Playing for change

Une musique qui porte Ă  travers le monde une aspiration Ă  l’amour et Ă  la beautĂ©

Playing for change

Et si il y avait chez tous les humains une aspiration Ă  l’amour et Ă  la fraternitĂ©
Et si ils pouvaient se reconnaßtre semblables dans un besoin de solidarité et de fraternité
Et si un chant, une musique exprimant cette aspiration et ce besoin pouvait faire Ă©cho et se propager Ă  travers le monde
Et si ce chant, cette musique tissait un lien entre tous ceux qui l’accueillent et qui y participent
Et si ce chant, cette musique suscitait un nouveau regard, une transformation des esprits


Il y a bien une réponse à ces souhaits :

C’est le mouvement « Playing for Change » qui s’exprime Ă  travers un site (1) et des vidĂ©os sur You Tube. Ici, le chant, la musique se manifestent conjointement Ă  travers de multiples expressions dans le monde, dans de nombreux pays, en AmĂ©rique, en Afrique, en Asie. Ces expressions proviennent de gens diffĂ©rents : en lien avec leurs compatriotes, des musiciens dans un style trĂšs divers, parfois mĂȘme des groupes d’enfants. Ainsi, de relai en relai, la mĂ©lodie circule d’un bout du monde Ă  l’autre.

Les origines et le développement de Playing for Change

D’ou vient cette belle innovation ? L’histoire en est bien couverte par Wikipedia (2). Nous reprendrons ici le rĂ©cit qui en est fait sur la RTBF (radio tĂ©lĂ©vision belge francophone) (3). « Playing for Change » est un mouvement qui souhaite inspirer et connecter le monde au travers de la musique
 « Playing for Change » est nĂ© en 2002 sous l’impulsion de Mark Johnson et de Whitney Kroenke, deux artistes et voyageurs qui sillonnaient Ă  l’époque les rues des États-Unis Ă  bord d’un studio mobile en quĂȘte de rencontres musicales inspirantes. « En 2005, Mark Johnson, alors qu’il marche dans les rues de Santa Monica en Californie entend la voix de Roger Rigley chanter « Stand by me » et dĂ©cide, touchĂ© par cette voix unique, de lui proposer d’ĂȘtre le premier Ă  enregistrer sur une version : « Autour du monde » de cette chanson.

Chaque vidĂ©o fonctionne sur le mĂȘme principe de rassembler des dizaines de musiciens et de chanteurs, issus de pays et de cultures diffĂ©rents, autour d’un mĂȘme morceau. « Playing for Change » partage Ă  travers leurs vidĂ©os des messages d’amour, de partage et de respect, tout en mettant en avant des artistes et musiciens de trĂšs grande qualité  ». « Ce sont des artistes des rues dotĂ©s d’un grand talent. On y retrouve par exemple celui qu’on appelle Grandpa Elliott, un chanteur qui ne paie pas de mine avec sa salopette, son galurin, sa barbe blanche en bataille, son harmonica, sa gouaille et pourtant il vous sĂ©duira en quelques notes Ă  peine ».

« Au vu du succĂšs des diffĂ©rentes vidĂ©os sur Youtube, les fondateurs de « Playing for Change » ont dĂ©cidĂ© de lancer une organisation Ă  but non lucratif qui se consacre Ă  la crĂ©ation d’écoles de musique et de programmes Ă©ducatifs aux quatre coins du monde  ».

 

Un message

« Playing for Change » puise ses chants dans le courant de l’expression musicale amĂ©ricaine et d’autres expressions connexes dans la seconde moitiĂ© du XXĂš siĂšcle oĂč s’y manifeste une extrĂȘme crĂ©ativitĂ©. Cette musique s’exprime en diffĂ©rents genres musicaux qui s’enchainent, coexistent et peuvent se rejoindre. Elle est irriguĂ©e par diffĂ©rentes sources, mais tout particuliĂšrement par la veine crĂ©atrice de la musique afro-amĂ©ricaine dans ses diffĂ©rentes composantes. « Playing for Change » peut ainsi reprendre des chansons trĂšs apprĂ©ciĂ©es dans les annĂ©es 1960 et 1970 et plus tard
 A cotĂ© des chansons produites aux Etats-Unis, il met en valeur d’autre chants comme « Imagine » de John Lennon et « Redemption song » de Bob Marley. Et puis, au cours des annĂ©es, le mouvement Ă©tant ancrĂ© internationalement, le rĂ©pertoire a pu s’étendre culturellement. Toutes ces chansons viennent nous inspirer et nous encourager en prenant pour thĂšme : l’amour, l’entraide, le respect, la fraternitĂ©, la paix, la libĂ©ration


A titre d’exemple, voici quelques chants mis en Ă©vidence par « Playing for change ».

« Lean on me » ( 4) est un chant emblĂ©matique de « Playing for change » puisque c’est l’écoute de ce chant qui a inspirĂ© le fondateur de « Playing for change ». CrĂ©Ă© 1972, ce chant nous invite Ă  ne pas hĂ©siter Ă  demander un soutien, Ă  pouvoir nous appuyer sur quelqu’un et Ă  pouvoir compter sur lui. C’est un chant qui exalte l’amitiĂ©, l’entraide, l’espĂ©rance

« Nous avons tous de la peine. Nous avons tous du chagrin. Si nous sommes sages, nous savons qu’il y a toujours un lendemain

Appuies toi sur moi. Quand tu ne seras pas fort, je serai ton ami. Je t’aiderai à avancer.
BientĂŽt, j’aurais besoin de quelqu’un sur qui me reposer Ă  mon tour. S’il te plait, ravale ta fiertĂ© si tu as besoin d’emprunter quelque chose. Car personne ne peut rĂ©pondre Ă  ton besoin si tu ne le montres pas.
Tu peux compter sur moi, mon frùre quand tu as besoin d’aide
Nous avons tous besoin de quelqu’un sur qui nous reposer  ».
Ce sont des paroles qui portent. Ce sont des paroles qui réconfortent. Ce sont des paroles qui donnent espoir.
Lean on me : https://www.youtube.com/watch?v=LiouJsnYytI

« Everyday people » est sorti en 1969 (5). C’est un message qui proclame que les gens sont pareils quelque soit leur race et leur milieu social. C’est une protestation concrĂšte contre les prĂ©jugĂ©s de tous genres. C’est un plaidoyer pour la paix et l’égalité : https://www.youtube.com/watch?v=-g4UWvcZn5U

« United » est un chant qui proclame l’unitĂ© de l’humanitĂ©. « Apprenons Ă  vivre comme si nous Ă©tions un »  « Nous avons Ă  rassembler le monde et apprendre Ă  vivre comme si nous Ă©tions un ». C’est un chant diffusĂ© en 2011 dans une collaboration avec les Nations Unies :
« United » : https://www.youtube.com/watch?v=6vT_7AX06UQ

« Love is all » (6) est un chant pop apparu en 1974.
Il proclame combien l’amour est une exigence :
« Chacun de nous est appelĂ© Ă  vivre avec d’autres et Ă  les comprendre Aussi aime ton voisin comme tu aimes ton frĂšre

Tout ce dont vous avez besoin, c’est d’amour et de comprĂ©hension
 Venez et montrez vos sentiments
L’amour est tout. L’amour est tout. »
La version de « Love is all » dans « playing for change » est admirable et Ă©mouvante parce qu’elle manifeste l’expression de nombreux enfants Ă  travers le monde.
« Love is all » : https://playingforchange.com/videos/love-is-all/?fbclid=IwAR3VnVW5Lm3mXjRW6R9v-mM4FH9PnrtR_HtwWBK1FNCBOZncsMLxXqUcIis

En ces temps tourmentĂ©s, l’expression musicale de « Playing for change » vient nous rafraichir et nous encourager. Oui, Ă  travers le monde, il y a des gens qui croient Ă  l’amour et Ă  la paix. Il y a dix ans, nous avions dĂ©jĂ  prĂ©sentĂ© « Playing for Change » sur ce blog (7). C’est donc une nouvelle visite. Aujourd’hui, Playing for Change » poursuit son chemin, et, trĂšs prĂ©sent sur internet, se manifeste dans une diversitĂ© internationale. Dans un contexte oĂč on peut remonter au Gospel, « Playing for Change » Ă©voque l’amour et la paix. Dans un regard Ă©veillĂ© Ă  la prĂ©sence de l’Esprit, on y voit ici son Ɠuvre.

J H

  1. Playing for Change Re-imagine a world connected by music : https://playingforchange.com
  2. Playing for Change : wikipedia (francophone) : https://fr.wikipedia.org/wiki/Playing_for_Change Wikipedia (anglophone) : https://fr.wikipedia.org/wiki/Playing_for_Change
  3. RTBF Marin Jaumotte. Playing for Change, inspirer et connecter le monde à travers la musique : https://www.rtbf.be/culture/pop-up/detail_playing-for-change-des-chansons-pour-inspirer-et-connecter-le-monde-a-travers-la-musique-marion-jaumotte?id=10317571
  4. Lean on Me. (chanson de Bill Withers). Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Lean_on_Me_(chanson_de_Bill_Withers)
  5. Everyday people . Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Everyday_People
  6. Love is all (Roger Glover song) . Wikipedia : https://en.wikipedia.org/wiki/Love_Is_All_(Roger_Glover_song)
  7. Un hymne Ă  l’unitĂ©. Playing for change. : https://vivreetesperer.com/un-hymne-a-l%E2%80%99unite-%C2%AB-playing-for-change-%C2%BB/

 

 

Pistes de rĂ©sistance face Ă  la montĂ©e d’une technocratie dĂ©shumanisante

Pour un retour du soin face au mirage d’une mĂ©decine algorithmique transhumaniste

Selon Dr Louis Fouché

A notre insu, nous pouvons parfois ĂȘtre soumis Ă  l’emprise d’une culture techniciste animĂ©e par une raison instrumentale et portĂ©e par une technocratie calculatrice. Si cette rĂ©alitĂ© apparaĂźt aujourd’hui, jusqu’au risque d’une culture totalitaire, elle est le produit d’une transformation progressive qui remonte loin dans le temps. Certes, la prise de conscience Ă©cologique s’inscrit en face de ce danger, mais il nous faut entrevoir toutes les dimensions du problĂšme. De fait, cette menace peut ĂȘtre perçue dans diffĂ©rents aspects de la vie. A cet Ă©gard, les transformations actuelles du systĂšme de santĂ© peuvent ĂȘtre envisagĂ©es comme un rĂ©vĂ©lateur de tendances profondes qui comportent de graves dangers. C’est le thĂšme d’un livre du Docteur Louis Fouché : « Agonie et renouveau du systĂšme de santĂ©. Mirage d’une mĂ©decine algorithmique transhumaniste et frĂ©missement d’un retour au soin » (1).

Face Ă  un technicisme dĂ©shumanisant, comment protĂ©ger et promouvoir une mĂ©decine mettant en prioritĂ© le soin et le souci de l’autre ? Le propos du docteur Louis FouchĂ© est radical, mais il dĂ©voile une rĂ©alitĂ© qui n’a pas encore donnĂ© lieu Ă  une prise de conscience largement rĂ©pandue. En fait, le docteur Louis FouchĂ© est apparu sur la scĂšne publique Ă  l’occasion de la crise suscitĂ©e par l’épidĂ©mie du Covid. Il est alors entrĂ© en rĂ©sistance vis-Ă -vis des directives sanitaires officielles. MĂ©decin anesthĂ©siste, il a manifestĂ© beaucoup de courage en s’y opposant jusqu’à ĂȘtre contraint Ă  suspendre son activitĂ© professionnelle avec le sacrifice financier correspondant. Dans ce contexte, il a animĂ© un rĂ©seau d’entraide. Son livre tĂ©moigne de cette expĂ©rience. Cependant, plutĂŽt que de s’enfermer dans une rancƓur, mĂȘme si il s’exprime parfois dans des termes choquants, il nous paraĂźt chercher Ă  comprendre les facteurs de la dĂ©rive et les pistes Ă  explorer pour dĂ©velopper une mĂ©decine « intĂ©grale et intĂ©grative » dans des contextes humains appropriĂ©s.

 

Ce livre se présente donc en ces termes :

« Héritier de la pensée complexe, chÚre à Edgar Morin et Henri Laborit, le Dr Louis Fouché cherche la confrontation des regards, la fécondité du dissensus. Anthropologie, philosophie, éthique, sociologie, permaculture et non-violence nourrissent une réflexion renouvelée sur notre rapport à la Santé et au vivant.

Notre systĂšme de soins est Ă  la croisĂ©e des chemins : consumĂ©risme transhumaniste toxique, administrĂ© par quelques multinationales ; ou mĂ©decine intĂ©grale et intĂ©grative qui met la nature, les professionnels du soin et les patients en lien, pour une sagesse du vivant. A nous de choisir


La crise du systĂšme de santĂ©, mise Ă  nue par le Covid, est une des volutes de la crise systĂ©mique profonde que nous devons traverser. Quand tout pousse Ă  dĂ©sespĂ©rer, quand des tutelles corrompues finissent d’achever nos institutions, ce livre est une porte vers l’émancipation, l’autonomie et la responsabilité » (page de couverture).

Si les analyses de Louis FouchĂ© nous paraissent substantielles tant par l’expĂ©rience que par la culture de son auteur, nous ne les suivons pas sans rĂ©serve, mais surtout nous pouvons en contester l’interprĂ©tation.

Certes, la corruption peut affecter de grandes entreprises, de grandes institutions publiques peuvent ĂȘtre sous influence, mais on ne peut en dĂ©duire nĂ©cessairement un plan concertĂ© visant Ă  une domination mondiale. On pourrait davantage envisager une contagion des mentalitĂ©s : la propagation d’une culture techniciste et technocratique telle que l’auteur la dĂ©crit. Au total, nous ne disposons pas en ce domaine d’une expertise suffisante pour avancer des Ă©valuations.

Autre rĂ©serve : les propos de l’auteur sont empreints de passion, ce qui nous entraine et interpelle utilement, mais, dans ce mouvement, on peut regretter d’y voir parfois des jugements offensants ou ce qui nous apparait comme des exagĂ©rations. Il serait toutefois dommage que ces quelques rĂ©serves nous empĂȘchent de saisir la portĂ©e de cet ouvrage qui nous apporte un Ă©clairage majeur sur des dĂ©rives redoutables en cherchant ensuite des pistes de rĂ©ponse dans une perspective constructive et gĂ©nĂ©reuse. Nous essaierons de rapporter ce livre, non en terme d’un examen systĂ©matique, mais en empruntant le chemin de l’auteur Ă  travers des passages significatifs.

 

L’apparition du Docteur FouchĂ© sur la scĂšne publique

Dans l’introduction du livre, l’éditeur explique son engagement en faveur de l’auteur et de son ouvrage. A quel titre le Dr Louis FouchĂ© a-t-il Ă©tĂ© entendu durant la pĂ©riode critique du Covid ?

« Ce ne saurait ĂȘtre strictement son expertise en anesthĂ©sie et rĂ©animation qui a interpellĂ© le public lors de ses prises de parole. Ce qui a Ă©tĂ© entendu, c’est une synthĂšse et une mise en perspectives Ă  la fois complexes et intelligibles, respectueuses de l’intelligence de chacun et humbles dans leur exposĂ©. Le fruit en somme de ce qu’il avait patiemment additionnĂ© comme formations, expĂ©riences et rĂ©flexions, et qui venaient lĂ  crĂ©er une entaille dans le narratif prĂȘt Ă  consommer des discours officiels. Le docteur Louis FouchĂ© n’est pas apparu avec la crise, c’est la crise qui a fait Ă©merger tout un travail de l’ombre, des annĂ©es de lecture, de patience, d’assemblages de concepts, de regards croisĂ©s, de mises en applications pratiques et de tous les dĂ©tours qui les accompagnent
 Et lorsque la parole Ă©merge, elle prend immĂ©diatement forme et rĂ©sonne diffĂ©remment aux oreilles, car elle a dĂ©jĂ  modelĂ© le rĂ©el » (p 10).

 

Une expérience et une conscience des failles et des dysfonctionnements du systÚme de santé

De fait, c’est bien avant la crise du Covid que le Dr Louis FouchĂ© a perçu les dĂ©rives du systĂšme de santĂ©. Et ces dĂ©rives allaient Ă  l’encontre de la « nĂ©cessaire humanitĂ© dans le soin ». DĂšs 2017, il avait demandĂ© Ă  s’inscrire dans un master II d’éthique et anthropologie mĂ©dicales et il avait gagnĂ© en expĂ©rience dans les rencontres au cours de cette formation. Dans sa demande d’inscription, il avait clairement posĂ© les problĂšmes : « Dans mes multiples casquettes professionnelles, je butte sur de multiples incohĂ©rences permanentes. Je dois soigner, mais je dois surtout « faire des actes ». Je dois « faire des Ă©conomies ». Je suis Ă©garĂ© dans l’absence de bien commun clairement identifié  L’hĂŽpital est encombrĂ© de complications insolubles, induites par des gouvernances technocratiques, dont les rouages sont opaques et les finalitĂ©s inavouables. Le hiatus est de plus en plus flagrant entre un systĂšme de santĂ© qui industrialise le soin et la rĂ©alitĂ© que je perçois chaque jour de la rĂ©alitĂ© des patients. La Haute AutoritĂ© de SantĂ© le dit presque en ces termes : « Nous sommes lĂ  pour liquider le modĂšle artisanal de la mĂ©decine ». « Epur », chaque jour, je constate que c’est bien cet « artisanat » qui fait le soin. C’est bien la relation, et comment nous l’habitons, bref, notre Ă©thique qui fait le soin, pas les « process » (p 23). Son mĂ©moire de fin d’études avait Ă©tĂ© bien apprĂ©ciĂ©. Il y dĂ©nonçait notamment « les ravages d’une idĂ©ologie entrepreneuriale numĂ©rique appliquĂ©e Ă  la santĂ© humaine » et « la toute puissance algorithmique numĂ©rique en Santé » (p 25). Nous retrouverons ces thĂšmes tout au long du livre.

 

Une profession trop fermée

Louis FouchĂ© nous raconte comment il a ressenti durant sa formation de mĂ©decin un manque d’ouverture. « Il serait bon d’avoir du recul. Et pourtant, tout mĂ©decin que je suis, je n’ai jamais eu d’histoire de la mĂ©decine dans mes cours de facultĂ©. Il n’y a pas eu d’histoire des sciences non plus. Pas d’épistĂ©mologie. Pas de questionnement sur l’histoire du Vrai. Aucun retour sur les compĂ©titions Ă©conomiques ayant structurĂ© les marchĂ©s de la santĂ©. On y apprend la gĂ©nĂ©tique, la biophysique, la biochimie, la biologie molĂ©culaire. On nous apprend tous les dĂ©tails. Mais jamais, on ne nous donne une vue d’ensemble  ». Il y a lĂ  un enfermement qui paraĂźt stupĂ©fiant. « Pas de philosophie, de sociologie ou de psychologie
 Il n’y a pas de regards croisĂ©s avec d’autres mĂ©decines  ». Louis FouchĂ© ne se rĂ©sout pas Ă  vivre et Ă  penser dans cet univers clos. « Pourtant, il y a d’autres univers de soin, non ? Qu’est-ce que la mĂ©decine ayurvĂ©dique indienne ? Qu’est-ce que la mĂ©decine chinoise traditionnelle plurimillĂ©naire ?
 Pourquoi les guĂ©risseurs africains connaissent-ils tous la botanique et les plantes qui guĂ©rissent ? Pourquoi quand il y a un malade, veulent-ils guĂ©rir tout entier le village ? Au fait, pourquoi n’apprend-on rien de la botanique et des plantes mĂ©dicinales ?… » (p 36). Aujourd’hui, Ă  la suite de la crise du Covid, Louis FouchĂ© repose toutes ces questions et milite pour une mĂ©decine « intĂ©grale et intĂ©grative ».

Et il s’interroge Ă©galement sur la maniĂšre dont la mĂ©decine s’est professionnalisĂ©e. A partir de l’exemple anglais, ne peut-on pas y voir plutĂŽt un corporatisation ? (p 38). L’auteur examine Ă©galement le cas amĂ©ricain. Au dĂ©but des annĂ©es 1900, au nom d’une certaine conception de la scientificitĂ©, le rapport Flexner prĂ©conise la « rĂ©organisation et la centralisation des institutions mĂ©dicales » au bĂ©nĂ©fice d’une « mĂ©decine mĂ©dicamenteuse ». Il en est rĂ©sultĂ© un recul du soin naturel, un poids croissant de l’industrie pharmaceutique, un recul drastique du nombre de mĂ©decins (p 39-40). Ces diffĂ©rentes observations concourent Ă  mettre en Ă©vidence aujourd’hui des manques et des dĂ©rives dans la profession mĂ©dicale. Dans sa veine radicale, Louis FouchĂ© Ă©crit : « La logique Ă  l’Ɠuvre, c’est la conquĂȘte mĂ©thodique des marchĂ©s
 Nous sommes en train, de dĂ©truire le systĂšme de soin pour rĂ©attribuer le monopole du marchĂ© des soins aux multinationales de la finance et de la data ».

 

Une entrée en résistance

Face Ă  l’épidĂ©mie de Covid, on observe un ensemble de rĂ©actions. C’est une situation complexe qui n’est pas exposable dans ce cadre. On notera seulement ici le choc ressenti par le docteur Louis FouchĂ© au vu de certaines directives sanitaires. « Ce qui Ă©tait racontĂ© par le pouvoir et les mĂ©dias ne correspondait pas Ă  ce que je constatais dans mon service de rĂ©animation. Intubez prĂ©cocement. Mais les malades survivaient mieux si je les laissais sans ventilation invasive
 Pas de traitement prĂ©coce. Mais tous ceux qui en avaient eu un guĂ©rissaient mieux. Les pontes avaient donnĂ© des consignes. Constat de rĂ©alité : ils avaient 40% de lĂ©talitĂ© dans leur rĂ©animation quand nous en avions 5 Ă  20% en faisant autrement. Et pourtant, on n’a pas pu en parler Aucune possibilitĂ© de communiquer. Ils ont raison. Tais-toi. Point Ă  la ligne. Pas de discussion » (p 30). Nous voyons en la rĂ©action du docteur FouchĂ© une exigence de conscience. « Il y eu un appel Ă  parler. Une injonction Ă  dire. Si toi, au contact des malades en rĂ©animation, tu ne dis pas
 Qui diras ? Alors, j’ai criĂ© ce que je voyais. Et puis j’ai criĂ© Ă  l’aide. Et le plus surprenant, ça a Ă©tĂ© d’en trouver
 Et nous avons essayĂ© de nous entraider. Nous avons essayĂ© de comprendre. Nous n’avons pas renoncé » (p 31). En consĂ©quence, le docteur Louis FouchĂ© a Ă©tĂ© sanctionnĂ©. Il a Ă©tĂ© contraint Ă  la suspension, Ă  l’étĂ© 2021.

 

La disruption, entraine une rupture

Notre sociĂ©tĂ© est caractĂ©risĂ©e par un changement technique accĂ©lĂ©rĂ© (2) lequel entraine l’économie et influe sur la vie sociale. L’auteur accorde une grande attention aux effets des ruptures qui peuvent ainsi intervenir en les caractĂ©risant sous le terme de disruption. « La disruption est l’accĂ©lĂ©ration sans prĂ©cĂ©dent du rythme de la mutation technique. Il en rĂ©sulte une incapacitĂ© pour le groupe d’en contrĂŽler les usages et les rĂšgles. Corollairement, les systĂšmes techniques et leurs maitres (la classe des banquiers, des ingĂ©nieurs et des marchands) induisent la dislocation des systĂšmes sociaux et des individus » (p 66).

Louis FouchĂ© expose les mĂ©faits de disruption sous diffĂ©rents angles. Ainsi, sur le plan Ă©conomique, elle s’inscrit dans les thĂ©ories de Schumpeter. « Elles postulent que la destruction est crĂ©atrice
 DĂ©truire, c’est permettre de reconstruire. C’est faire changer de main la matiĂšre et donc gĂ©nĂ©rer du profit. Dans un postulat capitalistique, l’accĂ©lĂ©ration de la rotation du capital
 permet de gĂ©nĂ©rer du profit Ă  l’infini. Comprenez bien, car c’est toute une Ă©conomie de la prĂ©dation sur les ressources sans cesse accĂ©lĂ©rĂ©e qui trouve lĂ  une justification » (p 43). Cependant, l’innovation disruptive se dĂ©veloppe dans une volontĂ© de pouvoir. L’auteur y voit « la mainmise, sans partage, ni rĂ©gulation d’aucune sorte, sur un marché ». Et, selon lui, il y a tentative d’appropriation des « systĂšmes institutionnels rĂ©gulateurs ». Il y a donc lĂ  une menace totalitaire. « La disruption correspond Ă  une façon iconoclaste de considĂ©rer un Ă©cosystĂšme, en trouvant sa faille logicielle et organisationnelle, en vue d’en tirer le meilleur profit et d’effondrer les organisations traditionnelles de ce systĂšme » (p 44-45).

Cependant, Louis FouchĂ© envisage Ă©galement les effets de l’innovation de rupture accĂ©lĂ©rĂ©e, la disruption, sur les mentalitĂ©s et sur les valeurs qu’elles portent. Le secteur de la santĂ© offre un exemple des chamboulements induits par l’accĂ©lĂ©ration technique. L’adoption d’une invention, d’une nouvelle technique requiert son acceptation par tous ceux qui sont concernĂ©s. « Un nouveau systĂšme technique doit ĂȘtre « mĂ©tabolisé » par un groupe socio-culturel pour en faire jaillir le meilleur bien commun. Le groupe socio- culturel et les individus se trouvent transformĂ©s au passage. Dans la disruption, le rythme de mutation technique accĂ©lĂ©rĂ© empĂȘche ce mĂ©tabolisme » (p 71). Si la mutation technique dĂ©passe les capacitĂ©s adaptives, le « Nous » se disloque. « La technique s’impose au rĂ©el. Le groupe se retrouve « toujours en retard ». Et puisqu’il est en retard, il perd sa capacitĂ© Ă  rĂȘver le bien commun qui pourrait advenir. Il y a perte des repĂšres du « Nous », perte de sa raison d’ĂȘtre » (p 77). A cet Ă©gard, Lois FouchĂ© peut nous fait part de son expĂ©rience en milieu hospitalier. Il y a constatĂ© l’imposition de rĂšgles mĂ©caniques et d’une uniformisation normative. «Quand les systĂšmes techniques visent Ă  Ă©tablir une automaticitĂ© algorithmique des processus, il s’ensuit une prolĂ©tarisation croissante des humains ». Les procĂ©dures se multiplient et l’artisanat se mue en routine. L’auteur porte un regard critique vis Ă  vis de processus qui visent Ă  remplacer l’artisan par une chaine de montage, et puis de remplacer l’ouvrier par des robots. Et, in fine, de remplacer le salariĂ© par des algorithmes de traitement de donnĂ©es de masse. Il faut Ă©radiquer l’imprĂ©vu. Et l’imprĂ©vu, c’est le vivant  » (p 73).

Si l’on en revient Ă  l’épidĂ©mie du Covid, le docteur Louis FouchĂ© en garde l’amĂšre expĂ©rience d’un service de rĂ©animation bouleversĂ© par des rĂšgles technocratiques imposĂ©es d’en haut sans aucune pertinence par rapport Ă  la rĂ©alitĂ© des patients. « Petit Ă  petit, nous avons Ă©tĂ© expropriĂ©s de notre pratique mĂ©dicale » (p 77). En quelque sorte, la communautĂ© du « Nous » s’est disloquĂ©e et chacun a travaillĂ© dans l’isolement. « La disruption rĂ©sulte en la destruction du lien social et l’isolement progressif des individus atomisĂ©s » (p 79).

« Il y a dislocation du tissu social, destruction des appartenances et interdĂ©pendances antĂ©rieures, et mise en place d’une crispation totalitaire, pour tenter de maintenir, par la sclĂ©rose du mensonge, le Nous en effilochement » (p 81).

 

Technocratie et santé industrialisée

Le docteur Louis FouchĂ© ressent une pression technocratique grandissante et il en dĂ©crit les caractĂ©ristiques et les effets dans un chapitre : « Technocratie et santĂ© industrialisĂ©e ». Il entre d’emblĂ©e dans une interpellation au vif du sujet : « Pour planter le dĂ©cor : cette exclamation de M Claude Le Pen, professeur en Ă©conomie de la santĂ©, en 2014, au CollĂšge de France : « Nous sommes lĂ  pour liquider sans regret le modĂšle artisanal de la MĂ©decine » ». Dit autrement, commente l’auteur : « Nous sommes lĂ , nous Ă©conomistes de la santĂ©, reprĂ©sentant la Haute autoritĂ© de santĂ©, pour mettre en place un marchĂ© industrialisĂ©, normatif, rationalisĂ© et Ă©valuĂ© de production et de consommation de biens et services de soins. VoilĂ  les ambitions des organisateurs du systĂšme de santé » (p 47). Et dĂšs lors, le pouvoir s’exerce d’en haut. La dĂ©cision politique se fond par ailleurs avec des motivations Ă©conomiques. « Le rĂ©gulateur officiel, en l’espĂšce l’Etat, prend en fait des dĂ©cisions sous l’influence d’un rĂ©gulateur occulte ». Selon Louis FouchĂ©, ce rĂ©gulateur occulte, « c’est l’ensemble des industriels du mĂ©dicament, des multinationales de la finance et de la data ». « Le lexique et les mĂ©thodes de rationalisation managĂ©riale et productiviste de l’industrie s’imposent au soin » (p 50). « Il se produit l’envahissement du champ sanitaire par le champ managĂ©rial et organisationnel qui entend plier Ă  ses modalitĂ©s rationnelles, perfectionnistes, l’ensemble des strates du monde des soignants » (p 51). Pourrait-il en rĂ©sulter un gain Ă©conomique ? Le commentaire de l’auteur ne va pas dans ce sens. « Car on assiste Ă  une multiplication de la fameuse tarification Ă  l’acte. Plus on rĂ©alise d’actes, plus on gagne de l’argent
 Il se produit une augmentation inarrĂȘtable des actes  » (p 51). L’auteur dĂ©crit la dĂ©rive financiĂšre et incrimine le profit que certains en retirent. Dans cette Ă©volution, le rĂŽle des mĂ©decins se dĂ©grade : « Le systĂšme de santĂ© doit produire des soins industriellement avec efficience. Les soignants y deviennent des rouages d’une logique techno-industrielle et numĂ©rique. La Haute AutoritĂ© de santĂ©, haute et autoritaire, impose administrativement aux soignants une praxis conforme Ă  une justification d’efficience et d’équité » (p 54). « L’adossement du systĂšme de soins Ă  un systĂšme technique industriel rĂ©duit la pratique soignante au pilotage d’un systĂšme technique » (p 54). A lire ce livre, on ressent une impression de dĂ©shumanisation. L’auteur se livre Ă  une critique implacable d’un systĂšme oĂč les bonnes intentions sont dĂ©tournĂ©es et oĂč le pouvoir revient Ă  un milieu animĂ© par des prĂ©occupations administratives, techniques et commerciales. Ce systĂšme apparait comme de plus en plus omniprĂ©sent, jusqu’à influencer la production des savoirs. On se reportera Ă  l’analyse dĂ©taillĂ©e de la critique de Louis FouchĂ© qui, dans sa logique, peut paraĂźtre extrĂȘme. Il envisage un systĂšme oĂč « une interdĂ©pendance est inĂ©luctablement bĂątie par le modĂšle industriel entre le monde du soin et le monde marchand de production technique des remĂšdes et des savoirs » (p 59).

 

L’expansion du numĂ©rique

Nous assistons aujourd’hui Ă  une expansion massive du numĂ©rique. Comment ne pas en percevoir aujourd’hui les innombrables bienfaits ? Bien sĂ»r, il y a toujours un revers de la mĂ©daille.

En garde vis-Ă -vis de l’accĂ©lĂ©ration technique, Louis FouchĂ© analyse la part d’effets nocifs de la numĂ©risation dans le domaine de la santĂ©. « Les prĂ©mices d’industrialisation formelle du soin ont permis la remise en cause de l’utilitĂ© mĂȘme de l’humain comme agent du Soin. L’idĂ©ologie dominante propose dĂ©sormais le modĂšle d’une SantĂ© fondĂ©e sur le traitement algorithmique du big data numĂ©rique. Il s’agit en l’espĂšce d’accĂ©der encore Ă  un surcroĂźt automatisĂ© d’efficacitĂ© logistique opĂ©rationnelle » (p 87). La disruption numĂ©rique vient porter atteinte Ă  la praxis des soignants. « Les soignants comme les soignĂ©s sont pris de vitesse par une technique qui vise l’efficience et le profit comme premiĂšres cibles  » (p 97). Les reproches de l’auteur vis-Ă -vis de effets de l’irruption du numĂ©rique dans le systĂšme de santĂ© s’inscrivent dans une critique radicale d’« un monde rationalisĂ© automatique » et de la menace totalitaire correspondante. Et il prend pour cible l’utopie du philosophe anglais Hobbes qui « avait proposĂ© que la citĂ© idĂ©ale soit comme un mĂ©canisme d’horlogerie oĂč tous les rouages s’imbriquent sans heurt
 jubilation perfectionniste et mĂ©caniciste qui voudrait que l’erreur disparaisse. Ce monde automatique Ă  la « nous sommes tous des rouages » (p 98).

 

La menace de l’idĂ©ologie transhumaniste

Certes, nous traversons aujourd’hui une crise profonde, si profonde qu’elle est qualifiĂ©e d’« agonique » par Louis FouchĂ©. Et il impute cette crise Ă  une idĂ©ologie dĂ©signĂ©e comme « transhumaniste » Le transhumanisme est une forme rĂ©itĂ©rĂ©e de « l’hubris des philosophe grecs » « VolontĂ© de puissance, folie des grandeurs, il s’est donnĂ© pour objectif de dĂ©truire la part faillible et fragile en l’humain pour faire advenir le transhumain en perfection » (p 32). « Le transhumanisme est une idĂ©ologie. Sa rationalitĂ© est tout entiĂšre tenue Ă  faire advenir un monde automatique oĂč l’humain augmentĂ© serait libĂ©rĂ© de la contingence » (p 32). L’auteur voit dans la disruption qui bouscule l’hĂ©ritage du passĂ©, « le mode opĂ©ratoire de l’avĂšnement de l’idĂ©ologie transhumaniste ». Louis FouchĂ© perçoit ainsi une menace globale : « Transhumanisme, mode opĂ©ratoire disruptif, outil transformatif numĂ©rique sont dans une mĂȘme gĂ©nĂ©alogie. Ces concepts rĂ©unis composent un antihumanisme radical » (p 33). Il y a lĂ  en quelque sorte une menace vis-Ă -vis de la nature humaine : « Le transhumanisme vient tuer le vivant en nous » (p 34). « Peut-on combattre cette rationalitĂ© de la perfection lisse au nom de l’attachement Ă  un humain faillible, souffrant, mais digne et bien vivant » (p 34).

 

Un monde qui s’égare ?

C’est Ă  partir de sa condition de mĂ©decin anesthĂ©siste, de mĂ©decin hospitalier que le Docteur Louis FouchĂ© a pris conscience des perturbations qui affectent notre sociĂ©tĂ© Ă  partir de l’exemple des problĂšmes du systĂšme de santĂ©. Et plus prĂ©cisĂ©ment, la dĂ©faillance de ce systĂšme vis–à-vis de la crise du Covid a jouĂ© pour lui un rĂŽle de rĂ©vĂ©lateur. En conscience, il est entrĂ© en rĂ©sistance. Mais, Ă  partir de lĂ , sa rĂ©flexion s’est encore Ă©largie. Sa rĂ©flexion dĂ©passe maintenant de beaucoup la situation du systĂšme de santĂ©, elle porte sur l’évolution de la sociĂ©tĂ© et de l’économie. Son livre traite certes de l’agonie et du renouveau du systĂšme de santĂ©, mais ce thĂšme y est inscrit plus gĂ©nĂ©ralement dans une analyse de la crise Ă©conomique et sociale, et au delĂ  encore, Ă©cologique. Son interpellation est radicale.

Il nous a semblé que nous ne pouvions pas ignorer cette interpellation, car elle correspond à des problÚmes majeurs de notre époque.

Certes nous gardons une rĂ©serve par rapport aux interprĂ©tations de l’auteur. Nous n’entrons pas dans un style trĂšs polĂ©mique oĂč la colĂšre affleure et s’exprime dans des accusations catĂ©goriques et des gĂ©nĂ©ralisations abusives. Entre autre : « C’est triste, mais l’histoire de notre mĂ©decine, n’est qu’une histoire de pognon et de pouvoir  » (p 40) ou « Le mandat des directeurs d’hĂŽpitaux publics n’est pas que les gens soient bien soignĂ©s. Le mandat est de dĂ©truire l’hĂŽpital public pour faire advenir la e-santĂ© aux mains des multinationales de la data » (p 98). La vĂ©hĂ©mence de certains propos de l’auteur est contre productive.

Cependant, les menaces Ă©voquĂ©es par Louis FouchĂ© sont, au moins pour certaines, bien rĂ©elles. Ses analyses nous paraissent souvent pertinentes. Cependant, ce livre soulĂšve de grandes questions. D’une part les dĂ©rives actuelles ne sont souvent que l’amplification de phĂ©nomĂšnes plus anciens. Ainsi, la dĂ©sappropriation des travailleurs de leurs pratiques de travail, la sĂ©paration entre direction, conception et exĂ©cution, remontent au XIXe siĂšcle. Le mĂȘme problĂšme se pose Ă  l’ùre du numĂ©rique. Et, de mĂȘme, dans le registre Ă©cologique, le pillage de la planĂšte est une rĂ©alitĂ© de longue date. Face Ă  des tendances qui s’inscrivent dans la longue durĂ©e, comment changer de cap et changer de cap rapidement. Des philosophes et des sociologues s’expriment Ă  ce sujet (3). Mais le problĂšme est aussi spirituel. C’est bien le cas lorsqu’on doit faire face Ă  la montĂ©e de l’« hubris ». D’autre part, de grands changements comportent Ă  la fois une part positive et une part nĂ©gative. Comment pourrait-on mĂ©connaitre les apports du numĂ©rique ?

Louis FouchĂ© n’est pas indiffĂ©rent Ă  ces questions puisque, dans la derniĂšre partie de son livre, il esquisse des pistes de renouveau.

 

Sortir de l’impuissance

Conscient des pĂ©rils, cette lecture nous enseigne parfois d’autres menaces. La radicalitĂ© des propos de Louis FouchĂ© nous indiquent peu de points d’appui d’autant qu’il induit de la suspicion vis Ă  vis de nombreuses instances. Pourtant, dans la derniĂšre partie de son ouvrage, il communique sa vitalitĂ© en traçant de nombreuses pistes.

Dns une premiĂšre sĂ©quence, il apporte un Ă©tat des lieux. C’est le constat d’un sentiment d’impuissance largement rĂ©pandu. Puisqu’on constate que la technique ne rĂ©sout pas la souffrance, « il ne reste plus rien qu’un ĂȘtre Ă  la dĂ©rive sans abri et sans histoire. L’individu est dĂ©couplĂ© du rĂ©el, enchevĂȘtrĂ© dans d’innombrables et factices rĂ©seaux sociaux numĂ©riques Il ne sait plus Ă©crire un rĂ©cit symbolique et social qui fasse sens. Le bout de la rupture entre le rĂ©el et sa narration est le totalitarisme numĂ©rique. Nous y sommes. Lost in Metaverse » (p 161).

AprĂšs avoir rĂ©itĂ©rĂ© sa critique d’un monde ultra technique oĂč l’humain perd sa consistance, l’auteur s’engage dans une proposition. « Y a- il un renouveau salutaire ? VoilĂ  ce que nous allons tenter d’explorer dans cette derniĂšre partie. Rien ne sert de dĂ©monter Ă  tout prix la faillite du systĂšme. La plupart de nos contemporain, intuitivement, la ressente dĂ©jĂ . Les souffrances psychologiques et relationnelles traversĂ©es aujourd’hui sont proprement faramineuses. Il suinte, dans tous les faux bonheurs consumĂ©ristes, une solitude, une tristesse et une angoisse Ă©touffantes
 Dans les sociĂ©tĂ©s occidentales post-industrielles, coexistent Ă  des niveaux variĂ©s, mais pour une majoritĂ© d’entre nous, une anxiĂ©tĂ© flottante sans objet, un mĂ©contentement flottant sans objet, une perte de sens Ă  l’existence et au travail, une perte de lien social et un isolement individualiste » (p 152). Cet Ă©tat induit une fragilitĂ© sociale et politique. « Ces conditions rĂ©unies sont le terreau d’un mĂ©canisme de masse totalitaire ». Cette insatisfaction peut se focaliser sur un objet commun dans un nous collectif.

Cependant, nous dit Louis FouchĂ©, il ne suffit pas de comprendre en adoptant la posture d’un spectateur. Cette posture induit « une aspiration par la sociĂ©tĂ© du spectacle » (p 153). Il y un autre Ă©cueil : « Certains sont tentĂ©s de baisser les bras
 Nous sommes impuissants quand nous somme isolĂ©s. C’est humain, mais c’est une dynamique suicidaire. On doit se mettre en lien » (p 154).

A partir de son expĂ©rience dans ses rencontres au cours de la crise du Covid, Louis FouchĂ© peut encourager. Pendant cette crise, certains ont rĂ©agi. « Ils se sont rĂ©unis et ils ont accueilli leurs souffrances mutuelles. C’est le premier de tous les mĂ©canismes thĂ©rapeutiques : l’écoute empathique. Avant mĂȘme d’agir, savoir qu’on n’est pas seul, qu’on n’est pas fou, est le dĂ©but de la mise en action » (p 156). L’auteur appelle Ă  « aller vers le lien et l’appel du RĂ©el ». « RĂ©ussir Ă  sortir d’un paradigme oĂč l’on reste Ă  contrĂŽler et prĂ©dire, pour aller vers l’imprĂ©vu de ressentir et s’ajuster » (p 156). Louis FouchĂ© rapporte son action pour permettre l’expression et le partage de nombreuses expĂ©riences positives en cours aujourd’hui, des alternatives innovantes : la rĂ©alisation d’un documentaire : « Tous rĂ©sistants dans l’ñme ». « Un pas pour que les gens osent raconter la beautĂ© et la transformation en cours autour d’eux. Ce faisant, j’espĂšre qu’émergera un autre rĂ©cit dominant que celui des multinationales » (p 156). Louis FouchĂ© examine les diffĂ©rentes motivations de nos actions. Et, par exemple, il Ă©voque la figure psychologique du triangle de Karpman : « des rĂŽles qui oscillent entre celui de victime et celui de bourreau en passant par celui de sauveur » (p 160). Pour sortir de ce triangle infernal, revenir Ă  la souverainetĂ©. « Qu’est ce qui est en mon pouvoir, et Ă  quel endroit je peux agir juste pour faire advenir le monde que je veux ? » (p 161). C’est un appel Ă  la responsabilitĂ©. « Il en va dans ces considĂ©rations sur l’espoir et la souverainetĂ© d’un enjeu de rĂ©enpuissancement. Il s’agit de reprendre sa puissance d’agir par un regard tournĂ© sur les enjeux et les responsabilitĂ©s. Il ne s’agit pas de vaincre. Il ne s’agit pas d’avoir raison. Il ne s’agit pas d’aller lutter contre. Il s’agit dĂ©jĂ  de transformer ses propres attentes, son propre regard. Et de prĂ©cipiter dans la matiĂšre une action juste par un changement d’intentions, d’émotions et d’espĂ©rances. « Be the change you want to see in the world » (Gandhi) (p 162).

 

Pistes d’action

En fonction de ses analyses et de ses idĂ©aux, l’auteur nous propose des pistes d’action dans plusieurs chapitres successifs : « agir juste, une affaire institutionnelle, une affaire technique, quelle gouvernance ? transformation culturelle et rĂ©cit positif ». En Ă©nonçant ces pistes, l’auteur s’inscrit dans l’histoire d’un non conformisme et il cherche Ă  Ă©viter le piĂšge de la rĂ©cupĂ©ration par un ordre social et technique omniprĂ©sent. Nous renvoyons Ă  la lecture de ces chapitres.

Louis FouchĂš rappelle l’histoire du machinisme au XIXe siĂšcle, oĂč les ouvriers se voyaient dĂ©possĂ©dĂ©s de leurs qualifications par l’arrivĂ©e des machines. Ils s’y opposĂšrent dans le mouvement luddiste. « L’irruption de la machine industrielle a suscitĂ© une dĂ©sappropriation
 Au-delĂ  des bĂ©nĂ©fices productivistes, et l’accroissement du confort matĂ©riel Ă  bas coĂ»t du consommateur, il y a la destruction d’une classe manufacturiĂšre » (p 165). L’auteur pointe d’autres dĂ©sappropriations dans le monde d’aujourd’hui. Il Ă©voque des mouvements nĂ©oluddistes « rĂ©solument techno-critiques ». Le commentaire est nuancé : « L’action sur le cours profond des choses peut sembler faible, mais elle participe Ă  un Ă©veil des consciences sur les consĂ©quences de la technique habituellement tenues sous le boisseau » (p 169).

« La pratique de l’obsolescence programmĂ©e est « le recours Ă  des techniques par lesquelles le responsable de la mise en marche d’un produit vise Ă  en rĂ©duire dĂ©libĂ©rĂ©ment la durĂ©e de vie pour en augmenter le taux de remplacement »  Concept machiavĂ©lique, s’il en est, des tenants de la destruction crĂ©atrice
 Il porte en lui toute l’absurditĂ© du systĂšme capitaliste consumĂ©riste  » (p 170). Cependant, face Ă  cette absurditĂ©, la riposte est dĂ©cisive. En France, en 2015, l’obsolescence programmĂ©e est devenue un dĂ©lit entrainant jusqu’à deux ans de prison. Surtout, « il y a une source immense d’espoir : l’avancement d’une culture de la pĂ©rennitĂ© matĂ©rielle. Les pays en voie de dĂ©veloppement, comme de trĂšs nombreux mouvements Ă©cologistes ou de bon sens, privilĂ©gient le rĂ©usage, le recyclage et la rĂ©paration. Paradoxalement, le meilleur outil de diffusion de cette culture est justement la technique numĂ©rique moderne. Aujourd’hui des sites internet entiers sont consacrĂ©s aux low-tech lab, aux recycleries, aux ressourceries qui voient le jour un peu partout » (p 171).

L’auteur Ă©voque Ă©galement le boycott. « Les mouvements d’action collective de consommateurs visant Ă  inflĂ©chir le comportement d’une entreprise ou d’une institution sont prometteurs. Ils permettent de rĂ©Ă©quilibrer les rapports de force entre une communautĂ©, ses tutelles et les entreprises marchandes » (p 176). Il y a une histoire du boycott, tel le boycott rĂ©ussi de la marche du sel engagĂ©e en 1930 par Gandhi en Inde. Mais comme le souligne l’auteur, il y a une condition prĂ©alable. « Le premier travail en amont du boycott et le plus essentiel est de rĂ©unir une communauté » (p 179).

Louis FouchĂ© constate qu’on ne peut se passer de structures protectrices Ă  condition qu’elles soient participatives. « Les collectifs citoyens crĂ©ent des alternatives aux structures institutionnelles dĂ©faillantes ou dĂ©shumanisĂ©es. Mais ces alternatives ne doivent pas rester des alternatives. Elles doivent dessiner les contours d’une institution dĂ©sirable ». Il faut travailler Ă  permettre que tous ceux qui veulent quitter le systĂšme puissent le faire. La question est posĂ©e sur diffĂ©rents registres, y compris la monnaie.

L’auteur pose Ă©galement la question de la gouvernance. Au niveau national, des choix idĂ©ologiques conditionnent les politiques. Au plan international, l’auteur a conscience de la forte demande de rĂ©gulation internationale. Mais il redoute une corruption systĂ©mique. Des conditions doivent ĂȘtre posĂ©es. « Il est indispensables d’avoir des espaces et des institutions internationales, mais il faut bien dĂ©finir leur mandat. Leur rĂŽle est de permettre la rencontre, le dialogue et la nĂ©gociation, les coopĂ©rations, les Ă©changes
 Elles ne sont qu’une table qui permet la diplomatie ». L’auteur est par contre trĂšs mĂ©fiant vis-Ă -vis des autoritĂ©s supranationales. « Il est, en revanche, probablement dangereux de vouloir fondre les cultures, les langues, les visions du monde dans un mĂȘme idĂ©al et sous un mĂȘme ordre lĂ©gislatif et social » (p 197).

Dans la transformation culturelle en cours, nous avons besoin d’un « rĂ©cit positif » qui puisse nous inspirer. La prise de conscience Ă©cologique fait bouger les lignes. Louis FouchĂ© Ă©voque ces changements Ă  sa maniĂšre. Et il se rallie Ă  la vision de la permaculture. « Dans le paysage Ă©cologique finalement trĂšs complexe, la permaculture semble bien la vision la plus sage et la plus intĂ©grale. La permaculture serait une façon de penser les problĂšmes dans une logique Ă©cosystĂ©mique » (p 206). Ces principes de rĂ©flexion issus d’une expĂ©rimentation agricole, de par leur nature Ă©cosystĂ©mique, ont touchĂ© tous les champs de l’activitĂ© humaine. L’auteur Ă©nonce ces principes (p 205) qui s’accompagnent de « trois fondamentaux Ă©thiques : Prendre soin de la terre, prendre soin de l’humain, partager Ă©quitablement ». La permaculture prend en compte les diffĂ©rents niveaux de rĂ©alitĂ©. « La logique Ă©cologique a conduit progressivement Ă  penser les problĂšmes, en particulier sanitaires, comme des interactions Ă©cosystĂ©miques intĂ©grĂ©es complexes. Dans la permaculture, la notion d’écosystĂšme est centrale dans les rouages de comprĂ©hension. C’est une logistique plus exigeante et Ă©largie qui contient dĂ©jĂ  en son sein une rĂ©gulation morale et un appel au non-rĂ©agir. La transformation est dĂ©jĂ  en cours  » (p 213).

Louis FouchĂ© nous fait part d’un exemple spectaculaire de l’application des principes permaculturels dans le domaine de la santĂ©. C’est l’entreprise Buurtzorg aux Pays-Bas, fondĂ©e par Jos de Blok en 2006 (4). Avant Buurtzorg, le systĂšme de soins infirmiers aux Pays-Bas avait la mĂȘme trajectoire d’hyper-rationalisation bureaucratique de service de soins qu’en France. Les infirmiers avaient en gĂ©nĂ©ral un planning Ă©tabli par le siĂšge pour optimiser leur temps de transport. Le patient n’avait pas d’infirmier dĂ©fini. Les soins Ă©taient normalisĂ©s et le temps de rĂ©alisation de l’acte minuté  Ce systĂšme a gĂ©nĂ©rĂ© une insatisfaction grandissante chez les patients. Jos de Blok a quittĂ© ce systĂšme dĂ©personnalisĂ©. Il a mis en place une entreprise avec quelques amis en 2006
 « Ils ont revu leurs façons de concevoir le soin. Au lieu de rĂ©aliser le soin prescrit par le mĂ©decin, ils ont commencĂ© par prendre une collation avec le patient et discuter avec lui de son rĂ©seau social et de ses besoins rĂ©els. Puis rapidement, ils ont entrepris de densifier le rĂ©seau d’aide autour des personnes et de valoriser leurs ressources propres  ». Revenue Ă  une raison d’ĂȘtre qui faisait sens, s’étant rĂ©appropriĂ© sa façon de faire, l’entreprise a adoptĂ© « le systĂšme de petites Ă©quipes autonomes sans hiĂ©rarchie de maximum douze personnes, en charge localement d’autogĂ©rer leurs plannings, leur gouvernance, leur matĂ©riel, leurs dĂ©penses » (p 214-215). L’entreprise s’est massivement dĂ©veloppĂ©e jusqu’à regrouper 10 000 infirmiers. Un audit a montrĂ© que cette organisation faisait Ă©conomiser 40% des actes mĂ©dicaux prescrits, diminuait de 30% les hospitalisations en urgence
 50% du temps paramĂ©dical Ă©tait Ă©conomisé  » (p 215).

Dans le mouvement de la pensĂ©e, « depuis la fin des annĂ©es 2000, a rĂ©Ă©mergĂ© l’idĂ©e des communs. Il s’agirait d’une voix mĂ©diane entre la propriĂ©tĂ© et le collectivisme
 La proposition du mouvement des communs est une rĂ©appropriation des biens communs par les communautĂ©s locales ». Louis FouchĂ© Ă©voque les « communs de soin et de santĂ© intĂ©grant aussi bien les patients et les soignants Ă  une Ă©chelle locale » (p 217).

Tout au long de ce livre, Louis FouchĂ© se confronte aux menaces engendrĂ©es par un modĂšle Ă©conomique marchand, mais aussi par celles qu’il attribue Ă  l’expansion du numĂ©rique.

Cependant, les apports du numĂ©rique ne sont-ils pas considĂ©rables ? Comment pourrait-on les refuser ? Or l’auteur rĂ©pond Ă  cette question dans une sĂ©quence : « la technique comme pharmakon » (p 186-189). « Pharmakon, c’est le poison
 et le remĂšde. L’idĂ©e du pharmakon correspond Ă  celle des cornucopiens qui voient dans la technique une source d’abondance. Si la technique est le poison, elle devrait aussi le remĂšde
 La technique va rĂ©soudre les problĂšmes qu’elle a crĂ©Ă©s. » (p 186). L’auteur est dubitatif vis-Ă -vis de cette prĂ©tention. « Je pense que nous avons atteint un seuil de contre-productivité ». « Pourtant, je dois le concĂ©der, la rĂ©sistance dans la crise du Covid n’aurait pas existĂ© sans les rĂ©seaux sociaux ». DĂšs lors, la rĂ©flexion se fait nuancĂ©e. « Ressentir et s’ajuster, et non pas essayer d’imposer une utopie au rĂ©el. Nous en reparlerons avec la non-violence et la prudence. Quand tout s’effondre, il s’agit de bĂątir ensemble une bulle de cohĂ©rence autour de nous pour passer l’épreuve. Et pour la bĂątir, tous les morceaux intĂ©ressants du rĂ©el peuvent ĂȘtre rĂ©cupĂ©rĂ©s » (p 188). Cependant, Louis FouchĂ© met en garde vis-Ă -vis de « l’extension totalisante du numĂ©rique ». Il « dĂ©crie une utilisation pseudo-rationalisĂ©e de la technique, puisqu’elle ne change pas l’intentionnalitĂ© fondamentale sous-jacente de ne jamais se heurter Ă  la limite » (p 188). « En synthĂšse, une seconde vision du pharmakon est qu’il faut utiliser la technique Ă  de justes fins. Pour cela, il faut redonner une hĂ©tĂ©ronomie Ă  la technique en travaillant sur les usages mis en place par les citoyens, puis sur les conceptions symboliques des crĂ©ateurs eux-mĂȘmes, sur leur intention. Ceci ne peut se lire en premiĂšre lecture qu’en mettant des freins politiques et lĂ©gislatifs sur le pouvoir Ă©conomique » (p 193).

 

Vers un nouveau systÚme de santé

Dans ce livre, Louis FouchĂ© entre dans une nouvelle conception de la santĂ© et du soin qui s’inscrit dans « la logique permaculturelle », la logique Ă©cologique ; et de par son engagement lors de la crise du Covid, il est au cƓur des processus collaboratifs qui ont alors Ă©mergĂ©. L’innovation fleurit dans les marges. Un paysage nouveau est en train d’émerger. Un horizon est en train d’apparaĂźtre. Louis FouchĂ© peut s’exclamer : « VoilĂ  rien moins qu’un systĂšme de santĂ© Ă  Ă©tablir. C’est un magnifique dĂ©fi » (p 219).

La logique permaculturelle renouvelle note regard. D’une certaine maniĂšre, les mouvements de mĂ©decine holistique, tels que proposĂ©s par les anthroposophes ou la plupart des ethnomĂ©decines traditionnelles, sont dans cette ligne lĂ . Il s’agit de concevoir l’humain en interaction et intĂ©grĂ© dans le plus grand pour pouvoir l’aider Ă  rester en santé  la coopĂ©ration des mĂ©decins est porteuse d’espoir, mais nĂ©cessite des outils d’évaluation d’impact pertinents  » (p 207).

Il est important de prendre en considĂ©ration tous les Ă©lĂ©ments. « Si vous comptez les kilos perdus dans les six mois post sleeve gastrectomie versus rĂ©gime seul chez un obĂšse, la sleeve gastrectomie va devenir la mĂ©thode de rĂ©fĂ©rence. Arracher et agrafer l’estomac sera meilleur Ă  court terme que de crĂ©er un rĂ©seau social de qualitĂ©, de rĂ©Ă©duquer Ă  une alimentation saine, de passer quelques lois interdisant aux industriels les distributeurs automatiques des ‘nuts’, le sur-sucrage des produits prĂ©parĂ©s, de rĂ©flĂ©chir sur le contenu culturel, philosophique et spirituel de la personne avec lenteur et patience
 L’obĂ©sitĂ© n’a pas Ă  voir qu’avec perdre des kilos dans le minimum de temps. Le cĂŽtĂ© obscur est toujours plus rapide, plus facile, plus tentant. Mais le cĂŽtĂ© obscur n’est pas le bon chemin » (p 208).

C’est la force des ethnomĂ©decines traditionnelles. Elles ont pour elles la sagesse du temps long. « Toutes ont en commun d’ĂȘtre non scientifiques, hautement symboliques, trĂšs attachĂ©es Ă  la dimension sociale et relationnelle du dĂ©sĂ©quilibre de santĂ©. Et toutes ont en commun de rechercher l’homĂ©ostasie avec le monde. Elles rĂ©Ă©mergent et c’est une chance ». Ainsi Louis FouchĂ© nous parle d’une rencontre oĂč « il y avait un ethnomĂ©decin chinois traditionnel, un mĂ©decin ayurvĂ©dique de PondichĂ©ry, un mĂ©decin de Daramsala en Inde en exil avec le DalaĂŻ Lama, un druide celtique, un guĂ©risseur africain ivoirien, un mĂ©decin anthroposophe, un homĂ©opathe, des mĂ©decins gĂ©nĂ©ralistes allopathiques, un anthropologue, un rĂ©animateur. Quelle richesse ! Quel foisonnement d’intelligences et de partages !… MĂ©decine lente et basse-technologie permaculturelle » (p 209).

Louis FouchĂ© rĂ©flĂ©chit Ă  la maniĂšre permaculturelle de dĂ©penser le moins d’énergie pour le meilleur rĂ©sultat. Une pratique low-tech. C’est une orientation : « Refaire avec le sens clinique, avec l’observation patiente. Redonner du sens Ă  l’interprĂ©tation du rĂ©el par le praticien. J’avais ainsi proposĂ©, il y a cinq ans, la mise en place de projets mĂ©dicaux de rĂ©animation et d’anesthĂ©sie low-tech » (p 209). L’auteur raconte comment un groupe d’internistes Ă  Paris s’est mis Ă  donner un cycle de cours sur « les signes » aux mĂ©decins rĂ©animateurs. Leur parcours pĂ©dagogique visait Ă  rĂ©habiliter les investigations au lit du malade, Ă  resensibiliser Ă  l’observation clinique » (p 210). L’auteur rapporte comment l’humain reprend ses droits par rapport Ă  une pression techniciste. « En rĂ©animation, la sĂ©dation Ă©volue d’un cocktail meurtrier Ă  fortes doses d’hypnotiques, de morphiniques et de curares, encore utilisĂ©s par certains services arriĂ©rĂ©s, vers une sĂ©dation light oĂč le patient coopĂšre et participe au soin. A preuve, le Covid oĂč la ventilation et la prise en charge techniciste lourde ont dĂ©montrĂ© leur faiblesse et leur toxicitĂ© versus une approche physiologique peu invasive avec oxygĂ©nothĂ©rapie Ă  haut dĂ©bit. Les dĂ©cisions de limitation thĂ©rapeutique sont dĂ©sormais prises en concertation avec les familles, le personnel et mĂȘme le patient
 On utilise de plus en plus les critĂšres crĂ©Ă©s par les patients et non par les mĂ©decins. On utilise des « patients traceurs » pour aller regarder ce que l’évaluation comptable ne sait pas regarder. Ils racontent leurs vĂ©cus d’hospitalisation et ouvrent des perspectives de progression inattendues puisqu’ils parlent tous des insuffisances du lien et de l’accompagnement humain
 Au cƓur mĂȘme du monstre, il y a un Ă©lan, un appel Ă  plus d’humanité  » (p 211-212).

Une culture de la coopĂ©ration commence Ă  se dĂ©velopper. Ainsi « apparaissent de nombreuses initiatives de soin mettant en rĂ©seau des professionnels d’horizons variĂ©s
 La rencontre avec la mĂ©decine institutionnelle de tous ces acteurs est une condition de la survenue d’une mĂ©decine permacole. Les patients eux-mĂȘmes sont en train de monter en compĂ©tence de maniĂšre extrĂȘmement rapide. Les didacticiels, les formations en ligne, les ateliers se multiplient pour que les savoir-faire et les savoirs anciens soient transmis. Je constate avec un Ă©tonnement croissant que toute une partie de la population aspire Ă  l’autonomie en SantĂ© et utilise des pratiques comme le Tai Chi, le Qi Gong, le yoga ou la mĂ©ditation. Il me semble que ce mouvement est dĂ©sormais prĂ©gnant et qu’aucune multinationale au monde ne saura l’arrĂȘter » (p 210-211).

Ainsi, Louis FouchĂ© voit dans toute cette Ă©volution un profond changement de mentalitĂ© qui s’inscrit dans la montĂ©e de la culture Ă©cologique. « La logique Ă©cologique a conduit progressivement Ă  penser les problĂšmes en particulier sanitaires, comme des interactions Ă©cosystĂ©miques intĂ©grĂ©s complexes. Dans la permaculture, la notion d’écosystĂšme est centrale dans les rouages de la comprĂ©hension. C’est une logique plus exigeante et Ă©largie qui contient dĂ©jĂ  en son sein une rĂ©gulation morale et un appel au non agir » (p 213).

Cependant, dans ce contexte en mouvement, comment favoriser l’avĂšnement d’un nouveau systĂšme ?  « Pouvons-nous inventer des communs de soin et de santĂ© Ă  des Ă©chelles locales intĂ©grant aussi bien les patients et les soignants, sans intervention de l’Etat ou des multinationales ? » L’auteur en donne un exemple : « les Oasis Pleine Santé » qui sont en train d’émerger. « En lien avec les collectifs locaux sur les territoires de Forcalquier et de Lyon, elles proposent un systĂšme de soins, avec une autre logique financiĂšre et sanitaire
 Je participe Ă  bĂątir patiemment et pierre par pierre, un rĂ©seau de ces initiatives locales bigarrĂ©es. Elles Ă©mergent des collectifs issus de la crise du Covid et des soignants suspendus comme des citoyens ayant Ă  cƓur de retrouver leur autonomie en santĂ©. Le rĂ©seau qui se tisse doucement a pour nom : Une NĂŽtre SantĂ©. Il est articulĂ© avec RĂ©infoSantĂ© qui veut devenir une sorte d’universitĂ© citoyenne de crĂ©ation du savoir en SantĂ© pour le grand public » (p 217).

Et voici qu’en quelques lignes, Louis FouchĂ© nous prĂ©sente sa vision d’un  nouveau systĂšme de santé : « Élaborer du savoir, mettre en place une praxis des soins autonomes et avec un gouvernance locale. Proposer la coopĂ©ration de diffĂ©rents soignants autour d’un patient, avec le soutien Ă©conomique de toute la communautĂ© locale. Faire intervenir les patients eux-mĂȘmes dans les processus de salutogenĂšse comme cela a Ă©tĂ© fait souvent en pathologie psychiatrique et en addictologie
 Revenir Ă  des Ă©lĂ©ments de soin low-tech et Ă  des outils de santĂ© façonnables localement. Conserver de notre mĂ©decine en effondrement ce qui fait sens comme l’anesthĂ©sie et la chirurgie. VoilĂ  rien moins qu’un systĂšme de santĂ© entier Ă  Ă©tablir. C’est un magnifique dĂ©fi. Et il ne sera relevĂ© que par un Nous rĂ©conciliĂ©, en commun » (p 217-219).

 

Une aspiration spirituelle

Dans ce livre, Louis FouchĂ© nous interpelle : A quoi tenons-nous ? Quelle vie voulons nous vivre ? Nous croyons nous en relation ? « Les sociologues appellent parfois le rĂ©cit commun unifiant : « protension collective positive ». Il s’agit de trouver ce vers quoi le Nous a envie d’aller ensemble. Il s’agit de trouver les quelques valeurs, les quelques intentions qui rassemblent les Je atomisĂ©s en une humanitĂ© qui cherche Ă  vivre ensemble » (p 221). L’auteur Ă©nonce quelques-unes de ces valeurs. Il nous appelle Ă  considĂ©rer la sociĂ©tĂ© dans laquelle nous vivons. Nous avons vĂ©cu pendant des dĂ©cennies dans un dĂ©veloppement Ă©conomique ininterrompu. Aujourd’hui, nous prenons conscience que la croissance ne peut ĂȘtre indĂ©finie. Les ressources s’épuisent. Alors il nous fait envisager une dĂ©croissance. « La dĂ©croissance est une baisse du niveau de matĂ©rialitĂ© nĂ©cessaire Ă  la vie humaine. Comment l’homme s’y adapte est toute la question » (p 221). Si nous restons dans une demande de « toujours plus », comme le monde ne pourra offrir ce « toujours plus », plus dure sera la chute (p 222). Si nous subissons une grande frustration, il y aura parallĂšlement de fortes tensions . « La dĂ©croissance subie promet la guerre de tous contre tous. Au contraire, la dĂ©croissance volontaire est un chemin non violent de transformation »  « La logique de la sobriĂ©tĂ© heureuse consiste Ă  travailler sur le dĂ©sir individuel et collectif ». L’auteur Ă©voque la pensĂ©e de Pierre Rabhi. « Dans l’ensemble, il s’agit de travailler individuellement Ă  un changement dans ses attentes par un retour aux besoins fondamentaux. Ce retour permettra de dĂ©finir clairement les prioritĂ©s. Il est entendu que la sociĂ©tĂ© dans son ensemble changera par cette augmentation de conscience individuelle. L’imaginaire des dĂ©croissants rejoint celui de Gandhi dans sa cĂ©lĂšbre phrase : « Be the change you want to see in the world » (p 222 ). « La sobriĂ©tĂ© heureuse est souvent associĂ©e au concept d’« insurrection des consciences » et « au pouvoir crĂ©ateur de la vie civile ». En cela, elle prĂ©tend Ă  une portĂ©e Ă  la fois spirituelle et politique » (p 222).

Mais avons-nous des exemples historiques d’un tel changement ? Louis FouchĂ© nous apprend qu’effectivement, « la dĂ©croissance volontaire a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© historiquement formulĂ©e et expĂ©rimentĂ©e. L’exemple le plus cĂ©lĂšbre reste celui du christianisme d’état de la fin de l’empire romain. Une partie de la classe aristocratique et bourgeoise dominante, lassĂ©e de ses orgies et de la vassalisation oppressive des colonies, dĂ©cide de poursuivre des objectifs non matĂ©rialistes. Elle revient de maniĂšre volontaire au dĂ©nuement. Les mouvements anachorĂšte, puis monastique ouvrent cette Ăšre mystique de la transition vers le Moyen Age » (p 223).

La question du rĂ©cit commun dĂ©sirable convoque nĂ©cessairement la question de la spiritualitĂ©. Certes, ce terme fait question pour certains embarrassĂ©s par des souvenirs religieux encombrants. C’est sans doute pourquoi le titre de ce chapitre est formulĂ© interrogativement : « EcospiritualitĂ© laĂŻque ? ». Cependant Louis FouchĂ© insiste : « Par nature, l’intention que je peux porter sur demain est de nature spirituelle. Je crois que l’Occident entre dans une Ă©poque franciscaine. Saint François d’Assise, c’est celui qui a renoncĂ© Ă  toutes les entraves du confort. Il est l’ami de toute chose et de tout ĂȘtre. Dans les Fioretti et les principales priĂšres de François d’Assise, il y a une cosmogonie intĂ©grĂ©e de l’homme avec l’univers. La vie est sacrĂ©e. La CrĂ©ation est sacrĂ©e. Elle contient le divin dans chaque fibre de l’univers et de chaque ĂȘtre » (p 224). Il y a lĂ  une vision Ă  l’opposĂ© du « cartĂ©sianisme Ă  l’Ɠuvre dans l’imaginaire occidental depuis les LumiĂšres ».

« En synthĂšse, la SobriĂ©tĂ© heureuse est une protension collective positive pour amoindrir les consĂ©quences individuelles et collectives de l’effondrement. Elle constitue un travail incontournable sur l’intention individuelle dont l’espoir est d’avoir une portĂ©e socio-politique. La crise que nous traversons est en train de recrĂ©er du SacrĂ© Ă  tour de bras. Le vivant que l’on pourchasse partout au nom du profit et de l’efficience est sacrĂ©. L’humain est un ĂȘtre parmi d’autres, Ă  nul autre pareil, dans un biotope dont il procĂšde et dont il a besoin. A vouloir le sacrifier, on le rend sacré » (p 225).

Ce chapitre se poursuit par l’éloge de deux vertus : la prudence et la non-violence. Comme sagesse pratique appliquĂ©e, « La prudence cherche une juste mesure de l’action dans l’incertitude et la contingence du rĂ©el ». Et, autre apport, « Dans l’action comme dans la pensĂ©e, la prudence est l’intelligence du courage ». « La prudence est une sorte de sagesse conceptuelle de l’action. La prudence indique la prĂ©caution Ă©lĂ©mentaire. Il y a aussi un petit air de lenteur dans les plis du concept. Une sorte de lenteur qui observe le rĂ©el avant de prendre sa dĂ©cision » (p 226).

Louis FouchĂ© s’exprime comme un adepte de la non-violence. Il nous en dĂ©crit l’esprit et la pratique. « Rien n’est jamais gagnĂ© ou perdu. L’arĂšne met simplement en place la nĂ©cessitĂ© d’une rencontre. Et lĂ  nait le rapport de force. Celui qui amĂšne dans la danse la volontĂ© de l’autre est celui dont la volontĂ© est la plus stable. Elle reste au centre. Et l’autre reste dans mon centre. Si mon centre vacille, l’autre me balaie et m’effondre. Quelle est ma volonté ? Quel est mon centre ? C’est l’autre qui m’aide Ă  le trouver. C’est par les attaques incessantes de l’adversaire qui cherche Ă  me dĂ©tourner de moi-mĂȘme, que j’apprends qui je suis » (p 228).

Dans sa conclusion, Louis FouchĂ© reprend au dĂ©part son expression d’indignation en Ă©voquant une dĂ©chĂ©ance humaine. Et puis, le vent tourne. Louis FouchĂ© Ă©voque une parole motrice des « Dialogues avec l’ange » : « Celui qui aide, parle. La parole de consolation et d’amour plane au dessus de vous. Sans l’Amour, rien ne peut s’accomplir, ni Connaissance, ni Paix, ni FĂ©licitĂ©. La Connaissance Ă©claire, le Silence remplit, le Rayon apporte la chaleur, mais seul, l’Amour relie ». Alors, je dois Ɠuvrer aussi fort que je peux, pour qu’autre chose advienne
 Pour que le courage tienne  » (p 232-233). Louis FouchĂ© convoque la rĂ©sistance et il Ă©voque un processus dans lequel les hommes s’éveillent et se rassemblent.

Ce texte nous donne accĂšs Ă  l’idĂ©al de Louis FouchĂ©, Ă  ce qui l’anime en profondeur. C’est une certaine vision de l’humain, une maniĂšre d’envisager la vie bonne


« On veille Ă  l’hĂ©ritage. On chĂ©rit la beautĂ©. On contemple et on console le moribond qui meurt. On admire, on Ă©coute, avec intelligence, l’expĂ©rience inĂ©dite que l’aĂźnĂ© nous partage. Tous entourent et cajolent ceux qui sont en souffrance. Celui qui souffre encore ne peut ĂȘtre seul. Les sages nous transmettent des vĂ©ritĂ©s cachĂ©es. On rĂ©tame. On rĂ©pare. Toujours, on rafistole
 Et surtout, l’on maintient la prĂ©cieuse flamme, la joyeuse santĂ©. Le corps est une nef. Qui conduit au sacrĂ©. Des mystĂšres dĂ©livrent Ă  tous des lumiĂšres. On initie chacun pour qu’il soit dissemblable. Et, Je, unique au monde, s’assemble Ă  la tribu. La fĂȘte est bouleversante  » (p 233-234). Dans cette inspiration poĂ©tique, nous voyons une inspiration spirituelle

 

A l’écoute de questions de fond pour l’avenir de notre sociĂ©tĂ©

Nous dĂ©couvrons de plus en plus la diversitĂ© et l’ampleur des crises qui affectent nos sociĂ©tĂ©s. En rĂ©ponse, la premiĂšre requĂȘte est d’en Ă©tudier le contexte et de comprendre les donnĂ©es correspondantes et quelles en sont les incidences et les interprĂ©tations. C’est ce que nous essayons de faire sur ce blog en toute modestie dans les limites de nos capacitĂ©s. Et, Ă  chaque fois, nous nous demandons quel pas en avant nous pouvons rĂ©aliser, quelle ouverture proposer. Il y a des domaines oĂč nous ne aventurons pas parce que nous manquons des compĂ©tences correspondantes. Nous Ă©vitons Ă©galement les questions qui soulĂšvent des polĂ©miques exacerbĂ©es parce que ce contexte rend difficile une approche honnĂȘte et nuancĂ©e (5).

Nous avons donc beaucoup hĂ©sitĂ© Ă  prĂ©senter le livre du docteur Louis FouchĂ© : « Agonie et renouveau du systĂšme de santĂ© ». Car, assurĂ©ment, l’auteur est trĂšs contestĂ©. Son engagement dans une opposition vis Ă  vis des directives sanitaires officielles lors de la crise du Covid a suscitĂ© de vives critiques non seulement Ă  l’endroit de ses positions, mais aussi, dans la guerre idĂ©ologique qui a fait rage jusqu’à aujourd’hui, vis Ă  vis de sa personne. Nous reportant Ă  Wikipedia, nous n’y avons pas trouvĂ© le portrait nuancĂ© que nous attendions, mais plutĂŽt un procĂšs gĂ©nĂ©ralisĂ© contre un mĂ©decin considĂ©rĂ© comme « un diffuseur majeur de fausses informations sur la crise sanitaire » (6). Cependant, l’écoute des interviews en vidĂ©o nous a paru infirmer les opinions trĂšs nĂ©gatives circulant Ă  son sujet (7). Certes, on pouvait naturellement ĂȘtre en dĂ©saccord sur certains points. On pouvait Ă©galement trouver son langage excessif et mĂȘme parfois choquant. Mais, le ressenti est Ă©galement important. Et ici, nous ressentions chez cet homme de l’honnĂȘtetĂ©, du courage, de l’expĂ©rience, de la compĂ©tence, une maniĂšre d’ĂȘtre pouvant susciter de la sympathie.         Nous avons donc lu son livre. Cette lecture a Ă©veillĂ© une prise de conscience de la puissance avec laquelle un technicisme numĂ©risĂ© se rĂ©pand aujourd’hui et peut porter atteinte au bon sens humain. En Ă©tudiant le parcours du systĂšme de santĂ© en France, Louis FouchĂ© nous introduit dans des enjeux de civilisation, tant dans l’examen des menaces que dans la perspective des opportunitĂ©s. Avec lui, nous dĂ©couvrons des dynamiques positives jusqu’Ă  un Ă©clairage spirituel Ă  la fin du livre. Nous ne nous sommes pas sentis autorisĂ©s Ă  passer sous silence un ouvrage peu conventionnel, mais interpelant jusque dans son approche visionnaire.

La personnalitĂ© de Louis FouchĂ© est apparue au grand public Ă  l’occasion de l’épidĂ©mie du Covid . Il en va de mĂȘme pour le prĂ©facier de l’ouvrage, le docteur Didier Raoult. Dans la peur qu’elle a suscitĂ©e, l’épidĂ©mie a suscitĂ© un choc violent. Dans ce contexte, les directives sanitaires officielles se sont imposĂ©es. Elles ont Ă©tĂ© portĂ©es par les pouvoirs publics et par l’accueil d’une majoritĂ© de la population. Des voix critiques ou contestataires n’ont pas Ă©tĂ© entendues. Le camp majoritaire s’est imposĂ© dans une forme de guerre idĂ©ologique. Cependant, une rĂ©sistance est apparue en terme d’objection de conscience. Aujourd’hui, le dĂ©bat autour de ces politiques est en train de s’ouvrir. Le livre de Louis FouchĂ© est une contribution Ă  ce dĂ©bat en l’inscrivant dans un cadre beaucoup plus vaste.

Cet ouvrage met en Ă©vidence la menace constituĂ©e par la montĂ©e d’un technicisme numĂ©risĂ© en phase avec une Ă©conomie capitaliste et un pouvoir marchand. La critique des abus de la technique avait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© portĂ©e par des auteurs comme Jacques Ellul et Ivan Illitch. Elle s’inscrit ici dans une actualitĂ© vive, mais elle se dĂ©ploie Ă©galement dans une analyse historique rejoignant le rejet du machinisme au XIXe siĂšcle. Puisque l’auteur, Ă  juste titre, prend en compte le temps long, les questions que nous lui adressons, portent sur ce registre.

Certes, nous pouvons aujourd’hui percevoir la menace totalitaire d’un technicisme numĂ©rique s’exerçant dans le contexte d’un Ă©cart entre direction et exĂ©cution, de la puissance des Ă©motions mĂ©diatiques, du pouvoir de l’argent. Notre inventivitĂ©  pour rĂ©pondre Ă  cette menace doit ĂȘtre d’autant plus grande que cette menace vient de loin en remontant le passĂ©. Il nous faut changer le cap et l’allure d’un grand navire. Sur le registre Ă©cologique, la question se pose de la mĂȘme façon. Et d’autre part, dans la dĂ©rive actuelle, nous ne devons pas oublier les acquis de l’évolution passĂ©e : les libertĂ©s chĂšrement acquises par rapport aux oppressions politiques et religieuses (3), mais aussi les gains rĂ©alisĂ©s en rĂ©ponse Ă  des besoins vitaux. Bref, il nous faut garder le sens des proportions.

Si, Ă  partir de l’exemple du systĂšme de santĂ©, cet ouvrage nous montre une puissance destructrice Ă  l’Ɠuvre, la pression de la « disruption », et si, en l’occurrence, il envisage l’agonie et l’effondrement de ce systĂšme de santĂ©, il s’achĂšve dans l’anticipation d’un renouveau. L’auteur nous permet d’entrevoir ainsi les forces Ă  l’Ɠuvre. Source d’espoir, il nous donne Ă  voir qu’un esprit nouveau est dĂ©jĂ  l’Ɠuvre. Si elle n’a pas encore atteint les objectifs souhaitĂ©s, la pensĂ©e Ă©cologique est dĂ©jĂ  Ă  l’Ɠuvre et elle modifie la maniĂšre de poser les problĂšmes afin des les rĂ©soudre. Ainsi, « dans la pensĂ©e Ă©cosystĂ©mique, les problĂšmes ne sont plus seulement vus dans une perspective locale et immĂ©diate, mais sur l’ensemble d’un systĂšme vivant dans le temps » (p 205). Issue d’un  nouvelle maniĂšre d’envisager la culture de la terre, la permaculture devient une approche mĂ©thodologique polyvalente. Louis FouchĂ© Ă©crit ainsi  que « la logique permacultuelle promet de grands espoirs en SantĂ© si elle commence Ă  ĂȘtre Ă©tudiĂ©e et appliquĂ©e » (p 207). Dans cet Ăąge du Vivant, nous changeons d’échelle, nous entrons dans une vision holistique.

C’est bien dans une vision relationnelle que se prĂ©sente aujourd’hui la spiritualitĂ©. Dans son livre pionnier : « Something there » (8), David Hay envisage la spiritualitĂ© comme « une conscience relationnelle ». Une analyse de conversation avec des enfants montre combien ceux-ci se sentent reliĂ©s Ă  la nature, aux autres personnes, Ă  eux-mĂȘmes et Ă  Dieu ». Aujourd’hui, Ă  la suite du grand thĂ©ologien JĂŒrgen Moltmann, dans la Communion Divine, l’Esprit Saint nous apparaĂźt comme « l’Esprit qui donne la vie ». « Dans les annĂ©es 1980 dĂ©jĂ , dans son livre : « Dieu dans la crĂ©ation », JĂŒrgen Molmann Ă©crit : « Si l’Esprit Saint est rĂ©pandu sur toute la crĂ©ation, il fait de la communautĂ© entre toutes les crĂ©atures, avec Dieu et entre elles, cette communautĂ© de la crĂ©ation dans laquelle toutes les crĂ©atures communiquent chacune Ă  sa maniĂšre entre elles et avec Dieu » (9). « En Lui, nous avons le mouvement, la vie et l’ĂȘtre » (Actes 1.28) ». Sa prĂ©sence est active pour susciter une humanitĂ© fraternelle (10) ; C’est dans le mĂȘme veine que se situait la thĂ©ologie de François d’Assise apprĂ©ciĂ©e par Louis Fouché : « une cosmogonie intĂ©grĂ©e de l’homme tissĂ©e avec l’univers. La vie est sacrĂ©e. La CrĂ©ation est sacrĂ©e. Elle contient le divin dans chaque fibre de l’univers et de chaque ĂȘtre » (p 224). « Le corps est une nef. Qui conduit au sacré » Ă©crit Louis FouchĂ© dans sa conclusion (p 234). N’est-ce pas le respect de l’humain qui inspire la rĂ©sistance de Louis FouchĂ© Ă  l’encontre d’une emprise techniciste et mĂ©caniste Ă  son encontre. « Le transhumanisme vient tuer le vivant en nous » (p 35).

J H

 

(1) Dr Louis FouchĂ©. Agonie et renouveau du systĂšme de santĂ©. Mirage d’une mĂ©decine algorithmique transhumaniste et frĂ©missement d’un retour au soin. Note de l’éditeur. PrĂ©face par Didier Raoult. Exuvie, octobre 2022. Ce livre est prĂ©sentĂ© par son auteur dans une interview You Tube : « Origine et Ă©thique d’un mĂ©decin engagé » : https://www.youtube.com/watch?v=ynqcf5SwcMs

Louis FouchĂ© est Ă©galement l’auteur du livre : « Tous rĂ©sistants dans l’ñme » (14 octobre 2021) et du film qui porte le mĂȘme titre

(2) Face à une accélération et à une chosification de la société : https://vivreetesperer.com/face-a-une-acceleration-et-a-une-chosification-de-la-societe/

(3) Des Lumiùres à l’ñge du vivant : https://vivreetesperer.com/des-lumieres-a-lage-du-vivant/

(4) A travers les mĂ©andres de l’histoire, une humanitĂ© meilleure qu’il n’y paraĂźt : https://vivreetesperer.com/a-travers-les-meandres-de-lhistoire-une-humanite-meilleure-quil-ny-parait/

(5) Le courage de la nuance : https://vivreetesperer.com/le-courage-de-la-nuance/

(6) Wikipedia : Louis Fouché : https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Fouch%C3%A9

(7) Louis Fouché. Le nouveau monde. Intreview Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=ld_iQMzerjk

(8) La vie spirituelle comme une conscience relationnelle. Une recherche de David Hay sur la spiritualitĂ© d’aujourd’hui : https://www.temoins.com/la-vie-spirituelle-comme-une-l-conscience-relationnelle-r/

(9) Dieu vivant, Dieu prĂ©sent, Dieu avec nous dans un monde oĂč tout se tient : https://vivreetesperer.com/dieu-vivant-dieu-present-dieu-avec-nous-dans-un-univers-interrelationnel-holistique-anime/

(10) Il y en a assez pour chacun : https://vivreetesperer.com/il-y-en-a-assez-pour-chacun/

 

Un nouveau regard sur l’histoire de l’humanitĂ©

Un nouveau regard sur l’histoire de l’humanitĂ©

Selon David Graeber et David Wengrow

Il y a différents possibles

L’histoire contribue Ă  former notre vision du monde. C’est dire l’importance des conceptions qui l’inspirent. Ainsi, quelle est la trajectoire de l’humanité ? Passons-nous de petites communautĂ©s plutĂŽt Ă©galitaires et conviviales Ă  une sociĂ©tĂ© plus savante, plus riche, plus complexe, mais aussi plus inĂ©galitaire et hiĂ©rarchisĂ©e ? Une violence humaine jugĂ©e congĂ©nitale ne peut-elle ĂȘtre maitrisĂ©e que par un ordre social imposĂ© rigoureusement ? Ou bien, l’observation du passĂ© humain, ne fait-il pas apparaitre une grande diversitĂ© de formes et d’organisations sociales qui tĂ©moignent d’une grande crĂ©ativité ? Une nouvelle approche historique permet-elle d’écarter toute fatalitĂ© et d’envisager diffĂ©rents possibles ?

En voulant rĂ©pondre Ă  ces questions, un livre publiĂ© en 2021 sous le titre : « The dawn of everything. A new history of humanity », puis traduit et paru en français en 2023, sous le titre : « Au commencement Ă©tait
 Une nouvelle histoire de l’humanité » (1) est devenu un best-seller international. Ce livre a Ă©tĂ© le fruit d’un travail de longue haleine de deux chercheurs : David Graeber, anthropologue amĂ©ricain, un temps figure de proue du mouvement : « Occupy Wall Street », malencontreusement dĂ©cĂ©dĂ© en 2020, et David Wengrow, archĂ©ologue britannique, professeur d’archĂ©ologie comparĂ©e Ă  Londres. Ce volume de plusieurs centaines de pages rassemble et rĂ©alise la synthĂšse des nombreuses recherches mises en Ɠuvre durant les deux ou trois derniĂšres dĂ©cennies et tirant parti de nouveaux moyens techniques d’investigation.

A la mesure de son originalitĂ©, cet ouvrage a suscitĂ© un grand nombre de commentaires particuliĂšrement dans le monde anglophone, tant dans la grande presse comme le Guardian (2) ou le Washington Post (3) que dans des publications Ă  vocation d’étude et de recherche, commentaires oĂč se manifestent diffĂ©rentes attitudes, de l’approbation et l’enthousiasme Ă  une critique variĂ©e tant acadĂ©mique qu’idĂ©ologique. En France, internet nous donne accĂšs Ă  un article de La Croix (4) qui met bien en valeur l’originalitĂ© de ce livre : « Il n’y a pas une seule voie de civilisation qui condamnerait l’humanitĂ© Ă  vivre dans les inĂ©galitĂ©s et une institution politique hiĂ©rarchisĂ©e. Mais mille maniĂšres de crĂ©er des systĂšmes de vivre-ensemble qui peuvent passer par des organisations horizontales souples et cependant sophistiquĂ©es. Avant nos villes modernes, existaient ainsi, dans diffĂ©rents endroits du globe, de la MĂ©sopotamie Ă  l’AmĂ©rique prĂ©colombienne, de vastes communautĂ©s aux relations complexes, qui ne se sont pas senties contraintes, pour subsister, de constituer un État central avec des classes distinctes ». Notre propos ici n’est pas de prĂ©senter un rĂ©sumĂ© d’un livre aussi volumineux, aussi riche et aussi ambitieux, mais seulement d’attirer l’attention sur la vision nouvelle qui nous est ainsi offerte. On notera Ă  cet Ă©gard une interview de David Wengrow sur France Culture (5), une piste qui nous permet d’entrer dans l’esprit de cette recherche.

 

Histoire de l’humanité : faut-il revoir notre copie ?

« Histoire de l’humanitĂ© : faut-il revoir notre copie » ? C’est le titre donnĂ© par France Culture Ă  un entretien avec David Wengrow (5), un titre qui nous parait bien rendre compte du sens de la grande Ɠuvre qui nous appelle Ă  voir l’histoire de l’humanitĂ© sous un jour nouveau en montrant le manque de pertinence des mythes fondateurs proposĂ©s par Jean-Jacques Rousseau et Thomas Hobbes, tant en les replaçant dans leur contexte historique qu’en montrant comment les recherches novelles de l’archĂ©ologie et de l’anthropologie mettent en Ă©vidence un autre dĂ©roulĂ© Ă  partir de faits diffĂ©rents.

A un moment oĂč l’histoire de l’humanitĂ© est l’objet de nouveaux livres par des auteurs tels que Francis Fukuyama ou Yuval Noah Harari, considĂ©rez-vous votre livre comme une nouvelle pierre Ă  l’édifice ou comme une approche de dĂ©construction des interprĂ©tations dominantes ? demande son interlocutrice Ă  David Wengrow. C’est bien la voie de la dĂ©construction, rĂ©pond l’auteur. Ces livres rĂ©cents s’inspirent encore de Thomas Hobbes ou de Jean-Jacques Rousseau qui sont pour nous hors de propos selon les preuves et les dĂ©couvertes dans nos disciplines : l’archĂ©ologie et l’anthropologie. Nous cherchons ainsi Ă  mieux comprendre les premiĂšres phases de l’histoire humaine. David Wengros dĂ©crit et critique les rĂ©cits fondateurs de Jean Jacques Rousseau et de Thomas Hobbes. Et, « lorsque des gens extrapolent des thĂ©ories politiques Ă  partir de ces rĂ©cits, les rĂ©sultats sont plutĂŽt dĂ©primants et mĂȘme paralysants ». Ces rĂ©cits comportent des visions pessimistes.

Ainsi, l’invention de l’agriculture est perçue nĂ©gativement. On a pu la qualifier de « pire terreur de l’histoire ». « C’est de lĂ  qu’est venue la propriĂ©tĂ© privĂ©e et la concurrence et finalement le gouvernement centralisĂ©. Lorsqu’on regarde les preuves issues de la recherche, nous voyons une rĂ©alitĂ© totalement diffĂ©rente. Tout d’abord, nous voyons, moins qu’une rĂ©volution, des processus qui ont pris des millĂ©naires. Lorsque les ĂȘtres humains, dans les diffĂ©rentes parties du monde, expĂ©rimentaient les possibilitĂ©s de l’agriculture », des approches diffĂ©rentes se manifestaient. « En d’autres termes, ce qui est perdu dans ce rĂ©cit traditionnel de l’histoire humaine, c’est prĂ©cisĂ©ment la capacitĂ© de nos ancĂȘtres lointains de prendre la mesure de leurs propres dĂ©cisions. Nous essayons d’enlever ce sentiment d’inĂ©vitabilité ». David Wengrow estime que les sociĂ©tĂ©s humaines ont eu la capacitĂ© d’effectuer des choix, des choix raisonnĂ©s, « des choix formĂ©s par des principes moraux et Ă©thiques. Aussi loin que nous pouvons remonter dans les preuves concernant les sociĂ©tĂ©s humaines, nous voyons des gens faire ce genre de choix ».

L’auteur peut s’appuyer sur de nombreux exemples. « Lorsque nous remontons Ă  20000 ou 30000 ans, lĂ  oĂč, selon les rĂ©cits traditionnels, on s’attendrait Ă  voir de sociĂ©tĂ©s simples, Ă©galitaires, en petits groupes, dans ces parties du monde oĂč nous avons des preuves archĂ©ologique, ces sociĂ©tĂ©s ressemblent davantage Ă  un carnaval, Ă  des expĂ©rimentations sociales. Dans diffĂ©rentes parties de l’Europe, nous avons des preuves de rituels oĂč des individus particuliers, des individus qui Ă©taient inhabituels physiquement, on le voit d’aprĂšs les restes humains, des individus souvent handicapĂ©s, sont enterrĂ©s avec une trĂšs grande richesse, comme des rois ou des reines. Le « comme si » est important parce que nous n’avons aucune preuve qu’à l’époque, il puisse y avoir eu des royaumes. Et donc, au sein de cette zone de thĂ©Ăątre rituel, les gens expĂ©rimentaient et crĂ©aient des formes, des hiĂ©rarchies qui, dans la durĂ©e de ce rituel, Ă©taient rĂ©elles ». L’auteur met en Ă©vidence des variations saisonniĂšres. Par exemple, dans les plaines de l’AmĂ©rique du nord, au cours de la saison de la chasse aux bisons, se formait une force de police. Mais elle se dissolvait Ă  la fin du rituel de la chasse. Les membres de ces forces de police n’en faisaient partie qu’à titre provisoire. « C’est un exemple parmi beaucoup d’autres de la crĂ©ativitĂ© politique que nous trouvons dans les sociĂ©tĂ©s qui ne pratiquent pas l’agriculture ». Par ailleurs, Ă  propos de l’apparition de l’agriculture ou celle des villes, « cette idĂ©e que ces transformations, ces ruptures, qu’en quelques instants, tout avait changĂ©, et qu’aprĂšs, rien ne pouvait fonctionner de la mĂȘme maniĂšre, cette idĂ©e ne tient plus la route face Ă  l’examen scientifique ».

L’interlocutrice interroge ensuite David Wengrow sur la maniĂšre dont il questionne le rĂŽle de l’état qu’on aurait surĂ©valuĂ©, en donnant trop d’importance aux structures verticales. Cette organisation-lĂ  ne dĂ©coule-t-elle pas directement de la naissance des villes ? L’auteur rĂ©pond que « les musĂ©es ont une grande responsabilitĂ© Ă  ce sujet. « Lorsqu’on va dans un des grands musĂ©es du monde, au Louvre, au British Museum, au Metropolitan, il semble qu’au moins pendant les 5000 derniĂšres annĂ©es, la planĂšte entiĂšre Ă©tait sous le contrĂŽle des monarques surhumains
 toutes ces sculptures
 Je suis le grand roi de tout
 Bon, on y croit
 mais si on regarde l’éventail des grandes sociĂ©tĂ©s sur terre, il y a 4000 ans, il n’y avait qu’une toute petite zone sous le contrĂŽle de ces sociĂ©tĂ©s trĂšs hiĂ©rarchisĂ©es. Que faisaient tous les autres ? On n’en sait pas grand-chose. On commence Ă  en savoir plus et, d’une maniĂšre ou d’une autre, il est clair que, pour la plupart du temps, les gens organisaient leur sociĂ©tĂ© d’une autre façon. Ce que nous essayons dans le livre, c’est d’apprendre un peu mieux quelles Ă©taient les alternatives et pourquoi aussi elles semblent Ă©loignĂ©es de nous aujourd’hui ».

L’auteur s’intĂ©resse Ă©galement au cas de la bureaucratie. Certaines approches, sur le registre de la psychologie ou du management, nous disent que la bureaucratie a Ă©tĂ© crĂ©Ă©e pour traiter les problĂšmes d’échelle, de communication au sein des sociĂ©tĂ©s humaines « Toutefois, si nous considĂ©rons les recherches archĂ©ologiques nous voyons des administrations spĂ©cialisĂ©es qui apparaissent, il y a des millĂ©naires, avant l’apparition des villes dans de petits Ă©tablissements de quelques centaines d’individus. Tout le monde se connaissait. Les gens Ă©taient probablement liĂ©s par des liens familiaux. C’est une image tellement diffĂ©rente de celle qui nous est donnĂ©e habituellement. Il faut faire la diffĂ©rence entre l’administration impersonnelle telle que nous la connaissons aujourd’hui, ce genre de bureaucratie qui nous transforme en numĂ©ros de tĂ©lĂ©phone par exemple, et d’autres types de bureaucratie qui ont existĂ© dans l’histoire et qui n’avaient pas ce type d’effets dĂ©shumanisants ». Ainsi, en regard d‘un empire inca bureaucratique, « si vous remontez avant les incas ou si vous considĂ©rez des sociĂ©tĂ©s qui ont Ă©vitĂ© d’ĂȘtre contrĂŽlĂ©es par eux, il y avait des administrations locales et elles utilisaient des outils administratifs afin d’exercer des activitĂ©s de soutien. Si quelqu’un Ă©tait malade ou si il y avait une mauvaise rĂ©colte, le travail serait redistribuĂ© pour soutenir une famille dans la disette
 C’est un exemple d’administration qui contrairement Ă  aujourd’hui ne dĂ©personnalise pas, mais s’adresse aux diffĂ©rences individuelles ».

L’interlocutrice Ă©largit la conversation. Elle fait appel Ă  un autre chercheur qui rapporte les erreurs commises en voulant imposer une monoculture ordonnĂ©e Ă  une agriculture africaine diversifiĂ©e pour respecter les Ă©quilibres naturels, et Ă  partir de cet exemple d’étroitesse de vue, elle pose la question Ă  David Wengrow : « Comment dĂ©centrer notre regard ? OĂč faut-il regarder aujourd’hui pour comprendre ce qui se passe dans l’humanité ? ». L’auteur rĂ©pond en s’appuyant sur l’exemple des sommets sur le climat : « Qui a la vision la plus claire et la plus innovante pour protĂ©ger un environnement fragile ? C’est souvent prĂ©cisĂ©ment les populations autochtones ». Aujourd’hui, « nous, en Europe, nous sommes en train de rejouer une rencontre avec des populations non europĂ©ennes avec des systĂšmes de connaissance non europĂ©ens qui ont dĂ©butĂ©, il y a des siĂšcles, et, dans notre livre, nous faisons remonter ces premiĂšres rencontres coloniales Ă  l’ñge des LumiĂšres, et nous montrons comment, Ă  travers ces rencontres, un mĂ©lange s’est fait jour de concepts europĂ©ens et autochtones qui, essentiellement, a Ă©tĂ© effacĂ© de nos visions modernes de l’histoire. Lorsque l’on parle des LumiĂšres et de son hĂ©ritage, nous prĂ©sentons cet hĂ©ritage comme une vision interne de ce processus qui se concentre sur l’Europe et peut-ĂȘtre aussi sur l’hĂ©ritage de la GrĂšce antique. En fait, dans le livre, nous parlons de dettes cachĂ©es, des dettes camouflĂ©es que la culture europĂ©enne doit Ă  d’autres cultures. Le fait de reconnaitre ces dettes peut en soi ouvrir nos yeux vers diffĂ©rentes façons de comprendre notre passĂ© et aussi vers notre capacitĂ©, en tant qu’espĂšce, de dĂ©couvrir de nouvelles capacitĂ©s
. Lorsque on pense Ă  des alternatives vis-Ă -vis de notre systĂšme actuel, on ferait bien de regarder au-delĂ  de l’histoire trĂšs traumatisĂ©e des deux derniers siĂšcles, prendre en compte cette image beaucoup plus large des capacitĂ©s humaines, des possibilitĂ©s humaines. La science et l’histoire le prouvent aujourd’hui ».

 

Revisiter l’histoire

De grands rĂ©cits historiques ont Ă©tĂ© Ă©crits Ă  partir d’une certaine reprĂ©sentation des origines de l’humanitĂ© et des pĂ©riodes ultĂ©rieures. Tel que l’exprime le titre de leur ouvrage : « Au commencement Ă©tait   », c’est bien Ă  partir d’une remise en cause des reprĂ©sentations dominantes de ces origines et d’une nouvelle vision de la prĂ©histoire que David Graeber et David Wengrow nous proposent une nouvelle histoire de l’humanitĂ©.

Les auteurs commencent donc par entreprendre une critique rigoureuse des thĂšses de Jean-Jacques Rousseau et de Thomas Hobbes. Les auteurs nous rapportent les conditions dans lesquelles Jean-Jacques Rousseau a Ă©crit et publiĂ© en 1754 « le discours sur l’origine et les fondements de l’inĂ©galitĂ© parmi les hommes ». « En voici la trame gĂ©nĂ©rale. Il fut un temps oĂč les hommes, aussi innocents qu’au premier jour, vivaient de chasse et de cueillette au sein de tout petits groupes – des groupes qui pouvaient ĂȘtre Ă©galitaires justement parce qu’ils Ă©taient si petits. Cet Ăąge d’or prit fin avec l’apparition de l’agriculture, et surtout avec le dĂ©veloppement des premiĂšres villes. Celles-ci marquĂšrent l’avĂšnement de la « civilisation » et de « l’État », donnant naissance Ă  l’écriture, Ă  la science et Ă  la philosophie, mais aussi Ă  presque Ă  tous les mauvais cĂŽtĂ©s de l’existence humaine – le patriarcat, les armĂ©es de mĂ©tier, les exterminations de masse, sans oublier les casse-pieds de bureaucrates qui nous noient dans la paperasse tout au long de notre vie. Il va de soi que nous simplifions Ă  outrance, mais on a bien l’impression que ce scĂ©nario de base est lĂ  pour refaire surface » (p 14).

Il existe une autre version de l’histoire, mais « elle est encore pire ». C’est celle de Hobbes. « A bien des Ă©gards, le « LĂ©viathan » de Thomas Hobbes publiĂ© en 1651, fait figure de texte fondateur de la thĂ©orie politique moderne. Hobbes y soutient que les hommes Ă©tant ce qu’ils sont – des ĂȘtres Ă©goĂŻstes – l’état de nature originel devrait ĂȘtre tout le contraire d’un Ă©tat d’innocence. On y menait certainement une existence « solitaire, misĂ©rable, dangereuse, animale et brĂšve ». En d’autres termes, c’était la guerre – une guerre de tous contre tous, Pour les tenants de cette thĂ©orie, ce n’est qu’aux dispositifs rĂ©pressifs dont Rousseau dĂ©plore justement l’existence (gouvernements, tribunaux, administrations, forces de police) que nous en sommes sortis. La longĂ©vitĂ© de cette interprĂ©tation n’a rien Ă  envier Ă  celle de la vision rousseauiste
 En vertu de cette conception, la sociĂ©tĂ© humaine repose sur la rĂ©pression collective de nos plus bas instincts, un impĂ©ratif qui se fait plus urgent Ă  mesure que les populations se rassemblent en plus grand nombre au mĂȘme endroit  » Et, au total, « les sociĂ©tĂ©s humaines, n’ont jamais fonctionnĂ© selon d’autres principes que la hiĂ©rarchie, la domination et l’égoĂŻsme cynique qui les accompagnent. Seulement, leurs membres auraient fini par comprendre qu’il Ă©tait plus avantageux pour eux de faire passer leurs intĂ©rĂȘts Ă  long terme avant leurs instincts immĂ©diats – ou mieux encore Ă  Ă©laborer des lois les obligeant Ă  cantonner leurs pires pulsions Ă  des domaines qui revĂȘtent une certaine utilitĂ© sociale ». (p15).

Les deux thĂšses, celle de Rousseau et celle de Hobbes nous paraissent dĂ©boucher sur des impasses en terme de rĂ©signation vis-Ă -vis des travers de l’inĂ©galitĂ© sociale et d’un hiĂ©rarchisation abusive. Dans le premier cas, la complexification de la sociĂ©tĂ© est censĂ©e entrainer des consĂ©quences nĂ©fastes. Dans le second cas, le mal est congĂ©nital. « Les deux versions ont de terribles consĂ©quences politiques » (p 16), Ă©crivent les auteurs. Mais leur opposition s’affirme Ă©galement au niveau de la recherche anthropologique : « Elles donnent du passĂ© une image inutilement ennuyeuse. Elles sont tout simplement fausses » (p 16).

Les auteurs rappellent alors les immenses progrĂšs de la recherche en ce domaine et comment ils ont rassemblĂ© les Ă©lĂ©ments ethnographiques et historiques accessibles. « Notre ambition dans ce livre est de commencer Ă  reconstituer le puzzle
 Un changement conceptuel est Ă©galement nĂ©cessaire. Il nous faut questionner la conception moderne de l’évolution des sociĂ©tĂ©s humaines, Ă  commencer par l’idĂ©e selon laquelle elles devraient ĂȘtre classĂ©es en fonction des modes de dĂ©veloppement dĂ©finis par des technologies et des modes d’organisation spĂ©cifiques : les chasseurs cueilleurs , les cultivateurs, les sociĂ©tĂ©s urbaines industrialisĂ©es, etc. En fait, cette idĂ©e plonge ses racines dans la violente rĂ©action conservatrice qu’a provoquĂ©e, au dĂ©but du XVIIIe siĂšcle, la montĂ©e des critiques contre la civilisation europĂ©enne » (p 17).

Cet ouvrage met en Ă©vidence un nouveau paysage. « Il est dĂ©sormais acquis que les sociĂ©tĂ©s humaines prĂ©agricoles ne se rĂ©sument pas Ă  de petits clans Ă©galitaires. Au contraire, le monde des chasseurs-cueilleurs avant l’apparition de l’agriculture Ă©tait un monde d’expĂ©rimentations sociales audacieuses, beaucoup plus proche d’un carnaval des formes politiques que des mornes abstractions suggĂ©rĂ©es par la thĂ©orie Ă©volutionniste. L’agriculture, elle, n’a pas entrainĂ© l’avĂšnement de la propriĂ©tĂ© privĂ©e, pas plus qu’elle n’a marquĂ© une Ă©tape irrĂ©versible dans la marche vers l’inĂ©galitĂ©. En rĂ©alitĂ©, dans bien des communautĂ©s oĂč l’on commençait Ă  cultiver la terre, les hiĂ©rarchies sociales Ă©taient pour ainsi dire inexistantes. Quant aux toutes premiĂšres villes, loin d’avoir gravĂ© dans le marbre les diffĂ©rences de classe, elles Ă©taient Ă©tonnamment nombreuses Ă  fonctionner selon des principes rĂ©solument Ă©galitaires, sans faire appel Ă  de quelconques despotes, politiciens-guerriers bourrĂ©s d’ambition ou mĂȘme petits chefs autoritaires » (p 16).

Ainsi, Ă  partir de l’examen d’un grand nombre de situations, les auteurs peuvent affirmer que « l’histoire de l’humanitĂ© est moins dĂ©terminĂ©e par l’égal accĂšs aux ressources matĂ©rielles (terres, calories, moyens de production
) si cruciales soient-elles, que par l’égale capacitĂ© Ă  prendre part aux dĂ©cisions touchant Ă  la vie collective – la condition prĂ©alable Ă©tant Ă©videmment que l’organisation de celle-ci soit ouverte aux discussions ». D’ailleurs, s’exclament-ils, « cette faculté  d’expĂ©rimentation sociale et d’autocrĂ©ation – cette libertĂ© en somme – n’est-elle pas ce qui nous rend fondamentalement humain ? » Les auteurs se perçoivent dans une dynamique. « Nous sommes tous des projets, des chantiers d’autocrĂ©ation collective. Et si nous dĂ©cidions d’aborder le passĂ© de l’humanitĂ© sous cet angle, c’est Ă  dire de considĂ©rer tous les humains, par principe, comme des ĂȘtres imaginatifs, intelligents, espiĂšgles et dignes d’ĂȘtre apprĂ©hendĂ©s comme tels ? Et si, au lieu de raconter comment notre espĂšce aurait chutĂ© de haut d’un prĂ©tendu paradis Ă©galitaire, nous nous demandions plutĂŽt comment nous nous sommes retrouvĂ©s prisonniers d’un carcan conceptuel si Ă©troit que nous ne parvenons plus Ă  concevoir la possibilitĂ© mĂȘme de nous rĂ©inventer ? » (p 21-22)

 

La « critique indigĂšne » comme ferment d’une rĂ©flexion nouvelle sur la sociĂ©tĂ© europĂ©enne et d’un nouveau rĂ©cit historique

Les auteurs consacrent un des premiers chapitres Ă  « la critique indigĂšne et le mythe du progrĂšs ». DĂšs le dĂ©but du XVIIIe siĂšcle, parvient en France une information sur la vie et l’organisation sociale des populations autochtones d’AmĂ©rique du Nord. En contraste apparaissent les maux de sociĂ©tĂ© française. Cette « critique indigĂšne » nourrit un bouillonnement d’idĂ©es. Une autojustification s’élabore Ă  travers l’attribution de ces maux comme contrepartie Ă  la complexitĂ© de la « civilisation » et au « progrĂšs ».

Ce livre fait apparaitre le rĂŽle jouĂ© par la dĂ©couverte de civilisations Ă©trangĂšres et leur exemple dans l’élaboration europĂ©enne de la pensĂ©e des LumiĂšres alors que celle-ci est

souvent prĂ©sentĂ©e comme une production interne. « Du jour au lendemain, quelques-uns des plus puissants royaume d’Europe se retrouvĂšrent maitre d’immenses territoires. Les philosophes europĂ©ens, eux, furent subitement exposĂ©s aux civilisations chinoises et indiennes, ains qu’à une multitude de conceptions sociales, scientifiques et politiques dont ils n’avaient jamais soupçonnĂ© l’existence. De ce flux d’idĂ©es nouvelles naquit ce qu’il est convenu d’appeler les « LumiĂšres » (p 47). Cependant l’attention des auteurs va se porter particuliĂšrement sur les relations avec les populations autochtones d’AmĂ©rique du nord, par l’entremise des colons et des missionnaires au QuĂ©bec. C’est dans ce contexte que « l’acadĂ©mie de Dijon a jugĂ© opportun de poser la question des origines de l’inĂ©galitĂ© qui a suscitĂ© le cĂ©lĂšbre Ă©crit de Jean-Jacques Rousseau. Cet Ă©pisode « nous plonge dans la longue histoire des dĂ©bats intra-europĂ©ens sur la nature des sociĂ©tĂ©s du bout du monde – en l’occurrence celles des forĂȘts de l’est de l’AmĂ©rique du nord. Nombre de ces conversations renvoyaient d’ailleurs Ă  des Ă©changes entre europĂ©ens et amĂ©rindiens Ă  propos de l’égalitĂ©, de la libertĂ©, de la rationalitĂ© ou encore des religions rĂ©vĂ©lĂ©es. – des sujets dont beaucoup deviendraient centraux dans la philosophie politique des LumiĂšres » (p 49). Les Ă©crits des missionnaires jĂ©suites aux QuĂ©bec ont Ă©tĂ© largement diffusĂ©s en France et ils rapportent la pensĂ©e critique des amĂ©rindiens sur la sociĂ©tĂ© française, une critique d’abord centrĂ©e sur la façon dont les institutions malmenaient la libertĂ©, puis, aprĂšs qu’ils eussent acquis une meilleure connaissance de la civilisation europĂ©enne, sur l’idĂ©e d’égalitĂ©. Si les rĂ©cits des missionnaires et la littĂ©rature de voyage Ă©taient si populaires en Europe, c’est prĂ©cisĂ©ment qu’ils exposaient leurs lecteurs Ă  ce type de critique, leur ouvrant de nouveaux horizons de transformation sociale » (p 57). Les auteurs exposaient en dĂ©tail les pratiques sociales des amĂ©rindiens qui amenaient ceux-ci Ă  critiquer les comportements des colonisateurs. Ainsi, « dans ces Ă©changes, indiens d’AmĂ©rique et europĂ©ens Ă©taient d’accord sur un constat : le premiers vivaient dans des sociĂ©tĂ©s fondamentalement libres, les seconds en Ă©taient trĂšs loin » (p 62).

Ce livre accorde une importance particuliĂšre Ă  un français, Lahontan, qui Ă©tait entrĂ© en relation et en conversation avec un chef politique et philosophe indigĂšne, Kandiaronk. Or, Lahontan, de retour en Europe, publia trois ouvrages sur ses aventures canadiennes. « Le troisiĂšme, publiĂ© en 1703, et intitulé : « Dialogue avec un sauvage » se composait de quatre conversations avec Kandiaronk. Le sage Wenda y portait un regard extrĂȘmement critique sur les mƓurs et les idĂ©es europĂ©ennes en matiĂšre de religion, de politique, de santĂ© et de sexualité » (p 71-72). Il s’y exprime notamment les reproches suivants : « les incessantes chamailleries, le manque d’entraide, la soumission Ă  l’autoritĂ©, mais avec un Ă©lĂ©ments nouveau : l’institution de la propriĂ©té » (p 75). Ces Ă©changes sont nombreux et portent sur diffĂ©rents thĂšmes. Ainsi Kandiaronk fait ressortir l’attrait que la sociĂ©tĂ© amĂ©rindienne peut exercer sur les europĂ©ens : « Si Lahontan dĂ©cidait d’embrasser le mode de vie amĂ©rindien il s’en trouverait bien plus content, passĂ© un petit temps d’adaptation. (Il n’avait pas tort sur ce point : presque tous les colons adoptĂ©s par des communautĂ©s indigĂšnes ont refusĂ© par la suite de retourner vivre dans leur sociĂ©tĂ© d’origine) » (p 79). De fait, les livres de Lahontan ont connu un succĂšs considĂ©rable. Ils ont exercĂ© un grand impact. « Les rĂ©flexions de Kandiaronk n’ont cessĂ© d’ĂȘtre rĂ©imprimĂ©es et rĂ©Ă©ditĂ©es pendant plus d’une centaine d’annĂ©es et elles ont Ă©tĂ© traduites en allemand, en anglais, en nĂ©erlandais et en italien » (p 82).

Cependant, d’autres Ă©crivains vantaient les aspects positifs d’autres pays exotiques. Ainsi, « Madame de Graffigny, cĂ©lĂšbre femme de lettres, publie en 1747 un livre populaire : « Lettre d’une PĂ©ruvienne » oĂč l’on dĂ©couvre la sociĂ©tĂ© française Ă  travers les yeux de Zila, princesse inca enlevĂ©e par des conquistadores espagnols
 Zila critiquait tout autant le systĂšme patriarcal que la vanitĂ© et l’absurditĂ© de la sociĂ©tĂ© europĂ©enne ». (p 83). Madame de Graffigny entra, Ă  cette occasion, en correspondance avec plusieurs de ses amis, l’un de ses correspondants Ă©tait le jeune Turgot, économiste en herbe, mais futur homme d’état Ă  la fin du siĂšcle avant la RĂ©volution française. Les auteurs mettent l’accent sur sa rĂ©ponse, trĂšs circonstanciĂ©e et trĂšs critique. C’est lĂ  en effet qu’ils voient apparaitre un rĂ©cit « oĂč le concept du progrĂšs Ă©conomique matĂ©riel a commencĂ© Ă  prendre la forme d’une thĂ©orie gĂ©nĂ©rale de l’histoire » (p 83). Et les auteurs font ressortir leur pensĂ©e Ă  ce sujet par un sous-titre trĂšs engagé : «  OĂč Turgot se fait dĂ©miurge et renverse la critique indigĂšne pour poser les jalons des principales thĂ©ories modernes de l’évolution sociale (ou comment un dĂ©bat sur la libertĂ© se mue en un dĂ©bat sur l’égalité ) ». Dans sa rĂ©ponse Ă  Madame de Graffigny, Turgot Ă©crit : « Tout le monde chĂ©rit les idĂ©es de libertĂ© et d’égalitĂ© (dans l’absolu). Toutefois, il est indispensable d’adopter une vision plus globale. La libertĂ© et l’égalitĂ© dont jouissent les sauvages ne sont pas les marques de leur supĂ©rioritĂ©, mais de leur infĂ©rioritĂ©., car elles ne peuvent rĂ©gner que dans des communautĂ©s oĂč toutes les familles sont fondamentalement autosuffisantes, c’est-Ă -dire oĂč tout le monde vit dans un Ă©tat de pauvretĂ©. A mesure que les sociĂ©tĂ©s Ă©voluent, les technologies progressent. Les diffĂ©rences innĂ©es de talent et de capacitĂ©, qui existent partout et toujours, se renforcent pour former la base d’une division du travail de plus en plus Ă©laborĂ©e. On passe alors d’organisations simples comme celle des Wendas Ă  notre « civilisation commerciale complexe oĂč la prospĂ©ritĂ© de tous (la sociĂ©tĂ©) ne peut ĂȘtre obtenue que par l’appauvrissement et la dĂ©possession de certains. Si regrettable qu’elle soit, cette inĂ©galitĂ© est inĂ©vitable
 La seule alternative serait une intervention massive de l’État Ă  la maniĂšre inca – autrement dit l’instauration d’une sorte d’égalitĂ© forcĂ©e qui ne pourrait qu’étouffer l’esprit d’initiative, et donc dĂ©boucherait sur une catastrophe Ă©conomique et sociale » (p 84). Quelques annĂ©es plus tard, Turgot allait prĂ©senter ces mĂȘmes idĂ©es au cours d’une sĂ©rie de confĂ©rences sur l’histoire mondiale
 Ces confĂ©rences lui offrirent l’occasion d’approfondir son argumentation en lui donnant la forme d’une thĂ©orie gĂ©nĂ©rale des phases de dĂ©veloppement Ă©conomique » (p 84-85). Ainsi, il distingue des stades successifs : les chasseurs, puis le pastoralisme, puis l’agriculture, enfin la civilisation commerciale urbaine moderne. « On voit bien que c’est une rĂ©ponse directe Ă  la force de la critique indigĂšne que furent Ă©noncĂ©es pour la premiĂšre fois en Europe les thĂ©ories de l’évolution sociale  » (p 85). C’est dans ce contexte que les thĂšses de Jean-Jacques Rousseau sont apparues et se sont dĂ©veloppĂ©es pour se maintenir ensuite lors de l’histoire ultĂ©rieure.

 

Un grand apport

Notre vision du monde dĂ©pend, pour une part importante, de la maniĂšre dont nous reprĂ©sentons son histoire. On comprend pourquoi plusieurs livres ont Ă©tĂ© publiĂ©s rĂ©cemment dans ce domaine. L’incidence de ces thĂšses sur les comportements n’est pas immĂ©diate, mais elle y contribue. Dans un monde oĂč le poids et l’impact de structures d’oppression est grand, on peut avoir tendance Ă  baisser les bras. Des institutions bien installĂ©es peuvent-elles ĂȘtre changĂ©es ? Sommes-nous enfermĂ©s dans des pratiques rĂ©pĂ©titives ? Face aux dangers actuels, la lenteur de nos rĂ©actions est-elle inĂ©vitable ?

Le livre de David Graeber et de David Wengrow est important parce que leur histoire de l’humanitĂ© nous montre qu’elle rĂ©vĂšle diffĂ©rents possibles.

« Ce que nous avons voulu faire, c’est adopter une approche dans le prĂ©sent – par exemple en envisageant la civilisation minoenne ou la culture Hopewell non pas comme des accidents de parcours sur une route qui menait inexorablement aux États et aux empires, mais comme des possibilitĂ©s alternatives, des bifurcations que nous n’avons pas suivies. AprĂšs tout, ces choses-lĂ  ont rĂ©ellement existĂ© mĂȘme si nous avons l’indĂ©crottable habitude de les relĂ©guer Ă  la marge plutĂŽt que de les placer au cƓur de la rĂ©flexion  ». Ainsi, on peut nourrir d’amers regrets sur les Ă©vĂšnements tragiques qui ont abondĂ© dans notre passĂ©, mais il est bon de savoir qu’il n’y a pas de fatalitĂ©. « Les possibilitĂ©s qui s’ouvrent Ă  l’action humaine aujourd’hui sont bien plus vastes que nous ne le pensons souvent ». Ne pouvons-nous pas rĂȘver positivement avec les auteurs ? : « Imaginons que notre espĂšce se maintienne Ă  la surface de la Terre et que nos descendants dans ce futur, que nous ne pouvons pas connaĂźtre, jettent un regard en arriĂšre. Peut-ĂȘtre que des aspects que nous considĂ©rons aujourd’hui comme des anomalies (les administrations Ă  taille humaine, le villes rĂ©gies par des conseils de quartier, les gouvernements oĂč la majoritĂ© des postes Ă  responsabilitĂ© sont occupĂ©s par des femmes, les formes d’amĂ©nagement du territoire qui font la part belle Ă  la prĂ©servation plutĂŽt qu’à l’appropriation et Ă  l’extraction) leur apparaitront comme des percĂ©es majeures qui ont changĂ© le cours de l’histoire tandis que les pyramides ou les immenses statues de pierre feront figure de curiositĂ©s historiques. Qui sait ? » (p 659-660).

Certes, cette reprĂ©sentation de l’histoire sera accueillie diffĂ©remment selon la vision du monde des lecteurs.

Dans la « Christian Scholar’s Review, Benjamin McFarland (6) reconnait l’originalitĂ© et l’importance des dĂ©couvertes rapportĂ©es par David Graeber et David Wengrow. Son examen du livre s’opĂšre sur un registre scientifique, mais aussi un registre thĂ©ologique. A cet Ă©gard, il se rĂ©fĂšre Ă  la thĂ©orie de RenĂ© Girard. « La violence mimĂ©tique est dissimulĂ©e et transfĂ©rable si bien qu’il est difficile de la reconnaitre mĂȘme dans une histoire bien documentĂ©e ». Il y a lĂ  une question thĂ©ologique. Dans quelle mesure sommes-nous libres ? « Graeber et Wengrow mettent l’accent sur la libertĂ©, mais nĂ©gligent la contrainte ». Cependant, comme chrĂ©tien, Benjamin McFarland est reconnaissant de ce que ce livre « restaure nos ancĂȘtres dans leur pleine humanité ». il estime que « ces exemples historiques pourraient aider l’église Ă  imaginer une communautĂ© radicalement diffĂ©rente. Les chrĂ©tiens peuvent apprendre des communautĂ©s Ă  travers l’histoire y compris les arrangements et les attitudes concernant l’argent et la technologie. Mais je suspecte toutes les sociĂ©tĂ©s humaines de cacher de l’oppression et de la violence (juste comme l’église l’a fait historiquement et prĂ©sentement). Pendant deux mille ans, le blĂ© et l’ivraie ont grandi ensemble ». Ajoutons ici une note personnelle : la lecture de cet ouvrage nous apprend qu’il est impossible d’assigner des frontiĂšres Ă  l’Ɠuvre de Dieu non seulement dans l’espace, mais dans le temps.

Pour notre part, l’approche de David Graeber et David Wengrow ouvre des fenĂȘtres en mettant en Ă©vidence les expĂ©riences positives Ă  travers l’histoire et en mettant ainsi en Ă©vidence une gamme de possibles. En nous inspirant de la thĂ©ologie de l’espĂ©rance de JĂŒrgen Moltmann (6), nous excluons la fatalitĂ©, nous reconnaissons l’Esprit Ă  l’Ɠuvre et nous accueillons le futur de Dieu inspirant le prĂ©sent.

« L’espĂ©rance eschatologique ouvre chaque prĂ©sent Ă  l’avenir de Dieu. On imagine que cela puisse trouver sa rĂ©sonance dans une sociĂ©tĂ© ouverte au futur. Les sociĂ©tĂ©s fermĂ©es rompent la communication avec les autres sociĂ©tĂ©s. Les sociĂ©tĂ©s fermĂ©es s’enrichissent aux dĂ©pens des sociĂ©tĂ©s Ă  venir. Les sociĂ©tĂ©s ouvertes sont participatives et elles anticipent  ». Il y a bien lĂ  une ouverture aux possibles.

Par dĂ©finition, une histoire de l’humanitĂ© a pour consĂ©quence d’élargir notre horizon. Mais, en l’occurrence, c’est particuliĂšrement le cas. En effet, cet ouvrage fait apparaitre des civilisations jusque-lĂ  inconnues et surgir des modes de vie et des pratiques ignorĂ©es. Il donne droit de citĂ© Ă  des groupes humains mĂ©connus. Il modifie nos angles de vue. Ainsi, il Ă©largit considĂ©rablement notre champ de vision.

Il intervient dans un contexte oĂč le dĂ©centrement du regard s’impose. Nous sommes appelĂ©s Ă  nous dĂ©faire d’un point de vue surplombant l’histoire de l’occident pour l’inscrire Ă  une juste place dans l’histoire du monde. Le mouvement est en cours. Des historiens sont en train de faire apparaitre des histoires mĂ©connues comme celle de l’Afrique par exemple.

Les phĂ©nomĂšnes de domination sont de plus en plus reconnus. Cet ouvrage apporte Ă  ce mouvement une contribution majeure. Il accroit notre comprĂ©hension des peuples autochtones en AmĂ©rique du Nord et de leurs rapports avec les europĂ©ens et il nous appelle Ă  revisiter l’histoire du XVIIIe siĂšcle et de la pensĂ©e des LumiĂšres.

Il nous met Ă©galement en garde vis-Ă -vis des effets simplificateurs de cette pensĂ©e. Ce fut l’idĂ©e que les peuples traditionnels, « non modernes », ne pouvaient « avoir leurs propres projets de sociĂ©tĂ© ou leurs propres inventions historiques. Ces peuples Ă©taient forcĂ©ment trop niais pour cela (n’ayant pas atteint le stade de la « complexitĂ© sociale ») ou bien vivaient dans un monde mystique imaginaire. Les plus charitables affirmaient qu’ils ne faisaient que s’adapter Ă  leur environnement avec le niveau technologique qui Ă©tait le leur » (p 628).

Au total, cette grande Ɠuvre nous montre une histoire nouvelle de l’humanitĂ© qui met en valeur la crĂ©ativitĂ© sociale comme la crĂ©ativitĂ© technique de civilisations anciennes jusque ici oubliĂ©es, inconnues et mĂ©connues. Le texte, en page de couverture, nous invite Ă  une lecture approfondie de ce livre en exaltant son originalitĂ© et sa portĂ©e : « Les auteurs nous invitent Ă  nous dĂ©barrasser de notre carcan conceptuel et Ă  tenter de comprendre quelles sociĂ©tĂ©s nos ancĂȘtres cherchaient Ă  crĂ©er. Leur ouvrage dĂ©voile un passĂ© humain infiniment plus intĂ©ressant que ne le suggĂšrent les lectures conventionnelles. Un livre monumental d’une extraordinaire portĂ©e intellectuelle  » (page de couverture).

J H

  1. David Graeber. David Wengrow. Au commencement Ă©tait
 Une nouvelle histoire de l’humanitĂ©. Les liens qui libĂšrent, 2023, 745 p
  2. The Guardian. The dawn of everything. https://www.theguardian.com/books/2021/oct/18/the-dawn-of-everything-a-new-history-of-humanity-by-david-graeber-and-david-wengrow-review-have-we-got-our-ancestors-wrong
  3. Washington Post. The dawn of everything : https://www.washingtonpost.com/outlook/after-200000-years-were-still-trying-to-figure-out-what-humanity-is-all-about/2021/11/23/2b29ff86-4bc8-11ec-b0b0-766bbbe79347_story.html
  4. La Croix. Au commencement était : https://www.la-croix.com/France/Au-commencement-etait-nouvelle-histoire-lhumanite-2021-12-11-1201189722
  5. France Culture. Faut-il revoir notre copie ? Interview de David Wengrow : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-grande-table-idees/david-wengrow-7576492
  6. JĂŒrgen Moltmann. Le Dieu vivant et la plĂ©nitude de vie : https://vivreetesperer.com/le-dieu-vivant-et-la-plenitude-de-vie/

 

Ecothéologie et pentecÎtisme

Ecothéologie  et pentecÎtisme

Dans la prise de conscience Ă©cologique, une nouvelle vision thĂ©ologique est apparue au point de porter un nom : Ă©cothĂ©ologie. Michel Maxime Egger nous en a montrĂ© les diffĂ©rents visages (1). Nous savons aussi comment le thĂ©ologien JĂŒrgen Moltmann a sous-titrĂ© son livre : « Dieu dans la crĂ©ation » paru dĂšs 1988 : « TraitĂ© Ă©cologique de la crĂ©ation » et  poursuivi ensuite constamment son Ɠuvre en ce domaine (2). En 2015, le pape François publie dans ce domaine une encyclique retentissante : « Laudato si’ » (3). Dans la derniĂšre dĂ©cennie, ce mouvement est Ă©galement apparu dans le champs pentecĂŽtiste, du moins chez certains thĂ©ologiens anglophones. Sachant l’expansion actuelle du pentecĂŽtisme dans le monde, ce fait est important d’autant que certaines manifestations politiques du pentecĂŽtisme dans certains pays ont pu ĂȘtre contestĂ©es. A J Swoboda est pasteur et professeur de thĂ©ologie, notamment Ă  la facultĂ© Fuller (4). Il se dĂ©clare un environnementaliste pentecĂŽtiste : « Le soin portĂ© Ă  la crĂ©ation est un aspect intĂ©gral de l’Ɠuvre relationnelle du Saint Esprit dans le monde » (5). A J Swoboda a Ă©crit sur cette questions plusieurs livres qui font rĂ©fĂ©rence : « Tongues and trees. Towards a Pentcostal Ecological Theology » (6) ; « Introducing Evangelical Ecotheology. Foundations in Scripture, Theology, History and Praxis ». Aussi a-t-il Ă©ditĂ© un recueil d’écrits thĂ©ologiques : « Blood cries out. Pentecostals, Ecology and the Groans of Creation » (Pentecostals, Peacemaking and Social Justice) (7).

Le ‘Jour de la Terre’

L’instauration d’un ‘Jour de la Terre’ aux Etats-Unis en 1970, initiative suivie internationalement, tĂ©moigne d’une Ă©closion de la prise de conscience Ă©cologique. C’était un jour de mĂ©ditation et d’action pour restaurer la relation humaine avec la terre. Le fondateur et le visionnaire du ‘jour de la Terre’ fut John McConnell Jr. Dans son livre : « Blood cries out », (7) A J Swoboda nous dĂ©crit cette personnalitĂ© dans son parcours spirituel, nous signifiant par lĂ  que la prĂ©occupation Ă©cologique a pu ĂȘtre prĂ©sente en quelqu’un fortement marquĂ©e par une inscription familiale pentecĂŽtiste. Les parents de McConnell ont Ă©tĂ© membres fondateurs de la charte des assemblĂ©es de Dieu en 1914. Son propre grand-pĂšre fut mĂȘme un participant au grand rĂ©veil de la Rue Azuza Ă  Los Angeles en 1906. Ainsi le ‘Jour de la Terre’ a commencĂ© avec de fortes convictions religieuses. McConnell ,voyant la crise Ă©cologique Ă  travers sa culture religieuse, « envisageait un jour oĂč les chrĂ©tiens pourraient montrer la puissance de la priĂšre, la valeur de leur charitĂ© et leur prĂ©occupation pratique pour la vie et les gens de la terre ». Ce rappel historique est une entrĂ©e en matiĂšre qui lĂ©gitime une approche thĂ©ologique pentecĂŽtiste de l’écologie.

 

Univers écologique et univers pentecÎtiste : tout est relation

Brandon Rhodes Ă©tait Ă©tudiant Ă  l’universitĂ© d’Oregon (Etats-Unis) et il y frĂ©quentait deux univers : l’écologie et le pentecĂŽtisme (6). Dans la communautĂ© pentecĂŽtiste, il se voit proclamer l’importance de la relation : « Le Royaume de Dieu porte entiĂšrement sur les relations ». A travers leur vie ensemble, les Ă©tudiants pentecĂŽtistes « apprenaient Ă  voir et Ă  nommer l’Ɠuvre de l’Esprit dans leur vie et dans leurs relations quotidiennes ». Cependant, dans ses Ă©tudes en Ă©cologie, Brandon Rhodes s’éveillait Ă  « l’interconnexion de toutes choses, comme les champignons qui s’emploient Ă  constituer un rĂ©seau relai entre les arbres de la forĂȘt. Quand un feu, une sĂ©cheresse ou une tronçonneuse frappe un arbre, la forĂȘt entiĂšre en frisonne de conscience. En Ă©cologie, la relation, c’est tout. Cette prise de conscience a profondĂ©ment influencĂ© la maniĂšre dont je voyais la terre ». « La CrĂ©ation brille de vie, de relation et dĂ©borde d’un saint mystĂšre ». « Avec le temps, cette rĂ©sonance entre l’écologie et le pentecĂŽtisme me devint tout-Ă -fait Ă©vidente. Le Royaume de Dieu porte entiĂšrement sur la relation et il en va de mĂȘme pour l’écologie. Le royaume de Dieu dans l’Esprit est Ă©cologique et vice versa. Je le ressentais d’une maniĂšre palpable dans cet environnement verdoyant des montagnes de l’Oregon ».

 

A la recherche d’une rencontre entre la rĂ©flexion thĂ©ologique et l’expĂ©rience

Brandon Rhodes constata pourtant que le pastorat pentecĂŽtiste percevait rarement la connexion entre les deux approches, et plus gĂ©nĂ©ralement la valeur de l’écologie. Ce fut donc avec joie qu’il accueillit la parution du livre de A J Swoboda, un ouvrage qui Ă©tablissait un pont par dessus la division entre Ă©cologie et pentecĂŽtisme. Et, encore mieux, il rencontra l’auteur  habitant dans le mĂȘme voisinage. Le livre de Swoboda : « Tongues and trees : toward a pentecostal ecological theology » formule sa thĂšse de doctorat pour un public plus large. Cependant, Brandon Rhodes s’interroge sur le format acadĂ©mique qui peut donner l’impression que le message descend d’en haut vers des rĂ©alitĂ©s sociales qui montent d’en bas. « Le dĂ©fi majeur pour Swoboda est de transmettre des idĂ©es acadĂ©miques de haut en bas vers une tribu Ă  la base, celle de l’église pentecĂŽtiste. A J Swoboda trace bien quelques pistes comme « imposer les mains Ă  la terre pour sa guĂ©rison, ou bien prĂȘcher des eschatologies crĂ©ationnelles ». Mais Brandon Rhodes reste en partie sur sa faim.

« Un Ă©pilogue plus dĂ©veloppĂ© en terme de pratiques pentecĂŽtistes, expĂ©riences Ă©cologiques, incursions liturgiques, comportements mystiques Ă  l’intention de l’église locale aurait idĂ©alement arrondi ce travail ».

 

Un témoignage et un parcours de recherche

 Brandon Rhodes partage avec nous sa vision de foi. « Le pentecĂŽtisme, ce n’est pas seulement une maniĂšre de prĂȘcher, chanter, se rassembler et prier. C’est fondamentalement dĂ©velopper des cƓurs ouverts Ă  l’activitĂ© de l’Esprit. C’est une imagination active se demandant oĂč JĂ©sus peut ĂȘtre Ă  l’Ɠuvre Ă  travers l’Esprit ».

« Cependant ce comportement pentecĂŽtiste tournĂ© vers l’Esprit refuse d’ĂȘtre commodĂ©ment institutionnalisĂ©, planifiĂ©, prĂ©emballĂ© pour une consommation ecclĂ©siale ».

« Swoboda semble appeler l’écothĂ©ologie Ă  nourrir notre capacitĂ© de voir la crĂ©ation comme une arĂšne oĂč se montre la vie de Dieu. Si je le lis fidĂšlement en pentecĂŽtiste, il dĂ©sire nous amener Ă  devenir des magiciens verts plutĂŽt que des Ă©cothĂ©ologiens – des guides mystiques Ă  mĂȘme de nous faire voir la magie dont ce monde est abreuvĂ© par le Saint Esprit. L’Esprit holistique, baptisant la crĂ©ation, vers oĂč « Tongues and Trees » dirige le pentecĂŽtisme, est vivant et actif dans le monde ». Brandon Rhodes nous appelle « Ă  avoir des yeux pour le voir et Ă  rĂ©pondre dans la repentance ».

 

Aperçus

 Suite à son analyse, Brandon Rhodes présente un résumé détaillé du livre : « Tongues and Trees ». En voici quelques extraits.

Swoboda prĂ©sente les apports des diffĂ©rentes dĂ©nominations Ă  l’écothĂ©ologie. En ce qui concerne le pentecĂŽtisme, il perçoit certaines dispositions favorables. « D’abord, le pentecĂŽtisme met l’accent sur ce que Miroslav Wolf appelle : « la matĂ©rialitĂ© du salut » ce qui historiquement s’est prĂȘtĂ© Ă  une attention pour des questions de justice sociale – une disposition qui s’ouvre tout naturellement Ă  honorer le monde matĂ©riel et, dans de nombreux cas, lĂ  oĂč la dĂ©gradation Ă©cologique accroit les injustices existantes. DeuxiĂšmement, l’accent pentecĂŽtiste sur l’Esprit se prĂȘte au tĂ©moignage biblique de l’Esprit de Dieu vivifiant et mĂȘme baptisant toute la crĂ©ation. Ainsi nous devons attendre les charismes non seulement de l’église charismatique, mais du reste du royaume de la crĂ©ation.

Swoboda rĂ©sume son bilan des Ă©cothĂ©ologies charismatiques en deux points majeurs : « D’abord si l’Esprit de Dieu crĂ©e et vit dans la crĂ©ation et le peuple de Dieu, les deux sont en voie de restauration Ă  la relationalitĂ©. La relationalitĂ© est la force mĂȘme de la thĂ©ologie et de la pratique pentecĂŽtiste. Ultimement, c’est la force des thĂ©ologies Esprit/crĂ©ation. L’accent pentecĂŽtiste sur une Ă©glise interconnectĂ©e – par – l’Esprit, nous enjoint de joindre la ‘conversation’. J’ai trouvĂ© dans mon enseignement de l’écologie l’interconnexion de la terre elle-mĂȘme. DeuxiĂšmement, Swoboda conclut de cette recherche que notre tĂąche future est de nourrir une imagination pneumatologique concernant le « care » Ă©cologique.

Le dĂ©veloppement de l’approche Ă©cologique transforme notre vision du monde. Elle nous incite Ă  considĂ©rer qu’il y plus grand que nous et que nous nous inscrivons dans un tissu de relations. Cette vision nous invite Ă  entrer dans une vision spirituelle oĂč la PentecĂŽte apparaĂźt comme une figure privilĂ©giĂ©e. On comprend qu’un thĂ©ologien pentecĂŽtiste assume l’approche Ă©cologique en espĂ©rant que cette attitude se rĂ©pande dans sa dĂ©nomination comme elle s’étend dans d’autres Ă©glises.

Rapporté par J H

 

  1. Ecospiritualité : https://vivreetesperer.com/ecospiritualite/
  2. Dieu dans la création : https://lire-moltmann.com/dieu-dans-la-creation/
  3. Convergences Ă©cologiques :Jean Bastaire, JĂŒrgen Moltmann, pape François et Edgar Morin : https://vivreetesperer.com/convergences-ecologiques-jean-bastaire-jurgen-moltmann-pape-francois-et-edgar-morin/
  4. A J Swoboda Ph D : https://www.bushnell.edu/faculty/a-j-swoboda/
  5. A J Swoboda : I am a pentecostal environmentalist : https://faithandleadership.com/aj-swoboda-im-pentecostal-environmentalist
  6. Book Review, Tongues and trees. Toward a pentecostal ecological theology : https://christandcascadia.com/2014/08/01/book-review-tongues-and-trees-toward-a-pentecostal-ecological-theology/
  7. A J Swoboda. Blood cries out : https://www.amazon.com/Blood-Cries-Out-Pentecostals-Peacemaking/dp/1625644620

Vers une Ă©conomie symbiotique

 Avec Isabelle Delannoy

 Face Ă  la crise, l’économie symbiotique, c’est la convergence des solutions.

 51AtX99cxLL._SX366_BO1,204,203,200_         Symbiose est un mot inventĂ© Ă  la fin du XIXĂš siĂšcle et qui signifie : vivre ensemble. « Il dĂ©crit l’association Ă©troite et pĂ©renne entre deux organismes diffĂ©rents qui trouvent, dans leurs diffĂ©rences, leurs complĂ©mentaritĂ©. La croissance de l’un permet la croissance de l’autre et rĂ©ciproquement » (p 52). En proposant le terme d’économie symbiotique, Isabelle Delannoy a Ă©crit un livre (1) sur ce thĂšme dans lequel elle ouvre un avenir Ă  partir de la mise en Ă©vidence de la complĂ©mentaritĂ© d’approches innovantes qui sont dĂ©jĂ  Ă  l’Ɠuvre aujourd’hui. « La vraie rĂ©volution que l’on a apportĂ© avec l’économie symbiotique, c’est de faire croiser trois sphĂšres : la matiĂšre avec la sphĂšre de l’économie circulaire, la sociosphĂšre avec l’économie collaborative, l’ingĂ©nierie Ă©cologique et l’utilisation des Ă©cosystĂšmes du vivant, pour qu’on puisse restaurer nos Ă©cosystĂšmes naturels et ne plus rester dans la logique extractive » (Laura Wynne) (2).

Ce livre est le fruit d’un parcours. IngĂ©nieur agronome, Isabelle Delannoy a trĂšs vite mesurĂ© l’ampleur du dĂ©sĂ©quilibre Ă©cologique. « Nous relĂąchons en quelques dĂ©cennies un carbone que des ĂȘtres vivants ont mis des centaines de milliers d’annĂ©es Ă  enfouir ». (p 23). Et elle a participĂ© Ă  la rĂ©alisation du film « Home » de Yann Arthus Bertrand. « Dans ce film diffusĂ© en 2009, nous disions une vĂ©ritĂ© lourde : Si nous ne sommes pas capables d’inverser la tendance avant dix ans, nous basculerons dans une planĂšte au visage inconnu. A la suite de la dĂ©tĂ©rioration du socle des Ă©quilibres planĂ©taires, la dĂ©tĂ©rioration des Ă©cosystĂšmes d’un cĂŽtĂ©, la croissance des Ă©missions de gaz Ă  effet de serre de l’autre, le climat pourrait entrer dans une phase d’emballement qui ferait basculer la terre dans un autre Ă©tat thermodynamique global  » (p 28). Mais Isabelle Delannoy n’a pas voulu rester sur le registre de la mise en garde. Elle s’est engagĂ©e dans une recherche de solutions qui a abouti Ă  la publication de ce livre. Et cette recherche a couvert toute la gamme des approches innovantes  que l’on peut observer aujourd’hui. « J’ai alors cherchĂ© systĂ©matiquement les logiques Ă©conomiques et productives qui pouvaient participer Ă  rĂ©pondre Ă  cette dĂ©stabilisation de l’écosystĂšme Terre et Ă  renverser la tendance » (p 28). En regard, elle a trouvĂ© une plĂ©thore d’innovations, mais « aucune de ces logiques ne suffisait
 Toutes semblaient nĂ©cessaires, mais largement insuffisantes » ( p 29).

C’est alors qu’Isabelle Delannoy a vu se dessiner un mouvement global. « A mesure que je cherchais, il se formait un motif, un design commun. Je me rendais compte que, sous leur diversitĂ© apparente, elles prĂ©sentaient des analogies de fonctionnement remarquable.. . Pour l’ingĂ©nieur agronome que je suis, c’est Ă  dire une scientifique Ă  orientation technique, les principes que je voyaient se dessiner Ă©taient comme les rouages d’un nouveau moteur, les Ă©lĂ©ments unitaires d’un nouveau systĂšme logique Ă©conomique » (p 29). Isabelle Delannoy a dĂ©veloppĂ© ces principes pour en faire le fondement d’une « économie symbiotique ». Tout au long de cet ouvrage, elle nous prĂ©sente cette Ă©conomie en devenir.

 

Vers une Ă©conomie symbiotique

 

Dans cette pĂ©riode de mutation, nos regards se transforment. La mise en Ă©vidence des processus symbiotiques est elle-mĂȘme le fruit d’une inflexion rĂ©cente de la recherche. « La symbiose fut longtemps ignorĂ©e face Ă  la compĂ©tition mise en avant par Charles Darwin dans sa thĂ©orie publiĂ©e au XIXĂš siĂšcle
 Depuis ces derniĂšres dĂ©cennies, la symbiose a le vent en poupe. Des chercheurs comme Lynn Margulis, Olivier Perru, Marc-AndrĂ© SĂ©losse
 montrent que la symbiose en particulier, et les mĂ©canismes coopĂ©ratifs en gĂ©nĂ©ral agissent Ă©galement comme un des moteurs principaux de l’évolution » (p 52) (3). L’auteure cite l’exemple des coraux qui sont la rĂ©sultante d’une symbiose entre deux organismes : l’un constructeur : le polype, l’autre nourricier : la zooxanthelle, une algue qui sait capter l’énergie lumineuse grĂące Ă  la photosynthĂšse. Aujourd’hui, le sens du mot  symbiose est de plus en plus rĂ©servĂ© aux « relations Ă  bĂ©nĂ©fices rĂ©ciproques entre deux ou plusieurs organismes qui se lient de façon pĂ©renne » (p 53). L’économie symbiotique s’inscrit ainsi dans dans un univers caractĂ©risĂ© par la complĂ©mentaritĂ©, la rĂ©ciprocitĂ©, la synergie. En examinant diffĂ©rentes approches innovantes Ă  elle seule insuffisantes pour rĂ©pondre au grand dĂ©fi, Isabelle Delannoy « s’est rendu compte que, sous leur diversitĂ© apparente, elles prĂ©sentaient des analogies de fonctionnement remarquables
. Je voyais converger l’agroĂ©cologie, la permaculture, l’ingĂ©nierie Ă©cologique, l’économie circulaire, l’économie de la fonctionnalitĂ©, les smart grids, l’économie collaborative et du pair Ă  pair, la gouvernance des biens communs et les structures juridiques des coopĂ©ratives. Dans tout ce qui fait Ă©conomie, ressources vivantes, ressources techniques, ressources sociales, une nouvelle logique était apparue » (p 30). A partir de l’observation des pratiques nouvelles, Isabelle Delannoy a Ă©laborĂ© une thĂ©orie, « un systĂšme logique commun qui peut se traduire jusque dans des formulations mathĂ©matique, systĂ©mique et thermodynamique » ( p 30)

 

Penser en terme d’écosystĂšme

 

« En Ă©cologie, un Ă©cosystĂšme est un ensemble formĂ© par une communautĂ© d’ĂȘtres vivants en interrelation avec un environnement » (Wikipedia). Penser en terme d’écosystĂšme, c’est reconnaĂźtre et encourager une dynamique interrelationnelle. Et cette approche est particuliĂšrement active dans ce livre sur l’économie symbiotique : « une Ă©conomie de l’information ; rĂ©animer les ressorts de la terre ; une Ă©conomie structurĂ©e en Ă©cosystĂšmes, l’énergie et la matiĂšre ; une Ă©conomie en Ă©cosystĂšmes  ».

 

Les milieux naturels se lisent en terme d’écosystĂšmes. Et, dans l’agriculture, on prend conscience actuellement des mĂ©faits de la monoculture mĂ©canisĂ©e et on reconnaĂźt les avantages de la diversitĂ© et de la complĂ©mentaritĂ©. En France, la ferme du Bec Hellouin est  ainsi reconnue dans son expĂ©rimentation innovante dans l’esprit de la permaculture (4). Et le mĂȘme esprit est prĂ©sent dans une ferme en Autriche dans une vallĂ©e peu propice Ă  la culture. Or, un pionnier, Sepp Holzer y a construit un Ă©cosystĂšme agricole ultra productif. Comment a-t-il atteint cette performance ? « Sepp Holzer a rĂ©flĂ©chi Ă  sa ferme comme un ensemble d’écosystĂšmes. A la petite Ă©chelle de la parcelle, il met en compĂ©tition les espĂšces qui vont s’enrichir mutuellement. Ainsi chaque arbre est plantĂ© avec un ensemble de graines d’une cinquantaine de plantes diffĂ©rentes qui entreront en synergie. Elles trouveront leur complĂ©mentaritĂ© dans la diffĂ©rence de taille, de morphologie, d’enracinement, d’écosystĂšmes microbiens associĂ©s, de synthĂšse de molĂ©cules, de prĂ©fĂ©rence pour l’ombre et la lumiĂšre. Ces coopĂ©rations engendrent des relations nutritives entre les plantes et permettent de se passer d’engrais. Elles entretiennent une diversitĂ© d’hĂŽtes et de prĂ©dateurs et il et possible de s’affranchir des pesticides
 Mais Sepp Holzer a Ă©galement crĂ©Ă© une association d’écosystĂšmes diversifiĂ©s selon un design trĂšs prĂ©cis permettant leur mise en synergie
 Ainsi, Ă  mesure des annĂ©es, il a crĂ©Ă© un ensemble de soixante dix mares et Ă©tangs et Ă©tagĂ© le relief en terrasses. Le miroir crĂ©Ă© par la surface de l’eau envoie les rayons du soleil sur les coteaux qui la surplombent et produit de nouvelles conditions climatiques pour des espĂšces qui n’auraient pu se dĂ©velopper  dans les conditions initiales  » (p 59-60). « Le systĂšme entre  en croissance selon un mĂ©canisme synergique et enrichit son milieu. Sepp Holzer a crĂ©Ă© un systĂšme productif qui ne dĂ©truit pas les ressources Ă©cologiques, mais qui, au contraire, en crĂ©e » ( p 60).

 

Cependant, les Ă©cosystĂšmes vivants ne sont pas Ă  mĂȘme de remplacer toutes les industries. « Ces industries doivent ĂȘtre alimentĂ©es en matĂ©riaux et en Ă©nergie pour fonctionner. De plus, de nombreuses infrastructures, machines et outils, ne peuvent exclusivement faire appel Ă  des matĂ©riaux biosourcĂ©s. Il s’agit donc d’organiser les systĂšmes Ă©conomiques et productifs  qui permettront une rĂ©utilisation maximale de la matiĂšre qui la compose » (p 109). Alors Isabelle Delannoy nous expose les voies innovantes d’une Ă©conomie en Ă©cosystĂšmes pour traiter de l’énergie et de la matiĂšre. Et lĂ  aussi, elle s’appuie sur de nombreuses Ă©tudes de cas.

Ainsi une architecture bioclimatique produit des bĂątiments consommant un minimum d’énergie pour le chauffage et la climatisation. C’est l’exemple de l’entreprise Pocheco dans le nord de la France qui est devenu autosuffisante en matiĂšre de chauffage, six jours sur sept (p 115). Au Val d’Europe, une zone d’activitĂ© de la rĂ©gion parisienne,  le data center de la banque Natixis a Ă©tĂ© conçu dĂšs son implantation comme une centrale Ă  la fois de donnĂ©es et de chauffage. L’activitĂ© des serveurs est intense et dĂ©gage une grande chaleur. Cette Ă©nergie est la base d’un rĂ©seau de chaleur faisant circuler une eau Ă  55°C qui alimente un centre aquatique, une pĂ©piniĂšre d’entreprises, deux hĂŽtels et une centaine de logements collectifs (p 119).

Et, en mĂȘme temps, dans l’industrie, une approche systĂ©mique se dĂ©veloppe. « La logique de fonctionnement actuelle est trĂšs mal adaptĂ©e Ă  la limitation des ressources. Elle repose sur une logique linĂ©aire : j’extrais, je transforme, je consomme, je jette. Son efficience tend vers zĂ©ro » (p 12). On peut agir autrement : « ne plus bĂątir des « chaines » de production, mais des Ă©cosystĂšmes de production en agissant sur toutes les Ă©tapes. Ainsi, Ă  Kalundberg, au Danemark, les industriels se sont rendus compte que les uns achetaient comme matiĂšre premiĂšre ce que les autres rejetaient en tant que dĂ©chets. Ils sont entrĂ©s en coopĂ©ration et celle-ci s’est Ă©tendue Ă  des Ă©changes de matiĂšre et d’énergie ( p 126-127). Cet Ă©cosystĂšme industriel est aujourd’hui un exemple. « En bout de chaine, avec l’apparition du web, une telle organisation collaborative se rĂ©pand chez les consommateurs. Ils forment des Ă©cosystĂšmes ou chacun peut ĂȘtre Ă  la fois fournisseur, acheteur ou usager d’un bien » (p 128).

Lorsque les consommateurs se rapprochent de la production et inversement, on enregistre des gains trĂšs importants d’efficience. C’est le cas lorsqu’au lieu de vendre des objets, le fabricant en vend l’usage. C’est une « économie de fonctionnalité ». « Puisqu’il reste propriĂ©taire de son bien, le fabricant a tout intĂ©rĂȘt Ă  en prolonger la durĂ©e de vie ». et il pourra, en fin de cycle, rĂ©cupĂ©rer les matĂ©riaux .

SpĂ©cialisĂ© dans la fabrication de photocopieuses, Rank Xerox est une des rĂ©fĂ©rences les plus anciennes. « Aujourd’hui, Rank Xerox rĂ©utilise 94% des composantes de ses anciennes machines pour en fabriquer de nouvelles (p 133). « Les modĂšles dynamiques d’accĂšs  permettent de vendre beaucoup en produisant peu » (p 136).

Et, bien sur, la nouvelle Ă©conomie portĂ©e par le Web abonde en systĂšmes Ă©coproductifs. « Ce sont des projets open source. L’open source est un exemple des principes symbiotiques appliquĂ©s Ă  l’innovation et Ă  la production : une diversitĂ© d’acteurs partageant des valeurs similaires et un centre d’intĂ©rĂȘt commun mettant en partage leurs savoirs et savoir-faire. De leur coopĂ©ration naissent des logiciels (tel Wordpres, Firefox, Linux), des encyclopĂ©dies du savoir telle Wikipedia  » ( p 143).    L’émergence des fablabs pour permettre une mutualisation des outils industriels Ă  l’intention d’acteurs de terrain tĂ©moigne de mĂȘme de la mĂ©tamorphose de la production (p 146-148).

« Dans les fablabs, la combinaison d’internet et le libre partage de l’innovation accĂ©lĂšrent le brassage des innovations. Il se crĂ©e un Ă©cosystĂšme entre concepteurs, usagers et ateliers de fabrication qui change radicalement la logique de la production industrielle : ouverte, coopĂ©rative, locale, personnalisĂ©e »  (p 155).

Ainsi, Isabelle Delannoy nous montre l’avancĂ©e de l’économie symbiotique dans son visage industriel. C’est une mĂ©tamorphose radicale de la fabrication des biens d’équipement et de consommation. On peut maintenant envisager « la transformation de la chaine industrielle en un vaste Ă©cosystĂšme mondial reliant des Ă©cosystĂšmes locaux » ( p 160).

 

Le temps de l’information

 

Nos yeux s’ouvrent et nous commençons Ă  voir le monde en terme d’information. Nous prenons conscience du rĂŽle prĂ©pondĂ©rant de l’information. « Depuis son origine, la Terre n’a cessĂ© de crĂ©er de l’information. GrĂące Ă  elle, des mouvements ordonnĂ©s de la matiĂšre se sont crĂ©Ă©s, donnant lieu Ă  une diversitĂ© de formes, de couleurs, de mouvements, exceptionnelle : la vie telle que nous la connaissons. De cette information motrice, l’une a Ă©tĂ© motrice plus que tout autre. Il s’agit de celle qui est codĂ©e dans les gĂšnes du vĂ©gĂ©tal portant les mĂ©canismes de la photosynthĂšse » (p 43).  La photosynthĂšse est un processus exceptionnellement puissant. « La photosynthĂšse permet de capter une Ă©nergie brute et immatĂ©rielle, l’énergie lumineuse, de la stocker et de la distribuer de façon extrĂȘmement fine  ». GrĂące aux informations contenues dans sa bibliothĂšque gĂ©nĂ©tique, le vĂ©gĂ©tal va ainsi Ă  l’encontre des lois physiques de l’énergie qu’on appelle l’entropie » (p 44). Le vivant se caractĂ©rise par la richesse de l’information. Il en dĂ©borde. Apprenons Ă  la respecter. « C’est trĂšs simple. Si nous coupons une forĂȘt pour bruler son bois, nous aurons perdu l’intelligence contenue dans le matĂ©riau bois qui aurait pu servir pour la construction, mais aussi l’intelligence chimique de ses molĂ©cules qui auraient pu servir Ă  la pharmacopĂ©e, et encore celle apportĂ©e par l’écosystĂšme forĂȘt rĂ©paratrice de la qualitĂ© de l’eau, de la fertilitĂ© du sol, du climat » (p 45).

Nous pouvons faire mieux. En terme d’information, l’intelligence humaine est elle-mĂȘme extrĂȘmement crĂ©atrice. L’intelligence humaine peut devenir catalysatrice. « En agissant comme un catalyseur des Ă©cosystĂšmes vivants, l’espĂšce humaine devient un facteur multipliant leur efficience naturelle » (p 46). Le rĂŽle de l’information va en croissant. Dans les Ă©cosystĂšmes vivants, il y a d’abord une construction de structures. « Ils crĂ©ent alors beaucoup de biomasse et tissent peu de rĂ©seaux. Mais lorsque leurs structures deviennent plus matures, les rĂ©seaux s’enrichissent
les racines se connectent
des signaux chimiques s’échangent
. La faune vient s’installer. Les informations circulent extrĂȘmement abondantes » (p 48). On peut envisager une Ă©volution comparable dans l’histoire humaine. Ne serions-nous pas arrivĂ© dans la phase de maturitĂ© oĂč « presque toute l’efficience Ă  produire des services vient de la capacitĂ© Ă  produire et Ă  traiter de l’information ».

Isabelle Delannoy nous ouvre un horizon. « Admirons l’improbable conjoncture que forme notre Ă©poque. Nous vivons l’instant oĂč le niveau de destruction des Ă©cosystĂšmes menace la perpĂ©tuation de nos conditions de vie en mĂȘme temps que nous accĂ©dons Ă  un stade de structuration des Ă©cosystĂšmes dans son plein niveau possible d’efficience (p 49).

 

Emergence

 

 

Isabelle Delannoy a menĂ© une recherche pour mettre en Ă©vidence les principes qui fondent une Ă©conomie symbiotique et toutes les synergies que celle-ci engendre. Des exemples, comme le nouveau mode de fabrication permis par la voiture Ă©lectrique sont particuliĂšrement Ă©loquents (p 241-244). La moindre chaleur Ă©mise permet une grande souplesse et inventivitĂ© dans la mise en Ɠuvre des matĂ©riaux. Ainsi, avec Isabelle Delannoy, nous assistons Ă  une Ă©mergence : Ă©mergence de nouvelles pratiques, mais Ă©galement avec elle, Ă©mergence d’un nouveau regard : « Il semble que, dans le silence, un nouveau regard, une mĂ©tamorphose  sociale et Ă©conomique soit en train de naitre. Apparues sans concertation, les diffĂ©rentes logiques Ă©conomiques et productives que nous avons successivement prĂ©sentĂ©es  couvrent toutes les activitĂ©s Ă©conomiques et forment un Ă©cosystĂšme  Ă©conomique complet. Sous leur apparente diversitĂ© et la multiplicitĂ© des termes : ingĂ©nierie Ă©cologique, permaculture,  biomimĂ©tisme, Ă©cologie industrielle, Ă©conomie circulaire, Ă©conomie de la fonctionnalitĂ©, smart grids, open source, makerspaces, open data, Ă©conomie de pair Ă  pair, contribution sociale et solidaire, elles sont d’une extraordinaire cohĂ©rence dans leur systĂšme de fonctionnement et peuvent ĂȘtre dĂ©crites selon les mĂȘmes principes » (p 227). Isabelle Delannoy a « qualifiĂ© ces principes,  et le principe logique dont ils sont le cƓur, de « symbiotique ». « Ce systĂšme logique est utilisable en tant que tel, sans mĂȘme vouloir dĂ©velopper une Ă©conomie symbiotique complĂšte. Il caractĂ©rise un fonctionnement continu et typique d’une nouvelle logique Ă©mergente » (p 227).

La recherche d’Isabelle Delannoy a commencĂ© en 2009 dans la conscience de la menace du basculement climatique. Cette menace n’a pas disparu. On doit y faire face et il y a urgence. Le remĂšde passe par une transformation de l’économie. Isabelle Delannoy nous apporte une bonne nouvelle. Non seulement, cette transformation est possible, mais  elle a dĂ©jĂ  commencĂ©. Un puissant mouvement est dĂ©jĂ  en cours.

« Une nouvelle forme de pensĂ©e se dĂ©veloppe partout dans le monde. Extraordinairement cohĂ©rente, non concertĂ©e, apparue majoritairement ces cinquante derniĂšres annĂ©es, elle laisse entrevoir que, dans le silence, est en train de naitre une mĂ©tamorphose Ă©conomique, technique et sociale radicale de nos sociĂ©tĂ©s
 cette nouvelle Ă©conomie a le potentiel de devenir symbiotique et rĂ©gĂ©nĂ©ratrice au niveau global
Elle organise une symbiose entre les Ă©cosystĂšmes vivants, les Ă©cosystĂšmes sociaux et l’efficience de notre technique » (p 313-314). On assiste donc Ă  une multiplication d’écosystĂšmes innovants. L’économie symbiotique grandit Ă  partir des rĂ©alitĂ©s locales. On peut imaginer une Ă©conomie dĂ©centralisĂ©e avec « des places de marchĂ© locales et reliĂ©es ». Cette Ă©conomie nouvelle surgit de toute part.

 

Vers une nouvelle civilisation

 

Ce livre nous fait entrer dans un monde en transformation : une mĂ©tamorphose, un changement de paradigme, une nouvelle civilisation en germination. C’est bien ce qui apparaĂźt Ă  Isabelle Delannoy dans l’exploration qu’elle a entrepris et qu’elle nous rapporte dans cet ouvrage. Si nous dĂ©finissons une civilisation comme « l’ensemble des traits qui caractĂ©risent une sociĂ©tĂ© donnĂ©e du point de vue technique, intellectuel, Ă©conomique, politique et moral, cette Ă©tude m’amĂšne Ă  penser qu’émerge aujourd’hui une nouvelle civilisation » (p 19).

Dans ce livre, nous voyons apparaĂźtre une ligne de force majeure : la reconnaissance du vivant dans toutes ses dimensions. Cela induit une nouvelle vision de l’humain. « Ces travaux ont renouvelĂ© ma conception de l’ĂȘtre humain et de sa place dans l’univers. Nous avons une vision trĂšs nĂ©gative de l’homme vis-Ă -vis du vivant. L’idĂ©e que nous devons choisir entre notre dĂ©veloppement et celui de la nature est profondĂ©ment ancrĂ©e. Il s ‘agit donc au mieux de faire le moins de mal possible. L’économie symbiotique apporte (et requiert) une vision positive de l’espĂšce humaine et de son rĂŽle dans l’univers (p 35-36). Aujourd’hui, l’humain prend un autre rĂŽle dans le vivant. Il n’observe plus la nature pour la soumettre,  pour en devenir « maitre et possesseur » comme l’expriment Francis Bacon et RenĂ© Descartes, pĂšres du rationalisme occidental moderne, mais pour en comprendre et en faciliter les Ă©quilibres afin de favoriser son dĂ©veloppement et sa croissance (p 37). L’auteure nous indique un changement de cap majeur dans les attitudes et les reprĂ©sentations : «  Nous pensions quantitĂ©, masse, forces. En comprenant que nous pouvons devenir symbiotes de notre planĂšte, notre gĂ©nie se dĂ©ploie. Nous pensons informations, liens, synergie (5). Jamais notre imagination n’a Ă©tĂ© nourrie de la possibilitĂ© que le beau puisse ĂȘtre efficace, que ce qui est doux puisse ĂȘtre puissant » (p 37).

 

Ouvertures spirituelles

 

A la suite de cette vaste enquĂȘte et de ce travail de synthĂšse, Isabelle Delannoy nous permet d’entrevoir la montĂ©e d’une civilisation nouvelle. Celle-ci commence Ă  se frayer un chemin Ă  travers de nouvelles reprĂ©sentations et de nouvelles pratiques. Et, dans le mĂȘme mouvement, une nouvelle Ă©thique et une nouvelle spiritualitĂ© apparaissent. Isabelle Delannoy Ă©voque « une nouvelle alliance » ( p 103-106), reconnaissance et respect du vivant par l’humanitĂ©. Dans le mĂȘme mouvement, c’est aussi l’affirmation de valeurs comme la bienveillance, la collaboration, l’entraide, la solidaritĂ©. Des piĂšces du puzzle rassemblĂ©es par l’auteur, on voit apparaĂźtre un paysage nouveau.

Laissons libre cours Ă  notre Ă©merveillement. Et, pour les chrĂ©tiens, Ă  partir d’une approche thĂ©ologique nouvelle, sachons reconnaĂźtre l’Ɠuvre de l’Esprit. Nous pouvons Ă©couter cette interpellation de Pierre Teilhard de Chardin, scientifique et thĂ©ologien prĂ©curseur, citĂ© par Isabelle Delannoy (p 57). « Si les nĂ©ohumanistes du XXĂš siĂšcle nous dĂ©shumanisent sous leur Ciel trop bas, de leur cĂŽtĂ©, les formes encore vivantes du thĂ©isme ( Ă  commencer par la chrĂ©tienne) tendent Ă  nous sous-humaniser dans l’atmosphĂšre rarĂ©fiĂ© d’un Ciel trop haut. SystĂ©matiquement fermĂ©es encore aux grands horizons et aux grands souffles de la CosmogenĂšse, elles ne se sentent plus vraiment avec la terre, une Terre dont elles peuvent bien encore, comme une huile bienfaisante, adoucir les frottements internes, mais non (comme il le faudrait) animer les ressorts ».

Et, dĂ©jĂ , pour participer Ă  l’évolution en cours, pour y apporter une contribution, le christianisme est appelĂ© Ă  retrouver son esprit d’origine dans une marche en avant qui regarde vers la nouvelle crĂ©ation Ă  venir et qui s’inscrit dans une thĂ©ologie de l’espĂ©rance. « Dieu est liĂ© Ă  l’espĂ©rance humaine de l’avenir. C’est un Dieu de l’espĂ©rance qui marche « devant nous » et nous prĂ©cĂšde dans le dĂ©roulement de l’histoire » (JĂŒrgen Moltmann) (6). L’Esprit de Dieu est « l’Esprit qui donne la vie » (7). Cet Esprit n’est pas seulement  l’Esprit rĂ©dempteur, c’est aussi l’Esprit crĂ©ateur Ă  l’Ɠuvre dans une crĂ©ation qui se poursuit (8). Ainsi, JĂŒrgen Moltmann peut-il Ă©crire : « Dieu est celui qui aime la vie et son Esprit est dans toute la crĂ©ation. Si on comprend le crĂ©ateur, la crĂ©ation et son but de façon trinitaire, alors le crĂ©ateur habite par son Esprit dans l’ensemble de la crĂ©ation et dans chacune de ses crĂ©atures et il les maintient ensemble et en vie par la force de l’Esprit » (9). Ainsi l’Esprit Saint anime et relie. « Si l’Esprit Saint est rĂ©pandu dans toute la crĂ©ation, il fait de la communautĂ© des crĂ©atures avec Dieu et entre elles, cette communautĂ© de la crĂ©ation dans laquelle toutes les crĂ©atures  communiquent chacune Ă  sa maniĂšre entre elles et avec Dieu
L’ « essence » de la collaboration dans l’Esprit est, par consĂ©quent, la « collaboration » et les structures manifestent la prĂ©sence de l’Esprit dans la mesure  oĂč elles font reconnaĂźtre l’ « accord gĂ©nĂ©ral ». « Au commencement Ă©tait la relation » (Martin Buber) (9). Cette vision fait apparaĂźtre une correspondance entre l’inspiration de l’Esprit qui induit reliance et crĂ©ativitĂ© et ce que nous entrevoyons  dans la civilisation symbiotique en voie d’émergence.

Nous vivons Ă  un tournant de l’histoire. Nous ne voyons que trop les menaces engendrĂ©es par les abus de l’humanitĂ© vis Ă  vis de la nature. Les remĂšdes sont en route, mais le temps presse. Comme d’autres observateurs, JĂŒrgen Moltmann  nous rapporte une parole du poĂšte allemand, Friedrich  Hölderlin : « Dieu est proche et difficile Ă  saisir. Mais , au milieu du danger, se dĂ©veloppe le salut » (6).

Dans ce contexte, ce livre sur l’économie symbiotique arrive au bon moment. Isabelle Delannoy met en Ă©vidence la convergence de nouveaux courants Ă©conomiques qui dĂ©bouchent sur une transformation gĂ©nĂ©rale de l’économie et portent un changement de mentalitĂ©.  Sur ce blog, notre attention va dans le mĂȘme sens. Nous essayons de mettre en Ă©vidence les Ă©mergences positives (10) et de contribuer ainsi Ă  l’évolution des reprĂ©sentations. L’action dĂ©pend de l’horizon qui lui est proposĂ©e. « Nous devenons actifs pour autant que nous espĂ©rions. Nous espĂ©rons pour autant que nous puisions entrevoir des possibilitĂ©s futures. Nous entreprenons ce que nous pensons ĂȘtre possible » (JĂŒrgen Moltmann) (11). A juste titre, Isabelle Delannoy Ă©voque la puissance de la pensĂ©e. Elle cite Lune Taqqiq : « Le poids d’une pensĂ©e peut faire basculer le cours de l’humanité » (p 316). Ce livre sur l’économie symbiotique participe Ă  notre « conscientisation ». En faisant apparaĂźtre l’émergence d’une Ă©conomie et d’une sociĂ©tĂ© nouvelle Ă  travers l’apparition de multiples innovations signifiantes, il nous enseigne, il nous Ă©claire, il nous mobilise. Merci Ă  Isabelle Delannoy !

 

Jean Hassenforder

 

(1)            Isabelle Delannoy. PrĂ©f. de Dominique Bourg. L’économie symbiotique. RĂ©gĂ©nĂ©rer la planĂšte, l’économie et la sociĂ©tĂ©. Domaines du possible. Actes Sud/Colibris.  Voir aussi : Isabelle Delannoy. L’économie symbiotique. TED x Dijon : https://www.youtube.com/watch?v=9BL0fJErgmQ

(2)            Laura Wynn. « L’économie symbiotique est un modĂšle qui donne espoir » You tube : https://www.youtube.com/watch?v=Pvp4cxI_ENs

(3)            « L’entraide, l’autre loi de la Jungle par Pablo Servigne et Gauthier Chapelle » : https://vivreetesperer.com/?p=2734   Autre source : Dans son itinĂ©raire scientifique, Lynn Margulis Ă  montrĂ© le rĂŽle important de la symbiose dans l’évolution. Comme le montre Jean-François Dortier, dans son blog : « La quatriĂšme question », Ă  l’époque, cette thĂ©orie symbiotique s’est heurtĂ©e Ă  une vive opposition de la thĂ©orie Darwinienne alors dominante :               https://www.dortier.fr/lynn-margulis-et-levolution-des-etres-complexes/

(4)            « Cultiver la terre en harmonie avec la nature » (la permaculture et la ferme du Bec Hellouin) : https://vivreetesperer.com/?p=2405

(5)            « Une philosophie de l’histoire, par Michel Serres »  Michel Serres nous parle de l’entrĂ©e de l’humanitĂ© dans un Ăąge  doux
https://vivreetesperer.com/?p=2479

(6)            JĂŒrgen Moltmann. De commencements en recommencements. Empreinte, 2012 (p 109-110 et p 69)

(7)            JĂŒrgen Moltmann. L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999

(8)            « Un Esprit sans frontiÚres » :  https://vivreetesperer.com/?p=2751

(9)            JĂŒrgen Moltmann. Dieu dans la crĂ©ation. Cerf, 1988 ( p 8 et 24-25)

(10)      Des initiatives Ă©cologiques Ă  l’économie collaborative (voir ci-dessous)

(11)      « Agir et espérer. Espérer et agir » : https://vivreetesperer.com/?p=2720

 

 

Nouvelles initiatives et mouvements de pensée

1 « Cultiver la terre en harmonie avec la nature » : https://vivreetesperer.com/?p=2405

2 « Incroyable, mais vrai ! Comment les « incroyables comestibles » se sont développés en France

https://vivreetesperer.com/?p=2177

3 « Convergences Ă©cologiques : Jean Bastaire, JĂŒrgen Moltmann, Pape François et Edgar Morin » : https://vivreetesperer.com/?p=2151

4 « Vivre en harmonie avec la nature. Ecologie, théologie et spiritualité » : https://vivreetesperer.com/?p=757

« Anne Sophie Novel : militante Ă©cologiste et pionniĂšre de l’économie collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1975

5 « Quand l’arrivĂ©e d’un oiseau annonce une vie nouvelle pour les terrils » : https://vivreetesperer.com/?p=2713

6 « Le film : Demain » : https://vivreetesperer.com/?p=2422

7 « Blablacar. Un nouveau mode de vie » : https://vivreetesperer.com/?p=1999

8 « OuiShare, communautĂ© leader dans le champ de l’économie collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1866

9 « Vive la co-révolution. Pour une société collaborative »

https://vivreetesperer.com/?p=1394

10 « Vers un nouveau climat de travail dans des entreprises humanistes et conviviales » : https://vivreetesperer.com/?p=1394

 

Voir aussi, en prospective économique :

« Un monde en changement accéléré » (Thomas Friedman) : https://vivreetesperer.com/?p=2560

« Comprendre la mutation actuelle de notre société requiert une vision nouvelle du monde » (Jean Staune) : https://vivreetesperer.com/?p=2560