Dans bien des circonstances de notre vie, face aux menaces qui surgissent et font irruption dans notre existence, nous ressentons désarroi, peur, angoisse. C’est le moment de nous rappeler que nous ne sommes pas seul. Le croyant peut se confier à Celui qui est présence d’amour et puissance de vie.
A travers les médias, nous sommes confrontés aux souffrances et aux inquiétudes répandues dans le monde. Là aussi, nous avons besoin d’une inspiration qui puisse nous éclairer. Et combien cette inspiration est-elle nécessaire pour les dirigeants engagés dans la conduite des affaires du monde ! C’est là que le témoignage de Barack Obama comme président des Etats-Unis, est particulièrement précieux. Confronté à des situations parfois redoutables, il s’est récemment exprimé sur sa pratique de la prière, dans le cadre du « National Prayer Breakfast » (1). Il a ouvert son intervention en citant un verset biblique (2 Timothée 7), puis en le commentant à partir de son expérience personnelle : « Car Dieu ne nous a pas donné un esprit de peur, mais un esprit de puissance, d’amour et de sagesse » (« For God has not given us a spirit of fear, but of power and of love and of a sound mind ».
« La peur peut nous entrainer à tomber dans le désespoir, la paralysie ou le cynisme »
« Nous vivons à une époque extraordinaire », nous dit Barack Obama. C’est une période où « le changement est extraordinaire » et il en mesure les avantages, mais aussi les menaces et les dangers. « Il y a un écart qui donne le vertige entre les gens dans le besoin et ceux dans l’abondance. Nous pouvons craindre la possibilité non seulement que le progrès soit en perte de vitesse, mais que, peut-être, nous ayons davantage à perdre. Et la peur produit des choses étranges. La peur peut nous pousser à nous en prendre à ceux qui sont différents… Elle peut nous entrainer à tomber dans le désespoir, la paralysie ou le cynisme. La peur peut nourrir nos penchants les plus égoïstes et éroder les solidarités communautaires ». Et « la peur est une émotion primitive dont chacun de nous fait l’expérience. Elle peut être contagieuse, en se répandant à travers les sociétés et les nations. Et si nous nous laissons entrainer, les conséquences de cette peur peuvent être pires que toute menace extérieure ». Voici un diagnostic qui fait écho aux menaces que nous percevons aujourd’hui dans certaines attitudes politiques. Et cela vaut aussi pour les extrémismes religieux.
« Pour moi, la foi est un grand remède à la peur »
Sur ce blog, à travers la présentation d’un dialogue ente Barack Obama et le Pape François, nous avons pu dégager de grandes orientations communes qui s’inspirent des valeurs de l’Evangile (2). Aujourd’hui, Barack Obama nous fait part de la force intérieure qu’il trouve dans la prière et qui lui permet d’assumer des responsabilités considérables. C’est un homme authentique qui ose parler, non seulement de ses convictions, mais de ses émotions personnelles.
« Pour moi, la foi est le grand remède à la peur. Jésus est un bon remède à la peur. Dieu donne aux croyants la puissance, l’amour et la sagesse requises pour vaincre la peur… N’est-ce pas dans cette époque changeante et tumultueuse que nous avons besoin de sentir Jésus se tenir à coté de nous, affermissant nos esprits, purifiant nos cœurs et nous montrant ce qui importe vraiment… Son amour nous donne le pouvoir de résister à la tentation de la peur. Il nous donne le courage pour rejoindre les autres par delà ce qui divise plutôt que de les rejeter. Il nous donne le courage d’aller à l’encontre des conventions pour défendre ce qui est juste, même quand ce n’est pas populaire, le courage de résister non seulement à nos ennemis, mais parfois à nos amis. Il nous donne la force de nous sacrifier pour une cause qui nous dépasse… ou pour prendre des décisions ardues en sachant que nous pouvons seulement faire de notre mieux. Moins de moi, plus de Dieu. Et ensuite, d’avoir le courage d’admettre nos échecs et nos péchés tout en nous engageant à apprendre de nos fautes et en essayant de faire mieux… Certainement, durant le temps de cet immense privilège pour moi de servir comme président des Etats-Unis, c’est ce que la foi m’a apporté. Elle m’aide à faire face aux craintes quotidiennes que nous partageons tous ». Et le président de mentionner avec humour les inquiétudes liées au départ des grands enfants du foyer familial.
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(discours d’Obama à partir d’1h48)
« La foi m’aide à traiter des affaires qui sont propres à ma fonction »
« Chaque jour, nous craignons de ne plus avoir une vue claire du dessein de Dieu. Nous cherchons à voir comment nous nous inscrivons dans son projet. Et puis la foi m’aide à traiter des affaires qui sont propres à ma fonction. Comme Nelson Mandela l’a une fois déclaré : « J’ai appris que le courage n’était pas l’absence de la peur, mais la victoire par rapport à celle-ci. L’homme brave n’est pas celui qui n’éprouve pas la peur, mais celui qui la surmonte ». Et certainement, il y a des moments où je dois me répéter cela dans l’exercice de mes fonctions ».
Barack Obama évoque quelques défis qu’il a du affronter. « Comme chaque président, comme chaque dirigeant, comme chaque personne, j’ai connu la peur. Mais ma foi me dit que je n’ai pas à craindre la mort, que l’acceptation du Christ me promet la vie éternelle et le pardon des péchés. Si l’Ecriture m’enseigne à « porter la pleine armure de Dieu » pour que je sois capable de résister lorsque vient la tourmente, alors certainement je peux faire face à des aléas temporaires, certainement je puis combattre les doutes, je puis me mettre en action ».
« Ce que j’ai vu chez tant d’entre vous, ce Dieu que je vois en vous, cela me rend confiant dans l’avenir »
Mais la foi de Barack Obama n’est pas une foi solitaire. Elle s’inscrit dans une communion. « Et si ma foi vacille, si je perd mon chemin, je puise ma force, non seulement chez ma remarquable épouse, non seulement chez des amis et des collègues exceptionnels, mais aussi de tous ceux dont je suis témoin et qui, à travers ce pays et à travers le monde, de bonnes gens de toutes confessions, réalisent chaque jour le travail du Seigneur en s’appuyant sur sa puissance, son amour et sa sagesse pour nourrir ceux qui ont faim, guérir les malades, enseigner nos enfants et accueillir l’étranger ». Barack Obama évoque des exemples d’action humanitaire entreprises par des croyants à travers le monde, cette « marche d’espérance vivante » (« This march of living hope », ainsi dénommées par le Pape François.
Et puis, « il y a encore davantage : l’effort moins spectaculaire, plus tranquille des communautés croyantes simplement pour aider les gens. Voir Dieu dans les autres. Et nous sommes poussés à faire cela parce que nous croyons à ce que tant de nos confessions de foi nous enseignent : Je suis le gardien de mon frère, je suis le gardien de ma sœur. Comme chrétiens, nous sommes poussés par l’Evangile de Jésus : le commandement d’aimer Dieu et de nous aimer les uns les autres ». Ainsi, « oui, comme chacun d’entre nous, il y a des moments où j’ai peur. Mais, ma foi, et encore plus ce que j’ai vu chez tant d’entre vous, ce Dieu que je vois en vous, cela me rend confiant dans l’avenir. J’ai vu tant de gens qui savent que Dieu ne nous a pas donné un esprit de peur. Il nous a donné puissance, amour et sagesse ».
Deux histoires qui nous parlent de foi, d’amour et de courage
Barack Obama achève son exhortation en racontant deux histoires qui nous parlent de foi, d’amour et de courage.
Il évoque ainsi un sergent fait prisonnier par l’armée allemande, avec d’autres soldats américains, pendant la dernière guerre mondiale. Les allemands voulaient identifier les soldats juifs. Au lieu de désigner ses camarades juifs, le sergent réunit tous les soldats et, malgré la menace de mort d’un officier nazi, il répéta : « Nous sommes tous juifs ». « Ainsi, à travers cette lumière morale, à travers un acte de foi, le sergent Edmonds a sauvé tous ses frères d’arme juifs ».
La seconde histoire est celle d’un musulman américain rencontré par Barack Obama lors de sa récente visite à la mosquée de Baltimore. Rami Nashashibi est travailleur social à Chicago où il collabore avec différentes communautés et églises. Il a raconté à Obama comment, se promenant dans un parc avec ses enfants, après la tuerie de San Bernardino commise par des terroristes islamistes, il avait hésité à prier publiquement selon le rite musulman des cinq prières quotidiennes. Sa fille lui avait demandé pourquoi il ne priait pas comme il le faisait habituellement. Alors, il s’était souvenu des nombreuses fois où il avait raconté à ses enfants la marche pour les droits humains et la justice, effectuée dans ce parc, par Martin Luther King et le rabbin Robert Marx. « Et alors, à ce moment, puisant du courage dans le souvenir de l’action de ces hommes de différentes religions, Rami a refuser d’enseigner la peur à ses enfants ». Il a déployé son tapis de prière et il a prié.
« Ces deux histoires », rapporte Barack Obama, « me donnent du courage et de l’espoir. Et elles m’édifient dans ma propre foi chrétienne ».
Ainsi, la prière de Barack Obama se déploie en communion avec tous ceux qui recherchent la paix, la justice, la bonté. C’est un état d’esprit qui fait écho à la parole d’une épitre : « Portez votre attention sur ce qui est bon et digne de louange, sur tout ce qui est vrai, respectable, juste, pur, agréable et honorable » (Philippiens 4.8). C’est une prière qui fortifie et qui porte une dynamique de vie. « Je prie pour que nos dirigeants agissent toujours avec humilité et générosité. Je prie pour que mes défaillances soient pardonnées. Je prie pour que nous remplissions notre devoir d’être de bons serviteurs de la création de Dieu, cette belle planète. Je prie pour que nous voyons chaque enfant comme si c’était le nôtre, chacun digne d’amour et de compassion. Et je prie pour que nous répondions à l’appel de l’Ecriture à aider les gens vulnérables à se relever, à tenir bon en faveur de la justice et à agir pour que chaque être humain vive dans la dignité ».
Bien connue, n’est-ce pas la parole de Jésus, rapportée dans l’évangile de Matthieu (7.1-5) : « Pourquoi regardes-tu la paille dans l’oeil de ton frère et ne remarques-tu pas la poutre qui est dans le tien ? » C’est un appel à ne pas juger, à ne pas condamner l’autre. Mais dans quel esprit allons-nous entendre cette parole ? Avec quelle grille de lecture ? Dans un milieu porté lui-même à juger, à condamner, cette parole pourra engendre un transfert : passer de la condamnation de l’autre à sa propre condamnation. Et, comment enlever soi-même la poutre de son œil ?
En écoutant le commentaire de Luc Olivier Bosset (1), la situation s’éclaire. Parce que cette parole est entendue dans un esprit d’amour et de bienveillance, elle nous ôte toute culpabilisation et nous engage dans une relation constructive. Ainsi, nous dit-il, ôter la poutre qui est dans notre œil, c’est sortir de ce qui nous pèse, de notre propre malaise : « Prend le temps de sortir de ton malaise, de ton agacement, alors tu seras dans de bonnes dispositions d’esprit pour aider l’autre à sortir de sa paille ». Et puis pour comprendre l’autre, n’a-t-on pas besoin d’être soi-même empli de bienveillance, une bienveillance encouragée et nourrie par la bienveillance qui nous est portée et que l’on reçoit. « Lorsqu’on se sent aimé, nous sommes prêt à accueillir différemment les aspérités, les défauts du caractère de l’autre ».
Dans l’amour de Dieu, « remplis ton réservoir ! », nous dit Luc Olivier Bosset…
« La guerre des civilisations n’aura pas lieu » de Raphaël Liogier
Dans son nouveau livre : « La guerre des civilisations n’aura pas lieu. Coexistence et violence au XXIè siècle » (1), Raphaël Liogier, sociologue et philosophe, poursuit son exploration du nouveau monde en voie d’émergence, recherche qui a déjà donné lieu à d’autres ouvrages de sa part, comme : « Souci de soi, conscience du monde. Vers une religion globale ? » (2). Dans cet essai, l’auteur traite des conflits internationaux actuellement au devant de la scène. A travers la mise en évidence de tendances de fond, il nous permet de les situer et aussi d’en comprendre les limites. Notre monde est en mutation. Des transformations profondes sont en cours. Et bien sur, la crise actuelle appelle des changements majeurs dans la gouvernance mondiale.
Si certains, inquiets des méfaits du terrorisme djihadiste, sont tentés de valider la thèse d’un conflit inéluctable entre les civilisations, Raphaël Liogier nous met en garde contre ce piège. Tout d’abord, il met en évidence l’unification croissante du monde qui va à l’encontre d’un éclatement de celui-ci. Aujourd’hui, il y a de plus en plus de ressemblances dans les modes de vie. « Dans le monde global, aucune société ne peut plus se représenter comme le centre du monde. La figure de l’autre ne se profile plus au delà des frontières qui, désormais, ne sont plus étanches. L’Autre circule partout, se mêle à nous : immigré ou touriste. Il n’est plus dès lors totalement autre. Dans cette situation nouvelle, se configure un système global régi par de nouvelles logiques au delà des apparences du chaos : un système auquel participent intensément des forces religieuses, pourtant réputées discordantes » (p 7).
Rapport entre les civilisations
Certes, la violence qui s’exerce aujourd’hui au Moyen Orient, le terrorisme djihadiste, suscite une crainte qui se nourrit également d’incompréhension. En regard, Raphaël Liogier développe une analyse des ressorts de cette situation qui nous paraît particulièrement éclairante. Remontant à l’épisode de la crise dite du canal de Suez, il nous montre à la fois les frustrations engendrées par une longue période de domination européenne dans les pays arabo-musulmans et les craintes suscitées encore aujourd’hui dans les nations européennes par la perte de leur positionnement privilégié. Il en résulte une crise d’identité qui peut se traduire dans une fixation sur une éventuelle menace de l’Islam.
L’insécurité est un terrain favorable pour la réception des idées de Samuel Huntington sur le choc des civilisations. Raphaël Liogier retrace l’histoire des idées qui, depuis le XIXè siècle, appuient cette option conflictuelle. C’est « le courant du « différencialisme », qui postule l’existence de différences infranchissables entre certains groupes humains » (p 8). La thèse de Samuel Huntington aboutit effectivement à « un retranchement sur son monde propre, y compris et surtout pour l’Occident qui, pour sa sauvegarde, « doit passer par le renouveau de son identité occidentale » (p 53). Parallèlement, certaines formes d’immigration sont considérées avec méfiance.
Importance et transformation du religieux dans la civilisation planétaire
La deuxième partie de ce livre porte sur « le religieux dans la civilisation planétaire ». L’auteur met en évidence l’importance du religieux dans la vie sociale et politique. Il nous apprend à percevoir une transformation profonde de la vie religieuse dans le monde : « Il existe aujourd’hui une nouvelle dynamique mythique générale, un métarécit émergent en phase avec la globalisation, « l’individuo-globalisme », qui allie « souci de soi et conscience du monde » et refond progressivement les traditions religieuses dans son moule imaginaire » (p 89).
Dans le cadre de cette dynamique, l’auteur distingue trois phénomènes religieux majeurs : spiritualisme, charismatisme, fondamentalisme.
Le courant spiritualiste renvoie à un ensemble diversifié de pratiques et de croyances qui visent au développement de l’intériorité, à une unification psychocorporelle, à une harmonie avec la nature, à une ouverture à plus grand que soi. Cette culture, nourrie pour une part, par des apports des pays d’Asie (yoga, reiki, qi gong), s’est répandue dans les sociétés industrielles avancées. Elle est bien présente aussi en France comme le montre Jean-François Barbier- Bouvet dans son enquête sur les « chercheurs spirituels » (3). L’auteur la perçoit comme un « spiritualisme rationnel ». Elle prospère dans les milieux dotés d’un « capital global à la fois économique et symbolique ».
Le courant charismatique se caractérise par une dynamique collective tournée vers le transcendant avec une forte tonalité émotionnelle. Présent dans différentes variantes confessionnelles, ce courant est particulièrement actif dans le pentecôtisme latino-américain, africain et coréen. Il prospère particulièrement dans des milieux à faible capital économique.
Comme tous les mouvements réactionnaires, le fondamentalisme vise à protéger « la tradition contre un mal omniprésent » (p 98). « Le fondamentalisme se déploie chez des fidèles en déficit de capital symbolique, chez ceux, autrement dit, qui sont en manque de reconnaissance, que ce manque caractérise des sociétés entières comme celles qui composent le monde arabe, ou qu’il caractérise des communautés minoritaires vivant au milieu de cultures dont elles se sentent exclues » (p 99). Là où il prospère, le fondamentalisme engendre l’exclusion et la violence.
« Les frontières religieuses classiques sont brouillées par ces nouvelles tendances qui, non seulement sont transnationales, mais aussi transconfessionnelles. Ces forces croyantes… traversent les religions traditionnelles qui ne peuvent que leur résister ou les amplifier » (p 95). « Il ne s’agit pas de nier qu’il existe des catholiques français, des luthériens suédois ou des orthodoxes russes attachés à leur foi traditionnelle. Mais ces populations, numériquement en baisse constante, ne sont plus au coeur des dynamiques religieuses contemporaines… » (p 142). Cependant, « si les postures sont multiples, le schéma croyant varie peu. Il n’y a donc pas de dérégulation, mais configuration de nouvelles régulations, de nouvelles règles du jeu à l’échelle planétaire… Les spécificités traditionnelles des grandes religions s’en trouvent atténuées…» (p 143). Les trois courants : spiritualisme, charismatisme, fondamentalisme se retrouvent dans les différentes religions, mais aussi elles les traversent. Par exemple, « un néo-soufi musulman sera souvent plus proche d’un bouddhiste occidentalisé que d’un musulman salafiste » (fondamentaliste) (p 13). L’auteur nous décrit la vitalité du religieux qui se déploient à l’échelle mondiale à travers de nombreuses organisations internationales. Des solidarités nouvelles apparaissent.
Face au déni du religieux qu’on peut observer dans certains milieux en France (4), Raphaël Liogier nous permet d’en percevoir toute l’importance dans le monde actuel. Il nous ouvre à la compréhension de son apport pour la vie des hommes d’aujourd’hui et nous permet d’en analyser les perversions avec plus de pertinence (5).
Pour une compréhension mutuelle
La troisième partie du livre porte sur « Guerres et paix dans la civilisation globale ». Raphaël Liogier nous décrit à grands traits, la nouvelle culture qui se vit à travers le monde global. Vivre ensemble dans ce nouveau monde, c’est refuser l’esprit d’exclusion, si néfaste dans l’histoire de l’humanité. A cet égard, « le différencialisme » est bien un pas en arrière. Quelles logiques permettent d’aller vers plus de compréhension mutuelle ? L’auteur en mentionne deux : celle du « décalage », traitant les différences non comme des différences de nature, mais comme des différences de degré » et la logique du « fondement » qui va plus loin en postulant que les régimes de vérité humains, aussi divers soient-ils, ont les mêmes fondements » (p 211). Cette seconde approche implique nécessairement « un accord sur des principes universels permettant de lire ensuite nos différences comme des variations et non comme des oppositions » (p 212).
Dans l’introduction du livre, Raphaël Liogier nous a dit comment une compréhension mutuelle peut advenir dans ce nouveau monde : « Il est urgent de penser la perméabilité des frontières et ainsi, la disparition de la figure de l’Autre radical, l’étranger, le barbare qui se situait jadis au delà de notre horizon existentiel, séparé de notre espace de vie. Comment les identités individuelles et collectives peuvent-elles se définir et coexister dans un monde sans frontières ? Lorsqu’aucun autre, n’est complètement autre. Lorsque les attentes sont forcément relatives » (p 17).
Pour une gouvernance mondiale
Pour parvenir à ce nouveau vivre ensemble, des changements institutionnels profonds sont également nécessaires. « Alors que les problèmes à résoudre ainsi que les grands défis sont aujourd’hui mondiaux, les centres de décisions majeurs restent nationaux » (p 217) et, dans ce nouveau monde, la logique de l’Etat-nation ne correspond plus au mouvement qui déborde un cadre devenu trop étroit. « L’Etat-nation alimente des logiques contradictoires, se balançant dangereusement entre la logique identitaire exclusive et la logique utilitariste inclusive, nourrissant alternativement l’une, puis l’autre, jouant l’une contre l’autre et inversement. Seule la perspective universaliste, s’appuyant sur la logique du fondement humain commun, est positive et capable de contrebalancer à la fois les tendances identitaristes et utilitaristes… » (p 220). Raphaël Liogier nous dit « l’urgence d’un gouvernement global » et il nous propose une approche pour y parvenir.
Appel à une compréhension renouvelée
Si nous sommes en présence aujourd’hui d’une grande mutation comme beaucoup s’entendent pour le dire (6), comment avancer dans l’étape actuelle ? Différentes disciplines peuvent contribuer à notre réflexion. Les sciences économiques, par exemple, sont souvent sollicitées, car l’économie est un aspect majeur de notre vie commune. Raphaël Liogier a choisi une autre approche qui s’appuie principalement sur la sociologie de la culture. Dans un champ aussi vaste, l’information ne peut pas être égale et quelques unes des schématisations peuvent prêter à discussion. Mais ce livre nous paraît tout à fait remarquable à la fois par l’esprit de synthèse qui nous permet d’apprécier les mouvements en cours et par l’originalité de la pensée qui ouvre des horizons. C’est un livre qui nous offre une carte pour aller de l’avant en traversant des tempêtes. Cet ouvrage affine notre compréhension du monde. Comprendre la dynamique culturelle du monde globalisé, percevoir les courants porteurs autant que les blocages à dépasser, c’est créer les conditions pour un vivre ensemble de l’humanité.
J H
(1) Liogier (Raphaël). La guerre de civilisation n’aura pas lieu. Coexistence et violence au XXIème siècle. CNRS éditions, 2016
(2) Liogier (Raphaël). Souci de soi, conscience du monde. Vers une religion globale ? Armand Colin, 2012
(4) Sur ce blog : « Un silence religieux. En regard d’un manque qui engendre le pire, quelle dynamique d’espérance ? » : https://vivreetesperer.com/?p=2290
(6) Un monde en mutation. Sur ce blog : « Quel avenir pour la France et pour le monde ? Jean-Claude Guillebaud. Une autre vie est possible » : https://vivreetesperer.com/?p=937 « Un chemin de guérison pour l’humanité. La fin d’un monde. L’aube d’une renaissance. La guérison du monde selon Frédéric Lenoir » : https://vivreetesperer.com/?p=1048
En regard d’un manque qui engendre le pire, quelle dynamique d’espérance ?
« Un silence religieux. La gauche face au djihadisme », c’est le titre d’un livre de Jean Birnbaum qui vient de paraître au Seuil » (1).
Pour qui cherche à comprendre, dans le contexte de notre histoire politique, les réactions aux évènements récents, ces drames causés par le djihadisme, ce livre apporte un éclairage original, à partir d’une analyse du rapport entre la gauche française et le fait religieux au cours des dernières décennies. Jean Birnbaum met en évidence une forte propension au silence sur la dimension religieuse de la menace djihadiste. Certes, il était et il est légitime de prévenir un amalgame entre islam et terrorisme. Mais, « par delà ces motivations politiques, ce silence fait symptôme d’un aveuglement plus profond qui concerne le rapport que beaucoup d’entre nous entretenons avec la religion. Ce qui est en jeu, c’est la réticence… à envisager la croyance religieuse comme causalité spécifique, et d’abord comme puissance politique » (p 23). A partir de sa trajectoire idéologique et d’un héritage historique, la majorité de la gauche française « a le plus souvent refusé de prendre le fait spirituel au sérieux » (p 37). A partir de plusieurs exemples comme l’anticolonialisme en Algérie ou l’attitude vis-à-vis de la révolution iranienne, l’auteur montre comment la sous-estimation du facteur religieux a engendré des erreurs d’interprétation. « Incapables de prendre la religion au sérieux, comment la gauche comprendrait-elle ce qui se passe actuellement, non seulement le regain de la quête spirituelle, mais surtout le retour de flamme d’un fanatisme qui en est la perversion violente » (p 39).
Aujourd’hui où le djihadisme est un phénomène complexe qui est la résultante de nombreux facteurs, on en méconnaît trop souvent la dimension religieuse. L’auteur nous fait voir combien certains jeunes s’engagent dans une vision du monde inspiré par le fondamentalisme islamique : « C’est une certitude vécue, une conviction qui a de la suite dans les idées, une croyance logique à l’extrême. Si l’on acceptait de délaisser un instant l’approche policière pour parler politique, si l’on déplaçait aussi l’enquête du social au spirituel, alors on poserait la seule question qui vaille, celle de l’espérance » (p 184). C’est dire combien l’enjeu est à la fois idéologique et théologique. « Pour lutter contre le djihadisme, plutôt que d’affirmer qu’il est étranger à l’islam, mieux vaut admettre qu’il constitue la manifestation la plus récente, la plus spectaculaire et la plus sanglante de la guerre intime qui déchire l’islam. Car l’islam est en guerre avec lui-même » (p 43).
La situation actuelle nous appelle ainsi les uns et les autres à un renouvellement et un élargissement de notre regard. Ainsi Jean Birnbaum revisite l’histoire de la pensée marxiste et il met en évidence des contradictions. Il fait appel à l’analyse de quelques philosophes comme Foucault et Derrida qui ont su percevoir les implications de la dimension religieuse. Dans un beau chapitre : « L’espoir maintenant. Des brigadistes aux djihadistes », il revisite la guerre d’Espagne et effectue une comparaison particulièrement éclairante entre les volontaires des brigades internationales et les djihadistes partis en Syrie. A cet égard, il cite Régis Debray marquant la différence des époques et des croyances. « Le surmoi révolutionnaire, à gauche, s’est effondré… Ce qui l’a remplacé chez les exigeants, pour qui « tout ce qui n’est pas l’idéal est misère », c’est le surmoi religieux » (p 185).
Cependant, comparer les visions du monde à l’œuvre chez les combattants des brigades internationales et les djihadistes, fait ressortir une opposition radicale. « Si l’avant-garde du djihad peut ainsi donner congé à l’histoire humaine, c’est qu’elle accorde un privilège absolu à l’au delà… Mais cette valorisation exclusive de l’au delà commande aussi un mépris de la vie… Ici, le choc entre les imaginaires brigadistes et djihadistes est non seulement frontal, mais viscéral, car les volontaires d’Espagne partaient à la guerre pour bâtir les conditions d’une vie pleinement humaine… Du reste, ils se sont affrontés à des forces politiques et militaires qui revendiquaient leur amour de la mort : « viva la muerte !», « vive la mort ! », dans un contexte catholique intégriste ((p 210-213). En développant une théologie pour la vie, Jürgen Moltmann (2) rappelle cet épisode sinistre. Aujourd’hui, dans la lutte engagée contre tout ce qui menace la vie humaine, les représentations comptent. Et, à ce sujet, la théologie est convoquée tant en christianisme qu’en islam.
Pour sa part, Jean Birnbaum appelle à une réflexion critique qui prenne en compte les différentes dimensions de l’humain. « Paradoxe d’une tradition qui esquive sans cesse les croyances, mais dont plusieurs figures fondatrices (Engels, Rosa Luxembourg, Jaurès) se sont reconnues comme les seules héritières authentiques d’une quête de justice jadis portée par les prophètes bibliques. Paradoxe d’un mouvement révolutionnaire qui fait l’impasse sur le spirituel alors que son propre imaginaire est celui d’une religion séculière et qu’il s’est déployé dans un mimétisme permanent à l’égard du messianisme judéo-chrétien » (p 219). Jean Birnbaum met en évidence l’apport d’une poignée de penseurs critiques qui ouvrent la voie. « Aucun d’entre deux n’a considéré que la politique moderne avait pour condition le « dépassement » du religieux. Tous avaient conscience que pour bien distinguer ces deux domaines, le mieux est encore de donner une place à l’un comme à l’autre. C’est en niant leur existence respective qu’on risque de sombrer dans une violente indistinction. Qui veut séparer le politique et le théologique doit d’abord mener à leur égard, un travail de vigilante réarticulation » (p 231-232).
Ce livre passionnant apporte un nouvel éclairage et ouvre un horizon. Il vient à un moment où on peut observer une effervescence du religieux (3). C’est ce que note un journaliste du « Monde », Benoît Hopkin, dans un article intitulé : « Et Dieu dans tout ça » (4) où il présente en regard l’ouvrage de Jean Birnbaum.
Naviguer dans ce monde en pleine mutation requiert une bonne compréhension, mais appelle aussi une vision. « Quand il n’y a pas de vision, le peuple périt » (Proverbes 29.18). Comme l’écrit Jean Birnbaum, « Si l’on déplaçait l’enquête du social au spirituel, alors on poserait la seule question qui vaille, celle de l’espérance ». Nous avons besoin d’espérance, individuellement et collectivement. La vie implique le mouvement. Les barrières qui s’y opposent sont destructrices. Nos activités, nos engagements dépendent de notre motivation. Elle-même requiert la capacité de regarder en avant, un horizon de vie, une dynamique d’espérance (5). Si la fragilité de la condition humaine est une constante, dans un monde en mutation où les menaces abondent, l’humain a d’autant plus besoin de s’inscrire dans une perspective qui le dépasse et qui lui donne sens. Cette requête est personnelle. Elle est aussi sociale. Ce livre : « Un silence religieux » traite du rapport entre le politique et le religieux en France, mais, dans notre démarche, nous y voyons apparaître plus généralement un manque dans la prise en compte des aspirations spirituelles. On pourrait à cet égard évoquer le débat sur la laïcité qui se poursuit depuis des années (6). Dans la réalité de notre temps, nous avons d’autant plus besoin d’une laïcité inclusive. Le livre nous interpelle sur un phénomène complexe. C’est aussi un phénomène spécifique. Mais le djihadisme peut être envisagé aussi comme un symptôme qui traduit un dysfonctionnement plus général. Et, parmi d’autres facteurs, il y a un manque spirituel. Jean Birnbaum nous apporte à ce sujet un éclairage original.
Face au manque, comme chrétiens, quelle vision alternative pouvons-nous proposer en sachant la pesanteur des héritages historiques ? Le théologien Jürgen Moltmann nous parle de la force vitale de l’espérance. « Que le Dieu de l’espérance vous remplisse de toute joie et de toute paix dans la foi, pour que vous abondiez en espérance, par la puissance du Saint-Esprit ! » (Rom 15.13). C’est unique. Nulle part ailleurs dans le monde des religions, Dieu n’est lié à l’expérience humaine de l’avenir. Dieu est l’éternel présent, la divinité est le tout autre, le divin est l’intemporel éternel. Voilà des notions familières. Dieu est « au dessus de nous », en tant que tout-puissant ou, en nous, en tant que fondement de l’être : ce sont des notions connues. Mais un « Dieu de l’espérance » qui marche « devant nous » et nous précède dans le déroulement de l’histoire, voilà qui est nouveau. On ne trouve cette notion que dans le message de la Bible. C’est le Dieu de l’exode d’Israël… C’est le Dieu de la résurrection de Christ… C’est le Dieu qui « habitera » parmi les hommes comme le révèle l’Apocalypse de Jean (21.3)… Le christianisme est résolument tourné vers l’avenir et invite au renouveau… » (7). Cette vision vient à l’appui d’un état d’esprit qui s’oppose aux égarements actuels que nous décrit si bien Jean Birnbaum. Elle accompagne le mouvement pour une humanité responsable de la planète.
J H
(1) Birnbaum (Jean). Un silence religieux. La gauche face au djihadisme. Seuil, 2016. Jean Birnbaum dirige « Le Monde des livres ». Il est l’auteur de plusieurs essais concernant le vécu politique caractéristique d’une génération.
(7) Moltmann (Jürgen). De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance. Empreinte Temps présent, 2012. La force vitale de l’espérance. p 109
Deux approches convergentes : Jürgen Moltmann et Diana Butler Bass
A partir d’une approche scientifique, technique ou sociale, on découvre de plus en plus aujourd’hui que nous vivons dans un univers en interaction, un univers où tout se tient. Pour certains, cela ne va pas de soi, car c’est une nouveauté qui bouleverse un héritage intellectuel ou religieux. Où est Dieu ? Ce mouvement appelle une réflexion théologique.
Dans les années 1980 déjà, dans son livre : « Dieu dans lacréation » (1), Jürgen Moltmann pouvait écrire : « Si l’Esprit Saint est répandu sur toute la création, il fait de la communauté entre toutes les créatures avec Dieu et entre elles, cette communauté de la création dans laquelle toutes les créatures communiquent chacune à sa manière entre elles et avec Dieu… L’existence, la vie et le réseau des relations réciproques ont lieu dans l’Esprit. « En Lui, nous avons la vie, le mouvement et l’être » (Actes des apôtres 1.28) (p 24)… Dieu le créateur du ciel et de la terre est présent par son Esprit cosmique dans chacune de ses créatures et dans leur communauté créée. Dieu n’est pas seulement le créateur du monde, mais aussi l’Esprit de l’univers. Grace aux forces et aux possibilités de l’Esprit, le créateur demeure auprès de ses créatures, les vivifie, les maintient dans l’existence et les mène dans son royaume futur » (p 28). Dieu est à la fois transcendant et immanent.
Le Dieu vivant
Aujourd’hui, dans la lignée de ses nombreux ouvrages (2), le nouveau livre de Jürgen Moltmann, publié par le Conseil Mondial des Eglises, s’intitule : « The living God and the fullness of life » (Le Dieu vivant et la plénitude de vie » (3). L’auteur s’adresse en premier à un public marqué par une culture moderne qui ferait appel à « des concepts humanistes et matérialistes » de la vie, une culture dans laquelle Dieu serait absent. Cette vie sans transcendance engendre un manque et induit ce que Moltmann appelle une « vie diminuée ».
Si une forme de christianisme a pu apparaître comme un renoncement à une vie pleinement vécue dans le monde, Moltmann nous présente au contraire un Dieu vivant quisusciteune plénitude de vie. Dieu n’est pas lointain. Il est présent et agissant. « Avec Christ, le Dieu vivant est venu sur cette terre pour que les humains puissent avoir la vie et l’avoir en abondance (Jean 10.10). Moltmann nous propose une spiritualité dans laquelle « la vie terrestre est sanctifiée » et qui se fonde sur la résurrection du Christ. Dans la dynamique de cette résurrection, « l’horizon de l’avenir, aujourd’hui assombri par le terrorisme, la menace nucléaire et la catastrophe environnementale, peut s’éclairer. Une lumière nouvelle est projetée sur le passé et ceux qui sont morts. La vie entre dans le présent pour qu’on puisse l’aimer et en jouir… Ce que je désire, écrit Moltmann, c’est de présenter ici une transcendance qui ne supprime, ni n’aliène notre vie présente, mais qui libère et donne vie, une transcendance par rapport à laquelle nous ne ressentions pas l’envie de lui tourner le dos, mais qui nous remplisse d’une joie de vivre » (p X-XI).
Une vie divine
Jürgen Moltmann consacre un chapitre à la vie éternelle. Cette vie ne tourne pas le dos à la condition terrestre de l’homme, mais elle l’anime. Elle ne s’adresse pas à des individus qui seraient polarisés sur le salut de leur âme. Elle s’inscrit dans un univers interrelationnel. « L’être humain n’est pas un individu, mais un être social… Il meurt socialement lorsqu’il n’a pas de relations ». Ainsi, selon Moltmann, la vie éternelle s’inscrit dans trois dimensions : « Comme enfants de Dieu, les êtres humains vivent une vie divine. Comme parents et enfants, ils s’inscrivent dans la séquence des générations humaines. Comme créatures terrestres, ils vivent dans la communauté de la terre » (p 73). Dès lors, le chapitre s’articule en trois parties : « In the fellowship of the divine life » (Dans la communion de la vie divine) ; « In the fellowship of the living and ofthe dead » (Dans la communion entre les vivants et les morts) ; « In the fellowship of the earth » (dans la communion avec la terre).
« On entend dire que la vie sur terre n’est rien qu’une vie mortelle et finie. Dire cela, c’est accepter la domination de la mort sur la vie humaine. Alors cette vie est bien diminuée. Dans la communion avec le Dieu vivant, cette vie mortelle et finie, ici et maintenant, est une vie interconnectée, pénétrée par Dieu et ainsi, elle devient immédiatement une vie qui est divine et éternelle » (p 73). « La vie humaine est enveloppée et acceptée par le divin et le fini prend part à l’infini. La vie éternelle est ici et maintenant. Cette vie présente, joyeuse et douloureuse, aimée et souffrante, réussie ou non, est vie éternelle. Dans l’incarnation du Christ, Dieu accepté cette vie humaine. Il l’interpénètre, la réconcilie, la guérit et la qualifie pour l’immortalité. Nous ne vivons pas simplement une vie terrestre, ni seulement une vie humaine, mais nous vivons aussi simultanément une vie qui est remplie par Dieu, une vie dans l’abondance (Jean 10.10)… Ce n’est pas la foi humaine qui procure la vie éternelle. La vie éternelle est donnée par Dieu et elle est présente dans chaque vie humaine, mais c’est le croyant qui en a conscience. On la reconnaît objectivement et subjectivement, on l’intègre dans sa vie comme la vérité. La foi est une joie vécue dans la plénitude divine de cette vie. Cette participation à la vie divine présuppose deux mouvements qui traversent les frontières : l’incarnation de Dieu dans la vie humaine et la transcendance de cette vie humaine dans la vie divine… » (p 74).
Reconnaître Dieu dans le monde
Au contact de la vie des gens au plus près de leur expérience à travers ses rencontres, mais aussi à même d’interpréter les évolutions grâce à une culture d’historienne et de théologienne, Diana ButlerBass a publié, il y a quelques années, un livre intitulé « Christianityafter religion » (4). Dans cet ouvrage, elle situe l’éveil spirituel (« spiritual awakening ») qui a lieu actuellement aux Etats-Unis, dans une rétrospective historique qui montre à la fois les continuités et les émergences. Diana Butler Bass vient de publier un nouveau livre intitulé : « Grounded. Finding God in the world. A spiritual revolution » (5). « Ce qui apparaît comme un déclin de la religion organisée indique en fait une transformation majeure dans la manière dont les gens comprennent Dieu et en font l’expérience. Le Dieu distant de la religion conventionnelle cède la place à un sens plus intime du sacré qui irrigue le monde. Ce glissement d’un Dieu vertical vers un Dieu qui se trouve à travers la nature et la communauté humaine est le cœur de la révolution spirituelle qui nous environne et qui interpelle non seulement les institutions religieuses, mais aussi les institutions politiques et sociales… Ce livre observe et rapporte un changement radical dans la manière dont beaucoup de gens situent Dieu et pratiquent leur foi. L’auteur invite ainsi les lecteurs à rejoindre cette révolution spirituelle en cours d’émergence, à trouver une expression revitalisée de la foi et à changer le monde » (6).
Dieu avec nous
Dans un article paru sur le blog du Hutchinson Post (7), Diana Butler Bass indique les grandes orientations de sa recherche.
« Où est Dieu ? Pendant des siècles, la plupart des religions ont enseigné que Dieu était au ciel et qu’il existait un univers à trois étages avec Dieu au sommet dans le ciel avec les anges, puis nous les hommes embrouillés sur la terre, et, en dessous de nous, Satan et les démons en enfer avec la menace d’une punition éternelle. Le ciel était très éloignés et le Dieu qui vivait là haut apparaissait comme une divinité inaccessible : Roi, Gouverneur, Maître, Juge et Père. Pour atteindre ce Dieu là, il y avait toute une gamme de médiateurs et de médiations… ». Jürgen Moltmann, lui aussi, a décrit la manière dont ce Dieu transcendant opérait en montrant combien cette représentation était en contradiction avec la vie et l’enseignement de Jésus.
Diana Butler Bass montre comment cette conception de la divinité a été remise en cause au cours des dernières décennies. Elle a suscité le développement de l’agnosticisme et de l’athéisme, mais globalement, la plupart des gens qui ont rompu avec les églises continuent à croire en Dieu. En fait, « ce qu’ils rejettent, c’est une certaine conception de la divinité tandis que, dans le même mouvement, ils essaient de resituer Dieu dans leur vie… Où est Dieu ? Plus là-haut dans le ciel. Dieu est avec nous. Souvent inaperçue ou mal comprise par les commentateurs et même quelques leaders religieux, un glissement théologique est en train d’advenir parmi nous : une révolution dans la manifestation de la proximité divine… C’est un Dieu qui est totalement présent dans le chaos, la souffrance et la confusion qui nous environne, l’Esprit qui nous invite à sauver la planète et à faire la paix avec la famille humaine toute entière et qui est un compagnon et un partenaire pour créer un avenir rempli d’espérance. Le seul Dieu qui fait sens est un Dieu de compassion et d’empathie qui partage la vie du monde ».
La théologie de Jürgen Moltmann nous éclaire sur ce Dieu là. C’est un Dieu qui ne réside pas loin de nous, mais qui est engagé dans la création, engagé dans l’humanité. « Le message du Christ annonçant la résurrection et la vie, a libéré une puissance de vie parmi les premiers chrétiens, une force qui a rendu possible de nouveaux commencements et un changement qui a permis à des hommes et à des femmes de créer ce qui avait été jusque là inconnu. Je crois que cette force peut se déployer également dans le monde moderne et qu’elle porte en elle-même la plénitude de vie à laquelle beaucoup de gens aspirent. Ceux qui croient, ceux qui aiment, ceux qui espèrent, tirent leur force du Dieu vivant et, dans leur proximité avec Dieu, ils font l’expérience d’une vie dans sa plénitude » ( p IX).
Nous vivons dans une période de grandes mutations qui induit et appelle des changements profonds dans les mentalités. Parce que, depuis plusieurs décennies, Jürgen Moltmann est à l’écoute des aspirations et des questionnements des gens de notre époque, dans la mouvance de l’Esprit et une approche renouvelée de la Parole, il a développé une pensée théologique qui inspire notamment les chrétiens engagés dans le courant de l’Eglise émergente (8).
Diana Butler Bass participe, elle aussi, à la recherche d’une manière nouvelle de penser et de vivre la foi chrétienne. Dans son livre (p 277-278), elle nous raconte son cheminement ponctué par des conversions successives, d’abord à la vision protestante évangélique, puis à un christianisme libéral dans l’expression de l’Eglise épiscopale, et enfin, en 2001, la prise de conscience qu’il lui fallait dépasser la conception d’« un Dieu vertical ». « Ma troisième conversion n’a pas été le rejet de l’Eglise (comme l’expression vivante de Jésus dans le monde), ni celui du christianisme ou de la foi… Mon mouvement a été de quitter une conception verticale de Dieu et de me tourner vers un Dieu-avec-nous et une espérance dans une foi communautaire… ».
Dans ce monde en mutation, les parcours de foi sont divers. Mais, dans le même mouvement, des tendances communes apparaissent. La pensée théologique de Jürgen Moltmann fait appel à des apports de différents milieux chrétiens, comme, par exemple l’orthodoxie ou le pentecôtisme, et aussi du judaïsme. Et, dans le champ écologique, on note une convergente évidente entre la vision de Moltmann et celle du pape François (9) dont, en exergue de son livre, Diana Butler Bass cite un passage de son encyclique Laudato Si : « Tout est en relation, et nous êtres humains, nous sommes unis comme des frères et des sœurs en marche dans un merveilleux pèlerinage, entrelacés ensemble par l’amour que Dieu a pour chacun… et qui nous unit aussi dans une tendre affection pour notre frère soleil, notre sœur lune, notre frère rivière et notre mère terre ».
Oui, ensemble, nous voulons accueillir et suivre le Dieu vivant.
J H
(1) Moltmann (Jürgen). Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1988
(2) On trouvera une introduction à la pensée théologique de Jürgen Moltmann sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : http://www.lespritquidonnelavie.com. Dans une autobiographie : « The broad place », Moltmann relate sa vie et l’évolution de son œuvre. Ce livre est présenté dans un article : « Une théologie pour notre temps » : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=695
(3) Moltmann (Jürgen). The living God and the fullness of life. World Council of churches, 2016
(5) Butler Bass (Diana). Grounded. Finding God in the world. A spiritual evolution. Harper one, 2015. Ce livre est salué par des personnalités chrétiennes comme Brian Mc Laren, une des voix de l’Eglise émergente aux Etats-Unis : « Il n’y a rien de pire que de dormir lorsqu’il y a une révolution » écrit Diana Butler Bass. Ce livre nous aidera à nous éveiller. Il nous équipera pour être un participant enthousiaste dans ce que je crois être le mouvement le plus profond et le plus important qui prend forme à notre époque »