Le courage de la nuance

https://ref.lamartinieregroupe.com/media/9782021476736/grande/147673_couverture_Hres_0.jpgUne juste expression
Selon Jean Birnbaum

Lorsque l’insécurité prévaut, lorsque l’angoisse qui en résulte suscite une agressivité généralisée, lorsque cette agressivité s’exprime dans une polarisation idéologique et l’affrontement de camps opposés, alors l’expression libre de la pensée est menacée par les pressions sociales, et le débat public est lui-même handicapé. Dans ce contexte, il importe de résister. C’est l’appel lancé par Jean Birnbaum dans un essai : « Le courage de la nuance » (1). « Tout commence par un sentiment d’oppression. Si j’ai écrit ce livre, ce n’est pas pour satisfaire un intérêt théorique, mais parce que j’en ai éprouvé la nécessité interne. Il fallait nommer cette évidence. Dans les controverses politiques comme dans les discussions entre amis, chacun est désormais sommé de rejoindre tel ou tel camp, des arguments sont de plus en plus manichéens, la polarisation idéologique annule d’emblée la possibilité même d’une position nuancée ». « Nous étouffons parmi les gens qui pensent avoir absolument raison » disait naguère Albert Camus et nous sommes nombreux à ressentir la même chose aujourd’hui » (p 11).

Jean Birnbaum est en situation d’émettre un jugement sur la conjoncture du débat intellectuel. En effet, depuis 2011, il dirige le Monde des Livres et, lui-même, il a écrit deux  essais : « Un silence religieux. La gauche face au djihadistes » (2), « La religion des faibles. Ce que le djihadisme dit de nous » dans lesquels il pointe des manques dans la culture actuelle face à un élan religieux extérieur. Et nous dit-il, à deux ans d’intervalle (2016 et 2018), participant, à ce sujet, à de nombreuses rencontres publiques, avoir observé un changement de climat : « Dans la même ville, parfois avec les mêmes personnes, l’atmosphère était beaucoup moins ouverte. On pouvait observer une suspicion latente « avec une accusation qui effectue actuellement un grand retour et qui tient en quatre mots : « faire le jeu de » (p 14). « Vieille antienne. A l’époque du stalinisme déjà, le écrivains qui dénonçaient le goulag étaient accusés de faire le jeu du fascisme ».

En écrivant ce livre, Jean Birnbaum se propose donc de nous offrir  « Un bref manuel de survie par temps de vitrification idéologique, pour faire pièce à la suspicion. Non seulement parce qu’il célèbre la nuance comme liberté critique, comme hardiesse ordinaire, mais aussi parce qu’il est nourri par cette conviction que le livre, l’ancienne et fragile tradition du livre constitue pour la nuance le plus sûr des refuges » (p 15). Et il écrit un essai, car c’est un genre de livre où la puissance de la nuance peut s’épanouir au mieux à « la charnière de la littérature et de la pensée » (p 16). Dans cette approche, Jean Birnbaum a eu l’idée de nous montrer combien on peut s’appuyer sur l’exemple « d’intellectuels et d’écrivains qui  illustrent un héroïsme de la mesure ». Il fait appel à « des figures aimées auxquelles il revient souvent et dont il est convaincu qu’en ce temps périlleux, elles peuvent nous aider à tenir bon, à nous tenir bien » (p 17). Ce sont des personnes courageuses : Albert Camus, Georges Orwell, Hannah Arendt, Raymond Aron, Georges Bernanos, Germaine Tillon ou encore Roland Barthes. Si ces noms nous sont pour la plupart connus, leur parcours ne l’est pas toujours et, avec Jean Birnbaum, il est bon de revisiter leur histoire et d’en apprécier le sens et la portée.

Cet essai n’est pas volumineux, mais il est riche et dense. Il appelle une lecture attentive et même enthousiaste. Dans notre présentation, nous nous bornerons à situer ces auteurs dans l’histoire et, avec Jean Birnbaum, évoquer quelques traits de leurs personnalités.

Le courage de la nuance face aux pressions totalitaires

Si il y a bien aujourd’hui une menace croissante de polarisation idéologique, la situation aujourd’hui ne nous paraît pas aussi tendue et aussi dangereuse qu’elle a pu l’être, durant quelques décennies au XXè siècle, à l’époque où des régimes totalitaires s’étaient installés en Europe et y exerçaient leur pression : Le fascisme, l’hitlérisme et le stalinisme. Les auteurs mis en valeur dans ce livre ont vécu durant cette période.

Georges Bernanos

La menace fasciste s’est révélée durant la guerre d’Espagne dans le putsch de l’armée contre la République espagnole et la guerre civile qui s’en est suivie. C’est là qu’on voit réagir Georges Bernanos dans son livre : « Les grands cimetières sous la lune » : « un témoignage sur la guerre d’Espagne rédigé à chaud par le romancier connus pour engagements royalistes et chrétiens qui n’en proclame pas moins son dégout pour les crimes du Général Franco et ses complices en soutane »   (p 36). L’événement est d’autant plus significatif que Georges Bernanos a longtemps été un militant d’extrême-droite. Or, il refuse de ne pas voir les atrocités en cours et il intervient pour les dénoncer. « Naguère dévoué au puissant mouvement monarchiste, Bernanos vient donc briser le consensus chez ses anciens compagnons et plus généralement chez les soutiens français de Franco » (p 31).

A quoi tient cet engagement ? Georges Bernanos se dit « un homme de foi ». Il refuse le déni du mal et voit dans la médiocrité une réalité spirituelle « qui mêle désinvolture morale, contentement de soi et furieuse cécité… Il en résulte un parti-pris de ne pas voir ce qui crève les yeux » (p 41). Georges Bernanos voit dans l’enfance « une grâce à préserver, un élan qui se met à travers de l’imposture et du fanatisme… Nulle naïveté ici… Sous la lumière de Bernanos, la nuance est un aveuglement surmonté » (p 44-45).

Georges Orwell

La guerre d’Espagne a également mis en évidence le courage d’un autre écrivain : Georges Orwell. Dans les deux camps, la guerre d’Espagne apparaît à beaucoup comme « un combat contre le mal, une lutte finale ». Et dès lors, « la priorité est de serrer les rangs, et dire la vérité devient inopportun, voire criminel si la proclamation de cette vérité sert « objectivement les intérêts de la partie adverse » (p 82). C’est contre ce mécanisme que Georges Orwell s’est élevé en affirmant la primauté de l’humain et de ce qu’il appelle « la décence ordinaire ». (p 86). « Ce qui fonde toute émancipation, c’est la justesse des idées, mais surtout la vérité des sentiments » (p 87). On comprend pourquoi son grand roman antitotalitaire « 1984 » a pour héros un amoureux des mots que le régime prive bientôt de la possibilité non seulement d’écrire, mais de ressentir » (p 87). Et, de même qu’Orwell sait manifester de la sympathie, il aime la franchise. « Chez lui, ce franc parler se conjugue au doute ; Dire son fait à autrui, certes, mais aussi assumer ses propres failles… se montrer « fair play ». La meilleure façon d’être honnête, c’est de renoncer à une illusoire « objectivité »… Si « Hommage à la Catalogne » est un récit bouleversant, c’est parce que l’esprit critique et l’ironie y annulent d’avance toute velléité dogmatique » (p 90). « Refusant de céder au chantage idéologique…, Orwell nous lègue sa conception de la nuance comme franchise obstinée. Avec, pour corollaire ce principe si précieux : jamais une vérité ne devrait être occultée sous prétexte qu’en nommant les choses on risquerait de se mettre à dos telle personne importante ou de « faire le jeu » de telle idéologie funeste » (p 95).

Hannah Arendt

La guerre d’Espagne fut un prélude à l’expansion de l’Allemagne nazie. La philosophe Hannah Arendt a fui cette domination pour se réfugier aux États-Unis en 1941. Elle a éprouvé les effets de la « bêtise », ce qu’elle désigne par : « un certain rapport à soi, une manière de coller à ses propres préjugés jusqu’à devenir sourd aux vues d’autrui » (p 58). « Pas de pensée sans dialogue avec les autres et pour commencer avec soi. Avoir une conscience aux aguets, se sentir capable d’entrer dans une dissidence intérieure, voilà le contraire du mal dans sa banalité ; pour Arendt, la pensée a moins à voir avec l’intelligence qu’avec le courage. C’est un héroïsme ordinaire. D’où son insistance sur « le manque d’imagination » d’Eichman, l’impossibilité qui était la sienne de se mettre à la place des autres. Aussi « cet héroïsme de la pensée se confond-il largement avec le génie de l’amitié. C’est seulement parce que je peux parler avec les autres que je peux parler avec moi-même, c’est à dire penser » (p 59).

Raymond Aron

Le sociologue et philosophe Raymond Aron, lui aussi, a été confronté avec le nazisme. En 1933, nommé à un poste d’assistant de philosophie en Allemagne, il découvre la montée hitlérienne. C’est une épreuve où il va apprendre le caractère précieux de la démocratie. Et dans cette tourmente, il forge un idéal de lucidité. La lucidité est la « première loi de l’esprit », écrit-il dès 1933 dans sa « lettre ouverte d’un jeune français à l’Allemagne » (p 73). Et sa ligne de conduite repose sur le « pluralisme culturel ». Face aux emportements, le choix de Raymond Aron est « une éthique intraitable du doute. « En ce sens, si l’on mentionne souvent Kant et Tocqueville comme les principales sources de sa pensée, on peut dire qu’Aron fut d’abord un disciple d’Aristote, ce grand philosophe de la prudence » (p 76). Ainsi célèbre-t-il « le suprême courage de la mesure ». C’est dans cet esprit que Raymond Aron a fait face aux totalitarismes, du fascisme au stalinisme.

Germaine Tillon

Au cours des années qui précèdent la guerre 1939-1945, Germaine Tillon est ethnologue, en recherche en Algérie chez les berbères Chaouis (p 105). En 1940, elle choisit la résistance  et « crée, avec d’autres, le célèbre Réseau du Musée de l’Homme, un des premiers réseaux de résistance en territoire occupé » (p 106). Elle est déportée à Ravensbruck en 1943. A sa libération, elle poursuit son œuvre de recherche où elle tient ensemble « enquête serrée et expérience sensible» (p 108). Elle va écrire surtout des « essais », « autrement dit des livres qui avancent à tâtons en assumant leurs propres fragilité » (p 104). Durant la guerre d’Algérie, Germaine Tillon se bat, côté français pour que cessent les exécutions capitales, et, en même temps, elle dialogue avec un des meneurs algériens de la lutte armé » (p 111). « Femme de conviction, elle préservait cependant comme un trésor fragile la nécessité de ne jamais leur sacrifier la vérité et la possibilité de nouer des liens authentiques avec des gens aux idées différentes, voire opposées » (p 111).

Albert Camus

Albert Camus est lui aussi interpellé par la guerre d’Algérie puisqu’il est originaire de ce pays. « Né en Algérie au sein d’une famille modeste, très tôt orphelin de père, élevé par une grand-mère pénible et une mère illettrée, l’auteur de « La Peste » a été atteint par la tuberculose alors qu’il n’avait que 17 ans » (p 24). C’est une dure épreuve. Ce fut une expérience subie, mais « sa patience n’en demeura pas moins active ». Contre les rigidités « d’un rationalisme sans nuance, elle nourrit des engagements ancrés dans la vie sensible. Ainsi, on ne comprend rien aux positions de Camus sur la guerre d’Algérie si on n’a pas en tête le lien si charnel qui a uni ce fils de pied noirs aux êtres et aux paysages de ce pays. Au moment de la guerre d’Algérie, il formule l’impossible rêve d’une formule « fédérale », qui aurait permis à la fois la fin du système colonial et l’invention d’un nouveau « vivre ensemble », mais cela ne l’a pas empêché de défendre très tôt les nationalistes algériens et leur lutte contre la puissance française, ses lois d’exception et ses « codes inhumains » (p 25). Inscrit au parti communiste dans sa première jeunesse, Camus en a été banni. Il formule à son égard deux griefs qu’il « relancera plus tard au fil des années, en direction des intellectuels « progressistes » : d’une part, la prétention à faire entre la réalité sociale dans un carcan théorique, d’autre part, le refus d’admettre qu’un adversaire politique peut avoir raison » (p 26)… « Manichéisme politique et mensonge existentiel sont inséparables. La langue de bois est secrétée par un cœur en toc » (p 26).

Albert Camus a suivi un sentier étroit, mais juste. « Comment concilier indignation et lucidité ? Un être humain peut-il donner libre cours à son « goût pour la justice » et, en même temps, « tenir les yeux ouverts ? » (p 26). « Il y a un courage des limites, une radicalité de la mesure » (p 27).

Roland Barthes 

Jean Birnbaum adjoint à cet ensemble de portraits, Roland Barthes, philosophe, critique littéraire et sémiologue.

« Barthes s’est fixé cette tâche impossible, non seulement prendre soin des mots, mais encore ne jamais laisser le langage se figer, toujours le maintenir dans cet état de révolution permanente qu’on appelle littérature » (p 118). Roland Barthes distingue une « parole ouverte » en terme de souffle et une « parole fermée », hermétique, comme un bloc de clichés, ce qu’il appelle la « brique » (p 119). Lors d’un voyage dans la Chine Maoïste, Roland Barthes saisit « la tyrannie des stéréotypes » (p 121) et il étouffe. A partir des années 1970, « le sémiologue fait de la nuance un souci constant et une méthode active. Je veux vivre selon la nuance », proclame-t-il » (p 122). Ainsi, « maitresse des nuances, la littérature est une permanente remise en question, une parade face aux dogmatismes » (p 122). Roland Barthes s’établit dans le « refus du surplomb », le « refus de l’arrogance ».

Des attitudes communes

Si le contexte d’une même époque est un dénominateur commun entre les personnalités évoquées dans ce livre, Jean Birnbaum voit chez eux des attitudes voisines. Et il évoque cette perception dans de courts chapitres intermédiaires, des « interludes ». Les titres en sont parlants : « Des mots libres pour des hommes libres » ; « Il faut parler franc » ; « La blague est quelque chose d’essentiel » ; « Vous avez dit : « faire le jeu de » ; « L’inconnu, c’est encore et toujours notre âme » ; « La littérature, maitresse des nuances ». On reconnaitra là les remarques de l’auteur à propos des personnalités évoquées dans ce livre. Jean Birnbaum les a choisis dans une communauté d’attitudes et de démarches : « Les hommes et les femmes que j’ai voulu réunir dans ce livre, ne savaient pas où se mettre. Ils étaient trop nuancés pour s’aligner sur des slogans. Trop libres pour supporter la discipline d’un parti. Trop sincères pour renoncer à la franchise. Trop mobiles pour obéir à une politique de frontières… » (p 129). Ces diverses figures « s’inscrivent dans une même constellation de sensibilité et de vigilance », ce que Hannah Arendt nommait « une tradition cachée » (p 130). Alors, nous dit Jean Birnbaum, « J’ai voulu… entendre cette petite troupe d’esprits hardis, délivrés de tout fanatisme, qui ont accepté de vivre dans la contradiction, et préféré réfléchir que haïr » (p 137).

« Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion » affirme la déclaration universelle des droits de l’homme dans son article 18 et l’article 19 ajoute : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression » (3). Malheureusement, il y a encore certains états où ces libertés sont bafouées. Il y faut du courage pour penser, c’est à dire penser librement. Cependant la menace vis à vis de l’exercice de la pensée ne vient pas seulement des pouvoirs politiques dictatoriaux. D’une façon plus subtile, elle peut aussi s’exercer à partir de pressions sociales et idéologiques dans une imitation servile. Des modèles s’imposent en terme d’oppositions simplistes, d’une pensée en blanc et noir. Ici, le courage de penser, c’est aussi le « courage de la nuance » pour reprendre le beau titre du livre de Jean Birnbaum. Les exemples vivants qu’il nous apporte en ce sens viennent nous accompagner et nous encourager.

J H

  1. Jean Birnbaum. Le courage de la nuance. Seuil, 2021 Interview vidéo de l’auteur : https://www.youtube.com/watch?v=o5fu8S1irZY
  2. Un silence religieux : https://vivreetesperer.com/un-silence-religieux/
  3. Liberté de penser. Liberté d’expression : http://www.francas40.fr/var/francas/storage/original/application/93286c030c46cedd732730e0917a7c13

Paul : sa vie et son œuvre, selon NT Wright

https://productimages.worldofbooks.com/0281078750.jpgUne nouvelle vision du monde, une nouvelle manière de croire à la suite de Jésus, mort et ressuscité

 Les grands penseurs du passé nous inspirent encore aujourd’hui. Paul, au départ Saul de Tarse, puis souvent appelé saint Paul ou l’apôtre Paul fait partie de ces penseurs, bien qu’il ait été aussi un homme d’action, pionnier des premières communautés chrétiennes dans le monde gréco-romain.

Mais pourquoi nous intéresser à Paul aujourd’hui ? Dans un contexte ou le christianisme institutionnel décline, non sans rapport avec un ordre patriarcal et hiérarchique, on regarde de plus en plus aujourd’hui vers la dynamique du christianisme dans les deux premiers siècles, la période de l’« invention du christianisme » selon le titre d’un ouvrage collectif consacré à ce thème (1). On y remarque que la référence à Jésus apparaît très tôt après son départ, dès le début des années 50 dans les épitres de Paul, bien avant la rédaction des évangiles. Paul ne crée pas seulement des églises dans le monde gréco-romain, il se fonde sur la mort et la résurrection de Jésus et l’interprète comme un événement déterminant dans l’histoire du monde. Quelle signification pour nous aujourd’hui ? Or, un grand exégète britannique et par ailleurs, auteur de nombreux livres, N T Wright vient d’écrire une biographie de Paul (2) qui répond à nos questions.

 

Un nouveau monde en gestation

Au départ N T Wright dissipe un malentendu. Dans le passé et jusque dans la jeunesse de l’auteur, beaucoup de chrétiens percevaient le christianisme dans une perspective de salut individuel : « aller au ciel au moment de la mort » ; être « sauvé » et être « glorifié », pour reprendre les termes de Paul, signifiait « aller au ciel ». C’était une attente en rapport avec des « questions médiévales ». « Le cadre de la terre et du ciel a été une construction du haut Moyen Age ». Or, « Les chrétiens du premier siècle n’attendaient pas que leurs âmes quittent le monde présent matériel ». Ce qui était premier pour Paul et les nouveaux chrétiens, c’était « la venue conjuguée du ciel et de la terre dans un grand acte de renouveau cosmique dans lequel les corps humains seraient renouvelés pour prendre leur place dans ce nouveau monde » (p 8). Paul a une vision nouvelle de l’histoire. Il parlait de l’histoire comme ce qui arrive dans le monde réel : le monde de l’espace, du temps et de la matière. Il était un juif qui croyait dans la bonté de la création originelle et à l’intention du Créateur de renouveler ce monde. Son évangile de salut portait sur le Messie d’Israël comme cela avait été promis dans les psaumes. Ce que Dieu avait fait en Jésus et à travers lui c’était un mouvement « ciel et terre » et non d’offrir un espace extra-terrestre.

 

Le message de Paul

N T Wright nous rapporte la vie de Paul dans un univers multiculturel. Mais le message de Paul n’est pas une synthèse philosophique. Il se fonde sur un événement, la mort et la résurrection de Jésus, et il s’enracine dans la culture juive, dans une histoire. Cette histoire est « l’histoire d’Israël comme enfants d’Abraham, Israël choisi par Dieu, choisi dans le monde, mais également Israël choisi pour le monde, Israël, le peuple de la Pâques sauvé de l’esclavage, le peuple avec lequel Dieu a fait alliance, le peuple à travers lequel toutes les nations seront bénies » (p 18). A l’époque, des signes donnent à penser que pour beaucoup de juifs, la Bible n’était pas d’abord un ensemble de règles et de prescriptions, mais un grand récit ancré dans la création et dans l’alliance et avançant dans l’ombre de l’inconnu (p 18). Et cette histoire n’était pas terminée. Elle était accompagnée de promesses et débouchait sur une espérance : un nouvel exode, une nouvelle restauration (p 19). Dans la révélation de Jésus, mort et ressuscité, Paul envisage cette histoire dans une perspective universaliste. Ainsi va-t-il appeler les juifs comme les non-juifs à entrer dans le mouvement de Jésus. Ainsi les épitres nous proposent un message à la dimension du monde entier. N T Wright évoque plusieurs textes de la Bible qui inspirent cette approche. Ainsi le psaume 2 : « Tu es mon fils. Aujourd’hui je t’ai engendré. Demande-moi et je te donne les nations en héritage, pour domaine, la terre toute entière ». Paul croit qu’à travers Jésus, sa mort et sa résurrection, le Dieu Un a vaincu toutes les puissances néfastes exerçant une emprise sur le monde. Et le pardon est accordé à tous. Cela signifie que tous les hommes, et pas seulement les juifs, sont libres pour adorer le Dieu Un. « Il n’y a plus de barrières entre juifs et non juifs » (p 79) ;

 

Des communautés nouvelles. Un nouveau genre de vie

 Les nouvelles communautés qui apparaissent rassemblent des juifs et des non-juifs dans un nouveau genre de vie. Elles dépassent et traversent les frontières de « la culture, du genre, de l’ethnie, du milieu social », elles sont contre-culturelles, une réalisation unique à l’époque. (p 91). Ce mouvement est « profondément dépendant de « la présence et de l’inspiration puissante du Saint Esprit », dans le déploiement d’une grande énergie (p 93). Le nouveau genre de vie, qui apparaît ici, sera, dans le long terme, le point de départ d’un changement des mentalités et d’une révolution sociale politique, telle que nous la décrit l’historien britannique, Tom Holland, dans son livre : « les chrétiens. Comment ils ont changé le monde » (4). « La vision de Paul était celle d’une société dans laquelle chacun travaille pour tous et tous pour chacun » (p 427).

 

Genèse d’une théologie

 Cependant l’apport principal de ce livre ne nous parait pas là. Ce livre n’étudie pas seulement la vie de Paul dans les différente étapes de sa vie, la fondation des communautés et la rédaction des lettres qu’il leur adresse : les épitres, mais il analyse l’inspiration de ces épitres dans leur apport retentissant. Ce qu’il nous dit, c’est que la pensée de Paul se fonde sur l’événement de la vie, de la mort et de la résurrection de Jésus, qu’elle s’appuie sur le récit biblique en proclamant l’accomplissement du plan divin à long terme (p 119). « Le Créateur du monde a réalisé en Jésus la chose qu’il avait promise, accomplissant le récit ancien qui remonte à Abraham et à David… Les échecs sont maintenant surmontés. La mort du Messie a vaincu les puissances qui asservissaient à la fois les juifs et les gentils et sa résurrection a lancé un nouvel ordre du monde « sur terre comme au ciel ». Il y a maintenant un seul peuple, le peuple du Messie (p 130).

Si ce message a été écrit dans un lointain passé, il nous paraît qu’il demeure actuel aujourd’hui. Il peut être entendu par ceux qui gardent une mémoire malheureuse d’une religion qui se détournerait du monde et trierait les personnes dans leur destinée. Il peut être entendu par nous tous en quête de boussole dans un monde incertain. A partir de la mort de la résurrection de Jésus, c’est une dynamique de vie qui s’exprime là. La théologie de l’espérance que nous apporte par ailleurs Jürgen Moltmann (4) s’appuie sur cette dynamique. Elle s’inscrit dans cette perspective « eschatologique ». Elle met en valeur la « nouvelle création » qui est en route en Christ. Et comme l’exprime Jürgen Moltmann, c’est une religion tournée vers l’avenir. On retrouve ici la vision de Paul : une dynamique de vie.

J H

  1. Sous la direction de Roselyne Dupont-Roc et Antoine Guggenheim. Après Jésus. L’invention du christianisme. Albin Michel, 2020
  2. N T Wright. Paul. A biography. Harper One, 2018
  3. Comment l’esprit de l’Evangile a imprégné les mentalités occidentales et quoiqu’on dise, reste actif aujourd’hui : https://vivreetesperer.com/comment-lesprit-de-levangile-a-impregne-les-mentalites-occidentales-et-quoiquon-dise-reste-actif-aujourdhui/
  4. Jürgen Moltmann est très présent sur ce blog. Un blog : Vivre par l’Esprit, est spécialement dédié à son œuvre théologique : https://lire-moltmann.com

Vivre et espérer : Une opportunité de dialogue

Un ami, Sylvain, apprécie Vivre et espérer.
Ainsi a-t-il écrit quelques commentaires sur certaines livraisons de Vivre et espérer.
En voici un concernant la livraison de février 2012(1) C’est un dialogue qui s’ouvre ainsi à travers le temps.
Merci Sylvain !

Cet article qui a abordé la peinture comme un mode de communication (parler de Dieu, parler à Dieu) me plait beaucoup, car comme tu le sais j’apprends la peinture, mais aussi les corrélations avec des états qui rapproche l’artiste, dans son exécution, d’états modifiés, de transe, plus connu sous le nom de flow.
La peinture comme moyen de se lier à la vie, à la spiritualité, est une nouvelle perspective pour moi, qui m’enchante.
Je trouve que c’est une belle démarche qui pourra apporter de la profondeur à mes œuvres.
Un moyen de me dépasser, de communiquer aux hommes et pourquoi pas avec Dieu ?

Quel présence Dieu a-t-il dans ma vie ? Je ne le dis pas encore clairement.

Odile était très claire avec cela, tout comme toi. Pas d’hésitation, de demie mesure. Une confiance totale, le dévouement, l’amour. La foi, une force qui permet de voir la vie autrement et d’en donner un véritable sens.
D’accepter, ou plutôt de comprendre que la vie est telle qu’elle est, et qu’il ne faut pas se focaliser sur les résultats sans prendre de recul, mais belle et, bien sûr, ce que les expériences positives ou négatives peuvent réellement nous apporter.
Cela parle du bien qu’il y a en toute chose a partir du moment où l’on se donne les moyens de le voir.

Pour apprécier la vie, il faut l’aimer.

La chanson de Jacques Brel est un hymne à la vie, au partage.
Cette article parle aussi de cette valeur incommensurable qu’est le don de soi.
Lorsque l’on arrive à casser toutes ses barrières mentales et que l’on se donne pleinement sans se soucier de ce que pensent les autres, mais plutôt de ce que l’on peut offrir à l’autre, alors le message que l’on peut véhiculer devient intemporel, et touche tout le monde.
Pourquoi ? Tout simplement parce qu’on devient pur amour.
Et dans les situations plus compliquées de l’existence quand on a que l’amour devient alors cette force qui nous raccroche à la vie, qui nous lie a ce qu’il y a de plus beau en nous grâce au regard de l’autre, et qui nous fait comprendre que notre existence a un sens,

Il est difficile de penser que malgré qu’il y ait une existence après la mort, qu’un fossé nous sépare de ce que nous sommes actuellement.
De savoir qu’il y a un lien entre la vie et la mort, beaucoup plus simple a appréhender que tout ce qui est proposé, me parait plus apaisant.
Il suffit de penser en toute simplicité à l’autre pour se connecter. Cela veut dire que l’autre peut aussi se connecter à nous. Ce qui veut dire que quoi qu’il advienne, nous ne sommes jamais seul.

Toutes ces manières de penser et d’appréhender l’existence sont tellement riches et variées. Cela peut donner le tournis et peut parfois prendre des allures compliquées. C’est avec les personnes qui ont une pensée claire que l’on trouve le plus de simplicité. Et c’est dans la simplicité que l’on touche à la compréhension de l’autre, que l’on retrouve des vérités, justes, belles, réconfortantes et apaisantes.

Il faut évoluer avec son temps et profiter de toutes ces ressources que l’on a la chance d’avoir autour de soi pour apprendre et mieux comprendre ce qu’est la vie, afin de pouvoir mieux communiquer avec son prochain et le soutenir.
Rester rigide dans des idées, dans des principes, n’a aucun sens car la vie montre que c’est dans la capacité l’adaptation que survit le plus sage.
Un esprit dicté par des principes figés évoluera dans la contrainte, alors que l’esprit ouvert, saura s’adapter, rester fidèle à lui-même et donner le meilleur à tout ce qui l’entoure.

Sylvain

  1. Livraison 2012 Peindre, c’est aussi parler,  Horizon de vie,  Quand on a que l’amour,  Sur la Terre comme au Ciel,  Une vie qui ne disparaît pas , Vivre et espérer février 2012 : https://vivreetesperer.com/2012/02/

 

 

Enlever le voile

« Unveiling » selon Richard Rohr
Et si, face à une conjoncture catastrophique, nous apprenions à voir plus profond, plus vrai, plus loin.

 Nous vivons dans une conjoncture anxiogène, pressés par les menaces de la pandémie et du réchauffement climatique. Nos habitudes, nos certitudes sont bousculées. C’est l’occasion d’une prise de conscience, d’un regard nouveau sur la réalité. Nous voici appelés à « enlever le voile » (unveiling) comme nous l’explique Richard Rohr, fondateur et animateur du « Center for action and contemplation » à Albuquerque dans l’état du Nouveau-Mexique aux Etats-Unis(1). Richard Rohr est un moine franciscain, un penseur œcuménique qui témoigne de la sagesse de la mystique chrétienne et œuvre pour une intégration de l’action et de la contemplation. En réponse aux aspirations spirituelles de notre temps, il a écrit de nombreux livres, notamment « The divine dance » présenté sur ce blog (2). Chaque jour, sur le site du Centre pour l’action et la méditation, Richard Rohr partage avec nous une réflexion dans un parcours annuel dont le thème sera cette année : « A time of unveiling » (un temps de dévoilement) (3) : « En dépit de l’incertitude et du désordre, le moment présent est une grande opportunité pour nous éveiller à une transformation profonde dans l’amour et dans l’espérance… La réalité nous invite à entrer en profondeur pour découvrir ce qui dure et ce qui compte ».

Une conjoncture apocalyptique

Aujourd’hui, les menaces abondent. Nous vivons cette situation comme catastrophique. Un terme remonte à notre esprit pour la qualifier : apocalyptique, mais il est très souvent entendu à mauvais escient. « Ce mot est utilisé pour faire peur aux gens et les entrainer dans des conduites de peur, d’exclusion, de réaction dans la perspective d’une fin des temps ». Richard Rohr nous apporte le sens véritable du mot : apocalyptique. Il vient du grec : « apokalupsis » qui en réalité veut dire simplement : dévoilement. Il y a ainsi des textes apocalyptiques dans le Nouveau Testament : Mathieu 24, Luc 21, Marc 13, et le livre entier de l’Apocalypse. Mais quelle est l’intention de cette littérature ? Ce n’est pas d’effrayer, mais de dévoiler. Nous sommes bousculés dans notre conception du normal pour pouvoir le redéfinir. Ainsi, « il y a un langage et des images hyperboliques tels que les étoiles tombant du ciel et la lune se changeant en sang pour nous aider à reconnaître que nous ne sommes pas dans un état normal. Cela ne veut pas dire que nous sommes à la fin du monde, mais cela nous aide à imaginer la fin de « notre monde ».

 

Un nouveau regard

 Dans ce tohu bohu, rien n’est plus « normal ». Les mauvais systèmes paraissent à la fois de plus en plus éffrontés et banals. Et pourtant, écrit Richard Rohr, dans tout cela, « Dieu nous invite à une transformation plus profonde ». « Quand les choses sont dévoilées, nous cessons de les tenir pour acquises. C’est ce que des évènements majeurs comme la pandémie produisent. Ils recadrent la réalité d’une manière radicale et nous invitent à une plus grande profondeur ». Richard Rohr inscrit cette relecture dans la compréhension de l’œuvre de Dieu. « La création est en cours de transformation et nous allons vers le bon et le nouveau ». C’est la réalité de l’évolution. La fin est le point de départ d’un nouveau commencement. Comme chrétiens, nous pensons que l’univers a un sens. L’expression biblique : « l’alpha et l’omega » marque les deux extrémités du temps cosmique. « Dans la trajectoire du monde, la conscience se déploie . « Toute la création gémit dans un grand acte d’enfantement (Romains 8.22) ». Nous sommes trop impatients. Les humains comme l’histoire grandissent lentement.

 

Une voie pour le discernement : la prière contemplative

« Nos problèmes commencent quand nous nous opposons à la réalité, la repoussons ou déclarons que la manière dont nous « voyons » la réalité, de notre perspective limitée, est la seule réalité valide ». « Toute pratique contemplative qui cherche à accueillir la réalité telle qu’elle est, nous changera ». « La prière contemplative est une forme de dévoilement, car elle révèle ce qui se passe en dessous de la surface de notre mental. Quand nous arrivons à être assez tranquille, la contemplation peut advenir en nous dans des moments d’ouverture, juste ici, juste maintenant ». A travers la contemplation, nous plongerons positivement dans la réalité dévoilée, et même désagréable, en disant « Viens mon Dieu et enseigne moi tes bonnes leçons ». Nous avons besoin d’une telle pratique pour abaisser notre résistance au changement et notre agrippement aux choses. Cherchons à prier en ce sens aussi longtemps qu’il nous faudra pour dire pleinement oui à la réalité . C’est alors seulement que nous pourrons en voir les leçons ». Ainsi, dans la situation troublée qui est la nôtre aujourd’hui, Richard Rohr nous propose un chemin.

J H

  1. Center for action and contemplation : https://cac.org
  2. La danse divine : https://vivreetesperer.com/la-danse-divine-the-divine-dance-par-richard-rohr/ et : https://vivreetesperer.com/reconnaitre-et-vivre-la-presence-dun-dieu-relationnel/
  3. A time of unveiling Semaine du 3 au 9 janvier 2021 https://cac.org/a-time-of-unveiling-weekly-summary-2021-01-09/ Ce texte est écrit à partir des méditations du 3 et du 8 janvier (Pulling back the veil. When things are unveiling), et aussi du lundi 4 janvier 2021 (The prayer of unveiling)

Récits de vie et gouvernance participative

A travers un service du courrier, Obama, président, dialogue avec les citoyens américains.

pour répondre aux besoins, encore faut-il écouter leur expression. Cette écoute est nécessaire pour identifier les besoins dans toute la complexité humaine dans laquelle elle se manifeste. C’est bien là la tache essentielle des élus et évidemment du premier d’entre eux, le président. Certes, il y a différentes manières d’identifier et d’analyser les besoins, par exemple une enquête, une expression des média, mais rien ne remplace une écoute directe des gens. Et plus généralement, la participation appelle le dialogue. Cette expression des citoyens peut prendre différentes formes. Un livre récent (1) vient aujourd’hui nous présenter une expérience : le service du courrier qui recevait des milliers de lettres adressées au président Obama par des  citoyens américains.

Le service du courrier

 Tout au long de l’histoire américaine, il y a toujours eu des citoyens qui ont écrit au président . Mais cette correspondance s’est considérablement amplifiée au cours du temps. Et le service a pris un importance majeure avec l’arrivée d’Obama à la présidence . Ce développement s’inscrit dans la vague militante qui a porté et accompagné l’élection. Ainsi, la participation à cette entreprise témoigne d’une forte mobilisation, d’un engagement comme celui de Fiona devenue responsable de ce service.

« Au total, le service de la correspondance présidentielle ou OPC comme tout le monde l’appelait, requérait l’action coordonnée de 50 employés, de 36 stagiaires et d’une armée de 300 volontaires se relayant pour faire face à la dizaine de millier de lettres et de messages quotidiens. Il appartenait à Fiona en tant que directrice de l’opération de faire tourner la boutique » (p 86). Ces lettres parlent des réalités de la vie qui interpellent le président. Ces messages sont lus attentivement et cotés selon le sujet choisi en vue d’y apporter une réponse. Cependant la grande affaire, c’est de choisir chaque jour dix lettres auxquelles le président répondra.

Si la création du service a été précédée par une lente évolution, si elle est advenue dans un grand moment politique, elle est d’abord la résultante d’une volonté personnelle, celle du président Barack Obama. Le service a été organisé par des hommes qui l’ont accompagné dans sa démarche politique. Et sa décision de lire chaque jour dix lettres et d’y répondre, a été emblématique.

Barack Obama

Barack Obama a surgi dans l’histoire américaine comme la réponse à une espérance que puissent hommes et femmes être respectés dans leur originalité personnelle et leur existence sociale et politique. Dans son accession à la présidence, Barack Obama a apporté une réponse : « Yes, we can ». Oui , nous pouvons. Son élection nous est apparue comme un tournant dans l’histoire des Etats-Unis (2), une ouverture pour le monde. Aussi, à plusieurs reprises, avons-nous évoqué, sur ce blog, les activités et les expressions de ce président (3). L’attention qu’Obama a porté au courrier lors de sa présidence est une manifestation de son empathie et de son engagement au service de l’humain. C’est une faculté d’écoute permettant une meilleure identification des besoins et, donc, une capacité d’y répondre. Ainsi, nous dit-il, « Ce serait un exercice intéressant d’identifier le nombre d’initiatives… dont la plupart étaient de portée limitée…. qui aboutirent à une modification ou qui provoquèrent au moins une discussion sur la manière dont nous fonctionnons. Un nombre non négligeable , je pense » (p 196). Certaines lettres ont suscité des réactions visibles. « Je me rappelle une rencontre. Une merveilleuse famille. Un père et une mère relativement jeunes avec deux enfants, et, au moment où je suis arrivé, la mère a fondu en larmes. Elle m’a serré dans ses bras et dit : « Si on est ici, c’est grâce à vous ». J’ai répondu : « Comment ça ? ». « Mon mari ici présent a servi dans l’armée et souffrait d’un syndrome post-traumatique assez grave et je craignais qu’il n’en sorte pas, mais vous avez demandé à l’administration des vétérans de nous appeler directement et c’est ce qui l’a conduit à se faire soigner ». C’est le genre d’occasions qui nous rappelle que cette fonction a quelque chose de spécial » (p 196). « Quand les gens reçoivent une réponse, ils ont le sentiment que leurs vies et leurs préoccupations ont de l’importance. Et ça, ça peut changer dans une faible mesure, et parfois plus largement, le regard qu’ils portent sur la vie » (p 196). Parce qu’Obama portent un profond respect aux gens, les gens le ressentent, et lui expriment une considération qui va jusqu’à lui faire part de leur évolution personnelle. « Parfois les gens me font part  d’une forme de transformation qu’ils ont vécu. Il y a plusieurs lettres de personnes me confiant avoir grandi dans des familles se méfiant des personnes d’une origine différente, d’un autre milieu. Les lettres me relatent l’évolution que leurs auteurs ou leurs proches ont connue après avoir constaté que l’image d’eux qu’on leur renvoyait n’était pas celle qu’ils imaginaient » (p197).

Parce qu’Obama respecte profondément les gens et que ceux-ci peuvent lui manifester du respect en retour, il peut se créer une forme de communauté en retour. Ainsi écrit Obama : « Les lettres qui me tiennent à cœur sont, je crois, celles qui opèrent des liens, qui parlent de la vie des gens, de leurs valeurs, de ce qui leur importe » (p 197). Cette attention témoigne d’une confiance et d’une bienveillance dont fait preuve le président : « Ces lettres disent que les gens sont pleins de bonté et de sagesse. Il suffit d’y faire attention. Ce qui est parfois difficile de faire quand on est à l’intérieur d’une bulle, mais cette petite porte me l’aura rappelé chaque jour » (p 207).

 

Les lettres : une expression de la vie américaine dans toute sa diversité

Ce livre publie ainsi un grand nombre de lettres par périodes chronologiques. Si elles comportent telle interprétation ou telle louange, elles s’appuient généralement sur une expression de la vie de ceux qui écrivent. C’est un recueil de récits de vie qui témoignent de la diversité des situations. Certes, il y a des inflexions dans les contenus. Lorsque Obama accède à la présidence, il doit faire face à une grave récession. Il y a du chômage. Beaucoup de gens souffrent dans leurs conditions de vie. Et comme le redressement ne peut être immédiat, on entend une plainte et parfois une déception.

Cependant, il y a aussi ds demandes plus classiques. « Il y a des lettres récurrents comme celles des anciens combattants demandant de l’aide, celles des jeunes accablés par des dettes récurrentes essayant de savoir s’ils sont éligibles à une aide ou une autre, des militaires ou des familles de militaires aux prises avec une décision du département de la défense… » (p 195). « La loi sur la protection de patients et des soins abordables » surnommée « Obamacare », a suscité un courrier abondant. Des vies ont été sauvées.

Bien souvent, ces lettres témoignent d’une expérience de vie originale. Elles expriment des prises de conscience auxquelles le président est associé parce qu’elles soutiennent des causes qu’il soutient ou des pistes qu’il ouvre . Ces lettres couvrent un champ très vaste. Des valeurs s’y expriment, le meilleur de l’idéal américain tel que Barack Obama en témoigne. En voici quelques exemples.

 

Des récits de vie

Ces lettres en grand nombre portent toutes un message. Et, pour chacune d’elle, l’auteure nous permet de la situer dans son contexte et de percevoir le dialogue qui s’établit entre les personnes et le président. Ce livre nous apporte un ensemble de récits de vie qui nous rapportent les problèmes, économiques, sociaux er culturels vécus par des américains et les idéaux qui les animent.

Marnie Hazelton

Marnie Hazelton, mère célibataire, quinquagénaire, a derrière elle une tradition familiale qui l’engage dans « une vie de service », des parents et des grands-parents afro-américains, « Elle était la dernière représentante d’une histoire marquée par le courage et la lutte » (p 165). Puis, elle devient enseignante dans des écoles défavorisées à New-York. C’est un idéal qui la pousse. En 2011, elle écoute attentivement le dernier discours d’Obama sur l’état de l’Union : «  Ce qui aura le plus d’impact sur la réussite d’un enfant, c’est l’homme ou la femme qui se tient devant lui dans la salle de classe. A l’attention de tous les jeunes gens qui écoutent ce soir et qui  hésitent pour leur carrière professionnelle, si vous voulez influer sur la vie d’un enfant, devenez enseignant. Votre pays a besoin de vous » (p 164). « Une bâtisseuse de nation, une patriote, voilà ce qu’elle était » (p 164). Hélas la récession avait frappé les Etats-Unis et il fallait du temps pour que la politique d’Obama porte tous ses fruits. A l’échelon local, il y a encore des coupes budgétaires. Elle perd son emploi et entre alors dans une période difficile .

C’est alors qu’elle décide d’écrire au Président Obama.

« Cher monsieur le Président

Mes parents représentent le meilleur de l’Amérique .

Mon père a servi. Ma mère a répondu à l’appel de John F Kennedy à servir ». Plusieurs des mes aïeux ont combattu pour les Etats-Unis. « J’ai marché dans les pas de ma mère et suis devenu enseignante. « Une bâtisseuse de nation ».

Monsieur le Président, vous devez recevoir des milliers de lettres narrant les malheurs des chômeurs et il n’y a pas grand chose que vous puissiez faire à l’échelle individuelle. J’ai perdu mon emploi parce que les fonds de relance attribués aux écoles sont épuisés.

J’aimerais que vous me disiez ce que je dois faire maintenant pour subvenir aux besoins de ma famille alors que le marché de l’emploi dans l’éducation est inondé de milliers d’enseignants licenciés à cause des coupes budgétaires et que j’ai  consacré les onze dernières années de ma vie à bâtir la nation et à éduquer les enfants de l’Amérique » (p 167). Elle fut très surprise de recevoir une réponse personnelle du président : « Merci de votre dévouement à l’éducation. Je sais que la situation actuelle peut paraître décourageante, mais la demande pour des enseignantes et des personnes avec vos compétences grandira au fur et à mesure que la conjoncture et le financement des états rebondiront. En attendant, je suis de tout cœur avec vous » (p 170).

Cette phrase : « je suis de tout cœur avec vous » alla droit au coeur de Marnie. La lettre du président lui redonna courage et l’accompagna dans les épisodes qui ont suivi jusqu’à la présenter dans un jeu télévisé. Treize mois après avoir été congédiée, elle reçut la demande d’un district scolaire dans lequel elle avait déjà travaillé. « Revigorée, réinventée, quand elle revint dans la salle de classe, elle montra à ses élèves le mot du président Obama. C’était une occasion de leur apprendre quelque chose. Elle dit aux enfants : « Je suis de tout coeur avec vous ». Et elle l’a répété à tout le monde autour d’elle. Finalement, elle devint directrice du district qui l’avait autrefois mise à pied.

Marjorie McKinney

Marié à un géologue de l’Université de Caroline du Nord, Marjorie avait aidé son mari pendant toute sa carrière. Cette association avait toujours reposé sur un consentement mutuel.

« Ce jour, elle s’était rendu à Albany pour collecter des images de fossile à la demande de Ken ». Pour regagner sa voiture, elle commença à s’engager dans une immense place devant le musée. « Il y avait une personne au loin qui se dirigea vers elle. Il avait l’air jeune. Il était noir. Il portait un sweat à capuche . D’un geste brusque, il rabattit la capuche masquant son visage ». Marjorie eut très peur avec une immense envie de fuir » . En arrivant en même temps à la cage d’escalier, il la regarda. « Désagréable le vent, hein ! » dit-il, avant d’ajouter qu’il y avait un passage souterrain pour piétons qui reliait le musée au parking au cas où elle ne le saurait pas. La prochaine fois qu’il ferait froid, elle gagnerait peut-être à le prendre, suggéra-t-il. C’était  tout. Il était parti. Un truc qui pouvait sembler anodin. Un truc banal ». Mais pour Marjorie, cela marqua une rupture dans sa représentation d’elle-même. « Pourquoi avais-je eu peur de ce charmant jeune homme ? ». Tout simplement parce qu’il était noir . Je n’avais aucune raison d’avoir peur de lui. J’étais atterrée. Ce n’était pas quelque chose que j’aurais cru ressentir un jour. Ce fut un tournant dans ma vie parce que je me suis rendu compte que j’étais raciste. Et il fallait que je trouve le moyen de m’en débarrasser » (p 209).

Une bonne partie du problème pour Marjorie, c’est qu’elle pensait s’en être débarrassée (p 210). Et elle avait déjà parcouru un chemin en ce sens. En effet, elle avait vécu son enfance dans le sud profond, Birmingham à une époque où le monde était divisé en deux : blanc ou noir. Cela paraissait naturel. Elle prit conscience de l’injustice en rencontrant à l’université un ami, un étudiant allemand beaucoup plus âgé qu’elle. Elle venait d’une ville où régnait une ségrégation très dure. Son ami allemand lui expliqua le racisme, l’intolérance, la haine, lui parla de son pays, de sa vie, des jeunesses hitlériennes… « Elle le remercia pour tout ce qu’il lui avait expliqué à la cantine ce jour-là et pour avoir donné une nouvelle orientation à sa vie. « Tu en avais besoin » lui dit-il » (p 218). Dès lors, « Marjorie s’engagea dans le mouvement des droits civiques. Toute sa vie, elle chercha à voir au delà de la race. Et, parmi ses enfants adoptés, deux d’entre eux étaient métis (p 212). « Imaginez un peu. Avec tout ce bagage, tout ce chemin parcouru avec Ken et les enfants. Et puis, elle est à Albany. Il fait froid. Et elle a découvert ce puits de laideur installé en en elle, tel un vers qui s’éveille à la vie ». à la suite d’un fait divers mettant en évidence la persistance des sentiments racistes et d’un discours très digne d’Obama à ce sujet. Elle décida de lui écrire. Elle lui raconta son parcours et l’incident qu’elle avait vécu.

Monsieur le Président. J’espère que d’autres personnes qui auront entendu vos paroles auront davantage conscience de la peur qui se tapit chez beaucoup d’entre nous. Elle est irrationnelle, mais elle est là. J’espère que j’aurais oublié cette course à Albany et le jeune homme rencontré par cette froide journée. Vos franches paroles de la semaine dernière comptent beaucoup pour moi. Merci » (p 215).

La réponse d’Obama vint en ces termes : « Merci pour cette lettre murement réfléchie. Votre histoire illustre ce qui me rend optimiste pour le pays ».

 

Yolanda

Aider les gens en détresse à revenir dans une vie vivable et sociable, tel peut être un objectif bienfaisant de l’action politique. Et il peut en résulter une expression de gratitude. Yolanda fait partie de ceux qui ont lutté pour vivre et savent reconnaître l’aide qu’ils ont reçue .

Yolanda « avait déjà écrit il y a quelques années pour parler au président de sa situation d’ancienne combattante handicapée du fait qu’elle vivait dans sa voiture et qu’elle faisait constamment des cauchemars liés aux traumatismes sexuels subis pendant qu’elle était dans la marine. « Monsieur le président, vous et votre cabinet avez fait une déclaration nationale pour que les états travaillent à mettre fin au problème des sans-abris. Je vous avais fait part de ma prière silencieuse de vouloir devenir un membre productif de notre société, d’être capable de vivre, d’y payer un loyer, bref d’y prendre part » (p 236). Or ce désir a été exaucé. « C’est avec des larmes de reconnaissance que je peux vous dire que j’ai signé aujourd’hui un bail au Veteran’s village pour deux pièces….Aujourd’hui j’ai pleuré des larmes de joie. J’étais si fière de pouvoir leur donner le mandat postal pour le loyer… Tout ça, c’est grâce à vous et à votre administration. Je ne suis pas un numéro. Je ne suis pas une saleté sur laquelle des gens crachent. Je ne suis pas oubliée…. J’ai maintenant un endroit où vivre, un chez moi. Je vais me montrer à la hauteur de ce don gracieux qui m’a été fait. Merci ! » (p 236). Une expression de dignité dans la gratitude et la confiance.

« Barack Obama et les citoyens américains en toutes lettres » (1), ce livre de Jeanne Marie Laskas, nous permet de partager à travers la publication de cette vaste correspondance, des centaines de lettres, une expression constructive et encourageante.

Si Obama rencontre des oppositions, il est en général respecté. Ces lettres manifestent un grand respect . Ainsi s’établit une confiance réciproque . Courage, dignité et confiance se manifestent dans ces récits de vie. Cette lecture n’est pas seulement agréable. Elle communique la bienveillance qui s’y exprime.

J H

 

 

 

La maladie – Les coulisses d’un sauvetage

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Il courait dans les médias un bruit de mort, la menace grandissait, le coronavirus se répandait, les deuils se multipliaient…

Plus fragile à mon âge, 89 ans déjà, le prudence était à l’ordre du jour. Je reportais une visite médicale à Paris ; ce fut un choix strict dans les rencontres de la semaine. Cependant un dimanche après-midi une poussée de fièvre se déclara.

La réponse du 15 fut prudente et le médecin me confirma dans cette prudence. Cependant le mal persistait et la fatigue gagnait. De Londres, où il résidait, mon fils, sensible à l’étrangeté de la situation, demanda à mon médecin de passer me voir, ce qui ouvrit un premier traitement. Mais la fatigue s’amplifia ; une forme de langueur s’installa.

Je descendais la pente sans en avoir bien conscience ; une voisine, amie de longue date, fut attentive, eut le courage d’intervenir et tira l’alarme. Le médecin arriva et déclencha une hospitalisation d’urgence.

 

Le choc

Et donc, en ce début d’après-midi des ambulanciers m’emmenèrent ; je me retrouvai dans une ambulance dont on ferma le capot. Destination : l’hôpital d’Antony.

Nous attendîmes à l’entrée ; le froid était glacial. J’ai souvenir de m’être ensuite retrouvé au chaud dans un lieu accueillant. Un masque à oxygène fut ouvert ; il distribua à forte dose le fluide de vie (18 litres). Nouvellement alité j’entrai dans une douce tranquillité. Une nuit passa. Le lendemain mon fils ayant pris la décision de me rejoindre dans la situation périeuse où je me trouvais, arriva de Londres.

Ma vie était en danger ; le pronostic vital était engagé. Les médecins ne cachèrent pas à mon fils la gravité de la situation. Cependant le vent tourna du bon côté ; quelques jours après je fus transféré dans une clinique/hôpital Les Tournelles à la Hay les Roses où le traitement fut allégé.

 

L’hôpital

Le traitement s’est poursuivi dans cet hôpital. De longues journées émaillées d’interventions ponctuelles : soins, médicaments, repas. L’organisation est régie par la division du travail ; à chacun sa tâche. Les relations sont limitées ; parfois elles s’élargissent grâce à une personne bienveillante, une « bonne personne ». La doctoresse apporte une dynamique d’encouragement. Finalement j’ai appris ma guérison. Libération !

Au terme de ce parcours, suite aux effets de la maladie, les forces physiques manquent. Le passage par une maison de repos s’impose ; la lutte se poursuit. Merci à ceux qui m’y accompagnent.

 

Sauvetage dans les coulisses

Si aujourd’hui la lutte pour regagner la vie normale se poursuit, ce récit n’en témoigne pas moins d’une échappée à une menace de mort très présente pendant quelques jours.

Quand mon fils arriva précipitamment à Antony et accéda à l’hôpital, les médecins lui parlèrent d’une situation désespérée. Mon fils dit à son papa, lui-même inconscient du danger, des paroles mobilisatrices. Pour me parler dans un contexte d’interdiction, il avait quasiment forcé le passage. Ensuite, durant la longue poursuite du traitement, sa présence a été une condition sine qua non dans la persévérance de l’effort de vie. Dans ce scenario, une autre personne a joué un rôle capital ; c’est une voisine amie de longue date et donc au courant de mon évolution, qui me voyant m’enfoncer dans une grande faiblesse, a eu le courage d’appeler le médecin à mon sujet. Celui-ci m’a hospitalisé d’urgence. Il était déjà très tard, le pronostic vital était engagé ; le vent a bien tourné.

D’une manière assez surprenante, la nouvelle de mon hospitalisation s’est très vite répandue. Quelques personnes en relation fréquente avec moi avaient remarqué mon affaiblissement dans les derniers jours ; elles s’alarmèrent lorsque le téléphone ne répondit plus. Elle prirent contact avec des amis pour avoir de mes nouvelles. L’une d’entre elles eut même l’initiative de rechercher sur l’annuaire l’adresse des médecins proches et eut ainsi la chance de pouvoir téléphoner à mon médecin traitant. J’ai su ensuite également les prières qui se sont exprimées à mon intention. Toutes ces interactions psychiques qui m’étaient favorables, ont certainement joué un rôle positif dans l’épreuve que je traversais.

Mon fils a même organisé un réseau d’information sur WathsApp, Dad’s army (l’armée de Papa), riche en expressions d’amitié et de souvenirs communs.

Cette épreuve a été une longue marche. Si tant d’amis ont participé de près ou de loin à cette effervescence salvatrice, je veux mentionner également ceux qui tout particulièrement ont joué un grand rôle dans le maintien de ma persévérance ; ce sont les amis qui m’ont accompagné au téléphone dans l’écoute, un partage de vie et de motivation, un temps de prière ; grâce à eux j’ai pu maintenir le cap. Ajoutons notre reconnaissance vis à vis des personnels hospitaliers qui ont permis cette guérison.

Dieu a été là ; il s’est engagé à travers toutes ces initiatives. Si cela peut prendre des formes et des expressions différentes, « tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu ». Sauvetage dans les coulisses, c’est un enseignement sur la puissance de l’entraide et sur notre responsabilité commune.

JH