par jean | Oct 1, 2021 | Beauté et émerveillement , Expérience de vie et relation , Vision et sens |
Une musique qui porte Ă travers le monde une aspiration Ă lâamour et Ă la beautĂ©
Playing for change
Et si il y avait chez tous les humains une aspiration Ă lâamour et Ă la fraternitĂ©
Et si ils pouvaient se reconnaßtre semblables dans un besoin de solidarité et de fraternité
Et si un chant, une musique exprimant cette aspiration et ce besoin pouvait faire Ă©cho et se propager Ă travers le monde
Et si ce chant, cette musique tissait un lien entre tous ceux qui lâaccueillent et qui y participent
Et si ce chant, cette musique suscitait un nouveau regard, une transformation des espritsâŠ
Il y a bien une réponse à ces souhaits :
Câest le mouvement « Playing for Change » qui sâexprime Ă travers un site (1) et des vidĂ©os sur You Tube. Ici, le chant, la musique se manifestent conjointement Ă travers de multiples expressions dans le monde, dans de nombreux pays, en AmĂ©rique, en Afrique, en Asie. Ces expressions proviennent de gens diffĂ©rents : en lien avec leurs compatriotes, des musiciens dans un style trĂšs divers, parfois mĂȘme des groupes dâenfants. Ainsi, de relai en relai, la mĂ©lodie circule dâun bout du monde Ă lâautre.
Les origines et le développement de Playing for Change
Dâou vient cette belle innovation ? Lâhistoire en est bien couverte par Wikipedia (2). Nous reprendrons ici le rĂ©cit qui en est fait sur la RTBF (radio tĂ©lĂ©vision belge francophone) (3). « Playing for Change » est un mouvement qui souhaite inspirer et connecter le monde au travers de la musique⊠« Playing for Change » est nĂ© en 2002 sous lâimpulsion de Mark Johnson et de Whitney Kroenke, deux artistes et voyageurs qui sillonnaient Ă lâĂ©poque les rues des Ătats-Unis Ă bord dâun studio mobile en quĂȘte de rencontres musicales inspirantes. « En 2005, Mark Johnson, alors quâil marche dans les rues de Santa Monica en Californie entend la voix de Roger Rigley chanter « Stand by me » et dĂ©cide, touchĂ© par cette voix unique, de lui proposer dâĂȘtre le premier Ă enregistrer sur une version : « Autour du monde » de cette chanson.
Chaque vidĂ©o fonctionne sur le mĂȘme principe de rassembler des dizaines de musiciens et de chanteurs, issus de pays et de cultures diffĂ©rents, autour dâun mĂȘme morceau. « Playing for Change » partage Ă travers leurs vidĂ©os des messages dâamour, de partage et de respect, tout en mettant en avant des artistes et musiciens de trĂšs grande qualité⊠». « Ce sont des artistes des rues dotĂ©s dâun grand talent. On y retrouve par exemple celui quâon appelle Grandpa Elliott, un chanteur qui ne paie pas de mine avec sa salopette, son galurin, sa barbe blanche en bataille, son harmonica, sa gouaille et pourtant il vous sĂ©duira en quelques notes Ă peine ».
« Au vu du succĂšs des diffĂ©rentes vidĂ©os sur Youtube, les fondateurs de « Playing for Change » ont dĂ©cidĂ© de lancer une organisation Ă but non lucratif qui se consacre Ă la crĂ©ation dâĂ©coles de musique et de programmes Ă©ducatifs aux quatre coins du mondeâŠÂ ».
Un message
« Playing for Change » puise ses chants dans le courant de lâexpression musicale amĂ©ricaine et dâautres expressions connexes dans la seconde moitiĂ© du XXĂš siĂšcle oĂč sây manifeste une extrĂȘme crĂ©ativitĂ©. Cette musique sâexprime en diffĂ©rents genres musicaux qui sâenchainent, coexistent et peuvent se rejoindre. Elle est irriguĂ©e par diffĂ©rentes sources, mais tout particuliĂšrement par la veine crĂ©atrice de la musique afro-amĂ©ricaine dans ses diffĂ©rentes composantes. « Playing for Change » peut ainsi reprendre des chansons trĂšs apprĂ©ciĂ©es dans les annĂ©es 1960 et 1970 et plus tard⊠A cotĂ© des chansons produites aux Etats-Unis, il met en valeur dâautre chants comme « Imagine » de John Lennon et « Redemption song » de Bob Marley. Et puis, au cours des annĂ©es, le mouvement Ă©tant ancrĂ© internationalement, le rĂ©pertoire a pu sâĂ©tendre culturellement. Toutes ces chansons viennent nous inspirer et nous encourager en prenant pour thĂšme : lâamour, lâentraide, le respect, la fraternitĂ©, la paix, la libĂ©rationâŠ
A titre dâexemple, voici quelques chants mis en Ă©vidence par « Playing for change ».
« Lean on me » ( 4) est un chant emblĂ©matique de « Playing for change » puisque câest lâĂ©coute de ce chant qui a inspirĂ© le fondateur de « Playing for change ». CrĂ©Ă© 1972, ce chant nous invite Ă ne pas hĂ©siter Ă demander un soutien, Ă pouvoir nous appuyer sur quelquâun et Ă pouvoir compter sur lui. Câest un chant qui exalte lâamitiĂ©, lâentraide, lâespĂ©ranceâŠ
« Nous avons tous de la peine. Nous avons tous du chagrin. Si nous sommes sages, nous savons quâil y a toujours un lendemainâŠ
Appuies toi sur moi. Quand tu ne seras pas fort, je serai ton ami. Je tâaiderai Ă avancer.
BientĂŽt, jâaurais besoin de quelquâun sur qui me reposer Ă mon tour. Sâil te plait, ravale ta fiertĂ© si tu as besoin dâemprunter quelque chose. Car personne ne peut rĂ©pondre Ă ton besoin si tu ne le montres pas.
Tu peux compter sur moi, mon frĂšre quand tu as besoin dâaide
Nous avons tous besoin de quelquâun sur qui nous reposerâŠÂ ».
Ce sont des paroles qui portent. Ce sont des paroles qui réconfortent. Ce sont des paroles qui donnent espoir.
Lean on me : https://www.youtube.com/watch?v=LiouJsnYytI
« Everyday people » est sorti en 1969 (5). Câest un message qui proclame que les gens sont pareils quelque soit leur race et leur milieu social. Câest une protestation concrĂšte contre les prĂ©jugĂ©s de tous genres. Câest un plaidoyer pour la paix et lâĂ©galitĂ©Â : https://www.youtube.com/watch?v=-g4UWvcZn5U
« United  » est un chant qui proclame lâunitĂ© de lâhumanitĂ©. « Apprenons Ă vivre comme si nous Ă©tions un »⊠« Nous avons Ă rassembler le monde et apprendre Ă vivre comme si nous Ă©tions un ». Câest un chant diffusĂ© en 2011 dans une collaboration avec les Nations Unies :
« United » : https://www.youtube.com/watch?v=6vT_7AX06UQ
« Love is all » (6) est un chant pop apparu en 1974.
Il proclame combien lâamour est une exigence :
« Chacun de nous est appelĂ© Ă vivre avec dâautres et Ă les comprendre Aussi aime ton voisin comme tu aimes ton frĂšreâŠ
Tout ce dont vous avez besoin, câest dâamour et de comprĂ©hension⊠Venez et montrez vos sentiments
Lâamour est tout. Lâamour est tout. »
La version de « Love is all » dans « playing for change » est admirable et Ă©mouvante parce quâelle manifeste lâexpression de nombreux enfants Ă travers le monde.
« Love is all » : https://playingforchange.com/videos/love-is-all/?fbclid=IwAR3VnVW5Lm3mXjRW6R9v-mM4FH9PnrtR_HtwWBK1FNCBOZncsMLxXqUcIis
En ces temps tourmentĂ©s, lâexpression musicale de « Playing for change » vient nous rafraichir et nous encourager. Oui, Ă travers le monde, il y a des gens qui croient Ă lâamour et Ă la paix. Il y a dix ans, nous avions dĂ©jĂ prĂ©sentĂ© « Playing for Change » sur ce blog (7). Câest donc une nouvelle visite. Aujourdâhui, Playing for Change » poursuit son chemin, et, trĂšs prĂ©sent sur internet, se manifeste dans une diversitĂ© internationale. Dans un contexte oĂč on peut remonter au Gospel, « Playing for Change » Ă©voque lâamour et la paix. Dans un regard Ă©veillĂ© Ă la prĂ©sence de lâEsprit, on y voit ici son Ćuvre.
J H
Playing for Change Re-imagine a world connected by music : https://playingforchange.com
Playing for Change : wikipedia (francophone) : https://fr.wikipedia.org/wiki/Playing_for_Change Wikipedia (anglophone) : https://fr.wikipedia.org/wiki/Playing_for_Change
RTBF Marin Jaumotte. Playing for Change, inspirer et connecter le monde à travers la musique : https://www.rtbf.be/culture/pop-up/detail_playing-for-change-des-chansons-pour-inspirer-et-connecter-le-monde-a-travers-la-musique-marion-jaumotte?id=10317571
Lean on Me. (chanson de Bill Withers). Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Lean_on_Me_(chanson_de_Bill_Withers )
Everyday people . Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Everyday_People
Love is all (Roger Glover song) . Wikipedia : https://en.wikipedia.org/wiki/Love_Is_All_(Roger_Glover_song )
Un hymne Ă lâunitĂ©. Playing for change. : https://vivreetesperer.com/un-hymne-a-l%E2%80%99unite-%C2%AB-playing-for-change-%C2%BB/
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par jean | Juin 4, 2023 | Société et culture en mouvement |
Pour un retour du soin face au mirage dâune mĂ©decine algorithmique transhumaniste
Selon Dr Louis Fouché
A notre insu, nous pouvons parfois ĂȘtre soumis Ă lâemprise dâune culture techniciste animĂ©e par une raison instrumentale et portĂ©e par une technocratie calculatrice. Si cette rĂ©alitĂ© apparaĂźt aujourdâhui, jusquâau risque dâune culture totalitaire, elle est le produit dâune transformation progressive qui remonte loin dans le temps. Certes, la prise de conscience Ă©cologique sâinscrit en face de ce danger, mais il nous faut entrevoir toutes les dimensions du problĂšme. De fait, cette menace peut ĂȘtre perçue dans diffĂ©rents aspects de la vie. A cet Ă©gard, les transformations actuelles du systĂšme de santĂ© peuvent ĂȘtre envisagĂ©es comme un rĂ©vĂ©lateur de tendances profondes qui comportent de graves dangers. Câest le thĂšme dâun livre du Docteur Louis FouchĂ©Â : « Agonie et renouveau du systĂšme de santĂ©. Mirage dâune mĂ©decine algorithmique transhumaniste et frĂ©missement dâun retour au soin » (1).
Face Ă un technicisme dĂ©shumanisant, comment protĂ©ger et promouvoir une mĂ©decine mettant en prioritĂ© le soin et le souci de lâautre ? Le propos du docteur Louis FouchĂ© est radical, mais il dĂ©voile une rĂ©alitĂ© qui nâa pas encore donnĂ© lieu Ă une prise de conscience largement rĂ©pandue. En fait, le docteur Louis FouchĂ© est apparu sur la scĂšne publique Ă lâoccasion de la crise suscitĂ©e par lâĂ©pidĂ©mie du Covid. Il est alors entrĂ© en rĂ©sistance vis-Ă -vis des directives sanitaires officielles. MĂ©decin anesthĂ©siste, il a manifestĂ© beaucoup de courage en sây opposant jusquâĂ ĂȘtre contraint Ă suspendre son activitĂ© professionnelle avec le sacrifice financier correspondant. Dans ce contexte, il a animĂ© un rĂ©seau dâentraide. Son livre tĂ©moigne de cette expĂ©rience. Cependant, plutĂŽt que de sâenfermer dans une rancĆur, mĂȘme si il sâexprime parfois dans des termes choquants, il nous paraĂźt chercher Ă comprendre les facteurs de la dĂ©rive et les pistes Ă explorer pour dĂ©velopper une mĂ©decine « intĂ©grale et intĂ©grative » dans des contextes humains appropriĂ©s.
Ce livre se présente donc en ces termes :
« Héritier de la pensée complexe, chÚre à Edgar Morin et Henri Laborit, le Dr Louis Fouché cherche la confrontation des regards, la fécondité du dissensus. Anthropologie, philosophie, éthique, sociologie, permaculture et non-violence nourrissent une réflexion renouvelée sur notre rapport à la Santé et au vivant.
Notre systĂšme de soins est Ă la croisĂ©e des chemins : consumĂ©risme transhumaniste toxique, administrĂ© par quelques multinationales ; ou mĂ©decine intĂ©grale et intĂ©grative qui met la nature, les professionnels du soin et les patients en lien, pour une sagesse du vivant. A nous de choisirâŠ
La crise du systĂšme de santĂ©, mise Ă nue par le Covid, est une des volutes de la crise systĂ©mique profonde que nous devons traverser. Quand tout pousse Ă dĂ©sespĂ©rer, quand des tutelles corrompues finissent dâachever nos institutions, ce livre est une porte vers lâĂ©mancipation, lâautonomie et la responsabilité » (page de couverture).
Si les analyses de Louis FouchĂ© nous paraissent substantielles tant par lâexpĂ©rience que par la culture de son auteur, nous ne les suivons pas sans rĂ©serve , mais surtout nous pouvons en contester lâinterprĂ©tation.
Certes, la corruption peut affecter de grandes entreprises, de grandes institutions publiques peuvent ĂȘtre sous influence, mais on ne peut en dĂ©duire nĂ©cessairement un plan concertĂ© visant Ă une domination mondiale. On pourrait davantage envisager une contagion des mentalitĂ©s : la propagation dâune culture techniciste et technocratique telle que lâauteur la dĂ©crit. Au total, nous ne disposons pas en ce domaine dâune expertise suffisante pour avancer des Ă©valuations.
Autre rĂ©serve : les propos de lâauteur sont empreints de passion, ce qui nous entraine et interpelle utilement, mais, dans ce mouvement, on peut regretter dây voir parfois des jugements offensants ou ce qui nous apparait comme des exagĂ©rations. Il serait toutefois dommage que ces quelques rĂ©serves nous empĂȘchent de saisir la portĂ©e de cet ouvrage qui nous apporte un Ă©clairage majeur sur des dĂ©rives redoutables en cherchant ensuite des pistes de rĂ©ponse dans une perspective constructive et gĂ©nĂ©reuse. Nous essaierons de rapporter ce livre, non en terme dâun examen systĂ©matique, mais en empruntant le chemin de lâauteur Ă travers des passages significatifs.
Lâapparition du Docteur FouchĂ© sur la scĂšne publique
Dans lâintroduction du livre, lâĂ©diteur explique son engagement en faveur de lâauteur et de son ouvrage. A quel titre le Dr Louis FouchĂ© a-t-il Ă©tĂ© entendu durant la pĂ©riode critique du Covid ?
« Ce ne saurait ĂȘtre strictement son expertise en anesthĂ©sie et rĂ©animation qui a interpellĂ© le public lors de ses prises de parole. Ce qui a Ă©tĂ© entendu, câest une synthĂšse et une mise en perspectives Ă la fois complexes et intelligibles, respectueuses de lâintelligence de chacun et humbles dans leur exposĂ©. Le fruit en somme de ce quâil avait patiemment additionnĂ© comme formations, expĂ©riences et rĂ©flexions, et qui venaient lĂ crĂ©er une entaille dans le narratif prĂȘt Ă consommer des discours officiels. Le docteur Louis FouchĂ© nâest pas apparu avec la crise, câest la crise qui a fait Ă©merger tout un travail de lâombre, des annĂ©es de lecture, de patience, dâassemblages de concepts, de regards croisĂ©s, de mises en applications pratiques et de tous les dĂ©tours qui les accompagnent⊠Et lorsque la parole Ă©merge, elle prend immĂ©diatement forme et rĂ©sonne diffĂ©remment aux oreilles, car elle a dĂ©jĂ modelĂ© le rĂ©el » (p 10).
Une expérience et une conscience des failles et des dysfonctionnements du systÚme de santé
De fait, câest bien avant la crise du Covid que le Dr Louis FouchĂ© a perçu les dĂ©rives du systĂšme de santĂ©. Et ces dĂ©rives allaient Ă lâencontre de la « nĂ©cessaire humanitĂ© dans le soin ». DĂšs 2017, il avait demandĂ© Ă sâinscrire dans un master II dâĂ©thique et anthropologie mĂ©dicales et il avait gagnĂ© en expĂ©rience dans les rencontres au cours de cette formation. Dans sa demande dâinscription, il avait clairement posĂ© les problĂšmes : « Dans mes multiples casquettes professionnelles, je butte sur de multiples incohĂ©rences permanentes. Je dois soigner, mais je dois surtout « faire des actes ». Je dois « faire des Ă©conomies ». Je suis Ă©garĂ© dans lâabsence de bien commun clairement identifiĂ© ⊠LâhĂŽpital est encombrĂ© de complications insolubles, induites par des gouvernances technocratiques, dont les rouages sont opaques et les finalitĂ©s inavouables. Le hiatus est de plus en plus flagrant entre un systĂšme de santĂ© qui industrialise le soin et la rĂ©alitĂ© que je perçois chaque jour de la rĂ©alitĂ© des patients . La Haute AutoritĂ© de SantĂ© le dit presque en ces termes : « Nous sommes lĂ pour liquider le modĂšle artisanal de la mĂ©decine ». « Epur », chaque jour, je constate que câest bien cet « artisanat » qui fait le soin . Câest bien la relation, et comment nous lâhabitons, bref, notre Ă©thique qui fait le soin, pas les « process » (p 23). Son mĂ©moire de fin dâĂ©tudes avait Ă©tĂ© bien apprĂ©ciĂ©. Il y dĂ©nonçait notamment « les ravages dâune idĂ©ologie entrepreneuriale numĂ©rique appliquĂ©e Ă la santĂ© humaine » et « la toute puissance algorithmique numĂ©rique en Santé » (p 25). Nous retrouverons ces thĂšmes tout au long du livre.
Une profession trop fermée
Louis FouchĂ© nous raconte comment il a ressenti durant sa formation de mĂ©decin un manque dâouverture. « Il serait bon dâavoir du recul . Et pourtant, tout mĂ©decin que je suis, je nâai jamais eu dâhistoire de la mĂ©decine dans mes cours de facultĂ©. Il nây a pas eu dâhistoire des sciences non plus. Pas dâĂ©pistĂ©mologie. Pas de questionnement sur lâhistoire du Vrai. Aucun retour sur les compĂ©titions Ă©conomiques ayant structurĂ© les marchĂ©s de la santĂ©. On y apprend la gĂ©nĂ©tique, la biophysique, la biochimie, la biologie molĂ©culaire. On nous apprend tous les dĂ©tails. Mais jamais, on ne nous donne une vue dâensembleâŠÂ ». Il y a lĂ un enfermement qui paraĂźt stupĂ©fiant. « Pas de philosophie, de sociologie ou de psychologie⊠Il nây a pas de regards croisĂ©s avec dâautres mĂ©decines⊠ ». Louis FouchĂ© ne se rĂ©sout pas Ă vivre et Ă penser dans cet univers clos. « Pourtant, il y a dâautres univers de soin, non ? Quâest-ce que la mĂ©decine ayurvĂ©dique indienne ? Quâest-ce que la mĂ©decine chinoise traditionnelle plurimillĂ©naire ?⊠Pourquoi les guĂ©risseurs africains connaissent-ils tous la botanique et les plantes qui guĂ©rissent ? Pourquoi quand il y a un malade, veulent-ils guĂ©rir tout entier le village ? Au fait, pourquoi nâapprend-on rien de la botanique et des plantes mĂ©dicinales ?… » (p 36). Aujourdâhui, Ă la suite de la crise du Covid, Louis FouchĂ© repose toutes ces questions et milite pour une mĂ©decine « intĂ©grale et intĂ©grative ».
Et il sâinterroge Ă©galement sur la maniĂšre dont la mĂ©decine sâest professionnalisĂ©e. A partir de lâexemple anglais, ne peut-on pas y voir plutĂŽt un corporatisation  ? (p 38). Lâauteur examine Ă©galement le cas amĂ©ricain. Au dĂ©but des annĂ©es 1900, au nom dâune certaine conception de la scientificitĂ©, le rapport Flexner prĂ©conise la « rĂ©organisation et la centralisation des institutions mĂ©dicales » au bĂ©nĂ©fice dâune « mĂ©decine mĂ©dicamenteuse ». Il en est rĂ©sultĂ© un recul du soin naturel, un poids croissant de lâindustrie pharmaceutique, un recul drastique du nombre de mĂ©decins (p 39-40). Ces diffĂ©rentes observations concourent Ă mettre en Ă©vidence aujourdâhui des manques et des dĂ©rives dans la profession mĂ©dicale. Dans sa veine radicale, Louis FouchĂ© Ă©crit : « La logique Ă lâĆuvre, câest la conquĂȘte mĂ©thodique des marchĂ© s⊠Nous sommes en train, de dĂ©truire le systĂšme de soin pour rĂ©attribuer le monopole du marchĂ© des soins aux multinationales de la finance et de la data ».
Une entrée en résistance
Face Ă lâĂ©pidĂ©mie de Covid, on observe un ensemble de rĂ©actions. Câest une situation complexe qui nâest pas exposable dans ce cadre. On notera seulement ici le choc ressenti par le docteur Louis FouchĂ© au vu de certaines directives sanitaires. « Ce qui Ă©tait racontĂ© par le pouvoir et les mĂ©dias ne correspondait pas Ă ce que je constatais dans mon service de rĂ©animation. Intubez prĂ©cocement. Mais les malades survivaient mieux si je les laissais sans ventilation invasive⊠Pas de traitement prĂ©coce. Mais tous ceux qui en avaient eu un guĂ©rissaient mieux. Les pontes avaient donnĂ© des consignes. Constat de rĂ©alitĂ©Â : ils avaient 40% de lĂ©talitĂ© dans leur rĂ©animation quand nous en avions 5 Ă 20% en faisant autrement . Et pourtant, on nâa pas pu en parler Aucune possibilitĂ© de communiquer. Ils ont raison. Tais-toi. Point Ă la ligne. Pas de discussion » (p 30). Nous voyons en la rĂ©action du docteur FouchĂ© une exigence de conscience. « Il y eu un appel Ă parler. Une injonction Ă dire. Si toi, au contact des malades en rĂ©animation, tu ne dis pas⊠Qui diras ? Alors, jâai criĂ© ce que je voyais . Et puis jâai criĂ© Ă lâaide. Et le plus surprenant, ça a Ă©tĂ© dâen trouver ⊠Et nous avons essayĂ© de nous entraider. Nous avons essayĂ© de comprendre. Nous nâavons pas renoncé » (p 31). En consĂ©quence, le docteur Louis FouchĂ© a Ă©tĂ© sanctionnĂ©. Il a Ă©tĂ© contraint Ă la suspension, Ă lâĂ©tĂ© 2021.
La disruption, entraine une rupture
Notre sociĂ©tĂ© est caractĂ©risĂ©e par un changement technique accĂ©lĂ©rĂ© (2) lequel entraine lâĂ©conomie et influe sur la vie sociale. Lâauteur accorde une grande attention aux effets des ruptures qui peuvent ainsi intervenir en les caractĂ©risant sous le terme de disruption. « La disruption est lâaccĂ©lĂ©ration sans prĂ©cĂ©dent du rythme de la mutation technique. Il en rĂ©sulte une incapacitĂ© pour le groupe dâen contrĂŽler les usages et les rĂšgles. Corollairement, les systĂšmes techniques et leurs maitres (la classe des banquiers, des ingĂ©nieurs et des marchands) induisent la dislocation des systĂšmes sociaux et des individus » (p 66).
Louis FouchĂ© expose les mĂ©faits de disruption sous diffĂ©rents angles. Ainsi, sur le plan Ă©conomique, elle sâinscrit dans les thĂ©ories de Schumpeter . « Elles postulent que la destruction est crĂ©atrice⊠DĂ©truire, câest permettre de reconstruire. Câest faire changer de main la matiĂšre et donc gĂ©nĂ©rer du profit. Dans un postulat capitalistique, lâaccĂ©lĂ©ration de la rotation du capital⊠permet de gĂ©nĂ©rer du profit Ă lâinfini. Comprenez bien, car câest toute une Ă©conomie de la prĂ©dation sur les ressources sans cesse accĂ©lĂ©rĂ©e qui trouve lĂ une justification » (p 43). Cependant, lâinnovation disruptive se dĂ©veloppe dans une volontĂ© de pouvoir . Lâauteur y voit « la mainmise, sans partage, ni rĂ©gulation dâaucune sorte, sur un marché ». Et, selon lui, il y a tentative dâappropriation des « systĂšmes institutionnels rĂ©gulateurs ». Il y a donc lĂ une menace totalitaire. « La disruption correspond Ă une façon iconoclaste de considĂ©rer un Ă©cosystĂšme, en trouvant sa faille logicielle et organisationnelle, en vue dâen tirer le meilleur profit et dâeffondrer les organisations traditionnelles de ce systĂšme » (p 44-45).
Cependant, Louis FouchĂ© envisage Ă©galement les effets de lâinnovation de rupture accĂ©lĂ©rĂ©e, la disruption, sur les mentalitĂ©s et sur les valeurs quâelles portent. Le secteur de la santĂ© offre un exemple des chamboulements induits par lâaccĂ©lĂ©ration technique. Lâadoption dâune invention, dâune nouvelle technique requiert son acceptation par tous ceux qui sont concernĂ©s. « Un nouveau systĂšme technique doit ĂȘtre « mĂ©tabolisé » par un groupe socio-culturel pour en faire jaillir le meilleur bien commun. Le groupe socio- culturel et les individus se trouvent transformĂ©s au passage. Dans la disruption, le rythme de mutation technique accĂ©lĂ©rĂ© empĂȘche ce mĂ©tabolisme » (p 71). Si la mutation technique dĂ©passe les capacitĂ©s adaptives, le « Nous » se disloque . « La technique sâimpose au rĂ©el. Le groupe se retrouve « toujours en retard ». Et puisquâil est en retard, il perd sa capacitĂ© Ă rĂȘver le bien commun qui pourrait advenir. Il y a perte des repĂšres du « Nous », perte de sa raison dâĂȘtre » (p 77). A cet Ă©gard, Lois FouchĂ© peut nous fait part de son expĂ©rience en milieu hospitalier. Il y a constatĂ© lâimposition de rĂšgles mĂ©caniques et dâune uniformisation normative. «Quand les systĂšmes techniques visent Ă Ă©tablir une automaticitĂ© algorithmique des processus, il sâensuit une prolĂ©tarisation croissante des humains ». Les procĂ©dures se multiplient et lâartisanat se mue en routine. Lâauteur porte un regard critique vis Ă vis de processus qui visent Ă remplacer lâartisan par une chaine de montage, et puis de remplacer lâouvrier par des robots. Et, in fine, de remplacer le salariĂ© par des algorithmes de traitement de donnĂ©es de masse. Il faut Ă©radiquer lâimprĂ©vu. Et lâimprĂ©vu, câest le vivantâŠÂ » (p 73).
Si lâon en revient Ă lâĂ©pidĂ©mie du Covid, le docteur Louis FouchĂ© en garde lâamĂšre expĂ©rience dâun service de rĂ©animation bouleversĂ© par des rĂšgles technocratiques imposĂ©es dâen haut sans aucune pertinence par rapport Ă la rĂ©alitĂ© des patients. « Petit Ă petit, nous avons Ă©tĂ© expropriĂ©s de notre pratique mĂ©dicale » (p 77). En quelque sorte, la communautĂ© du « Nous » sâest disloquĂ©e et chacun a travaillĂ© dans lâisolement. « La disruption rĂ©sulte en la destruction du lien social et lâisolement progressif des individus atomisĂ©s » (p 79).
« Il y a dislocation du tissu social, destruction des appartenances et interdĂ©pendances antĂ©rieures, et mise en place dâune crispation totalitaire, pour tenter de maintenir, par la sclĂ©rose du mensonge, le Nous en effilochement » (p 81).
Technocratie et santé industrialisée
Le docteur Louis FouchĂ© ressent une pression technocratique grandissante et il en dĂ©crit les caractĂ©ristiques et les effets dans un chapitre : « Technocratie et santĂ© industrialisĂ©e » . Il entre dâemblĂ©e dans une interpellation au vif du sujet : « Pour planter le dĂ©cor : cette exclamation de M Claude Le Pen, professeur en Ă©conomie de la santĂ©, en 2014, au CollĂšge de France  : « Nous sommes lĂ pour liquider sans regret le modĂšle artisanal de la MĂ©decine » ». Dit autrement, commente lâauteur : « Nous sommes lĂ , nous Ă©conomistes de la santĂ©, reprĂ©sentant la Haute autoritĂ© de santĂ©, pour mettre en place un marchĂ© industrialisĂ©, normatif, rationalisĂ© et Ă©valuĂ© de production et de consommation de biens et services de soins. VoilĂ les ambitions des organisateurs du systĂšme de santé » (p 47). Et dĂšs lors, le pouvoir sâexerce dâen haut. La dĂ©cision politique se fond par ailleurs avec des motivations Ă©conomiques. « Le rĂ©gulateur officiel, en lâespĂšce lâEtat, prend en fait des dĂ©cisions sous lâinfluence dâun rĂ©gulateur occulte ». Selon Louis FouchĂ©, ce rĂ©gulateur occulte, « câest lâensemble des industriels du mĂ©dicament, des multinationales de la finance et de la data ». « Le lexique et les mĂ©thodes de rationalisation managĂ©riale et productiviste de lâindustrie sâimposent au soin » (p 50). « Il se produit lâenvahissement du champ sanitaire par le champ managĂ©rial et organisationnel qui entend plier Ă ses modalitĂ©s rationnelles, perfectionnistes, lâensemble des strates du monde des soignants » (p 51). Pourrait-il en rĂ©sulter un gain Ă©conomique ? Le commentaire de lâauteur ne va pas dans ce sens. « Car on assiste Ă une multiplication de la fameuse tarification Ă lâacte. Plus on rĂ©alise dâactes, plus on gagne de lâargent⊠Il se produit une augmentation inarrĂȘtable des actesâŠÂ » (p 51). Lâauteur dĂ©crit la dĂ©rive financiĂšre et incrimine le profit que certains en retirent. Dans cette Ă©volution, le rĂŽle des mĂ©decins se dĂ©grade : « Le systĂšme de santĂ© doit produire des soins industriellement avec efficience. Les soignants y deviennent des rouages dâune logique techno-industrielle et numĂ©rique. La Haute AutoritĂ© de santĂ©, haute et autoritaire, impose administrativement aux soignants une praxis conforme Ă une justification dâefficience et dâĂ©quitĂ©  » (p 54). « Lâadossement du systĂšme de soins Ă un systĂšme technique industriel rĂ©duit la pratique soignante au pilotage dâun systĂšme technique » (p 54). A lire ce livre, on ressent une impression de dĂ©shumanisation. Lâauteur se livre Ă une critique implacable dâun systĂšme oĂč les bonnes intentions sont dĂ©tournĂ©es et oĂč le pouvoir revient Ă un milieu animĂ© par des prĂ©occupations administratives, techniques et commerciales. Ce systĂšme apparait comme de plus en plus omniprĂ©sent, jusquâĂ influencer la production des savoirs. On se reportera Ă lâanalyse dĂ©taillĂ©e de la critique de Louis FouchĂ© qui, dans sa logique, peut paraĂźtre extrĂȘme. Il envisage un systĂšme oĂč « une interdĂ©pendance est inĂ©luctablement bĂątie par le modĂšle industriel entre le monde du soin et le monde marchand de production technique des remĂšdes et des savoirs » (p 59).
Lâexpansion du numĂ©rique
Nous assistons aujourdâhui Ă une expansion massive du numĂ©rique. Comment ne pas en percevoir aujourdâhui les innombrables bienfaits ? Bien sĂ»r, il y a toujours un revers de la mĂ©daille.
En garde vis-Ă -vis de lâaccĂ©lĂ©ration technique, Louis FouchĂ© analyse la part dâeffets nocifs de la numĂ©risation dans le domaine de la santĂ©. « Les prĂ©mices dâindustrialisation formelle du soin ont permis la remise en cause de lâutilitĂ© mĂȘme de lâhumain comme agent du Soin. LâidĂ©ologie dominante propose dĂ©sormais le modĂšle dâune SantĂ© fondĂ©e sur le traitement algorithmique du big data numĂ©rique . Il sâagit en lâespĂšce dâaccĂ©der encore Ă un surcroĂźt automatisĂ© dâefficacitĂ© logistique opĂ©rationnelle » (p 87). La disruption numĂ©rique vient porter atteinte Ă la praxis des soignants. « Les soignants comme les soignĂ©s sont pris de vitesse par une technique qui vise lâefficience et le profit comme premiĂšres ciblesâŠÂ » (p 97). Les reproches de lâauteur vis-Ă -vis de effets de lâirruption du numĂ©rique dans le systĂšme de santĂ© sâinscrivent dans une critique radicale dâ« un monde rationalisĂ© automatique » et de la menace totalitaire correspondante. Et il prend pour cible lâutopie du philosophe anglais Hobbes qui « avait proposĂ© que la citĂ© idĂ©ale soit comme un mĂ©canisme dâhorlogerie oĂč tous les rouages sâimbriquent sans heurt⊠jubilation perfectionniste et mĂ©caniciste qui voudrait que lâerreur disparaisse. Ce monde automatique Ă la « nous sommes tous des rouages » (p 98).
La menace de lâidĂ©ologie transhumaniste
Certes, nous traversons aujourdâhui une crise profonde, si profonde quâelle est qualifiĂ©e dâ« agonique » par Louis FouchĂ©. Et il impute cette crise Ă une idĂ©ologie dĂ©signĂ©e comme « transhumaniste » Le transhumanisme est une forme rĂ©itĂ©rĂ©e de « lâhubris des philosophe grecs » « VolontĂ© de puissance, folie des grandeurs, il sâest donnĂ© pour objectif de dĂ©truire la part faillible et fragile en lâhumain pour faire advenir le transhumain en perfection » (p 32). « Le transhumanisme est une idĂ©ologie. Sa rationalitĂ© est tout entiĂšre tenue Ă faire advenir un monde automatique oĂč lâhumain augmentĂ© serait libĂ©rĂ© de la contingence » (p 32). Lâauteur voit dans la disruption qui bouscule lâhĂ©ritage du passĂ©, « le mode opĂ©ratoire de lâavĂšnement de lâidĂ©ologie transhumaniste ». Louis FouchĂ© perçoit ainsi une menace globale : « Transhumanisme, mode opĂ©ratoire disruptif, outil transformatif numĂ©rique sont dans une mĂȘme gĂ©nĂ©alogie. Ces concepts rĂ©unis composent un antihumanisme radica l » (p 33). Il y a lĂ en quelque sorte une menace vis-Ă -vis de la nature humaine : « Le transhumanisme vient tuer le vivant en nous » (p 34). « Peut-on combattre cette rationalitĂ© de la perfection lisse au nom de lâattachement Ă un humain faillible, souffrant, mais digne et bien vivant » (p 34).
Un monde qui sâĂ©gare ?
Câest Ă partir de sa condition de mĂ©decin anesthĂ©siste, de mĂ©decin hospitalier que le Docteur Louis FouchĂ© a pris conscience des perturbations qui affectent notre sociĂ©tĂ© Ă partir de lâexemple des problĂšmes du systĂšme de santĂ©. Et plus prĂ©cisĂ©ment, la dĂ©faillance de ce systĂšme visâĂ -vis de la crise du Covid a jouĂ© pour lui un rĂŽle de rĂ©vĂ©lateur. En conscience, il est entrĂ© en rĂ©sistance. Mais, Ă partir de lĂ , sa rĂ©flexion sâest encore Ă©largie. Sa rĂ©flexion dĂ©passe maintenant de beaucoup la situation du systĂšme de santĂ©, elle porte sur lâĂ©volution de la sociĂ©tĂ© et de lâĂ©conomie. Son livre traite certes de lâagonie et du renouveau du systĂšme de santĂ©, mais ce thĂšme y est inscrit plus gĂ©nĂ©ralement dans une analyse de la crise Ă©conomique et sociale, et au delĂ encore, Ă©cologique. Son interpellation est radicale.
Il nous a semblé que nous ne pouvions pas ignorer cette interpellation, car elle correspond à des problÚmes majeurs de notre époque.
Certes nous gardons une rĂ©serve par rapport aux interprĂ©tations de lâauteur. Nous nâentrons pas dans un style trĂšs polĂ©mique oĂč la colĂšre affleure et sâexprime dans des accusations catĂ©goriques et des gĂ©nĂ©ralisations abusives. Entre autre : « Câest triste, mais lâhistoire de notre mĂ©decine, nâest quâune histoire de pognon et de pouvoirâŠÂ » (p 40) ou « Le mandat des directeurs dâhĂŽpitaux publics nâest pas que les gens soient bien soignĂ©s. Le mandat est de dĂ©truire lâhĂŽpital public pour faire advenir la e-santĂ© aux mains des multinationales de la data » (p 98). La vĂ©hĂ©mence de certains propos de lâauteur est contre productive.
Cependant, les menaces Ă©voquĂ©es par Louis FouchĂ© sont, au moins pour certaines, bien rĂ©elles. Ses analyses nous paraissent souvent pertinentes . Cependant, ce livre soulĂšve de grandes questions. Dâune part les dĂ©rives actuelles ne sont souvent que lâamplification de phĂ©nomĂšnes plus anciens. Ainsi, la dĂ©sappropriation des travailleurs de leurs pratiques de travail, la sĂ©paration entre direction, conception et exĂ©cution, remontent au XIXe siĂšcle. Le mĂȘme problĂšme se pose Ă lâĂšre du numĂ©rique. Et, de mĂȘme, dans le registre Ă©cologique, le pillage de la planĂšte est une rĂ©alitĂ© de longue date. Face Ă des tendances qui sâinscrivent dans la longue durĂ©e, comment changer de cap et changer de cap rapidement . Des philosophes et des sociologues sâexpriment Ă ce sujet (3). Mais le problĂšme est aussi spirituel. Câest bien le cas lorsquâon doit faire face Ă la montĂ©e de lâ« hubris ». Dâautre part, de grands changements comportent Ă la fois une part positive et une part nĂ©gative. Comment pourrait-on mĂ©connaitre les apports du numĂ©rique ?
Louis FouchĂ© nâest pas indiffĂ©rent Ă ces questions puisque, dans la derniĂšre partie de son livre, il esquisse des pistes de renouveau.
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Sortir de lâimpuissance
Conscient des pĂ©rils, cette lecture nous enseigne parfois dâautres menaces. La radicalitĂ© des propos de Louis FouchĂ© nous indiquent peu de points dâappui dâautant quâil induit de la suspicion vis Ă vis de nombreuses instances. Pourtant, dans la derniĂšre partie de son ouvrage, il communique sa vitalitĂ© en traçant de nombreuses pistes.
Dns une premiĂšre sĂ©quence, il apporte un Ă©tat des lieux . Câest le constat dâun sentiment dâimpuissance largement rĂ©pandu . Puisquâon constate que la technique ne rĂ©sout pas la souffrance, « il ne reste plus rien quâun ĂȘtre Ă la dĂ©rive sans abri et sans histoire. Lâindividu est dĂ©couplĂ© du rĂ©el, enchevĂȘtrĂ© dans dâinnombrables et factices rĂ©seaux sociaux numĂ©riques Il ne sait plus Ă©crire un rĂ©cit symbolique et social qui fasse sens. Le bout de la rupture entre le rĂ©el et sa narration est le totalitarisme numĂ©rique. Nous y sommes . Lost in Metaverse » (p 161).
AprĂšs avoir rĂ©itĂ©rĂ© sa critique dâun monde ultra technique oĂč lâhumain perd sa consistance, lâauteur sâengage dans une proposition. « Y a- il un renouveau salutaire ? VoilĂ ce que nous allons tenter dâexplorer dans cette derniĂšre partie. Rien ne sert de dĂ©monter Ă tout prix la faillite du systĂšme. La plupart de nos contemporain, intuitivement, la ressente dĂ©jĂ . Les souffrances psychologiques et relationnelles traversĂ©es aujourdâhui sont proprement faramineuses. Il suinte, dans tous les faux bonheurs consumĂ©ristes, une solitude, une tristesse et une angoisse Ă©touffantes⊠Dans les sociĂ©tĂ©s occidentales post-industrielles, coexistent Ă des niveaux variĂ©s, mais pour une majoritĂ© dâentre nous, une anxiĂ©tĂ© flottante sans objet, un mĂ©contentement flottant sans objet, une perte de sens Ă lâexistence et au travail, une perte de lien social et un isolement individualiste » (p 152). Cet Ă©tat induit une fragilitĂ© sociale et politique. « Ces conditions rĂ©unies sont le terreau dâun mĂ©canisme de masse totalitaire ». Cette insatisfaction peut se focaliser sur un objet commun dans un nous collectif.
Cependant, nous dit Louis FouchĂ©, il ne suffit pas de comprendre en adoptant la posture dâun spectateur. Cette posture induit « une aspiration par la sociĂ©tĂ© du spectacle  » (p 153). Il y un autre Ă©cueil : « Certains sont tentĂ©s de baisser les bras ⊠Nous sommes impuissants quand nous somme isolĂ©s. Câest humain, mais câest une dynamique suicidaire. On doit se mettre en lien » (p 154).
A partir de son expĂ©rience dans ses rencontres au cours de la crise du Covid, Louis FouchĂ© peut encourager. Pendant cette crise, certains ont rĂ©agi. « Ils se sont rĂ©unis et ils ont accueilli leurs souffrances mutuelles. Câest le premier de tous les mĂ©canismes thĂ©rapeutiques : lâĂ©coute empathique. Avant mĂȘme dâagir, savoir quâon nâest pas seul, quâon nâest pas fou, est le dĂ©but de la mise en action » (p 156). Lâauteur appelle à « aller vers le lien et lâappel du RĂ©el ». « RĂ©ussir Ă sortir dâun paradigme oĂč lâon reste Ă contrĂŽler et prĂ©dire, pour aller vers lâimprĂ©vu de ressentir et sâajuster » (p 156). Louis FouchĂ© rapporte son action pour permettre lâexpression et le partage de nombreuses expĂ©riences positives en cours aujourdâhui, des alternatives innovantes : la rĂ©alisation dâun documentaire : « Tous rĂ©sistants dans lâĂąme ». « Un pas pour que les gens osent raconter la beautĂ© et la transformation en cours autour dâeux. Ce faisant, jâespĂšre quâĂ©mergera un autre rĂ©cit dominant que celui des multinationales » (p 156). Louis FouchĂ© examine les diffĂ©rentes motivations de nos actions. Et, par exemple, il Ă©voque la figure psychologique du triangle de Karpman : « des rĂŽles qui oscillent entre celui de victime et celui de bourreau en passant par celui de sauveur » (p 160). Pour sortir de ce triangle infernal, revenir Ă la souverainetĂ©. « Quâest ce qui est en mon pouvoir, et Ă quel endroit je peux agir juste pour faire advenir le monde que je veux ? » (p 161). Câest un appel Ă la responsabilitĂ©. « Il en va dans ces considĂ©rations sur lâespoir et la souverainetĂ© dâun enjeu de rĂ©enpuissancemen t. Il sâagit de reprendre sa puissance dâagir par un regard tournĂ© sur les enjeux et les responsabilitĂ©s. Il ne sâagit pas de vaincre. Il ne sâagit pas dâavoir raison. Il ne sâagit pas dâaller lutter contre. Il sâagit dĂ©jĂ de transformer ses propres attentes, son propre regard. Et de prĂ©cipiter dans la matiĂšre une action juste par un changement dâintentions, dâĂ©motions et dâespĂ©rances. « Be the change you want to see in the world » (Gandhi) (p 162).
Pistes dâaction
En fonction de ses analyses et de ses idĂ©aux, lâauteur nous propose des pistes dâaction dans plusieurs chapitres successifs : « agir juste, une affaire institutionnelle, une affaire technique, quelle gouvernance ? transformation culturelle et rĂ©cit positif ». En Ă©nonçant ces pistes, lâauteur sâinscrit dans lâhistoire dâun non conformisme et il cherche Ă Ă©viter le piĂšge de la rĂ©cupĂ©ration par un ordre social et technique omniprĂ©sent. Nous renvoyons Ă la lecture de ces chapitres.
Louis FouchĂš rappelle lâhistoire du machinisme au XIXe siĂšcle, oĂč les ouvriers se voyaient dĂ©possĂ©dĂ©s de leurs qualifications par lâarrivĂ©e des machines. Ils sây opposĂšrent dans le mouvement luddiste . « Lâirruption de la machine industrielle a suscitĂ© une dĂ©sappropriation⊠Au-delĂ des bĂ©nĂ©fices productivistes, et lâaccroissement du confort matĂ©riel Ă bas coĂ»t du consommateur, il y a la destruction dâune classe manufacturiĂšre » (p 165). Lâauteur pointe dâautres dĂ©sappropriations dans le monde dâaujourdâhui. Il Ă©voque des mouvements nĂ©oluddistes « rĂ©solument techno-critiques ». Le commentaire est nuancĂ©Â : « Lâaction sur le cours profond des choses peut sembler faible, mais elle participe Ă un Ă©veil des consciences sur les consĂ©quences de la technique habituellement tenues sous le boisseau » (p 169).
« La pratique de lâobsolescence programmĂ©e est « le recours Ă des techniques par lesquelles le responsable de la mise en marche dâun produit vise Ă en rĂ©duire dĂ©libĂ©rĂ©ment la durĂ©e de vie pour en augmenter le taux de remplacement  »⊠Concept machiavĂ©lique, sâil en est, des tenants de la destruction crĂ©atrice⊠Il porte en lui toute lâabsurditĂ© du systĂšme capitaliste consumĂ©risteâŠÂ » (p 170). Cependant, face Ă cette absurditĂ©, la riposte est dĂ©cisive. En France, en 2015 , lâobsolescence programmĂ©e est devenue un dĂ©lit entrainant jusquâĂ deux ans de prison. Surtout, « il y a une source immense dâespoir : lâavancement dâune culture de la pĂ©rennitĂ© matĂ©rielle . Les pays en voie de dĂ©veloppement, comme de trĂšs nombreux mouvements Ă©cologistes ou de bon sens, privilĂ©gient le rĂ©usage, le recyclage et la rĂ©paration. Paradoxalement, le meilleur outil de diffusion de cette culture est justement la technique numĂ©rique moderne. Aujourdâhui des sites internet entiers sont consacrĂ©s aux low-tech lab, aux recycleries, aux ressourceries qui voient le jour un peu partout » (p 171).
Lâauteur Ă©voque Ă©galement le boycott . « Les mouvements dâaction collective de consommateurs visant Ă inflĂ©chir le comportement dâune entreprise ou dâune institution sont prometteurs. Ils permettent de rĂ©Ă©quilibrer les rapports de force entre une communautĂ©, ses tutelles et les entreprises marchandes » (p 176). Il y a une histoire du boycott, tel le boycott rĂ©ussi de la marche du sel engagĂ©e en 1930 par Gandhi en Inde . Mais comme le souligne lâauteur, il y a une condition prĂ©alable. « Le premier travail en amont du boycott et le plus essentiel est de rĂ©unir une communauté » (p 179).
Louis FouchĂ© constate quâon ne peut se passer de structures protectrices Ă condition quâelles soient participatives. « Les collectifs citoyens crĂ©ent des alternatives aux structures institutionnelles dĂ©faillantes ou dĂ©shumanisĂ©es. Mais ces alternatives ne doivent pas rester des alternatives. Elles doivent dessiner les contours dâune institution dĂ©sirable » . Il faut travailler Ă permettre que tous ceux qui veulent quitter le systĂšme puissent le faire. La question est posĂ©e sur diffĂ©rents registres, y compris la monnaie.
Lâauteur pose Ă©galement la question de la gouvernance . Au niveau national, des choix idĂ©ologiques conditionnent les politiques. Au plan international, lâauteur a conscience de la forte demande de rĂ©gulation internationale . Mais il redoute une corruption systĂ©mique. Des conditions doivent ĂȘtre posĂ©es. « Il est indispensables dâavoir des espaces et des institutions internationales, mais il faut bien dĂ©finir leur mandat. Leur rĂŽle est de permettre la rencontre, le dialogue et la nĂ©gociation, les coopĂ©rations, les Ă©changes⊠Elles ne sont quâune table qui permet la diplomatie ». Lâauteur est par contre trĂšs mĂ©fiant vis-Ă -vis des autoritĂ©s supranationales. « Il est, en revanche, probablement dangereux de vouloir fondre les cultures, les langues, les visions du monde dans un mĂȘme idĂ©al et sous un mĂȘme ordre lĂ©gislatif et social » (p 197).
Dans la transformation culturelle en cours, nous avons besoin dâun « rĂ©cit positif » qui puisse nous inspirer. La prise de conscience Ă©cologique fait bouger les lignes. Louis FouchĂ© Ă©voque ces changements Ă sa maniĂšre. Et il se rallie Ă la vision de la permaculture. « Dans le paysage Ă©cologique finalement trĂšs complexe, la permaculture semble bien la vision la plus sage et la plus intĂ©grale. La permaculture serait une façon de penser les problĂšmes dans une logique Ă©cosystĂ©mique » (p 206). Ces principes de rĂ©flexion issus dâune expĂ©rimentation agricole, de par leur nature Ă©cosystĂ©mique, ont touchĂ© tous les champs de lâactivitĂ© humaine. Lâauteur Ă©nonce ces principes (p 205) qui sâaccompagnent de « trois fondamentaux Ă©thiques : Prendre soin de la terre, prendre soin de lâhumain, partager Ă©quitablement ». La permaculture prend en compte les diffĂ©rents niveaux de rĂ©alitĂ© . « La logique Ă©cologique a conduit progressivement Ă penser les problĂšmes, en particulier sanitaires, comme des interactions Ă©cosystĂ©miques intĂ©grĂ©es complexes. Dans la permaculture, la notion dâĂ©cosystĂšme est centrale dans les rouages de comprĂ©hension. Câest une logistique plus exigeante et Ă©largie qui contient dĂ©jĂ en son sein une rĂ©gulation morale et un appel au non-rĂ©agir. La transformation est dĂ©jĂ en coursâŠÂ » (p 213).
Louis FouchĂ© nous fait part dâun exemple spectaculaire de lâapplication des principes permaculturels dans le domaine de la santĂ©. Câest lâentreprise Buurtzorg aux Pays-Bas, fondĂ©e par Jos de Blok en 2006 (4) . Avant Buurtzorg, le systĂšme de soins infirmiers aux Pays-Bas avait la mĂȘme trajectoire dâhyper-rationalisation bureaucratique de service de soins quâen France. Les infirmiers avaient en gĂ©nĂ©ral un planning Ă©tabli par le siĂšge pour optimiser leur temps de transport. Le patient nâavait pas dâinfirmier dĂ©fini. Les soins Ă©taient normalisĂ©s et le temps de rĂ©alisation de lâacte minuté⊠Ce systĂšme a gĂ©nĂ©rĂ© une insatisfaction grandissante chez les patients. Jos de Blok a quittĂ© ce systĂšme dĂ©personnalisĂ©. Il a mis en place une entreprise avec quelques amis en 2006⊠« Ils ont revu leurs façons de concevoir le soin. Au lieu de rĂ©aliser le soin prescrit par le mĂ©decin, ils ont commencĂ© par prendre une collation avec le patient et discuter avec lui de son rĂ©seau social et de ses besoins rĂ©els. Puis rapidement, ils ont entrepris de densifier le rĂ©seau dâaide autour des personnes et de valoriser leurs ressources propres âŠÂ ». Revenue Ă une raison dâĂȘtre qui faisait sens, sâĂ©tant rĂ©appropriĂ© sa façon de faire, lâentreprise a adoptĂ© « le systĂšme de petites Ă©quipes autonomes sans hiĂ©rarchie de maximum douze personnes, en charge localement dâautogĂ©rer leurs plannings, leur gouvernance, leur matĂ©riel, leurs dĂ©penses » (p 214-215). Lâentreprise sâest massivement dĂ©veloppĂ©e jusquâĂ regrouper 10 000 infirmiers . Un audit a montrĂ© que cette organisation faisait Ă©conomiser 40% des actes mĂ©dicaux prescrits, diminuait de 30% les hospitalisations en urgence⊠50% du temps paramĂ©dical Ă©tait Ă©conomisĂ©âŠÂ » (p 215).
Dans le mouvement de la pensĂ©e, « depuis la fin des annĂ©es 2000, a rĂ©Ă©mergĂ© lâidĂ©e des communs . Il sâagirait dâune voix mĂ©diane entre la propriĂ©tĂ© et le collectivisme⊠La proposition du mouvement des communs est une rĂ©appropriation des biens communs par les communautĂ©s locales ». Louis FouchĂ© Ă©voque les « communs de soin et de santĂ© intĂ©grant aussi bien les patients et les soignants Ă une Ă©chelle locale » (p 217).
Tout au long de ce livre, Louis FouchĂ© se confronte aux menaces engendrĂ©es par un modĂšle Ă©conomique marchand, mais aussi par celles quâil attribue Ă lâexpansion du numĂ©rique.
Cependant, les apports du numĂ©rique ne sont-ils pas considĂ©rables ? Comment pourrait-on les refuser ? Or lâauteur rĂ©pond Ă cette question dans une sĂ©quence : « la technique comme pharmakon » (p 186-189). « Pharmakon, câest le poison⊠et le remĂšde . LâidĂ©e du pharmakon correspond Ă celle des cornucopiens qui voient dans la technique une source dâabondance. Si la technique est le poison, elle devrait aussi le remĂšde⊠La technique va rĂ©soudre les problĂšmes quâelle a crĂ©Ă©s. » (p 186). Lâauteur est dubitatif vis-Ă -vis de cette prĂ©tention. « Je pense que nous avons atteint un seuil de contre-productivité ». « Pourtant, je dois le concĂ©der, la rĂ©sistance dans la crise du Covid nâaurait pas existĂ© sans les rĂ©seaux sociaux ». DĂšs lors, la rĂ©flexion se fait nuancĂ©e. « Ressentir et sâajuster, et non pas essayer dâimposer une utopie au rĂ©el . Nous en reparlerons avec la non-violence et la prudence. Quand tout sâeffondre, il sâagit de bĂątir ensemble une bulle de cohĂ©rence autour de nous pour passer lâĂ©preuve. Et pour la bĂątir, tous les morceaux intĂ©ressants du rĂ©el peuvent ĂȘtre rĂ©cupĂ©rĂ©s » (p 188). Cependant, Louis FouchĂ© met en garde vis-Ă -vis de « lâextension totalisante du numĂ©rique ». Il « dĂ©crie une utilisation pseudo-rationalisĂ©e de la technique, puisquâelle ne change pas lâintentionnalitĂ© fondamentale sous-jacente de ne jamais se heurter Ă la limite » (p 188). « En synthĂšse, une seconde vision du pharmakon est quâil faut utiliser la technique Ă de justes fins . Pour cela, il faut redonner une hĂ©tĂ©ronomie Ă la technique en travaillant sur les usages mis en place par les citoyens, puis sur les conceptions symboliques des crĂ©ateurs eux-mĂȘmes, sur leur intention. Ceci ne peut se lire en premiĂšre lecture quâen mettant des freins politiques et lĂ©gislatifs sur le pouvoir Ă©conomique » (p 193).
Vers un nouveau systÚme de santé
Dans ce livre, Louis FouchĂ© entre dans une nouvelle conception de la santĂ© et du soin qui sâinscrit dans « la logique permaculturelle », la logique Ă©cologique ; et de par son engagement lors de la crise du Covid, il est au cĆur des processus collaboratifs qui ont alors Ă©mergĂ©. Lâinnovation fleurit dans les marges. Un paysage nouveau est en train dâĂ©merger. Un horizon est en train dâapparaĂźtre. Louis FouchĂ© peut sâexclamer : « VoilĂ rien moins quâun systĂšme de santĂ© Ă Ă©tablir. Câest un magnifique dĂ©fi » (p 219).
La logique permaculturelle renouvelle note regard. Dâune certaine maniĂšre, les mouvements de mĂ©decine holistique , tels que proposĂ©s par les anthroposophes ou la plupart des ethnomĂ©decines traditionnelles, sont dans cette ligne lĂ . Il sâagit de concevoir lâhumain en interaction et intĂ©grĂ© dans le plus grand pour pouvoir lâaider Ă rester en santé⊠la coopĂ©ration des mĂ©decins est porteuse dâespoir, mais nĂ©cessite des outils dâĂ©valuation dâimpact pertinentsâŠÂ » (p 207).
Il est important de prendre en considĂ©ration tous les Ă©lĂ©ments. « Si vous comptez les kilos perdus dans les six mois post sleeve gastrectomie versus rĂ©gime seul chez un obĂšse, la sleeve gastrectomie va devenir la mĂ©thode de rĂ©fĂ©rence. Arracher et agrafer lâestomac sera meilleur Ă court terme que de crĂ©er un rĂ©seau social de qualitĂ©, de rĂ©Ă©duquer Ă une alimentation saine, de passer quelques lois interdisant aux industriels les distributeurs automatiques des ânutsâ, le sur-sucrage des produits prĂ©parĂ©s, de rĂ©flĂ©chir sur le contenu culturel, philosophique et spirituel de la personne avec lenteur et patience⊠LâobĂ©sitĂ© nâa pas Ă voir quâavec perdre des kilos dans le minimum de temps. Le cĂŽtĂ© obscur est toujours plus rapide, plus facile, plus tentant. Mais le cĂŽtĂ© obscur nâest pas le bon chemin » (p 208).
Câest la force des ethnomĂ©decines traditionnelles . Elles ont pour elles la sagesse du temps long . « Toutes ont en commun dâĂȘtre non scientifiques, hautement symboliques, trĂšs attachĂ©es Ă la dimension sociale et relationnelle du dĂ©sĂ©quilibre de santĂ©. Et toutes ont en commun de rechercher lâhomĂ©ostasie avec le monde. Elles rĂ©Ă©mergent et câest une chance ». Ainsi Louis FouchĂ© nous parle dâune rencontre oĂč « il y avait un ethnomĂ©decin chinois traditionnel, un mĂ©decin ayurvĂ©dique de PondichĂ©ry, un mĂ©decin de Daramsala en Inde en exil avec le DalaĂŻ Lama, un druide celtique, un guĂ©risseur africain ivoirien, un mĂ©decin anthroposophe, un homĂ©opathe, des mĂ©decins gĂ©nĂ©ralistes allopathiques, un anthropologue, un rĂ©animateur. Quelle richesse ! Quel foisonnement dâintelligences et de partages !… MĂ©decine lente et basse-technologie permaculturelle » (p 209).
Louis FouchĂ© rĂ©flĂ©chit Ă la maniĂšre permaculturelle de dĂ©penser le moins dâĂ©nergie pour le meilleur rĂ©sultat. Une pratique low-tech . Câest une orientation : « Refaire avec le sens clinique, avec lâobservation patiente. Redonner du sens Ă lâinterprĂ©tation du rĂ©el par le praticien. Jâavais ainsi proposĂ©, il y a cinq ans, la mise en place de projets mĂ©dicaux de rĂ©animation et dâanesthĂ©sie low-tech » (p 209). Lâauteur raconte comment un groupe dâinternistes Ă Paris sâest mis Ă donner un cycle de cours sur « les signes » aux mĂ©decins rĂ©animateurs. Leur parcours pĂ©dagogique visait Ă rĂ©habiliter les investigations au lit du malade, Ă resensibiliser Ă lâobservation clinique  » (p 210). Lâauteur rapporte comment lâhumain reprend ses droits par rapport Ă une pression techniciste. « En rĂ©animation, la sĂ©dation Ă©volue dâ un cocktail meurtrier Ă fortes doses dâhypnotiques, de morphiniques et de curares, encore utilisĂ©s par certains services arriĂ©rĂ©s, vers une sĂ©dation light oĂč le patient coopĂšre et participe au soin. A preuve, le Covid oĂč la ventilation et la prise en charge techniciste lourde ont dĂ©montrĂ© leur faiblesse et leur toxicitĂ© versus une approche physiologique peu invasive avec oxygĂ©nothĂ©rapie Ă haut dĂ©bit . Les dĂ©cisions de limitation thĂ©rapeutique sont dĂ©sormais prises en concertation avec les familles, le personnel et mĂȘme le patient⊠On utilise de plus en plus les critĂšres crĂ©Ă©s par les patients et non par les mĂ©decins. On utilise des « patients traceurs » pour aller regarder ce que lâĂ©valuation comptable ne sait pas regarder. Ils racontent leurs vĂ©cus dâhospitalisation et ouvrent des perspectives de progression inattendues puisquâils parlent tous des insuffisances du lien et de lâaccompagnement humain âŠÂ Au cĆur mĂȘme du monstre, il y a un Ă©lan, un appel Ă plus dâhumanitĂ©âŠÂ » (p 211-212).
Une culture de la coopĂ©ration commence Ă se dĂ©velopper. Ainsi « apparaissent de nombreuses initiatives de soin mettant en rĂ©seau des professionnels dâhorizons variĂ©s⊠La rencontre avec la mĂ©decine institutionnelle de tous ces acteurs est une condition de la survenue dâune mĂ©decine permacole. Les patients eux-mĂȘmes sont en train de monter en compĂ©tence de maniĂšre extrĂȘmement rapide. Les didacticiels, les formations en ligne, les ateliers se multiplient pour que les savoir-faire et les savoirs anciens soient transmis. Je constate avec un Ă©tonnement croissant que toute une partie de la population aspire Ă lâautonomie en SantĂ© et utilise des pratiques comme le Tai Chi, le Qi Gong, le yoga ou la mĂ©ditation. Il me semble que ce mouvement est dĂ©sormais prĂ©gnant et quâaucune multinationale au monde ne saura lâarrĂȘter » (p 210-211).
Ainsi, Louis FouchĂ© voit dans toute cette Ă©volution un profond changement de mentalitĂ© qui sâinscrit dans la montĂ©e de la culture Ă©cologique. « La logique Ă©cologique a conduit progressivement Ă penser les problĂšmes en particulier sanitaires, comme des interactions Ă©cosystĂ©miques intĂ©grĂ©s complexes . Dans la permaculture, la notion dâĂ©cosystĂšme est centrale dans les rouages de la comprĂ©hension. Câest une logique plus exigeante et Ă©largie qui contient dĂ©jĂ en son sein une rĂ©gulation morale et un appel au non agir » (p 213).
Cependant, dans ce contexte en mouvement, comment favoriser lâavĂšnement dâun nouveau systĂšme ?  « Pouvons-nous inventer des communs de soin et de santĂ© Ă des Ă©chelles locales intĂ©grant aussi bien les patients et les soignants, sans intervention de lâEtat ou des multinationales ? » Lâauteur en donne un exemple : « les Oasis Pleine Santé » qui sont en train dâĂ©merger. « En lien avec les collectifs locaux sur les territoires de Forcalquier et de Lyon, elles proposent un systĂšme de soins, avec une autre logique financiĂšre et sanitaire⊠Je participe Ă bĂątir patiemment et pierre par pierre, un rĂ©seau de ces initiatives locales bigarrĂ©es. Elles Ă©mergent des collectifs issus de la crise du Covid et des soignants suspendus comme des citoyens ayant Ă cĆur de retrouver leur autonomie en santĂ©. Le rĂ©seau qui se tisse doucement a pour nom : Une NĂŽtre SantĂ© . Il est articulĂ© avec RĂ©infoSantĂ© qui veut devenir une sorte dâuniversitĂ© citoyenne de crĂ©ation du savoir en SantĂ© pour le grand public » (p 217).
Et voici quâen quelques lignes, Louis FouchĂ© nous prĂ©sente sa vision dâun nouveau systĂšme de santĂ©Â : « Ălaborer du savoir, mettre en place une praxis des soins autonomes et avec un gouvernance locale. Proposer la coopĂ©ration de diffĂ©rents soignants autour dâun patient, avec le soutien Ă©conomique de toute la communautĂ© locale. Faire intervenir les patients eux-mĂȘmes dans les processus de salutogenĂšse comme cela a Ă©tĂ© fait souvent en pathologie psychiatrique et en addictologie⊠Revenir Ă des Ă©lĂ©ments de soin low-tech et Ă des outils de santĂ© façonnables localement. Conserver de notre mĂ©decine en effondrement ce qui fait sens comme lâanesthĂ©sie et la chirurgie. VoilĂ rien moins quâun systĂšme de santĂ© entier Ă Ă©tablir. Câest un magnifique dĂ©fi. Et il ne sera relevĂ© que par un Nous rĂ©conciliĂ©, en commun » (p 217-219).
Une aspiration spirituelle
Dans ce livre, Louis FouchĂ© nous interpelle : A quoi tenons-nous ? Quelle vie voulons nous vivre ? Nous croyons nous en relation ? « Les sociologues appellent parfois le rĂ©cit commun unifiant : « protension collective positive ». Il sâagit de trouver ce vers quoi le Nous a envie dâaller ensemble. Il sâagit de trouver les quelques valeurs, les quelques intentions qui rassemblent les Je atomisĂ©s en une humanitĂ© qui cherche Ă vivre ensemble » (p 221). Lâauteur Ă©nonce quelques-unes de ces valeurs. Il nous appelle Ă considĂ©rer la sociĂ©tĂ© dans laquelle nous vivons. Nous avons vĂ©cu pendant des dĂ©cennies dans un dĂ©veloppement Ă©conomique ininterrompu. Aujourdâhui, nous prenons conscience que la croissance ne peut ĂȘtre indĂ©finie. Les ressources sâĂ©puisent. Alors il nous fait envisager une dĂ©croissance. « La dĂ©croissance est une baisse du niveau de matĂ©rialitĂ© nĂ©cessaire Ă la vie humaine. Comment lâhomme sây adapte est toute la question » (p 221). Si nous restons dans une demande de « toujours plus », comme le monde ne pourra offrir ce « toujours plus », plus dure sera la chute (p 222). Si nous subissons une grande frustration, il y aura parallĂšlement de fortes tensions . « La dĂ©croissance subie promet la guerre de tous contre tous . Au contraire, la dĂ©croissance volontaire est un chemin non violent de transformation »⊠« La logique de la sobriĂ©tĂ© heureuse consiste Ă travailler sur le dĂ©sir individuel et collectif ». Lâauteur Ă©voque la pensĂ©e de Pierre Rabhi . « Dans lâensemble, il sâagit de travailler individuellement Ă un changement dans ses attentes par un retour aux besoins fondamentaux . Ce retour permettra de dĂ©finir clairement les prioritĂ©s. Il est entendu que la sociĂ©tĂ© dans son ensemble changera par cette augmentation de conscience individuelle. Lâimaginaire des dĂ©croissants rejoint celui de Gandhi dans sa cĂ©lĂšbre phrase : « Be the change you want to see in the world » (p 222 ). « La sobriĂ©tĂ© heureuse est souvent associĂ©e au concept dâ« insurrection des consciences » et « au pouvoir crĂ©ateur de la vie civile ». En cela, elle prĂ©tend Ă une portĂ©e Ă la fois spirituelle et politique » (p 222).
Mais avons-nous des exemples historiques dâun tel changement ? Louis FouchĂ© nous apprend quâeffectivement, « la dĂ©croissance volontaire a dĂ©jĂ Ă©tĂ© historiquement formulĂ©e et expĂ©rimentĂ©e. Lâexemple le plus cĂ©lĂšbre reste celui du christianisme dâĂ©tat de la fin de lâempire romain. Une partie de la classe aristocratique et bourgeoise dominante, lassĂ©e de ses orgies et de la vassalisation oppressive des colonies, dĂ©cide de poursuivre des objectifs non matĂ©rialistes. Elle revient de maniĂšre volontaire au dĂ©nuement. Les mouvements anachorĂšte, puis monastique ouvrent cette Ăšre mystique de la transition vers le Moyen Age » (p 223).
La question du rĂ©cit commun dĂ©sirable convoque nĂ©cessairement la question de la spiritualitĂ©. Certes, ce terme fait question pour certains embarrassĂ©s par des souvenirs religieux encombrants . Câest sans doute pourquoi le titre de ce chapitre est formulĂ© interrogativement : « EcospiritualitĂ© laĂŻque ? ». Cependant Louis FouchĂ© insiste : « Par nature, lâintention que je peux porter sur demain est de nature spirituelle. Je crois que lâOccident entre dans une Ă©poque franciscaine. Saint François dâAssise , câest celui qui a renoncĂ© Ă toutes les entraves du confort. Il est lâami de toute chose et de tout ĂȘtre. Dans les Fioretti et les principales priĂšres de François dâAssise, il y a une cosmogonie intĂ©grĂ©e de lâhomme avec lâunivers. La vie est sacrĂ©e. La CrĂ©ation est sacrĂ©e . Elle contient le divin dans chaque fibre de lâunivers et de chaque ĂȘtre » (p 224). Il y a lĂ une vision Ă lâopposĂ© du « cartĂ©sianisme Ă lâĆuvre dans lâimaginaire occidental depuis les LumiĂšres ».
« En synthĂšse, la SobriĂ©tĂ© heureuse est une protension collective positive pour amoindrir les consĂ©quences individuelles et collectives de lâeffondrement. Elle constitue un travail incontournable sur lâintention individuelle dont lâespoir est dâavoir une portĂ©e socio-politique. La crise que nous traversons est en train de recrĂ©er du SacrĂ© Ă tour de bras. Le vivant que lâon pourchasse partout au nom du profit et de lâefficience est sacrĂ© . Lâhumain est un ĂȘtre parmi dâautres, Ă nul autre pareil, dans un biotope dont il procĂšde et dont il a besoin. A vouloir le sacrifier, on le rend sacré » (p 225).
Ce chapitre se poursuit par lâĂ©loge de deux vertus : la prudence et la non-violence . Comme sagesse pratique appliquĂ©e, « La prudence cherche une juste mesure de lâaction dans lâincertitude et la contingence du rĂ©el ». Et, autre apport, « Dans lâaction comme dans la pensĂ©e, la prudence est lâintelligence du courage ». « La prudence est une sorte de sagesse conceptuelle de lâaction. La prudence indique la prĂ©caution Ă©lĂ©mentaire. Il y a aussi un petit air de lenteur dans les plis du concept. Une sorte de lenteur qui observe le rĂ©el avant de prendre sa dĂ©cision » (p 226).
Louis FouchĂ© sâexprime comme un adepte de la non-violence . Il nous en dĂ©crit lâesprit et la pratique. « Rien nâest jamais gagnĂ© ou perdu. LâarĂšne met simplement en place la nĂ©cessitĂ© dâune rencontre. Et lĂ nait le rapport de force. Celui qui amĂšne dans la danse la volontĂ© de lâautre est celui dont la volontĂ© est la plus stable. Elle reste au centre. Et lâautre reste dans mon centre. Si mon centre vacille, lâautre me balaie et mâeffondre. Quelle est ma volontĂ©Â ? Quel est mon centre ? Câest lâautre qui mâaide Ă le trouver. Câest par les attaques incessantes de lâadversaire qui cherche Ă me dĂ©tourner de moi-mĂȘme, que jâapprends qui je suis » (p 228).
Dans sa conclusion , Louis FouchĂ© reprend au dĂ©part son expression dâindignation en Ă©voquant une dĂ©chĂ©ance humaine. Et puis, le vent tourne. Louis FouchĂ© Ă©voque une parole motrice des « Dialogues avec lâange » : « Celui qui aide, parle. La parole de consolation et dâamour plane au dessus de vous. Sans lâAmour, rien ne peut sâaccomplir, ni Connaissance, ni Paix, ni FĂ©licitĂ©. La Connaissance Ă©claire, le Silence remplit, le Rayon apporte la chaleur, mais seul, lâAmour relie ». Alors, je dois Ćuvrer aussi fort que je peux, pour quâautre chose advienne⊠Pour que le courage tienneâŠÂ » (p 232-233). Louis FouchĂ© convoque la rĂ©sistance et il Ă©voque un processus dans lequel les hommes sâĂ©veillent et se rassemblent.
Ce texte nous donne accĂšs Ă lâidĂ©al de Louis FouchĂ©, Ă ce qui lâanime en profondeur. Câest une certaine vision de lâhumain, une maniĂšre dâenvisager la vie bonne âŠ
« On veille Ă lâhĂ©ritage. On chĂ©rit la beautĂ©. On contemple et on console le moribond qui meurt. On admire, on Ă©coute, avec intelligence, lâexpĂ©rience inĂ©dite que lâaĂźnĂ© nous partage. Tous entourent et cajolent ceux qui sont en souffrance. Celui qui souffre encore ne peut ĂȘtre seul. Les sages nous transmettent des vĂ©ritĂ©s cachĂ©es. On rĂ©tame. On rĂ©pare. Toujours, on rafistole⊠Et surtout, lâon maintient la prĂ©cieuse flamme, la joyeuse santĂ©. Le corps est une nef. Qui conduit au sacrĂ©. Des mystĂšres dĂ©livrent Ă tous des lumiĂšres. On initie chacun pour quâil soit dissemblable. Et, Je, unique au monde, sâassemble Ă la tribu. La fĂȘte est bouleversanteâŠÂ » (p 233-234). Dans cette inspiration poĂ©tique, nous voyons une inspiration spirituelle
A lâĂ©coute de questions de fond pour lâavenir de notre sociĂ©tĂ©
Nous dĂ©couvrons de plus en plus la diversitĂ© et lâampleur des crises qui affectent nos sociĂ©tĂ©s. En rĂ©ponse, la premiĂšre requĂȘte est dâen Ă©tudier le contexte et de comprendre les donnĂ©es correspondantes et quelles en sont les incidences et les interprĂ©tations. Câest ce que nous essayons de faire sur ce blog en toute modestie dans les limites de nos capacitĂ©s. Et, Ă chaque fois, nous nous demandons quel pas en avant nous pouvons rĂ©aliser, quelle ouverture proposer. Il y a des domaines oĂč nous ne aventurons pas parce que nous manquons des compĂ©tences correspondantes. Nous Ă©vitons Ă©galement les questions qui soulĂšvent des polĂ©miques exacerbĂ©es parce que ce contexte rend difficile une approche honnĂȘte et nuancĂ©e (5).
Nous avons donc beaucoup hĂ©sitĂ© Ă prĂ©senter le livre du docteur Louis FouchĂ© : « Agonie et renouveau du systĂšme de santĂ© ». Car, assurĂ©ment, lâauteur est trĂšs contestĂ©. Son engagement dans une opposition vis Ă vis des directives sanitaires officielles lors de la crise du Covid a suscitĂ© de vives critiques non seulement Ă lâendroit de ses positions, mais aussi, dans la guerre idĂ©ologique qui a fait rage jusquâĂ aujourdâhui, vis Ă vis de sa personne. Nous reportant Ă Wikipedia, nous nây avons pas trouvĂ© le portrait nuancĂ© que nous attendions, mais plutĂŽt un procĂšs gĂ©nĂ©ralisĂ© contre un mĂ©decin considĂ©rĂ© comme « un diffuseur majeur de fausses informations sur la crise sanitaire » (6). Cependant, lâĂ©coute des interviews en vidĂ©o nous a paru infirmer les opinions trĂšs nĂ©gatives circulant Ă son sujet (7). Certes, on pouvait naturellement ĂȘtre en dĂ©saccord sur certains points. On pouvait Ă©galement trouver son langage excessif et mĂȘme parfois choquant. Mais, le ressenti est Ă©galement important. Et ici, nous ressentions chez cet homme de lâhonnĂȘtetĂ©, du courage, de lâexpĂ©rience, de la compĂ©tence, une maniĂšre dâĂȘtre pouvant susciter de la sympathie.        Nous avons donc lu son livre. Cette lecture a Ă©veillĂ© une prise de conscience de la puissance avec laquelle un technicisme numĂ©risĂ© se rĂ©pand aujourdâhui et peut porter atteinte au bon sens humain. En Ă©tudiant le parcours du systĂšme de santĂ© en France, Louis FouchĂ© nous introduit dans des enjeux de civilisation, tant dans lâexamen des menaces que dans la perspective des opportunitĂ©s. Avec lui, nous dĂ©couvrons des dynamiques positives jusqu’Ă un Ă©clairage spirituel Ă la fin du livre. Nous ne nous sommes pas sentis autorisĂ©s Ă passer sous silence un ouvrage peu conventionnel, mais interpelant jusque dans son approche visionnaire.
La personnalitĂ© de Louis FouchĂ© est apparue au grand public Ă lâoccasion de lâĂ©pidĂ©mie du Covid . Il en va de mĂȘme pour le prĂ©facier de lâouvrage, le docteur Didier Raoult. Dans la peur quâelle a suscitĂ©e, lâĂ©pidĂ©mie a suscitĂ© un choc violent. Dans ce contexte, les directives sanitaires officielles se sont imposĂ©es. Elles ont Ă©tĂ© portĂ©es par les pouvoirs publics et par lâaccueil dâune majoritĂ© de la population. Des voix critiques ou contestataires nâont pas Ă©tĂ© entendues. Le camp majoritaire sâest imposĂ© dans une forme de guerre idĂ©ologique. Cependant, une rĂ©sistance est apparue en terme dâobjection de conscience. Aujourdâhui, le dĂ©bat autour de ces politiques est en train de sâouvrir. Le livre de Louis FouchĂ© est une contribution Ă ce dĂ©bat en lâinscrivant dans un cadre beaucoup plus vaste.
Cet ouvrage met en Ă©vidence la menace constituĂ©e par la montĂ©e dâun technicisme numĂ©risĂ© en phase avec une Ă©conomie capitaliste et un pouvoir marchand. La critique des abus de la technique avait dĂ©jĂ Ă©tĂ© portĂ©e par des auteurs comme Jacques Ellul et Ivan Illitch . Elle sâinscrit ici dans une actualitĂ© vive, mais elle se dĂ©ploie Ă©galement dans une analyse historique rejoignant le rejet du machinisme au XIXe siĂšcle. Puisque lâauteur, Ă juste titre, prend en compte le temps long, les questions que nous lui adressons, portent sur ce registre.
Certes, nous pouvons aujourdâhui percevoir la menace totalitaire dâun technicisme numĂ©rique sâexerçant dans le contexte dâun Ă©cart entre direction et exĂ©cution, de la puissance des Ă©motions mĂ©diatiques, du pouvoir de lâargent. Notre inventivitĂ©  pour rĂ©pondre Ă cette menace doit ĂȘtre dâautant plus grande que cette menace vient de loin en remontant le passĂ©. Il nous faut changer le cap et lâallure dâun grand navire. Sur le registre Ă©cologique, la question se pose de la mĂȘme façon. Et dâautre part, dans la dĂ©rive actuelle, nous ne devons pas oublier les acquis de lâĂ©volution passĂ©e : les libertĂ©s chĂšrement acquises par rapport aux oppressions politiques et religieuses (3), mais aussi les gains rĂ©alisĂ©s en rĂ©ponse Ă des besoins vitaux. Bref, il nous faut garder le sens des proportions.
Si, Ă partir de lâexemple du systĂšme de santĂ©, cet ouvrage nous montre une puissance destructrice Ă lâĆuvre, la pression de la « disruption », et si, en lâoccurrence, il envisage lâagonie et lâeffondrement de ce systĂšme de santĂ©, il sâachĂšve dans lâanticipation dâun renouveau. Lâauteur nous permet dâentrevoir ainsi les forces Ă lâĆuvre. Source dâespoir, il nous donne Ă voir quâun esprit nouveau est dĂ©jĂ lâĆuvre. Si elle nâa pas encore atteint les objectifs souhaitĂ©s, la pensĂ©e Ă©cologique est dĂ©jĂ Ă lâĆuvre et elle modifie la maniĂšre de poser les problĂšmes afin des les rĂ©soudre . Ainsi, « dans la pensĂ©e Ă©cosystĂ©mique, les problĂšmes ne sont plus seulement vus dans une perspective locale et immĂ©diate, mais sur lâensemble dâun systĂšme vivant dans le temps » (p 205). Issue dâun nouvelle maniĂšre dâenvisager la culture de la terre, la permaculture devient une approche mĂ©thodologique polyvalente. Louis FouchĂ© Ă©crit ainsi que « la logique permacultuelle promet de grands espoirs en SantĂ© si elle commence Ă ĂȘtre Ă©tudiĂ©e et appliquĂ©e » (p 207). Dans cet Ăąge du Vivant, nous changeons dâĂ©chelle, nous entrons dans une vision holistique .
Câest bien dans une vision relationnelle que se prĂ©sente aujourdâhui la spiritualitĂ©. Dans son livre pionnier : « Something there » (8), David Hay envisage la spiritualitĂ© comme « une conscience relationnelle  ». Une analyse de conversation avec des enfants montre combien ceux-ci se sentent reliĂ©s Ă la nature, aux autres personnes, Ă eux-mĂȘmes et Ă Dieu  ». Aujourdâhui, Ă la suite du grand thĂ©ologien JĂŒrgen Moltmann , dans la Communion Divine, lâEsprit Saint nous apparaĂźt comme « lâEsprit qui donne la vie ». « Dans les annĂ©es 1980 dĂ©jĂ , dans son livre : « Dieu dans la crĂ©ation », JĂŒrgen Molmann Ă©crit : « Si lâEsprit Saint est rĂ©pandu sur toute la crĂ©ation, il fait de la communautĂ© entre toutes les crĂ©atures, avec Dieu et entre elles, cette communautĂ© de la crĂ©ation dans laquelle toutes les crĂ©atures communiquent chacune Ă sa maniĂšre entre elles et avec Dieu » (9). « En Lui, nous avons le mouvement, la vie et lâĂȘtre » (Actes 1.28) ». Sa prĂ©sence est active pour susciter une humanitĂ© fraternelle (10) ; Câest dans le mĂȘme veine que se situait la thĂ©ologie de François dâAssise apprĂ©ciĂ©e par Louis FouchĂ©Â : « une cosmogonie intĂ©grĂ©e de lâhomme tissĂ©e avec lâunivers. La vie est sacrĂ©e. La CrĂ©ation est sacrĂ©e. Elle contient le divin dans chaque fibre de lâunivers et de chaque ĂȘtre » (p 224). « Le corps est une nef. Qui conduit au sacré » Ă©crit Louis FouchĂ© dans sa conclusion (p 234). Nâest-ce pas le respect de lâhumain qui inspire la rĂ©sistance de Louis FouchĂ© Ă lâencontre dâune emprise techniciste et mĂ©caniste Ă son encontre . « Le transhumanisme vient tuer le vivant en nous » (p 35).
J H
(1) Dr Louis FouchĂ©. Agonie et renouveau du systĂšme de santĂ©. Mirage dâune mĂ©decine algorithmique transhumaniste et frĂ©missement dâun retour au soin. Note de lâĂ©diteur. PrĂ©face par Didier Raoult. Exuvie, octobre 2022. Ce livre est prĂ©sentĂ© par son auteur dans une interview You Tube : « Origine et Ă©thique dâun mĂ©decin engagé » : https://www.youtube.com/watch?v=ynqcf5SwcMs
Louis FouchĂ© est Ă©galement lâauteur du livre : « Tous rĂ©sistants dans lâĂąme » (14 octobre 2021) et du film qui porte le mĂȘme titre
(2) Face à une accélération et à une chosification de la société : https://vivreetesperer.com/face-a-une-acceleration-et-a-une-chosification-de-la-societe/
(3) Des LumiĂšres Ă lâĂąge du vivant : https://vivreetesperer.com/des-lumieres-a-lage-du-vivant/
(4) A travers les mĂ©andres de lâhistoire, une humanitĂ© meilleure quâil nây paraĂźt : https://vivreetesperer.com/a-travers-les-meandres-de-lhistoire-une-humanite-meilleure-quil-ny-parait/
(5) Le courage de la nuance : https://vivreetesperer.com/le-courage-de-la-nuance/
(6) Wikipedia : Louis Fouché : https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Fouch%C3%A9
(7) Louis Fouché. Le nouveau monde. Intreview Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=ld_iQMzerjk
(8) La vie spirituelle comme une conscience relationnelle. Une recherche de David Hay sur la spiritualitĂ© dâaujourdâhui : https://www.temoins.com/la-vie-spirituelle-comme-une-l-conscience-relationnelle-r/
(9) Dieu vivant, Dieu prĂ©sent, Dieu avec nous dans un monde oĂč tout se tient : https://vivreetesperer.com/dieu-vivant-dieu-present-dieu-avec-nous-dans-un-univers-interrelationnel-holistique-anime/
(10) Il y en a assez pour chacun : https://vivreetesperer.com/il-y-en-a-assez-pour-chacun/
par jean | Avr 16, 2024 | Société et culture en mouvement |
Selon David Graeber et David Wengrow
Il y a différents possibles
Lâhistoire contribue Ă former notre vision du monde. Câest dire lâimportance des conceptions qui lâinspirent. Ainsi, quelle est la trajectoire de lâhumanitĂ©Â ? Passons-nous de petites communautĂ©s plutĂŽt Ă©galitaires et conviviales Ă une sociĂ©tĂ© plus savante, plus riche, plus complexe, mais aussi plus inĂ©galitaire et hiĂ©rarchisĂ©e ? Une violence humaine jugĂ©e congĂ©nitale ne peut-elle ĂȘtre maitrisĂ©e que par un ordre social imposĂ© rigoureusement ? Ou bien, lâobservation du passĂ© humain, ne fait-il pas apparaitre une grande diversitĂ© de formes et dâorganisations sociales qui tĂ©moignent dâune grande crĂ©ativitĂ©Â ? Une nouvelle approche historique permet-elle dâĂ©carter toute fatalitĂ© et dâenvisager diffĂ©rents possibles ?
En voulant rĂ©pondre Ă ces questions, un livre publiĂ© en 2021 sous le titre : « The dawn of everything. A new history of humanity », puis traduit et paru en français en 2023, sous le titre : « Au commencement Ă©tait⊠Une nouvelle histoire de lâhumanitĂ©  » (1) est devenu un best-seller international. Ce livre a Ă©tĂ© le fruit dâun travail de longue haleine de deux chercheurs : David Graeber , anthropologue amĂ©ricain, un temps figure de proue du mouvement : « Occupy Wall Street », malencontreusement dĂ©cĂ©dĂ© en 2020, et David Wengrow , archĂ©ologue britannique, professeur dâarchĂ©ologie comparĂ©e Ă Londres. Ce volume de plusieurs centaines de pages rassemble et rĂ©alise la synthĂšse des nombreuses recherches mises en Ćuvre durant les deux ou trois derniĂšres dĂ©cennies et tirant parti de nouveaux moyens techniques dâinvestigation.
A la mesure de son originalitĂ©, cet ouvrage a suscitĂ© un grand nombre de commentaires particuliĂšrement dans le monde anglophone, tant dans la grande presse comme le Guardian (2) ou le Washington Post (3) que dans des publications Ă vocation dâĂ©tude et de recherche, commentaires oĂč se manifestent diffĂ©rentes attitudes, de lâapprobation et lâenthousiasme Ă une critique variĂ©e tant acadĂ©mique quâidĂ©ologique. En France, internet nous donne accĂšs Ă un article de La Croix (4) qui met bien en valeur lâoriginalitĂ© de ce livre : « Il nây a pas une seule voie de civilisation qui condamnerait lâhumanitĂ© Ă vivre dans les inĂ©galitĂ©s et une institution politique hiĂ©rarchisĂ©e. Mais mille maniĂšres de crĂ©er des systĂšmes de vivre-ensemble qui peuvent passer par des organisations horizontales souples et cependant sophistiquĂ©es. Avant nos villes modernes, existaient ainsi, dans diffĂ©rents endroits du globe, de la MĂ©sopotamie Ă lâAmĂ©rique prĂ©colombienne, de vastes communautĂ©s aux relations complexes, qui ne se sont pas senties contraintes, pour subsister, de constituer un Ătat central avec des classes distinctes  ». Notre propos ici nâest pas de prĂ©senter un rĂ©sumĂ© dâun livre aussi volumineux, aussi riche et aussi ambitieux, mais seulement dâattirer lâattention sur la vision nouvelle qui nous est ainsi offerte. On notera Ă cet Ă©gard une interview de David Wengrow sur France Culture (5), une piste qui nous permet dâentrer dans lâesprit de cette recherche.
Histoire de lâhumanitĂ©Â : faut-il revoir notre copie ?
« Histoire de lâhumanitĂ© : faut-il revoir notre copie » ? Câest le titre donnĂ© par France Culture Ă un entretien avec David Wengrow (5), un titre qui nous parait bien rendre compte du sens de la grande Ćuvre qui nous appelle Ă voir lâhistoire de lâhumanitĂ© sous un jour nouveau en montrant le manque de pertinence des mythes fondateurs proposĂ©s par Jean-Jacques Rousseau et Thomas Hobbes, tant en les replaçant dans leur contexte historique quâen montrant comment les recherches novelles de lâarchĂ©ologie et de lâanthropologie mettent en Ă©vidence un autre dĂ©roulĂ© Ă partir de faits diffĂ©rents.
A un moment oĂč lâhistoire de lâhumanitĂ© est lâobjet de nouveaux livres par des auteurs tels que Francis Fukuyama ou Yuval Noah Harari , considĂ©rez-vous votre livre comme une nouvelle pierre Ă lâĂ©difice ou comme une approche de dĂ©construction des interprĂ©tations dominantes ? demande son interlocutrice Ă David Wengrow. Câest bien la voie de la dĂ©construction , rĂ©pond lâauteur. Ces livres rĂ©cents sâinspirent encore de Thomas Hobbes ou de Jean-Jacques Rousseau qui sont pour nous hors de propos selon les preuves et les dĂ©couvertes dans nos disciplines : lâarchĂ©ologie et lâanthropologie. Nous cherchons ainsi Ă mieux comprendre les premiĂšres phases de lâhistoire humaine. David Wengros dĂ©crit et critique les rĂ©cits fondateurs de Jean Jacques Rousseau et de Thomas Hobbes . Et, « lorsque des gens extrapolent des thĂ©ories politiques Ă partir de ces rĂ©cits, les rĂ©sultats sont plutĂŽt dĂ©primants et mĂȘme paralysants ». Ces rĂ©cits comportent des visions pessimistes.
Ainsi, lâinvention de lâagriculture est perçue nĂ©gativement. On a pu la qualifier de « pire terreur de lâhistoire ». « Câest de lĂ quâest venue la propriĂ©tĂ© privĂ©e et la concurrence et finalement le gouvernement centralisĂ©. Lorsquâon regarde les preuves issues de la recherche, nous voyons une rĂ©alitĂ© totalement diffĂ©rente. Tout dâabord, nous voyons, moins quâune rĂ©volution, des processus qui ont pris des millĂ©naires. Lorsque les ĂȘtres humains, dans les diffĂ©rentes parties du monde, expĂ©rimentaient les possibilitĂ©s de lâagriculture », des approches diffĂ©rentes se manifestaient. « En dâautres termes, ce qui est perdu dans ce rĂ©cit traditionnel de lâhistoire humaine, câest prĂ©cisĂ©ment la capacitĂ© de nos ancĂȘtres lointains de prendre la mesure de leurs propres dĂ©cisions . Nous essayons dâenlever ce sentiment dâinĂ©vitabilité ». David Wengrow estime que les sociĂ©tĂ©s humaines ont eu la capacitĂ© dâeffectuer des choix , des choix raisonnĂ©s, « des choix formĂ©s par des principes moraux et Ă©thiques. Aussi loin que nous pouvons remonter dans les preuves concernant les sociĂ©tĂ©s humaines, nous voyons des gens faire ce genre de choix ».
Lâauteur peut sâappuyer sur de nombreux exemples. « Lorsque nous remontons Ă 20000 ou 30000 ans, lĂ oĂč, selon les rĂ©cits traditionnels, on sâattendrait Ă voir de sociĂ©tĂ©s simples, Ă©galitaires, en petits groupes, dans ces parties du monde oĂč nous avons des preuves archĂ©ologique, ces sociĂ©tĂ©s ressemblent davantage Ă un carnaval, Ă des expĂ©rimentations sociales . Dans diffĂ©rentes parties de lâEurope, nous avons des preuves de rituels oĂč des individus particuliers, des individus qui Ă©taient inhabituels physiquement, on le voit dâaprĂšs les restes humains, des individus souvent handicapĂ©s, sont enterrĂ©s avec une trĂšs grande richesse, comme des rois ou des reines. Le « comme si » est important parce que nous nâavons aucune preuve quâĂ lâĂ©poque, il puisse y avoir eu des royaumes. Et donc, au sein de cette zone de thĂ©Ăątre rituel , les gens expĂ©rimentaient et crĂ©aient des formes, des hiĂ©rarchies qui, dans la durĂ©e de ce rituel, Ă©taient rĂ©elles ». Lâauteur met en Ă©vidence des variations saisonniĂšres. Par exemple, dans les plaines de lâAmĂ©rique du nord, au cours de la saison de la chasse aux bisons , se formait une force de police. Mais elle se dissolvait Ă la fin du rituel de la chasse. Les membres de ces forces de police nâen faisaient partie quâĂ titre provisoire. « Câest un exemple parmi beaucoup dâautres de la crĂ©ativitĂ© politique que nous trouvons dans les sociĂ©tĂ©s qui ne pratiquent pas lâagriculture ». Par ailleurs, Ă propos de lâapparition de lâagriculture ou celle des villes , « cette idĂ©e que ces transformations, ces ruptures, quâen quelques instants, tout avait changĂ©, et quâaprĂšs, rien ne pouvait fonctionner de la mĂȘme maniĂšre, cette idĂ©e ne tient plus la route face Ă lâexamen scientifique ».
Lâinterlocutrice interroge ensuite David Wengrow sur la maniĂšre dont il questionne le rĂŽle de lâĂ©tat quâon aurait surĂ©valuĂ©, en donnant trop dâimportance aux structures verticales. Cette organisation-lĂ ne dĂ©coule-t-elle pas directement de la naissance des villes ? Lâauteur rĂ©pond que « les musĂ©es ont une grande responsabilitĂ© Ă ce sujet. « Lorsquâon va dans un des grands musĂ©es du monde, au Louvre, au British Museum, au Metropolitan, il semble quâau moins pendant les 5000 derniĂšres annĂ©es, la planĂšte entiĂšre Ă©tait sous le contrĂŽle des monarques surhumains⊠toutes ces sculptures⊠Je suis le grand roi de tout⊠Bon, on y croit⊠mais si on regarde lâĂ©ventail des grandes sociĂ©tĂ©s sur terre, il y a 4000 ans, il nây avait quâune toute petite zone sous le contrĂŽle de ces sociĂ©tĂ©s trĂšs hiĂ©rarchisĂ©es. Que faisaient tous les autres ? On nâen sait pas grand-chose. On commence Ă en savoir plus et, dâune maniĂšre ou dâune autre, il est clair que, pour la plupart du temps, les gens organisaient leur sociĂ©tĂ© dâune autre façon. Ce que nous essayons dans le livre, câest dâapprendre un peu mieux quelles Ă©taient les alternatives et pourquoi aussi elles semblent Ă©loignĂ©es de nous aujourdâhui ».
Lâauteur sâintĂ©resse Ă©galement au cas de la bureaucratie . Certaines approches, sur le registre de la psychologie ou du management, nous disent que la bureaucratie a Ă©tĂ© crĂ©Ă©e pour traiter les problĂšmes dâĂ©chelle, de communication au sein des sociĂ©tĂ©s humaines « Toutefois, si nous considĂ©rons les recherches archĂ©ologiques nous voyons des administrations spĂ©cialisĂ©es qui apparaissent, il y a des millĂ©naires, avant lâapparition des villes dans de petits Ă©tablissements de quelques centaines dâindividus. Tout le monde se connaissait. Les gens Ă©taient probablement liĂ©s par des liens familiaux. Câest une image tellement diffĂ©rente de celle qui nous est donnĂ©e habituellement. Il faut faire la diffĂ©rence entre lâadministration impersonnelle telle que nous la connaissons aujourdâhui, ce genre de bureaucratie qui nous transforme en numĂ©ros de tĂ©lĂ©phone par exemple, et dâautres types de bureaucratie qui ont existĂ© dans lâhistoire et qui nâavaient pas ce type dâeffets dĂ©shumanisants ». Ainsi, en regard dâun empire inca bureaucratique, « si vous remontez avant les incas ou si vous considĂ©rez des sociĂ©tĂ©s qui ont Ă©vitĂ© dâĂȘtre contrĂŽlĂ©es par eux, il y avait des administrations locales et elles utilisaient des outils administratifs afin dâexercer des activitĂ©s de soutien. Si quelquâun Ă©tait malade ou si il y avait une mauvaise rĂ©colte, le travail serait redistribuĂ© pour soutenir une famille dans la disette⊠Câest un exemple dâadministration qui contrairement Ă aujourdâhui ne dĂ©personnalise pas, mais sâadresse aux diffĂ©rences individuelles ».
Lâinterlocutrice Ă©largit la conversation. Elle fait appel Ă un autre chercheur qui rapporte les erreurs commises en voulant imposer une monoculture ordonnĂ©e Ă une agriculture africaine diversifiĂ©e pour respecter les Ă©quilibres naturels, et Ă partir de cet exemple dâĂ©troitesse de vue, elle pose la question Ă David Wengrow : « Comment dĂ©centrer notre regard ? OĂč faut-il regarder aujourdâhui pour comprendre ce qui se passe dans lâhumanitĂ©Â ? ». Lâauteur rĂ©pond en sâappuyant sur lâexemple des sommets sur le climat : « Qui a la vision la plus claire et la plus innovante pour protĂ©ger un environnement fragile ? Câest souvent prĂ©cisĂ©ment les populations autochtones ». Aujourdâhui, « nous, en Europe, nous sommes en train de rejouer une rencontre avec des populations non europĂ©ennes avec des systĂšmes de connaissance non europĂ©ens qui ont dĂ©butĂ©, il y a des siĂšcles, et, dans notre livre, nous faisons remonter ces premiĂšres rencontres coloniales Ă lâĂąge des LumiĂšres, et nous montrons comment, Ă travers ces rencontres, un mĂ©lange sâest fait jour de concepts europĂ©ens et autochtones qui, essentiellement, a Ă©tĂ© effacĂ© de nos visions modernes de lâhistoire . Lorsque lâon parle des LumiĂšres et de son hĂ©ritage, nous prĂ©sentons cet hĂ©ritage comme une vision interne de ce processus qui se concentre sur lâEurope et peut-ĂȘtre aussi sur lâhĂ©ritage de la GrĂšce antique. En fait, dans le livre, nous parlons de dettes cachĂ©es, des dettes camouflĂ©es que la culture europĂ©enne doit Ă dâautres cultures . Le fait de reconnaitre ces dettes peut en soi ouvrir nos yeux vers diffĂ©rentes façons de comprendre notre passĂ© et aussi vers notre capacitĂ©, en tant quâespĂšce, de dĂ©couvrir de nouvelles capacitĂ©sâŠ. Lorsque on pense Ă des alternatives vis-Ă -vis de notre systĂšme actuel, on ferait bien de regarder au-delĂ de lâhistoire trĂšs traumatisĂ©e des deux derniers siĂšcles, prendre en compte cette image beaucoup plus large des capacitĂ©s humaines, des possibilitĂ©s humaines . La science et lâhistoire le prouvent aujourdâhui ».
Revisiter lâhistoire
De grands rĂ©cits historiques ont Ă©tĂ© Ă©crits Ă partir dâune certaine reprĂ©sentation des origines de lâhumanitĂ© et des pĂ©riodes ultĂ©rieures. Tel que lâexprime le titre de leur ouvrage : « Au commencement Ă©tait âŠÂ », câest bien Ă partir dâune remise en cause des reprĂ©sentations dominantes de ces origines et dâune nouvelle vision de la prĂ©histoire que David Graeber et David Wengrow nous proposent une nouvelle histoire de lâhumanitĂ©.
Les auteurs commencent donc par entreprendre une critique rigoureuse des thĂšses de Jean-Jacques Rousseau et de Thomas Hobbes . Les auteurs nous rapportent les conditions dans lesquelles Jean-Jacques Rousseau a Ă©crit et publiĂ© en 1754 « le discours sur lâorigine et les fondements de lâinĂ©galitĂ© parmi les hommes  ». « En voici la trame gĂ©nĂ©rale. Il fut un temps oĂč les hommes, aussi innocents quâau premier jour, vivaient de chasse et de cueillette au sein de tout petits groupes â des groupes qui pouvaient ĂȘtre Ă©galitaires justement parce quâils Ă©taient si petits. Cet Ăąge dâor prit fin avec lâapparition de lâagriculture, et surtout avec le dĂ©veloppement des premiĂšres villes. Celles-ci marquĂšrent lâavĂšnement de la « civilisation » et de « lâĂtat », donnant naissance Ă lâĂ©criture, Ă la science et Ă la philosophie, mais aussi Ă presque Ă tous les mauvais cĂŽtĂ©s de lâexistence humaine â le patriarcat, les armĂ©es de mĂ©tier, les exterminations de masse, sans oublier les casse-pieds de bureaucrates qui nous noient dans la paperasse tout au long de notre vie. Il va de soi que nous simplifions Ă outrance, mais on a bien lâimpression que ce scĂ©nario de base est lĂ pour refaire surface » (p 14).
Il existe une autre version de lâhistoire, mais « elle est encore pire ». Câest celle de Hobbes. « A bien des Ă©gards, le « LĂ©viathan » de Thomas Hobbes publiĂ© en 1651, fait figure de texte fondateur de la thĂ©orie politique moderne. Hobbes y soutient que les hommes Ă©tant ce quâils sont â des ĂȘtres Ă©goĂŻstes â lâĂ©tat de nature originel devrait ĂȘtre tout le contraire dâun Ă©tat dâinnocence. On y menait certainement une existence « solitaire, misĂ©rable, dangereuse, animale et brĂšve ». En dâautres termes, câĂ©tait la guerre â une guerre de tous contre tous , Pour les tenants de cette thĂ©orie, ce nâest quâaux dispositifs rĂ©pressifs dont Rousseau dĂ©plore justement lâexistence (gouvernements, tribunaux, administrations, forces de police) que nous en sommes sortis. La longĂ©vitĂ© de cette interprĂ©tation nâa rien Ă envier Ă celle de la vision rousseauiste⊠En vertu de cette conception, la sociĂ©tĂ© humaine repose sur la rĂ©pression collective de nos plus bas instincts, un impĂ©ratif qui se fait plus urgent Ă mesure que les populations se rassemblent en plus grand nombre au mĂȘme endroit⊠ » Et, au total, « les sociĂ©tĂ©s humaines, nâont jamais fonctionnĂ© selon dâautres principes que la hiĂ©rarchie, la domination et lâĂ©goĂŻsme cynique qui les accompagnent. Seulement, leurs membres auraient fini par comprendre quâil Ă©tait plus avantageux pour eux de faire passer leurs intĂ©rĂȘts Ă long terme avant leurs instincts immĂ©diats â ou mieux encore Ă Ă©laborer des lois les obligeant Ă cantonner leurs pires pulsions Ă des domaines qui revĂȘtent une certaine utilitĂ© socialeâŠÂ». (p15).
Les deux thĂšses, celle de Rousseau et celle de Hobbes nous paraissent dĂ©boucher sur des impasses en terme de rĂ©signation vis-Ă -vis des travers de lâinĂ©galitĂ© sociale et dâun hiĂ©rarchisation abusive . Dans le premier cas, la complexification de la sociĂ©tĂ© est censĂ©e entrainer des consĂ©quences nĂ©fastes. Dans le second cas, le mal est congĂ©nital. « Les deux versions ont de terribles consĂ©quences politiques » (p 16), Ă©crivent les auteurs. Mais leur opposition sâaffirme Ă©galement au niveau de la recherche anthropologique : « Elles donnent du passĂ© une image inutilement ennuyeuse. Elles sont tout simplement fausses  » (p 16).
Les auteurs rappellent alors les immenses progrĂšs de la recherche en ce domaine et comment ils ont rassemblĂ© les Ă©lĂ©ments ethnographiques et historiques accessibles. « Notre ambition dans ce livre est de commencer Ă reconstituer le puzzle⊠Un changement conceptuel est Ă©galement nĂ©cessaire . Il nous faut questionner la conception moderne de lâĂ©volution des sociĂ©tĂ©s humaines , Ă commencer par lâidĂ©e selon laquelle elles devraient ĂȘtre classĂ©es en fonction des modes de dĂ©veloppement dĂ©finis par des technologies et des modes dâorganisation spĂ©cifiques : les chasseurs cueilleurs , les cultivateurs, les sociĂ©tĂ©s urbaines industrialisĂ©es, etc. En fait, cette idĂ©e plonge ses racines dans la violente rĂ©action conservatrice quâa provoquĂ©e, au dĂ©but du XVIIIe siĂšcle, la montĂ©e des critiques contre la civilisation europĂ©enne » (p 17).
Cet ouvrage met en Ă©vidence un nouveau paysage. « Il est dĂ©sormais acquis que les sociĂ©tĂ©s humaines prĂ©agricoles ne se rĂ©sument pas Ă de petits clans Ă©galitaires. Au contraire, le monde des chasseurs-cueilleurs avant lâapparition de lâagriculture Ă©tait un monde dâexpĂ©rimentations sociales audacieuses, beaucoup plus proche dâun carnaval des formes politiques que des mornes abstractions suggĂ©rĂ©es par la thĂ©orie Ă©volutionniste . Lâagriculture, elle, nâa pas entrainĂ© lâavĂšnement de la propriĂ©tĂ© privĂ©e , pas plus quâelle nâa marquĂ© une Ă©tape irrĂ©versible dans la marche vers lâinĂ©galitĂ©. En rĂ©alitĂ©, dans bien des communautĂ©s oĂč lâon commençait Ă cultiver la terre, les hiĂ©rarchies sociales Ă©taient pour ainsi dire inexistantes . Quant aux toutes premiĂšres villes, loin dâavoir gravĂ© dans le marbre les diffĂ©rences de classe, elles Ă©taient Ă©tonnamment nombreuses Ă fonctionner selon des principes rĂ©solument Ă©galitaires , sans faire appel Ă de quelconques despotes, politiciens-guerriers bourrĂ©s dâambition ou mĂȘme petits chefs autoritaires » (p 16).
Ainsi, Ă partir de lâexamen dâun grand nombre de situations, les auteurs peuvent affirmer que « lâhistoire de lâhumanitĂ© est moins dĂ©terminĂ©e par lâĂ©gal accĂšs aux ressources matĂ©rielles (terres, calories, moyens de productionâŠ) si cruciales soient-elles, que par lâĂ©gale capacitĂ© Ă prendre part aux dĂ©cisions touchant Ă la vie collective â la condition prĂ©alable Ă©tant Ă©videmment que lâorganisation de celle-ci soit ouverte aux discussions ». Dâailleurs, sâexclament-ils, « cette facultĂ©Â dâexpĂ©rimentation sociale et dâautocrĂ©ation â cette libertĂ© en somme â nâest-elle pas ce qui nous rend fondamentalement humain ? » Les auteurs se perçoivent dans une dynamique. « Nous sommes tous des projets, des chantiers dâautocrĂ©ation collective. Et si nous dĂ©cidions dâaborder le passĂ© de lâhumanitĂ© sous cet angle, câest Ă dire de considĂ©rer tous les humains, par principe, comme des ĂȘtres imaginatifs, intelligents, espiĂšgles et dignes dâĂȘtre apprĂ©hendĂ©s comme tels ? Et si, au lieu de raconter comment notre espĂšce aurait chutĂ© de haut dâun prĂ©tendu paradis Ă©galitaire, nous nous demandions plutĂŽt comment nous nous sommes retrouvĂ©s prisonniers dâun carcan conceptuel si Ă©troit que nous ne parvenons plus Ă concevoir la possibilitĂ© mĂȘme de nous rĂ©inventer  ? » (p 21-22)
La « critique indigĂšne » comme ferment dâune rĂ©flexion nouvelle sur la sociĂ©tĂ© europĂ©enne et dâun nouveau rĂ©cit historique
Les auteurs consacrent un des premiers chapitres à « la critique indigĂšne et le mythe du progrĂšs ». DĂšs le dĂ©but du XVIIIe siĂšcle, parvient en France une information sur la vie et lâorganisation sociale des populations autochtones dâAmĂ©rique du Nord. En contraste apparaissent les maux de sociĂ©tĂ© française. Cette « critique indigĂšne » nourrit un bouillonnement dâidĂ©es. Une autojustification sâĂ©labore Ă travers lâattribution de ces maux comme contrepartie Ă la complexitĂ© de la « civilisation » et au « progrĂšs ».
Ce livre fait apparaitre le rĂŽle jouĂ© par la dĂ©couverte de civilisations Ă©trangĂšres et leur exemple dans lâĂ©laboration europĂ©enne de la pensĂ©e des LumiĂšres alors que celle-ci est
souvent prĂ©sentĂ©e comme une production interne. « Du jour au lendemain, quelques-uns des plus puissants royaume dâEurope se retrouvĂšrent maitre dâimmenses territoires. Les philosophes europĂ©ens, eux, furent subitement exposĂ©s aux civilisations chinoises et indiennes, ains quâĂ une multitude de conceptions sociales, scientifiques et politiques dont ils nâavaient jamais soupçonnĂ© lâexistence. De ce flux dâidĂ©es nouvelles naquit ce quâil est convenu dâappeler les « LumiĂšres » (p 47). Cependant lâattention des auteurs va se porter particuliĂšrement sur les relations avec les populations autochtones dâAmĂ©rique du nord , par lâentremise des colons et des missionnaires au QuĂ©bec. Câest dans ce contexte que « lâacadĂ©mie de Dijon a jugĂ© opportun de poser la question des origines de lâinĂ©galitĂ© qui a suscitĂ© le cĂ©lĂšbre Ă©crit de Jean-Jacques Rousseau. Cet Ă©pisode « nous plonge dans la longue histoire des dĂ©bats intra-europĂ©ens sur la nature des sociĂ©tĂ©s du bout du monde â en lâoccurrence celles des forĂȘts de lâest de lâAmĂ©rique du nord. Nombre de ces conversations renvoyaient dâailleurs Ă des Ă©changes entre europĂ©ens et amĂ©rindiens Ă propos de lâĂ©galitĂ©, de la libertĂ©, de la rationalitĂ© ou encore des religions rĂ©vĂ©lĂ©es . â des sujets dont beaucoup deviendraient centraux dans la philosophie politique des LumiĂšres » (p 49). Les Ă©crits des missionnaires jĂ©suites aux QuĂ©bec ont Ă©tĂ© largement diffusĂ©s en France et ils rapportent la pensĂ©e critique des amĂ©rindiens sur la sociĂ©tĂ© française, une critique dâabord centrĂ©e sur la façon dont les institutions malmenaient la libertĂ©, puis, aprĂšs quâils eussent acquis une meilleure connaissance de la civilisation europĂ©enne, sur lâidĂ©e dâĂ©galitĂ©. Si les rĂ©cits des missionnaires et la littĂ©rature de voyage Ă©taient si populaires en Europe, câest prĂ©cisĂ©ment quâils exposaient leurs lecteurs Ă ce type de critique, leur ouvrant de nouveaux horizons de transformation sociale » (p 57). Les auteurs exposaient en dĂ©tail les pratiques sociales des amĂ©rindiens qui amenaient ceux-ci Ă critiquer les comportements des colonisateurs. Ainsi, « dans ces Ă©changes, indiens dâAmĂ©rique et europĂ©ens Ă©taient dâaccord sur un constat : le premiers vivaient dans des sociĂ©tĂ©s fondamentalement libres, les seconds en Ă©taient trĂšs loin » (p 62).
Ce livre accorde une importance particuliĂšre Ă un français, Lahontan, qui Ă©tait entrĂ© en relation et en conversation avec un chef politique et philosophe indigĂšne, Kandiaronk . Or, Lahontan, de retour en Europe, publia trois ouvrages sur ses aventures canadiennes. « Le troisiĂšme, publiĂ© en 1703 , et intitulĂ©Â : « Dialogue avec un sauvage » se composait de quatre conversations avec Kandiaronk. Le sage Wenda y portait un regard extrĂȘmement critique sur les mĆurs et les idĂ©es europĂ©ennes en matiĂšre de religion, de politique, de santĂ© et de sexualité » (p 71-72). Il sây exprime notamment les reproches suivants : « les incessantes chamailleries, le manque dâentraide, la soumission Ă lâautoritĂ©, mais avec un Ă©lĂ©ments nouveau : lâinstitution de la propriĂ©té » (p 75). Ces Ă©changes sont nombreux et portent sur diffĂ©rents thĂšmes. Ainsi Kandiaronk fait ressortir lâattrait que la sociĂ©tĂ© amĂ©rindienne peut exercer sur les europĂ©ens : « Si Lahontan dĂ©cidait dâembrasser le mode de vie amĂ©rindien il sâen trouverait bien plus content, passĂ© un petit temps dâadaptation. (Il nâavait pas tort sur ce point : presque tous les colons adoptĂ©s par des communautĂ©s indigĂšnes ont refusĂ© par la suite de retourner vivre dans leur sociĂ©tĂ© dâorigine)  » (p 79). De fait, les livres de Lahontan ont connu un succĂšs considĂ©rable . Ils ont exercĂ© un grand impact. « Les rĂ©flexions de Kandiaronk nâont cessĂ© dâĂȘtre rĂ©imprimĂ©es et rĂ©Ă©ditĂ©es pendant plus dâune centaine dâannĂ©es et elles ont Ă©tĂ© traduites en allemand, en anglais, en nĂ©erlandais et en italien  » (p 82).
Cependant, dâautres Ă©crivains vantaient les aspects positifs dâautres pays exotiques. Ainsi, « Madame de Graffigny , cĂ©lĂšbre femme de lettres, publie en 1747 un livre populaire : « Lettre dâune PĂ©ruvienne  » oĂč lâon dĂ©couvre la sociĂ©tĂ© française Ă travers les yeux de Zila, princesse inca enlevĂ©e par des conquistadores espagnols⊠Zila critiquait tout autant le systĂšme patriarcal que la vanitĂ© et lâabsurditĂ© de la sociĂ©tĂ© europĂ©enne ». (p 83). Madame de Graffigny entra, Ă cette occasion, en correspondance avec plusieurs de ses amis, lâun de ses correspondants Ă©tait le jeune Turgot,  économiste en herbe, mais futur homme dâĂ©tat Ă la fin du siĂšcle avant la RĂ©volution française. Les auteurs mettent lâaccent sur sa rĂ©ponse, trĂšs circonstanciĂ©e et trĂšs critique. Câest lĂ en effet quâils voient apparaitre un rĂ©cit « oĂč le concept du progrĂšs Ă©conomique matĂ©riel a commencĂ© Ă prendre la forme dâune thĂ©orie gĂ©nĂ©rale de lâhistoire  » (p 83). Et les auteurs font ressortir leur pensĂ©e Ă ce sujet par un sous-titre trĂšs engagĂ©Â : « OĂč Turgot se fait dĂ©miurge et renverse la critique indigĂšne pour poser les jalons des principales thĂ©ories modernes de lâĂ©volution sociale (ou comment un dĂ©bat sur la libertĂ© se mue en un dĂ©bat sur lâĂ©galitĂ©Â ) ». Dans sa rĂ©ponse Ă Madame de Graffigny, Turgot Ă©crit : « Tout le monde chĂ©rit les idĂ©es de libertĂ© et dâĂ©galitĂ© (dans lâabsolu). Toutefois, il est indispensable dâadopter une vision plus globale. La libertĂ© et lâĂ©galitĂ© dont jouissent les sauvages ne sont pas les marques de leur supĂ©rioritĂ©, mais de leur infĂ©rioritĂ©., car elles ne peuvent rĂ©gner que dans des communautĂ©s oĂč toutes les familles sont fondamentalement autosuffisantes, câest-Ă -dire oĂč tout le monde vit dans un Ă©tat de pauvretĂ©. A mesure que les sociĂ©tĂ©s Ă©voluent, les technologies progressent. Les diffĂ©rences innĂ©es de talent et de capacitĂ©, qui existent partout et toujours, se renforcent pour former la base dâune division du travail de plus en plus Ă©laborĂ©e. On passe alors dâorganisations simples comme celle des Wendas Ă notre « civilisation commerciale complexe oĂč la prospĂ©ritĂ© de tous (la sociĂ©tĂ©) ne peut ĂȘtre obtenue que par lâappauvrissement et la dĂ©possession de certains . Si regrettable quâelle soit, cette inĂ©galitĂ© est inĂ©vitable⊠La seule alternative serait une intervention massive de lâĂtat Ă la maniĂšre inca â autrement dit lâinstauration dâune sorte dâĂ©galitĂ© forcĂ©e qui ne pourrait quâĂ©touffer lâesprit dâinitiative, et donc dĂ©boucherait sur une catastrophe Ă©conomique et sociale » (p 84). Quelques annĂ©es plus tard, Turgot allait prĂ©senter ces mĂȘmes idĂ©es au cours dâune sĂ©rie de confĂ©rences sur lâhistoire mondiale⊠Ces confĂ©rences lui offrirent lâoccasion dâapprofondir son argumentation en lui donnant la forme dâune thĂ©orie gĂ©nĂ©rale des phases de dĂ©veloppement Ă©conomique » (p 84-85). Ainsi, il distingue des stades successifs : les chasseurs, puis le pastoralisme, puis lâagriculture, enfin la civilisation commerciale urbaine moderne . « On voit bien que câest une rĂ©ponse directe Ă la force de la critique indigĂšne que furent Ă©noncĂ©es pour la premiĂšre fois en Europe les thĂ©ories de lâĂ©volution sociale⊠ » (p 85). Câest dans ce contexte que les thĂšses de Jean-Jacques Rousseau sont apparues et se sont dĂ©veloppĂ©es pour se maintenir ensuite lors de lâhistoire ultĂ©rieure.
Un grand apport
Notre vision du monde dĂ©pend, pour une part importante, de la maniĂšre dont nous reprĂ©sentons son histoire. On comprend pourquoi plusieurs livres ont Ă©tĂ© publiĂ©s rĂ©cemment dans ce domaine. Lâincidence de ces thĂšses sur les comportements nâest pas immĂ©diate, mais elle y contribue. Dans un monde oĂč le poids et lâimpact de structures dâoppression est grand, on peut avoir tendance Ă baisser les bras. Des institutions bien installĂ©es peuvent-elles ĂȘtre changĂ©es ? Sommes-nous enfermĂ©s dans des pratiques rĂ©pĂ©titives ? Face aux dangers actuels, la lenteur de nos rĂ©actions est-elle inĂ©vitable ?
Le livre de David Graeber et de David Wengrow est important parce que leur histoire de lâhumanitĂ© nous montre quâelle rĂ©vĂšle diffĂ©rents possibles .
« Ce que nous avons voulu faire, câest adopter une approche dans le prĂ©sent â par exemple en envisageant la civilisation minoenne ou la culture Hopewell non pas comme des accidents de parcours sur une route qui menait inexorablement aux Ătats et aux empires, mais comme des possibilitĂ©s alternatives, des bifurcations que nous nâavons pas suivies . AprĂšs tout, ces choses-lĂ ont rĂ©ellement existĂ© mĂȘme si nous avons lâindĂ©crottable habitude de les relĂ©guer Ă la marge plutĂŽt que de les placer au cĆur de la rĂ©flexionâŠÂ ». Ainsi, on peut nourrir dâamers regrets sur les Ă©vĂšnements tragiques qui ont abondĂ© dans notre passĂ©, mais il est bon de savoir quâil nây a pas de fatalitĂ© . « Les possibilitĂ©s qui sâouvrent Ă lâaction humaine aujourdâhui sont bien plus vastes que nous ne le pensons souvent ». Ne pouvons-nous pas rĂȘver positivement avec les auteurs ? : « Imaginons que notre espĂšce se maintienne Ă la surface de la Terre et que nos descendants dans ce futur, que nous ne pouvons pas connaĂźtre, jettent un regard en arriĂšre. Peut-ĂȘtre que des aspects que nous considĂ©rons aujourdâhui comme des anomalies (les administrations Ă taille humaine, le villes rĂ©gies par des conseils de quartier, les gouvernements oĂč la majoritĂ© des postes Ă responsabilitĂ© sont occupĂ©s par des femmes, les formes dâamĂ©nagement du territoire qui font la part belle Ă la prĂ©servation plutĂŽt quâĂ lâappropriation et Ă lâextraction) leur apparaitront comme des percĂ©es majeures qui ont changĂ© le cours de lâhistoire tandis que les pyramides ou les immenses statues de pierre feront figure de curiositĂ©s historiques. Qui sait ? » (p 659-660).
Certes, cette reprĂ©sentation de lâhistoire sera accueillie diffĂ©remment selon la vision du monde des lecteurs.
Dans la « Christian Scholarâs Review , Benjamin McFarland (6) reconnait lâoriginalitĂ© et lâimportance des dĂ©couvertes rapportĂ©es par David Graeber et David Wengrow. Son examen du livre sâopĂšre sur un registre scientifique, mais aussi un registre thĂ©ologique. A cet Ă©gard, il se rĂ©fĂšre Ă la thĂ©orie de RenĂ© Girard . « La violence mimĂ©tique est dissimulĂ©e et transfĂ©rable si bien quâil est difficile de la reconnaitre mĂȘme dans une histoire bien documentĂ©e  ». Il y a lĂ une question thĂ©ologique. Dans quelle mesure sommes-nous libres ? « Graeber et Wengrow mettent lâaccent sur la libertĂ©, mais nĂ©gligent la contrainte ». Cependant, comme chrĂ©tien, Benjamin McFarland est reconnaissant de ce que ce livre « restaure nos ancĂȘtres dans leur pleine humanité ». il estime que « ces exemples historiques pourraient aider lâĂ©glise Ă imaginer une communautĂ© radicalement diffĂ©rente. Les chrĂ©tiens peuvent apprendre des communautĂ©s Ă travers lâhistoire y compris les arrangements et les attitudes concernant lâargent et la technologie. Mais je suspecte toutes les sociĂ©tĂ©s humaines de cacher de lâoppression et de la violence (juste comme lâĂ©glise lâa fait historiquement et prĂ©sentement). Pendant deux mille ans, le blĂ© et lâivraie ont grandi ensemble ». Ajoutons ici une note personnelle : la lecture de cet ouvrage nous apprend quâil est impossible dâassigner des frontiĂšres Ă lâĆuvre de Dieu non seulement dans lâespace, mais dans le temps.
Pour notre part, lâapproche de David Graeber et David Wengrow ouvre des fenĂȘtres en mettant en Ă©vidence les expĂ©riences positives Ă travers lâhistoire et en mettant ainsi en Ă©vidence une gamme de possibles. En nous inspirant de la thĂ©ologie de lâespĂ©rance de JĂŒrgen Moltmann (6), nous excluons la fatalitĂ©, nous reconnaissons lâEsprit Ă lâĆuvre et nous accueillons le futur de Dieu inspirant le prĂ©sent.
« LâespĂ©rance eschatologique ouvre chaque prĂ©sent Ă lâavenir de Dieu. On imagine que cela puisse trouver sa rĂ©sonance dans une sociĂ©tĂ© ouverte au futur. Les sociĂ©tĂ©s fermĂ©es rompent la communication avec les autres sociĂ©tĂ©s. Les sociĂ©tĂ©s fermĂ©es sâenrichissent aux dĂ©pens des sociĂ©tĂ©s Ă venir. Les sociĂ©tĂ©s ouvertes sont participatives et elles anticipentâŠÂ ». Il y a bien lĂ une ouverture aux possibles.
Par dĂ©finition, une histoire de lâhumanitĂ© a pour consĂ©quence dâĂ©largir notre horizon. Mais, en lâoccurrence, câest particuliĂšrement le cas. En effet, cet ouvrage fait apparaitre des civilisations jusque-lĂ inconnues et surgir des modes de vie et des pratiques ignorĂ©es. Il donne droit de citĂ© Ă des groupes humains mĂ©connus. Il modifie nos angles de vue. Ainsi, il Ă©largit considĂ©rablement notre champ de vision .
Il intervient dans un contexte oĂč le dĂ©centrement du regard sâimpose. Nous sommes appelĂ©s Ă nous dĂ©faire dâun point de vue surplombant lâhistoire de lâoccident pour lâinscrire Ă une juste place dans lâhistoire du monde . Le mouvement est en cours. Des historiens sont en train de faire apparaitre des histoires mĂ©connues comme celle de lâAfrique par exemple.
Les phĂ©nomĂšnes de domination sont de plus en plus reconnus. Cet ouvrage apporte Ă ce mouvement une contribution majeure. Il accroit notre comprĂ©hension des peuples autochtones en AmĂ©rique du Nord et de leurs rapports avec les europĂ©ens et il nous appelle Ă revisiter lâhistoire du XVIIIe siĂšcle et de la pensĂ©e des LumiĂšres.
Il nous met Ă©galement en garde vis-Ă -vis des effets simplificateurs de cette pensĂ©e. Ce fut lâidĂ©e que les peuples traditionnels, « non modernes », ne pouvaient « avoir leurs propres projets de sociĂ©tĂ© ou leurs propres inventions historiques. Ces peuples Ă©taient forcĂ©ment trop niais pour cela (nâayant pas atteint le stade de la « complexitĂ© sociale ») ou bien vivaient dans un monde mystique imaginaire. Les plus charitables affirmaient quâils ne faisaient que sâadapter Ă leur environnement avec le niveau technologique qui Ă©tait le leur » (p 628).
Au total, cette grande Ćuvre nous montre une histoire nouvelle de lâhumanitĂ© qui met en valeur la crĂ©ativitĂ© sociale comme la crĂ©ativitĂ© technique de civilisations anciennes jusque ici oubliĂ©es, inconnues et mĂ©connues. Le texte, en page de couverture, nous invite Ă une lecture approfondie de ce livre en exaltant son originalitĂ© et sa portĂ©e : « Les auteurs nous invitent Ă nous dĂ©barrasser de notre carcan conceptuel et Ă tenter de comprendre quelles sociĂ©tĂ©s nos ancĂȘtres cherchaient Ă crĂ©er. Leur ouvrage dĂ©voile un passĂ© humain infiniment plus intĂ©ressant que ne le suggĂšrent les lectures conventionnelles. Un livre monumental dâune extraordinaire portĂ©e intellectuelleâŠÂ » (page de couverture).
J H
David Graeber. David Wengrow. Au commencement Ă©tait⊠Une nouvelle histoire de lâhumanitĂ©. Les liens qui libĂšrent, 2023, 745 p
The Guardian. The dawn of everything. https://www.theguardian.com/books/2021/oct/18/the-dawn-of-everything-a-new-history-of-humanity-by-david-graeber-and-david-wengrow-review-have-we-got-our-ancestors-wrong
Washington Post. The dawn of everything : https://www.washingtonpost.com/outlook/after-200000-years-were-still-trying-to-figure-out-what-humanity-is-all-about/2021/11/23/2b29ff86-4bc8-11ec-b0b0-766bbbe79347_story.html
La Croix. Au commencement était : https://www.la-croix.com/France/Au-commencement-etait-nouvelle-histoire-lhumanite-2021-12-11-1201189722
France Culture. Faut-il revoir notre copie ? Interview de David Wengrow : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-grande-table-idees/david-wengrow-7576492
JĂŒrgen Moltmann. Le Dieu vivant et la plĂ©nitude de vie : https://vivreetesperer.com/le-dieu-vivant-et-la-plenitude-de-vie/
par jean | Août 7, 2023 | ARTICLES , Emergence écologique |
Ecothéologie et pentecÎtisme
Dans la prise de conscience Ă©cologique, une nouvelle vision thĂ©ologique est apparue au point de porter un nom : Ă©cothĂ©ologie. Michel Maxime Egger nous en a montrĂ© les diffĂ©rents visages (1). Nous savons aussi comment le thĂ©ologien JĂŒrgen Moltmann a sous-titrĂ© son livre : « Dieu dans la crĂ©ation » paru dĂšs 1988 : « TraitĂ© Ă©cologique de la crĂ©ation » et poursuivi ensuite constamment son Ćuvre en ce domaine (2). En 2015, le pape François publie dans ce domaine une encyclique retentissante : « Laudato siâ » (3). Dans la derniĂšre dĂ©cennie, ce mouvement est Ă©galement apparu dans le champs pentecĂŽtiste, du moins chez certains thĂ©ologiens anglophones. Sachant lâexpansion actuelle du pentecĂŽtisme dans le monde, ce fait est important dâautant que certaines manifestations politiques du pentecĂŽtisme dans certains pays ont pu ĂȘtre contestĂ©es. A J Swoboda est pasteur et professeur de thĂ©ologie, notamment Ă la facultĂ© Fuller (4). Il se dĂ©clare un environnementaliste pentecĂŽtiste : « Le soin portĂ© Ă la crĂ©ation est un aspect intĂ©gral de lâĆuvre relationnelle du Saint Esprit dans le monde » (5). A J Swoboda a Ă©crit sur cette questions plusieurs livres qui font rĂ©fĂ©rence : « Tongues and trees. Towards a Pentcostal Ecological Theology » (6) ; « Introducing Evangelical Ecotheology. Foundations in Scripture, Theology, History and Praxi s ». Aussi a-t-il Ă©ditĂ© un recueil dâĂ©crits thĂ©ologiques : « Blood cries out. Pentecostals, Ecology and the Groans of Creation  » (Pentecostals, Peacemaking and Social Justice) (7).
Le âJour de la Terreâ
Lâinstauration dâun âJour de la Terreâ aux Etats-Unis en 1970, initiative suivie internationalement, tĂ©moigne dâune Ă©closion de la prise de conscience Ă©cologique. CâĂ©tait un jour de mĂ©ditation et dâaction pour restaurer la relation humaine avec la terre. Le fondateur et le visionnaire du âjour de la Terreâ fut John McConnell Jr . Dans son livre : « Blood cries out », (7) A J Swoboda nous dĂ©crit cette personnalitĂ© dans son parcours spirituel, nous signifiant par lĂ que la prĂ©occupation Ă©cologique a pu ĂȘtre prĂ©sente en quelquâun fortement marquĂ©e par une inscription familiale pentecĂŽtiste. Les parents de McConnell ont Ă©tĂ© membres fondateurs de la charte des assemblĂ©es de Dieu en 1914. Son propre grand-pĂšre fut mĂȘme un participant au grand rĂ©veil de la Rue Azuza Ă Los Angeles en 1906. Ainsi le âJour de la Terreâ a commencĂ© avec de fortes convictions religieuses. McConnell ,voyant la crise Ă©cologique Ă travers sa culture religieuse, « envisageait un jour oĂč les chrĂ©tiens pourraient montrer la puissance de la priĂšre, la valeur de leur charitĂ© et leur prĂ©occupation pratique pour la vie et les gens de la terre ». Ce rappel historique est une entrĂ©e en matiĂšre qui lĂ©gitime une approche thĂ©ologique pentecĂŽtiste de lâĂ©cologie.
Univers écologique et univers pentecÎtiste : tout est relation
Brandon Rhodes Ă©tait Ă©tudiant Ă lâuniversitĂ© dâOregon (Etats-Unis) et il y frĂ©quentait deux univers : lâĂ©cologie et le pentecĂŽtisme (6). Dans la communautĂ© pentecĂŽtiste, il se voit proclamer lâimportance de la relation : « Le Royaume de Dieu porte entiĂšrement sur les relations ». A travers leur vie ensemble, les Ă©tudiants pentecĂŽtistes « apprenaient Ă voir et Ă nommer lâĆuvre de lâEsprit dans leur vie et dans leurs relations quotidiennes ». Cependant, dans ses Ă©tudes en Ă©cologie, Brandon Rhodes sâĂ©veillait à « lâinterconnexion de toutes choses , comme les champignons qui sâemploient Ă constituer un rĂ©seau relai entre les arbres de la forĂȘt. Quand un feu, une sĂ©cheresse ou une tronçonneuse frappe un arbre, la forĂȘt entiĂšre en frisonne de conscience. En Ă©cologie, la relation, câest tout. Cette prise de conscience a profondĂ©ment influencĂ© la maniĂšre dont je voyais la terre ». « La CrĂ©ation brille de vie, de relation et dĂ©borde dâun saint mystĂšre ». « Avec le temps, cette rĂ©sonance entre lâĂ©cologie et le pentecĂŽtisme me devint tout-Ă -fait Ă©vidente. Le Royaume de Dieu porte entiĂšrement sur la relation et il en va de mĂȘme pour lâĂ©cologie. Le royaume de Dieu dans lâEsprit est Ă©cologique et vice versa. Je le ressentais dâune maniĂšre palpable dans cet environnement verdoyant des montagnes de lâOregon ».
A la recherche dâune rencontre entre la rĂ©flexion thĂ©ologique et lâexpĂ©rience
Brandon Rhodes constata pourtant que le pastorat pentecĂŽtiste percevait rarement la connexion entre les deux approches, et plus gĂ©nĂ©ralement la valeur de lâĂ©cologie. Ce fut donc avec joie quâil accueillit la parution du livre de A J Swoboda, un ouvrage qui Ă©tablissait un pont par dessus la division entre Ă©cologie et pentecĂŽtisme . Et, encore mieux, il rencontra lâauteur habitant dans le mĂȘme voisinage. Le livre de Swoboda : « Tongues and trees : toward a pentecostal ecological theology » formule sa thĂšse de doctorat pour un public plus large. Cependant, Brandon Rhodes sâinterroge sur le format acadĂ©mique qui peut donner lâimpression que le message descend dâen haut vers des rĂ©alitĂ©s sociales qui montent dâen bas. « Le dĂ©fi majeur pour Swoboda est de transmettre des idĂ©es acadĂ©miques de haut en bas vers une tribu Ă la base, celle de lâĂ©glise pentecĂŽtiste. A J Swoboda trace bien quelques pistes comme « imposer les mains Ă la terre pour sa guĂ©rison, ou bien prĂȘcher des eschatologies crĂ©ationnelles ». Mais Brandon Rhodes reste en partie sur sa faim.
« Un Ă©pilogue plus dĂ©veloppĂ© en terme de pratiques pentecĂŽtistes, expĂ©riences Ă©cologiques, incursions liturgiques, comportements mystiques Ă lâintention de lâĂ©glise locale aurait idĂ©alement arrondi ce travail ».
Un témoignage et un parcours de recherche
 Brandon Rhodes partage avec nous sa vision de foi. « Le pentecĂŽtisme, ce nâest pas seulement une maniĂšre de prĂȘcher, chanter, se rassembler et prier. Câest fondamentalement dĂ©velopper des cĆurs ouverts Ă lâactivitĂ© de lâEsprit. Câest une imagination active se demandant oĂč JĂ©sus peut ĂȘtre Ă lâĆuvre Ă travers lâEsprit ».
« Cependant ce comportement pentecĂŽtiste tournĂ© vers lâEsprit refuse dâĂȘtre commodĂ©ment institutionnalisĂ©, planifiĂ©, prĂ©emballĂ© pour une consommation ecclĂ©siale ».
« Swoboda semble appeler lâĂ©cothĂ©ologie Ă nourrir notre capacitĂ© de voir la crĂ©ation comme une arĂšne oĂč se montre la vie de Dieu. Si je le lis fidĂšlement en pentecĂŽtiste, il dĂ©sire nous amener Ă devenir des magiciens verts plutĂŽt que des Ă©cothĂ©ologiens â des guides mystiques Ă mĂȘme de nous faire voir la magie dont ce monde est abreuvĂ© par le Saint Esprit. LâEsprit holistique, baptisant la crĂ©ation, vers oĂč « Tongues and Trees » dirige le pentecĂŽtisme, est vivant et actif dans le monde ». Brandon Rhodes nous appelle « Ă avoir des yeux pour le voir et Ă rĂ©pondre dans la repentance ».
Aperçus
 Suite à son analyse, Brandon Rhodes présente un résumé détaillé du livre : « Tongues and Trees ». En voici quelques extraits.
Swoboda prĂ©sente les apports des diffĂ©rentes dĂ©nominations Ă lâĂ©cothĂ©ologie. En ce qui concerne le pentecĂŽtisme, il perçoit certaines dispositions favorables. « Dâabord, le pentecĂŽtisme met lâaccent sur ce que Miroslav Wolf appelle : « la matĂ©rialitĂ© du salut » ce qui historiquement sâest prĂȘtĂ© Ă une attention pour des questions de justice sociale â une disposition qui sâouvre tout naturellement Ă honorer le monde matĂ©riel et, dans de nombreux cas, lĂ oĂč la dĂ©gradation Ă©cologique accroit les injustices existantes. DeuxiĂšmement, lâaccent pentecĂŽtiste sur lâEsprit se prĂȘte au tĂ©moignage biblique de lâEsprit de Dieu vivifiant et mĂȘme baptisant toute la crĂ©ation. Ainsi nous devons attendre les charismes non seulement de lâĂ©glise charismatique, mais du reste du royaume de la crĂ©ation.
Swoboda rĂ©sume son bilan des Ă©cothĂ©ologies charismatiques en deux points majeurs : « Dâabord si lâEsprit de Dieu crĂ©e et vit dans la crĂ©ation et le peuple de Dieu, les deux sont en voie de restauration Ă la relationalitĂ©. La relationalitĂ© est la force mĂȘme de la thĂ©ologie et de la pratique pentecĂŽtiste. Ultimement, câest la force des thĂ©ologies Esprit/crĂ©ation. Lâaccent pentecĂŽtiste sur une Ă©glise interconnectĂ©e â par â lâEsprit, nous enjoint de joindre la âconversationâ. Jâai trouvĂ© dans mon enseignement de lâĂ©cologie lâinterconnexion de la terre elle-mĂȘme. DeuxiĂšmement, Swoboda conclut de cette recherche que notre tĂąche future est de nourrir une imagination pneumatologique concernant le « care » Ă©cologique.
Le dĂ©veloppement de lâapproche Ă©cologique transforme notre vision du monde. Elle nous incite Ă considĂ©rer quâil y plus grand que nous et que nous nous inscrivons dans un tissu de relations. Cette vision nous invite Ă entrer dans une vision spirituelle oĂč la PentecĂŽte apparaĂźt comme une figure privilĂ©giĂ©e. On comprend quâun thĂ©ologien pentecĂŽtiste assume lâapproche Ă©cologique en espĂ©rant que cette attitude se rĂ©pande dans sa dĂ©nomination comme elle sâĂ©tend dans dâautres Ă©glises.
Rapporté par J H
Ecospiritualité : https://vivreetesperer.com/ecospiritualite/
Dieu dans la création : https://lire-moltmann.com/dieu-dans-la-creation/
Convergences Ă©cologiques :Jean Bastaire, JĂŒrgen Moltmann, pape François et Edgar Morin : https://vivreetesperer.com/convergences-ecologiques-jean-bastaire-jurgen-moltmann-pape-francois-et-edgar-morin/
A J Swoboda Ph DÂ : https://www.bushnell.edu/faculty/a-j-swoboda/
A J Swoboda : I am a pentecostal environmentalist : https://faithandleadership.com/aj-swoboda-im-pentecostal-environmentalist
Book Review, Tongues and trees. Toward a pentecostal ecological theology : https://christandcascadia.com/2014/08/01/book-review-tongues-and-trees-toward-a-pentecostal-ecological-theology/
A J Swoboda. Blood cries out : https://www.amazon.com/Blood-Cries-Out-Pentecostals-Peacemaking/dp/1625644620
par jean | Juil 25, 2018 | ARTICLES , Emergence écologique , Société et culture en mouvement |
 Avec Isabelle Delannoy
 Face Ă la crise, lâĂ©conomie symbiotique, câest la convergence des solutions.
         Symbiose est un mot inventĂ© Ă la fin du XIXĂš siĂšcle et qui signifie : vivre ensemble. « Il dĂ©crit lâassociation Ă©troite et pĂ©renne entre deux organismes diffĂ©rents qui trouvent, dans leurs diffĂ©rences, leurs complĂ©mentaritĂ©. La croissance de lâun permet la croissance de lâautre et rĂ©ciproquement » (p 52). En proposant le terme dâĂ©conomie symbiotique , Isabelle Delannoy a Ă©crit un livre (1) sur ce thĂšme dans lequel elle ouvre un avenir Ă partir de la mise en Ă©vidence de la complĂ©mentaritĂ© dâapproches innovantes qui sont dĂ©jĂ Ă lâĆuvre aujourdâhui. « La vraie rĂ©volution que lâon a apportĂ© avec lâĂ©conomie symbiotique, câest de faire croiser trois sphĂšres : la matiĂšre avec la sphĂšre de lâĂ©conomie circulaire, la sociosphĂšre avec lâĂ©conomie collaborative, lâingĂ©nierie Ă©cologique et lâutilisation des Ă©cosystĂšmes du vivant, pour quâon puisse restaurer nos Ă©cosystĂšmes naturels et ne plus rester dans la logique extractive » (Laura Wynne ) (2).
Ce livre est le fruit dâun parcours. IngĂ©nieur agronome, Isabelle Delannoy a trĂšs vite mesurĂ© lâampleur du dĂ©sĂ©quilibre Ă©cologique. « Nous relĂąchons en quelques dĂ©cennies un carbone que des ĂȘtres vivants ont mis des centaines de milliers dâannĂ©es Ă enfouir ». (p 23). Et elle a participĂ© Ă la rĂ©alisation du film « Home  » de Yann Arthus Bertrand . « Dans ce film diffusĂ© en 2009 , nous disions une vĂ©ritĂ© lourde : Si nous ne sommes pas capables dâinverser la tendance avant dix ans, nous basculerons dans une planĂšte au visage inconnu. A la suite de la dĂ©tĂ©rioration du socle des Ă©quilibres planĂ©taires, la dĂ©tĂ©rioration des Ă©cosystĂšmes dâun cĂŽtĂ©, la croissance des Ă©missions de gaz Ă effet de serre de lâautre, le climat pourrait entrer dans une phase dâemballement qui ferait basculer la terre dans un autre Ă©tat thermodynamique globalâŠÂ » (p 28). Mais Isabelle Delannoy nâa pas voulu rester sur le registre de la mise en garde. Elle sâest engagĂ©e dans une recherche de solutions qui a abouti Ă la publication de ce livre . Et cette recherche a couvert toute la gamme des approches innovantes que lâon peut observer aujourdâhui. « Jâai alors cherchĂ© systĂ©matiquement les logiques Ă©conomiques et productives qui pouvaient participer Ă rĂ©pondre Ă cette dĂ©stabilisation de lâĂ©cosystĂšme Terre et Ă renverser la tendance » (p 28). En regard, elle a trouvĂ© une plĂ©thore dâinnovations, mais « aucune de ces logiques ne suffisait⊠Toutes semblaient nĂ©cessaires, mais largement insuffisantes » ( p 29).
Câest alors quâIsabelle Delannoy a vu se dessiner un mouvement global. « A mesure que je cherchais, il se formait un motif, un design commun. Je me rendais compte que, sous leur diversitĂ© apparente, elles prĂ©sentaient des analogies de fonctionnement remarquable .. . Pour lâingĂ©nieur agronome que je suis, câest Ă dire une scientifique Ă orientation technique, les principes que je voyaient se dessiner Ă©taient comme les rouages dâun nouveau moteur, les Ă©lĂ©ments unitaires dâun nouveau systĂšme logique Ă©conomique » (p 29). Isabelle Delannoy a dĂ©veloppĂ© ces principes pour en faire le fondement dâune « économie symbiotique ». Tout au long de cet ouvrage, elle nous prĂ©sente cette Ă©conomie en devenir.
Vers une Ă©conomie symbiotique
Dans cette pĂ©riode de mutation, nos regards se transforment. La mise en Ă©vidence des processus symbiotiques est elle-mĂȘme le fruit dâune inflexion rĂ©cente de la recherche . « La symbiose fut longtemps ignorĂ©e face Ă la compĂ©tition mise en avant par Charles Darwin dans sa thĂ©orie publiĂ©e au XIXĂš siĂšcle⊠Depuis ces derniĂšres dĂ©cennies, la symbiose a le vent en poupe. Des chercheurs comme Lynn Margulis, Olivier Perru, Marc-AndrĂ© SĂ©losse⊠montrent que la symbiose en particulier, et les mĂ©canismes coopĂ©ratifs en gĂ©nĂ©ral agissent Ă©galement comme un des moteurs principaux de lâĂ©volution  » (p 52) (3). Lâauteure cite lâexemple des coraux qui sont la rĂ©sultante dâune symbiose entre deux organismes : lâun constructeur : le polype, lâautre nourricier : la zooxanthelle, une algue qui sait capter lâĂ©nergie lumineuse grĂące Ă la photosynthĂšse. Aujourdâhui, le sens du mot symbios e est de plus en plus rĂ©servĂ© aux « relations Ă bĂ©nĂ©fices rĂ©ciproques entre deux ou plusieurs organismes qui se lient de façon pĂ©renne » (p 53). LâĂ©conomie symbiotique sâinscrit ainsi dans dans un univers caractĂ©risĂ© par la complĂ©mentaritĂ©, la rĂ©ciprocitĂ©, la synergie. En examinant diffĂ©rentes approches innovantes Ă elle seule insuffisantes pour rĂ©pondre au grand dĂ©fi, Isabelle Delannoy « sâest rendu compte que, sous leur diversitĂ© apparente, elles prĂ©sentaient des analogies de fonctionnement remarquablesâŠ. Je voyais converger lâagroĂ©cologie, la permaculture, lâingĂ©nierie Ă©cologique, lâĂ©conomie circulaire, lâĂ©conomie de la fonctionnalitĂ©, les smart grids, lâĂ©conomie collaborative et du pair Ă pair, la gouvernance des biens communs et les structures juridiques des coopĂ©ratives . Dans tout ce qui fait Ă©conomie, ressources vivantes, ressources techniques, ressources sociales, une nouvelle logiqueâŠĂ©tait apparue » (p 30). A partir de lâobservation des pratiques nouvelles, Isabelle Delannoy a Ă©laborĂ© une thĂ©orie, « un systĂšme logique commun qui peut se traduire jusque dans des formulations mathĂ©matique, systĂ©mique et thermodynamique » ( p 30)
Penser en terme dâĂ©cosystĂšme
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« En Ă©cologie, un Ă©cosystĂšme est un ensemble formĂ© par une communautĂ© dâĂȘtres vivants en interrelation avec un environnement » (Wikipedia). Penser en terme dâĂ©cosystĂšme, câest reconnaĂźtre et encourager une dynamique interrelationnelle. Et cette approche est particuliĂšrement active dans ce livre sur lâĂ©conomie symbiotique : « une Ă©conomie de lâinformation ; rĂ©animer les ressorts de la terre ; une Ă©conomie structurĂ©e en Ă©cosystĂšmes, lâĂ©nergie et la matiĂšre ; une Ă©conomie en Ă©cosystĂšmesâŠÂ ».
Les milieux naturels se lisent en terme dâĂ©cosystĂšmes. Et, dans lâagriculture, on prend conscience actuellement des mĂ©faits de la monoculture mĂ©canisĂ©e et on reconnaĂźt les avantages de la diversitĂ© et de la complĂ©mentaritĂ©. En France, la ferme du Bec Hellouin est ainsi reconnue dans son expĂ©rimentation innovante dans lâesprit de la permacultur e (4). Et le mĂȘme esprit est prĂ©sent dans une ferme en Autriche dans une vallĂ©e peu propice Ă la culture. Or, un pionnier, Sepp Holzer y a construit un Ă©cosystĂšme agricole ultra productif. Comment a-t-il atteint cette performance ? « Sepp Holzer a rĂ©flĂ©chi Ă sa ferme comme un ensemble dâĂ©cosystĂšmes. A la petite Ă©chelle de la parcelle, il met en compĂ©tition les espĂšces qui vont sâenrichir mutuellement. Ainsi chaque arbre est plantĂ© avec un ensemble de graines dâune cinquantaine de plantes diffĂ©rentes qui entreront en synergie. Elles trouveront leur complĂ©mentaritĂ© dans la diffĂ©rence de taille, de morphologie, dâenracinement, dâĂ©cosystĂšmes microbiens associĂ©s, de synthĂšse de molĂ©cules, de prĂ©fĂ©rence pour lâombre et la lumiĂšre. Ces coopĂ©rations engendrent des relations nutritives entre les plantes et permettent de se passer dâengrais. Elles entretiennent une diversitĂ© dâhĂŽtes et de prĂ©dateurs et il et possible de sâaffranchir des pesticides⊠Mais Sepp Holzer a Ă©galement crĂ©Ă© une association dâĂ©cosystĂšmes diversifiĂ©s selon un design trĂšs prĂ©cis permettant leur mise en synergie⊠Ainsi, Ă mesure des annĂ©es, il a crĂ©Ă© un ensemble de soixante dix mares et Ă©tangs et Ă©tagĂ© le relief en terrasses. Le miroir crĂ©Ă© par la surface de lâeau envoie les rayons du soleil sur les coteaux qui la surplombent et produit de nouvelles conditions climatiques pour des espĂšces qui nâauraient pu se dĂ©velopper dans les conditions initialesâŠÂ » (p 59-60). « Le systĂšme entre en croissance selon un mĂ©canisme synergique et enrichit son milieu. Sepp Holzer a crĂ©Ă© un systĂšme productif qui ne dĂ©truit pas les ressources Ă©cologiques, mais qui, au contraire, en crĂ©e » ( p 60).
Cependant, les Ă©cosystĂšmes vivants ne sont pas Ă mĂȘme de remplacer toutes les industries . « Ces industries doivent ĂȘtre alimentĂ©es en matĂ©riaux et en Ă©nergie pour fonctionner. De plus, de nombreuses infrastructures, machines et outils, ne peuvent exclusivement faire appel Ă des matĂ©riaux biosourcĂ©s. Il sâagit donc dâorganiser les systĂšmes Ă©conomiques et productifs qui permettront une rĂ©utilisation maximale de la matiĂšre qui la compose » (p 109). Alors Isabelle Delannoy nous expose les voies innovantes dâune Ă©conomie en Ă©cosystĂšmes pour traiter de lâĂ©nergie et de la matiĂšre . Et lĂ aussi, elle sâappuie sur de nombreuses Ă©tudes de cas.
Ainsi une architecture bioclimatique produit des bĂątiments consommant un minimum dâĂ©nergie pour le chauffage et la climatisation. Câest lâexemple de lâentreprise Pocheco dans le nord de la France qui est devenu autosuffisante en matiĂšre de chauffage, six jours sur sept (p 115). Au Val dâEurope, une zone dâactivitĂ© de la rĂ©gion parisienne, le data center de la banque Natixis a Ă©tĂ© conçu dĂšs son implantation comme une centrale Ă la fois de donnĂ©es et de chauffage. LâactivitĂ© des serveurs est intense et dĂ©gage une grande chaleur. Cette Ă©nergie est la base dâun rĂ©seau de chaleur faisant circuler une eau Ă 55°C qui alimente un centre aquatique, une pĂ©piniĂšre dâentreprises, deux hĂŽtels et une centaine de logements collectifs (p 119).
Et, en mĂȘme temps, dans lâindustrie, une approche systĂ©mique se dĂ©veloppe. « La logique de fonctionnement actuelle est trĂšs mal adaptĂ©e Ă la limitation des ressources. Elle repose sur une logique linĂ©aire : jâextrais, je transforme, je consomme, je jette. Son efficience tend vers zĂ©ro » (p 12). On peut agir autrement : « ne plus bĂątir des « chaines » de production, mais des Ă©cosystĂšmes de production en agissant sur toutes les Ă©tapes. Ainsi, Ă Kalundberg , au Danemark, les industriels se sont rendus compte que les uns achetaient comme matiĂšre premiĂšre ce que les autres rejetaient en tant que dĂ©chets. Ils sont entrĂ©s en coopĂ©ration et celle-ci sâest Ă©tendue Ă des Ă©changes de matiĂšre et dâĂ©nergie ( p 126-127). Cet Ă©cosystĂšme industriel est aujourdâhui un exemple. « En bout de chaine, avec lâapparition du web, une telle organisation collaborative se rĂ©pand chez les consommateurs. Ils forment des Ă©cosystĂšmes ou chacun peut ĂȘtre Ă la fois fournisseur, acheteur ou usager dâun bien » (p 128).
Lorsque les consommateurs se rapprochent de la production et inversement, on enregistre des gains trĂšs importants dâefficience. Câest le cas lorsquâau lieu de vendre des objets, le fabricant en vend lâusage. Câest une « économie de fonctionnalité ». « Puisquâil reste propriĂ©taire de son bien, le fabricant a tout intĂ©rĂȘt Ă en prolonger la durĂ©e de vie ». et il pourra, en fin de cycle, rĂ©cupĂ©rer les matĂ©riaux .
SpĂ©cialisĂ© dans la fabrication de photocopieuses, Rank Xerox est une des rĂ©fĂ©rences les plus anciennes. « Aujourdâhui, Rank Xerox rĂ©utilise 94% des composantes de ses anciennes machines pour en fabriquer de nouvelles (p 133). « Les modĂšles dynamiques dâaccĂšs permettent de vendre beaucoup en produisant peu » (p 136).
Et, bien sur, la nouvelle Ă©conomie portĂ©e par le Web abonde en systĂšmes Ă©coproductifs. « Ce sont des projets open source. Lâopen source est un exemple des principes symbiotiques appliquĂ©s Ă lâinnovation et Ă la production : une diversitĂ© dâacteurs partageant des valeurs similaires et un centre dâintĂ©rĂȘt commun mettant en partage leurs savoirs et savoir-faire. De leur coopĂ©ration naissent des logiciels (tel Wordpres, Firefox, Linux ), des encyclopĂ©dies du savoir telle Wikipedia âŠÂ » ( p 143).   LâĂ©mergence des fablabs pour permettre une mutualisation des outils industriels Ă lâintention dâacteurs de terrain tĂ©moigne de mĂȘme de la mĂ©tamorphose de la production (p 146-148).
« Dans les fablabs, la combinaison dâinternet et le libre partage de lâinnovation accĂ©lĂšrent le brassage des innovations. Il se crĂ©e un Ă©cosystĂšme entre concepteurs, usagers et ateliers de fabrication qui change radicalement la logique de la production industrielle : ouverte, coopĂ©rative, locale, personnalisĂ©e » (p 155).
Ainsi, Isabelle Delannoy nous montre lâavancĂ©e de lâĂ©conomie symbiotique dans son visage industriel. Câest une mĂ©tamorphose radicale de la fabrication des biens dâĂ©quipement et de consommation. On peut maintenant envisager « la transformation de la chaine industrielle en un vaste Ă©cosystĂšme mondial reliant des Ă©cosystĂšmes locaux » ( p 160).
Le temps de lâinformation
Nos yeux sâouvrent et nous commençons Ă voir le monde en terme dâinformation. Nous prenons conscience du rĂŽle prĂ©pondĂ©rant de lâinformation. « Depuis son origine, la Terre nâa cessĂ© de crĂ©er de lâinformation . GrĂące Ă elle, des mouvements ordonnĂ©s de la matiĂšre se sont crĂ©Ă©s, donnant lieu Ă une diversitĂ© de formes, de couleurs, de mouvements, exceptionnelle : la vie telle que nous la connaissons. De cette information motrice, lâune a Ă©tĂ© motrice plus que tout autre. Il sâagit de celle qui est codĂ©e dans les gĂšnes du vĂ©gĂ©tal portant les mĂ©canismes de la photosynthĂšs e » (p 43). La photosynthĂšse est un processus exceptionnellement puissant. « La photosynthĂšse permet de capter une Ă©nergie brute et immatĂ©rielle, lâĂ©nergie lumineuse, de la stocker et de la distribuer de façon extrĂȘmement fineâŠÂ ». GrĂące aux informations contenues dans sa bibliothĂšque gĂ©nĂ©tique, le vĂ©gĂ©tal va ainsi Ă lâencontre des lois physiques de lâĂ©nergie quâon appelle lâentropie » (p 44). Le vivant se caractĂ©rise par la richesse de lâinformation . Il en dĂ©borde. Apprenons Ă la respecter. « Câest trĂšs simple. Si nous coupons une forĂȘt pour bruler son bois, nous aurons perdu lâintelligence contenue dans le matĂ©riau bois qui aurait pu servir pour la construction, mais aussi lâintelligence chimique de ses molĂ©cules qui auraient pu servir Ă la pharmacopĂ©e, et encore celle apportĂ©e par lâĂ©cosystĂšme forĂȘt rĂ©paratrice de la qualitĂ© de lâeau, de la fertilitĂ© du sol, du climat » (p 45).
Nous pouvons faire mieux. En terme dâinformation, lâintelligence humaine est elle-mĂȘme extrĂȘmement crĂ©atrice. Lâintelligence humaine peut devenir catalysatrice . « En agissant comme un catalyseur des Ă©cosystĂšmes vivants, lâespĂšce humaine devient un facteur multipliant leur efficience naturelle » (p 46). Le rĂŽle de lâinformation va en croissant. Dans les Ă©cosystĂšmes vivants, il y a dâabord une construction de structures. « Ils crĂ©ent alors beaucoup de biomasse et tissent peu de rĂ©seaux. Mais lorsque leurs structures deviennent plus matures, les rĂ©seaux sâenrichissentâŠles racines se connectentâŠdes signaux chimiques sâĂ©changentâŠ. La faune vient sâinstaller. Les informations circulent extrĂȘmement abondantes » (p 48). On peut envisager une Ă©volution comparable dans lâhistoire humaine. Ne serions-nous pas arrivĂ© dans la phase de maturitĂ© oĂč « presque toute lâefficience Ă produire des services vient de la capacitĂ© Ă produire et Ă traiter de lâinformation ».
Isabelle Delannoy nous ouvre un horizon. « Admirons lâimprobable conjoncture que forme notre Ă©poque. Nous vivons lâinstant oĂč le niveau de destruction des Ă©cosystĂšmes menace la perpĂ©tuation de nos conditions de vie en mĂȘme temps que nous accĂ©dons Ă un stade de structuration des Ă©cosystĂšmes dans son plein niveau possible dâefficience (p 49).
Emergence
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Isabelle Delannoy a menĂ© une recherche pour mettre en Ă©vidence les principes qui fondent une Ă©conomie symbiotique et toutes les synergies que celle-ci engendre. Des exemples, comme le nouveau mode de fabrication permis par la voiture Ă©lectrique sont particuliĂšrement Ă©loquents (p 241-244). La moindre chaleur Ă©mise permet une grande souplesse et inventivitĂ© dans la mise en Ćuvre des matĂ©riaux. Ainsi, avec Isabelle Delannoy, nous assistons Ă une Ă©mergence : Ă©mergence de nouvelles pratiques, mais Ă©galement avec elle, Ă©mergence dâun nouveau regard : « Il semble que, dans le silence, un nouveau regard, une mĂ©tamorphose sociale et Ă©conomique soit en train de naitre. Apparues sans concertation, les diffĂ©rentes logiques Ă©conomiques et productives que nous avons successivement prĂ©sentĂ©es couvrent toutes les activitĂ©s Ă©conomiques et forment un Ă©cosystĂšme économique complet. Sous leur apparente diversitĂ© et la multiplicitĂ© des termes : ingĂ©nierie Ă©cologique, permaculture, biomimĂ©tisme, Ă©cologie industrielle, Ă©conomie circulaire, Ă©conomie de la fonctionnalitĂ©, smart grids, open source, makerspaces, open data, Ă©conomie de pair Ă pair, contribution sociale et solidaire, elles sont dâune extraordinaire cohĂ©rence dans leur systĂšme de fonctionnement et peuvent ĂȘtre dĂ©crites selon les mĂȘmes principes  » (p 227). Isabelle Delannoy a « qualifiĂ© ces principes, et le principe logique dont ils sont le cĆur, de « symbiotique ». « Ce systĂšme logique est utilisable en tant que tel, sans mĂȘme vouloir dĂ©velopper une Ă©conomie symbiotique complĂšte. Il caractĂ©rise un fonctionnement continu et typique dâune nouvelle logique Ă©mergente » (p 227).
La recherche dâIsabelle Delannoy a commencĂ© en 2009 dans la conscience de la menace du basculement climatique. Cette menace nâa pas disparu. On doit y faire face et il y a urgence. Le remĂšde passe par une transformation de lâĂ©conomie. Isabelle Delannoy nous apporte une bonne nouvelle. Non seulement, cette transformation est possible, mais elle a dĂ©jĂ commencĂ©. Un puissant mouvement est dĂ©jĂ en cours.
« Une nouvelle forme de pensĂ©e se dĂ©veloppe partout dans le monde. Extraordinairement cohĂ©rente, non concertĂ©e, apparue majoritairement ces cinquante derniĂšres annĂ©es, elle laisse entrevoir que, dans le silence, est en train de naitre une mĂ©tamorphose Ă©conomique, technique et sociale radicale de nos sociĂ©tĂ©s ⊠cette nouvelle Ă©conomie a le potentiel de devenir symbiotique et rĂ©gĂ©nĂ©ratrice au niveau globalâŠElle organise une symbiose entre les Ă©cosystĂšmes vivants, les Ă©cosystĂšmes sociaux et lâefficience de notre technique » (p 313-314). On assiste donc Ă une multiplication dâĂ©cosystĂšmes innovants. LâĂ©conomie symbiotique grandit Ă partir des rĂ©alitĂ©s locales. On peut imaginer une Ă©conomie dĂ©centralisĂ©e avec « des places de marchĂ© locales et reliĂ©es ». Cette Ă©conomie nouvelle surgit de toute part.
Vers une nouvelle civilisation
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Ce livre nous fait entrer dans un monde en transformation : une mĂ©tamorphose, un changement de paradigme, une nouvelle civilisation en germination. Câest bien ce qui apparaĂźt Ă Isabelle Delannoy dans lâexploration quâelle a entrepris et quâelle nous rapporte dans cet ouvrage. Si nous dĂ©finissons une civilisation comme « lâensemble des traits qui caractĂ©risent une sociĂ©tĂ© donnĂ©e du point de vue technique, intellectuel, Ă©conomique, politique et moral, cette Ă©tude mâamĂšne Ă penser quâĂ©merge aujourdâhui une nouvelle civilisation  » (p 19).
Dans ce livre, nous voyons apparaĂźtre une ligne de force majeure : la reconnaissance du vivant dans toutes ses dimensions. Cela induit une nouvelle vision de lâhumain. « Ces travaux ont renouvelĂ© ma conception de lâĂȘtre humain et de sa place dans lâunivers. Nous avons une vision trĂšs nĂ©gative de lâhomme vis-Ă -vis du vivant. LâidĂ©e que nous devons choisir entre notre dĂ©veloppement et celui de la nature est profondĂ©ment ancrĂ©e. Il s âagit donc au mieux de faire le moins de mal possible. LâĂ©conomie symbiotique apporte (et requiert) une vision positive de lâespĂšce humaine et de son rĂŽle dans lâunivers (p 35-36). Aujourdâhui, lâhumain prend un autre rĂŽle dans le vivant. Il nâobserve plus la nature pour la soumettre, pour en devenir « maitre et possesseur » comme lâexpriment Francis Bacon et RenĂ© Descartes, pĂšres du rationalisme occidental moderne, mais pour en comprendre et en faciliter les Ă©quilibres afin de favoriser son dĂ©veloppement et sa croissance (p 37). Lâauteure nous indique un changement de cap majeur dans les attitudes et les reprĂ©sentations : « Nous pensions quantitĂ©, masse, forces . En comprenant que nous pouvons devenir symbiotes de notre planĂšte, notre gĂ©nie se dĂ©ploie. Nous pensons informations, liens, synergie (5). Jamais notre imagination nâa Ă©tĂ© nourrie de la possibilitĂ© que le beau puisse ĂȘtre efficace, que ce qui est doux puisse ĂȘtre puissant » (p 37).
Ouvertures spirituelles
A la suite de cette vaste enquĂȘte et de ce travail de synthĂšse, Isabelle Delannoy nous permet dâentrevoir la montĂ©e dâune civilisation nouvelle. Celle-ci commence Ă se frayer un chemin Ă travers de nouvelles reprĂ©sentations et de nouvelles pratiques. Et, dans le mĂȘme mouvement, une nouvelle Ă©thique et une nouvelle spiritualitĂ© apparaissent. Isabelle Delannoy Ă©voque « une nouvelle alliance » ( p 103-106), reconnaissance et respect du vivant par lâhumanitĂ©. Dans le mĂȘme mouvement, câest aussi lâaffirmation de valeurs comme la bienveillance, la collaboration, lâentraide, la solidaritĂ©. Des piĂšces du puzzle rassemblĂ©es par lâauteur, on voit apparaĂźtre un paysage nouveau.
Laissons libre cours Ă notre Ă©merveillement . Et, pour les chrĂ©tiens, Ă partir dâune approche thĂ©ologique nouvelle, sachons reconnaĂźtre lâĆuvre de lâEsprit. Nous pouvons Ă©couter cette interpellation de Pierre Teilhard de Chardin , scientifique et thĂ©ologien prĂ©curseur, citĂ© par Isabelle Delannoy (p 57). « Si les nĂ©ohumanistes du XXĂš siĂšcle nous dĂ©shumanisent sous leur Ciel trop bas, de leur cĂŽtĂ©, les formes encore vivantes du thĂ©isme ( Ă commencer par la chrĂ©tienne) tendent Ă nous sous-humaniser dans lâatmosphĂšre rarĂ©fiĂ© dâun Ciel trop haut. SystĂ©matiquement fermĂ©es encore aux grands horizons et aux grands souffles de la CosmogenĂšse, elles ne se sentent plus vraiment avec la terre, une Terre dont elles peuvent bien encore, comme une huile bienfaisante, adoucir les frottements internes, mais non (comme il le faudrait) animer les ressorts  ».
Et, dĂ©jĂ , pour participer Ă lâĂ©volution en cours, pour y apporter une contribution, le christianisme est appelĂ© Ă retrouver son esprit dâorigine dans une marche en avant qui regarde vers la nouvelle crĂ©ation Ă venir et qui sâinscrit dans une thĂ©ologie de lâespĂ©rance. « Dieu est liĂ© Ă lâespĂ©rance humaine de lâavenir . Câest un Dieu de lâespĂ©rance qui marche « devant nous » et nous prĂ©cĂšde dans le dĂ©roulement de lâhistoire » (JĂŒrgen Moltmann) (6). LâEsprit de Dieu est « lâEsprit qui donne la vie » (7). Cet Esprit nâest pas seulement lâEsprit rĂ©dempteur, câest aussi lâEsprit crĂ©ateur Ă lâĆuvre dans une crĂ©ation qui se poursuit (8). Ainsi, JĂŒrgen Moltmann peut-il Ă©crire : « Dieu est celui qui aime la vie et son Esprit est dans toute la crĂ©ation. Si on comprend le crĂ©ateur, la crĂ©ation et son but de façon trinitaire, alors le crĂ©ateur habite par son Esprit dans lâensemble de la crĂ©ation et dans chacune de ses crĂ©atures et il les maintient ensemble et en vie par la force de lâEsprit » (9). Ainsi lâEsprit Saint anime et relie. « Si lâEsprit Saint est rĂ©pandu dans toute la crĂ©ation, il fait de la communautĂ© des crĂ©atures avec Dieu et entre elles, cette communautĂ© de la crĂ©ation dans laquelle toutes les crĂ©atures communiquent chacune Ă sa maniĂšre entre elles et avec DieuâŠLâ « essence » de la collaboration dans lâEsprit est, par consĂ©quent, la « collaboration » et les structures manifestent la prĂ©sence de lâEsprit dans la mesure oĂč elles font reconnaĂźtre lâ « accord gĂ©nĂ©ral ». « Au commencement Ă©tait la relation » (Martin Buber ) (9). Cette vision fait apparaĂźtre une correspondance entre lâinspiration de lâEsprit qui induit reliance et crĂ©ativitĂ© et ce que nous entrevoyons dans la civilisation symbiotique en voie dâĂ©mergence.
Nous vivons Ă un tournant de lâhistoire. Nous ne voyons que trop les menaces engendrĂ©es par les abus de lâhumanitĂ© vis Ă vis de la nature. Les remĂšdes sont en route, mais le temps presse. Comme dâautres observateurs, JĂŒrgen Moltmann nous rapporte une parole du poĂšte allemand, Friedrich Hölderlin : « Dieu est proche et difficile Ă saisir. Mais , au milieu du danger, se dĂ©veloppe le salut » (6).
Dans ce contexte, ce livre sur lâĂ©conomie symbiotique arrive au bon moment. Isabelle Delannoy met en Ă©vidence la convergence de nouveaux courants Ă©conomiques qui dĂ©bouchent sur une transformation gĂ©nĂ©rale de lâĂ©conomie et portent un changement de mentalitĂ©. Sur ce blog, notre attention va dans le mĂȘme sens. Nous essayons de mettre en Ă©vidence les Ă©mergences positives (10) et de contribuer ainsi Ă lâĂ©volution des reprĂ©sentations. Lâaction dĂ©pend de lâhorizon qui lui est proposĂ©e. « Nous devenons actifs pour autant que nous espĂ©rions. Nous espĂ©rons pour autant que nous puisions entrevoir des possibilitĂ©s futures. Nous entreprenons ce que nous pensons ĂȘtre possible  » (JĂŒrgen Moltmann) (11). A juste titre, Isabelle Delannoy Ă©voque la puissance de la pensĂ©e. Elle cite Lune Taqqiq : « Le poids dâune pensĂ©e peut faire basculer le cours de lâhumanité » (p 316). Ce livre sur lâĂ©conomie symbiotique participe Ă notre « conscientisation ». En faisant apparaĂźtre lâĂ©mergence dâune Ă©conomie et dâune sociĂ©tĂ© nouvelle Ă travers lâapparition de multiples innovations signifiantes, il nous enseigne, il nous Ă©claire, il nous mobilise. Merci Ă Isabelle Delannoy !
Jean Hassenforder
(1)           Isabelle Delannoy. PrĂ©f. de Dominique Bourg. LâĂ©conomie symbiotique. RĂ©gĂ©nĂ©rer la planĂšte, lâĂ©conomie et la sociĂ©tĂ©. Domaines du possible. Actes Sud/Colibris. Voir aussi : Isabelle Delannoy. LâĂ©conomie symbiotique. TED x Dijon : https://www.youtube.com/watch?v=9BL0fJErgmQ
(2)           Laura Wynn. « LâĂ©conomie symbiotique est un modĂšle qui donne espoir » You tube : https://www.youtube.com/watch?v=Pvp4cxI_ENs
(3)           « Lâentraide, lâautre loi de la Jungle par Pablo Servigne et Gauthier Chapelle » : https://vivreetesperer.com/?p=2734   Autre source : Dans son itinĂ©raire scientifique, Lynn Margulis Ă montrĂ© le rĂŽle important de la symbiose dans lâĂ©volution. Comme le montre Jean-François Dortier, dans son blog : « La quatriĂšme question », Ă lâĂ©poque, cette thĂ©orie symbiotique sâest heurtĂ©e Ă une vive opposition de la thĂ©orie Darwinienne alors dominante :              https://www.dortier.fr/lynn-margulis-et-levolution-des-etres-complexes/
(4)           « Cultiver la terre en harmonie avec la nature » (la permaculture et la ferme du Bec Hellouin) : https://vivreetesperer.com/?p=2405
(5)           « Une philosophie de lâhistoire, par Michel Serres » Michel Serres nous parle de lâentrĂ©e de lâhumanitĂ© dans un Ăąge  douxâŠhttps://vivreetesperer.com/?p=2479
(6)Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â JĂŒrgen Moltmann. De commencements en recommencements. Empreinte, 2012 (p 109-110 et p 69)
(7)Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â JĂŒrgen Moltmann. LâEsprit qui donne la vie. Cerf, 1999
(8)           « Un Esprit sans frontiÚres » : https://vivreetesperer.com/?p=2751
(9)           JĂŒrgen Moltmann. Dieu dans la crĂ©ation. Cerf, 1988 ( p 8 et 24-25)
(10)     Des initiatives Ă©cologiques Ă lâĂ©conomie collaborative (voir ci-dessous)
(11)     « Agir et espérer. Espérer et agir » : https://vivreetesperer.com/?p=2720
Nouvelles initiatives et mouvements de pensée
1 « Cultiver la terre en harmonie avec la nature » : https://vivreetesperer.com/?p=2405
2 « Incroyable, mais vrai ! Comment les « incroyables comestibles » se sont développés en France
https://vivreetesperer.com/?p=2177
3 « Convergences Ă©cologiques : Jean Bastaire, JĂŒrgen Moltmann, Pape François et Edgar Morin » : https://vivreetesperer.com/?p=2151
4 « Vivre en harmonie avec la nature. Ecologie, théologie et spiritualité » : https://vivreetesperer.com/?p=757
« Anne Sophie Novel : militante Ă©cologiste et pionniĂšre de lâĂ©conomie collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1975
5 « Quand lâarrivĂ©e dâun oiseau annonce une vie nouvelle pour les terrils » : https://vivreetesperer.com/?p=2713
6 « Le film : Demain » : https://vivreetesperer.com/?p=2422
7 « Blablacar. Un nouveau mode de vie » : https://vivreetesperer.com/?p=1999
8 « OuiShare, communautĂ© leader dans le champ de lâĂ©conomie collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1866
9 « Vive la co-révolution. Pour une société collaborative »
https://vivreetesperer.com/?p=1394
10 « Vers un nouveau climat de travail dans des entreprises humanistes et conviviales » : https://vivreetesperer.com/?p=1394
Voir aussi, en prospective économique :
« Un monde en changement accéléré » (Thomas Friedman) : https://vivreetesperer.com/?p=2560
« Comprendre la mutation actuelle de notre société requiert une vision nouvelle du monde » (Jean Staune) : https://vivreetesperer.com/?p=2560