Agir et espérer. Espérer et agir

L’espérance comme motivation et accompagnement de l’action.

Nos activités, nos engagements dépendent de notre motivation. Et notre motivation elle-même requiert la capacité de regarder en avant, un horizon de vie, une dynamique d’espérance. Quel rapport entre espérance et action ? Cette question concerne tous les registres de notre existence. Jürgen Moltmann apporte une réponse théologique à cette question dans l’introduction à son dernier ouvrage qui porte sur l’éthique de l’espérance (Ethics of hope ») (1)

 

Qu’est-ce que nous pouvons espérer ? Que pouvons-nous faire ? Un espace pour l’action.

L’espérance, nous dit Moltmann, suscite notre motivation. Peut-on agir si nous avons l’impression de nous heurter à un mur ? A un certain point, le volontarisme trouve sa limite. Dans l’histoire, on a vu des groupes se déliter parce qu’ils avaient perdu une vision de l’avenir. Pour agir, nous avons besoin de croire que notre action peut s’exercer avec profit. « Nous devenons actif pour autant que nous espérions », écrit Moltmann. « Nous espérons pour autant que nous puissions entrevoir des possibilités futures. Nous entreprenons ce que nous pensons être possible ».

Ce regard inspire nos comportements sur différents registres, dans la vie quotidienne, mais aussi dans la vie en société. « Si, par exemple, nous espérons que le monde va continuer comme maintenant, nous garderons les choses telles qu’elles sont. Si, par contre, nous espérons en un avenir alternatif, alors nous essaierons dès maintenant de changer les choses autant que faire se peut ».

 

Que dois-je craindre ? Qu’est-ce que je peux faire ? L’action : une nécessité.

 « Nous pensons à l’avenir, non seulement en fonction d’un monde meilleur, mais aussi, et peut-être plus encore, en fonction de nos anxiétés et de nos peurs ». Il est important et nécessaire de percevoir les dangers. Nos peurs interviennent alors comme une alerte.

La peur affecte également nos comportements. L’anxiété attire notre attention sur les menaces. Nous faisons face au danger avec d’autant plus d’énergie que nous percevons l’efficacité de notre action. « Une éthique de la crainte nous rend conscient des crises. Une éthique de l’espérance perçoit les chances dans les crises ».

 

Espérance chrétienne.  D’un monde ancien à un monde nouveau.

Dans les textes apocalyptiques juifs et chrétiens, la fin des temps est évoquée dans des scénarios catastrophiques, « mais, en même temps, la délivrance à travers un nouveau commencement divin est proclamé avec d’autant plus de vigueur ». Ainsi, « rien de moins que l’Esprit de Dieu sera répandu pour que tout ce qui est mortel puisse vivre ». (Joël 2. 28-32. Actes 2 16-21). Porté par l’Esprit divin, la nouvelle création de toutes choses commence lorsque le monde ancien s’efface . Motmann cite le poète Friedrich Hölderlin : « Là où est le danger, la délivrance croit aussi ». « L’éthique chrétienne de l’espérance apparaît dans la mémoire de la résurrection du Christ crucifié et attend donc l’aube du nouveau monde suscité par Dieu dans l’effacement de l’ancien ». C’est une forme de métamorphose. La transformation est déjà en cours. « L’espérance chrétienne est fondée sur la résurrection du Christ et s’ouvre à une vie à la lumière du nouveau monde suscité par Dieu. L’éthique chrétienne anticipe,  dans les potentialités de l’histoire, la venue (« coming » universelle de Dieu ».

 

Prier et observer.

Si l’on espère, la prière s’inscrit dans une attente et, en conséquence, elle s’accompagne d’une observation de ce qui se passe et va se passer : prier et observer. « En observant, nous ouvrons nos yeux et reconnaissons le Christ caché qui nous attend dans les pauvres et les malades (Matthieu 25. 37)… L’attention à l’éveil messianique se manifeste à travers les signes des temps dans lesquels le futur de Dieu est annoncé de telle façon que l’action chrétienne inspirée par l’espérance, devienne anticipation du royaume qui vient, dans lequel justice et paix s’embrassent mutuellement ».

 

Attendre et se hâter.

« Dans l’espérance de l’avenir divin, tous les théologiens de Coménius à Blumhardt ont mis l’accent sur ces deux attitudes : attendre et se hâter ». Attendre ne veut pas dire adopter une attitude passive, mais au contraire regarder en avant : « La nuit est avancée. Le jour est proche » (Romains 15.12). Attendre, c’est aussi s’attendre. « La venue de Dieu, Dieu qui vient, engendre une puissance de transformation dans le présent ». « Dans la tension de l’attente, nous nous préparons à l’avenir divin et cet avenir gagne en force dans notre présent ».

Et aussi, nous ne nous résignons pas à l’injustice et à la violence. Les gens qui attendent la justice de Dieu ne peuvent plus supporter la réalité actuelle comme un fait obligé « parce qu’ils savent qu’un monde meilleur est possible et que des changements sont aujourd’hui nécessaires ».

L’attente s’exerce dans une foi fidèle : « L’espérance ne donne pas seulement des ailes à la foi.  Elle donne aussi à cette foi le pouvoir de tenir ferme et de persévérer jusqu’au bout ».

Il y a aussi un double mouvement : attendre et se hâter. « Se hâter dans le temps signifie traverser la frontière entre la réalité présente et la sphère de ce qui est possible dans l’avenir ». En traversant cette frontière, nous anticipons l’avenir que nous espérons. « Ne pas prendre les choses comme elles sont, mais les voir comme elles peuvent être dans l’avenir  et amener dans le présent cette potentialité, ce pouvoir être, c’est nous ouvrir à l’avenir ». Le présent apparaît comme une transition entre ce qui a été et ce qui sera.

« Regarder en avant, percevoir les possibilités et anticiper ce que sera demain, tels sont les concepts fondamentaux d’une éthique de l’espérance. Aujourd’hui, attendre et se hâter dans la perspective du futur signifient résister et anticiper ».

Jean Hassenforder

 

(1)            Moltmann (Jürgen). Ethics of Hope. Fortress Press, 2012. Ce livre a été traduit par Margaret Kohl à partir de la première édition publiée en allemand en 2010 : Ethik der Hoffnung. Dans cet ouvrage, Jürgen Moltmann fait le point sur sa pensée après plusieurs décennies de réflexion théologique. Ce texte est écrit à partir de l’introduction à laquelle les citations sont empruntées (p 3-8).

 

 

Sur ce blog , d’autres articles sur la pensée de Jürgen Moltmann :

« Le Dieu vivant et la plénitude de vie » : https://vivreetesperer.com/?p=2697

https://vivreetesperer.com/?p=2413

« Dieu vivant, Dieu présent, Dieu avec nous dans un monde où tout se tient » https://vivreetesperer.com/?p=2267

« L’avenir inachevé de Dieu. Pourquoi c’est important pour nous !  » : https://vivreetesperer.com/?p=1884

Le Dieu vivant et la plénitude de vie

 

Face à nos questions existentielles, une théologie pour la vie en dialogue avec la culture contemporaine

 

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Aujourd’hui, dans la lignée de ses nombreux ouvrages , le nouveau livre de Jürgen Moltmann publié par le Conseil Œcuménique des Eglises, s’intitule : « The living God and the fullness of life » (Le Dieu vivant et la plénitude de vie ») (1). Comme le souligne un commentateur, James M Brandt (2), Moltmann poursuit son projet théologique : mettre en valeur la réalité du Dieu vivant et montrer ce à quoi la vie humaine ressemble lorsqu’elle prend forme dans une rencontre avec le Dieu d’Israël et Jésus-Christ. Brandt rappelle à cette occasion la place occupée par Jürgen Moltmann dans la théologie chrétienne depuis les années 60. « Dans ces années là, de pair avec Wolfhart Pannenberg, Moltmann a développé une théologie de l’espérance en mettant l’eschatologie au centre de la pensée et de la vie chrétienne et en participant significativement à la construction d’une théologie de l’engagement politique, particulièrement la théologie de la libération. En 1972, son livre : « Dieu crucifié » a fait progresser la théologie de la croix développée par Luther en affirmant combien la souffrance de Dieu est primordiale pour comprendre qui est Dieu. L’œuvre de Moltmann sur le Saint Esprit et sur le Dieu trinitaire a été une grande contribution au renouveau de la pneumatologie et de la pensée trinitaire. Un seul de ces apports aurait suffi à nous permettre de percevoir Moltmann comme un géant de la théologie, ajoute Brandt. Toutes ces contributions font peut-être de lui, le théologien le plus important de notre époque ».

 

Alors que la plupart des ouvrages précédents traitaient d’une grande question théologique, « The living God and the fullness of life » est davantage un livre de synthèse qui cherche à répondre aux questions existentielles de l’homme contemporain à partir des acquis d’une recherche fondamentale.  L’auteur s’adresse en premier à un public marqué par une culture moderne qui ferait appel à « des concepts humanistes et matérialistes » de la vie, une culture dans laquelle Dieu serait absent. Cette vie sans transcendance engendre un manque et induit ce que Moltmann appelle une « vie diminuée ».

Si une forme de christianisme a pu apparaître comme un renoncement à une vie pleinement vécue dans le monde, Moltmann nous présente au contraire un Dieu vivant qui suscite une plénitude de vie. Dieu n’est pas lointain. Il est présent et agissant. « Avec Christ, le Dieu vivant est venu sur cette terre pour que les humains puissent avoir la vie et l’avoir en abondance (Jean 10.10). Moltmann nous propose une spiritualité dans laquelle « la vie terrestre est sanctifiée » et qui se fonde sur la résurrection du Christ. Dans la dynamique de cette résurrection, « L’horizon de l’avenir, aujourd’hui assombri par le terrorisme, la menace nucléaire et la catastrophe environnementale, peut s’éclairer. Une lumière nouvelle est projetée sur le passé et ceux qui sont morts. La vie entre dans le présent pour qu’on puisse l’aimer et en jouir… Ce que je désire, écrit Moltmann, c’est de présenter ici une transcendance qui ne supprime, ni n’aliène notre vie présente, mais qui libère et donne vie, une transcendance par rapport à laquelle nous ne ressentions pas l’envie de lui tourner le dos, mais qui nous remplisse d’une joie de vivre » (p X-XI).

 

Ce livre se développe en trois mouvements.

Dans le premier, en introduction, Moltmann décrit le visage du monde moderne tel qu’il est issu de l’époque des Lumières dans une diversité de trajectoires selon les histoires nationales. Et il entre en dialogue avec deux penseurs de cette période : Lessing et Feuerbach, critiquant ainsi les racines de l’agnosticisme et de l’athéisme contemporain.

Mais à quel Dieu pouvons-nous croire ? La représentation de Dieu telle qu’elle ressort de l’expression des mentalités et de la réflexion des théologiens a une influence considérable sur notre pensée et sur notre vie. En proclamant un Dieu vivant, le Dieu de l’Exode et de la Résurrection, Moltmann réfute l’image d’un Dieu lointain, mais nous présente au contraire un Dieu qui s’implique en notre faveur. Dans ce second mouvement, en première partie, le livre nous introduit dans la compréhension de ce que la Bible veut nous dire par l’expression : « Le Dieu vivant » (« The living God ». L’auteur se propose de « libérer le Dieu d’Israël et Jésus-Christ de l’emprisonnement des définitions métaphysiques qui sont issues de la philosophie grecque et de la conception religieuse des Lumières » (p XI). Elle interpelle une conception de Dieu immuable, impassible, dominatrice qui fait obstacle à un engagement aimant et libérateur de Dieu dans l’humanité.

Dans un troisième mouvement, en deuxième partie, le livre porte sur le déploiement et l’épanouissement de la vie humaine dans la vie de Dieu. « Mon but est de montrer comment une plénitude de vie (fullness of life) procède du développement de la vie humaine dans la joie de Dieu, dans l’amour de Dieu, dans le vaste espace de la liberté de Dieu, dans la spiritualité des sens et dans une puissance imaginative et créative de la pensée qui traverse les frontières » (p XI). Les deux-tiers de l’ouvrage sont ainsi consacrés à des chapitres qui viennent éclairer notre existence : la vie éternelle dans la communion avec la vie divine ; celle des vivants et des morts ; la communion de la terre ; la vie dans le grand espace de la joie en Dieu ; la liberté vécue dans la solidarité ; la liberté vécue dans une société ouverte ; la vie aimée et aimante ; une spiritualité des sens : espérer et penser ; la vie, une fête sans fin. C’est toute la vie humaine qui est concernée.

Ecrit à l’intention d’un vaste public, ce livre nous paraît néanmoins particulièrement dense, notamment dans son argumentation philosophique. C’est pourquoi dans cette mise en perspective, il est exclu d’en rendre compte d’une façon linéaire et exhaustive. Ainsi faisons-nous le choix de nous centrer sur le chapitre qui ouvre le troisième mouvement : la vie éternelle.

 

La vie éternelle

La vie éternelle ne tourne pas le dos à la condition terrestre de l’homme, mais elle l’anime. Elle ne s’adresse pas à des individus qui seraient polarisés sur le salut de leur âme. Elle s’inscrit dans un univers interrelationnel. « L’être humain n’est pas un individu, mais un être social… Il meurt socialement lorsqu’il n’a pas de relations » (3). Ainsi, selon Moltmann, le vie éternelle s’inscrit dans trois dimensions : « Comme enfants de Dieu, les êtres humains vivent une vie divine. Comme parents et enfants, ils s’inscrivent dans la séquence des générations humaines. Comme créatures terrestres, ils vivent dans la communauté de la terre » (p 73). Dès lors, le chapitre s’articule en trois parties : « In the fellowship of the divine life » (Dans la communion de la vie divine) ; « In the fellowship of the living and of the dead » (Dans la communion entre les vivants et les morts » ; « In the fellowship of the earth » (Dans la communion avec la terre)

 

Dans la communion de la vie divine

« On entend dire que la vie sur terre n’est rien qu’une vie mortelle et finie. Dire cela, c’est accepter la domination de la mort sur la vie humaine. Alors cette vie est bien diminuée. Dans la communion avec le Dieu vivant, cette vie mortelle et finie, ici et maintenant, est une vie interconnectée, pénétrée par Dieu et ainsi, elle devient immédiatement une vie qui est divine et éternelle » (p73). « La vie humaine est enveloppée et acceptée par le divin et le fini prend part à l’infini. La vie éternelle est ici et maintenant. Cette vie présente, joyeuse et douloureuse, aimée et souffrante, réussie ou non, est vie éternelle. Dans l’incarnation du Christ, Dieu a accepté cette vie humaine. Il l’interpénètre, la réconcilie, la guérit et la qualifie pour l’immortalité. Nous ne vivons pas simplement une vie terrestre, ni seulement une vie humaine, mais nous vivons aussi simultanément une vie qui est remplie par Dieu, une vie dans l’abondance (Jean 10.10)… Ce n’est pas la foi humaine qui procure la vie éternelle. La vie éternelle est donnée par Dieu et elle est présente dans chaque vie humaine, mais c’est le croyant qui en a conscience. On la reconnaît objectivement et subjectivement, on l’intègre dans sa vie comme la vérité. La foi est une joie vécue dans la plénitude divine de cette vie. Cette participation à la vie divine présuppose deux mouvements qui traversent les frontières : l’incarnation de Dieu dans la vie humaine et la transcendance de cette vie humaine dans la vie divine… » (p74).

« La Parole est devenue chair et elle a habité parmi nous…et nous avons contemplé sa gloire » (Jean 1.14). « La Parole a pris notre condition humaine fragile, corruptible, mortelle. Ce qui a été pris par Dieu est guéri de tout ce qui le séparait de lui. L’incarnation de Dieu en Christ est un miracle de guérison de portée universelle pour l’humanité et pas pour l’humanité seulement » (p 74). « L’incarnation a également uns signification, une dimension cosmique » (« Jean-Paul II).

Et, par ailleurs, l’Esprit de Dieu est venu résider dans l’humanité. « Votre corps est le temple du Saint Esprit. Aussi glorifiez Dieu dans votre corps » (1 Corinthiens 6.19-20). Alors, dans les êtres humains, dans leurs esprits (Rom 8.15), dans leurs cœurs (Rom 5.5) et même dans leurs corps, on trouve la puissance de la vie divine. Dans leur être fini, imparfait et mortel, réside ce qui est infini, parfait et immortel, ce qu’on appelle l’Esprit de Dieu ». « Comme Karl Rahner, nous dit Moltmann, « on peut voir là une « auto-transcendance » de l’existence humaine, qui est une conséquence de l’auto-immanence de l’Esprit dans l’existence humaine » ( p 75).

Jürgen Moltmann nous ouvre ainsi un grand horizon : « Nous sommes nés dans cette vie ouverte et divine. Même avant notre naissance, le vaste espace de Dieu était là pour nous » (p 75) : « Je te connaissais avant de t’avoir formé dans le sein de ta mère » (Jérémie 1.5). Chaque enfant naît dans un grand oui de Dieu à la vie ». Ainsi, dans nos difficultés, nous pouvons avoir « une ferme assurance au sujet de notre existence, une assurance qui peut résister au doute et à la dépression parce qu’elle est plus forte…

Nous mourrons dans cette vie ouverte et divine. Pour nous, la mort est la fin de la vie mortelle, mais pour la vie divine dans laquelle nous avons vécu, aimé et souffert, c’est une transition d’une condition mortelle à l’immortalité et de ce qui est passager à ce qui est éternel » (1 Cor 15. 42-44) (p 76).

 

La communion avec les vivants et les morts

Nous prenons davantage conscience aujourd’hui de l’interrelation qui prévaut dans tous les domaine. Ainsi « l’être humain est un être en relation ». Cette réalité se manifeste également dans la succession des générations. « Les êtres humains participent à une communauté des vivants et des morts même s’ils n’en ont pas toujours conscience ». Ainsi, dans les sociétés modernes occidentales, l’individualisme fait obstacle à cette conscience collective. Cela réduit la conscience de la communion entre les vivants et les morts. A cet égard, les sociétés traditionnelles, en particulier celles d’Extrême Orient, ont quelque chose à nous rappeler, car elles vivent actuellement cette communion entre les vivants et les morts. Dans le monde moderne occidental, nous avons besoin d’une culture nouvelle du souvenir « de manière à ne pas vivre seulement comme individus pour nous-même, mais en vue de regarder au delà de nous-même ». C’est seulement si nous percevons notre durée de vie dans le cadre plus vaste de la succession des générations que nous pouvons entrer « dans la mémoire du passé et dans l’avenir en espérance de ce qui est à venir ».

Pour réaliser cette communion entre les vivants et les morts, une transcendance de la vie et de la mort est requise… La foi chrétienne envisage cette communion des vivants et des morts dans le Christ qui est mort dans une mort humaine et a été ressuscité dans la vie divine. En conséquence, la communauté chrétienne est  une communauté non seulement des vivants, mais des morts. « Le Christ est mort et ressuscité pour qu’il puisse être le Seigneur à la fois des morts et des vivants » Rom 14.9) (p 78).  « Depuis qu’il est « descendu dans le royaume des morts », comme le déclare le symbole des apôtres », Christ a brisé la puissance de la mort et il a ramené les morts dans le partenariat de la vie divine. La barrière de la mort qui séparait les morts des vivants a été brisée dans la résurrection du Christ en vie éternelle. Dans la communauté du Christ, les morts ne sont pas « morts », selon la représentation courante, mais ils sont grandement présents (« present in a highly personal sense »).

 

Communion avec la terre

Très tôt, dès les années 1980, Jürgen Moltmann s’est engagée dans une réflexion théologique qui est venu éclairer et accompagner le mouvement écologique ; Son livre : « Dieu dans la création » (1988) porte en sous-titre : « Traité écologique de la création ». Ce que Motmann écrit dans ce chapitre : « In the fellowship of the earth » s’inscrit ici dans une pensée très vaste et très élaborée.

Moltmann  nous rappelle qu’au cours des derniers siècles, l’humanité a fait preuve d’un esprit dominateur en exploitant la terre jusqu’à une véritable dévastation. Cette attitude s’est inspirée, pour une part, d’une compréhension partiale de la Bible selon laquelle l’être humain était « la couronne de la création » parce qu’il était seul à avoir été créé à l’image de Dieu, et, par suite, en charge de gouverner la terre (p 81).  Cependant, on pourrait dire, à l’inverse, que l’être humain est une créature qui vient en dernier, et que, par suite, l’humanité dépend pour sa vie de tout ce qui a été créé par ailleurs.

« Selon le premier récit de la création, la terre n’est pas assujettie par l’être humain. La terre est un être grand, unique, créatif qui engendre la vie : plantes, arbres et animaux de toute espèce (Genèse 1.24).  On ne dit rien de semblable pour d‘autres êtres créés, y compris pour l’homme » (p 81). La terre n’est pas seulement un abri pour les êtres vivants. Elle les engendre. Ainsi Moltmann en est venu à se faire une haute idée de la terre. « La terre est plus que vivante parce qu’elle engendre la vie. Elle est plus qu’un organisme parce qu’elle produit des organismes. Elle est plus qu’intelligente, car elle engendre de l’intelligence. Elle est plus grande que l’humanité. Elle survivra à l’humanité, même si celle-ci met fin à son existence » (p 82).

Et, sur le plan biblique, dans l’épisode de Noé, Dieu fait alliance avec la terre. L’arc en ciel est un signe de cette alliance entre Dieu et la terre (Genèse 9.13). Les droits de la terre sont exprimés dans les règles du Sabbat. Ainsi la terre a un droit au repos du sabbat pour qu’elle puisse régénérer ses forces vitales. Pour la foi chrétienne, le salut de la terre vient du Christ cosmique. Dieu a « réconcilié » (Col 1.20) l’univers en unissant toute chose en Christ : « les choses dans le ciel et les choses sur la terre » (Eph 1.10) . Le Christ ressuscité a été aussi exalté… et le Christ exalté est le Christ cosmique. Il est présent en toutes choses. Finalement, il est aussi celui qui vient et qui remplira le ciel et la terre de sa justice » (p 83).

A nouveau, Moltmann critique la religion gnostique qui privilégie le départ vers le ciel et déconsidère la terre. La participation à la vie de la terre conduit au ressenti d’une vie universelle. La nouvelle spiritualité de la terre éveille une « humilité cosmique ». Elle suscite également un amour cosmique tel que le Staretz Sosima l’exprime dans le roman de Dostoevski : « les frères Karamazov » : «  Aime toute la création, l’ensemble et chaque petit grain de sable. Aime les animaux, les plantes, chaque petite chose. Si tu aimes chaque petite chose, alors le mystère de Dieu en elle, te sera révélé. Une fois qu’il t’est révélé, alors tu le percevras de plus en plus chaque jour. Et à la fin, tu aimeras l’univers entier d’un amour sans limite (« all comprehensive ») ».

 

Les chapitres qui s’inscrivent dans l’approche sur la plénitude de vie (fullness of life) sont particulièrement riches et denses. En effet, sur des thèmes majeurs comme la joie, la souffrance, la liberté, la solidarité, l’amitié, l’amour, la vie sensorielle, l’espérance, la fête et la célébration, ils apportent une réflexion originale qui, parfois, sur certains points, peut être contestée, mais élève toujours notre pensée dans une expression à même de susciter la méditation et d’éveiller l’émerveillement. Cependant, comme dans ce livre, la pensée de Moltmann se développe souvent à partir d’un débat philosophique, sa lecture requiert un effort particulier de la part de ceux  qui ne sont pas habitués à cette approche. De plus, dans un volume limité en nombre de pages, la brièveté du propos ne rend pas toujours bien compte de la densité de la pensée. Ce livre est néanmoins non seulement important, mais original, car il est écrit à l’intention de tous ceux qui vivent aujourd’hui dans la culture occidentale. Il nous aide à répondre aux objections auxquelles nous sommes confronté. Et il nous ravit en montrant tout ce que nous pouvons recevoir de la foi chrétienne pour notre existence.  A une époque marquée par l’inquiétude, Jürgen Moltmann nous apporte un message de vie, une vision d’avenir en traduisant également cet apport dans ce qu’il peut éclairer notre vie concrète.

Ce livre nous invite à nous référer aux autres ouvrages du même auteur pour mieux comprendre l’ampleur et le sens de sa recherche. En dehors de la suite des ouvrages de fond traduits en français et publiés aux éditions du Cerf, nous suggérons la  lecture d’un livre publié en 2010 dans une traduction en anglais et qui présente, en des termes accessibles, les avancées théologiques de Moltmann : « Sun of rigtneousness, arise. God’s future for humanity and the earth » (4). En français, nous disposons depuis 2012, d’un livre qui, à partir d’une approche existentielle, peut également nous introduire dans la démarche de Moltmann. « De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance » (5). Voici de quoi accompagner ce nouveau livre : « The living God and the fullness of life » qui nous apporte aujourd’hui une réflexion bienvenue sur les fondements d’une approche chrétienne dans la culture d’aujourd’hui

 

J H

 

(1)            Moltmann (Jürgen). The living God and the fullness of life. World Council of Churches publications, 2016  Disponible sur Amazon.fr : http://www.amazon.fr/Living-God-Fullness-Life/dp/0664261612/ref=sr_1_1?s=english-books&ie=UTF8&qid=1459608494&sr=1-1&keywords=The+living+God+and+the+fullness+of+life

(2)            Sur le site : Journal of Lutheran Ethics, compte-rendu détaillé de « The living God and the fullness of life », par James M Brandt, professeur de théologie historique à la Saint Paul School of Theology. Nous recommandons la lecture de cette remarquable présentation. L’auteur conclut ainsi son analyse :  « Perhaps the signal contribution of this book, in an age drawn to spirituality and action but leary of doctrine, is the way it links deep theological reflection with a vibrant vision of life. Life that is given meaning by the joy od God’presence in, with, and under the sensual goodness of the world, and community that overcomes barriers and create new relationships in anticipation of God’s future. In The Living God, there is inspiration aplenty for the thinking and the living » : http://elca.org/jle/articles/1143

(3)            « Dieu vivant, Dieu présent, Dieu avec nous dans un monde où tout se tient » : https://vivreetesperer.com/?p=2267

(4)            Moltmann (Jürgen). Sun of righteousness, arise ! God’s future for humanity and the earth. Fortress Press, 2010

(5)            Moltmann (Jürgen). De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance. Empreinte Temps présent, 2012.  Présentation sur ce blog : « Une dynamique de vie et d’espérance » : https://vivreetesperer.com/?p=572

 

Voir aussi :

« Le Dieu Vivant et la plénitude de  vie. Eclairages apportés par la pensée de Jürgen Moltmann » : https://vivreetesperer.com/?p=2413

« Dieu vivant, Dieu présent, Dieu avec nous dans un monde où tout se tient » : https://vivreetesperer.com/?p=2267

 

Quelle vision de Dieu, du monde, de l’humanité en phase avec les aspirations et les questionnements de notre époque ?

 

Genèse de la pensée de Jürgen Moltmann 

A notre époque, un moment où la conjoncture internationale s’est assombrie, pour y faire face, aller de l’avant, nous avons besoin d’une dynamique d’espérance. Nous pouvons donc nous tourner à nouveau vers la pensée théologique de Jürgen Moltmann (1) qui commence à émerger avec la parution en 1964 d’un livre révolutionnaire à l’époque : « La théologie de l’espérance » (2).

Bien entendu, ce livre est intervenu dans un contexte social différent du notre, un moment où le vieux monde commençait à se fissurer et où un nouvel horizon apparaissait. C’est l’époque où Martin Luther King exprime son rêve d’une Amérique libérée de la domination raciale. JF Kennedy regarde en avant dans l’esprit d’une nouvelle frontière. En Tchécoslovaquie, apparaît un essai de socialisme à visage humain, bientôt écrasé par les chars soviétiques. Jean XXIII et le concile Vatican II entreprennent une révolution des esprits dans l’Eglise catholique. Mais c’est aussi l’époque marquée par la guerre du Vietnam, par l’affrontement Est-Ouest et la menace de la destruction nucléaire.

Plus de vint ans après  la parution de la « Théologie de l’espérance », en 1988, l’Eglise de la Trinité à New York a invité Jürgen Moltmann et son épouse Elisabeth Moltmann-Wendel, une des premières théologiennes féministes à intervenir dans un forum de théologiens réputés. Après deux décennies, il était possible et nécessaire de faire le point. En quoi l’apport de Jürgen Moltmann avait-il marqué un tournant dans la vision de Dieu, du monde et de l’humanité ? En quoi cet apport avait-il joué un rôle majeur dans l’univers chrétien ? Avec le recul, vingt ans plus tard, comment cet apport continuait-t-il à éclairer les représentations des acteurs chrétiens ? Aujourd’hui, trente ans plus tard, cette conférence n’a pas perdu sa pertinence. En effet, elle nous aide à mieux comprendre comment une réflexion théologique peut nous aider à répondre à nos questionnements dans toute leur dimension et leur actualité. Aujourd’hui, nous avons conscience de l’ampleur des mutations en cours. Une dynamique d’espérance, la conscience de l’œuvre créatrice et libératrice de Dieu est à même de nous éclairer dans notre recherche et dans notre action. Voici pourquoi cette conférence n’appartient pas seulement au passé. Elle nous apparaît comme un épisode d’une histoire en marche.

 

Ce colloque a donné lieu à une série de quatre vidéos (3) réalisées par la « Trinity church » de New York et impulsées par deux théologiens de cette Eglise : Frederic Burnham et Leonard Freeman. Elles présentent à la fois interviews et interventions de  Jürgen Moltmann et questionnements et commentaires de théologiens réputés. La première vidéo présente la théologie de l’espérance dans son contexte. La seconde vidéo est consacrée à un débat sur cette théologie. La troisième porte sur la théologie féministe telle qu’elle est présentée par Elisabeth Moltmann-Wendel. Enfin la quatrième concerne le rôle de l’Eglise dans le monde. Notre compte-rendu ne sera pas exhaustif. Nous nous bornerons à mettre en évidence quelques affirmations majeures de la théologie de Jürgen Moltmann et la manière dont certaines d’entre elles apparaissent à beaucoup de théologiens comme une réponse attendue et libératrice. De la même façon, aujourd’hui encore, par rapport aux aspirations et aux questionnements de nos contemporains, nous avons besoin de réponses adéquates. En mettant en scène le débat autour de la pensée de Jürgen Moltmann, ces vidéos nous permettent  de mesurer l’importance de la réflexion théologique pour éclairer nos représentations et le cours de notre pensée.

 

La théologie de l’espérance

Moltmann est interrogé sur son parcours. Qu’est-ce qui l’a amené à s’engager dans la réflexion théologique et à écrire « La théologie de l’espérance » ?

Effectivement, au départ, Jürgen Moltmann était davantage intéressé par les sciences. « Quand j’avais quatorze ans, mon intention était d’étudier les mathématiques et la physique parce que j’étais fasciné par Einstein ». Et puis, Jürgen Moltmann a été saisi par la tourmente de la guerre à Hambourg, l’anéantissement de la ville par un bombardement destructeur, son enrôlement dans la Wehrmacht, sa condition de prisonnier de guerre en Grande-Bretagne pendant plusieurs années. « Pourquoi ai-je survécu ? » s’est interrogé Moltmann. Et c’est dans un camp de prisonniers qu’il a découvert la voie chrétienne en la personne de Jésus. Ainsi la théologie de l’espérance n’est pas le produit d’une construction progressiste ; c’est un chemin de foi. « Je pense que je suis un optimiste parce qu’autrement je serais un pessimiste. Je ne suis pas un optimiste par ce que je vois, mais par ce que à quoi je fais confiance lorsque j’écoute l’Evangile. C’est le triomphe de la grâce sur le péché, de l’espérance sur la haine ».

 

Jürgen Moltmann est donc « l’inventeur » d’une théologie de l’espérance dont on peut étudier le contexte de formation. Ecoutons simplement la dynamique qui a porté cette théologie. « Quand au début, j’ai écrit la théologie de l’espérance, il y a maintenant plus de vingt ans, j’ai commencé avec le postulat que, depuis Augustin, l’espérance chrétienne avait été réduite par l’Eglise au salut des âmes dans le Ciel par delà la mort, et que, dans cette réduction, cette espérance avait perdu sa puissance de changement et de renouvellement de la vie. Mais, dans la théologie de l’espérance, j’ai essayé de présenter l’espérance chrétienne non plus comme une espérance pour l’au delà, mais plutôt comme une puissance de vie qui nous fait vivre. Pour développer cette vision, je me suis fondé sur les promesses bibliques de la nouvelle création, de la résurrection du corps, du ciel nouveau et particulièrement de la terre nouvelle dans laquelle la justice de Dieu habitera ». Jürgen Moltmann répond au désarroi du christianisme à une époque, qui, comme celle d’aujourd’hui, se caractérise par des changements profonds dans la société et par une transformation des mentalités. « Parce qu’il n’y avait plus d’espérance pour la société dans la tradition chrétienne, nous avons négligé la société. Parce qu’il n’y avait plus d’espérance pour la terre, nous avons négligé la terre et nous l’avons abandonnée aux forces de destruction que nous voyons autour de nous. Il est grand temps d’ouvrir l’expérience chrétienne à sa puissance de vie universelle (all embracing power).

 

Cette nouvelle inspiration théologique est venue dans un moment de crise. Comme le note un participant : A l’époque, «  dans les années 60, on pouvait se demander où était l’espérance et si le christianisme était capable de faire face à la crise ». Cette théologie de l’espérance est un nouvel horizon. « C’est une théologie messianique qui nous donne de regarder en avant ». Cela nous permet de sortir de l’individualisme égocentré et complaisant d’une idéologie existentialiste ». « Comme pasteur, il était difficile pour moi de prêcher sur la fin des temps et le jugement final. Moltmann nous a permis de découvrir qu’il y avait bien plus dans les Ecritures que nous le pensions ». Cette séquence nous permet de mieux comprendre la réception de la pensée de Moltmann. A certains moments, en regard de l’évolution des mentalités, on éprouve le besoin d’un nouveau regard, d’une nouvelle vision théologique. Cet exemple reste instructif pour aujourd’hui.

 

 Débat autour de la théologie de Jürgen Moltmann

Ce colloque a permis un partage et un débat autour de la théologie de Moltmann. En réponse aux interrogations, Jürgen Moltmann a pu s’expliquer sur certains points donnant lieu à controverse. Une seconde vidéo rapporte cette explication qui porte sur trois questions : la nature du pouvoir ; la nature de la Trinité ; la nature de la vie après la mort. On se reportera aux différents dialogues pour un suivi complet. Voici quelques aperçus.

 

Toute réflexion s’inscrit dans un contexte. Jürgen Moltmann en a bien conscience. « Je puis avoir une certaine obsession par rapport au pouvoir à cause de mon expérience personnelle d’un pouvoir aliénant ». Moltmann a subi le régime de l’Allemagne hitlérienne. Il note qu’un contexte allemand est bien différent d’un contexte anglais. Dans sa théologie, Moltmann s’est élevé contre la représentation d’un pouvoir dominateur attribué à Dieu. Il nous dit que la puissance de Dieu s’exerce dans son auto-détermination. Personne ne peut limiter Dieu excepté lui-même dans une auto-limitation. « Les hommes ont l’amour du pouvoir, mais Dieu a le pouvoir de l’amour ».

 

A travers son attention au récit évangélique, Jürgen Moltmann nous décrit le Dieu trinitaire comme une communion d’amour. « Selon ma compréhension, on doit partir de l’histoire de Jésus dans sa relation avec Celui qu’il appelait « Abba », cher père, et avec l’Esprit. L’histoire biblique est l’histoire de la collaboration entre Jésus, Abba et l’Esprit ». C’est une vision qui ne vient pas d’en haut, mais d’en bas. L’unité de Dieu s’exerce dans la « périchorésis », une habitation de l’un dans l’autre. « Le Père est en moi. Je suis dans le Père », dit Jésus.

 

L’approche eschatologique tournée vers l’avenir de Dieu, présente dans la théologie de l’espérance s’est appliquée largement à la dimension sociale et politique de la vie. Aussi on a pu se demander si la dimension personnelle : la vie après la mort, n’était pas négligée. Dans ce bilan, Moltmann reconnaît qu’il avait effectivement trop peu étudié cette question. Interpellée sur cette question par l’épouse d’un ami décédé, il s’est d’autant plus mis à la tâche. « Il s’agissait d’achever ce qui avait été commencé avec la théologie de l’espérance, non pas de changer, mais de compléter ». « Dans la grande perspective du Nouveau Testament, les vivants et les morts sont en communion avec le Christ… « Soit que nous vivions, soit que nous mourrions, nous appartenons au Seigneur, car il est mort et revenu à la vie pour être le Seigneur des morts et des vivants » (Romains 14.8-9)(4).

Ces dialogues nous montrent la théologie de Moltmann à un moment de son évolution. C’est une pensée en  mouvement qui évolue, se rééquilibre, s’enrichit et va à la découverte. Ici, questions, commentaires et réponses de Moltmann se complètent et font ressortir la dynamique d’une pensée à l’écoute.

 

La réponse féministe.

Epouse de Jürgen Moltmann et pionnière d’une théologie féministe, Elisabeth Moltmann-Wendel s’est également exprimée dans ce colloque dédié à la théologie de l’espérance. Son œuvre s’inscrit en effet dans la même perspective. Elle a retravaillé les données chrétiennes classiques dans une perspective nouvelle. Elle s’est appuyée sur la sagesse de l’Ancien Testament et sur l’ouverture de Jésus envers les femmes pour créer un modèle biblique inclusif. Elle s’inspire de la justification par la foi pour promouvoir la libération des femmes. Et par rapport à un état d’esprit répressif, elle ose proclamer la valeur de la femme en des termes percutants : « I am good. I am full. I am beautiful » : « Je suis bonne. Je suis unifiée. Je suis belle ». De fait, par rapport à une représentation restrictive de l’œuvre de Dieu, elle ouvre le regard en citant un verset du Sermon sur la Montagne (Matthieu 5.45) : « Votre Père céleste fait luire son soleil aussi bien sur les méchants que sur les bons. Il fait pleuvoir sur ceux qui lui sont fidèles comme sur ceux qui ne le sont pas ». Elle proclame un Dieu inconditionnellement aimant.

Cependant, la puissante devise destinée à libérer le potentiel des femmes : « Je suis bonne. Je suis unifiée. Je suis belle » est venue à l’esprit d’Elisabeth en voyant les dégâts engendrés par une éducation chrétienne traditionnelle. Elle fréquentait « des femmes chrétiennes bien éduquées, exerçant un grand contrôle sur elles-mêmes, bonnes, faisant du bon travail dans l’Eglise. Je me suis rendu compte qu’elles ne parvenaient pas à s’aimer elles-mêmes. Alors, en réaction, j’ai proclamé ces trois affirmations : Je suis bonne. Je suis unifiée. Je suis belle. J’empruntais l’idée d’unité, de complétude, de plénitude (wholeness) à la théologie féministe qui assume la femme, corps et âme. La référence à la beauté m’est venue en pensant à la devise : « Black is beautiful » empruntée au mouvement de libération afro-américain ». Mais pourquoi cette « haine de soi » ? En quoi est-elle associée au christianisme ? « Au commencement du christianisme, dans l’Eglise primitive, la femme était pleinement acceptée. Jésus avait une relation étroite avec des femmes de tout bord : pauvres, discriminées… » Plus tard, le christianisme est retombé dans le sillage d’une société et d’une culture patriarcale. Aujourd’hui, dans l’esprit d’une justification par la foi, un Evangile de libération est à nouveau à l’oeuvre et permet aux femmes de changer, de passer d’une haine de soi à un amour de soi et de s’accepter holistiquement. Ce changement a bien entendu d’autres aspects : nouveau rapport avec la création, proclamation du partenariat et de la communauté dans les relations de pouvoir.

Jürgen Moltmann, interrogé sur cette question, a certes confirmé le caractère innovant et authentiquement chrétien de cette théologie, mais il s’est exprimé aussi d’une façon plus personnelle.

Il rappelle combien l’éducation des jeunes garçons, des hommes a, elle aussi été entâchée par la négativité et la violence. « Vous n’êtes rien… vous ne pouvez rien… vous devez faire. Vous n’êtes pas bon… Vous n’êtes pas unifié… vous n’êtes pas beau…vous devez faire. Quelle terrible éducation ! ». Alors Jürgen Moltmann apprécie le signe de libération venant de la théologie féministe.

 

Ainsi, en 1988, malgré l’ébranlement culturel des années 1960, on enregistrait encore beaucoup de rigidité dans des milieux chrétiens. Les filles et les femmes en étaient particulièrement victimes, mais cela touchait aussi les garçons et les hommes. En étudiant aujourd’hui la communication non violente, on peut constater un impact négatif à long terme de cette éducation associée à une culture patriarcale et chrétienne. Aujourd’hui encore, une approche positive du potentiel humain se heurte à un inconscient hérité. Ainsi la théologie féministe, exprimée dans cette vidéo par Elisabeth Moltmann et Letty Russel, en affinité avec Jürgen Moltmann, garde sa pertinence aujourd’hui.

 

Une théologie en mouvement.

Depuis 1988, Jürgen Moltmann a été invité à de nombreuses rencontres théologiques et ses interventions sont parfois également rapportées dans des vidéos. Alors pourquoi avoir rendu compte de ce colloque organisé par l’Eglise de la Trinité autour de la théologie de l’espérance ? Il nous semble que ce compte-rendu nous permet de mieux comprendre la production et la réception de l’œuvre fondatrice de Jürgen Moltmann dans son contexte historique. Nous découvrons comment cette œuvre a répondu aux questionnements et aux aspirations des chrétiens dans un sérieux désarroi à cette époque. Et certains thèmes abordés dans ce colloque, comme une approche positive du potentiel humain, est encore pertinente aujourd’hui. En écoutant ces interventions, nous percevons une dynamique qui nous interpelle encore aujourd’hui, car, dans un autre contexte, la conjoncture actuelle est troublée et nous avons besoin de regarder en avant.

Tout est redit par Moltmann dans un livre plus récent (5) : « Le christianisme est résolument tourné vers l’avenir et invite au renouveau. Avoir la foi, c’est vivre dans la présence du Christ ressuscité et tendre vers le futur Royaume de Dieu… De son avenir, Dieu vient à la rencontre des hommes et leur ouvre de nouveaux horizons qui débouchent sur l’inconnu et les invite à un commencement nouveau ».

Ajoutons que le fonctionnement même de ce colloque dans les interactions entre les organisateurs, Frederic Burnham et Leonard Freeman, le questionnement et le commentaire des théologiens et les réponses de Jürgen Moltmann nous permet de mieux comprendre la nature de la réflexion théologique au carrefour entre le donné des Ecritures et les manières de penser engendrées par l’évolution de la culture. C’est un éclairage pour le monde d’aujourd’hui.

 

J H

 

(1)            Pour connaître l’œuvre et la pensée de Jürgen Moltmann, lire son autobiographie : Jûrgen Moltmann. A broad place.An autobiography. SCM Press, 2007. Présentation : « Une théologie pour notre temps. L’autobiographie de Jürgen Moltmann » : http://www.temoins.com/une-theologie-pour-notre-temps-lautobiographie-de-juergen-moltmann/ et http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=695

Se reporter également au blog dédié à l’œuvre de Jürgen Moltmann : L’Esprit qui donne la vie (bientôt renouvelé) : http://www.lespritquidonnelavie.com

Sur ce blog, plus particulièrement les articles suivants :

« Une théologie pour la vie » : https://vivreetesperer.com/?p=1917

« L’avenir inachevé de Dieu » : https://vivreetesperer.com/?p=1884

« Dieu vivant, Dieu présent, Dieu avec nous dans un monde où tout se tient » : https://vivreetesperer.com/?p=2267 « Le Dieu vivant et la plénitude de vie » : https://vivreetesperer.com/?p=2413

(2)             « La théologie de l’espérance », dans sa version allemande, est paru en 2004 et dans sa version anglaise en 2007.  Dans sa version française, il est paru au Cerf en 1970

(3)            Colloque organisé par Trinity Church (New York) : Love : The foundation of hope. A celebration of the life and work of Jürgen Moltmann and Elisabeth Moltmann-Wendel : 4 vidéos sur You Tube : A theology of hope : https://www.youtube.com/watch?v=0GBb8–Ic3I&t=354s      Theology of hope : critiques and questions :  https://www.youtube.com/watch?v=wqJYaKB9sFs&t=7s     The feminist response : https://www.youtube.com/watch?v=HXz4WDU6iyQ Theology of hope. The church and the world : https://www.youtube.com/watch?v=uWPKdlLDLgI&t=364s

(4)            Sur ce blog : « Vivants et morts, ensemble, en Christ ressuscité » : https://vivreetesperer.com/?p=2221

(5)            Jürgen Moltmann. De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance. Empreinte. Temps présent, 2012 Citation : p 109-110 Sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=572

A l’heure de Noël, à l’image de Jésus, l’enfant, promesse de vie

 

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« Chaque enfant apporte avec lui un nouveau commencement de vie dans le monde et se développe dans l’aurore de la plénitude à venir. S’ils sont des créatures de Dieu, ils sont créés pour cet avenir de sa création. Il faut donc considérer et accepter les enfants dans cette dimension transcendante où ils peuvent être eux-mêmes et se développer par eux-mêmes…Chaque enfant apporte avec lui quelque chose de nouveau dans le monde et ce renouvellement de la vie nous permet d’espérer quelque chose du royaume de paix promis avec sa plénitude de vie. « Les enfants sont différents », déclare à juste titre Maria Montessori en faisant référence à Emerson : « L’enfant est l’éternel Messie qui revient sans cesse dans l’humanité déchue pour la conduire vers le royaume des cieux » (1)

Dans son livre : « De commencements en recommencements », Jürgen Moltmann consacre ainsi son premier chapitre à « La promesse de l’enfant » (1) La reconnaissance du potentiel spirituel de l’enfant est une des découvertes de notre époque (2). La parole de Jésus, longtemps méconnue, est à nouveau entendue (3). Une bonne nouvelle à évoquer en ce temps de Noël que l’on aime recevoir comme un temps de nouveauté et de promesse.

 

J H

 

(1)            Jürgen Moltmann. De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance. Empreinte temps présent, 2012 (Citation : p 28)  https://vivreetesperer.com/?p=572

(2)            « L’enfant, un être spirituel » : https://vivreetesperer.com/?p=340                                 Le livre de Rebecca Nye est maintenant traduit en français et publié sous le titre : « La spiritualité de l’enfant » : http://www.temoins.com/lenfant-est-un-etre-spirituel/

(3)            « Découvrir la spiritualité des enfants. Un signe des temps ? » http://www.temoins.com/decouvrir-la-spiritualite-des-enfants-un-signe-des-temps/

Une belle vie se construit avec de belles relations

 

Un message de Robert Waldinger, directeur de la « Harvard study of adult development »

 

Qu’est ce qui contribue le plus à notre bonheur ? C’est une question qui se pose à tout âge, et aussi dans les jeunes générations qui s’interrogent sur leur devenir. On peut entendre parfois un désir de richesse, de célébrité ou bien l’éloge d’un travail acharné. Une recherche menée à l’Université de Harvard éclaire singulièrement notre réponse à ces questions. Directeur du projet » Harvard study of adult development », dans un exposé à Ted X (1), Robert Waldinger nous décrit une enquête exceptionnelle parce qu’elle s’effectue dans une longue durée. « Pendant 75 ans, nous avons suivi les vies de 724 hommes, année après année », en les interrogeant sur toutes les dimensions de leur vie : travail, vie de famille, santé…. Ainsi, depuis 1938, les chercheurs enquêtent auprès de deux groupes initiaux : « Le premier est entré dans l’étude alors que les jeunes gens étaient dans la deuxième année d’Harvard. Le deuxième était un groupe de garçons d’un des quartiers les plus pauvres de Boston ». Aujourd’hui, 60 de ces 724 hommes sont encore vivants. Les trajectoires de ces personnes sont extrêmement diverses. « Ils ont grimpé toutes les marches de la vie. Ils sont devenus ouvriers, avocats, maçons, docteurs… Certains ont grimpé l’échelle sociale du bas jusqu’au sommet et d’autres ont fait le chemin dans l’autre sens ». Répétée tous les deux ans, la recherche menée auprès d’eux a permis de collecter un ensemble de données approfondies et variées depuis des interviews en profondeur jusqu’à des informations médicales.

 

 

Quelles sont les données qui résultent des dizaines de milliers de pages d’information qui ont été ainsi recueillies ? A partir de là, Robert Waldinger peut répondre à la question portant sur les conditions qui favorisent le bonheur. « Le message le plus évident est celui-ci : les bonnes relations nous rendent plus heureux et en meilleure forme. C’est tout ». Ainsi, « les connexions sociales sont vraiment très bonnes pour nous et la solitude tue. Les gens qui sont les plus connectés à leur famille, à leurs amis, à leur communauté, sont plus heureux, physiquement en meilleure santé et ils vivent plus longtemps que les gens moins bien connectés ». L’isolement est vraiment un fléau.

Mais on peut aller plus loin. « Il y a une deuxième leçon que nous avons apprise. On peut se sentir seul dans une foule ou dans un mariage. Ainsi, ce n’est pas le nombre d’amis que vous avez ou que vous soyez engagé ou non dans une relation, mais c’est la qualité de vos relations proches qui importe ». Cette qualité de la relation ressort également d’une autre démarche de la recherche. « Une fois que nous avons suivi les hommes jusqu’à leur quatre-vingtième année, nous avons voulu revenir vers le milieu de leur vie, vers la cinquantaine » et voir si nous pouvions prédire ce qu’ils deviendraient plus tard. « Nous avons rassemblé tout ce que nous savions sur eux à cinquante ans. De fait, ce n’est pas le taux de cholestérol qui prédit comment ils allaient vieillir. C’est le niveau de qualité de leurs relations ». « Les gens qui étaient les plus satisfaits de leurs relations à cinquante ans étaient également ceux qui étaient en meilleure santé à quatre vingt ans ». Robert Waldinger ajoute un troisième observation. « les bonnes relations ne prolongent pas seulement la santé, mais aussi l’état du cerveau. La mémoire de ces gens restent en forme plus longtemps. »

Cependant, en conclusion, Robert Waldinger commente ainsi sa recherche. Ne recherchons pas le spectaculaire. C’est tout un processus qui est en cause, une attitude « tout au long de la vie ». « Cela ne finit jamais ». « Les gens de notre étude qui étaient les plus heureux dans leur retraite, étaient ceux qui ont activement remplacé leurs collègues de travail par de nouveaux amis ». « Les possibilité sont pratiquement sans fin. Ce peut être quelque chose d’aussi simple que de remplacer le temps d’écran par du temps vécu avec des gens, ou raviver une vieille relation en faisant quelque chose de nouveau ensemble, ou rappeler ce membre de la famille à qui vous n’avez pas parlé depuis des années..  »

Le bienfait des bonnes relations ; c’est « une sagesse qui est vieille comme le monde ». « Une belle vie se construit avec de belles relations ».

 

Cette recherche nous apprend beaucoup sur les fondements d’une vie humaine accomplie. Dans la conscience croissante de l’interconnection qui prévaut dans l’univers, c’est seulement dans la relation que l’être humain peut s’épanouir. Et d’ailleurs, la spiritualité a pu être définie comme une « conscience relationnelle » (2) avec soi, avec les autres, avec la nature et avec Dieu. L’emploi croissant du terme « reliance » (3) est également significatif.

Cependant, cette importance primordiale de la relation telle qu’on peut la constater dans cette recherche, nous paraît s’inscrire dans une dimension plus vaste. Nous nous référons ici à Jürgen Moltmann, un théologien qui nous invite à reconnaître l’œuvre de l’Esprit dans la communauté de la création. « L’ « essence » de la création dans l’Esprit est… « la collaboration » et les structures manifestent la présence de l’Esprit dans la mesure où elles font connaître l’ « accord général ». « Au commencement était la relation »   (Martin Buber) (4). A la fin de son exposé, « Robert Waldinger évoque « une sagesse qui est vieille comme le monde ». Dans l’Evangile, Jésus nous invite à nous aimer les uns les autres.

A une époque où se manifeste à la fois un progrès de l’individualisation et un désir de relation, Jürgen Moltmann évoque « la multiplicité dans l’unité ». « Les créatures font l’expérience de la « communion de l’Esprit Saint » aussi bien sous la forme de l’amour qui nous unit que sous celle de la liberté qui permet à chacune d’advenir à elle-même selon son individualité propre ». Il y a en nous, les humains, un besoin profond de relation et la recherche menée à Harvard  confirme l’importance vitale de ce besoin. Jürgen Moltmann exprime bien cette réalité et l’inscrit dans une perspective plus vaste.

« Il n’y a pas de vie sans relations….  Une vie isolée et sans relations, c’est à dire individuelle au sens littéral du terme et qui ne peut pas être partagée, est une réalité contradictoire en elle-même. Elle n’est pas viable et elle meurt… La vie naît de la communauté, et là où naissent des communautés qui rendent la vie possible et la promeuvent, l’Esprit de Dieu est à l’œuvre. Instaurer la communauté et la communion est manifestement le but de l’Esprit de Dieu qui donne la vie dans le monde de la nature et dans celui des hommes » (5).

La recherche menée à Harvard nous montre le bienfaits d’un vécu en relation. Bien sûr, ce vécu dépend de plusieurs variables. Certains peuvent le désirer et ne pas y parvenir pour diverses raisons. Mais l’objectif est pertinent.

Dans certains contextes, pour vivre pleinement en relation, il y a des obstacles à surmonter (6). C’est pourquoi nous sommes appelés à susciter des environnements propices à cette dimension essentielle de la vie (7). Les conclusions que Richard Waldinger tire de la « Harvard study of adult development » sont pour nous un éclairage et un encouragement.

 

J H

 

(1)            What makes a good life ? Lessons from the longest study on happiness. Sur You Tube : https://www.youtube.com/watch?v=8w9QwRAumBA         Sur Ted. Ideas worth spreading : https://www.ted.com/talks/robert_waldinger_what_makes_a_good_life_lessons_from_the_longest_study_on_happiness

(2)            « La vie spirituelle comme « une conscience relationnelle ». Une recherche de David Hay sur la spiritualité d’aujourd’hui » : http://www.temoins.com/la-vie-spirituelle-comme-une-l-conscience-relationnelle-r/

(3)            Origine et évolution du terme sur Wiktionnaire : https://fr.wiktionary.org/wiki/reliance  Céline Alvarez, dans un remarquable livre sur « Les lois naturelles de l’enfant » (Les Arènes, 2016) consacre un chapitre entier sur les bienfaits de la reliance dans une classe d’école maternelle mettant en œuvre une pédagogie d’inspiration montessorienne confirmée scientifiquement : « La puissance de la reliance » (p 353-374)

(4)            Jürgen Moltmann . Dieu dans la création. Traité écologique  de la création . Cerf, 1988 (p 25)

(5)            Jürgen Moltmann. L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999 ( p 298)

(6)            « Solidaires face à la solitude » : https://vivreetesperer.com/?p=561

(7)            Rappelons ici le chapitre du livre de Céline Alvarez sur la reliance qui se réfère également à la recherche que nous venons de présenter.                                                                       Sur ce blog, voir aussi : « Un environnement pour la vie » : https://vivreetesperer.com/?p=2041 et une méditation de Guy Aurenche : « Briser la solitude » . https://vivreetesperer.com/?p=716