Le Dieu vivant et la plénitude de vie

 

Éclairages apportés par la pensée de Jürgen Moltmann

Dans son livre : « The living God and the fullness of life » (Le Dieu vivant et la plénitude de vie » (1), Jürgen Moltmann  nous parle de la puissance de vie, active dans le message du Christ qui se déclare « La résurrection et la vie », une force présente chez les premiers chrétiens et qui peut tout autant se déployer dans le monde d’aujourd’hui. Jürgen Moltmann exprime également une vision du monde en ce sens. Voici, à ce sujet, quelques brefs extraits de son livre, que, sans expertise d’une traduction professionnelle, nous avons rapporté en français, en espérant que ce livre sera bientôt traduit et publié dans notre langue. En lisant ces passages, on se reportera au texte anglais.

Le livre de Jürgen Moltmann est très riche et très dense. Ces quelques passages ne sont pas représentatifs de l’ensemble. Simplement, ils ont été retenus ici comme une invitation à la réflexion et à la méditation.

 

J H

 

 

Dieu vivant, Dieu trinitaire

Le Dieu vivant ne peut être nul autre que le Dieu trinitaire. Le Dieu trinitaire vit une vie éternelle comme un amour mutuel au sein de Dieu. L’histoire du Christ est son histoire de vie pour nous, parmi nous et avec nous. Dans l’Histoire du Christ, sa vie éternelle absorbe en elle notre vie finie. Et, ceci étant, cette vie mortelle est alors déjà une vie éternelle. Nous vivons dans sa vie éternelle même quand nous mourrons. (p 69)

 

Plus forte est la résurrection

Pourquoi le christianisme est-il uniquement une religion de la joie, bien qu’en son centre, il y a la souffrance et la mort du Christ sur la croix ? C’est parce que, derrière Golgotha, il y a le soleil du monde de la résurrection, parce que le crucifié est apparu sur terre dans le rayonnement de la vie divine éternelle, parce qu’en lui, la nouvelle création éternelle du monde commence. L’apôtre Paul exprime cela avec sa logique du « combien plus ». « Là où le péché est puissant, combien plus la grâce est-elle puissante ! »  (Romains 5.20). « Car le Christ est mort, mais combien plus il est ressuscité » (Romains 8.34. Trad. de l’auteur). Voilà pourquoi les peines seront transformées en joies et la vie mortelle sera absorbée dans une vie qui est éternelle.

« Tout ce qui venait de la souffrance s’évanouissait rapidement

Et ce que mon oreille entendait n’était rien d’autre qu’un chant de louange » ( Werner Bergengruen) (p 100-101).

 

La vie éternelle nous est donnée

Si nous cessons de considérer la fin temporelle de la vie humaine, mais à la place, regardons à son commencement éternel, alors la vie humaine est entourée et acceptée par le divin et le fini fait partie de l’infini. Cette vie actuelle, cette vie joyeuse et douloureuse, aimée et souffrante, réussie et infructueuse, est vie éternelle. Dieu a accepté cette vie humaine et l’a interpénétrée, réconciliée et guérie, qualifiée en immortalité. Nous ne vivons pas seulement une vie terrestre et, pas seulement une vie humaine, mais simultanément, nous vivons aussi une vie qui est divine, éternelle et infinie.

 

« Celui qui croit a la vie éternelle » (Jean 6.47). Mais ce n’est pas la foi humaine qui acquiert la vie éternelle. La vie éternelle est donnée par Dieu. Elle est présente dans chaque personne humaine, mais c’est le croyant qui la perçoit. On la reconnaît objectivement et on l’absorbe subjectivement comme vérité dans sa propre vie. La foi est la joie dans la plénitude divine de la vie. Cette participation à la vie divine présuppose deux mouvements qui traversent les frontières : l’incarnation de Dieu dans cette vie humaine, et la transcendance de la vie humaine dans la vie divine. (p 73-74)

 

Dieu présent et proche

La foi chrétienne n’est pas tournée vers un Dieu lointain, mais elle se vit dans la présence de Dieu qui nous entoure de tous côtés.

« Tu m’entoures par derrière et par devant. Tu mets ta main sur moi. Une science aussi merveilleuse est au dessus de ma portée. Elle est trop élevée pour que je puisse la saisir » (Psaume 139. 5-6). Il est vrai que nous ne pouvons voir Dieu. Cependant, ce n’est pas parce que Dieu est si loin, mais parce qu’il est si près… « Dieu est plus près de nous que nous ne pouvons l’être de nous-même », déclare Augustin. « En lui, nous avons la vie, le mouvement et l’être » (Actes  17.28).

 

Mais cela n’est pas seulement vrai pour nous-même. Cela s’applique à tout ce que Dieu a créé. Il n’y a rien là dedans qui échappe à la présence de Dieu. Nulle part, nous ne pourrions ne pas rencontrer Dieu. En conséquence, nous rencontrerons toute chose avec révérence… Alors nous voyons toute chose dans  la présence de Dieu et la présence de Dieu en toute chose…

 

Au moment où nous croyons cela, une spiritualité cosmique commence. Nous commençons à voir toute chose avec étonnement et nous sommes saisis par une profonde révérence envers la vie… Dieu nous attend en toute chose qu’Il a créée et nous parle à travers elles. Celui qui a des yeux pour voir le voit. Celui qui a des oreilles pour entendre l’entend. La création entière est un grand et merveilleux sacrement de la présence de Dieu qui y réside. (p 170-171)

 

Marcher dans l’espérance

L’espérance ne signifie pas se fixer sur l’attente d’un temps meilleur dans le futur. C’est une attente tendue vers le jour nouveau. L’espoir d’une vie en plénitude nous rend curieux et ouvre nos sens à ce qui vient nous rencontrer. En vertu de cette espérance, nous sommes ouverts à l’étonnement et nous nous ouvrons à l’émerveillement à chaque nouvelle journée. Nous nous éveillons parce que nous savons que nous sommes attendus. Dans la force de l’espérance, nous ne capitulons pas face à la puissance de la mort, de l’humiliation et de la déception. Nous poursuivons la tête haute parce que nous voyons au delà du jour actuel. La personne qui abandonne l’espoir dans la vie et se désespère se tient aux portes de l’enfer au sujet duquel Dante a écrit : « Abandonnez toute espérance, vous qui entrez ici ». La personne qui garde l’espoir dans la vie est déjà sauvée. Cette espérance la garde en vie. Cette espérance la rend capable de vivre à nouveau. (p 169)

 

Une vision du futur

L’espérance eschatologique appelle le futur de Dieu « qui est à venir » (Apocalypse 1.4) dans le présent, qualifiant ainsi le présent pour être un présent de ce futur, en conformité avec le Christ, « Celui qui est venu dans ce monde » comme l’exprime la confession de foi de Marthe (Jean 11.27). La proclamation de l’Evangile aux pauvres, la guérison des malades par Jésus, et les béatitudes du Sermon sur la montagne sont des signes de la présence du futur de Dieu dans ce monde. « Le royaume de Dieu est au milieu de vous ».

 

D’autre part, l’espérance eschatologique ouvre chaque présent au futur de Dieu. « Portes, relevez vos linteaux ; haussez-vous, portails éternels pour que le grand roi fasse son entrée. » (Psaume 24.7).

On imagine que cela puisse trouver sa résonance dans une société ouverte au futur. Les sociétés fermées rompent la communication avec les autres sociétés. Les sociétés fermées s’enrichissent au dépens des sociétés à venir. Les sociétés ouvertes sont participatives et elles anticipent. Elles voient leur futur dans le futur de Dieu, le futur de la vie et le futur de la création éternelle…

 

La vie dans la joie est déjà une anticipation de la vie éternelle. La bonne vie est déjà le commencement d’une vie rayonnante là-bas. La plénitude de la vie ici pointe au delà d’elle-même à la plénitude de la vie là-bas. Dans la joie, en perspective de ce qui est espéré dans le futur, nous vivons ici et maintenant, nous pleurons avec ceux qui pleurent et nous nous réjouissons avec ceux qui se réjouissent (Romains 12.15). La vie dans l’espérance n’est pas une vie à moitié sous condition. C’est une vie pleine qui s’éveille aux couleurs de l’aube de la vie éternelle. (p 189-190)

 

Liberté : une attente créatrice

Si la foi chrétienne est une foi en la résurrection, alors elle est tournée vers l’avenir et peut être énoncée comme la passion créatrice pour une vie future éternellement vivante. Ainsi elle transcende les limitations du présent et elle traverse la réalité actuelle pour entrer dans les potentialités de l’avenir…

 

L’espérance chrétienne n’est pas une simple attente ou le fait d’ « attendre et voir ». C’est une attente créatrice des choses que Dieu a promis par la résurrection du Christ. Ceux qui attendent quelque chose avec passion se préparent à cette intention, eux et leur communauté. Dans cette préparation, le chemin  de Celui qui vient est préparé à travers des essais pour correspondre à ce qui est anticipé, avec toutes les capacités et les potentialités dont on dispose.

 

Ces correspondances avec l’avenir que Dieu a promis, sont des anticipations du futur. La personne qui espère un monde de liberté désirera ici et maintenant une libération par rapport à la répression politique et l’exploitation économique…La personne qui espère une vie éternellement vivante, sera déjà saisie, ici et maintenant,  par cette vie « unique, éternelle et rayonnante » et rendra la vie vivante partout où elle peut. La liberté n’est pas une conscience de la nécessité (« Insight into necessity »), c’est une conscience de la potentialité (« insight into potentiality »). La liberté n’est pas une harmonie des formes actuelles de pouvoir. C’est leur harmonisation avec ce qui est à venir, comme l’annonce le prophète Esaïe : « Lève toi. Sois éclairée, car ta lumière arrive. Et la gloire de l’Eternel se lève sur toi » (Esaïe 60.1). (p 115)

 

Prier en liberté

Jürgen Moltmann évoque diverses attitudes corporelles mises en œuvre dans certains milieux pour la prière (s’agenouiller, courber la tête, fermer les yeux) dont il s’interroge sur le conception de Dieu et du rapport à lui qu’elles expriment. En regard, il décrit l’attitude des premiers chrétiens.

 

Nous découvrons une attitude d’adoration complètement différente parmi les premiers chrétiens tels qu’ils sont décrits dans les catacombes de Rome et de Naples. Ils se tiennent droits avec la tête levée et les yeux ouverts. Leurs bras sont étendus, leurs mains ouvertes et tournées vers le haut (1Timothée 2.8). C’est une attitude qui dénote une grande attente et une ouverture à embrasser l’autre avec amour. Ceux qui s’ouvrent à Dieu de cette manière sont manifestement des hommes et des femmes libres… Cette attitude était traditionnellement utilisée dans les prières pour la venue de l’Esprit Saint. C’est l’attitude des prêtres orthodoxes dans l’épiclèse de l’Esprit. Le mouvement pentecôtiste moderne l’a adoptée dans son culte. Cela devient aussi l’attitude des personnes qui sont remplies par une espérance messianique et qui font face aux incertitudes de leur temps. « Redressez-vous et relevez la tête parce que votre délivrance approche » (Luc 21.28).

 

Dans le Nouveau Testament, prier n’est jamais mentionné d’une façon isolée, mais toujours en lien avec : observer, faire attention : « observer et prier » (« watch and pray »). Aussi, en termes métaphoriques, prier n’est jamais tourné seulement vers le haut, mais toujours en même temps dans un regard en avant. Ici, Dieu n’est pas craint comme celui qui a le pouvoir suprême, mais il est perçu  comme le grand espace (« broad place ») dans lequel une personne entre en prière et peut se développer (Psaume 31.8 et 18.19). La première attitude chrétienne dans l’adoration et la prière montre que le christianisme est, dans sa forme sensorielle, une religion de liberté. La posture debout devant Dieu est étonnante et incomparable. Les personnes qui prient, prient alors dans un esprit qui s’appelle : liberté. C’est la liberté en Dieu. (p 203)

 

La foi, participation à la puissance créatrice de Dieu

Dans la foi chrétienne, la liberté ne signifie pas la conscience de la nécessité (« Insight into necessity »), ni un pouvoir indépendant et souverain de l’individu sur lui-même et ses capacité. Juste comme la foi d’Israël est ancrée dans le Dieu de l’Exode, la foi chrétienne est ancrée dans la résurrection du Christ. A travers la foi, hommes et femmes prennent conscience de leur libération et entrent dans le vaste espace divin. A travers la foi, ils participent à la puissance créatrice de Dieu. « A Dieu, tout est possible » (Mat 19.26). Car « Tout est possible à celui qui croit » (Marc 9.23). La personne qui fait confiance à un Dieu qui libère et ressuscite des morts, participe à travers l’Esprit de Dieu à l’abondance des potentialités de Dieu. Paul met cela en évidence à partir de l’exemple d’Abraham qu’il décrit comme un modèle pour une vie vécue dans la foi. « Il est notre père devant Dieu auquel il a cru, le  Dieu qui rend la vie aux morts et fait exister ce qui n’existait pas… Il crut, espérant contre toute espérance » (Romains  4.16-18). Face au non être, la liberté de Dieu se révèle une puissance créatrice, et, en face de la mort, elle se montre une force qui donne la vie… Dans la foi, les êtres humains correspondent au Dieu créateur, au Dieu qui donne la vie, et, dans le respect de Dieu, participent aux énergies divines. Cela va bien au delà des limites de ce qui paraît humainement possible, comme l’indique la parole : « Tout est possible à celui qui croit ».  Dans leur liberté limitée, empreinte de finitude, les êtres humains découvrent en Dieu des possibilités insondables. Ainsi la liberté de l’homme ne peut être limitée par Dieu, mais, dans le nom de Dieu, elle se révèle sans limites. (p 108)

 

(1)            Moltmann (Jürgen). The living God and the fullness of life. World Council of Churches publications, 2016

 

Sur ce blog, voir aussi : « Dieu vivant, Dieu présent, Dieu avec nous dans un monde où tout se tient » : https://vivreetesperer.com/?p=2267

 

Et un renvoi aux articles de ce blog se référant à la pensée théologique de Jürgen Moltmann : https://vivreetesperer.com/?s=Moltmann

 

Un silence religieux

 En regard d’un manque qui engendre le pire, quelle dynamique d’espérance ?

 «  Un silence religieux. La gauche face au djihadisme », c’est le titre d’un livre de Jean Birnbaum qui vient de paraître au Seuil » (1).

Pour qui cherche à comprendre, dans le contexte de notre histoire politique, les réactions aux évènements récents, ces drames causés par le djihadisme, ce livre apporte un éclairage original, à partir d’une analyse du rapport entre la gauche française et le fait religieux au cours des dernières décennies. Jean Birnbaum met en évidence une forte propension au silence sur la dimension religieuse de la menace djihadiste. Certes, il était et il est légitime de prévenir un amalgame entre islam et terrorisme. Mais, « par delà ces motivations politiques, ce silence fait symptôme d’un aveuglement plus profond qui concerne le rapport que beaucoup d’entre nous entretenons avec la religion. Ce qui est en jeu, c’est la réticence… à envisager la croyance religieuse comme causalité spécifique, et d’abord comme puissance politique » (p 23). A partir de sa trajectoire idéologique et d’un héritage historique, la majorité de la gauche française « a le plus souvent refusé de prendre le fait spirituel au sérieux » (p 37). A partir de plusieurs exemples comme l’anticolonialisme en Algérie ou l’attitude vis-à-vis de la révolution iranienne, l’auteur montre comment la sous-estimation du facteur religieux a engendré des erreurs d’interprétation. « Incapables de prendre la religion au sérieux, comment la gauche comprendrait-elle ce qui se passe actuellement, non seulement le regain de la quête spirituelle, mais surtout le retour de flamme d’un fanatisme qui en est la perversion violente » (p 39).

Aujourd’hui où le djihadisme est un phénomène complexe qui est la résultante de nombreux facteurs, on en méconnaît trop souvent la dimension religieuse. L’auteur nous fait voir combien certains jeunes s’engagent dans une vision du monde inspiré par le fondamentalisme islamique : « C’est une certitude vécue, une conviction qui a de la suite dans les idées, une croyance logique à l’extrême. Si l’on acceptait de délaisser un instant l’approche policière pour parler politique, si l’on déplaçait aussi l’enquête du social au spirituel, alors on poserait la seule question qui vaille, celle de l’espérance » (p 184). C’est dire combien l’enjeu est à la fois idéologique et théologique. « Pour lutter contre le djihadisme, plutôt que d’affirmer qu’il est étranger à l’islam, mieux vaut admettre qu’il constitue la manifestation la plus récente, la plus spectaculaire et la plus sanglante de la guerre intime qui déchire l’islam. Car l’islam est en guerre avec lui-même » (p 43).

La situation actuelle nous appelle ainsi les uns et les autres à un renouvellement et un élargissement de notre regard. Ainsi Jean Birnbaum revisite l’histoire de la pensée marxiste et il met en évidence des contradictions. Il fait appel à l’analyse de quelques philosophes comme Foucault et Derrida qui ont su percevoir les implications de la dimension religieuse. Dans un beau chapitre : « L’espoir maintenant. Des brigadistes aux djihadistes », il revisite la guerre d’Espagne et effectue une comparaison particulièrement éclairante entre les volontaires des brigades internationales et les djihadistes partis en Syrie. A cet égard, il cite Régis Debray marquant la différence des époques et des croyances. « Le surmoi révolutionnaire, à gauche, s’est effondré… Ce qui l’a remplacé chez les exigeants, pour qui « tout ce qui n’est pas l’idéal est misère », c’est le surmoi religieux » (p 185).

Cependant, comparer les visions du monde à l’œuvre chez les combattants des brigades internationales et les djihadistes, fait ressortir une opposition radicale. « Si l’avant-garde du djihad peut ainsi donner congé à l’histoire humaine, c’est qu’elle accorde un privilège absolu à l’au delà… Mais cette valorisation exclusive de l’au delà commande aussi un mépris de la vie… Ici, le choc entre les imaginaires brigadistes et djihadistes est non seulement frontal, mais viscéral, car les volontaires d’Espagne partaient à la guerre pour bâtir les conditions d’une vie pleinement humaine… Du reste, ils se sont affrontés à des forces politiques et militaires qui revendiquaient leur amour de la mort : « viva la muerte !», « vive la mort ! », dans un contexte catholique intégriste ((p 210-213). En développant une théologie pour la vie, Jürgen Moltmann (2) rappelle cet épisode sinistre. Aujourd’hui, dans la lutte engagée contre tout ce qui menace la vie humaine, les représentations comptent. Et, à ce sujet, la théologie est convoquée tant en christianisme qu’en islam.

Pour sa part, Jean Birnbaum appelle à une réflexion critique qui prenne en compte les différentes dimensions de l’humain. « Paradoxe d’une tradition qui esquive sans cesse les croyances, mais dont plusieurs figures fondatrices (Engels, Rosa Luxembourg, Jaurès) se sont reconnues comme les seules héritières authentiques d’une quête de justice jadis portée par les prophètes bibliques. Paradoxe d’un mouvement révolutionnaire qui fait l’impasse sur le spirituel alors que son propre imaginaire est celui d’une religion séculière et qu’il s’est déployé dans un mimétisme permanent à l’égard du messianisme judéo-chrétien » (p 219). Jean Birnbaum met en évidence l’apport d’une poignée de penseurs critiques qui ouvrent la voie. « Aucun d’entre deux n’a considéré que la politique moderne avait pour condition le « dépassement » du religieux. Tous avaient conscience que pour bien distinguer ces deux domaines, le mieux est encore de donner une place à l’un comme à l’autre. C’est en niant leur existence respective qu’on risque de sombrer dans une violente indistinction. Qui veut séparer le politique et le théologique doit d’abord mener à leur égard, un travail de vigilante réarticulation » (p 231-232).

Ce livre passionnant apporte un nouvel éclairage et ouvre un horizon. Il vient à un moment où on peut observer une effervescence  du religieux (3). C’est ce que note un journaliste du « Monde », Benoît Hopkin, dans un article intitulé : « Et Dieu dans tout ça » (4) où il présente en regard l’ouvrage de Jean Birnbaum.

Naviguer dans ce monde en pleine mutation requiert une bonne compréhension, mais appelle aussi une vision. « Quand il n’y a pas de vision, le peuple périt » (Proverbes  29.18). Comme l’écrit Jean Birnbaum, « Si l’on déplaçait l’enquête du social au spirituel, alors on poserait la seule question qui vaille, celle de l’espérance ». Nous avons besoin d’espérance, individuellement et collectivement.  La vie implique le mouvement.  Les barrières qui s’y opposent  sont destructrices. Nos activités, nos engagements dépendent de notre motivation. Elle-même requiert la capacité de regarder en avant, un horizon de vie, une dynamique d’espérance (5). Si la fragilité de la condition humaine est une constante, dans un monde en mutation où les menaces abondent, l’humain a d’autant plus besoin de s’inscrire dans une perspective qui le dépasse et qui lui donne sens. Cette requête est personnelle. Elle est aussi sociale. Ce livre : « Un silence religieux » traite du rapport entre le politique et le religieux en France, mais, dans notre démarche, nous y voyons apparaître plus généralement un manque dans la prise en compte des  aspirations spirituelles. On pourrait à cet égard évoquer le débat sur la laïcité qui se poursuit depuis des années (6). Dans la réalité de notre temps, nous avons d’autant plus besoin d’une laïcité inclusive. Le livre nous interpelle sur un phénomène complexe. C’est aussi un phénomène spécifique. Mais le djihadisme peut être envisagé aussi comme un symptôme qui traduit un dysfonctionnement plus général. Et, parmi d’autres facteurs, il y a un  manque spirituel. Jean Birnbaum nous apporte à ce sujet un éclairage original.

Face au manque, comme chrétiens, quelle vision alternative pouvons-nous proposer en sachant la pesanteur des héritages historiques ? Le théologien Jürgen Moltmann nous parle de la force vitale de l’espérance. « Que le Dieu de l’espérance vous remplisse de toute joie et de toute paix dans la foi, pour que vous abondiez en espérance, par la puissance du Saint-Esprit ! » (Rom 15.13). C’est unique. Nulle part ailleurs dans le monde des religions, Dieu n’est lié à l’expérience humaine de l’avenir. Dieu est l’éternel présent, la divinité est le tout autre, le divin est l’intemporel éternel. Voilà des notions familières. Dieu est « au dessus de nous », en tant que tout-puissant ou, en nous, en tant que fondement de l’être : ce sont des notions connues. Mais un « Dieu de l’espérance » qui marche « devant nous » et nous précède dans le déroulement de l’histoire, voilà qui est nouveau. On ne trouve cette notion que dans le message de la Bible. C’est le Dieu de l’exode d’Israël… C’est le Dieu de la résurrection de Christ… C’est le Dieu qui « habitera » parmi les hommes comme le révèle l’Apocalypse de Jean (21.3)… Le christianisme est résolument tourné vers l’avenir et invite au renouveau… » (7). Cette vision vient à l’appui d’un état d’esprit qui s’oppose aux égarements actuels que nous décrit si bien Jean Birnbaum. Elle accompagne le mouvement pour une humanité responsable de la planète.

J H

 

(1)            Birnbaum (Jean). Un silence religieux. La gauche face au djihadisme. Seuil, 2016. Jean Birnbaum dirige « Le Monde des livres ». Il est l’auteur de plusieurs essais concernant le vécu politique caractéristique d’une génération.

(2)            Jürgen Moltmann a commencé son parcours par une théologie de l’espérance, qui a nourri, entre autres, la théologie de la libération. Tout récemment, Jürgen Moltmann, « probablement le plus influent des théologiens contemporains » au Conseil œcuménique des églises : http://protestinfo.ch/201601157774/7774-la-theologie-va-prendre-un-virage-ecologique.html?utm_medium=twitter&utm_source=twitterfeed                                                                                              Il a développé également une théologie pour la vie. « La vie contre la mort » : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=841                             On pourra découvrir les apports successifs de Jürgen Moltmann dans son autobiographie : « Une théologie pour notre temps » : http://www.temoins.com/etudes/recherche-et-innovation/etudes/une-theologie-pour-notre-temps-lautobiographie-de-juergen-moltmann/all-pages

(3)            Sur le site de Témoins : « Les paradoxes de la scène religieuse occidentale.  Conférence de Danièle Hervieu-Léger, le 5 février 2014 » : http://www.temoins.com/etudes/recherche-et-innovation/etudes/une-theologie-pour-notre-temps-lautobiographie-de-juergen-moltmann/all-pages

(4)            Benoît Hopkin. Et Dieu dans tout ça ? Le Monde, 12 janvier 2016

(5)            « Espérer et agir. Agir et espérer » : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=900

(6)            « Les rapports entre le politique et le religieux » : http://www.temoins.com/etudes/recherche-et-innovation/etudes/les-rapports-entre-le-politique-et-le-religieux

(7)            Moltmann (Jürgen). De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance. Empreinte Temps présent, 2012. La force vitale de l’espérance. p 109

Dieu vivant, Dieu présent, Dieu avec nous dans un monde où tout se tient

 

Deux approches convergentes : Jürgen Moltmann et Diana Butler Bass

 

A partir d’une approche scientifique, technique ou sociale, on découvre de plus en plus aujourd’hui que nous vivons dans un univers en interaction, un univers où tout se tient. Pour certains, cela ne va pas de soi, car c’est une nouveauté qui bouleverse un héritage intellectuel ou religieux. Où est Dieu ? Ce mouvement appelle une réflexion théologique.

 

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La communauté de la création

 

Dans les années 1980 déjà, dans son livre : « Dieu dans la création » (1), Jürgen Moltmann pouvait écrire : « Si l’Esprit Saint est répandu sur toute la création, il fait de la communauté entre toutes les créatures avec Dieu et entre elles, cette communauté de la création dans laquelle toutes les créatures communiquent chacune à sa manière entre elles et avec Dieu… L’existence, la vie et le réseau des relations réciproques ont lieu dans l’Esprit. « En Lui, nous avons la vie, le mouvement et l’être » (Actes des apôtres 1.28) (p 24)… Dieu le créateur du ciel et de la terre est présent par son Esprit cosmique dans chacune de ses créatures  et dans leur communauté créée. Dieu n’est pas seulement le créateur du monde, mais aussi l’Esprit de l’univers. Grace aux forces et aux possibilités de l’Esprit, le créateur demeure auprès de ses créatures, les vivifie, les maintient dans l’existence et les mène dans son royaume futur » (p 28). Dieu est à la fois transcendant et immanent.

 

 Le Dieu vivant

 

Aujourd’hui, dans la lignée de ses nombreux ouvrages (2), le nouveau livre de Jürgen Moltmann, publié par le Conseil Mondial des Eglises, s’intitule : « The living God and the fullness of life » (Le Dieu vivant et la plénitude de vie » (3). L’auteur s’adresse en premier à un public marqué par une culture moderne qui ferait appel à « des concepts humanistes et matérialistes » de la vie, une culture dans laquelle Dieu serait absent. Cette vie sans transcendance engendre un manque et induit ce que Moltmann appelle une « vie diminuée ».

Si une forme de christianisme a pu apparaître comme un renoncement à une vie pleinement vécue dans le monde, Moltmann nous présente au contraire un Dieu vivant qui suscite une plénitude de vie. Dieu n’est pas lointain. Il est présent et agissant. « Avec Christ, le Dieu vivant est venu sur cette terre pour que les humains puissent avoir la vie et l’avoir en abondance (Jean 10.10). Moltmann nous propose une spiritualité dans laquelle « la vie terrestre est sanctifiée » et qui se fonde sur la résurrection du Christ. Dans la dynamique de cette résurrection, « l’horizon de l’avenir, aujourd’hui assombri par le terrorisme, la menace nucléaire et la catastrophe environnementale, peut s’éclairer. Une lumière nouvelle est projetée sur le passé et ceux qui sont morts. La vie entre dans le présent pour qu’on puisse l’aimer et en jouir… Ce que je désire, écrit Moltmann, c’est de présenter ici une transcendance qui ne supprime, ni n’aliène notre vie présente, mais qui libère et donne vie, une transcendance par rapport à laquelle nous ne ressentions pas l’envie de lui tourner le dos, mais qui nous remplisse d’une joie de vivre » (p X-XI).

 

 Une vie divine

 

Jürgen Moltmann consacre un chapitre à la vie éternelle. Cette vie ne tourne pas le dos à la condition terrestre de l’homme, mais elle l’anime. Elle ne s’adresse pas à des individus qui seraient polarisés sur le salut de leur âme. Elle s’inscrit dans un univers interrelationnel. « L’être humain n’est pas un individu, mais un être social… Il meurt socialement lorsqu’il n’a pas de relations ». Ainsi, selon Moltmann, la vie éternelle s’inscrit dans trois dimensions : « Comme enfants de Dieu, les êtres humains vivent une vie divine. Comme parents et enfants, ils s’inscrivent dans la séquence des générations humaines. Comme créatures terrestres, ils vivent dans la communauté de la terre » (p 73). Dès lors, le chapitre s’articule en trois parties : « In the fellowship of the divine life » (Dans la communion de la vie divine) ; « In the fellowship of the living and of the dead » (Dans la communion entre les vivants et les morts) ; « In the fellowship of the earth » (dans la communion avec la terre).

« On entend dire que la vie sur terre n’est rien qu’une vie mortelle et finie. Dire cela, c’est accepter la domination de la mort sur la vie humaine. Alors cette vie est bien diminuée. Dans la communion avec le Dieu vivant, cette vie mortelle et finie, ici et maintenant, est une vie interconnectée, pénétrée par Dieu et ainsi, elle devient immédiatement une vie qui est divine et éternelle » (p 73). « La vie humaine est enveloppée et acceptée par le divin et le fini prend part à l’infini. La vie éternelle est ici et maintenant. Cette vie présente, joyeuse et douloureuse, aimée et souffrante, réussie ou non, est vie éternelle. Dans l’incarnation du Christ, Dieu accepté cette vie humaine. Il l’interpénètre, la réconcilie, la guérit et la qualifie pour l’immortalité. Nous ne vivons pas simplement une vie terrestre, ni seulement une vie humaine, mais nous vivons aussi simultanément une vie qui est remplie par Dieu, une vie dans l’abondance (Jean 10.10)… Ce n’est pas la foi humaine qui procure la vie éternelle. La vie éternelle est donnée par Dieu et elle est présente dans chaque vie humaine, mais c’est le croyant qui en a conscience. On la reconnaît objectivement et subjectivement, on l’intègre dans sa vie comme la vérité. La foi est une joie vécue dans la plénitude divine de cette vie. Cette participation à la vie divine présuppose deux mouvements qui traversent les frontières : l’incarnation de Dieu dans la vie humaine et la transcendance de cette vie humaine dans la vie divine… » (p 74).

 

Reconnaître Dieu dans le monde

 

Au contact de la vie des gens au plus près de leur expérience à travers ses rencontres, mais aussi à même d’interpréter les évolutions grâce à une culture d’historienne et de théologienne, Diana Butler Bass a publié, il y a quelques années, un livre intitulé « Christianity after religion » (4). Dans cet ouvrage, elle situe l’éveil spirituel (« spiritual awakening ») qui a lieu actuellement aux Etats-Unis, dans une rétrospective historique qui montre à la fois les continuités et les émergences. Diana Butler Bass vient de publier un nouveau livre intitulé : « Grounded.  Finding God in the world. A spiritual revolution » (5). « Ce qui apparaît comme un déclin  de la religion organisée indique en fait une transformation majeure dans la manière dont les gens comprennent Dieu et en font l’expérience. Le Dieu distant de la religion conventionnelle cède la place à un sens plus intime du sacré qui irrigue le monde. Ce glissement d’un Dieu vertical vers un Dieu qui se trouve à travers la nature et la communauté humaine est le cœur de la révolution spirituelle qui nous environne et qui interpelle non seulement les institutions religieuses, mais aussi les institutions politiques et sociales… Ce livre observe et rapporte un changement radical dans la manière dont beaucoup de gens situent Dieu et pratiquent leur foi. L’auteur invite ainsi les lecteurs à rejoindre cette révolution spirituelle en cours d’émergence, à trouver une expression revitalisée de la foi et à changer le monde » (6).

 

Dieu avec nous

 

Dans un article paru sur le blog du Hutchinson Post (7), Diana Butler Bass indique les grandes orientations de sa recherche.

« Où est Dieu ? Pendant des siècles, la plupart des religions ont enseigné que Dieu était au ciel et qu’il existait un univers à trois étages avec Dieu au sommet dans le ciel avec les anges, puis nous les hommes embrouillés sur la terre, et, en dessous de nous, Satan et les démons en enfer avec la menace d’une punition éternelle. Le ciel était très éloignés et le Dieu qui vivait là haut apparaissait comme une divinité inaccessible : Roi, Gouverneur, Maître, Juge et Père. Pour atteindre ce Dieu là, il y avait toute une gamme de médiateurs et de médiations… ». Jürgen Moltmann, lui aussi, a décrit la manière dont ce Dieu transcendant opérait en montrant combien cette représentation était en contradiction avec la vie et l’enseignement de Jésus.

Diana Butler Bass montre comment cette conception de la divinité a été remise en cause au cours des dernières décennies. Elle a suscité le développement de l’agnosticisme et de l’athéisme, mais globalement, la plupart des gens qui ont rompu avec les églises  continuent à croire en Dieu. En fait, « ce qu’ils rejettent, c’est une certaine conception de la divinité tandis que, dans le même mouvement, ils essaient de resituer Dieu dans leur vie… Où est Dieu ? Plus là-haut dans le ciel. Dieu est avec nous. Souvent inaperçue ou mal comprise par les commentateurs et même quelques leaders religieux, un glissement théologique est en train d’advenir parmi nous : une révolution dans la manifestation de la proximité divine… C’est un Dieu qui est totalement présent dans le chaos, la souffrance et la confusion qui nous environne, l’Esprit qui nous invite à sauver la planète et à faire la paix avec la famille humaine toute entière et qui est un compagnon et un partenaire pour créer un avenir rempli d’espérance. Le seul Dieu qui fait sens est un Dieu de compassion et d’empathie qui partage la vie du monde ».

 

La théologie de Jürgen Moltmann nous éclaire sur ce Dieu là. C’est un Dieu qui ne réside pas loin de nous, mais qui est engagé dans la création, engagé dans l’humanité. « Le message du Christ annonçant la résurrection et la vie, a libéré une puissance de vie parmi les premiers chrétiens, une force qui a rendu possible de nouveaux commencements et un changement qui a permis à des hommes et à des femmes de créer ce qui avait été jusque là inconnu. Je crois que cette force peut se déployer également dans le monde moderne et qu’elle porte en elle-même la plénitude de vie à laquelle beaucoup de gens aspirent. Ceux qui croient, ceux qui aiment, ceux qui espèrent, tirent leur force du Dieu vivant et, dans leur proximité avec Dieu, ils font l’expérience d’une vie dans sa plénitude » ( p IX).

 

Nous vivons dans une période de grandes mutations qui induit et appelle des changements profonds dans les mentalités. Parce que, depuis plusieurs décennies, Jürgen Moltmann est à l’écoute des aspirations et des questionnements des gens de notre époque, dans la mouvance de l’Esprit et une approche renouvelée de la Parole, il a développé une pensée théologique qui inspire notamment les chrétiens engagés dans le courant de l’Eglise émergente (8).

Diana Butler Bass participe, elle aussi, à la recherche d’une manière nouvelle de penser et de vivre la foi chrétienne. Dans son livre (p 277-278), elle nous raconte son cheminement ponctué par des conversions successives, d’abord à la vision protestante évangélique, puis à un christianisme libéral dans l’expression de l’Eglise épiscopale, et enfin, en 2001, la prise de conscience qu’il lui fallait dépasser la conception d’« un Dieu vertical ». « Ma troisième conversion n’a pas été le rejet de l’Eglise (comme l’expression vivante de Jésus dans le monde), ni celui du christianisme ou de la foi… Mon mouvement a été de quitter une conception verticale de Dieu et de me tourner vers un Dieu-avec-nous et une espérance dans une foi communautaire… ».

Dans ce monde en mutation, les parcours de foi sont divers. Mais, dans le même mouvement, des tendances communes apparaissent. La pensée théologique de Jürgen Moltmann fait appel à des apports de différents milieux chrétiens, comme, par exemple l’orthodoxie ou le pentecôtisme, et aussi du judaïsme. Et, dans le champ écologique, on note une convergente évidente entre la vision de Moltmann et celle du pape François (9) dont, en exergue de son livre, Diana Butler Bass cite un passage de son encyclique Laudato Si : « Tout est en relation, et nous êtres humains, nous sommes unis comme des frères et des sœurs en marche dans un merveilleux pèlerinage, entrelacés ensemble par l’amour que Dieu a pour chacun… et qui nous unit aussi dans une tendre affection pour notre frère soleil, notre sœur lune, notre frère rivière et notre mère terre ».

Oui, ensemble, nous voulons accueillir et suivre le Dieu vivant.

 

J H

 

(1)            Moltmann (Jürgen). Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1988

(2)            On trouvera une introduction à la pensée théologique de Jürgen Moltmann sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : http://www.lespritquidonnelavie.com. Dans une autobiographie : « The broad place », Moltmann relate sa vie et l’évolution de son œuvre. Ce livre est présenté dans un article : « Une théologie pour notre temps » : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=695

(3)            Moltmann (Jürgen). The living God and the fullness of life. World Council of churches, 2016

(4)            Butler Bass (Diana). Christianity after religion. The end of the church and the birth of a new spiritual awakening. Harper one, 2012. Sur le site de Témoins, une mise en perspective : « La montée d’une nouvelle conscience spirituelle » : http://www.temoins.com/etudes/recherche-et-innovation/etudes/la-montee-dune-nouvelle-conscience-spirituelle-dapres-le-livre-de-diana-butler-bass-l-christianity-after-religion-r

(5)            Butler Bass (Diana). Grounded. Finding God in the world. A spiritual evolution. Harper one, 2015. Ce livre est salué par des personnalités chrétiennes comme Brian Mc Laren, une des voix de l’Eglise émergente aux Etats-Unis : « Il n’y a rien de pire que de dormir lorsqu’il y a une révolution » écrit Diana Butler Bass. Ce livre nous aidera à nous éveiller. Il nous équipera pour être un participant enthousiaste dans ce que je crois être le mouvement le plus profond et le plus important qui prend forme à notre époque »

(6)            Présentation du livre en couverture

(7)            Sur le blog du Huff Post : « Where is God ? » par Diana Butler Bass : http://www.huffingtonpost.com/diana-butler-bass/grounded-where-is-god_b_8251022.html

(8)            « L’Eglise émergente en conversation avec Jürgen Moltmann. L’Eglise transformationnelle. Interview de Patrick Oden » : http://www.temoins.com/etudes/recherche-et-innovation/etudes/leglise-emergente-en-conversation-avec-juergen-moltmann-leglise-transformationnelle-interview-de-patrick-oden

(9)            « Convergences écologiques : Jean Bastaire, Jürgen Moltmann, Pape François, Edgar Morin » : https://vivreetesperer.com/?p=2151

 

Sur le même sujet, sur le blog : Vivre et espérer :

« Une théologie pour la vie » : https://vivreetesperer.com/?p=1917

« Reconnaître la présence de Dieu à travers l’expérience » : https://vivreetesperer.com/?p=1008

« Vivre en harmonie avec la nature » : https://vivreetesperer.com/?p=757

Vivants et morts, ensemble en Christ ressuscité.

 

En ce début de novembre où le souvenir des morts est évoqué, et tout au long de l’année où le mot  de « disparition » de tel ou tel résonne dans les médias, il est vital de trouver une réponse qui n’accepte pas un sort qui réduirait l’homme au néant, en annihilant ainsi toute espérance personnelle ou collective, ou se satisferait d’une échappée vers un au delà qui serait radicalement séparé.

 

En quelques mots, à partir de textes bibliques, Jürgen Moltmann nous apporte un éclairage dynamique (1).

 

« C’est pour être Seigneur des morts et des vivants que Christ est mort et qu’il a repris vie » (Romains 4.9). Le sens de la foi qui justifie « est la Seigneurie salvatrice du Christ sur les morts et les vivants. Dans la communauté avec lui, ceux qui sont séparés par la mort retrouvent la communauté qui existait entre eux. Le Christ passé par la mort est devenu le frère des morts. Le Christ ressuscité rassemble les vivants et les morts dans sa communauté d’amour, parce qu’il représente la communauté dans l’espérance commune. Il est la tête de l’humanité nouvelle et l’avenir de ce qui est présent et de ce qui est passé ».

 

« Mais il faut que le Christ règne jusqu’à ce qu’il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds ; le dernier ennemi qui sera détruit, c’est la mort… pour que Dieu soit tout en tous » (1 Cor 15. 25, 26, 28). La communauté du Christ avec les morts et les vivants n’est pas une fin en elle-même, mais c’est une communauté en chemin vers la résurrection de tous les morts pour la vie éternelle et vers la destruction de la mort dans la création nouvelle de toutes choses. C’est alors seulement que seront « essuyées toutes les larmes » et que la joie parfaite unira toutes les créatures avec Dieu et entre elles. C’est pourquoi, si le sens de la foi qui justifie est la communauté des morts et des vivants avec le Christ, le sens de cette communauté est la création nouvelle dans laquelle la mort ne sera plus » (2).

 

Ainsi, nous nous inscrivons dans un mouvement. « Ce n’est pas la mort qui a le dernier mot dans l’histoire, mais la justice de Dieu. « Voici, je fais toutes choses nouvelles » (Ap 21.5) . Si cela est vrai eschatologiquement, rien n’est perdu historiquement et tout est « rétabli ». Sous cet horizon d’attente, « l’histoire comme souvenir » conduit elle-même à une sorte de « ré-éveil des morts ». Tout le passé se tient dans la lumière de l’avenir qui réveille les morts … La rétrospective historique doit donner à reconnaître et à actualiser les perspectives passées. C’est alors seulement qu’il est possible d’articuler ensemble les espérances brisées, omises ou étouffées de ceux du passé et les espérances de ceux du présent et de les inclure  dans le projet d’avenir présent ».

 

Cette vision des rapports entre histoire et résurrection est éclairante parce qu’elle nous permet, individuellement et collectivement, de nous situer dans un processus et de mieux reconnaître la présence de Dieu à l’œuvre dans le cours du temps. Ce discernement s’applique à nos vies personnelles en pensant à notre histoire familiale, et en nous percevant comme des êtres engagés dans des projets et portés par eux. Cet éclairage nous permet de regarder différemment notre environnement social et de percevoir l’œuvre de l’Esprit de génération en génération. En Christ ressuscité, dans l’Esprit, nous sommes en marche.

 

J H

 

(1)            Le blog : « L’Esprit qui donne le vie » présente une introduction à la pensée théologique de Jürgen Moltmann : http://www.lespritquidonnelavie.com. La vision de Moltmann, notamment sur le thème de la vie après la mort, est présentée, en termes aisément accessibles dans le livre livre : « De commencements en recommencements » : sur ce blog :  « Une dynamique de vie et d’espérance » : https://vivreetesperer.com/?p=572 Les textes cités dans cet article sont extraits du livre : Jürgen Moltmann. Jésus, le messie de Dieu, Cerf, 1993 : p 258 et p 332

(2)            Sur ce thème, voir aussi sur ce blog : « Sur la terre comme au ciel » : https://vivreetesperer.com/?p=338  « Une vie qui ne disparaît pas » : https://vivreetesperer.com/?p=336   En Christ ressuscité, par delà la séparation, une communion demeure avec les êtres chers qui sont partis.

(3)            « En marche » : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=848

Par delà la séparation

 

Un témoignage de Jürgen Moltmann

 

Parce que nous croyons que le principe de la vie, c’est l’amour comme le cœur de ce que nous vivons et de ce à quoi nous sommes appelés, tel que Jésus l’exprime en une parole magistrale (Mat 22.37-40), nous entrons pleinement dans une conception d’un univers prédisposé à la relation, un univers où tout se tient, où tout se relie et interagit, un univers où nous sommes appelé à rejeter tout ce qui sépare : les exclusions, les égocentrismes, la dissolution des liens. Oui, la spiritualité est bien « une conscience relationnelle » (1). Nous croyons que cette relation ne s’arrête pas au monde présent, mais qu’en Dieu, communion d’amour,  les êtres humains ne « disparaissent » pas corps et bien. Comme l’écrit Jürgen Moltmann, on peut évoquer « une communion des vivants et des morts » (2) qui s’inscrit dans le mouvement où Dieu prépare en Christ ressuscité une nouvelle création, un monde dans lequel Il sera « tout en tous » (1 Corinthiens 15.28) .

 

Dans une autobiographie qui relate les étapes de son oeuvre théologique (3), Jürgen Moltmann a écrit une page émouvante qui décrit la nouvelle forme de la relation avec son père après la mort de celui-ci. Cette expérience, vécue dans une profonde humanité, et éclairée par la foi, est, pour nous, une lumière qui peut nous éclairer dans des passages de deuil. C’est pourquoi, nous en partageons ici quelques extraits (4). En 1982, âgé de 85 ans, le père de Jürgen est mort brusquement d’une crise cardiaque. Jürgen Moltmann nous rapporte ce qu’il a écrit dans les semaines qui ont suivi ce départ :

« Père, où es-tu ? Jusqu’ici, cela allait de soi. Je savais que tu étais à Hambourg assis à ton bureau… Je savais que tu devenais plus âgé, plus faible. Mais tu étais toujours là, fiable et toujours attentif : mon père.  Maintenant, je ne peux plus te trouver, mais tu ne t’es pas évanoui. Tu n’as pas disparu. Tu es plus présent que jamais pour moi. Tu as échappé aux limitations de l’espace et du temps. Quand je pense à toi, je ne te vois pas seulement comme tu as été dans ta vieillesse, mais aussi comme tu étais au sommet de ta force, comme tu étais quand j’étais un petit enfant et que, juché sur tes épaules, je cachais mes yeux avec mes mains, et aussi, quand tu étais jeune homme et qu’à l’âge de 17 ans, tu es parti à la guerre en 1914… Je t’entends, je te vois, je sens ta proximité. Es-tu parti ainsi pour que tu puisses venir à moi de cette manière. Tu est mort corporellement pour être présent à nous dans l’esprit »…. « C’est le miracle de la transformation des morts que j’ai expérimenté après la mort de mon père avec toute cette intensité ». Moltmann poursuit ensuite sa méditation dans une réflexion théologique : « Les morts ne sont pas « morts », très loin de nous, dépourvus de sens pour nous si bien que nous puissions les oublier rapidement. Ils sont à côté de nous et en nous, et notre vie est en dialogue continuel avec eux. Nous vivons dans leur passé qui est maintenant présent et ils existent dans notre présent. Nous vivons avec ce que les morts nous doivent et ce que nous leur devons… ». Jürgen nous parle aussi de sa mère : « Dans le cas de ma mère, je n’ai pas eu de problème avec sa mort :  Comme si c’était une évidence, elle était et elle est présente à moi dans tout ce que fais et que j’expérimente dans le registre d’une confiance fondamentale ».

 

Bien sûr, les ressentis personnels sont différents selon chacun. C’est là une expérience intime et toute personnelle. Elle peut être interprétée dans le contexte de la pensée théologique de Moltmann. Ainsi a-t-il beaucoup écrit à ce sujet. On pourra accéder facilement à son approche à travers le livre : « De commencements en recommencements » (2). « Plus nous nous approchons du Christ, plus les morts nous sont proches. Dans les cultes qui se tiennent dans les communautés ecclésiales en Amérique latine, on appelle souvent le nom des « disparus », de ceux qui ont été assassinés par la dictature militaire, et la communauté répond : « Présent » Ils n’ont pas disparu. Ils ne sont pas morts. Ils sont présents en Christ et parmi nous ». (p 164).

 

Bien entendu, au moment de leur départ, les personnes décédées peuvent éveiller des sentiments divers. Jürgen Moltmann exprime là avec émotion, une affection paisible, qui, dans le contexte  de sa pensée théologique, permet d’aller au delà.

Voici une précieuse ressource pour ceux qui s’interrogent sur le sens de l’existence.

 

J H

 

(1)            « La vie spirituelle comme une « conscience relationnelle ». Une recherche de David Hay sur la spiritualité » : http://www.temoins.com/etudes/recherche-et-innovation/etudes/la-vie-spirituelle-comme-une-l-conscience-relationnelle-r/all-pages.html

(2)            Moltmann  (Jürgen). De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance. Empreinte Temps présent, 2012  (Chapitre : la communion des vivants et des morts : p 159-167). Sur ce blog : présentation de l’ouvrage : « Une dynamique de vie et d’espérance » : https://vivreetesperer.com/?p=572

(3)            Moltmann (Jürgen). A broad place. An autobiography. SCM Press, 2007. Mise en perspective sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : « Une théologie pour notre temps » : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=695

(4)            Les extraits concernant l’expérience de Jürgen Moltmann dans la poursuite de la relation avec son père, sont empruntés au chapitre : « My parents die » (p 321-323)

 

Sur ce blog, voir aussi :

« Sur la terre comme au ciel » : https://vivreetesperer.com/?p=338

« Une vie qui ne disparaît pas » :

https://vivreetesperer.com/?p=336

« Une théologie pour la vie » :

Une théologie pour la vie