas visibles et, en conséquence, j’essaie d’être humble. Je ne prétend pas que Dieu parle exclusivement à travers moi. J’assume que Dieu partage de la sagesse dans tous les gens. Si je suis convaincu que j’ai toujours raison, la conclusion logique se traduit parfois en une grande cruauté et une grande violence. Dans un monde pluraliste, dans un monde où il y a des gens différents venant de diverses traditions religieuses, cherchons à réaliser que nous sommes, les uns et les autres, partie de la vérité ».

 

La foi : une motivation

« Je pense aux défis auxquels nous devons faire. Si notre réponse n’est pas parfaite et s’élabore à travers l’action et la réflexion, elle est motivée par notre foi et les valeurs et les idéaux qui sont les plus importants pour nous. Nous devrions être prêts à risquer quelque chose pour la cause à laquelle nous tenons. Nous devrions être prêts à contester une pratique traditionnelle. Aux Etats-Unis, ce sont des gens de foi qui, les premiers, ont parlé contre l’esclavage. Cela appelait une juste colère contre une institution qui semblait ressortir de l’ordre naturel. C’était un mouvement radical qui a élevé la conscience du peuple et qui a conduit une longue marche vers la liberté. Ainsi nous sommes appelé à agir selon ce que nous croyons vrai et juste. Lorsque nous agissons ainsi, ma seule suggestion, c’est de nous rappeler que Dieu ne parle pas seulement à nous. Pour moi, la force de notre foi trouve sa confirmation lorsque nous acceptons de nous engager avec des gens ayant des vues différentes et d’être prêts à les écouter et à les considérer ». L’avancée peut prendre du temps. L’important, c’est de persévérer même quand c’est difficile.

 

Les grandes questions

Quelles sont les grandes questions qui concernent la politique internationale, Barack Obama énonce deux questions. La première est relative au développement. La seconde concerne les budgets militaires.

 

« L’écart croissant entre les opportunités, les inégalités de plus en plus grandes entre les nations et à l’intérieur des nations, voilà une des questions majeures que cette génération et les prochaines générations auront à affronter. Le volume de richesse, d’opportunité et de consommation qui existe au sommet, en comparaison avec les besoins énormes qui existent dans le monde, est une situation que je trouve insupportable.

Il y a assez pour nourrir chacun, pour loger et vêtir chacun, pour éduquer chacun si nous sommes capables de mettre en route un processus social qui reflète nos valeurs. Ce n’est pas facile à faire. Ce n’est pas simplement faire un chèque et envoyer de l’argent. C’est créer une société qui parvienne à se suffire à elle-même et manifeste de la détermination et de la dignité. C’est pourquoi  quand nous examinons un budget pour une aide au développement, nous nous centrons sur la manière non pas de donner simplement du poisson, mais d’apprendre à le pêcher. Nous voulons aussi nous assurer que la gouvernance cherche à promouvoir les intérêts de gens à la base.          Cependant, on doit se rendre compte des énormes progrès qui ont été réalisés, même dans la durée limitée de mon existence. Juste dans les dernières décennies, il y a eu des centaines de millions de gens qui sont sortis de l’extrême pauvreté, en Chine, en Inde, dans certaines parties de l’Afrique. Il y a beaucoup à faire, mais il encourageant de voir tout ce qui a été déjà fait ».

 

Il y a une autre grande question. Elle concerne les budgets militaires. « Ce que j’aurais aimé voir, par exemple, c’est l’ultime élimination des armes nucléaires de cette planète. Absolument !  Un moment, nous sommes parvenus quelque peu à réduire les armements nucléaires russes et américains. Cependant, de la même façon qu’il a fallu du temps pour sortir des gens de la pauvreté, réduire le besoin de budgets militaires demandera un effort long et persévérant. Il est vrai que nous vivons dans un monde dangereux ». Barack Obama cite l’exemple de l’Afrique où les Etats-Unis sont appelés à intervenir pour rétablir la paix et assurer la sécurité des organisations humanitaires. Il montre aussi combien les conflits militaires sont souvent en rapport avec des problèmes de développement. Ainsi, « notre budget national de sécurité ne devrait pas être conçu uniquement en terme d’armements, mais aussi en terme de développement, en terme de diplomatie, en terme de soutien à l’éducation des filles et des paysans ».

 

A un carrefour de l’histoire

A ce moment de l’histoire, l’Occident semble traversé par deux tendances adverses. D’un côté, animée par le rêve d’une grandeur passée, inquiète par rapport aux changements économiques, sociaux , culturels, une tendance qui préconise un retour en arrière, un repli sur soi, le renvoi des migrants, un rejet de la solidarité internationale. En regard, un mouvement engagé de longue date, mais qui aujourd’hui prend de l’ampleur : une coopération internationale croissante tant économique que sociale et culturelle, la prise de conscience d’une unité du monde dans la construction d’une civilisation nouvelle attentive aux droits humains, une solidarité accrue face à des menaces internes et externes comme le maintien ou la progression des inégalités ou le réchauffement climatique. Si la description de ces deux tendances opposées est quelque peu sommaire, voire caricaturale, il y a là néanmoins le cadre d’une forte tension marquée en 2016 par des succès importants remportés par la tendance régressive au cœur même de l’Occident : la victoire du Brexit en Grande-Bretagne, l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis.

Pendant ses deux mandats présidentiels, Barack Obama a conduit les Etats-Unis dans la voie de l’ouverture, de la solidarité internationale, du respect des minorités, d’une progression d’un mieux être social, du progrès écologique. Il a mené cette lutte dans un esprit de respect vis à vis des personnes, une attitude empathique et chaleureuse induisant un consensus. Dans cette tâche difficile, il a été porté par une inspiration chrétienne ouverte. Sa présence au Kirchentag en mai 2017 nous paraît ainsi particulièrement significative. Barack Obama exprime le mouvement pour un monde plus solidaire et plus respectueux des personnes, un mouvement tourné vers l’avenir et non vers le passé. Il s’adresse tout particulièrement à la jeune génération qui est en train de grandir sur les différents continents.

Quelques jours auparavant, l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République Française témoignait de la victoire d’une tendance « progressiste » qui marquait une inflexion majeure dans la conjoncture internationale en marquant un coup d’arrêt par rapport à la tendance préconisant le repli, le rejet, le dissociation. Ainsi, Barack Obama a pu intervenir dans un contexte où, à nouveau, on pouvait entrevoir un horizon d’ouverture. Au cœur de l’Europe, à Berlin, ce dialogue a témoigné d’une espérance qui, dans le contexte du Kirchentag, s’exprimait dans une ambiance de fraternité chrétienne.  Barack Obama nous aide ici à voir quels sont actuellement les grands enjeux politiques et de quelle manière on peut les aborder. Il nous permet de dépasser nos ressentis immédiats pour nous situer dans la durée. Le processus démocratique nous permet d’avancer vers de meilleures solutions, mais il inclut aussi des reculs. Barack Obama nous appelle à un engagement patient et persévérant. Nous partageons ici ce que nous percevons à travers la vidéo de cette rencontre : une conviction, une pensée ouverte et prospective, une convivialité fraternelle.

 

J H

 

(1) Présentation du Kirchentag sur « Free Wikipedia » : « le « Deutscher Evangelischer Kirchentag » est une assemblée de membres laïcs de l’Eglise Evangélique allemande qui organise un rassemblement biaannuel concernant la foi, la culture et la politique ».

https://en.wikipedia.org/wiki/German_Evangelical_Church_Assembly

Du 24 au 28 mai 2017, le Kirchentag a célébré le 500è anniversaire de la Réforme dans une grande manifestation « joyeuse, diverse et multiculturelle »      («  Réforme »). Un compte-rendu sur le site du Centre d’information sur l’Allemagne : http://www.allemagne.diplo.de/Vertretung/frankreich-dz/fr/__pr/nq/2017-05/2017-05-30-kirchentag-protestant-pm.html?archive=4908386  L’hebdomadaire « Réforme » (1er juin 2017) a consacré une double page (p 4-5) à cet événement marquant qui, à travers une forte participation jeune et internationale, témoigne de la vitalité d’une foi chrétienne au sein du monde d’aujourd’hui. Dans un article intitulé « La foi visible », Jean-Paul Willaime écrit ainsi : « Le fait que deux éminentes personnalités politiques protestantes : l’ancien président des Etats-Unis, Barack Obama et la chancelière Angela Merkel aient accepté de discuter de démocratie et d’engagement à Berlin au 36è Kirchentag… constitue incontestablement un événement »

(2) Discours de Barack Obama sur la démocratie (Athènes. (le 16 novembre 2016) : https://www.youtube.com/watch?v=xKirW7AQ2oo

Dans une perspective historique et à partir de son expérience, Barack Obama nous apporte ici un enseignement majeur sur les vertus et les problèmes de la démocratie aujourd’hui : https://obamawhitehouse.archives.gov/the-press-office/2016/11/16/remarks-president-obama-stavros-niarchos-foundation-cultural-center

(3) Lors de ses déplacements internationaux, Barack Obama s’adresse fréquemment aux « leaders » des régions visitées dans des rencontres caractérisées par un dialogue dynamique et convivial. Deux exemples : Asie du Sud Est : https://www.youtube.com/watch?v=j3GuzhWdiiI

Argentine et Amérique Latine :

https://www.youtube.com/watch?v=zbq2gmYq780

(4) On peut percevoir des analogies entre Barack Obama et Emmanuel Macron dans une approche dialoguante et inclusive. Emmanuel Macron nous dit avoir beaucoup reçu du philosophe français, Paul Ricoeur : https://le1hebdo.fr/journal/numero/64/j-ai-rencontr-paul-ricoeur-qui-m-a-rduqu-sur-le-plan-philosophique-1067.html

(5) L’inspiration chrétienne chez Barack Obama :

« De Martin Luther King à Barack Obama » : https://vivreetesperer.com/?p=2065

« La rencontre entre Barack Obama et le pape François » :

https://vivreetesperer.com/?p=2192

« La prière dans la vie de Barack Obama » :

https://vivreetesperer.com/?p=2326

(6) Barack Obama and Angela Merkel speak at Kirchentag in Berlin. Vidéo principalement à partir de laquelle nous avons travaillé pour présenter des extraits adaptés en français. Nous renvoyons à cette vidéo qui apporte non seulement la parole dans son extension, mais aussi l’expression des participants  à travers leurs visages.

https://www.youtube.com/watch?v=ZV6yjj50lGc

Autres versions : https://www.youtube.com/watch?v=PXrmmVMnUg4

https://www.youtube.com/watch?v=qEFi0UKeGE8

Un enseignement de la programmation informatique ouvert à tous

#Un projet collaboratif, convivial et créatif : Simplon.co

 #On leur disait : c’est impossible ! Ils l’ont fait.

 #A une époque où la révolution numérique (1) ouvre de nouveaux emplois, comment permettre à des minorités défavorisées d’y accéder ? Peut-on aujourd’hui enseigner la programmation informatique, le nouvel alphabet du XXIè siècle, le code, au delà des filières classiques ?

Dans un exposé enthousiasmant, Erwan Kezzar nous dit comment il a créé une école de programmation qui, durant la première année, a formé 30 personnes issues de milieux accédant jusqu’ici difficilement à cette profession : des jeunes des quartiers populaires, des moins jeunes, des femmes, des personnes en situation de handicap, des porteurs de projet ayant besoin de compétences pour les réaliser. Ce projet : Simplon.co, en voie de démultiplication en 2014-2015, figure parmi les cinq projets promus cette année par « L’échappée volée », plateforme collaborative qui se propose d’encourager le passage du partage de la parole au partage de l’action.

Mais comment ce mouvement associatif s’est-il développé et de quelles valeurs témoignent-ils ?

#TED

  #Cette initiative s’inscrit dans une dynamique internationale. Au départ, il y a eu en effet la conférence américaine TED qui, depuis 25 ans, « rassemble des esprits brillants dans leurs domaines pour partager leurs idées avec le monde. C’est un événement annuel où les plus grands talents sont invités à partager leurs passions. TED : « Technology, Entertainment, Design » s’intéresse à trois grands ensembles qui façonnent notre avenir. Mais l’événement ne s’arrête pas là et présente des idées quelque soient les disciplines. Des créateurs, des scientifiques, des philanthropes viennent s’y exprimer. Ces dernières années, TED a souhaité s’ouvrir et propose une conférence internationale TED global ainsi que plusieurs initiatives médiatiques » (2). Ainsi aujourd’hui, des milliers de courtes interventions relatant des expériences signifiantes ou des recherches majeures sont diffusées sur le web en vidéos par TED talks (3).

#TED x

 #Cette expression partagée dans une forme dynamique se répand aujourd’hui dans le monde. Le x ajouté à TED dans TED x signifie  qu’il s’agit d’évènements qui sont largement indépendants tout en respectant un certain nombre de critères définis par Ted. « Et, en France, Ted x a été fondé par Michel Lévy-Provencal dès 2009. Ted x Paris a été la première conférence TED x européenne . Elle fait partie des trois premières conférences TED x mondiales à avoir été créées » (4). Depuis 5 ans, TED x Paris présente des utopistes en action. « Nous diffusons systématiquement leurs idées pour distiller en France et ailleurs, une voix positive et optimiste. Cette voix semble porter, chaque semaine, nous recevons des messages de personnes nous demandant comment s’investir concrètement dans ces initiatives… Ainsi n’en déplaise aux pessimistes et aux sceptiques, le désir d’engagement et la quête de sens n’ont pas disparu de notre société. Notre conviction, c’est que nous sommes entrés dans le temps de l’action, individuelle, locale, simple, efficace, responsable, importante, contagieuse et virale. Et si des idées peuvent changer le monde, elles ne sont rien sans l’énergie et l’engagement de ceux qui les mettent en œuvre ».

 #L’échappée volée

#« L’échappée volée » est un accélérateur qui se caractérise par l’action et l’engagement (5). C’est une expérimentation citoyenne, une initiative qui invite tout un chacun à passer à l’action en s’engageant efficacement dans des projets d’éducation, de santé, de solidarité, l’émancipation par les arts et la culture, et le développement durable. Chacun est ainsi invité à soutenir ces projets en apportant son énergie, ses idées, son temps et ses contacts. Notre souhait est de soutenir ceux qui s’engagent pour faire bouger les lignes, changer les paradigmes et obtenir des transformations positives et concrètes dans nos sociétés ».

Et c’est ainsi que cette année, le site de « l’échappée volée » présente cinq projets qui se caractérisent par la conjugaison d’un idéal de solidarité et de fraternité et une dynamique sociale créative.

Ce sont :

° Djantoli. Un téléphone et une balance. Djantoli met l’innovation sociale au service de la santé des enfants en Afrique.

° Kialotok. Kialotok utilise la gastronomie comme un moyen de restauration professionnelle et de dialogue interculturel .

° Bergers urbains. Des moutons et des hommes

Les bergers urbains font paître leurs troupeaux remettant l’agriculture locale au cœur des villes.

° Sentinelle. Des femmes et des chercheurs. Les sentinelles créent un réseau de volontaires pour faire avancer la recherche sur le cancer.

° Simplon.co. Un ordinateur et une nouvelle langue.

Les entrepreneurs de Simplon.co forment au code pour un impact réel et social.

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Formation au code et convivialité sociale. Comment Erwan Kezzar et ses associés ouvrent à tous la formation au code : Simplon.co 

Dans son témoignage enregistré sur vidéo (6), Erwan Kezzar nous dit comment il s’est engagé avec deux associés dans la création d’un enseignement du code, « cet alphabet du XXIè siècle selon certains ». il y a aujourd’hui une demande énorme dans le champ de la programmation. On manque de codeurs. Et, bien sûr, il y a là une nouvelle source d’emplois. Mais peut-on former au code des gens qui n’ont pas effectué au préalable des études pour devenir ingénieurs ou mathématiciens? Et peut-on donner accès à cette formation dans des cycles courts à des gens qui n’ont pas les dispositions, les moyens pour s’engager dans des études longues ?

Erwan Kezzar et ses a ssociés ont pensé plus particulièrement aux « talents qui ont envie de s’en sortir, à des profils à forte motivation même si ce sont des profils atypiques ». A la fin de l’année 2011, ils ont eu écho d’une expérience américaine où des formations courtes étaient mises en oeuvre avec succès.

Et alors, malgré le scepticisme qu’ils ont rencontré, Erwan Kezzar et ses associés se sont lancés dans la création d’une formation. Ils ont trouvé un local dans une ancienne usine à Montreuil. Ils l’ont aménagée et, à la rentrée 2013, ils ont commencé une formation en 6 mois qui vient de s’achever avec succès. Ils ont choisi des étudiants motivés et créatifs, mais dans des milieux qui, jusque-là, accédaient très peu à la programmation informatique. Ils ont recruté des jeunes de quartiers populaires, des moins jeunes, des femmes(jusqu’ici peu représentées dans ce secteur), des personnes en situation de handicap, des porteurs de projet ayant besoin de la programmation informatique pour les réaliser. 30 personnes ont participé à la première promotion qui a expérimenté cette formation avec succès. Au début de cet enseignement, 75% étaient des débutants complets. Et la répartition des origines est éloquente : des niveaux scolaires de Bac-2 à Bac+4, des âges de 19 à 52 ans, 30% de femmes, 14 nationalités.

Quelques parcours témoignent de cette diversité. Aladin expérimente un nouveau mode de communication avec l’office HLM de son quartier. Audrey construit un site permettant à des personnes en situation de handicap de partager leurs expériences pour améliorer leur condition de vie. Roxane va répliquer la formation de Simplon.co à Cluj en Roumanie. Rodolphe a prouvé qu’il était possible de former des jeunes dans un quartier difficile à Villeneuve-la-Garenne et il va poursuivre l’année prochaine. En effet, en 2014-2015, Simplon va essaimer : Montreuil, mais aussi Villeneuve-la-Garenne, une région rurale dans le Perche, Cluj en Roumanie et Bamako au Mali.

Le dynamisme de cette entreprise trouve sa source dans l’enthousiasme de son fondateur tel qu’il s’exprime dans cette vidéo. Il en résulte un mouvement collaboratif. A plusieurs reprises, il évoque le scepticisme qu’il a rencontré. « On ne pouvait pas le faire. C’est ce qu’on nous a dit. Et bien, ce qui est sur pour nous, c’est qu’on ne pouvait pas ne pas le faire ! »

Dans ce monde en mutation (7), nous vivons dans un temps de crise où le vieux monde se défait et un autre commence à se construire. Apprenons à discerner les émergences positives pour en encourager le développement. Sachant les menaces qui doivent être affrontées, plutôt que de sombrer dans le pessimisme, prenons le parti de l’espérance et regardons en avant. Alors nous verrons mieux les initiatives et les innovations qui s’inscrivent dans un état d’esprit nouveau en train d’apparaître à l’échelle internationale. Sur ce blog, nous avons mis l’accent sur le développement de l’économie collaborative (8). Aujourd’hui, avec TED, TED x et l’échappée volée, nous assistons au développement d’une expression partagée et participative qui se veut motrice de changement. Nous voyons là des signes traduisant l’apparition d’une nouvelle culture à l’échelle internationale (9) dans l’inspiration de valeurs mettant l’accent sur la collaboration, la convivialité, la solidarité, la créativité. Nous voyons là aussi l’émergence d’une nouvelle sensibilité spirituelle (10). Et, pour nous, cette émergence est éclairée par une inspiration (11).

Simplon.co témoigne bien de la conjugaison  entre sociabilité conviviale et créativité. En entendant Erwan Kezzar et en observant la dynamique de cette action et les fruits qu’elle porte, on participe à son enthousiasme et on ressent quelque part de l’émerveillement.

J H

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(1)            Sur ce blog : « L’ère numérique. Gilles Babinet : un guide pour entrer dans ce nouveau monde » https://vivreetesperer.com/?p=1812

(2)            Le site de TED : Ted. Ideas worth spreading : http://www.ted.com/   Histoire et dynamique de Ted sur Wikipedia : http://en.wikipedia.org/wiki/TED_(conference)       La précédente description est empruntée au site de Ted x Paris.

(3)            Ted talks : http://www.ted.com/talks/browse

(4)            TED x Paris : http://www.tedxparis.com/about/  . il existe aussi une conférence Ted x à Lyon : http://www.tedxlyon.com/

(5)            L’échappée volée : http://www.lechappeevolee.com/a-propos-2/

(6)            Présentation en vidéo du projet par Erwan Kezzar : http://www.lechappeevolee.com/simplonco/

(7)            Les mutations actuelles en perspective : sur ce blog : « Un  chemin de guérison pour l’humanité. La fin d’un monde. L’aube d’une renaissance (Frédéric Lenoir) : https://vivreetesperer.com/?p=1048                             « Quel avenir pour le monde et pour la France ? (Jean-Claude Guillebaud. Une autre vie est possible) : https://vivreetesperer.com/?p=937  « Une nouvelle manière d’être et de connaître » (« Petite Poucette » de Michel Serres) : https://vivreetesperer.com/?p=820

(8)            Sur ce blog,  à propos de l’économie collaborative : « Une révolution de « l’être ensemble » (« Vive la co-révolution !Pour une société collaborative ») : https://vivreetesperer.com/?p=1394                                « Un mouvement émergent pour le partage, la collaboration et l’ouverture : Ouishare, communauté leader dans le champ de l’économie collaborative » https://vivreetesperer.com/?p=1866                                         « Pour une société collaborative. Un avenir pour l’humanité dans l’inspiration de l’Esprit » : https://vivreetesperer.com/?p=1534

(9)            Une nouvelle culture à l’échelle internationale : « Vers une civilisation de l’empathie.  A propos du livre de Jérémie Rifkin .. » : http://www.temoins.com/recherche-et-innovation/etudes/816-vers-une-civilisation-de-lempathie-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkinapports-questionnements-et-enjeux.html  « Emergence d’espaces conviviaus et aspirations contemporaines. Troisième lieu (« Third place » et nouveaux modes de vie » : http://www.temoins.com/recherche-et-innovation/etudes/1012–emergence-despaces-conviviaux-et-aspirations-contemporaines-troisieme-lieu-l-third-place-r-et-nouveaux-modes-de-vie.html

(10)      Sur le site de Témoins : Emergence d’une nouvelle sensibilité spirituelle : « Emergence d’une nouvelle sensibilité spirituelle et religieuse. En regard du livre de Frédéric Lenoir : « La guérison du monde » : http://www.temoins.com/recherche-et-innovation/etudes/953-emergence-dune-nouvelle-sensibilite-spirituelle-et-religieuse-en-regard-du-livre-de-frederic-lenoir-l-la-guerison-du-monde-r.html « Emergence d’une vision d’un monde évolutionnaire.  Un changement de culture au Club de Budapest » : http://www.temoins.com/recherche-et-innovation/etudes/1029-emergence-dune-vision-du-monde-l-evolutionnaire-r-un-changement-de-culture-au-club-de-budapest.html

(11)      Sur ce blog,  dans la culture qui est la nôtre, nous reconnaissons dans ce mouvement, la vision exprimée par le théologien Jürgen Moltmann : « L’essence de la création dans l’Esprit est « la collaboration » et les structures manifestent la présence de l’Esprit dans la mesure où elles font reconnaître l’ « accord général ». « Au commencement était la relation » (Martin Buber) p 25 dans : Moltmann (Jürgen). Dieu dans la création.  Traité écologique de la création. Cerf,1988.                Sur ce blog : « Dieu suscite la communion »  https://vivreetesperer.com/?p=564                              Voir le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : http://www.lespritquidonnelavie.com/                                        Une parole de Pierre Teilhard de Chardin remonte à notre esprit : « Tout ce qui monte, converge ».

Un usage de facebook

Un usage de facebook

L’usage d‘internet a transformé entièrement notre genre de vie dans la plupart de secteurs de notre activité du travail et de commerce à l’information aux loisirs. On pourrait énumérer les cas où il s’est révélé ou se révèle indispensable. Cependant, on peut sans doute se demander s’il n’y a pas là aussi un revers de la médaille. Effectivement, on redoute aujourd’hui la dépendance que l’usage d’internet peut susciter jusqu’à un effet d’addiction. C’est la crainte exprimée par Sophie Lavault, docteure en neurosciences et psychologie clinique. « L’hyper connectivité nous procure tant de shoots de dopamine qu’elle nous coupe du lien authentique avec nous-mêmes et avec les autres ; sous l’emprise de nos écrans, nous ne prenons plus le temps de ressentir, ni d’observer. Déconnectés de notre propre corps, nous le sommes de notre environnement naturel au point de détruire plutôt que de préserver ». Aussi a-t-elle écrit un livre qui engage à « revenir à soi » (1). De même, si on peut reconnaitre, pour une part, dans la montée des réseaux sociaux , une extension des liens sociaux et  une émergence de conscience commune, on peut également redouter  y voir apparaitre la formation de clans, une agressivité mimétique, une violence numérique, une manipulation de l’information. Nous sommes interpellés.

On connait aujourd’hui l’extension et la répartition des réseaux sociaux dans le monde. Si Facebook est le réseau social le plus fréquenté dans le monde avec près de 3000 milliards d’utilisateurs actifs mensuels en 2023, en France, il totalise 40 millions d’utilisateurs actifs mensuels. Si il est en perte de vitesse parmi les plus jeunes, passant au cinquième rang des réseaux fréquentés chez les 18-24 ans, il continue une légère progression chez les plus âgés (2).

Dans ce grand nombre d’usagers, chacun est singulier dans sa fréquentation. Comme les interpellations vis-à-vis de l’utilisation d’internet s’adresse à tous, chacun peut également y apporter une réponse personnelle. Nous nous sommes interrogés sur notre propre usage de Facebook.

 

Contexte de notre présence sur Facebook

Facebook se présente ainsi : « Facebook est un réseau social grand public. Il permet à ses utilisateurs de rester en contact avec leurs amis, familles, connaissances, en interagissant grâce à des publication, des commentaires, des likes, de participer à des groupes en fonction de leurs intérêts ».  Nous sommes entrés sur Facebook, il y a une douzaine d’années, engagé dans une recherche personnelle se traduisant par une écriture pour un blog : « Vivre et espérer », et, à l’époque, la mise en valeur de l’œuvre du théologien ; Jürgen Moltmann dans un autre blog : « L’Esprit qui donne la vie ». Parallèlement, depuis des années, nous participions au site de Témoins, association chrétienne interconfessionnelle.  En entrant dans Facebook, nous souhaitions y trouver, pour une part, un espace de dialogue. Dans une condition de veuvage, pouvoir élargir mon éventail de relations était également un souhait. Cependant, je ressentis très tôt ma particularité d’arrivant relativement isolé. De nombreux participants fréquentaient Facebook avec un réseau bien constitué, y partageant les apports de leurs loisirs, notamment de leurs vacances, parfois des réflexions ou des émotions. J’en étais un spectateur bienveillant et reconnaissant pour la vie bonne qui s’y exprimait. Progressivement, je découvris la vie des uns et des autres et à travers les « j’aime », une attention plus ou moins mutuelle put s’instaurer.  A travers les demandes, le public s‘élargit puisqu’il compte aujourd’hui 530 amis. On doit dire ici également que mon savoir-faire dans l’usage de Facebook est limité. Par exemple, je ne recours pas à la messagerie : Messenger.

Aujourd’hui, depuis quatre ans, relégué dans un Ehpad, à la suite d’un covid, puis de l’épidémie et de l’impossibilité de retrouver mon genre de vie initial, mon isolement s’est accru. Mais Facebook s’avère alors véritablement secourable par l’accès ouvert sur la nature et sur l’art par de magnifiques photos et par une ambiance bienveillante. Et il continue à être une source d’information très efficace où je puise abondamment tant pour mes choix de livres que pour ma participation à Témoins. A plusieurs reprises, j’ai relaté sur ce blog, mon usage de Facebook (3). Ce furent des étapes dans  l’expression de mon ressenti.  Je réitère ici avec un peu plus de recul.

 

Une ouverture à la beauté

Comment est-ce que je perçois les principaux apports de mon fil Facebook?

Un des apports majeurs, c’est une ouverture à la beauté au moins sous un double aspect : la beauté de la nature et la beauté des œuvres d’art.  Nombreux sont les ami(e)s qui partagent des photos de paysage, aujourd’hui entre autres, L P , JM T ,  F S , N H , L P…Plus largement, ce sont des photos de nature, comme des fleurs. Je pense actuellement à de superbes photos de montagne. On peut admirer aussi des photos d’un auteur de livres publiant de sublimes photos de paysages méridionaux, de la Drome notamment, D Massivement, les organismes de tourisme de toutes les régions de France diffusent de magnifiques photos de paysage. Je revisite ainsi un pays que j’ai aimé et admiré:  le golfe du Morbihan. Cependant circulent aussi de nombreuses peintures de paysage. J’ai découvert ainsi le grand nombre et la variété des peintures de Claude Monet, ébloui par l’expression de son ressenti, une beauté toujours actuelle. Mais la proposition est variée et je trouve des perles dans les multiples expressions actuelles de l’art naïf. Certains nous font connaitre des peintures peu connues d’autres pays européens ( P S)

 

Expressions de vie

Le philosophe et sociologue, Charles Taylor, nous a montré comment nous sommes entrés dans un âge de l’authenticité (4). « Les historiens et sociologues s’accordent pour reconnaitre un tournant majeur dans la vie sociale et culturelle des pays occidentaux dans les année 60…L’individualisme s’est désormais déplacé sur un axe nouveau sans abandonner les anciens pour autant. En plus de l’individualisme moral/spirituel et instrumental se répand désormais un individualisme « expressif ». Cette expressivité, cette expression de soi est très présente sur Facebook. Certes, elle prend des formes différentes. Certains sont discrets, d’autres expriment leurs états d’âme.  Cependant, communiquer sur Facebook, c’est évidemment exprimer ce qui vous tient à cœur sur différents registres. Mais cette expression est tournée vers le partage. Pour certains, cette expressivité se manifeste dans une manifestation de leur vie personnelle. Ainsi, une « amie » anglaise J E , partage non seulement de belles contributions picturales, mais elle nous associe à sa vie quotidienne et à son histoire familiale.   Sensible au visage de l’humain, elle aime partager des photos de ceux qui l’entourent.  D’autres expressions sont plus discrètes. Ainsi, MF R nous fait découvrir la beauté dans sa campagne, mais exprime aussi sa vision de la vie. Et P S  ne nous entretient pas seulement de la vie de sa province, mais il participe à un site protestant et, de temps à autres, laisse transparaitre ses opinions politiques.

 

Propositions spirituelles et religieuses

La part des relations chrétiennes, catholiques et protestantes ou autres, est ici importante au point où il est difficile de toutes les mentionner. Il y a donc des commentaires journaliers d’évangile ( J T et M CT), de nombreux commentaires bibliques (Reg P,  Prot B,  L P), des messages d’ouverture chrétienne (C C  M J) des textes engagés concernant la vie des églises ( R P,  C P,  A S, Conf bapt, , H L… ) Bien sûr, il se trouve des réflexions théologiques (  Transcend , P L , J C,  DF)  de libres expressions (M M, J C S,  MH M C, H RG ),  des témoignages d’acteurs engagés ( R G , B C) On peut ajourer à ce groupe des acteurs spirituels comme Hum N et ses interviews en vidéo,  D GQ et ses dialogues en quête spirituelle ou encore JP O.. On ajoutera ce qui tient aux relations entre psychologie et spiritualité.  La poésie est également très présente, notamment dans écrits de Christian Bobin et de Jean Lavoué.  Ajoutons à cette énumération très vaste et qui parait fastidieuse en l’absence des noms et des contenus, l’apport de B C qui se manifeste en terme d’un flux de vidéos et de textes qui concernent à la fois le religieux et le politique . L’offre est conséquente et, dans cet ensemble, des affinités peuvent s’établir.  De temps à autre, une lueur vient nous éveiller De plus, nous pouvons recueillir là nombre d’informations pour le site de Témoins

 

Vie sociale, économique et politique

La vie sociale, économique et politique apparait à travers la contribution de quelques ami(e)s et quelques publicités d’organisme. Sur notre fil, ce secteur a une place seconde. Parmi les thèmes abordés, l’écologie occupe une place majeure. Les grands évènements se répercutent très vite, notamment l’information concernant les décès de grandes personnalités. Il me semble que les questions politiques se manifestent très différemment selon les périodes. Actuellement, leur présence ne me parait pas à la mesure des enjeux. Notons à nouveau la richesse du flux de vidéos et de textes communiqués par B C. C‘est un apport précieux.

 

Les vidéos

Facebook comporte également une rubrique vidéos, mais celles-ci ne sont pas choisies par des « ami(e)s. Elles sont très variées quant à leurs origines et à leurs sujets. Ainsi elles concernent-elles la vie des animaux, les relations humaines, la psychologie, la philosophie, les sciences, le message chrétien dans ses différentes formes, voire un message musulman. La tonalité induit fréquemment des sentiments positifs : les vidéos de Thomas d’Ansembourg se proposent de nous aider à comprendre notre manière de vivre en relation., les courts interviews réalisées par Human Nadj  auprès de personnes témoignent d’un humanisme psychologique et spirituel dans une sphère où la culture musulmane est bien représentées, des vidéos  nous montrent une entraide chez des humains ou des animaux, la présentations d’initiatives humaine innovantes (Brut), des messages chrétiens de différents origine, notamment d’origine africaine entre autres l’Église méthodiste de Cote d’Ivoire,  le récit d’expériences spirituelles, des messages qui nous apportent des visions nouvelle sur la conscience, la santé, l’histoire africaine.. C’est un espace de découverte. En ce moment, pourtant crucial, cette rubrique manifeste une grande discrétion sur le plan politique

 

Diversité

Notre description est incomplète .  En présentant notre fil, nous avons choisi d’énoncer les noms par des initiales par discrétion et dans l’impossibilité d’une exhaustivité. Il y a des thèmes présents de temps en temps sur notre fil, notamment à travers des publicités d’organisme, comme la santé par exemple.

 

Facebook comme cadeau

A l’heure où les critiques se multiplient contre les réseaux comme propagateur de fausses nouvelles ou porteur de ségrégation sociale, notre expérience personnelle nous permet de mettre en évidence la diversité des situations

Il y a bien un premier enseignement qui apparait. Si le dispositif du réseau prédispose, l’usage personnel de chacun est déterminant.

Si Facebook encourage finalement une interaction positive à travers l’usage prédominant des « like », est-ce que nous-même, nous sentons-nous heureux de manifester abondamment notre attention, notre estime, notre sympathie. Tout en gardant une volonté de sincérité, j’ai choisi cette attitude, même si elle me semble peu payée de retour. A travers ce que les gens disent d’eux-mêmes et de leurs activités sur le fil Facebook, nous finissons par les connaitre pour une part. Et nous pouvons leur être reconnaissant, car, en s’exposant, ils nous accordent une part de confiance dans le partage de leurs joies et parfois de leurs inquiétudes et de leurs peines. Cela me fait penser au coq d’un livre d’enfant qui de son clocher, disant aux gens du village : « je t’ai vu ». Et bien à nous de faire le choix de la sympathie.   Nous nous rappelons ici une pensée d’Antonio Spadaro dans son livre : « Quand la foi passe par le réseau ». Il nous appelle, dans un esprit de convivialité et de fraternité à faire évoluer le net d’un lieu de « connexion » à un lieu de « communion ». « La connexion en soi ne suffit pas à faire du Net un lieu de partage pleinement humain. Travailler en vue d’un tel partage est la tâche spécifique du chrétien » (5). Il y a la une exigence qui m’interpelle et qui m’invite à grandir spirituellement.

Cependant, il y a également dans l’offre de Facebook des propositions qui suscitent L’admiration, l’émerveillement, la « awe » (6) et, en conséquence, la reconnaissance, e la gratitude (7). Ce sont là deux réalités éminemment spirituelles et également bienfaisantes   Certains paysages, certaines peintures nous paraissent admirables. Pour moi, cette admiration peut déboucher sur la louange et la reconnaissance. C’est la parole d’un psaume : « Que tes œuvres sont grandes, O Éternel. Et je chante avec allégresse l’ouvrage de tes mains » (Ps 92).

Cette offre est d’autant plus précieuse lorsqu’on vit dans un isolement relatif et qu’elle vient compenser des manques comme une accession difficile à la nature

On peut ajouter que Facebook permet aussi d’esquisser une forme de dialogue à travers des commentaires. C’est un germe de réflexion partagée

 

En manque

Certes, de nombreux messages appellent la réflexion.  D’autres suggèrent une méditation. Mais, au total, sur notre fil, nous voyons peu de réflexions étayées, construites Nous y portons des extraits de textes des différentes rubriques de Vivre et espérer : histoires et projets de vie, expérience de vie et relation, culture et société, émergence écologique, vision et sens.  Et nous abondons en même temps, notre page Facebook : Vivre et espérer.   Dans ces textes, nous nous sommes donnés pour but d’apporter, de la manière la plus accessible possible, un éclairage qui puisse contribuer à rendre plus justes , plus pertinentes, nos représentations, en pensant que ces représentations ont ensuite des effets sur nos actes. Ainsi présentons-nous des livres français et étrangers qui s’appuient sur l’expérience de leurs auteurs, mais aussi sur des apports sociologiques, psychologiques, scientifiques, philosophiques et théologiques. Nous remercions les quelques-uns qui marquent leur appréciation de cet apport, souvent ou de temps à autre. Notre regret est que ces textes ne suscitent davantage d’attention dans un public qui, au total, apparait plutôt comme cultivé et spirituel.  En regard, nous nous réjouissons de l’attention que certains portent aux photos de nature extraites de notre collection de photos flickr

 

Se remettre en question

Lorsque Sophie Lavault nous met en garde vis-à-vis de l’hyperconnectivité et, en conséquence un danger d’addiction et de déconnexion avec soi-même, lorsqu’on y réfléchit, c’est notre propre usage d’internet qui est mis en question.  Je m’interroge sur mon usage de Facebook.  Certes, dans ma condition, il m’apporte un lien essentiel avec la nature et avec la vie sociale. Il suscite des sentiments qui fondent la vie comme la sympathie, l’émerveillement, la gratitude. Le danger réside dans une consultation accélérée : passer d’un post à un autre sans prendre le temps suffisant pour le gouter.   Il y a un risque de banalisation qui entrainerait un émoussement de notre émerveillement. ou de notre attention. Lorsque Saint-Exupéry écrit le « Petit Prince », il nous montre combien l’édification d’un lien requiert un apprivoisement lequel requiert du temps. Si nous passons trop rapidement d’une perle à une autre, il y a danger de banalisation. « Ralentir pour sentir », c’est l’expression qui sert d’identifiant à un « ami » de Facebook.  Je me suis rendu compte combien il était bienfaisant de m’attarder sur une belle photo et de la contempler. La même attitude vaut pour notre attention aux moments de vie qui nous sont présentés sur Facebook et sur les sentiments qui y sont évoqués. Dans quelle mesure, ma louange ou ma prière sont-elles mobilisées ?

A deux reprises, sur ce blog, je me suis interrogé sur mon usage de Facebook (3) Sans doute, la perception de cet usage varie selon la condition du moment. Aujourd’hui, je mesure le cadeau qui m’est fait, et qui, quelles qu’en soient les limites, m’appelle à en faire un sage usage et à en prendre soin.

J H

 

  1. Sophie Lavault. Revenir à soi Comment le numérique nous déconnecte de nous-mêmes. Albin Michel. 2023
  2. Facebook : les chiffres essentiels : https://blog.digimind.com/fr/agences/facebook-chiffres-essentiels
  3. Mon expérience de Facebook 2017 https://vivreetesperer.com/mon-experience-de-facebook/            Facebook en question  2020 :  https://vivreetesperer.com/facebook-en-question/
  4. L’âge de l’authenticité : https://www.temoins.com/lage-de-lauthenticite/
  5. Cyberespace et théologie : https://www.temoins.com/cyberespace-et-theologie/
  6. Ebloui par l’émerveillement : https://vivreetesperer.com/ebloui-par-lemerveillement/  Comment la manifestation de l’admiration et de l’émerveillement exprimées par le terme de « awe » peut transformer nos vies : https://vivreetesperer.com/comment-la-reconnaissance-et-la-manifestation-de-ladmiration-et-de-lemerveillement-exprimees-par-le-terme-awe-peut-transformer-nos-vies/
  7. La gratitude, un mouvement de vie : https://vivreetesperer.com/la-gratitude-un-mouvement-de-vie/

 

Une théologie pour la vie

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Jürgen Moltmann en conversation avec un panel de théologiens au Garrett Evangelical Theological Seminary (Evanston USA).

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Nous savons combien nos représentations  influencent nos états d’âme et nos comportements. Ces représentations dépendent de notre vision du monde. Comme réflexion sur Dieu, la théologie inspire cette vision. C’est dire l’importance des orientations théologiques. Comme le dit Jésus, on reconnaît l’arbre à ses fruits.  Nous trouvons, personnellement, une inspiration positive dans la pensée théologique de Jürgen Moltmann, souvent évoquée sur ce blog. Reconnu comme un des plus grands théologiens de notre temps (1), Jürgen Moltmann est souvent invité à s’exprimer dans des facultés de théologie à travers le monde. Ainsi est-il intervenu en 2009 dans une faculté de théologie américaine sur le thème : « Une théologie pour la vie. Une vie pour la théologie » (2). Cette intervention a été effectuée au Garrett Evangelical Theological Seminary (Evanston USA), une faculté en lien avec l’Eglise méthodiste. Après cette première conférence, Jürgen Moltmann a été invité à participer à une conversation où il a répondu aux questions d’un panel de trois théologien(ne)s : Nancy Bedford, Stephen Ray, Anne Joe. Ceux-ci ont été ensuite interrogés personnellement sur cet apport. L’ensemble est communiqué sur le site de la faculté à travers des vidéos (3). Comme dans une précédente note sur ce blog (4), nous présentons ainsi à nouveau une contribution de Jürgen Moltmann en vidéo. Ce n’est pas seulement une rencontre avec sa pensée, c’est aussi une rencontre avec sa personne où on peut apprécier une chaleur communicative empreinte d’une forme de modestie et de respect en terme d’humour. Nous présentons ici la vidéo où Jürgen Moltmann répond aux questions de ses interlocuteurs (5). Et comme cet entretien est en anglais, nous voulons en faciliter l’accès à travers une transposition en français dans des notes prises au cours de cette audition.

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MOLTMANN4

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Comment lire la Bible avec discernement ?

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Comme théologien, comment lisez-vous l’Ecriture. Quels sont vos critères herméneutiques ?, lui demande au départ son ancienne étudiante, Nancy Bedford. Question sensible ! Jürgen Moltmann fait écho à la question posée par Philippe au ministre éthiopien qui lisait le prophète Esaïe (Actes 6.30) : « Comprends-tu ce que tu lis ? ». Comprenons-nous ce que nous lisons ? En lisant la Bible, je m’attends à la Parole de Dieu dans des mots et des idées, des témoignages humains, mais ces mots humains sont parfois en contradiction les uns avec les autres. J. M. donne des exemples, tous deux empruntés aux épîtres de Paul, l’un concernant l’attitude vis-à-vis des femmes et l’autre, l’attitude vis-à-vis des juifs. Ainsi rappelle-t-il la grande affirmation universaliste de Paul à la suite du prophète Joël, en Galates 3.26 : « Il n’y a plus ni hommes, ni femmes. Nous sommes tous un en Jésus-Christ ». Mais on trouve aussi dans ces épîtres mention d’une attitude que Jürgen Moltmann exprime en termes humoristiques : « Les femmes devraient la fermer dans les cultes »…Qu’est ce qui est vrai ? Qu’est-ce qui est le plus proche de la vérité du Christ ? Et, reprend-t-il avec humour : Si les femmes avaient été silencieuses tout le temps, elles n’auraient pas annoncé la résurrection de Jésus et nous n’en saurions rien ! Pour interpréter, je ne me réfère pas à un humanisme moderne, qui va de ci, de là, mais je développe une critique interne en recherche de l’essentiel à l’intérieur même de l’Ecriture (« material criticism inside the reading of Scripture – criticizing inside the truth of the Bible »). D’abord, je lis, puis je cherche à comprendre. Qu’est-ce que cette expression cherche à me dire avec plus ou moins de bonheur ? Je cherche ce qui est vrai, ce qui me paraît le plus proche de la vérité du Christ (« What is closer to the truth of Christ »).

Jürgen Moltmann évoque des approches comme celles du « Jésus historique » (historical Jesus ») ou de l’exégèse matérialiste (« Materialistic exegesis »), qui se perd dans l’accessoire, auxquelles il n’adhère pas. Et notamment, peut-on en théologie s’intéresser seulement au « Jésus historique », c’est à dire ne pas prendre en considération l’éclairage de la résurrection ? Le Jésus historique est le Jésus mort  (« The historical Jesus is the dead Jesus »).

Puisque J. Moltmann se réfère à Christ comme critère, son interlocutrice lui pose une seconde question : « Vous prenez Christ comme critère, mais qu’est ce qui arrive quand ce critère est mal utilisé ? Certains comportements et images peuvent contrecarrer une juste représentation du Christ. Jürgen Moltmann répond en prenant l’exemple de la croix. Au début du christianisme, il y a la croix de Golgotha, mais il y a eu très vite une croix imaginée par l’Empire comme signe de puissance et de victoire à commencer par celle de l’empereur Constantin : « Tu vaincras par ce signe ! », une tradition dominatrice qui s’est perpétuée dans la chrétienté.

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Le dialogue œcuménique

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Quelle est la part des théologiens dans le dialogue œcuménique ? Jürgen Moltmann répond à cette question en évoquant une affirmation centrale : la parole de Jésus concernant ses disciples : « Qu’ils soient un comme nous sommes un » (Jean 17.22). Cette prière a été entendue par le Père. Alors, en Christ, nous sommes déjà un. Mais, si c’est le cas, nous sommes appelés à rendre cette réalité visible. Nous rendons cette réalité visible, non pas d’abord par le dialogue théologique, mais par la fraternité eucharistique. Les églises ne sont pas propriétaires de la pratique eucharistique. Prendre ensemble le repas eucharistique, c’est répondre à l’invitation du Christ. Alors, en premier le repas du Seigneur : manger et boire, et ensuite le dialogue théologique. Ce dialogue en sera facilité, car alors, nous reconnaissons que nous sommes déjà dans la famille de Jésus. Avec humour, Moltmann évoque sa différence sur ce point avec son ancien collègue à l’université de Tübingen, Joseph Ratzinger devenu ensuite le pape Benoit XVI.

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Les gens dans la misère. Quelle espérance ?

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Une théologienne pose à Moltmann cette question : Comment accorde-t-il dans sa réflexion sa théologie de l’espérance et sa vision de « Dieu crucifié » ? Si la passion du Christ s’inscrit dans sa nature d’un Dieu incarné, sa résurrection manifeste la puissance d’un Dieu transcendant. Des théologiens catholiques latino-américains ont évoqué les victimes des régimes despotiques en termes d’hommes et de femmes crucifiés porteurs de rédemption. Dans cette approche,  l’Eglise prolonge le Christ (« Christus prolongatus »), et, en extension, la souffrance des persécutés des personnes crucifiées est censée contribuer à la rédemption. Jürgen Moltmann n’est pas à l’aise avec cette extrapolation. Si vous vivez dans la misère et l’isolement, vous n’avez pas envie qu’on interprète votre souffrance en terme de participation à la rédemption. Vous avez envie de vous en sortir, vous avez envie d’être libéré. Autrement, vous continueriez à souffrir. Et, de même, en ce qui concerne « l’option préférentielle pour les pauvres », il y a danger d’idéaliser la pauvreté. N’interprétons pas la situation des pauvres à leur place…

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Le salut. Nous échapper dans un au delà ou nous tourner vers l’avenir.

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Moltmann est interrogé à propos de son approche eschatologique dans son livre : La venue de Dieu (« Coming of God »). Il y a un débat en cours sur la conception du salut. Notre espérance réside-t-elle dans une séparation de ce monde pour un autre, une éternité intemporelle ou bien sommes-nous invités à regarder vers l’avenir à l’intérieur même du processus de la nouvelle création. Dans la fixation sur l’éternité, il y a une aspiration gnostique. Dans l’espérance chrétienne et juive, on attend un ciel nouveau et une terre nouvelle. C’est bien là la demande exprimée dans la prière du « Notre Père », non pas que nous échappions à la terre, mais que « le règne de Dieu vienne sur la terre comme au ciel ». Ainsi, nous espérons le salut de la terre dans une nouvelle création. Je crois que Dieu le créateur ne laissera pas sa création dégringoler, mais récapitulera toute chose – et sa création- dans sa venue finale (« will recollect his creation in his final coming »). La résurrection des morts s’inscrit bien dans ce processus. Il nous faut développer à nouveau frais une théologie centrée sur la terre (« earth-centered »)

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Une théologie de la terre

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Si l’être humain a été crée par Dieu, la terre dans laquelle les hommes vivent, résulte elle aussi de la création de Dieu. Elle mérite d’être considérée et respectée. En réponse à une question, Moltmann esquisse une théologie de la terre à partir de quelques textes bibliques.

En Genèse 1, la terre est présentée comme étant elle-même créatrice et productrice. En Genèse 9, Dieu instaure une alliance avec l’humanité, les êtres vivants et la terre. Celle-ci est spécifiquement mentionnée au verset 13. Dans les règles ultérieures concernant l’agriculture, la terre est respectée et participe au repos sabbatique. Le Prophète Esaïe associe même la terre à la réalisation du salut. C’est dire combien la terre n’est pas subordonnée à l’homme. Moltmann note que la théologie orthodoxe reconnaît ce rapport entre Dieu et la terre, particulièrement dans son art de l’icône. Aujourd’hui, c’est à côté de la déclaration des droits de l’homme que les Nations Unies ont établi une charte de la nature. Comment combiner les deux ? Une théologie de la terre rejette l’instrumentalisation de celle-ci par les hommes. Nous ne devons pas vivre sur la terre en la dominant. Nous devons vivre en symbiose avec elle et bannir le terme d’environnement dans la mesure où il est conçu uniquement en fonction de l’homme («We live in the earth, not on the earth »). En espérance, nous regardons vers une nouvelle création où la justice habitera.

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L’être humain, une créature vulnérable

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Sensible à l’ouverture de Jürgen Moltmann à la dimension de la compassion, telle qu’elle apparaît dans son livre : « Le Dieu crucifié », une théologienne participant au panel évoque la recherche d’invulnérabilité répandue dans le monde occidental. Quelle place donner à l’affliction et au deuil ? Jürgen Moltmann répond positivement à cette question. Les gens faibles cherchent à être invulnérables. Seuls les gens forts acceptent d’être vulnérables. A travers le deuil, les gens expriment leur amour. La place accordée au deuil dans le monde occidental a été trop réduite. On devrait accorder davantage de temps au processus de deuil.

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La communauté des vivants et des morts

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Jürgen Moltmann raconte qu’en 1961, en visitant un ancien camp de concentration en Pologne, il a eu une forme de vision, percevant soudain les gens assassinés venant à lui et lui demandant : « Pourquoi ? ». Ces gens là n’étaient pas « morts ». Ils étaient présents, très présents. Moltmann évoque ensuite la relation avec les ancêtres en Asie, telle qu’elle se manifeste notamment dans le culte des ancêtres. Il y a une part de vérité dans tout cela. Les morts n’ont pas disparu. Ils sont très présents. Vous pouvez le sentir. Ils veillent sur nous (« They watch over us ») et, si nous sommes assez sensibles, nous veillons avec eux. Dans l’histoire de la Réforme, face à la thèse du sommeil des morts attendant la résurrection, c’est la conviction qui a été exprimée par Jean Calvin. Non, les morts ne dorment pas, ils veillent sur nous (« They are watching over us »). Les uns et les autres, nous vivons dans la perspective de la résurrection commune. Cette résurrection est un avenir pour le passé. Nous sommes dans le même mouvement. Nous sommes dans la même présence et nous regardons en avant dans l’attente du même futur. « We are in the same presence and we are looking forward for the same future »

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Dieu trinitaire. Un chemin de communion

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On demande à Jürgen Moltmann comment il en est venu à accorder une grande importance à une vision trinitaire de Dieu.

De fait, la parution de son livre : « The Trinity and the Kingdom of God » a été précédée par une attention croissante portée à l’Esprit Saint. Qui est l’Esprit Saint ? L’Esprit Saint, c’est la présence créatrice et unifiante de l’Esprit dans le monde. C’est le consolateur, mais aussi la source de vie. Dans la communion avec Christ, Il nous communique une énergie vitale.

En nous racontant son histoire de vie lors de sa conférence initiale, Jürgen Moltmann nous a raconté l’épreuve qu’il a vécu dans sa jeunesse. Dans un camp de prisonniers en Angleterre, il a trouvé dans la Bible une consolation. Jésus est devenu l’ami avec qui il pouvait partager son sort. C’est là aussi une présence guérissante : « A travers ses meurtrissures, nous sommes guéris » (Esaïe 53.5). Jésus nous introduit dans la proximité de Dieu, son Père aimé, « Abba ».

Dès lors, nous dit Jürgen Moltmann, nous pouvons entrer tout simplement dans la communion trinitaire. En union avec Jésus, nous sommes en relation priante avec son Père aimé, Abba. Dieu est présent. Et nous faisons l’expérience de la présence vivifiante de l’Esprit. Ainsi la Trinité, n’est pas un mystère, c’est une réalité toute simple. Nous ne croyons pas en Dieu, nous vivons en un Dieu trinitaire (« You do not believe in God. You live in the trinitarian God »). Nous vivons en relation avec Jésus, Abba, cher Père et  l’Esprit qui donne la vie. « You live between Jesus, Abba, dear Father and the live giving energies of the Spirit ». Depuis le commencement, la foi chrétienne a une forme trinitaire : Jésus, Abba, Esprit. « The christian faith has from the beginning on, a triadic form : Jesus, Abba, Spirit ».

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Une pensée pour la vie

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Cette vidéo et celles qui l’accompagnent nous permettent de mieux comprendre ce que peut être le cheminement d’une réflexion théologique. Et, si nous pouvons douter de la pertinence et de la justesse de certaines constructions théologiques, ici, nous entrons dans une approche qui répond à des questionnements souvent existentiels. En fonction de son histoire de vie, la théologie de Jürgen Moltmann ne se développe pas dans l’abstraction. Elle est « branchée » sur des questions que nous nous posons dans la vie, non seulement sur le plan personnel, mais aussi en rapport avec nos interrogations concernant le monde d’aujourd’hui (6). Que cette théologie pour la vie nous aide à vivre en harmonie et en mouvement !

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J H

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(1)            L’autobiographie de Jürgen Moltmann relatée dans son livre : « A broad place », nous introduit dans le développement de sa pensée et l’évolution de son œuvre : Moltmann (Jürgen). A broad place. an autobiography. SCM Press, 2007. Voir une mise en perspective de ce livre : « Une théologie pour notre temps » sur le site de Témoins : http://www.temoins.com/etudes/recherche-et-innovation/etudes/une-theologie-pour-notre-temps-lautobiographie-de-juergen-moltmann

Sur le blog : L’Esprit qui donne la vie : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=695.

(2)            Conférence de Jürgen Moltmann, professeur invité au Garrett Evangelical Theological Seminary en 2009 (vidéo) : http://www.garrettmedia.net/video500.php?vid_name=special/moltmann09/convocation

(3)            Sur le site de la faculté, présentation de l’ensemble des vidéos en rapport avec la venue de Jürgen Moltmann : http://www.garrett.edu/news/161-september-2009/282-video-of-jrgen-moltmann-at-garrett-evangelical

(4)            Présentation d’une interview de Jürgen Moltmann en vidéo : « L’avenir inachevé de Dieu. Pourquoi c’est important pour nous ». Sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=1884

(5)            Vidéo présentée dans cette contribution : A conversation with Jürgen Moltmann : http://www.garrettmedia.net/video500.php?vid_name=special/moltmann09/conversation

(6)            Un essai d’introduction à l’œuvre de Jürgen Moltmann : le blog : L’Esprit qui donne la vie : http://www.lespritquidonnelavie.com/ Plusieurs des thèmes abordés dans cet article sont abordés sur ce blog. On pourra y lire notamment une présentation d’un livre de Moltmann paru en 2010 et récapitulant les grandes orientations de sa pensée : « Sun of rightneousness, arise. God’s future for humanity and the earth » : « Lève-toi, Soleil de justice ! L’avenir de Dieu pour l’humanité et la terre » : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=798

Jürgen Moltmann a publié de nombreux livres qui sont des livres de fond, pour une part, traduits en français au Cerf. Un livre récemment traduit en France nous introduit dans les grandes orientations de sa pensée : Jürgen Moltmann. De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance. Empreinte temps présent, 2012  Présentation sur ce blog : « Une dynamique de vie et d’espérance » : https://vivreetesperer.com/?p=572

Sur ce blog, des articles correspondant à certains thèmes de cette conversation, notamment : « Vivre en harmonie avec la nature » : https://vivreetesperer.com/?p=757

Et : « Une vie qui ne disparaît pas » : https://vivreetesperer.com/?p=336  « Sur la terre comme au ciel » : https://vivreetesperer.com/?p=338

Incroyable, mais vrai ! Comment « Les Incroyables Comestibles » se sont développés en France

Interview de François Rouillay

En 2008, dans la ville anglaise de Todmorden, des gens ont commencé à planter et à cultiver des fruits et des légumes pour les mettre à la disposition de tous (1). Ce mouvement : « Incredible Edible » prend une grande ampleur et suscite un nouveau genre de vie. En 2011, François Rouillay découvre cette innovation et suscite, dans sa commune, Colroy-la-Roche en Alsace, une démarche analogue, un mouvement du cœur. Des gens se mettent à planter des fruits et légumes pour les partager avec tout le monde. A toute allure, ce mouvement : « les Incroyables Comestibles » se diffuse et se répand dans toute la France.

Au cœur de ce processus, François Rouillay témoigne de cette aventure et de l’esprit dans laquelle elle se développe. « Chacun est appelé à faire sa part ». « Soyez le changement que vous voulez voir dans ce monde ». C’est un « nouvel art de vivre, de produire et de consommer localement, de s’entraider, d’être dans un mouvement joyeux et solidaire, intergénérationnel ». L’expérience de Todmorden est relatée dans un livre récent (2). L’innovation se déploie sur un site internet : « Les Incroyables Comestibles. Bienvenue sur le site de l’abondance partagée » (3). Passer du chacun chez soi, du chacun pour soi, à un mouvement de partage où une créativité collective s’exprime en plantant et en cultivant des fruits et légumes pour les mettre à la disposition de tous, est-ce un rêve généreux, mais irréalisable ? L’expérience prouve que c’est une vision qui se réalise lorsque des gens prennent l’initiative, deviennent acteurs révélant ainsi des aspirations collectives qui se mettent en marche. « C’est un mouvement où des citoyens changent de regard, se prennent en main et se décident à créer ce nouveau monde, ce meilleur et à en faire l’expérience ». Ecoutons, à travers cette vidéo (4), le témoignage concret et émouvant de François Rouillay, cofondateur des « Incroyables comestibles ». Quelques notes extraites de cette interview nous aideront à poursuivre notre réflexion. Incroyable, mais vrai !

 

Comment l’aventure a commencé

 François Rouillay se présente comme « un père de famille » avec une passion particulière pour le jardinage et une autre passion : le partage, les démarches collectives qui rendent possible notre art de vivre sur les territoires, dans les communes, dans les villages, par l’échange, le dialogue, le partage. C’est ici à Colroy-la-Roche que nous avons commencé l’aventure, l’heureuse aventure des « Incroyables comestibles » au mois d’avril 2012… Dans cette maison, les enfants ont construit le premier bac de fruits et légumes à partager, un bac qui se trouve devant la maison. Et ce bac a suscité la création d’un autre bac par un voisin. Et puis un autre voisin a fait la même chose. Et puis le village d’à coté s’est engagé lui aussi… Maintenant on se développe dans toute la France et à l’étranger. Les « Incroyables Comestibles », c’est une démarche des gens, un mouvement du cœur et du partage dans des communes où on va planter des fruits et légumes, les cultiver et les offrir en partage à tout le monde. Et quand on devient collectif, on peut transformer les espaces urbains en jardins d’abondance puisqu’on en plante le plus possible partout.

C’est une démarche qui nous est venue d’Angleterre puisque tout a commencé en 2008 à Tormorden, près de Manchester, dans le nord de l’Angleterre, une petite ville dans une période difficile de désindustrialisation. Au mois de décembre 2011, je faisais de la veille sur la sécurité alimentaire, les populations et j’essayais de trouver des solutions au niveau collectif et j’ai découvert un article anglais sur cette nouvelle méthode. J’ai fait des recherches. Et j’ai découvert qu’on n’en parlait absolument pas dans la presse française. Cela faisait trois ans que cela existait et pas un mot dans la presse française. J’ai été stupéfait de voir qu’une méthode qui fonctionne, qui fonctionne tellement bien que Todmorden s’est développé dans 35 communes en Angleterre avec le soutien du prince Charles et que les gens sont ravis, restait inconnue chez nous. Rien en France. Et donc on s’est réuni en famille avec quelques amis. Et on s’est dit : c’est génial. Il faut le faire. Donc, on s’est lancé dans l’aventure. C’est comme cela qu’on a expérimenté ce mouvement qui est un mouvement collectif, citoyen, un mouvement qui vient des gens. Et on a commencé à le faire devant cette maison. Comme disait Gandhi, soyez le changement que vous voulez voir dans le monde,  on a commencé par nous même.

 

Colroy-la-Roche : les étapes d’un processus

 Le principe pour réaliser cette démarche citoyenne est très simple. On l’a expérimenté à Colroy-la-Roche. Même une seule personne peut démarrer. C’est étonnant ! Parfois, il y a des groupes qui démarrent à 30 ou 40, mais il y a des communes où cela a démarré avec une seule personne.

Quand on a démarré à Colroy la Roche, mon épouse a accepté de lancer l’appel de Colroy. L’étape 1, c’est de se prendre en photo durant la pancarte de la commune. On se prend en photo devant le panneau avec le visuel : Nourriture à partager : Incroyables Comestibles France. Et puis on prend aussi des râteaux, des binettes, des outils de jardinage, des arrosoirs. Et on prend aussi quelques fruits et légumes. Cette étape est très importante parce que c’est le point de départ d’un processus où les citoyens vont changer de regard. Ils vont acter l’intention délibérée d’engager un processus collectif sur le territoire, et cela dans le respect de la loi, dans une démarche de pacification. C’est autorisé à tout le monde de se prendre en photo devant une pancarte. C’est une démarche bienveillante.

On passe ensuite à l’étape 2. On va partager la photo sur les réseaux sociaux, sur un blog, sur un site internet et lancer l’appel aux autres à participer. Donc l’étape 2, c’est de la communication. Aujourd’hui, on la relaie en faisant passer l’information sur le site des « Incroyables Comestibles. France » et à nos amis anglais de Todmorden. Il y a une carte mondiale et, sur cette carte, on place une petite balise de la commune où des citoyens se lancent. On passe du local au global. Les gens se relient entre eux. Si en plus, on associe la presse quotidienne régionale, la radio, les gens autour de vous peuvent découvrir qu’il y a une démarche collégiale et ils proposent de vous rejoindre. C’est ce qui se passe régulièrement.

Ensuite, l’étape 3. Soyons le changement que nous voulons voir dans le monde. On commence par soi-même. Chacun est invité à faire sa part. On met un bac devant la boite à lettres sur l’espace privé ouvert au public. Certaines personnes n’ont pas d’espace devant. Elles placent une jardinière sur le balcon. Dans un logement collectif, il n’y avait devant que 50 cm de terre avec des buissons. Des mamans et des enfants ont planté des framboisiers, avec : « nourriture à partager » et une petite information. Alors des voisins ont demandé : « Qu’est ce qui se passe ? ». « Oui, c’est sympa ! » Les gens se mettent à parler… Voilà l’étape numéro 3. Chacun fait sa part.

On arrive à l’étape 4. On passe à la dimension collective. On va organiser une réunion publique dans la salle des fêtes. On va sur des marchés. On va créer l’événement en allant à la rencontre des autres pour faire monter le mouvement collectif, ce mouvement citoyen. Et quand on arrive à susciter une certaine dynamique dans la commune, généralement les élus en ont entendu parler et souvent les conseils municipaux viennent à la rencontre.

Et dans l’étape 5, on tente de rallier le conseil municipal de manière à ouvrir l’espace public pour transformer la ville en parcours potager libre et gratuit.

Aujourd’hui, neuf mois auprès le début de l’action, les « Incroyables Comestibles » fleurissent partout en France. On enregistre plus d’une action par jour en France et dans le monde. C’est tellement sympathique, c’est tellement efficace, un véritable retour au bon sens de produire et de consommer localement, que parfois, le même jour, tout se met en place jusqu’au maire et au conseil municipal qui viennent en soutien et qui proposent de coopérer ».

François Rouillay nous fait part ensuite de belles expériences dans son département, mais aussi dans d’autres régions de France. Il nous raconte des initiatives en arboriculture pour remettre en circuit des anciennes espèces et créer des vergers citoyens. Il nous rapporte une dynamique à laquelle des enfants participent activement : « Ces enfants ouvrent une voie pour ce nouvel art de vivre, de produire et consommer facilement, de s’entraider, d’être dans un mouvement joyeux et solidaire, intergénérationnel ».

 


 

Changer de système. De la pénurie à l’abondance

 

Dans un contexte de déclin industriel, les anglais à Todmorden ont intitulé le mouvement : « Incredible Edible Unlimited ». Il y a là une ambition : un horizon illimité. « Le cités industrielles en déclin renaissent de leurs cendres et se disent illimitées. La créativité est illimitée. On peut passer d’un système de pénurie à un système d’abondance. Tout cela par un simple changement de regard. Les anglais nous expliquent qu’ils ont quitté la croyance erronée qu’ils étaient victimes de génération en génération, et, du jour au lendemain,  en abandonnant le système de peur de l’autre, de peur du lendemain qui conduit à la loi du plus fort, de la compétition qui, on le voit bien, génère de l’exclusion, on quitte l’ancien système qui ne fonctionne plus et qui est en bout de course pour entrer dans un nouveau système qui est inclusif, accessible à chacun. Les handicapés, les enfants, les personnes âgées peuvent participer de manière simple à créer de l’abondance… C’est facile à comprendre : vous prenez une semence de comestible, vous la plantez dans le sol, la terre vous en rend cent fois plus. Vous en plantez mille, elle en rend cent mille. Et si vous êtes 15 000 à le faire le même jour, qu’est ce qui se passe ? Et bien, c’est ce qui s’est passé à Todmorden. Et aujourd’hui, c’est ce que nous mettons en place dans nos villes : 1 000 pommiers en une journée. Nous invitons les habitants à créer l’abondance sur les territoires. On a une démarche citoyenne qui est très simple : Nourriture à partager… Servez-vous librement ! C’est gratuit ! »

 

Changer de regard

        

Un petit logo représente un haricot qui germe. « C’est une invitation à une prise de conscience. De génération en génération, on nous a transmis cette croyance erronée qui est la peur du manque. Moi-même, j’ai perçu cela. Et donc, j’ai un tas d’exemples. Aujourd’hui, on s’aperçoit que c’est complètement faux. La terre est généreuse. On plante une graine. La terre nous en rend cent fois plus. Quand vous avez changé de regard et que vous avez commencé à faire l’expérience, vous voyez le monde totalement différent ».

Il y a une grande crise économique et financière en Europe. Il y a des collectivités entières avec des taux de chômage très élevés. Des populations ne profitent pas des bienfaits de la terre. « Si vous changez le regard, et que vous faites le lien entre ces populations et la terre, on peut passer de la pénurie à l’abondance. C’est ce que Todmorden a fait puisqu’en 4 ans. Todmorden est arrivé à 83% d’autosuffisance alimentaire. Maintenant, on peut le faire en 10 mois parce que Todmorden partage son expérience gratuitement avec tout le monde.

Le meilleur est à venir. Pourquoi ? Parce que nous avons décidé de le créer et de le vivre ensemble. En nous connectant et en nous reliant les uns aux autres avec la terre, nous en faisons l’expérience ici et maintenant.

 

Les enfants sont nos guides

 

La raison pour laquelle ce mouvement se développe partout et sans frontières, c’est que c’est simple à réaliser et que la terre est généreuse, si simple que même les enfants peuvent le faire.

Et les enfants aiment le faire. On dit que les enfants sont nos guides. Pourquoi les enfants sont nos guides ? Parce que quand vous confiez à des enfants la responsabilité de planter des semences pour faire un jardin à partager, les enfants vont jusqu’au bout.

D’abord, ils s’émerveillent de manière naturelle. Ils s’émerveillent de voir que cela pousse. Ils trouvent cela merveilleux. Ils vont arroser toutes les semaines.

Ce qui est extraordinaire, c’est que pour l’enfant lorsqu’on lui dit, c’est pour partager, il le croit immédiatement. Pour l’enfant, le partage, c’est quelque chose de naturel. L’abondance dans la nature est un phénomène naturel. C’est un changement de regard.

 

Fêter l’abondance. Partager un repas

 

Nos amis anglais nous disent : « Célébrate ! ». Faites la fête de l’abondance. Et, pour cela, il n’y a rien de mieux que de partager des fruits et des légumes, en mangeant ensemble. L’assiette, le repas, c’est ce qui nous unit ». François Rouillay évoque l’expérience des « soupes du partage ». On apporte ce qu’on a. « Ceux qui savent cuisiner vont apprendre aux autres à faire de délicieux potages ».

 

Une économie de proximité

 

Qu’est ce que vont penser les maraîchers locaux ? Vont-ils craindre une concurrence ? « Et bien non, c’est tout le contraire. Actuellement, nous sommes soutenus par les maraîchers locaux parce ce que c’est par le changement de regard qu’on va réactiver les circuits courts ». A Todmorden, l’économie est repartie. On recrée des emplois. Le changement repose sur trois plaques tournantes : la communauté (la participation citoyenne), l’éducation et la pédagogie avec en  priorité les enfants, l’économie locale. Si on relie ces trois pôles, « vous avez un cercle vertueux, un système complètement évolutif et accessible à chacun ».

 

Un horizon nouveau

 

«  La terre peut nourrir tous ses enfants sans problème. On se redonne un avenir. On se recrée un monde du possible, un monde de gentillesse, de bienveillance. Non nous ne sommes pas emprisonnés dans la pénurie. Nous sommes créateurs de ce monde où on peut vivre dans une forme d’abondance partagée.

Pierre Rabhi nous parle de « sobriété heureuse ». Il parle des 3 H : humus, humilité, humanité. C’est cela notre leitmotiv : guérir la terre, recréer l’humus et, en humilité, nourrir l’humanité ».

 

La montée d’une conscience nouvelle

 

Dans notre société en mutation où les menaces abondent, il est bon de mettre en évidence des courants et des mouvements à travers lesquels la collaboration et la solidarité se manifestent (5). Ce sont là des signes qui nous encouragent et nous éclairent. Le mouvement : « Incroyables Comestibles » fait partie de ces changements qui débouchent sur un nouveau genre de vie et qui témoignent d’une transformation en profondeur des mentalités. François Rouillay met en évidence la portée de ce changement. C’est à la fois une nouvelle forme d’économie fondée sur le partage et un nouveau genre de vie. Mais c’est aussi une conception nouvelle du monde. Ici, ce n’est plus la force et l’exclusion qui dominent, c’est la collaboration et l’inclusion (6). Ici l’homme ne se prétend plus maître et seigneur de la nature (7), mais il la respecte et considère avec reconnaissance les bienfaits d’une « terre généreuse » et le potentiel d’abondance qui lui est ainsi offert.

 

Nous voyons également dans ce mouvement une signification spirituelle qui transparaît dans cette interview à de nombreuses reprises. « Comme disait Gandhi, soyez le changement que vous voulez voir dans ce monde ». Cette réalité spirituelle est particulièrement sensible chez les enfants qui y sont prédisposés (8). François Rouillay nous montre comment les enfants participent avec enthousiasme à ce mouvement : « Ils s’émerveillent de manière naturelle… Pour eux, le partage, c’est quelque chose de naturel. L’abondance dans la nature est un phénomène naturel. C’est cela le changement de regard ».

Toutes ces observations évoquent pour nous le message des évangiles. Jésus ne donne-t-il pas les enfants en exemple ? Ne nous montre-il pas un Dieu qui exprime sa bonté dans la profusion de la nature ? Ne nous invite-t-il pas à une convivialité fraternelle dans des repas partagés ? Certes ce message a souvent été perdu de vue dans un héritage religieux en osmose avec une société menacée par la mort et marquée par la domination, la répression et l’exclusion. François Rouillay évoque le souvenir du manque présent encore aujourd’hui, mais en remontant dans le passé, on y rencontre des famines. Ainsi, si nous vivons aujourd’hui dans une période difficile, il y a néanmoins une évolution des esprits qui permet l’éclosion d’un nouveau genre de vie. Les mentalités évoluent. Ainsi reconnaît-on davantage aujourd’hui les dispositions positives et un chercheur comme Jérémie Rifkin a pu écrire un livre sur la reconnaissance et le développement de l’empathie (9). Si le christianisme occidental a été pollué pendant des siècles par l’idéologie mortifère du péché originel, une transformation intervient là aussi. A cet égard, le livre de Lytta Basset : « Osons la bienveillance » est particulièrement éclairant (10). En prenant en exemple certains épisodes de la vie de Jésus, elle nous montre comment la bienveillance peut s’exercer et se répandre aujourd’hui. Et cette vertu est bien présente dans le mouvement des « Incroyables comestibles ». Dans le contexte de notre réflexion personnelle, nous percevons  dans la dynamique de ce mouvement une inspiration de l’Esprit telle qu’elle nous est décrite par Jürgen Moltmann, théologien de l’Espérance (11). « Etre vivant signifie exister en relation avec les autres. Vivre, c’est la communication dans la communion… L’« essence » de la création dans l’Esprit, c’est la « collaboration » et les structures manifestent la présence de l’Esprit, dans la mesure où elles font reconnaître l’« accord général » ». La création et le développement des «Incroyables comestibles » nous apparaît comme un phénomène émergent. Moltmann apporte un éclairage sur la signification de l’émergence en y voyant un processus d’« auto-organisation » de la vie, un « saut qualitatif ». Il y perçoit «  une présence de l’Esprit divin qui pousse vers la transcendance et qui, dans l’apparition de nouveaux ensembles, anticipe la réalité future dans le Royaume de Dieu ».

Les « Incroyables Comestibles » nous apparaissent comme une remarquable « innovation sociale qui revêt une vraie portée socio-politique et socio-culturelle. Bien sûr, dans la crise de grande ampleur à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui, cette approche ne résout pas tous les problèmes. Elle apporte sa part, mais c’est une contribution substantielle. Elle participe à l’apparition d’une nouvelle économie et d’un nouveau genre de vie.  Telle qu’elle nous est décrite, elle apparaît comme « une Révolution tranquille » qui concerne à la fois l’économie, le social et la culture. Mise en évidence vécue et concrète d’une étonnante dynamique,  sens visionnaire, expression chaleureuse, bon sens et sagesse se conjuguent pour faire de cette interview de François Rouillay une ressource particulièrement précieuse,  une source d’enthousiasme dans un temps où nous devons faire face à beaucoup de morosité.

J H

 

(1)            La dynamique intervenue à Todmorden est relatée dans une vidéo sous-titrée en français accessible sur le site des « Incroyables Comestibles » http://lesincroyablescomestibles.fr

(2)            Les Incroyables Comestibles. Plantez des légumes. Faites éclore une révolution. L’incroyable histoire de Todmorden. Préface de François Rouillay. Postface de Gilles Daveau. Actes Sud/Colibris, 2015. Ce livre, traduit de l’anglais, relate l’histoire de Todmorden, mais, à travers la contribution de François Rouillay, il rend compte brièvement de l’histoire du mouvement en France et nous donne un état de la situation actuelle comme sa présence active dans quelques villes comme Albi, Bayonne, Besançon et La Rochelle.

(3)            Site des « Incroyables Comestibles » : http://lesincroyablescomestibles.fr

(4)            Interview de François Rouillay en vidéo (Le Chou Brave) : https://www.youtube.com/watch?v=ZfFbD9pBREA

(5)            Des courants et des mouvements novateurs porteurs de collaboration et de solidarité. Sur ce blog : « Une révolution de « l’être ensemble ». « Vive la co-révolution. Pour une société collaborative » (Anne-Sophie Novel et Stéphane Riot) : https://vivreetesperer.com/?p=1394  « Pour une société collaborative » (Pippa Soundy) : https://vivreetesperer.com/?p=1534  Anne-Sophie Novel, militante écologiste et pionnière de l’économie collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1975       « OuiShare, communauté pionnière dans le champ de l’économie collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1866 « Une jeunesse engagée pour une société plus humaine et plus durable » (Myriam Bertrand) : https://vivreetesperer.com/?p=1780 « Thomas d’Ansembourg : un citoyen pacifié devient un citoyen pacifiant » : https://vivreetesperer.com/?p=2156   « Discerner les voies pour une société plus humaine (« Les voies d’espérance ») » : https://vivreetesperer.com/?p=1992 « Appel à la fraternité » : https://vivreetesperer.com/?p=2086

(6)            « Dedans… Dehors ! Face à l’exclusion, vivre une commune humanité » : https://vivreetesperer.com/?p=439 « Dedans… Dehors ! Un chemin de liberté (Philippe Molla) : https://vivreetesperer.com/?p=444

(7)            « Vivre en harmonie. Ecologie, théologie et spiritualité (Jürgen Moltmann) » : https://vivreetesperer.com/?p=757

(8)            Sur le site de Témoins : « L’enfant est un être spirituel : une prise de conscience révolutionnaire  (Rebecca Nye) » : http://www.temoins.com/index.php?option=com_content&view=article&id=1106:l’enfant-est-un-être-spirituel&catid=14:developpement-personnel&Itemid=84        Sur ce blog : « L’enfant : un être spirituel » : https://vivreetesperer.com/?p=340

(9)            Sur le site de Témoins : « Vers une civilisation de l’empathie. A propos du livre de Jérémie Rifkin. Apports, questionnements et enjeux » : http://www.temoins.com/etudes/recherche-et-innovation/etudes/vers-une-civilisation-de-lempathie-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkinapports-questionnements-et-enjeux

(10)      Sur ce blog : « Bienveillance humaine. Bienveillance divine. Une harmonie qui se répand. (Lytta Basset : Osons la bienveillance » : https://vivreetesperer.com/?p=1842

(11)       La pensée de Jürgen Moltmann est présenté sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : http://www.lespritquidonnelavie.com   Les citations présentes dans cet article sont extraites du livre : « Dieu dans la création » (Cerf, 1988) : p 15 et 25. Et de « Ethics of hope » (Fortress Press, 2012) p 126.