Sociologue et écothéologien, Michel Maxime Egger œuvre activement pour la transition écologique. Ainsi, a t-il fondé un Laboratoirede transition intérieure porté par deux ONG suisses. Ses livres jalonnent une prise de conscience psychologique et spirituelle. Nous avons déjà présenté un de ses livres, très dense, sur l’écospiritualité (1). Il a préfacé un livre de Joanna Macy, une grande écologiste américaine : « L’espérance en mouvement » (2). Dans ses interventions, il nous appelle à une vision spirituelle de l’écologie (3). Michel Maxime Egger vient de publier un nouveau livre : « Réenchanter notre relation au vivant. Ecopsychologie et écospiritualité » (4). Nous apprécions dans cet ouvrage les mêmes qualités que précédemment : accessibilité, richesse encyclopédique de l’information, vision théologique dynamique.
« Dans quel monde aspirons-nous à vivre ? Les dérèglements écologiques et climatiques nous préoccupent-ils ? Cet ouvrage nous propose de nouvelles approches pour réharmoniser les relations avec la toile du vivant : l’écopsychologie et l’écospiritualité. Deux champs de recherche transdisciplinaires qui permettent d’opérer la transition vers un monde véritablement écologique, juste et résilient » (page de couverture). Dans ce livre, Michel Maxime Egger nous entraine dans un parcours : découvrir les nouveaux champs de connaissance qui viennent éclairer l’écologie : écopsychologie et écospiritualité ; analyser les causes de la menace actuelle («Aux racines de l’écocide et de l’écoanxiété ») ; adopter un nouveau regard sur la nature ; « redonner sa juste place à l’être humain » et transformer l’éducation ; abolir les séparations et les frontières en « se reliant à la Terre et au Ciel »; nous engager en devenant une personne méditante-militante ».
Par rapport aux écrits précédents de l’auteur, ce livre comporte un nouveauté : une galerie de portraits de personnalités très diverses contribuant à l’écologie, par exemple : Carl Gustav Jung, Théodore Roszak, John Muir, Thomas Berry, Jacques Ellul, Philippe Descola, Teilhard de Chardin (5), Joanna Macy, David Thoreau…
Comme ce livre nous paraît incroyablement riche, nous nous limiterons à la présentation d’un chapitre : « Réenchanter notre regardsur la nature » (p 91-131). En Occident, notre attitude vis à vis de la nature était devenue de plus en plus omnipotente. Changer notre regard et donc notre attitude est devenu une priorité. « La nature ne prend de sens et de valeur qu’à travers le regard que nous portons sur elle. La vision – héritée culturellement – que nous en avons, influence, voire détermine la façon dont nous la traitons et notre manière d’y habiter et d’y vivre. Ce ne sont pas seulement les révolutions scientifiques et technologiques qui ont changé l’idée de la nature, c’est aussi la transformation de cette dernière qui les a rendu possibles. Nous ne sortirons pas du saccage de la planète tant que nous n’aurons pas converti notre regard sur la Terre et la place de l’être humain en son sein » (p 91).
Vision plurielle de la nature
Quelles sont les représentations actuelles de la nature ? Une prise de conscience intervient. Ces représentations évoluent. « On assiste depuis une quinzaine d’années à un reprise et une intensification d’un large questionnement sur ce qu’est la nature (p 92). « On peut discerner aujourd’hui plusieurs approches :
° La Terre comme objet. Nourri par le réductionnisme et le fantasme démiurgique de maîtrise totale issue de la modernité, l’être humain veut (re)façonner, réparer le climat, et produire la vie à coups d’exploits technologiques, de biologie de synthèse et de géo-ingénierie… La nature est manipulée et chosifiée à l’extrême.
° La Terre comme hybride. A l’ère de l’anthropocène, la Terre serait tellement marquée par l’empreinte humaine qu’elle perdrait toute réalité en elle-même… Nature et culture seraient si imbriquées que Bruno Latour propose de remplacer le mot nature par un nouveau concept : « Nat/Cul ».
° La Terre comme toile du vivant. C’est l’hypothèse Gaïa développée dans les années 1970 par le biochimiste James Lavelock et la microbiologiste Lynn Margulis. Pour reprendre l’expression du philosophe Baptiste Morizot, notre planète est un tissu d’êtres vivants – humains et autres qu’humains – en interactions créatrices et relations d’interdépendance.
° LaTerre comme Domaine « inconstructible » ou « contre- altérité ». La nature est une réalité en soi, autonome que nous n’avons pas créée et qui nous échappe. La préserver, c’est la respecter dans son altérité radicale, sa part sauvage et sa finitude.
° La Terre comme mystère sacré. Cette vision va se décliner de multiples manières selon les traditions de sagesse à travers des notions comme la Grande Déesse, la Terre Mère, l’âme du monde ou encore la Création. » (p 92-93).
Toutes ces différentes conceptions font l’objet de débats. Et, en particulier, certains s’opposent à l’emploi du mot nature comme un terme distinguant l’humanité de la nature, un terme « trop anthropocentrique, occidental et dualiste en ce qu’il induit une coupure entre l’humain et le non-humain ». La controverse est possible. L’auteur avance l’approche de Baptiste Morizot : « Nous sommes des vivants parmi les vivants, façonnés et irrigués de vie chaque jour par les dynamiques du vivant… Nous ne sommes plus face à face, mais côte à côte avec le reste du vivant, face audérobement de notre monde commun » (p 94).
Redonner une âme à la Terre
° Une toile d’interdépendance
Par rapport aux approches précédentes, « c’est clairement à la Terre comme toile du vivant que la majorité des écopsychologues se rattachent ». « Ils intègrent les nouveaux paradigmes scientifiques dans leur approche holistique complexe et non dualiste »… « L’être humain est partie intégrante et partenaire coévolutionnaire de la toile du vivant. La coopération et l’entraide l’emportent sur la compétition et la loi du plus fort, chères à Darwin. Les êtres, autres qu’humains, nesont pas des ressources, mais des entitésvivantes… ». Nous voici dans l’approche de l’hypothèse Gaïa qui s’ouvre à plusieurs interprétations. « Les milieux issus ou proches de l’écopsychologie ont adopté une compréhension qui voit la terre comme un super-organisme vivant, créatif, symbiotique et autorégulateur ». D’autres ajoutent parfois une tendance à personnaliser, voire anthropomorphiser Gaïa. Cette lecture est contestée… « PourBrunoLatour,l’hypothèse Gaïa présente simplement la Terre comme « un ensemble d’êtres vivants et de matière qui se sont fabriqués ensemble, qui ne peuvent pas vivre séparément et dont l’homme ne saurait s’extraire ».
° Le Tao, transformation et harmonie
L’auteur nous introduit à la contribution du taoïsme dans la compréhension de la nature. « La vision de la nature comme processus, système organique et ordonné en transformation constante, entre en résonance forte avec des spiritualités de l’immanence comme le taoïsme. Du fait de sa perspective holistique, dynamique et relationnelle qui vise à « suivre la nature », ce dernier est particulièrement prisé par les penseurs de l’écologie » (p 99).
° L’âme du monde
La Terre, comme organisme vivant, est-elle animée par un principe psychique ? L’auteur envisage « le mythe transculturel de l’âme du monde ». « Le philosophe Mohammed Taleb le définit ainsi : « Émanant de l’Un, l’âme du monde est le liant universel qui donne au cosmos sa cohérence qui fait que l’univers est justement cosmos et non chaos, organisme et non assemblage » (p 102). Ainsi, « la psyché, ou l’âme, n’est pas limitée à l’être humain. Elle traverse les frontières entre les espèces et les règnes de la nature, l’intérieur et l’extérieur, et s’étend au cosmos tout entier ». Et, dans cette perspective, « les animaux et les plantes, les montagnes et les cours d’eau ne sont pas que des agrégats matériels ou des ressources psychologiques. Ils ont aussi une voix, une dimension psychique reliée à l’âme du monde, comme lieu originel et matriciel, principe fondateur suprapersonnel et cosmique » (p 102). Il arrive que cette conception débouche sur une perspective animiste. « Pour Ralph Metzner et Theodore Roszak, par exemple, l’être humain serait « naturellement », animiste, c’est-à-dire ouvert à une perception des entités non humaines comme vivantes et douéesd’une âme… Ainsi que nous l’apprennent les peuples premiers… l’animisme est une manière empathique de nous relier au monde naturel, en renouant avec nos racines terrestres et animales ainsi qu’avec « la pensée sauvage » (Claude Levi-Strauss) » (p 103).
Vertu écologique : l’émerveillement
« Une première vertu qui participe du réenchantement de notre relation à la nature est l’émerveillement ». Il y a bien des motifs d’émerveillement. « Être émerveillé, « c’est être saisi par le don permanent du vivant, le mystère de la Présence qui conduit à l’amour de la beauté au-delà des apparences ». « L’émerveillement fait partie de ce que Chellis Glendinning appelle « la matière primitive » de notre être qui se traduit par « une expérience corporelle, une perception du monde, une manière d’être vivant caractérisée par l’ouverture, l’écoute, la volonté de dire oui à la vie ici et maintenant ».
L’émerveillement suppose en particulier de développer l’intelligence contemplative et d’éveiller les sens pour se mettre à l’écoute de notre propre âme et de celle de la Terre » (p 106-107).
Redécouvrir la sacralité de la Terre
La Terre aurait-elle été désacralisée par la modernité ? Peut-on remédier « au divorce entre le sacré et la Terre, non pour diviniser la nature, mais pour lui redonner son mystère, source de respect » ? (p 207). Encore doit-on définir ce qu’on entend par sacré, car, étant donné l’héritage historique, il y a là une source de malentendu. « Forgé par l’anthropologie culturelle, le sacré est une notion complexe lourde d’héritage divers. Étymologiquement, il désigne « ce qui est (mis) à part », séparé l’impur et du profane. C’est le domaine du « Tout Autre », tissé de règles et d’interdits. Aujourd’hui, le sacré change de visage dans une nouvelle conscience. Il ne sépare plus, mais relie. Il vient moins de l’extérieur et par le haut (le Ciel) que de l’intérieur et par le bas (la Terre). Il n’existe plus en soi, mais à travers une relation… Il n’est pas réductible au religieux institué qui n’en est qu’une desexpressions » (p 109). Selon Thomas Berry, le sacré évoque les profondeurs du merveilleux. « Dans une perspective écospirituelle, le sacré est ce qui émerge quand, en communion profonde ave la nature, il y a ouverture à une réalité invisible – l’Esprit, la Présence, le Souffle – qui s’offre et se révèle, relie les êtres et les choses entre eux et à la Source du vivant, les habite d’unedimension de mystère. Cette expérience est liée à un état intérieur d’unification corps-âme-esprit ainsi qu’à un alignement éprouvé entre cette Réalité ultime ineffable, la nature et soi-même» ( p 118-119).
° La Terre comme mère.
Comme expression de la sacralité du vivant, une expression prégnante dans les traditions spirituelles est la Terre Mère. Elle symbolise toute la nature comme mystère de la fertilité. Figure universelle très ancienne, elle est portée avec force par les peuples premiers… Chez les amérindiens, la plupart des textes n’attribuent pas une essence divine à la Terre Mère, mais en font la messagère du Grand Esprit » ( p 110-111). Cette distinction peut être moins patente ailleurs. Cependant, la Terre Mère est célébrée aujourd’hui dans beaucoup de traditions. Elle apparaît dans l’écobouddhisme contemporain. « Cette vision n’est pas absente de la tradition chrétienne. On en trouve des échos dans les textes bibliques de la Sagesse. Elle existe dans la théologie latino-américaine, mais aussi chez nombre d’auteurs. Dans la même veine, Laudato si’ parle de la Terre comme une « mère, belle, qui nous accueille à bras ouverts »
° La création comme don.
« Plus de la moitié de la population mondiale désigne la nature par le terme de Création qui englobe l’ensemble du monde créé : minéral, végétal, animal, humain et même angélique. C’est le cas notamment des trois grandes religions monothéistes – le judaïsme, le christianisme et l’islam – qui proclament la foi en un Dieu créateur » (p 119). « La notion de Dieu créateur et de Création existent également dans d’autres traditions sous des formes différentes. Certains peuples premiers – les Amérindiens, par exemple, – y recourent avec la figure du Grand Esprit qui n’est autre que la source créatrice et le principe vital de tout ce qui est ». En Afrique, des peuples croient en un Dieu suprême qui a créé le monde. On peut entrevoir un Dieu créateur dans l’hindouisme ( p 115-116).
Michel Maxime Egger recourt aux textes des religions monothéistes pour montrer en quoi elles peuvent contribuer à réenchanter notre relation avec la nature.
° « La Création trouve la source de son être et de sa vie en Dieu. On accède à cette source en pénétrant à l’intérieur de soi-même et de la Création, en s’élevant à un autre plan de conscience ».
° « La Création est un mystère… Elle n’a rien à voir avec la fabrication. Elle est toujours au-delà de ce que nous pouvons en dire et en saisir par nos sens et notre intelligence rationnelle ».
° « La Création est un don libre et gratuit : une manifestation de la bonté de Dieu, de sa générosité, de son désir de se faire connaître et surtout de son amour qui embrasse jusqu’àchaque grain desable.Le don, par essence, relie. Il se reçoit et se partage ».
° « La Création est bonne et belle. La Genèse clôt chaque jour par ce refrain : « Dieu vit que cela était bon »… La Création, dans son ensemble, toutes les espèces et chaque créature en particulier ont une valeur propre et intrinsèque comme partie de la toile du vivant » (p 114).
Lanotion de création et les écologistes
« La notion de Création n’a pas toujours bonne presse chez les écologistes. Elle recèle pourtant un grand potentiel pour réenchanter notre relation à la Terre… mais à trois conditions : D’abord considérer la Création comme un concept non doctrinaire mais comme un concept « transversal » et « nomade ». « qui invente et découvre la réalité au lieu de vouloir maitriser et subordonner ». Ensuite éviter le dualisme qui peut naître quand on accentue la transcendance de Dieu (incréé) au détriment de son immanence dans la nature (créée). Enfin s’affranchir de certaines théologies closes et statiques » (p 116).
Une vertu écologique : la gratitude
« Face à la Terre, comme organisme vivant, comme mère et comme don, la plus grande vertu écospirituelle est la gratitude ». L’auteur cite de nombreuses recommandations allant dans ce sens en provenance de toutes les traditions de sagesse.
« Rendre grâce, c’est dire merci pour tout ce qui nous est offert à chaque instant, sans quoi nous ne vivrions pas, mais dont nous n’avons pas toujours conscience… C’est accueillir avec joie la nature et tout ce qui l’habite comme un présent gratuit et sacré… ». L’auteur cite Joanna Macy dans le « Travail qui relie ». « Il est capital de nous « enraciner » dans la gratitude ou, mieux encore, de la laisser s’enraciner en nous. Cette disposition intérieure nous aide à devenir plus réceptif à ce qui est déjà là et « à devenir encore plus émerveillés de nous sentir vivant dans ce monde admirable plein de vie »… Antidote au consumérisme, la gratitude accroit la satisfaction pour ce que nous avons par rapport à l’insatisfaction pour tout ce qui nous manquerait… ». L’auteur évoque l’approche spirituelle. « Bénir c’est relier notre être et ce qui nous est offert à l’Être qui en est la source, qui s’offre lui-même à travers ce qu’il nous offre » (p 119).
Trouver Dieu dans la nature
Évoquer la sacralité de la nature suscite souvent des crispations dans les Églises qui voient poindre le retour d’un culte de la nature (paganisme) contre lequel le christianisme a lutté pendant des siècles. Les choses sont toutefois en voie de changer. En témoigne l’encyclique Laudato si’(7) invitant à accorder une attention spéciale aux communautés aborigènes et à leurs traditions culturelles qui nous rappellent que la Terre est un espace sacré » (p 120).
Michel Maxime Egger nous invite ici à participer à une approche théologique, celle du panenthéisme. « Ce dernier permet d’aller au-delà de deux pôles entre lesquels la question écologique est souvent enfermée : le matérialisme et le panthéisme ». « Comme son étymologie l’indique, le panenthéisme est la doctrine du « Tout en Dieu et Dieu en nous ». Il existe sous différentes formes dans plusieurs traditions philosophiques et mystiques ainsi que dans la science contemporaine, en particulier dans certains courants de la mécanique quantique. Dans le monde chrétien, il est au cœur de la théologie orthodoxe, mais aussi présent chez des auteurs comme Teilhard de Chardin (5), Thomas Berry, Matthew Fox, Jürgen Moltmann (6), et Leonardo Boff » (p 121). C’est une voie grande ouverte. « Tout est en Dieu, mais tout n’est pas Dieu. Dieu est immanent dans sa transcendance et transcendant dans son immanence. Le panenthéisme permet donc de dépasser le dualisme entre Dieu, l’être humain et la nature. Il redonne à la nature une dimension sacrée. D’une manière non pas absolue – par essence – mais « relative », du fait de sa relation au divin. Le panenthéisme unit le divin et la nature sans les confondre… Dans sa version faible, la nature est le miroir du divin… Les humains, les animaux, les oiseaux, les arbres, les fleurs sont des manifestations de Dieu, des signes de son amour, de sa sagesse et de sa bonté. Dans sa version forte, la nature n’est pas que la manifestation du divin, mais le lieu de sa présence. « En toute créature habite un Esprit vivifiant qui nous appelle à une relation avec lui », écrit le pape François » ( p 121-122).
Michel Maxime Egger nous présente ici « trois modalités de panenthéisme fort qui résonnent à travers différentes traditions religieuses : les empreintes du divin, les énergies divines et les esprits invisibles ».
Empreintes du divin
« Le premier mode de présence de Dieu dans la nature est l’empreinte divine que chaque être – humain et autre qu’humain – porte dans sonêtre profond. Cette empreinte est comme son ADN spirituel… Dans la tradition chrétienne, cette conception a été développée en particulier par le théologien byzantin Maxime le confesseur (VIIe siècle). Selon la Nouveau Testament, le Logos ou Verbe divin est le « Principe » en qui, par qui et pour qui tout existe et toutes choses ont été créées. Il a implanté dans chaque être créé un logos, une « parole », une « idée – volonté » qui exprime son dessein envers elle. Chaque créature porte ainsi en elle comme une information divine ». « C’est un ensemble de potentialités à réaliser en synergie avec la grâce de l’Esprit » (p 122-123). Michel Maxime Egger évoque la vision du Christ cosmique. « L’écospiritualité invite à retrouver la dimension cosmique du Christ, qui – à quelques expressions près comme François d’Assise – a eu tendance à s’effacer en Occident à partir du VIe siècle au profit de la dimension humaine. Présente dans le christianisme primitif, cette vision est promue aujourd’hui par des figures comme Leonardo Boff et Matthew Fox. L’un de ses précurseurs est Pierre Teilhard de Chardin… « (p 123). L’auteur mentionne « des analogies de cette théologie des logoi (pluriel de logos) dans d’autres traditions religieuses », ainsi dans le taoïsme et dans le bouddhisme.
Énergies divines
« Un deuxième mode de la présence de Dieu dans la nature se communique à travers ses énergies qui rayonnent sur toute la Terre… Elles pénètrent l’univers comme l’eau une éponge et font de chaque réalité naturelle un sacrement de la présence de Dieu ». L’auteur nous renvoie ici à la tradition orthodoxe. « Grégoire Palamas, un théologien byzantin, à partir de la transfiguration du Mont Thabor, voit dans la création un « buisson ardent des énergies de Dieu ». Ces énergies sont ce par quoi Dieu se manifeste… ». L’auteur cite également Hildegarde de Bingen (7), une mystique occidentale du XIIe siècle. « Ces énergies sont la puissance créatrice et le souffle de feu par lesquels Dieu a créé le monde et continue d’y agir ici et maintenant » (p 124-125). On trouve des analogies des énergies divines dans d’autres traditions mystiques comme dans la kabbale juive ou dans l’hindouisme.
Esprits invisibles
Dans certaines cultures, « le divin se manifeste à travers les esprits qui peuplent le monde invisible d’en bas (proches de la terre, des mondes animal et végétal) et d’en haut (le ciel) en interaction constante dans le grand cercle de la vie ». « Ces entités spirituelles sont au cœur des religions animistes et chamaniques ». « Ces puissances spirituelles sont associées à des êtres humains…, des animaux, des arbres, des plantes, mais aussi des lieux et des phénomènes naturels. Elles les habitent et les animent. Chaque entité de la nature a ainsi sa vibration propre, sa raison d’être et une intériorité qui lui donne une dimension sacrée… Souvent, ces esprits multiples émanent d’une puissance supérieure à l’origine de toutes choses, qui représente le principe d’unité du cosmos dont elle est le gardien suprême : un être éternel, à la fois transcendant et immanent, que l’on peut invoquer, qui entend les humains et leur répond » (p 127). L’auteur envisage également la chamanisme, « une manière de vivre en harmonie avec tous les êtres vivants qui nous entourent, sa spécificité étant que cette visée se réalise à travers la cohabitation avec les esprits » (p 128).
Vertu écologique : le respect
« La Terre est notre maison commune (Laudato si’) (8) ». Cette affirmation implique le respect. « Être un hôte digne, c’est respecter le lieu qui nous accueille…». « Cette exigence de respect est d’autant plus grande que la Terre a une âme, qu’elle n’est pas seulement la demeure de l’être humain, mais aussi celle de l’Esprit. C’est pourquoi le pape François parle de respect sacré et que le chef indien, Elan noir affirme que chaque pas sur la Terre-Mère devrait « être comme une prière ». L’auteur évoque le respect de la nature comme « étant au cœur des traditions religieuses ». (p 130)
Un lieu de débats
Michel Maxime Egger prend en compte et mentionne ici des visions de la nature qui sont l’objet de critiques (p 131-132) et invitent donc au débat : ambiguïté de la figure de la mère projetée sur la Terre, anthropomorphisme, culte romantique de la nature, absolutisation de celle-ci au détriment de l’être humain, retour à la pensée magique… le risque de formes explicites ou larvées de divinisation de la nature… une conception « idéaliste » ou « passéiste » de la nature… A la fin de ce tour d’horizon, c’est en pleine conscience que nous pouvons réenchanter notre regard sur la nature.
La prise écologique requiert et entraine un nouveau regard sur la nature. Michel Maxime Egger aborde cette question sous l’angle du réenchantement. Son approche est globale et particulièrement bien informée. On imagine la richesse de la pensée de Michel Maxime Egger quand on pense que ce livre vient à la suite de précédents tout aussi denses et que nous n’en avons présenté ici qu’un seul chapitre. Réenchanter notre regard à la nature : un émerveillement constant, l’avènement d’une autre dimension…
Nous savons que l’humanité est menacée par l’oppression qu’elle exerce sur la nature et par les conséquences qui en résultent : le dérèglement climatique et le recul de la biodiversité. Nous en sommes troublés, inquiets, angoissés. Mais, dans notre société urbaine, n’avons-nous pas perdu également notre connection avec le vivant, avec la nature ? De la symbiose avec la nature qui s’établit, de fait, dans les sociétés rurales d’autrefois, ne sommes-nous pas aujourd’hui devenus prisonniers d’une vie qui tourne sur elle-même sans plus ce contact réel avec le vivant sauvage, c’est-à-dire ce qui ne nous est pas soumis. C’est ainsi qu’un livre d’Anne-Sophie Novel vient nous surprendre : « L’enquête sauvage » (1). Si nous apprenions à nous retrouver avec le vivant, avec la nature, nos engagements écologiques seraient d’autant plus profonds qu’ils seraient l’expression de toute notre personnalité, à la fois de la tête et du cœur. Anne-Sophie Novel nous propose un voyage pour nous plonger dans la nature sauvage en apprenant à écouter, à observer, à ressentir, à s’ensauvager. A partir de là, c’est un nouveau genre de vie qui émerge, un terreau fertile pour l’engagement écologique.
A plusieurs reprises sur ce blog, nous avons rencontré Anne-Sophie Novel, militante écologiste et pionnière d’une économie collaborative. Nous avons rapporté son livre visionnaire : « Vive la co-révolution. Pour une société collaborative » (2). Journaliste indépendante, spécialisée dans les questions d’environnement et d’écologie, Anne-Sophie Novel, anime un blog : « Même pas mal » (3), et collabore à plusieurs organes de presse.
Nous reconnecter au vivant, à la nature : un besoin vital
L’attention pour le vivant est au cœur de cette recherche. « Le vivant. Là est justement le sujet de cet ouvrage, un sujet mis à l’index par notre système politico-économique, car jugé trop « fleur bleue », bien léger et « bisounours » dans une civilisation où la recherche de vitesse, d’efficacité ou de profit génèrent de multiples violences » (p 8). Mais, de fait, c’est bien une question prioritaire qui nous concerne tous. Car, « cette rupture avec le vivant porte atteinte à tous… Et en particulier à celles et à ceux qui n’ont pas les moyens de se ressourcer régulièrement en pleine nature, de réinventer leurs vies loin des bouchons et du béton. Sans un nouveau rapport avec le vivant, notre civilisation occidentale va droit dans le mur. Et les plus fragiles d’entre nous en premier » (p 8). Anne-Sophie Novel a donc écrit un livre pour nous permettre de nous reconnecter au vivant et à la nature. Nous voici aujourd’hui en présence d’une « quête universelle » :
« Reconnecter nos vies et notre société à la nature est devenu une urgence vitale pour faire face aux crises écologiques et climatiques, pour enrayer l’extinction du vivant et renverser le modèle de développement dominé par les marchés financiers – et pour faire face aux dommagessociaux qu’ils engendrent. Il faut faire une force des interdépendances entre notre espèce et toutes les autres, la base d’un nouveau contrat social entre humains, et aussi entre humains, animaux et plantes. Il nous faut apprendre à nous appuyer sur la nature et les ressources qu’elle offre sans chercher à seulement la contraindre, la souiller ou l’épuiser. Il nous faut bâtir un monde pour tous avec des espaces naturels, sinon sauvages pour nous ressourcer » (p 8-9).
Anne-Sophie Novel : un nouveau point de départ
Une opportunité s’est offerte à Anne-Sophie à l’occasion du confinement du printemps 2020. Elle s’est décidée à écrire à partir d’un nouveau genre de vie. En effet, « elle s’est arrachée à la ville comme on arracherait une « mauvaise herbe », presque machinalement, par la force des choses ». Avec ses deux enfants : Adèle (10 ans) et Ulysse (5 ans), elle a « pris refuge sur la terre natale de son époux, Nicolas, dans une maison de famille conçue comme une grande cabane camouflée par les chênes en lisière de forêt… Loin de me réduire à néant, ce déracinement forcé en mars 2020 s’est révélé être une renaissance » (p 18).
Cette expérience nouvelle a été décisive. « J’ai surmonté mes peurs. Je me suis reconnectée. J’ai réveillé en moi, des souvenirs, un vécu. Je me suis enracinée tout en me déployant autrement ». C’est à partir de cette expérience qu’Anne-Sophie a trouvé un nouvel élan pour s’engager dans une enquête où elle n’a pas seulement consulté de nombreux militants, innovateurs et experts, mais, en même temps éprouvé et exprimé de nouveaux ressentis personnels. Il lui a été donné ainsi de vivre une aventure qui lui a permis « d’adopter un œil neuf pour rejoindre la nature autrement, de grandir avec elle, de renouer avec le vivant » (p 19). « Guidée par de nouvelles envies, par une autre écoute, par des questions que je n’avais jamais explorées aussi profondément, j’aspire à comprendre intimement ce que cela signifie… Qu’est-ce que le « vivant » et la « nature » pour moi ? Quels ont été nos rapports jusqu’à maintenant ? Et qu’est-ce que cela m’apporte d’y prêter une attention nouvelle ? » (p 19).
Le mouvement d’une enquête et l’architecture d’un livre
Ainsi, dans ce livre, Anne-Sophie Novel nous invite à la suivre dans une « enquête sauvage » composée de lectures, de réflexions personnelles, d’expériences et de nombreuses rencontres sur le terrain ». Cet ouvrage est particulièrement dense et cette densité exclue tout compte-rendu détaillé. En voici donc l’architecture et le mouvement comme Anne-Sophie nous en donne la trame. Dans un premier mouvement, au travers d’une expérience qui met en œuvre tous les sens, Anne-Sophie se connecte au vivant et à la nature. « Dans la redécouverte du vivant, il m’a fallu tendre l’oreille dans un premier temps (chapitre Ecouter), puis ouvrir les yeux et changer de regard (chapitre Observer) avant de commencer à éprouver vraiment les bienfaits de la nature (chapitre Ressentir). Plus avant, « j’ai cherché à surmonter mes peurs et mes angoisses pour entrer pleinement dans le monde sauvage et me regarder autrement (chapitre S’ensauvager). A partir de là, Anne-Sophie Novel peut envisager autrement la transformation urgemment requise par la transition écologique. « Plongeant dans nos racines profondes, j’ai considéré sous un autre prisme le soin apporté au monde végétal (chapitre Cultiver), avant de m’interroger sur nos façons d’habiter le monde (chapitre Cohabiter) : des conflits d’usage aux nombreuses solutions et initiatives pour protéger le vivant. J’en viens aux luttes et aux procédés sémantiques et juridiques développés par de multiples gardiens et gardiennes de la terre (chapitre Lutter). Et je pars à la rencontre d’éducateurs et de professeurs passionnés, mais aussi de naturaliste amateurs… qui s’engagent au quotidien à transmettre leurs découvertes et leurs solutions pour préserver l’essentiel (chapitre Transmettre).
A l’écoute
En lisant le premier chapitre ‘Ecouter’, donc un point de départ, on comprend l’approche de Anne-Sophie Novel. Celle-ci apparaît clairement dans l’avant-propos du chapitre :
« Si l’on comprend que se taire permet de faire le premier pas vers la vie sauvage
Où l’on doit lâcher prise pour accepter l’inconnu et développer un autre type d’attention
Où l’on est subjugué par un sentiment océanique en pleine forêt
Où l’on se laisse guider par les oiseaux pour entrer dans la phonocène » (p 21).
Anne-Sophie nous rapporte ses expériences de marche en silence dans la nature. Et, par exemple, une « marche main dans la main et à l’aveugle ». Au total, « c’est une façon de se mettre au diapason. Il faut accepter de se taire, de ne plus rien dire, ne rien formuler, ni attendre, se laisser porter et tout oublier pour revoir tout autrement. Là où avant, j’entrais sans crier gare, sans cesser de bavarder lors de balades ou de randonnées, maintenant je marque le pas, je ralentis, je baisse la voix, j’essaye d’avancer en chœur » (p 22).
Dans une expérience de marche silencieuse en Gironde, Anne-Sophie réalise une ballade sensorielle grâce à l’organisatrice, MagaliCoste, écothérapeute. Au delà de l’exercice des cinq sens les plus connus, elle apprend la complexité de la perception. C’est la découverte de « la proprioception (ou perception, consciente ou non, des différentes parties du corps), l’équilibrioception (ou sens de l’équilibre), la thermoception (ou sens de la chaleur et de l’absence de chaleur)… » (p 23).
Dans son nouveau lieu d’habitation au printemps 2020, Anne-Sophie, qui préférait la mer, a découvert la campagne. Elle nous raconte une ballade avec sa famille dans la forêt voisine. « Nous marchions depuis plusieurs heures lorsque nous avons débouché sur une clairière dont je ne connaissais pas l’existence. Il faisait doux, le temps était magnifique, les herbes étaient très hautes, une brise y dessinait des ondes de douceur. Un instant magique… A chaque pas, s’ouvraient à nous de magnifiques orchidées sauvages, de somptueux papillons tout petits tout blancs et nous savourions un moment suspendu quand un souffle inattendu vint nous surprendre… » (p 27) Anne-Sophie sursaute et interroge à ce sujet son mari Nicolas. « C’est le vent dans les arbres, le ballet de la canopée. Je suis subjuguée par le spectacle de ces éléments… C’est non seulement beau, mais tellement évident. Comment n’avais-je pas perçu auparavant la beauté de cette écume végétale ? Le vent dans ces feuillages me fait un bien fou, je le savoure, respire profondément. En moi, ce jour là, s’est passé quelque chose. J’ai été happée, comme appelée, profondément captivée. J’ai senti pousser une autre nature, insoupçonnée, indispensable… » (p 27-28).
Un autre aspect de l’écoute, c’est le chant des oiseaux. Anne-Sophie y accorde beaucoup d’importance dans ce chapitre. « La nature m’a toujours parlé et le chant des oiseaux tient, en la matière, l’essentiel de la partition. C’est d’ailleurs un trait commun à de nombreux naturalistes et amoureux de la nature que d’avoir été orientés par ces sirènes » (p 29). Comme c’est le cas tout au long de ce livre et ce qui contribue à en faire la grande richesse, Anne Sophie Novel part à la rencontre de ces chercheurs pour nous faire part de leurs découvertes. Et ainsi, elle interroge l’audio-naturaliste FernandDeroussen « pour tenter de mieux comprendre les ressorts de l’écoute dans l’appréhension du vivant ». Et celui-ci lui dit : « Les oiseaux me passionnent, ils sont incontournables, mais en forêt, on ne les voit jamais. C’est ainsi que j’ai commencé à être attentif à leurs chants… ». Son approche débouche sur « la conscience de faire partie d’un tout ». « Dans la nature, les espèces se comprennent, il y a un langage universel, un langage d’écoutedes autres formes de vie. Hélas, l’homme a perdu ce langage, l’humain ne vit que pour l’humain ». A la différence des bioacousticiens, Fernand récolte les sons à des fins artistiques. « On doit connaître ce qu’on écoute, forcément, mais je me préoccupe plus de l’émotion et de la beauté » (p 29).
Anne-Sophie est maintenant sensible aux sons. Elle écoute tous les bruits de la nuit. Et elle a remarqué le bruit de fond émis par les activités humaines et si dérangeant. Les biologistes ont commencé par étudier cette pollution sonore et à en mettre en évidence les méfaits. « A court terme, le bruit chasse les pollinisateurs et les insectes ». (p 32). Elle a même une incidence sur la végétation en réduisant le nombre de jeunes pousses… En 1962 déjà, Rachel Carson alertait sur « Le printemps silencieux ». « Nous sommes tellement bruyants que nous n’entendons plus la vie autour de nous » (p 33).
Anne-Sophie a également rencontré Frédéric Giguet, un éminent ornithologue, professeur au Muséum national d’histoire naturelle. « Pendant quinze ans, Frédéric Giguet s’est occupé du « Suivi temporel des oiseaux communs ». Fasciné par les oiseaux depuis le plus jeune âge (A six ans, il demandait déjà à ses parents d’aller en Camargue pour voir les flamants roses), cet ornithologue sait à quel point les oiseaux sont d’excellents indicateurs de l’état de santé des écosystèmes » (p 34-35). Ainsi, le programme « Oiseauxdes jardins », lancé en 2012, afin d’impliquer le public dans le décompte des oiseaux, a toute sa raison d’être.
Anne-Sophie nous raconte également sa visite au « Jardin desmurmures », de Magali Costes, « composé d’une prairie, d’une bambouseraie, d’un jardin médicinal et d’un petit vallon traversé par un ruisseau » (p 38). « Ces espaces très divers facilitent la reproduction de nombreux oiseaux ». « Nous sommes ici dans une communauté reconnue comme telle où « le moins que l’on puisse faire pour ménager la vie commune, c’est de ne rien faire ». Et Magali Coste, amoureuse des oiseaux, sait partager sa passion. « Nous comprenons grâce à elle que le plumage des oiseaux change chaque année, qu’ils le nettoient… Les mésanges sont même de véritables herboristes capables de ramener dans leurs nids de la lavande, de la menthe, du camphrier ou de l’immortelle dont les propriétés aromatiques ont des propriétés fongicides et insecticides qui leur sont très utiles (p 39).
Anne-Sophie poursuit son enquête en rencontrant Grégoire Loïs, ornithologue responsable du programme « Vigie-Nature » du Muséum d’histoire naturelle. La conversation se porte notamment sur les aptitudes extraordinaires des oiseaux migrateurs. « Avec lui, je réalise que les volatiles sont des messagers précieux. Ils ont parcouru des milliers d’années pour arriver jusqu’ici. Ils sont dotés de compétences « surhumaines » et savent parcourir des distancesphénoménales ». « L’oiseau n’est pas perché. Il est ancré. C’est un trait d’union entre le ciel et la terre, à travers les âges, à travers les espèces » (p 40). Dans cette conversation, « le regard d’Anne-Sophie sur les volatiles a fini par se transformer totalement » (p 39).
Et si on élargissait encore l’angle de vue ? « La philosopheViviane Despret questionne le comportement des volatiles en s’appuyant sur les travaux des ornithologues ». Elle force le trait.
« Je me dis qu’on a peut-être à faire à des compositions, voire à des partitions – au sens musical. On peut même aller plus loin et se dire que ce qui intéresse les oiseaux, ce sont les relations avec les autres oiseaux/congénères, et finalement pas des histoires de reproduction, de territoire à défendre ou à conquérir, etc… » (p 41). Et « riche des observations ornithologiques qu’elle a étudiées, elle les remet dans le sensible, dans l’étoffe du ressenti, et nous invite à inscrire notre époque… sous le signe du « Phonocène », entendu comme une ère où on va devoir entendre les sons de la terre ». « Avec l’ouïe, on est dans un rapport plutôt de curiosité. On est en quête de réel. Entrer dans le phonocène, c’est se mettre dans d’autres systèmes par rapport à la vérité qui produisent plus de réel, qui sortent de l’idée que l’humain est exceptionnel, notamment parce qu’il a le langage… » (p 42).
Anne-Sophie Novel rappelle qu’une proposition de loi pour « protéger le patrimoine sensoriel des campagnes » a été votée définitivement par le parlement français en janvier 2021.
Toutes ces découvertes n’ont pas épuisé la curiosité d’Anne-Sophie Novel qui nous dit poursuivre sa recherche par des observations personnelles et par l’exploration des ressources d’internet.
Nous venons de rapporter la richesse du chapitre : « Ecouter », tant par l’expression des ressentis de l’auteure que par une enquête soutenue auprès des meilleurs experts. Et ce n’est que le premier chapitre ! C’est dire combien ce livre est une ressource majeure. Nous y apprenons la biodiversité concrètement et sur toutes les coutures. Anne-Sophie Novel déploie dans ce livre une recherche active qui nous entraine dans un mouvement de vie en phase avec le vivant. Dans la conclusion de ce livre, elle rappelle son intention : « Aujourd’hui, il nous faut défendre la puissance de la vie contre la logique mortifère des lobbies. Et comprendre que le monde sauvage incarne tout ce à quoi nous avons renoncé : la liberté, l’autonomie et la connaissance parfaite de notre environnement. La nature est un espace d’enseignements illimités : elle nous apprend la patience, la résilience et l’adaptation, elle nous apprend à jouir des mille ressources qu’offre le monde vivant et à lutter pour qu’il demeure ainsi » (p 232). Tout au long de ce livre, elle a bien suivi cette piste. Elle peut ainsi continuer à nous appeler à un mouvement concret : « Passez le plus de temps possible au grand air au contact de tous les êtres qui palpitent, des roches, des cours d’eau, du vent… Soyez libres, enracinés et riches de la diversité qui vous entoure, dans cette puissance spontanée (et gratuite) du vivant… » (p 233). Anne-Sophie Novel ouvre pour nous un horizon et une dynamique.
J H
Anne-Sophie Novel. L’enquête sauvage. Pourquoi et comment renouer avec le vivant. Salamandre, Colibris. 2022
Selon un article de Jack Forster : Religious experience and ecology
Nous subissons aujourd’hui les conséquences du manque de respect porté à la nature et de la maltraitance à son égard qui en est résulté. La crise écologique actuelle résulte de l’imposition d’une culture humaine dominatrice et manipulatrice à l’égard du vivant. En regard, une prise de conscience écologique apparaît aujourd’hui. Elle requiert un changement de genre de vie. Elle appelle une transformation des mentalités. Au total, nous avons besoin d’une nouvelle vision du monde. Cette mutation exige un renouvellement des connaissances et la prise en compte de nouvelles approches. Ainsi la dimension spirituelle s’affirme dans une écospiritualité » (1). Celle-ci a des visages multiples.
En Grande- Bretagne, depuis plusieurs dizaines d’années, il existe un centre de recherche qui aborde la question spirituelle à travers la recension et l’étude d’expériences spirituelles et religieuses spontanées, un soudain et passager ressenti mystique d’unité et de reliance, d’amour et de lumière ; c’est le « Alister Hardy Religious Experience ResearchCenter » fondé en 1969 par Alister Hardy, un grand biologiste. Nous avons rapporté le rôle pionnier de ce centre en présentant un livre de David Hay, membre de la même équipe : « Something there » (2). Aujourd’hui, Jack Hunter, chercheur lui aussi au Centre de recherche sur l’expérience religieuse de l’Université du Pays de Galles, publie un livre où il s’interroge sur ce qu’une nouvelle approche des phénomènes paranormaux avec ses conséquences sur l’appréhension du monde peut apporter à la prise de conscience écologique : « Greening the paranormal. Exploring the ecology of extrordinary experience » (3). Le même auteur, Jack Hunter, vient de publier l’éditorial d’un numéro spécial du « Journalfor the Studyof ReligiousExpérience » (2021 N°2) intitulé : « Religious experienceand ecology » (expérience religieuse et écologie » (4). Nous nous appuierons ici sur cet article.
Une personnalité emblématique : Alister Hardy, biologiste des environnements marins, puis chercheur sur l’expérience religieuse et spirituelle
Au départ, Jack Forster rend hommage au fondateur du Centre de recherche sur l’expérience religieuse, Sir Alister Hardy, en écrivant combien le thème du rapport entre écologie et expérience religieuse aurait été cher à son cœur. En effet, Alister Hardy a d’abord été un grand biologiste dans le domaine marin où il est reconnu pour ses recherches sur le plancton et les nombreuses connections que celui-ci entretient avec les écosytèmes marins. Il a été également l’inventeur du « continuous plankton recorder » (enregistreur continu du plancton) qui sert à suivre les niveaux de plancton dans l’océan, un dispositif qui est encore couramment utilisé dans ce domaine. Pendant plusieurs décennies, Sir Alister Hardy (1896-1985) a poursuivi une carrière académique avec des titres divers : professeur de zoologie et d’océanographie à Hull, professeur d’histoire naturelle à Aberdeen, et enfin, professeur de zoologie et d’anatomie comparée à Oxford.
Lorsqu’il prend sa retraite, il s’engage dans une nouvelle orientation de recherche gardée jusque là en veilleuse. En 1969, il fonde la « Alister Hardy Religious Experience Research Unit », devenu « Alister Hardy Religious Experience Research Centre » (5). Il entreprend là un travail particulièrement original : la collecte et l’analyse de récits sur les expériences spirituelles et religieuses. La question configurant la demande de récit était la suivante : « Vous est-il arrivé d’avoir conscience d’une présence ou d’une puissance (ou d’être influencée par elle) que vous l’appeliez Dieu ou non et qui est différente de votre perception habituelle ? ». Plus de 6000 documents de première main ont ainsi été recueillis et sont aujourd’hui accessibles.
Ainsi, dans la vie d’Alister Hardy, deux passions se sont conjuguées. « Dans ses notes autobiographiques, Hardy rapporte avoir eu dans son enfance des expériences dans la nature, des expériences puissantes et transformatrices. Celles-ci auront une influence significative sur le déroulement de sa vie et de son œuvre ». Jack Forster poursuit : « Alister Hardy rapporte comment étudiant, il lui arrivait de rêver en observant la conduite des papillons et d’avoir des moments d’extase en marchant le long des bords de la rivière près de son école à Oundle dans le Nottinghamshire ». Il écrit : « Il n’y a pas de doute que, comme jeune garçon, j’étais en train de devenir ce qui pourrait être décrit comme un mystique de la nature. Quelque part, je sentais la présence de quelque chose qui était au delà et cependant faisait partie de toutes les choses qui me ravissaient : les fleurs sauvages et vraiment aussi les insectes. Je rapporterais quelque chose que je n’ai jamais dit à quelqu’un auparavant, mais maintenant que je suis dans ma 88ème année, je pense que je puis l’admettre. Juste à l’occasion, quand j’étais sûr que personne ne pouvait me voir, je devins si impressionné par la gloire de la scène naturelle, que pendant un moment ou deux, je tombais à genoux dans la prière, non pas une prière pour demander quelque chose, mais une prière pour remercier Dieu que je sentais très réel pour moi, pour les gloires de son Royaume et pour m’avoir permis de les ressentir ». La conjugaison d’une expérience mystique et d’une mentalité scientifique chez Alister Hardy nous rappelle le même rapprochement rapporté par Jane Goodhall (6). Il y là un témoignage pour aujourd’hui.
Les expériences extraordinaires de transcendance et la nature
Le philosophe W.T. Stace (1886-1967) a considéré que le mysticisme de la nature était une des formes principales du mysticisme. Les expériences correspondantes sont extraverties, tournées vers l’extérieur. « Elles sont suscitées par le paysage extérieur et le transfigure, induisant fréquemment un sens de l’unité sous-jacente du monde naturel ».
« Dans les archives du Centre Alister Hardy, il y a de nombreux récits analogues d’expériences transcendantes et extraordinaires apparemment induites par une immersion dans des systèmes écologiques vibrants ». Dans son étude pionnière des compte-rendus recueillis : « The spiritual nature of man » (1979) (la nature spirituelle de l’homme), Alister Hardy identifie « la beauté naturelle » comme un des déclencheurs les plus ordinaires des expériences religieuses, plus fréquents que l’adoration religieuse, en suggérant ainsi une corrélation importante entre les environnements naturels et les expériences extraordinaires ». Jack Forster cite Paul Marshall, auteur d’un livre récent sur la relation entre le monde naturel et les expériences mystiques. « Ces expérience sont importantes, car elles constituent un des principaux genres d’expériences prises en compte par les chercheurs ». Et, souligne Jack Forster, ces expériences jouent en faveur de la relation entre l’homme et la nature et d’une attitude pro-environnementale.
Phénoménologie et écologie : unité et diversité
Les expériences extraverties dans des environnements naturels sont souvent associées à un sens d’unité (oneness) et de communion avec la nature, une caractéristique qui relie ces expériences avec les expériences mystiques du genre classique telles que celles qui sont vécues dans beaucoup de traditions mystiques du monde.
Jack Forster nous rapporte un exemple de récit (7) parmi ceux recueillis au centre Alister Hardy.
« Il y a une douzaine d’années, j’avais quatre grands ormes sur la pelouse de mon jardin. J’étais fortement attirée vers ces arbres et j’avais l’habitude de caresser leur tronc et de leur parler. Je sentais toujours leur réponse à travers une forte vibration à travers mes mains, puis à travers mon corps entier. Cela me donnait la conviction que j’étais Un avec tous les Êtres. Le même flux vital qui coule à travers mon corps, coule à travers toute végétation, les animaux, les oiseaux, les poissons, les minéraux, sous le sol et sous la mer, et même les pierres sur lesquelles nous marchons. Chaque chose animée ou inanimée est maintenu ensemble avec les atomes qui appartiennent à l’Être divin ».
Une conscience de l’unité de la nature apparaît dans ce témoignage. Mais il y en a d’autres où se manifestent tout autant la complexité et la diversité. L’auteur nous en propose un :
« Plus j’allais vers le village, plus les alentours paraissaient devenir vivants. C’était comme si quelque chose, qui avait été dormant quand j’étais dans le bois, venait à la vie. J’ai du dériver ver un état d’exaltation.
La lune, quand je la regardais, semblait être devenue personnalisée et observatrice comme si elle était consciente de ma présence. Une douce senteur remplissait l’air… La rivière me faisait entendre qu’elle m’avait déjà vu auparavant. Le sentiment que j’étais en train d’être absorbé dans un environnement vivant, gagnait en intensité et était en voie d’atteindre son apogée. Cela semblait sortir du ciel dans lequel des harmonies majestueuses résonnaient. La pensée que c’était la musique des sphères fut immédiatement suivie par une irruption de corps lumineux : météores ou étoiles circulant dans leurs courses prédestinées en émettant à la fois de la lumière et de la musique ».
« Des expériences comme celles-ci pourraient être perçues comme des expressions d’une vision animiste, une réalisation de ce que Graham Harvey a éloquemment écrit : « Le monde est plein de personnes parmi lesquelles seules quelques unes sont humaines …. ». Dans l’expérience ci dessus, un dialogue s’établit entre l’expérienceur et la rivière, la lune et les arbres. Mais ces voix multiples sont juste un prélude à l’apogée de l’expérience : l’harmonisation symphonique de voix diverses et nombreuses de la nature en un ensemble conçu comme « la musique des sphères ».
Ainsi Jack Forster peut déclarer : « Alors, les expériences religieuses extraverties révèlent une image du monde qui est à la fois fondamentalement « unitaire et interconnectée » et « diverse, complexe et multiple ». Jack Forster nous renvoie en regard à la manière dont des chercheurs se représentent les écosystèmes. Ainsi, le biologiste végétal, Frédéric Clements (1874-1945), « envisageait les écosystèmes comme des organismes à grande échelle, consistant en une multitude d’organismes plus petits inrerconnectés (plantes, animaux etc). Ces écosystèmes avaient tendance à se développer vers une complexité accrue et de plus grands niveaux de diversité et d’interconnection ». Il voyait là comme une progression finalisée vers un écosystème entrevue comme une apogée, « un organisme ou un superorganisme avec sa propre histoire de vie ayant suivi des voies téléologiques prédéterminées, allant constamment dans la direction d’une plus grande biodiversité et de la stabilité et de l’harmonie globale d’un superorganisme ». Cette conception des écosystèmes « résonne avec les expériences mystiques de la nature décrites plus haut ». Ces expériences spirituelles extraverties tournées vers la nature « peuvent être comprises comme des instances où l’expérienceur ne perçoit plus de séparation entre lui-même et les écosytèmes qui l’entourent, en devenant simultanément conscient de la diversité et de l’interconnectivité de la vie aussi bien que de son unité sous-jacente, lui-même imbriqué dans cet ensemble ». Jack Forster ouvre ainsi un horizon : « En ces moments où l’expérience est en harmonie avec la réalité écologique, nous pourrions dire que l’expérienceur est entré dans un état de « conscience écologique » ou qu’il a développé une conscience de son « soi écologique ».
L’expérience extraordinaire et le soi écologique
Le concept de « ecological self », le soi écologique provient des écrits du philosophe norvégien, Arne Naess (1912-2009). Celui-ci suggérait qu’à travers le processus de réalisation de soi, les êtres humains passeraient ultimement de conceptions égotiques du soi (bornées, individualistes) à un soi écologique. Le soi écologique émerge quand des personnes en viennent à s’identifier avec l’environnement dans la mesure où elles réalisent que la conservation du monde naturel est en même temps un acte d’auto-préservation. Au fond, « c’est la conscience qu’il n’y a pas de frontière solide et imperméable entre le soi et l’écosystème, que le soi est profondément imbriqué dans cet écosystème, qu’il fait partie d’un système écologique plus vaste et est connecté à tous ses autres aspects ». La science de l’écologie met l’accent sur les interrelations. Le soi écologique se construit à partir de cette conscience de l’interconnection.
Jack Hunter s’avance ensuite dans un champ plus vaste et plus conjecturel. En effet, il considère, dans une commune attention, les expériences religieuse et spirituelles et la gamme des expériences paranormales. Il y perçoit un certain nombre de similarités phénoménologiques comme « par exemple, le rôle de la lumière dans beaucoup d’expériences extraordinaires aussi bien que des similarités dans leurs effets postérieurs ». Les différents genres d’expériences extraordinaires sont « associés avec l’émergence d’une plus grande identification avec le monde naturel ». Jack Hunter envisage différentes expériences comme les expériences de sortie du corps ou les expériences proches de la mort. « Est-ce une coïncidence que les expériences paranormales, religieuses et autres extraordinaires soient associées avec une conception étendue du soi et un sens accru de la connectivité naturelle ? ». A la recherche d’explications, Jack Hunter envisage que ces expériences, bouleversant les expérienceurs, les écartent de leurs modèles d’interprétation habituels, les ouvrant ainsi à la conscience qu’ils font partie d’un monde vivant beaucoup plus large, d’un vaste « écosystème invisible ».
Décoloniser la recherche sur les expériences religieuses
Dans cet article, Jack Hunter aborde également un problème méthodologique. Le cadre actuel de la recherche sur les expériences religieuse s’étend-t-il suffisamment au delà de son point de départ occidental ? On imagine les gains qui pourraient advenir en sortant d’un cadre culturellement et méthodologiquement limité. C’est élargir l’horizon.
Une affinité entre les expériences spirituelles et religieuses et la conscience écologique
Il y a bien une affinité entre les expériences spirituelles et religieuses et la conscience écologique. C’est la conclusion de Jack Hunter.
« Pour résumer brièvement, il y a, de longue date, une reconnaissance de la relation entre l’expérience religieuse, mystique et spirituelle et le monde naturel. Vraiment, la fascination de Sir Alister Hardy pour ces deux champs découle de ses propres expériences religieuses extraverties durant son enfance. Les expériences religieuses extraverties paraissent révéler une relation dynamique entre l’unité et la diversité dans la nature. Certaines mettent l’accent sur l’unité sous- jacente de la nature tandis que d’autres mettent en valeur la complexité et la multiplicité. Cette relation dynamique se manifeste aussi dans les perspectives qui ont émergé de la science écologique qui considère les écosystèmes comme des entités holistiques constituées par de nombreuses parties prenantes interactives.
Les expériences religieuses extraverties sont des moments où les expérienceurs deviennent conscients et font eux-mêmes l’expérience de faire partie de ces vastes systèmes complexes ».
Cet article nous parait particulièrement important. Le grand mouvement de la prise de conscience écologique n’appelle-t-il pas, en soutien, une mobilisation spirituelle et n’induit-il un nouveau regard sur le monde : le vivant, l’humain et le divin ? En correspondance, comment ce nouveau regard est-il accueilli et exprimé dans la théologie chrétienne ? Sur ce blog, on trouvera des réponses dans les approches de Jürgen Moltmann (8), de Richard Rohr et de Michel Maxime Egger.
Et sur le site : l’Esprit qui donne la vie : Un avenir théologique pour l’écologie selon Jürgen Moltmann : https://lire-moltmann.com/un-avenir-ecologique-pour-la-theologie/ En voici quelques extraits significatifs : « Les humains sont des êtres créés au sein de la grande communauté de la vie et ils font partie de la nature. Selon les traditions bibliques, Dieu n’a pas infusé l’Esprit divin seulement dans l’être humain, mais dans toutes les créatures de Dieu… Le Créateur est lié à la création non seulement intérieurement, mais extérieurement. La création est en Dieu et Dieu est dans la création… »
Porteuse de grandes menaces, ponctuée par des épisodes alarmants, la crise écologique vient remettre en cause nos représentations et nos comportements, la manière dont nous envisageons le monde et notre mode de vie quotidien. L’ampleur du défi requiert un changement à grande échelle, une véritable révolution culturelle, économique, sociale. Nous voici engagé dans un changement de civilisation. Un tel bouleversement induit des craintes, des peurs. Il suscite des réactions de déni, des résistances, des fuites, des replis, des abandons. Alors, des questions essentielles apparaissent et viennent au devant de la scène. Quel est le sens de notre existence ? Comment nous situons- nous dans le monde qui nous entoure ? En quoi et comment entrons-nous dans un réseau de relations ? Qu’est-ce qui peut nous inspirer et nous encourager ? Ces questions essentielles appellent des réponses spirituelles. Aussi dans le changement en train d’advenir, ce passage vers une civilisation nouvelle, cette grande, transition, une nouvelle approche spirituelle est en train d’émerger. Parce qu’elle répond aux questions nouvelles engendrées par la prise de conscience écologique, on peut l’appeler une « écospiritualité ». « Ecospiritualité », c’est le titre d’un livre écrit par MichelMaxime Egger et publié en 2018 par les éditions Jouvence (1). L’auteur est bien connu et apprécié sur ce blog où nous avons fait déjà part de ses interventions et de ses publications (2). « Michel Maxime Egger est un sociologue, écothéologien et acteur engagé de la société civile. Il anime le réseau www.trilogies.org pour mettre en dialogue cheminements spirituels et engagements écocitoyens. Il est l’auteur d’essais sur l’écospiritualité et l’écopsychologie : « Ecopsychologie » (2017), « La Terre comme soi-même » (2012), « Soigner l’esprit, guérir la Terre » (2015)… » (p 125).
Quelles sont les intentions de l’auteur dans ce livre sur l’écospiritualité ? « Selon Michel Maxime Egger, une double dynamique est en cours où convergent quête spirituelle et aspiration à des relations plus harmonieuses avec la Terre. Ainsi, il nous invite à redécouvrir la sacralité de la nature, à transformer votre cosmos intérieur et à développer des vertus écologiques comme la sobriété, la gratitude ou encore l’espérance. Avec à la clé une nouvelle manière de s’engager : le méditant-militant » (page de couverture).
Le livre est ainsi présenté : « S’ouvrir à la conscience d’une dimension du mystère qui échappe à notre compréhension, qui habite la nature et qui nous unit à la Terre. Telle est la perspective défendue dans cet ouvrage pour construire un monde véritablement écologique, juste et résilient ». « L’écospiritualité affirme que l’écologie et la spiritualité forment un tout parce que sans une nouvelle conscience et un sens du sacré, il ne sera pas possible de faire la paix avec la Terre » (page de couverture).
Ce livre est original par son sujet. Il l’est également par son approche. Michel Maxime Egger, dans un esprit d’ouverture, couvre un champ très vaste dans une approche progressive, de la prise de conscience à l’engagement, comme l’indiquent les têtes de chapitre du livre :
1 Relier écologie, sciences et religions 2 Réenchanter la nature 3 Redécouvrir la sacralité de la terre 4 Etre un pont entre Terre et Ciel 5 Transformer son cosmos intérieur 6 Devenir un méditant militant
Ce livre, riche en contenu, est également très dense puisqu’il se développe en un petit nombre de pages (125p). Le pari est tenu parce que le talent pédagogique de l’auteur s’allie à l’intention de la collection : concept Jouvence. « Cette collection a pour ambition d’expliquer « des concepts » afin de donner des repères et d’aider à l’action dans le quotidien. Comprendre les concepts nous aide à retrouver du sens, à se poser la question du « pourquoi ? », tellement nous sommes submergés par le « comment ». La présentation du livre est commandée par une exigence d’accessibilité. Ainsi les termes importants sont expliqués dans des encadrés. L’intention pédagogique de la collection s’allie à la qualité d’exposition de l’auteur.
Relier écologie, sciences et religion
La prise de conscience écologique appelle une nouvelle conscience spirituelle, mais aussi un renouvellement des héritages religieux. Effectivement, « double dynamique est en cours où convergent quête spirituelle et aspirations à des relations plus harmonieuses avec la nature : un verdissement des religions et une spiritualisation de l’écologie » (p 22). Michel Maxime Egger fait le point sur la relation entre la prise de conscience écologique et les religions.
Ainsi, en ce qui concerne le christianisme, il rappelle le procès de l’historien Lynn White à son encontre dans un article célèbre de la revue Science paru en 1967 (p 25). « Il est important que les Eglises et leurs fidèles reconnaissent les faiblesses de leur tradition en matière écologique ». Cependant, « le problème vient surtout d’une interprétation particulière – cartésienne – de la Genèse. Une approche liée au fait que le christianisme occidental est devenu « a-cosmique » et a contribué au désenchantement du monde par la modernité » (p 26). Ce même christianisme occidental est appelé aujourd’hui à une transformation profonde de son approche théologique. Ainsi, dans un livre récent : « Spirit of hope », Jürgen Moltmann y décrit « un avenir écologique pour la théologie chrétienne ». Cet avenir écologique est lié à une transformation profonde des représentations de Dieu et de sa relation avec la terre. « La création est en Dieu et Dieu dans la création. Selon la doctrine chrétienne originale, l’acte de création est trinitaire ». Ce qui ressort d’une vision trinitaire, c’est l’importance du rôle de l’Esprit. « Dans la puissance de l’Esprit, Dieu est en toute chose et toute chose est en Dieu » (3). Dans son livre : « La Terre comme soi-même » (4), Michel Maxime Egger se réfère à l’approche de la théologie orthodoxe qui a échappé aux dérives engendrées par le changement de vision intervenu à l’époque moderne. Les lignes sont aujourd’hui en mouvement comme le montre le bon accueil de l’encyclique novatrice du pape François : Laudato si’ » (5).
Michel Maxime Egger fait également le point sur l’attitude des autres religions plus ou moins propices à l’écologie. Mais aujourd’hui, « malgré ses ambiguïtés, le rôle écologique des religions est souligné de manière croissante par une grande diversité d’acteurs qui collaborent avec elles » (p 27). L’auteur les appelle à « revisiter leurs traditions de manière critique et créative à la lumière des enjeux écologiques et des découvertes de la science contemporaine. On rejoint là une autre étymologie du mot religion (du latin religere : « relire »). Il s’agit de valoriser les ressources et les potentialités écologiques –souvent ignorées et difficiles d’accès – à travers une réflexion de fond, en faisant évoluer les doctrines, l’interprétation des textes et les rites » (p 28).
La montée des aspirations spirituelles s’affirme globalement. Ainsi l’auteur peut évoquer « la spiritualisation desécologies » (p 29-35). C’est un esprit d’ouverture. « Le préfixe « trans » est un mot latin qui signifie : par delà. Il sied bien à l’écospiritualité. Celle-ci est transcendante… transreligieuse… transdisciplinaire… transmoderne… Pour accomplir son potentiel de fécondité, cette vertu écologique de l’ouverture doit être sous-tendue par un enracinement… » (p 33). Cette spiritualisation de l’écologie se manifeste de différentes manières : reprise d’une tradition ancienne (Henri David Thoreau), sensibilisation d’organisations internationales, réinvestissement de la personne et de son intériorité comme foyer de transformation plus globale selon la formule célèbre de Gandhi : « Deviens le changement que tu veux voir advenir dans le monde ».
« Plusieurs recherches le montrent : nombre de militants ancrent leur engagement dans un travail intérieur, une expérience profonde, voire mystique de la nature et des ressources symboliques associées au spirituel… Certains lieux non religieux conjuguent écologie et spiritualité (6) » (p 31).
« L’écospiritualité se nourrit également des apports de la science postmoderne, vulgarisés par des figures comme Frank Capra et Rupert Sheldrake. Ce vaste chantier a été ouvert au XXè siècle par de nouvelles approches qui se sont développées au XXè siècle entre l’infiniment grand et l’infiniment petit » (p31).
Au total, « l’écospiritualité qui s’exprime dans ces espaces, est le plus souvent laïque et autonome par rapport au religieux institutionnalisé » (p 32).
Redécouvrir la sacralité de la Terre
Il y a donc aujourd’hui un grand mouvement pour « réenchanter la nature » (p 36-51). Ainsi la Création est envisagée comme « don », la Terre comme « mère », le cosmos comme « organisme vivant ». L’auteur nous engage à redécouvrir la sacralité de la nature. « Il convient de mettre un terme au divorce entre le sacré et la Terre, non pour diviniser la nature, mais pour lui redonner son mystère, source de respect » (p 52). Encore faut-il s’entendre sur la définition du sacré, notion complexe, lourde d’héritages divers ». Etymologiquement, il désigne ce qui est (mis) à part. Aujourd’hui, le sacré change de visage dans une nouvelle conscience. Il ne sépare plus, mais relie. Il vient moins de l’extérieur et par le haut (le Ciel) que de l’intérieur et par le bas (la Terre). Il n’existe plus en soi, mais à travers une relation. Il n’est plus réductible au religieux institué qui n’en est qu’une des expressions » (p 56). « Selon l’écothéologien Thomas Berry, le sacré évoque les profondeurs du merveilleux ».
Immanence et transcendance divine : les voies du pananthéisme.
Comme son étymologie l’indique, le panenthéisme est une doctrine du tout en Dieu et de Dieu en tout. C’est l’approche de Jürgen Moltmann en regard de la conception d’un Dieu lointain et dominant. Le panenthéisme est la voie des théologiens orthodoxes, mais aussi de nombreux théologiens très divers de Teilhard de Chardin à Leonardo Boff. Michel Maxime Egger envisage aussi le panenthéisme comme la voie de l’écospiritualité. « Ce dernier permet d’aller au delà de deux modèles qui enferment souvent la question écologique : le matérialisme et le panthéisme… Le panenthéisme unit le divin et la nature sans les confondre.
Dans la version faible du panenthéisme, la nature est le miroir du divin… Les hommes, les animaux, les oiseaux, les arbres, les fleurs sont des manifestations de Dieu, des signes de son amour, de sa sagesse, de sa bonté. Dans sa version forte, le panenthéisme n’est pas que le reflet du divin, mais le lieu de sa présence. « En toute créature, habite son Esprit vivifiant qui nous appelle à une relation avec lui, écrit le pape François » (p 58). Michel Maxime Egger décrit ensuite « trois modalités du panenthéisme fort qui résonnent à travers diverses traditions religieuses : Les empreintes du divin, les énergies divines et les esprits invisibles » (p58).
« Le premier mode de la présence de Dieu dans la nature est l’empreinte divine que chaque être humain et autre qu’humain, porte dans son être profond… ». L’auteur nous rapporte la tradition chrétienne à ce sujet. « Selon le Nouveau Testament, le Logos ou le Verbe divin est le « Principe » en qui, pour qui et par qui tout existe… Chaque créature porte en elle comme une information divine… C’est un ensemble de potentialités à réaliser en synergie avec la grâce de l’Esprit » (p 59).
« Le deuxième mode de présence de Dieu dans la nature se traduit par ses énergies qui rayonnent sur toute la terre » (p 64). Nous nous rencontrons ici à nouveau avec la pensée théologique de Jürgen Moltmann telle qu’elle se manifeste dans ses deux livres : « Dieu dans la création » et « L’Esprit qui donne la vie » (7).
« Une troisième modalité de la présence du divin dans la nature est constituée par les esprits qui peuplent le monde invisible « (p 64). Des théologiens pentecôtistes comme Amos Yong s’interrogent sur le discernement des esprits. Kirsteen Kim évoque ce sujet dans son œuvre sur l’Esprit saint dans le monde et particulièrement en Corée (8).
Au total, quelque soit la forme du panenthéisme, la nature est plus qu’une réalité matérielle obéissant à des lois physiques et chimiques. Elle est un mystère habité d’une conscience et d’une Présence » (p 67).
Quelle est la mission de l’homme ?
Si notre regard sur la nature en terme de sacralité se renouvelle, quel est maintenant le rôle de l’homme ? Les derniers chapitres balisent une voie . L’homme a pour mission d’être « un pont entre laterre et le ciel ». Il est appelé à transformer son « cosmos intérieur ». Et, à l’exemple de l’auteur, il devient un méditant-militant.
Cependant, tous ces chapitres sont denses. En voici seulement quelques aperçus. « Faire la paix avec la Terre demande de changer notre regard sur l’être humain pour lui redonner sa place dans la nature. L’enjeu est de sortir tant de l’anthropocentrisme que du biocentrisme pour élaborer une troisième voie fondée sur une relation dynamique et équilibrée entre l’humain, le cosmique et le divin. Trois réalités à unir sans les confondre et à les distinguer sans les séparer, le divin étant le centre caché de toutes choses » (p 70). Sortir d’un « anthropocentrisme dévié », selon l’expression du pape François, suppose « une série de passages : d’une approche hiérarchique à une vision holistique, de l’indépendance à l’interdépendance… » (p 74). « Pour opérer cette transformation, quatre postures ressortent des différentes traditions comme autant de pistes de réflexion » (p 74).
L’homme peut être considéré comme intendant ou jardinierdela Création, à l’inspiration du passage de la Genèse (2.15) où Dieu enjoint à l’être humain de garder et conserver le sol. Cependant, cette posture n’est pas sans risque. Elle peut induire une relation managériale, utilitariste et instrumentale avec la nature (p 75).
Une deuxième posture est celle de « citoyen de la communautédu vivant », « citoyen de l’univers et membre de la fratrie cosmique » (p 74). Ainsi que l’affirme un théologien, Thomas Berry, « la terre n’est pas une collection d’objets, mais une communauté de sujets ». « Selon les traditions, tous sont enfants du même père… ou de la même mère… Par cette origine partagée, tous les êtres vivants sont unis « par des liens invisibles » et « forment une sorte de famille universelle » (Laudato si’). (p 76).
« Une troisième posture respectueuse de la toile du vivant consiste à nous re-naturer (Jean-Marie Pelt) et à restaurer notre lien ontologique avec la nature. « Dans « humain », il y a « humus », la terre. La même racine se trouve dans « humilité… La terre n’est pas que notre milieu de vie, mais notre matrice originelle… » (p 78) ». Nous ne sommes pas seulement partie intégrante de la nature, mais celle-ci est inscrite au plus profond de notre corps et de notre psyché » (p 79). Avec Michel Maxime Egger, nous pouvons nous reconnaître comme un « microcosme interdépendant ».
Enfin, une quatrième posture nous est proposée, celle de médiateur entre la nature et le divin. « Selon la métaphore de Grégoire de Naziance, nous sommes des « êtres-frontières ». Nous appartenons à deux ordres de réalité entre lesquelles nous sommes appelés à être des médiateurs, le visible et l’invisible, le matériel et le spirituel… la Terre et les Cieux » (p 80). Certes, « ainsi que le montre une foule de travaux scientifiques, nous avons beaucoup en commun avec d’autres espèces… mais, en même temps, nous possédons des facultés en propre qui nous distinguent du reste de la nature » (p 81). « Microcosme, l’être humain est aussi un « microtheos », disent les Pères de l’Eglise. Créé corps, âme,esprit, cette troisième faculté, l’esprit, est ce qui rend l’être humain capable de transcender la matière, saisir les choses dans leur essence spirituelle, percevoir, au delà des apparences, la Présence qui habite la Création et qui en est la source » (p 81). « Elle définit une vocation particulière couplée à une grande responsabilité : participer à l’accomplissement spirituel de la Création » (p 82). Ici l’auteur nous parle de célébration.
Dans cet exposé, Michel Maxime Egger fait appel à une grande diversité de pensées, des Pères de l’Eglise à des philosophes comme Martin Buber ou Emmanuel Levinas, du pape François à des personnalités spirituelles de différentes traditions.
Dans un dernier chapitre : « Devenir un méditant- militant », l’auteur nous invite à ne pas nous perdre dans une spiritualité hors-sol, mais à nous engager dans la société au quotidien. « Ancrés dans l’être, l’engagement et les gestes écologiques ne relèvent plus d’une obligation morale (« il faut ») ou d’un idéal extérieur auquel se conformer, mais sont le fruit quasi-organique d’une nécessité intérieure liée à une reconnexion en profondeur avec la terre » (p 104). Cet engagement a besoin d’être enraciné, nourri. C’est une invitation à la cohérence. « L’horizon est l’alignement entre l’être et le faire, la parole et l’action, l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité » (p 112). « Une figure incarne ce nouveau mode d’engagement écocitoyen, joyeux et non sacrificiel : le méditant-militant » (p 112). L’auteur nous décrit en plusieurs points les caractéristiques de cette nouvelle forme d’engagement. C’est encore là un passage à lire et à méditer (p 112-113)
Une révolution silencieuse
Dans ce monde où les menaces abondent, il est important de voir qu’il y a bien au sein même de cette crise, des pistes positives. Aujourd’hui, Michel Maxime Egger nous montre une révolution silencieuse en cours. « Au sein même du chaos planétaire et des menaces d’effondrement, une nouvelle conscience est en train d’émerger. Ce qui se passe et qui nous échappe en bonne partie, ressemble à la genèse d’un papillon… Le spécialiste de l’intelligence collective Ivan Maltcheff voit dans ce processus une métaphore inspirante pour la situation actuelle. Aux quatre coins du globe, à différents niveaux de la société, des personnes et des groupes en transition se connectent à la nature et au divin pour cocréer le monde de demain, nourrir un devenir vers d’autres champs du possible, d’autres modes de vie compatibles avec les lois du vivant » (p 116).
L’écospiritualité est une bonne nouvelle !
J H
Michel Maxime Egger. Ecospiritualité. Réenchanter notre relation avec la nature. Jouvence, 2018
Quand des voix innovantes et compétentes nous ouvrent de nouveaux chemins pour un monde écologique
Réalisateur du film : « Demain » (1), qui, en son temps, ouvrit les esprits à une dynamique de société participative et écologique, Cyril Dion réalise aujourd’hui un second long métrage : « Animal », qui nous éveille à la vision d’un monde fondé sur la biodiversité.
Le film réalise le projet décrit dans la page de couverture du livre correspondant : « Imaginez que vous puissiez voyager sur quatre continents pour rencontrer certains des plus éminents et des plus passionnants biologistes, climatologues, paléontologues, anthropologues, philosophes, économistes, naturalistes et activistes qui cherchent à comprendre pourquoi les espèces disparaissent, pourquoi le climat se dérègle et surtout comment inverser la tendance ». Le livre : « Animal » (2) rapporte l’ensemble de témoignages, des informations et des idées recueillies « dans une série de rencontres effectuées lors du tournage du film ».
« Pendant 56 jours, Cyril Dion est parti avec une équipe de tournage et deux adolescents très engagés, Bella Lack et Vipulan Puvaneswaran (p 17), l’une anglaise et l’autre français de parents nés au Sri Lanka. Avec Cyril Dion, ces deux jeunes ont posé leurs questions. « Faire ce voyage avec eux fut une expérience merveilleuse et bouleversante. Pour autant, dans la retranscription des entretiens, j’ai choisi de mêler nos trois voix en une pour interroger nos interlocuteurs ». « Leur présence active a permis de mieux comprendre comment leur génération aborde un double défi écologique » (p 21). Le sous-titre du livre témoigne de cette intention : « Chaque génération a son combat. Voici le notre ».
« Si le climat est devenu un sujet incontournable, une autre crise écologique sans doute aussi grave est encore largement absente des conversations et de nombreuses politiques publiques : « la destruction accélérée du vivant » (p 14). Les chiffres sont accablants. De nombreuses espèces sont menacées ou en danger d’extinction. « Notre planète se dépeuple de ses habitants non humains sauvages » (p 15). Aussi, ce livre est un manifeste en faveur de la biodiversité, en faveur de la présence des animaux. Et il s’efforce de répondre aux questions correspondantes : « Pourquoi des espèces disparaissent-elles ? Que pouvons-nous faire pour l’éviter ? Et pourquoi y sommes-nous pour quelque chose ? (et la réponse est oui). Avons- nous le droit de faire ça ? A quoi servent toutes ces espèces ? Doivent-elles servir à quelque chose pour que nous décidions de les protéger ou d’arrêter des les éradiquer ? Comment renouer une relation féconde avec le vivant ? Quelle est notre place parmi les autres espèces ? Et, à quoi servons-nous dans l’univers du vivant ? » (p 17).
« Nous avons besoin de regarder en face ce que notre planète traverse… Nous avons besoin de lucidité, de courage, de solidarité, d’élan, de sens et de désir. De la lucidité peut naitre le choc et c’est ce choc qu’il nous appartient désormais de faire » (p 23). A travers l’expérience et l’expertise des personnalités interviewées, ce livre est si dense et si riche qu’il n’est pas possible d’en rendre compte. Nous essaierons seulement ici de rapporter quelques moments privilégiés où, parmi d’autres, un horizon se découvre, une perspective apparaît. Ce sont quelques brèves notations qui ouvrent notre esprit à une dimension nouvelle.
Pourquoi les espèces disparaissent ? Rencontre avec Anthony Barnosky (p 27-36)
Anthony Barnosky, géologue, paléontologue et biologiste qui a enseigné, toute sa carrière, à l’Université de Berkeley, répond à nos questions (p 27-36). Il distingue cinq causes majeures de l’extinction des espèces : la destruction des habitats, la surexploitation des espèces, la pollution, les espèces invasives, et les changements climatiques » (p 29). La menace aujourd’hui réside non seulement dans des changements progressifs, mais dans l’apparition de « points de bascule » (p 32). A la suite de cet entretien, laissant de côté le dérèglement climatique, « un phénomène si considérable qu’il nécessiterait, à lui seul, un film ou un livre, la recherche de l’équipe s’est centrée sur la pollution, la surexploitation des espèces et la disparition des habitats ».
Se passer des pesticides Rencontre avec PaulFrançois (p 38-58)
Paul François est un agriculteur qui, suite à un grave accident avec un herbicide, a converti ses 240 hectares en agriculture biologique. A cette échelle, un tel changement est un exploit. Paul François nous raconte son changement de mentalité et de pratique. Il lui a fallu accepter la présence de l’herbe plutôt que de la supprimer systématiquement. Plutôt que d’acheter des produits chimiques, Paul François investit dans la mécanisation et dans la main d’œuvre. Et il a vu réapparaitre les hirondelles qui, en se nourrissant des insectes, remplacent les pesticides. Les abeilles reviennent également. En même temps, Paul François nous dit comment « ilgagne mieux sa vieen bioqu’en conventionnel ». Suite à sa maladie professionnelle, Paul François a remporté une bataille juridique contre Monsanto. C’est dire son courage et sa persévérance. La transformation de son exploitation est un exploit remarquable.
Arrêter de parler et agir Rencontre avec Afroz Shah (p 65-75)
Afros Shah est un jeune avocat indien qui a engagé la lutte contre le plastique répandu sur une grande plage à Mumbaï. Une grande mobilisation pour le nettoyage s’en est suivie. C’est une action de terrain. Voilà une action qui évoque la responsabilité qui incombe à chacun de nous. « C’est le raisonnement que s’est tenu Afroz. Et il se trouve qu’il est à l’origine, par son seul engagement, d’un considérable mouvement de nettoyage du plastique à Mumbaï, qui a inspiré des milliers et peut-être même des millions de personnes en Inde et dans de nombreuses régions du monde » (p 71).
La maternité d’un élevage intensif Rencontre avec Laurent Hélaine et Philippe Grégoire
(p 77-96)
Cette visite à un élevage intensif suscite en nous un effroi et un écœurement. A cette occasion, la question de la consommation de la viande dans l’alimentation est posée. Cyril Dion ouvre la réflexion : « Si nous voulons réduire considérablement notre consommation de viande, il serait sans doute plus efficace de le faire à travers une mesure structurelle emblématique qui, à mon sens, ferait honneur à l’humanité : bannir l’élevage en cage, mais également en bâtiment fermé sans accès à l’extérieur comme le propose le référendum pour les animaux… Interdire ce type d’élevage aurait la vertu de cesser d’infliger ces terribles conditions de vie à des animaux, mais également de diminuer mécaniquement la quantité de viande que nous pourrions consommer » (p 95-96).
Des lois pour transformer la société Rencontre avec Claire Nouvion et Matthieu Colléter
(p 98-125)
On parle ici des actions volontaires pouvant exercer une influence. On a besoin de lois pour changer la donne. Face aux lobbys, une conscience politique est nécessaire. Des associations s’emploient avec persévérance à obtenir des changements législatifs. C’est le cas de l’association Bloom où travaillent Claire et Matthieu, et qui intervient au niveau européen. Ainsi, elle est parvenue à gagner une bataille contre la pêche en eau profonde. C’est une victoire importante, mais il a fallu des années pour y parvenir alors que les nouvelles techniques de pêche ravageaient les fonds sous-marins. A ce propos, Cyril Dion nous décrit les coulisses des pouvoirs politiques. Il nous rapporte par exemple l’expérience innovante qui a été celle de la Convention citoyenne pour le climat (p 120-123). Et comme il y a activement participé, il nous en montre également les limites, tous les obstacles auxquels les propositions de la Convention se sont heurtées. « Les groupes d’intérêt privés ont une influence disproportionnée sur les décisions publiques ». Alors, une pression de l’opinion est particulièrement nécessaire. Mais pour l’emporter, « peut-être avons nous besoin d’un autre récit de ce quel’avenir pourrait être ».
Le récit de la croissance et les nouveaux indicateurs. Rencontre avec Eloi Laurent
(p 127-145)
L’ancien récit « fondé sur la croissance économique et une certaine conception du progrès est en train de nous entrainer vers l’abime ». C’est ce que nous a longuement expliqué Eloi Laurent, économiste à l’OCDE et enseignant à Sciences Po Paris et à l’université de Stanford en Californie. Considérant la relation entre économie et écologie, Eloi Laurent a mis l’accent sur l’interaction entre la crise des inégalités et la question écologique en les considérant comme liées et jumelles » (p 127). Quel type de dynamique sociale conduit aux crises écologiques ? Quelle est la source du problème ? « Il est désormais absolument clair que la poursuite de la croissance économique telle qu’elle est conçue aujourd’hui, engendre la destruction des écosystèmes » (p 129). « Avec ‘Les limites de la croissance’, écrit au début des années 1970, l’équipe autour de Dennis et Donella Meadows avait une incroyable intuition de ce qui allait se passer » (p 130). Selon Eloi Laurent, les concepts de croissance et de décroissance ne sont plus pertinents. « Il faut se concentrer sur le bien-être humain. Ce qui compte pour les gens, c’est la santé et les lienssociaux ». Eloi Laurent propose la santé comme l’indicateur fondamental qui doit et qui va remplacer la croissance au XXIe siècle (p 153). « Malheureusement, que ce soit le lien social ou la santé, ces deux indicateurs sont mis à mal par l’organisation actuelle du monde ». Eloi Laurent répond également à des questions sur le capitalisme. Ce qui importe, à son avis, c’est que la puissance publique ne soit pas au service du marché » (p 137). Par ailleurs, des pays comme la Chine et l’URSS ont de très mauvais bilans écologiques indépendamment du capitalisme. Au contraire, Eloi Laurent cite « des petits pays gouvernés par des femmes, qui ont décidé de sortir de la croissance : la Nouvelle-Zélande, la Finlande, l’Islande et l’Ecosse… On peut tout à fait décider que la richesse, c’est la santé, l’éducation, la biosphère… C’est en partie ce qu’ont fait les pays nordiques » (p 138).
La nature n’existe pas Rencontre avec Philippe Descola
(p 147-173)
Cyril Dion décrit ensuite son champ de recherche. « Pour élaborer les directions des projets économiques et politiques, il nous faut adhérer à une lecture (forcément subjective), commune du monde… (p 143) Ce dont nous avons besoin n’est pas de prouver fièrement que nous sommes capables d’accomplir des exploits, mais de détourner le fleuve pour que tout le monde aille dans la même direction. Mais, pour cela, nous avons besoin d’un autre récit collectif que celui de la croissance. Qui donne suffisamment de sens et de perspective à l’humanité pour orienter différemment son destin » (p 145). A partir de cet instant, nous avons réorienté notre quête. « Plutôt que de continuer à chercher des réponses techniques aux cinq causes de l’extinction dans une logique quelque peu mécanique, nous nous sommes intéressés à ce qui pourrait devenir les fondements d’un autre récit. Pour cela, nous sommes allés rencontrer Philippe Descola, sans doute l’un des anthropologues vivants les plus respectés, disciple de Claude Lévy-Strauss et auteur du livre : « Par delà. Nature et culture » (p 146).
Philippe Descola critique le concept de nature. « La nature, c’est essentiellement, ce qui est en dehors de nous les humains ». Elle est ce qui nous permet de regarder de haut tout ce qui est non humain… » (p 151). « La nature est devenue un élément central du monde des Européens ». Ce terme n’existe pas dans d’autres langues. En Europe, nous avons voulu établir « une frontière entre les animaux humains et non humains fondée sur discontinuité morale et subjective » (p 152). Mais, affirme Philippe Descola, « les «signes symboliques du langage » ne sont pas les seuls moyens de communication. En Amérique, les gens pensent que les animaux non humains peuvent former des projets et réfléchir sur eux-mêmes, qu’ils ont une sorte de subjectivité que l’on pourrait appeler intériorité ». Et, pour communiquer avec les animaux, ils intègrent les signes que ceux-ci utilisent » (p 153). « Nous sommes connectés à tous les éléments du monde de façon inextricable » (p 154).
Nous faisons partie du monde vivant Rencontre avec Dr Jane Goodhall (3), fondatrice de l’Institut Jane Goodhall et messagère de la paix auprès des Nations unies.
(p 174-192)
« A une époque où les femmes étaient découragées de poursuivre des études scientifiques… Jane a eu l’audace d’engager des recherches non conventionnelles – d’abord sans diplôme, puis en passant à l’Université de Cambridge – en menant la toute première étude sur les chimpanzés dans leur environnement naturel. Grâce à sa ténacité, elle a non seulement vécu une vie extraordinaire, mais elle a surtout changé notre façon de penser la relation entre les humains et les animaux » (p 171). Parce qu’elle était en phase avec la forêt, les arbres, les animaux, Jane a pu entrer en contact avec les chimpanzés et mettre en évidence leurs capacités, entre autres, l’utilisation d’outils, abolissant la frontière qui avait été établie entre cette espèce et les humains. Aujourd’hui, Jane nous appelle à une prise de conscience : « Tout au long de notre évolution, nous faisions simplement partie du monde animal. Mais maintenant que nous avons développé un intellect, et que nous savons que nous détruisons la planète, notre rôle devrait être celui de réparer les dommages ». Le message de la Genèse devrait être compris comme attribuant à l’homme un rôle d’intendant. « Un bon intendant prend soin de la terre. L’heure est maintenant venue d’utiliser notre fameux intellect pour changerles choses… » (p 188).
La bibliothèque du vivant Rencontre avec Dino Martins
(p 196-221)
Le voyage de Cyril Dion s’est poursuivi dans l’exploration du vivant et la compréhension des écosystèmes. Cyril Dion et son équipe ont rendu visite à Dino Martins, biologiste et créateur du Mpala Research Center au beau milieu du Kenya. Dino Martins est aussi un entomologiste passionné par la biodiversité et « plus particulièrement par les plus petites créatures que sont les abeilles, les termites et les insectes en général dont il est un spécialiste mondial » (p 189). Dino les a accompagné dans son parc du Kenya à la découverte des éléphants, des girafes et des zèbres en liberté dans leur environnement naturel. Ce fut un émerveillement. En cette circonstance, Dino Martins a mis en évidence l’importance de la biodiversité. « Si nous perdions trop d’espèces, la vie humaine deviendrait misérable et nous serions nous-mêmes confrontés à un risque d’extinction. Chaque espèce fait partie de cette toile de la vie où tout est interconnecté. La bibliothèque du vivant est ce qui nous maintient en bonne santé, nous nourrit, nous rend heureux » (p 198). Dino décrit la vie des écosystèmes. Comment les animaux communiquent entre eux ? Comment les différentes espèces participent à l’équilibre des écosystèmes ?
Grand observateur des fourmis, Dino nous montre leur activité incessante. Elles contribuent notamment à la dispersion des graines. « Sans elles, il n’y aurait pas de prairies. Er, sans prairies, pas d’animaux. Ces fourmis font partie de ces écosystèmes depuis des centaines de milliers d’années et elles en sont une des espèces clé » (p 214).
Dino manifeste son enthousiasme pour tout ce qui est vivant. La faune sauvage « nous rappelle la beauté, la vérité, l’amour. Voir des animaux se déplacer dans ce monde est l’une des choses les plus magiques qui soient et je ne me lasserai jamais de les observer » (p 209).
La cascade trophique et les superprédateurs Rencontre avec Liz Hadley
(p 225-249)
L’exploration se poursuit dans une rencontre avec Liz Hadley, responsable de la réserve naturelle de Jasper Ridge en plein milieu de la Silicon Valley en Californie. Dans cette petite réserve, la diversité se manifeste à nouveau dans la variété des espèces qui s’équilibrent les unes les autres. Et, à cet égard, on nous montre le rôle que jouent les superprédateurs, comme par exemple les pumas « en régulant les populations de cervidés, permettent de contrer la maladie de Lyme issue des acariens qui s’attachent aux cerfs » (p 227).
Cohabiter avec les loups Rencontre avec Baptiste Morizotet Jean-Marc Landry
(p 251-300)
Dans ce monde du vivant, comment les humains vont-ils se comporter, en terme de guerre ou de respect envers les espèces animales ? Aujourd’hui, en France, les loups reviennent et paraissent menaçants. Effectivement, les éleveurs sont inquiets lorsqu’ils voient les troupeaux attaqués. Cyril Dion est allé à la rencontre d’un éleveur et il a interrogé le philosophe Baptiste Morizot. Ce dernier s’est interrogé sur notre possible cohabitation avec les loups en expérimentant sur le terrain, pistant les loups et autres prédateurs, mais aussi en allant à la rencontre des éleveurs » (p 249).
Ainsi Baptiste s’implique dans l’approche suivante. « C’est une situation dans laquelle les différents camps sont venus à cohabiter dans les mêmes territoires tout en ayant des intérêts contradictoires. Ils doivent apprendre des langages communs et trouver des moyens de se faire passer des messages, de traduire leurs comportements mutuels pour entretenir des relations moins toxiques » (p 270).
Baptiste Morizot a écrit un livre : « les diplomates ». Aujourd’hui, le monde vivant nous rappelle qu’il est bien vivant, qu’il n’a jamais été un décor et qu’il faut agir avec lui avec le même degré d’attention et de sérieux que nous le faisons avec les altérités humaines… Le grand enjeu aujourd’hui, c’est de leur rendre justice. Et donc de commencer à apprendre leur langage, à comprendre comment ils vivent pour inventer des modus vivendi. En ce sens, il s’agit de diplomatie » (p 295).
Coopérer avec le vivant L’exemple du Bec Hellouin (4) Rencontre avec Perrineet Charles Hervé-Gruyer
(p 201-215)
« Cohabiter avec le vivant, c’est non seulement le comprendre et le protéger, mais c’est aussi le moyen de collaborer avec lui ». Existe-t-il une façon d’habiter cette planète avec une logique de gagnant-gagnant avec le vivant ? Il y a bien une nouvelle logique qui émerge, notamment autour des dynamiques permaculturelles » (p 299).
« A la ferme du Bec Hellouin, on peut découvrir une des applications, de la permaculture à l’agriculture, les plus abouties du monde… La visite même du lieu est transformatrice… L’harmonie des formes, des couleurs, la diversité des cultures dans un espace si réduit, le soin apporté à la construction de chaque butte, de chaque mare, de chaque bâtiment a quelque chose de bouleversant… De cette organisation profondément intelligente peut jaillir la beauté conjuguée à l’efficacité créée par une forme de symbiose entre les différents systèmes qui coexistent » (p 300).
Charles nous raconte l’histoire de la ferme. « La création de la ferme a été une véritable aventure. Au départ, notre rêve était de vivre en harmonie avec la nature… Dans cette quête de beauté, nous avons composé l’ensemble un peu comme un tableau avec beaucoup de petits espaces… Sans le savoir, nous avons reconstitué un paysage complexe qui favorise les connexions. Puis quelque chose de magnifique s’est produit. On cherchait la beauté et la nature nous a offert un cadeau formidable : la productivité » (p 303). « Cette ferme fait 20 hectares », nous dit Perrine, « mais nous nous contentons d’en cultiver 5, car nous faisons tout à la main ou avec un cheval de trait… Une culture sans engrais, sans pesticide, sans produit chimique ou desynthèse » (p 302). Charles nous décrit une trajectoire de découverte : « Au fil des ans, nous avons découvert qu’en faisant tout à la main, nous pouvions faire pousser plus de légumes en moins d’espace. Ce faisant, on libère les 9/10 du territoire pour installer des milliers d’arbres, des haies, des mares, des plantes aromatiques et médicinales. Autant de milieux différents, de niches écologiques qui permettent d’accueillir la faune et la flore sauvage. Nous avons progressivement observé la réapparition des insectes, des papillons, des vers de terre et des abeilles, mais aussi d’oiseaux en voie de disparition et de plantes indigènes… » (p 302). C’est vraiment une coopération avec la nature. « Au départ, on voulait produire notre nourriture en faisant le moins de mal possible à la planète. Mais un jour, on s’est dit que cette histoire ne tenait pas debout, que ce que nous voulions en réalité, c’est produire en faisant du bien à la planète. Depuis, nous faisons tous le jours le constat qu’on peut résoudre cette équation difficile qui consiste à cultiver une nourriture de qualité en réparant les blessures qu’on a infligé aux écosystèmes » (p 304).
Coopérer avec le vivant
Cyril Dion poursuit cette conversation sur la manière de coopérer avec le vivant en interrogeant François Léger, enseignant chercheur en agro-écologie, longtemps conseiller scientifique de la ferme du Bec Hellouin. A la demande des deux adolescents accompagnant Cyril Dion, la conversation a porté notamment sur la place des animaux dans le système agricole. Ce fut ensuite une rencontre avec Nicolas Vereecken, professeur d’agro-écologie et spécialiste des insectes. Notre intérêt pour les ruches et les abeilles domestiques ne doit pas nous faire oublier la vie et le rôle des abeilles sauvages qui jouent un rôle important dans la pollinisation. Là encore, il faut envisager la biodiversité. « Si vous n’aviez pas d’oiseaux, de frelons, d’araignées, la vie serait beaucoup plus difficile pour nous tous, surtout en été parce que vous auriez des surpopulations d’insectes que tous ces organismes aident à contrôler… La clé de l’écologie, c’est l’interdépendance et l’équilibre » (p 333).
Partout des initiatives
Les entretiens se poursuivent avec des personnalités exceptionnelles en des lieux qui parsèment la planète.
C’est la rencontre avec Lotus Vermeer qui est parvenue à rétablir la biodiversité et à ramener des espèces dans les Channel Islands sur la côte de Californie. C’est une rencontre avec Valérie Cabanes, juriste international qui travaille au contact des peuples indigènes et lutte pour les droits humains et pour le droit de la nature. C’est une rencontre avec le président du Costa Rica qui, par une politique volontariste, est parvenu à rétablir la couverture forestière dans son pays, de 20% dans les années 1980, à 70% aujourd’hui. C’est une rencontre avec Paulino et Paolo Rivera, membres d’une tribu autochtone au Costa Rica, ayant dû abandonner leur lieu d’origine et ayant réussi à planter une forêt dans leur nouvel habitat.
En mobilisation
En fin de parcours, Cyril Dion nous rappelle l’inimaginable défi écologique auquel nous sommes confrontés.
« Le péril est là et demande, toutes affaires cessantes, à nous mobiliser comme en temps de guerre »… « Le changement auquel nous devons parvenir, est culturel et structurel « (p 415).
Ce livre nous aide puissamment à penser le monde différemment et nous éclaire sur les pistes d’action. Tout informé que nous ayons pu être sur les questions écologiques, nous sortons différents de cette lecture. A travers les entretiens, nous avons découvert une multitude de situations et des réponses aux questionnements ainsi éveillés. Avec Cyril Dion et les deux adolescents qui l’ont accompagné, Bella et Vipulan, nous avons participé à une véritable exploration, à une grande épopée. A travers des flashs significatifs, nous avons rapporté cette lecture enthousiasmante qui vient accompagner un film impressionnant et mobilisateur (5). De quoi envisager ensemble un nouveau récit et un projet commun.
Louez l’Eternel du bas de la terre, Monstres marins et vous tous abimes :
Feu et grêle, neiges et brouillards ;
Vents impétueux qui exécutez ses ordres ;
Montagnes et toutes les collines ;
Arbres fruitiers et tous les cèdres ;
Animaux et tout le bétail ;
Reptiles et oiseaux ailés ;
Qu’ils louent le nom de l’Eternel
Car son nom seul est élevé ;
Sa majesté est au dessus de la terre et des cieux
Psaume 148 7-10,13
Dans cette séquence (1), frère Richard Rohr partage sur la manière de « voir » et de percevoir Dieu dans les formes de la nature sur la base d’une spiritualité incarnée.
10 octobre 2021 Contempler la création
La spiritualité de la création a ses origines dans les Écrits hébraïques tels que les psaumes 104 et 148. C’est une spiritualité qui est enracinée, en premier, dans la nature, dans l’expérience, et dans le monde tel qu’il est. La riche spiritualité hébraïque a formé l’esprit et le cœur de Jésus ».
Richard Rohr fait remarquer alors combien nous sommes habitués à penser la religion en terme d’idées, de concepts et de formules trouvés dans des livres. « Ce n’est pas là où la religion commence. Ce n’est pas la spiritualité biblique. Celle-ci commence en observant ce qui est ».
Paul écrit : « Déjà depuis la création du monde, l’essence invisible de Dieu et sa puissance éternelle ont été vues clairement par la compréhension de l’esprit des choses créées » (Rom 1.20). Nous connaissons Dieu à travers les choses que Dieu a faites. La première fondation de toute vraie vision religieuse est tout à fait simplement d’apprendre à voir et à comprendre ce qui est ».
Or, selon Richard Rohr, « la contemplation, c’est rencontrer la réalité dans sa forme la plus simple et la plus directe, sans jugement, sans explication et sans contrôle ».
Richard Rohr nous appelle à voir dans le monde les « vestigia Dei », ce qui signifie les empreintes de Dieu. Apprendre à aimer pourvoir. « Nous devons commencer avec une pierre. Puis nous passons de la pierre au monde végétal et nous apprenons à apprécier les choses qui grandissent et à voir Dieu en elles. Peut-être, une fois que nous pourrons voir Dieu dans les plantes et les animaux, nous pourrons voir Dieu dans nos prochains. Et puis, nous pourrons apprendre à aimer le monde. Et puis quand tout cet amour aura pris place, quand ce regard sera advenu, quand de telles personnes viendront à moi et me diront qu’elles aiment Jésus, j’y croirais. Elles sont capablesd’aimer Jésus. Leur esprit est préparé. Leur esprit est libéré et il a appris à voir et à recevoir, comment rentrer en soi et en sortir. De telles personnes pourraient bien comprendre comment aimer Dieu ».
La dance de la vie
Richard Rohr voit en François d’Assise comme un premier exemple de quelqu’un qui a découvert en lui-même la connexion universelle de la création. Il nous fait part d’un apport de Sherri Mitchell sur la sagesse de s’accorder dans l’harmonie de la réalité.
« Chaque chose vivante a son propre chant de la création, son propre langage et sa propre histoire. En vue de vivre harmonieusement avec le reste de la création, nous devons vouloir écouter et respecter toutesles harmonies enmouvement autour de nous ». C’est faire appel à tous nos sens pour envisager le monde. « Quand nous vivons comme des êtres disposant de plusieurs sens, nous découvrons que nous sommes capables de comprendre le langage de chaque chose vivante. Nous entendons la voix des arbres et nous comprenons le bourdonnement des abeilles. Alors nous commençons à réaliser que c’est la substance inter-tissée de ces rythmes flottants qui nous tient dans un équilibre délicat avec toute vie. Alors notre vie et notre place dans la création commencent à faire sens d’une manière complètement nouvelle.
Sherri Mitchell nous raconte ensuite une expérience de cet ordre.
Dans une chaude journée d’été, dans un état méditatif, elle a remarqué le minuscule rampement d’une fourmi près d’un brin d’herbe.
« Comme j’observais la fourmi en train de bouger, son petit corps a commencé à s’illuminer. Puis le brin d’herbe sur lequel il marchait s’est lui aussi éclairé. Comme j’étais là et j’observais, tout l’endroit qui m’entourait a commencé à s’éclairer. J’étais assise, m’émerveillant tranquillement devant cette vue nouvelle, sans bouger de peur de la perdre. Pendant que j’étais assise là, respirant avec le monde autour de moi, les fermes lignes de mon être ont commencé à s’estomper. Je me suis sentie en expansion et en train de me fondre avec tout ce que j’observais. Soudain, il n’y avait plus de séparation entre moi, la fourmi, l’herbe, les arbres et les oiseaux. Nous respirions avec la même respiration. J’étais envahie par ce sens de parenté tellement beau et complet avec toute la création… ».
Sentir la nature
Richard Rohr nous convie à expérimenter une vie en pleine nature.
A l’exemple de François d’Assise, il a lui-même vécu quelques moments d’ermitage dans la nature. Il raconte comment il a découvert ce qui se passait chez les animaux et dans les arbres. Combien nous perdons lorsque nous sommes coupés de la nature… « Mes temps d’ermitage m’ont resitué dans l’univers de Dieu, dans la providence et dans le plan de Dieu. J’ai eu le sentiment d’être réaligné avec ce qui est. J’appartenais et donc j’étais sauvé… »
« Quand nous sommes en paix et que nous ne y opposons pas, quand nous ne sommes pas en train de fixer et de contrôler le monde, quand nous ne sommes pas remplis de colère, tout ce que nous pouvons faire est de commencer à aimer et pardonner. Rien d’autre ne fait sens lorsque nous sommes seuls avec Dieu. Il n’y a rien qui vaille de retenir parce qu’il n’y a rien d’autre dont nous ayons besoin. Je pense que c’est dans cet espace de liberté que le réalignement advient. François vivait un tel alignement… ».
Les cercles sacrés
Richard Rohr voit la Trinité comme un « cercle de danse » d’amour et de communion mutuelle. « Ceux d’entre nous qui ont grandi avec la notion trinitaire de Dieu communément répandue, voient la réalité consciemment ou inconsciemment, comme un univers en forme de pyramide, avec Dieu au sommet d’un triangle et tout le reste en dessous. Mais c’est exactement ce que la Trinité n’est pas. Les premiers Pères de l’Eglise disaient que la métaphore la plus proche pour envisager Dieu, c’était un cercle de danse de communion. Ce n’était pas une situation hiérarchique, monarchique ou une pyramide.
Richard Rohr cite alors Randy Woodley, un théologien d’origine Cherokee (tribu indienne). « Notre modèle de la relation à toute chose est un simple symbole utilisé par les autochtones américains : le cercle. L’harmonie dans le genre de vie est souvent entendue en terme symbolique de cercle ou de cerceau ». Rassemblons-nous… faisons un cercle… Le cercle n’a ni début, ni fin et on peut y entrer n’importe où et n’importe quand. « Quand nous nous rassemblons dans un cercle, la prière a déjà commencé… Nous nous rassemblons l’un avec l’autre et avec le Grand Mystère même sansqu’un mot ait été dit ».
Randy Woodley nous introduit dans le symbolisme pour les peuples autochtones et pour la terre elle-même.
« Dans presque toutes les tribus autochtones d’Amérique du Nord, le cercle ou le cerceau est considéré comme un symbole de la vie. Ce symbole est une puissante représentation de la terre, de la vie, des saisons, des cycles de maturité etc… ».
Une prière centrée sur la création
« La nature spirituelle de la Création a toujours été là depuis le Big Bang… L’Esprit et la matière ont été un depuis que Dieu a décidé de se manifester ».
« Le Christ est partout. La planète entière est ointe et messianique. Tout porte le mystère du Christ… Quand nous apprenons cela, nous sommes en communion. ». Nous sommes en communion lorsque nous allons à l’église… Nous sommes en communion dans la pause de la salle de bain. Nous sommes en communion quand nous sommes dans la nature.
Richard Rohr convie une sœur franciscaine, José Hobday à s‘exprimer. Elle écrit comment elle a appris à « prier sans cesse » à partir de la spiritualité autochtone de sa mère qui honorait le sens d’être en communion, en harmonie constante, d’être avec Dieu en toutes choses. « Ma mère priait comme une américaine autochtone. Cela signifie qu’elle se voyait priant en vivant et vivant en priant. Elle essayait de prier sa vie. Elle exprimait, par exemple sa prière de gratitude dans la manière dont elle faisait les choses : Quand vous remuez les flacons d’avoine, faites le lentement de manière à ne pas oublier que les flacons d’avoine sont un don et qu’il ne faut pas les prendre pour acquis. Elle faisait les choses en priant. Elle priait même en marchant… Elle m’enseignait à marcher doucement sur la terre parce que la terre est notre mère. Quand nous marchons, disait-elle, nous devrions être prêts à entrer dans chaque mouvement de beauté que nous rencontrons ».
Qu’est-ce que Richard Rohr a appris de la spiritualité américaine autochtone ? « D’abord à faire que ma prière soit centrée sur lacréation. Les indiens prient comme étant en famille avec la création. Dans notre prière, nous pourrions penser aux créatures… et à leur relation avec la création. C’est ce que les américains autochtones ont fait. Cela ne les a pas seulement gardés en contact avec la création, mais aussi bien avec le Créateur.
Révérer la création et le Créateur
Pour Richard Rohr et la tradition franciscaine, l’incarnation est au cœur d’une spiritualité affirmant la création. Nous rencontrons Dieu dans la création parce que nous rencontrons Dieu partout. Au lieu d’être une barrière à la vie spirituelle, la création est une porte. Les gens qui vivent en relation profonde et harmonieuse avec la nature ont toujours su cela. Richard Rohr a trouvé, dans ses conversations avec des anciens autochtones, une perspective sur la nature de la réalité qui commence avec un éclairage sur la nature du Créateur. Et il cite à ce sujet, un verset de l’épitre aux romains (1. 19-20) : « Les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient comme à l’œil, depuis la création du monde, étant considérées dans ses ouvrages… ». « L’Ecriture est cohérente avec la vision du monde indigène que la nature du Créateur est visible dans la création. Qu’est- ce que la création nous dit de la nature de Dieu ? Les peuples indigènes ont été accusés d’animisme, c’est à dire d’adorer la création plutôt que le Créateur. Mais, en réalité, le fondement de la spiritualité indigène, c’est la révérence… La révérence, c’est un profond respect. Le Créateur est évident dans la création qui nous entoure. Je puis voir cela et en faire l’expérience avec mes sens… L’humilité, c’est reconnaître que je ne suis pas séparé de la création. Je fais partie du tissu de la vie. J’ai appris que cette dépendance mutuelle est un don. La vie estun don ».